Le contrat de franchise cinq ans pres 1

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LE CONTRAT DE FRANCHISE : 5 AN APRES LA PROMULGATION DE LA LOI N° 2009-69 DU 12 AOUT 2009, RELATIVE AU COMMERCE DE DISTRIBUTION QUEL AVENIR, QUELLES SOLUTIONS Zoubeir MRABET Avocat et expert en franchise On se propose dans cet article de procéder à une étude critique de la législation tunisienne en matière de franchise prévue par les articles 14 à 17 de la Loi n° 2009-69 du 12 août 2009 relative au commerce de distribution 1 cinq ans après sa promulgation et notamment les obstacles et lacunes qui caractérisent le cadre juridique applicable aujourd’hui à la franchise en Tunisie. Mais commençons d’abord par donner une vue générale sur le secteur de la franchise en Tunisie et la situation du marché de ce mode d’expansion commerciale (I) afin de pouvoir évaluer l’avenir de la franchise en Tunisie (II). I. PRESENTATION DE LA FRANCHISE ET ETAT DES LIEUX Commençons tout d’abord par une rétrospection et une présentation de la franchise (A) pour dresser l’état des lieux en la matière (B). A. Rétrospection et présentation de la franchise. À mi-chemin entre plusieurs institutions juridiques, le contrat de franchise demeure incapable de se rattacher à une institution connue de la tradition civiliste et encore moins de la common law 2 . Bien que réclamant son autonomie en tant qu’institution propre, le contrat de franchise reste une institution inconnue du droit commun classique. Pourtant, il est condamné à s’identifier au droit pour pouvoir définir et dégager le cadre des rapports contractuels des parties. En Tunisie, le concept de franchise apparait dans la fin des années quatre-vingt dans le cadre d’un vaste mouvement de 1 Travaux préparatoires: Discussion et adoption par la chambre des députes dans sa séance du 21 juillet 2009et par la chambre des conseillers dans sa séance du 30 juillet 2009. 2 Paul-André MATHIEU, La nature juridique du contrat de franchise, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1989, p. 27-81. 1

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LE CONTRAT DE FRANCHISE : 5 AN APRES LA PROMULGATION DE LA LOI

N° 2009-69 DU 12 AOUT 2009, RELATIVE AU COMMERCE DE DISTRIBUTION 

QUEL AVENIR, QUELLES SOLUTIONS

Zoubeir MRABET

Avocat et expert en franchise

On se propose dans cet article de procéder à une étude critiquede la législation tunisienne en matière de franchise prévue parles articles 14 à 17 de la Loi n° 2009-69 du 12 août 2009 relative aucommerce de distribution1 cinq ans après sa promulgation et notammentles obstacles et lacunes qui caractérisent le cadre juridiqueapplicable aujourd’hui à la franchise en Tunisie. Maiscommençons d’abord par donner une vue générale sur le secteurde la franchise en Tunisie et la situation du marché de ce moded’expansion commerciale (I) afin de pouvoir évaluer l’avenir dela franchise en Tunisie (II).

I. PRESENTATION DE LA FRANCHISE ET ETAT DES LIEUX Commençons tout d’abord par une rétrospection et uneprésentation de la franchise (A) pour dresser l’état des lieuxen la matière (B).

A. Rétrospection et présentation de la franchise.

À mi-chemin entre plusieurs institutions juridiques, le contratde franchise demeure incapable de se rattacher à uneinstitution connue de la tradition civiliste et encore moins dela common law2. Bien que réclamant son autonomie en tantqu’institution propre, le contrat de franchise reste uneinstitution inconnue du droit commun classique. Pourtant, ilest condamné à s’identifier au droit pour pouvoir définir etdégager le cadre des rapports contractuels des parties.

En Tunisie, le concept de franchise apparait dans la fin desannées quatre-vingt dans le cadre d’un vaste mouvement de1 Travaux préparatoires: Discussion et adoption par la chambre des députesdans sa séance du 21 juillet 2009et par la chambre des conseillers dans saséance du 30 juillet 2009.2 Paul-André MATHIEU, La nature juridique du contrat de franchise, Cowansville,Éditions Yvon Blais, 1989, p. 27-81.

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libéralisation de l’économie et d’ouverture au commerceinternational. Mais, malgré l’arrivée de marques et enseignesinternationales sur le marché tunisien, la franchise resteaujourd’hui peu connue de la société tunisienne et même dumilieu commercial. De plus, le cadre juridique régissant lafranchise reste insuffisant et mal adapté, créant ainsiplusieurs obstacles et carences à son développement.

