La politique, l'éthique et les savoirs - OpenEdition Journals
La « location abordable » comme objet politique au Portugal. Regards sur la gouvernance urbaine et...
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Isabel Pato & Margarida Pereira
CICS.NOVA – Centro Interdisciplinar de Ciências Sociais
Universidade Nova de Lisboa
La « location abordable » comme objet politique au Portugal.
Regards sur la gouvernance urbaine et la politique du logement.
Résumé :
À l'heure où le logement locatif prend de l’ampleur dans les discours politiques, l’article propose des
pistes pour la formulation d’un modèle d’intervention favorable à la « location abordable », en soulignant
les contradictions et les obstacles à une politique de logement juste et équitable. Une analyse critique de
l'évolution des fondements politiques qui guident l’intervention de l’État depuis les années 1990 est
menée.
Trois régimes de gouvernance sont identifiés qui prennent en considération les différentes « rationalités
politiques » dans l'exercice du pouvoir et leurs effets sur le marché de la location : l’incitation à l'achat ;
l’encouragement à la réhabilitation urbaine ; et, plus récemment, l’intensification des mesures d’austérité
dans le cadre des Programmes d'ajustement économique et financier convenu entre le FMI, la BCE, « les
gouvernements forts » de l'UE (la Troïka) et le gouvernement portugais. La « location abordable »,
jusqu'alors un objet politique inexistant ou mal défini, parce que dépourvu d’un cadre juridique
opérationnel, évolue vers un objet qui, bien qu'encore vague, émerge comme instrument de résolution du
problème des créances douteuses qui menaçaient les banques. Cette nouvelle approche est fortement
soumise à des logiques d'intervention marquées par les fondements d’une politique néolibérale depuis
2011 au Portugal.
Mots-clefs : politique urbaine, politique du logement, financiarisation de la gouvernance urbaine, location
abordable, Portugal
The "affordable leasing" as a political subject in Portugal.
Perspectives on urban governance and housing policy
Abstract:
In a time where the leasing market expands its prominence in political discourse and formulation, the
article proposes guidelines for the formulation of a model of urban and housing intervention that favors «
affordable leasing », highlighting the contradictions and obstacles to a just and equitable housing policy.
It is a critical analysis of the evolution in the political foundations that have been guiding the urban and
housing intervention since the 1990s.
Considering the « political rationalities » in the exercise of power and its effects on the rental market,
three regimes of governance are identified: the support for the purchase; the encouragement of urban
regeneration, and, more recently, the intensification of austerity measures contained in the Programs for
economic and financial adjustment agreed between the IMF, the ECB, the « strong governments » of the
EU (the Troika) and the Portuguese government.
The « affordable leasing », so far a non-existent or poorly defined political object, as it is devoid of
political and operational frameworks, evolves to an object, still vague in its definition, but solid as a
means of answering to the non-compliance and foreclosure problems that threaten banks. This new
approach is largely subjugated to the logics of intervention marked by the foundations of a neoliberal
policy, increasingly present in the government since 2011.
Keywords: urban policy, housing policy, urban government financialization, affordable housing, Portugal
Introduction
Nous assistons en Europe à une transformation de la politique du logement sans
précédent depuis 40 ans. La manière dont les mesures d'austérité affectent les
conditions d'accès au logement demeure à étudier. Ce problème est important dans les
pays d'Europe du Sud et en Irlande, où la troïka est intervenue et où l’austérité engendre
le chômage et remet en cause la « rigidité des salaires » (Krugman, 2012). Au Portugal,
le problème prend des contours beaucoup plus graves, étant donné le poids des
dépenses de logement sur les revenus moyens des ménages, l’absence d’un système de
protection en cas de rupture financière des familles et « l'ajustement » des salaires en
cours1 sans garantie de recul de l'austérité (Krugman, 2012).
Au Portugal le logement est l’un des secteurs de l’État Social les moins développés
(Guerra 2011 ; Guerra et al, 2008). L'ajustement entre l'offre et la demande sur le
marché de la location a été assuré par les propriétaires privés dans un contexte de
blocage des loyers. Le premier régime de régulation du loyer urbain sous la période
démocratique a été publié en 1990 visant, sans succès, à réglementer l'actualisation des
loyers. Pourtant aucun système de compensation à destination des propriétaires de
logements dont le loyer est demeuré figé n’a été adopté. L'échec de cet instrument a fini
par légitimer politiquement la distorsion du marché fondée sur une structure segmentée
: un marché des loyers bloqué et un marché de la location libéralisé.
Par ailleurs, les familles aux plus faibles revenus ne bénéficiaient pas de l’aide au
logement, ce qui a eu pour conséquence des hauts taux d'effort des ménages liés à
l’occupation de leur résidence. Jusqu’en 1990 le soutien aux familles à faibles revenus
s'est limité à une politique, insuffisante et souvent mal appliquée, d’offre de logement
social, uniquement à destination de la catégorie des « pauvres insolvables », ou des
« groupes à risque ». Toujours considéré comme secondaire par les gouvernements
successifs, le parc locatif a considérablement diminué entre 1970 et 2001, et a connu
une reprise de 6,3% pendant la dernière décennie intercensitaire (2001-2011).
A partir de 2004, le cadre législatif de la « stratégie de qualification » du tissu urbain est
basé sur un modèle d'intervention public-privé, qui met en évidence le rôle des Sociétés
de Réhabilitation Urbaine (SRU). Le fonctionnement des SRU prévoit l'intervention
d’acteurs ou d’organismes privés, des Fonds d’Investissement Immobilier de Logements
Locatifs (FIIAH) et des Fonds de Développement Urbain (FDU). Les SRU sont
devenues des acteurs centraux dans la création de mécanismes d'incitation à la
réhabilitation urbaine. Toutefois, l’articulation entre, d’une part, ce nouveau dispositif et
les ressources d’aide à la réhabilitation qui y sont associées et, d’autre part, les grands
objectifs de la politique du logement, n’a pas été assurée.
