L'architecture, le contexte économique et l'archéologie de la forge de l'abbaye de Fontenay

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Parmentier Jérôme 04/06/2012 1 ère Master en archéologie nationale Séminaire d’archéologie nationale (LARKO 2673) L’architecture, le contexte économique et l’archéologie de l’abbaye de Fontenay Prof. L. Verslype Université catholique de Louvain-la-Neuve Faculté de Philosophie, Arts et Lettres Département d’Archéologie Année académique 2011-2012

Transcript of L'architecture, le contexte économique et l'archéologie de la forge de l'abbaye de Fontenay

Parmentier Jérôme 04/06/2012

1ère Master en archéologie nationale

Séminaire d’archéologie nationale (LARKO 2673)

L’architecture, le contexte économique et l’archéologie de

l’abbaye de Fontenay

Prof. L. Verslype

Université catholique de Louvain-la-Neuve

Faculté de Philosophie, Arts et Lettres

Département d’Archéologie

Année académique 2011-2012

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INTRODUCTION

Le séminaire d’archéologie nationale se déroula en Bourgogne du 16 au 21 avril

2012. Le travail personnel de ce séminaire traite des dimensions architecturales,

économiques et archéologiques relatives à la forge de l’abbaye de Fontenay.

Cet ensemble abbatial cistercien renferme un patrimoine architectural bien conservé,

évocateur de ce que devait être une abbaye à l’époque médiévale.

Le site de l’abbaye de Fontenay (fig. 1) est tout indiqué pour abriter un complexe

économique. En effet, par les mandements de la règle de saint Benoît, l’ordre cistercien avait

principe d’être isolé et de se suffire à lui-même. En 1119 Saint Bernard fonde Fontenay, fille

de l’abbaye de Clairvaux. Vers 1130 le site se déplace et s’implante en vallée, le long d’une

rivière qui lui permet ainsi d’utiliser la force hydraulique.1

La base de ce travail repose sur les récentes études architecturales sur la forge2 et

les recherches métallurgiques du site des Munières3, selon les demandes du travail et la

documentation disponible. Deux ouvrages généraux sur l’abbaye de Fontenay furent

également consultés4.

1 ANDRÉ, L., 2003, p. 14.

2 BENOÎT, P., 1986, p. 50-52 ; AQUILINA, L., BAPTISTE, P. et DEROIN, J.-P., 1991, p. 299-314 ;

CAILLEAUX, D., 1991, p. 327-329 ; CAILLEAUX, D., 1996, p. 401-411. 3 BENOÎT, P., DEROIN, J.-P., LORENZ, C. et LORENZ, J., 1992, p. 133-148 ; BENOÎT, P., GUILLOT,

I. et DESCHAMPS, C., 1991, p. 275-288 ; BENOÎT, P., 1991, p. 289-298. 4 BÉGULE, L., 1912 et ANDRÉ, L., 2003.

3

L’ARCHITECTURE

Le complexe abbatial de Fontenay dispose d’un bâtiment considéré par la tradition

comme une forge. Ce site est marqué par l’architecture gothique cistercienne, caractérisée

par sa sobriété (fig. 2).

La forge est un bâtiment rectangulaire long de 53 m. et large de 13, 5 m., situé au

sud de l’ensemble abbatial (fig. 1, n°17 et fig. 3). Elle dispose de quatre salles. Cet édifice fut

construit dès le XIIe siècle en trois étapes successives et peu espacées dans le temps (fig. 4)

car on remarque des similitudes entre les décors (ex. consoles, chapiteaux et ogives). Un

premier état était constitué de deux bâtiments distincts : d’une part d’un moulin à blé pour

moudre la farine et d’autre part d’une salle de travail et d’une autre pour les fourneaux. La

pièce de jonction entre ces deux bâtiments daterait du début du XIIIe siècle.5

Un premier moulin à blé est construit perpendiculairement à la fausse rivière (fig. 4,

phase A et fig. 5), dont une travée enjambait le conduit (fig. 6), ensuite s’installe un bâtiment

parallèle à la fausse rivière (fig. 4, phase B) et enfin une salle réunit ces deux constructions

(fig. 4, phase C).6

La salle de la forge dans laquelle étaient forgées les loupes de fer est la salle B.

