LE COMMONWEALTH DES NATIONS A L'EPREUVE DES RELATIONS INTERNATIONALES - ENJEUX DE LA CRISE DE...

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LE COMMONWEALTH DES NATIONS A LEPREUVE DES RELATIONS INTERNATIONALES : ORIGINES ET ENJEUX DE LA CRISE DE RHODESIE, 1965-1980 Lola Wilhelm Mémoire sous la direction du Professeur Robert Frank, 11 septembre 2010 Master Recherche Histoire des relations internationales et des mondes étrangers UFR d’Histoire

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LE COMMONWEALTH DES NATIONS A L’EPREUVE DES RELATIONS INTERNATIONALES :

ORIGINES ET ENJEUX DE LA CRISE DE RHODESIE, 1965-1980

Lola Wilhelm

Mémoire sous la direction du Professeur Robert Frank, 11 septembre 2010

Master Recherche Histoire des relations

internationales et des mondes étrangers

UFR d’Histoire

1

AVANT-PROPOS A L’ATTENTION DES EXAMINATEURS.

Ce mémoire en Histoire des relations internationales présente les conclusions d’une recherche

menée dans le cadre d’un double Master en Histoire des relations internationales et en Etudes

du développement. Compte tenu des archives disponibles cette année et de la nature du sujet,

il s’est avéré approprié de couvrir une partie relativement extensive de la période abordée, en

vue d’un possible enrichissement ultérieur des deux secondes parties du mémoire par de

nouvelles archives au moment de leur communication.

Remerciements,

Lola Wilhelm

2

RÉSUMÉ. La période du régime dit de « Déclaration Unilatérale d’Indépendance »

(Unilateral Declaration of Independence, UDI) sous la domination du parti ségrégationniste

du Front Rhodésien en Rhodésie du Sud de 1965 à 1980, est considérée par les historiens de

la décolonisation britannique et ceux du Commonwealth des Nations comme un facteur

prépondérant dans la cristallisation du mandat et des contraintes du Commonwealth dans les

relations internationales à la période postcoloniale. Néanmoins, l’implication politique et

diplomatique de cette association intergouvernementale dans la crise de Rhodésie au moment

de la reprise de la guerre civile qui opposa les mouvements nationalistes zimbabwéens au

régime d’UDI, de 1972 à 1980, n’a fait l’objet d’aucune étude historique systématique à ce

jour, faute de sources disponibles. La présente étude, résultat d’une recherche sur des archives

exclusives du Secrétariat du Commonwealth, à Londres, suggère que, si le Commonwealth y

joua certainement un rôle important, comme l’historiographie le suggère d’une manière

souvent déproblématisée, ce rôle fut loin de suivre un engagement univoque, et pesa d’une

manière plus nuancée qu’on ne le pense dans le dénouement de la crise - qui se dénoua à la

conférence de Lancaster House, qui décida l’indépendance du pays, fin 1979. La présente

étude vise à illustrer la complexité de la maturation des processus décisionnels et

opérationnels du Commonwealth vis-à-vis de la crise de Rhodésie dans l’évolution

contemporaine de cette organisation.

3

TABLE DES MATIERES

Avant-propos......................................................................

...................................................1

Résumé...............................................................................

...................................................2

Introduction générale..........................................................

...................................................4

Première partie : Des origines à 1971.................................

..................................................21

Introduction à la première partie........................................ ..................................................22

Chapitre I. Bref historique du Commonwealth moderne... ..................................................23

Chapitre II. Rhodésie et projet impérial britannique…….. ..................................................32

Chapitre III. Les débuts de la crise, 1965-1971.................. ..................................................42

Conclusion de la première partie........................................

..................................................58

Deuxième partie : Un rôle en recomposition, 1971-1975.. ..................................................59

Introduction à la deuxième partie....................................... ..................................................60

Chapitre IV. Neutralisation passagère................................ ..................................................61

Chapitre V. Un retrait stratégique....................................... ..................................................77

Conclusion de la deuxième partie.......................................

..................................................93

Troisième partie : Zimbabwé et Commonwealth vers

l’indépendance, 1975-1979………………………………

..................................................94

Introduction à la troisième partie………………………… ..................................................95

Chapitre VI. Radicalismes consensuels sous Ramphal….. ..................................................96

Chapitre VII. Les réajustements réalistes........................... ................................................113

Chapitre VIII. L’étrange apogée final................................ ................................................128

Conclusion provisoire de la troisième partie……………..

................................................130

Conclusion générale provisoire..........................................

................................................131

Annexes..............................................................................

................................................134

Sources et bibliographie.....................................................

................................................154

4

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le 11 novembre 1965, un évènement retentissant, qui ne consacrait toutefois que l’éclatement

d’un orage que les observateurs nationaux et internationaux avaient vu approcher, se

produisait sur la scène internationale : la colonie britannique auto-administrée de Rhodésie du

Sud, sous l’égide du parti ségrégationniste du Front rhodésien et de son chef, le Premier

Ministre Ian Smith, proclamait sa Déclaration Unilatérale d’Indépendance (Unilateral

Declaration of Independence, UDI). Elle confirmait par là les craintes nourries depuis

plusieurs années par son tuteur légal, le Royaume-Uni, et par une partie de la communauté

internationale, de voir la Rhodésie concrétiser ses menaces de sécession. Il est aujourd’hui

presque redondant de rappeler que cet évènement et la période de quatorze ans de régime

rebelle qui s’ensuivit en Rhodésie et qui ne s’acheva qu’avec l’indépendance officielle du

pays en avril 1980, tout prévisibles qu’ils eussent été, ne devaient pas moins placer la

politique étrangère du Royaume-Uni devant un défi diplomatique que Londres ne releva que

difficilement et non sans certaines conséquences pour sa réputation et son influence sur la

scène internationale. Cet évènement devait la stigmatiser plus particulièrement dans les

relations qu’elle entretenait avec ses anciennes colonies, devenues pour la plupart membres de

la libre association du Commonwealth des Nations à l’indépendance1.

La Rhodésie du Sud occupait une place particulière au sein de l’Empire britannique : colonie

personnelle de l’entrepreneur britannique Cecil Rhodes à la fin du XIXème siècle, elle avait

obtenu en 1923 le statut unique de colonie auto-administrée (self-governing colony), jouissant

de l’autonomie pour ses affaires internes et d’une Assemblée législative élue au suffrage

censitaire - effectivement au suffrage « européen2 ». Malgré une prise de conscience tardive

par Londres de la menace potentielle posée par le désir d’émancipation des Rhodésiens selon

leurs propres termes, menace qu’elle essaya d’enrayer par la création d’une éphémère

Fédération d’Afrique centrale de 1953 à 1963, l’arrivée du parti radical ségrégationniste du

Front Rhodésien aux élections de Rhodésie du Sud de 1962, et la victoire de son plus

vindicatif représentant, I. Smith, aux élections anticipées de 1964, augurait de difficultés

majeures pour les Britanniques.

1 BARBER, James, « The Impact of the Rhodesian Crisis on the Commonwealth », Commonwealth and

Comparative Politics, Vol. 7, n°2, juillet 1969, p. 83-95. 2 Les termes « Européen » et « Blanc » sont interchangeables dans la terminologie de la crise de Rhodésie.

JOUANNEAU, Daniel, Le Zimbabwé, Paris : PUF, 1983, p. 63.

5

Jusqu’à la fin de l’année 1979, le Front Rhodésien espéra pouvoir obtenir la reconnaissance

internationale de la Rhodésie, unique voie d’accès à l’existence de jure dans le système

onusien. Dans ce cadre, sa participation à des cycles de négociations successifs avec ses

détracteurs, internationaux puis internes, fut considérée par de nombreux observateurs comme

autant de simulâcres destinés à faire gagner du temps au régime, interprétation que la

légendaire intransigeance d’I. Smith et son sabotage systématique des discussions a eu

tendance à confirmer3. Bien que la Rhodésie ne parvînt jamais à une telle reconnaissance,

l’ordre des priorités et la variété des contraintes politiques obligeant les acteurs des relations

internationales impliqués dans la crise permirent à la Rhodésie du régime d’UDI de continuer

à exister, et même de prospérer économiquement, pendant une quinzaine d’années4. La

condamnation quasi-universelle du régime d’Ian Smith par divers forums internationaux, y

compris à l’Assemblée générale des Nations Unies, concrétisée par des sanctions

économiques renouvelées tout au long de la crise, semble donc au demeurant avoir eu peu

d’impact sur son issue, tardive.

Pour le Commonwealth des Nations en revanche, la crise de Rhodésie semblait - du moins en

apparence - constituer un vecteur d’unification de ses membres autour des valeurs du

multiculturalisme, de l’anti-ségrégationnisme, et de la démocratie.

Le « British Commonwealth of Nations », ainsi nommé jusqu’à la perte de l’épithète

« British » dans les textes officiels à partir de 1949, a longtemps fait figure d’anomalie dans le

paysage des organisations intergouvernementales5. D’une association impériale informelle

basée au début du XXème siècle sur des sentiments de parenté et d’attachement à un idéal

civilisationnel commun aux anciennes colonies de peuplement britanniques et à la mère

patrie, le Commonwealth s’était muté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en une

organisation de plus en plus institutionnalisée, dont Londres espéra pour un temps qu’elle

servirait à la perpétuation de son statut de grande puissance et de son influence dans un

monde irrémédiablement mu par l’anticolonialisme et par un bipolarisme croissant.6

3 Voir les exemples proposés chez ELLERT, Henrik, Counter-Insurgency and Guerilla War in Rhodesia, 1962-

1980, Gweru : Mambo Press, 1989, p. 40. 4 JOUANNEAU, Op. Cit, p. 93.

5 McINTYRE, David, « Commonwealth Legacy », LOUIS, Wm Roger, The Oxford History of the British

Empire, Vol. 4, BROWN, Judith, LOUIS, Wm Roger (eds), The Twentieth Century, Oxford, New York : Oxford

University Press, 2001, p. 696. 6 BUTLER, Laurence, Britain and Empire : Adjusting to a Post-War World, Londres : Tauris, 2002, p. 68.

6

L’entrée dans le Commonwealth des premières ex-colonies « non-blanches », l’Inde, le

Pakistan et Ceylan en 1947 et 1948, puis la Malaisie et le Ghana en 1957, loin de conforter

Londres dans cet espoir peut-être irréaliste de voir les jeunes États, reconnaissants, appuyer

docilement un quelconque projet global britannique, devait au contraire offrir un espace de

critique supplémentaire à leurs dirigeants, déjà aguerris à la diplomatie internationale par des

années de négociations vers l’indépendance, et parfois ouvertement critiques de la politique

étrangère britannique7. En 1964, sous l’impulsion de membres africains soutenus par un des

vieux Dominions, le Canada, fut proposée la création d’un Secrétariat General du

Commonwealth, dont la mission était de prendre le relai de Whitehall dans l’organisation des

traditionnelles Réunions des Chefs d’États du Commonwealth (Heads of Governments

Meetings), ces réunions informelles à la fréquence aléatoire qui constituaient le principal

forum des relations au sein du Commonwealth8. Le Secrétariat-Général du Commonwealth

fut instauré l’année suivante, à l’été 1965, et semblait consacrer encore un peu plus la

multilatéralisation et la « débritannisation » du Commonwealth.

C’est à une période déjà marquée par la désillusion de Londres, voire par une certaine

rancoeur de sa part, vis-à-vis du Commonwealth, et plus généralement par sa résignation à

accepter son inéluctable déclin sur la scène internationale, illustrée par sa candidature à la

Communauté économique européenne (CEE) en 1963, qu’éclata la crise de Rhodésie.

L’historiographie établit les grandes lignes suivantes quant à l’implication du Commonwealth

dans celle-ci. Au cours des premières années de la crise, les membres du Commonwealth,

africains tout particulièrement, mais aussi asiatiques, ceux du Pacifique, et même les « vieux

Dominions » habituellement fidèles à l’ancienne métropole tels le Canada et l’Australie,

renvoyèrent brutalement la Grande-Bretagne à sa responsabilité dans l’épanouissement de la

colonie rebelle, épanouissement attribué à un laxisme britannique excessif envers les colons

rhodésiens avant 1965 d’une part, et à sa réticence à mettre en oeuvre les mesures nécessaires

pour ramener le régime rebelle à la raison après 1965 d’autre part9. Ces différends se

cristallisèrent par des menaces récurrentes de la part des nouveaux membres de quitter le

Commonwealth, en signe de protestation contre les politiques britanniques. Le

7 « non-white » était une expression usuelle à l’époque de l’intégration des Dominions d’Asie du Sud. Voir

MANSERGH, Nicholas, The Commonwealth Experience, Vol. 2 From British to Multiracial Commonwealth,

Londres : Macmillan, 1982, p. 151. 8 SMITH, Arnold, Stitches in Time, The Commonwealth in World Politics, Don Mill : Gen. Publishers, 1982, p.

7. 9 HOLLAND, Robert, European Decolonization, Londres : Basingstoke, 1985, p. 181.

7

Commonwealth fut amèrement qualifié par Londres de forum des haines anti-britanniques

pour son ex-empire10

. Bien qu’elle tentât de retrancher la question de Rhodésie du regard

critique de la communauté internationale et du Commonwealth lors des premières années de

la crise, Londres n’échappa donc pas pour autant aux réprobations de ce dernier, qui réclamait

une action forte, si nécessaire militaire, pour mettre fin à l’UDI. La vigilance du

Commonwealth contre toute tentative d’acceptation de l’UDI par Londres - et cette option put

paraître tentante aux gouvernements britanniques successifs - fut le principal facteur qui

empêcha Londres de se débarrasser tout bonnement du fardeau rhodésien lors des premières

années de la crise.

Cependant, loin de contenter le Commonwealth, entre 1965 et 1972, les négociations initiées

par les gouvernements respectifs d’Harrold Wilson puis d’Edward Heath avec la capitale

rhodésienne, Salisbury, dans l’espoir de trouver une solution constitutionnelle rapide à la

crise, furent décriées, particulièrement au sein du Commonwealth, au mieux comme la preuve

de pusillanimité britannique, au pire comme celle d’une connivence inacceptable avec le

régime d’I. Smith11

. Ces politiques britanniques menèrent plusieurs fois l’association au bord

de l’explosion.

La promulgation par le Front rhodésien de sa nouvelle Constitution républicaine en 1969, qui

fut approuvée par référendum - au suffrage blanc - et promulguée en 1970, et qui

institutionnalisait un système ouvertement raciste et ségrégationniste, marqua un tournant

dans l’ambiance internationale vis-à-vis de la Rhodésie. Qualitativement différente du point

de vue des relations diplomatiques liées à la crise, la période de 1970 à 1980 fut marquée par

un assouplissement - certes tout relatif - des critiques du Commonwealth à l’encontre de

Londres, notamment parce que la Constitution de 1969 ôtait en un sens un certain poids des

épaules des britanniques12

. Il était à présent évident que le Front rhodésien, quels que fussent

les reproches qui puissent être faits aux Britanniques, était incontrôlable. Dès 1972,

l’hypothèse d’une acceptation de l’UDI par Londres étant devenue diplomatiquement

intenable, le Commonwealth fut comme réunifié dans la recherche d’une sortie rapide à la

crise. L’étude approfondie des archives du Commonwealth suggère cependant que cet

10

BARRIER, Virginie, De l’Empire britannique au Commonwealth des Nations : le sens de la question de

Rhodésie, thèse doctorale d’Études anglophones effectuée à l’Université de Paris IV - Sorbonne, sous la

direction de REDONNET, Jean-Claude, soutenue le 16 juin 2004. 11

MARX, Roland, De l’Empire au Commonwealth, Paris : Ophrys : Ploton, 1995, p. 154. 12

HOLLAND, op. cit., p. 283.

8

apaisement relatif au sein du Commonwealth dans les années 1970, plutôt que de démontrer

une soudaine compassion du Commonwealth envers les difficultés londoniennes en Rhodésie,

reflétait plutôt une perte de confiance de l’association face au bilan mitigé de son action entre

1965 et 1970, une phase d’hésitation, à laquelle succéda une période de réorientation de ses

politiques.

Un axe central dans la maturation d’une problématique quant à l’implication du

Commonwealth, tout juste doté d’un Secrétariat en 1965, dans la crise de Rhodésie, est la

disproportion entre l’abondance quasi-obsessionnelle du sujet de la Rhodésie dans la

correspondance interne et internationale du Secrétariat, dans ses programmes, et dans ses

discours d’une part, et la relative innocuité de son action sur la même période d’autre part, si

l’on s’en tient à une observation strictement objective de l’évolution de la crise de Rhodésie.

Certes, cette tendance n’était pas l’apanage du seul Commonwealth : une constante dans

l’histoire de la crise de Rhodésie, et une source toujours vive d’interrogation pour l’historien,

était l’inefficacité des tentatives répétées de règlement de la crise tout au long de celle-ci, que

ce soit de la part du Royaume-Uni, du Commonwealth, des États-Unis, ou encore des Nations

unies. Cela n’était pas sans rapport avec le contexte particulier des relations internationales

dans lequel s’inséra la crise, contexte marqué par une conjonction entre la fin de la

décolonisation du continent africain et la poursuite de la Realipolitik de Guerre Froide.

La construction d’un monde postcolonial dans un contexte d’affrontement bipolaire fut

particulièrement complexe en Afrique australe dans les années 1970, où trois régimes en

particulier, l’Afrique du Sud, la Rhodésie du Sud et le Portugal, qui contrôlaient une grande

partie du sous-continent, instrumentalisèrent la progression du communisme pour faire

accepter, voire pour justifier, leurs politiques ségrégationnistes13

. Le bloc occidental, États-

Unis et Grande-Bretagne en premier lieu, sensible à cette rhétorique, avait généralement

tendance à la plus grande retenue dans ses objections aux politiques nationales de ces

régimes14

. Durant cette période, la « triade » ségrégationniste entretint une collaboration

occulte, notamment en matière de répression des mouvements nationalistes, et de

13

Avant la chute du régime salazariste au Portugal en 1974 et les indépendances lusophones l’année suivante,

l’Angola, l’Afrique du Sud-Ouest (future Namibie), l’Afrique du Sud, la Rhodésie et le Mozambique étaient

ainsi sous le joug de ces trois régimes. Seul le Botswana connaissait alors un régime de majorité. Voir Cartes 1 et

2 en Annexes, p. 131-132. 14

Voir sur ce sujet l’introduction de l’ouvrage de DAVIES, Elisabeth, Constructive Engagement ?: Chester

Crocker and American Policy in South Africa, Namibia and Angola, 1981-8, Oxford : James Currey, 2007.

9

contournement des sanctions économiques qui les frappaient15

. Les superpuissances - et

rivales - de l’Est, Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et Chine en

particulier, embrassant l’opportunité géopolitique créée par le mécontentement des

populations africaines, fournirent quant à elles leur aide militaire à de nombreux mouvements

de libération dans la région16

. Les deux principaux mouvements de libérations zimbabwéens,

la Zimbabwe African People’s Union (ZAPU) et la Zimbabwe African National Union

(ZANU), syndicats créés au début des années 1960, reconvertis après 1965 en partis

nationalistes puis en mouvements de libération armée, faisaient partie intégrante de ce

système trans- et interternational, et étaient divisés par leur affiliation respective aux camps

staliniste et maoïste17

. Leur représentation comme mouvements terroristes extrémistes par le

Front rhodésien fut partagée par une large section de l’opinion publique occidentale tout au

long de la crise18

. Les mouvements nationalistes africains de Rhodésie, mûs par des

dynamiques transfrontalières, entretenaient enfin des relations plus ou moins étroites avec

leurs homologues dans la région - tel le Frente de Libertação de Mozambique - FRELIMO,

ainsi qu’avec divers gouvernements africains qui se trouvaient apartenir au Commonwealth,

tels le Botswana, la Tanzanie et la Zambie, ou encore le Nigeria. Les « États de la ligne de

front » (Frontline States) du Commonwealth, comme furent désignées la Zambie, la Tanzanie,

et dans une moindre mesure le Botswana, durant la crise de Rhodésie, eurent un rôle

particulièrement actif durant la crise d’UDI.

On aurait tendance à croire que la nature des enjeux géopolitiques de la crise dépassait

largement l’association immature et peu formalisée qu’était le Commonwealth. En 1965, son

mandat et ses ambitions restaient relativement modestes, le Commonwealth étant avant tout

un forum se voulant cordial et informel, permettant aux chefs des États membres d’échanger,

au cours de leurs Réunions, leurs points de vue respectifs sur les affaires du monde, et de

promouvoir la coopération au développement en promouvant de bons rapports économiques

et commerciaux19

. La variété politique et diplomatique au sein du Commonwealth, allant du

socialisme tanzanien au capitalisme de Singapour, en passant par le non-alignement indien, ne

laissait pas présager de l’émergence d’une ligne unie sur la question de la Rhodésie. Pourtant,

en dépit de l’apparente inadéquation entre les moyens à la disposition du Commonwealth et le

15

ELLERT, Op. Cit, p. 54. 16

Ibid., p. 10. 17

Ibid., p. 7, p.10. 18

CHAMBERLAIN, Muriel, Decolonization: The Fall of the European Empire, Oxford ; New York : B.

Blackwell , 1985, p. 45. 19

SMITH, op. cit., p. 297.

10

problème rhodésien, ce fut l’informalité même de l’association, et la plasticité qui en

découlait, qui sembla lui permettre d’évoluer pour devenir un interlocuteur international

d’envergure comparable à celle des Nations Unies en matière de gestion de la crise de

Rhodésie. Cette dernière précipita la formalisation et développa les ambitions de l’association,

notamment sous l’impulsion volontariste de son nouveau Secrétariat20

. De 1971 à 1980, le

Commonwealth, surmontant l’échec relatif de la stratégie frontale qu’il avait adoptée contre

Londres lors de la première phase de la crise, de 1965 à 1971, apprit au fur et à mesure à gérer

les nouvelles fonctions qu’il s’arrogeait et à forger une stratégie distincte en adéquation avec

ses capacités, faite d’un travail de fond à la fois constant et discret.

La Rhodésie présente un cas particulier, s’il ne fut pas unique, de décolonisation, puisque la

Grande-Bretagne, suite à une conférence constitutionnelle convoquée par Londres et qui

donna lieu à l’Accord de Lancaster House signé par toutes les parties au conflit rhodésien en

décembre 1979, reprenait officiellement le contrôle de sa colonie, le temps de superviser des

élections libres, en vue d’une indépendance imminente21

. Le Commonwealth était inclus dans

l’Accord, avec un double mandat. D’une part, il incomberait à un groupe d’experts du

Commonwealth un rôle d’observateurs des élections, chargé de rapporter si celles-ci seraient

« libre et équitable » (« free and fair 22

»). D’autre part, des forces militaires du

Commonwealth seconderaient les forces britanniques dans le maintien de l’ordre et de la

sécurité pendant la période de transition. Par la force des choses, le Commonwealth se voyait

donc récompensé de son obstination par l’octroi d’un rôle prestigieux, et politiquement

important, dans le processus d’indépendance du Zimbabwé. C’est de l’histoire commune de

ces deux entités qu’est issue l’activité principale du Commonwealth contemporain,

l’observation d’élections et les « bons offices », sorte d’intercession internationale informelle

pratiquée par les fonctionnaires du Secrétariat et les diplomates du Commonwealth auprès de

groupes jouissant d’un soutien insuffisant23

. Ce revirement apparent peut susciter des

interrogations quant à la nature réelle des relations, et d’une possible collaboration, entre le

20

BARRIER, op. cit., p. 19. 21

Une reprise de contrôle de la puissance coloniale sur une colonie qui avait été déclarée indépendante s’était

déjà produite, dans le cas de la Malaisie ou de l’Indochine française sous occupation japonaise, au lendemain de

l’armistice de 1945 (CHANDLER, David, STEINBERG, David, In Search of Southeast Asia, Sydney, Honolulu

: Allen and Unwin, 1987, p. 374) ; néanmoins, en 1979, contrairement à 1945, cette reprise de contrôle eut lieu

avec l’accord du parti ayant fait sécession. 22

Lancaster House Agreement, Bibliothèque du Secrétariat du Commonwealth, Carton « Africa : Zimbabwe »,

n°221, Partiellement reproduit en Annexes, p. 146-149. 23

Voir « Good Offices » sur le site web du Commonwealth,

http://www.thecommonwealth.org/subhomepage/190691/ (Consulté le 1/09/2010)

11

Commonwealth et Londres. Passée une phase de tensions, le Commonwealth, récemment

émancipé de Londres, fut-il utilisé comme un facilitateur des relations entre la Grande-

Bretagne, la Rhodésie et le reste de la communauté internationale dans la recherche d’une

solution à la question rhodésienne ?

Dans un tout autre registre, il a été avancé que la focalisation du Commonwealth des Nations

sur la Rhodésie entre 1965 et 1980 présentait l’avantage de différer, voire d’occulter, le

surgissement inéluctable de différends internes et de « forces centrifuges » - pour employer

l’expression de l’historien Roland Marx - que certains historiens voyaient indubitablement

accentuées par l’élargissement du Commonwealth initié en 1947, et exacerbées tout au long

de la décolonisation par l’adhésion progressive des anciennes colonies24

. À l’aune de ces

constats, l’étude des implications de la crise de Rhodésie pour le Commonwealth des Nations

parait tout aussi pertinente que celle de l’implication, somme toute modeste, du

Commonwealth des Nations dans la crise de Rhodésie.

Les archives du Secrétariat du Commonwealth illustrent la complexité de son activité tout au

long des années 1970. Elles témoignent des incessantes tractations qui eurent lieu entre

membres dans le cadre des Réunions, des actions menées à l’initiative du Secrétariat et de ses

différents organes créés ad hoc pour la crise de Rhodésie, et des stratégies diplomatiques qui

prévalurent entre le Royaume-Uni, les États de la ligne de front et d’autres membres du

Commonwealth, l’Afrique du Sud, les États-Unis, l’Organisation de l’Unité Africaine créée

en 1963 (OUA), les Nations Unies, et les principaux mouvements de libération zimbabwéens,

dans le difficile processus de sortie de crise.

La conjonction de la crise de Rhodésie et de la crise identitaire qui traversa le Commonwealth

au même moment a été analysée par la spécialiste Virginie Barrier comme le paroxysme de

l’opposition dialectique entre l’avenir impérial britannique, qui reposait sur un idéal

civilisationnel anti-ségrégationniste incarné par le Commonwealth, et un passé colonial

obsolète auquel s’accrochait le régime d’UDI.25

Cette équation devait-elle ériger pour

toujours la Rhodésie, puis le Zimbabwé, comme « némésis » du Commonwealth, ce dernier

ne pouvant continuer à exister sans ce premier, mais ce premier ne pouvant exister qu’en

24

MARX, op. cit., p. 161 ; McINTYRE, David, The Commonwealth of Nations, Origins and Impact, 1869-1971,

Minneapolis : University of Minnesota Press, 1977, p. 355. 25

BARRIER, op. cit., p. 16.

12

opposition radicale aux valeurs de ce dernier ? Sans prophétisme déplacé, c’est ce que

Virginie Barrier, s’appuyant sur le constat de l’histoire récente, suggère26

. On pourrait

cependant craindre que ce soit là comparer un peu vite le triangle formé par Londres, la

capitale rhodésienne Salisbury, et le Commonwealth, à un système fermé opérant dans le

vide, et négliger les échanges extérieurs qui influencèrent le façonnement de la crise.

Pourtant, le statut à part de la crise de Rhodésie dans l’histoire du Commonwealth et de la

décolonisation britannique, a tendance à accréditer cette thèse.

Cette contextualisation chronologique nous permet de poursuivre cette introduction par une

réflexion sur la démarche qui nous conduit à vouloir revenir sur l’évènement marquant que fut

la crise de Rhodésie dans l’histoire du Commonwealth. Tout d’abord, intéressons-nous à

l’actualité de la crise de Rhodésie en tant que sujet historique. L’évolution du contexte

intellectuel et idéologique dans les milieux de la recherche entre la fin de la crise, en 1980, et

l’heure actuelle, est étroitement liée à l’existence ou à l’absence de travaux entrepris sur ce

sujet, et aux choix méthodologiques qui ont prévalu dans son étude.

Lors d’un colloque récent organisé à l’occasion du centenaire du plus ancien périodique dédié

aux relations internationales, le journal des affaires du Commonwealth The Round Table,

autour du thème aux connotations tant universalistes que controversées de « Democracy and

the Commonwealth », étaient abordées entre autres les problématiques liées à la suspension ou

au retrait de pays membres du Commonwealth des Nations pour cause de violation grave ou

systématique des principes de l’association27

. Le cas du Zimbabwé, qui figure depuis l’année

2003 sur la liste des pays dont les dirigeants choisirent volontairement de se retirer de

l’association plutôt que de continuer à s’exposer aux critiques émanant de leurs homologues

internationaux, aux côtés notamment de l’Afrique du Sud, pionnière d’une telle décision de

retrait en 1961, fut toutefois très peu évoqué. Cette discrétion semble illustrer le caractère

encore épineux, tant pour les chercheurs que pour les diplomates, de la question de la place du

Zimbabwé dans la formation de l’identité du Commonwealth, et réciproquement de la

26

BARRIER, Virginie, « Zimbabwé et pouvoir noir : l’impossible décolonisation ? » Outre-terres, n°11, 2005/2.

N.B : Sauf indication contraire, les références ultérieures à BARRIER (op. cit.) sont issues de sa thèse De

l’Empire… 27

Colloque du journal The Round Table à la School of Oriental and African Studies (SOAS), « Democracy and

the Commonwealth », Londres, 22 au 25 juin 2010, http://www.moot.org.uk/about/conference-23-06-2010-

print.asp (19/06/2010) ; programme : http://www.moot.org.uk/pdf/conference-democracy-23062010-

programme.pdf (01/07/2010).

13

question de l’impact du soutien du Commonwealth sur l’évolution du pays, soumis hier

comme aujourd’hui à l’opprobre internationale pour son régime tyrannique.

Au vu du nombre - très faible - d’études récentes dédiées à la crise de Rhodésie, on peut

supputer que sa temporalité destinait son étude à être confrontée à certaines limites. Tout

d’abord, le contexte dominant au moment de l’indépendance du Zimbabwé en 1980, marqué

par une profonde désillusion à l’égard du tiers-mondisme qui avait prévalu depuis les

indépendances africaines, semblait condamner l’histoire de son cheminement jusqu’à celle-ci

à un désintérêt durable, mis à part chez quelques historiens aux tendances marxistes. Le déclin

de l’historiographie marxiste dans les années 1980 fut ainsi synonyme d’un désintérêt pour

l’histoire d’une décolonisation aux accents marxistes tombés en désuétude, qui s’était

déroulée comme avec un temps de retard28

.

L’évolution du régime zimbabwéen dans les années 1980-1990 devait accentuer ce désintérêt

pour l’histoire de la Rhodésie, au profit de considérations plus immédiates. Ironiquement, peu

après l’indépendance du Zimbabwé, en avril 1980, l’image du pays et de ses dirigeants aux

yeux des observateurs internationaux et de ceux du Commonwealth tendait vers une réplique

inverse, mais tout aussi négative, de celle qui avait prévalu pendant l’UDI. En témoignaient la

consternation montante, tant chez les Zimbabwéens qu’auprès de l’opinion internationale,

quant au style autocratique et tyrannique de la figure populaire de la libération

zimbabwéenne, le Président Robert Mugabe29

. Les critiques proférées par Londres quant à la

complaisance des États africains du Commonwealth à l’égard du régime zimbabwéen, jugé

répressif, corrompu et spoliateur, offrent en outre une symétrie intéressante avec la période

précédente. La rhétorique socialiste, toute superficielle qu’elle fût, du régime zimbabwéen à

l’ère de la « chute des idéologies », et la résurgence d’un conflit ethnique instrumentalisé par

le pouvoir zimbabwéen, semble enfin avoir perpétué la non-pertinence historique du

Zimbabwé dans les années 1990 et 2000.

Au demeurant, la place de la Rhodésie et du Zimbabwé dans les relations postcoloniales au

sein du Commonwealth est pourtant indiscutablement plus problématique que ne l’est celle de

28

Une illustration de ce changement se trouve avec l’ouvrage de MOMMSEN, Wolfgang, Theories of

Imperialism, Chicago : University of Chicago Press, 1982. 29

Voir l’introduction de RANGER, Terence (ed.), The Historical Dimensions of Democracy and Human Rights

in Zimbabwe, Vol. 2 : Nationalism, Democracy and Human Rights, Harare : University of Zimbabwe

Publications, 2003.

14

l’Afrique du Sud voisine. La mauvaise réputation du Zimbabwé contraste avec l’évolution qui

fit suite à la victoire électorale de l’African National Congress (ANC) en 1994, à savoir une

normalisation des rapports entre l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni et le Commonwealth30

.

Symboliquement, c’est sous l’égide du même N. Mandela que le Commonwealth émit sa

désapprobation vis-à-vis du régime de R. Mugabe suite à des élections contestées en 2003.

Furieux, R. Mugabe choisit de quitter l’association la même année, et s’est depuis lors montré

résolument contre le Commonwealth.

On le voit, l’histoire commune de la Rhodésie/Zimbabwé et du Commonwealth semble

encore perturbée par une actualité troublée. Au vu du manque de recherche sur celle-ci, on

peut se demander si ce constat n’a pas découragé les chercheurs d’aborder ce sujet épineux.

La question de la crise de Rhodésie est principalement traitée par des chapitre d’ouvrages sur

l’histoire de l’Empire britannique et de la décolonisation datant des années 1980 et 1990, et

dans une moindre mesure par les trop rares et trop anciens livres d’histoire du Zimbabwé, qui

n’ont pas pu bénéficier d’archives sur la période 1975-198031

. S’il est ainsi consensuellement

admis que la crise fut un facteur prépondérant dans la cristallisation de l’identité du

Commonwealth moderne, la nature réelle des interventions de celui-ci, au-delà de ses

condamnations publiques du régime d’UDI à l’occasion des Réunions des Chefs de

Gouvernements entre 1965 et 1980, reste mystérieuse. Il semble ainsi n’exister à ce jour

qu’une seule étude systématique sur l’implication du Commonwealth dans la crise de

Rhodésie, laquelle s’achève en 1971, faute de sources postérieures disponibles au moment de

sa complétion32

. Prenant en compte l’existence de ce seul ouvrage fondateur, et se proposant

d’en poursuivre l’entreprise, ce mémoire, après un rappel de la période antérieure à 1971,

propose une chronique plus détaillée de la période s’étendant de 1971 à 1980.

Ayant ainsi justifié le choix thématique et les bornes temporelles de notre sujet, nous nous

interrogerons à présent sur l’angle le plus approprié sous lequel l’aborder, dans le cadre d’un

projet contraint par des limites de longueur et de temps.

Ces observations nous conduisent donc à présent à préciser le positionnement

épistémologique de cette étude. Comme l’a argumenté V. Barrier, notre sujet se situe à la

30

L’Afrique du Sud a réintégré le Commonwealth en 1994. 31

Un ouvrage de référence est celui de BLAKE, Robert, A History of Rhodesia, New York : Alfred A. Knopf,

1978. 32

Il s’agit de la thèse de BARRIER, op. cit.

15

convergence d’approches raciales, constitutionnelles, et politiques33

. Aborder la question de

l’implication du Commonwealth dans la résolution de la crise d’indépendance du Zimbabwé

mobilise une réflexion à la confluence de plusieurs axes d’études en histoire des relations

internationales contemporaines : l’histoire de la décolonisation et des relations internationales

postcoloniales, celle des organisations internationales et intergouvernementales, ou encore

l’histoire des relations internationales entre un Nord développé et un Sud en développement

dans le contexte de la Guerre Froide.

Concernant l’aspect décolonisationnel de cette étude, il est à noter que dans un contexte de

célébration du cinquantenaire des nombreuses indépendances africaines de 1960, les questions

de l’héritage de la décolonisation pour les relations internationales contemporaines, mais aussi

des implications de cette étape symbolique sur l’évolution des paradigmes analytiques

permettant aux historiens d’appréhender rétrospectivement ces évènements, pertinentes dans

l’étude d’une crise d’indépendance qui s’acheva coïncidemment il y a précisément trois

décennies34

. Elle peut s’interroger également sur les implications épistémologiques que la

critique de l’ethnocentrisme méthodologique occidental en matière d’histoire de la

décolonisation a pu avoir sur l’histoire du Commonwealth35

. Le domaine aujourd’hui très

développé de l’histoire des Empires et de la décolonisation dans le milieu de la recherche

anglophone comporte un attrait particulier, en ce qu’il contraste avec son homologue français,

encore récemment tributaire d’un partisanat délétère, et de prises d’otages politiques et

médiatiques36

.

La crise de Rhodésie a été étudiée selon deux approches principales par les historiens

anglophones. L’une s’insère dans des ouvrages traitant de l’histoire de la décolonisation dans

sa globalité, dans la perspective spécifique des politiques d’outre-mer du Royaume-Uni, de

33

BARRIER, p. 17. 34

Sur l’influence de la décolonisation sur les paradigmes historiographiques en histoire de la décolonisation et de

la période postcoloniale, voir WINKS, Robin, (ed.), The Historiography of the British Empire- Commonwealth:

Trends, Interpretations and Ressources, Durham : Duke UNiversity Press, 1966, p. 7. 35

Des précurseurs du champs des Subaltern Studies, partisans d’un changement de paradigme dans l’étude

historique de la décolonisation, furent Partha CHATTERJEE et Ranejit GUHA. Voir CHILDS, Peter,

WILLIAMS, Patrick, An Introduction to Postcolonial Theory, Prentice Hall, 1997, p. 37. Notons par ailleurs

l’existence de la Postcolonial Theory, née, avant de s’en émanciper, de l’histoire de la période postcoloniale et

qui, sous l’influence du déconstructionnisme et du postmodernisme dans les années 1980, devint champs

multidisciplinaire parfois critiqué pour son hérérogénéité, mais qui défendait lui aussi un changement de

perspective. 36

La Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en

faveur des Français rapatriés, (http://admi.net/jo/20050224/DEFX0300218L.html (9/09/2010)

) et plus particulièrement son Art. 4, furent au coeur de débats féroces sur l’impérialisme français. Voir

également l’introduction de FERRO, Marc, (dir.) au Livre noir du colonialisme, Paris : Robert Laffont, 2005.

16

son déclin impérial, et de la restructuration de son influence dans un monde postcolonial.

Cette approche se focalisait principalement sur des problématiques anglocentrées et

statocentrées, utilisant les archives nationales et diplomatiques, celles du Foreign Office (FO)

et du Colonial Office (CO), avant l’intégration de ce dernier au Commonwealth Relations

Office (CRO) en 1966, puis la fusion du FO et du CRO pour former le Foreign and

Commonwealth Office (FCO) en 196837

. On rappellera que cette approche, en histoire de la

décolonisation, avait très tôt été critiquée par les défenseurs de la théorie « ex-centrique » en

histoire de la décolonisation, qui voyaient dans cette approche une reproduction de

l’anglocentrisme impérial38

. Cette critique non marxiste d’un historien économique eut un

impact formidable sur l’historiographie britannique de l’empire et de la décolonisation, et a

été un facteur non négligeable de l’émergence, dans les années 1970, d’une histoire

« révisionniste » de l’Empire qui distanciait de l’approche traditionelle qui avait prévalu, et

qui était incarnée par la Cambridge History of the British Empire39

.

Une autre approche a été celle, très dominée par le courant marxiste, de l’histoire de la lutte

de libération, qui a privilégié une approche sociologique « par la base », se basant sur des

récits oraux ou écrits, sur des documents produits par les mouvements de libération et les

guérillas, ou encore se focalisant sur l’expérience de la guérilla pour les civils, les

combattants, etc.40

. Une critique qui a été faite de cette approche est sa tendance, dans sa

présentation des mouvements de libération comme des ensembles homogènes et victimisés, à

en nier le libre arbitre et les particularismes, et ainsi à reproduire la vision caricaturale et

simplificatrice du modèle coloniale qu’ils prétendent combattre41

.

Ces deux écoles ont apporté deux analyses distinctes quant une question majeure que posait la

crise de Rhodésie, à savoir les raisons de la longévité du régime d’UDI. L’une,

majoritairement représentée par des historiens britanniques de la tendance révisionniste

37

C’est par exemple le cas chez DARWIN, John, notamment dans Britain and Decolonisation : The Retreat

from Empire in the Post-War World, Londres : Macmillan, 1988. C’est également l’approche de BARRIER, qui

s’est basée majoritairement sur les archives du gouvernement britannique. 38

Il s’agissait d’une avancée proposée par J. Ghallager. Voir LOUIS, Roger, Imperialism: The Robinson and

Gallagher Controversy, New York : New Viewpoints, 1976. 39

Voir sur cette évolution l’excellente préface à la quatrième édition de l’ouvrage de PORTER, Bernard, The

Lion’s Share (1976), Harlow, New York : Longman, 2004. 40

Un exemple est l’article de BHILA, W., PATEL, Hasu, « The Last Become the First: The Transfer of Power in

Zimbabwe », GIFFORD, Prosser, LOUIS, Roger, Decolonization and African Independence: The Transfer of

Power in Africa, 1960-1980, New Haven, Londres : Yale University Press, 1982. 41

MOMMSEN, Wolfgang, « The End of Empire and the Continuity of Imperialism », MOMMSEN, Wolfgang,

OSTERHAMMEL, Jürgen (eds), Imperialism and after: Continuities and Discontinuities, Londres: Allen and

Unwin, 1986, p. 336.

17

modérée, l’attribue à l’émergence tardive, puis à la division chronique, dont souffrirent les

mouvements de libération42

. Une autre, plus radicale et souvent affiliée à la pensée marxiste, a

plutôt attribué sa longévité à l’inefficacité des sanctions, voire au soutien géopolitique dont

bénéficièrent les régimes d’apartheid43

. On va le voir, l’étude de la crise du point de vue du

Commonwealth a tendance à nuancer ces deux positions, puisqu’on constate en réalité que ces

deux tendances entrèrent simplement en synergie avec d’autres facteurs dans la consolidation

du régime d’I. Smith.

Un cadre porteur pour une étude originale de la crise de Rhodési est ainsi le domaine

universitaire anglo-saxon des Commonwealth Studies. Issu de l’histoire du Commonwealth,

ce domaine s’en est progressivement détaché au moment de l’expansion des sous-catégories

académiques, portées par le courant déconstructionniste et postmoderniste, pour devenir une

aire académique multidisciplinaire à part entière dans de nombreuses universités du

Commonwealth. L’expansion des Commonwealth Studies s’est accompagnée d’un relatif

désintérêt pour les questions historiques, au profit des études politiques, des gender studies,

minority studies, etc. L’étude de l’histoire de certains évènements oubliés de l’histoire du

Commonwealth, tels la crise de Rhodésie, constitue ainsi une niche au sein des

Commonwealth Studies. Cependant, il convient d’adopter une approche originale, qui se

distancie des études historiques déjà proposées de l’histoire du Commonwealth.

