Identités multiples en Europe? Le cas des lusodescendants en France

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IDENTITES MULTIPLES EN EUROPE ?

Le cas des lusodescendants en France

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Jorge de La Barre

IDENTITES MULTIPLES EN EUROPE ?

Le cas des lusodescendants en France

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Du même auteur : - Jeunes d’origine portugaise en association. On est européen sans le savoir, Paris, L’Harmattan, 1997.

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à Fumiko

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Avant-propos Deux événements récents ont profondément marqué le paysage social français et européen : les « Non » français et hollandais au projet de ratification de la Constitution européenne (les 20 mai et 1er juin 2005), et les émeutes dans les banlieues françaises d’octobre–novembre 2005 – sans parler des attentats terroristes de Londres du 7 juillet 2005. La recherche décrite dans cet ouvrage est antérieure à ces événements, je souhaiterais aussi dans les quelques lignes de cet avant-propos donner à voir au lecteur en quoi elle reste néanmoins d’actualité. Cet ouvrage traite de la question des identités nationale et européenne au cours de la décennie 1992–2002, qui de Maastricht à l’introduction de l’Euro correspond à une phase de maturation de la construction européenne. Le traité de Maastricht aura marqué on le sait l’avènement de l’Europe des citoyens, y compris dans sa dimension contestataire. Le « Non » à la Constitution s’inscrit bien évidemment dans ce contexte historique particulier dans la mesure où la décennie étudiée ici est aussi celle de la montée des mouvements altermondialistes et des demandes d’« Europe sociale ». Il démontre également qu’il n’y a pas de « marche inéluctable » vers la construction européenne qui ne se fasse désormais sans l’accord des citoyens. De façon éclatante, le pouvoir de contestation s’est également manifesté lors des émeutes dans les banlieues de France : contestation de la République des élites et remise en cause radicale d’un modèle d’intégration qui ne servirait en fait qu’à masquer les phénomènes de racisme et de discrimination au sein de populations dont on sait combien l’héritage colonial est parfois lourd à porter. La France a encore du mal à reconnaître une diversité culturelle qui pourtant fait aussi sa richesse. On ne peut que déplorer ici l’absence flagrante des post-colonial studies dans les universités. Celles-ci permettraient au moins d’ouvrir le débat. Les deux événements (le « Non » et les émeutes) ne s’interprètent-ils pas justement en termes d’identités ? Ne posent-ils pas des

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questions essentielles à l’Europe et à la société française ? Ils ne sauraient être interprétés autrement que comme des demandes d’inclusion : inclusion des citoyens à l’Europe, inclusion des banlieues à la société française. Ils posent des questions qui sont aussi des défis majeurs car, de la contestation aux blocages il n’y a pas loin. Blocage de la construction européenne, blocage d’une certaine idée de l’intégration « à la française » qui, en ignorant (officiellement) les différences, concourt (officieusement) à les renforcer. Je ne peux que renvoyer ici aux questionnements actuels sur les vertus comparées des modèles du multiculturalisme et de l’intégration à la française, et à la question centrale à laquelle ils tentent de répondre : quelle troisième voie ? Les propositions de François Laplantine et d’Alexis Nouss vont dans ce sens, elles sont des plus novatrices. Aussi, il reste encore bien du chemin à parcourir pour insuffler un peu de métissage sur la scène politique… J’analyse dans cet ouvrage les identités multiples des lusodescendants en relation avec les identités nationales observées en France et au Portugal, en tant que celles-ci forment le contexte dans lequel se comprennent les formes d’identification nationale et supranationale des jeunes issus de l’immigration portugaise. Alors que le Portugal se caractérise par une priorité accordée à l’identité nationale (tout en restant par ailleurs favorable à l’Europe), j’ai montré comment, entre 1992 et 2002, la France occupait parmi l’ensemble des Quinze une position intermédiaire entre identité nationale et identité européenne. Comment alors interpréter le « Non » français à la lumière des identités multiples ? En dépit de leur relative stabilité dans le temps, les identités multiples impliquent une hiérarchie des sentiments d’appartenance, par conséquent des variations, des déplacements et des changements de priorité, en fonction des événements. Le sentiment européen coexiste aujourd’hui avec un pouvoir de contestation qui illustre davantage une volonté de changement qu’un repli identitaire. Les identités multiples portent en elles une forme de contestation – de l’identité européenne comme des identités nationales. De même qu’il existe différentes manières d’être

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Européen, les « Non » français et hollandais suggèrent qu’il existe différentes formes de contestation de l’Europe. Pour paraphraser le titre de l’ouvrage collectif consacré aux jeunes issus de l’immigration portugaise en France que Michel Oriol publia en 1984 (Les variations de l’identité), on pourrait parler aujourd’hui des variations des identités multiples – pas seulement bien sûr en regard des Portugais. Comme j’espère le démontrer ici, les lusodescendants offrent un bel exemple de métissage – comme il y en a tant en France qu’on le veuille ou non. Cet ouvrage est une version allégée de la thèse que j’ai soutenue le 4 octobre 2004 sous la direction de Dominique Schnapper. Je tiens à remercier la Fundação para a Ciência e a Tecnologia pour m’avoir donné les moyens de mener à bien cette recherche dans le cadre du doctorat de sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, bénéficiaire que je fus du programme PRAXIS XXI de 1999 à 2003. Je tiens également à remercier Denilson Lopes, visiting scholar à New York University, qui m’a vivement encouragé à publier ma thèse alors que je poursuivais une recherche post-doctorale au Center for the Study of Ethnicity and Race de l’université de Columbia. Enfin, un grand merci à Catherine Wihtol de Wenden qui était présidente du jury et rapporteur, et qui a gentiment accepté d’écrire la préface.

New York, décembre 2005

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Préface A l’heure où l’on parle de crise du modèle français d’intégration et d’Europe politique en panne, cet ouvrage vient à point. Fruit d’une thèse de Sociologie intitulée Identités multiples en Europe ? Le cas des lusodescendants en France, dirigée par Dominique Schnapper et soutenue à l’EHESS en octobre 2004, il répond en effet à une question d’actualité : celle des identités multiples liées à la double nationalité induite par l’immigration et à l’addition de l’identité européenne aux identités nationales. Cette question, posée dans le débat public à propos des jeunes issus de l’immigration maghrébine notamment, Jorge de la Barre se la pose à propos des jeunes d’origine portugaise. Depuis l’entrée du Portugal dans l’Union européenne en 1986 et l’accès des Portugais à la citoyenneté européenne en 1992, des recompositions d’identités, française, portugaise et européenne, se sont effectuées chez les jeunes d’origine portugaise issus de l’immigration. L’identité européenne a-t-elle des effets sur la recomposition de l’identité nationale ? Comment se construisent les identités multiples ? Telles sont les questions posées par l’auteur à partir d’une approche multidisciplinaire mêlant sociologie et psychologie, dans une approche croisant les données de l’Eurobaromètre sur l’identité européenne avec une analyse quantitative des données et les résultats d’une enquête par questionnaire auprès de 956 jeunes rencontrés à l’association Cap Magellan. Il montre comment se recomposent les identités multiples, articulant les relations entre le Portugal et ses « communautés » à l’étranger, les différentes façons de se sentir Européen et national et bâtit une typologie. Celle-ci est assez féconde car elle pose la question des facteurs qui pèsent sur les recompositions identitaires : la nationalité déclarée, le niveau d’enseignement suivi, l’identité régionale, l’appartenance au monde euro-méditerranéen, les identités historiques en référence au passé portugais, les tranches d’âge, la situation socio-économique

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et les modes d’insertion sociale, les perspectives d’intégration économique dans l’espace européen. Toutes ces variables sont interrogées pour savoir comment les double références fonctionnent-elles ? Ce travail pose aussi pour hypothèse que la construction d’une identité européenne peut se bâtir à partir des migrations, incluant un sentiment européen issu des migrations même chez les non-Européens issus des anciennes colonies portugaises. Des formes de « portugalité » apparaissent, qui ne prennent sens que dans l’immigration, avec très peu d’anti-Européens et peu d’identités conflictuelles. Mais s’agit-il d’identités multiples ou d’instabilité des identités ? L’ouvrage tente de répondre à ces questionnements. On ne peut que souligner leur pertinence et leur originalité à un moment où les recherches sur l’immigration portugaise et ses descendants en France et en Europe connaissent une certaine érosion d’intérêt.

Catherine Wihtol de Wenden Directrice de recherche au CNRS (CERI)

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Introduction La construction européenne a fait son entrée dans le débat public en France à l’occasion de la signature du traité de Maastricht en 1992. Alors que la citoyenneté européenne venait s’ajouter à la citoyenneté nationale, la naissance de l’« Europe des citoyens » a donné dans le même temps naissance à une généralisation des préoccupations et à des questionnements concernant les rapports entre identité européenne (ce qui est partagé par tous les pays membres quel que soit son contenu), et identités nationales (ce qui leur est spécifique et les distingue les uns des autres). Si tout le monde s’accorde pour penser que la construction européenne engendre une évolution des identités, les réponses quant au sens et au devoir-être de cette évolution sont multiples. On se souvient par exemple du débat sur le traité de Maastricht en France. Celui-ci divisa l’opinion entre europtimistes et europessimistes, le « Oui » à la ratification du traité l’ayant finalement emporté de justesse sur le « Non ». Adopté le 18 juin 2004 par les chefs d’Etat et de gouvernement, le projet de Constitution Européenne n’a pas eu cette chance – rejeté qu’il fut par les Français et les Hollandais (respectivement les 29 mai et 1er juin 2005). Toujours est-il que l’Europe compte désormais vingt-cinq pays membres (depuis le 1er juin 2004), et que la question de l’entrée de la Turquie dans l’Europe continue de faire l’objet de débats houleux. Plus que jamais le questionnement sur l’évolution des identités reste d’actualité. La thématique des identités multiples – entendues comme une combinaison d’identités politiques aux niveaux local, régional, national, et européen – a été abordée pour rendre compte de l’évolution des identités en Europe (Hooghe et Marks, 2001). La construction européenne pose la question de l’évolution des identités et de leur stabilité de façon nouvelle par rapport à un autre facteur d’évolution tout aussi central : la migration. La question de l’émergence des identités multiples peut donc être posée par rapport à ces deux facteurs d’évolution. C’est dans ce sens que

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s’inscrit cette recherche, qui tente une mise en relation des identités nationales observées en France et au Portugal avec les identités observées chez les jeunes d’origine portugaise en France. En regard de la construction européenne et des migrations, ces jeunes se situent objectivement entre la France et le Portugal. Du point de vue du Portugal moderne, européen et redécouvrant sa lusophonie, leur évolution en France et en Europe les inscrit également comme lusodescendants, institutionnellement et symboliquement, alors que leur situation a souvent été analysée par ailleurs en termes de bipolarité (Villanova, 1994). Il s’agit donc de comprendre ce contexte identitaire et institutionnel dans son évolution récente. La décennie 1990 est importante à plus d’un titre. Elle marque la naissance de la citoyenneté européenne, elle marque également en ce qui concerne le Portugal une expérience de développement économique sans précédent suite à son intégration européenne ; elle marque enfin l’évolution socio-économique des jeunes d’origine portugaise dans la société française. En quoi ces évolutions ont-elles contribué à modifier les représentations du Portugal et celles des lusodescendants ? Signes de leur évolution en France et de l’intégration européenne, les identités des jeunes d’origine portugaise renvoient désormais non seulement à une bipolarité entre la France et le Portugal, mais également à ce troisième terme qu’est l’Europe. Au-delà de l’expérience des jeunes d’origine portugaise, la diversité des formes d’identification renvoie, à l’heure de la mondialisation des échanges et de la construction européenne, à une tendance générale à la multiplication des formes de loyautés. On assiste dans les pays membres à une réinterprétation des identités nationales à l’heure européenne. Cette recherche tentera de rendre compte de l’émergence d’identités multiples du point de vue des pays et du point de vue des groupes. Il existe une tension particulière au sein de l’Union Européenne entre identités nationales et identités multiples. Loin d’être abstraite et lointaine la thématique européenne vient s’inscrire, plus ou moins profondément selon les groupes, dans les références territoriales et culturelles. Comment s’opère cette évolution, dans quelles

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conditions et avec quels enjeux ? En quoi les identités nationales en France et au Portugal influencent-elles l’expérience des jeunes d’origine portugaise en France ? Les identifications nationales et multiples seront questionnées par rapport aux facteurs d’évolution déjà évoqués : la construction européenne et les migrations. Du point de vue des Etat-nations, ces deux facteurs sont souvent perçus comme une menace pour la souveraineté nationale (Rex, 1996b). Dans bien des cas, les immigrés sont source de crispations identitaires, ils suscitent chez les nationaux des réactions de méfiance. De même, la construction européenne peut engendrer des formes de repli sur une identité nationale plus ou moins sacralisée (Costa-Lascoux, 1992). Dans d’autres cas, les migrations et la construction européenne renvoient à l’inverse à l’idée de diversité et d’enrichissement culturel (Grosser, 1996). En tout état de cause, ces facteurs ne sont pas sans effet sur les identités nationales. Observe-t-on en France, au Portugal, et chez les jeunes d’origine portugaise une tension vers des identités multiples ? Dans quelle mesure cette tension se comprend-elle en référence aux significations associées aux migrations et à la construction européenne ? L’étude des deux cas – l’évolution des identités en Europe entre 1992 et 2002 et les formes d’identification des jeunes d’origine portugaise en France – sera aussi l’occasion de mettre en relation situations nationales et groupes particuliers. Considérer la construction européenne et les migrations comme des facteurs d’évolution des identités revient à se demander en quoi ces facteurs favorisent ou non l’émergence d’identités multiples. La problématique des identités multiples est donc liée à la question de l’évolution de l’identité nationale à l’heure européenne : soit vers une forme d’identité ouverte, non exclusive et qui ne s’oppose pas à l’idée d’Europe, soit au contraire vers une identité exclusive, fermée à toute forme supranationale1. La construction européenne n’engendre pas nécessairement un « européanisme » – entendu

1 Nous utiliserons de préférence le terme « supranational », qui suggère formellement une hiérarchie des différents niveaux de référence (infranational, national, supranational). Sur les termes supranational et postnational, voir Ferry (1991).

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comme une « attitude générale positive à l’égard de cette entité virtuelle appelée Europe » (Tapia, 1997, p. 10) –, qui favoriserait à son tour une identification à l’Europe. L’identité nationale n’empêche pas des attitudes favorables à l’égard de l’Europe, de même que des identités multiples peuvent coexister avec une attitude réservée voire ambiguë à l’égard de l’Europe. Le lien entre attitudes favorables à l’égard de l’Europe et identification à l’Europe n’est ni simple ni univoque, bien qu’une attitude favorable à l’Europe tende à encourager une identification allant dans le même sens. Cela laisse entrevoir l’hypothèse que les attitudes favorables à l’égard de l’Europe (et le cas échéant l’identification à l’Europe) s’expliquent par la signification attribuée à l’identité nationale (plus ou moins fière, revendiquée ou assumée), et à son caractère plus ou moins exclusif. De ce point de vue, la tension vers des identités multiples implique des identités nationales moins exclusives, ou plus inclusives. Dans la mesure où elles questionnent la nationalité, la citoyenneté et l’intégration, les migrations représentent également un facteur d’évolution des identités. En quoi favorisent-elles une identité européenne, l’émergence d’identités multiples, des identités nationales ouvertes et inclusives ou à l’inverse, des réactions de fermeture, la résurgence ou le renforcement d’identités nationales exclusives ? Il s’agit de comprendre les relations existant entre les identités nationales et les attitudes face aux migrations, ainsi que les relations entre les formes d’identification des jeunes d’origine portugaise et les significations qu’ils attribuent à l’expérience migratoire des parents. Deux temps de l’analyse seront distingués : la spécification et l’interprétation. La spécification renvoie à une logique de la typologie, en l’occurrence une classification des pays membres de l’Union Européenne selon leurs identités. La tension entre identités nationales et identité européenne permettra de caractériser les positions de la France et du Portugal ; les identités des jeunes seront envisagées selon le même axe typologique. L’interprétation concerne quant à elle la signification des facteurs d’évolution. L’identité nationale et les identités multiples

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observées au Portugal et en France prennent leur sens dans le contexte des significations attribuées par ces deux pays à l’intégration européenne et aux migrations. L’interprétation concerne également le sens que l’on peut donner aux identités des jeunes d’origine portugaise, à la lumière des observations faites au niveau des pays. Il y a donc une double préoccupation, qu’il s’agit de relier dans l’analyse. Il serait pourtant hasardeux de présumer une concordance directe entre identités nationales et identités des groupes particuliers. Les populations issues de l’immigration illustrent bien ce phénomène des sociétés démocratiques qu’est la liberté de choix des identités et des identifications. On ne peut toutefois rejeter l’hypothèse de l’influence de l’« esprit national » sur les identifications. La problématique des identités multiples, plus particulièrement la combinaison d’identités nationale et supranationale, apparaît pertinente à l’échelle des pays de l’Union Européenne dans la mesure où ces derniers peuvent être définis selon leur position sur une échelle des identifications nationales et multiples. Plus ou moins explicitement, cette échelle renvoie à une distinction entre identités défensives et identités ouvertes. La liberté de choix des identités se double d’un constat général : celui de l’ouverture de la plupart des pays de l’Union à la diversité culturelle, du fait de l’intégration européenne et des migrations. En ce qui concerne les jeunes d’origine portugaise, les identités multiples renvoient à la signification particulière de la « double culture », perçue comme un avantage et une richesse plus que comme une contradiction. Au-delà des identités multiples se profile la question complexe des processus d’institutionnalisation. Ces derniers constituent un argument fort pour l’hypothèse de continuité entre identités nationales et groupes particuliers, dans un contexte de diversification. Les images des Franceses1 au Portugal par exemple, traduisent des relations parfois difficiles entre Portugais d’« ici » et Portugais de « là-bas », contrairement à ce que suggère

1 Os Franceses (les Français) : c’est ainsi que sont bien souvent désignés les émigrés au Portugal, notamment dans les régions de forte émigration vers la France.

