LE SENS DES IMAGES

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LE SENS DES IMAGES Analyse d’un tableau : “L’Origine du monde” de Gustave Courbet (1866) 26 janvier 2013 L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet (France – couleurs – huile sur toile – 46 x 55 cm) L’analyse que vous allez lire, portant sur le célèbre tableau L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet, a été publiée à deux reprises sur mon précédent blog. A chaque fois l’article ou la photo du tableau ont été censurés par l’hébergeur (blogvie pour ne pas le citer). J’en tire trois conclusions. Premièrement qu’Internet n’est pas un média aussi libre qu’on le dit. Ensuite que Courbet – qui appartient au mouvement réaliste – a si bien réussi son coup que les censeurs du XXIe siècle ont pris ce tableau pour une photo pornographique. Enfin je constate, comme je le disais déjà dans l’analyse, que près d’un siècle et demi après sa réalisation, ce tableau dérange encore. Moralement, esthétiquement et politiquement.

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LE SENS DES IMAGES

Analyse d’un tableau : “L’Origine du monde”de Gustave Courbet (1866)26 janvier 2013

L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet (France – couleurs – huile sur toile – 46 x 55 cm)

L’analyse que vous allez lire, portant sur le célèbre tableau L’Origine du monde (1866) de Gustave Courbet, a été publiée à deux reprises sur mon précédent blog. A chaque fois l’article ou la photo du tableau ont été censurés par l’hébergeur (blogvie pour ne pas le citer). J’en tire trois conclusions. Premièrement qu’Internet n’est pas un média aussi libre qu’on le dit. Ensuite que Courbet – qui appartient au mouvement réaliste – a si bien réussi son coup que les censeurs du XXIe siècle ont pris ce tableau pour une photo pornographique. Enfin je constate, comme je le disais déjà dans l’analyse, queprès d’un siècle et demi après sa réalisation, ce tableau dérange encore. Moralement, esthétiquement et politiquement.

D’ailleurs comme le rappelle Fabrice Masanès dans son livre sur le peintre (Courbet, Taschen, 2006) : « L’Origine qui présente un “tronc”, les jambes écartées, est la réponse la plus sincère, lorsque les conventions du nu artistique revêtent tout d’un voile pudique ou suggestif. (…) Cette sincérité ne pouvait être vue sans occasionner la gêne. C’est la raison pour laquelle le tableau demeura jusqu’à son entrée au musée d’Orsay [en 1995] très peu visible, dissimulé aux regards des curieux par ses différents propriétaires ». Car oui, ce tableau est révolutionnaire (esthétiquement et politiquement) tout comme son auteur qui fut, je le rappelle, l’un des leaders de la Commune de Paris et qui le paya cher (emprisonné, ruiné, exilé).

Le nu ultime

J’aime beaucoup ce tableau. Sans doute parce qu’il va à l’essentiel. De quoi s’agit-t-il au juste ? D’un nu. Oui mais d’un nu pas comme les autres. Car celui-ci montre ce que tous les autres s’évertuaient jusqu’alors adroitement à cacher : lesexe de la femme. Avec cet Origine du monde Courbet va plus loinque Manet dans Olympia (1863) ou Le Déjeuner sur l’herbe (1863). Il ne montre pas seulement une vraie femme de chair et de sang, il nous montre surtout un vrai sexe. Qui plus est en gros plan. Il fallait oser et Courbet l’a fait. Après ce tableau, impossible d’aller plus loin. Et on comprend qu’il ait pu choquer la bonne société de la fin du XIXe. Ce qui m’étonne enrevanche, c’est qu’il continue de susciter des réactions de rejet lorsque je le présente à mes étudiant(e)s. C’est bien que Courbet a touché ici une corde sensible et qu’il a réaliséune œuvre d’art unique et atemporel. Essayons de comprendre pourquoi.

 

Il est aisé de décrire ce tableau. Et pour cause, rappelons que le but du mouvement réaliste, auquel appartient Courbet, est de montrer la réalité sans fard, telle qu’elle est. Et tant mieux si elle est crue ou sordide. Songeons à l’agonie d’Emma dans Madame Bovary de Flaubert qui ne lésine pas sur lesdétails  scabreux. Ici donc, le peintre nous présente un sexe de femme. Plus précisément un corps de femme nue, allongé sur le dos, cadré du haut des cuisses à la poitrine, les jambes écartées. Ce qu’il est intéressant de remarquer c’est qu’en cadrant ainsi son modèle, Courbet interdit toute identification. Nous ne saurons pas qui est cette femme et, j’irai plus loin, elle n’est personne sinon la Femme et toutesles femmes. A ma connaissance c’est la première fois qu’un nu peint est décapité, ce qui en soi est déjà audacieux. J’ajouterai sur la question de l’anonymat qu’il est impossiblede dater précisément cette scène, même si l’aspect bien en chair de cette femme nous ramène aux canons de la beauté encore en vogue au XIXe siècle. On est loin en effet des corpsmodernes – décharnés et anorexiques – des prostituées d’Egon Schiele. Cela dit ce corps pourrait tout aussi bien appartenirà une femme de l’antiquité. Bref, le motif – est donc le message – est peu ou prou atemporel. Que voit-on d’autre dans ce tableau ? Pour ainsi dire rien. Un fond noir et un tissu blanc. De la sorte toute l’attention du spectateur est centréesur ce sexe. Aucune échappatoire possible. Notons que ce drap blanc suggère que la femme est allongée sur un lit. Un lit

défait puisque les draps sont froissés. J’en viens donc à ma première conclusion : cette femme vient de faire l’amour. Deuxdétails viennent corroborer cette thèse : le téton droit est « en érection » mais surtout, si l’on observe bien, il semble que les lèvres soient rougies, irritées et légèrement entrouvertes. Voilà peut-être ce qui choque véritablement sansmême que l’on en ait pleinement conscience.

Un regard imparfait

Intéressons-nous maintenant au traitement plastique. L’ensemble est relativement épuré comme pour aller à l’essentiel. Trois couleurs dominent la palette : le saumon, le noir et le blanc. La composition n’est pas laissée au hasard. Le corps clair est encadré de blanc et la toison pubienne sombre et pareillement entourée de noir. De la sorte le peintre crée un équilibre visuel. Ajoutons que les lignes de force dessinées par la trajectoire des jambes et du corps semblent se croiser au centre du tableau, au niveau du sexe. Elles donnent par ailleurs l’illusion de la perspective. Ainsi, le pubis figure-t-il au premier plan et au milieu de latoile. De la sorte tout nous ramène à ce sexe. La composition est d’ailleurs centripète et curieusement ne suscite pas d’intérêt pour le hors-champs (alors même que ce corps n’a pasde tête). Non, tout a été pensé pour que le regard de l’observateur aboutisse nécessairement sur cet entrejambe. Je

noterai cependant un détail d’importance. Le sexe ne se trouvepas tout à fait au croisement des diagonales. Courbet l’a légèrement décentré vers le coin inférieur gauche. Mais pourquoi, alors même qu’il s’agit du sujet du tableau ? J’y vois, de la part de l’artiste, un refus de la perfection et del’idéalisme. A l’encontre des règles de composition classique,Courbet déséquilibre légèrement sa toile qui devient ainsi imparfaite, comme l’est la nature. Ajoutons qu’en faisant celail rejette aussi le regard parfait, idéal, omniscient et pour tout dire divin. Ici c’est le regard imparfait d’un homme qui observe la scène, à hauteur d’Homme, c’est-à-dire en légère plongée et à une distance rapprochée comme l’atteste le cadrage en gros plan. Le point de vue ainsi obtenu est celui du peintre mais surtout de l’observateur. Autrement dit, si cetableau choque tant, c’est qu’il interpelle le spectateur qu’il place au cœur même de l’action, entre les cuisses de cette femme, face au sexe féminin, ce grand inconnu comme disait Freud qui évoquait un « continent noir » source d’angoisse.