Le choix d’aborder la question de l’implication du Commonwealth dans la crise de Rhodésie

dans une perspective d’histoire des relations internationales, et plus précisément par l’angle

des processus institutionnels, diplomatiques, et décisionnels propres à l’association dans sa

gestion d’une épreuve à sa propre cohésion, constitue donc une approche relativement

novatrice. La concentration sur le rôle du Secrétariat, qui entretenait, comme nous allons le

voir, des liens avec une grande variété d’acteurs des relations internationales (chefs d’États,

diplomates, fonctionnaires internationaux, mouvements de libération, autres organisations

internationales, etc.), permet donc de dépasser la dichotomie entre l’école « étatiste » et

l’école « sociologique » de la crise de Rhodésie. S’appuyant sur un corpus de sources

primaires inédites, communiquées entre 2003 et 2010, ce mémoire vise principalement à

42

C’est une thèse explicitement citée par des historiens britanniques « modérés », tels BUTLER, op. cit. ;

DARWIN, Britain and Decolonization (op. cit.), etc. 43

Ces historiens plus « radicaux » incluent PATEL et BHILA, JOUANNEAU, et dans un autre registre non

marxiste (basé sur une étude curieusement ignorée de l’activité des services secrets rhodésiens pendant la crise)

ELLERT. Voir sur ce sujet CHAMBERLAIN, op. cit., p. 1 et p. 73.

18

présenter les conclusions qui émanent de ces travaux. D’autres sources primaires seront

nécessaires pour éclaircir certaines zones d’ombre, et leur dépouillement entre dans l’agenda

de cette recherche pour les années à venir. On s’appuiera par ailleurs sur une large sélection

d’ouvrages d’historiens de l’Empire, de la décolonisation britannique, et du Commonwealth,

pour partie déjà cités et considérés comme auteurs de référence sur ces thèmes. Cette étude

visera, le cas échéant, à une restitution critique des tendances historiographiques, utiles à

l’usage du lecteur voulant comprendre les enjeux de la question abordée.

L’activité du Commonwealth des Nations englobait en réalité plusieurs modalités. L’activité

au sein même du Secrétariat, entre ses fonctionnaires et avec les autres acteurs impliqués dans

la crise (administrations des pays membres ou non du Commonwealth, d’autres organisations

internationales, représentants des mouvements de libération, etc.) en constitue une première.

La deuxième étaient les relations multilatérales qu’entretenaient entre eux les pays membres

et leurs chefs d’États, notamment lors des Réunions des Chefs de Gouvernement. Les

relations, plus difficiles à cerner, entretenues entre des pays membres mais en dehors du cadre

du Commonwealth, si les archives du Secrétariat s’en font parfois l’écho, sont globalement

écartées de la problématique de cette étude.

Une difficulté méthodologique qui émane de cette diversité, et qui s’avère propre à l’étude

d’une organisation internationale, est de parvenir à appréhender une problématique qui

embrasse son aspect multilatéral et multidimentionnel sans pour autant se perdre dans

l’infinité de ses possibilités. Pour réduire ces possibilités, on peut d’ores et déjà noter qu’une

caractéristique de l’ambiance qui régnait au Secrétariat sur la période étudiée est l’unité qui

sembla régner entre son Secrétaire Général, Arnold Smith, et son équipe d’adjoints et de chefs

de division. Si les luttes de pouvoir inter-services qui caractérisent l’histoire de tant

d’institutions publiques, nationales comme intergouvernementales, sont un sujet relativement

absent de l’histoire que nous proposerons du Commonwealth durant la crise de Rhodésie,

c’est que les archives ne permettent pas de les identifier à cette période-là. Cette unité

contrastait, bien entendu, avec les heurts qui devaient jalonner les relations entre les États

membres, leurs chefs d’États et leurs diplomates, notamment à l’occasion des Réunions des

chefs de gouvernements - et dans leur correspondance via le Secrétariat. Ces tensions étaient

particulièrement vivaces entre Londres et les capitales africaines du Commonwealth, Lusaka

(en Zambie) et Dar-es-Salaam (en Tanzanie) en premier lieu.

19

Partant de ce constat, des hypothèses de base développées tout au long de cette introduction,

et des zones d’ombre laissées par l’historiographie existante, notre étude se propose de la

question suivante : par quels procédés le Commonwealth, d’une association impliquée mais

impotente dans la crise de Rhodésie, parvint-il à s’imposer progressivement comme

instrument privilégié dans sa résolution, et ce en partie grâce aux mutations dans son

fonctionnement qui furent générées par la crise elle-même ?

L’étude de cette problématique s’articulera en trois parties chronologiques, elles-mêmes

découpées en chapitres chrono-thématiques. La première partie de cette étude vise à présenter

les acteurs et à préciser le contexte d’émergence et d’installation de la crise de Rhodésie. Pour

ce faire, elle étudie dans un premier chapitre l’évolution du Commonwealth vers sa version

moderne au moment de l’éclatement de l’UDI. Le deuxième chapitre propose un récit de

l’origine et l’évolution des relations anglo-rhodésienne jusqu’à 1965. Les premières années de

la crise, entre 1965 et 1971, qui ont déjà fait l’objet d’une étude approfondie chez V. Barrier,

seront ensuite développées dans le troisième chapitre.

Une fois effectuée cette indispensable contextualisation, les deux parties suivantes présentent

les conclusions de notre recherche individuelle. La deuxième partie s’attache à examiner

l’action du Commonwealth dans la crise dans la première moitié des années 1970, qui fut

caractérisée par une période de latence puis de réforme des modes d’action du

Commonwealth. L’apparente neurasthénie qui s’empara du Commonwealth entre 1971 et

1974, et qui dérivait en partie d’une perte de confiance du Commonwealth dans son entreprise

vis-à-vis de la crise de Rhodésie depuis 1965, fait l’objet du quatrième chapitre. Le cinquième

chapitre démontre qu’environ à la même période, cependant, étaient posés les jalons d’une

nouvelle allocation des forces du Commonwealth, et particulièrement de son Secrétariat.

Enfin, la troisième partie considère la montée en puissance du Commonwealth comme acteur

central dans la crise de Rhodésie, tandis que le contexte international permettait une brusque

accélération du processus de sortie de crise, entre 1975 et 1980. Tout d’abord, entre 1975 et

1977, le Commonwealth prit sur lui d’assurer un rôle discret d’intercesseur entre les

mouvements de libération africains et le Front rhodésien, rôle qui, nous le verrons dans le

sixième chapitre, n’était pas dénué d’ambiguïté. Le septième chapitre évalue dans quelle

mesure les deux années qui suivirent furent cependant marquées par un échec de cette

politique, et par une tentative du Commonwealth de diversifier à nouveau ses partenariats

20

dans sa recherche d’une solution à la crise. Enfin, le huitième et dernier chapitre étudiera

comment cette nouvelle politique lui permit finalement de se hisser au sommet de son

influence internationale en 1980, quand il se vit décerner l’octroi, par Londres, du statut

d’observateur aux élections d’indépendance du Zimbabwé.

21

PREMIÈRE PARTIE

Des origines à 1971

22

INTRODUCTION À LA PREMIÈRE PARTIE.

L’objectif de cette étude étant non seulement de présenter, de manière ordonnée et critique,

des sources inédites liées à l’implication du Commonwealth dans la crise de Rhodésie dans

les années 1970, mais aussi de faire participer ces nouvelles données à une progression de la

réflexion sur l’identité du Commonwealth des origines à nos jours, la première partie de cette

étude s’intéresse au bagage respectif des deux ensembles à la veille de la crise, le

Commonwealth d’une part, la relation coloniale anglo-rhodésienne d’autre part, afin de

replacer la gestion de la crise de Rhodésie par le Commonwealth dans le système dynamique

auquel elle appartenait depuis ses origines.

La relation qui unissait, en 1965, le Royaume-Uni, la Rhodésie, et le Commonwealth, trouvait

ses racines dans la nature profonde de ces trois acteurs de la crise, et particulièrement leurs

rapports respectifs à l’impérialisme britannique. Le Commonwealth occupait une place

spécifique dans le projet impérial britannique depuis sa création à la fin du XIXème

siècle. Il

était le vecteur d’un idéal civilisationnel européen, et symbolisait l’alliance stratégique et

économique d’un ensemble spatialement très étendu, et géographiquement disparate. Il devait

évoluer, cependant, pour atteindre une association qualitativement différente en 1965.

La Rhodésie occupait elle aussi une place spécifique dans le projet impérial britannique. Les

colons rhodésiens, bénéficiant d’une liberté parfois accordée à contre-coeur par la métropole,

avaient développé un sentiment nationaliste relativement précoce. La méfiance mutuelle, qui

se mêlait à un attachement économique et stratégique entre la métropole et sa colonie, devait

se développer pour culminer en une crise constitutionnelle et politique.

La crise de Rhodésie, qui provoqua une crise identitaire au sein du Commonwealth, fut

marquée par une tentative, par Londres, de retrancher la question, qu’elle estimait relever de

sa seule autorité, de toute immiscion internationale. Le Commonwealth, en décriant cette

approche bilatérale, sans parvenir à intervenir directement dans la crise, parvint toutefois à en

influencer l’orientation, notamment en faisant accepter aux Nations Unies les sanctions

économiques qu’il fit appliquer dès 1966. Chaque acteur, agissant conformément aux moyens

économiques, diplomatiques, et politiques, qu’il avait hérité de sa longue évolution, posait

ainsi entre 1965 et 1971 les bases de la crise de Rhodésie.

23

Chapitre I. Bref historique du Commonwealth moderne

« ...an instrument of great potential use in the development of habits of consultation and cooperation

that transcend the limits of race, religion and economic level44

. »

Arnold Smith.

Le positionnement militant et critique du Commonwealth vis-à-vis du Royaume-Uni lors de la

crise de Rhodésie peuvent paraître étranges pour une association souvent considérée comme

entretenant une étroite collaboration économique et politique avec de dernier45

. Une synthèse

des sources secondaires sur l’histoire du Commonwealth, des origines au début de la crise de

Rhodésie, permet cependant de constater que celui-ci, loin de perpétuer une quelconque

suprématie londonienne, avait évolué à l’après-guerre vers une réciprocité croissante de

l’influence et des contraintes entre ses membres, dans un système où Londres n’était plus

toujours en mesure d’imposer sa volonté sur l’association. Ce constat pose la question de

savoir quelles étaient les particularités de l’organisation internationale du Commonwealth, et

quel était le bilan de son évolution au moment de la crise de Rhodésie, pour que celle-ci soit

d’une telle gravité pour sa cohésion en 1965.

La nature du « Commonwealth des Nations », qui à la fin du XIXème siècle faisait

simplement référence à l’ensemble formé par le Royaume-Uni et son Empire, avait évolué en

même temps que l’impérialisme britannique au cours du XXème

siècle46

. C’est à la Conférence

coloniale de 1907, l’une des traditionnelles réunions qui se tenaient depuis la fin du XIXème

siècle entre les dirigeants du Royaume-Uni, ceux de ses colonies auto-administrées telles la

Rhodésie, et ceux de ses ex-colonies de peuplement émancipées (à l’exception bien sûr des

États-Unis), que fut adoptée l’appellation « Dominion » pour désigner collectivement les

territoires jouissant d’un « gouvernement responsable », mais qui conservaient des liens

privilégiés avec la patrie d’origine.47

À compter de la première de ces Conférences à adopter

le qualificatif d’ « impériale », en 1911, le terme « Commonwealth des Nations » devait

44

SMITH, Op. Cit, p. xvii. 45

CHASSAIGNE, Philippe, Royaume-Uni, États-Unis, Neuilly : Atlande, 2003, p. 168. 46

MOORE, Robin, Making the New Commonwealth, Oxford : Clarendon Press, 1987, p. 3. 47

Le terme Dominion avait lui aussi un autre usage à l’époque cromwellienne, celui de simple dépendance

impériale. McINTYRE, David, British Decolonization, 1946-1997: When, Why and How did the British Empire

Fall?, Plagrave Macmillan, 1998, p. 6.

24

désigner restrictivement le « club48

» informel que formait le Royaume-Uni avec ses

Dominions, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Afrique du Sud (indépendants

respectivement en 1867, 1901, 1907 et 1910)49

. Tandis que Londres, au sommet de sa

grandeur impériale au tournant du XXème

siècle, initiait une phase visant à stabiliser et à

mettre en valeur l’Empire, elle entendait donc cultiver et promouvoir un idéal civilisationnel

britannique élitiste sur chaque grand ensemble continental par le biais du Commonwealth.

L’association devait cependant montrer les limites de sa cohésion informelle face au désir

d’émancipation de ses membres, et particulièrement celui de l’État libre d’Irlande, entré en

tant que Dominion dans le Commonwealth suite à l’impopulaire Traité anglo-irlandais de

1921, qui partitionnait l’île. Accessoirement, le Traité faisait figurer pour la première fois

dans un texte légal l’expression « British Commonwealth of Nations »50

. Cette ombre jetée par

la rancune de l’Irlande du Sud contre Londres sur l’unité du Commonwealth, est vue comme

l’un des motifs qui devait précipiter un désir de formalisation du statut des Dominions et des

relations au sein du Commonwealth. Ce fut chose faite avec la Définition Balfour, texte

rédigé en 1926 par le célèbre ancien Premier Ministre et Secrétaire aux affaires étrangères

britanniques, et qui fut érigée en loi par le Parlement britannique en 1931 sous le nom de

Statut de Westminster. Celui-ci stipulait que « dans la mesure où la Couronne [était] le

symbole de la libre association des membres du Commonwealth des Nations britannique »,

les Dominions étaient définies comme « unies par leur allégeance commune à la

Couronne »51

. Cette condition devait maintenir l’Irlande du Sud, qui aspirait dès 1936 au

statut de république, dans une position incertaine52

.

Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Londres entendait relever deux défis majeurs

à sa place dans les relations internationales : celui du maintien de son statut de grande

puissance, et celui de la reconstruction et de la mise en place de l’État providence promis par

son nouveau gouvernement travailliste, dans un contexte d’endettement spectaculaire.53

L’évolution du Commonwealth fut fortement marquée par ces préoccupations britanniques

d’après-guerre. L’idée des trois cercles imbriqués de Winston Churchill, modèle britannique

48

David McINTYRE, « Commonwealth Legacy », op. cit., p. 693. 49

« club analogy » : MOORE, Op. Cit, p. 2 50

L’Irlande avait refusé de s’allier au Royaume-Uni, ce qui provoqua la répression sanglante de l’Easter Rising

en 1916. MOORE, op. cit., p. 3. 51

Préambule du Statut de Westminster, 1931.

http://www.solon.org/Constitutions/Canada/English/StatuteofWestminster.html (consulté le 3 septembre 2010). 52

MANSERGH, op. cit., p. 138. 53

BUTLER, op. cit., p. 67.

25

de relations internationales selon lequel le Royaume-Uni se trouvait à une place unique entre

l’Europe, l’Empire-Commonwealth et les États-Unis qui lui permettait d’irradier sur le

monde, mais où le sur- ou sous-investissement de l’un de ces cercles menaçait l’équilibre

entier de la puissance britannique, sous-tendit les politiques d’après-guerre des travaillistes

puis de Churchill lui-même, réinstitué au pouvoir en 1951 avant de céder sa place à Anthony

Eden en 195554

.

Le Secrétaire aux affaires étrangères Ernest Bevin, en 1945, avait fixé deux priorités : d’une

part, il importait d’imposer la Grande-Bretagne comme mentor international d’une « troisième

voie » dans la Guerre Froide ; d’autre part, développer l’Empire, dont les ressources devaient

soutenir cet effort géopolitique. Ce plan était développé dans un mémorandum du

Secrétaire devenu célèbre :

À condition que nous puissions organiser un système européen occidental

[...] soutenu par la puissance et les ressources de l’Empire et du Commonwealth [...],

il devrait être possible de développer notre propre puissance et notre propre

influcence au point d’égaler celles des États-Unis et de l’URSS55

.

Tout d’abord, la réorientation de la politique impériale britannique passait par le sacrifice

inévitable des colonies de l’Empire devenues incontrôlables militairement et financièrement,

ou, selon une version divergente, dont Londres estimait qu’elles avaient cessé d’être des

« atouts impériaux » en matière économique56

. Dans une tentative de sauvegarder son

prestige, tant aux yeux des autres peuples coloniaux que pour l’opinion britannique,

l’indépendance du British Raj (l’Empire britannique des Indes) fut présentée comme résultant

d’un processus orchestré de longue date par le Royaume-Uni, qui visait à amener les colonies

à l’indépendance une fois celles-ci mûres pour une telle responsabilité57

. Pourtant, l’incapacité

de Londres à empêcher la partition du sous-continent entre l’Inde et un Pakistan exposait une

certaine faiblesse de sa part, faiblesse qui dès le début des années 1940 l’avait conduite à

54

WHITE, Nicholas, Decolonisation:The British Experience since 1945, New York : Longman, 1999, p. 34 ;

DARWIN, op. cit., p. 234-235. 55

BEVIN, Ernest, Memorandum au Cabinet, 4 Janvier 1948. Cabinet Defence Committee, Dominion Office,

1948, 19ème réunion, 16 sept 1948, CAB 131/5, cité par REYNOLDS, David, Britannia Overruled, New York,

1991, p. 186. 56

L’interprétation financiariste, qui s’intéresse à la représentation des intérêts de la City de Londres dans la

décolonisation, est celle de CAIN, Peter, HOPKINS, Anthony, British Imperialism, Crisis and Deconstruction,

New York : Longman, 1993, p. 196. Elle s’oppose à la thèse de la “fuite” chez HYAM, Ronald, Britain's

Declining Empire, Cambridge : Cambridge University Press, 2006, p.107. 57

KENT, John, British Imperial Strategy and the Origin of the Cold War, 1944-49, Leicester, 1993, p. x. Sur la

manipulation cosmétique de la temporalité de la décolonisation pour sauvegarder l’image impériale, voir

SHIPWAY, Martin, Decolonization and its Impacts: A Comparative Approach to the End of Empire, Oxford :

2008, p. 9.

26

favoriser, afin de diviser pour mieux régner, la Ligue musulmane contre un Parti du Congrès

indien entré en rébellion en 194258

.

La division, artificiellement exacerbée, entre une Ligue qui défendit bientôt la théorie d’une

nation musulmane à laquelle revenait de droit un État séparé, et un Congrès défendant au

contraire un projet unitaire pour l’Inde, échappa au contrôle britannique, puisque suite à deux

ans de négociations d’indépendance après-guerre, à des affrontements communalistes

sanglants, et en dépit d’efforts du Viceroy Mountbatten, l’Acte d’indépendance indienne

promulgué par le Parlement britannique le 18 juillet 1947 reconnaissait l’entrée de deux

nouveaux Dominions indépendants au sein du Commonwealth des Nations à compter du 15

août 194759

.

Bien qu’ils s’affirmassent indépendants de l’ancienne métropole, les deux nouveaux États

semblaient se savoir suffisamment contraints par le nouvel ordre international qui s’imposait à

eux, pour considérer comme souhaitable la continuation d’une forme d’association, ne serait-

ce qu’économique, avec la Grande-Bretagne, et ce en dépit de l’impopularité que la

perception d’une soumission à un projet londonien riquait de susciter auprès de leurs

électorats respectifs60

.

Cette étape a été considérée comme fondamentale dans l’évolution de l’idée impériale liée

aux Dominions et au Commonwealth, et ce par deux aspects principaux. Premièrement, la

partition exposait la survivance de structures pré-coloniales - toute téléologique leur

reconstruction fût-t-elle - peu reluisante pour un impérialisme britannique qui se représentait

comme civilisateur et pacificateur.61

Deuxièmement, l’acceptation de membres « non-blancs »

comme partenaires égaux dans le cercle privilégié d’un Commonwealth qui avait jusqu’alors

fait figure de « club » élitiste, et l’idée de partager avec eux les liens étroits qu’il entretenait,

notamment avec les États-Unis, en matière renseignements, furent loin d’être évidentes pour

58

Le Pakistan de 1947 incluait une province occidentale et une province orientale, sans continuité territoriale, et

dont la province orientale devait se scinder pour former le Bangladesh en 1971. 59

La « Théorie des deux nations » était relative à un discours de Jinnah, où celui-ci formulait le projet d’un Etat

musulman séparé de l’Inde. MANSERGH, op. cit., p. 130. 60

WHITE, op. cit., p. 19. 61

DARWIN, « The Dominion Idea in Imperial Politics », LOUIS, Wm Roger (ed.), The Oxford History of the

British Empire, Vol. 4, BROWN, Judith, LOUIS, Wm Roger (eds), The Twentieth Century, Oxford, New York :

Oxford University Press, 2001, p. 86.

27

des les anciens membres, à tel point que l’idée, vite abandonnée, d’un système d’adhésion « à

deux vitesses », fut avancée62

.

D’autres étapes jalonnèrent le changement du Commonwealth : tandis que celui-ci

s’élargissait à partir de 1947, les vieux Dominions marquaient leurs distances avec la Grande-

Bretagne, se tournant de plus en plus vers les États-Unis pour la conclusion de partenariats

stratégiques63

. Washington avait en effet été le premier défenseur des Dominions en temps de

guerre, le Royaume-Uni ayant été accaparé par le front européen. Les pactes de défense

mutuelle dans le cadre de la Guerre froide, notamment avec l’ANZUS et l’OTASE auxquels

adhérèrent respectivement l’Australie et la Nouvelle-Zélande d’une part, le Pakistan d’autre

part, illustraient cette distanciation64

. Parmi d’autres évolutions symboliques, le terme

« Dominion » fut abandonnée dans l’appellation officielle du Canada et de l’Australie, tandis

que le Dominion Office, qui gérait les relations britanniques avec les Dominions, était

renommé Commonwealth Relations Office (CRO) en 1948.

Au delà des changements quantitatifs liés à l’élargissement du Commonwealth, se

produisirent donc parallèlement des changements qualitatifs dans l’association, parmi lesquels

la candidature, déposée par l’Inde en 1948, au renouvèlement de son statut de membre en vue

de l’adoption de sa future Constitution républicaine, ne fut pas le moindre. Un des bastions du

projet de perpétuation de l’influence britannique consistait en effet en la continuation de

l’allégeance du nouveau Commonwealth à la Couronne, telle qu’établie par le Statut de 1931.

La future constitution républicaine de l’Inde constituait un affront à cette conception, en ce

que, si l’Inde devait rester membre, il faudrait réviser les modalités de l’alliance qui unissait le

Commonwealth. Pourtant, dans un contexte de multiplication de soulèvements communistes,

le poids de l’Inde, étant donné l’inclination socialiste de Nehru, n’était pas négligeable aux

yeux des anciens membres65

. Après plusieurs tentatives de dissuasion de J. Nehru, les Chefs

de gouvernements durent se réunir, et parvinrent à un accord à Londres en janvier 1949. Selon

la Déclaration de Londres, les membres reconnaissaient la Couronne comme « symbole de

leur libre association », et en tant que tel comme « chef du Commonwealth ». Consciemment

62

« club analogy » : MOORE, op. cit., p. 2 ; « two-tier system » : McINTYRE, « Commonwealth Legacy », p.

695. 63

CHASSAIGNE, op. cit., p. 168. 64

Ibid. 65

En 1948, le pont aérien de Berlin, le début de l’insurrection communiste en Malaisie, ou encore la victoire

imminente en Chine, donnaient à la candidature de l’Inde une dimension stratégique. Voir ORDE, Anne, The

Eclipse of Great Britain, Londres : Basingstoke, 1996, p. 183

28

ou non, ils ouvraient la voie à à l’entrée massive de nouveaux membres sous des régimes

républicains66

.

Après la crise de Suez en 1956, l’humiliation d’une dépendance forcée à l’aval de

Washington, et la prise de conscience de l’inéluctabilité d’une décolonisation massive au

tournant de la décennie 1960, le projet de perpétuation de l’influence britannique semblait

compromis. Le discours sur les « Vents du changement » du Premier ministre britannique

Harold Macmillan au Cap cette année-là pouvait être interprété comme le signal du

désengagement britannique en Afrique67

. L’entrée dans le Commonwealth de petits États, tels

que Malte en 1960, rendit Londres de plus en plus désabusée et cynique vis-à-vis de

l’association. Une première rupture entre un régime d’Afrique australe et le Commonwealth

eut lieu en 1961, quand l’Afrique du Sud, sous le régime d’apartheid du National Party depuis

1948, choisit de quitter le Commonwealth plutôt que de continuer à s’exposer aux critiques de

ses membres et à leur immiscion perçue dans ses affaires internes68

.

Un autre motif ajoutait au désintérêt de Londres. Du point de vue économique, au tournant

des années 1960, le favoritisme britannique pour le commerce avec le Commonwealth était en

passe de cesser d’être avantageux pour les finances britanniques. Jusqu’à la fin des années

1950, l’adhésion de certains pays du Commonwealth à la zone monétaire Sterling, de laquelle

Londres avait la prérogative de rapatrier les devises étrangères en échange de prêts pour le

développement - ceux-ci en Sterling - avait été essentielle à l’économie britannique d’après-

guerre69

. En effet ces pays, qui exportaient des matières premières hors zone Sterling, étaient

importateurs nets de dollars, seule monnaie forte dans le système de Bretton Woods, et

avaient donc permis de maintenir leur afflux à la banque centrale de Londres, dans un

contexte de raréfaction de ceux-ci et de fortes dépenses publiques pour la reconstruction70

.

Cette situation s’inversa cependant au début des années 1960, avec la fin de la rareté du dollar

due notamment aux dépenses états-uniennes pour la guerre du Vietnam, et la dégradation du

pouvoir d’achat international des matières premières. Les avantages tirés de la zone Sterling

66

On a rappelé que la Déclaration de 1949 était exclusivement destinée au cas particulier de l’Inde et ne

cherchait en aucun cas à créer un précédent, ce qui n’eut aucune importance en termes empiriques. TINKER,

Separate and Unequal, India and the Indians in the British Commonwealth, 1920-1970, Londres : C. Hurst, p.

385. 67

Harold Macmillan « Winds of Change », discours au Cap, http://www.nationalarchives.gov.uk/news/421.htm

(5/09/2010) ; DARWIN, Britain and decolonisation, op. cit. p. 268. 68

particulièrement l’Inde dont une nombreuse population immigrée faisait les frais de l’apartheid sud-africain. 69

BUTLER, op. cit., p. 65. 70

Ibid.

29

ne compensaient plus les surcoûts, pour Londres, d’un commerce non-compétitif avec une

zone préférentielle71

. L’européanisme croissant du commerce britannique témoigne, selon

certains auteurs, de ces changements dans les projets politiques et économiques de la Grande-

Bretagne72

.

Une dernière modification devait survenir au sein du Commonwealth avant la crise d’UDI.

Quelques mois avant celle-ci, en juin 1965, une nouvelle institution était créée par les

membres de l’association, en l’organe d’un Secrétariat-Général installé dans la propriété

royale de Marlborough House, sur la prestigieuse avenue de Pall Mall, à Londres. Le

Secrétariat fut investi par les chefs de gouvernements du Commonwealth de la mission de

prendre la relève du Commonwealth Office de Whitehall pour l’organisation des Réunions

des chefs de gouvernements, et par là insuffler une dimension véritablement multilatérale, et

débarrassée de toute connotation anglocentrée, au Commonwealth73

. Le Secrétaire Général,

élu par les chefs d’États tous les cinq ans, serait chargé de présenter, avant chaque Réunion

des chefs de gouvernements, un compte-rendu des grandes évolutions et des défis qui se

posaient au Commonwealth. Il était par ailleurs prévu que les Réunions alterneraient

désormais entre différentes capitales du Commonwealth, plutôt que de se tenir

systématiquement à Londres. Le Secrétariat avait également pour mission de faciliter et de

promouvoir la circulation d’information entre les membres - ce que la présence des

ambassades du Commonwealth à Londres était censé faciliter, leurs ambassadeurs devenant

par la même occasion Hauts Commissaires au Commonwealth74

. Cependant Londres,

partagée quant à la décision d’abandonner encore une part de sa souveraineté sur le

Commonwealth, fit inclure dans l’Agreed Memorandum, qui institua le poste de Secrétaire

Général lors de la Réunion des chefs de gouvernements organisée en juin 1965, que celui-ci

ne devrait « pas s’arroger de pouvoir exécutif 75

».

71

DARWIN, op. cit., p. 236. 72

Il faut se prémunir cependant, selon DARWIN, d’effectuer une corrélation trop rapide et téléologique entre la

brusque accélération du processus de décolonisation au début des années 1960 et la réorientation continentale de

Londres. L’idéal de grandeur britannique était encore prévalent, selon l’auteur. Voir DARWIN, p. 235. 73

L’Agreed Memorandum fixait la mission, les fonctions et les prérogatives du Secrétariat. Partiellement

reproduite en Annexes, p. 136. Archives du Secrétariat-Général du Commonwealth, fonds Arnold Smith (Arnold

Smith Papers, ASP), ASP 2006-141 Heads of Governments Meeting Kingston, 4 cartons, Part 4 : Final

Communiques. 74

Ibid. 75

Ibid.

30

Cette évolution, qui résultait notamment du volontarisme de nouveaux membres africains

déterminés à se réapproprier l’arène diplomatique postcoloniale qu’était le Commonwealth,

fut cependant presque immédiatement condamnée à être vue comme indissociable de la crise

de Rhodésie. L’idée du Secrétariat avait été avancée en 1964, lors d’une Réunion des Chefs

de Gouvernements durant laquelle l’accession au pouvoir de Ian Smith en Rhodésie avait

constitué un point central des débats entre les dirigeants76

. Symboliquement, 1964 fut la

première année où la Rhodésie ne fut pas invitée à une Réunion des chefs de gouvernements

du Commonwealth, auxquelle elle assistait depuis 192377

.

L’émergence du Secrétariat, près d’un siècle après la création du premier Dominion, a été

analysée comme un évènement marquant dans l’histoire de l’organisation. Les Secrétariats

d’organisations intergouvernementales, ont rappelé des politologues spécialisés dans l’histoire

du Commonwealth, ont pour caractéristique récurrente de s’engager avec un zèle particulier

dans la promotion de leur organisation dans les relations internationales, mais aussi dans

l’accroissement et la diversification de leurs domaines d’action, voire leur émancipation du

réseau formé par leurs membres pour affirmer leur voix propre78

. Une telle innovation,

poursuivent-ils, n’est pas sans conséquence pour l’identité d’une organisation79

. Cette analyse

parait particulièrement pertinente dans l’étude de l’implication du Commonwealth dans la

crise de Rhodésie, au vu de l’évolution du positionnement de son Secrétariat tout au long de la

crise, qui marqua les quinze premières années de son existence. Le Secrétariat, néanmoins, se

posait comme fervent défenseur des valeurs ancestrales du Commonwealth, basé sur la

recherche du compromis lors des traditionnelles Réunions des Chefs de gouvernements, qui

menaient à des communiqués finaux acceptés à l’unanimité, mais de ce fait souvent

consensuels et oblitérant les divisions visibles, par exemple, dans les minutes des sessions de

discussions lors des Réunions80

.

La crise au sein du Commonwealth qui résulta de déclaration d’UDI a constitué, de l’avis

général des personnes impliquées dans l’association à cette période comme de celui des

historiens de l’Empire britannique et du Commonwealth, une des plus grandes menaces qu’ait

76

Communiqué final de la Réunion des chefs de gouvernements, Juillet 1965. ASP 2006-141. 77

McWILLIAM, Michael, « Zimbabwe and the Commonwealth », The Round Table, 2003, n°368, p. 89-98, p.

94. 78

DOXEY, Margaret, The Commonwealth Secretariat and the Contemporary Commonwealth, Basingstoke,

Londres : Macmillan, 1989, p. 3, citant les travaux de GALTUNG, « On the anthropology of the United Nations

System », PITT, David, et WEISS, Thomas, The nature of the UN Bureaucraties, Londres : Croom Helm, 1986 79

Ibid. 80

BARRIER, op. cit., p. 12.

31

connue l’unité du Commonwealth, mais aussi une épreuve fondatrice de son identité

postcoloniale et une opportunité pour son Secrétariat de consolider son mandat et d’afficher

des projets ambitieux.81

L’importance de cette crise était liée, en partie, au symbole que

constituait la Rhodésie dans le projet impérial britannique, à savoir un échec à faire accepter à

des colons d’origine britannique la réorientation de sa politique coloniale d’après guerre. Cet

échec, qui remettait en cause l’idéal promu par le Commonwealth multiethnique, devait être le

déclencheur d’une crise identitaire grave au sein du Commonwealth.

Malgré cela, le Commonwealth bénéficiait d’une certaine constance. Il restait attaché une

partie de son essence originelle : sans constitution ni traité fondateur, d’une nature non

coercitive, il continuait à se baser sur les principes de la recherche du compromis et

l’amélioration du dialogue entre ses membres lors des traditionnelles Réunions des chefs des

États membres, héritières des Conférences coloniales puis impériales82

. Ses gouvernements

s’engageaient par ailleurs - quoiqu’informellement - au respect des décisions prises lors de ces

mêmes réunions, dont il était nécessaire qu’elles fussent unanimement approuvées. Ce fut cet

héritage britannique qui, paradoxalement, devait lui permettre de survivre à l’épreuve de la

crise de Rhodésie.

81

SMITH, op. cit., p. 25. 82

SMITH, op. cit., p. xvii ; DOXEY, op. cit., p. 5.

32

Chapitre II. Rhodésie et projet impérial britannique

« Equal rights for all civilised men 83

»

Cecil Rhodes.

La place de la Rhodésie dans les relations entre le Commonwealth et la Grande-Bretagne est

intrinsèquement liée à la dimension coloniale de cet ensemble. Il a été démontré que Londres

et Salisbury étaient liées, dès l’origine, par des sentiments mêlés de méfiance et d’attachement

réciproques84

. Cette première fut très tôt consciente de l’indocilité et du mépris affiché par les

colons envers les tentatives britanniques de resserrer son emprise eux. Attachés au mythe de

l’aventurisme associé à la création de la colonie, les Rhodésiens se sentirent très tôt

contrecarrés par Londres dans leurs ambitions d’autonomie, ambitions teintées d’une certaine

arrogance. Cependant, le sentiment d’une communauté organique et nationale entre les deux

populations compliquait la poursuite d’une ligne intransigeante, d’un côté comme de l’autre

du Sahara.

Issue de la colonisation personnelle lancée par un gouverneur de la province sud-africaine du

Cap, l’entrepreneur britannique Cecil Rhodes, à la fin des années 1880, la Rhodésie fut placée

sous l’administration privée de sa Compagnie, la British South Africa Company (BSAC), qui

obtint un statut institutionnel et la protection de la Couronne par l’octroi d’une Charte royale

en 188985

. La Rhodésie fut dès ses débuts une colonie relativement indépendante de la tutelle

britannique, jouissant dès 1898 du droit - pour les colons - à élire une petite Assemblée

législative en parallèle à l’administration de la BSAC, au moment de la formalisation de

l’Empire britannique et au moment où la « bousculade pour l’Afrique », initiée par la

Conférence de Berlin en 1885, battait son plein parmi les puissances européennes86

. De ce

fait, elle aurait connu le terreau d’un sentiment nationaliste précoce, teinté à la fois des valeurs

de la civilisation blanche de la mère patrie, mais aussi à celles de la liberté vis-à-vis d’une

métropole vécue comme potentiellement spoliatrice, sentiment qui a été qualifié de

« syndrome américain ».87

83

Cité par BARRIER, op. cit., p. 1. 84

Id., p. 192. 85

JOUANNEAU, op. cit., p. 47. 86

McWILLIAM, p. 90. 87

BARRIER, op. cit., p. 192.

33

Bien que la Rhodésie recouvrît alors les territoires de la Zambie et du Zimbabwé actuels, le

Nord fut rapidement abandonné par les colons, ouvrant la voie à la future intégration de la

colonie dans l’Empire britannique formel88

. C’est au Sud que se concentra l’activité coloniale,

dans une logique de prédation terrienne et agricole qui provoqua des tensions avec les

populations locales89

. Cette attitude dérogeait aux injonctions de modération de la part de

Londres, inquiète des possibles représailles anti-britanniques suscitées par ces provocations,

et soucieuse des coûts qui seraient engendrés par une guerre contre les populations locales, sur

ce territoire par ailleurs essentiel à l’économie britannique pour ses ressources agraires et

minières90

. La grande liberté qui était toutefois laissée aux colons, à la fois par Londres et par

la BSAC qui gérait à distance la colonie rhodésienne depuis le Cap, a été vue comme à la

source d’un désir d’émancipation précoce chez les colons. Face aux premières révoltes anti-

coloniales qui éclatèrent en Rhodésie, en 1893 et 1897, les colons, qui avaient pourtant

grandement contribué au mécontentement africain, se sentirent abandonnés par leurs

protecteurs. La BSAC tenta dès lors, en vain, d’imposer des règles plus strictes aux colons

rhodésiens - ce qui ne fit que provoquer leur ressentiment91

. En 1914, Londres, à son tour,

tenta de conditionner le renouvèlement de la Charte royale à l’engagement, par les colons,

d’accepter leur évolution vers un statut de « gouvernement responsable » (le terme employé

par ailleurs pour les gouvernements des Dominions) mais sous l’autorité de la Couronne, c’est

à dire au sein de l’Empire formel92

. Cette proposition fut rejetée. La résignation britannique,

du moins temporairement, à ce refus, semblait démontrer que les Britanniques ne voyaient pas

encore de motifs suffisants pour s’aliéner la sympathie des colons rhodésiens.

Un précédent d’accession aux vélléités émancipatrices en Afrique australe avait eu lieu avec

l’accès au statut de Dominion pour l’Union d’Afrique du Sud en 1910. Les germes de la

discorde semblaient semées par le refus par la Grande-Bretagne de considérer, dans un futur

proche, un éventuel statut de Dominion pour la Rhodésie, évolution pourtant naturelle des

colonies blanches de peuplement depuis l’indépendance du Canada en 1868. En 1921, les

colons refusaient une tentative de la BSAC de fusionner les zones Nord et Sud de Rhodésie

afin d’en uniformiser l’exploitation, allant à l’encontre des intérêts de la Compagnie - et ceux

de Londres. Inquiète de la défiance rhodésienne, Londres leur imposa en 1923 un référendum,

88

JOUANNEAU, op. cit., p. 51. 89

McWILLIAM, op. cit. p. 90. 90

BUTLER, Laurence, Copper Empire: Mining and the Colonial State in Northern Rhodesia, c. 1930–64,

Basingstoke: Palgrave Macmillan, 2006. 91

JOUANNEAU, op. cit. p. 60. 92

McWILLIAM, op. cit. p. 90.

34

leur proposant soit le rattachement à l’Union d’Afrique du Sud, soit l’octroi du statut de

« gouvernement responsable » au sein de l’Empire britannique - c’est à dire du statut de

colonie de la Couronne, jouissant néanmoins de l’autonomie pour ses affaires internes93

. C’est

la deuxième option qui fut choisie par les colons, et l’envoi d’un gouverneur britannique à la

capitale de la Rhodésie du Sud, Salisbury, consacra la prise de contrôle - du moins en

apparence - de la puissance publique sur la Rhodésie du Sud. Néanmoins, la colonie, laissée

presque entièrement libre de gérer ses affaires internes - par le biais d’une Assemblée

législative de trente sièges, d’un Premier ministre, et d’un Gouvernement de six ministres élus

au suffrage censitaire et effectivement blanc - n’abandonna pas ses projets indépendantistes,

et devait continuer tout au long des années 1920 à revendiquer l’élargissement maximum des

compétences de son « gouvernement responsable », en d’autres termes, l’obtention du statut

de Dominion94

. Cette ambition paraissait encouragée par le fait que, dès 1923, la Rhodésie

était invitée aux Réunions des chefs de gouvernements du Commonwealth. La Rhodésie du

Nord, au contraire, fut intégrée en 1923 dans l’Empire formel, avec un statut colonial

ordinaire sous administration britannique.

La décision de 1923 semblait déjà indiquer que Londres était consciente de l’écart croissant

entre son discours impérial, de plus en plus consciente des revendications des colonisés, et

l’attitude conservatrice des Rhodésiens. Les signes de défiance à cette règle se multiplièrent

pourtant en toute impunité pendant les décennies suivantes, avec notamment le Land

Apportionment Act de 1930 qui réduisait considérablement la proportion des terres arables

accessibles aux « indigènes95

».

À l’entre-deux guerres, un désir de fédération des deux Rhodésies fut exprimé par les

Rhodésiens du Sud et une partie des rares colons blancs qui s’étaient installés au Nord. Cette

requête, à l’opposé de la position qui avait prévalu chez les colons avant 1923, était vu avec

méfiance par Londres96

. Celle-ci considérait, probablement avec justesse, que les Rhodésiens

la considéraient à présent comme un moyen d’acquérir plus de poids politique face à elle, et

ainsi d’accéder plus vite à l’indépendance selon leurs propres termes - c’est à dire sans avoir à

se plier aux exigences du Gouvernement de sa majesté en matière d’avancement politique des

93

Id. : L’intégration à l’Afrique du Sud avait été prévue par l’Acte d’indépendance de l’Afrique du Sud. 94

JOUANNEAU, op. cit., p. 62. 95

« Natives » était l’expression idiomatique britannique, dont l’équivalent francophone le plus proche serait

« indigène ». JOUANNEAU, op. cit., p. 67. 96

McWILLIAM, op. cit., p. 91.

35

populations locales. Toutefois, une enquête britannique sur la faisabilité et les effets potentiels

d’une plus grande « intégration régionale » se prononçait en 1938 en faveur d’une telle

fédération, malgré les profondes différences institutionnelles qui existaient entre les deux

pays97

. La Deuxième Guerre mondiale devait laisser la question en suspens pour quelques

années.

À partir des années 1940, le nouveau projet impérial britannique, qui face à la montée des

mouvements anti-coloniaux s’intéressait de plus en plus à l’amélioration de la condition des

populations africaines, devait se trouver en porte-à-faux avec l’idée que les Rhodésiens du

Sud se faisaient de l’identité de leur colonie, toujours marquée par la conviction de la

supériorité civilisationnelle blanche et l’irrationalité des Africains.98

L’historiographie note

que tandis que la Rhodésie du Nord, où l’on avait découvert des gisements de cuivre et ou

l’industrie se développa fortement, devait au fil de concessions politiques aux populations

colonisées suivre l’évolution, certes saccadée, de la plupart des colonies britanniques

africaines vers l’indépendance aux mains d’administrations majoritairement africaines, le Sud

suivit une évolution très différente. Le nombre de colons européens y était sensiblement

supérieur à la plupart des colonies d’exploitation, et le pays avait une économie

essentiellement rurale, dominée par des fermiers blancs depuis l’éviction massive des

Africains des meilleures terres arables - et leur retraite sur les terres ingrates que leur avaient

réservé le Land Apportionment Act de 1930. C’est par ces caractéristiques socio-économiques

qu’on expliqua le réveil tardif du mouvement syndical et ouvrier africain en Rhodésie du Sud,

tandis que les Européens s’enfermaient de plus en plus dans un colonialisme raciste tombé

ailleurs en désuétude99

.

