La réforme des politiques de gestion des déchets ménagers en France et en Allemagne Le rôle...

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Papier de recherche Conférence de Méthode de Politiques Publiques Marine Bourgois La réforme des politiques de gestion des déchets ménagers en France et en Allemagne Le rôle des groupes d’intérêts économiques Thibaut Fonteneau, Dalyan Sari, Robin Saxod Année 3 groupe SP 4 Année universitaire 2014 - 2015

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Papier de recherche

Conférence de Méthode de Politiques Publiques Marine Bourgois

La réforme des politiques de gestion des

déchets ménagers en France et en Allemagne Le rôle des groupes d’intérêts économiques

Thibaut Fonteneau, Dalyan Sari, Robin Saxod

Année 3 groupe SP 4

Année universitaire 2014 - 2015

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Introduction “C’est plus sûr : non consignée, la bouteille ne sert que pour vous, elle ne sert qu’une fois ; vide, on la jette, elle ne revient pas”. C’est ainsi qu’un producteur d’huile vante en 1963 la création de sa nouvelle bouteille en PVC à usage unique, amenée à remplacer le coûteux et fastidieux système de consigne en vigueur jusqu’au début des années 1950 en France. Les années 1960 marquent le début d’un bouleversement majeur dans la composition des déchets ménagers en Europe et dans ses modes de traitement. S’ils étaient jusque là majoritairement composés de matière organique, l’arrivée et la multiplication des emballages plastiques pose problème. “Entre 89-90, nous nous sommes aperçus assez vite - nous les collectivités locales - que la nature de nos déchets changeait et que le volume des emballages augmentait en pourcentage du volume total : 50 % des déchets étaient constitués par les emballages”1. A cette époque, les pays européens ont presque exclusivement recourt à la mise en décharge comme moyen principal de “traitement” des déchets2. Face à l’augmentation des déchets d’emballages notamment plastiques, cette solution se révèle rapidement insoutenable. Ces changements, couplés à l’émergence des problématiques écologiques (avec notamment les sommets de la terre de Stockholm 1972 et Nairobi 1982), ont imposé un bouleversement dans les modes de traitement des déchets, et particulièrement des déchets ménagers. L’OCDE les défini comme “constitués pour une large part des déchets générés par les ménages, mais pouvant également inclure les déchets similaires générés par des petites entreprises et des établissements publics collectés par les services municipaux”3. Ils représentent donc seulement une petite part de la production totale de déchets en Europe (environ 15%)4. Ils intègrent différents types de déchets (organiques, résidus, mâchefers …). On s'intéressera ici aux déchets d’emballages (verre, plastique, carton, métaux non ferreux) qui sont au centre des politiques de gestion des déchets. En effet, dans les années 1980, on passe d’une optique d’élimination dans des conditions sanitaires satisfaisantes (mise en décharge) à une optique de valorisation et de recyclage ; notamment avec l’émergence des considérations écologiques (gaspillage, gisement économique du recyclage, mobilisation de la société civile contre les décharges). Les pays comme les Pays-Bas, le Danemark et l’Allemagne, pionniers de la réforme de gestion des déchets, ont rapidement établi une hiérarchisation des différents modes de traitement5. Sont donc favorisés par ordre décroissant : la réutilisation pour un même usage (consigne pour

1 Transcription de l’exposé de Jacques PELISSARD : Les Maires, fantassins du développement durable lors de Rencontre-débat du Comité 21 du mercredi 8 juin 2005. URL : http://www.comite21.org/docs/rencontres_debats/rd2005/pelissard.pdf 2 ACR + (2009). Déchets municipaux en Europe, Vers une société Européenne de recyclage. Collections Environnement. Paris, VE PUF. 3 ADEME. Rapport déchets 2012. URL : http://www.syvalom.fr/media/boite_utiles/Etude_dechets/ADEME__Chiffres-Cles-Dechets-Edition_2012_.pdf 4 ACR + (2009). Déchets municipaux en Europe, Vers une société Européenne de recyclage. Collections Environnement. Paris, VE PUF. 5 Ibid

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réutilisation), ou pour un autre usage (consigne pour recyclage). Vient ensuite le recyclage, puis l’élimination avec récupération d’énergie (incinération énergétique très présente au Danemark), l’élimination sans récupération d’énergie et enfin la mise en décharge en dernier recours. En France, on développe la notion de valorisation6 qui regroupe la notion de recyclage et incinération avec récupération d’énergie sans véritable hiérarchie, ce qui explique le positionnement actuel de la France dont les taux de recyclage et d’incinération sont approximativement égaux7. Nous allons donc nous intéresser au cas de la France et de l’Allemagne : deux pays industrialisés confrontés à un même contexte général d’augmentation des déchets (de 330 kg/habitants en 1980 à 580 kg/habitants en 2010)8 et soumis à une même contrainte européenne (triptyque de la directive 91/156/CEE : prévention, valorisation, élimination sans dangers). L’Allemagne est donc l’un des premier pays à lancer des réformes de gestion des déchets et préfigure les grandes directives européennes en matière de valorisation grâce à des instruments comme la consigne et la prévention de production de déchets polluants. La France quand à elle, à une répartition plus équilibrée dans le traitement des déchets avec une part d’incinération et de mise en décharge relativement importante9. De même, son taux de recyclage est moins important notamment en ce qui concerne les emballages plastiques : 25,1% pour la France contre 50% pour l’Allemagne en 201210. La France apparaît donc en retard par rapport aux objectifs fixés par l’UE. Pourtant, les systèmes de recyclage sont instaurés de manière similaire en France et en Allemagne, par le bais de la création, par les industriels des deux pays, de sociétés de droit privé chargées d’organiser la filière et dont ils sont actionnaires. Les activités de la société sont financées par une taxe sur les emballages mis en vente. Outre la prise en charge des emballages usagés pour les revaloriser, elles redistribuent une partie de leur revenu aux collectivités territoriales pour organiser la collecte. Cependant, l’Allemagne va plus loin en complétant ce dispositif par d’autres instruments comme la consigne, dont le taux de retour atteindrait les 90% et qui permettrait une réduction de 20% des emballages à traiter11, ce qui explique son meilleur taux de recyclage des déchets d’emballages. La consigne représente donc un instrument efficace qui témoigne de la performance du modèle allemand. Cependant, elle n’a pas été adoptée en France, ce qui nous pousse à nous interroger sur les facteurs responsables de la mise en place de certains instruments de cette politique de gestion des déchets. En effet, entre les États désireux d’instaurer des réformes écologistes d’une part et les industriels responsables de la création d’emballages de l’autre, il semble que l’influence des acteurs soit prépondérante dans ce domaine. Se pose alors la question du poids respectif du politique et des groupes industriels sur la prise de décision et la mise en oeuvre des politiques