Haute de 11 m., des amorces d’ogive sont conservées sur des culots dans les angles de la

pièce. Alors que Bégule indique que la voûte était vraisemblablement terminée par un

lanternon et devait atteindre le sommet du bâtiment, Caillaux s’interroge sur la réalité de son

édification7. On y conserve le sommet des hottes et les piédroits de deux grandes

cheminées. La construction est caractérisée par du calcaire rose pour les ogives, les arcs et

les montants des deux cheminées (fig. 7).8 Une de ces deux cheminées a été reconstituée

telle qu’elle devait l’être au XIIe siècle lors des récentes restaurations qu’a subi le bâtiment.

On distingue donc trois différentes étapes à la construction de la forge. Une étude

géologique détermine l’usage de 3 types de pierres (ex. mur sud de la salle B en fig. 7). Une

phase initiale identifie un type de calcaire rose au XIIe siècle, suivi d’une phase

d’aménagements et de remaniements au début du XIIIe siècle caractérisée par un type jaune

et une ultime phase plus récente avec l’usage de calcaire blanc lors de la période de

l’installation de la papeterie au XIXe siècle.9 Des restaurations commencèrent dès le début

du XXe siècle pour rendre à la forge son aspect initial.

5 CAILLEAUX, D., 1996, p. 402-403.

6 CAILLEAUX, D., 1991, p. 327-329 ; CAILLEAUX, D., 1996, p. 409 et ANDRÉ, L., 2003, p. 120.

7 BÉGULE, L., 1912, p. 80 et CAILLEAUX, D., 1991, p. 317.

8 AQUILINA, L., BAPTISTE, P. et DEROIN, J.-P., 1991, p. 302 et CAILLEAUX, D., 1991, p. 317-318.

9 AQUILINA, L., BAPTISTE, P. et DEROIN, J.-P., 1991, p. 304.

4

LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE

Le développement commercial cistercien débute dès le troisième tiers du XIIe siècle.10

On connait pour cette époque des exemples de vente de la production pour les sites de

Clairvaux (en 1168), Morimond (en 1182) et Vauluisant (en 1188). De plus, cette vente

répond à un but commercial et non à l’écoulement d’une production de fer excédentaire.11

Les Cisterciens extrayaient et produisaient du fer à travers le système économique des

granges qui consistait en de directs faire-valoir12. Il résulte donc une importance de

l’exploitation du fer dans la production cistercienne13. L’absence de documentation écrite ne

permet cependant pas de s’affirmer sur ces points pour l’abbaye de Fontenay mais pourrait

le laisser supposer. En outre, l’auteur Bégule émet l’hypothèse que la forge de Fontenay, en

plus de subvenir aux besoins de l’abbaye, devait aussi fournir du matériel aux communautés

voisines14.

D’après les recherches actuelles, il demeure trois mentions dans des documents

écrits des XIIe-XIIIe siècles référençant les termes de « mola fabri » et qui pourraient faire

référence au bâtiment de la forge de Fontenay.15

Une question se pose au sujet des travailleurs. S’agit-il de convers ou salariés ?16

Dans le cas des exploitations sidérurgiques cisterciennes en Champagne et en Bourgogne,

Verna suppose la présence de frères convers pour constituer la main-d’œuvre à l’origine et

seraient remplacés par des ouvriers salariés après 1200.17

D’autres productions artisanales sont également à considérer à l’intérieur de ce

bâtiment industriel. On sait que de la farine y était produite pour le pain18 dans la salle du

moulin. Caillaux y suppose également le travail du chanvre et cuir19.

10

ANDRÉ, L., 2003, p. 119. 11

VERNA, C., 1983, p. 210. 12

VERNA, C., 1983, p. 210 et ANDRÉ, L., 2003, p. 119. 13

VERNA, C., 1983, p. 209. 14

BÉGULE, L., 1912, p. 79-80. 15

BENOÎT, P. et CAILLEAUX, D., 1991, p. 270 et 272 ; BENOÎT, P., GUILLOT, I. et DESCHAMPS, C., 1991, p. 275 et ANDRÉ, L., 2003, p. 119. 16

BENOÎT, P., 1991, p. 296. 17

VERNA, C., 1983, p. 210. 18

BENOÎT, P. et CAILLEAUX, D., 1991, p. 269. 19

CAILLEAUX, D., 1991, p. 330.

5

L’ARCHÉOLOGIE

D’après les fouilles réalisées au XIXe siècle, le site n’était pas vierge d’occupation car

des structures gauloises ou antérieures y furent découvertes20. Une exploitation antérieure

du minerai lors de l’Antiquité est même envisagée21.