Nonobstant ces incompatibilités, dans le cadre de sa réorientation impériale d’après-guerre,

Londres pensa pouvoir faire d’une pierre deux coups en proposant finalement la création

d’une Fédération d’Afrique Centrale unissant les deux Rhodésies et le Nyassaland voisin,

dans un modèle dont on espérait vaguement qu’il ne reproduirait pas l’exemple politique de

97

Cette enquête, intitulée Bledisloe Report, est détaillée par DARWIN, Britain and Decolonisation, p. 198 98

Colonial Development Act, 1929, http://www.britannica.com/EBchecked/topic/126219/Colonial-

Development-Act (9/09/2010) ; DARWIN, p. 196. 99

ROTBERG, The Rise of Nationalism in Central Africa, Cambridge (Mass) : Harvard University Press, 1966,

p. 199 ; sur l’ « émergence d’un « prolétariat industriel » en Rhodésie du Sud pendant la Deuxième Guerre

mondiale, voir BLAKE, op. cit., p. 240.

36

l’Afrique du Sud100

. La Fédération permettrait à la métropole de rationnaliser et rentabiliser

ses échanges commerciaux avec la région en réalisant des économies d’échelles, tout en

canalisant les revendications de plus en plus vivaces en Rhodésie du Sud101

.

Cependant, elle fut aussi vue par les colons, bien conscients de ses implications en termes

d’immiscion londonienne, comme un stratagème destiné à noyer le particularisme sudiste

dans un ensemble plus progressiste, tout en limitant le pouvoir du nouveau gouvernement

fédéral. Le maintien des administrations coloniales dans chacune de ses composantes, celui de

l’administration autonome au Sud, et la création de l’African Affairs Board, chargé de

surveiller le système législatif de la Fédération à l’égard des populations locales, confirmaient

cette impression102

. La population africaine, quant à elle, se montrait particulièrement hostile

au projet, et particulièrement au Nord, où l’on craignait que la contagion du Sud ne vienne

interrompre le processus politique en cours depuis le début des années 1950, et prometteur

d’une évolution rapide vers un gouvernement de la majorité103

.

Le projet fut pourtant mené à bien, et la Fédération d’Afrique Centrale fut créée en 1953. Elle

était dirigée par un Président, Roy Welenski, tandis que les Premiers ministres des trois

colonies conservaient un poids institutionnel presque inchangé. La Grande-Bretagne comptait

pousser la Fédération vers l’indépendance selon des termes acceptables au regard de ses

nouveaux standards impériaux : ce fut chose faite avec la Constitution d’Afrique centrale,

promulguée en 1953 et qui devait être révisée dix ans plus tard. Cependant, la Fédération

devait être paralysée, de manière croissante, par l’incompatibilité entre les projets de la

métropole et ceux de chacune des trois colonies. Tandis que le Nord se souciait d’augmenter

modestement la représentation africaine dans son administration, le Sud la rejetait

totalement104

.Cette évolution exposait l’aveuglement qui avait poussé Londres à croire en la

bonne volonté des colons du Sud de se conformer à l’agenda libéral prévu pour la

Fédération105

. Désireux de mener à bien la décolonisation d’une région devenue un véritable

100

L’Afrique du Sud, seule colonie de peuplement s’étant vu accorder le statut de Dominion avant la mise en

place de programmes d’avancement des populations locales, devait dès les années 1940 marquer son penchant

pour des politiques ségrégationnistes, que l’élection du Front national en 1948 commença à mettre en place. Voir

LEYS, PRATT, A New Deal in Central Africa, Londres : Heinemann, 1960. 101

En cela, les considérations britanniques en termes d’avancement des populations africaines en Rhodésie

étaient reléguées derrière les considérations d’ordre économique, comme la confiance affichée de Londres en un

progressisme providentiel, mais peu vraisemblable, des colons du Sud, laissait présumer. McWILLIAM, p. 93. 102

DARWIN, op. cit., p. 199. 103

Ibid., p. 250. 104

JOUANNEAU, op. cit., p. 71. 105

McWILLIAM, « The Central African Liberals », Africa South, Vol. 3, n°1, 1958 p. 4

37

fardeau, le Royaume-Uni, sous le gouvernement d’Harold Macmillan (1957-1963), n’entreprit

pas moins de poursuivre le projet fédéral, pour donner coûte que coûte un cadre législatif et

institutionnel ne serait-ce que viable à la colonie en vue d’une indépendance imminente. En

1957, il procéda à des amendements de la Constitution destinés à garantir des garde-fous pour

l’avancement des Noirs, tout en promettant aux Blancs sa révision pour 1961106

. Cet

évènement devait raviver l’activisme africain. Tandis qu’en 1953, la création de la Fédération

avait créé un sentiment de résignation au sein des mouvements nationalistes africains à ce

projet qui était vu comme condamné à échouer, l’imminence de l’indépendance annoncée en

1957 sembla au contraire lui insuffler une énergie nouvelle. Le facteur nationaliste africain

eut un rôle central dans l’évolution subséquente de la Fédération107

. En Rhodésie du Sud, les

premiers mouvements syndicalistes naquirent en 1959, avec la National Workers Union de

Joshua Nkomo. Celle-ci, bannie à plusieurs reprise mais réapparaissant sous différents noms,

devait finalement adopter son titre définitif de Zimbabwe African People’s Union (ZAPU) en

1964. La même année, une frange de la nouvelle ZAPU, menée par le Révérend Ndabaningi

Sithole et l’instituteur Robert Mugabe, qui se distanciaient par leur désillusion quant à la

possibilité d’une solution constitutionnelle pour l’indépendance, se scindait pour créer la

Zimbabwe African National Union (ZANU). Les deux partis devaient être interdits en 1964,

et leurs leaders emprisonnés.

Entretemps, le réveil des revendications africaines devait bientôt rendre irréconciliable l’écart

entre la Rhodésie du Nord et le Nyassaland, quand grêves et émeutes africaines éclatèrent en

1958. Tandis qu’en Rhodésie du Nord et au Nyassaland, les administrateurs coloniaux

prenaient acte de l’inévitabilité de la progression vers un gouvernement à dominante africaine,

ces évènements furent présentés par le gouvernement de Rhodésie du Sud comme une

justification à son rejet du progressisme de la Fédération, puisqu’ils était censés démontrer la

dangerosité des Africains, et leur incapacité à participer raisonnablement à une évolution

policée108

.

Pendant encore quelques années, les Britanniques espérèrent pouvoir faire accepter une

constitution fédérale ; mais cet horizon semblait de plus en plus inaccessible. En 1961, le

Président de la Fédération R. Welensky exigeait l’indépendance de la Fédération. Londres,

106

McWILLIAM, « Zimbabwe... », p. 93 107

BERGER, Elena, Labour, Race and Colonial Rule : The Copperfield from 1924 to Independence, Oxford :

1974, p. 16 108

JOUANNEAU, op. cit., p. 73

38

coincée, répondit à cette demande en acceptant de négocier une dernière révision de la

Constitution avant l’indépendance. Même après de nouvelles altérations, celle-ci était

cependant encore trop libérale au goût des Rhodésiens du Sud. En 1962, des élections

législatives au Sud conférèrent une victoire au Front rhodésien, le parti d’extrême droite, dont

le Premier ministre Edgar Whitehead réclamait l’indépendance immédiate.

En désespoir de cause, la Fédération fut dissoute par Londres en 1963. Les Rhodésiens du Sud

s’insurgèrent contre cette décision qui allait à l’encontre du plan de révision de la Constitution

d’Afrique centrale, et qu’ils qualifièrent d’illégale. L’indépendance accordée au Nyassaland

(sous le nom de Malawi), à la Rhodésie du Nord (sous le nom de Zambie) et au Tanganyika

(ancienne Afrique orientale allemande, renommé Tanzanie) voisins en 1963 et 1964 aux

mains d’administrations africaines, ne fit qu’accentuer le ressentiment du Sud à l’égard d’une

politique britannique vue comme trahissant les valeurs coloniales ancestrales. En 1964, le

Parti conservateur britannique était divisé sur la question de la Rhodésie. Tandis qu’une partie

de ses membres approuvait une indépendance selon les termes du Front rhodésiens, Alec

Douglas Home, qui avait succédé à H. Macmillan le 19 octobre 1963 au poste de Premier

ministre, craignait les conséquences diplomatiques néfastes, sur la scène internationale, qu’un

tel évènement susciterait109

.

C’est à cette période que le Commonwealth se montra de plus en plus impliqué dans les

négociations liées à la Rhodésie. En septembre 1964, A. Home, à la Réunion des Chefs de

Gouvernement du Commonwealth, énonçait ainsi cinq principes constitutionnels en l’absence

de respect desquels aucune indépendance ne saurait être accordée par Londres - a fortiori à la

Rhodésie110

. Ces cinq principes étaient la progression inninterrompue vers le « gouvernement

de la majorité » (majority rule), l’interdiction de l’amendement rétrogressif de la constitution,

l’amélioration de la condition des populations africaines, l’inclusion d’une forme de

Déclaration des Droits (Bill of Rights), et l’aval nécessaire par la majorité de toute proposition

de Constitution. La victoire, avec une courte avance, des Travaillistes aux élections générales

du 16 octobre 1964, devait toutefois faire évoluer la position conservatrice : pour les six

années suivantes, qu’il passa dans l’opposition, le Parti conservateur, ne craignant plus la

sanction électorale ou diplomatique, afficha de plus en plus ouvertement son soutien au Front

109

Voir BLAKE, op. cit., p. 356-357 110

SMITH, op. cit., p. 26

39

rhodésien111

. Cette évolution eut un impact certain sur le ton qui prévalut au moment de sa

reprise de pouvoir en 1970, en pleine crise rhodésienne. Pendant ce temps, le Front rhodésien

répétant ses provocations à l’égard de Londres et ses exigences d’indépendance immédiate, le

pire était à craindre le pire pour l’avenir de la Rhodésie. En avril 1964, lors d’élections

anticipées, un nouveau dirigeant radical, I. Smith, avait été élu Premier Ministre en Rhodésie

du Sud.

Quelque mois avant son élection, en février 1964, le chef du parti travailliste britannique,

Harrold Wilson, s’était engagé au principe de « No Independence Before Majority Rule »

(« Pas d’indépendance avant le gouvernement de la majorité » - NIBMAR). Cette formule

était primordiale aux yeux du Commonwealth: elle signifiait que les Travaillistes

s’engageaient à ce que Londres prît sur elle la responsabilité de garantir à la Rhodésie l’accès

à une système démocratique avant de se défaire de sa responsabilité juridique à son égard.

Cependant, une fois parvenus au pouvoir, les Travaillistes devaient faire l’expérience des

difficultés de la gestion de la question rhodésienne. Les pays africains du Commonwealth lui

manifestèrent leur frustration vis-à-vis de ce qui était perçu comme une politique ambiguë du

Royaume-Uni, comme le montre une lettre du Président tanzanien Julius Nyerere au Premier

Ministre britannique en 1965 :

Mon problème est que, bien que je comprenne pleinement que la Rhodésie

soit un problème compliqué, j’ai le sentiment qu’il est possible, pour certains pays

africains, de venir en aide au gouvernement britannique en certains aspects

importants. Pourtant, nous [...] nous sentons incapables de coopérer avec la Grande-

Bretagne comme nous le souhaiterions, étant donné que vos objectifs en la matière ne

sont pas clairs. [...] Il y a quelques années, j’aurais dit qu’il était inconcevable qu’un

gouvernement britannique ne donne à nouveau l’indépendance à un territoire africain

sur la base d’un pouvoir de minorité. Je suis au regret de devoir dire que

malheureusement cela nous apparait maintenant comme une effrayante possibilité112

.

Dans ce contexte, on l’a vu, la question rhodésienne fut centrale à la Réunion des Chefs de

Gouvernements de 1965113

. Malgré les mises en gardes africaines, une analyse du FCO durant

les premières semaines de l’automne 1965 laisse penser qu’il subsistait encore un semblant

d’espoir quant à une opportunité pour la Grande-Bretagne de réussir à sauver les termes d’une

indépendance rhodésienne décente, opportunité que Wilson tenta de créer en visitant une

111

BLAKE, op. cit., p. 357 112

Lettre de Julius Nyerere à Harold Wilson exprimant des réserves vis-à-vis des politiques et intentions

britanniques, PREM 538, feuillets 94-99, 14 août 1965, ASHTON, Richard, LOUIS, William Roger, (eds.),

British Documents on the End of Empire, Serie A vol 5 East of Suez and the Commonwealth 1964-1971, Part II,

Europe, Rhodesia, Commonwealth, Londres : Institute of Commonwealth Studies, 2004, p. 196. 113

Communiqué final de la Réunion de 1965, p. 6, ASP 2006-141, Part 4.

40

dernière fois Salisbury en octobre 1965114

. Une partie de l’historiographie a mis en avant

l’intensité de l’implication britannique en Rhodésie du Sud, visible dans les archives

nationales, comme preuve que la Grande-Bretagne fit tout ce qui était en son pouvoir pour

empêcher l’UDI115

. Il a ainsi été suggéré qu’avant l’UDI, « le gouvernement du Royaume-Uni

avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour prévenir le gouvernement rhodésien des

conséquences d’une action illégale », et qu’après celle-ci il fut « très reconnaissant de l’aide et

du soutien que les gouvernements du Commonwealth lui témoignèrent, particulièrement en

matière d’application des sanctions » que Londres voulut faire appliquer par la communauté

internationale116

. Cette lecture optimiste des relations entre Londres et le Commonwealth ne

fait pas l’unanimité, comme l’analyse de la crise diplomatique provoquée par l’UDI au sein

du Commonwealth semble suggérer. Des observateurs plus critiques ont ainsi comparé

l’attitude de Londres avant l’UDI à une politique d’ « appeasement 117

» qui, toute intense

qu’elle fût, ne dénotait pas moins au mieux d’une profonde erreur de jugement, au pire d’un

pari irresponsable de la part de Londres118

. La confiance presque aveugle, jusqu’à la dernière

minute, en la possibilité d’une issue honorable, et le refus d’un engagement clair de la

Grande-Bretagne directement après la crise, ont eu tendance à étayer cette seconde approche.

Le 11 novembre 1965, I. Smith, en sus de l’UDI, annonçait la suspension de la Constitution

de 1961 et déclarait l’état d’urgence en Rhodésie119

. Certains gouvernements du

Commonwealth, dont la Zambie et la Tanzanie, reprochèrent particulièrement à H. Wilson

l’erreur fondamentale qu’il avait commise en affirmant quelques mois plus tôt, à un moment

où les tensions et le risque de sécessions rhodésiens étaient palpables, qu’une intervention

armée britannique en cas d’UDI serait exclue, donnant ainsi comme un feu vert aux

sécessionnistes 120

! En réalité le Premier ministre, soucieux du grand nombre de Rhodésiens

au sein de la Royal Air Force (RAF), avait pu craindre qu’une telle intervention menât à une

mutinerie de l’armée britannique qui endommagerait encore davantage sa réputation

internationale121

. Une telle entreprise aurait par ailleurs probablement suscité un certain

114

ASHTON, LOUIS, op. cit., p. 224. 115

Id. 116

Id. 117

Ce fut le cas de plusieurs ministres britanniques, dont Arthur Bottomley, alors Ministre du développement

d’outre-mer, ou Richard Crossman, Ministre du Logement. ASHTON, LOUIS, p. 206. Voir également

McWILLIAM, op. cit., p. 95. 118

Id. 119

BHILA, PATEL, op. cit., p. 447. 120

BARRIER, op. cit., p. 556. 121

Ibid, p. 450.

41

mécontentement au niveau domestique, et par là fait encourir un risque de sanction électorale

que le parti au pouvoir ne pouvait se permettre de prendre au nom du principe de NIBMAR.

Dans un contexte de difficultés économiques, Londres était donc contrainte par un certain

nombre de considérations. Les archives gouvernementales de cette période confirment les

préoccupations britanniques en matière d’atteinte à leur économie dans le cas d’une crise avec

la Rhodésie122

. Plutôt que de refléter une quelconque compassion des Travaillistes pour I.

Smith, les hésitations d’H. Wilson quant à l’attitude à adopter face à l’UDI auraient par

conséquent été intrinsèquement liée au contexte national en Grande-Bretagne123

. Durant le

premier mandat travailliste de la crise, de 1965 à 1970, Londres devait péniblement, et en

vain, tenter de contenter à la fois le Commonwealth et l’opinion nationale dans sa gestion de

la crise de Rhodésie.

122

Voir ASHTON, LOUIS, op. cit., Chapitre 6. 123

HOLLAND, op. cit., p. 281.

42

Chapitre III. Les débuts de la crise, 1965-1971

« I don’t believe in any of these [five] principles. I don’t believe they are principles in the first

place124

Ian Smith.

Les premières années de la crise de Rhodésie, de 1965 à 1971, furent marquées par les

tentatives répétées de résolution bilatérale du problème rhodésien entre le gouvernement

britannique et le gouvernement d’I. Smith. Soumis à la critique internationale, et à l’opprobe

du Commonwealth, pour un évènement dont il était admis qu’il relevait de sa seule

responsabilité, le Royaume-Uni adopta face à la crise une attitude qui fut parfois considérée

comme ambiguë, et dont l’historiographie propose des interprétations contradictoires. Ces

difficultés se cumulèrent à d’autres problèmes auxquels dut faire face le Royaume-Uni, dont

la crise économique héritée en partie des politiques économiques précédemment évoquées,

culminant avec la dévaluation de la livre sterling de trente pour cent en 1967, ou encore la

crise du Biafra en 1968, ne furent pas les moindres125

.

L’activité du Commonwealth, à cette période, oscilla entre la condamnation farouche des

politiques britanniques, destinées à empêcher Londres de « brader » l’indépendance

rhodésienne, et de vaines tentatives d’inflexion de la crise. Ses membres, lors des trois

Réunions des Chefs d’États qui eurent lieu à cette période, en janvier et en septembre 1966

puis en juin 1969, renouvelèrent l’expression de leur mécontentement vis-à-vis des politiques

britanniques, de peur qu’en l’absence d’une telle pression la Grande-Bretagne ne soit tentée

de se défausser de ses responsabilités. Tout juste créé, le Secrétariat s’aguerrit rapidement au

ton diplomatique de circonstance vis-à-vis des membres. Son Secrétaire Général, le Canadien

A. Smith, s’entoura de collaborateurs qui eurent un rôle actif tout au long de la crise, comme

l’attestent de nombreuses archives : les plus impliqués d’entre eux furent son adjoint chargé

des affaires politiques, Emeka Anyaoku, le directeur de la division des Affaires

internationales Manmohan Malhoutra, ou encore le directeur de la division des Informations,

Clyde Sanger. Plutôt que de s’aligner sur la position anti-britannique du Commonwealth de

manière inconditionnelle, le Secrétariat prit à coeur sa mission de favoriser la communication

124

I. Smith, cité par The Listener, Londres, 10 juin 1971, « Smith Quotes », ASP 2006-152 Part 1. 125

MARX, op. cit., p. 141 et p. 154.

43

et tenta d’assouplir les positions respectives de ses membres, en encourageant un certain

nombre de programmes consensuels, mais relativement peu efficaces.

Ce chapitre passe en revue les contraintes qui s’appliquaient respectivement au Royaume-Uni

et au Commonwealth, en 1965, pour que leur partenariat ne tende, dans les années suivantes,

vers un équilibre diplomatique précaire.

Suite à la Déclaration unilatérale d’indépendance du 11 novembre 1965, qui fut condamnée

par l’Assemblée générale des Nations Unies le lendemain, plusieurs facteurs devaient rentrer

en compte dans le processus de prise de décision du Royaume-Uni vis-à-vis de la Rhodésie126

.

H. Wilson se trouvait face à un dilemme politique. Une partie non négligeable de l’opinion

nationale était favorable à I. Smith ; entre 1965 et 1971 d’ailleurs, aux Conférences du Parti

conservateur, ses membres réaffirmèrent leur soutien au régime d’I. Smith127

. En même

temps, les gouvernements africains du Commonwealth appelaient à une action ferme et

immédiate du Royaume-Uni - à une intervention armée britannique en Rhodésie128

. Ne

jouissant que d’une courte majorité à la Chambre des Communes, et dans un contexte de

difficultés économiques pour Londres, H. Wilson n’aurait pu prendre le risque de s’engager

dans une guerre impopulaire, et potentiellement dangereuse pour la cohésion nationale du

Royaume-Uni129

. La balance d’H. Wilson devait donc peser en faveur de préoccupations

domestiques : ainsi, il annonça la décision britannique de ne pas intervenir militairement en

Rhodésie, annonçant en novembre que son avait l’intention d’imposer des sanctions

économiques contre le régime130

.

Certains gouvernements du Commonwealth interprétèrent cette décision, qui fut aggravée par

la lenteur et la modestie des mesures alternatives annoncées, comme autant de signes de sa

sensibilité à l’origine britannique - voire ethnique - du régime rebel. Le Royaume-Uni,

avançait-on, qui avait écrasé de nombreuses révoltes anti-coloniales asiatiques ou africaines

par la force, se refusait à en faire de même pour des Européens ; les dirigeants d’Afrique

subsaharienne du Commonwealth étaient visiblement frustrés par ce qu’ils percevaient

126

Condamnation de l’UDI par les Nations-Unies, 12 novembre 1965. ASP : 2006-152, Rhodesia, Miscellaneous

Correspondence, 2 cartons, Part 2. 127

HUDSON, Miles, Triumph and Tragedy? Rhodesia to Zimbabwe, Londres : Hamish Hamilton, 1981, p. 104. 128

HOLLAND, op. cit., p. 281. 129

MARX, op. cit., p. 154. 130

JOUANNEAU, op. cit., p. 93.

44

comme l’application d’un double standard131

. À cette accusation a été opposée, a posteriori,

l’analyse, elle-même contestée, selon laquelle rarement les Travaillistes avaient-ils été en

faveur d’une telle répression durant la décolonisation132

. H. Wilson aurait, selon cette même

analyse, été sincèrement convaincu de la possibilité de sortir rapidement de la crise sans avoir

à recourir à la force133

. Savoir dans quelle mesure la conscience pragmatique des contraintes

exercées sur le 10, Downing Street, avait contribué à persuader H. Wilson de la validité de

son analyse, en d’autres termes la sincérité de Wilson dans sa croyance affichée en l’efficacité

des sanctions, reste une question sujette à spéculation.

Londres ne pouvait cependant pas se permettre s’aliéner totalement le soutien du

Commonwealth. Malgré les réorientations de la politique étrangère britannique dans les

années 1960, évoquées dans les chapitres précédents, le poids du Commonwealth, en 1965,

était encore important pour Londres d’un point de vue diplomatique et stratégique.

L’acceptation de l’indépendance rhodésienne en l’état était diplomatiquement intenable en

plus d’être, pour les travaillistes, moralement inacceptable ; dès lors, le succès putatif de la

politique britannique de sanctions dépendait du soutien du Commonwealth. Fin 1965, le

gouvernement britannique alla plaider auprès de ses membres du Commonwealth leur

alignement sur la politique de sanctions annoncée par Londres, avançant l’argument selon

lequel, si un suivi scrupuleux de celles-ci était appliqué, la chute du régime rhodésiens serait

« affaire de semaines, pas de mois »134

. Ce plan fut porté devant l’Assemblée générale des

Nations Unies, qui vota en faveur de sanctions non-obligatoires en décembre 1965135

.

L’avenir devait cruellement démentir la prévision de Wilson quant à l’efficacité de sa

politique de sanctions ; mais elle lui permettait d’acheter un délai auprès du Commonwealth.

Ce dernier traversa sa première crise d’ampleur durant les premières années de la crise.

La crise de Rhodésie a été interprétée comme une des plus grandes menaces à l’unité du

Commonwealth. Cependant, une étude du contexte de survenue de la crise montre qu’il

existait des facteurs latents que l’UDI ne fit que catalyser. L’élargissement du

Commonwealth, et l’entrée de membres antagonistes, avaient contribué à la perte de

l’atmosphère intime qui y avait jadis prévalu : en 1947-48, puis plus tôt en 1965, deux guerres

131

SMITH, op. cit., p. 2. 132

HYAM, op. cit., p. 225. 133

Id. 134

BARRIER, op. cit., p. 276. 135

Résolution 66/232 du Conseil de Sécurité, ASP 2006-152, Part 2.

45

avaient opposé l’Inde et le Pakistan autour du Cachemire. De l’avis du Secrétaire Général,

tout évènement pouvait, au milieu de l’année 1965, servir de prétexte aux deux Dominions

asiatiques pour quitter forum commun avec l’ennemi qu’était le Commonwealth : à la veille

de l’UDI, le Secrétaire Général avait été mis au courant de leur intention d’imiter toute

initiative africaine d’abandon du Commonwealth dans l’éventualité d’une UDI136

.

L’éclatement effectif de la crise de Rhodésie laissait donc présager du pire. Le Kenya et

surtout la Tanzanie, sous la présidence des figures indépendantistes Jomo Kenyatta et Julius

Nyerere, envisagèrent un départ du Commonwealth dans l’éventualité d’une gestion

insatisfaisante de la crise de la part de Londres137

. Cette menace, déplorait A. Smith, était

emprunte d’une mentalité coloniale, puisque ses auteurs considéraient le Commonwealth

comme un prolongement d’une politique britannique qu’on souhaitait punir, et non comme

l’association multilatérale « débritanisée » vers laquelle elle avait tendu inévitablement depuis

le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, et dont le Secrétariat, tout juste créé,

symbolisait l’indépendance138

. Kenneth Kaunda, le Président de la Zambie, semble avoir été

le moins enclin à quitter le Commonwealth en novembre 1965. Enclavée, et soudainement

projetée sur la « ligne de front » au côté d’un régime dont elle abritait les rebelles, la Zambie

avait davantage intérêt à renforcer son réseau international qu’à l’affaiblir face à ce premier

défi depuis son indépendance, et le Commonwealth constituait une telle option.

Intéressement, cette approche pragmatique, stratégique et économique, plutôt qu’idéaliste,

devait progressivement gagner l’ensemble des pays du Commonwealth dans leurs politiques

vis-à-vis de la Rhodésie. La Zambie, trop dépendante sur son voisin, ne devait appliquer les

sanctions contre l’UDI qu’après 1973, suite à un incident diplomatique entre les deux pays.

A. Smith, au cours d’un voyage réalisé en urgence auprès des gouvernements africains du

Commonwealth du 8 au 13 novembre, réalisa un véritable tour de force en parvenant à

empêcher le départ d’un premier membre africain, qui aurait inévitablement déclenché une

réaction en chaine dans le continent, ses autres dirigeants ne pouvant se permettre, pour des

raisons diplomatiques et électorales, de ne pas imiter une décision qui apparaîtrait

inévitablement aux yeux de leurs concitoyens comme un réflexe de défense des intérêts

136

SMITH, op. cit., p. 25 137

Id. 138

Ibid., p. 26.

46

africains139

. Le Ghana et la Tanzanie, en accord avec un ultimatum levé par l’Organisation

pour l’Unité Africaine (OUA) qui, début décembre, avait appelé Londres à mettre fin à la

rébellion avant le 15 de ce mois, coupèrent leurs relations diplomatiques avec Londres ce

jour-là, sans pour autant sortir du Commonwealth140

. Durant les mois qui suivirent, H. Wilson

devait parvenir à convaincre le Commonwealth de s’associer au Royaume-Uni pour adopter

un plan de sanction économique contre le Front rhodésien.

À peine l’épreuve du 11 novembre avait-elle été surmontée, de nouvelles difficultés se

profilaient sous la forme de la première Réunion du Commonwealth organisée depuis la

création du Secrétariat - et depuis l’éclatement de l’UDI, et qui eut lieu en janvier 1966 à

Lagos. La Réunion des Chefs de Gouvernements de Lagos fut symboliquement la première

Réunion à se tenir hors de Londres, et le choix du lieu, la capitale du plus grand pays africain,

le Nigeria, marquait la distanciation du Commonwealth vis-à-vis de Londres. Au cours de sa

préparation, de premières tensions jaillirent entre Whitehall et le Secrétariat General. Ce

premier croyait pouvoir, comme à son habitude, dicter un agenda qui lui serait favorable -

c’est à dire où la question de la Rhodésie serait discrètement éludée. Le Secrétariat, au

contraire, insistait fermement pour que l’agenda, qui serait préparé par ses soins en fonction

des priorités de l’ensemble des membres, fût en sus approuvé par eux. Cette prise de position

irrita fortement Londres, qui chercha en vain à faire valoir que le Mémorandum de 1965

interdisait au Secrétariat de s’arroger des fonctions exécutives. La joute argumentative, sous

les dehors respectueux de la correspondance diplomatique, se solda par l’échec de Londres.

Par conséquent, à Lagos, le thème de la Rhodésie fut prégnant ; le ton, vindicatif contre la

Grande-Bretagne. Modérant l’analyse selon laquelle la Réunion de Lagos fut le théâtre d’une

prise de pouvoir du Commonwealth sur Londres, on ne peut que constater que l’équilibre des

forces n’était cependant pas entièrement défavorable à Londres141

. Globalement en effet, la

réunion se conclut par des concessions de part et d’autres, lesquelles permettaient d’atteindre

un point d’équilibre des forces et des contraintes mutuelles qui n’était pas sans avantager

Londres. Cette dernière parvint à maintenir sa position en matière de non-intervention

militaire et de sanctions économiques ; elle réaffirma également l’indépendance britannique

139

C’est l’analyse qu’A. Smith recueillit lors de sa conversation avec le président ougandais Milton Obote.

SMITH, p. 28. 140

Id. 141

BARRIER, op. cit., p. 230.

47

en défendant son projet de trouver une issue à la crise sur une base bilatérale avec I. Smith142

.

Le Commonwealth, malgré des discours radicaux, dut se résigner à accepter de laisser au

Royaume-Uni le soin de trouver seul une issue rapide à la crise, et accepter d’en faciliter le

processus appliquant les sanctions prônées par Londres143

.

Pour les membres africains, il était doublement coûteux d’accepter de cautionner les

politiques britanniques. D’une part, leur apparente impuissance était problématique en matière

d’image, particulièrement auprès de leurs populations respectives, attentives aux

développements de la situation rhodésienne. D’autre part, l’interprétation britannique de la

crise était loin d’être partagée par tous ses gouvernements. Tandis que, pour la Zambie par

exemple, le problème rhodésien était un problème lié à la nature profonde du pouvoir en

Rhodésie, marqué par une hégémonie économique et politique blanche ancestrale et par une

idéologie raciste, H. Wilson, tentant de minimiser cette dimension, continuait d’argumenter

que la Rhodésie souffrait d’un problème constitutionnel. Sous cet angle, c’était le cadre

constitutionnel rhodésien qui était, pour le moment, inacceptable, mais perfectible. D’une

certaine manière, Londres entrait ainsi dans le jeu de Salisbury, dont le leitmotiv était la

légalité de ses décisions, qu’elle opposait à la non-tenue par Londres de ses engagements

constitutionnels en termes de révision de la Constitution 1961144

.

La défaite partielle du camp africain s’expliquait par sa conscience des limites de son emprise

sur Londres, mais également par l’existence d’une frange d’États - et notamment les vieux

Dominions du Pacifique - peu disposés à soutenir leur approche145

. Toutefois, en contrepartie

de leur coopération et de leur consentement à rester membres du Commonwealth, les

opposants de Londres obtinrent satisfaction sur un certain nombre de points, y compris

l’acceptation par H. Wilson de la nécessité d’une reprise de contrôle de la Grande-Bretagne

sur la Rhodésie146

. Du point de vue des relations publiques, Londres acceptait par ailleurs de

subir sans broncher discours accusateurs et autres diatribes anti-britanniques. Le communiqué

final donnait à la Grande-Bretagne quelques mois pour prouver l’efficacité de son plan

142

McWILLIAM, op. cit., p. 94. 143

Communiqué final de la Réunion de Lagos, janvier 1966, p. 2. ASP 2006-141 Part 4. 144

BARRIER, p. 8. 145

L’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais également Singapour, restèrent longtemps des alliés indéfectibles de

Londres. Voir SMITH, p. 288 146

McWILLIAM, op. cit., p. 94.

48

d’action en Rhodésie, dont l’évaluation devait être faite à une prochaine Réunion du

Commonwealth, programmée pour août 1966147

.

À Lagos fut en outre décidée la création de deux nouvelles fonctions du Commonwealth,

financées par les membres à hauteur de leurs moyens, et qui furent l’embryon de ses futurs

domaines d’action privilégiés tout au long de la crise. La première d’entre elles était

l’établissement d’un Comité des Sanctions du Commonwealth (Commonwealth Sanctions

Committee), comité permanent au sein duquel tous les pays membres étaient représentés, et à

qui incombait le rôle d’observateur de la crise. Son rôle serait de fournir, à l’usage des Chefs

de gouvernements avant chacune de leurs futures Réunions, un rapport détaillé portant sur

l’efficacité des sanctions, sur leurs brèches éventuelles, et formulant des recommandations

quant à l’optimisation de leurs effets aux échelles nationale et intergouvernementale. Le

Comité, sous la direction du Guyanien Lord Carver, devait devenir un instrument politique

essentiel du Commonwealth, véritable groupe d’experts de référence sur les problématiques

touchant à la crise de Rhodésie. Bien que, constitué de délégués désignés par chaque

gouvernements membres, il ne dépendît pas de l’autorité du Secrétariat, les relations

qu’entretinrent A. Smith et Lord Carver pendant toute la durée de la crise, et leur conviction

commune de la pertinence du Commonwealth dans la résolution de celle-ci - conviction qui

n’était pas partagée par certains de ses membres, devaient en effet permettre au Secrétariat

d’être directement informé des positions respectives des pays membres lors des réunions du

Comité, qui devaient être convoquées par Carver au gré des évènements, mais aussi d’en

influencer l’orientation par ses préconisations148

.

Du point de vue structurel et symbolique, le Comité posait les jalons de la multilatéralisation

de la crise. En effet, il créa un lien permanent entre tous les pays membres sur la question

spécifique de la Rhodésie, venant compléter les communications et circulaires ponctuelles

émanant du Secrétariat, et les échanges bilatéraux et régionaux.

La Réunion de Lagos fut également marquée par la création du Programme Spécial du

Commonwealth pour la Rhodésie. Ce programme visait à promouvoir et à financer la

formation des Africains rhodésiens au sein d’universités du Commonwealth, dans le but de

147

Communiqué final de la Réunion de Lagos, janvier 1966, p. 3 ASP 2006-141 Part 4. 148

Voir, en 1972, l’interposition du Secrétariat entre l’Australie et le Comité : D. Sagar, directeur de la division

Politique du Secrétariat-Général, « Rhodesia : Proposal for Mass White Emigration », 3 mai 1972, Fonds

Général (FG) 2004-048 Rhodesia: Internal Affairs.

49

doter le pays d’un corps de professionnels, d’administrateurs et de fonctionnaires compétents

en vue de l’indépendance. Ces deux nouvelles fonctions que s’octroyait le Commonwealth

esquissaient les deux axes principales de son action tout au long de la crise : le travail de

contrôle de Londres, par le biais des Réunions des Chefs de Gouvernements et par le Comité

des Sanctions, et le transfert de compétences au sein du Commonwealth, par le biais du

Programme.

Dans les mois qui suivirent, l’image de la Grande-Bretagne devait continuer à pâtir de la crise

de Rhodésie, en partie à cause des déclarations provocatrices d’I. Smith, face auxquelles

Londres paraissait démunie. Celui qui affirmait que l’UDI avait permis d’« excaver les parties

pourries [les Britanniques] du barrage [contre la progression de la majorité africaine] et de les

renforcer par une saine indépendance rhodésienne 149

» prétendait aussi que :

Les sanctions ne fonctionnent pas, elles n’ont jamais fonctionné. Pas un jour

ne se passe sans que nous ne trouvions un nouveau moyen de les contourner150.

L’année 1966 ne marqua pas de changement significatif dans la situation rhodésienne. La

Réunion des chefs d’état du Commonwealth prévue à Lagos, qui à la demande britannique fut

différée à septembre 1966 et eut lieu à Londres, si son ambiance fut moins tendue que celle de

Lagos, ne consacrait pas moins un bilan plutôt négatif de la politique britannique. Le

Commonwealth craignait de voir Londres revenir sur ses engagements de janvier151

. Peu

d’avancées furent enregistrées lors de cette réunion, mais une concession importante de la part

des Britanniques fut accueillie avec intérêt par les membres africains. À Londres, H. Wilson

fut en effet si fortement pressurisé par les membres africains, qu’il se vit dans l’obligation

d’affirmer publiquement l’engagement de Whitehall au principe de NIBMAR pour condition

sine qua non de toute future négociation d’indépendance152

. L’avenir devait cependant

montrer la difficulté, pour Londres, à concilier son intention d’amener la Rhodésie à une

indépendance et le respect de ses engagements auprès du Commonwealth.

Durant le mandat travailliste, H. Wilson ouvrit à deux reprises des discussions, aussi

infructueuses que dégradantes, avec le Premier Ministre rhodésien, à bord des vaisseaux de la

149

I. Smith au Daily Telegraph, 24 septembre 1966 , « Smith Quotes », African Bureau Fact Sheet, janvier

1972, ASP 2006-152, Part 2. 150

I. Smith à The Observer, 6 mars 1966, « Smith Quotes », African Bureau Fact Sheet, janvier 1972, ASP :

2006-152, Part 2. 151

McWILLIAM, op. cit., p. 94. 152

Communique final de la Réunion de Londres, septembre 1966, p. 7, ASP 2006-141 Part 4.

50

marine britannique HMS Tiger en décembre 1966 et HMS Fearless en octobre 1968, au large

de Gibraltar.

Les « négociations du Tiger » provoquèrent une réaction colérique au sein du

Commonwealth, puisque la proposition formulée par H. Wilson était vue comme abandonnant

une grande partie des exigences politiques du Commonwealth vis-à-vis d’une hypothétique

formule d’indépendance rhodésienne, principalement en matière de représentation politique et

de suffrage africain153

. L’évolution vers un gouvernement de majorité, qui constituait le

premier des « cinq principes » acceptés par le gouvernement britannique sous H. Macmillan

en 1964, paraissait fort lointaine au vu du suffrage censitaire à deux vitesses qui était proposé,

reprenant la Constitution de 1961154

. L’obstination et l’intransigeance légendaires du Premier

ministre rhodésien devait de toute manière faire échouer ces négociations : I. Smith refusait la

condition de l’envoi d’un gouverneur britannique pendant une période de transition vers

l’indépendance155

.

En l’absence de nouvelle évolution dans les deux années qui suivirent, la crise rhodésienne

semblait en passe de s’installer durablement, et ce en dépit du renouvèlement et du

durcissement des sanctions par les Nations unies en 1968156

. Réaffirmant régulièrement son

distanciement des conditions britanniques d’indépendance, I. Smith ne faisait aucun mystère

de ses propres conditions :

Il est absolument essentiel de maintenir la position de l’homme blanc et de

sa civilisation en Rhodésie. Tant que nous pouvons arriver à une solution qui

garantisse ce point, alors nous sommes prêts à raisonner [...]157

.

Ces déclarations, toutes fanfaronnes qu’elles pussent paraître, semblent en réalité avoir été

soigneusement calculées par I. Smith. Tout au long de la crise, celui-ci prouva à maintes

reprises son extraordinaire don pour semer la discorde entre ses opposants, qui lui permit de

diviser tant les partis nationalistes que ses adversaires internationaux, et en particulier d’attiser

les différends entre des États africains du Commonwealth et Londres. Ce procédé semblait

porter ses fruits : la tension qui s’installa au sein du Commonwealth à cause de devait

153

Voir l’analyse de la proposition constitutionnelle du Tiger, en Annexes, p. 135. ASP 2006-152, Part 2. 154

DARWIN, op. cit., p. 318. 155

Id. 156

Résolution 1968/253 du Conseil de Sécurité, 2006-152 Part 2. 157

I. Smith au Guardian, 26 octobre 1967, « Smith Quotes », African Bureau Fact Sheet, janvier 1972,

ASP 2006-152 Part 2.

51

dissuader le Secrétariat, et ses membres, d’envisager une nouvelle réunion pour les prochaines

années. La reprise des négociations bilatérales de Gibraltar à bord du HMS Fearless, en

octobre 1968, sur la base d’une proposition similaire à celle de 1966, échoua pour les mêmes

raisons qu’en 1966158

.

Le Commonwealth fut donc en retrait durant plusieurs années. Une question qui émane de

l’absence de Réunion des Chefs de Gouvernements entre 1966 et 1969 est celle de

l’indépendance réelle du Secrétariat à cette période. Le Secrétariat, à présent en charge de

convoquer les Réunions, s’absint-il d’en faire autant entre 1966 et 1969 dans l’intérêt collectif

du Commonwealth, ou fut-il sensible à des demandes, plus ou moins pressantes, de la part de

Londres ?

La première Réunion des chefs de gouvernements à se tenir depuis celle de septembre 1966,

qui fut conviée en 1969, si elle se tint dans un climat moins tendu que les réunions de crise de

1966, marquait l’échec de la politique travailliste à l’égard de Salisbury. Les membres

africains du Commonwealth, forts de leur ascendance morale suite à ce constat, parvinrent à

s’arroger par ailleurs un droit de regard dans la gestion londonnienne de la crise, en obtenant

d’être désormais tenus préalablement au courant de toute décision britannique ultérieure

concernant la Rhodésie159

. En 1970, A. Smith était reconduit au poste de Secrétaire Général,

pour un second quinquennat.

Parallèlement, peu après l’échec des discussions du Fearless, le gouvernement rhodésien

annonçait l’adoption de sa future Constitution républicaine, et ségrégationniste, qui fut

promulguée le 3 mars 1970. Dans ce qui fut interprété comme un simulacre de légalité, le

Front rhodésien prétendait suivre l’agenda qui avait été prévu par les Britanniques pour la

Fédération quant à la révision de la Constitution de 1961, révision de laquelle Londres les

avait frustrés en dissolvant la Fédération en 1963 et en répudiant ses prétendus engagements

en matière d’autonomie de la Rhodésie.

Ce nouveau développement illustrait une fois de plus l’échec de la stratégie sanctions-

négociations des Travaillistes. Cet échec était-il prévisible, au vu du refus, affiché dès 1966

158

Analyse de la proposition constitutionnelle du Fearless, reproduite en Annexes, p. 135. ASP 2006-152 Part 2. 159

Rapport de Hussain, au Secrétaire Général, « Commonwealth Consultation on H.M.G/Smith Regime

Agreement on termination of UDI », 18 novembre 1971, p. 1-2 ASP 2006-152: Part 2.