A cet effet, avant 2009 les contrats de franchise étaientconsidérés comme des contrats de concession commerciale ettraités en tant que tel. Cependant, suite aux recommandationsde la consultation nationale pour la modernisation du secteurcommercial en 2004, aux résultats des études menés dans ledomaine du commerce de distribution et au programme deréhabilitation du secteur commercial en 2007 lesquels ontmontré la nécessité de réglementer le contrat de franchise, uncadre juridique a été élaboré qui a aboutit à la promulgationdes textes juridiques suivants :

loi N° 69-2009 du 12 Août 2009 relatif au commerce dedistribution, en particulier les dispositions des articles14 à 17 sur la franchise.

Décret N° 1501-2010 du 21 Juin 2010 portant fixation desclauses minimales obligatoires des contrats de franchiseainsi que des données minimales du document d'informationl'accompagnant.

Arrêté du ministre du commerce et de l'artisanat du 28juillet 2010 portant l’octroi systématique, à certainscontrats de franchise, de l'autorisation prévue parl'article 6 de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991,relative à la concurrence et aux prix.

A cet effet, la Loi n° 2009-69 du 12/08/2009 relative aucommerce de distribution, notamment son chapitre V vientapporter pour la première fois une reconnaissance et un statutà la franchise en Tunisie3. Ce chapitre contient quatrearticles énonçant des principes généraux : une définition de lafranchise, son étendue, son cadre formel impératif qui est un3 Zoubeir Mrabet, « Critique et comparaison des lois Tunisienne et Françaisesur la franchise », in FranchiseLab du 25/10/2010 disponible sur lien suivant http://franchiselab.fr/2010/10/25/critique-de-la-loi-tunisienne-sur-la-franchise/.

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contrat écrit et les obligations du franchiseur et dufranchisé.

Au demeurant, cette loi représente une déclaration d’intentiondes autorités afin d’encourager ce mode d’exercice de commercequi se développe considérablement dans le monde. A ce titre,rappelons que cette loi qui était en gestation depuis desannées intervient dans le cadre d’une réorganisation ducommerce de distribution des biens et services. Il s’agit d’undéfi important pour l’émergence d’une nouvelle cultureentrepreneuriale. L’adoption d’une loi spécifique à lafranchise était donc fort attendue par les franchiseursnotamment étrangers, entre autres pour régler le problème duversement de royalties qui est désormais possible, sous lecontrôle de la banque centrale, après l’obtention del’autorisation du ministre de commerce.

Mais qu’est ce qu’une franchise? Il n’existe actuellement endroit comparé aucune définition légale ou communément admise dela franchise. Cette carence se justifie par l’absence de loisrégissant cette forme contractuelle4 ainsi que par l’aspectrelativement nouveau du franchisage. Curieusement, lelégislateur Tunisien a cru bon de définir le contrat defranchise dans le cadre de la loi sur le commerce dedistribution, définition qui reste, cependant, critiquable dansla mesure ou cette définition est inadaptée et incomplète commenous allons le constater. En effet, l’alinéa 1er de l’article14 de la Loi n° 2009-69 du 12 août 2009 relative au commerce de distributiondispose que :« Le contrat de franchise est un contrat par lequel le propriétaire d’une marque oud’une enseigne commerciale accorde le droit de son exploitation à une personnephysique ou morale dénommée franchisé, et ce, dans le but de procéder à ladistribution de produits ou à la prestation de services moyennant une redevance. »

B. ETAT DES LIEUX

A date, 28 enseignes internationales ont eu l’autorisation duministère de commerce d’opérer en Tunisie. Le schéma et le4 D’après l’étude préliminaire élaborée à la demande du Secrétariatd’UNIDROIT, il s’avère que rares sont les États qui ont adoptés des loissur le franchisage.

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tableau suivants5 montrent, la procédure à suivre pourl’obtention de l’autorisation du ministre du commerce pour lesmarques et/ou enseignes étrangères, ainsi que l’évolution del’implantation des enseignes internationales par secteur, parannée et par origine.

Source : Conseil de la concurrence tunisien

Source : Conseil de la concurrence tunisien

5 Source Conseil de la Concurrence Tunisien.4

Les principales demandes d’implantation des franchiseursétrangers, selon les récentes statistiques du Conseil de laconcurrence tunisien que montre bel et bien le schéma et letableau ci-dessous, sont relatives à des marques et/ouenseignes américaines (38%) et françaises (23%) et concernentles activités de restauration rapide (8), glace et pâtisserie(5), boulangerie (2), les services immobiliers (2) etpublicitaires (2).