6 BUCLET, N. GODART, O (1999). Municipal waste management in Europe. Paris, Environnement et management. p 232. 7 Cf annexe 1 8 LE BOZEC, A. BARLES, S. BUCLET N. KECK, G (dir.) (2012). Que faire des déchets ménagers. Versailles, Edition Quae. 9 Cf annexe 1 10 Cf annexe 2 11 BOHLE ZELLER, R. « Le marché allemand des déchets en pleine évolution », Regards sur l'économie allemande. URL : http:// rea.revues.org/618

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relatives au traitement des déchets. Les sociétés de droit privées créées et financées par les industriels témoignent en partie de cette implication. Or, l’apparition de telles entités n’a été possible que par l’association d’industriels en groupes d'intérêts. Ces derniers peuvent être définis comme “des entités qui cherchent à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société afin d’influencer les processus politiques”12. En s’inscrivant dans la continuité des travaux d’Olivier Godart et Emmanuel Salle sur l’influence de l’économie sur les politiques environnementales13, nous montrerons donc que la problématisation et la mise en oeuvre des nouvelles politiques de gestion des déchets ménagers au début des années 1990 s’est construite, dans les deux pays, selon une logique de primauté des enjeux économiques et industriels et non pas écologiques. Cela induit un retrait de l’Etat en faveurs des groupes d’intérêts industriels dans l’élaboration de ces dispositifs. Bien qu’on assiste à la mise en place de dispositif similaire entre les deux pays, il subsiste des différences dans les résultats et particulièrement dans le taux de recyclage. Nous montrerons qu’elles s’expliquent principalement par des intérêts économiques de nature différente entre les industriels des deux pays. Il est avant tout nécessaire de présenter un cadre théorique cohérent pour analyser empiriquement l’apparition et la mise en place de ces nouvelles politiques de traitement des déchets en France et en Allemagne. Nous mobiliserons tout d’abord la littérature se rapportant aux groupes d’intérêts, et nous verrons si elle s’applique à notre cas d’étude. Par ailleurs cette politique étant considérée comme environnementale, nous utiliserons également la théorie se rapportant à ce type de politique.

12 GROSSMAN, E et SAURUGGER, S (2006). Les groupes d’intérêt. Action collective et stratégies de représentation. p 11. 13 GODART, O et SALLE, E (1989). « Entre nature et société », dans BOYER, CHAVANCE et GODART (dir), Les figures de l'irréversibilité en économie. Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales. p248-249.

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Le dépassement de la typologie classique sur les groupes d’intérêt dans le cadre des politiques environnementales

Pour pouvoir aborder la question qui nous intéresse, il nous faut d’abord définir

précisément ce que sont les groupes d’intérêts et quelle est leur place dans le processus d’élaboration des politiques publiques. Emiliano Grossman et Sabine Saurugger donnent deux définitions des groupes d’intérêt14. La plus large d’entre elle définit un tel groupe comme “une entité qui cherche à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société dans l’espace public”. Cependant nous retiendrons une acceptation plus étroite de cette définition qui caractérise un groupe d’intérêt comme “une organisation constituée qui cherche à influencer les pouvoirs publics dans un sens favorable à leurs intérêts”. Nous délaisserons donc volontairement la notion d’organisation constituée pour nous concentrer sur celles d’intérêt et d’influence exercée sur les pouvoirs publics. Cette relation entre groupes d’intérêts et pouvoirs publics prend des formes différentes selon les pays. Globalement on relève trois modèles ou trois idéaux-types différents. En premier lieu, le pluralisme est un modèle libéral dans lequel l’Etat joue un rôle minimal, il est “largement subordonné à la composition entre les groupes”15, le pays de référence de ce modèle étant les Etats Unis. Ensuite, le modèle néo-corporatiste naît lui du retour du contrôle de l’Etat sur l’économie dans la ligné des travaux de Keynes et se traduit par une concertation institutionnalisée entre l’Etat, le patronat et le salariat. L’Allemagne est un symbole de ce néo-corporatisme16 et de cette concertation tripartite. Enfin on peut ajouter un troisième modèle, présenté par Emiliano Grossman et Sabine Saurugger comme spécifique à la France : l’étatisme. Cet idéal type est caractérisé par une prédominance de l’Etat qui tente de marginaliser les groupes d’intérêts. L’idéal type de l’étatisme renverrai au modèle le moins “abouti en terme d’organisation de la société civile”17. Le développements du monde associatif en France qui est aujourd’hui très dynamique remet en cause la pertinence de cet idéal type. Cependant la méfiance à l’égard des groupes d’intérêts à laquelle ce modèle renvoi est encore à prendre en compte dans le cas de la France. Ce refus de considérer les groupes d’intérêts comme de véritable acteurs dans le processus d’élaboration des politiques publiques peut donc entraîner en théorie une faiblesse des groupes d’intérêts économiques qui ont essentiellement recours aux contacts informels comme répertoire d’action. Pourtant, nous verrons que dans le cas que nous étudions les contacts entre l’Etat et les industriels n’ont pas été informels.