52

par le gouvernement portugais et par le gouvernement sud-africain, de respecter les sanctions

onusiennes, et de l’étroit partenariat économique, politique et militaire qui s’était développé

entre les trois régimes depuis lors160

? Certains historiens attribuent, rappelons-le, la longévité

du régime d’UDI à l’innefficacité des sanctions, dont les contournements, avec la coopération

de partenaires commerciaux véritablement tout autour du monde, furent nombreux et

systématiques161

. La Constitution de 1970 s’accompagnait d’une nouvelle loi foncière, le

Land Tenure Act, qui remplaçait le Land Apportionment Act de 1930 et institutionnalisait la

discrimination foncière contre les Africains162

. Ce nouvel évènement eut en réalité des

conséquences positives pour le Royaume-Uni, bien que celles-ci ne furent visibles que sur le

moyen terme. Il devait en effet contribuer à faire accepter à Londres, et au Commonwealth,

que le problème rhodésien ne pouvait être totalement imputé à la seule responsabilité

britannique, ni être résolue individuellement par le Royaume-Uni163

.

L’arrivée au pouvoir des Conservateurs au Royaume-Uni le 19 juin 1970, qui marqua les

derniers moments de la période bilatérale de la crise, devait cependant occulter pour un temps

cette nouvelle tendance. Le gouvernement d’Edward Heath s’était, dès sa campagne

électorale, distancié de la politique étrangère des Travaillistes. Tandis que ces derniers avaient

en quelques sortes tenté de ménager le chou et la chèvre en se conformant aux six principes et

au principe de NIBMAR de 1966 à 1969, tout en proposant de sérieuses concessions au

régime d’UDI lors des négociations de Gibraltar, les Conservateurs comptaient affirmer plus

clairement leur indépendance de l’influence du Commonwealth. En toute défiance, ils avaient

ainsi, au cours de leur campagne électorale, annoncé leur intention de reprendre la vente

d’armes à l’Afrique du Sud, en vertu d’accords de défense, les Accords de Simonstown, et en

dépit des sanctions onusiennes en vigueur. Ces mesures étaient, selon le Secrétaire aux

affaires étrangères et du Commonwealth britannique, indispensables à la défense de l’Océan

indien dans un contexte de déploiement militaire soviétique dans cette zone164

. Les régimes

ségrégationnistes d’Afrique australe, dont la survie dépendait grandement du laissez-faire des

puissances occidentales dans un contexte de Guerre froide, instrumentalisaient la menace -

certes potentielle - d’un « effet domino » provoqué par les mouvements de libération. Cette

160

Voir ELLERT, op. cit., p. 124. 161

JOUANNEAU, op. cit., p. 93-94. 162

Ibid., p. 83 163

HOLLAND, op. cit., p. 284 164

SMITH, p. 214.

53

approche géopolitique menaçait également de compromettre les engagements britanniques à

l’encontre de la Rhodésie.

Une fois élus, les Conservateurs furent cependant confrontés à une série d’attaques du

Commonwealth. Celui-ci fut une fois de plus mis à rude épreuve, puisque la première ministre

indienne Indira Gandhi, cherchant selon certains une distraction en vue d’élections générales

imminentes, menaça de quitter le Commonwealth si d’autres pays africains décidaient d’en

faire de même en rétorsion contre le plan des Conservateurs - leur apportant ainsi un soutien

diplomatique incontestable et modifiant le bilan potentiel de la reprise de la vente d’armes165

.

I. Gandhi ne faisant pas de mystère de son amitié avec l’URSS, n’était-il pas préférable de

« garder ses ennemis plus près de soi que ses amis »166

? Dans un autre registre, le président

Kaunda, suite à une rencontre d’une délégation de l’OUA avec E. Heath à Londres, suggéra

de sanctionner le Royaume-uni en l’excluant du Commonwealth dans l’hypothèse d’une

poursuite du projet 167

! A. Smith, de son propre avoeu, était inquiet des répercussions de ces

évènements. En vue de la Réunion des Chefs de Gouvernements qui devait se tenir à

Singapour en janvier 1971, il envoya aux chefs de gouvernements une circulaire les priant de

ne pas prendre de décision avant que les discussions multilatérales n’aient eu lieu, ce que

Londres lui reprocha, accusant le Secrétariat de monter le Commonwealth contre la Grande-

Bretagne168

.

Parallèlement, une des craintes au sein du Commonwealth était que Londres, une fois de plus,

ne cherchât à brader l’indépendance Rhodésienne, danger qu’il chercha par tous les moyens à

prévenir lors de Réunion des chefs d’États de Singapour. Celle-ci reste gravée dans l’identité

du Commonwealth, ainsi que dans l’historiographie, comme une des pierres d’angle du

Commonwealth moderne169

. C’est cette année-là que le titre « Commonwealth Heads of

Governments Meeting », et l’acronyme correspondant CHOGM, furent adoptés, et que la

fréquence biennale des réunions fut fixée. Ce fut par ailleurs l’année de la première

Déclaration des Principes du Commonwealth, qui donnait pour la première fois à l’association

une dimension politique militante.

165

Id. 166

Ibid, p. 212. 167

Ibid., p. 213. 168

Ibid., p. 212. 169

McWILLIAM, op. cit., p. 95.

54

L’ambiance du CHOGM de Singapour fut particulièrement tendue. L’attitude défiante

d’Edward Heath semblait représentative de la distanciation britannique. Les Réunions, d’une

durée d’une semaine, étaient traditionnellement organisées pour inclure un week-end, durant

lequel les chefs de gouvernement vaquaient à des activités sociales et mondaines en commun,

pratique censées encourager l’échange informel et démarquer les sommets du Commonwealth

de ceux, rigides, des Nations Unies. E. Heath, à Singapour, offensa ses homologues en

préférant à ces activités un week-end de voile avec des amis170

...

Outre cette indélicatesse dans la forme, sur le fond, E. Heath défendit âprement sa décision

d’autoriser la reprise de la vente d’armes à l’Afrique du Sud. Il était injuste, argumentait-il,

que leur interdiction ne concernât que la Grande-Bretagne, tandis que d’autres pays tels que la

France ne s’y conformaient pas ; en sus, la menace communiste en océan indien était selon lui

avérée, ce que le passage d’un navire de guerre soviétique au large de Singapour,

probablement planifié par Moscou pour jeter de l’huile sur le feu au sein du Commonwealth

et courtiser ses éventuels défecteurs, eut tendance à confirmer171

.

La Réunion de Singapour marqua pourtant un certain nombre d’avancées pour le

Commonwealth. Premièrement, si les Conservateurs ne revinrent pas officiellement sur leur

décision concernant l’Afrique du Sud, l’accord passé pour la tenue d’une Commission du

Commonwealth sur la sécurité navale et celle du commerce maritime en Océan indien leur

offrait une voie alternative dont il était fortement souhaité qu’elle serait privilégiée sur les

Accords de Simonstown - dans les faits, ce fut à peu près ce qui se produisit, en dehors de la

vente de trois hélocoptères à Pretoria dans les mois qui suivirent172

.

Une deuxième avancée fut la création du Fonds du Commonwealth pour la Coopération

Technique (Commonwealth Fund for Technical Cooperation), qui devait être financé par les

États à hauteur de leurs capacités. Le CFTC constituait le premier organe du Commonwealth

jouissant d’un budget autonome placé sous l’autorité directe du Secrétariat. Il était en cela

fondamentalement différent des Commissions et Programmes du Commonwealth, qui

relevaient de l’autorité des États. Son rôle initial était la promotion du développement

économique et social au sein du Commonwealth par des projets choisis ; cependant, en

170

SMITH, p. 217. 171

Ibid., p. 205. 172

Communiqué final, Singapour, 1971, ASP 2006-141 Part 4.. SMITH, OP. Cit., p. 220.

55

l’absence d’une charte précise, le CFTC devait à l’avenir largement outrepasser cette fonction

pour devenir un instrument privilégié de l’intervention du Secrétariat dans les affaires

politiques liées à l’Afrique australe. Il absorbait la gestion des programmes d’aide du

Commonwealth aux Africains vivant sous des régimes oppressifs, et notamment le

Programme spécial du Commonwealth à la Rhodésie de 1966.

Néanmoins, l’avancée la plus symbolique était la promulgation, à Singapour, d’une

Déclaration des Principes du Commonwealth. Au départ un projet de K. Kaunda soutenu par

A. Smith, puis discuté en session restreinte, la Déclaration fut adoptée à l’unanimité en

session plénière. Elle reflétait l’ambiance qui prédominait suite à plus de cinq ans d’UDI en

Rhodésie, et semblait viser une fois de plus à rappeler au Royaume-Uni ses devoirs vis-à-vis

d’elle. La déclaration, qui s’ouvrait en réaffirmant les principes d’indépendance, de libre

association, et de variété raciale et institutionnelle du Commonwealth, énonçait les principes

fondamentaux de son positionnement, qui se voulait en faveur de la « paix mondiale » et de la

« compréhension internationale »173

. Ces principes étaient, entre autres, la croyance commune

de ses membres en

[...] la liberté de l’individu, l’égalité des droits entre tous les individus sans

discrimination de race, de couleur, de naissance ou de conviction politique, et en leur

droit inaliénable à participer, par le biais de procédés politique libres et

démocratiques, au façonnement de la société dans laquelle ils vivent174

.

Les auteurs, considérant « le préjudice racial comme un dangereuse maladie175

» et

déterminés à le « combattre vigoureusement 176

» dans leurs pays respectifs, affirmaient par

ailleurs s’opposer « à toute forme de domination coloniale et d’oppression raciale », et

s’engageaient à « promouvoir l’égalité et la dignité humaine en tout lieu, et à contribuer à la

progression des principes d’auto-détermination et de l’anti-racisme177

». Visée

particulièrement à l’égard de Londres, cette déclaration, on le voit, se prononçait résolument

contre la nouvelle politique britannique. Elle constituait une victoire pour le camp africain au

sein du Commonwealth, et cette évolution n’était pas sans conséquence pour l’image du

Commonwealth en politique internationale, particulièrement aux yeux de Londres.

173

Déclaration des Principes du Commonwealth, op. cit., points 1 à 4. 174

Ibid., point 6. 175

Ibid., Point 7. 176

Ibid., Point 7. 177

Ibid, Point 8

56

Cette dimension était par ailleurs cruciale, car elle allait à l’encontre de l’image d’un

Commonwealth à prédominante économique. Une partie conséquente de l’historiographie

britannique, invoquant le pragmatisme anglo-saxon, insiste encore aujourd’hui sur le contraste

entre les relations que la France poursuivit avec son ancien empire, vues comme

profondément politiques, voire néo-coloniales, et celles entretenues au sein du

Commonwealth, vues comme économiques et fondamentalement pragmatiques178

. Il parait

pourtant difficile de ne pas interpréter la prise de position politique du Commonwealth contre

les régimes ségrégationnistes d’Afrique australe comme une dimension fondatrice de son

identité postcoloniale. Avant même la crise de Rhodésie, était-il par exemple anodin que

l’entrée massive d’États africains coïncidât avec le départ de l’Afrique du Sud ?...

La Déclaration de Singapour eut un rôle considérable sur l’avenir du Commonwealth sur le

plan moral. Elle parachevait cinq ans d’efforts du Commonwealth dans sa lutte contre

l’acceptation du régime ségrégationniste rhodésien par le Royaume-Uni. Il s’agissait d’un acte

fort : pour la première fois, un texte fondateur définissait non pas les modalités de

l’association des membres du Commonwealth, dans une logique intergouvernementale, mais

qui posait le respect de certains principes dans leur mode de gouvernement respectif, comme

les fondements de l’appartenance au Commonwealth. Pourtant, les principes de non-

coercition du Commonwealth étaient-ils compatibles avec l’imposition inconditionnelle de

ces principes sur la politique interne et internationale de ses membres ? La valeur symbolique

de la Déclaration paraissait plus évidente que ses applications pratiques, comme l’expérience

des années suivantes devait démontrer.

Les difficultés auxquelles firent face le Commonwealth quelques mois plus tard devaient

poser la question de l’impact réel de la première phase de son implication dans la crise de

Rhodésie. De 1965 à 1970, le Commonwealth, exploitant la vigueur et l’élan qu’un contexte

d’anticolonialisme triomphant lui conférait, était parvenu à imposer la création d’un

Secrétariat, puis, cinq ans et demi plus tard, l’édiction d’une Déclaration des Principes du

Commonwealth. La crise de Rhodésie et le mécontentement vis-à-vis de sa gestion par

Londres avaient été le moteur de ces évolutions. Inversément, l’impact des politiques du

Commonwealth sur la crise de Rhodésie semblaient excessivement modestes. Le

gouvernement britannique, de 1965 à 1971, en dépit de la pression constante que le

178

SMITH, op. cit., p. xvii.

57

Commonwealth lui imposait, était parvenu à conserver le monopole de l’élaboration d’une

politique contre le régime d’UDI. Cette politique allait souvent à l’encontre des principes que

le Commonwealth entendait défendre, et en avait à plusieurs reprises menacé la survie. On

peut donc conclure que le Commonwealth, en 1971, était loin de bénéficier de bases solides

pour la poursuite d’un quelconque plan d’indépendance pour la Rhodésie.

58

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE.

Les premières années de la crise de Rhodésie correspondirent à une crise identitaire à

l’intérieur du Commonwealth des Nations. La simultanéité de ces deux crises ne relevait pas

du hasard. La crise de Rhodésie illustrait les limites de la réorientation impériale britannique :

l’absence d’enjeux stratégiques suffisants en Rhodésie avait en effet conduit Londres à

ignorer trop longtemps le développement d’un nationalisme blanc rhodésien qui se trouvait en

porte à faux avec le discours impérial d’après-guerre.

Cette exposition soudaine du fourvoiement londonien devait créer un profond malaise chez

les nouveaux membres du Commonwealth. Quoi qu’on voulût en dire, l’association avait

continué, dans les deux décennies qui succédèrent aux premières décolonisations asiatiques, à

représenter aux yeux de Londres un instrument de perpétuation de son influence mondiale.

Certains nouveaux membres du Commonwealth avaient certes mis abruptement terme aux

espoirs londoniens en matière de partenariat géopolitique ; cependant, du point de vue de

l’image, l’unité du Commonwealth continuait à refléter le succès d’une certaine vision

britannique des relations internationales, ne serait-ce que par l’informalité et le principe de

consensus que l’association héritait de la période coloniale. Cet héritage britannique en

matière de consensus et de pragmatisme, qui rendait possible leur association, prit un goût

amer pour les membres du Commonwealth lorsqu’il fut également utilisé par Londres pour

tenter de mettre un terme à la crise de Rhodésie.

Après 1965, une partie de ses membres, rejetant des valeurs dont il avait jusqu’alors été aisé

d’ignorer les revers obscurs, entreprit avec difficulté de les remplacer par de nouveaux codes

de conduite ancrés dans les réalités postcoloniales qui avaient vu naître le Commonwealth

moderne. Cette entreprise culmina avec la Déclaration des Principes du Commonwealth de

Singapour, en 1971. Elle marquait ainsi un tournant idéel, affectant principalement l’image

que le Commonwealth entendait renvoyer de lui-même. Cette quête identitaire, qui atteignit

un palier provisoire en 1971, devait se faire aux dépends de la construction d’une réelle

efficacité du point de vue des modes d’action du Commonwealth dans les relations

internationales. Durant les années suivantes, le Commonwealth devait s’efforcer de remédier

à l’inadéquation qui existait entre ses idéaux et les moyens qui étaient à sa disposition pour en

assurer la réalisation.

59

DEUXIÈME PARTIE

Un rôle en recomposition, 1971-1975

60

INTRODUCTION À LA DEUXIÈME PARTIE

Les dernières années du mandat d’A. Smith, qui devait se retirer du poste de Secrétaire

Général en 1975, ont été marquées par une période de stagnation de l’activité du

Commonwealth. De l’étude des archives du Secrétariat sur cette période se dégage un

sentiment de découragement qui semble s’être emparé des acteurs de la crise entre 1971 et

1975. Les tentatives d’inflexion de la crise par les Commonwealth sur la période 1965-71

avaient été vaines, et la maturation d’un nouveau plan d’action se fit attendre. L’émergence de

nouvelles problématiques au niveau international, qui diversifièrent l’attention du

Commonwealth, conjuguée à une certaine lassitude vis-à-vis de la Rhodésie, ne furt

probablement pas étrangère à ce changement. La crise qui consacra la naissance du

Bangladesh en 1971-72, la sortie du Pakistan du Commonwealth en protestation contre sa

reconnaissance par Londres, suivie de son admission au sein du Commonwealth ; l’émergence

de la dictature d’Amin Dada en Ouganda ; ou encore les crises pétrolières de 1973,

comptaient parmi celles-ci179

.

La baisse concomitante de la tension diplomatique entre le Royaume-Uni et les autres

membres du Commonwealth semblait écarter le Commonwealth de son terrain d’activisme

privilégié, et appeler à une réorientation de son action vers ses fonctions traditionnelles. En

réalité, comme le démontre cette deuxième partie, le retrait du Commonwealth à cette période

était lié à une difficulté temporaire à concilier son projet anti-ségrégationniste, tel qu’il avait

été énoncé à Singapour, avec les contraintes qui s’appliquèrent aux acteurs de la crise,

notamment les États de la ligne de front, et qui les poussèrent à leur tour à certaines

concessions au Front rhodésien dans la recherche d’une solution rapide à la crise.

Parallèlement le Secrétariat, de plus en plus conscient des limites, mais aussi des opportunités,

qu’offraient les mécanismes informels du Commonwealth, insuffla une réorientation de

l’activité du Commonwealth, vers une action plus discrète mais, semblerait-il, au final plus

efficace. La période de 1971-1975 fut ainsi celle de la gestation de la future activité principale

du Commonwealth dans les années suivantes, celle des « bons offices », services

d’intercession et d’appui diplomatique officiels ou officieux.

179

SMITH, op. cit., p. 144.

61

Chapitre IV. Neutralisation passagère

« Rejecting coercion as an instrument of policy…180

»

Les chefs de gouvernements du Commonwealth.

Durant le mandat conservateur au Royaume-Uni, de 1970 à 1974, le bilan des relations entre

le Commonwealth et le Gouvernement de sa Majesté, tout mitigé qu’il pût paraître, fut

globalement placé sous de meilleurs auspices que ne l’avait été celui de prédécesseur.

Paradoxalement, cette période d’accalmie eut lieu au moment même où le nouveau

gouvernement du Royaume-Uni se montrait bien moins disposé à souffrir l’immiscion du

Commonwealth dans sa gestion des affaires étrangères, et sourcilleux vis-à-vis de

l’implication d’observateurs multilatéraux, y compris les Nations Unies, dans la crise de

Rhodésie181

.

Les archives du Secrétariat montrent que tout d’abord, de 1970 à 1972, fonctionnaires comme

diplomates du Commonwealth craignaient de voir les Conservateurs chercher à se soustraire

aux engagements pris par les Travaillistes de 1966 à 1969, suite à la reprise des négociations

bilatérales avec I. Smith fin 1971. Une fois ce risque écarté dans le courant de l’année 1972,

en partie grâce à la pression du Commonwealth, ce dernier traversa par la suite une période

d’apathie, voire de contraction sur la scène diplomatique jusqu’à 1974, et eut bien des peines

à infléchir davantage la situation rhodésienne. Quelles étaient les causes de cet essoufflement

passager, tant à l’intérieur du Secrétariat qu’au sein du forum intergouvernemental des chefs

de gouvernements ? Le comportement du Secrétariat face à la reprise des négociations

bilatérales anglo-rhodésiennes en 1971, puis à l’organisation par Londres d’un « test

d’acceptabilité » en Rhodésie en 1972, qui devait permettre d’avaliser la nouvelle

Constitution ainsi négociée, fournit des éléments de réponse à cette question.

Les relations qu’avaient entretenues le Commonwealth avec les Travaillistes en Grande-

Bretagne jusqu’à 1970 étaient loin d’avoir été clémentes ; sous H. Wilson, qui pendant cinq

ans rechercha sans succès une voix médiane entre deux extrêmes irréconciliables, le Front

180

Déclaration des Principes du Commonwealth, reproduite en Annexes, p. 137.

http://www.thecommonwealth.org/shared_asp_files/uploadedfiles/%7B49743C45-C509-4DF0-A51C-

2785B45916AB%7D_singapore.pdf (8/09/10). 181

Minutes de la réunion du Commonwealth Sanctions Committee, 10 décembre 1971, p.1. FG 2004-048.

62

rhodésien et le Commonwealth, la gestion britannique de la crise avait finalement été en partie

subie par Londres. En 1971, il existait cependant des différences qualitatives entre l’approche

des Conservateurs et celle qui avait prévalu chez les Travaillistes, et cela suscitait l’inquiétude

du Secrétariat du Commonwealth.

Des craintes furent tout d’abord exprimées quant aux implications économiques de l’entrée du

Royaume-Uni dans la CEE, qui fut effective en 1973, et de la fin du préférentialisme

commercial au sein du Commonwealth, pour ses pays en voie de développement – craintes

qui avait nourri l’argumentaire travailliste contre la CEE sous le gouvernement d’E. Heath182

.

Les politiques d’immigration des anciens membres – à commencer par celles du Royaume-

Uni, où, suite à l’Immigration Act de 1971, les ressortissants d’origine non-européenne du

Commonwealth cessèrent de pouvoir prétendre à une libre entrée en territoire britannique –

semblaient exposer le relâchement des liens au sein du Commonwealth.

Au cours de la période passée dans l’opposition, nous l’avons vu, le Parti conservateur, libéré

des contraintes diplomatiques du pouvoir, s’était ouvertement prononcé en faveur du Front

rhodésien et contre les sanctions des Travaillistes. Un groupe de réflexion influent représenté

à la Chambre des Communes par un groupe de députés conservateurs, le Bow Group, justifiait

cette position qui se trouvait en tout point opposée à celle du Commonwealth183

. Du point de

vue légal tout d’abord, argumentait-il, l’indépendance rhodésienne ne relevait en aucun cas de

la responsabilité britannique, puisque nulle part dans le droit international ou dans la Charte

des Nations Unies n’était-il établi qu’une colonie avait besoin de l’accord de sa métropole

pour prendre son indépendance - une telle règle, argumentaient-ils, aurait rendu illégale une

immense partie des indépendances, à commencer par celle des États-Unis et de nombreuses

autres colonies 184

! Les Conservateurs, en dépit de la condamnation onusienne du régime

rhodésien depuis l’UDI, comptaient sur certaines lacunes du droit international pour faire

passer la responsabilité de Londres vis-à-vis de Salisbury pour nulle et non avenue. En outre,

ils avançaient que c’était la violence du mouvement nationaliste africain, qui à la fin des

années 1950 avait été responsable d’émeutes au moment même où les négociations entre

Londres et Salisbury voulaient accroître leur représentation, qui était seule responsable de la

rétractation des Européens depuis lors. Enfin, selon le Bow Group, les sanctions économiques,

182

« Statement of the Secretary of State for FOreign and Commonwealth Affairs in the Council of Ministers of

the European Communities in Luxembourg on 1st April 1974 », ASP 2005-136 Britain 1965-1974. 183

Pamphlet du Bow Group, février 1972, ASP 2006-152 Part 1. 184

Ibid., p. 2.

63

par leur impopularité, n’avaient pour effet que de compromettre l’atteinte d’une solution

amiable entre le Front et la Grande-Bretagne185

. Cette panoplie d’arguments pourrait, le

moment venu, permettre d’étayer des décisions qui risquaient d’être difficiles à faire accepter

sur le plan international ; elle influença fortement l’approche conservatrice à la crise. Le

Commonwealth, en 1971, avait donc toutes les raisons de s’inquiéter des implications du

tournant de la politique britannique pour la Rhodésie.

Le premier évènement important qui marqua les relations entre le Commonwealth et le

gouvernement conservateur fut une première tentative, par le FCO, de court-circuiter le

Secrétariat, suite au CHOGM de Singapour. Le 9 novembre 1971, sans consulter le

Commonwealth, le Secrétaire aux affaires étrangères et du Commonwealth, l’ex-Premier

ministre Alec Douglas-Home, annonçait à la Chambre des Communes la reprise imminente

des négociations constitutionnelles avec I. Smith et son intention de se rendre

personnellement en Rhodésie afin pour dialoguer avec des représentants politiques de divers

partis. Le Secrétaire aux Affaires étrangères avait l’intention de s’entretenir avec divers

représentants du paysage politique rhodésien, afin d’être en mesure de formuler une

proposition constitutionnelle satisfaisante pour toutes les parties qui permettrait au pays

d’accéder à une indépendance en toute légalité186

.

Le Secrétariat avait été tenu dans l’ignorance de l’initiation imminente de cette troisième

tentative de règlement constitutionnel entre Londres et le Front rhodésien187

. Cette annonce

impromptue fut accueillie avec surprise et consternation de la part du Secrétariat et du

Commonwealth, pris au dépourvu par ce brusque mouvement de Londres. Le lendemain, le

Secrétaire Général adjoint, E. Anyaoku, lors d’une rencontre avec un membre du département

politique Rhodésie du FCO, faisait valoir que cette procédure était en contradiction avec les

engagements précédents du Royaume-Uni188

. L’adjoint ne cachait pas son agacement : à la

Réunion des Chefs de Gouvernements du Commonwealth de Londres en 1969, le Royaume-

Uni s’était en effet engagé à ce que le Premier Ministre Britannique « [continuât] à consulter

185

Ibid, p. 5. 186

Lettre de CHAMBATI, Ariston, division des Affaires internationales du Secrétariat, à E. Anyaoku, 9

novembre 1971, FG 2004-048. 187

Id. 188

« Record of a meeting between Mr P. Mansfield of the Rhodesia Political Department, FCO, and Mr

Anyaoku, accompanied by Mr Sagar at the FCO », p. 1, ASP 2006-152: Part 2.

64

les membres du Commonwealth sur la question de la Rhodésie 189

», quoique cette formule ne

spécifiât pas selon quelles modalités. Un tel manque de précision quant aux modalités de

l’application des principes adoptés par le Commonwealth en matière d’affaires touchant à la

Rhodésie était instrumentalisé par Londres : minimisant l’enjeu de la visite prévue par son

ministre de tutelle, Londres répondit que le Secrétaire aux affaires étrangères avait

individuellement informé tous les Chefs d’États du Commonwealth de sa décision. En

réponse à une remarque selon laquelle il eut été souhaitable que le Secrétariat fût également

mis au courant, il fit valoir que Londres préférait « communiquer avec les pays du

Commonwealth sur une base bilatérale », au mépris criant du principe tacite de

multilatéralisme de l’association190

.

La rébellion du FCO n’était pas du goût du Secrétariat, qui se voyait cependant démuni de

tout recours, et troublé par sa propre impuissance. Quelques jours après cette entrevue,

diverses communications internes rappelaient, comme pour justifier le bienfondé de

l’indignation du Secrétariat, les engagements pris par H. Wilson de 1966 à 1969 en matière de

consultation du Commonwealth191

. Tentant de rattraper son retard, le Secrétariat s’empressa

de dépêcher un émissaire en Rhodésie - Ariston Chambati, un Zimbabwéen qui travaillait à la

division des Affaires internationales du Secrétariat - afin qu’il l’informât du déroulement de la

visite d’A. Home en Rhodésie, qui commença le 14 novembre192

. Une des impressions qui

ressort de l’examen des archives du Secrétariat sur la période qui fit suite à cet évènement, est

son suivi méticuleux des mouvements du FCO vis-à-vis de la Rhodésie, suivi qui laissait

entendre qu’il n’entendait pas se laisser doubler une nouvelle fois.

L’étendue du réseau du Commonwealth en 1971 est révélée par le contenu des informations

dont il parvint à disposer durant cette visite : tandis qu’aucune information sur les tractations

avec le parti au pouvoir, menées lors des trois premiers jours du séjour d’A. Home, ne

filtrèrent jusqu’au Secrétariat, ce dernier bénéficia au contraire d’un récit détaillé les

rencontres d’A. Home avec des représentants de la population africaine à la toute fin de sa

189

Communiqué final de la Réunion des Chefs de Gouvernements du Commonwealth, Londres, 1969, ASP

2006-141 ; Rapport au Secrétaire Général, « Commonwealth Consultation on H.M.G/Smith Regime Agreement

on termination of UDI », 18 novembre 1971, p. 1-2, ASP 2006-152 Part 2. 190

« Record of a meeting between Mr P. Mansfield of the Rhodesia Political Department, FCO, and Mr

Anyaoku... », op. cit., p. 2. 191

Rapport au Secrétaire Général, « Commonwealth Consultation on H.M.G/Smith Regime Agreement on

termination of UDI », op. cit. 192

CHAMBATI, « Rhodesian Talks », lettre du 24 novembre 1971 à Sagar, p. 2, ASP 2006-152.

65

visite, du 17 au 20 novembre 1971193

. A. Home avait rencontré Joshua Nkomo, le chef de la

ZAPU, le 20 novembre, mais pas celui de la ZANU, le Révérend Ndabaningi Sithole, qui

n’avait pu obtenir de permission de sortie de prison. Le Secrétariat était de même au courant

de memoranda transmis par divers partis politiques, dont certains, y compris celui de N.

Sithole, furent exfiltrés de la prison, à la délégation britannique194

.

Le Secrétariat était ainsi conscient du climat qui régnait parmi les Africains suite à l’annonce

de Home. Selon N. Sithole, rapportait A. Chambati, l’attitude britannique lors de la visite d’A.

Home avait convaincu les Africains que leur avis ne serait pas pris en compte dans la future

proposition constitutionnelle, et que leur consultation n’était qu’un simulacre de

représentativité, ce que le caractère expéditif de la visite de Home avait tendance à confirmer.

La consultation des Africains ne prenait place qu’après qu’un accord eût été trouvé avec I.

Smith. Mi-novembre, il transpirait ainsi que la proposition anglo-rhodésienne, selon les

termes retenus par A. Home et I. Smith, serait validée par un « test d’acceptabilité » conduit

par la Grande-Bretagne auprès de l’opinion rhodésienne, dont les modalités restaient encore

floues195

.

Ainsi informé de la nature de l’accord, dont l’annonce serait imminente une fois A. Home

rentré à Londres le 23 novembre, le Secrétariat chercha à anticiper la stratégie de Whitehall

vis-à-vis du Commonwealth. Un fonctionnaire du Secrétariat, transmettant les informations

qu’il tenait d’un membre du FCO, mit ses supérieurs en garde quant à la manipulation dont le

Commonwealth pourrait faire l’objet, s’il s’avérait que le test d’acceptabilité était positif.

« Des tentatives résolues seraient faites », prévenait le FCO, « pour convaincre et le

Commonwealth, et les autres pays, du besoin de reconnaître l’accord, et ce au regard

conséquences très défavorables qui résulteraient pour le pays et pour les Africains [rhodésien]

d’une non-acceptation de leur part »196

.

Fait étrange, dans les jours qui suivirent, la correspondance entre le Secrétariat avec les

dirigeants du Commonwealth, notamment celui de la Zambie, habituellement abondante en

période de crise, fut pratiquement inexistante, ce qui laisse supposer que le Secrétariat fut pris

de vitesse par l’annonce impromptue de la Proposition anglo-rhodésienne (Anglo-Rhodesian

193

Id. 194

Id. 195

Id. 196

Lettre confidentielle de Sagar au Sécrétaire Général, « Rhodésia », 17 novembre 1971. ASP 2006-152 Part 2.

66

Proposal) le 25 novembre. L’annonce de la Proposition, en l’absence d’aucune nouvelle

consultation du Commonwealth de la part de Londres, ne constitua probablement une surprise

que par sa précipitation, qui la fit rendre publique seize jours seulement après l’annonce de la

reprise des négociations par A. Home. Ses termes précis, en revanche, se conformaient aux

conjectures du Secrétariat.

La Proposition, si ses auteurs affirmaient qu’elle était conçue afin de permettre, à terme,

l’accomplissement des cinq Principes embrassés par H. Macmillan en 1964, ne fixait aucune

limite temporelle pour l’atteinte de ceux-ci197

. Tout en mentionnant l’évolution vers le

gouvernement de majorité défendu par le premier principe, elle n’augmentait le nombre de

sièges réservés aux Africains à la chambre des députés que de deux, faisant passer leur

représentation de 14 à 16 sièges sur 64 et 66. La juriste, professeure de droit et ancienne

députée libérale rhodésienne Claire Palley, qui avait été la seule Européenne élue par le

collège électoral réservé aux Africains sous la Constitution de 1961, et dont les travaux et

analyses devaient continuer à faire autorité en matière d’histoire constitutionnelle

rhodésienne, estimait ainsi que sous ces conditions, un gouvernement de la majorité ne

pourrait pas être atteint avant soixante-dix ans198

.

Peut-être plus crucialement encore pour les parties concernées, la Proposition n’incluait

aucunement l’engagement de NIBMAR, et affirmait même que le respect des cinq principes

et l’acceptation de la Proposition par la population mènerait immédiatement à une

normalisation des rapports entre Londres et Salisbury, c’est à dire à l’indépendance du pays

avant même la tenue des premières élections199

. Selon ces termes, fort de son avantage

électoral dans un système de suffrage censitaire à deux collèges électoraux inéquitablement

représentés, le gouvernement de Smith resterait en place à la tête d’une Rhodésie

indépendante. Londres pourrait ainsi se défaire au plus vite de sa responsabilité envers la

Rhodésie, et lever les sanctions qu’elle lui appliquait. La question complexe de la légalité

d’une telle indépendance, parce qu’elle relevait à la fois du droit britannique vis-à-vis de la

Rhodésie, des colonies, mais aussi du droit international et des normes onusiennes en termes

de reconnaissance de nouveaux États, semblait au demeurant inextricable.

197

PALLEY, Claire, « Blacks’ Best Hope - a majority in 2035 », The Times, 25 novembre 1971, ASP 2006-152

Part 2 ; Voir également PALLEY, Claire, The Constitutional History and Law of Southern Rhodesia, 1888-

1965, With Special Reference to Imperial Control, Oxford : Clarendon Press, 1966. 198

PALLEY, « Black’s Best Hope... », op. cit. 199

Livre blanc Proposal for a Settlement, 25 novembre 1971, FG 2004-048.

67

Le Premier ministre rhodésien, qui jusqu’à 1971 s’était fait un point d’honneur de renier

publiquement les Cinq Principes et le concept de gouvernement de majorité, et d’humilier les

Britanniques par des déclarations provocantes, justifiait son changement de position en

invoquant la voie que celui-ci ouvrait à l’indépendance :

En atteignant cet accord, je crois que nous serons capables de renforcer notre

position comme membres du monde libre, des membres légaux du monde libre,

contrairement à la position actuelle où nous nous trouvons et qui nous rend

incapables de communiquer librement avec le monde libre200

.

Usant d’une rhétorique de Guerre Froide, I. Smith cherchait à acquérir le soutien des membres

occidentaux du Conseil de Sécurité, qui s’étaient abstenus régulièrement de voter en faveur

des sanctions contre la Rhodésie à l’Assemblée Générale. De nombreux membres du

Commonwealth, à l’annonce de la Proposition, émirent contre elle un avis fermement

défavorable fin novembre-début décembre. Sans surprise, ce fut le cas des États africains

traditionnellement impliqués dans la crise, à savoir la Zambie, la Tanzanie, le Botswana, le

Ghana et le Nigéria, mais aussi celui du Canada201

. La proposition était également rejetée par

une partie de l’opinion britannique202

. Le Secrétariat élaborait lui aussi sa propre analyse

critique de la Proposition, principalement sur la base des brêches que celles-ci posait aux

principes que la Grande-Bretagne s’était engagée à respecter devant le Commonwealth en

1964, puis en 1966 et 1969, et dans la Déclaration des principes du Commonwealth de

1971203

.

Le choix de la temporalité de la promulgation de la Proposition illustrait bien l’attitude

défiante de Londres envers le Secrétariat, qu’elle mettait devant le fait accompli tout en

feignant la courtoisie. Ainsi, une copie du Livre blanc de la Proposition, dont il était précisé

qu’elle serait présentée aux Communes le jour-même, fut transmise au Secrétaire le matin de

sa rencontre avec A. Home... recontre prévue l’après-midi même204

. Ce geste laissait entendre

qu’à ce stade, tout comme aux étapes précédentes, aucune possibilité de négociation entre le

200

Ian SMITH, citation dans le Rhodesia Herald, 7 décembre 1971, Africa Bureau Fact Sheet, juin 1972, ASP

2006-152 Part 1. 201

Rapport d’A. CHAMBATI, « Reaction to Rhodesian Settlement Proposal », 7 décembre 1971, ASP 2006-

152: Part 2. 202

Lettre de George CARTER, Independent Labour Parti, 2 décembre 1971, ASP 2004-048. 203

SAGAR, assistant au directeur, division Affaires internationales, « Analysis of 1971 Settlement Proposal and

comparison with earlier constitutions and proposals », 2 décembre 1971, et T.O Kellock, « Rhodesia: Some

comments further to Mr Sagar’s Analysis », 10 décembre 1971, ASP 2006-152: Part 2. 204

Lettre du secrétaire privé d’A. Home à A. Smith, 25 novembre 1971, ASP 2006-152 Part 1. Voir Proposition

anglo-rhodésienne, Annexes, p. 138-141.

68

Secrétariat et le Commonwealth n’était envisageable - le contenu de la réunion n’eut, en tout

cas, aucun effet sur la poursuite de l’agenda britannique205

.

La nouvelle de la Proposition précipita une réunion du Comité des Sanctions du

Commonwealth le 10 décembre 1971. Sans surprise, la Proposition et son test d’acceptabilité

étaient considérés comme inacceptables par de nombreux délégués au Comité, qui

dénonçaient entre autres la non-consultation des Africains et la non-conditionnalité d’une

hypothétique indépendance rhodésienne, l’approche cavalière de la Proposition quant à

l’avancement africain, le climat répressif qui avait prévalu lors des négociations, etc.206

Certains délégués, et notamment le délégué tanzanien, firent part de leur consternation au

délégué britannique, Martin LeQuesne, et prônaient l’inflexibilité des principes du

Commonwealth dans la gestion de la crise rhodésiennne207

. M. LeQuesne, qui avait fait partie

de la délégation britannique en Rhodésie aux côtés d’A. Home quelques semaines plus tôt et

était un maillon privilégié de la communication entre le gouvernement conservateur et le

Secrétariat, défendait quant à lui la position britannique. Il affirma que, s’il comprenait la

position des États africains, l’intention de son gouvernement n’avait jamais été de mettre fin

au régime d’I. Smith, ou d’instituer le principe NIBMAR, mais « d’aider à atteindre un accord

sur la bases des Cinq Principes208

». L’acceptabilité de la Proposition, ajoutait-il, ne serait pas

évaluée par un vote mais par l’envoi d’une Commission qui « voyagerait et rencontrerait des

gens du pays, et ensuite seulement rendrait son jugement209

». Le Comité des Sanctions

concluait qu’il suivrait de près la situation rhodésienne, et enjoignait Londres de le tenir au

courant de la poursuite des évènements en Rhodésie210

.

Tout comme, en 1965-1966, les pays du Commonwealth n’avaient eu d’autre choix que

d’agréer à l’argumentaire britannique vis-à-vis de l’UDI, fin 1971, ils durent accepter,

impuissants, l’envoi de la Commission britannique sur l’Opinion rhodésienne (British

Commission on Rhodesian Opinion), menée par Lord Pearce. Une issue possible - et souhaitée

par Londres - était que la Commission Pearce, comme elle fut dès lors baptisée, donnât un

avis favorable à la Proposition, et ainsi ouvrît la voie à une nouvelle confrontation au sein du

205

Le contenu de cette rencontre n’étant pas renseigné dans les archives du Secrétariat, les archives nationales

britanniques pourraient s’avérer utile sur ce point. 206

Minutes de la réunion du Commonwealth Sanctions Committee, 10 décembre 1971, p. 4-5, ASP 2004-48. 207

Report of the Commonwealth Sanctions Committee 1971-1973, confidentiel, juin 1973, p. 9, ASP 2005-101:

Ottawa Heads of Governments Meeting 1973, Circular Letters. 208

Id., p. 3, ASP 2004-48. 209

Ibid. 210

Ibid.

69

Commonwealth. Avant le départ de la Commission, Arnold Smith tenta tout de même de faire

entendre la voix du Commonwealth en rencontrant Lord Pearce le 6 janvier 1972211

.

De cette entrevue transparaissait une certaine résignation du Secrétaire vis-à-vis de son

incapacité à avoir empêché la promulgation d’une Proposition dont il estimait le mode de

négociation fondamentalement injuste, puisqu’il avait presque entièrement exclu toute

intervention africaine dans le débat212

. Se présentant comme le simple porte-parole du

Commonwealth, il concentra son discours sur les aspects qu’il pensait encore pouvoir

infléchir, à savoir en appeler à son sens de l’équité, de la justice, et de l’impartialité. Il lui

préconisa également la plus grande prudence : les risques, selon A. Smith, résidaient dans les

intimidations et la répression dont les Africains seraient victimes, dans les tentatives

probables du Front rhodésien d’orienter ou de médier les visites de la Commission sous

prétexte de la protéger, ou encore dans la perception par la population d’une partialité de la

part de la Commission. Les connaissances d’A. Smith de situation rhodésienne étaient

manifestement plus poussées que celle de Pearce, puisque c’est par le Secrétaire que ce

dernier apprit que J. Nkomo était détenu depuis 1964 pour des motifs politiques

uniquement213

.

Subrepticement, A. Smith semble avoir tenté d’influencer Pearce en mettant en exergue

l’importance du soutien du Commonwealth pour la santé de la politique étrangère britannique.

Dans le cas d’une conclusion positive de la Commission, laissait-il entendre, l’acceptation

britannique de l’indépendance de la Rhodésie la placerait dans une situation impossible. Au

vu du nombre considérable d’États hostile au régime d’I. Smith et aux termes de la

Proposition au Commonwealth et à l’Assemblée générale des Nations Unies, le régime

n’obtiendrait pas la reconnaissance internationale, et serait exclu des autres organisations

gouvernementales214

. Pearce, visiblement surpris par la rhétorique d’A. Smith, semblait

disposé à prendre en compte ces remarquess215

.

Parmi les employés du Secrétariat, l’argument de la non-viabilité d’une Rhodésie

indépendante était avancé avec moins de confiance que devant un auditeur à convaincre. Bien

211

Lettre d’A. SMITH, « Rhodesia », 24 janvier 1972, ASP 2006-152 Part 2. 212

Ibid. 213

« Record of Meeting of Lord Pearce and Secretary General, 6 January 1971 », p. 5. FG 2004-48 214

Id. ; et lettre du Secrétaire Général aux Hauts Commissaires au Commonwealth, 26 janvier 1972, ASP 2006-

152 Part 2. 215

Id.

70

qu’A. Smith exprimât sa confiance dans le respect par Londres d’éventuelles conclusions

négatives de la Commission, l’inquiétude fut palpable au Secrétariat durant les premiers mois

de la mission Pearce, comme en attestent les réunions conviées entre divers hauts

fonctionnaires du Secrétariat en janvier et février 1972, et durant lesquelles on spécula quant

aux possibles issues de la Commission216

.