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Source : Conseil de la concurrence tunisien

II. QUEL AVENIR POUR LA FRANCHISE EN TUNISIE ?

Vraisemblablement, le législateur tunisien a préféré suivrel’exemple français en adoptant cette loi en question en ce sensque le législateur français avait déjà adopté une loi analogueà savoir la Loi Doubin6 qui sans être spécifique à la franchise7

la concerne de très près, dans la mesure où les rédacteurs decette loi se sont inspirés de plusieurs autres lois portant surla franchise8. À cette loi et son décret d’application9 estvenu se joindre le règlement communautaire 2790/199910

remplaçant le règlement de la CCE N°4087/8811. En revanche, ledroit américain semble mieux servi en matière de législationsur la franchise que son homologue français dont la situationest assez « désertique »12. En effet, depuis le 21 octobre 1979on a assisté à l’entrée en vigueur d’une loi spécifique aufranchisage connue sous le nom de full discloser Act13. Cette loiconserve une importance capitale notamment pour l’influencequ’elle est appelée à exercer sur les pays de la communautéeuropéenne et le cadre légal protectionniste qu’elle offre aufranchisé14.

Toutefois, l’analyse du cadre légal est réglementaire régissantla franchise en Tunisie révèle que le législateur a opté pourun texte général réglementant les formes les plus utilisées en6 Loi n°89-1008 du 31 décembre 1989 relative au développement des entreprises commerciales etartisanales et à l’amélioration de leur environnement économique, juridique et social, J.O du 2janvier 1990, p. 9.7 Cette loi n’emploi pas le terme « franchise ».8 KHAYAT DE CYWINSKA et Anne VICENT-FITOUSSI, Le franchisé: droits et obligations, Thèse de doctorat, Université de paris I, 1996, p. 39. 9 Décret n°91-337 du 4 avril 1991 portant application de l’article 1er de la Loi n°89-1008 du 31décembre 1989, J.O du 6 avril, p. 4627 et rectificatif du 6mai 1991, p. 5983.10 Règlement CCE N°2790/1999 de la CCE du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et des pratiques concertées.11 Règlement CCE du 30 Novembre 1988 relatif à l’application de l’article 85 paragraphe 3 du traitéde Rome à des catégories d’accords de franchise. 12 Olivier GAST, « le droit de la franchise aujourd’hui », Cah. dr. entr,1981.4, pp. 23-25.13 De son vrai nom Disclosure and prohibitions concerning franchising and business opportunities ventures.14 O. GAST, « Aperçu général de la loi américaine sur le franchising », R T D.Com, 1982.35, pp. 225-239.

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Tunisie du commerce de distribution à savoir le commerce dedistribution en général, les centres commerciaux, les centralesd’achat et les contrats de franchise. Dans ce cadre, laquestion qui se pose est celle de savoir si cet assemblagejuridique de certains modes types de distribution et notammentl’insertion du contrat de franchise parmi ces différentesformes de distribution était la bonne option législative àadopter (A). De même, l’étude de la pratique au cours des cinqdernières années de l’application du cadre juridique de lafranchise et notamment la délégation faite au pouvoir exécutif,à savoir le ministère de commerce, de fixer la liste desactivités exemptés systématiquement de l’autorisation duministre de commerce15, ainsi que sa main mise sur toute laprocédure tendant à l’octroi de la dite autorisation laisse àdésirer et reste critiquable pour différentes raisons qu’ententera d’explorer ci-après (B).

A.Un cadre légal inadapté, incomplet et limité :

En premier lieu, le cadre légal de la franchise en Tunisie,malgré les prétentions que ses rédacteurs veulent luiattribuer, reste inadapté à même la nature juridique du contratde franchise telle quelle est confirmée dans la pratiqueinternationale qui renie toute tentative de la ramener à unsimple contrat de distribution.