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la relation institutionnelle nouée entre l’Etat portugais et ses Communautés Portugaises. A cet égard, la situation des jeunes d’origine portugaise en France illustre la tension du biculturel vers une dimension européenne légitimante ; elle ne saurait donc se réduire à une bipolarité entre pays d’origine et pays d’installation. Les processus d’institutionnalisation suggèrent aussi une tension vers plus de cohésion ; ils posent de ce fait la question de la légitimité des instances de représentation. Or, on sait combien l’entité Europe demeure abstraite dans bien des cas. Il reste que les identités politiques et territoriales apparaissent comme le prolongement de pratiques concrètes et observables qui prennent leur sens dans le contexte élargi de l’intégration européenne. Du point de vue des processus d’institutionnalisation et des identités qui en découlent, l’intégration nationale se conçoit nécessairement par rapport aux migrations et à la construction européenne. Cette recherche comporte deux parties : l’une sur les identités en Europe, en France, et au Portugal ; l’autre sur les formes d’identification des jeunes d’origine portugaise en France. La première partie est consacrée à l’évolution des identités nationales en Europe, à partir de l’analyse des données Eurobaromètre (1992–2002). Les identités nationales observées en France et au Portugal sont ensuite questionnées par rapport à l’expérience spécifique de ces deux pays en matière de construction européenne et de migration. Cette analyse empirique est précédée d’une réflexion générale sur la thématique des identités multiples et des attitudes à l’égard de l’Europe. La seconde partie propose une analyse des formes d’identification recueillies dans l’enquête menée auprès des jeunes d’origine portugaise. L’immigration portugaise en France et l’évolution socio-économique dans laquelle s’inscrivent les jeunes fournissent un cadre contextuel à l’analyse des résultats. Les identités seront analysées dans le cadre de la typologie des identifications, qui vient prolonger à l’échelle des groupes l’analyse des identités nationales au Portugal et en France. Une place importante sera

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accordée aux données qualitatives issues des questions ouvertes1. Celles-ci ont été organisées selon l’axe « identification nationale/identification multiple », qui renvoie à une tension entre les dimensions exclusive et transcendante des identifications. Par définition, les identités multiples contiennent une dimension nationale, qu’elles prolongent et dépassent : la dimension européenne permet de transcender les identités nationales ; ces dernières peuvent en retour s’avérer plus ou moins exclusives. Dans la mesure où la diversité des formes d’identification des jeunes d’origine portugaise prend son sens dans le contexte des identités nationales en France et au Portugal, c’est la complémentarité des deux niveaux d’analyse – le niveau macrosociologique des pays et le niveau microsociologique des groupes particuliers – qui donne son sens à la typologie des identifications. Les processus dont il est question ici ont pour cadre les identifications territoriales, et plus particulièrement les rapports entre identité nationale et identité européenne. Comment, dans le contexte de la construction européenne, les pays et les groupes se représentent-ils leurs identités ? Dans quelle mesure la construction européenne encourage-t-elle des processus d’ouverture, ou au contraire de fermeture identitaires ? Si l’on pense au théorème de William I. Thomas – If men define situation as real, they are real in their consequences –, on voit qu’il s’agit là d’une perspective interactionniste, qui s’efforce de relier les niveaux individuel et collectif. Outre la continuité entre individu et collectivité, il faut accepter ici l’hypothèse de l’injonction que constitue la construction européenne pour les identités nationales, en tant qu’elle encourage une mise en scène cohérente d’identités communicables et compatibles entre elles. Les identités nationales ne renvoient pas nécessairement à un processus de fermeture, mais elles seraient

1 L’analyse statistique permettra néanmoins de préciser l’influence des variables indépendantes (sexe, âge, situation actuelle, …), et par conséquent d’orienter l’interprétation des réponses aux questions ouvertes.

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désormais encadrées (framed) dans le contexte historique, institutionnel, politique et sociologique de la construction européenne. Selon l’hypothèse de l’injonction, les identités nationales deviendraient plus ouvertes. Dans bien des cas néanmoins, les attitudes défensives et de fermeture apparaissent comme une réaction aux menaces d’ouverture que représentent les migrations, la construction européenne ou la mondialisation1. L’effacement des repères traditionnels est contrebalancé par le développement de nouveaux référents identitaires. Parmi ces derniers, la formation d’une identité européenne reste incertaine, du fait de la fragilité du sentiment d’appartenance à l’Europe (Schnapper, 1992–1993, 2001). L’identité européenne tend à être liée aux aléas de l’unité européenne, à travers la création d’institutions politico-juridiques, l’émergence d’un espace public européen, ou l’édification d’une politique de défense commune. Or, pour asseoir leur légitimité ces institutions ne disposent que d’un stock limité de référents identitaires : un fonds culturel diffus (la religion chrétienne, le culte de la Raison, une propension au doute méthodique, une conception linéaire de l’histoire, l’application du principe de subsidiarité), une hypothétique unité des intérêts économiques face au reste du monde, la volonté de surmonter les conflits du passé et de préserver des solutions originales au problème de la paix entre les hommes. En dernier ressort, l’Europe se définirait a minima par le processus d’adhésion des Etats à l’Union Européenne, chaque adhésion enrichirait la notion d’un contenu nouveau, contribuant ainsi à définir les valeurs constitutives de l’Europe. L’élargissement de l’espace 1 Bien que l’identification nationale continue de s’effectuer principalement sur le registre de l’intégration politique par l’accès à la citoyenneté nationale (et non plus sur celui de l’impérialisme), la société, l’Etat et le système politique se séparent et fonctionnent de façon de moins en moins intégrée (Wieviorka, 1995). Les identités qui constituaient l’armature de la société politique sont remises en cause par la recomposition d’identité locales (terroirs, « pays », métropoles), par la résurgence de minorités ethniques et l’internationalisation des échanges – qui concourent à la déstructuration du lien national. Les aires d’identification des individus se multiplient et concurrencent le rôle de l’Etat comme maître d’œuvre de la construction identitaire. Par exemple, l’ouverture des frontières au sein de l’Union Européenne, le développement de politiques communautaires en faveur des régions et des minorités culturelles ont favorisé la reconnaissance des régions comme acteurs à part entière sur la scène européenne.

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géographique européen ne serait limité que par l’obligation faite aux Etats candidats de s’adapter à l’ensemble des acquis communautaires. L’apparition de nouveaux espaces de citoyenneté qui ne coïncident pas avec le territoire de l’Etat-nation présente un certain nombre de dangers : la réaffirmation violente des identités nationales menacées, à travers des idéologies populistes ou nationalistes, la fuite en avant dans la négation (le néo-libéralisme), ou la fragmentation des identités nationales (le tribalisme). Néanmoins, ce qui d’un côté laisse planer la menace d’un déchirement du tissu social constitue d’un autre côté un facteur d’émancipation des individus et des groupes1. Une conséquence importante de la diversification croissante des référents identitaires et de la tendance concomitante à l’individualisation des choix d’identité est qu’il devient difficile de déduire des formes d’identification politique à partir des nouvelles formes de socialisation – étant entendu que l’identification résulte en grande partie de la façon dont on a été socialisé. L’interprétation la plus convaincante de la récurrence du thème de la « crise identitaire » se trouve peut-être dans le fait de la difficile adaptation à une société où il est possible de faire un usage pragmatique et instrumental des identités, endossées par chacun en fonction des besoins de l’action sociale et laissant libre le choix de l’identité. Toutefois, si la diversité culturelle est aujourd’hui une réalité, les représentations demeurent dans bien des cas fidèles à l’idée d’une société relativement homogène qui appartient au passé (Mongin, 1995 ; Roman, 1995 ; Grosser, 1996 ; Quermonne, 2001)2.

1 Toutefois, comme le rappelle Alfred Grosser, « la plupart des conflits tragiques, ceux qui font directement souffrir et mourir un grand nombre d’êtres humains, ont pour objet la délimitation de territoires ou bien se déroulent à l’intérieur d’un territoire aux contours clairement définis. » (Grosser, 1996, p. 28). Contrairement à l’époque des nationalismes triomphants où il fallait faire des citoyens avec des individus préalablement socialisés, il s’agirait aujourd’hui de retisser du lien social entre citoyens, en fondant ce dernier sur la citoyenneté politique et juridique (Schnapper, 1994 ; Lévy, Roman et Weil, 1995). 2 Pour reprendre les termes de Jean-Louis Quermonne, « On conçoit que des esprits attachés à la conservation du passé restent marqués par une version de la démocratie correspondant à l’Etat unitaire. » (Quermonne, 2001, p. 102).

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L’étude des formes d’identification des jeunes d’origine portugaise se situe dans le prolongement d’un travail de terrain mené auprès d’associations de jeunes, plus particulièrement auprès de l’association Cap Magellan (La Barre, 1997)1. L’enquête comportait une question relative à l’auto-identification des jeunes2. C’est principalement cette question de l’identification qui aura orienté la présente recherche ; elle constitue le point de départ de l’analyse typologique, soit la réflexion sur les identifications nationale et européenne et leur évolution, à l’échelle des pays de l’Union Européenne et auprès des jeunes d’origine portugaise. Au niveau méthodologique, il est apparu essentiel de combiner ces deux niveaux d’analyse, aussi l’analyse typologique comporte-t-elle deux étapes. D’une part, la spécification des identités nationales en France et au Portugal fournit des éléments contextuels importants pour la compréhension des identités des jeunes d’origine portugaise ; d’autre part, les identités des jeunes 1 C’est dans ce contexte qu’une enquête par questionnaire fut menée auprès de jeunes âgés de 15 à 29 ans et vivant en région parisienne. L’enquête s’est déroulée entre février 1994 et décembre 1996, la passation du questionnaire a eu lieu lors d’occasions ponctuelles telles que les Forums annuels de l’association Cap Magellan (en novembre 1994, 1995 et 1996), et lors de certaines manifestations culturelles de la communauté portugaise (fête de Radio Alfa et fête de l’hebdomadaire O Encontro, en juin 1995). Le questionnaire a également été administré dans des écoles et universités enseignant la langue portugaise à Paris, auprès d’entreprises employant des jeunes portugais et d’origine portugaise (banques portugaises), ainsi que dans les trois consulats du Portugal de la région parisienne (Paris, Versailles, Nogent-sur-Marne). En tout, près de 1500 questionnaires ont été distribués ; 1196 questionnaires ont fait l’objet d’un rapport préliminaire (La Barre, 1999). Finalement, 956 questionnaires ont été retenus pour l’analyse factorielle des correspondances multiples sur laquelle sont basées l’exploitation des résultats finaux et l’analyse typologique. Bien sûr, l’échantillon obtenu ne saurait être représentatif de l’ensemble des jeunes portugais et d’origine portugaise. Ceci n’est pas un inconvénient dans la mesure où nous nous sommes particulièrement attachés à relever des différences significatives au sein de la population en regard de certaines pratiques, attitudes et représentations. La comparaison de l’échantillon obtenu dans notre enquête à l’échantillonnage au 1/20e de l’ensemble des jeunes portugais et d’origine portugaise de 15 à 29 ans vivant en région parisienne sera néanmoins éclairante. Les écarts entre les deux échantillons seront donc pris en compte, dans la mesure où ils aident à caractériser notre population. 2 Soit, la question « Vous sentez-vous… », avec les modalités de réponse proposées : « Français », « Portugais », « Les deux à la fois », et « Européen, au-delà de la nationalité ». Cette question était suivie d’une question ouverte (« Pourquoi ? »). Dans la mesure où le questionnaire comportait un nombre important de questions ouvertes, les résultats de l’enquête ont fait l’objet d’une analyse à la fois statistique et qualitative, comme on le verra. Le questionnaire de l’enquête a été reporté en annexe (Annexe II).

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d’origine portugaise illustrent en retour l’évolution des identités à l’heure de l’intégration européenne – plus particulièrement l’émergence des identités multiples en France et au Portugal. L’objet de cette méthodologie est donc d’expliciter conceptuellement la démarche typologique à deux niveaux ; il est aussi de préciser la part d’équation personnelle et le rapport au terrain. De 1994 à 1996 j’ai mené une recherche sur l’émergence du mouvement associatif des jeunes auprès de l’association Cap Magellan (créée en 1991). Mes origines portugaises par mon père expliquent sans doute l’intérêt nouveau pour le Portugal qui fut alors le mien. J’ai progressivement découvert chez ces jeunes la passion pour le pays d’origine – moderne et européen pour les uns, traditionnel et chaleureux pour les autres –, l’engouement pour l’Expo’98, le Benfica, le Sporting ou le Porto F.C., la saudade des chansons de Madredeus, la fierté toute patriotique éprouvée à l’annonce du Prix Nobel portugais de la Paix ou de la Littérature1, ou encore la volonté enthousiaste de donner une image nouvelle du Portugal en France, différente des ranchos folclóricos des parents2. L’enquête auprès des jeunes d’origine portugaise est née de cette observation participante. Il est apparu important d’élargir le cadre d’analyse au-delà de l’association et d’interroger un plus grand nombre de jeunes. J’ai pris en charge le déroulement d’une enquête par questionnaire, menée avec l’aide de l’association. Mais il est un aspect, découvert sur le terrain, qui explique à lui seul la

1 Respectivement, le diplomate portugais José Ramos Horta, pour son combat pour la reconnaissance internationale du droit à l’indépendance du Timor oriental (Prix Nobel de la Paix en 1996, avec l’évêque Carlos Felipe Ximenes Belo), et l’écrivain portugais José Saramago (Prix Nobel de Littérature en 1998). 2 La complicité des origines avait pourtant ses limites, celles de l’absence dans mon cas d’une expérience vécue liée à la migration des parents, et à ce que Charbit, Hily et Poinard ont appelé le « va-et-vient identitaire » (1997), rythmant l’année entre les études en France et les vacances d’été au Portugal. Ayant grandi en France auprès de ma famille maternelle française, je n’ai pas connu cette nostalgie du Portugal héritée des parents. Contrairement à la plupart de ces jeunes, je n’ai pas grandi non plus en allant passer mes vacances d’été au Portugal, je n’ai d’ailleurs appris le portugais que tardivement – le plus souvent avec des enseignants Brésiliens. J’étais perçu différemment – non seulement du fait que j’étais un sociologue sur le terrain, mais également je pense, du fait que je n’étais pas issu de l’immigration portugaise.

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persévérance et l’entêtement qui fut le mien durant ce périple : la dimension européenne. Nombre de jeunes au sein de l’association ont vu en l’Europe une forme nouvelle d’enrichissement identitaire, au-delà de leur « double culture », ou de la « bilatéralité » de leurs références pour reprendre l’expression de Maurizio Catani (1984). Les pratiques et les représentations de l’Europe, du Portugal et de la France de la part de ces jeunes sont restées au centre de mes questionnements. Sans doute, la motivation principale de cette recherche est de rendre compte d’une transition exceptionnelle apparue dans les années 1990, entre le Portugal des parents émigrés et le Portugal moderne et européen des lusodescendants. Ce travail s’inscrit dans une démarche de sociologie compréhensive, qui tient le raisonnement en termes d’idéaltypes et l’analyse typologique comme des moyens privilégiés de compréhension de la réalité sociale (Schnapper, 1999). Si l’on cherche à définir ce qu’est une typologie, il faut partir des résultats pour produire une démonstration par l’exemple – ce qui tend en retour à prouver que la démarche ne vaut que par son pouvoir de démonstration. La typologie est un outil qui tente de fournir une représentation abstraite et intelligible de la réalité sociale – parfois simplifiée, parfois exagérée. La typologie des formes d’identification ne renvoie pas tant à une opposition entre identité nationale et identités multiples en tant que telles, elle concerne plutôt les processus qui sous-tendent les dynamiques d’identification, à savoir l’articulation entre des attitudes défensives et de fermeture, et des tendances à l’ouverture, à l’inclusion, au dépassement et à la « transcendance » par le supranational1. Il s’agit là d’une tension entre deux formes d’attitudes (de performances, comme diraient les Anglais), dont on pourrait se demander quels rapports elles occupent avec les dimensions ontologique et pragmatique de l’identité. De ce fait, la distinction opérée par Lévi-Strauss au sujet des sociétés froides et

1 Sur l’idée de transcendance des particularismes par la citoyenneté, voir Schnapper (1993, 1995, et 1998, p. 455 et suiv.).

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des sociétés chaudes, entre être historique objectif et représentation de l’être historique (Lévi-Strauss, 1977), peut ici s’appliquer au sujet de ce que l’on pourrait appeler des sociétés fermées et des sociétés ouvertes. Il s’agirait de questionner non pas les êtres historiques objectifs, mais les différentes représentations de l’être historique, soit les identités multiples et les identités nationales, plus ou moins dominantes selon les pays, ainsi que les attitudes défensives ou les formes de transcendance par le supranational chez les jeunes d’origine portugaise en France. La typologie des identités des jeunes d’origine portugaise illustrerait également une réflexion de fond sur deux dimensions distinctes associées à la construction européenne, l’intégration européenne étant vécue selon les cas comme une menace pour les identités nationales ou au contraire comme une forme de protection de ces dernières. Ces processus défensifs et de transcendance peuvent a priori être observés au niveau des groupes et au niveau des pays. Dans une certaine mesure également, ils prolongent au niveau européen la distinction opérée par Sophie Duchesne en ce qui concerne la citoyenneté à la française, à savoir la tension particulière entre cohésion et inclusion (qui renvoie à l’identité nationale en tant que système complexe de valeurs et de significations), entre citoyenneté par héritage et citoyenneté par scrupules (Duchesne, 1997)1. Est ainsi posée par extension la question des identités multiples en Europe, soit la coexistence des deux dimensions ou des deux modèles observés en regard de la citoyenneté nationale (tableau 1).

1 On trouve une distinction similaire chez Steven Vertovec (1997) : « cohésion sociale et tolérance ». Rappelons qu’il s’agit là d’un modèle observé empiriquement.

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Tableau 1. – Cohésion et inclusion. Cohésion Inclusion

Citoyenneté par héritage Particulier Holisme Cohésion sociale Dimension nationale de l’identification territoriale Tendance au maintien de la souveraineté nationale Attitude défensive, de fermeture Identifications nationales

Citoyenneté par scrupules Universel Individualisme Tolérance Dimension supranationale de l’identification territoriale Tendance à l’extension des droits (droit des minorités, droit de vivre en famille, asile,…) Tendance à l’ouverture, au dépassement Identifications multiples

Ce cadre contextuel pourra servir à organiser les observations faites empiriquement. Si l’émergence des identités multiples prend son sens dans le contexte de la construction européenne et des migrations, il semble difficile de décider a priori si les identités multiples renvoient à plus de cohésion, ou au contraire à plus d’inclusion. Si l’on accepte la possibilité que les identités multiples comportent une forme de cohésion, on ne peut accepter la première hypothèse ci-dessous, relative aux relations entre niveaux d’identification et inclusion–cohésion : rien n’indique en effet que les identifications multiples n’aient pas une forme de cohésion (tableau 2). Tableau 2. – Première hypothèse : relations entre niveaux d’identification et inclusion–cohésion.

Identifications nationales Identifications multiples Inclusion – + Cohésion + –

De la même manière, on ne saurait accepter a priori la seconde hypothèse, selon laquelle l’identification nationale implique une forme défensive : rien n’indique que les identifications nationales impliquent une attitude défensive (le national est ici trop général) (tableau 3).

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Tableau 3. – Seconde hypothèse : relations entre niveaux d’identification et attitudes défensive–dépassement.

Identifications nationales Identifications multiples Défensive + – Dépassement – +

Le fait est qu’il faut prendre en compte les situations concrètes des pays et des groupes afin d’aboutir à une troisième hypothèse, qui tente de rendre compte plus particulièrement des identités en France et au Portugal, et des identités des jeunes d’origine portugaise. On aboutit à un modèle qui croise les niveaux d’identification effectivement observés, avec les attitudes défensive–dépassement (tableau 4). Tableau 4. – Troisième hypothèse : niveaux d’identification et attitudes défensive–dépassement.

Identification nationale

Identification nationale

Identification multiple

Identification multiple

Portugais Français Français et portugais Européen Défensive + – –/+ – Dépassement – + –/+ +

Ce modèle n’oppose pas tant les niveaux national et multiple d’identifications que les tendances ambivalentes aux identités défensives et aux identités par dépassement. Rien n’indique a priori que le niveau d’identification nationale soit exclusif, ni que le niveau d’identification multiple n’ait pas de cohérence. On pourra voir dans quelle mesure le niveau d’identification nationale est plus ou moins exclusif ou plus ou moins inclusif, selon qu’il renvoie à une définition ethnique ou à une définition contractuelle et « sociologique » de la nationalité, au sens de Patrick Weil (Weil, 1995). Dans la mesure où la typologie proposée renvoie davantage à une logique d’identification qu’à des individus concrets, la question n’est pas de savoir si tel ou tel individu correspond à tel ou tel type, mais de voir en quoi la logique d’identification construite par abstraction permet, en tant que moyen de description, de rendre compte des tensions à l’œuvre. Il s’agit de caractériser (au sens de

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rendre typiques) les formes d’identification tout en faisant ressortir les différences, quitte à les exagérer. Si l’opposition entre identité nationale et identités multiples est bien réelle comme on le verra dans l’étude des identités au sein des pays de l’Union Européenne, aucun pays n’incarne parfaitement une forme d’identité nationale « pure », ou une forme d’identités multiples « pure ». Néanmoins, la classification des pays selon cette distinction permet de comprendre les positions nationales selon les différentes traditions culturelles et politiques, et l’importance que ces dernières accordent dans l’identité, aux éléments liés au sang et aux éléments issus du contrat. Dans ces conditions, notre approche des identifications s’inscrit effectivement dans le prolongement de l’hypothèse de continuité entre les niveaux individuel et collectif. L’identité nationale permet de distinguer les pays les uns par rapport aux autres : l’approche comparative montre que les formes d’identification sont plus ou moins nationales. Les identités nationales restent centrales, alors qu’elles prennent leur sens par rapport aux facteurs d’évolution des formes d’identification1. Pour poursuivre donc l’hypothèse de continuité entre les niveaux individuel et collectif, les identités observées au sein de l’Union Européenne peuvent éclairer les identités observées au sein des groupes. Nous tenterons de voir dans quelle mesure les formes d’identification des jeunes d’origine portugaise se comprennent par rapport aux identités observées en France et au Portugal2.