Ces innovations législatives reflètent la transformation du cadre politique et
institutionnel de référence en matière de gouvernance urbaine opérée au cours des deux
dernières décennies. L’on assiste à l'externalisation des fonctions précédemment
exercées par l’État vers des entités privées qui agissent comme des extensions de l'État-
providence (Jouve, 2005). L’État cherche à créer des conditions pour formaliser des
partenariats favorisant l'intervention à plusieurs échelles de la gouvernance. De
1
Nous nous reportons aux baisses dues aux mesures en faveur de la flexibilité de l'emploi déjà à l’œuvre
(11% dans les chiffres officiels, Banque du Portugal, 2012) ou à la chute des salaires dans la fonction
publique de près de 19%, depuis 2010, selon l’estimation du consultant PricewaterhouseCoopers (PwC)
(journal Sol, 18/1/2014).
nouveaux acteurs sont invités à réfléchir et à opérer sur les problèmes de la
transformation urbaine.
L'élaboration de politiques en matière d'aménagement urbain et de logement se produit
dans un contexte de néo-libéralisation de la gouvernance urbaine. La transformation
urbaine se concentre de plus en plus sur des critères d'efficacité (ensemble d'incitations
et de sanctions à la réhabilitation) et de rentabilité. Elle est basée sur un modèle qui
contribue à redéfinir le rôle des institutions financières dans les plans et les programmes
pour la ville. Mais le lien entre ces nouvelles dynamiques de transformation et la
politique nationale du logement est resté faible.
Entre 2008 et 2013, sous le prétexte des programmes d’austérité, l’État portugais a
déclenché une série de mesures conformes à l'agenda néolibéral et développées dans
d'autres pays au fil des décennies (Harvey, 2005, Romero et al, 2012; Roch, 2008). Pour
faire face aux défis posés par la crise, l’État a démantelé les politiques d'aide à
l'accession à la propriété, supprimant tous les avantages fiscaux qui y étaient liés
jusqu'en 20162. Dans la même optique, il a cherché à diversifier ses sources de revenus
en mettant l'accent sur la taxation du patrimoine. Les changements parallèles découlant
de la libéralisation du marché de la location (Loi 31/2012), aussi bien que les réponses
politiques aux fluctuations du marché, ont contribué à accentuer la demande dans le
secteur des logements locatifs à bas prix, créant pressions sur les dépenses publiques à
moyen terme.
À partir de 2008, et plus particulièrement après 2011, le Portugal a suivi la tendance des
pays de l'Union Européenne de soutien à l'accès au logement locatif (Cuerpo et al, 2014;
Andrews et al, 2011), stratégie inévitable face à la crise financière et à la fin du modèle
d’« aménagement urbain expansionniste » (Roch, 2008). Le marché locatif s'est imposé
comme une alternative à l’accession à la propriété, étant institutionnellement considéré
comme efficace, autant pour sa valeur sur le marché immobilier que pour son rôle de
stabilisateur des prix de l'immobilier (Cuerpo et al, 2014).
Nous présentons ici une partie des résultats d’une recherche plus vaste qui problématise
l'intervention actuelle de l’État portugais dans les politiques urbaines à l'heure du
renforcement du transfert de responsabilités en matière de politique du logement aux
autorités locales (Pato et al, 2013). Cela fait suite à la mise en œuvre progressive de
« l'aménagement urbain expansionniste » qui était à la base de l’urbanisation massive au
cours des dernières décennies (Roch, 2008; Romero et al, 2012). D'autres études ont
porté sur les dispositifs et les processus ayant généré de « nouveaux délogés » et sur le
sort fait aux logements récupérés par les banques à la suite de recouvrements judiciaires
découlant de la crise des subprimes et du défaut de paiement des prêts hypothécaires
(Pereira et al, 2013).
Nous faisons référence à la législation, aux programmes, aux évaluations des
programmes, et utilisons des entretiens réalisés auprès d’organismes financiers, de
municipalités et de l’Institut pour le Logement et la Réhabilitation Urbaine (IRHU)
pour tracer un diagnostic des démarches menées par les municipalités3 concernant
l'accès au logement décent et abordable pour tous.
2 Au cours de la période de révision de ce texte, qui a coïncidé avec la conclusion du budget 2015, ont été
rétablies les déductions fiscales concernant les loyers et les intérêts des prêts bancaires. 3 Dans les municipalités d’Odivelas, d’Almada, d’Amadora (Pato et al, 2013) en ce qui concerne la
gestion du logement social, et dans d‘autres municipalités qui ont joué auprès du marché libre un double
rôle : d’une part, récupérer des locaux pour les introduire sur le marché de l’immobilier et, d’autre part,
Pour ce faire, nous identifions et analysons les instruments législatifs de la politique
urbaine capables d'induire des changements dans le marché de la location. Notre
analyse nous amène à proposer trois régimes de gouvernance dans l'exercice de la
politique urbaine et du logement :
1. La première période se situe entre les années 1990 et 2003, et se caractérise par une
politique d'encouragement à l'achat, et l’octroi d’emprunts à des familles à faibles
revenus. Ce régime comprend également la première phase du Programme Spécial de
Relogement (PER, 1993-2003), qui met l'accent sur le logement social pour les groupes
défavorisés devant être relogés. Ce premier modèle s'inscrit, finalement, dans la
continuité du programme « d'aménagement urbain expansionniste ».
2. La deuxième période correspond aux années 2004 à 2009. C'est, par le biais d’un
ensemble d'innovations législatives orientées vers la réhabilitation, une étape de
reformulation des principes d'intervention urbaine, désormais basée sur un modèle
d'action public – privé, par des entreprises municipales et par l’augmentation du poids
des banques dans les prises de décisions concernant la transformation urbaine. La fin de
ce régime est marquée par des mesures anti-crise qui viennent créer et réglementer les
Fonds d’Investissement Immobilier de Logements Locatifs (FIIAH). Cette période est
aussi marquée par l'intention d’améliorer l’articulation des politiques de logement,
notamment en élaborant le Plan Stratégique de Logement (PEH, 2007-2013).