Cet état de fait se dégage Tout d’abord de la définition donnéepar le législateur tunisien qui s’est voulue incomplète en cequ’elle néglige, d’une part, deux éléments essentiels à lafranchise : à savoir le contrôle du franchiseur16 et l’aspectde collaboration. En effet, l’étude des diverses propositionsde définition avancées par la doctrine17 ou certainesinstitutions professionnelles démontre bien la difficulté

15 Pour une idée plus détaillée sur la liste des activités exemptés del’autorisation du ministre de commerce pour les marques étrangères voirArrêté du ministre du commerce et de l'artisanat du 28 juillet 2010 portantl’octroi systématique, à certains contrats de franchise, de l'autorisationprévue par l'article 6 de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991, relative à laconcurrence et aux prix. 16 Bien que l’article 17 de cette loi souligne certaines formes que peutrevêtir le pouvoir de contrôle du franchiseur, il n’en demeure pas moinsqu’il en omet d’autres. 17 Jean-Marie LELOUP, La franchise-droit et pratique, 2ème édition, Collection française, Paris, Delmas, 1983, p. 26.

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d’établir une définition assez complète de la franchise, bienque ces tentatives étaient plus réussies que celles dulégislateur tunisien. Il en est ainsi, par exemple, de ladéfinition proposée par la Fédération Française de la Franchiseou celle donnée par la Fédération Européenne de la Franchise18

lesquelles marquent mieux l’aspect de la collaboration etl’avantage concurrentiel inhérents à la relation de franchiseainsi que le pouvoir de contrôle reconnu au franchiseur. Demême, elles soulignent bien le caractère préalable du savoir-faire et l’obligation mise à la charge des franchisés derespecter les normes du franchiseur. Cependant, elles demeurentelles aussi incomplètes, comme d’ailleurs d’autres essais dedéfinition, puisque insistant sur un aspect particulier de lafranchise tout en négligeant d’autres aspects. D’autre part,cette définition semble ne reconnaitre que les opérationsvisant « la distribution de produits» ou «la prestation deservices» et omet de ce fait les franchises de production et/oules franchises industrielles pour ne citer que celles-là.Certes, le contrat de franchise est un contrat de distribution,mais il ne l’est pas toujours et uniquement. Vraisemblablementle législateur a consciemment omis ces dernières sortes defranchise pour la simple raison que la loi en question estrelative au commerce de distribution comme son nom l’indique.Ce faisant, le législateur tunisien dénature la réalitéjuridique de la franchise en l’emprisonnant dans un sanctuairelégal.

Ensuite, cette définition met trop l’accent sur la notion decommercialité du réseau franchisé19 alors même qu’une tellecondition n’est pas nécessaire à la qualification du contrat defranchise. Le titre même de la cette loi est très équivoque etnotamment l’emploi du terme «commerce» de distribution dansdiverses dispositions de cette loi et dans l’article 14 al. 3définissant le réseau franchisé. De surcroit, de toutes lestentatives de définition de la franchise qu’on a eu à

18 Pour des exemples plus détaillés de ces propositions de définitions voirZoubeir MRABET, Les obligations du franchiseur : étude du droit civil et du droit internationaluniforme, Mémoire de mastère en droit des affaires, Université de Montréal,2005.19 L’alinéa 3 de l’article 14 de cette loi stipule que « Est considéré réseau defranchise l’ensemble des commerces indépendants exerçant sous la même marque et selon desméthodes commerciales unifiées dont notamment l’aménagement des locaux, les modes de gérance,l’exposition, le marketing et les sources d’approvisionnement.»

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consulter, d’aucune n’a retenue le critère de commercialitécomme élément substantiel à sa reconnaissance. Il s’ensuit quebien que la quasi-totalité des réseaux de franchise soientcomposés de commerçants, ce n’est pas la nature du contrat. Àpreuve, le champ d’application de la franchise peut allerjusqu'à contenir des activités civiles (artisanales, agricolesou libérales) et qu’au demeurant la qualité de commerçant n’estpas requise pour l’exercice de la franchise d’où il serait pluspertinent de qualifier les parties au contrat de franchised’entrepreneurs plutôt que de commerçants.

Ces critiques se confirment par ailleurs pour les deux raisonssuivantes :

1. Le contrat de franchise est un contrat complexe etoriginal

Innovation contractuelle, la franchise l’estsûrement. Il s’agit, cependant, d’une innovation qui a réussila fusion d’un certain nombre de mécanismes contractuelsconnus20. Située entre les contrats de mandat, de vente, delouage et de société21, la franchise étonne par son originalitéet sa complexité. C’est ce dernier aspect qui rend son étudeloin d’être aisée.