14 GROSSMAN, E et SAURUGGER, S (2006). Les groupes d’intérêt. Action collective et stratégies de représentation. Paris, Armand Collin. p11. 15 Ibid, p59 16 GIRAUD, O et LALLEMENT, M. « Construction et épuisement du modèle néo-corporatiste allemand. La Réunification comme consécration d'un processus de fragmentation sociale ». In: Revue française de sociologie. 1998, 39-1. p 39-69. 17 Ibid, p57

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Pour le cas de l’Allemagne, c’est donc le modèle néo-corporatiste qui doit être pris en compte. Dans ce modèle les groupes d’intérêts sont davantage consultés que dans le modèle étatiste, leurs répertoires d’action sont différents et ce sont essentiellement les répertoires de la négociation et de la consultation qui sont mobilisés18. Dans ce cas, ce sont les acteurs institutionnels qui invitent les groupes d’intérêt à participer aux processus décisionnels. Présenter ces deux modèles revient donc à considérer le processus de création de politique publique comme un processus linéaire (émergence des problèmes, mise sur l’agenda, décision, mise en oeuvre, évaluation, terminaison), les groupes d’intérêt interviendraient dans ce processus de façon différente selon si on se trouve dans un modèle étatiste ou néo-corporatiste. Cependant cette logique séquentielle est très rarement respectée, la prise de décision ne suivant pas toujours la mise sur agenda par exemple. Il faut donc la dépasser. Par ailleurs les rapports entre les industriels et l’Etat ont semblé très similaires sur la question des déchets, en France et en Allemagne. Comme le présente Matthieu Glachant et Olivier Giraud19 les industriels peuvent avoir recours à des engagements volontaires. Ce type d’actions est notamment fréquent dans le cadre des politiques environnementales. Les auteurs donnent pour exemple les objectifs d’émissions de gaz à effet de serre dans l’industrie. Ces engagements volontaires de la part des entreprises peuvent être provoqués par une injonction ou une menace de la puissance publique. L’engagement volontaire serait ainsi moins coûteux que l’exécution de la menace. Il peut aussi permettre à la firme d’améliorer sa réputation. Enfin l’engagement volontaire peut s’avérer purement rentable d’un point de vue économique. Dans le cadre de notre partie empirique, nous mobiliserons le premier élément de cette typologie, les entreprises répondant à une menace de la part de l’Etat, menace qui peut même s’avérer relativement informelle. Ainsi on peut avoir une décision, certes privée, mais qui précède la mise à l’agenda du problème. A ce moment, le problème aura déjà été traité par les industriels et donc défini. Or la manière dont est défini un problème a une influence déterminante sur la légitimité des acteurs à participer au processus d’élaboration de la réglementation (Baumgartner et Jones 1993). Par des engagements volontaires préalables, les firmes sont à la fois dans la réaction vis à vis d’une menace des pouvoirs publiques mais ils agissent en retour sur la réglementation future. Ces actions préalables pourraient donc être érigées comme un répertoire d’action à part entière, non présenté par Grossman et Saurruger, et qui s’ajoute aux répertoires d’actions de négociation, consultation et de recours à l’expertise. Ce dernier est défini comme l’utilisation de l’expertise par les pouvoirs publics dans un but de recherche d’efficacité politique. Mais l’expertise peut aussi être une source de pouvoir pour celui qui la réalise. Les groupes de pression peuvent donc 18 Ibid, p17 19 GIRAUD, O et LALLEMENT, M (1998). « Construction et épuisement du modèle néo-corporatiste allemand. La Réunification comme consécration d'un processus de fragmentation sociale ». In: Revue française de sociologie. 39-1. p 39-69.

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faire passer leurs intérêts par le biais de l’expertise. Par la définition qu’ils donnent au problème, les industriels se rendent légitimes à participer au processus d’élaboration de la réglementation en mettant en avant leurs intérêts qui sont d’ordre économique. Lionel, Lange, Kalaora et Rudolf20, présentent les formations politiques écologistes comme plus présentes et structurées en Allemagne. Les partis sont donc plus urbains, plus innovants, et plus modernistes. Ils réussissent davantage à s’ancrer durablement dans le paysage politique. En revanche, en France, les partis écologistes n’ont pas su asseoir leur crédibilité. Ils sont décrits comme peu innovants, ruraux et souvent tournés vers le passé. Cependant Anahita Grisoni et Rosa Sierra déconstruisent l’idée d’une “culture allemande” de l’écologie. Néanmoins ils reconnaissent que les questions environnementales ont davantage pénétré la société et les institutions allemandes pour des raisons de composition politique et de comportement des acteurs. Elles prennent notamment l’exemple de GreenPeace Deutschland qui contrairement à d’autres pays accepte de traiter avec les industriels. Cependant il nous faudra questionner l’impact de cette différence sur le cas du traitement des déchets ménagers. La convergence des politiques allemande et française nous semble écarter l’influence d’une telle analyse. Si l’on en croit Godard et Salles, dans le cas de l’élaboration d’une politique environnementale, ce sont toujours les enjeux économiques qui priment. En effet pour eux, la particularité des enjeux environnementaux, réside dans le fait que leurs conséquences sont futures et pas immédiatement visibles. Le traitement de ces problèmes dépend donc fortement d’acteurs extérieurs comme les médias, les organisations politiques ou encore les experts scientifiques21. Godard et Salles mettent en avant le déficit d’information du politique sur ces questions qui est obligé de trancher malgré l’incertitude des conséquences futures, “les décisions se ramènent de fait à trancher raisonnablement les controverses technologiques par un processus de négociation faisant valoir d’autres intérêts et d’autres considérations que le problème de l’environnement”22. Il y a donc un arbitrage rendu entre “les intérêts les mieux défendus”. Les auteurs montrent que dans le cas d’une norme au caractère environnemental, les intérêts qui finissent par primer sont toujours les intérêts économiques.