3. À partir de 2011 et jusqu’à aujourd’hui, un nouveau régime de pouvoir est imposé par
le Programme d'ajustement économique et financier convenu entre le Fonds monétaire
international (FMI), la BCE, « les gouvernements forts » de l'UE et le gouvernement
portugais. Dans cette phase, le pragmatisme domine les discours politiques et un
ensemble de mesures traduit une dépréciation de la conception et de l'exercice du droit
constitutionnel au logement.
Ces régimes sont étroitement liés aux cadres de référence structurant les choix
politiques qui guident la production législative de l'aménagement urbain et du logement
mis en marche depuis les années 1990: i) les orientations des politiques sociales et
urbaines de l'Union Européenne, visant des possibilités d'action définies en fonction du
contexte mais dont le format d’action est proposé par la politique européenne ; ii) les
politiques d'austérité imposées par la Troïka et, plus récemment, iii) les tentatives de
gouvernance pour assurer la continuité et prévenir les impacts sociaux (extrêmes) du
programme néolibéral, liés à la libéralisation du marché locatif et au défaut de paiement,
indissociables des pressions sur la demande de logements locatifs à bas prix.
1. La période 1990 – 2003 : priorité à l'achat
On peut distinguer, au cours du 20ème
siècle, trois types de réponse politique à
l’insuffisance du nombre de logements à louer, qui ont eu des répercussions sur le
marché locatif actuel : i) le blocage des loyers, ii) le faible engagement dans l’offre de
logements publics associé à l'absence d'une politique de location équitable et iii) une
politique d’encouragement à l’accession à la propriété avec un fort impact sur les
marchés du logement et du crédit bancaire.
fournir un logement à des populations ne bénéficiant pas jusque là d’un accès au logement social (Braga,
Coimbra).
Le blocage des loyers a été instauré sur l'ensemble du territoire pendant l'entre-deux-
guerres et s’est maintenu, uniquement dans les deux principales villes (Lisbonne et
Porto), jusqu’en 1948. En 1974-1975, le blocage a été de nouveau appliqué à l'ensemble
du pays. Le faible niveau de l'offre publique en matière de logements sociaux s’est
accompagné d’un manque d'intérêt politique pour tout autre type de soutien à la
location. Les mesures d'aide directe à la location4 ont eu aussi peu de place que les
mesures d’aide à la location sociale et protégée, par le biais de l’ « aide à la pierre »,
décrite ci-dessous.
En 2011, seulement 3% des 5,8 millions des logements existants étaient publics.
Construits soit par l’Etat central et local soit par des entités tierces missionnées par lui,
ils étaient réservés à des ménages à très bas revenus dont le loyer était et est toujours
subventionné par l'État et / ou les municipalités. C’est ce que l’on appelle le « logement
social ». Dans une perspective historique, il convient de différencier le régime
autoritaire qui a fait du logement social un instrument de peuplement des zones rurales
et de fixation des cadres supérieurs dans les centres urbains, et le régime démocratique
(avec une intervention de type keynésienne), où le logement social promu par l'Etat,
pour les groupes les plus vulnérables, a contribué à la concentration des familles les
« plus pauvres ». Plus récemment, la construction de lotissements sociaux a été une
politique municipale soutenue par le gouvernement central et par l'Europe.
Au Portugal, le régime d'accès au logement social est théoriquement universel, mais
cette universalité a été remise en cause par une offre insuffisante et par le fait que le
financement des logements publics a été principalement dirigé vers les deux régions
métropolitaines du pays et pour le relogement des populations vivant dans des quartiers
précaires (avec le Programme Spécial de Relogement –PER). Avec la publication du
PER en 1993 et sa révision en 2003, a commencé la phase expansionniste dans
l'histoire du logement social. Entre 1996 et 2000, plus de 5.500 logements ont été
construits par an.
Mais la principale politique du logement est demeurée le soutien à l’achat. La création
en 1976 du Régime d’aide à l'accès à un logement à usage personnel et permanent
(RAAHPP) a joué un rôle déterminant dans l'évolution de la construction des 40
dernières années, avec des effets sur le statut d’occupation des logements et la
configuration spatiale du bâti (construction de lotissements5). Ce dispositif est au centre
d’un modèle d’urbanisation basé sur l'expansion, la densification et la segmentation du
marché résidentiel, au détriment des interventions sur la ville dense, et a conduit à la
construction de zones urbaines spécifiquement destinées aux foyers à faibles revenus et
à faible mobilité résidentielle.
Depuis sa création, le RAAHPP a toujours combiné plusieurs types d’incitations à
l'achat. Initialement, il a associé des prêts bonifiés pour les jeunes (supprimés en 2002)
et un dégrèvement d’impôt sur le revenu (IRS). Puis, il a canalisé l’aide financière de
l’État destinée à stimuler le marché vers la demande, entraînant un désintérêt politique
pour le régime de Logements à coûts contrôlés (HCC)6 et minant le marché de la
location.
4 Les aides directes à la location ont été créées en 1992, surtout comme un moyen de financer la location
pour les jeunes et pour les populations ayant des besoins spécifiques de logement. 5 Forme d’urbanisation basée sur l’émission de permis de construire non encadrés par les plans
d’urbanisation. 6 Grosso modo il s’agit d’un mécanisme peu utilisé qui soutenait l’investissement foncier en contrepartie
de la garantie de prix de vente des logements contrôlés.
La politique de soutien au crédit immobilier a eu des effets considérables. À la fin du
millénaire, près de la moitié des ménages portugaises, soit plus de deux millions d’entre
elles, avaient acquis un logement à crédit. Au départ, le régime s’est appuyé sur les
Etablissements spéciaux de crédit (institutions financières avec un fort poids de capital
public). Le soutien dépendait de la disponibilité des ressources provenant du ministère
des Finances. En 1991, le système de prêts au logement a été étendu aux banques
privées, bénéficiant des mêmes conditions que dans le public (Pereira et al, 2013, 2014).
Les procédures administratives sont devenues plus rapides et efficaces et une forte
concurrence s’est développée entre les banques, déterminées à séduire la clientèle par le
biais de « campagnes de crédit » ou, plus récemment, de “l'innovation des produits
hypothécaires” (Scanlon et al, 2010).