Pourtant, face au rejet manifeste de la Proposition par la population africaine, rejet massif

relayé par les médias internationaux dans les mois qui suivirent, ces inquiétudes devaient

bientôt se dissiper pour laisser place à une réorientation de l’activité du Secrétariat217

. Le

rapport de la Commission Pearce, dont les conclusions, opposées à la poursuite de la

Proposition, furent publiquement communiquées par A. Home le 23 mai 1972, créa la plus

grande surprise chez les observateurs internationaux de tout bord, en sus d’un agacement

manifeste de la part du pouvoir britannique, qui avait prédit que cette proposition serait la

dernière chance de trouver une solution à la question rhodésienne218

. Le rapport rendait acte

de l’opposition massive de la population africaine aux termes de la Proposition anglo-

rhodésienne. Il rendait également compte de l’intense activité politique que suscita la

Proposition. En janvier, un nouveau parti fut créé par un nouveau venu sur la scène politique

rhodésienne, l’évêque Muzorewa. Son African National Council (ANC), porté par des slogans

de non-violence et par un acronyme qui faisait écho au parti emblématique du Sud-Africain

Nelson Mandela, avait été créé, avec pour mot d’ordre le rejet de la Proposition219

. Ce parti

devait connaître un rôle central dans l’évolution de la crise de Rhodésie pour les années

suivantes. Parallèlement, l’échec de la Proposition devait raviver les mouvements

nationalistes, dont l’action végétait depuis l’emprisonnement de leurs leaders, en 1964, et

l’exil de leurs militants220

. La reprise de la guérilla par la ZANU et la ZAPU, qui devait

s’intensifier constamment jusqu’à la fin de la crise, fut un facteur supplémentaire à prendre en

compte dans l’analyse de la situation rhodésienne par Londres, les pays du Commonwealth, et

le Secrétariat.

216

Rencontre entre A. Smith et J. Carter, président du Commité des Sanctions du Commonwealth, 16 Mars 1972,

p. 2, FG 2003-053 Representation by Rhodesian leaders ; Rencontre entre E. Anyaoku et J. Carter, 2 mars 72 ;

lettre de Sagar à Anyaoku, 21 jan 1972, FG 2004-48. 217

ELLERT, op. cit., p. 15. 218

Report of the Commonwealth Sanctions Committee 1971-1973, confidentiel, présenté à la Réunion des Chefs

de Gouvernements d’Ottawa, juin 1973, p. 10, ASP 2005-101. 219

Notes préalables à la rencontre d’A. Smith avec deux « groupes politiques rhodésiens », non daté, c. mai

1972, ASP 2006-152 Part 1. 220

BHILA, PATEL, op. cit., p. 451.

71

Le Rapport Pearce consacra en outre un sentiment de jubilation chez le Commonwealth, qui

n’en fut pas moins relativement inactif dans la période de trois ans qui lui succéda. Dans ses

mémoires, A. Smith parle d’une « pause politique » qui succéda au Rapport Pearce au sein du

Commonwealth, tout en affirmant que ses membres se concentrèrent à cette période sur la

construction de « l’avenir du Zimbabwé 221

» par le biais des programmes de formation des

zimbabwéens. On peut émettre un certain nombre d’interprétations quant aux raisons du

changement d’attitude du Commonwealth au cours de cette période. De 1966 à 1971, le

Commonwealth, militant, et fédéré autour d’un Secrétariat souvent enclin à appuyer

discrètement les positions africaines, avait prouvé son incapacité à amener une solution rapide

au conflit. La sentence d’inutilité du Commonwealth qui fut parfois prononcée contre lui était

cependant difficile à soutenir empiriquement, puisqu’il était raisonnable de penser qu’en

l’absence de pression du Commonwealth, le Royaume-Uni aurait peut-être reconnu le régime

d’UDI et se serait débarrassé de la question de Rhodésie222

.

Après 1972, sa discrétion était-elle simplement due à une absence prolongée d’opportunités

d’infléchir la situation rhodésienne ? Ou bien, à l’aune du succès limité de sa politique de la

période 1965-1972, les décideurs du Commonwealth, A. Smith en premier lieu, en avaient-il

conclu que l’orientation qu’ils avaient insufflée au Secrétariat était peut-être en partie

contreproductive ? Et de là, en déduisirent-ils qu’il était de l’intérêt général, y compris de

celui des Africains de Rhodésie, de se mettre en retrait sur la scène internationale pour œuvrer

plus discrètement ? C’est ce que l’activité du Secrétariat après mi-1972, qui fait l’objet du

chapitre suivant, laisse supposer. Toutefois, cette réorientation prenait les dehors d’un

véritable recul sur la scène internationale, et plus particulièrement à l’occasion des Réunions

des chefs de gouvernements qui se tinrent jusqu’à la démission d’A. Smith en 1975.

La période de 1973 à 1975 fut ainsi marquée par une raréfaction des thèmes et des actions liés

à la Rhodésie au sein du forum des chefs de gouvernements. Un climat de détente semblait

s’installer au sein du forum intergouvernemental du Commonwealth, tandis que deux

nouveaux sujets semblaient en passe d’en dominer l’actualité, l’entrée du Royaume-Uni dans

la Communauté économique européenne (CEE) le 1er janvier 1973 d’une part, qui posait la

question du démantèlement du système préférentiel du Commonwealth, et la question de

221

SMITH, op. cit., p. 227. 222

Id.

72

l’expulsion des ressortissants britanniques et asiatiques par le dictateur Idi Amin Dada en

Ouganda, pays membre du Commonwealth223

.

Ce dernier point était cependant potentiellement délétère pour l’harmonie retrouvée du

Commonwealth. A. Smith, soucieux de conserver la bonne entente qui semblait régner à

nouveau en son sein au lendemain du Rapport Pearce, semblait presque tenté d’aider Londres

à améliorer ses relations publiques en vue du sommet des chefs d’États de 1973, en

l’enjoignant à la retenue dans sa condamnation d’Amin. Ainsi, lors d’une conversation entre

un fonctionnaire du Secrétariat et le sous-secrétaire adjoint au Secrétaire aux affaires

étrangères au sujet de la préparation du CHOGM d’août 1973 et de la présence éventuelle

d’Amin, ce premier observait :

[...] que le problème dépendait de la Grande-Bretagne, et qu[’il]

espérai[t] que Mr Heath et le Secrétaire aux affaires étrangères, dans ce qu’ils

diraient, garderaient à l’esprit la nécessité de se retenir de condamner Amin -

il était évident qu’aller trop loin serait contreproductif, puisque cela

obligerait certains leaders africains à défendre Amin224

.

Le changement de la nature des relations au sein du Commonwealth était reflété par

l’évolution des agendas des CHOGM entre 1971 et 1973. L’un des axes principaux des

Réunions des Chefs d’États, depuis l’époque des Conférences impériales, était la discussion

« franche et ouverte des tendances mondiales225

» au sein des relations internationales et du

Commonwealth. Lors des Réunions qui s’étaient tenues entre 1964 à 1971, le sujet de

l’Afrique australe, puis de la Rhodésie, avaient constitué des sous-thèmes récurrents. Si cette

caractéristique se retrouvait dans l’agenda d’Ottawa, le sujet de la Rhodésie était pour la

première fois relégué derrière les questions génériques liées à la « dynamique changeante de

l’équilibre politique du monde » et à ses implications économiques226

. Cette évolution

satisfaisait visiblement les Britanniques ; lors d’une rencontre entre A. Home et A. Smith, ce

premier assurait ainsi que l’agenda lui semblait « pas mal », et qu’« à son avis, la période de

« conflit mortel au sein du Commonwealth était terminée227

». Le gouvernement britannique,

223

Compte rendu de l’assistant au Secrétaire Général adjoint (économique), R. H. WADE : « Note for File », 14

mai 1973, ASP 2005-136. 224

Id. 225

Communiqué final de la Réunion d’Ottawa, Ottawa, ASP 2005-101. 226

On pensera notamment à l’évolution des relations sino-états-uniennes, à celle de la guerre du Vietnam et à

l’émergence du « nouvel ordre économique international ». cf. « HGM Ottawa Draft Agenda », 15 juin 1973,

ASP 2005-101. 227

« Record of a Meeting between the Secretary-General and Alec Douglas Home », 18 juillet 1973, ASP 2005-

136.

73

non content d’échapper aux habituelles critiques, pouvait même légitimement se poser en

victime d’un État africain, l’Ouganda, avec le soutien discret du Secrétariat : A. Smith avait

écrit à I. Amin pour lui faire part de sa consternation quant aux expulsions de Britanniques228

.

Le CHOGM de Singapour, qui de mémoire de Secrétaire Général fut le plus tendu des

CHOGM qu’il avait connus, fut ainsi suivi deux ans plus tard par un CHOGM à l’ambiance

incommensurablement plus sereine229

. Le rapport biennal du Comité des Sanctions du

Commonwealth était lui-même relativement consensuel : évitant toute polémique quant à la

tentative anglo-rhodésienne de 1971-72, le Comité mettait l’accent sur un fait crucial :

immédiatement après le Rapport Pearce, la Grande-Bretagne avait accepté que toute solution

devrait nécessairement impliquer des négociations entre « toutes les races » en Rhodésie230

.

Les évènements de 1971-1972 avaient donc consacré un changement qualitatif l’approche

britannique à la gestion de la crise de Rhodésie.

Des divisions entre les États de la Ligne de Front, qui avaient réaffirmé leur soutien aux

Unions zimbabwéennes après la reprise de la guérilla en 1972, et les partisans de l’ANC, qui

s’était fait l’apôtre de la non-violence et d’une solution constitutionnelle à la crise,

transparaissaient toutefois dans le rapport. Tandis que le rapport s’étendait longuement sur la

création et l’agenda politique de l’ANC, il s’inquiétait par ailleurs de l’aggravation de la

situation sécuritaire en Rhodésie, évoquant le durcissement de la répression par le régime du

Front231

. Il se gardait cependant de mentionner que ce durcissement avait lieu, en partie, en

réponse à la reprise de la guérilla après 1972 par la ZANU et la ZAPU soutenues par les États

de la ligne de front, ce que désapprouvait Londres232

.

Le communiqué final de la Réunion d’Ottawa reflétait en partie ces divisions. Certes,

l’atteinte d’un consensus majeur, qui reconnaissait la « légitimité de la lutte pour acquérir la

totalité des droits de l’homme et l’autodétermination233

» en Afrique australe marquait une

rupture dans le ton du Commonwealth, jusqu’alors trop divisé pour imposer un discours aux

accents si radicaux. Aucune référence explicite n’était toutefois faite à la lutte armée, à

laquelle ni Londres ni l’ANC ne souscrivaient. Par ailleurs, l’approche respective des

228

Lettre d’I. Amin à A. Smith, 30 septembre 1972, ASP 2005-136. 229

SMITH, op. cit., p. 228. 230

« Report of the Commonwealth Sanctions Committee », 1971-1973’, ASP 2005-101. 231

Id. 232

Id. 233

« Final communique », Réunion des chefs de gouvernements d’Ottawa, 2005-101.

74

membres, qui s’accordaient dans le communiqué pour condamner les régimes d’apartheid

d’Afrique australe, et s’engageaient collectivement à apporter toute « l’aide humanitaire »

qu’ils pouvaient aux défenseurs du rétablissement des droits de l’Homme, étaient loin d’être

devenue uniforme - la Grande-Bretagne craignant le détournement de l’aide à des fins

militaires234

. À Ottawa, anecdotiquement, fut abordée pour la première fois l’idée d’une force

d’occupation du Commonwealth en Rhodésie, idée qui devait être réutilisée en 1979 lors des

négociations d’indépendance du pays235

.

Jusqu’à la Réunion des chefs de gouvernements suivante, qui se tint à Kingston en 1975, et où

la priorité était à nouveau donnée à la crise rhodésienne, dans un contexte cependant

beaucoup plus prometteur, les interventions publiques du Commonwealth vis-à-vis de la

Rhodésie se firent plus rares, mais aussi plus consensuelles. Un point en particulier fut laissé

en suspens, la problématique liée à l’inefficacité relative de sa politique de sanctions. Tout au

long de la crise, et plus particulièrement au cours de sa première décennie (1965-75), durant

laquelle on attendait en vain leurs effets sur le régime d’UDI, leurs contournements

systématiques constituaient un sujet particulièrement sensible. La ligne officielle du

Commonwealth, affirmée par les rapports successif du Comité des Sanctions, et en adéquation

avec l’argumentaire Travaillistes au Royaume-Uni, était que les sanctions entravaient

réellement le régime et l’affaiblissaient de plus en plus236

. En 1973, le Commonwealth n’avait

pu manquer de noter que les sanctions n’avaient ni eu l’effet immédiat escompté en 1965-66,

ni même ne semblaient efficaces sur le long terme237

. Leur manque d’efficacité, selon

l’analyse du Comité des Sanctions tout au long de la crise, était dû à la difficulté de les faire

appliquer de manière infaillible et uniforme, ce pour quoi il convenait de redoubler

d’efficacité dans la coopération avec les divers organismes compétents - les Nations Unies en

premier lieu238

.

Une autre analyse contemporaine consistait au contraire à dire que les sanctions étaient

parfaitement inutiles du point de vue de leur effet dissuasif ou contraignant sur le régime, qui

234

Id.. 235

SMITH, op. cit., p. 228. 236

« Report of the Commonwealth Sanctions Committee », 1971-1973, ASP 2005-101 ; « Report of the

Commonwealth Sanctions Committee, 1973-1975 », ASP 2006-141 Part 2. 237

J.M. Ndlovu, division Politique : Analyse du régime d’I. Smith en 1973 par la division Politique du

Secrétariat, transmise par son Directeur D. Sagar au Secrétaire Général et à son adjoint, 20 décembre 1973, FG

2004-048. 238

« Report of the Commonwealth Sanctions Committee », 1971-1973, ASP 2005-101

75

n’avait qu’à trouver des subterfuges pour les contourner239

. Elles n’auraient en sus eu d’autre

effet que d’attiser un sentiment de rancune chez les Européens, de populariser le discours du

Front rhodésien et de radicaliser les franges de la société blanche auparavant modérées240

.

L’ambiguïté de cet argumentaire était qu’il avait été utilisé tant par les partisans

internationaux d’une ligne plus dure contre I. Smith - les chefs d’États africains du

Commonwealth en 1965 par exemple, que plus tard par les défenseurs, rhodésiens et

internationaux, d’une acceptation immédiate de l’indépendance du régime, tels le Bow

Group241

.

L’insertion de la Rhodésie dans le commerce international était au demeurant visible : en

1971, suite à l’Amendement Byrd voté par le Congrès, les États-Unis avaient repris leurs

importations de chrome rhodésien242

. La France figurait parmi les premiers fournisseurs

d’armes au régime243

. L’Afrique du Sud et le Mozambique portugais, les seuls régimes qui

avaient toujours refusé d’appliquer les sanctions contre la Rhodésie, et étaient eux-mêmes

sous le coup de sanctions onusiennes, servaient depuis 1965 de principaux partenaires

commerciaux de la Rhodésie, notamment en matière d’approvisionnement en énergie244

. Ils

participaient en outre à l’exportation de produits rhodésiens, qui transitaient exclusivement

par leurs territoires, en couvrant la falsification de l’origine de stocks de marchandises

rhodésiennes, interdits au commerce international, ou encore en fermant les yeux sur des

documents d’exportation factices produits par les services secrets rhodésiens, en connivence

avec la classe industrielle du pays245

.

Le Commonwealth, à une période où ces constats dérangeants rappelaient des souvenirs trop

frais de menace à son unité, préféra-t-il après 1972 entretenir le silence sur certains sujets

fâcheux, quitte à se détourner des intérêts africains en Rhodésie ? Une chose est certaine, les

sanctions devaient être une constante non-négociable du Commonwealth pour toute la durée

de la crise. L’éventualité de la levée de sanctions par Londres, en 1971 comme en 1979,

déclencha systématiquement les protestations scandalisées du Commonwealth.

239

Lettre d’un ingénieur français (nom illisible) au Secrétaire Général, 28 décembre 1972, ASP 2006-152 Part 1. 240

Id. 241

Pamphlet du Bow Group, op. cit., ASP 2006-152 Part 1. 242

JOUANNEAU, p. 94. 243

SMITH, op. cit., p. 201. 244

CHAMBERLAIN, op. cit., p. 72. 245

ELLERT, op. cit., p. 126.

76

Comme on le constate, suite au CHOGM de Singapour, l’activité diplomatique du

Commonwealth sembla connaître un ralentissement. Paradoxalement, c’était donc au moment

même où Londres reconnaissait la nécessité d’une solution multilatérale à la crise, suite à

l’échec de la Proposition anglo-rhodésienne, que le Commonwealth se montra comme

soudain dépourvu d’un plan d’action. Cependant, cette paralysie ne faisait-elle que rendre

évident le chiasme qui existait, depuis sa création, entre l’ambition illimitée du

Commonwealth multilatéral - le Commonwealth d’après 1965 - et les moyens limités qui

étaient à sa disposition ? Si l’effervescence des années 1965-71 avait permis de masquer, par

l’abondance du discours, les insuffisances des actes, l’essoufflement des disputes en 1972

exposait pleinement la vacuité des actions du Commonwealth. La raréfaction relative du sujet

de la Rhodésie dans la correspondance du Secrétariat entre 1972 et 1975 avait tendance à

confirmer ces difficultés. D’autres explications complémentaires peuvent toutefois s’ajouter à

cette interprétation, comme nous allons le voir dans le chapitre suivant.

Cependant, la montée en puissance du Commonwealth après 1975 laisse présumer que, en

raison ou en dépit d’hésitations passagères, l’association fut contrainte de renouveler son

approche à la crise afin d’y maintenir son influence. Les procédés par lesquels une telle

adaptation fut peu à peu envisagée font l’objet du chapitre suivant.

77

Chapitre V. Un retrait stratégique

« Whether your optimistic assessment [of the Commonwealth’s future ] is right or wrong will not

make the slightest difference246

. »

Edward Heath à Arnold Smith.

Nous avons vu qu’après 1972, le Commonwealth devait se mettre à œuvrer avec une plus

grande discrétion. Ses décideurs avaient-ils atteint la conclusion que plus ils s’obstineraient

dans la confrontation avec la Grande-Bretagne, plus celle-ci risquait d’opter pour une fuite en

avant qui desservait les intérêts des Africains rhodésiens, des États du Commonwealth, mais

aussi qui décrédibilisait son Secrétariat ? Le Commonwealth prit-il acte de ses échecs, dans

l’élaboration de nouvelles politiques ? Au vu de la nouvelle ascension diplomatique que

connut le Commonwealth vers la fin du mandat d’A. Smith, suite à une série d’évènements

d’origine extérieure au Commonwealth qui bouleversa le cours de la crise rhodésienne en

1974-75, il semble en effet probable que la discrétion passagère du Commonwealth relevait

d’un plan de retraite stratégique dans le domaine de la diplomatie frontale, et de

redéploiement de son activité dans les domaines où son histoire lui conférait le plus

d’expérience - à savoir la diplomatie informelle. La multiplication de ses échanges avec les

mouvements de libération rhodésiens durant cette période confirmait cette impression.

Cependant, cette réallocation de son activité eut-elle lieu de sa propre initiative, ou bien

s’agissait-il pour le Commonwealth d’un choix par défaut, d’un simple consentement à

répondre à des sollicitations extérieures qui orientèrent ses opportunités futures ? La

validation de l’une ou l’autre de ces hypothèses, ou l’éventuelle mitigation de ces deux

dynamiques, l’une active et l’autre passive, permettra de mieux comprendre le processus de

réforme du Commonwealth au cours des années 1970. Ce chapitre cherche à examiner ces

différentes possibilités.

L’annonce de la Proposition anglo-rhodésienne, on l’a vu, avait visiblement irrité le

Secrétariat, et semble avoir été considérée comme un enseignement quant aux mesures de

prudence, de vigilance, voire de méfiance à adopter vis-à-vis du nouveau gouvernement

britannique. La conscience des obstacles que posait l’hostilité de Londres au Commonwealth

246

« Note on a conversation between the Commonwealth Secretary-General and the Rt. Hon. Edward Heath, 29

june 1973 », ASP 2005-136.

78

devait être un des facteurs qui motivèrent le recentrage du Secrétariat sur sa mission

première, à savoir promouvoir la communication et la circulation d’informations entre les

membres, après 1972. Tout d’abord, il importait de se maintenir informé, dans la mesure du

possible, des évolutions dans l’approche britannique. Les contacts réguliers entretenus entre

Wade et M. LeQuesne participaient de cette stratégie247

.

Par ailleurs, puisque Londres se montrait peu coopérative, il était dès lors logique que le

Secrétariat cherchât à se ménager lui aussi des canaux exclusifs en rapport à la crise de

Rhodésie. Pour cela, il privilégia deux stratégies. L’une était l’amélioration de ses ressources

en termes d’informations et de renseignements sur la situation rhodésienne, par le biais d’une

correspondance avec des observateurs variés, internes et externes, de la crise ; l’autre était

l’ouverture de relations diplomatiques, dans des termes plus ou moins formels, avec des partis

rhodésiens.

De manière générale, le Secrétariat semblait pourtant manquer cruellement d’informations de

première main, et dépendre excessivement de la presse. L’abondance d’informations

recueillies indirectement sur la Rhodésie, notamment par la collection de nombreux articles de

presse et coupures de journaux, en témoignait248

. En 1972, il semblait que le Secrétariat

prenait seulement conscience de l’immaturité et de l’inadaptation de ses systèmes de

renseignements. Ce constat était particulièrement préoccupant à la veille de l’envoi de la

Commission Pearce, dont l’annonce l’avait pris au dépourvu. Durant celle-ci, outre l’envoi sur

place d’un de ses collaborateurs, il s’efforça de multiplier ses contacts avec un réseau

éclectique d’informateurs, allant des fonctionnaires internationaux, à de simples particuliers,

résidents rhodésiens ou du Commonwealth249

. Le Secrétariat entendait mettre à contribution

un tissu politique déjà existant au sein des pays du Commonwealth : tout autour du monde, les

organisations qui s’intéressaient, ou militaient contre le régime d’I. Smith et contre

l’éventuelle connivence de leurs propres concitoyens avec lui - dans le cadre du

contournement des sanctions - étaient pléthores, et semblaient tout disposées à partager leurs

analyses avec le Secrétariat.

247

Les contacts réguliers entretenus entre Wade et M. LeQuesne participaient de cette stratégie. Voir WADE,

« Note for file », 14 mai 1973, ASP 2005-136, et « Note for file: Rhodesia », 12 février 1974, ASP 2006-152

Part 1. 248

Voir entre autres John VORRAL, « The 400 Forgotten Men of Rhodesia », Gemini News Services, 2008, FG

2003-053 ; Interview anonyme de Roy Wellensky sur la Proposition anglo-rhodésienne, 1971 Gemini News

Services, ASP 2006-152 Part 2 ; Articles par le correspondant à Salisbury du Guardian, Patrick Keatley (ex. :

« Legally a Sovereign State », The Guardian, 3 novembre 1973) ASP 2006-152 Part 1. 249

CHAMBATI, « Rhodesian Talks », lettre du 24 novembre 1971 à Sagar, p. 2, ASP 2006-152 Part 2.

79

Tout au long des années 1972-75 et au-delà, il devait renforcer ainsi ses liens avec d’autres

organisations nationales et internationales et autres groupes de pression qui avaient un lien

avec la crise de Rhodésie. Cette tendance est visible dans sa correspondance, entre autres,

avec l’International Defence and Aid Fund, une organisation humanitaire non-

gouvernementale au statut consultatif au Conseil économique et social (ECOSOC) de l’ONU,

qui avait pris sur elle de venir seconder l’ANC dans ses démarches légales pendant la période

du « test d’acceptabilité », et d’examiner les conditions de la tenue de l’enquête menée par

l’équipe de Lord Pearce250

. De même on peut citer ses échanges avec le département de

Sciences politiques de l’Université de Carleton au Canada, spécialisée dans l’observation

d’élections et qui proposait son analyse de la méthode du « test d’acceptabilité »251

. Des

sources privilégiées d’information furent les conseils d’Eglises, très présents en Rhodésie et

en Grande-Bretagne ; une autre fut divers mouvements militants des droits de l’Homme, et

autres campagnes252

. Chacun de ces interlocuteurs, tout comme l’enquête Pearce, devaient

témoigner du rejet massif de la Proposition par la population africaine, bien qu’ils salutassent,

pour certains, certains points positifs de celle-ci, tel le Bill of Rights qu’elle incluait253

. Ils

permettaient au Secrétariat de reconstruire une réalité intersubjective de la situation

rhodésienne, qui s’ajoutait aux connaissances qu’il tenait directement de ses propres sources,

ou encore des États de la ligne de front. Point non négligeable, il destinait ces informations à

son usage exclusif, sauf dans les cas où il jugeait opportun de les communiquer au Comité des

Sanctions du Commonwealth : cette activité participait donc de l’autonomisation politique du

Commonwealth. Un tel projet ne risquait-il cependant pas de se heurter à la réticence de

certains pays membres, la Grande-Bretagne en premier lieu ?

Au demeurant, la diffusion de ces informations parmi les membres du Commonwealth - qui

était à l’origine le rôle premier du Secrétariat - s’avérait problématique sur deux points. D’une

part, l’initiative du Secrétariat d’entrer en contact avec des organismes politiques pouvait être

vue comme outrepassant ses fonctions, telles qu’elles avaient été édictées dans l’Agreed

Memorandum de 1965. D’autre part, une part significative de sa correspondance concernait

les contournements de sanctions par des ressortissants du Commonwealth, et constituaient

250

Lettre de John Collins, Président du International Defence and Aid Fund, au Secrétaire Général, 3 août 1972,

ASP 2006-152 Part 1. 251

Lettre de Peter McGregor, Président du WUSA, 25 juin 1973, FG 2004-050 Rhodesia Correspondence with

public and organisations. 252

Lettre du Christian Council of Rhodesia, 30 décembre 1971 ; Lettre du British Council of Churches, 6 janvier

1971, ASP 2006-152 Part 2 ; Lettre de John Collins, Président du International Defence and Aid Fund, le 3 août

1972, p. 2-3 ASP 2006-152, Part 1. 253

Lettres du Christian Council of Rhodesia, 30 décembre 1971, ASP 2006-152 Part 2.

80

ainsi autant d’informations sensibles. Le Secrétaire Général adjoint lui-même, en 1973, finit

par protester contre la tendance à l’excès qui s’était installée, en vertu de laquelle des

organisations tous azimuts lui faisaient parvenir des lettres de dénonciations relatives

contournements des sanctions par leurs gouvernements et concitoyens respectifs, demandant

leur circulation au sein du Commonwealth par le biais du Secrétariat254

. Selon E. Anyaoku,

faire circuler ces lettres, qui étaient assimilées à des mouvements d’opposition, comme cela

avait été fait à plusieurs reprises, en dehors du cadre qui leur était alloué lors des Réunions

des Chefs de Gouvernements, n’allait pas sans irriter les gouvernements en place, et ainsi

risquer de semer ainsi une discorde malvenue au sein du Commonwealth255

. On l’a vu, ces

dénonciations, qui jalonnaient par ailleurs la presse, reflétaient pourtant une tendance bien

réelle : celle du contournement systématique des sanctions onusiennes par le régime

rhodésien256

.

Un second et important remaniement dans l’activité du Secrétariat vis-à-vis de la Rhodésie fut

l’ouverture du dialogue avec des acteurs directement impliqués dans la crise de Rhodésie.

Les archives attestent qu’une des activités principales du Secrétariat après 1972 consista en

une succession effrénée de rencontres avec des représentants des partis rhodésiens opposés au

Front, et plus particulièrement ceux de l’ANC257

. Les contacts que le Secrétariat entretint à

cette époque avec l’ANC furent constitutifs de sa nouvelle approche à la crise de Rhodésie.

Bien que ce parti, qui était né spontanément en réaction à la Proposition sous l’égide d’un

ambitieux inconnu, l’évêque Muzorewa, fisse alors figure de curiosité dans le paysage

politique et social rhodésien, il devait très vite occuper une place centrale dans la crise.

D’aguérissant très vite aux ficelles de la politique internationale, et il est manifeste qu’il

254

Lettre d’E. Anyaoku à A. Smith, 28 juin 1973, au sujet d’une lettre de dénonciation par le groupe australien

WUSA addressée au Secrétariat, 25 juin 1973 FG 2004-050. 255

Id. 256

ELLERT, op. cit., p. 124. 257

« Secretary General sees Bishop Muzorewa » Communiqué de presse, 8 février 1972 ; « Record of the

meeting between Vice-Chairman Rev. C. Banana of Rhodesia’s ANC and the Secretary-General at Marlborough

House », 3 mai 1972 ; « Record of meeting of the ANC Mr. B Muparadzi and Mr. A. McAdam and the

Secretary-General at Marlborough House », 28 juin 1972, dans le dossier Fonds général (FG) 2003-53;

« Record of Meeting between a group of ANC supporters, Mr M. Chenga and Mr J. Moyo and Mr S. Ngubo at

Marlborough House », 14 juin 1972, ASP 2006-152 Part 1 ;

« Note of a Meeting between M Mlambo, M. Mawema of the ANC and Mr Sagar, Mr McDowell and the

Undersigned at Marlborough House on 24 July 1972 », 27 juillet 1972, dans le dossier FG 2007-005 Records of

Conversations between Secretary-General and Commonwealth and Non-Commonwealth Governments

Representatives.

« Record of a Meeting between the Secretary-General and Members of the ANC, Mr E. Zvobgo, Mr E Mlambo,

Mr. F. Ziyambo, Mr M. M. Chenga and Mr. F Nehavati at Marlborough House on 28 July 1972 », dans le

dossier FG 2004-49 Rhodesia Internal Affairs.

81

voyait dans le Commonwealth un moyen comme un autre d’obtenir une audience

internationale la plus large possible.

Au cours de la première rencontre qui eut lieu entre A. Smith et le vice-président de l’ANC, le

Révérend Banana, qui était en visite à Londres et par ailleurs à la tête de la campagne

britannique Rhodesia Emergency Campaign Committee, ce dernier affirmait :

[...] que la mission actuelle de l’ANC était d’essayer de convaincre le

Gouvernement britannique que la seule option raisonnable à adopter quant à la

question rhodésienne était la convocation d’une conférence constitutionnelle où le

parti au pouvoir, le Front rhodésien, et l’ANC, seraient tous deux représentés.[...]

L’ANC ne voyait pas d’inconvénient à ce que le Parti centriste, ou un autre groupe,

soit représenté à une conférence constitutionnelle [...]258

.

L’ANC considérait de toute évidence que le rapport Pearce avait fait naître un moment

propice pour tenter de précipiter une conférence constitutionnelle, où il pourrait transformer

ce qu’il considérait comme sa victoire contre la Proposition en une nouvelle victoire, plus

prometteuse encore, puisqu’électorale. Bien qu’A. Smith, dans la même entrevue, n’avançât

que le moment était mal choisi, au vu de l’évident blocage et du durcissement du Front suite

l’échec de la Proposition, les visites répétées de l’ANC à Marlborough House pouvaient être

vues comme autant de tentatives africaines de se servir du Commonwealth comme levier pour

influencer la Grande-Bretagne, tout comme le reste de son activité diplomatique et médiatique

semblait indiquer259

.

Dans une certaine mesure, l’ANC se méprenait sur la nature des relations que le Secrétariat

entretenait avec Whitehall. Cependant il n’était pas déraisonnable de sa part de penser qu’en

réitérant ses visites au Secrétariat, il aurait une chance de faire connaître ses intentions par

autant de pays du Commonwealth que possible. L’ANC semblait ainsi considérer le

Commonwealth comme un amplificateur potentiel d’une requête qu’il souhaitait porter devant

la communauté internationale. À l’occasion d’une visite de représentants de l’ANC à

Marlborough House le 24 juillet 1972, fut présenté au Secrétaire Général le brouillon d’une

résolution que l’ANC comptait porter devant l’Assemblée générale des Nations-Unies lors

258

« Record of the meeting between Vice-Chairman Rev. C. Banana of Rhodesia’s ANC and the Secretary-

General at Marlborough House », 3 mai 1972, FG 2003-053. 259

« Record of the meeting between Vice-Chairman Rev. C. Banana of Rhodesia’s ANC and the Secretary-

General at Marlborough House », 3 mai 1972, FG 2003-053 ; discours Muzorewa à l’Université d’Oxford, 7

février 1972, FG 2004-050.

82

d’une visite imminente à New York260

. Cette résolution appelait la communauté internationale

à imposer le blocus du port de Lourenco Marques, au Mozambique, en sus de celui du port

mozambicain de Beira, qui avait été imposé par le Conseil de Sécurité en 1966, et qui était lui

aussi connu pour servir de ports d’approvisionnement en pétrole à la Rhodésie261

.

Les contacts qu’entretinrent l’ANC et le Secrétariat en 1972-73, s’ils étaient intéressés de part

et d’autre, leur étaient mutuellement bénéfiques : l’ANC disposait ainsi d’une plateforme

internationale, tandis que le Secrétariat, en perte de vitesse, y voyait une occasion de

réaffirmer – et peut-être de se prouver - la pertinence de son implication dans la crise

rhodésienne.

Le Secrétariat, cherchant peut-être à écarter tout soupçon de favoritisme envers l’ANC,

continuait par ailleurs à rencontrer et à communiquer avec divers autres partis et individus

impliqués en Rhodésie. Il entendait ainsi continuer à se tenir informé et à entretenir une

correspondance avec divers partis plus ou moins importants, tels le Parti centriste rhodésien

(Rhodesian Centre Party), à dominante européenne, ou encore l’obscure National Union of

Voters, dont les demandes de fonds douteuses rebuta cependant très vite A. Smith262

.

Cependant, la prévalence des relations entre l’ANC et le Secrétariat fut caractéristique de la

période 1972-75.

On peut se demander encore une fois si ce second mode d’autonomisation du Secrétariat de

devait pas créer certaines tensions avec certains membres du Commonwealth - mais pas avec

ses opposants habituels. En effet, le rapprochement du Secrétariat avec l’ANC, dans la mesure

où Lusaka et Dar-es-Salaam soutenaient officiellement ses rivales immédiates en Rhodésie,

les Unions zimbabwéennes, et en leur offrant asile, soutien financier, militaire, et

diplomatique, ne risquait-il pas de créer une ligne de division entre les partisanats respectifs

du Secrétariat et des États de la ligne de front ? Les archives portant sur la crise de Rhodésie

ne permettent pourtant pas de percevoir une telle hostilité.

260

« Note of a Meeting between E. Mlambo, M. Mawema of the ANC and Mr Sagar, Mr MacDowell and the

Undersigned at Marlborough House », 24 juillet 1974, FG 2007-005, et « First Draft of a Resolution to be

Presented by the Security Council designed to internally [illisible] and officially enforce [mot illisible] sanctions

at a time to coordinate [...] the ANC for a Constitutional Conference », FG 2004-048. 261

Chambati : Rappel des résolutions 221 et 232 du Conseil de Sécurité sur le blocus naval de Beira en 1966, 17

juillet 1972, FG 2003-053. 262

« Record of a Meeting of the Secretary-General and Members of the Rhodesian Centre Party at Marlborough

House », 5 mai 1972 ; Lettre de R.C. Makaya, président de la National Union of Voters, au Secrétaire Général, 9

décembre 1970, FG 2003-053.

83

En revanche, la perpétuation d’une division bien réelle entre les approches respectives du

FCO et du Secrétariat transparaissait clairement. Mi-1972, Londres présenta à A. Smith un

« plan d’émigration massive 263

». Ce plan, que ses auteurs souhaitaient soumettre au Comité

des Sanctions du Commonwealth, était censé faciliter l’évolution vers un gouvernement de

majorité en Rhodésie, en offrant aux Rhodésiens blancs qui s’opposeraient à cette perspective

la possibilité d’émigrer vers un des vieux Dominions - Australie et Canada en premier lieu (on

ignore si ces derniers avaient été consultés en amont), avec la prise en charge de leurs frais et

d’autres formes d’aide à leur installation. Le Secrétariat considéra la proposition, mais la

disqualifia très vite, refusant de la soumettre au Comité264

. Un tel plan signifiait l’acceptation

d’une division interraciale insurmontable en Rhodésie - et, par la même occasion, au sein du

Commonwealth, en dépit des principes énoncés à Singapour265

. Les répercussions en termes

d’image, et l’encouragement que cela pourrait procurer à certaines politiques d’immigration

qui se multipliaient notamment chez les anciens membres dans les années 1970, étaient

inacceptables aux yeux du Secrétariat266

.

On le voit, le Secrétariat fut en réalité donc loin d’être inactif dans la période qui succéda à la

Commission Pearce. Selon des procédés plus ou moins actifs, et plus ou moins consentis, il

construisait les bases de ce que devait être son approche durant les années suivantes. La

portée de cette réforme de son activité devait être particulièrement visible avec la survenue

impromptue d’évènements extérieurs qui modifièrent sensiblement l’équilibre de la situation

rhodésienne. Ceux-ci offrirent au Commonwealth l’opportunité de relancer son activité

diplomatique, et de redéfinir son implication dans la crise de Rhodésie.

Le 9 janvier 1973, le régime d’I. Smith annonçait la fermeture immédiate et sans préavis de sa

frontière avec la Zambie au motif - jugé éminemment fallacieux - d’empêcher l’infiltration de

guérilléros zambiens en Rhodésie267

. La Zambie décidait en retour de geler ses paiements à la

Rhodésie, et prenait la lourde décision de bloquer tous les échanges économiques et

commerciaux avec la Rhodésie, dont elle dépendant par ailleurs largement pour son

263

E. ANYAOKU, « Rhodesia : Proposal for Mass White Emigration », 2 mai 1972, FG 2004-048. 264

Id. 265

D. W. SAGAR, « Rhodesia : Proposal for Mass White Emigration », 3 mai 1972, FG 2004-48. 266

Id. 267

« Security Council Decisions on Southern Rhodesia », 23 mai 1973, ASP 2006-152.

84

approvisionnement en électricité268

. Le Secrétariat approuva la décision de K. Kaunda et

s’empressa d’étudier les possibilités qui s’offraient à lui pour soutenir la décision zambienne.

Démontrant l’indépendance qu’il avait acquise au cours de la crise, le Secrétariat était en

mesure de débloquer des fonds du CFTC pour soutenir l’effort zambien ; les prérogatives du

Comité des Sanctions, rappelait-il, lui permettaient en sus d’examiner les besoins spéciaux de

certains pays en fonction des évolutions de la crise de Rhodésie269

. Dans la continuité de cet

évènement, on assista à une réintensification de la correspondance entre le Secrétariat et les

gouvernements du Commonwealth sur le sujet de la Rhodésie, après quelques années de

relâchement.

L’évolution plus générale du contexte international devait précipiter une série de changements

dans l’équilibre de la situation rhodésienne en 1973-1974. Un premier évènement fut

l’initiation de négociations entre l’ANC et le Front rhodésien fin 1973270

. À partir de 1973, les

échanges entre le Secrétariat et l’ANC s’étaient raréfiés ; le Secrétariat suivit à distance

l’évolution de ces discussions.

Face à l’intensification de la guérilla après 1972, I. Smith semblait commencer à considérer

une forme d’alliance avec le parti nationaliste modéré comme une option envisageable. Le

contexte de détente qui opérait en Afrique australe, principalement en raison de la

distanciation de l’administration Nixon avec le régime sud-africain dans un contexte de

détente, devait également peser sur le pouvoir rhodésien271

. Washington entreprit ainsi de

pressuriser la capitale sud-africaine, Prétoria, afin que celle-ci utilisât à son tour son influence

sur Salisbury pour infléchir les positions d’I. Smith. Pretoria, analysait le Secrétariat, en

s’octroyant le beau rôle dans l’inflexion d’I. Smith, espérait ainsi redorer son image et

détourner l’attention de ses propres politiques ségrégationnistes272

.

Dans le même temps, les gouvernements de la ligne de front étaient en train de revoir leur

approche à la crise. La Zambie et la Tanzanie étaient certes des alliées indéfectibles des

268

Lettre du Haut Commissaire de Zambie transmettant le message de K. Kaunda à A. Smith, 12 janvier 1973,

2006-152 Part 1, et Communiqué de presse « Commonwealth Talks with President of Zambia »,28 janvier 1973,

2007-005. 269

Lettre d’A. Smith au Haut Commissaire de Zambie à l’attention de K. Kaunda, 15 janvier 1973, ASP 2006-

152 Part 1. 270

JOUANNEAU, op. cit., p. 85. 271

Id. 272

« Note of a working lunch given by the Secretary-General to the High Commissioners of Botswana, Tanzania

and Zambia » 23 decembre 1974, 2006-152 Part 1.

85

Unions zimbabwéennes : la Zambie servait de base opérationnelle pour la ZAPU depuis

1964 ; la ZANU, quant à elle, avait pu dès 1972 établi ses bases au Nord du Mozambique,

tombé aux mains du mouvement de libération mozambiquais FRELIMO, qui gagnait du

terrain sur le régime portugais depuis plusieurs années273

.

Cependant, les contraintes économiques du soutien de la guérilla pour ces États, couplé pour

la Zambie à une aggravation de sa situation économique avec la fermeture de la frontière, et

plus généralement aux difficultés économiques qui survinrent à l’échelle internationale après

1973, devaient peser dans les décisions des chefs d’États de la ligne de front. Ils devaient peu

à peu abandonner le soutien à une lutte armée inconditionnelle, pour pousser les Unions vers

une attitude plus concessive envers le Front. Ceux-ci, voyant dans la nouvelle ouverture d’I.

Smith à l’ANC une opportunité de débloquer une situation de crise coûteuse, devaient dès

1973 pousser les Unions à considérer l’impensable, à savoir l’entrée en négociations avec le

Front rhodésien.

Mais leur action alla au-delà de la simple suggestion. . L’échec des discussions entre l’ANC et

le Front, en juin 1974, laissait présager d’un étirement de la crise que les États africains

voyaient d’un oeil inquiet274

. Conscients du pouvoir grandissant des Unions, les États de la

ligne de front, afin de garantir leurs propres intérêts, dont l’atteinte rapide d’une solution à la

crise faisait partie, auraient cherché à affaiblir les Unions. Contrairement à ce qu’une partie de

l’historiographie suggère, plutôt que de chercher à combler l’inimitié entre les deux Unions

rivales, Lusaka et Dar-es-Salaam auraient été jusqu’à chercher à en attiser les rancoeurs -

notamment en poussant la ZAPU à entrer seule dans des négociations avec I. Smith en

1974275

. Ainsi I. Smith, même s’il se trouvait affaibli après la reprise de la guérilla, semblait

en 1973 être parvenu à jouer des difficultés qui tenaillaient ses opposants non seulement pour

diviser les Unions entre elles, mais aussi pour corrompre les relations qu’elles entretenaient

avec leurs protecteurs traditionnels.

