La guerre comme expérience du temps et le temps comme expérience de guerre. Hypothèses pour une...

17
LA GUERRE COMME EXPÉRIENCE DU TEMPS ET LE TEMPS COMME EXPÉRIENCE DE GUERRE Hypothèses pour une histoire du rapport au temps des soldats français de la Grande Guerre Nicolas Beaupré Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Vingtième Siècle. Revue d'histoire » 2013/1 N° 117 | pages 166 à 181 ISSN 0294-1759 ISBN 9782724633337 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-1-page-166.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Nicolas Beaupré, « La guerre comme expérience du temps et le temps comme expérience de guerre. Hypothèses pour une histoire du rapport au temps des soldats français de la Grande Guerre », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2013/1 (N° 117), p. 166-181. DOI 10.3917/vin.117.0166 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Diderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Bibliothèque Diderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.)

Transcript of La guerre comme expérience du temps et le temps comme expérience de guerre. Hypothèses pour une...

LA GUERRE COMME EXPÉRIENCE DU TEMPS ET LE TEMPSCOMME EXPÉRIENCE DE GUERREHypothèses pour une histoire du rapport au temps des soldats français de la Grande GuerreNicolas Beaupré

Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Vingtième Siècle. Revue d'histoire »

2013/1 N° 117 | pages 166 à 181 ISSN 0294-1759ISBN 9782724633337

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2013-1-page-166.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Nicolas Beaupré, « La guerre comme expérience du temps et le temps comme expérience deguerre. Hypothèses pour une histoire du rapport au temps des soldats français de la GrandeGuerre », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2013/1 (N° 117), p. 166-181.DOI 10.3917/vin.117.0166--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.).

© Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manièreque ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

La guerre comme expérience du tempsNicolas Beaupré p. 167

L’historicité en milieu sépharadeNicole Abravanel p. 183

« Au nom de la France »Raphaëlle Branche p. 199

Le temps politiséLudivine Bantigny p. 215

Contestations des temps dominants ?Crises et discontinuités

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

VINGTIÈME SIÈCLE. REVUE D’HISTOIRE, 117, JANVIER-MARS 2013, p. 167-181 167

La guerre comme expérience du temps et le temps comme expérience de guerreHypothèses pour une histoire du rapport au temps des soldats français de la Grande GuerreNicolas Beaupré

La Première Guerre mondiale trans-forma tout, y compris le rapport au temps des combattants. Telle est l’hypothèse de l’auteur qui, pour sa démonstration, convo-que d’abord les sources testimoniales, dans laquelle, au prix d’un certain nombre de précautions, peut se repérer un microré-gime d’historicité. L’hypothèse permet-trait alors de mieux comprendre la ténacité des combattants : s’ils supportèrent si long-temps la guerre et la répétition des offensi-ves, c’est peut-être en vertu d’un rapport au passé, au futur et à un présent certes subi et envahissant, mais qu’ils s’essayèrent à maî-triser. L’écriture, sous bien des formes, par-ticipa à cette reprise du temps et même à la construction d’un rapport au temps comme catégorie de l’expérience de guerre.

Alors que, selon la belle définition de Marc Bloch, il est désormais admis que l’histoire est la « science des Hommes dans le temps 1 », le rapport entretenu par les contemporains d’une

(1) Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’histo-rien (1942), réédité dans id., L’Histoire, la Guerre, la Résistance, Paris, Gallimard, « Quarto », 2006, p. 867. Comme chacun sait, les historiens des Annales ont défendu une problémati-sation du temps face à la tradition historisante. Sur l’histoire-problème voir tout particulièrement : Lucien Febvre, « Pro-pos d’initiation : vivre l’histoire », Mélanges d’histoire sociale, 1, 1943, p. 5-18.

époque avec le temps qu’ils vivent est para-doxalement un objet historique relativement neuf. Or, comme l’écrit Jacques André, « le temps n’est pas seulement la toile de fond de la réflexion de l’historien, il en est aussi l’ob-jet, il y a une histoire du temps 2 ». Cette his-toire a été en fait formalisée, conceptualisée et théorisée à une date récente, entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980.

Les foisonnantes études sur « la mémoire » et les rapports politiques, culturels et sociaux des hommes à leur passé, dans la continuité des chantiers ouverts par Maurice Halbwachs (dont les ouvrages connurent des rééditions à partir de la fin des années 1960 3), ont ouvert la voie à une mise en chantier de la question du rapport des hommes au temps et plus particulièrement au passé. Les travaux de Reinhart Koselleck, qui lui aussi s’était penché dans de nombreux arti-cles sur des lieux de mémoires tels que les monu-ments aux morts 4, ouvraient, parallèlement, la

(2) Jacques André, « Le temps n’est plus ce qu’il était », in Jacques André, Sylvie Dreyfus-Asséo et François Hartog (dir.), Les Récits du temps, Paris, PUF, 2010, p. 3-8, p. 3.

(3) Après une première édition posthume en 1950, La Mémoire collective de Maurice Halbwachs a été rééditée en 1968 et en 1997 aux éditions Albin Michel. Son ouvrage intitulé Les Cadres sociaux de la mémoire est paru en 1925 et fut réédité en 1935, 1976 et 1994, également aux éditions Albin Michel.

(4) Reinhart Koselleck, « Der Einfluβ der beiden Welkriege auf das soziale Bewußtsein », in Wolfram Wette (dir.), Der Krieg des kleinen Mannes : eine Militärgeschichte von unten, Munich, Piper, 1992, p. 324-343 ; Reinhart Koselleck et Michael Jeismann (dir.),

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

168

NICOLAS BEAUPRÉ

voie à une histoire plus large des temporali-tés, comme inscription des hommes dans le passé, le présent et l’avenir et surtout comme appréhension par ces mêmes hommes de cette inscription dans le temps. Le moment kosel-leckien s’est entre autre traduit par la belle for-tune des notions de « champ d’expérience » et plus encore d’« horizon d’attente » 1 ; for-tune telle que la notion est aujourd’hui utilisée le plus souvent sans référence directe au père de la Begriffsgeschichte (histoire des concepts). La notion de « régime d’historicité 2 » (qui dési-gne la manière dont une société ou un groupe humain construit, à un moment donné de l’his-toire, conjointement son rapport au passé, au présent et à l’avenir, et dont ces trois tempora-lités s’articulent les unes avec les autres) semble aujourd’hui connaître une destinée analogue qui ouvre de nouvelles perspectives à l’histoire du rapport des hommes au temps et à l’histoire.

Der politische Totenkult : Kriegerdenkmäler in der Moderne, Munich, Wilhelm Fink, 1994 ; Reinhart Koselleck, Zur politischen Ikonolo-gie des gewaltsamen Todes : ein deutsch-französischer Vergleich, Bâle, Schwabe, 1998 ; Reinhart Koselleck, « Kriegerdenkmale als Identitätsstiftungen der Überlebenden », in Odo Marquard et Karlheinz Stierle (dir.), Identität, Munich, Wilhelm Fink, 1979, p. 255-276 ; trad. fr., id., « Les monuments aux morts, lieux de fondation de l’identité des survivants », in id., L’Expérience de l’his-toire, éd. et préf. par Michael Werner, trad. de l’all. par Alexan-dre Escudier avec la collab. de Diane Meur, Marie-Claire et Jochen Hoock, Paris, Gallimard/Éd. du Seuil, 1997, p. 135-160 ; Annette Becker, Les Monuments aux morts, mémoire de la Grande Guerre, Paris, Errance, 1988 ; Antoine Prost, « Les monuments aux morts », in Pierre Nora (dir.), Les Lieux de Mémoire, t. I : La République, Paris, Gallimard, 1984, p. 195-225 ; Jay Winter, Sites of Memory, Sites of Mourning : The Great War in European Pers-pective, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; trad. fr., id., Entre deuil et mémoire : la Grande Guerre dans l’histoire cultu-relle européenne, préf. d’Antoine Prost, trad. de l’angl. par Chris-tophe Jacquet, Paris, Armand Colin, 2008.