L'éventail de familles endettées s’est élargi, intégrant de plus en plus de familles à
faibles revenus. Le Portugal est devenu un pays de propriétaires. Dans la pratique, grâce
au prêt bonifié et compte tenu des déductions fiscales, depuis la création du RAAHPP et
jusqu'à l’heure actuelle, le coût d’un loyer sur le marché libre est devenu plus élevé que
les mensualités correspondant au crédit immobilier. Par conséquent, l'acquisition est
devenue la principale option, contribuant à l'augmentation du poids de la dette de
logement sur le total de la dette privée des ménages (80% en 2012).
Dans ce système de gouvernance, le logement a été considéré comme un moteur du
secteur de la construction, impliquant le capital financier des banques et des sociétés
immobilières. Quant au marché de la location et à celui de la réhabilitation, ils ont été
relégués au second plan.
2. La période 2004-2008 : vers un modèle de cofinancement des politiques de
l’habitat
Dans le régime de gouvernance qui a prévalu entre 2004 et 2008, des conditions
attractives pour la réhabilitation urbaine et des mesures pour atténuer les effets de la
crise ont été prévues, en particulier en soutenant les Fonds d’Investissement Immobilier
de Logements Locatifs (FIIAH) destinés à résoudre les problèmes des ménages en
défaut de paiement.
En 2007, a été créé le programme Porte 65 qui apporte une plus grande cohérence aux
instruments d'aide à la location établis depuis 1990, associant l’aide à la pierre et l’aide
à la personne (Guerra et al, 2008). Il repose sur deux volets : la réglementation de la
location pour les jeunes, augmentant le pourcentage du montant du loyer couvert par les
subventions mensuelles allouées aux jeunes de moins de 30 ans ; la définition des
conditions d'accès au volet Porta 65 Cohabitation subventionnée7. Dans ce dernier
dispositif les municipalités peuvent jouer un rôle central.
Parmi les dispositifs de contrôle des loyers, un seul, le blocage, a été appliqué, les
autres, prévus pour promouvoir l’habitat coopératif, ayant servi, en fin de compte, à
faire la promotion de logements pour la vente (Coelho et al, 2009). En conséquence,
dans la totalité du pays, la location a considérablement diminué, passant de plus de
50% en 1970 à environ 20% en 2001.
Plus directement liés aux dispositifs d’aide au logement social, deux programmes sont
fondamentaux : i) le PER (2003-2013) destiné au relogement, déjà mentionné plus haut
7 Cela correspond à l'aide transférée aux institutions “d’assistance et de solidarité sociales” visant
l'hébergement collectif des personnes ayant des besoins particuliers et / ou temporaires de logement (les
“sans-abri”, les “personnes âgées” ou les “immigrés”, essentiellement des réfugiés).
et ii) le Programme de financement pour l'accès au logement (PROHABITA), établi de
2004 à 2013. La révision du PER pour 2003-2013 élargit les modalités d’accès au
logement social, proposant la réhabilitation pour le relogement, très peu utilisée, et
étend les conditions d'accès à l'achat, une mesure réglementée en 2008.
La mise en œuvre de ce programme est toujours en cours et, en dépit de l'augmentation
de l'offre disponible, il demeure insuffisant pour répondre à la demande. D'autre part, la
part de 20% de l'investissement qui incombe aux municipalités dépasse le montant que
celles-ci souhaiteraient allouer au relogement. En dehors des métropoles, dans les
municipalités qui n’ont pas été couvertes par le PER, l’intérêt a été plus grand pour
d'autres formes d’intervention, comme la « réhabilitation pour la promotion du loyer
abordable », subventionnée de façon différente des logements sociaux, et la location de
logements sur des fonds financiers destinés à la sous-location. Les régimes d'aide se
sont diversifiés ainsi que les moyens pour calculer les mises à jour des loyers.
Le programme PROHABITA, établi en 2004, a institué des lignes de crédit dans les
budgets municipaux pour la réhabilitation de logements locatifs ou en sous-location. Le
programme a restreint les aides aux seuls organismes publics et a maintenu la
dichotomie entre le logement social traditionnel et les régimes de loyers subventionnés
limités aux jeunes et aux personnes ayant des besoins spécifiques de logement.
Le terme «logement social» utilisé dans le cadre du programme s’applique aux
différents segments du marché (achat, vente, sous-location). Dans la pratique le système
peut devenir assez différent du « logement social » classique et peut être compris
comme une forme de « logement abordable ». Le « logement social » prévu par le
programme n’a jamais fait l’objet d’une réglementation, laissant une grande marge de
manœuvre aux municipalités pour déterminer les montants et les formes de soutien.
D’autre, dans la pratique, la plupart des fonds attribués au PROHABITA ont été dirigés
vers la requalification des quartiers de logements sociaux.
Les innovations législatives de ce régime de gouvernance révèlent une évolution de
l’aménagement urbain, notamment en ce qui concerne la façon d’envisager les
interventions sur la ville dense. Ces innovations sont inscrites dans le débat sur la ville
durable et le retour à la ville dense comme stratégie de cohésion sociale et territoriale et
d’usage raisonné des ressources (CE, 2011).
Cependant, si la régénération urbaine dotée d’un investissement public fort est centrale
pour la qualification et la revitalisation des villes, force est de constater que, à
l'exception de certaines municipalités localisées hors des régions métropolitaines, la
réhabilitation n'a pas fonctionné comme facteur de développement du parc de location
abordable. Quant à la réhabilitation financée sur fonds privé (avec ou sans fonds de
développement urbain), elle n’a jamais été destinée à la promotion des logements
abordables, mais à la réhabilitation des bureaux et des logements de haut standing.
Ainsi, l’intérêt de l'analyse des instruments qui régulent la rénovation urbaine n’est pas
lié à l’étude des mesures en faveur de la réhabilitation ou de l’augmentation de l'offre du
parc en elles-mêmes, mais à ce que ces dispositifs révèlent sur le « logement social » en
tant qu’objet politique. L’analyse de ces instruments montre une interpénétration
croissante des interventions des différents acteurs de l’action urbaine, avec des effets
pervers sur l’offre de logement social.