Ces évolutions avaient un impact direct sur l’implication du Commonwealth dans la crise. À

partir de cette période, l’activité du Commonwealth fut caractérisée par une ambivalence

croissante. Si on pouvait tracer les origines de cette ambivalence au soutien du Secrétariat à

273

ELLERT, op. cit., p. 21. 274

Rapport du Comité des Sanctions 1973-1975, 2006-141 Part 4. 275

Ibid., p. 33.

86

l’ANC début 1972, et si elle avait été accentuée avec le changement des politiques des États

de la ligne de front courant 1973, elle fut réellement exacerbée après 1974. Deux évènements

majeurs qui se produisirent en 1974 devaient permettre d’illustrer l’évolution du

positionnement du Commonwealth.

Le premier fut la victoire d’H. Wilson en 1974. Durant son second mandat, les relations entre

Londres et Marlborough House furent très différentes de ce qu’elles avaient été jusqu’à 1970.

H. Wilson, et son Secrétaire aux Affaires étrangères - le futur Premier ministre James

Callaghan, s’étaient engagés à réconcilier la Grande-Bretagne avec le Commonwealth276

. Lors

de sa première rencontre avec A. Smith après l’élection, une requête de J. Callaghan fut que le

Secrétaire fît connaître aux membres du Commonwealth sa tentative, à la Communauté

économique européenne, de faire durcir les sanctions contre la Rhodésie277

. J. Callaghan,

jusqu’à la fin du mandat travailliste, devait devenir un interlocuteur privilégié du Secrétariat.

C’est cependant la chute de la dictature salazariste au Portugal qui devait à nouveau créer un

appel d’air pour le Commonwealth en Afrique australe, et plus particulièrement en Rhodésie.

Le 25 avril 1974, le régime de Marcello Caetano était renversé par un coup d’État, et un

gouvernement de transition était mis en place au Portugal. Dans un contexte de

bouleversements profonds, ce nouveau gouvernement cherchait cependant à sauvegarder un

certain équilibre là où cela était possible, notamment en matière coloniale278

. Il n’annonça

donc pas d’indépendance immédiate pour les colonies, quoiqu’en marquant sa volonté

d’ouvrir un dialogue constructif avec le FRELIMO279

. Cet évènement devait donner naissance

à la première collaboration entre Marlborough House et Whitehall.

Voyant là une opportunité unique de changer radicalement la situation du sous-continent

africain, J. Callaghan et A. Smith établirent un plan visant à assouplir les positions respectives

du nouveau gouvernement portugais et du FRELIMO. Tandis que J. Callaghan se chargeait de

dialoguer avec son nouvel homologue au Portugal, Mario Soares, A. Smith profita d’une

visite protocolaire en Tanzanie en juillet 1974 pour rencontrer le président du FRELIMO,

276

J. SYSON, « Notes of the Secretary-General’s Conversation with the Secretary of State, the Rt Honorable

James Callaghan, London, 2 jul 1974’, ASP 2005-136. 277

Id. 278

SMITH, op. cit., p. 221. 279

Id.

87

Samora Machel280

. Cette collaboration eut un impact crucial, puisqu’elle permit aux

négociations entre le gouvernement de transition et le FRELIMO de prendre un cours

beaucoup plus constructif que ses observateurs n’avaient craint281

.

En 1974, le Secrétariat oeuvrait ainsi à l’esquisse d’une nouvelle situation en Afrique australe,

où l’indépendance imminente du Mozambique et de l’Angola aux mains d’administrations

africaines impliquerait une brusque accentuation des contraintes économiques et politiques

sur la Rhodésie. La chute d’un des trois régimes ségrégationnistes d’Afrique australe

permettait, on l’espérait, de jouer de la vulnérabilité et de la recherche désespérée d’une

légitimité diplomatique par l’un - l’Afrique du Sud - pour le convaincre de peser sur l’autre,

engoncé dans une intransigeante obsession - la Rhodésie.

Pourtant, tandis que les indépendances portugaises promettaient aux pays du Commonwealth

d’acquérir une plus grande marge de manoeuvre et de pression diplomatique sur les régimes

sud-africains et rhodésiens, il est frappant de constater que le Commonwealth semblait

estimer qu’il était nécessaire d’infléchir encore davantage les positions des Unions. En 1974,

les États du de la ligne de front, dont l’interprétation était partagée par le Secrétariat,

craignaient manifestement que les nouvelles contraintes placées sur le Premier ministre sud-

africain, John Vorster, et sur I. Smith, ne suffiraient pas à créer les conditions de négociations

nécessaires à un accès rapide à la résolution de la crise de Rhodésie selon des termes qui

rendraient acceptables la levée des sanctions et une reconnaissance internationale parmi les

pays africains et du monde282

.

Cette politique duale du Commonwealth à partir de 1974-5, visible dans ses archives, est une

dimension relativement ignorée. Ainsi, si A. Smith mentionne sa collaboration avec J.

Callaghan lors de sa visite en Afrique australe en juillet 1974 pour rencontrer les dirigeants du

FRELIMO, le fait qu’il profitât également de ce voyage pour rencontrer des représentants de

la ZANU et de la ZAPU, afin de tenter de les ramener, eux aussi, sur la table des

négociations, en leur faisant miroiter le changement de la scène politique africaine comme un

moment à saisir pour entrer dans des négociations où ils auraient le plus de chances de

280

Ibid., p. 222. 281

Id., p. 223. 282

« Note of a working lunch given by the Secretary-General to the High Commissioners of Botswana,

Tanzania and Zambia », 23 decembre 1974, 2006-152 Part 1.

88

sécuriser leurs conditions, est une dimension inédite de l’histoire du Secrétariat283

. Les

Unions, en 1974, faisaient figure de terroristes aux yeux de nombreux observateurs

occidentaux, et leur approche par le Secrétariat constituait ainsi un acte audacieux284

. Il créait

ainsi le terreau des négociations qui eurent lieu quelques mois plus tard, sous l’égide des États

de la ligne de front.

Fin 1974, trois dirigeants du Commonwealth jouèrent un rôle majeur dans une nouvelle

ouverture à l’impasse rhodésienne. Estimant que le radicalisme des Unions était un des

facteurs de blocage de la crise, ils pressurisèrent les mouvements de libération ZANU et

ZAPU, jusqu’à ce que celles-ci acceptent de s’unir sous une banière commune avec l’ANC

afin d’entrer dans des négociations avec I. Smith, perspective qui aurait autrement été jugée

inacceptable quelques années plus tôt285

.

C’est dans ce cadre que se tinrent les discussions de Lusaka en novembre 1974, en présence

d’I. Smith, de K. Kaunda, de J. Nyerere, de J. Vorster, ainsi que du Conseiller spécial du

président Tanzanien Marc Chona, de l’évêque Murorewa de l’ANC, et du chef de la ZANU,

le Révérend Sithole, qui avait été libéré pour l’occasion286

. Suite aux discussions de Lusaka,

ZANU, ZAPU, ANC et un quatrième parti africain, modéré et d’envergure modeste, le

FROLIZI, acceptaient de se fondre en un seul parti élargi sous la bannière de l’ANC - il

s’agissait de la Déclaration d’unité287

. Le Front rhodésien quant à lui acceptait de libérer les

leaders des mouvements armés, emprisonnés depuis 1964, et agréait à la tenue d’une

conférence constitutionnelle avec l’ANC élargie, qui se tiendrait en terrain neutre et en

présence de représentants d’États de la Ligne de Front et de l’Afrique du Sud, l’année

suivante. Aucune archive ne subsistant quant à l’implication du Secrétariat à Lusaka, l’on peut

penser que celui-ci confia aux Présidents de la Ligne de Front le soin d’y défendre la position

du Commonwealth. Une curiosité était cependant le Secrétariat fut informé du déroulement

des négociations par le biais d’un député britannique dépêché à Lusaka, et non par les

délégations des États de la ligne de front, habituellement plus proche de lui288

. On ne peut que

spéculer quant à la signification de cette absence : fallait-il y voir une nouvelle distribution

283

Télégramme de A. Smith à J. Callaghan, non daté, c. juillet 1974, 2005-136. 284

CHAMBERLAIN, op. cit., p. 45. 285

ELLERT, op. cit., p. 22. 286

Id. 287

Id. 288

« Memorandum by the Rt. Hon. Jeremy Thorpe, MP, following Salisbury, Lusaka Talks », 27 janvier 1975,

2006-152 Part 1.

89

des rôles entre le Secrétariat et les membres du Commonwealth ? Le non-investissement du

Secrétariat dans les évènements qui suivirent les discussions de Lusaka, et notamment lors de

la conférence interpartite de 1975, aurait tendance à accréditer cette première hypothèse.

Les relations entre le Secrétariat et les États de la ligne de front semblaient au demeurant

toujours caractérisées par leur investissement commun dans la question rhodésienne. Cette

tendance fut illustrée fin 1974, lorsqu’ils joignirent leurs efforts pour inciter l’Afrique du Sud

à faciliter le processus de négociations qui s’était ouvert à Lusaka289

.

Suite à la Déclaration d’unité, les Etats africains estimaient le moment propice pour que la

Grande-Bretagne fisse pression sur l’Afrique du Sud, afin que celle-ci, à son tour, pressurisât

le régime rhodésien vers une approche plus flexible et constructive dans son dialogue avec le

nouveau parti africain-rhodésien unifié290

. Londres, cependant, rechignant à s’engager

davantage, leur assurait que J. Vorster se montrait réticent à pressuriser Smith. Pourtant,

quand les chefs d’États africains formulaient la même requête au Premier ministre sud-

africain, ils le trouvaient plutôt disposé à aider dans ce sens291

. Bien qu’il estimât que J.

Vorster ne voyait dans cette coopération qu’une opportunité pour octroyer à l’Afrique du Sud

le mérite d’une hypothétique amélioration de la situation rhodésienne, et ainsi acheter un

répit, le Secrétaire Général s’empressa d’accéder à leur demande et de se faire leur

intercesseur, en rencontrant non seulement J. Callaghan, mais aussi l’ambassadeur sud-

africain à Londres début 1975292

.

À partir de 1974, le Commonwealth semblait donc suivre une ligne ambiguë. Le soutien du

Commonwealth aux Unions, par le biais de son Programme spécial et par le soutien

diplomatique de ses membres - que le Secrétaire Général leur avait réaffirmé lors de son

289

« Note of a working lunch given by the Secretary-General to the High Commissioners of Botswana, Tanzania

and Zambia », 23 décembre 1974, 2006-152 Part 1. 290

Id. 291

Les Hauts Commissaires des Etats de la ligne de front transmettaient la consternation de leurs chefs d’Etats

vis-à-vis de la mauvaise foi de Londres :

For example, they had asked the British to use their influence with the South Africans

to persuade the latter to put pressure on Ian Smith, but the British had said they had found

the South Africans « reticent » on the possibility of exercing such pressure. Yet the three

governments had not found tbhe South Africans reticent when they had put a similar

request to them directly (« Note of a working lunch given by the Secretary-General to the

High Commissioners of Botswana, Tanzania and Zambia », 23 décembre 1974, 2006-152

Part 1) 292

« Note of Secretary General’s Call on Foreign Secretary, the Rt. Hon. James Callaghan » 21 janvier 1975, et

« Note on Call by the Commonwealth Secretary-General on the South African Ambassador, H. E. Dr. The Hon.

Carel de Wet », 13 mars 1975, 2006-152 Part 1.

90

voyage en juillet 1974 - ne semblait être que la contrepartie des concessions obtenues de ces

mêmes Unions par les États de la ligne de front fin 1974. Ainsi, si la Tanzanie et la Zambie

apparaissaient comme des défecteurs de la cause des Unions, le Commonwealth, grâce à

l’apparente empathie du Secrétariat auprès des partis africains, conservait une image valorisée

aux yeux de ces partis.

Début 1975 cependant, chacun - Londres, Lusaka, Salisbury, et même les Unions intégrées à

l’ANC - semblait trouver son compte à l’évolution de la situation rhodésienne. La Réunion

des Chefs de Gouvernements de Kingston, qui se déroula du 29 avril au 6 mai 1975 et fut le

dernier CHOGM d’A. Smith, se tint donc dans des conditions d’effervescence. La préparation

de la réunion fit l’objet de correspondances enthousiastes entre le Premier Ministre jamaïcain

Michael Manley, à qui incombait le rôle prestigieux d’hôte et de régulateur de la Réunion, et

le Secrétaire Général du Commonwealth, ce premier paraissant déterminé à ce que le

CHOGM de Jamaïque reste dans les mémoires comme le sommet international où se joua la

résolution de la crise de Rhodésie293

. Tandis que la Convention de Lomé signée en février

1975, qui remplaçait les accords commerciaux franco-africains de Yaoundé de 1963 et

étendait le système de préférence économique communautaire européen aux anciens États

africains et malgache associés (EAMA) et aux pays du Commonwealth, illustrait le poids de

ces États dans les relations économiques internationales avec le Nord, les espérances projetées

par les « petits » États du Sud sur le Commonwealth en matière d’influence sur la scène

politique mondiale semblait illustrée par l’attitude de Manley vis-à-vis du CHOGM294

.

La question de la Rhodésie avait repris sa primauté à l’ordre du jour du CHOGM,

quoiqu’avec une connotation cette fois beaucoup plus positive295

. Le changement sur la scène

internationale avait beaucoup à voir dans cet enthousiasme renouvelé. L’actualité, marquée

par la « détente », par la mise en place d’un Nouvel ordre économique international (NIEO)

prôné par la Conférence des Nations unies pour le Commerce et le Développement

(CNUCED), et par la chute de Saigon, influença l’ambiance de la Réunion296

. L’indépendance

imminente des colonies portugaises donna lieu à la formalisation du projet, formulé dès 1974

293

Telegramme d’A. Smith au Secrétariat, 28 avril 1975, 2006-141 Part 1. 294

« Background Note by Secretary-General: Commonwealth Humanitarian Assistance to Southern Rhodesia »,

2006-141 Part 2. 295

Agenda de la réunion de Kingston, 2006-141 Part 1. 296

Minutes de la session d’ouverture, Discours de M. Manley, 29 avril 1975, 2006-141 Part 4.

91

par le Secrétariat, de créer un fond spécial d’aide au Mozambique indépendant297

. L’on voyait

par ailleurs déjà se profiler une indépendance pour l’Afrique du Sud-Ouest (future Namibie),

au vu de la progression de la South West Africa People’s Organization - SWAPO, et l’idée

d’un programme d’aide à la formation des Namibiens, par le biais de bourses et de placements

dans des universités du Commonwealth, qui avait été un autre projet ingénié par A. Smith

avec le Commissaire des Nations Unies pour la Namibie lors de son voyage décidément

fructueux en Afrique australe en juillet 1974, se concrétisait en un Programme du

Commonwealth pour la Namibie298

.

Symboliquement, M. Manley avait convié pour l’occasion un invité d’honneur : l’évêque

Muzorewa. Le Canada, dans un contexte de tensions liées au séparatisme québecquois, ayant

fait connaître sa réticence à ce que l’évêque fût présent et à ce qu’il délivrât un discours en

session officielle, un compromis fut trouvé par l’organisation d’une session informelle où

Muzorewa s’exprima299

. Dans son discours, l’évêque réaffirmait son attachement à une

solution pacifique, se distanciant implicitement des Unions, qui avaient choisi la guérilla

depuis 1972, et réaffirma l’utilité des sanctions comme moyen de pression sur Smith300

.

Un dernier changement eut lieu à Kingston : Arnold Smith ayant décliné un quatrième mandat

au Secrétariat plus tôt en 1975, un nouveau Secrétaire Général, le Guyanien Sir Sridath

Ramphal, fut élu par les Chefs de Gouvernements301

.

Nous constatons que, de 1971 à 1975, on avait assisté à une réorientation de l’activité du

Commonwealth, qui fut caractérisée par une approche en quelques sortes plus subtile à la

crise de Rhodésie qu’à la période qui avait précédé. Tout d’abord, le Secrétariat, dont

l’autorité avait été défiée par Londres en 1971, concentra ses efforts sur l’amélioration de ses

performances en matière d’informations et de renseignements. Cette logique de réseau devait

elle-même engendrer de nouvelles dynamiques au sein du Secrétariat. Tout d’abord, le

développement de l’expertise du Secrétariat sur la situation interne en Rhodésie, et sur les

contournements de sanctions au niveau international, lui permettait de s’autonomiser du

forum intergouvernemental du Commonwealth.

297

Télégramme d’A. Smith, 27 avril 1974, 2006-141 Part 1. 298

SMITH, op. cit., p. 224. 299

Id., p. 229. 300

Discours de Muzorewa devant les Chefs de Gouvernements, 2006-141 Part 2. 301

SMITH, op. cit., p. 229.

92

Par cette logique de réseau, le Secrétariat entra par ailleurs en contact avec les partis

nationalistes africains de Rhodésie. En gagnant la confiance de l’ANC dès 1972, puis celle

des Unions zimbabwéennes à partir de 1974 – ainsi que celle de divers autres mouvements de

libération dans les pays avoisinants, le Secrétariat se ménageait ainsi autant de terrains

d’intervention potentiels en vue d’éventuelles négociations.

Concomitamment, ce furent les Etats de la ligne de front du Commonwealth qui préparaient le

terrain de ces futures négociations, en poussant les Unions, divisées par des différends

idéologiques irréconciliables, à s’allier à l’ANC, elle-même profondément incompatible avec

l’approche militariste des Unions. Ils parvinrent ainsi à débloquer la situation rhodésienne, en

forçant l’ouverture du dialogue entre les différentes parties au conflit. Ainsi, tandis qu’entre

1970 et 1973, il avait existé un chiasme entre l’appui du Secrétariat à l’ANC et l’appui officiel

des États membres aux Unions zimbabwéennes, partisanes de la lutte armée et convaincues,

par expérience, de la nocivité des tentatives de négociations avec Smith, la situation était

différente à la fin du mandat d’A. Smith.

Dans un contexte où l’affaiblissement d’I. Smith par l’indépendance mozambiquaise semblait

appeler à une intervention audacieuse de la communauté internationale pour mener

rapidement le régime à capituler, la nouvelle politique du Commonwealth permit-elle une

amélioration de la situation rhodésienne, ou bien la rendit-elle au contraire plus confuse,

permettant ainsi à I. Smith d’exacerber une fois de plus les divisions entre ses nombreux

ennemis ? L’ambiguité du Commonwealth à l’égard de la crise semblait en effet en passe de

dissocier la poursuite des intérêts zimbabwéens de celle des intérêts de l’association.

93

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE.

Début 1972, le Commonwealth était affaibli par plusieurs années d’efforts infructueux dans la

crise de Rhodésie, tandis que se multipliaient les épreuves à sa cohésion. Entre 1965 et 1971,

il avait eu une confiance presque aveugle en sa propre puissance, en partie grâce à l’élan qu’il

tenait de la création de son Secrétariat, et de la cause porteuse de l’Afrique ségrégationniste –

en particulier la Rhodésie. Le peu de considération d’E. Heath pour le Commonwealth entre

1970 et 1974 le mena toutefois au constat douloureux que son poids diplomatique dépendait

toujours fortement du bon vouloir de Londres. Ce constat provoqua un certain découragement

du Commonwealth, qui, pour un temps passif et démuni, sembla se détourner du sujet de la

Rhodésie – du moins, dans à l’occasion de ses manifestations publiques, telles que les

Réunions des chefs de gouvernements.

En réalité, c’est à cette période que s’opéra la maturation de nouveaux processus

diplomatiques en son sein. Cherchant à optimiser son action dans le cadre contraint auquel il

se savait à présent limité, il développa son expertise de la situation rhodésienne, ce qui devait

lui valoir la reconnaissance d’autres organes des relations internationales. Il consentit à servir

de tremplin à l’ANC dans sa quête d’une audience internationale, et ce faisant contribua de

manière modeste à la fortification de ce parti tant à l’international que sur la scène

rhodésienne. Il participa également au façonnement d’un nouveau paysage politique en

Afrique australe, en jouant pour la première fois un rôle d’intercesseur informel aux côtés du

FCO entre le FRELIMO et le Portugal en 1974. Cette évolution de son rôle devait avoir des

répercussions significatives sur l’avenir de l’association

Ayant ainsi posé, de manière plus subie que volontaire, les bases de sa future intervention, et

bénéficiant en même temps d’une opportunité fortuite pour se réinsérer parmi les acteurs de la

situation diplomatique mondiale vis-à-vis de la Rhodésie à la veille des indépendances

lusophones, le Commonwealth devait en 1975 regagner le devant de la scène diplomatique

internationale dans la résolution de la crise de Rhodésie. Contre toute attente, dix ans après le

début de la crise, l’obstination du Commonwealth semblait donc commencer à porter ses

fruits. Cette évolution se fit cependant au détriment de l’agenda idéaliste qu’il avait

instinctivement adopté en 1965, et réaffirmé à Singapour en 1971, au profit d’une approche

beaucoup plus réaliste jusqu’à la fin de la crise.

94

TROISIÈME PARTIE

Zimbabwé et Commonwealth vers l’indépendance, 1975-1979

95

INTRODUCTION À LA TROISIÈME PARTIE.

La période de la crise de Rhodésie qui s’étira du lendemain du CHOGM de Kingston, en

1975, à l’indépendance du Zimbabwé en avril 1980, fut marquée par une accélération de

l’enchaînement des évènements en Rhodésie. 1975 fut une année charnière pour l’Afrique

australe. L’indépendance des colonies portugaises, et particulièrement celle du Mozambique

sous le gouvernement du FRELIMO le 25 juin 1975, à l’accomplissement de laquelle A.

Smith avait participé, changeait la donne pour le gouvernement rhodésien. L’attitude des

Travaillistes, au pouvoir en Grande-Bretagne depuis 1974, augurait d’une approche plus

coopérative de Londres dans le sens d’une solution multilatérale au conflit. Par ailleurs, la

nouvelle orientation de la politique étrangère des États-Unis, à la fin du mandat de Henry

Ford et sous celui de Jimmy Carter, était synonyme d’une attitude moins complaisante envers

les régimes ségrégationnistes d’Afrique australe.

Ces changements permirent au Commonwealth, qui pouvait faire valoir l’expertise et la

réputation qu’il s’était construite en 1971-75, d’asseoir naturellement sa position dans

l’élaboration et l’application de plans d’action internationaux relatifs à l’Afrique australe en

général, et à la Rhodésie en particulier. Ces plans, émanant du Commonwealth lui-même, des

Nations unies, ou encore des États-Unis, se multiplièrent après 1975. Le départ d’Arnold

Smith suite au CHOGM de Kingston, et son remplacement par un nouveau Secrétaire

Général, le Guyanien Sir Sridath Ramphal, fut par ailleurs accompagné d’une évolution du

ton diplomatique et des modes d’action du Secrétariat. Ainsi, sous S. Ramphal, le Secrétariat

chercha, plus que jamais, à affirmer sa voix propre, et ce en renforçant son influence auprès

des plus hautes instances internationales.

Cette période devait aussi confirmer le tournant opérationnel du Commonwealth vis-à-vis de

la Rhodésie, tournant qui avait été observé dès 1973. Les États de la ligne front et le

Secrétariat participèrent aux négociations interpartites rhodésiennes, de plus en plus

fréquentes durant cette période. Continua-t-il à tenter d’assouplir les positions des Unions

zimbabwéennes, ce jusqu’à l’atteinte d’un compromis avec l’Accord de Lancaster House, en

décembre 1979 ? Le succès du Commonwealth après 1975 n’était-il dû qu’à l’ouverture

providentielle de nouvelles niches pour son activité, qu’il embrassa avec opportunisme aux

dépends de ses engagements idéalistes de 1971 ? La rétention de nombreux cartons d’archives

liées aux principales négociations auxquelles il participa, laisse à ce jour la question ouverte.

96

Chapitre VI. Radicalismes consensuels sous Ramphal

« ...there ought to be a formal line of communication between the UN and the Commonwealth

Sanctions Committee302

»

E. Anyaoku.

Au cours des premières années de son mandat, et tandis que les Etats de la ligne de front

semblaient poursuivre rigoureusement leur plan de mitigation entre les objectifs respectifs des

parties au conflit, le nouveau Secrétaire Général du Commonwealth, Sir Sridath Ramphal,

réputé pour sa défense véhémente d’un modèle plus « équitable » de relations économiques et

politiques Nord-Sud et celle des mouvements de libération en Afrique australe, impulsa un

certain nombre de modifications, tant structurelles que conjoncturelles, dans l’approche du

Secrétariat à la crise. Durant la période 1975-1977, que ce chapitre étudie en détail, ces

changements furent de trois ordres principaux.

Tout d’abord, S. Ramphal présida à des remaniements de l’articulation des différents services

du Commonwealth, et ce dans le but d’adapter ses modalités d’action à une réalité changeante

et d’accroître son prestige international.

Du point de vue de son implication diplomatique dans la crise de Rhodésie, le Secrétariat,

dont les qualités étaient d’autant plus connues et reconnues depuis sa médiation, couronnée de

succès, entre le FRELIMO et le régime portugais en 1974, devait développer son double

mandat d’intercesseur diplomatique et d’assistant technique, auprès des mouvements de

libération africains. L’activité officieuse du Secrétariat auprès des acteurs de la crise

rhodésienne à cette période devait continuer à instituer la pratique de ce qui sous A. Smith

avait été l’embryon des « bons offices » du Commonwealth, assistance informelle à des

entités politiques manquant de soutien international directement héritée de cette ambiguïté,

entre idéalisme et pragmatisme, de l’activité du Commonwealth. Cependant, l’orientation

exacte de ces intercessions restent matière à un certain nombre d’interrogations, dans l’attente

des sources les concernant.

302

E. Anyoku citant Son Excellence M. Farah de Somalie, président du Conseil de Sécurité en janvier 1972

et membre du Comité des Sanctions des Nations unies, Note d’E. Anyaoku à A. Smith, « Possible relations with

UN Sanctions Committee », 8 mars 1972, FG 2004-066 Rhodesia: Exchange with UN Sanctions Committee.

97

Enfin, la compétence reconnue du Commonwealth en matière de Rhodésie devait lui

permettre de bénéficier d’une plus grande reconnaissance, notamment auprès des Nations

unies, après 1975303

. S. Ramphal poursuivit, et intensifia, le programme de son prédécesseur

en matière de construction de la collaboration entre le Commonwealth, l’ONU, et les deux

acteurs de la « Relation spéciale », la Grande-Bretagne et les États-Unis.

L’ascension du Commonwealth à cette période semblait devoir beaucoup à l’héritage laissé

par A. Smith en matière de réorientation du Secrétariat d’une part, à la survenue

d’évènements et d’interventions extérieures et à l’évolution générale du contexte politique en

rapport avec la crise d’autre part. Cependant S. Ramphal paraissait souhaiter se distancier de

son prédécesseur sur un certain nombre de points essentiels de sa ligne politique.

Entre 1975 et 1977, deux tentatives infructueuses de résolution interne et externe du conflit

rhodésien eurent lieu. D’une part, des discussions de Lusaka, fin 1974, devait éclore la vaine

Conférence des Chutes Victoria d’août 1975 ; d’autre part, une première intervention états-

unienne, sous l’égide Secrétaire d’État Henry Kissinger, permit la tenue de la Conférence de

Genvève fin 1976, qui ne connut pas plus de succès. Pour le Secrétariat, ces évènements

furent néanmoins importants car ils lui permirent de conforter sa position parmi les acteurs

clés de la crise.

Après 1975, le régime d’UDI se trouva de plus en plus pressurisé par la situation interne et

internationale. La facilitation de la circulation transfrontalière pour les partisans de la ZANU

suite à la victoire de son allié, le FRELIMO, passé au pouvoir au Mozambique, permit à sa

branche armée, la Zimbabwe African National Liberation Army (ZANLA), de gagner du

terrain au Nord du Zimbabwé - usant des méthodes guévaristes de la guérilla rurale, il acquit

une part croissante du soutien de cette région à dominante ethnique shona304

. Le régime

d’UDI fit déclarer l’État d’urgence à une part croissante du pays, tout en imposant une

mobilisation de plus en plus massive de la population européenne de Rhodésie305

.

L’élargissement de la conscription devait bientôt mobiliser la quasi-totalité des hommes

blancs en âge de combattre. Parallèlement, tandis que jusqu’à 1975, le solde migratoire des

Européens en Rhodésie avait été positif, avec toutefois une recrudescence de la part relative

303

cf. DAVIDSON, Nicol, Interregional Coordination within the United Nations: the role of the

Commonwealth, New York : UN Institute for Training and Research, UNITAR,1979. 304

Voir Carte 3, Annexes, p. 133. 305

ELLERT, op. cit., p. 39.

98

de l’immigration sud-africaine et une baisse simultanée des entrants d’Europe depuis l’UDI,

ce solde chuta sévèrement à partir de 1975306

. Une caractéristique de ce changement était le

départ massif d’hommes jeunes.

Dans ce contexte, quelques semaines après le CHOGM de Kingston, S. Ramphal ayant à

peine été institué au poste de Secrétaire Général, s’ouvrait le 25 août 1975 la Conférence des

Chutes Victoria. La Conférence constituait la première tentative formelle de règlement interne

entre le Front rhodésien et l’ANC élargie, sous l’égide des États de la ligne de front du

Commonwealth et de l’Afrique du Sud. Bien qu’aucun document officiel ni ouvrage ne

mentionne la participation du Secrétariat à la Conférence des Chutes Victoria, la présence

d’un conseiller spécial du CFTC, le fameux Fonds de coopération technique du

Commonwealth géré par le Secrétariat et qui devait en devenir le premier instrument

politique, est révélée dans les archives du Secrétariat307

. La participation du Secrétariat à cet

évènement, peut-on conjecturer, avait pu être proposée par A. Smith lors de sa visite aux États

de la ligne de Front et aux Unions, dans la foulée de son intercession auprès du FRELIMO en

juillet 1974, ou bien par l’intermédiaire des Etats de la ligne de front lors des discussions de

Lusaka fin 1974308

. Les archives révèlent que S. Ramphal avait renouvelé l’offre du soutien

juridique du Secrétariat à l’ANC en vue de ces négociations309

. Étrangement, l’évêque

Muzorewa n’accepta pas cette aide pour cet évènement spécifique, assurant au Secrétariat

qu’elle serait la bienvenue lorsque les besoins exacts de l’ANC auraient été plus clairement

définis310

. L’ANC voulait-il éviter de paraître incompétent ou nécessiteux face au Front, ou

bien cherchait-il à écarter le Secrétariat de ses affaires ? L’envoi d’un observateur par le

Secrétariat en dépit de ce refus poli semblait illustrer la résolution du Secrétariat à s’imposer

dans la crise, que sa présence fût requise ou non !

Certes, sa présence aux Chutes Victoria ne constituait pas sa première intervention auprès des

parties au conflit rhodésien en territoire africain. Outre ses contacts fréquents avec l’ANC et

306

JOUANNEAU, op. cit., p.95. 307

C’est ce qu’indique la note accompagnant le rapport complet du conseiller du CFTC Roland BROWN au

Secrétaire Général dans le dossier ASP 2006-152 Part 1 :

Attached are Roland Brown’s report on his participation in the Vic. Falls Conference and

subsequent conversation with Mark Chona and President Nyerere. Roland is booked to see

you 10:30 Monday. (datée du 5 septembre [1975], 2006-152 Part 1) 308

Voir Chapitre V., p. 81 309

Télégramme d’A. MUZOREWA à S. RAMPHAL, transmis par l’intermédiaire de l’ambassade zambienne,

daté du 22 août 1975, reçu le 26 août 1975, 2006-152 Part 1. 310

Id.

99

sa rencontre des Unions en 1974, A. Smith avait également rencontré, quelques semaines plus

tôt à Marlborough House, des membres de la SWAPO311

. Cependant, selon toute

vraisemblance, cette intervention était inédite par la nature formelle de l’évènement en

question, qui la différenciait de ces rencontres précédentes et informelles.

Sous S. Ramphal, ainsi, le Secrétariat était présent, pour la première fois, quoiqu’en en tant

que simple observateur, à des discussions constitutionnelles directes entre les parties au

conflit. Cette implication d’un membre du Secrétariat semble avoir fait office de session

d’entraînement à une future implication plus active du Secrétariat auprès de l’ANC élargie.

Cette conférence suscitait des espoirs considérables, tant chez les États africains, qui avaient

grandement contribué à rendre son organisation possible par leur intervention à Lusaka, qu’à

Londres et plus largement au sein du Commonwealth. La rivalité originelle entre la ZAPU et

la ZANU semblait avoir enfin été gommée derrière l’intérêt commun de la recherche d’une

solution à la crise. La Conférence, accueillie par le Premier Ministre sud-africain J. Vorster, et

qui réunissait la Zambie, la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Front rhodésien représenté par I.

Smith lui-même, et l’ANC représenté par l’évêque Muzorewa et le Révérend Sithole (ce

dernier représentant la branche des Unions au sein de l’ANC), devait permettre aux parties en

présence de s’accorder quant aux conditions préliminaires d’une future conférence

constitutionnelle interpartite qui devrait se tenir en Rhodésie. La précision des informations

recueillies, notamment grâce à la transmission par le conseiller spécial du Commonwealth de

documents proposés par le Front rhodésien en amont de la Conférence, des comptes-rendus

complets des différentes sessions de discussion, de minutes, et des textes intégraux des

discours d’ouverture, permirent au Secrétariat de jouir d’une perception très nette de la

situation une fois la Conférence ajournée.

La Conférence souffrait de bases friables. Publiquement annoncée suite à l’Accord de Lusaka,

sa convocation formelle, apprend-on, avait en réalité été promulguée par un autre accord,

confidentiel et beaucoup plus controversé, dit Accord de Prétoria, signé quelques semaines

plus tôt par I. Smith, J. Vorster, et Mark Chona, conseiller spécial du Président Kaunda

oeuvrant au nom de la Zambie, de la Tanzanie, du Botswana et du Mozambique. Cet Accord

fixait le lieu d’une future conférence aux Chutes Victoria, tandis que les négociations pour un

311

« Records of a Meeting which took place at Marlorough House between Nojura, President of SWAPO, and H.

E. Arnold Smith », 22 juin 1975, 2006-141, Part 3.

100

règlement interne, dont les conditions devaient être fixées aux Chutes, devaient prendre place

par la suite en Rhodésie.312

La non-participation de l’ANC à cet Accord, et sa méfiance quant

à une ratification imposée sur le territoire rhodésien, leur fit opposer à ce texte une

« Déclaration d’intention de négocier un règlement » qui rejetait, quels que soient les

éléments qui ressortiraient des discussions des Chutes, la condition d’un cessez-le-feu à

quelque stade des négociations que ce soit313

. Cette déclaration, et l’exigence de l’ANC

d’obtenir l’immunité de ses membres en vue des négociations en Rhodésie, s’opposait, selon

le leader du Front rhodésien, à l’Accord de Lusaka de décembre 1974, qui proposait des

discussions « sans précondition »314

. Au cours des discussions des Chutes Victoria se

multiplièrent ainsi les différends irréconciliables entre les deux parties, ce qui mena à l’échec

de la Conférence.

Après l’échec des négociations, dont Brown spécifiait qu’il était exclusivement dû à

l’intransigeance d’I. Smith en dépit des allégations de ce dernier contre l’ANC, le conseiller

resta avec la délégation tanzanienne, menée par le Président Nyerere, afin de discuter d’un

nouveau plan d’action315

. Ces derniers se disaient encore confiants en ce que l’Afrique du Sud

ne « fasse quelque chose316

» pour faire fléchir I. Smith.

Suite à l’échec de la Conférence des Chutes Victoria, l’ANC élargi périclita. Dès lors, et

jusqu’à 1978, l’ancien ANC et le Front rhodésien devaient s’engager dans un pénible cycle de

négociations qui, fréquemment interrompu par des désaccords, devaient les mener en avril

1978 à l’atteinte d’un Règlement interne. Au même moment, tandis que la guérilla de la

ZANU et de la ZAPU s’intensifiait, octroyant à la ZANU des victoires militaires

significatives, le chef de la ZAPU, J. Nkomo, s’engageait en décembre 1975 dans des

négociations secrètes avec le Front rhodésien, qui échouèrent cependant en mars 1976317

.

Plus troublant encore, A. Smith fait mention dans ses mémoires à l’assistance du Secrétariat à

J. Nkomo dans ses négociations avec I. Smith - assistance qui n’apparait pas dans les archives

312

R. BROWN, « Text of the Pretoria Agreement », 2006-152 Part 1. 313

Point 5 : « There is no explicit or implicit ceasefire », « Declaration of Intention to Negociate a Settlement »,

2006-152 Part 1. 314

Minutes de la Conférence, R. BROWN, 2006-152 Part 1. 315

R. Brown, Rapport « Victoria Falls », ASP 2006-152 Part 1. 316

R. Brown, Rapport « Victoria Falls », Addendum, ASP 2006-152 Part 1. 317

ELLERT, op. cit. p. 39 ; BHILA, PATEL, op. cit., p. 452.

101

disponibles à ce jour318

. Cette activité, si elle est avérée, semble incompatible avec l’image du

Commonwealth que lui-même, et la majorité des historiens, a eu tendance à véhiculer. Depuis

1965, les États de la ligne de front et le Secrétariat condamnaient officiellement le régime

d’UDI, et le Commonwealth avait pour la première fois annoncé publiquement son soutien à

la lutte de libération à Kingston. Pourtant, en pratique, les politiques du Commonwealth

étaient loin d’être aussi univoques tandis qu’il sortait de sa réserve des années 1972-75.

Participer à des négociations dont il était notoire qu’elles attisaient la division entre la ZANU

et la ZAPU semblait en effet presque relever d’un calcul pragmatique, pour ne pas dire

sinistre : les États de la ligne de front, en pressurisant les Unions vers un compromis avec I.

Smith à l’Accord de Lusaka de 1974, puis le Secrétariat dans son implication auprès de la

ZAPU fin 1975, ne participaient-ils pas à l’affaiblissement du mouvement armé, dans le but

de garantir un terrain plus propice aux négociations avec I. Smith ? Si c’était le cas, même si

leur but ultime était l’atteinte d’une solution à la crise, on ne peut s’empêcher de remarquer

que cette tactique était semblable à celle qu’avait privilégiée le Front rhodésien depuis 1965...

La rétention qui semble frapper toutes les archives liées aux négociations « sensibles »

auxquelles participèrent le Commonwealth et le Secrétariat est compréhensible au vu de la

gêne potentielle qu’elles représentent pour l’image de l’association.

Un bref rappel de l’évolution de la situation interne en Rhodésie après la chute du régime

salazariste peut être utile à ce stade. Rappelons que c’est aux luttes intestines entre la ZAPU et

la ZANU, et en leur sein-même, que de nombreux historiens avaient attribué la relative

inefficacité du mouvement de libération zimbabwéen jusqu’à 1976319

. En mars 1975, le chef

de la ZANU, Herbert Chitepo, dont le charisme et les idéaux lui avaient valu l’image d’un

Nelson Mandela zimbabwéen, succombait à un attentat à la voiture piégée devant sa résidence

de Lusaka. Le meurtre ne fut jamais élucidé, certains l’attribuant aux services secrets

rhodésiens, d’autres à une faction de la ZANU menée par Robert Mugabe lui-même320

. La

disparition d’H. Chitepo permit à R. Mugabe de se hisser au sommet de la ZANU - populaire,

il fut désigné comme son successeur.

318

SMITH, op. cit., p. 230 :

The Secretariat provided legal advice to the (still united) nationalists at the Victoria Falls talks in

August 1975, and later during the negociaitions Nkomo held with Smith. 319

BHILA, PATEL, op. cit., p. 452. 320

ELLERT, op. cit., p. 35.

102

L’effritement de l’ANC donna lieu à de nouvelles lignes de divisions en 1975-76. Fin 1975,

tandis qu’une branche modérée de la ZANU, dirigée par son fondateur le Rev. Sithole, se

rapprochait de l’ANC d’A. Muzorewa dans sa décision de poursuivre les discussions avec I.

Smith en formant l’United ANC (U-ANC), la ZAPU et la ZANU unissaient leurs armées

respectives - la Zimbabwe African People’s Revolutionary Army (ZIPRA) et la ZANLA - sous

le nom de Zimbabwe Independant People’s Army (ZIPA)321

. Comme on le verra, le

rapprochement des deux Unions, malgré les dissensions produites par la participation de J.

Nkomo à des négociations avec I. Smith, devait s’accentuer lors d’une nouvelle conférence

interpartite, sous l’égide des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et des États de la ligne de

front, face au Front rhodésien, fin 1976.

Entretemps, suite à l’échec des Chutes Victoria, c’était une fois de plus un évènement

extérieur, auquel le Commonwealth avait cependant oeuvré discrètement, qui devait lui

permettre de se positionner dans une nouvelle brèche ouverte dans la sécurité du régime

rhodésien. En juin 1975, le Secrétariat avait envoyé une mission au Mozambique, à laquelle

participèrent E. Anyaoku et deux conseillers et assistants spéciaux du CFTC, G. Goundrey et

X. Syson, afin d’aider le FRELIMO à évaluer les implications de l’application des sanctions

et les besoins qu’une telle mesure requerrait322

. Le Commonwealth, qui au CHOGM de

Kingston en 1975 avait annoncé son intention d’étendre les programmes d’aide du CFTC à

l’Afrique australe au Mozambique et à la Namibie, cherchait à peser en faveur d’une telle

décision. A. Smith avait rappelé, dans un courrier qu’il avait adressé au Secrétaire Général de

l’ONU Kurt Waldheim en mai 1975, qu’à Kingston les chefs de gouvernements s’étaient

engagés à aider le gouvernement mozambiquais dans ses efforts pour mettre un terme au

régime raciste de Rhodésie323

Le 3 mars 1976, le Président Samora Machel annonçait la décision du gouvernement du

Mozambique d’appliquer intégralement les sanctions onusiennes contre le régime

rhodésien324

. Le Président mozambiquais fit connaître sa décision au Conseil de Sécurité et à

l’Assemblée générale des Nations-Unies par le biais de K. Waldheim, et officiellement au

321

BHILA, PATEL, op. cit. p. 452. 322

« Commonwealth Assistance to Rhodesian Africans and Namibians : Rhodesia », Sridath Ramphal Papers

(SRP)2007-140 Countries Aid to Mozambique. 323

Lettre de K. WALDHEIM à A. SMITH, 8 mai 1975, 2006-152 Part 1. 324

« Minutes of Commonwealth Sanctions Committee Meeting 4 March 1976 », Fonds général (FG) 2007-009

Sanctions Committee 1976 Circulated Papers and Minutes Part 1.

103

Secrétariat du Commonwealth, le jour même de son entrée en vigueur325

. À la veille de son

annonce cependant, S. Machel, informant informellement le Secrétariat du Commonwealth de

l’imminence de l’évènement, avait prié S. Ramphal de « rappeler aux pays du Commonwealth

ce qu’ils avaient entrepris à Kingston » l’année précédente326

.