20 CHARLES, L, LANGE, H, KALAORA, B et RUDOLF, F (dir.) (2014). Environnement et sciences sociales en France et en Allemagne. Paris, l’Harmattan, Sociologies et Environnement. 21 GODART, O et SALLE, E (1989). « Entre nature et société », dans BOYER, CHAVANCE et GODART (dir), Les figures de l'irréversibilité en économie. Paris, Ecole des hautes études en sciences sociales. p248-249. 22 Ibid, p259

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Application du cadre théorique aux hypothèses de recherche

La France et l’Allemagne ont réformé leurs systèmes de gestion des déchets ménagers

dans les années 1990. Dans les deux cas les réformes ont abouti à la création de sociétés de droit privé, financées et gérées par les industriels du secteur, questionnant donc l’influence de ces derniers dans le processus d’élaboration de ces politiques. Nous chercherons donc à expliquer dans un premier temps cette convergence dans les structures mises en place. Celle-ci semble donc aller l’encontre d’une quelconque influence de la “culture allemande”, qui serait plus sensible à l’écologie, ou connaîtrait un espace politique davantage structuré par ces enjeux. Nous supposons plutôt que le facteur explicatif de cette convergence est le rôle similaire joué par les groupes d’intérêts des industriels dans l’élaboration de cette politique publique, et la prévalence des intérêts économiques dans les politiques environnementales. La validation de cette hypothèse nous permettrait de dépasser ainsi les idéaux types de relations entre les pouvoirs publics et les groupes d’intérêts présentés dans la partie théorique. Malgré cette convergence de structures, nous notons des différences dans les taux de recyclage entre la France et Allemagne comme nous l’avons présenté dans l'introduction. Si notre première hypothèse d’influence comparable des industriels en France et en Allemagne est validée, ces différences dans les taux dans la mise en oeuvre s’expliqueraient par les intérêts spécifiques des industriels dans chacun de ces deux pays.

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La prépondérance des acteurs industriels dans l’élaboration des politiques convergentes de valorisation des déchets en Allemagne et en France

Les industriels, acteurs principaux de la problématisation

Au début des années 1990, on assiste en Allemagne et en France à une prise en charge du

problème directement par les acteurs industriels avant même toute mise à l’agenda politique. C’est en réalité l’Etat qui pousse à cette prise en charge en précisant que la gestion des déchets relève non pas de la responsabilité des collectivités mais des producteurs et conditionneurs qui mettent ces déchets sur le marché23. C’est le principe de “responsabilité élargie du producteur” qui se met en place dans la plupart des pays de l’OCDE dans les années 1990. Il consiste à “internaliser dans les coûts de revient du produit les externalités négatives liées à sa production, son utilisation et sa fin de vie” et ainsi transférer cette responsabilité aux industriels dans un contexte d’augmentation de 22 % des déchets par habitant de 1980 à 1997 selon l’OCDE24. En Allemagne, l’initiative vient des industriels qui mettent en place de manière anticipée, unilatérale et volontaire une nouvelle solution de gestion des déchets d’emballages afin de ne pas s’en faire imposer une plus contraignante par voie législative ou réglementaire. C’est l’idée d’engagement volontaire unilatéral développée par M. Glachant. En effet, en matière d’environnement, les Etats ont souvent recourt à des stratégies réglementaire contraignantes comme des taxes, des seuils d’émissions, des normes d’obligations de retraitement… C’est donc pour éviter une réglementation trop rigide et trop éloignée des préoccupations industrielles que ceux-ci font preuve de volontarisme25. En France, ce même processus de volontarisme est à l’oeuvre à ceci prêt que les industriels ont peur de se voir imposer le modèle allemand ayant lui même inspiré les politiques européenne dans ce domaine et ne correspondant par aux intérêts des industriels français. La crise des déchets ouvre donc une fenêtre pour un exercice de «coercition mutuelle »26, où se retrouvent différents entrepreneurs pour l’influencer. “Entrepreneurs moraux, soucieux de mettre un terme au gaspillage et de responsabiliser les habitants, entrepreneurs politiques voyant s’ouvrir devant eux un créneau d’intervention et de pouvoir, entrepreneurs économiques enfin, flairant le développement de nouveaux marchés ou redoutant la remise en cause de leurs 23 LEVEQUE, F et NADAÏ, A (2000). « A firm’s involvment in the policy-making process ». Centre d’économie industrielle. URL : http://www.cerna.mines-paristech.fr/Documents/FLAN_firmsinvolvement.pdf 24 OCDE. Responsabilité élargie des producteurs ; Manuel à l'intention des pouvoirs publics. Éditions OCDE, 21 décembre 2001, 176 p 25 BORKEY, P et GLACHANT M (1998). « Les engagements volontaires de l'industrie : un mode original de réglementation environnementale ». In : Revue d'économie industrielle. Vol. 83.. p 213-224. 26 DOUGLAS, M (1992). De la souillure. Études sur la notion de pollution et de tabou. Paris, la Découverte. Cité par Rémi Barbier.