Deux processus participant à la reformulation du cadre législatif des politiques urbaines
ont eu lieu depuis les années 1990 : la transformation du rôle de l'État et le rôle central
de l'économie urbaine comme instrument de cohésion sociale. Nous ne nous attarderons
pas ici sur le débat autour de ces transformations. Aujourd’hui le modèle de
coordination entre le système de production (la construction) et les « prestations
sociales » (l’« aide au logement » et la « prime locative ») intègre une diversité
croissante de partenaires et de dispositifs. Pour gérer la complexité de ces systèmes, les
politiques publiques intègrent le principe de la territorialisation dans l’intervention (Pato
et al, 2013a ; 2013b).
Les lois qui régissent ce régime montrent une volonté politique d'intervenir dans le tissu
urbain, tout en créant des conditions pour surmonter les obstacles à la réhabilitation
résultant de différents régimes réglementaires, du retrait de l'investissement public et de
l'imposition de partenariats publics-privés pour l'accès aux financements. À l’instar de
ce qui s’est passé en France, ces changements ont eu lieu dans un contexte de
transformation de l’Etat, qui travaille désormais à différentes échelles et à partir de
multiples centres de décision. Manifestant le passage du gouvernement urbain à la
gouvernance urbaine, « cette transition s’est effectuée en mobilisant autour de ces
nouvelles structures des acteurs aux statuts très différents » impliqués dans des
décisions qui, auparavant, étaient centrées uniquement sur les États (Jouve, 2005).
Pour caractériser le changement de modèle mis en œuvre dans l'opérationnalisation des
politiques urbaines de cette période, prenons le Régime de Location Urbain (RAU), le
Régime juridique de la réhabilitation et la régulation des formes de fonctionnement des
fonds.
Le DL 104/2004 du 7 mai (maintenant abrogé) et plus tard la Loi nº 67-A/2007, qui
prévoyait le Régime juridique extraordinaire de soutien à la réhabilitation urbaine,
illustrent le début d’un processus d’articulation financière de l’État à différents niveaux.
Dans ce cadre, sont créées les conditions spécifiques pour la réhabilitation des zones
stratégiques de la ville8. La loi de 2004 a favorisé la création des Sociétés de
Réhabilitation Urbaine (SRU). Elle a donné des compétences aux municipalités dans les
procédures de contrôle des opérations de réhabilitation urbaine, pour classer les zones
d'intervention et pour définir le type d’opération de réhabilitation à entreprendre. Les
dispositifs et les principes d'intervention localisée liés à des opérations de réhabilitation
ont été renforcés, approfondis et associés à un ensemble d'incitations fiscales concernant
le patrimoine ainsi qu’à l'acquisition de matériel pour les travaux de réhabilitation.
Les SRU sont des entreprises municipales dotées de pouvoirs d'intervention accrus, car
elles peuvent délivrer des permis et autoriser des travaux, entreprendre des opérations
d’expulsion, d'inspection et d’expropriation. Elles sont financées par l'investissement
public. En 2007, ce cadre législatif a été approfondi. La loi a établi un cadre
réglementaire pour les opérations de réhabilitation intégrées, étendant sensiblement les
incitations fiscales déjà prévues. Elle a renforcé la coordination entre les acteurs privés
chargés de la réhabilitation des bâtiments et les acteurs publics chargés de la réalisation
des équipements et des infrastructures urbaines.
En 2009, est entré en vigueur le nouveau Régime juridique extraordinaire de soutien à
la réhabilitation urbaine inscrit dans la Loi-budget de l'Etat pour 2009 (Loi 64-A/2008).
Les principales mesures d'incitation de nature fiscale ont été maintenues. Un ensemble
de principes fondamentaux pour la gouvernance urbaine a été appliqué, incluant le
principe de coordination des actions publiques et privées, le principe de l'intervention
intégrée et le principe d'équité. Les responsables de la réhabilitation des bâtiments sont
8
Cette réhabilitation implique la déclaration des zones en question comme Zones critiques de
récupération et de reconversion urbanistique (ACRRU).
les propriétaires, tandis que le maître d’ouvrage de l'opération cesse d'être la
municipalité et est désormais une SRU au capital public ou public – privé.
Les SRU ont souvent recours aux Fonds Structurels (de l’UE), gérés par des FDU dont
la réglementation communautaire a imposé la création pour la gestion du financement
non remboursable9. Ces fonds opèrent dans des zones urbaines plus valorisées sur le
marché et sont davantage consacrés aux opérations de relogement (dans certains cas, il
s’agit d’un relogement forcé) qu’à l'expansion du « logement social ».
Enfin, une autre innovation législative importante pour la gouvernance urbaine en
matière de logement a été la publication du Régime de financement de fonds
d’investissement immobilier pour le logement locatif (cf la Loi 64-A/2008 citée plus
haut)10
. À partir de 2008, il est devenu possible pour les banques et les municipalités
d'avoir recours aux FIIAH dans le cadre d’opérations de réhabilitation.
Dans ce deuxième régime de gouvernance, l'investissement des zones stratégiques des
villes est devenu un élément important des politiques de transformation urbaine des
municipalités et a représenté aussi un argument électoral. La revitalisation du tissu
urbain va de pair avec un changement du parc immobilier, mais dans le contexte des
interventions publiques, le « loyer social » ou « abordable » est resté limité à un moyen
d’atteindre l’équilibre financier des opérations. Dans la pratique, les incitations
financières pour l'accès au logement en direction des organismes publics, dont les
municipalités, n’ont pas généré d’augmentations significatives du parc de locations
abordables.
Au Portugal, comme ailleurs en Europe « [e]n ce qui concerne le financement par
l’endettement, des changements significatifs sont intervenus, qui conduisent à
considérer que la mondialisation modifie la nature du logement social. Les
marchés financiers sont désormais déréglementés et le financement du logement
fait partie de ce cadre global. » (Whitehead, 2007 : 22). Le mode de financement du
logement social, pour la construction comme pour la réhabilitation, se trouve pourtant
déconnecté de sa base matérielle, se transformant en emprunts « sur des actifs
existants » pour assurer la maintenance d’un bien et élargir l’offre (ibidem).