(1) Reinhart Koselleck, « “Erfahrungsraum” und “Erwar-tungshorizont” – zwei historische Kategorien », in Engelhardt Ulrich, Sellin Volker et Stuke Horst (dir.), Soziale Bewegung und politische Verfassung : Beiträge zur Geschichte der Modernen Welt, Stuttgart, Klett, 1975, p. 13-33. ; trad. fr., id., « “Champ d’expérience” et “horizon d’attente” : deux catégories his-toriques », in id., Le Futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques, trad. de l’all. par Jochen et Marie-Claire Hoock, Paris, Éd. de l’EHESS, « Recherches d’histoire et de sciences sociales, 44 », 1990, p. 307-329.

(2) François Hartog, Régimes d’historicités : présentisme et expériences du temps, Paris, Éd. du Seuil, 2003, 2012, p. 13.

Plus que dans d’autres domaines de leur recherche, les historiens ont ici su franchir les barrières disciplinaires et s’inspirer des travaux des anthropologues, des sociologues, des litté-raires, des philosophes.

L’historiographie de la Grande Guerre et la question du temps

Les historiens spécialistes de la Grande Guerre ne font pas exception. Chacune à sa manière, les deux thèses fondatrices d’une histoire renouvelée de la Grande Guerre parues tou-tes deux en 1977, posaient les jalons de l’étude du rapports des contemporains de la Grande Guerre à leur époque. La thèse d’État d’An-toine Prost consacrée aux anciens combattants français dans l’immédiat après-guerre s’intéres-sait à la mémoire de la guerre 3. Quant à celle de Jean-Jacques Becker, elle mettait au centre l’irruption de l’événement comme rupture et la manière dont celui-ci était appréhendé par les contemporains 4. Le rapport non anticipé au présent immédiat se traduisait par une surprise initiale suivie d’une résolution défensive, tan-dis que se mettait conjointement en place une projection vers l’avenir. Pour ce faire, l’histo-rien pouvait s’appuyer, en plus de la presse, sur des rapports officiels et des témoignages, dont la précision à noter les réactions des popula-tions et des individus face à l’événement témoi-gnait déjà peut-être de l’entrée brutale dans une temporalité, vécue, perçue et représen-tée spécifique à la guerre comme expérience du temps, ouvrant peut-être déjà la voie à une crise du temps préalable à la mise en place d’un (voire de plusieurs) microrégime d’historicité spécifique aux temps de guerre.

(3) Antoine Prost, Les Anciens combattants et la société fran-çaise, Paris, Presses de Sciences Po, 1977, 3 t.

(4) Jean-Jacques Becker, 1914 : comment les Français sont entrés en guerre. Contribution à l’étude de l’opinion publique, prin-temps-été 1914, Paris, Presses de Sciences Po, 1977.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

169

LA GUERRE CoMME ExPéRIEnCE DU TEMPS

Depuis, la question du rapport au temps (et tout particulièrement du temps vécu par les combattants au front) n’a jamais complètement disparu de la focale des historiens, même si les questions mémorielles ont semblé un temps s’imposer par rapport aux réflexions sur l’ins-cription dans le temps présent et la projection dans l’avenir. Dans son étude de la presse de tranchée, Stéphane Audoin-Rouzeau montrait ainsi que le rapport à « l’actualité », au pré-sent politique, n’y était pas du tout le même, comme si une « actualité » spécifique au front, dont les journaux de tranchée par leur pério-dicité régulière ou irrégulière témoignaient. Il citait par exemple, à l’appui de ce constat, un journal intitulé Le 120 Court du 1er septembre 1916, dans lequel on pouvait lire : « Pour nous autres poilus, ce désir de savoir est inexistant. Toutes nos aspirations résident dans le pré-sent. Habitués à vivre jour par jour, heure par heure, nous laissons à d’autres le soin de faire des patrouilles dans l’avenir 1. » L’historien en concluait alors que « la vie du front a provo-qué une mutation complète de la perception du temps et de l’espace et modifié totalement la hiérarchie de l’importance des choses. Tout est ramené à la minute présente, à l’“ici et mainte-nant”, et le détachement des soldats en découle directement 2 ». Ce serait là, pour reprendre les catégories de François Hartog, comme une forme d’hyper-présentisme découlant direc-tement à la fois de la guerre elle-même et de la spécificité de la place des combattants dans cette même guerre qui dessinerait un « ordre du temps » spécifique à la Grande Guerre et à ses combattants.

Dans un ouvrage plus récent, André Loez se penche à son tour sur le rapport au temps qu’entretiennent les soldats dans la guerre des

(1) Stéphane Audoin-Rouzeau, 14-18, les combattants des tranchées, Paris, Armand Colin, 1986, p. 187.

(2) Ibid.

tranchées 3. Quand Stéphane Audoin-Rouzeau déduisait de l’« indifférence » au temps de l’ac-tualité le résultat d’une « coupure entre l’indi-vidu et tout ce qui reste extérieur à son dialo-gue avec la mort » 4, André Loez préfère y voir une forme d’« habitude », de rapport ordinaire à ce temps nouveau qu’est celui de la guerre qui serait la recherche d’une sorte de « banalité du quotidien permettant de supporter la guerre » et une temporalité finalement imposée par les « rythmes du front, à la fois cycliques et impré-visibles » et sur laquelle les soldats n’ont fina-lement que très peu de « prise » 5. De même, Emmanuel Saint-Fuscien montre qu’il existe une forme de temporalité spécifique de l’obéis-sance et du rapport à l’autorité qui oblige l’ar-mée à réaménager au cours de la guerre la nature même du lien hiérarchique 6. D’autres travaux, à l’instar de ce qui peut se faire éga-lement pour d’autres conflits, mettent désor-mais le temps, l’expérience du temps, le rap-port au passé et notamment à l’avant-guerre et les attentes de la fin de la guerre, de la paix et de la victoire au cœur de la réflexion historique sur la Grande Guerre 7.

Comme on peut le constater à travers ces quel-ques exemples pris parmi de nombreux autres, l’historiographie de la Grande Guerre n’est pas restée à la marge de cette exploration de l’ins-cription des hommes dans une temporalité qui

(3) André Loez, 14-18, les refus de la guerre : une histoire des mutins, Paris, Gallimard, 2010, p. 75-76 et p. 81 sq. Cette idée est également au cœur de l’article de Jean-François Jagielski, « Modifications et altérations de la perception du temps chez les combattants de la Grande Guerre », in Rémy Cazals, Emmanuelle Picard et Denis Rolland (dir.), La Grande Guerre : pratiques et expériences, Toulouse, Privat, 2005, p. 205-214, notamment p. 211-213.

(4) Stéphane Audoin-Rouzeau, op. cit., p. 187.(5) André Loez, op. cit., p. 75-76 et 81 sq.(6) Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres ? La relation

d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, Éd. de l’EHESS, 2011.

(7) Voir, par exemple, Ludivine Bantigny, « Temps, âge et génération à l’épreuve de la guerre : la mémoire, l’histoire, l’oubli des appelés en Algérie », Revue historique, 641, janvier 2007, p. 165-179.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

170

NICOLAS BEAUPRÉ

est celle de la guerre et qui nécessite de leur part un réaménagement du rapport au passé, au présent et à l’avenir, lui-même contrarié par un quotidien et des rythmes spécifiques au temps guerrier. À partir de ces réflexions et travaux préexistants, nous souhaitons proposer ici, dans la continuité de notre propre réflexion sur le sujet 1, un certain nombre d’interroga-tions, d’hypothèses et de pistes de recher-ches qui doivent être considérées non pas tant comme un bilan que comme autant d’ouvertu-res, d’encouragements à s’engager plus avant sur cette voie.