Cette complexité découlant de la nature même de lafranchise est accentuée par la complexité des relations entrele franchiseur et le franchisé. À ce propos, on a toujourssouligné que le contrat de franchise est une technique decollaboration commerciale où franchiseur et franchisé cherchentà fidéliser une clientèle au concept du franchiseur, mais iln’en demeure pas moins que chacune des parties poursuit laréalisation de certains objectifs qui lui sont propres. Enpareil cas et en présence d’intérêts divergents des deuxparties, les conflits ne peuvent que s’installer. Cettesituation est inévitable puisqu’elle se rattache à la naturemême de la franchise où l’équilibre des prestations estdifficile à réaliser, ce qui rend l’analyse des relations entrefranchiseur et franchisé assez délicate et pleine d’embûches.

20 Michel CABRILLAC, « Remarques sur la théorie générale du contrat et lesdécisions récentes de la pratiques commerciales », dans Mélanges GabrielMARTY, Toulouse, 1978, p. 236.21 P-A., MATHIEU, op., cit,, note 2, pp. 47-73.

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2. Le contrat de franchise se distingue des autres contratsde distribution

L’ambiguïté que recèle le contrat de franchise et lesrapprochements fait par la jurisprudence et la doctrine àd’autres contrats proches et notamment les contrats dedistribution expliquent dans une certaine mesure l’optionlégislative tunisienne d’inclure le contrat de franchise dansune loi générale relative au commerce de distribution. Ilreste, cependant, que la franchise se distingue nettement deces contrats pour les raisons suivantes :

- Hormis le cas de la franchise, les distributeurs ne sont passoumis à l’obligation de payer une redevance initiale lorsde leur entrée dans le réseau.

- Le distributeur conserve plus d’indépendance dans la mesureoù il n’est soumis à aucun contrôle comme c’est le cas dufranchisé, et de ce fait les questions de la protection del’adhérant au réseau et de l’équilibre des prestations entreles parties ne se posent pas vraiment dans les contratsclassiques de distribution ou du moins ne s e posent pasavec la même acuité.

- Aucune condition de « commercialité » n’est exigée pourl’exercice de la franchise comme on l’a soulignéprécédemment, et ce, contrairement aux autres contrats dedistribution où le distributeur est généralement uncommerçant.

- Au demeurant, contrairement à la franchise, tous les autresmodes de distribution n’entraînent pas un transfert desavoir-faire : le concessionnaire, le distributeur voir mêmele représentant commercial ou les propriétaires descommerces de distribution visés par la loi objet de notreétude ne peuvent que compter sur leur propre savoir-fairepour mener leur affaires. Cet élément essentiel combiné àl’assistance continue du franchiseur et le payement de laredevance par le franchisé participent à la définition de lafranchise, et partant à sa distinction des autres types decontrats de distribution.

Cette complexité et cette originalité, outre toutes les autresraisons qu’on a pu avancer, appellent, donc, à réserver à lafranchise un intérêt particulier qui sort des sentiers battusdes autres contrats de distribution. C’est la raison pour

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laquelle tout un travail a été élaboré par UNIDROIT22 qui adonné naissance au Guide sur les accords internationaux de franchiseprincipale23. Bien que le « Guide » s’applique en bonne partie auxaccords de franchise principale24, il intéresse par ailleurstoutes les autres sortes d’accords de franchise. A ce titre,l’intérêt du travail d’harmonisation d’UNIDROIT est plus querecommandable pour les législateurs nationaux, et notamment lelégislateur tunisien, qui sont appelés à s’y inspirer pourpallier les imperfections de leurs droits internes25. Mais, au-delà de ce rôle, le « Guide » se veut un instrument d’avant-garde pour « appréhender des questions qui sont déjà traitéespar les législations nationales mais qui revêtent uneimportance marquée dans le domaine du franchisage » commec’est notamment le cas en matière de propriétéintellectuelle26.

Cette inadaptation du cadre juridique actuel de la franchise,se révèle aussi au niveau de la procédure à suivre en vue del’obtention de l’autorisation du ministre de commerce pour lesfranchises internationales. Ainsi, le respect de la procédureimplique en règle générale que la plus diligente des parties27