Au travers du financement par l’endettement, les banques ont un rôle croissant dans les
processus de décision en matière de transformation urbaine, et prennent part, désormais,
aux programmes de financement de la réhabilitation. Elles disposent en effet d’un
pouvoir de vérification de la conformité aux exigences des différents programmes, ainsi
que de compétences pour la validation des investissements privés, voire, dans certains
cas, une participation au capital financier, beaucoup plus importante dans la
construction que dans les « opérations intégrées de réhabilitation » (CGD, jan. 2014).
3. La période 2011-2014 : vers un modèle néolibéral
9 Les FDU sont des mécanismes d'ingénierie financière qui soutiennent des projets urbains dans le cadre
de «plans intégrés de développement urbain durable » et visent à stimuler l'activité économique au niveau
local. (Art.º 7º du Règlement (CE) n°1080/2006 du Parlement Européen et du Conseil de l'Union
Européenne, 5 juillet 2006). 10
La création de ces fonds était (et est encore) supportée par des déductions fiscales sur les transactions
immobilières de la part des emprunteurs de contrats de crédit aux FIIAH et des taxes d’exploitation
résultant de leur fonctionnement.
Le choix de l’accession à la propriété peut s’expliquer par des facteurs
sociodémographiques, culturels et économiques. L'augmentation du revenu des
ménages, base de la fluctuation des prix des logements, et l’influence de l'évolution des
politiques du logement sur les règles du marché, ont été décisives dans ce
développement (Boelhouwer et al, 2005; Doling et al, 2003, López, 2012).
Le boom immobilier des deux dernières décennies a été accompagné d'une
augmentation du nombre de logements vacants - qui représentaient environ 12,5% du
parc en 2011 - et de logements saisis par les banques. Le sort de ces logements est une
préoccupation centrale des pouvoirs financiers, mais a été laissé aux mains des marchés
financiers et immobiliers. La valeur des saisies immobilières pratiquées par la banque a
dépassé les 2,4 millions d’euros en septembre 2013 (la plus haute valeur connue à ce
jour). À ce chiffre s’ajoute le montant résultant des procédures engagées par l'État
contre des tiers, entreprises et particuliers (qui est passé de 4,8 à 22,1 millions d’euros,
entre 2011 et 2012)11
qui conduisent dans de nombreux cas à la saisie des logements.
Les media citent l’ autorité fiscale, parlent de plus de 20.000 logements saisis par l'Etat
et mis en vente par les autorités fiscales en 2013 et de presque 50.000 au cours des sept
premiers mois de 2014.
Cependant, en octobre 2013, la Banque du Portugal (désormais BdP), s'est inquiétée de
l'exposition des banques aux risques du secteur immobilier (BdP, 2012, 2013). Face à la
surévaluation des biens, elle a recommandé aux banques de se défaire de leur
portefeuille immobilier et a annoncé sa décision de réduire la valeur de ces propriétés, si
les banques ne procédaient pas à une évaluation selon les règles définies par la Banque
Centrale Européenne (BCE)12
. Or le danger de contagion de cette dévaluation sur les
marchés de l’immobilier et du crédit est important. Pourtant les banques continuent de
résister à ces changements qui représentent une diminution de leur marge de négociation
en vue de la renégociation ou de la saisie (Pereira et al, 2014).
Par ailleurs, depuis 2012 (Loi 58/2012) les banques sont obligées d’exercer leur pouvoir
de saisie dans des conditions spécifiques limitées à des cas extrêmes, sans qu’aucun
système de protection ne soit prévu pour les délogés non couverts par la loi sur
l’endettement. Dans la pratique, l'exercice de la possibilité de saisie hors de ces limites
est évité, même lorsque le taux d'effort des familles dépasse des limites établies par les
institutions financières. Les banques évitent à tout prix d'augmenter leur portefeuille.
Le maintien de ces actifs a été vu par la BCE comme une menace pour les banques, de
sorte que celles-ci ont cherché à réintroduire ces logements dans le marché, au moyen
d’enchères, de la vente à des tiers, et, depuis 2013 et par une décision administrative,
aux agences immobilières. Le processus de dévaluation est déjà en cours, mais il a été
passé sous silence et minoré face aux annonces de reprise du secteur, avec des coûts
sociaux incontournables lors des renégociations ou des recours hypothécaires menés par
les banques (Pereira et al, 2013, 2014).
Pour faire face à la crise, le "Mémorandum d'entente" de la Troïka prévoyait un
ensemble de mesures visant « à promouvoir le marché du logement, facilitant l'accès au
logement, la qualité du logement et l'utilisation du parc de logements » tout en
diminuant l'investissement public. Actuellement, le gouvernement a déjà mis en œuvre
11
Rapport d'Activité du Ministère Public (Relatório Síntese da Atividade do Ministério Público), 2012. 12
Ces règles sont liées, grosso modo, à la rotation obligatoire des experts en cas de réévaluation, au
nombre le nombre d'évaluations en fonction de la valeur de la propriété ; au procès-verbal de
l'évaluation ; à la fréquence des évaluations et la mise en place de la notion de "valeur du bien
hypothéqué," afin d'éviter la surévaluation.
les deux instruments qu’il juge fondamentaux pour y parvenir : réduire et à brève
échéance supprimer les avantages fiscaux pour l’accession à la propriété ainsi que
revoir le régime juridique de la location.
Le Portugal suit en cela la tendance observée dans une partie des pays européens au
cours des dernières années, où il y a eu un boom constructif associé au soutien structurel
du marché de crédit (Andrews et al, 2011; Cuerpo et al, 2014). La politique du
logement a renforcé l'importance donnée à la location, tandis que la production
scientifique d'aide à la décision développée par les organismes internationaux soutient
cette évolution. Les analyses des politiques structurelles de l’État (OCDE, 2011) et de
l'évolution récente du marché locatif (UE, Cuerpo et al, 2014) menées par les
organisations internationales l’illustrent, promouvant de nouvelles formes d'intervention
sur le marché du logement.