Il est à noter que, à l’instar de cet article, la plupart de ces travaux s’intéressent exclusi-vement ou pour l’essentiel aux combattants 2. Ceci est essentiellement dû à trois facteurs qu’il convient de rappeler ici rapidement. Le pre-mier tient à la centralité de la figure du com-battant telle qu’elle a pu se constituer pendant le conflit. Si les historiens ont pu, dans un pre-mier temps, négliger l’expérience combattante pour privilégier une recherche de nature plus politique sur les origines, le déroulement et les conséquences de la Grande Guerre, la mémoire collective a en quelque sorte conservé le com-battant comme figure centrale du conflit. La littérature de guerre et le témoignage jouèrent

(1) Voir notamment Nicolas Beaupré, Écrire en guerre, écrire la guerre : France-Allemagne, 1914-1920, Paris, CNRS éditions, 2006, chap. 9 « Les fins dernières : attendre et annoncer », p. 195-212 ; id., Les Grandes Guerres, 1914-1945, Paris, Belin, 2012, « Le temps suspendu, la fin attendue », p. 103-107.

(2) Voir, entre autres, Jean-François Jagielski, op. cit. ; John Horne, « Entre expérience et mémoire : les soldats français de la Grande Guerre », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 60 (5), 2005, p. 903-919 ; André Loez, « La bataille avant la bataille : imaginer et deviner l’offensive », in Nicolas Offenstadt (dir.), Le Chemin des Dames : de l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 197-205 ; Benoist Couliou, « Un stoïcisme pragma-tique : expérience temporelle et horizon d’attente des com-battants », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 91, juillet-septembre 2008, p. 71-74 ; Benoist Couliou, « Ulysse et Damoclès : l’identité sociale des combattants français et leur perception de la durée (août 1914-décembre 1915) », in Fran-çois Bouloc, Rémy Cazals et André Loez, Identités troublées, 1914-1918 : les appartenances sociales et nationales à l’épreuve de la guerre, Toulouse, Privat, 2011, p. 61-72.

un rôle essentiel dans cette conservation. Le second, lié au premier, tient à l’intérêt des his-toriens qui, depuis les années 1960 et 1970, s’est déplacé vers les sociétés. Les combattants ont dès lors occupé une place centrale dans l’histo-riographie de la Grande Guerre. Enfin, le troi-sième facteur, découlant des deux premiers est lié à la nature même des sources disponibles. Pour écrire une telle histoire, des « ego docu-ments » sont nécessaires. Or, ceux qui existent en masse, sont précisément ceux provenant des combattants eux-mêmes : témoignages, corres-pondances, journaux intimes, récits, poèmes, articles de la presse des tranchées, etc.

L’histoire des civils à l’arrière ou des occu-pés aurait pourtant également sans doute beau-coup à gagner d’une telle exploration. L’endu-rance et l’attente de la « libération » comme modalité d’un rapport subi au temps ne sont en effet pas l’apanage des combattants des tran-chées 3. La découverte et publication de cor-respondances et de journaux de civils devraient permettre de combler bientôt cette lacune.

Les sources du temps

L’écriture d’une histoire du rapport au temps, ou plus largement du régime d’historicité comme « façon d’engrener passé, présent et futur ou de composer un mixte des trois caté-gories 4 » des combattants de la Grande Guerre pose tout d’abord le problème des sources à notre disposition pour une telle histoire, pro-blème encore trop rarement soulevé 5. L’écri-

(3) Ceci est particulièrement explicite dans Clémence Martin-Froment, L’Écrivain de Lubine : journal de guerre d’une femme dans les Vosges occupées (1914-1918), édition établie et présentée par Philippe Nivet, Jean-Claude Fombaron et Yann Prouillet, Moyenmoutier, Edhisto, 2010 ; Annette Becker (éd.), Journaux de combattants et civils de la France du Nord dans la Grande Guerre, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998.

(4) François Hartog, Régimes d’historicités…, op. cit., p. 13.(5) Il est notamment évoqué rapidement par Benoist Cou-

liou, « Ulysse et Damoclès… », op. cit.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

171

LA GUERRE CoMME ExPéRIEnCE DU TEMPS

ture de l’expérience de guerre (et le rapport au temps est un des aspects de l’expérience de guerre) repose en effet essentiellement sur le témoignage combattant. Or, ce dernier au sens large se subdivise en un grand nom-bre de sous-genres, qui, difficulté supplémen-taire, se superposent et se mélangent souvent au sein d’un même ouvrage. Disons-le d’em-blée, les récits d’après-guerre posent ici énor-mément de problèmes à l’historien en raison de la distance temporelle entre le temps vécu et le temps narré, une distance qui est encore accentuée par la rupture que constitue la fin de la guerre 1. Implicitement ou explicitement, la fin des hostilités, la victoire constituent un prisme à travers lequel l’expérience de guerre est relue. L’incertitude et les attentes par rap-port à la fin de la guerre sont levées et influent donc inévitablement sur un récit qui ne peut plus que s’écrire au passé 2. Ce type de témoi-gnage doit donc être manié avec la plus grande précaution, d’autant plus donc lorsqu’il s’agit d’écrire une histoire des rapports au temps. Il en va de même (dans une mesure un peu moin-dre toutefois) avec les récits écrits pendant la guerre. Ceux-ci peuvent certes nous rensei-gner sur la perception du passé, en particu-lier de l’avant-guerre pendant la guerre. Ils peuvent aussi nous informer sur les horizons d’attente, puisque la guerre n’est pas termi-née au moment de l’écriture. Mais, même en ce domaine, ils ne permettent que d’accéder à un niveau très général, en raison cette fois du décalage chronologique qu’il peut y avoir au

(1) John Horne, op. cit., p. 918.(2) À l’exception des écritures du trauma, qui répètent

pathologiquement le temps présent de la guerre. Leonard V. Smith attribue précisément à la littérature d’après-guerre, et notamment à la fiction romanesque une fonction de ferme-ture, d’enfermement de la Grande Guerre dans une époque qu’on espère révolue et qui doit également empêcher la réi-tération traumatique comme la répétition de la tragédie de la guerre : Leonard V. Smith, The Embattled Self : French Soldiers’ Testimony of the Great War, Ithaca, Cornell University Press, 2007, p. 148-194.

sein même de la guerre. Les horizons d’attente de 1914 (où domine la croyance en une guerre courte, voire très courte) ne sont assurément pas les même qu’en 1916 pendant la bataille de Verdun ou qu’en 1917 après l’échec de l’of-fensive du Chemin des Dames. Par là, rédigé en 1916 ou 1917, un récit de l’entrée en guerre risque d’être davantage porteur des attentes de 1916 ou de 1917 que de 1914. Ainsi, lors-que André Fribourg revient dans sa préface de 1917 sur les premiers jours de la guerre, il écrit : « Ce fut l’heure des enthousiasmes sublimes, où l’on souffrait à peine des déchire-ments, où la douleur et les angoisses du départ fondaient dans une splendeur morale et un immense espoir 3. » En creux, en négatif, Fri-bourg signifie ainsi qu’au moment où il publie son livre, les temps ont bien changé trois ans plus tard. De fait, l’ouvrage, sans abandonner sa tonalité foncièrement patriotique, se ter-mine sur une oraison funèbre aux morts de la guerre qui correspond bien à la fois à l’immen-sité du deuil de guerre et aux incertitudes des années du mitan du conflit.

En outre, le récit, qui par nature est une reconstruction a posteriori, ne permet pas d’ac-céder immédiatement au présent de l’expé-rience, à l’appréciation du quotidien au moment où celui-ci se déroule. Qu’il soit écrit pendant ou après la guerre, le récit ne permet donc a priori pas de saisir conjointement les « arti-culations du passé, du présent et du futur 4 ». Cela ne signifie bien entendu pas que l’histo-rien doit s’interdire d’utiliser de telles sour-ces, mais il doit alors le faire en toute connais-sance de cause et surtout en veillant à toujours mesurer et prendre en compte la distance sépa-rant le temps du récit de celui qui est raconté. Dans ce cas, il est même particulièrement fruc-

(3) André Fribourg, Croire : histoire d’un soldat, Paris, Payot, 1917, p. 9.