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intérêts”27. Parmi ces différents acteurs, ce sont bien les industreils de l’emballage qui de par leur engagement volontaire problématisent en premier ces questions de valorisation comme des enjeux économiques. Par le biais de ces actions préalables, ils exercent une pression indirecte sur les pouvoirs publics et sur leurs futures réglementations. Par ailleurs, de par cette captation anticipée et réussie, ils légitiment leur rôle dans le processus d’élaboration et de mise en oeuvre des solutions, conformément aux théories de Baumgartner et Jones (Agendas and instability in American politics, 1993). Ainsi, la mise en place des principaux dispositifs de recyclage en France (Eco Emballage) et en Allemagne (DSD) par ces mêmes industriels conforte l’hypothèse de la primauté des intérêts économiques.

L’engagement volontaire des industriels à l’origine de l’élaboration d’une solution au problème public

La France comme l’Allemagne, adoptent un système similaire de “point vert” se

traduisant par la mise en place par les industriels d’une société privée dont ils sont actionnaires afin de répondre à un double objectif : limiter la production d’emballage et développer le recyclage. Les activités de la société sont financées par une taxe sur les emballages mis en vente. Outre la prise en charge des emballages usagés pour les revaloriser, elles redistribuent une partie de leur revenu aux collectivités territoriales pour organiser la collecte.28 En Allemagne, les industriels, sur la base d’un engagement volontaire unilatéral, se fixent dès 1991 des objectifs ambitieux de retraitement des déchets. Ceux-ci consistent en l’obligation pour l’industrie de l’emballage (producteurs et importateurs) de récupérer 80% des contenants mis sur le marché et d’en recycler au moins 80% sur 10 ans. Cet engagement volontaire à pour objectif d’éviter d’être soumis à l'ordonnance Töpfer en préparation. Celle-ci comptait en effet reporter la responsabilité de récupération et de traitement des déchets d'emballages, des collectivités publiques vers les industriels et les distributeurs qui les ont commercialisés29. Ils s’imposent donc d’organiser et de financer une filière de collecte via la constitution d’une société : la Duales System Deutschland. L’objectif ultime étant d’atteindre un taux de valorisation de 90% pour l’année 2000. La création de la DSD en amont de l’ordonnance Töpfer permet de placer les industriels doublement en position de force face à l’Etat dans les négociations. D’une part, la DSD faisait consensus et solutionnait le problème de gestion des déchets en répondant aux objectifs de valorisation de l’Etat. D’autre part elle été déjà créée et à même de fonctionner contrairement aux obligations de l’ordonnance qui auraient demandées de grandes adaptations. Finalement, après négociation entre l’État et les groupes d'intérêts, le système DSD est 27 BARBIER, R (2002). « La fabrique de l'usager. Le cas de la collecte sélective des déchets ». In : Flux 2 (n° 48-49). p 35-46. URL : www.cairn.info/revue-flux-2002-2-page-35.htm 28 LE BOZEC, A. BARLES, S. BUCLET N. KECK, G (dir.) (2012). Que faire des déchets ménagers. Versailles, Edition Quae. 29 OUDGHIRI, M (1991). « Loi Toepfer: Les nouvelles mesures allemandes pour le recyclage de l'emballage entrent en vigueur ». In : L’économiste. URL : http://www.leconomiste.com/article/loi-toepfer-les-nouvelles-mesures-allemandes-pour-le-recyclage-de-lemballage-entrent-en-vigu

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transformé en textes réglementaires et adossé à l’ordonnance par le gouvernement (décret Töpfer). Il autorise les entreprises adhérentes à la DSD (et respectant ses objectifs) à ne pas plus être soumises à l’ordonnance Töpfer et ainsi éviter la responsabilité totale dans la récupération et le traitement des déchets. C’est une victoire pour les industriels. Ce décret donne également aux administrations qui en ont la charge, la possibilité de verbaliser les firmes ne respectant pas les normes imposées30. Le décret Töpfer d’avril 1991 est donc une simple légalisation et légitimation du dispositif DSD puisqu’il reprend presque mot pour mot le mode d’organisation établi préalablement de manière unilatérale par les groupes d'intérêts industriels afin de l'entériner de manière officielle. C’est donc un décret ambitieux qui voit le jour avec l’objectif d’atteindre un taux de recyclage “DSD” de 64% à 72% en 4 ans. Ainsi, les industriels ont donc réussi à problématiser autour d’enjeux économiques et à lancer durablement un modèle de gestion correspondant à leurs intérêts. Ils évitent ainsi la réglementation plus exigeante et contraignante qui était envisagé par les acteurs politiques. La France quant à elle construit sa reforme en se référant à Allemagne et au cadre européen. En effet, les industriels se mobilisent par peur de se voir imposer le modèle Allemand qui semble faire consensus et se diffuse dans le cadre européen31. Dans le cadre du Plan National pour l'environnement lancé courant 1991 sous l'égide de Brice Lalonde, l’Etat amorce un processus de consultation dans le but d’identifier les enjeux et intérêts d’un changement dans la politique de traitement des déchets d’emballages. Les groupes d'intérêts mobilisent donc leur capacité d’expertise sur la manière d’appliquer la responsabilité élargie du producteur au cas Français. En juin et octobre 1991, Antoine Riboud, président de BSN (ancien nom de Danone) et Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, remettent un rapport qui soutient la création d’une société privée : Eco Emballage et d’un système point vert similaire à l’Allemagne mais moins ambitieux et contraignant. En effet, la collecte sélective restera à la charge des collectivités (Eco Emballage participant au financement), les objectifs sont moins ambitieux (revalorisation par incinération acceptée contre recyclage complet en Allemagne) et la consigne est écartée32. Après négociation, et comme pour le cas de l’Allemagne, les rapports seront repris tels quels dans la réglementation finale (Decret Lalonde) avec un objectif de valorisation de 75% sur 10 ans. Aujourd’hui Éco-Emballages comptabilise plus de quarante millions de trieurs, permettant la valorisation d’environ 1,7 millions de tonnes de déchets chaque année. Le dispositif Français privilégie donc largement la consultation avec les grands groupes industriels de l’emballage. En effet, ceux-ci sont nombreux et puissants mais surtout possèdent