dépose une demande auprès du ministère de commerce pourl’obtention d’une autorisation lui permettant de se conformeraux exigences de l’article 6 de la loi sur la concurrence etprix ; laquelle demande est soumise obligatoirement par leministre de commerce à l’avis du Conseil de la Concurrence. Acet effet, il est intéressant de souligner que le Conseil de laConcurrence dans le cadre de sa mission consultativeobligatoire a opté pour une méthodologie d’analyse au cas parcas et ce contrairement à l’approche de l’autorité de laconcurrence en France qui se caractérise par une analyse en22 Voir à cet effet Lena PETERS, « Le projet de guide d’UNIDROIT sur lefranchisage : comment et pourquoi? », RDU, 1996. 4, p. 695 et suiv.23 Guide sur les accords internationaux de franchise principale, UNIDROIT,Rome, 2002. 24 On entend par franchise principale le contrat de franchise qui faitintervenir, en règle générale, trois intervenants : le franchiseur, lefranchisé principal et les sous-franchisés. Une telle structure supposeque le franchisé principal conclu les contrats de franchise unitaire etagit à leur égard en qualité de franchiseur.25 Guide sur les accords internationaux de franchise principale, op.cit.,note 23, voir « Introduction », p. XXX.26 Id, p. XXXII.27 Et non pas obligatoirement le franchisé comme semble l’exiger le ministère de commerce.

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bloc. Cette approche est fondée sur la règle de raison quitente de mettre en balance les effets favorables et contrairesà la concurrence des différentes restrictions verticales. Cetteapproche a été confirmée par l’Assemblée plénière du Conseildans son avis n°82218 du 26/11/2008, relative à une demanded’exemption collective d’un contrat-cadre de représentationexclusive dans le secteur de distribution de presse et revuesétrangères28.

Cependant, cette démarche bipolaire impliquant tant leministère de commerce que le Conseil de la Concurrence dans unmême dossier n’est pas compatible avec la célérité recherchéedans le monde des affaires et fondamentale à sa survie, dansla mesure où certaines demandes d’autorisation prennentquelques années (entre 2 et 3 ans) pour être délivrée ce quiest un délai trop long et peu être néfaste autant pour lefranchiseur que le franchisé qui ont investis des sommesconsidérables dans le projet de franchise et se trouventconfrontés à une attente forcée qui leur coute cher. Même, sidans certains cas on tolère le commencement de l’activitéavant l’obtention formelle de l’autorisation du ministre decommerce, le problème demeure entier puisque le franchisé nesaura satisfaire à ses obligations monétaires et notamment lepayement des royalties dans la mesure où leur transfert estsubordonné à la communication à la banque centrale de la diteautorisation.

A ce titre, il serait intéressant de prendre l’exemple françaisen matière des attributions à accorder à l’autorité de laconcurrence. En effet, la position adoptée en France depuis2012 suite à l’adoption de la Loi n°2012-1270 du 20/11/2012modifiant l’article L420-4 du Code ce Commerce français a rendules exemptions libres à condition de prouver l’apportéconomique et technique de la franchise en question, ainsi queson intérêt pour le consommateur, le tout en respectant lesrecommandations de l’autorité de la concurrence en la

28 En définitive, l’avis était défavorable en raison de l’absence dedispositions particulières et expresses dans la loi relative à laconcurrence et aux prix autorisant la délivrance d’une exemptioncollective, en premier lieu, et en second lieu en raison du fait que cetype d’accord-cadre ne peut pas être couvert par l’exemption particulièreprévue à l’article 6 de la loi en question.

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matière29. Ainsi, le titre II du livre IV du code de commercefrançais s’en trouve ainsi modifié. Il est inséré un article L. 420-2-1 ainsi rédigé : « I. Nesont pas soumises aux dispositions des articles L.420-1 etL.420-2 les pratiques : 1° Qui résultent de l’application d’untexte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour sonapplication ; 2° Dont les auteurs peuvent justifier qu’ellesont pour effet d’assurer un progrès économique, y compris parla création ou le maintien d’emplois, et qu’elles réservent auxutilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte(…) . III. ― Ne sont pas soumis aux dispositions de l'article L. 420-2-1 les accords ou pratiques concertées dont les auteurspeuvent justifier qu'ils sont fondés sur des motifs objectifstirés de l'efficacité économique et qui réservent auxconsommateurs une partie équitable du profit qui en résulte. »