(4) Selon la formule de François Hartog, Régimes d’histori-cité…, op. cit., p. 38.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

172

NICOLAS BEAUPRÉ

tueux lorsque, comme dans le cas de Fribourg, peuvent être précisément dévoilées les failles et les évolutions du rapport au temps. La com-paraison entre un journal tenu par un auteur au jour le jour pendant la guerre et le récit rema-nié produit à partir de ce même journal pen-dant ou même après la guerre pourrait s’avérer potentiellement d’une grande richesse 1.

De même, la littérature de fiction, dans la mesure où elle entretient un rapport de contem-poranéité avec les faits qu’elle reconstruit, peut également, malgré tous les problèmes qu’elle pose, servir de source dévoilant les spécifici-tés de la « crise du temps » liée à la Grande Guerre ; et ce d’autant plus lorsqu’il est pos-sible d’étudier la réception de cette littérature pendant le conflit.

Restent d’autres sources, également de nature testimoniale, qui seraient, par nature, plus adéquates pour ce type de recherche, en raison du rapport particulier qu’elle entretien-nent avec le temps : le journal intime, la cor-respondance et la presse des tranchées. Toutes ces sources ont en commun d’être en principe précisément datées et donc datables pour l’his-torien. En outre, si les lettres, les entrées de journal intime et les articles de la presse de tranchée sont ponctuels et datés, ils sont éga-lement inscrits dans un continuum d’écriture qui se déploie sur une certaine durée, celle de l’échange épistolaire, de l’écriture du jour-nal intime ainsi que de la périodicité et de la durée d’existence de l’organe de presse. L’ex-périence et son énonciation par le texte sont alors contemporaines, ou à tout le moins très rapprochées dans le temps, ce qui permet de se pencher non seulement sur les rapports à

(1) On pense par exemple à la comparaison qui pourrait être faite entre le journal d’Ernst Jünger et son récit Orages d’acier. Des comparaisons visant à déceler les variations dans le récit ont déjà été menées, mais, à notre connaissance, non pour ana-lyser précisément le rapport au temps et son évolution (Ernst Jünger, Kriegstagebuch, 1914-1918, Helmuth Kiesel (éd.), Stutt-gart, Klett-Cotta, 2010).

l’avenir et au passé à un moment donné mais également sur le rapport au présent vécu et sur leurs évolutions dans le temps de la guerre. Il est alors possible, de suivre, chez un même individu, l’évolution de son champ d’expé-rience et de ses horizons d’attente. Si ces sour-ces sont, pour ces raisons, de prime abord bien plus satisfaisantes que les récits écrits a poste-riori, il ne faudrait toutefois pas en faire une panacée. Ces sources ont les défauts de leurs qualités. Ces trois types de documents entre-tiennent en rapport particulier avec le temps, qui se traduit quasi automatiquement par une place prépondérante de l’écriture du présent et du passé proche. Malgré leurs différences fon-damentales (notamment l’importance inégale de la censure et de l’autocensure, le poids du destinataire sur l’écriture), la lettre, le journal intime et l’article de journal de tranchée ont pour point commun une finalité : celle de nar-rer, de garder trace du présent au moment où il se transforme en passé proche, et de contribuer précisément à cette transformation.

Il n’est donc pas étonnant que, dans ces types de sources, contrairement aux récits ou sour-ces littéraires plus élaborés, les projections vers l’avenir, les réflexions sur la fin de la guerre res-tent sommaires, ordinaires ou, si l’on préfère, peu élaborées et peu formalisées. Il faut donc se garder des « effets de sources » qui amène-raient à déduire un peu rapidement de ces textes un rapport ordinaire à la guerre. Il s’agit plutôt d’un rapport ordinaire à la manière de dire le temps qui provient des cadres et des contrain-tes qui s’imposent au scripteur qui s’est choisi des outils d’écriture et des genres narratifs pré-cis. Ceux-ci ont leurs règles et leur logique pro-pre et donc ne résultent pas uniquement d’une « déperdition des repères temporels » qui serait le résultat à la fois objectif et subjectif de l’expé-rience de guerre et déboucherait sur une tempo-ralité propre « exclusivement axée autour d’une

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

173

LA GUERRE CoMME ExPéRIEnCE DU TEMPS

présent immédiat » 1. En d’autres termes, il est finalement « normal » que correspondances et carnets de guerre soient le reflet prosaïque des soucis du quotidien et que l’horizon d’at-tente qui y est décelable se limite souvent à la prochaine permission, à la prochaine lettre, au « temps du vaguemestre 2 », ce qui se perçoit également dans le scandale représenté par les ruptures même infimes dans cette temporalité fragilisée :

« Le vaguemestre doit maintenant aller chercher les lettres à Haudiomont, mais voilà quatre jours que l’on a rien reçu, sauf quelques colis – je n’ai rien. C’est ça qu’on appelle organiser le service en vue de faire parvenir rapidement la correspon-dance aux Armées. Ridicule et odieux 3. »

Certes, les grandes scansions du calendrier, comme les fêtes, les changements d’année 4 sont parfois l’occasion de retours nostalgiques sur le passé ou encore de projection vers un avenir où la guerre serait enfin terminée. Plus encore, les veilles de batailles attendues comme déci-sives 5 ou, à partir de l’été 1918, la perspective enfin proche de la fin de la guerre, facilitent chez les auteurs de ce type de texte l’expression d’attentes et donc, pour l’historien, l’analyse d’horizon d’attente et d’imaginaires sociaux 6. L’analyse que fait Bruno Cabanes des archives du contrôle postal pour l’année 1918 est de ce point de vue particulièrement éclairante. La fin de la guerre prochaine, après des mois d’an-goisses liées aux victoires allemandes du prin-temps, semble comme libérer les évocations

(1) Jean-François Jagielski, op. cit., p. 209 et 210.(2) Guillaume Apollinaire, « Les saisons », Calligram-

mes, Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 240.

(3) Louis Pergaud, Carnet de guerre, Paris, Le Mercure de France, 2011, p. 38, 13 novembre 1914.

(4) André Loez, 14-18, les refus de la guerre…, op. cit., p. 97.(5) John Horne, op. cit., p. 909-910.(6) Au sens de Bronisław Baczko, Les Imaginaires sociaux :

mémoires et espoirs collectifs, Paris, Payot, 1984.

de l’avenir où se mêlent grandes attentes liées à la victoire et à la paix, désir de vengeance à l’égard de l’ennemi et envie de retour au foyer et à une vie normale, une vie d’avant 7.

Cela ne signifie pas pour autant que les projections dans l’avenir soient automati-quement absentes de ces sources en dehors de ces moments clés. On y trouve également de temps à autre une trace des horizons d’at-tente qui n’en est alors que plus remarquable. Mais le futur n’y entre, pour ainsi dire, que par effraction. Il n’est pas, pour l’épistolier, le dia-riste et l’échotier des tranchées, la raison d’être de l’écriture, contrairement au présent ou au passé proche (les temps du champ d’expérien-ces) qui sont eux, au contraire, au cœur du pro-jet d’écriture de ce type de textes. Il se peut même que ces sources portent non seulement la trace (le « témoignage ») de ces rapports au temps, mais qu’elles en soient, plus encore, le lieu où ils se fabriquent, tout comme la litté-rature de guerre non seulement témoigne de l’expérience de guerre, mais également la légi-time comme catégorie, voire en est la source même 8. Pour Émile Henriot, cette fabrication par l’écriture du rapport au temps est même inévitable, notamment à partir du moment où il franchit les frontières de l’intime pour être publié :

« Souvent, je rêve d’un journal de guerre, scru-puleusement tenu, au jour le jour, et disant tout ce qui passe dans un cœur et une tête d’homme, au front, montrant dans sa répétition exacte et monotone ce qu’est la vie de combattants par-tagés entre le cantonnement du repos, où ils ne se reposent pas, et les premières lignes, où ils ne

(7) Bruno Cabanes, La Victoire endeuillée : la sortie de guerre des soldats français (1918-1920), Paris, Éd. du Seuil, 2004.