30 BORKEY, P et GLACHANT M (1998). « Les engagements volontaires de l'industrie : un mode original de réglementation environnementale ». In : Revue d'économie industrielle. Vol. 83. p 213-224. 31 RUMPALA, Y (1999). « Le réajustement du rôle des populations dans la gestion des déchets ménagers. Du développement des politiques de collecte sélective à l'hétérorégulation de la sphère domestique ». In: Revue française de science politique, 49e année, n°4-5. p 601-630. 32 DEFEUILLY C et QUIRION P. « Les déchets d'emballages ménagers : une analyse économique des politiques allemande et française ». In: Economie et statistique, N°290. p 69-79. URL : url : www.persee/web/revues/home/prescript/article/estat_0336-1454_1995_num_290_1_6020

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des liens étroits avec le secteur agro-alimentaire33. Cette problématisation à la fois technique et économique est donc portée par une industrie puissante face à des pouvoirs publics dépourvus de réelle doctrine. Celle-ci renforce donc peu à peu son poids dans le processus d’élaboration d’une solution axée sur ses intérêts34. Les industriels conditionneurs, voient également ici l’opportunité et le moyen de “crédibiliser leur lobbying dans le cadre de l’élaboration d’une future directive européenne sur les déchets d’emballages en disposant alors d’une « solution française » opposable à un modèle allemand plus contraignant déjà en place”35. Comme nous l’avons rappelé dans la partie deux, la France et l’Allemagne ont en théorie des modèles d’intégration des groupes d’intérêts différents, respectivement étatiste et néo-corporatiste. Le cas empirique de la gestion des déchets montre bien que ces idéaux-types sont largement dépassables. Dans le cas des déchets ménagers, les groupes d’intérêts des industriels (producteurs et conditionneurs) ont été totalement intégrés au processus décisionnel, mobilisant à la fois les répertoires d’action de la “consultation et négociation” et de “l’expertise” mais aussi celui de “l’action préaalable”. En mettant en évidence, aussi bien en France qu’en Allemagne, la primauté des intérêts économiques dans la formation des politiques de traitement des déchets, l’analyse empirique permet donc de justifier de l’influence des acteurs industriels, regroupés en groupes d'intérêts. Malgré ces similitudes dans l’élaboration -- faite de façon unilatérale ou concertée -- de ces nouvelles politiques par les industriels, la France et l’Allemagne présentent des objectifs différents. Il convient donc de s’interroger sur les raisons qui justifient cette divergence de trajectoires.

33 BERTOLINI, G (2005). Economie des déchets. Paris, Editions Technip environnement. 34 DEFEUILLY, C (2000). Contrat et politique publique d’environnement. Enseignements tirés d’Éco-Emballages, Paris, rapport du CIRED pour le Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement. Cité par Rémi Barbier. 35 GLACHANT, M (1994) « The Regulatory Processes in Packaging Recycling : Cooperation between Industry and Regulatory Authorities » rapport pour la Commission Européenne, DG 12 dans le cadre du projet ERIC (Environment : Regulation, Innovation and Competition).

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Des enjeux économiques distincts justifiant des divergences dans la mise en oeuvre des dispositifs entre la France et l’Allemagne

La consigne, solution répondant aux intérêts des industriels allemands

Dès les années 1950, on observe en Allemagne l’apparition d’un système de consigne