Une œuvre subversive

Enfin, si cette toile dérange aussi, il me semble, c’est qu’elle est féministe avant l’heure. Car enfin, que doit-on comprendre par ce titre L’Origine du monde ? Le peintre nous montre un sexe féminin et le désigne comme « l’origine du monde ». Qu’insinue-t-il ? Que c’est de là que naît toute vie ? Que l’acte sexuel est à l’origine de tout ? Que la femmea créé le monde ? Auquel cas il s’agirait d’un blasphème. Si c’est la femme qui a créé le monde, ce n’est plus Dieu qui, comme chacun sait, est un homme. Ajoutons que ce tableau est féministe parce qu’il désamorce tout regard voyeuriste. La vérité de cette toile est tellement triviale et pudique par excès d’impudeur qu’il est difficile d’y déceler un quelconqueérotisme. Pour une fois un nu féminin ne sera pas le prétexte frauduleux pour que des bourgeois voyeurs et hypocrites se délectent sournoisement et en toute bonne conscience devant une allégorie de Vénus en nymphette imberbe. Non, ce sexe offert nous agresse, nous regarde et nous juge. Il n’est pas observé à son insu, il nous toise. Cela dit, une faille apparaît dans ce féminisme masculin anachronique. Courbet a découpé ce corps pour ne nous présenter qu’un tronc. J’y vois le résidu d’un fétichisme et d’un sadisme typiquement masculin, quelque peu misogyne, limite « étal de viandes ».

On le voit, ce tableau a tout pour déranger. A l’instar d’Olympia de Manet, il interroge l’observateur, l’intègre dans sa mise en scène et l’oblige à se positionner et à se démasquer. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle, près d’un siècle et demie après sa création, il laisse encore aujourd’hui peu de gens indifférents.

CULTUREBOX

Duchamp, Rodin... "L'origine du monde" obscur objet de désirs au Musée CourbetPublié le 06/06/2014 à 11H43, mis à jour le 06/06/2014 à 12H23

Sculpture de Rodin devant "L'origine du monde"

C'est une exposition évènement de ce début d'été. "Cet obscur objetde désirs, autour de l'origine du monde" s'ouvre demain pour 3 moisà Ornans. 70 oeuvres (peintures, sculptures, dessins, gravures) sont rassemblées pour montrer combien la représentation du sexe féminin a passionné les artistes de toutes époques : d'Ingres à Duchamp, de Rodin à Dürer. Par Jean-Michel Ogier avec AFP

Une femme nue allongée, les jambes écartées et dont la tête n'est pas visible: la toile de "L'Origine du monde" a été peinte par Gustave Courbet (1819-1877) en 1866 pour le diplomate turc et collectionneur d'oeuvres d'art érotiques, Khalil Bey.

Cette huile ambiguë et troublante de 46 cm sur 55 cm, longtemps méconnue dugrand public, a notamment été acquise par le psychanalyste français JacquesLacan autour de 1954, qui la conservait au secret. En 1991, sa veuve avait déjà prêté la peinture à l'ancien musée Courbet d'Ornans.

Plus de 20 ans après, elle revient en grande pompe dans le nouveau musée installé dans la maison natale de son peintre. "Depuis son entrée dans nos collections nationales en 1995, ce chef d'oeuvre est devenu le plus célèbretableau de Courbet, son oeuvre emblématique", souligne Isolde Pludermacher,conservatrice du musée d'Orsay et commissaire scientifiquede l'exposition ornanaise. 

"L'origine du monde": retour à la matrice maternelleCe prêt, très rare intervient dans le cadre d'une convention de partenariatqui lie les deux établissements depuis janvier 2014. Au vu des liens très forts qui unissaient l'artiste révolutionnaire à sa terre natale, prêter L'Origine du monde est "apparu comme une évidence" aux responsables d'Orsay. "Pour Courbet, L'Origine du monde se situe à Ornans où il naît en 1819", rappelle Guy Cogeval, président du musée d'Orsay.

Les spécialistes du peintre établissent en effet un rapprochement entre L'Origine du monde et les tableaux de grottes et de sources du peintre. Cesdifférentes oeuvres "renvoient à un imaginaire commun de l'origine. En montrant la source de la Loue qui a baigné sa maison natale, Courbet peint des paysages vaginaux qui sont l'équivalent d'un retour à la matrice maternelle", avance Mme Pludermacher.

Les tableaux de Courbet La Source, dit aussi Baigneuse à la source, La source du Lison et Grotte de la source enneigée, feront ainsi partie de l'exposition. Reportage:  Isabelle Brunnarius, Laurent Brocard, Yohan Basille, Sophie Rethore

Ni vulgaire ni exhibitionniste Parmi les 70 pièces de l'exposition, dont une dizaine prêtée par le musée d'Orsay et certaines jamais exposées au public, seront présentées des oeuvres d'Albrecht Durer, Edgar Degas, Georges Lacombe, Jean-Auguste-Dominique Ingres, Louise Bourgeois, André Raffray ou encore André Masson.

Les visiteurs découvriront notamment Iris messagère des Dieux, d'Auguste Rodin, considérée comme l'équivalent de L'Origine du monde en sculpture, etLa Coquille, d'Odilon Redon.

L'exposition aborde cet "objet de désirs" par le regard tantôt érotique, tantôt poétique des artistes de la Renaissance jusqu'à nos jours, en passant par les visions plus abruptes des planches anatomiques de l'appareil génital féminin ou des esquisses japonaises.

"Cet obscur objet de désirs, autour de "L'origine du monde""Musée Courbet, Ornans du 7 juin au 1er septembre

"L'origine du monde " de Courbet revient à Ornans pour l'étéPublié le 04/06/2014 à 10H37, mis à jour le 04/06/2014 à 10H53

"L'origine du monde" accroché à Ornans

Il est de retour. Le célébrissime tableau de Gustave Courbet "L'origine du monde" est arrivé au musée d'Ornans. Prêté par le musée d'Orsay, il sera la pièce centrale de l'exposition "Cet

obscur objet de désirs, autour de L'Origine du monde" du 7 juin au 1er septembre. Par Jean-Michel Ogier

L'exposition  "Cet obscur objet de désirs, autour de L'Origine du monde" sepropose de questionner la représentation du sexe féminin dans l'histoire del'art.

70 oeuvres (peintures, sculptures, dessins, gravures) d’Annibale Carrache, Dürer, Ingres, Rodin, Degas, Odilon Redon, Marcel Duchamp, Louise Bourgeois, etc… seront réunies autour de L’Origine du monde pour amener le spectateur à s'interroger sur la place du spectateur face à l'oeuvre d'art.

Après Ornans, L'origine du monde sera présenté à la fondation Beyeler à Bâle, du 7 septembre au 18 janvier. Le musée prépare une retrospective Courbet en liaison avec l'exposition sur les années d'exil en Suisse du peintre proposé par le musée d'art et d'histoire de Genève, du 5 septembre au 4 janvier 2015.