1 Certains auteurs considèrent la construction européenne et les migrations comme les « limites de la citoyenneté », en tant qu’elles renvoient à des formes d’« appartenance postnationale ». Le titre de l’ouvrage de Yasemin Soysal, paru en 1994 est à cet égard révélateur : Limits of citizenship : migrants and postnational membership in Europe, Chicago, University of Chicago Press. 2 Les identifications ne sauraient être considérées comme étant uniquement dictées par les destins nationaux, ou par les « organismes gestionnaires de l’identité » (Oriol, 1984). Par définition, les groupes binationaux remettent en cause l’hypothèse de continuité, à laquelle on pourra opposer l’hypothèse de diversification des formes d’identités – notamment dans la mesure où cette diversité n’est qu’imparfaitement reflétée par les formes d’identité nationale (Appadurai, 1993). Loin d’être abstraite, la problématique européenne est au contraire profondément incarnée dans les références nationales, voire binationales. En ce qui concerne les identités, il n’est pas de lieu de l’Europe qui soit détaché du niveau national, ou des préoccupations nationales. Néanmoins, l’hypothèse de continuité reste centrale dans la

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Deux séries de questions seront posées, à deux échelles distinctes (au niveau national et au niveau des groupes). Premièrement, quelles sont les relations entre les identités et les facteurs d’évolution des identités : quel est le sens donné à la construction européenne par les pays ? Quelle relation existe-t-il entre l’expérience nationale des migrations et les identités ? Dans quelle mesure l’identité nationale et les identités multiples observées au Portugal et en France reflètent-elles leur expérience respective de l’émigration et de l’immigration ? Deuxièmement, quelles sont les relations et les influences réciproques entre les formes nationales d’identité et les identités des groupes particuliers ? Dans quelle mesure les identités des jeunes d’origine portugaise reflètent-elles les identités nationales observées en France et au Portugal ? Pour clore ces questionnements méthodologiques et conceptuels, il faut rappeler la distinction de Lévi-Strauss entre l’être historique objectif et la représentation que cet être historique se fait de son histoire. Une des questions qui se pose actuellement avec la construction européenne renvoie à l’intégration fonctionnelle de l’Union Européenne, plus particulièrement à la façon dont pourrait être réalisé le rattrapage de l’économique par le politique (Tassin, 1991 ; Ferry, 1997, 2001). Alors que la construction politique de l’Europe est en cours, les formes de représentation de l’être historique deviennent centrales. Ces performances (au sens anglo-saxon) répondent à une injonction identitaire : celle de produire des identités nationales compatibles les unes avec les autres. Le sociologue n’aura pas de mal à tomber d’accord avec le philosophe pour reconnaître qu’une telle question renouvelle la problématique tocquevillienne de l’interaction entre la loi et les mœurs. Toutefois, l’intérêt que peut représenter pour lui la réflexion philosophique (sur la création d’un patriotisme constitutionnel par exemple) doit

mesure où elle renvoie à la tension entre les paradigmes de l’institutionnalisation et de l’enracinement (Noiriel, 1988). On doit poser les deux facteurs d’évolution des identités que sont la construction européenne et les migrations comme étant respectivement pris dans une dialectique entre le besoin d’enracinement et le caractère inévitable de l’institutionnalisation (notamment en tant que réponse au besoin d’enracinement). On sait combien l’évolution peut de ce point de vue apparaître comme menaçante, renvoyer à un risque de perte, ou encore susciter des sentiments de nostalgie.

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nécessairement être prolongé par l’observation empirique, en tant que celle-ci renvoie ici encore aux performances et aux formes de représentations de l’être historique. Entre un patriotisme concret, « sociologique », géographique ou culturel, et un patriotisme juridique, kantien et abstrait – entre le niveau moral des passions et de la mémoire historique, et le niveau légal de la création ex-nihilo –, le sociologue n’a pas à choisir, pas plus qu’il n’a à préconiser un nouveau type de rapport autocritique à l’histoire – qui peut-être ouvrirait effectivement la voie à un patriotisme constitutionnel. A la différence du philosophe, le sociologue doit aussi – et surtout – poser des questions observables empiriquement1. Assurément, l’évolution des identités à l’heure européenne se situe dans cet espace qui, entre la loi et les mœurs – communauté légale et communauté morale, intégration politique et identité politique, culture politique et mémoire historique –, donne un sens à la communauté politique. Or, cette question doit aussi être posée empiriquement. C’est toute la justification d’une approche compréhensive, qui entre identifications nationales et identifications multiples s’efforce de distinguer les attitudes défensives et de fermeture, et à l’inverse les tendances à l’ouverture et au dépassement.

1 Comme l’exprime Claude Dubar, « Entre des définitions à dominante ‘culturelle’ (ethnique ou religieuse) ou ‘statutaire’ (professionnelle, nationale ou domestique) qui sont, avant tout, ‘pour autrui’, et des définitions à dominante ‘réflexives’ (privées ou intimes) ou ‘narratives’ (prospectives) qui sont, avant tout ‘pour soi’, les combinaisons sont multiples et peuvent varier, non seulement à travers l’Histoire, mais aussi tout au long du cycle de vie. Comprendre la relation entre une configuration identitaire (agencement de formes d’identification) et un contexte donné (sphère d’activité, acteurs concernés, institutions en jeu) devient ainsi une tâche essentielle de la sociologie empirique. » (Dubar, 2000, p. 3, guillemets de l’auteur).

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Première partie :

Identité nationale et identité européenne

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I. – Effets de la construction européenne sur les identités Si l’on considère la construction européenne sous l’angle de l’évolution des identifications, on ne peut manquer de questionner le rapport entre identité nationale et identité européenne. Depuis l’avènement de l’Europe des citoyens, consacrée par la signature du traité de Maastricht en 1992 et sa ratification en 1994, l’Europe est apparue comme une source possible d’identification. Si l’Europe constitue ce facteur potentiel d’évolution des identifications, on pourra poser la question de ses effets sur les identités : comment se transforment et évoluent les identités nationales à l’heure européenne ? Dans quelle mesure la construction européenne encourage-t-elle des attitudes favorables à l’égard de l’Europe ? Par rapport à cette thématique, la question de l’émergence d’identités multiples en Europe offre une piste centrale de réflexion. 1. – Vers des identités multiples ? Dans leur ouvrage consacré à la diversification des niveaux de prise de décision (multi-level governance) et à l’intégration européenne, Liesbet Hooghe et Gary Marks ont montré comment l’Union Européenne se dirigeait vers une combinaison de plusieurs niveaux d’identités (Hooghe et Marks, 2001)1. Dans le contexte général d’une politisation de l’intégration européenne, l’identité n’est plus une conséquence passive, elle forge désormais la possibilité de l’intégration à venir. Dans la mesure où l’intégration européenne limite la souveraineté des Etats-nations, les chances pour qu’elle aille de l’avant sont limitées si les citoyens ne sentent quelque forme d’attachement à la communauté territoriale de l’Europe. L’ambition initiale du projet européen était de domestiquer les tensions internationales, par la création d’institutions

1 Voir en particulier le chapitre 3 : « Multiple identities », p. 51–67.

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supranationales stables. A long terme, il s’agissait aussi de forger une identité européenne qui dépasserait et contiendrait les nationalismes. Les fondateurs ne pensaient pas que le nationalisme puisse être remplacé par l’européanisme, mais ils étaient convaincus que le patriotisme et l’attachement à l’Europe pouvaient coexister. Ils concevaient l’identité européenne comme une conséquence de l’intégration européenne, et étaient prêts à construire les institutions européennes en l’absence des « Européens ». De manière significative, la construction européenne a engendré un certain nombre d’interrogations sur le contenu voire l’existence même d’une identité européenne : c’est le thème de l’« Europe en quête d’identité(s) » (Schnapper et Mendras, 1990 ; Mendras, 1997)1. La construction européenne pose également un problème de légitimité. Depuis l’avènement de l’Europe des citoyens, le thème de l’« Europe en quête de légitimité » n’a cessé d’être questionné (Wolton, 1993 ; Abélès, 1996 ; Quermonne, 2001). Si la représentation et la loi de la majorité ne sont légitimes que quand l’identité collective leur préexiste (Scharpf, 1996), on peut se poser la question de savoir s’il vaut la peine d’améliorer les institutions démocratiques visant à combler le déficit démocratique, alors que l’existence d’une identité collective à l’échelle européenne pose problème2.

1 Voir également les travaux du Groupement d'Etudes et de Recherches Notre Europe (1998). 2 On ne saurait considérer l’identification à l’Europe de façon isolée. Celle-ci ne saurait remplacer les identités nationales, elle se situe donc nécessairement dans la continuité des identifications nationales, et infranationales, régionales, locales. Il est possible que le principe de subsidiarité engendre des loyautés multiples correspondantes aux différents niveaux d’identification. Selon les fondateurs, l’identité collective qui devait nécessairement sous-tendre la légitimité démocratique en Europe n’était pas conçue comme devant éclipser les identités nationales. William Wallace a souligné que « l’émergence d’un sens diffus d’identité européenne n’a pas entraîné un transfert de loyautés du niveau national au niveau européen… On a observé en Europe de l’Ouest, tout au long des deux dernières décennies (il s’agit des décennies 1980–1990), un tournant vers des loyautés multiples, d’une attention unique sur la nation à des affiliations européenne et régionale, par-delà et en deçà » (Wallace, 1990). Loin d’être opposées, les identités nationale et européenne se situeraient donc dans une continuité qui suggère l’existence de niveaux d’identification, et qui donc donne son sens à l’idée des identités multiples.

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Hooghe et Marks ont fait remarquer que la question des identités multiples n’a pas fait l’objet d’un intérêt systématique, la plupart des analyses quantitatives ayant davantage mis l’accent sur la mesure du soutien à l’intégration européenne que sur les questions d’identité. A partir d’une modélisation de l’attachement territorial appliqué à l’analyse des données Eurobaromètre1, les auteurs ont tenté d’évaluer la force et l’étendue de l’attachement à l’Union Européenne, de montrer comment l’identité européenne est rattachée aux identités nationale, régionale et locale, et comment la création et l’approfondissement de l’Union Européenne ont forgé les diverses identités territoriales des Européens2. Les résultats montrent que les attachements sont mutuellement inclusifs (ou complémentaires), c’est-à-dire, lorsqu’il y a une propension à l’attachement, celle-ci se retrouve à tous les niveaux de l’identité territoriale. En d’autres termes, l’attachement à la nation ne se fait pas aux dépens de l’attachement à l’Union Européenne ou de l’attachement à la région. D’une façon générale, les attachements aux niveaux local, régional et national sont comparativement élevés, cependant l’attachement à l’Union Européenne est nettement plus faible que l’attachement aux niveaux inférieurs. Dans cinq pays, l’attachement au pays est plus grand que l’attachement aux niveaux régional et local (Danemark, Finlande, Irlande, Pays-Bas, et Royaume-Uni). En France, Grèce, Italie, Portugal et Suède, l’attachement au pays est équivalent à l’attachement infranational. Dans les Etats fédéraux (Autriche,

1 Soit, les données issues de l’Eurobaromètre 36 (juin 1991), et de l’Eurobaromètre 43 (mai – juin 1995). 2 Le modèle conceptuel proposé pour analyser les variations de l’identité territoriale distinguait trois possibilités : identités multiples (a), identité exclusive (b), et non-attachement (c), la position d’un point dans le triangle (abc) décrivant l’identité territoriale d’un individu. Cette conceptualisation des attachements territoriaux était à deux dimensions : d’une part, l’intensité de l’attachement aux niveaux local, régional, national et européen, d’autre part, la dimension – multiple ou exclusive – de l’attachement, mesurée comme la somme des différences entre l’attachement le plus fort d’un individu et tous les autres attachements. Les trois possibilités (abc) ne pouvaient être classées sur une échelle continue dans la mesure où la force de l’identité territoriale et, par conséquent, la distance d’un individu par rapport au point (c) est indépendante de la nature de l’identité de l’individu – à savoir s’il a une identité exclusive ou des identités multiples.

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Belgique, Espagne et Allemagne de l’Ouest), l’attachement à la région est plus important que l’attachement au pays1. Hooghe et Marks ont proposé une explication de l’identité territoriale et plus particulièrement, une analyse des facteurs d’évolution vers des identités multiples incluant une composante européenne. Pour tenter de comprendre comment et pourquoi les identités changent dans le temps, les auteurs ont analysé les effets de facteurs macrosociaux que sont la guerre, la culture, l’interaction entre le social et l’économique, et les institutions politiques. Nous résumerons rapidement ces effets. La guerre Les attachements territoriaux ont été nettement plus forgés par la coercition organisée, notamment la guerre et la domination coloniale, que par d’autres facteurs. La solidarité produite à l’intérieur d’un groupe territorial engagé dans un conflit coercitif avec un autre groupe est peut-être le plus fort ciment social qui soit. Le conflit coercitif ne renforce pas seulement l’identité ethnique ou nationale, elle rend généralement ces identités plus exclusives. Source d’identité forte, la guerre renforce également l’identité exclusive. Elle crée une mentalité « Eux/Nous » extrême, dans laquelle ceux qui ont une identité surplombant les deux communautés sont forcés de faire un choix. Un des aspects distinctifs de l’Europe de l’Ouest de la moitié du siècle dernier est qu’elle n’a pas été le lieu d’une guerre 1 Il semble donc qu’il existe une relation plutôt positive entre identité européenne et identité nationale. En 1992, 62 % des répondants voyaient l’identité européenne comme étant « compatible avec l’identité nationale », contre 23 %, qui pensaient que l’Union Européenne finirait par marquer « la fin des identités nationales ». Près de la moitié des répondants voyaient l’Union Européenne comme « une protection pour leur identité nationale et leur culture » (46 %), contre près d’un tiers qui la voyaient comme « une menace » (30 %) (Données Eurobaromètre 38 (Automne 1992). Ces résultats suggèrent que plusieurs niveaux d’identité territoriale peuvent coexister. De même que les Etats nationaux ne constituent en Europe de l’Ouest qu’une partie de la politique à plusieurs niveaux, qui les tire en deçà et par-delà, les identités nationales ne constituent qu’un élément dans un modèle plus complexe et à plusieurs niveaux, qui comprend les identités locale, régionale, et supranationale.

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internationale majeure. Aussi, l’étude de l’identité en Europe de l’Ouest représente l’étude de l’identité en l’absence de sa forme la plus puissante. L’absence de guerre signifie l’absence d’une très grande influence en faveur de l’identité exclusive, laissant la place à une variété d’autres influences qui ont pour effet le développement d’identités multiples. La seconde moitié du siècle qui vient de s’écouler a connu une diffusion de compétences d’autorité à l’égard des multiples niveaux de gouvernance, et une diffusion d’identités individuelles dans les communautés territoriales locale, régionale, nationale, et supranationale. La culture Des courants importants de théorisation de l’identité mettent l’accent sur la culture, particulièrement le langage, l’ethnicité, la religion et les relations sociales, comme clé de l’attachement territorial. La théorie la plus influente, associée à Karl Deutsch, fait l’hypothèse que les identités territoriales se forment avec l’intégration sociale et économique des populations (Deutsch, 1953, 1957). Dans cette optique, les identités communes résultent d’un processus d’interaction sociale et économique entre individus. Selon ce point de vue, l’augmentation du commerce et des échanges intra-européens, la baisse des contrôles frontaliers, l’augmentation des voyages à l’intérieur de l’Europe, la création d’institutions politiques européennes, les échanges éducatifs, sont autant de facteurs qui justifient l’évolution vers une identité européenne. Ces facteurs contribuent également à une homogénéisation culturelle graduelle et une confiance personnelle accrue chez les Européens, encourageant par conséquent une identité partagée. Toutefois, l’augmentation de l’interaction sociale peut mener à l’hostilité inter-communautaire, elle ne renforce pas nécessairement l’identité partagée. Depuis quelques années, les migrations internationales (une autre forme d’interaction sociale) ont exacerbé, et non diminué, les identités exclusives. Les partis

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politiques d’extrême droite font campagne autour de la question de l’immigration et tentent de l’associer à l’opposition à l’intégration européenne. Les identités ne font pas que s’imposer aux gens (identities do not just happen to people), elles sont aussi des communautés imaginées, politiquement contestées. Pour comprendre le processus qui mène de l’interaction sociale à l’identité territoriale, il faut donc faire appel aux modèles et aux choix cognitifs des individus concernés (Anderson, 1983). De même, pour établir une relation positive entre convergence culturelle graduelle et identités multiples, il faudrait pouvoir combler le peu d’information systématique sur des questions telles que par exemple l’effet des mesures d’échanges d’étudiants à l’intérieur de l’Europe sur l’identité des participants, l’influence de la télévision européenne câblée, des fonds structurels alloués dans les régions les plus pauvres de l’Union Européenne, des voyages à l’étranger, ou du fait de vivre dans une région frontalière sur les identités. La solidarité résultant du conflit coercitif et les éléments ethniques ou linguistiques communs sont de loin les facteurs les plus puissants dans l’identité territoriale. Or l’Union Européenne ne peut se baser sur ces facteurs, ce qui explique la faiblesse relative de l’identité européenne au niveau national ou infranational. Il faudrait toutefois expliquer le niveau positif d’attachement à l’Union Européenne parmi nombre de minorités dans les années 1990, et l’augmentation des identités multiples observées dans des régions telles que la Catalogne ou le Pays Basque1. L’intérêt économique La littérature sur la politique économique de l’intégration du marché permet de faire le lien entre l’activité économique 1 Ou encore, chez les populations issues de l’immigration, binationales et européennes. Les identités binationales et biculturelles des jeunes d’origine portugaise en France ont favorisé par exemple un renforcement des liens entre l’Etat portugais et les Communautés Portugaises, notamment par la création d’institutions dédiées spécifiquement aux lusodescendants.

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individuelle et l’attachement à l’Union Européenne. Une conclusion centrale de cette littérature est que les travailleurs les moins qualifiés dans les secteurs protégés de l’industrie domestique (less-skilled workers in protected sectors of domestically oriented industry) sont ceux qui perdent le plus dans l’intégration de marché, et les propriétaires de capital orienté à l’exportation ceux qui gagnent le plus. La première raison tient au fait que le travail est moins mobile que le capital orienté à l’international, tant à l’intérieur des secteurs économiques que géographiquement. Bien que la liberté de mouvement existe pour le travail par-delà les frontières, cette liberté est limitée par des barrières culturelles et linguistiques1. Les institutions politiques Selon une tradition de la philosophie politique, l’identité peut émerger non seulement de la guerre ou de la culture commune comme base de renforcement du groupe, mais aussi d’institutions politiques communes. Selon cette hypothèse, les formes d’attachement devraient refléter la distribution des compétences politiques aux différents niveaux d’institutions politiques infranationales, nationales, et supranationales. Les politiques fédérales devraient avoir des niveaux relativement élevés d’attachement régional, et les politiques unitaires devraient avoir des niveaux relativement élevés d’attachement national. C’est effectivement le cas en Europe occidentale aujourd’hui : les seuls pays pour lesquels l’attachement régional est plus élevé que l’attachement national sont des pays fédéraux (Autriche, Belgique, Allemagne, et Espagne). Selon la même logique, on s’attendrait à voir un renforcement de l’identité européenne parallèlement à

1 Dans une étude basée sur les données Eurobaromètre 1991, Gary Marks et Richard Haesly ont montré que l’attachement individuel à l’Union Européenne est associé de manière significative à la position de classe (class position), au sentiment de bien-être économique, et à l’orientation des répondants face au marché unique, ce quelles que soient l’éducation, la connaissance politique, ainsi qu’une série d’autres variables individuelles (Marks et Haesly, 1996).