(8) Leonard V. Smith, op. cit. ; Nicolas Beaupré, « “De quoi la littérature de guerre est-elle la source ?” Témoignages et fictions de la Grande Guerre sous le regard de l’historien », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 112, octobre-décembre 2012, p. 41-55.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

174

NICOLAS BEAUPRÉ

se battent pas. Tout soldat qui lirait ces pages s’y reconnaîtrait en disant : “C’est ça.” Mais ce serait sans doute le comble de l’ennui, pour peu que ce livre fût fidèle 1. »

À ces sources, il est possible d’en ajouter une autre qui, bien que d’un maniement plus dif-ficile, peut aussi permettre d’appréhender un rapport au temps. La poésie de guerre, trop souvent négligée par les historiens comme forme courte, est sans doute, lorsqu’elle est datée avec soin, une porte d’entrée dans ce type de recherche 2. Contrairement à la lettre ou à l’entrée de journal intime, elle s’élève souvent au-dessus des réalités prosaïques pour expri-mer parfois les attentes du scripteur ou propo-ser une méditation sur le temps passé, présent et à venir comme en témoigne par exemple ce poème d’H. Alloend Bessand :

« Pourquoi j’écris ? Pourquoi des vers ? Pour-quoi des mots ?C’est que, vois-tu, souvent le dur présent me pèse,Que je sens à ma gorge affleurer un sanglotEt que j’aime à rêver, pour qu’en moi tout s’apaise.Aujourd’hui est cruel ? Alors pour l’oublierJe laisse mon esprit s’envoler d’un coup d’aileVers le temps qui n’est plus : l’image du foyerSuspend sur mon chagrin son voile tendre et frêle.Aujourd’hui est cruel ? Mais demain s’est dresséJetant sur ma douleur l’apaisement d’un baume,Et l’espoir infini. Demain !... Ce vain fantômeQui se pare à nos yeux de nos bonheurs pas-sés 3. »

(1) Émile Henriot, Carnet d’un dragon dans les tranchées (1915-1916), Paris, Hachette, 1918, p. 187.

(2) Voir, par exemple, Annette Becker, Apollinaire : une bio-graphie de guerre, Paris, Tallandier, 2009 ; Laurence Campa, Poètes de la Grande Guerre : expérience combattante et activité poé-tique, Paris, Garnier, 2010.

(3) H. Alloend Bessand, Poëmes de guerre et non poëmes guer-riers, Paris, Georges Crès, 1918, p. 7.

Une fois posées ces réflexions sur les sources comme témoignage et comme lieu où se fabri-quent les identités de guerre et les rapports au temps, il nous reste à examiner les principa-les caractéristiques des rapports au temps des combattants, pour voir si ceux-ci débouchent sur la formation d’un régime d’historicité pro-pre aux combattants entre 1914 et 1918, car « selon que vient à dominer la catégorie du passé, celle du futur ou celle du présent, il est bien clair que l’ordre du temps qui en décou-lera ne sera pas le même 4 ».

Mais avant cela, il nous faut rapidement esquisser les différentes modalités (parfois en apparence contradictoires) des rapports aux temps, tels qu’ils s’expriment et sont construits par les sources narratives.

Pluralité des consciences du temps

Tantôt s’exprime l’idée d’une rupture radicale, comme dans La Petite Auto, un poème célèbre de Guillaume Apollinaire si souvent cité qui décrit l’entrée en guerre :

« Le 31 du mois d’août 1914 […]Nous dîmes adieu à toute une époque […]Nous arrivâmes à ParisAu moment où l’on affichait la mobilisationNous comprîmes mon camarade et moiQue la petite auto nous avait conduits dans une époque NouvelleEt bien qu’étant déjà tous deux des hommes mûrsNous venions cependant de naître 5. »

Comme l’écrit Annette Becker, « toute la nou-veauté de la guerre et son atavisme, aussi mor-

(4) François Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 15.(5) Le poème a été très vraisemblablement écrit en proxi-

mité immédiate avec l’événement décrit, en tout cas avant avril 1915. Parti le 31 juillet de Deauville et non le 31 août, date retenue pour le rythme du vers, Apollinaire était arrivé à Paris le 1er août. (Guillaume Apollinaire, Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 207-208 pour le poème, et p. 1076 et 1085-1086 pour les notes)

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

175

LA GUERRE CoMME ExPéRIEnCE DU TEMPS

tels l’une que l’autre, sont encapsulés dans ce poème. La Petite Auto est devenue la méta-phore de la course à la modernité désirée et parfois angoissante 1 ».

Le poème d’Apollinaire exprime une conscience d’époque, ou plutôt de changement d’époque, celui d’une entrée dans la modernité par la guerre, en somme, l’entrée dans un nou-veau régime d’historicité. Il ne faudrait évi-demment pas généraliser cette conscience à l’ensemble des combattants, mais l’expression « Grande Guerre », qui se cristallise très rapi-dement, dès 1914 – et que l’on retrouve en anglais sous la forme Great War ou en alle-mand avec l’idée fort répandue de Grande Époque (Die Groβe Zeit) 2 –, dit aussi quelque chose de ce sentiment parfois clairement, par-fois plus confusément exprimé. L’évocation par les témoins des grandes batailles de 1916, accompagnées d’une orgie de destruction per-mise par le triomphe de la technique, se pro-longe parfois également en méditation sur ce qui est alors perçu comme une nouveauté radi-cale provoquant un basculement qui l’est tout autant dans une époque : cette « époque Nou-velle » au N majuscule d’Apollinaire caracté-risée notamment par le fait qu’on ne peut la prédire. Celle-ci, qui repousse l’homme dans le présent d’une sujétion à la guerre, le prive à la fois de passé et d’avenir. La guerre a détruit non seulement le passé mais aussi le futur.

« La guerre industrielle a créé la guerre organi-que, une crise de l’être entier, de profonds cou-rants intérieurs qui tournent en vagues concen-triques autour du drame guerrier où hésitent la résurrection ou la mort. Ce n’est plus une armée opérant au loin, comme un organe presque indé-pendant qui peut triompher ou disparaître sans lier l’organisme entier à son sort. C’est un peu-

(1) Annette Becker, Apollinaire…, op. cit., p. 21.(2) Wolfgang G. Natter, Literature at War, 1914-1940 :

Representing the « Time of Greatness » in Germany, New Haven, Yale University Press, 1999.

ple complet où chaque homme, chaque enfant et chaque femme participent de près ou de loin, et qu’ils consentent ou qu’ils refusent, à l’enivre-ment confus de désespoir et de puissance dont il n’est pas le maître de fixer le terme ni de prévoir les résultats 3. »

Ces pronostics et prémonitions sont pour le moins paradoxaux. C’est peut-être pour cela ou par cela qu’ils expriment l’angoisse née de la guerre et du face à face avec la mort et la fini-tude qui en découlent. Même lorsqu’ils annon-cent la fin d’un temps, ils demeurent une pro-jection dans l’avenir, qui à l’instar des attentes de victoire, de paix et de fin de guerre, parti-cipent également à la réassurance des hommes en guerre.

Parfois se formulent alors des grandes attentes que d’aucuns vont jusqu’à qualifier d’« eschatologiques 4 » : le retour de la France à la foi, du triomphe du droit, la paix perpé-tuelle, la « der des ders », un monde meilleur, « l’anéantissement du repaire central de césars, de kronprinz, de seigneurs et de soudards qui emprisonnent un peuple et voudraient empri-sonner les autres » sont autant de variantes des projections, souvent contradictoires, dans un avenir plus clément, qui traduisent l’investis-sement dans le conflit de ceux qui les mention-nent à un moment donné 5.

L’indéniable inscription du combattant dans le présent s’adosse à une projection vers l’ave-nir, qui se distingue de la temporalité du poli-tique, comme l’expriment H. Alloend-Bessand cité plus haut et, quasiment a minima, Max Buteau en 1918 :

(3) Élie Faure, La Sainte Face, Paris, Georges Crès, 1918, p. 294.

(4) Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18 : retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 182-195 ; Nico-las Beaupré, Écrire en guerre…, op. cit., p. 202-204.