Quand "L'Origine du Monde" inspire les artistes contemporainsPublié le 05/06/2014 à 11H55, mis à jour le 05/06/2014

Photographie exposée à la l'Artothèque de Besançon

"L'Origine du Monde", le célèbre et controversé tableau de Gustave Courbet est exposé jusqu'au 1er septembre au musée qui porte son nom à Ornans, sa ville natale. Elle est accompagnée de 70 oeuvres d'inspiration parallèle. Plusieurs galeries, dans cette petite ville et à Besançon, exposent des oeuvres récentes inspirées par lesulfureux tableau qui montre un sexe féminin dans toute sa plénitude. Par Jean-Francois Lixon

Au coeur des polémiques depuis le 19e siècle, "L'origine du Monde", peint par Gustave Courbet en 1866, ne pouvait qu'inspirer les créateurs contemporains. Il y a seulement quelques jours, juste avant le départ de l'oeuvre pour Ornans, l'artiste Luxembourgeoise Deborah de Robertis réalisait une performance en dévoilant son propre sexe devant la toile exposée au Musée d'Orsay. De manière moins "scandaleuse", des peintres, sculpteurs ou photographes s'y sont plus ou moins directement référés. Certains d'entre eux reproduisent le tableau de Courbet dans leur propre création, d'autres l'évoquent symboliquement.

Une galerie à Ornans, une autre à Besançon, ont choisi d'exposer ces créations graphiques, donnant un prolongement contemporain à une oeuvre peinte il y a déjà 148 ans. Que l'artiste se réfère explicitement à "L'Origine du Monde", ou que l'influence de l'oeuvre soit plus discrète, "cette blessure dont tu viens", comme le chantait Léo Ferré reste source d'inspiration.

Galerie Maréchal63/65 Rue Pierre Vernier25290 Ornans

Artothèque de Besançon

Galerie Jean Greset7, rue Rivotte25000 Besançon

"L'Origine du Monde", chronique d'un scandale

Publié le 07/06/2014 à 16H56, mis à jour le 10/06/2014 à 11H24

Accrochage de "L'origine du Monde" à Ornans

Alors que "L'Origine du Monde" de Gustave Courbet est exposé jusqu'au 1er septembre à Ornans, la ville natale de l'artiste, le tableau le plus célèbre du musée d'Orsay n'a toujours pas perdu sonparfum de scandale. Exposé pour la première fois en public en 1988,il a été pendant vingt-cinq ans la propriété de Jacques Lacan qui le dissimulait sous une oeuvre trompe-l'oeil. Retour sur un scandale. Par Jean-Francois Lixon

Si Jacques Lacan, le célèbre psychanaliste, avait lui-même préféré cacher le tableau de Courbet en le dissimulant sous une autre toile, c'est qu'à l'évidence cette oeuvre est tout sauf anodine. Pendant de longues années, cette évocation très crue d'un sexe féminin épanoui alimentait les conversations de ceux qui ne l'avaient même jamais vue. C'est d'ailleurs à partir de reproductions souvent en noir et blanc que l'oeuvre commença à être vue et exploitée. Elle est exposée jusqu'au 1er septembre 2014 au musée Courbet d'Ornans, dans le Doubs, la ville natale de Gustave Courbet àl'occasion de l'exposition "Cet obscur objet de désirs".

Habituellement exposée au musée d'Orsay avec la plupart des oeuvres majeures de la peinture française du 19e siècle, "L'Origine du Monde" est devenue l'un des tableaux les plus courus par le public. Le délicieux frisson de l'interdit et du sulfureux n'y est peut-être pas pour rien.

ART PRESSE

Cet Obscur objet de désirs -– Autour de L'Origine du monde, Musée Gustave Courbet, Ornans, du 7 juin au 1er septembre 2014« La Joconde » d’Orsay est en déplacement. Pour trois mois, ellea retrouvé le Doubs, pays d’origine de son franc-comtois depeintre. Plus précisément Ornans, dans le musée Courbet. C’estun événement suffisamment considérable pour que les médias dumonde entier en fassent un sujet plus ou moins important dansleurs colonnes – parfois simplement entre la commémoration duDébarquement de Normandie et la météo. Guy Cogeval, lui,président du Musée d’Orsay et de l’Orangerie déclare que,lorsque la direction du musée Courbet à Ornans lui a demandéce prêt, il a répondu : « On m’en a fait la requête un peupartout et j’ai toujours refusé car c’est un tableau qui nevoyage plus. Il n’y a qu’un endroit où ce tableau ne peut pasfaire autrement que de se rendre : c’est Ornans. » On n’estdonc pas près de voir L’Origine du Mondeailleurs. Pour ceux quin’auraient pas bien compris le caractère exceptionnel du prêtde cette œuvre devenue iconique, un gabarit du genre demi demêlée est posté à la droite du tableau et dissuade tout petitmalin de chatouiller de trop près l’objet inestimable.

Nous n’allons pas ici raconter à nouveau les origines del’Origine, sa singularité dans l’histoire de la représentationpicturale, etc. Un catalogue – qui n’a rien d’un catalogue,mais tout d’un essai à plusieurs mains sur le sujet – remplitcette fonction et s’en charge admirablement. Il fera date dansl’analyse de cette œuvre. On y trouve un auteur indispensableà ce propos comme Thierry Savatier. Rappelez-vous son ouvragesur L’Origine du Mondeparu en 2006, échafaudé comme un romanpolicier tant l’enquête, relatée presque minute par minute,est haletante. On y trouve d’autres essayistes tout aussipassionnants : Isolde Pludermacher et Jérémie Kœring ; BrunoMottin (avec une analyse scientifique du tableau qui revientsur l’épisode grotesque de la tête de femme trouvée chez unbrocanteur qui aurait été une partie d’un grand portrait de

femme couchée dont L’Origineserait un autre fragment, photosimprobables à l’appui…) ; Claire Bernardi (sur la réception dece tableau chez les surréalistes), Christian Dotal (sur lesinterprétations contemporaines autour de L’Origine) ouAntoinette Le Normand-Romain (sur les ponts entre Courbet etRodin), et enfin, un essai captivant de Frédérique Thomas-Maurin sur Gaston Lachaise (le plus américain des sculpteursfrançais, né en 1882) et son jardin secret – nous n’en dironspas plus, histoire de préserver la surprise. Nous allons doncnous contenter de relater la mise en scène autour del’accrochage de ce tableau. Son déroulé cinématographique – sascénarisation, pourrait-on dire.

Bien évidemment,L’Originen’est pas accrochée dans la premièresalle, mais au centre de l’exposition, nombril magnifique. Ilfallait ménager le suspens. Nous sommes donc accueillis par lafameuse copie réduite – certainement réalisée d’après unephotographie – attribuée à René Magritte. Elle date de 1940environ. Elle est rugueuse, autant que l’original est, aucontraire, sensuel et souple. Les couleurs sont fantaisisteset évoquent une reproduction sur papier journal restée un peutrop longtemps exposée au soleil. Pas génial mais si c’estvraiment un Magritte, ce tableau prend un tout autre sens – eton a envie de le croire. À peu près en face, deux dessinsexceptionnels de Jean Auguste Dominique Ingres, morceaux decorps de femmes qui font vibrer le mur. Et deux chefs-d’œuvre,deux ! Un portrait d’Amaury Duval représentant Madame deLoynes fait également office de réception. Madame de Loynes(Jeanne de Tourbey devenu Comtesse de Loynes) était unemondaine – demi-mondaine aurait dit Alexandre Dumas dont,accessoirement, elle fut la maîtresse. Elle présenta Khalil-Bey, le premier possesseur de L’Origine du Monde, à GustaveCourbet. C’est donc simplement à titre documentaire, maiscertainement pas artistique, qu’est accrochée cette toile quia le mérite de montrer l’énorme distance entre un Ingres et lereste du monde… Pas loin, il y a une page imprimée, tirée dela Revue The Graphic, qui représente, toujours à titredocumentaire, le fameux diplomate érotomane ottoman Khalil-Bey, ministre des Affaires étrangères turc. Collectionneur, ilavait réuni une grosse collection de tableaux dont, entre