Réagissant immédiatement à la requête mozambiquaise, le Secrétariat sembla tenté de se

saisir de cette opportunité pour s’octroyer le mérite de l’évènement. Par une habile démarche

de communication, S. Ramphal cherchait à cette occasion à ancrer le Commonwealth, aux

yeux de la communauté internationale, comme instrument privilégié du renversement

progressif des régimes d’apartheid sur le continent africain – l’appui à la décision du

Mozambique ayant des conséquences directes sur la Rhodésie327

. La décision de S. Machel

était effectivement lourde d’implications pour Salisbury. On a estimé que, même touchée par

la crise économique mondiale à partir de 1974, celle-ci avait continué à afficher une

croissance record avant le blocus mozambiquais328

. Le blocus des importations de pétrole à

destination de Rhodésie au port de Beira en constituait une des mesures les plus significatives

du FRELIMO. Elle l’était également pour l’économie mozambiquaise. Cet évènement

provoqua une réunion du Comité des Sanctions329

.

La nécessité soudaine pour le Commonwealth de concrétiser ses promesses de Kingston

signifiait un élargissement de son champ d’action à un pays qui n’en était pas membres, et de

manière presque imperceptible, rendait donc souhaitable une reconfiguration de ses outils

d’intervention. Une note d’incertitude quant à la démarche appropriée à suivre dans cette

situation nouvelle est visible dans une lettre du 2 mars 1976, dans lequel le Secrétaire du

Comité des Sanctions informait les délégués au Comité que le Président tanzanien J. Nyerere,

au vu de l’annonce imminente de S. Machel, souhaitait convier une réunion d’urgence du

Comité330. Dans cette lettre, il explicitait cependant la possible critique qui pouvait être faite

envers cette initiative, puisque le Comité, en s’arrogeant un droit de regard sur la situation

325

Note de K. Waldheim au Conseil de Sécurité des Nations unies, « Note by the Secretary General », 8 mars

1976, SRP 2007-140. 326

« Commonwealth Sanctions Committee Meeting [...] 4th March 1976 », 2 mars 1976, FG 2007-009 Part 1. 327

Voir le rapport du Comité des Sanctions, « Can Rhodesia survive enforcement of sanctions by

Mozambique », SRP 2007-148 Southern Africa 1976. 328

JOUANNEAU, op. cit., p. 93. 329

« Minutes of Commonwealth Sanctions Committee Meeting 4 March 1976 », op. cit., FG 2007-009 Part 1. 330

Lettre de Henry LYNCH-SHYLLON, Secrétaire du Comité des Sanctions, aux délégués du Comité :

« Commonwealth Sanctions Committee Meeting at 11am, Marlborough House, 4 March 1976 », 2 mars 1976,

2007-009 Part 1.

104

mozambiquaise, outrepassait son mandat initial, qui était l’optimisation de l’efficacité des

Sanctions contre la Rhodésie, tandis que la coopération économique et technique au sein du

Commonwealth relevait depuis 1971 du CFTC :

Ainsi, bien qu’il soit important d’éviter d’établir un lien entre l’assistance

que les pays du Commonwealth ont affirmé qu’ils étaient prêts à étendre au

Mozambique [d’une part], et l’invocation des sanctions [d’autre part], dans la mesure

où la coopération économique internationale n’est pas moins une obligation

internationale que ne le sont les sanctions contre le régime illégal en Rhodésie, il

nous semble que le moment est venu où la traduction de l’entreprise de Kingston en

action serait la plus appropriée, et la plus utile, au Mozambique331

.

C’est, selon toute vraisemblance, cette prise de conscience des limites du Comité, et de la

nécessité d’adapter ses fonctions à une situation différente de celle qui l’avait vu naître en

1966, qui poussa le Commonwealth à le renommer « Comité du Commonwealth sur l’Afrique

australe » (Commonwealth Committee on Southern Africa) dans le courant de l’année 1977.

S. Ramphal n’était cependant pas prêt à laisser des vices de forme passagers empêcher une

action du Commonwealth. Le Secrétaire Général lui-même se rendit en visite au Mozambique

à la mi-mars332

. Suite à la réunion du Comité et à cette visite, il mobilisa le réseau des

ambassades du Commonwealth à Londres, et enjoignit les divers gouvernements du

Commonwealth de considérer en urgence une forme d’aide financière à un programme d’aide

du Commonwealth au Mozambique333

. Les États, naturellement libres de contribuer au

soutien de la décision mozambiquaise par des moyens bilatéraux ou multilatéraux de leur

choix, étaient cependant encouragés par S. Ramphal à privilégier le canal du

Commonwealth334

. Les réponses positives affluèrent de différents pays.

L’aide du Commonwealth fut rationalisée sous la forme d’un Fond du Commonwealth pour le

Mozambique (Commonwealth Fund for Mozambique)335

. C’était par le biais du CFTC que

l’aide au Mozambique devait transiter entre les membres et le nouveau régime mozambiquais.

L’articulation entre les décisions du Comité des Sanctions, l’influence du Secrétaire Général,

et la compétence du CFTC en 1976, illustrait l’expansion d’une tendance qui alla croissant

331

Id. 332

« Secretary General’s Report to the Sanctions Committee on his visit to Maputo, 17-19 March 1976 », FG

2007-009 Part 1. 333

Id. 334

Voir par exemple une lettre d’Indira Gandhi, transmise par le biais du Comité des Sanctions à S. Ramphal, 30

mars 1976, SRP 2007-140. 335

Clyde Sanger à Secrétaire Général, « Trip report on visit to Maputo, Mozambique, 30 November to 4

December, 1978 », FG 2010-102 Divisions Information 1978-1979

105

sous S. Ramphal, à savoir la coopération interservices au sein du Secrétariat, et

l’appropriation de ces services à des fins politiques par le Secrétaire Général.

Le Royaume-Uni quant à lui n’était pas insensible à l’évolution de la situation en Afrique

australe. En mars 1976, James Callaghan - qui succéda à H. Wilson la tête du Parti travailliste

et du gouvernement britannique en avril 1976 - initiait des discussions avec le régime d’I.

Smith336

. Ses propositions devaient être reprise par H. Kissinger en septembre de la même

année. La nouvelle attitude des États-Unis envers l’Afrique australe semblait en passe

d’impliquer des changements majeurs dans l’équilibre des forces dans la région. La

progression militaire de la très marxiste SWAPO, et sa popularité grandissante en Afrique du

Sud-Ouest, ou encore la présence découverte de troupes cubaines en Angola, avaient

démontré les inconvénients du soutien de Washington aux régimes d’apartheid en termes

militaires et de renseignements337

. Ces politiques risquaient de pousser leurs opposants, s’ils

s’avéraient un jour victorieux, dans les bras de l’Union soviétique.

À cette occasion, l’analyse de S. Ramphal se distanciait clairement de celle des États-Unis.

Suite à des victoires militaires des mouvements de libération en Angola et en Rhodésie début

1976, le Secrétaire Général, dans un communiqué de presse, avait en effet commenté ces

évènements de la façon suivante :

Tout simplement, la libération par la lutte armée doit être considérée non

plus comme un objectif distant mais comme une option crédible et immédiate. [...]

Les réels problèmes en Afrique australe doivent être vus comme ils sont vus

d’Afrique. Dans ces termes, ils n’y a pas de « menace communiste » ou de

« présence étrangère ». L’intervention étrangère est en fait facilitée par l’inertie

d’un monde qui condamne mais ne parvient pas à enrayer le déni continuel de la

liberté et de la justice à la majorité des gens en Afrique australe338

.

Fin 1976, I. Smith était lui aussi inquiet quant à l’évolution de la sécurité nationale

rhodésienne face aux progressions des guérillas, dans un contexte de difficultés économiques

croissantes339

. La tenue de « discussions de Salisbury » entre H. Kissinger et I. Smith, qui

s’ouvrirent mi-septembre, reflétait ainsi l’état de préoccupation de chacun de ses participants.

Ces discussions semblaient au demeurant prometteuses, puisque le 24 septembre 1976, les

336

PATEL, BHILA, op. cit., p. 452. 337

ELLERT, op. cit., p. 40. 338

Communiqué de presse, « Commonwealth Secretary-General on Liberation in Southern Africa » 28 février

1976, SRP 2007-148. 339

JOUANNEAU, op. cit., p. 93.

106

journaux annonçaient qu’I. Smith avait accepté publiquement le principe de l’accession à un

gouvernement de majorité dans un délai de deux ans340

. Il acceptait également le principe de

la tenue d’une conférence impliquant tous les partis de Rhodésie sous l’égide des deux États

Anglo-saxons.

Quelques semaines après cet accord de principe, s’ouvrait la Conférence de Genève, qui se

tint d’octobre 1976 à janvier 1977. Y participèrent quatre délégations africaines - menées

respectivement par l’évêque A. Muzorewa, J. Nkomo, le Rév. Sithole, et R. Mugabe, le Front

rhodésien, auxquels s’ajoutaient l’Afrique du Sud, le Royaume-Uni et les États-Unis, pour

une nouvelle tentative de règlement constitutionnel341

. Crucialement, une équipe de vingt-

quatre experts du CFTC menée par E. Anyaoku y fut également envoyée, afin de procurer

une assistance juridique – et, on peut le soupçonner, d’influencer – chacune des quatre

délégations africaines342

. La présence de cette délégation du Commonwealth, dans la

description faite par l’ancien Secrétaire Général A. Smith dans ses mémoires, laisse cependant

à penser que son rôle poursuivait la logique des « bons offices343

». Cet évènement, peu

connu, est d’une importance majeure dans l’interprètation de l’attitude du Secrétariat vis-à-vis

de la Rhodésie sous S. Ramphal. Regrettablement, hormis une mention à la présence d’E.

Anyaoku à Genève aux côtés du front patriotique dans un document malencontreusement

épargné par la rétention qui frappe le reste de ces documents, les archives relatives à cet

évènement sont à ce jour encore inaccessibles344

.

Étonnamment, la pression exercée à Genève par H. Kissinger sur J. Vorster et I. Smith ne

s’avéra pas plus efficace que les précédentes négociations qu’avaient entreprises Londres - I.

Smith, pensant sa marge de manoeuvre renforcée au vu des concessions que ses opposants

semblaient disposés à faire, refusa la condition de l’envoi d’un représentant britannique

pendant une éventuelle période de transition345

. Pour le Commonwealth en revanche, la

340

SMITH, op. cit., p. 230 ; « Draft report of the Sanctions Committee, Juily 1975-Mai 1977 » : « Annex B »,

« Text of Mr. Smith’s Statement on the ‘Kissinger Proposal’, Salisbury, 24 September 1976 », SRP 2009-161

Heads of Governments Meeting Lancaster House 1977 Part 3. 341

PATEL, BHILA, p. 453. 342

A. Smith y fait brièvement mention dans ses mémoires, sans révéler la nature de l’intervention. SMITH, op.

cit., p. 230. 343

Ibid. 344

Brouillon du rapport du Comité du Commonwealth sur l’Afrique du Sud (anciennement Comité des Sanctions

du Commonwealth) en vue du CHOGM de Londres, 1977, p. 7, FG 2010-025 Commonwealth Heads of

Governments Regional Meeting Sydney 1978. Des investigations supplémentaires, notamment aux Archives

nationales britanniques, permettront peut-être de combler ce manque. 345

SMITH, op. cit., p. 130.

107

participation du Secrétariat à la Conférence soulève des interrogations qui sont de deux

ordres.

Premièrement, cet évènement semblait confirmer la consolidation de son influence auprès des

principaux acteurs de la crise rhodésienne, et pose la question des modalités de son intégration

dans la Conférence. À cette occasion, le Secrétariat n’était-il pas investi de responsabilités

comparables à celles de deux membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies ? Son

implication à Genève démontrait-elle le succès les nouvelles relations qui s’étaient tissées

entre Marlborough House et Whitehall depuis l’accession des Travaillistes en 1974, avec qui

A. Smith puis S. Ramphal entretenaient des relations allant au-delà de la simple cordialité ?

La collaboration qui avait existé entre eux depuis les négociations de l’indépendance

mozambiquaise avait-elle permis à S. Ramphal de garantir la présence du Secrétariat aux

négociations ? L’étude dans les archives du processus d’intégration du Secrétariat à la

Conférence permettra de répondre à ces questions.

Le second point d’interrogation réside dans la nature même de l’intervention du Secrétariat.

L’une des seules brèves mention à cet évènement dans l’historiographie, dans les mémoires

d’A. Smith, laisse à penser que chacun des « chaperons » impliqués dans la Conférence joua

le rôle logique qui lui incombait : les « Anglo-Saxons », modérer le Front rhodésien ; le

Secrétariat, en faire de même pour les partis africains, tout en tentant d’atténuer leurs

divisions afin qu’ils présentent comme fin 1974 une ligne de défense commune – quels qu’en

soient les conséquences en termes de fragilité d’un hypothétique parti africain unique346

.

À l’aune de l’ambiguïté, constatée dans les chapitre précédents, de l’activité du

Commonwealth et de son Secrétariat à partir de 1973-74, on peut se demander si leur stratégie

à Genève se conforma à cette tendance. Il est possible que ce fût le cas. Le Secrétariat avait

après tout construit son influence, qu’il apparentait à une forme de soft power, sur la

conciliation entre des opinions divergentes. En décembre 1975, sous S. Ramphal, le

Secrétariat avait secondé la ZAPU dans ses négociations avec le Front rhodésien, et ce en

dépit des effets néfastes de ces négociations pour l’unité du mouvement nationaliste. Il est

donc possible qu’il ait encouragé les Africains à abandonner un certain nombre de leurs

exigences, voire qu’il ait tenté de favoriser l’ANC. Le Secrétariat fut-il par exemple impliqué

346

PATEL, BHILA, op. cit., p. 453.

108

dans l’unification, malgré l’échec de la Conférence, de la ZANU et de la ZAPU sous la

bannière d’un nouveau parti, le « Front patriotique » (Patriotic Front, PF), fin 1976 ?

Cependant, l’analyse de l’orientation des politiques du Secrétariat suite à la Conférence de

Genève rend plus complexe la compréhension de son évolution interne et de l’évolution de

ses priorités sous S. Ramphal, particulièrement en l’absence de sources. L’adoption par le

Secrétariat d’un ton plus radical en faveur des Unions lors des dernières années de la crise, et

particulièrement après l’échec de la Conférence de Genève, semblait en effet le démarquer de

l’attitude plus nuancée d’A. Smith. Le Secrétariat put ainsi se contenter de procurer tout le

soutien juridique et diplomatique qu’il pouvait apporter aux délégations africaines, et

particulièrement aux Unions. Il se peut qu’il ait à cette occasion engagé l’aide du

Commonwealth en vue d’une indépendance zimbabwéenne, comme il l’avait fait auprès du

FRELIMO.

Quand bien même ce fût le cas, n’y avait-il pas des raisons de penser, cyniquement, que cette

évolution pouvait être dûe au changement de l’atmosphère diplomatique mondiale suite aux

indépendances lusophones, suite auxquelles il était à présent de bon goût d’afficher clairement

ses opinions anti-ségrégationnistes et pro-lutte de libération, comme l’avait fait S. Ramphal

dès février 1976347

? Ou bien cet hypothétique nouveau penchant radical du Secrétariat

dénotait-il d’une distanciation de Ramphal vis-à-vis des politiques ambiguës d’A. Smith et

des Etats de la ligne de front, qui avaient prévalu, sans apporter de résultats probants, de 1974

à 1977 ? Ces questions restent en suspens, et l’on peut penser que les premières années de la

transition au mandat de S. Ramphal furent caractérisées par une hésitation entre suivre les

traces de son prédécesseur ou bien s’en distancier.

Dans le même laps de temps où il s’impliquait dans ces négociations interpartites, le

Secrétariat s’attelait en parallèle à un remaniement d’ampleur, qui affectait sa position dans

les relations internationales, et, on l’espérait, accroîtrait son influence. Cette entreprise, qui

étaient grandement dûe à l’ambition de S. Ramphal, et à son engouement pour l’entretien de

réseaux, devait également contribuer à définir la ligne de conduite du Secrétariat, et à

développer ses nouvelles affinités politiques durant les dernières années de la crise de

Rhodésie.

347

« Commonwealth Secretary-General on Liberation in Southern Africa », op. cit., SRP 2007-148.

109

Les indépendances portugaises, outre leur signifiance pour l’évolution de l’équilibre

géopolitique en Afrique australe, avaient été d’une importance primordiale dans

l’aménagement d’une nouvelle niche diplomatique pour le Commonwealth au sein de la

communauté internationale. S. Ramphal, qui entretenait des relations amicales avec le

Secrétaire Général des Nations Unies, K. Waldheim, entendait bien profiter de l’opportunité

qui s’était ouverte pour asseoir la position du Commonwealth et celle du Secrétariat dans les

relations internationales348

.

Les archives montrent que ce fut après 1975 que les relations entre le Commonwealth et les

Nations unies s’épanouirent, au lendemain de l’annonce par le Mozambique de son

application des sanctions onusiennes. Le Secrétariat, ayant comme on l’a vu fait connaître aux

Nations unies les décisions de Kingston quant à la volonté des États membres de soutenir le

Mozambique, fut en 1976 convié par le Secrétaire Général des Nations Unies à New York

pour discuter des modalités d’une collaboration entre les deux organisations dans leur soutien

à la décision du FRELIMO349

. Suite à cela, lors d’une nouvelle réunion du Comité des

Sanctions du Commonwealth qui eut lieu le 31 mars 1976, S. Ramphal rappelait aux délégués

du Commonwealth la complémentarité de l’action du Commonwealth avec celle des Nations

unies350

. Le respect de K. Waldheim à l’égard de l’expertise du Commonwealth, en plus des

liens cordiaux qui l’unissaient à S. Ramphal, étaient manifestes. Ce fut donc au

Commonwealth ce premier d’adressa en 1976 quand, conscient des changements qui

prenaient place en Afrique australe, il cherchait à donner un nouveau souffle au Comité des

sanctions des Nations unies en le dotant d’un nouvel expert sur la question de la Rhodésie. S.

Ramphal s’empressa de détacher un conseiller spécial du CFTC, G. Goundrey, l’investissant

de la mission de faire bénéficier les Nations Unies des compétences du Commonwealth et du

CFTC351

.

Le développement des relations diplomatiques avec d’autres organisations multilatérales ne

constituait pas une rupture avec la politique d’A. Smith : ce dernier avait, en réalité, ouvert et

348

Une impression de ces relations se retrouve dans l’extrait de transcription de conversation suivant :

The Secretary General assured the Foreign Minister that he was keeping up his old contacts,

for example, with Dr. Waldheim, and with the Foreign Ministe of Algeria: these were the

channels through which we had to work.. (« Note on Secretary-Generals's Call on Zambia

Foreign Minister, Mr. Banda », 8 décembre 1975, SRP 2007-148). 349

Circulaire de S. Ramphal aux Chefs de gouvernements du Commonwealth, 31 mars 1976, p. 1. FG 2007-009

Part 1. 350

« Minutes of the Meeting of the Sanctions Committee, 31 March 1976 », p. 6, FG 2007-009 Part 1. 351

Id., p. 9.

110

entretenu des canaux de communication avec les Nations unies tout au long de son mandat352

.

Dès 1972, le Comité des Sanctions du Commonwealth avait été en contact avec le Comité des

Sanctions des Nations unies, dans le but de pérenniser la poursuite d’un effort commun en

matière d’optimisation de l’efficacité des sanctions353

. Le Comité des Sanctions des Nations

unies avait été établi par la Résolution 253 en 1968, avec pour mission de présenter ses

rapports au Conseil de Sécurité et à l’Assemblée générale. En 1972, suite au vote de la

résolution 314 /1972, qui le chargeait de « se réunir en urgence et [de] considérer les façons et

les moyens par lesquels l’application des sanctions serait assurée », il avait sollicité l’aide du

Comité des sanctions du Commonwealth :

Au cours de son débat, le Comité a ressenti qu’il serait de la plus grande

assistance à l’accomplissement de son travail s’il pouvait bénéficier de l’expérience

du Comité des Sanctions du Commonwealth en la matière354

.

Cette collaboration culmina avec l’intervention de S. Ramphal à la Conférence des Nations

unies en soutien aux peuples du Zimbabwé et de la Namibie, qui se tint symboliquement à

Maputo en Mai 1977 et était accueillie par le Président S. Machel. La consécration du

Commonwealth comme acteur reconnu dans les affaires de l’Afrique australe était avérée : à

cet égard, la Conférence le plaçait sur un pieds d’égalité avec l’OUA, la Ligue arabe,

l’Organisation de la Conférence islamique ou encore la CEE355

.

La Conférence, si le camp occidental chercha à en modérer les conclusions, marquait un

changement d’ambiance fondamental vis-à-vis de l’Afrique australe. G. Goundrey, le

fonctionnaire du CFTC doublement attaché aux Nations Unies et au Secrétariat, notait la

position antagoniste des « Cinq Occidentaux » (Western Five) au sein du reste de la session

plénière356

. La Grande-Bretagne s’était montrée réticente à la tenue de la Conférence,

argumentant qu’une action mal calculée aurait un impact négatif sur la situation rhodésienne.

352

Une illustration se trouve dans les relations qu’il entretenait avec le Commissaire pour la Namibie, et qu’il

mit à contribution lors de son voyage en Afrique australe, mi-1974, pour jeter les bases du Programme du

Commonwealth pour la Namibie qui fut adopté à Kingston. cf. SMITH, op. cit., p. 233. 353

« Brief for Secretary General’s meeting with Chairman of UN Sanction Committee, Ambassador Abdullah,

and Sir John Carter », 12 juillet 1972, FG 2004-066. 354

Voir « Text of a Message from UN Headquarters in New York » (non daté), attaché en Annexe (A) par

Anyaoku dans sa « Note by the Secretary », 13 avril 1972 ; voir également Anyaoku, « Possible Relation with

UN Sanctions Committee », 8 mars 1972, le tout dans le dossier FG 2004-66. 355

« International conference in support of peoples of Zimbabwe and Namibia to be held in Maputo,

Mozambique, 16-21 mai. Programme of action to assist liberation struggle plan », 29 avril 1977, p. 3, SRP 2008-

136 United Nations Conference in Support of Zimbabwe and Namibia. 356

Télégramme de G. GOUNDREY à différents gouvernements des Nations unies, « Maputo Conf: Can Del

Final Comments », document non daté, probablement c. 12 mai 1977, SRP 2008-136.

111

Les États-Unis, la République fédérale d’Allemagne (RFA) et la France se joignaient à elle

pour tenter de brider, avec pour moyen de pression le véto des membres permanents du

Conseil de sécurité, une déclaration trop virulente en faveur de la lutte armée. Seul, le Canada,

une fois de plus allié aux positions du Commonwealth africain, eut un rôle « catalyseur » en

défendant auprès des quatre autres Occidentaux les initiatives en faveur d’un plan d’action qui

devait être avalisé en session plénière. Comme G. Goundrey le notait,

La Conférence s’est développée pour atteindre l’ampleur d’un évènement

international, qui pourrait rester dans les mémoires comme un tournant significatif

dans le soutien par la communauté internationale en faveur de l’indépendance et du

gouvernement de la majorité en Namibie et au Zimbabwé357

.

Une des caractéristiques de la crise de Rhodésie, pouvait-on avancer, n’était-elle cependant

pas que des « tournants significatifs » étaient maintes fois survenus, sans que jamais les

espoirs qu’ils suscitaient se concrétisassent ? La Conférence de Maputo marquait certes un

changement dans le discours international. Elle reconnaissait, pour la première fois, les

mouvements armés de libération comme les « seuls représentants légitimes des peuples

namibien et zimbabwéen », et ce malgré les réserves exprimées par les Occidentaux lors des

discussions358

. Cependant, un observateur britannique craignait que ces derniers ne fussent

encore trop ancrés dans de mauvais réflexes géopolitiques pour permettre un réel changement

dans ce sens, et pour laisser l’élan de Maputo se transformer en une entreprise concrète359

.

Le discours de S. Ramphal le jour de l’ouverture de la Conférence tranchait lui aussi avec

l’approche usuelle du Secrétariat, qui en raison des conflits internes du Commonwealth avait

jusqu’alors privilégié un ton consensuel dans la dénonciation du régime raciste de Rhodésie,

et modéré quant aux moyens d’atteindre une solution à la crise de Rhodésie – jusqu’alors,

outre le soutien des Etats de la ligne de front aux Unions, ceux-ci s’étaient après tout

officiellement limités à des programmes d’aide à la formation des Africains. Dénonçant les

stéréotypes qu’entretenaient les Occidentaux sur les mouvements de libération africains, S.

Ramphal affirmait que « les vrais ‘terroristes’ ne sont pas ceux qui sortent de l’ombre ; les

vrais patriotes ne sont pas ceux qui hantent les bureaux de Salisbury 360

». S. Ramphal fut par

ailleurs particulièrement virulent à l’encontre des régimes d’apartheid et de leur soutien par

357

Ibid. 358

« Maputo Declaration in Support of Zimbabwe, June 1977 », SRP 2010-085 Heads of Goverments Meeting

London, 3 cartons, Part 1. 359

Rapport de Lord Caradon, Membre de la Chambre des Lords britannique, sur la Conférence de Maputo, non

daté, p. 5, SRP 2008-136. 360

Discours de S. RAMPHAL à Maputo, 16 mai 1977, SRP 2008-136.

112

les Occidentaux, qu’il estimait motivé par des « réflexes de Guerre Froide [...] obsolètes »361

.

S. Ramphal semblait donc marquer, en apparence, sa distanciation avec la modération qui

avait été de rigueur dans l’approche d’A. Smith. Pour la première fois, le Secrétaire du

Commonwealth affichait publiquement sa lassitude envers les tergiversations qui avaient

régné au sein de la communauté internationale – et, implicitement, à l’intérieur même du

Commonwealth – et affirmait son soutien moral, non plus à une ANC qui s’était montrée de

plus en plus consentante à participer à une cuisine du pouvoir avec le Front rhodésien, mais au

Front patriotique formé par les anciennes Unions. Il restait à savoir si ce changement dans la

forme allait se traduire par des actes lors de la Réunion des chefs de gouvernements de 1977,

qui devait se tenir quelques semaines plus tard à Londres.

Les premières années du secrétariat de S. Ramphal furent, comme nous l’avons constaté,

marquées par l’inflexion des politiques du Commonwealth vers une approche à nouveau plus

univoque. En mai 1977, le Secrétariat, se distanciant de l’ambivalence de la fin du mandat

d’A. Smith, semblait à nouveau agir en accord avec les principes du Commonwealth énoncés

à Singapour. Ce changement semblait en partie dû à la progression de la lutte armée en

Afrique australe, et à son soutien par une part croissante de l’opinion internationale dans un

contexte où les régimes ségrégationnistes étaient vus comme de plus en plus inacceptables.

De ce point de vue, les politiques insufflées par S. Ramphal ne se distanciaient pas tant que

cela de celles d’A. Smith, puisqu’elles ne faisaient que prendre acte des grandes tendances

internationales, et d’y insérer le Commonwealth de la manière la plus appropriée possible.

Le tournant dans l’approche de la communauté internationale, à commencer par celle des

États-Unis, aux problématiques de l’Afrique australe, auquel le Commonwealth avait

indirectement participé mais dont il n’avait pas été le déclencheur principal, devait ainsi être

mis à profit par le Secrétariat dans les années 1977-1980. Le potentiel des mécanismes

informels du Commonwealth et de son Secrétariat semblait être révélé à mesure que la

Grande-Bretagne cédait du terrain sur la question de Rhodésie en se résignant à l’intervention

croissante de la communauté internationale. Du point de vue opérationnel, la Conférence de

Maputo donnerait-elle cependant lieu à une nouvelle phase de l’engagement du

Commonwealth ?

361

Ibid.

113

Chapitre VII. Les réajustements réalistes

« [Britain] is not serious about settling the problem in our country, and she is intent on manipulating

the [Commonwealth] conference362

»

Joshua Nkomo.

Mi-1977, le Commonwealth entendait bien mettre à profit l’élan de Maputo pour s’insérer de

plus en plus activement dans la résolution de la crise de Rhodésie. Ce n’était pas uniquement

au niveau onusien qu’il entendait faire opérer sa nouvelle réputation internationale. Les

relations diplomatiques qu’entretinrent le Secrétariat avec les États-Unis et la Grande-

Bretagne entre 1977 et 1979 visaient à consolider la nouvelle image du Commonwealth en

tant qu’organisation proche des plus hautes sphères du pouvoir international concernant

l’Afrique australe.

Néanmoins, globalement, la période qui s’étira entre mai 1977, moment de la divulgation

d’une « Proposition anglo-américaine » pour la Rhodésie en parallèle de la Conférence de

Maputo, et avril 1979, moment de celle du Règlement interne entre le Front rhodésien et

l’ANC en Rhodésie, fut une période de grande confusion dans l’évolution de la crise de

Rhodésie, confusion qui se répercuta sur les modalités d’action du Commonwealth, comme en

attestent les archives. Contre toute attente, l’évolution du contexte international rendit à

nouveau difficile l’affirmation du Commonwealth dans la crise. Le contexte de la fin des

années 1970, notamment en matière de changement de paradigme économique et de sursaut

des tensions de la Guerre froide, devait apporter son lot de difficultés et de nouvelles

dissensions au sein du Commonwealth qui, au dernier moment, semblèrent non loin de

menacer une implication dans la résolution du conflit qui fût en accord avec ses principes.

Les temps s’annonçaient prometteurs pour la Rhodésie au milieu de l’année 1977. Le soutien

annoncé de l’administration Jimmy Carter aux Travaillistes, après l’élection présidentielle

états-unienne de 1976, augurait d’une meilleure fluidité du message occidental à l’égard des

régimes d’Afrique australe363

. L’administration Carter affirmait une rupture avec les

362

Lettre du chef de la « ZAPU (Patriotic Front - PF) », J. Nkomo, à S. Ramphal, déplorant que J. Callaghan

n’ait pas invité le Front patriotique au CHOGM (la « conférence ») de Londres, 10 juin 1977, SRP 2008-013

Heads of Governments Meeting 1977 Background Papers Part 1. 363

CHASSAIGNE, op. cit., p. 169.

114

politiques de son prédécesseur, orientée par une approche plus idéaliste de ce que devrait être

l’action états-unienne en Afrique australe, et posait les États-Unis comme un nouvel acteur

central dans la crise de Rhodésie.

En témoignait un discours de J. Carter à Lagos :

Je suis venu d’une grande nation rendre visite à une grande nation [...]. Nos

nations, et nos continents, sont liées par des liens forts [...]. Nous partageons avec

vous un engagement pour le gouvernement de la majorité et les droits de l’Homme

individuels [...], nous partageons avec vous un engagement pour une Afrique en paix,

libérée du colonialisme, libérée du racisme [...]364

.

Il convient de relativiser la nature de ce changement : fin 1976, l’ancien secrétaire d’État, H.

Kissinger avait déjà initié un tournant dans la politique états-unienne en tentant d’infléchir les

positions respectives d’I. Smith et de J. Vorster ; quant au conseiller spécial de J. Carter,

Zbigniew Brzezinski, son legs à la politique mondiale ne devait pas être particulièrement

caractérisé par ses préoccupations idéalistes.

Quelle qu’en fussent les motivations, cependant, la nouvelle approche des deux alliés anglo-

saxons, à partir de 1976, semblait susceptible de donner une place de choix au

Commonwealth, dont la plasticité de l’engagement durant la crise de Rhodésie lui permettait

en 1977 de rester ouvert à un large éventail de possibilités.

Au niveau du Secrétariat, S. Ramphal entretenait d’excellentes relations avec l’Ambassadeur

des États-Unis à Londres, Kingman Brewster, et cette cordialité, en plus de celle qui

caractérisait, peut-être pour la première fois, les relations entre Secrétariat avec gouvernement

britannique depuis 1974, fut particulièrement utile à la poursuite de l’agenda du Secrétariat365

.

Plus étonnant, l’Ambassade du Royaume-Uni aux États-Unis avait fait connaître au

Secrétariat son intention d’œuvrer à l’extension de l’influence du Commonwealth à

Washington, en y organisant des réunions entre les ambassadeurs du Commonwealth et en

priant des derniers de mobiliser leurs réseaux internationaux et trans-organisationnels,

respectifs ou communs, à cet effet366

. Le Commonwealth était-il désormais vu par Londres

364

Discours de J. Carter à Lagos, 1er avril 1978, SRP 2010-097 Correspondence with US and Embassy. 365

Voir les nombreux échanges entre S. Ramphal et K. Brewster dans le dossier 2010-097. 366

Peter JAY, l’ambassadeur du Royaume-Uni à Washington, présentait ainsi son projet :

In the light of an earlier conversation [...] I had with you about meetings of Commonwealth

Ambassadors in Washington, I thought you might be interested to see the attached letter I

have just written to my Commonwealth colleagues. [...]. We shall in addition hope to do

115

comme un instrument de consolidation de son influence dans les nouvelles politiques

conjointes que les deux alliés se préparaient à mettre en place ?

Dans ce contexte, les échecs passés de tentative de résolution de la crise rhodésienne

semblaient lointains au moment de la nouvelle initiative anglo-états-unienne de 1977. En mai,

au milieu de la Conférence de Maputo, le Secrétaire britannique aux Affaires étrangères,

David Owen, annonçait un nouveau plan de résolution constitutionnelle du conflit rhodésien,

en collaboration avec l’administration états-unienne, et qui devait encore faire l’objet de

discussions avec les parties concernées367

. Au même moment, le vice-président de J. Carter,

Walter Mondale, rencontrait le Premier ministre sud-africain J. Vorster à Vienne, ce qui

laissait augurer d’une nouvelle tentative de pressurisation états-unienne du régime368

. Bien

que les modalités précises de ce plan fussent encore floues, et ses scénarios hypothétiques

tenus secrets, il marquait des avancées inédites. Tout d’abord, il prévoyait pour la première

fois la reprise du pouvoir par la Grande-Bretagne lors d’une période de transition de six mois,

durant laquelle seraient prévues des élections - conditions inconcevables jusqu’alors – sous

l’autorité d’un « Commissionnaire résident »369

. Le plan respectait donc le principe de

NIBMAR, puisque des élections au suffrage universel étaient prévues avant la reconnaissance

de l’indépendance du pays. Elle proposait également que la « sécurité » en Rhodésie fût

assurée par des forces des Nations unies, avec l’aval du Conseil de sécurité, durant la période

de transition370

.

Le choix du moment de l’annonce, pouvait-on penser, était étudié pour court-circuiter les

initiatives, considérablement plus radicales, qui risquaient d’émerger de la Conférence de

Maputo. Contre toute attente pourtant, la Proposition anglo-américaine, qui fut aussi nommée

Proposition ou Plan Owen-Young, des noms respectifs du Secrétaire britannique aux Affaires

étrangères David Owen et du Haut commissaire états-unien aux Nations unies Andy Young,

better in securing some Commonwealth engagements by visiting political personalities [...].

Needless to say I am sure your own visits in Washington would provide a useful peg for such

a gathering (28 mars 1979, « Commonwealth Meeting in Washington », FG 2010-102,

Information). 367

« Draft report of the Sanctions Committee, Juily 1975-Mai 1977 », p. 4, SRP 2009-161 Part 3. 368

Rapport de Lord Caradon, Membre de la Chambre des Lords britanniques, sur la Conférence de Maputo, non

daté, p. 4, SRP 2008-136. 369

« Draft report of the Sanctions Committee, July 1975-Mai 1977 » : « Annex C », SRP 2009-161 Part 3. 370

Livre Blanc « Rhodesia: Proposal for a Settlement », septembre 1977, FG 2009-043 Anglo-American

Proposal: Political, Constitutional. Annexes p. 142.

116

reçut le soutien des Présidents de la ligne de front du Commonwealth371

. La Proposition a été

interprétée comme une ultime tentative anglo-saxonne de marginaliser le Front patriotique, de

plus en plus puissant en Rhodésie depuis l’échec de Genève, dans le processus de sortie de

crise372

. Les États de la ligne de front, en ignorant cette dimension, démontraient ainsi leur

empressement à voir celle-ci se terminer, et, tout comme la Grande-Bretagne, la maléabilité

de leurs engagements passés, et ce en dépit des discours de soutien à la lutte armée proférés à

Maputo. La récupération de la question rhodésienne par les alliés anglo-saxons eut des

répercussions sur l’évolution des relations internes du Commonwealth entre mi-1977 et début

1978 : celui-ci sembla, une nouvelle fois, peiner à affirmer son action face à la détermination

des deux États.

Dans la continuité de la Conférence de Maputo, la Proposition fut un des thèmes centraux de

la préparation du CHOGM de Londres, qui se tint du 8 au 15 juin 1977. Pour l’occasion, S.

Ramphal, dont Londres était le premier CHOGM et à l’occasion duquel il rendit son premier

Rapport du Secrétaire Général aux Chefs de Gouvernements, rappelait dans celui-ci aux États

membres l’importance de leur engagement auprès du Zimbabwé, dont l’indépendance, qu’il

espérait proche, requerrait inévitablement une attention particulière en matière d’assistance

technique et économique373

. Le CHOGM de Londres, qui se tint dans l’enceinte symbolique

de Lancaster House, ancien siège des Conférences impériales et des Réunions du

Commonwealth jusqu’à 1965, lieu des conférences constitutionnelles où les indépendances

des colonies britanniques étaient traditionnellement négociées, fut accueilli par un J.

Callaghan visiblement soulagé par la réaction suscitée par la Proposition anglo-américaine au

sein du Commonwealth374

.

La Réunion fut ainsi marquée par un retour de la question rhodésienne, après six ans de

discrétion sur la question375

. Un fait intéressant fut que les Etats de la ligne de front

semblaient voir en cette réunion l’occasion de faire taire les critiques contre leur politique

ambivalente envers la Rhodésie. Ainsi, lors des discussions de Lancaster House, en écho à

Maputo, le Président zambien K. Kaunda mentionna emphatiquement la nécessité de

371

Voir KEATLEY, Patrick, « Owen Path at UN Eased on Rhodesia », The Guardian, 24 septembre 1977, FG

2009-043. 372

BHILA, PATEL, op. cit., p. 453. 373

Communiqué de presse, « The Commonwealth and the World Community - Secretary-General Ramphal

reports to Heads of Governments », 18 mai 1977, SRP 2009-161 Part 3. 374

Discours d’ouverture de J. Callaghan, Minutes de la session d’ouverture du CHOGM de Londres, 8 juin 1977,

SRP 2009-161 Part 2. 375

Agenda du CHOGM de Londres, SRP 2009-161 Part 1

117

reconnaître la légitimité des mouvements armés en Rhodésie, au vu de l’échec systématique

des négociations avec I. Smith depuis le dernier CHOGM, à Kingston (et a fortiori depuis le

début de la crise)376

. Il désamorçait ainsi les éventuelles accusations qui seraient portées

contre leur abandon des intérêts africains par l’acceptation de la Proposition Owen-Young, et

les connivences qu’on lui prêtait au camp occidental.

Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de l’organisation, le communiqué final de la

Réunion soutenait les propos suivants :

[Les Chefs de Gouvernements] ont reconnu qu’il était nécessaire de

mobiliser et d’exercer un maximum de pression sur le régime illégal de Smith. À cet

égard, ils ont noté que la lutte armée était devenue complémentaire d’autres efforts,

qui comprennent un règlement négocié, et se sont accordés à dire que son maintien

était inévitable377

.

Cette annonce marquait une forte évolution par rapport au CHOGM de Kingston, au cours

duquel, rappelons-le, Londres avait émis des réserves quant à l’hypothétique détournement de

l’aide du Commonwealth à des fins militaires378

. Une confirmation d’autant plus surprenante

de ce changement d’atmosphère était l’invitation, par J. Callaghan, d’une délégation

d’observateurs de la SWAPO au CHOGM379

.

J. Callaghan défendit par ailleurs la Proposition anglo-saxonne380

. Celle-ci semblait de toute

façon constituer un point de convergence entre les membres, et la présence informelle du

Secrétaire D. Owen lors de la réception d’honneur confirmait cette impression381

. Suite à une

semaine de discussions, le CHOGM de Londres se concluait sur la prédiction que

l’indépendance du Zimbabwé était proche, et pouvait être atteinte en 1978382

. Par ailleurs,

l’atmosphère de changement rapide qui régnait sur le continent semblait encourager une

extension du mandat du Commonwealth. Augurant de ce changement, le Comité des

376

K. Kaunda, « Provisional record of the Fourth Session [...] » p. 3, 5th Session, SRP 2009-161 Part 2. 377

« Draft Communique Paragraphs Agreed by the Committee of the Whole », SRP 2009-161 Part 1. 378

Voir Chapitre 4, p. 68. 379

« Swapo observer delegation to Commonwealth Heads Summit », 3 mai 1977, 2010-085 Part 2. 380

Voir le discours de J. Callaghan à la session d’ouverture

Following our discussions at Jamaica, Britain made public last year - I did it myself

in the House of Commons in March 1976 - specific pre-conditions for a negociated settlement

[...]. Some progress has been made since then, and as a result of an effort by Britain, with

support from the United States, we have embarked on yet another initiative aimed at bringing

independence to Zimbabwe on the basis of majority rule before the end of 1978. (8 juin 1977,

2010-085 Part 1). 381

Le Dr. Owen, en sa qualité de Secrétaire aux Affaires étrangères, était invité à la réception d’honneur du

CHOGM, tout comme d’autres membres du Gouvernement et la chef de l’Opposition Margaret Thatcher Lettre

de M. Thatcher à S. Ramphal, 26 mai 1977 ; Programme de la réception du 7 juin, 2010-085 Part 3 382

« Draft Communique Paragraphs Agreed by the Committee of the Whole », SRP 2009-161 Part 1.

118

Sanctions du Commonwealth était renommé Comité du Commonwealth sur l’Afrique

Australe (Commonwealth Committee on Southern Africa) 383

.

Sous des dehors enthousiastes, le CHOGM de Londres était donc pourtant en proie à une

contradiction fondamentale : tandis que les chefs d’Etats du Commonwealth y affirmaient leur

soutien à la lutte armée en Rhodésie, en accord avec les conclusions de Maputo, ils donnaient

dans le même temps leur bénédiction à l’initiative anglo-états-unienne, qui cherchait

possiblement à marginaliser celle-ci384

.

La tentative par le Commonwealth de concilier ces deux stratégies contradictoires devait très

vite montrer ses limites, et les espoirs du CHOGM de Londres être contrariés, tandis que les

difficultés de l’application de la Proposition anglo-américaine se multipliaient. Dans ce cadre,

le Commonwealth fut une fois de plus handicapé par cette erreur de jugement.

Selon un mécanisme étrangement similaire à celui qui avait provoqué l’évincement du

Commonwealth entre 1971 et 1973-74, après le retentissant CHOGM de Singapour en 1971,

le Commonwealth sembla à nouveau incapable de trouver sa place dans la nouvelle donne

rhodésienne suite au - certes moins - retentissant CHOGM de juin 1977. Une différence en

1977 était bien sûr que le Commonwealth, cette fois-ci, soutenait la proposition britannique,

tandis qu’il avait été fortement suspicieux de la Proposition anglo-rhodésienne de 1971.