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l’augmentation des zones de compétences au sein de l’Union Européenne, mais ceci ne s’est pas encore vérifié. Au contraire, le niveau global d’attachement à l’Union Européenne a sensiblement chuté entre 1991 et 1995, ce qui suggère que le lien entre institutions politiques et identités n’est pas simple et que peut-être, la qualité de la participation influence le développement de l’identité. Les individus les plus attachés à l’Union Européenne sont ceux qui participent le plus, qui ont une plus grande connaissance politique de l’Union Européenne, et qui ont des niveaux élevés de compétence politique personnelle. Alors que l’Union Européenne souffre d’un déficit démocratique, les effets des institutions politiques sur l’identité dépendent peut-être de la prégnance du sentiment de citoyenneté partagée1. En conclusion de ces pistes de réflexion, Hooghe et Marks rappellent que l’Union Européenne est une entité politique à plusieurs niveaux, basée sur l’identité multiple, et qu’une grande majorité d’Européens ont de fait des identités multiples. Dans plusieurs pays, les régions et le local inspirent des attachements plus forts que la nation. Alors qu’en moyenne, l’attachement à l’Europe est significativement plus faible que l’attachement à d’autres territoires, des minorités importantes déclarent avoir un attachement assez fort à l’Union Européenne. Pour ces communautés territoriales, les identités sont en général mutuellement inclusives, et non mutuellement exclusives. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de transfert intrinsèque de l’identité nationale vers l’identité européenne. Les individus qui ont des attachements relativement forts pour leur pays tendent à avoir des attachements relativement forts pour l’Union Européenne. Il faut rappeler enfin que l’intégration européenne a été menée selon des intérêts 1 Il semble néanmoins que la relation entre les institutions politiques et l’identité soit celle d’un renforcement mutuel, bien qu’il soit difficile de penser que la relation de causalité entre les institutions politiques et l’identité aillent dans une seule direction. Il est aussi plausible de faire l’hypothèse que l’identité influence les institutions politiques que de faire l’hypothèse inverse. Il est possible que les identités régionales ne résultent pas seulement du fédéralisme, mais contribuent aussi à l’établissement d’un système fédéral dès le départ. Au Pays Basque et en Catalogne, les identités régionales fortes ont précédé les réformes fédérales, depuis 1982. Toutefois, l’identité basque et catalane se sont renforcées avec la création d’institutions politiques régionales.

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économiques plutôt que guerriers. En résultat, sa capacité à forger de nouvelles identités est plus faible. 2. – Niveaux d’identification Pour poursuivre la réflexion sur les niveaux d’identification et plus particulièrement sur les rapports entre identifications nationale et supranationale, revenons rapidement sur deux éléments de la conclusion de l’analyse de Hooghe et Marks sur l’émergence des identités multiples en Europe. Il s’agit premièrement de l’idée qu’il n’y a pas, dans l’attachement à l’Union Européenne, de transfert intrinsèque de l’identité nationale vers l’identité européenne. Les identités sont en général mutuellement inclusives et non mutuellement exclusives : les individus ayant des attachements relativement forts pour leur pays tendent aussi à avoir des attachements relativement forts pour l’Union Européenne. La combinaison d’identités, ou le caractère inclusif de ces dernières, définissent donc les identités multiples, par opposition aux identités exclusives. L’identité européenne est elle-même une identité multiple : on conçoit encore difficilement une identification européenne détachée de tout substrat national. Ceci nous amène au second point de la conclusion de Hooghe et Marks, complémentaire au premier. Il s’agit de la faible capacité de l’intégration européenne à forger de nouvelles identités, du fait qu’elle a été menée selon des intérêts économiques alors que l’intégration nationale fut souvent menée selon des intérêts guerriers. A bien des égards et pour des raisons d’ancienneté historique, l’Etat-nation reste l’« horizon indépassable du pouvoir politique » (Quermonne, 2001, p. 32) ainsi que des représentations et des identifications qui lui sont associées, les niveaux infranational et supranational ne se concevant que par rapport à elle. Pour reprendre les termes de Dominique Schnapper, « C’est à l’intérieur de la communauté nationale que les Européens ont élaboré leur identité, indissolublement individuelle et collective. L’identité collective ne peut être que le produit d’une longue

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histoire, vraie ou, plus souvent, reconstituée. On n’a pas d’exemple qu’une adhésion intellectuelle à des principes abstraits aît jamais suffi à fonder une identité collective. » (Schnapper, 1992–1993, p. 832). L’Europe n’a pas la prégnance du national, il lui manque ce puissant caractère différenciateur que confère l’ancienneté du sentiment de communauté de destin. Les manières mêmes de se sentir Européen restent éminemment nationales. Néanmoins, dans la mesure où elle envisage les identités en Europe sous l’angle d’une tension vers des identités multiples (donc comme un processus en cours), l’analyse de Hooghe et Marks permet de comprendre comment les identités nationales peuvent se sentir menacées par la construction européenne, ou au contraire se montrer favorables à son égard. De ce point de vue, la problématique des identités multiples évite l’aporie des thèses sur l’évolution irrémédiable vers le « postnational », qui signifierait la perte non moins irrémédiable du national1. Dans la mesure où il ne saurait y avoir d’autres manières d’être Européen que nationales, la réflexion sur les niveaux d’identification revient à distinguer, non pas un niveau national et un niveau supranational mais deux types d’identités nationales, selon leur caractère plus ou moins exclusif, ou selon leur capacité à se combiner avec un niveau supranational. Il y aurait donc des identités nationales plus ou moins exclusives, à fort caractère de différenciation, et des identités nationales ouvertes, inclusives. Il faut donc distinguer formellement les deux niveaux d’identification nationale et supranationale, selon un axe opposant Différenciation et Transcendance (tableau 1).

1 Il faudrait poursuivre l’analyse en s’interrogeant sur la spécificité des identités nationales lorsqu’elles se combinent avec l’identité européenne, par rapport aux identités nationales exclusives. Selon la signification attribuée à l’identité nationale, l’Europe apparaît comme une chance ou comme une menace. Le rapport entre identité nationale et identité européenne n’est pas donné d’avance. On sait que les niveaux national et européen se complètent et se combinent dans des identités multiples, alors que l’identité nationale exclusive s’oppose à ce qui la dépasse, donc au supranational et au multiple. En France, le « Oui » à Maastricht a consacré la légitimité d’une supranationalité, la France rejoignait le principe de droit commun de toutes les sociétés européennes caractérisées par la diversité culturelle, et où il est possible d’avoir plusieurs identités. En ce sens, être plus Européen ne signifie pas pour autant être moins Français.

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Tableau 1. – Différenciation et transcendance I.

Différenciation Transcendance National Supranational

On pourra également décliner cette opposition sur toute la chaîne des niveaux d’identification, du local au supranational (ce dernier restant par définition ouvert, dans le sens où les modalités « Européen », « de civilisation »1, ou encore, « citoyen du monde » s’appliquent également) (tableau 2). Tableau 2. – Différenciation et transcendance II.

Différenciation Transcendance Local Régional National

Régional National Supranational (*)

(*) : soit, par exemple, « Européen », « de civilisation », « citoyen du monde »,… Dans cette hiérarchie des niveaux d’identification, les dimensions Différenciation et Transcendance sont relatives. Le niveau national, par exemple, est une forme de transcendance (et de rationalité) par rapport aux niveaux infra, tout autant qu’une forme de différenciation (et d’« émotionnel ») par rapport au niveau supra. De façon idéaltypique, les niveaux supérieurs transcendent ou incluent les niveaux inférieurs, alors que ces derniers s’opposent ou se différencient des niveaux supérieurs. Il reste que les niveaux national et supranational s’opposent, selon la Différenciation et la Transcendance (schéma 1). Schéma 1. – National et supranational.

National Supranational

--------------------------- Transcendance ------------------------- --------------------------- Différenciation --------------------------

1 Au sens de Samuel Huntington (1993).

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Mise à part la relation existant entre les niveaux national et supranational, on pourra se pencher sur leur contenu respectif. Le niveau national est caractérisé par l’ancienneté, la proximité, les aspects concret, restreint et émotionnel ; le niveau supranational (européen en particulier) est quant à lui défini par son caractère abstrait, ouvert, rationnel, et par sa nouveauté (tableau 3). Tableau 3. – National et supranational.

National Supranational Ancienneté Proximité Concret Restreint Emotionnel

Nouveauté Eloignement Abstrait Large, vaste Rationnel

Selon ce découpage, le caractère différenciateur de l’identification est donc fonction de la proximité, des caractères concret, restreint et émotionnel. A l’inverse, plus les niveaux d’identification sont élevés, plus ils sont éloignés et abstraits, excessivement vastes ou trop rationnels, ce qui pose la question du manque de légitimité dont la faible adhésion à l’Europe est un symptôme. Une des dimensions essentielles de l’identification réside dans le besoin de différenciation, la perte du caractère différenciateur pouvant être perçue comme une perte d’identité (Devereux, 1972). On peut poser la question de la prégnance d’une identification qui transcende les différences plus qu’elle ne les met en relief : le fait de s’unir pour des motifs purement économiques suffit-il à forger une identité ? Quel que soit le sens que l’on donne à l’identité européenne, son caractère différenciateur n’a pas l’intensité de celui de l’identité nationale. En tant que projet politique, l’Europe est très jeune, alors que les nations d’Europe sont vieilles de plusieurs siècles. Elles offrent de ce fait une garantie de différenciation et d’identité1. 1 Tout en considérant que « le sentiment de la solidarité des nations l’emportera sur les nationalismes désormais dépassés », Schuman reconnaissait que « ceux-ci ont eut le mérite

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Néanmoins, la construction européenne ne suscite pas seulement des réactions de repli ou de rejet. Contenue dans une forme d’identités multiples en tant qu’elle se combine avec l’identité nationale, l’identification en tant qu’Européen correspond à une identification large, de type contractuel, et répondant à une logique de la raison. Il se peut qu’elle réponde selon les groupes à des enjeux de nature différente que ceux de l’identification nationale. Si les individus et les groupes tendent à privilégier les groupes d’appartenance les plus proches au détriment de solidarités plus lointaines et plus diffuses, il est possible que pour certains groupes et dans certaines conditions, la préférence pour une certaine transcendance explique l’attrait de la référence à l’Europe en tant qu’elle représente un moyen d’élargir un horizon national perçu comme restreint voire réducteur. On peut donc faire l’hypothèse que l’Europe, en tant que pôle d’identification, n’est que le reflet des préoccupations identitaires nationales. Dans le cas de la Belgique par exemple, le recours à l’Europe permet de transcender les contradictions internes. L’européanisme économique du Portugal ne remet nullement en cause une identité nationale forte et assumée. L’attitude britannique de défiance vis-à-vis de l’Europe traduit autant une volonté de différence par rapport au continent que l’alliance de fait avec les Etats-Unis. Enfin, l’attitude ambiguë de la France vis-à-vis de l’Europe ne fait que refléter son ambiguïté vis-à-vis de l’identité nationale et du nationalisme. 3. – Le paradigme de l’institutionnalisation Les effets de la construction européenne sur les identités ne sauraient être univoques. Ils ne peuvent être que divers, spécifiques à chaque Etat-nation et à chaque groupe. De ce point de vue, les significations attribuées à l’appartenance européenne aident à interpréter les identités nationales. De même, l’analyse des

de doter les Etats d’une tradition et d’une solide structure intérieure. » (cité in Quermonne, 2001, p. 94). Sur l’effet différenciateur de l’identité nationale, voir également Aguiar (1992) ; Eriksen et Fossum (1999).

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processus migratoires et de l’expérience nationale des migrations permet de comprendre l’évolution des identifications. Chacun à sa manière, les deux facteurs d’évolution des identités que sont la construction européenne et les migrations attestent du paradigme durkheimien de l’institutionnalisation que l’on trouve dans La division du travail social et qui constitue, selon Gérard Noiriel, « la critique la plus radicale qu’on ait écrite des thèses sur l’’enracinement’ » (Noiriel, 1988, p. 33)1. Le processus décrit par Durkheim marque le passage du pôle des origines et de la tradition à celui de la rationalité et de l’institutionnalisation, cette dernière étant caractérisée par l’invention de nouvelles formes d’enracinement autres que les liens du sang, spécifiques à la solidarité mécanique. Avec la thèse durkheimienne, c’est l’institutionnalisation des faits sociaux qui explique les permanences les plus importantes, bien plus que la logique de l’enracinement : « Pour (Durkheim), la famille, l’‘ethnie’, le milieu local, le culte des ancêtres, l’hérédité (…), appartiennent en fait à une époque dépassée, l’époque de la ‘solidarité mécanique’ où l’individu est dépourvu d’une réelle liberté car soumis à son groupe d’appartenance. Par contre, le monde moderne voit le triomphe de la solidarité organique. Les progrès des transports et de la mobilité des hommes affaiblissent de plus en plus le rôle social des enracinements terriens, marginalisent la place de la transmission directe, familiale ou généalogique, de la culture et des traditions. De plus en plus, la transmission des valeurs et des savoirs d’une génération à l’autre s’effectue d’une façon indirecte car le passé est cristallisé dans le présent, dans la matérialité des monuments, des règles du droit, etc. D’où le rôle des institutions (l’école avant tout) qui inculquent à l’enfant ‘sauvage’ à la naissance (c’est-à-dire sans hérédité) toute la culture de la société dans laquelle il vit. Durkheim considère également que l’étoffement incessant des organes dépendant de l’Etat contribue à

1 Concernant les thèses de l’enracinement, Noiriel se réfère en particulier aux travaux de Fernand Braudel sur l’Identité de la France. Sur le paradigme durkheimien de l’institutionnalisation en regard de la construction européenne, voir également Delanty (1998).

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accentuer le ‘déracinement’ des individus par rapport aux lieux de la solidarité mécanique. L’extension du droit domestique n’échappe pas à cette évolution. Totalement coupé de ses anciennes appartenances, l’individu est de plus en plus un point à l’intersection des multiples fils qui le rattachent à la nouvelle structure sociale. Ce qui le définit, ce n’est plus à présent les éléments ‘consanguins’, mais la fonction qu’il remplit dans la nation à laquelle il appartient. D’où la nécessité d’inventer de nouvelles formes d’enracinement dans les nouveaux groupes intermédiaires que doivent être les organisations professionnelles. » (Noiriel, 1988, p. 33, les guillemets sont de l’auteur). Le tableau 4 résume cette dichotomie selon les paradigmes de l’enracinement et de l’institutionnalisation. Tableau 4. – Enracinement et institutionnalisation.

Enracinement Institutionnalisation Solidarité mécanique « Communauté » Appartenance (à la famille, à l’ethnie, au milieu local) Soumission au groupe d’appartenance Transmission directe, familiale ou généalogique, de la culture et des traditions Rôle social des enracinements terriens Culte des ancêtres, Hérédité Définition de l’individu par ses éléments consanguins

Solidarité organique « Société » Référence(s) Mobilité Transmission des valeurs et des savoirs d’une génération à l’autre de façon indirecte « car le passé est cristallisé dans le présent, dans la matérialité des monuments, des règles du droit, etc. » Rôle des institutions (l’école avant tout) qui « inculquent à l’enfant ‘sauvage’ à la naissance (c’est-à-dire sans hérédité) toute la culture de la société dans laquelle il vit. » Déracinement des individus par rapport aux lieux de la solidarité mécanique Définition de l’individu par la fonction qu’il remplit dans la nation à laquelle il appartient, d’où nécessité d’inventer de nouvelles formes d’enracinement dans les nouveaux groupes intermédiaires

Dans la mesure où elle atteste de la centralité « naturelle » de l’enracinement dans la vie sociale, la perspective durkheimienne revient à poser l’institutionnalisation comme la nécessaire invention de nouvelles formes de solidarité. Elle pose de ce fait la question de l’intégration nationale, qui on le sait, ne saurait se limiter à la situation des migrants. Dans le contexte particulier de

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l’immigration, l’intégration nationale en est venue toutefois à mettre l’accent sur la dimension psychosociologique. C’est par exemple l’idée que la stigmatisation des enfants d’immigrés est un facteur d’intégration, l’individu dont l’identité est contestée adoptant le plus souvent des comportements visant à prouver son appartenance. Or, l’intégration ne désigne-t-elle pas en premier lieu la participation à la vie collective (accès au marché du travail, degré d’intégration aux formes locale et nationale de sociabilité) ? Les deux aspects sont évidemment liés, car comment séparer la participation à la vie politique du sentiment d’appartenance. Il n’y a pas d’un côté l’Etat, et les individus de l’autre, mais ceux-ci sont traversés par celui-là, ou par ses instruments. L’intégration nationale est une volonté politique, un objectif à atteindre qui correspond au besoin d’ancrage des individus et des groupes particuliers. Processus éminemment complexe, l’intégration ne relève ni simplement d’une volonté étatique ou de mesures politiques, ni encore de manifestations « ethniques ». Y sont liées les questions de nation, de citoyenneté et de processus culturels. Du point de vue d’une histoire de l’institutionnalisation (qui serait aussi celle de la mobilité), la construction européenne prolonge en quelque sorte l’immigration. Pour paraphraser Noiriel, la problématique des Immigrants into Frenchmen deviendrait celle des Nationals into Europeans. Les questions posées par Noiriel, la problématique même de son histoire de l’immigration concernaient le rôle joué par le déracinement dans la formation et la consolidation d’une société, la place des « origines », des « sentiments d’appartenance » dans l’« histoire des mentalités », la combinaison des critères de classe, de nationalité, de sexe…, dans la définition des individus et des groupes auxquels ils appartiennent. Nous avons là autant de thèmes qui trouvent à l’échelle de la construction européenne un prolongement quasi naturel, et dont la question des niveaux d’identification nationale et multiple (ou encore celle du rapport entre le national et le supranational) constituent un des points d’entrée. Le paradigme de l’institutionnalisation renvoie à l’interaction subtile entre construction politique et identités, entre

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communauté légale et communauté morale, entre la loi et les mœurs pour reprendre la terminologie de Tocqueville. En tant que projet politique en cours, la construction européenne constitue un facteur d’évolution des identités. Or comment analyser, mesurer, et comprendre un processus en cours, par définition inachevé ? La construction européenne et la citoyenneté européenne encouragent-elles, et dans quelles conditions, des identifications supranationales et multiples ? Quelle relation peut-on établir, à l’échelle européenne, entre citoyenneté et identification ? Le vieux problème de l’interaction entre la loi et les mœurs est ici posé de façon nouvelle. Pour y répondre de manière tocquevillienne, il faut mêler deux types d’analyse : une logique de la typologie (entre identité nationale et identité européenne), et une logique de l’évolution (selon l’hypothèse que les identités multiples l’emporteront), soit, les situations concrètes d’une part, et la perspective historique globale d’autre part. Cette logique de l’évolution est liée aux phénomènes généraux de la multiplication des échanges et des migrations, qui trouvent un prolongement dans cette entreprise unique de supranationalité que représente, avec la construction européenne, la citoyenneté européenne. Il s’agit là d’arguments forts qui justifient le questionnement sur l’émergence des identités multiples. Tocqueville a pensé le changement comme une évolution permanente, comme un système évoluant vers son propre perfectionnement. Il a montré que la recherche d’égalité aboutit à une frustration relative : plus un système social devient égalitaire, plus les inégalités deviennent insupportables. Dans ce contexte, le changement politique est à la fois la cause et la conséquence du pouvoir de l’identité. Par définition, les revendications identitaires sont infinies, elles n’ont de fin que dans l’individu. La construction européenne marque de ce point de vue un horizon « post-tocquevillien », la démocratie étant devenue la condition initiale. La question de l’interaction entre la loi et les mœurs réapparaît donc, dans le sens concret du rapport entre institutions et identités, et dans celui plus abstrait de la signification d’une évolution inéluctable, inscrite dans le long terme, et dont on n’a pas fini de

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mesurer la portée. Doit-on rappeler que le projet politique préexiste à l’Europe des citoyens dont il est l’origine. Il s’agit donc bien en l’occurrence, de voir en quoi et dans quelle mesure une construction politique influence les représentations et les identifications. La cause historique première de ce qu’on a appelé le déficit démocratique de l’Europe réside dans le fait qu’elle fut d’abord la volonté d’une élite, que sa construction est partie « d’en-haut » (ce qui fut le cas de toutes les nations, avant l’émergence de l’exigence démocratique). Dans ce contexte, l’absence de légitimité politique de l’Europe apparaît inévitablement comme la marque de l’absence d’une identité européenne préalable. Paradoxalement, l’Union Européenne reste le fruit d’une volonté politique qui attend des citoyens un transfert plus ou moins partiel des anciennes loyautés nationales vers la nouvelle entité supranationale. Le traité de Maastricht a eu l’avantage de confronter concrètement les populations aux questions de l’intégration et de la citoyenneté européennes, sujets qui étaient restés jusqu’alors par trop abstraits (Quermonne, 2001). Reste que la vision initiale des élites, projetée dans les institutions ne s’installe pas facilement dans les mentalités. Alors que la construction européenne apparaît souvent comme inéluctable, la question de l’identification à l’Europe reste ouverte. Aussi mérite-t-elle d’être questionnée.