autres, Le Bain turc(toujours d’Ingres) et Le Sommeilde Courbet. Àcôté, encore un document, bien plus intéressant du point devue artistique : la une du Hanneton, journal satirique, oùCourbet est croqué par Léonce Petit devant ses tableaux, dontL’Origine du Mondeque l’on reconnaît aisément grâce à la feuillede vigne colorisée qui dissimule à la censure le sujet – connud’un cercle d’amis et amateurs de Courbet. Ce numéro estégalement instructif pour l’écriture de Courbet reproduite enbas. Le peintre y donne son accord pour la publication de sonportrait à charge tout en déclarant qu’il trouve ridiculequ’on le lui demandât ! En ces temps napoléoniens, il fallaitprocurer à la censure un document attestant l’accord ducaricaturé pour pouvoir publier sa représentation en toutelégalité, au risque d’avoir une amende et d’être interdit deparution. En poursuivant la visite, on peut voir sur la paged’un livre, une photographie du salon de l’hôtel Hatvany àBudapest, celui du baron Ferenc Hatvany qui a acquis L’Originele16 juin 1913. Une eau forte d’André Masson (1964) quiillustrait La Mortde Georges Bataille atteste de sa proximitéavec l’œuvre de Courbet et remplace la peinture qui a servi decache à L’Origine du Mondeaprès son acquisition par JacquesLacan. C’était un paysage qui mimait habilement les formesféminines du tableau de Courbet tout en les dissimulant. Leprêt n’ayant pas été accordé, il était indispensable queMasson soit présent dans cette exposition puisqu’il est un desacteurs principaux de cette saga à multiples rebondissements.

Une suite d’œuvres, dont l’importance palpable atteste del’énergie mise en œuvre pour mener à bien cette exposition, se côtoient et se répondent à la perfection. Nousmentionnerons une eau-forte d’Annibale Carrache, et une autrede Rembrandt ; encore un magnifique Ingres (Jupiter et Antiope) ;la formidable et rare pointe sèche (et burin) de Claude Mellanmalicieusement nommée La Souricière ;  un monotype extra-terrestrede Degas ; le païen Nu bleude Bonnard (musée d’Orsay) ; desRodin à profusion ; une des rares ultimes et méconnues eaux-fortes de Marcel Duchamp tirée d’une série de neuf Morceauxchoisis : La Femme aux bas blancs ; un feuillet de Léonard de Vinci(enfin, une copie d’après, conservé à la Bibliothèquenationale de France…) ; une page de l’ouvrage Fasciculo di

medicinade Johannes von Ketham (xve siècle) représentant unefemme enceinte aux jambes écartées ; les gravures (1545) de ladissection d’une femme de Charles Estienne prêtée par laBibliothèque municipale de Besançon qui regorge de merveillesdu genre ; un Jean-Jacques Lequeu étrange – comme toujours –au titre suggestif : L’Infâme Vénus couchée (1779) ; le bas-reliefLa Naissancede Georges Lacombe venant également du muséed’Orsay ; l’exceptionnel Dessinateur face à une femme allongéedeDürer, bois gravé de 1538, représentant le perspectographe deson invention, composé d’une fenêtre et d’un viseur, utilisépar un dessinateur avec son modèle : un femme nue allongéeavec le sexe face à lui. Nous poursuivons cette successiond’œuvres d’exception sans souci de hiérarchie de médium, àl’instar des expositions atypiques de Jean Clair dont l’espritacéré flotte singulièrement ici : des Stéréscopiesde 1860d’Auguste Belloc qui avait été montrées dans la salle deL’Origine du Monde, justement, pour l’exposition Courbet au GrandPalais (2007-2008) ; une gravure maniériste de Caraglio de1527 d’après un étrange Perino del Vaga : Mercure, Augaurus etHersé ; le dessin d’une femme nue couché sur le dos de Degas,éblouissant ; le coquillage de l’extravagant et indispensableOdilon Redon ; un André Raffray qui, ne nous méprenons pas,est présent ici uniquement parce que l’Étant donnésde Duchamp,« Joconde » de Philadelphie, ne pouvait pas être déplacée ; lesbronzes sidérants de Gaston Lachaise dont il a été question audébut de ce texte, à travers l’essai remarquable de FrédériqueThomas-Maurin, prêtés par la Lachaise Foundation de Boston.Une série impressionnante de dessins de Rodin remplit le murderrière lequel est accroché L’Origine. Le tableau vedette deCourbet, flanqué de son garde du corps – si l’on peut dire –,a provoqué le déplacement de tous ces grands fragments del’histoire de l’art autour de lui. Son attraction estirrésistible.

Ce n’est pas encore terminé. La Vague violette(1895-1896) deGeorges Lacombe conservée au Musée d’Orsay, tableau ésotériqueà propos duquel on se demande quel psychotrope ingéraitl’artiste ; une page du traité anatomique d’Adriaan van derSpieghel, médecin, anatomiste et botaniste à Padoue, Operaequae extant omniade 1645 ; La Nymphe à la sourcede Cranach père,

provenant du musée de Besançon qui représente la femme et lasource ; quelques dessins et tableaux en complément de Courbet– dont les Sourcesjustement ; deux extraordinaires estampesd’Utagawa Kuniyoshi dont l’iconographie, évoquant un voyage aucentre d’un monde pseudo-Julesvernien, aurait certainementamusé ce dernier. Une partie contemporaine clôt l’affairemais, il faut bien le dire, ce n’est pas le point fort del’exposition. Mais tant on a vu des œuvres d’une qualité rarequ’il fallait taper très fort pour fermer le ban. Nousmentionnerons tout de même ici une œuvre du niveau desprécédentes salles, qui semble jaillir de la cimaise : cetautoportrait tellement drôle d’Helmut Newton devant L’Origine duMonde, photographie prise à Orsay lors d’une de ses visites.C’est un hommage à Orsay du musée d’Ornans qui a prêté cetableau star et, en parallèle, de la part de Newton à toutesles femmes qu’il a capturées dans cet appareil photographique.

Preuve est faite, par cette exposition, que point n’est besoinde se tenir dans une grande métropole pour organiser uneexposition d’un très très haut niveau – formel etintellectuel. D’autant plus que le musée d’Ornans n’en est pasà son premier coup de feu : l’an dernier, une fusée à doubletête avait été tirée : Cézanne/Courbet. Personne ne l’a vuredescendre d’ailleurs.

Philippe Ducat 

 Rappel :

1– L’Origine du mondeillustra en mai 1982 la couverture du numéro59 d’artpressdans lequel un dossier « Obscénités » était publié.C’est à cette occasion que Vincent Corpet vit pour la premièrefois ce tableau (donc en noir et blanc) et que, fréquentantassidûment son atelier, j’en pris ensuite connaissance.Vincent Corpet fit ensuite l’acquisition du catalogue raisonnéde Courbet (sous la direction de Robert Fernier) dans lequelL’Origineétait reproduit toujours en noir et blanc. Il fallutattendre un certain temps pour voir cette œuvre imprimée encouleur.