volontaire. Les usagers sont incités à la réutilisation des emballages de boissons. L’Allemagne possède donc une longue expérience en ce qui concerne la consigne. L’Allemagne a choisi de conserver son modèle de consigne volontaire, contrairement à d’autres pays qui l’abandonnent suite à l’automatisation de leur industrie. En 1992, avec l’instauration du décret Töpfer fortement inspiré par les groupes d'intérêts industriels, le système de consigne est davantage plus mis en avant, se retrouvant au centre de la politique de revalorisation des déchets allemande. Cependant, le choix de développer davantage ce dispositif de la consigne ne résulte ni d’une expérience historique de la société allemande dans ce domaine, ni d’une prédisposition accrue des citoyens allemands à valorisation des déchets ménagers, comme certains semblent le souligner en parlant d’une “conscience environnementale” de la société allemande36. En réalité, ce sont encore les enjeux économiques qui permettent d’expliquer le choix de la consigne en Allemagne. Ainsi, les industriels responsables de la production d’emballages entendent favoriser ce système particulièrement bénéfique pour eux mêmes. En effet, la baisse des coûts de production permise par la réutilisation des emballages en verre, couplée à l’amélioration de la réputation (Glachant et Giraud), s’inscrit parfaitement dans la continuité des intérêts des industriels allemands. De plus, “ce choix allemand était un moyen détourné, mais efficace, d’éviter la concurrence des eaux étrangères (en l’espèce les eaux italiennes et surtout françaises). En effet, un système de consigne, obligeant au réemploi, est extrêmement coûteux et, par conséquent, dissuasif pour les sociétés françaises qui se trouvent à plusieurs centaines de kilomètres des lieux de consommation”37. De plus, il est basé sur un système de bouteilles standardisées spécifiques ce qui impose une adaptation préalable des contenants étrangers. Le choix de la consigne en Allemagne ne repose donc pas sur des considérations écologiques. Il est intéressant de noter que les objectifs très ambitieux fixés en Allemagne par le biais du décret Töpfer ne seront pas atteint, et un système de consigne obligatoire va être mis en place en 200338, toujours dans l'intérêt des acteurs industriels. Il apparaît donc que l’analyse de la mise en place du dispositif de consigne dans les années 1990 en Allemagne permet de nuancer le mythe d’une société allemande plus écologique. Néanmoins, on ne peut nier l’efficacité de l’instrument 36 GRISONI, A et SIERRA, R (2013). « Écologie ou Umwelt ? Une revue historiographique des engagements écologistes et environnementalistes en France et en Allemagne ». In : Revue de l'IFHA. URL : http://ifha.revues.org/7403 37 MIQUEL, G et POIGNANT, S (1999). Rapport sur les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets ménagers et des déchets industriels banals. Troisième partie I A 2 d. URL : http://www.senat.fr/rap/o98-415/o98-415_mono.html#toc168 38 ADEME. Fiche descriptive - Réutilisation et recyclage des emballages. URL : http://cniid.fr/IMG/pdf/Consigne_Allemagne_Ademe.pdf

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de consigne qui présente des taux de retour conséquents. Une bouteille en verre peut être réutilisée entre 40 et 50 fois, et une bouteille en plastique PET (Polytérépthalate d’éthylène) peut être réutilisée jusqu’à 25 fois39. Dans ce cas, comment expliquer que la France, souvent décrite comme étant “à la traîne”40 n’ait pas décidé d’adopter un tel instrument ? Il existe une divergence d'intérêts économiques entre les conglomérats industriels allemands et français. Même s’ils influencent autant l’un que l’autre l’élaboration des politiques de gestion des déchets d’emballages, ils ne sont pas composés des mêmes acteurs, et ne soutiennent donc pas des dispositifs identiques.

Une conception française de la valorisation qui écarte la solution de la consigne

En France, la disparition de la consigne est donc due aux intérêts économiques spécifiques des industriels français responsables de la production d’emballages. Ainsi, la mise en place d’Eco Emballages, officialisée par le décret Lalonde de 1992, traduit un choix volontaire des conditionneurs, importateurs et distributeurs. En effet, le décret reposant sur la concertation des pouvoirs publics et des groupes d'intérêts industriels, ces derniers avaient le choix entre plusieurs possibilités afin de contribuer à la valorisation des déchets d’emballages ménagers. Soit le retour à un système de consigne, soit l’adhésion à un collectif industriel orienté vers le recyclage des emballages uniques et l’incinération avec récupération d'énergie. Plus précisément, “cette option (consigne) a été inscrite dans le décret parce que l’on considérait (à juste titre) illégal d’imposer l’adhésion à un organisme collectif et donc nécessaire d’offrir une autre solution, tout en pensant que celle-ci ne serait pas utilisée, ce qui s’est avéré exact dans la pratique”41. Le rejet de la consigne en France résulte donc d’une volonté des acteurs industriels. Tout d’abord, le système de consigne, particulièrement bénéfique dans le cas de boissons telles que les eaux ou les bières, en raison de la facilité de “re-remplissage” des bouteilles, ne présente pas autant d’avantages dans le cas d’autres boissons comme les vins et les spiritueux. En effet, la réutilisation des bouteilles dans le cas du vin est nettement plus compliqué et onéreuse. Or, en France, le poids du secteur des vins et des spiritueux est nettement plus important qu’en Allemagne (chiffre d’affaire de plus de 4 milliards d’euros en 2005)42 où le secteur de la bière est dominant (premier producteur européen alors que la France occupe la sixième position)43. C’est pour cela que “la consigne des bouteilles de vin par exemple aurait été ingérable à traiter en

39 « La consigne des emballages de boissons sous toutes ses formes ». Centre national d’information indépendante sur les déchets (CNIID). URL : http://www.cniid.org/Le-point-sur-La-consigne-des-bouteilles-2e,182 40 Ibid 41 Conseil général de l’environnement et du développement durable, Inspection générale des finances, Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies (2009) : Rapport de la mission d’audit du dispositif de contribution à l’élimination des déchets d’emballages ménagers, p. 6 42 Chiffres de la Fédération française des spiritueux– avril 2005. URL : http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/ea_alcool_fc.pdf 43 Ibid