En second lieu, le cadre juridique tunisien de la franchisereste incomplet et limité. Il en est ainsi, des obligationsréciproques des parties au contrat de franchise en ce que lelégislateur tunisien s’est contenté d’annoncer des principesgénéraux sans pour autant établir un vrai régime juridique dela relation de franchise. Même le Décret N° 1501-2010 du 21 Juin 2010portant fixation des clauses minimales obligatoires des contrats de franchise ainsique des données minimales du document d'information l'accompagnant, quiétait censé apporter des clarifications aux diverses lacuneslaissées par la loi du 12/08/2009, nous a laissé sur notrefaim dans la mesure ou il s’est contenté lui aussi d’exposerdes obligations générales de part et d’autre, sans se soucierd’en déterminer l’étendue et les limites de sorte a laisser laporte ouverte aux diverses interprétations et à l’émergenced’une énorme latitude au profit du pouvoir exécutif dans leurapplication. Dans cette même veine, il nous semble étonnantvoir inadapté et inapproprié de réglementer des rapportscontractuels privés d’une telle envergure par un simple textede nature réglementaire. Il en est de même de la question del’obligation précontractuelle d’information qui était censéeêtre réglée par ce même texte réglementaire, sans pour autanty parvenir convenablement, en ce que plusieurs éléments29 Il est intéressant de souligner que l’autorité de la concurrence en France émet des recommandations tous les trimestres adressés à certains secteurs d’activité qu’elle choisi.

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fondamentaux à la réalisation du consentement éclairé dufranchisé n’ont pas été traité ou abordés de manière généraleet trop imprécise ; ce qui nous amène à nous demander quelpourrait être l’avenir de la franchise en Tunisie et quelles sont les solutions àenvisager pour y parvenir ?

B. QUEL AVENIR ? QUELLES SOLUTIONS ?

En définitive, le cadre juridique actuel de la franchise laissebeaucoup à désirer et devrait faire l’objet d’une refontecomplète et plus réfléchie. À cet effet, nous aurions aimé voirla Tunisie se doter d’un vrai cadre juridique sur la franchisecomme la loi américaine ou même les lois de certaines provincescanadiennes30.

A ce titre nous nous proposons d’avancer les recommandationssuivantes pour palier aux lacunes existantes créant ainsi uneffet néfaste de ralentissement à l’évolution et audéveloppement de la franchise en Tunisie. Deux paliersprincipaux retiendront notre attention :

1. Au niveau de la loi : Il serait plus opportun de réserver une loi spécifique à lafranchise comme c’est le cas en Amérique du Nord, terre natalede la franchise et des plus grandes marques mondiales31, car onne saurait plaidoyer pour un développement durable et effectifde l’activité du franchisage en Tunisie tant que le cadre légalet réglementaire demeure aussi lacunaire et inadapté auxspécificités du franchisage. A cet effet, Il serait, plusefficace encore de s’inspirer des expériences législatives despays dans lesquels le franchisage connait un réelépanouissement32 et notamment du travail d’UNIDROIT en matièrede franchise. En effet, il serait très recommandable etenrichissant pour le législateur Tunisien de s’inspirer del’énorme travail d’édification d’UNIDROIT en matière defranchise notamment le Guide sur les accords internationaux de franchise30 Voir pour la province de l’Alberta, Franchises Act, R.S.A. (2000), c.F-23, telque modifié et pour la province de l’Ontario Arthur Wishart, L.O. (2000), c.3 31 De manière générale en Afrique du Nord et au Moyen Orient, les marquesaméricaines et canadiennes sont en forte demandes. Voir à cet effet pour lecas de la Tunisie, le tableau de répartition des marques de franchise parorigine.32 Sachant que le secteur du franchisage en Afrique du Nord et au MoyenOrient produit un chiffre d’affaires équivalent à 30 milliards de dollarsUS avec une croissance de 25%.

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principale et la Loi Type sur la divulgation des informations en matière defranchise33. De surcroit, citant à titre d’exemple quelqueslacunes au titre de cette obligation précontractuelled’information que le Décret N° 1501-2010 du 21 Juin 2010 portant fixationdes clauses minimales obligatoires des contrats de franchise ainsi que des donnéesminimales du document d'information l'accompagnant aurait pu éviter ens’inspirant de la Loi-Type d’UNIDROIT. C’est ainsi que cetteloi prévoit dans son article 6 les éléments pertinents suivantsnon retenus par le décret en question et qui sont de nature àpermettre un consentement plus éclairé du franchisé :- En ce qui a trait à l’enregistrement de la marque :« Les informations suivantes ayant trait aux droits depropriété intellectuelle du franchiseur dont une licence estoctroyée au franchisé, et en particulier, aux marques, brevets,droits d’auteurs, et droits attachés aux logiciels :iii) la date à laquelle s’éteint l’enregistrement des droits depropriété intellectuelle faisant l’objet de la licence ;iv) les procédures judiciaires ou toute autre procédure légaleengagées le cas échéant qui pourraient avoir des effetssignificatifs sur l’utilisation, exclusive ou non exclusive,par le franchisé des droits de propriété intellectuellerésultant du contrat de franchise, dans l’Etat où l’activitécommerciale franchisée doit être exploitée »- En ce qui a trait aux projections financières« Si une information est délivrée au futur franchisé, par lefranchiseur ou en son nom, concernant les résultats financierspassés ou les projections financières d’unités exploitées enpropre par le franchiseur, ses affiliés ou ses franchisés,cette information doit :