2– Toujours dans le sillage d’artpress– plutôt du côté de lalocomotive, d’ailleurs –, Jacques Henric, en 1994, publiait auSeuil l’ouvrage Adorations perpétuellesavec L’Origine du mondeenillustration de couverture – en couleurs cette fois-ci. Dansles bonnes villes de Besançon (à quelques kilomètres seulementd’Ornans) et de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), desassociations de défense des familles et autres ligues devertus détenant la vérité quant à ce qui est bon ou mauvaispour les honnêtes gens, firent intervenir les fonctionnairesde police afin que le livre immoral soit retiré au plus vitede la vitrine de deux librairies.

LE MONDE.FR16 juin 2014, par T.Savatier

Exposition « Cet obscur objet de désirs –Autour de L’Origine du monde »L’Origine du monde, le tableau le plus célèbre de GustaveCourbet, suscite toujours autant d’intérêt, de curiosité.Objet de livres, d’articles, de communications, mais aussi decensures et parfois de fantasmes (pensons au battage organiséautour de sa prétendue tête), il reste une source

d’inspiration pour les artistes contemporains et exerce uneintense force d’attraction auprès du public. Jusqu’à présent,aucun événement spécifique ne lui avait été consacré. Cettelacune est désormais comblée, à travers l’exposition Cet Obscurobjet de désirs - Autour de l’Origine du monde, qui se tient au muséeGustave Courbet d’Ornans (Doubs) jusqu’au 1er septembreprochain. Née d’une proposition de Guy Cogeval, président desmusées d’Orsay et de l’Orangerie, dans le cadre d’unpartenariat privilégié entre Orsay et le musée GustaveCourbet, celle-ci réunit, autour de la toileexceptionnellement prêtée, soixante-dix œuvres venues degrandes collections publiques et privées, françaises etétrangères, avec pour thème esthétique central lareprésentation du sexe féminin.

Ayant la chance d’en être l’un des commissaires scientifiques,je ne pourrai naturellement porter un jugement sur Cet obscurobjet de désirs. Je me permettrai simplement de témoigner del’extraordinaire aventure humaine et intellectuelle que futcette année, passée à réaliser cette exposition.

Aventure humaine, d’abords, vécue aux côtés de l’équipe dumusée qui m’invita à cette collaboration, Frédérique Thomas-Maurin, conservateur en chef du musée Courbet, Julie Delmas,adjointe du conservateur et Elise Boudon, assistante deconservation qui assurent le commissariat général del’exposition, ainsi que mes consœurs commissairesscientifiques, Antoinette Le Normand-Romain, directricegénérale de l’Institut national d’histoire de l’art et IsoldePludermacher, conservateur au musée d’Orsay. La complicité quinous unit autour de ce projet, la spontanéité et la liberté denos échanges, le professionnalisme dont elles firent preuve mepermirent avant tout de beaucoup apprendre.

Aventure intellectuelle ensuite car nous avons beaucouptravaillé sur les orientations thématiques, afin d’écartertoute connotation grivoise. Le choix d’articuler le parcourssur différents types de regards fit très vite l’objet d’unconsensus : « le regard du collectionneur » (les propriétairessuccessifs de la toile), « le regard érotique » (à travers le

thème classique du satyre et de la nymphe, puis de l’intimitésurprise, c’est-à-dire de la femme seule, observée par lepeintre et le spectateur). La section centrale, intitulée« Capter le regard », fut choisie pour regrouper, outreL’Origine du monde, des œuvres majeures, comme Iris, messagère des dieuxde Rodin, La Coquille d’Odilon Redon ou une grande interprétationd’Etant donné de Marcel Duchamp par André Raffray. S’imposaientensuite, en toute logique, « le regard anatomique », quimontre comment le dévoilement du sexe féminin fut longtempsréservé à la science, seul alibi légitimé et autorisé, puis« le regard poétique », autour, notamment, de la Nymphe à lasource de Lucas Cranach (version conservée à Besançon,probablement la plus belle du maître), pour s’achever sur « leregard contemporain » qui regroupe quelques travaux d’artistesde notre temps, dont la toile de Courbet est le dénominateurcommun.

Réunir ainsi, notamment, des œuvres de Léonard de Vinci,d’Ingres, de Rembrandt, de Carrache, de Dürer, de Degas,Bonnard, Marcel Duchamp, Hans Bellmer, Louise Bourgeois, Jean-Jacques Lequeu, Utagawa Kuniyoshi, André Masson, Helmut Newtonou Pierre Buraglio, sans oublier une série de dessinsérotiques de Rodin et la copie de L’Origine présumée réaliséepar René Magritte (jamais, jusqu’à ce jour, présentée aupublic) fut un défi passionnant.

Le catalogue illustré (Lienart, musée Courbet, 176 pages, 25€) inclut plusieurs essais, parmi lesquels une très sérieuseétude de Bruno Mottin, conservateur en chef au Centre deRecherche et de Restauration des Musées de France, intitulée« L’Origine du monde, une approche technique ». L’auteur, quis’est livré à de récentes explorations du tableau, apporte unefois pour toute la preuve scientifique que celui-ci est uneœuvre originale et voulue telle quelle par le peintre. Ilréduit ainsi à néant l’hypothèse farfelue de l’existence d’unvisage, présentée le 7 février 2013 comme une évidence par lemagazine Paris Match (voir à ce sujet deux articles publiésdans ces colonnes, ici et là.)

08 février 2013, par T.Savatier

L’Origine du monde de Gustave Courbet, faut-il croire au « miracle » ?

Ainsi, L’Origine du monde, célèbre toile de Gustave Courbet,serait la partie inférieure d’un nu bien plus grand, presquecomplet et, de surcroît, agrémenté d’un perroquet... C’est entout cas ce que prétend un long article de Paris-Match publié en« exclusivité mondiale » hier sous le titre « On a retrouvé levisage de L’Origine du monde ». Il y est question de « découvertemiraculeuse » et de « fabuleux secret ». Un tel scoop était denature à intéresser l’ensemble des media. Les nombreux appelstéléphoniques de journalistes que je reçus durant toute lajournée de jeudi le confirment. Pour autant, faut-il sirapidement conclure au miracle ? Rien n’est moins sûr. Et, sil’information, aujourd’hui, se propage à la vitesse de lalumière, on ne peut pour autant s’affranchir de passerl’article à sensation au crible de la réflexion.

J’ai eu connaissance du portrait de femme présenté par ParisMatch en examinant un dossier que son actuel propriétairem’avait adressé pour solliciter mon avis, le 10 octobre 2012.Ce dossier contenait la plupart des éléments repris parl’hebdomadaire. Dans un courrier de 5 pages du 17 octobre,j’eus l’occasion de répondre à cette demande et d’exprimer uncertain nombre de réserves motivées. Le collectionneur nem’ayant jamais répondu, j’ignore s’il voulut tenir compted’arguments qui venaient contredire ou nuancer son hypothèse,mais la lecture de l’article de Paris Match suggèrerait qu’ilpréféra probablement les écarter. Certains détails, présentéspar le magazine comme des faits avérés, méritent pourtantd’être sérieusement remis en cause.