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L’Union Européenne est une machine bien huilée, mais qui manque du charisme nécessaire

pour s’attirer les faveurs du grand public. Vaclav Havel, 1994 Parlement Européen

II. – Evolution des identités en Europe (1992–2002) Quelle a été, entre 1992 et 2002, l’évolution des identités nationales et européennes en Europe ? Dans quelle mesure la construction européenne a-t-elle encouragé une identification à l’Europe et l’émergence d’identités multiples1 ? Dans quelle mesure a-t-elle au contraire ravivé des identités nationales plus ou moins défensives ? Quelles relations peut-on établir entre l’évolution des identités et l’avènement de la citoyenneté européenne, entre les formes d’identification et les sentiments de fierté, d’attachement, de citoyenneté – nationaux ou européens ? Quelle est, en regard de ces identités, la situation particulière de la France et du Portugal par rapport à l’ensemble des pays membres ? Comme on le verra, ces derniers se distinguent assez nettement selon la priorité qu’ils accordent à l’identité nationale ou à l’identité européenne d’une part, selon la stabilité dans le temps de leurs formes identitaires d’autre part. Du traité de Maastricht qui marque l’avènement de l’Europe des citoyens en 1992, à la création de la monnaie unique en 2002, la décennie que couvre l’ensemble des enquêtes que nous allons analyser correspond à une période de maturation de la construction européenne. Cette période est marquée par une série d’étapes

1 Nous donnons ici à identités multiples son sens le plus large, soit toute forme d’identité qui n’est pas uniquement nationale. Selon cette définition et en fonction des données dont nous disposons, les identités multiples peuvent être de trois types : identité ‘nationale puis européenne’, identité ‘européenne puis nationale’, et identité ‘européenne’ uniquement. Comme cette dernière est en réalité très marginale, on peut l’assimiler à l’identité ‘européenne puis nationale’. Les identités multiples renvoient alors à deux types principaux, selon la priorité accordée à l’identité nationale ou à l’identité européenne.

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importantes dans le processus de la construction européenne, ce qui aura sans doute contribué à faire de l’identité européenne une réalité plus présente aux yeux des Européens. Tout au long de la période analysée, les pays de l’Union Européenne se distinguent selon leurs identités. Les pays où l’identité nationale est majoritaire se distinguent plus ou moins nettement des pays à identités multiples. Il faut noter également la relative stabilité dans le temps des formes d’identités, notamment des identités multiples (les identités nationales étant généralement plus fluctuantes, sauf dans le cas du Royaume-Uni). La combinaison entre identité nationale et identité européenne est spécifique à chaque pays. De même le sentiment d’identité européenne est plus ou moins acquis selon les pays. Si l’identité nationale reste prédominante au sein de l’Union Européenne, elle apparaît comme plus ou moins exclusive selon les cas. La distinction entre pays où l’identité nationale est première, et pays à identités multiples s’accompagne d’une distinction croissante entre types d’identités multiples. On note l’affirmation d’un sentiment identitaire européen au sein des pays à identités multiples, soit une distinction croissante selon la priorité accordée à l’identité nationale ou à l’identité européenne. Les pays les plus ancrés dans des identités multiples sont le Luxembourg, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, et la Belgique. Avec une relative stabilité dans le temps, la France se situe entre les deux types d’identités multiples. Cette position suggère que la France représente au sein de l’Union le pays pour lequel les parts nationale et européenne sont les plus équitablement réparties, ou les moins hiérarchisées. L’Italie et l’Espagne sont assez nettement orientées vers des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’ ; tout au long de la période ces deux pays font preuve d’une stabilité identitaire qui peut symboliser la confiance dans les identités nationale et européenne. Enfin, l’Allemagne, la Belgique, et surtout le Luxembourg, s’orientent assez nettement vers des identités multiples de type ‘européenne puis nationale’.

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Remarques sur les données Eurobaromètre Avant de poursuivre l’analyse, il faut tenter de préciser dans quelle mesure les données Eurobaromètre permettent de répondre aux questions posées ici, et avec quelles précautions. Depuis 1973, les sondages d’opinion « Eurobaromètre Standard » sont effectués deux fois par an (en mars et en octobre), pour le compte de la Direction Générale Presse et Communication de la Commission Européenne. Il s’agit de donner des indications sur l’état de l’opinion (en faveur de l’intégration européenne, à l’égard des institutions européennes, des principales politiques menées) aux membres des institutions européennes, et au grand public via les médias, dans les différents pays européens. Dans chacun des Etats membres, les sondages sont effectués par les instituts nationaux associés au bureau de coordination européen, The European Opinion Research Group – un réseau d’agences d’étude de marché et d’opinion publique qui a été sélectionné par appel d’offres, et dont tous les membres font partie de la European Society for Opinion and Marketing Research (ESOMAR). Les sondages incluent la Grèce depuis l’automne 1980, le Portugal et l’Espagne depuis l’automne 1985, l’ex-République Démocratique d’Allemagne depuis l’automne 1990, l’Autriche, la Finlande et la Suède, depuis le printemps 1995. Une même série de questions est soumise, dans chaque Etat membre, à des échantillons représentatifs de la population, âgée de quinze ans et plus. D’autres questions ponctuelles sont posées, concernant des points particuliers de l’actualité ou de l’action communautaire. L’échantillon est de 1000 personnes par pays, sauf au Luxembourg (600) et au Royaume-Uni (1000 en Grande-Bretagne, et 300 en Irlande du Nord). Depuis 1990, 2000 personnes sont interrogées en Allemagne (1000 sur le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est, et 1000 sur celui de l’ex-Allemagne de l’Ouest). D’une façon générale, il faut reconnaître l’utilité des données Eurobaromètre, sans oublier le fait que les objectifs politiques ne sauraient concorder avec les objectifs scientifiques (Duchesne et Frognier, 2003) ; ces données doivent donc être utilisées avec précaution. Par exemple, les résultats présentés comme donnant l’opinion « des Européens » (soit, la moyenne des différentes opinions nationales) tendent nécessairement à mettre l’accent sur les convergences, alors que l’idée même d’une opinion européenne reste problématique. Le fait est que les résultats présentés par l’Eurobaromètre ont souvent l’inconvénient de considérer comme résolue la question qui est pourtant au cœur de la construction européenne : l’existence de grilles de lecture communes, permettant d’agréger des réponses dont on est sûr qu’elles sont interprétées de la même manière. Les quatre indicateurs standard de l’Eurobaromètre mesurent le soutien à la Communauté (soit, être favorable aux efforts réalisés pour unifier l’Europe occidentale ; penser que l’appartenance à l’Union Européenne est une bonne chose ; penser que son pays a bénéficié de son appartenance à la Communauté Européenne ; éprouver de grands regrets en cas de retrait de la Communauté

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Européenne). Il s’agit de formulations larges, et donc a priori consensuelles. Comme le remarquait Dominique Wolton, « le fait de voir s’unir des pays naguère ravagés par les guerres suscite assez naturellement l’adhésion d’une écrasante majorité. (…) l’adhésion à l’idéal européen (les quatre indicateurs standard) devient beaucoup moins claire lorsqu’il s’agit de questions précises qui mettent immédiatement en cause les identités nationales. » (Wolton, 1993, p. 289). Malgré le volontarisme de l’Eurobaromètre en ce qui concerne l’harmonisation européenne des opinions – orientant l’idée bruxello-centrique d’une nécessaire opinion européenne à venir –, les questions qui concernent l’identité nationale ne sauraient, elles, être considérées comme consensuelles. Elles révèlent au contraire des différences, dont la stabilité au-delà des soubresauts liés aux événements et autres échéances politiques ne laisse guère de doute sur le poids et l’importance de l’empreinte nationale. L’intérêt des séries chronologiques de l’Eurobaromètre réside dans la mise au jour des différences existant entre pays membres, en dépit des lignes de convergence que les commentateurs ont parfois (trop) vite fait d’avancer. Elles fournissent un cadre de référence pour qui cherche à comprendre les rapports entre identité nationale et identité européenne ; par leur caractère régulier, elles sont également une source importante pour l’étude diachronique des identités en Europe, elles aident enfin à percevoir les effets de la construction et de la citoyenneté européennes sur les identifications. 1. – Une décennie de construction européenne Approuvé par les chefs d’Etats et de gouvernement des douze Etats membres en décembre 1991 à l’occasion du Conseil Européen (Sommet) de Maastricht, signé au début de l’année 1992, le Traité vers l’Union Européenne a représenté une étape décisive dans le processus de renforcement des liens existant entre les différents peuples Européens. Il a augmenté le pouvoir politique du Parlement Européen, défini les principes et le calendrier d’installation d’une Union Economique et Monétaire, ainsi que d’une Banque Centrale Européenne. Il prévoyait également l’introduction d’une monnaie unique pour 1999, proposait la création d’une Union Politique Européenne destinée entre autres à amplifier la coopération intergouvernementale dans les domaines des politiques étrangère et de défense, cherchait à développer la collaboration des gouvernements en matière de justice et de gestion

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des affaires intérieures en prévoyant la conclusion d’accords sur la disparition des contrôles aux frontières intérieures, ainsi que sur les questions de l’immigration et du droit d’asile. Le Traité a également fait un grand pas en introduisant la notion de citoyenneté européenne. Il proposait la création d’un espace commun intégré, au sein duquel le citoyen européen jouerait un rôle central. La citoyenneté de l’Union politique européenne est conçue comme un « statut personnel et inaliénable des ressortissants des Etats membres qui, du fait de leur appartenance à l’Union, ont des droits et des devoirs spéciaux, propres au cadre de l’Union, qui s’exercent et sont protégés spécifiquement à l’intérieur des frontières de la Communauté, sans que cela préjuge la possibilité de faire valoir cette qualité de citoyen européen également en dehors des dites frontières. » Le Traité prévoyait entre autres, que tout citoyen de l’Union résidant dans un Etat membre dont il n’est pas ressortissant ait le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et aux élections européennes dans cet Etat, et que sur le territoire d’un pays tiers où son Etat n’est pas représenté, tout ressortissant bénéficie d’une protection diplomatique et consulaire de la part de tout autre Etat membre. Plus que bon nombre d’étapes précédentes sur le chemin de la construction européenne, le Traité de Maastricht a été à l’origine de bien des controverses au sein de la classe politique des Etats membres. Il a même réussi à toucher l’opinion publique et à attirer directement l’attention des citoyens – surtout dans les pays membres du centre et du Nord de l’Europe. Malgré l’importance de cet événement pour l’Europe, les citoyens des pays membres de la Communauté n’étaient que 44 % à déclarer avoir récemment entendu parler du Sommet de Maastricht en mars–avril 1992. Les résultats oscillaient entre 30 % en Italie, et 74 % aux Pays-Bas. Les personnes qui disaient ne pas avoir entendu parler de Maastricht constituaient une majorité absolue en Espagne (63 %), en Italie (62 %), ainsi qu’au Portugal et en Allemagne (51 % dans les deux cas).

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Les trois quarts des personnes qui avaient entendu parler du Traité de Maastricht jugeaient celui-ci « très important » ou « important » (les pourcentages variant de 69 % en Irlande, à 83 % au Portugal). Le Portugal était alors à la présidence de la Communauté, une majorité de Portugais croyait que les effets du Traité seraient positifs « pour leur vie » (51 %), et respectivement 38 %, 37 % et 36 % chez les Espagnols, les Grecs et les Irlandais. Partout ailleurs, une majorité des personnes interrogées (de 29 % au Danemark à 42 % aux Pays-Bas) pensait que le Traité n’aurait aucun effet. En France, le taux de « aucun effet » était aussi élevé que celui de « ne sait pas/sans réponse » (aux alentours d’un tiers dans les deux cas). Il semble donc que les citoyens des pays les plus pauvres de la Communauté étaient aussi ceux qui espéraient le plus une amélioration de leur niveau de vie grâce aux décisions prises à Maastricht. En septembre–octobre 1992, la notoriété de Maastricht était devenue très importante aux yeux des citoyens de la Communauté, cependant beaucoup d’entre eux affirmaient ne pas savoir grand-chose à son sujet1. Un enquêté sur deux estimait que Maastricht avait des effets positifs pour son pays, alors que pour un enquêté sur quatre les effets étaient négatifs, et pour un enquêté sur vingt les effets étaient nuls. Un quart des personnes interrogées qui disaient « Non » à Maastricht disaient « Oui » à l’unité européenne. De même, le marché unique était synonyme d’espoir pour un citoyen sur deux, tandis qu’il était synonyme de crainte pour plus d’un tiers. En France, premier pays dans ce cas, le marché unique était davantage synonyme de crainte que d’espoir : « Moins d’emplois », telle était la préoccupation majeure que suscitait le marché unique, « une trop grande immigration », et la « perte de l’identité nationale » venaient en seconde et troisième positions. Après le retrait de la livre sterling du Système Monétaire Européen et le référendum français de 1992, et alors que la « Communauté Européenne » devenait l’« Union Européenne » à l’occasion de

1 Eurobaromètre standard EB38 (parution en décembre 1992, terrain en septembre – octobre 1992).

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l’entrée en vigueur du Traité de Maastricht au 1er novembre 1993, l’impression d’un déficit de l’information était en hausse en octobre–novembre 1993 (trois citoyens sur quatre, contre deux sur trois en 1992)1. L’appui à l’Union Européenne diminuait et revenait à son niveau du milieu des années 1980. On assista l’année suivante à une stabilisation de l’appui en faveur de l’Union Européenne, pour la première fois depuis la fin de 1991. En 1994, une grande majorité des personnes interrogées considéraient favorablement l’appartenance de leur pays à l’Union Européenne (58 %, contre 12 % d’opinions inverses). Toutefois, seuls quatre citoyens sur dix déclaraient s’intéresser aux affaires européennes, l’intérêt pour la politique en général étant à peine plus manifeste. L’année 1994 marque un tournant décisif dans le processus de la construction européenne. Les élections européennes, chargées de renouveler le Parlement Européen, se déroulaient au cours du mois de juin 1994 et dès la fin de l’année, le choix de la nouvelle Commission et de son Président était effectué pour être ensuite soumis en janvier 1995 à l’approbation du Parlement Européen (tout ceci, en application des nouvelles dispositions du Traité)2. Au 1er janvier 1995, trois nouveaux Etats

1 Eurobaromètre standard EB40 (parution en décembre 1993, terrain en octobre – novembre 1993). 2 Du 9 au 12 juin 1994, les citoyens de l’Union Européenne votaient aux élections européennes pour élire 567 députés à un Parlement Européen élargi et doté d’un pouvoir accru par le Traité de l’Union Européenne. Si la période du débat de Maastricht vit une augmentation assez nette de la notoriété du Parlement Européen dans les médias, la moitié seulement des citoyens de l’Union (52 %) déclaraient, deux mois à peine avant les élections, « avoir récemment entendu quelque chose sur le Parlement Européen » dans les médias. Parmi les personnes ayant l’intention de voter, la majorité estimait que les questions nationales joueraient un rôle plus important que les questions européennes dans leur manière de voter (soit respectivement 55 % contre 37 %), sauf en Hollande où une nette majorité déclarait que les questions européennes prédomineraient lors de leur choix (53 %). Dans les pays les plus grands bénéficiaires per capita de l’aide régionale de l’Union Européenne (Portugal, Espagne, Italie, Grèce), les questions nationales étaient considérées comme extrêmement importantes. D’une manière générale, les citoyens de l’Union Européenne étaient en moyenne aussi insatisfaits à l’égard de la démocratie dans leur propre pays qu’ils ne l’étaient à l’égard de la démocratie dans l’Union (soit respectivement 53 % et 48 % d’« insatisfaits », contre 43 % et 40 % de « satisfaits »). Enfin, la faible participation des électeurs aux élections européennes confirmait le déclin régulier de la participation depuis 1979, année des premières élections européennes.

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membres étaient intégrés dans l’Union : l’Autriche, la Suède et la Finlande. En 1992–93, le soutien de l’opinion publique en faveur de l’Europe a enregistré sa chute la plus spectaculaire. Depuis, la tendance a été à la stabilisation, mais à un niveau plus faible. En juillet 1995, une majorité d’enquêtés déclarait se sentir « de temps en temps » voire « souvent » citoyen européen (60 %), alors que 40 % n’éprouvaient « jamais » ce sentiment1. A l’automne 1995, la situation restait stationnaire ou indiquait des signes de récupération dans de nombreux pays, à l’exception de l’Espagne et du Portugal. La France et l’Allemagne étaient considérées comme les deux pays les mieux préparés à intensifier le développement de politiques européennes communes, tandis que le Portugal et la Grèce étaient les moins prêts à faire ce choix. Alors que la majorité des citoyens était favorable au concept de subsidiarité, plus de la moitié d’entre eux souhaitait que l’Union mène plus d’actions communes dans certains domaines, notamment la coopération avec le tiers monde, la lutte contre le trafic de drogue, ainsi que la recherche et la technologie. Ils estimaient en retour que les questions de sécurité sociale, de soins de santé, d’enseignement et de culture devaient rester dans les attributions des gouvernements nationaux2. En avril–mai 1996, l’appui en faveur de la monnaie unique augmentait sensiblement, 53 % des personnes interrogées se prononçant en sa faveur, bien que le grand public ignorât la date d’introduction de la nouvelle monnaie. Les citoyens européens se sentaient insuffisamment informés sur l’Union Européenne (qu’il s’agisse d’aller vivre, étudier ou travailler dans un autre Etat membre, ou des connaissances générales relatives à l’Union et à ses institutions). Bien que la majorité des personnes interrogées fut très attachée à son pays, la moitié reconnaissait la nécessité d’une citoyenneté européenne. Une prise de conscience des droits fondamentaux associée à la liberté de mouvement était observée, bien que les détails soient encore peu connus.

1 Eurobaromètre Flash EB47, La citoyenneté européenne, juillet 1995. 2 Eurobaromètre standard EB43 (parution en Automne 1995, terrain en avril – mai 1995).