Divers sites d’exploitations minières furent repérés aux alentours de l’abbaye (fig. 8).

Le site des Munières, situé en forêt à 500 m. de Fontenay, fut analysé avec grande minutie

par l’équipe dirigée par Paul Benoît. Ils y ont découvert 14 puits d’extraction de minerai (fig.

9). Neuf d’entre eux étaient des puits aveugles, c’est-à-dire sans débouché sur le filon, et les

cinq autres descendaient vers le gisement22. Par les espaces vides laissés par l’extraction,

les chercheurs estiment la quantité de minerai extraite à environ 250 à 300 m³, ce qui

équivaut à un an de production23. Cela implique donc la nécessité de différents sites. Trois

secteurs sont d’ailleurs considérés comme lieu d’extraction : le champ des Munières, l’usine

Choiseau et la forêt du Grand Jailly24. La période d’exploitation est évaluée entre 1150 et

1350, époque d’apogée de la sidérurgie cistercienne en Bourgogne25.

En ce qui concerne les indices d’extraction, aucun instrument n’a encore été

découvert mais quelques traces d’outil ont pu être repérées. Le travail des mineurs s’est

limité à décrocher le minerai du karst, ce qui n’a pas laissé beaucoup de traces. Il demeure

cependant des empreintes dans le puits 1, 2 et 4. Par ces traces, les chercheurs supposent

que les mineurs ont utilisé un outil à percussion posée, telle une pointerolle ou un ciseau, en

raison de l’exigüité des galeries.26

En raison de sa provenance géologique, le minerai extrait du gisement des Munières

est de bonne qualité ; en effet, la teneur en fer du minerai est de 64%, sous forme

d’hydroxyde. Ce taux élevé permet donc une réduction directe en bas fourneau.27 Des

scories furent d’ailleurs découvertes dans une tranchée de fouille à proximité de l’abbaye28.

20

ANDRÉ, L., 2003, p. 14. 21

BENOÎT, P., GUILLOT, I. et DESCHAMPS, C., 1991, p. 278. 22

ANDRÉ, L., 2003, p. 121. 23

BENOÎT, P., 1986, p. 51 ; BENOÎT, P., 1991, p. 293 et BENOÎT, P., DEROIN, J.-P., LORENZ, C. et LORENZ, J., 1992, p. 145 et 148. 24

BENOÎT, P., GUILLOT, I. et DESCHAMPS, C., 1991, p. 276. 25

VERNA, C., 1983, p. 208-211 et BENOÎT, P., 1991, p. 296. 26

BENOÎT, P., DEROIN, J.-P., LORENZ, C. et LORENZ, J., 1992, p. 145-146 et ANDRÉ, L., 2003, p. 121. 27

BENOÎT, P., GUILLOT, I. et DESCHAMPS, C., 1991, p. 278 et ANDRÉ, L., 2003, p. 122. 28

BENOÎT, P., GUILLOT, I. et DESCHAMPS, C., 1991, p. 285-286.

6

CONCLUSION

La forge de Fontenay est un bâtiment exemplatif et bien conservé du contexte

économique et de la production de fer à Fontenay au Moyen Âge.

L’apport de l’archéologie du bâti permet d’identifier les modifications successives et

l’historique du bâtiment car, bien que l’ensemble de pièces semble homogène, après

analyse on y distingue différentes phases de construction.

Il est à noter en outre l’importance pour ce sujet de la recherche multidisciplinaire sur

terrain et de l’archéologie expérimentale, permettant ainsi d’assembler les approches de

différents spécialistes et de conforter des hypothèses par la reproduction des pratiques

métallurgiques.

Bien que le bâtiment soit conservé, on prend conscience de l’importance de réaliser

des fouilles archéologiques en raison du petit nombre et des vagues témoins écrits.

Organiser des fouilles de la forge demeure cependant nécessaire pour compléter ces

informations.

Certains éléments ont été mis en lumière mais il reste quelques questionnements

concernant les travailleurs, l’emplacement de mines et la provenance du minerai, la

production métallurgique et son caractère économique. L’absence de documents écrits

n’aide pas à comprendre le contexte dans sa globalité.

Le site de Fontenay est implanté dans un riche et idéal milieu naturel pour convenir à

sa subsistance. En effet, la rivière proche fournit l’abbaye en eau et en énergie hydraulique,

les forêts avoisinantes procurent du bois et les diverses mines des environs pourvoient la

forge en minerai de fer de bonne qualité.