Pourtant, tout comme la Proposition anglo-rhodésienne s’était embourbée avant d’échouer en

mai 1972, l’embourbement similaire du Plan Owen-Young entre mai 1977 et janvier 1978

devait s’accompagner d’un nouveau retrait du Commonwealth, écarté et paralysé par ses

propres contradictions internes. Pour pousser plus loin l’analogie, le Commonwealth, sur la

période 1977-79, sembla, comme en 1971-73, recentrer son activité sur la collecte

d’informations qu’il ne pouvait obtenir par une implication directe.

Peu après le CHOGM de Londres, le Front patriotique se prononça en défaveur du Plan

Owen-Young, qui selon lui ne procurait aucune assurance que, passée la période de reprise de

contrôle de Londres, le Front rhodésien ne serait pas reconduit au pouvoir385

. Par ailleurs, la

383

« Commonwealth Committee on Southern Africa : Oil Sanctions » FG 2008-7 Commonwealth Committee on

Southern Africa, 2 cartons, Part 1. 384

« Maputo Declaration in Support of Zimbabwe, June 1977 », SRP 2010-085 Part 1. 385

J. Nkomo, R. Mugabe, « The Zimbabwe Patriotic Front on British ‘Proposal for a Settlement’ », 12 septembre

1977, FG 2009-043.

119

condition de rendition de l’armée de libération, la ZIPA, dont la formulation de la Proposition

pouvait laisser entendre qu’elle était « illégale », n’était pas du goût du Front patriotique386

.

Malgré cela, faute de pouvoir s’affranchir de la pression internationale dont il faisait

désormais l’objet, en septembre 1977 J. Nkomo demandait, au nom du Front patriotique,

l’aide du Secrétariat en vue des négociations préliminaires avec I. Smith dans le cadre de la

Proposition387

.

Le Secrétariat, qui soutenait officiellement la position des États du Commonwealth et de la

ligne de front en faveur de la Proposition, était réticent à cette requête. Il accepta d’envoyer

des assistants du CFTC auprès du Front patriotique, mais en rappelant que cette aide serait

orientée en faveur de l’atteinte, et non de l’enrayement, du processus induit par la

Proposition388

. Cet évènement confirmait une fois de plus le mandat politique du CFTC dans

son assistance juridique aux mouvements armés. Une fois de plus, en l’absence d’archives du

Commonwealth sur ces négociations, la nature de l’intervention du Secrétariat en septembre

reste mystérieuse, d’autant que, pour des raisons qui restent elles-mêmes peu documentées, la

Proposition anglo-américaine devait s’essouffler dans les mois qui suivirent, pour être

totalement abandonnée début 1978.

L’étude croisée des informations que put se procurer le Secrétariat, directement ou

indirectement, et celle de l’historiographie, permet cependant de retracer les évènements qui

survinrent après le CHOGM de Londres389

. Un premier évènement fragilisa la Proposition. Le

14 août 1977, une rencontre fut organisée, selon R. Mugabe par Londres et possiblement par

Washington, entre I. Smith et J. Nkomo. Cette réunion fut interprétée par R. Mugabe comme

une nouvelle tentative de diviser le Front patriotique et d’évincer la branche de l’ancienne

ZANU du Plan anglo-américain390

. Ceci sema la division au sein du PF, tout en asseyant la

conviction, chez l’ancienne ZANU, de la perversion de cette nouvelle tentative de règlement

constitutionnel.

386

Ibid. 387

Télégramme de J. Nkomo, 15 septembre 1977, FG 2009-043. 388

Circulaire « Commonwealth Assistance to Patriotic Front », non datée, c. septembre 1977, FG 2009-043 389

Voir particulièrement le rapport au Secrétaire Général du Directeur de la division Information du Secrétariat,

Clyde Sanger, l’un des contributeurs officieux et réguliers à l’étoffement des renseignements du Secrétariat, sur

sa visite à Maputo du 30 novembre au 4 décembre 1978, p. 3., 2010-102. 390

Id.

120

Par ailleurs, dans une tentative d’accommoder les exigences du Front rhodésien, les Anglo-

Saxons auraient, dans les mois qui suivirent, accepté de corrompre un certain nombre de

points de leur Proposition. Ces changements se manifestèrent par l’ajout d’options et de sous-

provisions à la Proposition durant les négociations avec le Front rhodésien à l’automne 1977.

Il existait ainsi une propension à favoriser une « option B », qui impliquait un passage de

pouvoir, sans élections, à J. Nkomo391

. Crucialement, la Proposition se rétractait quant à

l’envoi du Commissaire Résident britannique Lord Carver, symbole de la reprise du pouvoir

britannique. En d’autres termes, c’était une transition sous l’égide du Front rhodésien,

possiblement allié à l’ancienne ZAPU, avec ce que cela impliquait en termes d’intimidation,

de manipulation constitutionnelle, et de fraude, qui se profilait392

. La ZANU, dans ces

conditions, aurait fait appel au Secrétariat du Commonwealth pour qu’il incite la Grande-

Bretagne à recentrer son initiative selon des termes plus acceptables393

.

En dépit de ces déconvenues, les Anglo-Saxons pressèrent la poursuite du processus induit

par la Proposition. En novembre 1977, une commission anglo-états-unienne, la Commission

Hugues-Low, des noms des employés ministériels britannique et états-unien qui la

présidèrent, fut envoyée en Rhodésie, avec pour mission d’établir si les conditions étaient

réunies pour la tenue d’une conférence constitutionnelle interpartite. Suite à sa rencontre avec

différents partis et représentants politiques, le délégué britannique dut rentre à J. Callaghan,

en janvier 1978, un avis défavorable à la tenue d’une telle conférence dans le contexte actuel -

son rapport fut par ailleurs transmis au Secrétariat394

. Cette conclusion était compréhensible :

l’unité des Africains ne tenant qu’à un fil, et le Front rhodésien, enorgueilli par les

concessions qu’il avait arrachées aux Anglo-Saxons, durcissant sa répression contre les

guérillas, aucun accord ne saurait être trouvé à ce moment-là395

.

Pensant pouvoir surmonter ces difficultés, les Anglo-Saxons appelèrent à la tenue d’une

conférence interpartite visant à discuter d’une formule finale pour la Proposition, qui fut

organisée à Malte plus tard en janvier 1978. Selon l’historiographie marxiste, celle-ci aurait

échoué en raison du refus anglo-saxon d’inclure le Front patriotique dans un gouvernement

391

Voir le rapport du député britannique David STEEL suite à son voyage en Rhodésie, Janvier 1979, SRP 2010-

096 Correspondence with House of Commons 1976-1979. 392

Rapport de C. SANGER, Op .Cit., FG 2010-102. 393

Id., p. 4. 394

Lettre de Cledwyn Hugues à J. Callaghan, 20 décembre 1978, SRP 2010-096 395

Une machination entre Londres et la ZAPU, que découvrit la ZAPU, fut une des raisons de l’explosion du

Front patriotique en 1978. ELLERT, op. cit., p. 44-45.

121

d’intérim, et ce malgré le pouvoir qu’il détenait à présent sur le territoire rhodésien - plus de

quatre-vingt pour cent396

. Comme I. Smith l’avait fait avant eux, les Anglo-Saxons semblaient

vouloir profiter de la division du mouvement armé pour en favoriser la branche la plus

modérée - dans le cas présent, la ZAPU.

Quelles qu’en fussent les qualités, on peut rétrospectivement douter des chances qu’avait la

Proposition d’être menée à bien. Selon leurs propres critères, les Britanniques avaient

pourtant pris toutes les précautions possibles pour en assurer le succès. Selon l’analyse

britannique, depuis 1965, une des raisons de l’échec systématique des tentatives de résolution

constitutionnelle avait été une incapacité chronique à saisir le moment opportun pour convier

des négociations d’indépendance. Que ce fût en 1966 et 1968 à Gibraltar, en 1971 à Salisbury,

ou encore en 1976 à Genève, les négociations avaient semblé manquer systématiquement le

moment providentiel où chacun des acteurs serait le plus enclin à négocier sa position ; une

réunion conviée au mauvais moment impliquerait, comme lors des tentatives précédentes, un

échec qui serait suivi d’une reprise du conflit et d’une détérioration supplémentaire de l’image

des tentatives de résolution constitutionnelle, et ce jusqu’à la survenue d’une nouvelle

opportunité397

. Début 1977, les effets du blocus mozambiquais et de la guérilla se faisant

pleinement ressentir en Rhodésie, les Démocrates s’installant à la Maison blanche, et la

détente sud-africaine s’accentuant, Londres avait donc pensé pouvoir enfin raisonner I. Smith.

Les Anglo-Saxons avaient pourtant minimisé une dimension récurrente du problème

rhodésien, à savoir ses causes structurelles - le ségrégationnisme et le racisme profond des

Rhodésiens blancs, accentué par des années de pouvoir d’UDI - au profit de facteurs

conjoncturels. L’existence de franges de l’opinion internationale, notamment états-uniennes,

peu enclines à soutenir la lutte africaine, avait influencé cette vision398

. Les Unions

zimbabwéennes, au contraire, avait très tôt décidé que toute tentative de négociation avec

Smith serait, par essence, facteur de division du nationalisme africain et de renforcement du

Front rhodésien. Seule la lutte armée, selon cette analyse, parviendrait à faire ployer le

régime399

. Cette analyse semblait étayée par la longévité du régime, et par son affaiblissement

396

PATEL et BHILA, p. 453. 397

Voir l’analyse de P. KEATLEY, « Owen announces Anglo-American team for Africa », The Guardian, 12

mai 1977, 2008-136. 398

On a mentionné le « lobby sudiste » au Congrès américain : cf. CHASSAIGNE, op. cit., p. 169. 399

BHILA, PATEL, op. cit., p. 448.

122

depuis la reprise de la guérilla en 1972 - même celui-ci put être en réalité dû à des évènements

extérieurs.

Le Commonwealth, tout au long de la crise, avait oscillé entre ces deux paradigmes, sans pour

autant pouvoir prétendre à une plus grande efficacité. Fin 1978, commençait-il à pencher à

nouveau en faveur de ce second cadre d’interprétation ?

Suite à l’échec de Malte, dont on assura toutefois qu’il ne signifiait pas l’échec de la

Proposition Owen-Young, qu’on chercha à ressusciter jusqu’à avril 1978, les archives

montrent que le Secrétariat sembla se distancier discrètement de certains de ses points400

.

Cette distanciation suscite plusieurs hypothèses, qui doivent prendre en compte l’ambivalence

qui avait caractérisé l’engagement du Commonwealth depuis 1974. On peut imaginer que le

Secrétariat tenait à ce que le Front patriotique se vît octroyer un rôle central dans toute

nouvelle négociation constitutionnelle – ou bien par conviction, au vu de son soutien récent à

ses représentants, ou bien parce qu’il estimait cette condition indispensable à ce qu’un

quelconque règlement jouît du minimum viable de pérennité, et de légitimité auprès de la

population. On pouvait aussi penser que le Secrétariat, sentant s’évaporer l’état de grâce dans

lequel s’était trouvée Londres jusqu’à septembre, et faute toutefois de pouvoir dénoncer

l’embourbement de la Proposition, estima le moment propice pour s’en démarquer

subrepticement – possiblement afin de sauvegarder son image auprès des partis africains.

Cherchant à utiliser l’influence qu’il avait essayé de se créer à Washington à force de

cordialité diplomatique, S. Ramphal fit part de ses craintes à Washington. Cette dernière, en

termes diplomatiques, rappela fermement à S. Ramphal sa place dans ce processus, comme

les termes accentués dans la lettre suivante laissent transparaître :

Votre soutien constant pour un Règlement rhodésien basé sur les Principes

anglo-américains [notre emphase] est fort apprécié, et est une preuve supplémentaire

du rôle constructif que le Secrétariat du Commonwealth [...] joue dans les affaires du

monde. [...]

Nous avons bien noté votre appel nous encourageant à soutenir une rencontre

entre tous les partis de Rhodésie, qui serait précédée par des négociations directes

entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Front patriotique - en d’autres termes,

une reprise des discussions de Malte [notre emphase] [...]. Ce dont nous avons à

présent besoin est une réelle compréhension, de la part des parties concernées, de

l’urgence de la situation, à laquelle ils répondre en se montrant ouvert au compromis,

pour le bien du peuple et de l’avenir du Zimbabwé.

400

ELLERT, op. cit., p. 45.

123

J’espère que vous-même et le Secrétariat du Commonwealth continuerez à

entretenir l’élan de l’effort de négociation [...]401

.

Une invitation fut toutefois adressée à S. Ramphal pour une rencontre avec A. Young, à New

York, afin de discuter des modalités de la Proposition402

. Cela illustrait-il une quelconque

tentative, de la part de Washington, de regagner des soutiens à une Proposition de plus en plus

compromise ? Les requêtes du Secrétariat n’eurent en tout cas aucun effet sur les modalités de

la Proposition, et le Front restait marginalisé.

L’attente d’un nouveau moment propice continua à fragiliser la Proposition, qui ne fut

pourtant totalement et officiellement abandonnée qu’en avril 1978. L’application du plan

Owen-Young devait être compromise par la confusion qui régnait en Rhodésie, confusion que

les altérations portées par ses auteurs à la Proposition avaient contribué à accentuer. I. Smith

avait cultivé le manque d’aplomb des Anglo-Saxons jusqu’à parvenir à faire inclure les

fameuses « options » à leur Proposition, la rendant par là définitivement caduque aux yeux du

Front patriotique. Début 1978, I. Smith continua à se distancier de la Proposition, revenant

publiquement sur ses engagements auprès de Londres et Washington, ce qui mit ces derniers

dans l’embarras403

. Par ailleurs, l’opinion britannique se montrait de plus en plus dubitative,

voire critique, de cette nouvelle entreprise404

. Tandis que le Plan Owen-Young s’éteignait

dans l’indifférence générale, des négociations reprirent début 1978 entre l’ANC, discret

depuis l’échec des Chutes Victoria de 1975, les partis modérés de la Zimbabwe Union

People’s Organization (ZUPO) et du FROLIZI, parfois qualifiés de « caution noire » d’I.

Smith, une branche de la ZANU menée par Sithole, et le Front rhodésien405

. Ces négociations

menèrent à l’annonce, le 3 mars 1978, d’un futur Règlement interne (Internal Settlement). Le

Règlement prévoyait des élections pour avril 1979, ainsi qu’une nouvelle Constitution

rhodésienne.

Aux yeux de nombreux observateurs contemporains, le Règlement présentait de nombreuses

insuffisances. Certains estimaient qu’il ne respectait pas les cinq principes fixés par Londres,

sans compter la condition de NIBMAR. Il avait été atteint sans consultation du parti qui avait

été reconnu comme le « représentant légitime » de la majorité de la population à la

401

Message du Secrétaire d’Etat états-Unien Cyrus Vance à Sridath Ramphal, transmis par K. Brewster, 6 avril

1978, SRP 2010-097. 402

Lettre d’Andrew Young à « Sonny » Ramphal, 14 juin 1978, SRP 2010-097. 403

David STEEL, Rapport de Janvier 1979 (op. cit.) SRP 2010-096. 404

Ibid. 405

PATEL, BHILA, op. cit., p. 454.

124

Conférence de Maputo, le Front patriotique. Il prévoyait la création d’un gouvernement dual,

où chaque portefeuille de ministre serait conjointement détenu par un Africain et un

« Européen »406

. Il prévoyait que les « Européens » garderaient le contrôle de la fonction

publique, y compris la haute fonction, la police et l’armée ; par ailleurs, la nouvelle structure

du Parlement, et la minorité de blocage allouée aux Européens, repoussait à des décennies

l’atteinte d’un gouvernement de majorité407

. Pour ces raisons, il illustrait le fourvoiement de

l’évêque A. Muzorewa, jadis soutenu par le Secrétariat et le Commonwealth. Bien qu’il pût

être lu rétrospectivement comme impraticable et non-viable, le Règlement avait ses

défenseurs. On notera que certains historiens ont même estimé que le Règlement respectait les

cinq principes, et, dans une perspective peut-être culturaliste, qu’il se démarquait même

comme particulièrement démocratique selon des standards africains408

.

La reconnaissance internationale, qui devait logiquement s’accompagner de la levée des

sanctions, était le but clairement affiché par les auteurs du Règlement, et défendu tout autour

du globe par une partie de l’échiquier politique – y compris le Parti conservateur en Grande-

Bretagne409

. Le Règlement suscita globalement une réaction très polarisée de l’opinion

publique britannique - ses défenseurs accusant avec fureur ses détracteurs de saboter les

chances de résolution de la crise410

.

Pour le Commonwealth cependant, le Règlement représentait cependant un nouveau facteur

d’unification et de réinsertion dans la crise rhodésienne, qui lui permettait par ailleurs de se

détourner d’un certain nombre de problèmes qui s’étaient cristallisés après le CHOGM de

Londres, tandis qu’il était discrètement écarté de la question rhodésienne par la Proposition

anglo-américaine. Une étude de l’ambiance politique qui régnait au sein du Commonwealth

vers la fin des années 1970 permet de comprendre les enjeux que l’annonce suscita.

En 1978-79, l’équilibre de la politique mondiale subissait des modifications rapides. La

« Guerre fraîche » qui fit suite à la détente, laissait craindre chez un certain nombre

d’observateurs un nouveau ralentissement du processus de libération en Afrique australe411

.

L’échec des négociations de SALT II, la crise des euromissiles, l’exode massif des « boat

406

Ibid. 407

JOUANNEAU, op. cit., p. 91. 408

DARWIN, op. cit., p. 320. 409

HOLLAND, op. cit., p. 285. 410

Voir la lettre de Ronald BELL, député conservateur britannique, à S. Ramphal, 5 avril 1979, SRP 2010-096. 411

Interview de Paul TSONGAS, « We Want Majority Rule », Newsweek, avril 1979, SRP 2010-097.

125

people » vietnamiens, puis la révolution iranienne de janvier 1979, menaçaient d’une

réadoption par les États-Unis d’une attitude prompte à cautionner les régimes d’apartheid, à

condition qu’ils écartent la menace communiste412

. Cette approche était partagée par Margaret

Thatcher, à la tête du Parti conservateur en Grande-Bretagne depuis 1975, et laissait craindre

d’une nouvelle crise du Commonwealth dans l’éventualité d’une alternance au pouvoir

britannique en 1979, à la fin du quinquennat des Travaillistes.

Les questions économiques avaient elles aussi un poids considérable dans le réveil de

divisions au sein du Commonwealth. L’essor du monétarisme et de la pensée néolibérale chez

les anciens membres allait à l’encontre du tiers-mondisme qui était encore de rigueur dans de

nombreux pays du Sud du Commonwealth. Le Premier Ministre libéral australien, Malcolm

Fraser, dénonçait par exemple l’inefficacité des remèdes keynésiens qui avaient été appliqués

à l’inflation des années 1970, et la nécessité pour lutter contre celle-ci d’une libéralisation des

échanges et d’un retrait des États413

. Cette analyse contrastait avec celle des pays socialistes

du Commonwealth, tels l’Inde - et, en tout état de cause, avec celle de S. Ramphal, fervent

défenseur des systèmes préférentiels de Lomé414

. Le Secrétaire Général semblait avoir

anticipé les changements profonds de la politique mondiale reflétés à l’intérieur du

Commonwealth à cette période. Il entreprit de nouer des relations avec certains membres du

Parti conservateur, et notamment les personnes pressenties à des postes au FCO au sein d’un

futur Cabinet conservateur415

.

Les désaccords au sein du Commonwealth dans le courant de l’année 1978 semblaient donc

être à l’origine d’une nouvelle phase d’hésitation et d’inaction, la première à survenir sous S.

Ramphal. L’émergence d’une tendance au régionalisme parmi les membres asiatiques et

océaniens illustrait l’entrée du Commonwealth dans une ère nouvelle, et incertaine, de son

histoire416

. Elle se concrétisa avec la première Réunion Régionale des Chefs de

Gouvernements du Commonwealth (Commonwealth Heads of Governments Regional

Meeting - CHOGRM), qui se tint à Sydney en 1978417

. S. Ramphal, sans avoir le pouvoir de

s’y opposer, voyait cette évolution comme une tendance néfaste à l’unité du Commonwealth.

412

Ibid. 413

Lettre de Malcolm FRASER à S. Ramphal, 19 juillet 1979, SRP 2010-088 Australia, 2 cartons, Part 1. 414

S. Ramphal avait particulièrement défendu les intérêts du Commonwealth devant le Bow Group en 1977.

Discours de S. Ramphal, « Britain and the Third World », 25 juin 1977, 2010-096. 415

2010-096 416

MARX, op. cit., p. 161. 417

Voir le dossier FG 2010-025.

126

Dans ce contexte, sans que ni les États-Unis, ni le Royaume-Uni, ni le Commonwealth ne

fussent soit en mesure, soit enclins, à influencer l’évolution du Règlement interne durant

l’année 1978 et début 1979, celui-ci suivit son cours naturel en Rhodésie. Une nouvelle

Constitution fut promulguée par le régime d’I. Smith en janvier 1979, qui serait soumise à un

référendum au mois d’avril 1979. La Constitution attribuait à l’évêque Muzorewa le poste de

Premier ministre de pays, renommé Zimbabwé-Rhodésie, et à I. Smith celui de président d’un

Conseil exécutif formé par les dirigeants des cinq partis ayant participé au Règlement - le

Front rhodésien, l’ANC, le ZUPO, le FROLIZI418

. Le 4 avril 1979 se tenaient ainsi les

premières élections au suffrage universel en Rhodésie, selon les termes du Règlement interne.

Le Front patriotique appela au boycott des urnes ; mais les urnes connurent un taux de

fréquentation de soixante pour cent, et la Constitution fut majoritairement approuvée par la

population419

. Ce résultat, cependant, fut immédiatement attribué par le Front patriotique aux

manoeuvres d’intimidation par le régime d’I. Smith – une autre interprétation le voyait

comme le signe de la résignation de la population zimbabwéenne420

.

Ce dénouement provoqua un tollé au sein du Commonwealth, dont de nombreux membres

rejetèrent le règlement. À ce stade, il était à craindre qu’il existât une tentation, tant pour les

États-Unis que pour le Royaume-Uni, de reconnaître le Règlement interne - d’autant que le

Parti conservateur britannique, entré en campagne électorale, affirmait qu’il le soutiendrait421

.

Dans ces conditions, la préparation de la Réunion des Chefs de Gouvernements de 1979, qui

devait se tenir en août à Lusaka, en Zambie, laissait présager des plus grandes difficultés pour

le Commonwealth.

Comme nous le voyons, du CHOGM de Londres en juin 1977 au vote du Règlement interne

en avril 1979, les objectifs affichés du Commonwealth en termes d’atteinte d’une sortie rapide

à la crise de Rhodésie ne purent se matérialiser. Cet échec, qui fut douloureusement ressenti

par le Secrétariat, pouvait être imputé à une erreur de jugement de la part de ses membres,

mais aussi de son Secrétariat. Sortant de sa réserve en 1974, il n’avait connu de réel succès

qu’en optant pour une approche ambiguë à la crise, entre 1974 et 1977.

418

JOUANNEAU, op. cit., p. 91. 419

DARWIN, op. cit., p. 320. 420

Ibid. 421

HOLLAND, op. cit., p. 285.

127

En 1977, le Commonwealth avait cru pouvoir faire coïncider l’appui au Plan Owen-Wilson

avec la défense du mouvement de libération armée. S. Ramphal, satisfait du bilan des deux

premières années de son mandat, qui s’étaient achevées avec les déclarations prometteuses de

Maputo, semblait avoir surrévalué la marge de manoeuvre dont le Commonwealth

bénéficierait au cas où l’entreprise des Anglo-Saxons s’éloignait trop des standards

acceptables selon ses termes. Il crut possible de concilier le nouveau statut privilégié du

Commonwealth avec des convictions radicales qui avaient jadis été défendues par ses

membres, et qu’il semblait à présent reprendre au compte du Secrétariat. Confronté,

impuissant, à l’incohérence de ces attentes lors des négociations décriées de la Proposition

anglo-américaine, le Secrétariat sembla, comme l’avait été son prédécesseur, démuni de tout

recours. Le silence du Commomwealth tout au long de l’année 1978 semblait illustrer ce

brusque assombrissement de ses horizons vis-à-vis de la crise rhodésienne.

Pourtant, en 1979, le Commonwealth était loin d’avoir épuisé ses ressources. Ces deux années

avaient permis au Secrétariat de continuer à développer son activité auprès des mouvements

de libération. Cette expérience était essentielle à l’entretien de sa pertinence dans la crise :

grâce à ces interventions, il entretenait sa réputation en matière d’expertise des questions

rhodésiennes. L’enjeu début 1979, suite au vote du Règlement interne, était donc de mettre à

profit ses compétences. Le Règlement devait ainsi initier la dernière phase de la crise de

Rhodésie, où le Commonwealth entendait bien s’imposer finalement dans l’atteinte d’une

solution.

128

Chapitre VIII. L’étrange apogée final

« [The Commonwealth governments’] role will be to observe that [...] the British Government is

carrying out its responsibility 422

»

Le Gouvernement britannique.

D’avril 1979 à avril 1980, la dernière année de la crise rhodésienne fut marquée par une

accélération de l’enchaînement des interventions du Commonwealth. Celui-ci fut intensément

impliqué dans cette dernière phase de la crise. Tout d’abord, il s’assura d’empêcher la

reconnaissance du nouveau régime rhodésien par le gouvernement britannique. Il contribua

ensuite à jeter les bases de la future conférence constitutionnelle pour la Rhodésie lors du

CHOGM de Lusaka. Il participa lui-même à cette conférence, qui se tint à Lancaster House de

septembre à décembre 1979, procurant son assistance au Front patriotique. Cependant, l’issue

de la Conférence de Lancaster House dépassait ses espérances, puisque l’Accord de Lancaster

House prévoyait l’envoi d’une commission d’observation des élections et d’une force de

maintien de l’ordre, toutes deux du Commonwealth. Il entreprit expressément de se préparer à

assurer ces missions.

Au vu des difficultés qui avaient jalonné le parcours du Commonwealth tout au long de la

crise, ce chapitre s’interroge sur les continuités, et sur les changements, qui marquèrent sa

politique au cours de cette dernière année. Qu’en était-il, par ailleurs, des divergences

d’opinion entre le Secrétariat et divers membres du Commonwealth, anciens comme

nouveaux ? Comment parvinrent-ils à les dépasser afin d’atteindre un tel succès ?

Un début de réponse se situe dans la condamnation du Règlement interne par la majorité des

membres du Commonwealth, et par le Secrétariat. Au lendemain du vote de la Constitution du

Zimbabwé-Rhodésie, le Comité du Commonwealth pour l’Afrique australe publiait un rapport

intitulé « Une analyse de la constitution pour le Zimbabwé proposée par le régime illégal423

»,

rejetant violemment le Règlement interne défendu par celui qui avait jadis été le protégé du

Commonwealth, l’évêque Muzorewa. Il fut accueilli avec fureur par les Conservateurs au

Royaume-Uni, comme l’illustre la réaction menaçante d’un député britannique :

422

Lancaster House Agreement, p. 8, voir Annexes p. 146-149. 423

« An analysis of the illegal regime’s ‘Constitution for Zimbabwe Rhodesia’ », 2010-017 HGM 1979 Zambia

Background Papers, 2 cartons, Part 2.

129

Je vous écris spécialement pour vous faire part de ma désapprobation quant

à la façon dont le Commonwealth agit de nos jours. [...] Je suis regrettablement de

l’avis que le Secrétariat du Commonwealth n’a rien fait d’autre que de nuire au

Commonwealth et au monde, et qu’il devrait être aboli à la première occasion qui

se présente424

.

De là, comment les relations au sein du Commonwealth évoluèrent-elles ? De 1979 à 1980, le

Commonwealth sembla pour la première fois parvenir à concilier l’abandon de sa politique de

compromis, symbolisé par le rejet ouvert du Règlement interne, et le succès diplomatique

final, que son inclusion dans l’Accord de Lancaster House en 1980 confirmait. Quelle fut la

nature réelle de son intervention auprès du Front patriotique à Lancaster House ?

Nous utiliserons particulièrement dans ce chapitre les dossiers du fonds général 2010-023

Heads of Governments meetings 1979 Lusaka et 2010-109 United Nations Documents A-N

1979, les dossiers du fonds Sridath Ramphal 2010-017 Heads of Governments Meeting 1979

Zambia Background Papers et 2010-094 Heads of Governments meeting 1979 Lusaka SG

Follow-up Action ; ainsi que les dossiers relatifs à la Conférence de Lancaster House, dont la

demande de dérogation à l’incommunicabilité est en cours de traitement.

424

Lettre de Ronald BELL à S. Ramphal, 5 avril 1979, SRP 2010-096.

130

CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE

De manière générale, entre 1975 et 1980, on peut résumer que l’activité du Commonwealth

vis-à-vis de la Rhodésie connut une expansion spectaculaire, qui contrastait avec les

difficultés des années 1971-1975. Cette période fut coïncidemment marquée par la

multilatéralisation réelle de la gestion de la crise, après une période bilatérale de 1965 à 1972,

et une période de latence de la communauté internationale 1972 à 1975. L’octroi, dans

l’Accord de Lancaster House promulgué le 29 décembre 1979, du statut d’observateur des

futures élections pour le Commonwealth, consacrait la réussite de l’association.

On peut cependant espérer comprendre quelle fut la stratégie du Commonwealth dans le cadre

de ses « bons offices » à Lancaster House en 1979. Compte tenu des réorientations politiques

qu’avait initiées S. Ramphal, on peut en effet se demander si cette intervention fut acceptée

par Londres à condition que le Secrétariat allât dans le sens d’un infléchissement du Front

patriotique, ou si le Secrétariat poursuivit un agenda moins compromettant. L’Accord de

Lancaster House a été critiqué par certains historiens marxistes comme bradant les intérêts

africains en Rhodésie, en ce qu’il maintenait un certain nombre de réserves en faveur des

Européens425

. Il interdisait par exemple toute réforme agraire ou redistribution foncière, et

maintenait un système parlementaire dual avec quelques sièges réservés pour les Blancs426

.

Savoir comment le Secrétariat et les Etats de la ligne de front se positionnèrent vis-à-vis de

ces concessions permettra de déterminer la signifiance finale de la crise de Rhodésie pour

l’identité du Commonwealth contemporain.

425

ASTROW, Andre, Zimbabwe: A Revolution that Lost its Way, Londres : Zed Books, 1983. 426

BHILA, PATEL, op. cit., p. 456-457.

131

CONCLUSION GÉNÉRALE.

La crise interne, parfois aiguë, parfois latente, que traversa le Commonwealth de la création

de son Secrétariat en 1965 à l’indépendance zimbabwéenne de 1980, trouvait ses origines

dans la relation problématique que le Commonwealth entretenait, sans se l’avouer, à

l’impérialisme britannique depuis son élargissement de 1947. La conscience refoulée de

l’héritage impérial britannique qui rendait possible la continuation de l’association informelle

du Commonwealth après la décolonisation, mais qui rendait également possible

l’épanouissement de régimes d’apartheid en Afrique australe, était devenue intolérable pour

une grande partie de ses membres au moment de la Déclaration unilatérale d’indépendance.

La crise de Rhodésie, qui exposait ouvertement ces contradictions, provoqua un profond

malaise au sein du Commonwealth, qui devait passer les quinze années suivantes à tenter de

les résoudre.

La première de ses réactions fut un rejet total de l’appartenance au Commonwealth, qui faillit

pousser un certain nombre de gouvernements des nouveaux États membres à quitter

l’association. Curieusement, pourtant, les liens qui unissaient le Commonwealth semblaient

suffisamment profonds pour qu’il ne soit pas aussi facile pour les Etats de s’en défaire. Par

conséquent, durant les quinze années suivantes, le Commonwealth et son Secrétariat

oscillèrent respectivement, parfois de manière synchrone et parfois en décalage, dans la

gamme de nuances diplomatiques existant entre le rejet total et l’adhésion totale aux valeurs

de l’ancien Commonwealth. Cette mitigation entre des aspirations contraires donna lieu tantôt

à des périodes de collaboration accrue avec Londres, tantôt à un rejet de ses politiques en

Rhodésie – et, tantôt, à une coopération partiellement avouée, et partiellement appréciée.

Simultanément, cependant, le Commonwealth chercha à s’émanciper de ce choix binaire,

pour se ménager de nouvelles options au sein des relations internationales. Il le fit en

développant ses relations bilatérales et multilatérales avec d’autres acteurs impliqués dans la

crise de Rhodésie. Ce fut le cas de son rapprochement avec l’un ou l’autre des mouvements de

libération africains de Rhodésie, avec d’autres Etats impliqués dans la crise, et avec d’autres

organisations internationales.

132

Ces évolutions étaient grandement dues aux orientations imprimées par deux Secrétaires

Généraux successifs, dont les approches respectives marquèrent la crise de Rhodésie. Elles

étaient également influencées par les relations personnelles qu’entretenaient les fonctionnaires

du Secrétariat, les diplomates du Commonwealth, et les représentants de divers autres acteurs

de la crise, rhodésiens ou autres.

Ce faisant, le Commonwealth définissait, au gré des avancées et des difficultés de la crise

rhodésienne, sa nouvelle identité contemporaine. Celle-ci se construisit au gré d’hésitations et

d’incertitudes tant que de résolutions et d’actions. Elle suivait, en réalité, l’évolution naturelle

d’une organisation intergouvernementale nouvelle, à cela près qu’elle le faisait sur des bases

anciennes qu’elle incorporait, en partie, à ses nouveaux processus. L’institutionnalisation

croissante du Commonwealth durant la crise de Rhodésie laissait cependant à penser qu’une

partie de l’essence du Commonwealth, son informalité, devrait être abandonnée si

l’association voulait survivre.

Cette étude nous a permis d’aborder dans plus de détails les modalités des changements idéels

et institutionnels qui s’opérèrent au sein du Commonwealth durant la crise de Rhodésie, et en

raison de celle-ci. Certaines ambivalences ont été révélées, qui constituent un point important

de ce processus de maturation de l’association. Elles le sont d’autant plus qu’elles paraissent,

encore aujourd’hui, constituer une gêne pour l’association, dont l’image de « supporter » des

pays en développement, et des principes idéalistes de Singapour, semble difficilement

compatible avec les calculs politiques qu’elle dut respecter pour garantir sa propre pérennité.

La victoire de la ZANU-PF aux élections zimbabwéennes d’avril 1980, et le rejet subséquent

par son chef, R. Mugabe, des valeurs du Commonwealth qui avaient précisément justifié les

efforts acharnés de ses membres dans la crise de Rhodésie, illustrait bien les ambiguïtés

identitaires auxquelles le Commonwealth était encore confronté au sortir de la crise de

Rhodésie.

La poursuite de ce projet se focalisera donc sur l’étude des nombreux évènements encore non

documentés de l’intervention du Secrétariat auprès des mouvements nationalistes africains

entre 1975 et 1980, notamment à la Conférence des Chutes Victoria, à la Conférence de

Genève, etc. Il sera par ailleurs utile d’étudier les dossiers disponibles ou en attente de

communication liés aux tous derniers mois de la crise, du CHOGM de Lusaka à la Conférence

de Lancaster House (cette dernière n’étant pas encore documentée). En fonction des nouvelles

133

conclusions que ces documents permettront d’atteindre, on sera alors en mesure d’estimer

l’étendue des modifications à apporter aux découvertes des deuxième et troisième parties de

ce mémoire (1972-1979).

134

ANNEXES

135

427

Carte 1 : Afrique coloniale, 1914.

Chapitre 1 427

Source : Matrix, Centre des lettres, sciences humaines et sociales en ligne, Michigan State

University. « Unit Two: Studying Africa through the Social Studies »

http://exploringafrica.matrix.msu.edu/students/curriculum/m10/activity3.php (10/09/2010).

136

428

Carte 2 : Régimes d’apartheid en Afrique australe.

428

Source : http://users.erols.com/mwhite28/safr1970.htm (10/09/2010)

137

429

Carte 3 : Le Zimbabwé (ex-Rhodésie)

429

Source : University of Texas at Austin, http://www.lib.utexas.edu/maps/africa/zimbabwe.gif (10/09/2010)

138

430

Carte 4 : Le Commonwealth.

430

Source : http://www.mapsofworld.com/deutsch/thematische-karten/commonwealth-of-nations-

mitgliedsstaaten-landkarte.gif (10/09/2010)

139

Annexe 5 : Propositions constitutionnelles anglo-rhodésiennes de 1961 à 1971

431

431

ASP 2006-152 Part 2.

140

Annexe 6 : Agreed Memorandum, 1965.

432

432

ASP 2006-141 Part 4.

141

Annexe 7 : Déclaration des Principes du Commonwealth, 1971.

142

Annexe 8 : Anglo-Rhodesian Proposal, 1971.

143

144

145

146

Annexe 9 : Rhodesia, Proposal for a settlement (Anglo-American Proposal), 1977 (Extraits)

147

148

149

150

Annexe 10 : Lancaster House Agreement, 1979 (Extraits)

151

152

153

154

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

155

I. SOURCES

1. Archives du Secrétariat Général du Commonwealth

(Marlborough House, Pall Mall, London SW1Y 5HX, Royaume-Uni)

NB : sauf indication contraire, 1 carton par dossier.

1.1. Fonds Arnold Smith (Arnold Smith Papers, ASP)

2005-101: Ottawa Heads of Governments Meeting 1973, Circular Letters.

2005-136 Britain 1965-1974

2006-141 Heads of Governments Meeting Kingston, 4 cartons.

2006-152, Rhodesia, Miscellaneous Correspondence, 2 cartons.

1.2. Fonds Sridath Ramphal (Sridath Ramphal Papers, SRP)

2007-140 Countries Aid to Mozambique.

2007-148 Southern Africa 1976.

2008-013 Heads of Governments Meeting 1977 Background Papers Part 1.

2008-136 United Nations Conference in Support of Zimbabwe and Namibia.

2009-161 Heads of Governments Meeting Lancaster House 1977 Part 3.

2010-085 Heads of Goverments Meeting London, 3 cartons.

2010-088 Australia, 2 cartons.

2010-096 Correspondence with House of Commons 1976-1979.

2010-097 Correspondence with US and Embassy.

1.3. Fonds Général (FG)

2003-053 Representation by Rhodesian leaders

2004-048 Rhodesia: Internal Affairs.

2004-049 Rhodesia Internal Affairs.

2004-050 Rhodesia Correspondence with public and organisations.

2004-066 Rhodesia: Exchange with UN Sanctions Committee.

2007-005 Records of Conversations between Secretary-General and Commonwealth and

Non-Commonwealth Governments Representatives

2007-009 Sanctions Committee 1976 Circulated Papers and Minutes, 2 cartons.

2008-7 Commonwealth Committee on Southern Africa, 2 cartons.

2009-043 Anglo-American Proposal: Political, Constitutional.

156

2010-017 Heads of Governments Meeting 1979 Zambia Background Papers, 2 cartons.

2010-025 Commonwealth Heads of Governments Regional Meeting Sydney 1978.

2010-102 Divisions Information 1978-1979.

2. Documents et textes officiels

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http://www.britannica.com/EBchecked/topic/126219/Colonial-Development-Act (9/09/2010).

Déclaration des Principes du Commonwealth, 1971,

http://www.thecommonwealth.org/shared_asp_files/uploadedfiles/%7B49743C45-C509-

4DF0-A51C-2785B45916AB%7D_singapore.pdf (8/09/10).

Lancaster House Agreement,

Bibliothèque du Secrétariat du Commonwealth, Carton « Africa : Zimbabwe », n°221.

Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution

nationale en faveur des Français rapatriés,

http://admi.net/jo/20050224/DEFX0300218L.html (9/09/2010).

Southern Rhodesia elections February, 1980 : The report of the Commonwealth observer

group on elections leading to independent Zimbabwe, Londres : Commonwealth Secretariat,

1980.

Statute of Westminster, 1931,

http://www.solon.org/Constitutions/Canada/English/StatuteofWestminster.html (3/09/2010).

3. Sources imprimées

3. 1. Recueils d’archives publiées

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Serie A vol 5 East of Suez and the Commonwealth 1964-1971, Part II, Europe, Rhodesia,

Commonwealth, Londres : Institute of Commonwealth Studies, 2004.

WINDRICH, Elaine : The rhodesian problem : a documentary record, 1923-1973, Londres :

Routledge, 1975, 312p. p. 263 SOURCE IMPRIMEE

3. 2 Journaux et périodiques

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157

The Guardian, 26 octobre 1967.

The Guardian, 12 mai 1977.

The Listener, Londres, 10 juin 1971.

The Observer, 6 mars 1966.

The Rhodesia Herald, 7 décembre 1971.

The Times, 25 novembre 1971.

3.3 Contributions et mémoires d’acteurs de la crise

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Rhodesia and Nyassaland, Londres : Collins, 1964.

4. Sources audio-visuelles

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http://www.thecommonwealth.org/subhomepage/190691/ (Consulté le 1/09/2010)

Transcription du discours d’Harrold Macmillan, « Winds of Change », discours au Cap,

http://www.nationalarchives.gov.uk/news/421.htm (5/09/2010).

158

II. BIBLIOGRAPHIE

1. Travaux génériques sur le contexte de la crise de Rhodésie

1.1. Histoire de la décolonisation britannique

1.1.1 Manuels et encyclopédies

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1.1.2. Histoire des politiques impériales et de la décolonisation britanniques

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1.1.3 Histoire comparative de la décolonisation

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160

1.1.4 Théories historiographiques de l’impérialisme et de la décolonisation

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1. 2. Relations internationales

1.2.1. Histoire des relations internationales

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1. 2.2. Anthropologie des organisations internationales

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161

2. Études sur le Commonwealth

2.1. Histoire du Commonwealth

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3. Travaux sur l’Afrique dans les relations internationales

3. 1. Histoire de la décolonisation de l’Afrique

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3.2. Relations internationales africaines

3.2.1. Construction étatique africaine

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4. Études sur la Rhodésie

4.1 Histoire de la Rhodésie

4.1.1. Histoire générale de la Rhodésie et du Zimbabwé

BARRIER, Virginie, « Zimbabwé et pouvoir noir : l’impossible décolonisation ? » Outre-

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4.2. Travaux en sciences politique et juridique traitant de la Rhodésie

NKALA, Jericho, The United Nations, international law, and the Rhodesian independence

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PALLEY, Claire, The Constitutional History and Law of Southern Rhodesia, 1888-1965,

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5. Rhodésie et Commonwealth

BARRIER, Virginie, De l’Empire britannique au Commonwealth des Nations : le sens de la

question de Rhodésie, thèse doctorale d’Études anglophones effectuée à l’Université de Paris

IV - Sorbonne, sous la direction de REDONNET, Jean-Claude, soutenue le 16 juin 2004.

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