Au Portugal, la location gagne en importance dans les politiques du logement en tant
qu’outil de la reprise économique et en tant que moyen de réaliser des économies dans
les processus de régénération urbaine. L'engagement politique en faveur de la location
est consolidé par le lancement du programme Marché locatif social (MSA), prévu dans
le Programme d'urgence sociale (août 2012).
Ainsi la Loi 31/2012 reflète une interprétation du problème du logement, qui peut se
résumer ainsi : les principaux obstacles à l'accroissement du marché locatif sont la
bipolarité du marché (loyers bloqués et loyers libres) et la difficile réévaluation des
anciens loyers (antérieurs à 1990) que les RAU de 1990 et de 2006 n’ont pas pu
résoudre. Cette loi vise ainsi à libéraliser le marché locatif, tout en tenant compte des «
besoins des ménages » locataires les plus vulnérables", et engage un ensemble de
mesures destinées à renforcer la confiance des propriétaires : droit de refuser le
renouvellement du contrat en cas de besoin ; suppression de la reconduction tacite des
contrats de bail ; simplification des procédures d'expulsion pour impayés de loyers. Des
règles de protection des locataires sont maintenues pour des situations économiques et
sociales spécifiques et des valeurs maximales de loyer par tranche de revenu sont
instaurées.
Toutefois ces dispositifs ne sont pas à la mesure du problème de fond de la politique de
logement, lié à la faiblesse de l’État Social portugais en la matière, laquelle a été passée
sous silence au cours des 40 dernières années. Même en tenant compte des plafonds de
loyer, les revenus des ménages les plus vulnérables sont trop bas pour supporter la
valeur du loyer réglementé au moins dans les grandes villes. D'autre part, la loi ne
prévoit pas les situations de perte d’emploi ou de baisse de revenus et se limite à
renvoyer à un système de protection totalement inefficace en cas d’expulsion.
La suspension du système de révisions des loyers permet de repousser de cinq à dix ans
la compensation visant à rembourser le propriétaire du loyer quand les locataires en
situation de difficultés financières ne peuvent pas payer, mais l'application de la loi se
traduira par une augmentation de la demande de logements à moindre coût, résultat de
la mobilité forcée. Cette augmentation aura des effets sur la hausse des prix (López,
2012) qui, encore une fois, va peser sur les ménages qui ont atteint leur seuil de
“solvabilité” ou qui risquent “l’insolvabilité”.
Les populations les moins favorisées qui n’ont pas encore subi une actualisation des
loyers connaîtront, à terme, les problèmes qui touchent actuellement les locataires du
marché libre. A l’heure actuelle, face à la hausse des loyers et sans système de
protection, elles sont progressivement écartées des zones centrales, où les perspectives
de rentabilité sur le marché locatif ont augmenté de façon exponentielle, et contraintes
de vivre en situation de surpeuplement ou dans des logements inadaptés à leurs
besoins13
.
De son côté le programme Marché locatif social renforce l’engagement politique en
faveur de la location. Il vise les ménages qui ont un revenu supérieur à ceux qui sont
traditionnellement orientés vers le logement social, et qui ne sont ni couverts par le
programme en vigueur - le Porta 6514
- car ils ont dépassé la limite d'âge et
n’appartiennent pas aux groupes ayant des besoins spécifiques de logement, ni en
capacité financière de louer sur le marché libre.
Ce programme est le résultat d’un partenariat entre l’'Etat, à travers l’Institut pour le
Logement et la Réhabilitation Urbaine (IHRU), les municipalités et les banques
adhérentes, qui n’a pas atteint son but de susciter l’intérêt des municipalités et des
banques15
. En janvier 2012 la Société des Fonds Norfin16
a lancé le Fonds de Solution
Location pour gérer les propriétés destinées au marché locatif social. En août 2012 les
unités du Fonds de la Solution Location ont été intégrées dans le programme Marché
locatif social (MSA). Cela a marqué le début d’une nouvelle étape pour le
gouvernement et les banques dans la lutte contre le problème des logements saisis. Dans
le cadre du Programme, grâce au partenariat existant entre IHRU, la sécurité sociale17
et les banques, les logements saisis par les banques sont mis sur le marché à des loyers
inférieurs. La baisse du loyer de ces logements est théoriquement de 30%. En
contrepartie, le propriétaire (les fonds) est exempté d’IRC et d’impôt sur la transaction.
En 2012-2013, l’importance des FIIAH n’a pas été significative car la saisie a continué
à n’être appliquée que dans des situations extrêmes, les banques résistant à cette
solution dans le cadre de la négociation de défaut de paiement. A partir de 2014, les
FIIAH ont connu une expansion en raison de l'imposition par la Banque du Portugal de
la vente de ces actifs. Ainsi au début 2014, le nombre de logements du programme MSA
est passé de moins de 2.000 à 3.000 unités (dont 90% étaient de FIIAH) (CGD, jan.
2014; IHRU, fév. 2014). Les propriétés intégrées dans le FIIAH ont continué d’être
celles dont la rentabilité était la plus faible, alors que les banques continuent de
connaitre d’énormes difficultés pour écouler la majorité des logements à bas prix saisis
18.
Si l’on s’en tient au principe de l'équité dans l'accès au logement, plusieurs critiques
peuvent être adressées au programme : i) la libéralisation de la distribution par les
agents immobiliers est dépourvue de tout contrôle juridique et s’avère trop ouverte à des
formes d’inégalité et de discrimination, bien que les municipalités conservent un
contrôle afin de garantir le «caractère raisonnable des priorités » ; ii) il exclut les petits
propriétaires et les petits investisseurs, tout en protégeant les FIIAH; iii) il ya une
énorme ambiguïté dans la définition de la notion de « location sociale », ce qui
compromet l'approche universelle et équitable de la politique de logement; iv) il néglige
13
À l'exception de situations qui interdisent la modification du bail, à savoir les cas qui associent âge et
pauvreté. 14
le Programme Porta 65 comprenant le Porta 65 Jovem, destiné aux jeunes de moins de 30 ans et le
Porta 65 Cohabitation subventionnée. 15
Le programme a eu des difficultés à démarrer. Les médias ont fait référence à environ 1 184 logements
en Mars 2013, alors que l'objectif défini pour 2012 était d'en obtenir environ 2000 dans, au moins, 100
municipalités. 16
Créée en 1999 pour gérer les propriétés appartenant aux principales banques du pays. 17
Institut de Gestion Financière de l’Assurance Sociale qui gère le parc destiné aux populations les plus
défavorisées. 18
Suivant la banque, les propriétés de ces fonds sont les plus sous-évaluées, mais les niveaux de
rentabilité peuvent atteindre 2% (CGD, Fév. 2014).
l'existence de deux régimes de soutien (l’« aide au logement » et la « prime locative »)
qui participent activement à un système de ségrégation urbaine (Pato et al, 2014).