Posons-nous d’abord la question de la réunion proposée parParis Match en double page des deux fragments (le portrait defemme en question et L’Origine) supposés appartenir à un seul etmême tableau : selon l’article qui reprend une hypothèse dupropriétaire, il s’agirait d’une étude que peignit Courbetpour La Femme au perroquet, une œuvre importante réalisée en 1866.Une citation d’Henry d’Ideville, auteur d’un essai sur leMaître-peintre d’Ornans publié en 1878, vient en appui decette affirmation. Or, il semble bien plus probablequ’Ideville ait ici fait allusion à la Femme nue qui futexposée lors de la rétrospective Courbet du Grand Palais

(n°180 du catalogue) et qui appartient aujourd’hui à lacollection Jeff Koons qu’à tout autre tableau. Par ailleurs,il faut préciser que, si Courbet réalisait des étudespréliminaires de détail (comme celles peintes pour Vénuspoursuivant Psyché de sa jalousie qui représentent un buste couché pourl’une et un personnage entier pour l’autre), celles-ciprésentaient de grandes similitudes avec l’œuvre finale. Or,entre l’œuvre suggérée dans le magazine et La Femme au perroquet,il n’existe aucun point commun, sinon la présence, dans lepremier cas, d’un hypothétique perroquet dont personne ne peutapporter la preuve. Tout cela reste donc bien maigre. Laressemblance des deux visages, évoquée dans l’article, n’esten outre pas frappante.

Quant à la composition même de la toile, elle soulève desérieuses réserves. Sans doute la position du corps(disgracieusement écartelé) offre une géométrie si peuheureuse qu’on peine à l’attribuer à Courbet, mais un autreélément, purement physique, s’oppose bien davantage àl’assemblage des deux œuvres qui ne forment guère les piècesd’un puzzle. Chacun en jugera en observant le montageproposé : dans L’Origine du monde, le torse du modèle s’orientenettement vers la droite (du point de vue du spectateur) dutableau ; or, dans le portrait de femme qui nous est présenté,

la position des épaules et celle de la base du cou suggèrentune légère orientation du buste dans le sens opposé ; seproduit alors un effet de torsion rigoureusement incompatibleavec les lois de l’anatomie car ni le buste ni le sternum nepeuvent naturellement épouser une forme hélicoïdale. End’autres termes, pour que le portrait de femme corresponde àla position du modèle de L’Origine du monde, il faudrait que sonépaule gauche soit située à un niveau inférieur à celui del’épaule droite ; or, c’est le contraire qui nous apparaît. Cedéfaut de cohérence scénique constitue donc un obstacle majeurà l’hypothèse pourtant présentée avec beaucoup de certitudespar Paris Match. Sur les questions anatomiques soulevées parL'Origine du monde, j'invite par ailleurs le lecteur à sereporter à la quatrième édition de mon essai, L'Origine du monde,histoire d'un tableau de Gustave Courbet, Bartillat, collection Omnia,pp 259-253).

D’autres informations livrées dans l’article relèvent d’unecertaine fantaisie. Passons sur l’affirmation grotesque selonlaquelle Un Enterrement à Ornans de Courbet (3,15 m x 6,68 m)aurait la taille du Sacre de Napoléon de David (6,21 m x 9,79 m)pour nous intéresser à une caricature de Courbet par LéoncePetit que publie l’hebdomadaire (p. 74). Dans celle-ci, lepropriétaire du tableau voit, en appui de sa thèse, « au-dessus de la tête du peintre […] une femme avec une chevelureabondante, la main droite tendue vers un oiseau au largebec ». Or, à l’examen de cette caricature (dont on trouvera ledétail ci-dessous), on ne distingue, au-dessus de la tête deCourbet, qu’un paysage forestier, comme je le lui avais

d’ailleurs indiqué. Point de chevelure abondante, pointd’oiseau.

On pourra également s’interroger sur l’oreille du modèle, danslaquelle le collectionneur croit voir une « signaturecachée », à savoir le monogramme « C.G. ». Outre que Courbetsignait ses toiles « Gustave Courbet », « G. Courbet » ou« G.C. », ce monogramme n’existe pas plus spécifiquement icique la « femme avec une chevelure abondante » dans lacaricature précitée.

Plus intéressante est la marque que porte la toile, « DeforgeCarpentier », qui fut utilisée par ce marchand entre 1858 et1869. La période correspond bien à celle où Courbet exécutaL’Origine du monde (1866). Il faudrait bien sûr vérifier sid’autres toiles contemporaines peintes par Courbet portentaussi cette indication, mais l’indice reste maigre carbeaucoup de peintres achetaient leurs toiles chez ce célèbrefournisseur, comme l’attestent ces quelques exemples :Jongkind, Quai de Honfleur, 1866 – Gérôme, Deux chevaux étendus,circa 1867 – Jules Dupré, Sunset on the coast, circa 1870. Ilfaudrait aussi vérifier à quelle place, au dos de la toile, cemarchand faisait habituellement figurer son cachet en fonctiondu format car, dans l’hypothèse d’une seule et même toile, cecachet aurait ici été placé bien haut.

On peut aussi considérer la qualité de la toile de lin (14x15fils/cm2) apparemment identique à celle de L’Origine du mondemais, là encore, il ne faut pas oublier que ces supportsétaient à l’époque fabriqués en quantité industrielle etservaient à de nombreux peintres. Autant dire que, lorsque lelecteur de Paris Match lit des phrases comme « tout concorde ets’assemble » ou « tout correspond point par point », il nepeut se douter combien ces affirmations ne repose que sur dessuppositions fort éloignées d’une preuve scientifique.

Finalement, le seul argument qui militerait en faveur del’hypothèse du magazine se trouverait dans la convictionexprimée par Jean-Jacques Fernier, spécialiste de Courbet pourlequel j’éprouve beaucoup d’estime et d’amitié, qui prépareactuellement un catalogue raisonné de l’œuvre du Maître.Conviction très clairement exprimée dans un encart de ParisMatch, mais reprise avec, semble-t-il, davantage de nuanceslors de l’émission RTL Soir de Marc-Olivier Fogiel dont nousétions tous deux les invités. L’avis de Jean-Jacques Fernierne peut en aucun cas être écarté d’un revers de la main et ilest nécessairement troublant. On ne peut donc définitivementexclure que ce portrait de femme soit la partie supérieure deL’Origine du monde, même si l’on peut se demander la raison pourlaquelle Courbet aurait découpé son tableau pour n’en vendreque la partie inférieure à Khalil-Bey, dont la collectionincluait des œuvres de grand format. Pour autant, suivant lasagesse du vieil adage du droit romain testis unus, testis nullus, onsouhaiterait que d’autres experts puissent s’exprimer à cesujet – telle était d’ailleurs la recommandation que j’avaisadressée au propriétaire du tableau. Nul doute qu’aujourd’hui,le Musée d’Orsay et les laboratoires de recherche des muséesde France, qui disposent d’une expertise certaine et de moyenstechnologiques hautement sophistiqués, pourraient apporter unéclairage décisif.

Probablement, s’il était avéré – ce qui est loin, en l’état,d’être le cas –  que L’Origine du monde possédait à l’origine unvisage, la portée de cette œuvre en serait modifiée : onpourrait y voir une provocation de Courbet (grand amateur deprovocations, il faut le souligner) là où, aujourd’hui, on

voit surtout une révolution dans l’art occidental, c’est-à-dire la restitution magistrale à la Femme de cet attributfondamental dont les conventions artistique l’avaient privédepuis la Grèce antique : son sexe.

Illustrations : Gustave Courbet, La Femme au perroquet, 1866, NewYork, The Metropolitan Museum of Art - "Reconstitution"présentée par Paris Match, illustration Matthias Petit - LéoncePetit, caricature de Gustave Courbet publiée dans Le Hannetondu 13 juin 1867, détail.

14 février 2013, par T.Savatier

De qui « L’Origine du monde » est-elle lenom ?