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France et il était impératif d’éviter à tout prix un tel système”44. Ainsi, dans l’optique d’empêcher la mise en place de la consigne en France sous l’impulsion du modèle allemand et des directives européennes, les acteurs industriels, en particulier ceux du secteur des vins et spiritueux, décident de la création d’une nouvelle filiale d’Eco Emballages : Adelphe. Les enjeux derrière la création de cette société étaient donc une fois de plus de nature économique et non pas écologique. La “démarche qui a présidé à la création de l’Adelphe, en 1992, était à la fois positive (la récupération du verre est relativement facile à organiser, le recyclage est économiquement intéressant parce qu’il engendre des économies d’énergie, la création d’une filière spécifique répond à un besoin économique et social) et préventive, pour ne pas dire défensive. L’enjeu, pour les industriels, était d’éviter une directive européenne s’inspirant du modèle allemand fondé essentiellement sur la consigne”45. En outre, l’automatisation de l’industrie agro-alimentaire particulièrement importante en France46, explique le choix des groupes d’intérêts industriels français de favoriser leur propre modèle de valorisation des déchets d’emballages à usage unique. La spécificité des intérêts économiques et industriels expliquent donc la divergence observable dans les objectifs de recyclage en France et en Allemagne. En effet, la conception même de valorisation diffère selon le pays considéré. En Allemagne on note une hiérarchisation des dispositifs de valorisation des emballages. La réutilisation pour un même usage (consigne pour réutilisation), ou pour un autre usage (consigne pour recyclage) est le dispositif le plus privilégié par les industriels afin d’atteindre des objectifs ambitieux. Il est préféré au recyclage par tri sélectif, lui même préféré à l’élimination avec récupération d’énergie. En revanche, en France, les conglomérats industriels définissent eux même une notion de valorisation qui leur est propre et qui place sur un pied d’égalité le recyclage et les autres formes de gestion des déchets telles que l’incinération avec récupération d’énergie. Les objectifs de valorisation sont donc différents puisque les conceptions sont elle mêmes différentes. L’Allemagne privilégie davantage le recyclage par le biais de la consigne car cet instrument sert parfaitement les intérêts de ses groupes industriels tandis que les conditionneurs et producteurs d’emballages français, eux, sont peu enclin à l’adoption de celle ci consigne. La primauté des enjeux économiques est donc une fois de plus primordiale mais elle justifie cette fois, de par la spécificité de ceux ci, de la différence des situations observables en France et en Allemagne.

44 MIQUEL, G et POIGNANT, S (1999). Rapport sur les nouvelles techniques de recyclage et de valorisation des déchets ménagers et des déchets industriels banals. Troisième partie I A 2 d. URL : http://www.senat.fr/rap/o98-415/o98-415_mono.html#toc168 45 Ibid 46 Les soldes commerciaux de l’industrie agro-alimentaire française atteignent leur apogée en 1997. BILLOT, S. « Commerce agro-alimentaire : La France face à la concurrence internationale ». INSEE. URL : http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/docs_doc_travail/E1112.pdf

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Conclusion

Notre recherche s’est orientée sur la gestion des déchets en France et en Allemagne en partant d’un constat observable : l’Allemagne possède un système de consigne que la France ne connaît pas. De plus l’Allemagne est connue pour être un des leaders dans le recyclage. Suite à nos recherches nous avons découvert que les systèmes allemands et français étaient relativement proche dans leur conception. L’étude de la mise en place des réformes dans le domaine de la gestion des déchets, en France et en Allemagne a révélé une place prépondérante des industriels dans le processus décisionnel. Alors même que la France et l’Allemagne sont le symbole de deux idéaux-type différents en termes de relations entre l’Etat et les groupes d’intérêts, la place octroyée à ceux-ci dans le cas étudié nous est apparue comme relativement similaire. En France comme en Allemagne, ils ont utilisé les mêmes répertoires d’action. Premièrement, ceux de la consultation et de la négociation (rapports des PDG de Beffa et Saint-Gobain, négociations vis à vis de l’ordonnance Töpfer). Deuxièmement, celui de l’action préalable (création de la DSD et de l’Adelphe). Enfin le répertoire de l’expertise, puisque en France comme en Allemagne les industriels apportent à l’Etat une certaine connaissance sur leur secteur et font part de la menace que pourrait représenter une loi trop contraignante. Si la mise en place des dispositifs est bien différente dans les deux pays : mise en place de la consigne en Allemagne, définition plus exhaustive du concept de valorisation en France ; les raisons ne sont nullement celles que nous aurions pu imaginer au début de notre recherche. Le présupposé d’une “culture écologique” à l’allemande ou même d’une politisation plus importante de ces enjeux n’est pas ici éclairante. La comparaison nous a permis de renforcer l’hypothèse de Godard et Salles qui souligne la primauté des enjeux économiques dans la mise en place de réglementations environnementales. Les divergences dans la mise en oeuvre en France et en Allemagne ne sont donc que le reflet d’intérêts économiques nationaux différents. Pour aller plus loin il nous faudrait questionner le rôle de l’Union européenne, acteur de plus en plus présent dans la définition des politiques environnemental et lieu d’influence privilégié des groupes d'intérêts. Nous devrions alors nous interroger sur le rôle de cet acteur sur l’homogénéisation des politiques nationales mais aussi comme lieu de pression pour les industriels. Au niveau européen, quels sont les intérêts qui priment et cela peut-il conduire à l’imposition d’un modèle, en particulier le modèle Allemand. Le rattrapage de l’industrie agro-alimentaire allemande qui a dépassé celle de la France en 200747, est peut être un premier élément de réponse qui pourrait expliquer l'émulation autour de la mise en place du système de consigne en France.

47 BILLOT, S. « Commerce agro-alimentaire : La France face à la concurrence internationale ». INSEE. URL : http://www.insee.fr/fr/publications-et-services/docs_doc_travail/E1112.pdf

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Annexes Annexe 1

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Annexe 2

Source : Eurostat