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Influence des facteurs socio-économiques Tout au long de la période analysée, certaines variables ont une influence sur les identités. Les hommes choisissent plus souvent des réponses pro-européennes que les femmes1. Les jeunes sont nettement plus favorables à l’Europe que les personnes âgées – cette différence se maintient à travers tous les groupes d’âge2. Les personnes ayant poursuivi leurs études au moins jusqu’à l’âge de 20 ans ont plus souvent tendance à se sentir Européennes que les personnes ayant quitté l’école avant l’âge de 16 ans3. Les cadres et les employés sont plus souvent favorables à l’Europe que les autres catégories socioprofessionnelles. D’une façon générale, plus le statut social est élevé, plus grande est la probabilité d’être favorable à l’Europe4. Outre les sentiments généralement positifs en ce qui concerne l’Union Européenne, le sentiment d’être citoyen de l’Europe est plus présent chez les hommes, les jeunes, les personnes en cours de scolarité, et celles qui occupent des positions de cadre5. En juillet 1995, les personnes les plus éduquées étaient les

1 Dans l’Eurobaromètre EB46 par exemple, 54 % des hommes se disent Européens, contre 48 % des femmes. 2 Selon l’Eurobaromètre EB46, les jeunes ayant entre 15 et 24 ans se disent plus souvent Européens que les personnes âgées de 55 ans ou plus (58 % contre 40 %). Selon l’Eurobaromètre EB53, les retraités sont les plus susceptibles de s’identifier par leur propre nationalité (54 % d’entre eux), de même que les personnes ayant quitté le circuit d’enseignement avant 15 ans (53 % d’entre elles). 3 Selon l’Eurobaromètre EB46, deux tiers des personnes ayant poursuivi leurs études au moins jusqu’à l’âge de 20 ans se sentent Européennes dans une certaine mesure, contre 36 % de ceux ayant quitté l’école avant l’âge de 16 ans. Selon l’Eurobaromètre EB54, près de trois quart des personnes en cours d’études, 71 % des personnes ayant poursuivi leurs études au moins jusqu’à l’âge de 20 ans, et 69 % des cadres sont les plus enclins à se sentir Européens dans une certaine mesure, alors que les retraités et les personnes ayant quitté l’école avant l’âge de 15 ans sont à l’inverse les plus enclins à ne s’identifier que par rapport à leur nationalité (soit respectivement 50 % et 49 %). 4 Par exemple en avril–mai 2000, les cadres et les personnes ayant étudié au moins jusqu’à l’âge de 20 ans sont les plus susceptibles de se sentir Européennes (trois quart d’entre elles dans les deux cas), alors que les retraités et les personnes ayant arrêté leurs études avant 15 ans sont les plus susceptibles de s’identifier à leur nationalité uniquement (soit respectivement 54 % et 53 %) (Eurobaromètre standard EB53). En mars–avril 2002, trois quart des personnes en cours de scolarité et trois quart des personnes ayant poursuivi leurs études jusqu’à l’âge de 20 ans au moins se sentait Européen dans une certaine mesure, ainsi que 71 % des cadres. A l’inverse, les personnes ayant arrêté leurs études avant l’âge de 16 ans et les retraités étaient les plus susceptibles de s’identifier à leur nationalité (la moitié d’entre elles dans les deux cas) (Eurobaromètre standard EB57). 5 Eurobaromètre standard EB45 (parution en décembre 1996, terrain en février – mars 1996 et avril – mai 1996).

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plus proches du sentiment de citoyenneté européenne, quel que soit le sexe et la catégorie d’âge1. On observe une relation entre les attitudes, les intérêts politiques généraux, et l’opinion en ce qui concerne l’Europe : les personnes intéressées par la politique sont plus souvent pro-européennes2. Il existe également une relation forte entre l’identification à l’Europe et une opinion positive vis-à-vis de l’appartenance du pays à l’Union Européenne. A l’inverse, l’identification nationale est associée à une attitude de rejet de l’Union Européenne, manifeste dans l’opinion selon laquelle l’appartenance du pays à l’Union Européenne est une « mauvaise chose »3. L’examen de l’influence de ces mêmes variables sur les sentiments de fierté nationale et européenne vient compléter ces observations, avec la réserve suivante : de façon inévitable, la signification donnée au phénomène de fierté diffère d’un pays à l’autre. Le sentiment de fierté nationale le plus vif est avant tout le fait des 55 ans et plus, il est plus fréquent chez les personnes de niveau social modeste et de faible niveau de scolarité, alors que les écarts observés selon les caractéristiques sociodémographiques sont relativement faibles4. Toutefois, des différences apparaissaient selon l’âge et le niveau d’éducation, la fierté nationale étant proportionnellement plus faible chez les plus jeunes (15/24 ans) et chez les plus éduqués (personnes ayant poursuivi leurs études jusqu’à l’âge de 19 ans au moins). Il reste que la fierté nationale l’emportait nettement sur la fierté européenne en termes relatifs, ce même parmi les plus jeunes et les mieux éduqués. Le sentiment de fierté nationale reste donc particulièrement fort, quelle que soit la nationalité ; on observe par ailleurs une relation forte entre l’identification nationale et le sentiment de fierté nationale5.

1 Eurobaromètre Flash EB47, La citoyenneté européenne, juillet 1995. 2 Par ailleurs, la conviction politique semble être un indicateur fort : ceux qui se situent politiquement à gauche se déclarent plus volontiers Européens que ceux qui se considèrent de droite (58 % contre 38 %) (Eurobaromètre EB46). 3 En novembre–décembre 2000 par exemple, 78 % des personnes interrogées qui considéraient que l’adhésion de leur pays à l’Union Européenne était une « bonne chose » se sentaient Européennes dans une certaine mesure. A l’inverse, 72 % des personnes qui considéraient que l’adhésion de leur pays était une « mauvaise chose » s’identifiaient à leur nationalité uniquement (Eurobaromètre EB54). En mars–avril 2002, les proportions étaient respectivement de 78 % et 75 % (Eurobaromètre EB57). D’autres indicateurs, tels l’utilisation des médias ou le sentiment d’être informé, montrent qu’une faible utilisation des médias et le fait de se sentir mal informé entraînent de plus forts sentiments d’appartenance nationale uniquement (Eurobaromètre EB46). 4 En juillet 1995 par exemple, les différences entre hommes et femmes étaient faibles en ce qui concerne les attitudes relatives à la fierté nationale (Eurobaromètre Flash EB47, La citoyenneté européenne). 5 Selon l’Eurobaromètre EB52, les cadres, les personnes sans emploi et les personnes ayant poursuivi leurs études au moins jusqu’à l’âge de 20 ans étaient les seuls groupes où moins de huit personnes sur dix se déclaraient « très fières » ou « assez fières » de leur nationalité.

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Plutôt le fait des cadres et des personnes ayant poursuivi des études, l’identification à l’Europe est particulièrement différenciée socialement. Le caractère récent et abstrait de l’identification européenne a peut-être plus d’écho lorsqu’on en maîtrise les enjeux et qu’on y voit des possibilités concrètes pour l’avenir. Concernant le sentiment de fierté européenne, les différences entre hommes et femmes sont faibles ; on observe en revanche une différence significative entre les moins de 25 ans et les personnes de 55 ans ou plus1. 2. – Identité nationale, identité européenne Entre 1992 et 2002, on observe une opposition assez nette entre les pays où le plus grand nombre de personnes interrogées se réfère à l’identité nationale, et les pays où le plus grand nombre privilégie les identités multiples. Ces dernières sont principalement caractérisées par la forme identité ‘nationale puis européenne’, bien que l’on observe également une distinction croissante entre la forme identité ‘nationale puis européenne’ et la forme identité ‘européenne puis nationale’2. A 3 % près, la moyenne des deux formes principales est équivalente : 44 % pour l’identité ‘nationale puis européenne’, et 41 % pour l’identité ‘nationale’ uniquement. En termes de variations, il faut noter que l’identité ‘nationale puis européenne’ est plus stable dans le temps que l’identité ‘nationale’.

1 L’Eurobaromètre EB57 montrait par exemple que plus de deux tiers des personnes interrogées se sentait « assez fier » voire « très fier » d’être Européen parmi les moins de 25 ans, contre 57 % parmi les 55 ans ou plus. L’éducation est un facteur déterminant : 72 % des personnes en cours d’études sont fières d’être Européennes, c’est également le cas de plus de deux tiers des personnes ayant poursuivi leurs études jusqu’à l’âge de 20 ans au moins. En revanche, les personnes ayant quitté l’école avant l’âge de 16 ans sont les moins susceptibles d’être fières d’être Européennes (57 %). En termes de catégorie socioprofessionnelle, les indépendants étaient, toujours selon l’Eurobaromètre EB57, les plus susceptibles d’être fiers d’être Européens (69 %), ainsi que les cadres et les employés (67 % chacun). A l’inverse, les retraités étaient les moins susceptibles d’être fiers (55 %). Enfin, on observait un lien étroit avec le soutien à l’Union Européenne : 80 % des personnes considérant l’appartenance de leur pays à l’Union Européenne comme une « bonne chose » étaient fières d’être Européennes (contre 27 % seulement des personnes la considérant comme une « mauvaise chose »). 2 Les formes d’identité ‘européenne puis nationale’ d’une part, ‘européenne’ d’autre part, ne dépassent jamais quant à elles les 10 %.

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Pour cette dernière, on enregistre 46 points de variation, contre 28 pour l’identité ‘nationale puis européenne’. De même, l’intensité de l’identité ‘nationale puis européenne’ est constante, alors que l’identité ‘nationale’ a perdu 3 points au cours de la période. Ces variations dans la stabilité et dans l’intensité cachent des différences nationales, que nous allons maintenant voir en détail. Nous analyserons plus particulièrement les données de 1992, 1995, 1998, 2000 et 2002, qui correspondent aux variations d’identité les plus significatives1. Le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark, la Suède, l’Autriche, la Grèce, le Portugal et la Finlande sont les pays où le plus grand nombre de personnes interrogées se réfère à l’identité nationale. A l’opposé, les pays où le plus grand nombre se réfère à des identités multiples sont le Luxembourg, la Belgique, l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas. Parmi ces derniers, on distingue les pays privilégiant l’identité nationale (Italie, Espagne, Pays-Bas), et ceux privilégiant l’identité européenne (Luxembourg, Belgique, Allemagne). Par sa position intermédiaire, la France représente le seul pays où les identités nationale et européenne sont équitablement réparties. La stabilité des identités varie également selon les pays. Alors que le Royaume-Uni, la Suède et l’Autriche d’une part, le Luxembourg, l’Italie et la France d’autre part, représentent les pays où le plus grand nombre se réfère respectivement, à l’identité nationale et aux identités multiples, de façon constante. On observe dans le cas des autres pays des variations dans le temps. Au Portugal, en Irlande, aux Pays-Bas, au Danemark et en Finlande, les identités varient sensiblement entre les deux formes principales. En mars–avril 1992, on distingue assez nettement les pays où le plus grand nombre de personnes interrogées se réfère à l’identité nationale et les pays où le plus grand nombre se réfère à des identités multiples2. De ce point de vue, le Royaume-Uni, l’Irlande 1 Soit respectivement les données Eurobaromètre EB37, EB43, EB49, EB53, EB57. L’analyse factorielle des correspondances a été utilisée. Pour plus de détails sur cette technique statistique, voir Annexe I : Analyse factorielle des correspondances. 2 Près de la moitié des personnes interrogées se voyaient comme « (Nationalité) et Européen » (48 %), les Italiens, les Grecs, et les Français étant proportionnellement les plus

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et le Danemark s’opposent à l’Italie, au Luxembourg, à la France, à l’Espagne, et à la Belgique. L’Italie, ainsi que dans une moindre mesure l’Espagne, sont clairement orientées vers des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’, alors que le Luxembourg a des identités multiples de type ‘européenne puis nationale’ (ce qui est aussi le cas de la Belgique). Ici encore, la France ne semble quant à elle accorder de priorité ni à l’identité nationale ni à l’identité européenne. En avril–mai 1995, le Royaume-Uni, la Suède et l’Autriche (ainsi que dans une moindre mesure la Grèce et le Danemark) représentent les pays où l’identité nationale est première1. Le Luxembourg, la France, la Belgique et l’Allemagne sont plutôt orientés vers des identités multiples de type ‘européenne puis nationale’, alors que l’Italie et les Pays-Bas sont nettement orientés vers des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’. Le Portugal, l’Irlande, l’Espagne et la Finlande occupent une position intermédiaire entre identité nationale et identités multiples de type ‘nationale puis européenne’. En avril–mai 1998, le Portugal apparaît nettement comme le pays où le plus grand nombre se réfère à l’identité nationale ; viennent ensuite la Suède, le Royaume-Uni, la Grèce, la Finlande, l’Irlande, l’Autriche et le Danemark2. A l’opposé, le Luxembourg est nettement orienté vers des identités multiples de type ‘européenne puis nationale’, voire vers une identité européenne. Du côté des pays à identités multiples de type ‘nationale puis européenne’, on retrouve l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas, la France continuant d’occuper une position intermédiaire. Enfin, la Belgique est nettement orientée vers des identités multiples de type ‘européenne puis nationale’, c’est aussi le cas de l’Allemagne, quoique dans une moindre mesure. En avril–mai 2000, le Royaume-Uni, la Suède, l’Irlande, la Finlande, la Grèce et l’Autriche représentent les pays où le plus nombreux à s’identifier de la sorte ; à l’inverse, 38 % des Européens se voyaient comme « (Nationalité) uniquement ». Il s’agissait notamment des Britanniques et des Irlandais (Eurobaromètre standard EB37, parution en juin 1992, terrain en mars – avril 1992). 1 Eurobaromètre standard EB43 (parution en Automne 1995, terrain en avril – mai 1995). 2 Eurobaromètre standard EB49 (parution en septembre 1998, terrain en avril – mai 1998).

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grand nombre de personnes se réfère à l’identité nationale1. A l’inverse, le Luxembourg apparaît nettement comme le pays où le plus grand nombre se réfère à l’identité européenne (suivi par la Belgique). L’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas représentent les pays où le plus grand nombre se réfère à des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’. Restent l’Allemagne, plutôt orientée vers des identités multiples de type ‘européenne puis nationale’, et le Danemark et le Portugal qui occupent une position intermédiaire entre identité nationale et identités multiples de type ‘nationale puis européenne’. Enfin, la France représente ici encore le pays où les identités multiples sont le plus équitablement réparties. Enfin, en mars–avril 2002 le Royaume-Uni continue de représenter le pays où le plus grand nombre se réfère à l’identité nationale. Il est toujours opposé au Luxembourg, pays dans lequel le plus grand nombre se réfère à l’identité européenne2. La Finlande, la Suède, l’Irlande, la Grèce, l’Autriche et le Portugal sont proches du Royaume-Uni du point de vue des identités, bien que le Portugal se rapproche des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’. On continue d’observer des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’ en Italie et en Espagne, et des identités multiples de type ‘européenne puis nationale’ en Allemagne. La Belgique et la France occupent une position intermédiaire, bien que la France soit plus proche du type identité ‘nationale puis européenne’, et la Belgique plus proche du type identité ‘européenne puis nationale’. Enfin, les Pays-Bas et le Danemark occupent une position intermédiaire entre les pays où l’identité nationale est dominante, et les pays où les identités multiples de type ‘nationale puis européenne’ sont privilégiées. Comme le suggère l’analyse qui précède, l’évolution des identités ne saurait être interprétée de façon unilinéaire, comme prenant nécessairement le chemin des identités multiples. Dans la mesure où l’identité nationale est le lieu où peut se mesurer et s’interpréter concrètement l’identité européenne, les identités restent dans tous

1 Eurobaromètre standard EB53 (parution en octobre 2000, terrain en avril – mai 2000). 2 Eurobaromètre standard EB57 (parution en octobre 2002, terrain en mars – avril 2002).

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les cas éminemment nationales. On observe au sein de l’Union Européenne autant d’ « identités européennes » qu’il existe d’identités nationales. L’analyse de l’évolution des identités équivaut à analyser l’évolution des formes nationales d’identité, et plus particulièrement à tenter de comprendre la signification de l’identité nationale et des identités multiples observées au Portugal et en France. III. – Identités au Portugal et en France De façon paradoxale, la construction européenne apparaît comme une injonction à affirmer son identité nationale, selon l’idée du « concert des nations ». Dans la mesure où elle encourage une identification et des attitudes favorables, elle doit être questionnée du point de vue de ses effets sur les pays et sur les groupes. Il reste à savoir ce qui peut encourager ces attitudes favorables, s’il s’agit par exemple d’un effet de mode, des conséquences de la citoyenneté européenne, ou encore de celles du développement économique. La construction européenne peut être perçue comme un cadre qui englobe et protège les Etats-nation, ou qui entraîne au contraire une sorte de fuite en avant identitaire, angoissante et incontrôlée. Elle engendre dans tous les cas des ajustements, et l’on peut faire l’hypothèse que ce qui est vrai des pays l’est aussi des groupes. A partir des données European Values et Eurobaromètre, Robert Picht a montré la tendance de chaque échantillon national à invoquer des arguments spécifiques pour justifier l’engagement pro-européen : le renforcement de la démocratie pour la Grèce, la garantie contre l’hégémonie des grands Etats européens pour le Benelux, la modernisation des structures économiques et le développement régional pour l’Espagne et le Portugal, le soutien à la constitution fragile de l’Etat pour l’Italie, le maintien de ses ambitions politiques mondialistes pour la France (Picht, 1994). La signification pour les peuples de l’Union Européenne peut renvoyer à deux dimensions principales : soit une vocation

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internationaliste et universaliste (dans le sens où les valeurs européennes n’auraient de sens qu’universelles), soit une fonction instrumentale, communicationnelle, interne à un espace délimité géographiquement, culturellement et politiquement. Picht a noté que la tendance au maintien du nationalisme sous des formes plus ou moins neuves correspond à un souci de trouver un équilibre entre l’aspiration à l’innovation et à l’élargissement de l’horizon de vie et de mobilité, et à la crainte d’une perte de substance identitaire. La diversité des motivations des comportements à l’égard de l’Europe peut s’interpréter comme autant de stratégies différentes d’optimisation des conditions de vie, ou des modes de fonctionnement des institutions démocratiques nationales. Dans la mesure où la construction européenne et les migrations représentent des facteurs centraux d’évolution des identités (souvent envisagés du point de vue de l’Etat-nation comme menaçant la souveraineté et la cohésion nationales), la signification qui leur est accordée au Portugal et en France peut permettre de comprendre les identités observées dans les deux pays. En France, la combinaison particulière entre identité nationale et identité européenne est à mettre en relation avec le rôle moteur qu’elle occupe, avec l’Allemagne, dans la construction européenne depuis le projet initial. Pour le Portugal, l’intégration européenne est contemporaine de la démocratisation et de la modernisation du pays, facteurs qui se sont traduits par l’accélération de son histoire économique et sociale. De ce point de vue, l’expérience européenne du Portugal n’est pas comparable à celle de la France : pays de la « seconde vague » d’intégration à l’Union Européenne, le Portugal a, en tant que bénéficiaire privilégié des fonds structurels, renforcé ses liens avec l’Europe (et particulièrement avec le voisin espagnol), ce qui de manière indirecte aura contribué à affirmer son identité nationale. L’expérience et la connaissance que les jeunes d’origine portugaise ont du Portugal aujourd’hui est profondément différente de celle des parents, qui ont émigré dans les années 1960. Les migrations questionnent les identités nationales et favorisent l’émergence d’identités multiples. D’un point de vue général, elles

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renvoient aux phénomènes de mobilité sociale et géographique et aux processus d’institutionnalisation. Elles questionnent les pays d’origine et d’installation sur le plan de l’attachement et des loyautés pour plusieurs générations, les différentes formes de relations avec le pays d’origine étant propres à chaque génération. Les migrations renvoient encore à la tension entre culture, territoire, pays d’origine et d’installation. Le fait que les migrants et leurs descendants soient souvent pris entre des logiques nationales, plus ou moins divergentes et plus ou moins complémentaires, donne toute sa signification aux migrations en tant que facteur d’évolution des identités. 1. – Sentiments d’appartenance à l’Europe Ni le Portugal ni la France n’occupent des positions extrêmes en regard des identités. Comme on l’a vu, c’est au Royaume-Uni que le plus grand nombre de personnes se réfère à l’identité nationale, et au Luxembourg que l’identité européenne est la plus affirmée. La France et le Portugal ont néanmoins des identités relativement distinctes, dont la stabilité dans le temps diffère également. Dans les deux pays, les identités nationales et multiples se situent de part et d’autre de la moyenne européenne1. La France représente le pays où le plus grand nombre se réfère à des identités multiples dont les parts nationale et européenne sont équitablement réparties, cette position n’est commune à aucun autre pays membre. Au Portugal, l’identité nationale est dominante, et l’identité européenne fluctuante si l’on en juge par le renforcement de l’identité nationale après une tendance vers des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’2. Si l’identité nationale en France est particulièrement fluctuante dans le temps (62 points de variation

1 La moyenne européenne est de 41 % en ce qui concerne l’identité nationale. La France se situe en-dessous (32 %), et le Portugal au-dessus (49 %). 2 La part des identités multiples de type identité ‘nationale puis européenne’ représente en moyenne 43 %, contre 51 % pour la France (et 44 % pour l’ensemble des pays membres). En France, la part de l’identité européenne est sensiblement plus importante que la moyenne européenne, et nettement plus importante que dans le cas du Portugal.