En somme, dans ce troisième régime de gouvernance, l’ensemble des mesures
d’incitation à la réhabilitation dont le financement est public, ou public-privé dans le
cadre des SRU, ne relève en rien d’une volonté de promotion du «logement social»
(dans sa forme classique ou dans d’autres formes alternatives, comme par exemple le «
logement abordable » ou l’«aide au logement »). Le logement social n’a pas été une
priorité dans le cadre de la production législative destinée à encourager la régénération
urbaine.
Conclusion
Au Portugal, l’ “austérianisme”, entendu comme la croyance en la qualité intrinsèque de
l’austérité (Krugman, 2012), n’a fait que contribuer à diminuer les montants de l’aide
publique en matière de logement déjà traditionnellement bas. Les choix politiques face à
la crise internationale et au déficit, imposés par la Troïka et préconisés par l'État, la
dépendance excessive de l'économie du secteur du bâtiment (López, 2013), la pression
des groupes économiques liés au bâtiment (Romero et al, 2012) et la confiance exagérée
en « l'équilibre du marché » (Harvey, 2005) génèrent une transformation de la politique
du logement sans précédent depuis 1974.
Les instruments législatifs préconisés en la matière par la Troïka contribuent à accentuer
les difficultés d'accès au logement des ménages, dans la mesure où ces outils
maintiennent et exacerbent l'absence de garantie d'universalité et d'équité dans l'accès
au logement. Les mesures mises en place ne permettent pas de corriger les inégalités et
promeuvent des dispositifs qui accentuent la dégradation des conditions d'accès au
logement abordable pour les ménages à bas revenus.
La dynamisation du marché locatif et de la réhabilitation apparaît comme une priorité,
mais les moyens juridiques et financiers pour permettre la « location abordable » restent
insuffisants. Dans le domaine de l’aide à la pierre, le Programme MSA n’est pas ajusté à
la création effective d'un parc de location abordable. Ce Programme laisse la
réglementation de la gestion du stock de logements aux mains des agences
immobilières. Enfin il reste à savoir si la localisation des propriétés en question
correspond ou non à la géographie des besoins.
La libéralisation graduelle mais efficace du marché de la location ainsi que les solutions
trouvées pour « promouvoir le marché du logement, facilitant l'accès au logement, la
qualité du logement et l'utilisation du parc de logements » révèlent la défense d’intérêts
financiers et créent de nouveaux vides législatifs aux implications profondes pour la
gouvernance urbaine.
La faible intervention municipale dans le logement abordable s’explique par le manque
de dynamisme du marché locatif, provoqué, entre autres, par le blocage des loyers, par
le manque d'intérêt pour la réhabilitation et par une politique du logement conçue
comme politique locale. Aujourd'hui, les municipalités sont obligées d'intervenir en
raison de la révision de la loi et de ses effets à moyen terme, de la hausse de la
demande associée à des situations de difficultés économiques et du processus de déclin
urbain (Fol et al, 2010) lié à un recul sur le plan démographique, économique et
institutionnel dans certaines zones, et à la dégradation du bâti.
Les instruments législatifs analysés sont totalement inadaptés au développement d’un
secteur social de masse, couvrant les besoins des catégories intermédiaires, à un
moment où la gestion municipale devient plus complexe. Si le potentiel d’efficacité de
la politique du logement réside en grande partie dans l’augmentation de la marge de
manœuvre (et d’innovation) des municipalités (Guerra et al, 2008), le débat sur la mise
en œuvre d’un modèle urbain local plus favorable à la promotion du logement abordable
reste nécessaire.
Recherche subventionnée par des fonds publics : FCT - Fondation pour la Science et la Technologie -dans
le cadre du projet «Pest-UID / SOC / 04647 / 2013».
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Sigles et acronymes
ACRRU - Área Crítica de Recuperação e Reconversão Urbanística (Zones critiques de récupération et de
reconversion urbanistique ).
BdP – Banco de Portugal (Banque du Portugal)
BCE – Banco Central Europeu (Banque Centrale Européenne)
FIIAH - Fundos de Investimento Imobiliário para Arrendamento Urbano (Fonds d’Investissement
Immobilier de Logements Locatifs).
FMI – Fundo Monetário Internacional (Fonds monétaire international)
FDU – Fundos de Desenvolvimento Urbano (Fonds pour le développement urbain)
HCC - Habitação a Custos Controlados (Logements à coûts contrôlés)
IHRU - Instituto da Habitação e da Reabilitação Urbana (Institut pour le Logement et la Réhabilitation
Urbaine)
IRS - Imposto sobre o rendimento das pessoas singulares (Impôt sur le revenu )
IRC - Imposto sobre o rendimento das pessoas coletivas (Impôt sur le revenu des entreprises)
MSA - Mercado Social de Arrendamento (Marché locatif social)
PEH - Plano Estratégico de Habitação (Plan Stratégique de Logement)
PER – Programa Especial de Realojamento (Programme Spécial de Relogement)
PROHABITA - Programa de Financiamento para Acesso à Habitação (Programme de financement pour
l'accès au logement)
RAAHPP – Regime de Apoio à Aquisição de Habitação Própria Permanente (Régime d’aide à l'accession
à un logement à usage personnel et permanent)
RAU – Regime de Arrendamento Urbano (Régime de Location Urbaine)
SRU – Sociedades de Reabilitação Urbana (Sociétés de Réhabilitation Urbaine)