Dans ma précédente chronique,j’avais apporté des éléments de réponse à l’article publié parParis Match le 7 février dernier, où il était question de ladécouverte « miraculeuse » du prétendu visage de L’Origine dumonde de Gustave Courbet. Je m’étais limité à quelques pointsessentiels, notamment anatomiques, visant à mettre en lumièrel’incompatibilité des deux tableaux et à souligner quelquescuriosités tout à fait fantaisistes, comme la « signaturesecrète » dissimulée dans une oreille qui relevait moins del’histoire de l’art que du Da Vinci Code. Un autre détail, quinous aurait alors trop éloignés du sujet, méritait pourtantexamen ; il porte sur l’identité du modèle, tant de L’Origine quedu portrait de femme. Une interrogation qui n’a rien de futileet que l’on pourrait résumer ainsi : de qui L’Origine du mondeest-elle le nom ?

L’article de l’hebdomadaire ne laisse pratiquement aucun douteau lecteur : il s’agit de Joanna Hifferman, dite Jol’Irlandaise, modèle et maîtresse du peintre américain JamesAbbott McNeill Whistler. L’auteure du papier fait cohabiter cedernier, Jo et Courbet « lors de deux séjours à Trouville »,« à l’automne 1865 puis au printemps 1866 ». Laissons de côtéle fait que les trois protagonistes ne passèrent que l’automnede 1865 dans la petite ville normande… Courbet rentra à Parisvers le 21 novembre tandis que Whistler et Jo retournèrent àLondres. Le second séjour à Trouville relève de la purefiction, mais une fiction dont on comprend vite l’utilité.Car, un scoop n’arrivant jamais seul, l’article évoque une« découverte » supplémentaire du propriétaire du tableau : Joaurait aussi servi de modèle à La Femme au perroquet, œuvre quele peintre réalisa pour le Salon de 1866. La jeune femme étantà Londres au moment où Courbet peignit sa toile, l’inventiond’un second séjour commun à Trouville rendait peu ou proucette version plausible. Mais la chronologie impose sescontraintes et nous savons que Jo ne vint retrouver Courbet àParis qu’au mois de juin 1866, alors que Whistler voyageait auChili et que La Femme au perroquet avait déjà été exposée.

Ce tableau n’a donc guère à voir avec Jo. Quant au portrait defemme présenté par Paris Match, il ne s’en rapproche pasdavantage, à supposer d’ailleurs qu’il soit bien de Courbet...On objectera que Jean-Jacques Fernier, dans un encart dumagazine, écrit qu’il inclura « ce portrait de Jo Hifferman »dans « le tome III du catalogue raisonné » qu’il prépareactuellement. Cette attribution correspond à une logique. Eneffet, Jean-Jacques Fernier pense depuis longtemps – ce quiest son droit – que Joanna Hifferman posa pour L’Origine dumonde ; nous en avions, il y a quelques années, débattu enpublic à l’occasion du Salon du livre d’art d’Ornans (Doubs).Cet échange, tout à fait ouvert et sympathique, avait étél’occasion de constater que, sur ce point, nous ne partagionspas la même opinion. Or, en acceptant l’idée que le portraitde femme et L’Origine constituaient les pièces d’une seule etmême œuvre, le spécialiste de Courbet, dans un souci decohérence, se devait de reconnaître que le visage qui lui

était présenté se confondait avec un portrait de la belleIrlandaise.

Dans mon essai (L’Origine du monde, histoire d’un tableau de GustaveCourbet, Bartillat, 4e édition, pp. 54 à 65), j’avais évoquécette question en concluant que, même si Jo avait durantquelques semaines partagé la vie du Maître-peintre d’Ornans àl’époque présumée où celui-ci peignit L’Origine, la probabilitéqu’elle eût servi de modèle était on ne peut plus réduite.Joanna Hifferman, au physique idéal pour les peintrespréraphaélites (elle connaissait fort bien Dante GabrielRossetti), était une rousse flamboyante comme seules peuventl’être les Irlandaises, jusqu’au cliché. Whistler l’avaitainsi décrite à son ami Fantin-Latour : « C’est les cheveuxles plus beaux que tu n’aies jamais vu ! D’un rouge non pasdoré, mais cuivré ». Par une étrange prémonition, il avaitajouté plus loin : « Tu sais ceci, il ne faut pas en parler àCourbet »…

Les deux peintres réalisèrent de la jeune femme plusieursportraits, si différents que leurs interprétations et leursstyles respectifs plongent le spectateur dans une certainecirconspection. On la trouve rousse éthérée et virginale chezWhistler : A White note, 1861 (Vente Sotheby’s New York, 19 mai2011, lot n°57), Symphonie en blanc n°1, 1862 (Washington, TheNational Gallery), Symphonie en blanc n°2, 1864 (Londres, TateGallery), Symphonie en blanc n°3 (circa 1865, Birmingham, TheBarber Institute of Fine Arts), L’Artiste dans son atelier (circa1866, Chigago, The Art Institute) ou Wapping (1861,Washington, The National Gallery – ici, moins éthérée).

De son côté, Courbet nous en livre deux versions dontl’extrême sensualité ne peut échapper au spectateur : d’abordune étude datée de 1865, probablement contemporaine du séjourà Trouville, puis un superbe portrait de 1866, Jo, la belleIrlandaise, dont on connaît quatre versions présentant quelquesvariantes de détail (Stockholm, Nationalmuseum – New York, TheMetropolitan Museum of Art – Kansas City, Nelson-Atkins Museumof Art, enfin, collection privée). Il est en outre trèsprobable que Jo servit de modèle à la femme aux cheveux blond-roux du Sommeil (1866, Musée du Petit-Palais), grande œuvreexécutée pour le diplomate Khalil-Bey auquel Courbet livraaussi L’Origine du monde.

Deux peintres, deux regards très contrastés portés sur la mêmefemme, donc. Toutes ces toiles présentent cependant un pointcommun : Joanna Hifferman y est peinte avec une chevelurerousse flamboyante, à l’exception du Sommeil où des notesmoins cuivrées, mais plus blondes, apparaissent, sans douteafin de respecter le cliché saphique classique de la blonde etde la brune qui avait cours sous le Second Empire. Notons quedans aucun de ces portraits on ne retrouve la palette utiliséedans la chevelure de La Femme au perroquet. Pas plus que dans leportrait présenté par Paris Match d’ailleurs, qui montre plutôtune brune aux sourcils noirs. Notons encore que, si les traitsdes visages de Jo la belle Irlandaise et du personnage du Sommeilsemblent très proches, ceux des modèles de La Femme au perroquetet du portrait de femme en diffèrent très sensiblement − cesdeux derniers n'offrant pas non plus de communautéphysionomique très convaincante l'un avec l'autre.

Quant à L’Origine du monde, il suffit de regarder un instant cetronçon de corps offert pour comprendre que nous n’avons pasaffaire à une rousse flamboyante, sans qu’il soit besoin depréciser davantage… L’observateur jugera.

Pourquoi, dès lors, cette association de Jo et du sexe fémininle plus célèbre de l’art occidental est-elle aujourd’hui sirépandue dans les media, à défaut d’être officielle ? Uneapproche chronologique nous renseigne. La première à avoirémis l’hypothèse que Joanna Hifferman avait « probablement »servi de modèle à L’Origine fut l’historienne de l’art SophieMonneret, dans un ouvrage publié en 1978. Jean-Jacques Fernierla reprit dans le catalogue de l’exposition Les Yeux les plus secretsqu’il organisa en 1991 à Ornans, où le tableau, quiappartenait à Sylvia Bataille, fut pour la première foisprésenté au public français.