(5) Lettre ouverte d’Henri Barbusse publiée dans L’Hu-manité le 9 août 1914 pour expliquer son engagement (Henri Barbusse, Paroles d’un combattant, Paris, Flammarion, 1920, p. 7-8).

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

176

NICOLAS BEAUPRÉ

« Le soleil est déjà très bas. Dans une heure ou deux, il glissera derrière l’écran des collines. Et dans l’ombre, toute cette campagne vide se peu-plera, des milliers d’hommes sortiront des trous qu’ils habitent, se remettront au patient tra-vail nocturne. Bientôt les relèves vont s’effec-tuer et les convois aveugles, rouler sur les rou-tes ; les outils creuseront la terre. La vie va se révéler enfin par tous ses bruits éteints durant le jour. Cela ressemblera aux soirées précédentes, cela ressemblera aux suivantes, longtemps encore sans doute. Cela est monotone, obsédant, étouf-fant. Et la grande guerre serait une guerre morne – si elle n’était la gestation laborieuse et lente d’un avenir meilleur 1. »

Certes, les « grandes attentes » ne sont pas toujours exprimées clairement (on en a évoqué les raisons plus haut) ou ne s’expriment pas avec la même intensité selon les moments de la guerre ou les identités culturelles et socia-les. Les sources testimoniales, et en particu-lier les journaux de tranchées, les lettres et les journaux intimes, de par la position du scrip-teur, tendent à dévoiler autant qu’à construire un rapport à un présent envahissant qui semble ne plus laisser de place ni au passé, ni à l’ave-nir. C’est en particulier la vie monotone des tranchées à partir de l’entrée dans une guerre de position qui favorise un nouveau rapport au temps. À partir du moment où les soldats s’enterrent, descendent dans le sol, s’installent dans une immobilité physique, le temps semble également comme se figer. La perspective de la fin de la guerre s’éloignant avec cette réalité stratégique nouvelle, les horizons d’attente, sans disparaître totalement, deviennent malgré tout flous, brumeux. C’est le temps des « Jours vagues et nuits vagues 2 », des jours que l’on finit parfois par ne plus même compter. Ainsi, Édouard Cœurdevey, dès le mois d’octobre

(1) Max Buteau, Tenir, récits de la vie de tranchées, Paris, Plon, 1918, p. 191.

(2) Guillaume Apollinaire, « Les saisons », op. cit., p. 240.

1914 se moque gentiment de son frère Julien, combattant comme lui : « Le pauvre compte encore les jours comme s’il était là-bas [à l’ar-rière], malgré cette vie atroce de vingt jours dans les tranchées 3. » Quant à Roland Dor-gelès, le 5 juin 1915, il se désespère : « mais que les jours sont longs, les heures nombreu-ses 4 ». Dans cette litanie, qui peut aller jusqu’à prendre un caractère cyclique 5, l’écriture elle-même de la lettre ou du journal endosse une autre fonction, à l’instar du jeu, de la musique, du café ou du tabac, celle de « tuer le temps » en créant du lien 6.

Le commandant Bréant met également en exergue cette différence entre la relation au temps à l’avant et à l’arrière : « Les journaux, les lettres qu’on reçoit continuent à émettre des pronostics. Ici, l’on ne voit pas si loin. Les choses sont simples. Des positions sont écra-sées sous des projectiles énormes. Des trou-pes d’infanterie s’usent 7. » Le journal des tran-chées L’Écho des gourbis illustra à sa manière le nouveau comput des jours et des semaines par le calendrier pour l’année 1918 qu’il offrit à ses lecteurs. Il prévoyait ainsi :

« 9 février : Rat, 10 février : Poux, 11 février : Puces, 12 février : Moustique, 13 février : Fièvre, 14 février : Bague, 15 février : Brioche, 16 février : Gigot, 17 février : Marmite, 18 févier : Gen-darme […] 1er mars : Sécheresse, 2 mars : Inso-lation, 3 mars : Typhoïde, 4 mars : Branchages, 5 mars : Printemps, 6 mars : Journal […] 8. »

(3) Édouard Cœurdevey, Carnets de guerre, 1914-1918, Paris, Pocket, « Terre Humaine », 2008, p. 80.

(4) Roland Dorgelès, Je t’écris de la tranchée : correspondance de guerre, 1914-1917, préf. de Micheline Dupray, introd. de Frédéric Rousseau, Paris, Albin Michel, 2003, p. 292.

(5) Jean-François Jagielski, op. cit., p. 210-211.(6) Emmanuel Saint-Fuscien, op. cit., p. 93-95.(7) Pierre Bréant, De l’Alsace à la Somme : souvenirs du front

(août 1914-janvier 1917), Paris, Hachette, 1917, p. 156.(8) Calendrier reproduit dans Stéphane Audoin-Rouzeau,

op. cit., p. 182-183.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

177

LA GUERRE CoMME ExPéRIEnCE DU TEMPS

Ainsi, si les horizons d’attente pouvaient en partie être communs avec l’arrière, les sour-ces émanant des combattants tendent à mon-trer que le champ d’expérience était, lui, bel et bien très différent.

Comment alors articuler dans le temps ces inscriptions qui pourraient sembler si contra-dictoires, entre un présent si pesant et un ave-nir si pressant ? Pour Benoist Couliou, avec la « prolongation imprévue des hostilités », avec une fin de la guerre qui se dérobe quand elle pouvait sembler toute proche encore à l’été 1914, lorsque subsistait encore l’idée d’une guerre brève, se produit un clivage entre deux formes de stoïcisme 1. Tandis que, pour la majorité, il « correspond alors à une rési-gnation passive face à un avenir incertain et menaçant », pour une autre partie des combat-tants qu’il identifie aux « milieux plus aisés », la « résignation se veut active ». De manière séduisante, il identifie les premiers à Damo-clès et les seconds à Ulysse qui sont des figu-res évoquées par deux combattants, le premier par Étienne Tanty et le second par Paul Cazin. Il en conclut : « Dans un cas, la certitude qu’on n’est plus maître de son destin. Dans l’autre, la croyance qu’à défaut de déterminer le futur, on peut encore agir sur soi, en établissant une position subjective particulière face à la durée de la guerre, et aux épreuves qu’elle impose. » Cette dichotomie pourrait alors expliquer l’ap-parente opposition entre une inscription subie dans le présent et les différentes formes de pro-jection dans l’avenir. Si ce modèle explicatif peut paraître convainquant, il ne semble toute-fois pas à même d’expliquer pourquoi, malgré l’attention très fine à la chronologie chez Cou-liou, dans les écrits d’un même individu, peu-vent se succéder des phases de résignation pas-sive et des projections actives vers l’avenir.

(1) Benoist Couliou, « Ulysse et Damoclès… », op. cit.

Sans remettre fondamentalement en cause ce modèle, il semble possible d’émettre une autre hypothèse permettant, comme le pro-pose François Hartog, de travailler sur la dis-tance entre champ d’expérience et horizon d’attente. Celle-ci, du reste, n’est pas exclusive d’autres explications et demeure avant tout une hypothèse de travail.

Le temps parenthèse, le temps suspendu

Cette hypothèse repose sur le fait que la guerre générerait son propre régime d’historicité, découlant de la situation même d’être en guerre et de sa perception par les acteurs sociaux. Ce régime reposerait sur une idée partagée par tous, ou presque tous (au front comme à l’ar-rière, chez les consentants comme les non-con-sentants), et ceci quel que soit le moment de la guerre. La guerre ne saurait être un état perma-nent. Une fois entré dans le conflit, il n’y a pour ainsi dire que deux issues : la mort ou la paix. Il est donc logique que la paix soit pour l’ensem-ble des combattants et des non-combattants le principal horizon d’attente, puisqu’elle est tout simplement la sortie d’une guerre considérée comme nécessairement transitoire. Cette paix est à la fois désirée et inéluctable, car la guerre ne saurait durer éternellement. Seule la mort est à même d’en priver le combattant. Il est donc souhaitable qu’elle soit proche car, d’ex-périence, le combattant, dans son face à face avec la mort, sait que plus la guerre dure, plus s’équilibrent les probabilités de mourir et celles de voir la paix. Mais d’autres facteurs entrent en jeu car les acteurs sociaux sont confrontés à des cadres qui, comme son régime d’historicité, sont spécifiques à la guerre et sont distincts du temps de paix. Parmi eux figure l’issue, binaire, du conflit, qui se solde par une défaite ou par une victoire. Certes, les espoirs d’une paix blanche purent exister, mais ils furent eux aussi étroitement liés à la temporalité de la guerre, et

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

178

NICOLAS BEAUPRÉ

notamment à l’impasse stratégique de l’année 1917, lors de laquelle la guerre sembla comme figée. Comme l’écrit Jean-Jacques Becker, « l’immense majorité, sauf dans un moment de désespoir […], tout en soupirant après la fin de la guerre, n’aurait pas accepté que ce soit par la défaite 1 ». Le rapport complexe entre la paix attendue et la victoire attendue est donc égale-ment au cœur d’une réflexion sur le rapport au temps présent et futur des combattants et sur leurs articulations.