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pour la période analysée contre 53 points pour le Portugal, et 46 points pour la moyenne européenne), l’identité ‘nationale puis européenne’ est nettement plus stable (23 points de variation seulement, contre 61 points pour le Portugal et 28 points pour la moyenne européenne). La France se caractérise donc par la stabilité des identités multiples, indépendamment des fluctuations de l’identité nationale. A l’inverse, on observe au Portugal une forte interdépendance entre les deux formes d’identités, l’une ayant tendance à varier en proportion inverse de l’autre. Les identités nationale d’une part, ‘nationale puis européenne’ d’autre part, varient assez fortement au Portugal, toute augmentation de l’une entraînant une baisse de l’autre et réciproquement. Jusqu’en 1995, le Portugal tend vers des identités multiples de type ‘nationale puis européenne’, il semble ensuite revenir vers l’identité nationale à partir de 1996. En 1998, date de l’Exposition Universelle, le Portugal enregistre le plus fort taux d’identification nationale parmi l’ensemble des Quinze (62 %). A partir de l’année 2000 et jusqu’en 2002, les identités nationale d’une part, ‘nationale puis européenne’ d’autre part se stabilisent. Néanmoins, le plus grand nombre continue de se référer à l’identité nationale (49 %, contre 32 % pour la France et 41 % pour la moyenne européenne). D’une façon générale, on observe une relation assez nette entre les sentiments d’identité et de fierté nationales. C’est dans les pays où le plus grand nombre de personnes interrogées se réfère à l’identité nationale que la fierté nationale est la plus affirmée, contrairement aux pays où l’on privilégie les identités multiples (pour autant, les identités multiples n’engendrent pas automatiquement chez ces derniers un sentiment de fierté européenne). Tout au long de la période considérée, les sentiments de fierté nationale et européenne étaient plus affirmés au Portugal qu’ils ne l’étaient en France. En décembre 1994 (EB42), le Portugal était nettement associé à l’idée que « la fierté nationale est un devoir pour tout bon citoyen », alors que la France tendait nettement à relativiser la notion de fierté nationale, voire à s’en méfier (« la fierté nationale est dangereuse car elle conduit souvent à un

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nationalisme extrême voire à des guerres »). Le cas du Portugal suggère que la priorité accordée à l’identité nationale n’est pas incompatible avec un sentiment de fierté européenne ; le cas de la France semble quant à lui indiquer que le sentiment d’identité européenne n’entraîne pas nécessairement un sentiment de fierté européenne. On observe par ailleurs une relation entre les sentiments de fierté et d’attachement – qu’il s’agisse des niveaux national ou européen. En juillet 1999 (EB51) et en avril 2001 (EB54), le Portugal était nettement plus attaché au pays et à l’Europe que ne l’était la France ; de même, l’idée de compatibilité entre identités nationale et européenne était plus répandu au Portugal (ceci n’implique pas toutefois dans le cas du Portugal une forte identification à l’Europe). En décembre 1992 (EB38), les idées selon lesquelles d’une part « les identités nationales et européennes sont compatibles », d’autre part « l’Union Européenne protège les identités nationales », et enfin « il existe une identité culturelle européenne partagée par tous les Européens » rencontraient des échos plutôt favorables au Portugal, et plutôt réservés en France. Par rapport au sentiment de citoyenneté, les positions de la France et du Portugal étaient relativement distinctes : on observait en France une différence entre les sentiments de citoyenneté et d’identité. En juin 1992 (EB37), le sentiment d’être citoyen européen était supérieur au sentiment d’être Européen ; à l’inverse, les sentiments d’être « quelquefois » citoyen européen d’une part et « quelquefois » Européen d’autre part étaient équivalents au Portugal. Enfin, en décembre 1996 (EB45), la France se distinguait par une répartition assez équitable entre les sentiments de citoyenneté européenne, du pays et de la région, alors que le Portugal accordait une préférence aux sentiments de citoyenneté du pays et de la région. Le tableau 1 résume les positions du Portugal et de la France.

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Tableau 1. – Synthèse des positions du Portugal et de la France. Portugal France

Sentiments relatifs à la citoyenneté : - Identité européenne - Citoyenneté européenne - Citoyenneté (UE, pays, région)

« Quelquefois » « Quelquefois » « Pays » / « Région »

« Jamais » / « Quelquefois » « Quelquefois » « Union Européenne » / « Pays » / « Région »

Identité nationale et européenne Compatibilité identité nationale et européenne Perceptions à l’égard de l’Union Européenne Identité culturelle européenne (existence d’une)

Identité nationale « Compatible » « L’Union protège les identités » « Ne sait pas » / « Plutôt d’accord »

Identités multiples, position intermédiaire entre les types ‘nationale puis européenne’, et ‘européenne puis nationale’ « Compatible » / « Perte » « L’Union protège les identités » / « L’Union est la fin des identités » « Pas du tout d’accord » / « Assez peu d’accord »

Fierté nationale Opinion concernant la fierté nationale Fierté européenne

« Très fier » / « Assez fier » « La fierté nationale est un devoir pour tout bon citoyen » « Très fier » / « Assez fier »

« Assez fier » / « Assez peu fier » « La fierté nationale est dangereuse car elle conduit souvent à un nationalisme extrême voire à des guerres » « Assez peu fier » / « Ne sait pas »

Attachement au pays Attachement à l’Europe

« Très attaché » « Très attaché » / « Plutôt attaché »

« Plutôt attaché » / « Pas très attaché » « Pas très attaché »

Les sentiments d’identité et de citoyenneté européennes n’évoluent pas dans le même sens : si la citoyenneté européenne est partagée par tous les citoyens des pays membres, le sentiment d’identité européenne est loin d’être uniforme. Les différences nationales observées au sein de l’Union en regard des identités renvoient à ce que l’on pourrait appeler un « esprit national » – par ailleurs bien difficile à définir. Sans vouloir réifier ces différences ni en faire des réalités immuables, on peut constater la relative stabilité dans le temps des identités ; ces dernières correspondent bien en dernière instance à des formes nationales d’identité (à défaut de n’être que nationales). Par conséquent, le sentiment d’identité européenne ne saurait être interprété sans référence au contexte national dans lequel il s’incarne, une identification à l’Europe détachée du contexte national – donc abstraite – restant difficile à concevoir. On comprend que les significations attribuées à

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l’appartenance européenne puissent être elles-mêmes multiples, il y a bien en ce sens des manières nationales d’être Européen. Un des ressorts majeurs de l’intégration européenne est justement de questionner les identités nationales. Bien que d’une façon générale, les évocations spontanées de l’Europe tendent, au-delà d’une définition géographique, à mettre l’accent sur la dimension historique et culturelle, il existe inévitablement des tendances à la différenciation. En 2001, une enquête qualitative concernant (entre autres) les perceptions de l’identité et les sentiments d’appartenance des pays membres à l’Union Européenne relevait l’existence d’une ligne de clivage Nord–Sud dans les évocations spontanées de l’Europe, plus précisément entre un « très grand Sud » et un « Nord très restreint »1. Dans un petit nombre de pays situés dans la partie Nord de l’Europe (Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark et Suède), l’idée de proximité culturelle ou celle de racines communes était peu valorisée, l’existence d’un ciment historique et culturel commun étant moins présente dans les esprits. Il régnait au contraire une conviction de la supériorité ou de la spécificité du modèle de société, avec ses valeurs propres, et dans l’ensemble peu propice au partage avec d’autres pays – ces derniers pouvant être ressentis comme menaçants. Au Royaume Uni (dont beaucoup de personnes interrogées refusaient même de se considérer comme Européens), aux Pays-Bas, au Danemark et dans une moindre mesure en Suède, l’empathie pour les autres Européens était plutôt faible, notamment pour les Européens du Sud avec lesquels la distance psychologique était perçue comme grande, et envers qui s’affichait même assez ouvertement une forme de mépris (« absence de sérieux, de sens de l’effort, d’ordre »). De son côté, le « très grand Sud » (comprenant une grande majorité des pays européens, membres ou candidats, géographiquement au Sud mais aussi au centre ou à l’Est du continent), fortement conscient de l’existence d’un ciment culturel, voyait d’abord dans

1 Eurobaromètre, Perceptions de l’Union Européenne, attitudes et attentes à son égard. Etude qualitative auprès du public des quinze Etats membres et de neuf pays candidats à l’adhésion, Rapport général, juin 2001.

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l’Europe une entité historique, une terre de culture, de brassages et d’échanges constants au fil des siècles. Les citoyens de ces pays ressentaient plus ou moins spontanément l’unicité d’un modèle reposant fondamentalement sur des valeurs culturelles et humanistes. Ce modèle se définissait dans l’opposition vis-à-vis des Etats-Unis, dont la mentalité collective était ressentie comme très différente, et qui pour certains pays suscitaient une critique caricaturale (« peuple sans histoire, matérialiste, dépourvu de valeurs culturelles et humanistes »). C’était le cas en France et en Allemagne, mais plus encore en Grèce et en Espagne. Une forme d’empathie pour les autres Européens se manifestait plus ou moins spontanément, même lorsque l’on connaissait mal ces derniers, qu’on leur prêtait des défauts ou des manières de voir différentes. La force du lien culturel était particulièrement ressentie dans les pays latins, en Belgique et au Luxembourg. Elle l’était un peu moins chez les Allemands qui, tout en aspirant à l’« européanité », étaient en même temps plus sensibles aux disparités, de même que chez les Irlandais qui tendaient à se sentir un peu coupés des autres par leur insularité et leur faible connaissance des langues des autres pays, et enfin chez les Finlandais, un peu enclavés à l’extrême Nord–Est du continent. Concernant la France, l’étude montrait que les évocations spontanées à propos de l’Europe étaient d’abord relatives à l’Union Européenne, c’est-à-dire à cette entité politico-économique qui rassemble des pays de cultures diverses dans le but de contrer les Etats-Unis et le Japon. Cette entité comportait un ensemble d’aspects dont certains concernent plus ou moins directement les citoyens, et dont la réalisation est inégalement avancée (échanges économiques et financiers, monnaie commune, politique de défense, sécurisation par la fin des conflits intra-européens, abolition des frontières, libre circulation des personnes, mélange des cultures,…). Perçue tout d’abord comme complexe et lointaine, l’Union Européenne apparaissait comme étant principalement économique, produisant des réglementations uniformisantes pouvant porter atteinte aux traditions nationales. Lorsqu’ils étaient évoqués, les aspects positifs renvoyaient à la dimension

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pragmatique de l’Union Européenne : échanges et voyages facilités grâce à la monnaie unique, possibilité de s’établir dans un autre pays pour y travailler, etc. Toujours selon cette étude, les Français se sentaient plus proches de certains Européens que d’autres (des latins et des francophones notamment). En France, le sentiment d’être Européen existe subsidiairement au sentiment national, il renvoie (surtout aux yeux des catégories moyennes–supérieures) à la conscience de racines communes, d’habitudes, de modes de vie et de modes de pensée. Dans les milieux socio-économiques moyens–inférieurs (où la connaissance d’autres langues que le français est faible), le sentiment d’appartenance est plus timide, les mentalités et les langues différentes apparaissant comme des obstacles à un échange véritable et à la compréhension mutuelle. Au Portugal, l’étude montrait que « Union Européenne » et « Europe » étaient considérés comme pratiquement synonymes. Les Portugais évoquaient spontanément l’Union Européenne comme facteur principal des évolutions positives du pays, ainsi que comme cadre naturel dans lequel s’inscrit son avenir. Pour nombre de Portugais, l’entrée du Portugal dans la Communauté a signifié l’entrée dans la modernité et la reconnaissance d’un pays qui, bien que géographiquement européen, était resté sur tous les autres plans à l’écart de ses voisins. L’Europe était loin de se réduire à la seule dimension géographique aux yeux des Portugais : elle était avant tout un ensemble historique, culturel, politique et économique, fait de relations et d’échanges entre les pays qui la composent. Bien qu’ils se sentent d’abord Portugais, les Portugais se sentaient aussi Européens, que ce soit dans les catégories socio-économiques moyennes–inférieures ou dans les groupes moyens–supérieurs. Les Portugais ne percevaient pas l’Europe comme une entité en opposition avec leur pays, pas plus qu’elle ne représentait à leurs yeux une menace pour leur identité nationale. Ils se sentaient certes plus proches, par leur culture et leur style de vie, des Européens du Sud (Espagnols, Italiens, Grecs, Français méditerranéens) que des Européens du Nord, mais ils n’érigeaient pas de barrières. Ils

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avaient conscience des écarts existant entre le Portugal et les pays plus développés sur le plan économique et social (salaires, retraites, infrastructures, efficacité et productivité économique). Toutefois, ces écarts n’étaient pas perçus comme des fossés infranchissables, les Portugais formulant clairement le vœu d’un rapprochement plus grand sur tous les plans, dans un contexte général d’optimisme. Les sentiments d’appartenance de la France et du Portugal à l’Europe selon cette étude ne font pas de doute. Un sentiment de proximité culturelle unit par ailleurs spontanément les deux pays comme faisant partie d’un « grand Sud ». Néanmoins, les attitudes vis-à-vis de l’Europe sont très différentes ; elles renvoient à une perception nationale des enjeux de l’appartenance européenne. La France voit d’abord en l’Europe une entité politique et économique permettant de contrer les Etats-Unis et le Japon dans la bataille économique. Cette entité apparaît comme plutôt complexe et lointaine, pouvant porter atteinte aux traditions nationales. Au Portugal, l’Union Européenne est vue comme le principal facteur de l’évolution que le pays a connu, l’entrée du Portugal dans la Communauté Européenne étant pour nombre de Portugais synonyme d’entrée dans la modernité. Les enjeux de l’appartenance européenne sont différents, il est normal qu’ils soient perçus différemment. Chacun à leur manière, la France et le Portugal suggèrent une indépendance entre identités et attitudes vis-à-vis de l’Europe. L’identité nationale au Portugal n’empêche pas une attitude positive vis-à-vis de l’Europe, repérable dans l’idée que les identités européenne et nationale ne sont pas incompatibles entre elles, que la construction européenne ne représente pas spécialement une menace pour l’identité nationale, et plus généralement, dans cette conscience très nette des conséquences positives que l’intégration européenne a eu sur le développement du pays. En d’autres termes, la perception positive des enjeux économiques de l’intégration européenne ne menace aucunement l’identité nationale, elle peut au contraire la conforter voire même la renforcer. Le cas de la France suggère quant à lui qu’une

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combinaison d’identités nationale et européenne peut s’accompagner d’une attitude critique vis-à-vis de l’Europe, repérable dans la perception de la construction européenne comme une menace potentielle pour l’identité nationale, dans l’idée que les identités nationale et européenne ne sont pas compatibles et que l’une finira par remplacer l’autre, ou encore dans la critique d’une Europe abstraite et technocratique, éloignée des préoccupations quotidiennes des citoyens. La France et le Portugal se distinguent autant du point de vue des identités que de celui des attitudes vis-à-vis de l’Europe. Les deux pays ont des réponses différentes à la question de la compatibilité entre identité européenne et identité nationale, ainsi qu’à celle de la signification de l’appartenance européenne et de ses enjeux. Toutefois, leurs positions distinctes en regard des identités et des attitudes vis-à-vis de l’Europe ne sont pas extrêmes. Le tableau 2 résume la position de la France et du Portugal par rapport aux positions extrêmes du Royaume-Uni et du Luxembourg. Le Portugal cumule une priorité nette accordée à l’identité nationale avec une attitude critique voire négative vis-à-vis de l’Europe, la France cumule des identités multiples à forte composante européenne avec une attitude positive à l’égard de l’Europe. Dans ce cadre, le Portugal se rapproche du Royaume-Uni par le fait que le plus grand nombre de personnes se réfère à l’identité nationale, tout en étant proche du Luxembourg par son attitude positive vis-à-vis de l’Europe. La France est proche du Luxembourg par ses identités multiples, mais proche également du Royaume-Uni pas son attitude critique voire négative à l’égard de l’Europe. Tableau 2. – Attitudes vis-à-vis de l’Europe et identités (Royaume-Uni, France, Portugal, Luxembourg).

Identité nationale Identités multiples Attitude critique/négative vis-à-vis de l’Europe Attitude favorable/positive vis-à-vis de l’Europe

Royaume-Uni Portugal

France Luxembourg

La relative indépendance entre identités et attitudes à l’égard de l’Europe observée en France et au Portugal suggère que les deux dimensions répondent à des logiques différentes ; on ne peut donc

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considérer l’une comme la conséquence de l’autre. Plus fondamentalement, les identités renvoient à une dimension historique que la seule question des attitudes à l’égard de l’Europe ne saurait résumer (bien que l’identité nationale prenne dans bien des cas le sens d’une réaction contre la construction européenne perçue comme menaçante). A la différence du Royaume-Uni avec lequel il partage une préférence pour l’identité nationale, le Portugal ne voit pas dans la construction européenne une menace pour son identité nationale, pas plus d’ailleurs que cette dernière ne constitue un obstacle à une attitude positive à l’égard de l’Europe. Le Portugal est ancré à la fois dans une identité nationale forte et dans une attitude favorable à l’égard de l’Europe. Probablement, les effets de l’intégration européenne, largement perçus comme positifs, auront renforcé son identité nationale. Dans ce contexte, il faut rappeler que l’identité nationale au Portugal a d’abord constitué un puissant facteur de cohésion interne, notamment contre le voisin espagnol (Bourdon, 1994 ; Mattoso, 1998). L’intégration européenne a bien davantage signifié un développement économique sans précédent qu’une volonté d’en finir avec les excès du nationalisme. La France est quant à elle ancrée dans des identités multiples, sans que les identités européenne et nationale ne soient pour autant perçues comme compatibles. On s’en souvient, le référendum sur le traité de Maastricht a divisé l’opinion. Le pays apparaît partagé quant à son identité nationale, et partagé également quant à son identité européenne. Alors que pour des raisons historiques évidentes, la France a – comme l’Allemagne – appris à se méfier des identités nationales, la construction européenne continue de lui apparaître comme une menace pour la souveraineté nationale. Avant d’explorer la relation entre les identités et l’expérience spécifique du Portugal et de la France en matière de migrations, il faut tenter de préciser comment les spécificités nationales que l’on vient d’analyser trouvent un prolongement dans la comparaison des attitudes à l’égard de l’appartenance européenne chez les jeunes français et les jeunes portugais.