Cette version devint, en 2000, le pivot du scénario développépar Christine Orban dans un roman qui connut un beau succèslittéraire, J’étais l’origine du monde (Albin-Michel). Il étaitparfaitement légitime, pour l’auteure, de choisir Jo pourhéroïne et d’en faire le modèle de la toile ; la fictionpermet à l’écrivain la plus entière liberté dont la seulelimite est celle de son imagination. La romancière, avecbeaucoup d’honnêteté, n’avait d’ailleurs ni prétendu faireœuvre d’historienne ni détenir une vérité historique. C’estpourtant dans les années qui suivirent la publication de celivre que journalistes, critiques et historiens de l’artpropagèrent cette version à l’envi, alors qu’aucun élémentmatériel ne venait la confirmer. La toile était siemblématique que la légende, il est vrai séduisante, avaitfini par prendre le pas sur la preuve scientifique.

La vérité est qu’aujourd’hui, rien ne permet d’affirmer quellefemme fut vraiment le modèle de L’Origine du monde. Seul unfaisceau de présomptions m’a permis d’avancer en 2006 queCourbet avait certainement utilisé une source photographiquepour composer son tableau. D’abord parce qu’il étaitdifficilement concevable qu’un modèle pût conserver une tellepose, très inconfortable, pendant des heures, ensuite parceque des photographies existent, notamment prises par AugusteBelloc dans les années 1860, qui montrent des sexes fémininsdans un cadrage très proche de celui choisi par le peintre (levisage du modèle étant caché par un jupon relevé). On sait queCourbet possédait des clichés érotiques, à l’époque vendus

officiellement pour servir aux peintres, et qu’il s’inspiraitparfois, pour composer ses tableaux, de photos ou de gravures.Les notices du catalogue de la rétrospective Courbet qui eutlieu au Grand-Palais en 2007, rédigées par Laurence des Carset Dominique de Font-Réaulx apportèrent à cette hypothèsetoute leur autorité.

On comprend que, pour les amateurs de la toile, la perspectivequ’elle représente le sexe de la belle Irlandaise qui fut àcette époque la maîtresse de Courbet soit attirante,plaisante, presque glamour. Bien plus séduisante qu’une sourcephotographique considérée, sous le Second Empire (et même denos jours) comme « pornographique ». Pourtant, en l’absence detout témoignage et de tout document, cette version reste peucrédible. Est-ce pour autant si décevant ? Ce sexe anonyme,aboutissement d’un travail réfléchi de Courbet sur les« paysages vaginaux » (voir les multiples versions de la Sourcede la Loue, de La Grotte Sarrazine, etc. œuvres datées, pour laplupart, de 1864), privé de tout visage, conserve son entiermystère. Il s’impose comme un «Monument à la Femme inconnue»,cette Femme dont l’art occidental, par une convention bienpatriarcale, avait effacé le sexe dans ses représentationspeintes et sculptées pendant plus de deux millénaires.

Illustrations : Gustave Courbet, L’Origine du monde, 1866 (Paris,Musée d’Orsay) – Tableau comparatif de quelques portraits deJoanna Hifferman par Whistler (détails, de gauche à droite etde haut en bas) : Symphonie en blanc n°2, 1864 (Londres, TateGallery), A White note, 1861 (Vente Sotheby’s New York, 19 mai2011, lot n°57), Wapping (1861, Washington, The NationalGallery), Symphonie en blanc n°1, 1862 (Washington, The NationalGallery) – Tableau comparatif d’œuvres de Gustave Courbet etdu portrait de femme (de gauche à droite et de haut en bas) :Jo, la belle Irlandaise, 1866 (Stockholm, Nationalmuseum), Le Sommeil,1866 (Musée du Petit-Palais, détail), Femme nue, 1866 (étudepour La Femme au perroquet, collection Jeff Koons), portrait defemme présenté par Paris Match (sans date, collectionparticulière).

LE PARISIEN

Le jour où Courbet a enlevé le bas «L'Origine du monde», de Courbet, l'un des tableaux les plus sulfureux de l'histoire de la peinture, quitte cet été le musée d'Orsay pour la ville natale du peintre.Yves Jaeglé | 15 juil. 2014, 07h00

(CG25 Raphaël Helle.)

Pour peindre des nus, il y a du monde. Ce n'est pas osé, c'estmême un passage obligé. Pour peindre le sexe féminin lui-même,en gros plan et dans le détail, il n'y a plus personne. A partGustave Courbet (1819-1877), l'un des plus grands peintres du XIX e siècle, auteur d'un vagin peint qu'il a plus joliment appelé « l'Origine du monde » (1866). Un coup de génie ce titre : on n'est plus seulement dans le voyeurisme, l'érotisme, voire la pornographie, mais dans l'énigme de la naissance. D'autant que selon l'historien d'art Thierry Savatier, auteur d'un livre sur ce tableau, et l'un des commissaires de l'exposition « Cet obscur objet de désirs : autour de l'Origine du monde », présentée actuellement au musée Courbet d'Ornans, la ville natale du peintre dans le Doubs, lemodèle de ce buste et de ce bas-ventre, sans tête, était une

femme enceinte...

Une œuvre unique sans passé ni descendance

L'exposition s'approche d'une oeuvre dont le cheminement resteen grande partie secret comme une enquête ne négligeant aucunepiste. « C'est une oeuvre vraiment inclassable, qui n'appartient à aucun genre et même pas au genre du nu. C'est un morceau de corps, un tableau révolutionnaire », rappellent deux des commissaires, Julie Delmas et Elise Boudon. Comment Courbet, anarchiste plutôt connu pour ses engagements politiques durant la Commune de Paris, et ses paysages réalistes, a-t-il eu l'idée d'un tableau aussi choquant, au point qu'il n'a longtemps été vu que par un cercle d'initiés, avant d'entrer au musée d'Orsay en 1995 ?

Premier indice : les paysages réalisés par le peintre, exposésdans les salles, mais que l'on peut aussi arpenter en sortant de l'exposition, dans les collines du Doubs : ces grottes et cavités qui entourent Ornans et ces montagnes recouvertes de forêts épaisses, où Courbet a vécu jusqu'à 19 ans, évoquent à l'évidence un symbole sexuel, comme un secret caché. Second indice : les premières photos érotiques de sexes féminins en gros plan, qui proliféraient à l'époque, et dont Courbet étaitfriand. Troisième indice enfin : l'ambition de Courbet, qui sevoulait l'égal de Raphaël, le maître du rendu de la carnation et des chairs, et a voulu frapper un grand coup en s'attaquantau nu d'un point de vue complètement novateur, avec une technique virtuose.

Car « l'Origine du monde » reste unique, sans passé ni descendance. L'exposition, d'une soixantaine d'oeuvres passionnantes, dévoile une magnifique eau-forte de Rembrandt, où le sexe féminin s'offre à la convoitise, une « Nymphe couchée » du XIX e siècle en plein plaisir solitaire, les dessins érotiques de Rodin, ainsi que des planches anatomiques, Leonard de Vinci s'essayant dès 1509 à la description de l'organe sexuel féminin. On voit même un incroyable manuel d'accouchement du XIX e siècle. Courbet peint « l'Origine du monde » au moment où les théories de

Darwin, son contemporain, mettent à mal la conception chrétienne de l'origine de l'homme. En cela, le peintre jouisseur mais aussi l'anticlérical et le communard, un siècleavant Mai 68, annonce que oui, tout est politique, même le sexe.