Le rapport au temps des combattants de la Grande Guerre, parce qu’il sont confrontés à la mort de masse et à la probabilité de leur pro-pre mort, est donc une négociation complexe. Celle-ci implique un présent subi, les souve-nirs d’un passé récent qui, comme ces mêmes combattants, se trouvent dans une parenthèse, est aussi un « à venir » dont il est souhaita-ble qu’il soit le plus proche possible et, enfin, la nécessité de la victoire comme sortie sou-haitable de l’état de guerre. Il se pourrait qu’il soit un « micro régime d’historicité 2 » emboîté ou enserré dans celui, plus vaste, de la Grande Guerre qui, à son tour, à la manière des matrio-chkas, le serait dans celui du premier 20e siècle, portant en gestation notre siècle 3.

Cette forme de négociation entre les tempo-ralités qui pourrait être le signe d’une histori-cité combattante est mise en scène sous la forme d’un dialogue par Pierre Paraf, un écrivain combattant, ami très proche de Barbusse. Ce dialogue entre ce qui semble être deux « demi-chœurs » lui permet de rendre intelligible cha-

(1) Jean-Jacques Becker, « De quelques observations à pro-pos de ce numéro de Matériaux sur la Grande Guerre », Maté-riaux pour l’histoire de notre temps, 91 (3), 2008, p. 28-30, p. 29.

(2) François Hartog, Régimes d’historicités…, op. cit., p. 15.(3) Même s’il ne s’y attarde guère, François Hartog men-

tionne à plusieurs reprise la Grande Guerre qui, comme catas-trophe, serait aussi un moment de « crise du temps », une étape dans la « faillite de l’histoire » et dans récusation du « futu-risme » pris au sens précis comme figuré. Voir notamment François Hartog, Régimes d’historicité…, op. cit., p. 150-153.

cun des pôles entre lesquels s’exerce la tension temporelle :

« “Quand c’est-y que c’ fumier d’ guerre finira ?” répétaient encore les poilus comme un leit-motiv. “Vivement la fuite”, clamait le premier demi-chœur. “Quand tout le monde en aura bien marre !” s’écriaient d’autres copains./“C’ fumier d’ guerre finira, quand on sera vain-queur”, répondais-je avec autorité... Oui, faudra bien qu’un jour nous le soyons, dit Tavernier qui n’aime pas habituellement à exprimer son patrio-tisme en paroles ; vingt dieux, peut-être bien que le prochain coup sera le bon et on montera là-haut encore de plein cœur, parce qu’on n’a pas voulu la guerre, parce qu’on n’est pas fait pour conquérir des tranchées, que le métier est abomi-nable, mais qu’il le faut, parce qu’on est des sol-dats et des Français, nom de Dieu ! Et pourtant, je ne suis pas patriote, ajoutait-il tout bas, mais y a des choses que je comprends et que d’autres ne comprennent pas 4. »

Cette négociation (ou si l’on préfère cette tension ou encore suspension entre les tempo-ralités) se dévoilait particulièrement dans les moments où justement la perspective de la fin de la guerre semble se dérober. Il peut s’agir de moment de désespérance individuelle face à la répétition cyclique et interminable des jours de guerre. De ce point de vue, le « cafard » peut être considéré comme une maladie du temps qui a sans doute des points communs avec la « psychose des barbelés 5 » de certains prison-niers de guerre. Ce que semble exprimer un poème intitulé Le Cafard, écrit à Craonnelle en mai 1917, juste après l’échec de l’offensive du

(4) Pierre Paraf, Sous la terre de France, Paris, Payot, 1917, p. 57-58.

(5) Annette Becker, Oubliés de la Grande Guerre : humani-taire et culture de guerre. Populations occupées, déportés civils, pri-sonniers de guerre, Paris, Noêsis, 1998, p. 143-145 ; Uta Hinz, « Prisonniers », in Audoin-Rouzeau Stéphane et Becker Jean-Jacques (dir.), Encyclopédie de la Grande Guerre, Paris, Bayard, 2004, p. 777-785, p. 782.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

179

LA GUERRE CoMME ExPéRIEnCE DU TEMPS

Chemin des Dames, qui aurait précisément dû mettre fin à la guerre par la victoire :

« Les jours poussent les jours avec monotonieEt la vie est ainsi qu’une lente agonie 1. »

Les mutineries sont également, et peut-être avant tout, une protestation contre « l’ex-périence d’une guerre d’usure dont la fin vic-torieuse s’éloigne de plus en plus depuis avril 1917 2 ». L’éloignement particulièrement brutal de l’horizon de la fin de la guerre après l’échec de « l’offensive finale » joue un rôle « important » dans la mesure où « ces pro-messes d’attaque, de poursuite et de victoire sont explicitement formulées par de très nom-breux officiers, et admises par des combattants pour qui elles correspondent au souhait intime de “fin” » 3. Dans cette perspective, la crise d’autorité qui suit l’offensive du Chemin des Dames pourrait être interprétée, selon les tra-vaux de la philosophe Myriam Revault d’Allon-nes, comme avant tout une crise de la tempo-ralité, l’avenir se vidant d’un coup de toutes ses « promesses » 4.

L’éloignement de la fin de la guerre est perçu comme d’autant plus cruel et injuste qu’était puissant l’investissement dans la victoire finale qui devait découler de cette offensive. Il l’est aussi parce qu’il intervient après près de qua-tre années de guerre. Mais il n’était pas spéci-fique à l’offensive du Chemin des Dames. À la limite, à des degrés divers, cet investissement (suivi d’une déception après l’échec) interve-

(1) Antoine Chollier, Au rythme du cœur, Paris, Jouve, 1918, p. 107.

(2) Galit Haddad, 1914-1919 : ceux qui protestaient, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. 261.

(3) André Loez, 14-18, les refus de la guerre…, op. cit., p. 120.

(4) Myriam Revault d’Allonnes, « De l’autorité à l’insti-tution : la durée publique », Esprit, août-septembre 2004, p. 42-66 ; id., Le Pouvoir des commencements : essai sur l’autorité, Paris, Éd. du Seuil, 2006. Merci à Emmanuel Saint-Fuscien pour ces références ainsi que pour la relecture de cet article.

nait au moment de chaque bataille, car « si les soldats français font les frais des illusions de leur propres généraux […], à leur manière, les soldats partagent les illusions des généraux. Ils sont pris, eux aussi, dans l’engrenage d’un ave-nir qui semble passer implacablement par la grande offensive libératrice 5 ». « Voici : il suf-firait d’un assaut victorieux pour en refaire les soldats d’août 1914, écrit André Pézard. Et ces gens-là ont vécu sept mois à Vauquois 6 ! »

Comme le souligne John Horne, la situation des soldats français possède une caractéristique bien particulière qu’ils partagent avec ceux des autres pays envahis. Si la position défensive est essentielle pour comprendre leur expérience de guerre et leur ténacité, il ne faut pas oublier non plus l’impératif de libération du terri-toire qui doit accompagner la fin de la guerre et donc implique d’autant plus fortement une fin victorieuse. Cette tension se résout préci-sément par la négociation des soldats avec les temporalités de guerre. Les combattants sont à la fois ancrés dans un temps qui semble immo-bile, largement subi, et la projection vers la fin de la guerre, largement synonyme de victoire et de « libération » dans tous les sens du terme. Mais même lorsque la victoire et la fin de la guerre semblent s’éloigner, elles ne disparais-sent pas totalement, ou du moins pas défini-tivement.