inclure les hypothèses importantes ayant permis sapréparation et fondé sa présentation ; préciser si elle est basée sur des résultatseffectifs d’unités d’exploitation existantes ; spécifier si elle est basée sur des unitésd’exploitation appartenant au franchiseur et/ou auxfranchisés ; et indiquer le pourcentage d’unités d’exploitation dontles résultats correspondent à l’éventail de ceux cités encomparaison ou qui les dépassent.

Si l’information financière visée dans le précédent sous-paragraphe est fournie, le franchiseur doit spécifier que les33 Loi type sur la divulgation des informations en matière de franchise, UNIDROIT, Rome, 2002.

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niveaux de performance effectivement atteints par l’unitéd’exploitation proposée au futur franchisé, peuvent êtredifférents de ceux qui se trouvent énoncés dans l’informationfournie par le franchiseur ; - En ce qui a trait à la distinction entre franchise directeet franchise principale : L’article 6.3 précise que « Si la franchise est une franchiseprincipale, le sous-franchiseur (…) devra informer le candidatsous-franchisé de la situation des contrats de sous-franchisedans l’hypothèse d’une résiliation du contrat de franchiseprincipale et de son contenu.   »

2. Au niveau de la structure administrative et de contrôle :

La lenteur dans le traitement des dossiers dégagée par lapratique de l’application du cadre juridique actuel pourl’obtention de l’autorisation du ministre de commerce qui peutprendre des fois 2 voir 3 ans, nous amène à réfléchir surl’intérêt de faire trainer les dossiers entre deux autoritéspubliques à savoir le ministère de commerce et Conseil de laConcurrence. Dans ce cadre, on se pose la question de savoir pourquoi nepas se contenter d’une seule autorité tout en renforçant le contrôle à postérioricomme c’est le cas en France ?

De fait, nous pensons qu’il serait plus efficace pour tous lesintervenants dans le monde du franchisage d’opter pour uneanalyse des dossiers des marques étrangères par bloc,attribution qui devrait être du seul ressort du Conseil de laConcurrence.

En effet, Il est plus pertinent, de déléguer l’entièreprocédure d’autorisation au Conseil de la Concurrence pour deuxraisons au moins :

- D’abord, l’esprit même de la loi milite pour dire que laraison pour laquelle l’implantation d’une certaine marqueétrangère en Tunisie est subordonnée à une autorisationpréalable est intimement liée aux exigences de la législationsur la concurrence, qui est par nature du domaine réservé au

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Conseil de la Concurrence comme c’est le cas d’ailleurs del’autorité de la concurrence en France. - De même, le Conseil de la Concurrence, est, par sa nature,

le gardien de l’équilibre du marché et le protecteur de l’ordrepublic économique, qui rendrait de ce fait ce genre dedécisions plus objectif et dépourvu de tout aspect politiqueque pourrait représenter le ministre de commerce, sesreprésentants ou délégués, tout en épargnant du temps etpermettant par la même occasion de s’aligner sur les vraiescaractéristiques de l’activité économique à savoir la céléritéet la mutabilité de mouvement. Par ailleurs, la centralisationdu traitement de la demande au sein d’un seul organisme àsavoir le Conseil de la Concurrence permettrait une meilleuregestion et un gain de temps précieux. D’ailleurs, la pratiquedémontre que l’avis du Conseil de la Concurrence est donné dansun délai moyen de deux mois ; c’est juste le manque decoordination et de communication de l’administration tunisiennequi fait que l’autorisation tarde à être délivrée.

Ce disant, nous pensons que l’adoption d’une loi spécifiqueà la franchise inspirée des meilleurs exemples et pratiques enla matière, conjugué à un rôle plus accru du Conseil de laConcurrence notamment en lui accordant plus d’attributionsurtout en matière d’autorisation et de contrôle a posteriorien sa qualité de gardien de l’équilibre du marché donnerait unmeilleur climat juridique au développement de la franchise enTunisie et propulserait, peut-être, l’activité de franchisageen Tunisie vers d’autres cieux plus clément et moins obscurs.Nous l’espérons.

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