7

BIBLIOGRAPHIE

ANDRÉ, L., L'abbaye de Fontenay. De saint Bernard au patrimoine mondial, Paris, 2003

(Les destinées du patrimoine). [UCL : BST-ARCH ; 4 9 AND]

AQUILINA, L., BAPTISTE, P. et DEROIN, J.-P., Etude géologique des matériaux de

construction de la forge de l’abbaye de Fontenay (Bourgogne, France), dans

BENOÎT, P. et CAILLEAUX, D., Moines et métallurgie dans la France médiévale,

Paris, 1991, p. 299-314. [ULB : S.706438]

BÉGULE, L., L'abbaye de Fontenay et l'architecture cistercienne, Lyon, 1912. [BNF :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6108722x.r=abbaye+fontenay.langFR]

BENOÎT, P., La forge de l'abbaye de Fontenay, dans Dossiers : histoire et archéologie,

n°107, juillet-août 1986, p. 50-52. [UCL : FA-542 DOAR 107]

BENOÎT, P., Les mines de Fontenay, dans BENOÎT, P. et CAILLEAUX, D., Moines et

métallurgie dans la France médiévale, Paris, 1991, p. 289-298. [ULB : S.706438]

BENOÎT, P., DEROIN, J.-P., LORENZ, C. et LORENZ, J., Environnement géologique du

minerai de fer de Fontenay (Côte-d'Or) : son exploitation au Moyen Âge, dans Les

techniques minières de l'Antiquité au 18e siècle : actes du colloque international sur

les ressources minières et l'histoire de leur exploitation de l'Antiquité à la fin du 18e

siècle réuni dans le cadre du 113e Congrès national des sociétés savantes

(Strasbourg, 5-9 avril 1988), Paris, 1992, p. 133-148. [KBR : 9A/1993/3.378

(Magasin-Salle de lecture générale)]

BENOÎT, P., GUILLOT, I. et DESCHAMPS, C., Minerai et métallurgie à Fontenay, dans

BENOÎT, P. et CAILLEAUX, D., Moines et métallurgie dans la France médiévale,

Paris, 1991, p. 275-288. [ULB : S.706438]

CAILLEAUX, D., Enquête monumentale sur la forge de l'abbaye de Fontenay et les

bâtiments industriels cisterciens. Premiers résultats, dans BENOÎT, P. et

CAILLEAUX, D., Moines et métallurgie dans la France médiévale, Paris, 1991, p.

315-352. [ULB : S.706438]

CAILLEAUX, D., La "salle du moulin" à la forge de l'abbaye de Fontenay (Côte-d'Or, France),

dans PRESSOUYRE, L. et BENOÎT, P., éd., L'hydraulique monastique : milieux,

réseaux, usages, Paris : Créaphis, 1996, p. 401-411. [ULB : 4 NIV 628.1 PRES]

VERNA, C., La sidérurgie cistercienne en Champagne méridionale et en Bourgogne du Nord

(XIIe-XVe siècle), dans Flaran, t. 3 : L’économie cistercienne. Géographie. Mutations,

Auch, 1983, p. 207-212. [UCL : FH-1 P FLA/3]

8

ILLUSTRATIONS

Fig. 1 : Plan de l’abbaye de Fontenay (ANDRÉ, L., 2003, p. 27).

Fig. 2 : Forge de l’abbaye de Fontenay (©Parmentier J.).

9

Fig. 3 : Plan de la forge de Fontenay (CAILLEAUX, D., 1991, p. 316).

Fig. 4 : Phasages de la construction de la forge (CAILLEAUX, D., 1991, p. 329).

Fig. 5 : Salle D, dite la salle du moulin (CAILLEAUX, D., 1996, p. 405).

10

Fig. 6 : Coupe de la salle D (CAILLEAUX, D., 1996, p. 405).

Fig. 7 : Mur sud de la salle B de la forge, dite la salle des cheminées (AQUILINA, L.,

BAPTISTE, P. et DEROIN, J.-P., 1991, p. 309).

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Fig. 8 : Situation des mines et du minerai à proximité de l’abbaye (BENOÎT, P., GUILLOT, I.

et DESCHAMPS, C., 1991, p. 277).

Fig. 9 : Emplacements des puits de mines et du gisement sur le site des Munières (BENOÎT,

P., 1991, p. 291).