L’investissement et la projection vers une fin de guerre comme délivrance explique-raient pourquoi et comment l’offensive peut être acceptable dans une guerre vécue comme défensive : l’offensive permet de se rapprocher de la fin de la guerre. Le refus implicite ou explicite des offensives n’intervient qu’après de longues années de guerre, en raison des échecs répétés de ces dernières. La probabilité de

(5) John Horne, op. cit., p. 908.(6) André Pézard, Nous autres à Vauquois, 1915-1916,

46e R. I., Paris, La Renaissance du livre, 1918, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1992, p. 228-229.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

180

NICOLAS BEAUPRÉ

mourir devient alors plus forte que celle d’une offensive victorieuse mettant fin au conflit. C’est donc bien la conjugaison du présent et de la fin attendue qui fait de la guerre un état provisoire, même s’il dure. Ainsi, au-delà des attentes puissantes dont peut être investie la fin de la guerre, la représentation de la guerre comme une parenthèse dans le temps facilite l’endurance.

Le Feu de Barbusse, paru en 1916, d’abord en feuilleton, couronné du prix Goncourt et qui remporta un énorme succès, doit justement ce dernier au fait qu’il était parvenu à saisir « un aspect central de l’expérience de guerre 1 ». Son sujet n’est autre « que la suspension d’un groupe de soldats entre le présent qu’ils habi-tent, en essayant de survivre, et un avenir illisi-ble mais que Barbusse dépeint dans son dernier chapitre, “L’Aube”, aux lueurs d’une apoca-lypse rédemptrice ». Dans son second roman de guerre, Clarté, publié aux lendemains du conflit, l’expression de ces grandes attentes devient alors encore plus explicite, prenant les accents d’un « grand soir du monde 2 » révolu-tionnaire. La fermeture de la parenthèse guer-rière cristallise des attentes jusqu’alors certes grandes mais encore confuses.

Jean Giraudoux raconte cette fermeture de la parenthèse dans son Adieu à la guerre, paru en 1919 et écrit au moment de sa démobilisa-tion. Il tente de répondre aux questions qu’il se pose lui-même 3 : « Comment la guerre com-mença ? » « Comment la guerre se passa ? » Surtout, Jean Giraudoux écrit qu’avec la fin de la guerre, il reprend sa « vraie distance de la mort » et se retrouve « pour la première fois

(1) John Horne, op. cit., p. 910 ; Stéphane Audoin-Rouzeau, « Le Feu, un Goncourt pour la révolte », Le Monde, numéro spécial sur « La Très Grande Guerre », 1994, p. 22 ; Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, op. cit., p. 182-185.

(2) Henri Barbusse, Clarté, Paris, Flammarion, 1919, p. 297.

(3) Jean Giraudoux, Adieu à la guerre, Paris, Grasset, 1919, p. 6-7, 8, 13, 26-27.

depuis cinq ans […] sans arme », et sans ennemi autre que lui-même. Il conclut : « Il est midi. Un vent léger remue les platanes ; en appuyant du doigt sur son œil, on voit toute chose avec un contour doré ; le vin est rose dans les cara-fes ; la nappe est blanche sous l’argent et sous les cerises… Ce que je fais ? Ce que je suis ? Je suis un vainqueur, le dimanche à midi. »

En guise de conclusion

Ces quelques exemples et réflexions fondées essentiellement sur les « ego documents » des combattants posent davantage de questions qu’ils n’apportent de réponses. Ils montrent toutefois l’intérêt qu’il y a à ouvrir le chan-tier non seulement du rapport au temps des contemporains de la Grande Guerre, de leurs champs d’expérience et horizons d’attente, des temporalités qu’ils construisent ou subissent, mais aussi, plus largement, de cette « crise du temps » que pourrait représenter une Grande Guerre alors à même de remodeler les articu-lations entre passés, présent et futur et, par là, de générer un régime ou à tout le moins des microrégimes d’historicité qui lui seraient pro-pres.

De même, si les « témoignages » de tou-tes natures s’avèrent sans nul doute nécessai-res pour écrire cette histoire, ils n’en demeu-rent pas moins problématiques en raison des effets de sources qui leur sont inhérents. En ce domaine plus encore qu’en d’autres, l’histo-rien doit « inventer » d’autres sources à croi-ser avec les témoignages comme, par exemple, des œuvres d’art ou des objets du quotidien. L’heure H du jour J 4, dessin d’Alexandre Zino-viev où figure au premier plan la montre indi-quant l’heure de l’assaut sur le point d’être lancé, nous en dit ainsi beaucoup, par contraste

(4) Collection de l’Historial de la Grande Guerre, repro-duit dans Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker (dir.), op. cit., second cahier d’illustrations, p. VI.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)

181

LA GUERRE CoMME ExPéRIEnCE DU TEMPS

avec un temps subi, sur la nécessaire maîtrise du temps (notamment par le corps des offi-ciers) et sur le pouvoir qui en résulte. La mon-tre, et notamment le développement et la démocratisation de la montre-bracelet pendant la Grande Guerre, pourraient ainsi nous don-ner maints indices du souhait de s’extraire d’un temps subi pour au contraire se le réappro-prier, le maîtriser à nouveau. Les journaux de la Grande Guerre sont en effet emplis de publi-cité éloquente : celle pour la marque Omega parue dans L’Illustration le 15 juillet 1915 n’af-firme-t-elle pas « pour sa sécurité, on a besoin de connaître l’heure exacte le jour comme la nuit », alors qu’un concurrent affirme le 2 décembre 1916 que « l’heure de la victoire sera marquée par les montres et chronomè-tres Lip » ? La publicité, le 10 avril 1915, pour un agenda de poche avec un porte-mine inséré dans le carnet, faisant « marque-date » et per-mettant « au front » de « noter les incidents de la vie journalière », signifie également cette volonté de recouvrer une maîtrise du temps 1.

(1) Robert Galic, Une publicité de guerre : les « annonces » dans le journal L’Illustration (1914-1918), Paris, L’Harmattan, 2011, p. 55-56 et 60.

En faisant source de toutes choses, en inven-tant sans cesse de nouveaux objets d’études, il sera alors peut-être possible de repenser la guerre de 1914-1918 à la fois comme conti-nuité et comme rupture dans le temps, où fins et commencements sont étroitement intriqués, et ainsi de démêler l’écheveau d’un temps où s’assemblèrent les destinées humaines confron-tées à la grande tragédie.

Nicolas Beaupré, Université Blaise-Pascal, Centre d’histoire « Espaces et cultures » (CHEC),

63057, Clermont-Ferrand cedex.

nicolas Beaupré est maître de conférences à l’Université Blaise-Pascal, membre junior de l’Institut universitaire de France et membre du Centre international de recherche de l’Historial de la Grande Guerre. Ses recherches portent sur l’histoire de la Grande Guerre et ses conséquences en France et en Allemagne. Il a notamment publié Écrire en guerre, écrire la guerre : France-Allemagne, 1914-1920 (CNRS éditions, 2006), Les Grandes Guerres, 1914-1945 (Belin, 2012) et Le Traumatisme de la Grande Guerre, 1918-1933 (Presses universitaires du Sep-tentrion, 2012). ([email protected])

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Bib

lioth

èque

Did

erot

de

Lyon

-

- 14

0.77

.64.

16 -

15/

02/2

016

16h3

5. ©

Pre

sses

de

Sci

ence

s P

o (P

.F.N

.S.P

.) D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Bibliothèque D

iderot de Lyon - - 140.77.64.16 - 15/02/2016 16h35. © P

resses de Sciences P

o (P.F

.N.S

.P.)