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Jeunes français et jeunes portugais En 1997 et en 2001, l’Eurobaromètre menait une enquête sur les jeunes européens de 15 à 24 ans. Les résultats viennent préciser certains aspects relatifs aux significations de l’Union et de la citoyenneté européennes auprès des jeunes, ainsi que la perception des apports de l’Union Européenne et de ses domaines d’action1. Chez les jeunes français, la signification de l’Union Européenne renvoyait avant tout à la « liberté de mouvement », et ensuite à la « recherche d’une paix durable ». Elle était principalement associée, chez les jeunes portugais, à des préoccupations d’ordre économique (« une façon de créer un meilleur futur pour les jeunes », « un moyen pour améliorer la situation économique »)2. En revanche, les significations de la citoyenneté européenne étaient assez faiblement différenciées. Elles renvoyaient tout d’abord au « droit de travailler n’importe où dans l’Union Européenne », « au droit de s’installer de manière permanente n’importe où », et au fait de « pouvoir aller étudier dans n’importe quel pays de l’Union Européenne », ce quelle que soit la nationalité3.

1 L’enquête Les jeunes européens de 1997 (Eurobaromètre EB47.2, parution en juillet 1997, terrain en avril–juin 1997), portait sur un échantillon de 9400 personnes de 15 à 24 ans, soit 600 personnes dans chaque pays membre, et 1200 en Allemagne (600 à l’Ouest et 600 à l’Est). L’enquête de 2001 (Eurobaromètre standard EB55, parution en octobre 2001, terrain en avril–mai 2001) portait, en plus de l’échantillon normal (soit environ 1000 personnes par pays membre, dont 16 % ayant entre 15 à 24 ans), sur un sur-échantillon d’environ 600 personnes de 15 à 24 ans, interrogées dans chaque Etat membre. Sur les attitudes des jeunes portugais à l’égard de l’identité nationale et de la citoyenneté européenne, voir également Fernandes (1998), et Pais (1999). 2 Les variations selon les caractéristiques socio-démographiques montraient que la « liberté de mouvement » était choisie par 38 % des étudiants et des jeunes ayant poursuivi leurs études au-delà de l’âge de 15 ans, contre 27 % seulement des jeunes ayant arrêté leurs études. Les actifs et les étudiants s’opposaient clairement aux non-actifs et aux non-étudiants, en ce qu’ils optaient davantage pour la « liberté de mouvement » (soit respectivement, 34 % et 38 %, contre 27 %). De même, l’« amélioration de la situation économique » faisait surgir des différences entre les jeunes n’ayant pas poursuivi leurs études au-delà de l’âge de 15 ans d’une part (26 %), et ceux les ayant poursuivies ainsi que les étudiants d’autre part (39 % dans les deux cas). Les actifs étaient moins enclins que les étudiants à choisir cette signification (31 %). 3 D’une manière générale, les jeunes ayant poursuivi de longues études et les étudiants accordaient un crédit plus grand à chacun des droits considérés.

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En 1997, il était demandé aux jeunes européens d’imaginer quels seraient dans dix ans les apports de l’Union Européenne. Ces derniers étaient nettement liés à la liberté de mouvement et de circulation au sein des Etats membres. Près de la moitié des jeunes estimaient que la levée des barrières, qui freinaient les voyages ou constituaient des obstacles à aller étudier ou travailler dans un autre Etat membre, représentait une réalisation concrète de l’Union Européenne1. Les jeunes français et les jeunes portugais se situaient de part et d’autre de la moyenne européenne. Dans des proportions nettement supérieures à la moyenne européenne, les deux apports principaux de l’Union Européenne étaient, pour les jeunes français, « plus de facilité pour voyager, étudier, travailler et vivre partout en Europe », et « l’usage de l’Euro comme monnaie unique ». Les jeunes portugais placaient nettement au-dessus de la moyenne européenne « une meilleure qualité de vie pour la plupart des gens ». La priorité accordée à la liberté de mouvement chez les jeunes français s’opposait donc à l’accent mis sur la situation économique, dans le cas des jeunes portugais2. Concernant la perception des domaines d’action de l’Union Européenne, les jeunes français et les jeunes portugais de même que l’ensemble des jeunes dans tous les pays membres, considéraient en priorité « l’emploi » et « la protection de

1 L’analyse des variables socio-démographiques montrait que l’apport de l’Union Européenne dans le fait de faciliter les voyages, le fait d’aller étudier, travailler ou s’installer dans un autre pays membre, était d’abord perçu par les personnes ayant poursuivi des études plus longtemps et par les étudiants. 2 Toutefois, l’argument « plus de facilité pour voyager, étudier, travailler et vivre partout en Europe » arrive en seconde position chez les jeunes portugais. Les apports de l’Union Européenne étaient ensuite, par ordre décroissant d’importance : « plus d’égalité entre hommes et femmes », « l’usage de l’Euro comme monnaie unique en Europe », « plus de chances pour les gens comme moi de trouver un emploi », et « moins de discrimination envers les étrangers et les personnes d’autres cultures ou groupes ethniques ». Chez les jeunes français, les apports étaient bien différents : « plus de chances pour les gens comme moi de trouver un emploi », « moins de discrimination envers les étrangers et les personnes d’autres cultures ou groupes ethniques », et pour les aspects négatifs, « plus de difficultés pour prendre des décisions parce que plus de pays seront membres », « davantage de problèmes sociaux (licenciements, grèves, conflits...) », et « un taux de chômage plus élevé ».

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l’environnement » comme domaines d’action prioritaire dans les dix années à venir1. Outre les spécificités nationales associées à l’appartenance européenne et leur signification auprès des jeunes, il importe d’explorer la relation entre les identités et l’expérience spécifique du Portugal et de la France en matière de migrations. 2. – Emigration portugaise Traditionnellement terre d’émigration, le Portugal connaît depuis quelques années une immigration relativement importante et d’horizons diversifiés (notamment africaine, brésilienne et d’Europe de l’Est) – signe de son intégration européenne et du développement économique qui en a découlé2. Le pays continue néanmoins d’être marqué par le caractère « structurel » de son émigration (Marcadé, 1988) : 10,2 millions de Portugais vivent au Portugal, alors qu’une proportion équivalente à près de la moitié de la population réside à l’étranger (4,5 millions, soit 30 % de la population portugaise totale). L’identité nationale trouve un prolongement par-delà les frontières territoriales, dans les Communautés Portugaises résidant à l’étranger.

1 Les jeunes français plaçaient ensuite, en troisième position « la recherche et le développement dans de nouvelles technologies d’information », puis « la sécurité sur le lieu de travail/la santé publique », « la liberté d’aller étudier, vivre et travailler où l’on veut dans l’Union Européenne », « l’éducation et la formation », « la protection des travailleurs », « la lutte contre la criminalité », « le logement », « l’égalité des chances c’est-à-dire pas de discrimination basée sur le sexe, la race, un handicap, etc. ». Pour les jeunes portugais, l’ordre était sensiblement différent : ils plaçaient en troisième position « l’éducation et la formation », puis « la sécurité sur le lieu de travail/la santé publique », « la recherche et le développement dans de nouvelles technologies d’information », « le logement », « la liberté d’aller étudier, vivre et travailler où l’on veut dans l’Union Européenne », « la protection des travailleurs », « la lutte contre la criminalité », « l’égalité des chances c’est-à-dire pas de discrimination basée sur le sexe, la race, un handicap, etc. ». 2 Ainsi, le nombre d’étrangers au Portugal a doublé entre 2000 et 2002, passant de 209 102 à 419 806 (soit 238 746 ayant un permis de séjour, et 181 060 ayant obtenu une autorisation de séjour provisoire lors de l’application de la législation de régularisation des étrangers qui s’est déroulée de janvier 2001 à mai 2002 – 60 % des régularisés étaient des immigrés d’Europe de l’Est, notamment Ukrainiens) (Pereira-Ramos et Diogo, 2003).

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Avec des liens forts maintenus dans l’émigration, le Portugal se rêve en Etat transnational : les Communautés Portugaises deviennent des « diasporas », les enfants de migrants des « lusodescendants », et potentiellement des « ambassadeurs du Portugal » (Hily et Oriol, 1993). L’émigration tend à prendre une signification nouvelle, son importance symbolique renvoyant à une re-définition du Portugal dans le monde à l’heure européenne. Inscrit dans des appartenances multiples – l’Europe et la lusophonie (Moreira, 2000) –, le Portugal n’affirme pas moins son identité nationale1. Il faut tenter de comprendre la relation entre identité nationale et migration dans le contexte européen, et selon l’hypothèse de l’injonction identitaire. Cette dernière part du constat que la construction européenne n’est pas un facteur d’identification suffisamment fort pour qu’il y ait transfert ou déplacement de légitimité du national vers l’européen. Elle suggère que la construction européenne favorise et encourage une recherche d’identité nationale cohérente, spécifique et compatible avec les identités des autres pays membres. Dans le contexte de l’Europe des langues, des échanges et de la mobilité, l’ouverture du Portugal sur la lusophonie deviendrait une ressource symbolique forte du discours identitaire national (Faria, 1992), dont l’interaction avec les reconfigurations d’identités au sein de populations transplantées ne se limite pas à la problématique diasporique. La dimension 1 Comme l’a expliqué Albert-Alain Bourdon : « De tous les pays d’Europe, le Portugal a été le premier à réaliser son unité nationale et à fixer des limites territoriales qui n’ont pour ainsi dire pas changé depuis le milieu du XIIIe siècle. (…). Il fut encore le premier aux XVe et XVIe siècles, à se lancer sur les océans pour découvrir de nouvelles routes de commerce et fonder des empires d’outre-mer. (…). Le Portugal (…) a été le dernier pays d’Europe à s’engager dans le processus de la décolonisation. Il est aussi une des dernières nations où se soit constituée une société moderne, tirant ses ressources de l’industrie et non pas seulement du commerce ou de l’agriculture. C’est enfin l’un des Etats où le sentiment national semble encore manifester beaucoup de réticence à sacrifier partie de son indépendance au profit d’organismes supranationaux. Ce dernier caractère qui, dans le cadre clos et isolé de la péninsule ibérique, s’est toujours traduit par un refus obstiné de toute fusion, voire de toute fédération, avec l’Espagne (…). Le Portugal est un des rares Etats d’Europe dont les frontières coïncident avec les limites linguistiques. C’est donc en grande partie la langue qui fait l’unité du pays, et qui, par les idées et les sentiments qu’elle diffuse, assure la personnalité du peuple portugais. » (Bourdon, 1994, p. 7-8). Le lien entre lusophonie et lusodescendance a quant à lui été mis en relief par João Leal (2003).

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européenne prolonge nécessairement l’analyse des interactions entre la (re-)imagination de la nation, l’émergence des politiques d’inclusion (ou d’exclusion) à l’égard des populations déterritorialisées, et les identités en situation de transnationalité. Plutôt que de postuler la fin de l’Etat-nation ou l’avènement du « tout post-national », l’hypothèse de l’injonction suggère donc que l’Etat-nation est entré dans un processus de réinterprétation de l’identité nationale à l’ère de la mondialisation. Dans le cas du Portugal, ce processus s’orienterait vers une combinaison spécifique entre intégration européenne et lusophonie. La relation entre identité nationale et émigration peut être décrite comme un processus d’institutionnalisation du rapport entre le Portugal et ses émigrés, ces derniers devenant symboliquement ici encore, des « ambassadeurs » potentiels de la lusophonie. Le maintien d’un attachement national fort dans l’émigration serait donc relayé par l’institutionnalisation progressive de la relation entre l’Etat et les Communautés Portugaises. Créé en 1996, le Conselho das Comunidades Portuguesas (Conseil des Communautés Portugaises) a été défini comme l’organe consultatif du gouvernement portugais pour les politiques relatives à l’émigration et aux Communautés Portugaises résidant à l’étranger. Le Conseil est composé d’une centaine de membres, élus pour quatre ans par des électeurs inscrits sur les cahiers électoraux dans chaque poste consulaire. Avec quinze élus, la France est le pays le plus représenté, suivie par le Brésil qui en compte quatorze. De façon peu surprenante, la participation électorale a été pratiquement inexistante lors des élections d’avril 1997 et de mars 20031. Quelles que soient les raisons de cette non-participation (l’information n’est diffusée que dans les consulats qui sont aussi les seuls lieux de vote, nombre d’émigrés ignorent même jusqu’à l’existence du Conseil,…), les limites inhérentes aux

1 D’après les résultats fournis par les consulats, 4389 personnes ont voté en France en 1997, et seulement 3650 en 2003, soit respectivement 0,36 % et 0,27 % de l’électorat potentiel. De même, en ce qui concerne les élections européennes, le taux des ressortissants portugais inscrits était l’un des plus faibles parmi l’ensemble des ressortissants communautaires en France : 1,3 % de l’électorat potentiel pour les élections de 1994, et 2,7 % pour celles de 1999 (Strudel, 2001).

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« communautés imaginées » sur une base transnationale et le caractère abstrait de l’engagement du fait de l’éloignement – au sens propre et au sens figuré – apparaissent ici de façon flagrante, au-delà des questions de légitimité et de représentation. De plus, le rôle du Conseil des Communautés Portugaises n’est que consultatif (auprès du Secrétaire d’Etat aux Communautés Portugaises et non auprès du Parlement portugais), malgré les nombreuses attributions qui lui sont conférées1. 1 Le Conseil des Communautés Portugaises a notamment pour vocation de :

- contribuer à la définition d’une politique globale de promotion et de renforcement des liens qui unissent les Communautés Portugaises entre elles et au Portugal, et de politiques spécifiques relatives aux diverses Communautés ;

- apprécier et émettre des opinions qui lui sont sollicitées par le gouvernement portugais sur des domaines relatifs à l’émigration et aux Communautés Portugaises ;

- contribuer à la défense et à l’approfondissement des droits des Portugais et de leurs familles dans les pays d’accueil ;

- contribuer à la défense et à l’approfondissement des droits garantis par la Constitution et par les lois portugaises aux nationaux qui résident et travaillent à l’étranger et à leurs familles ;

- proposer l’adoption de mesures qui visent à améliorer les conditions de vie et de travail des Portugais qui résident et travaillent à l’étranger et leurs familles ;

- accompagner l’action des divers services publics qui ont des attributions dans les domaines de l’émigration et des Communautés Portugaises, pouvant, au travers du membre du gouvernement portugais responsable par la tutelle des sujets relatifs à l’émigration et aux Communautés Portugaises, lui poser des questions, lui solliciter des informations et lui diriger des suggestions ou recommandations ;

- promouvoir et encourager l’associationnisme et intensifier l’articulation entre les diverses organisations des Communautés Portugaises, notamment au travers de réalisation de rencontres, colloques, congrès et autres initiatives qui visent à l’analyse et au débat de thèmes de l’intérêt des Communautés ;

- proposer au gouvernement des modalités concrètes de l’appui aux organisation non gouvernementales de Portugais à l’étranger, comme la création de protocoles avec des entités intéressées, ayant en vue l’exécution de travaux d’investigation, de cursus d’extension universitaire, d’actions de formations et d’échanges d’information ;

- favoriser la divulgation de l’information objective sur la contribution des Portugais à l’étranger pour le développement, comme répercuter les réalisations et les activités développées par les organisations des Communautés Portugaises, notamment sur les aspects sociaux, culturels, économiques, entrepreneuriaux, scientifiques ou autres ;

- coopérer avec les institutions portugaises, publiques et privées, dans le pays ou au niveau de la diaspora, dans la concrétisation d’actions ou projets qui sont considérés utiles pour les Communautés Portugaises à l’étranger ou pour les intérêts portugais ; ou encore dans la promotion d’actions culturelles, sociales ou économiques et l’enrichissement des deux parties ;

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Sur le plan symbolique, l’institutionnalisation de la relation entre l’Etat et ses communautés apparaît comme une série de mesures visant à inscrire les émigrés dans le principe d’allégeance perpétuelle, déjà consacré par la nationalité. En tant que petit pays à forte émigration, le Portugal a tout intérêt à voir dans ses émigrés des « ambassadeurs », à les inclure dans un espace transnational et à se définir lui-même comme un Etat transnational. Parmi ces Etats qui, à l’instar du Mexique, du Cap-Vert ou de Haïti, se sont imaginés transnationaux du fait d’une émigration structurelle importante, la spécificité du Portugal est d’appartenir à l’Union Européenne. De ce fait, l’institutionnalisation participe du processus d’affirmation du Portugal et de sa spécificité, y compris dans le contexte de son intégration européenne. De façon significative, il faut noter à ce titre que nombre d’instances représentatives à des degrés divers de la lusophonie et des Communautés Portugaises ont été créées suite à l’intégration européenne du Portugal. Parallèlement à l’étape fondatrice de l’Europe des citoyens que fut la signature du traité de Maastricht en 1992, les années 1990 sont celles de changements politiques et symboliques importants pour l’affirmation de ce que l’on pourrait appeler l’« exception à la portugaise » : institutionnalisation de la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP), création du Conseil des Communautés Portugaises, création des Rencontres Mondiales de Jeunes Lusodescendants organisées par le Secrétariat d’Etat aux Communautés Portugaises (SECP, anciennement Secrétariat d’Etat à l’Emigration Portugaise), et enfin, décision d’accorder le droit de vote aux élections présidentielles à tous les Portugais quel que soit leur pays de résidence1.

- coopérer avec d’autres organisations de communautés étrangères auprès des pays

d’accueil, notamment avec les communautés de nationaux de pays d’expression portugaise, contribuant ainsi pour la concrétisation de la Communauté des Pays de Langue Portugaise.

Ces informations sont disponibles sur le site internet du Conseil des Communautés Portugaises : http://www.ccp-mundial.org/. 1 L’importance symbolique de la décision d’accorder le droit de vote aux émigrés ne se confond pas avec l’insignifiance de leur participation effective. Comme l’a souligné Robert

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L’identité nationale dans le cas du Portugal n’est pas inscrite dans le seul territoire mais également dans l’existence des Communautés. Aussi peut-on se demander quelle conception de la nation est véhiculée par l’idée de Communautés Portugaises. Au contraire de l’idée d’Etat-nation multiculturel qui souligne l’importance première accordée au territoire et au sol, l’idée d’une nation de communautés se fonde sur les liens du sang et sur la ligne de descendance comme liens primordiaux. Dans la reconnaissance des communautés, ces attributs deviennent centraux – les personnes capables de prouver qu’elles descendent de populations originaires de l’Etat-nation concerné continuant d’avoir des droits et des responsabilités envers le gouvernement de leur terre ancestrale. Selon Nina Schiller et Georges Fouron, « les Etats exportateurs d’émigrés définissent la nationalité par la ligne de descendance et non par le partage d’une langue, d’une histoire politique, d’une culture ou d’un territoire. Le lien entre nation et race, profondément enraciné dans la théorie de l’Etat-nation, devient un attribut nécessaire et suffisant pour définir l’identité nationale dans un contexte de migration transnationale. » (Schiller et Fouron, 2000, p. 42)1. En tant qu’Etat-nation transnational, le Portugal reste marqué par la ligne de descendance et par les liens du sang. On voit alors comment, du point de vue de l’Etat portugais, l’identité nationale en vient à se prolonger dans l’émigration, de génération en génération. Si les liens familiaux sont de l’ordre du privé, ils sont aussi des liens du sang, unissant tous les Portugais. Ils suffisent à définir l’appartenance nationale, indépendamment du lieu de résidence ou de « l’autre » citoyenneté. Dans la mesure où elle encourage paradoxalement l’affirmation des identités nationales, l’intégration européenne semble se traduire pour le Portugal par l’affirmation et la promotion de l’idée de

Dahl, le paradoxe démocratique réside dans la liberté de ne pas disposer de ses droits, alors que l’absence de ces derniers serait insupportable (Dahl, 1994). 1 Sur les rapports entre transnationalisme et globalisation, voir également Kearney (1995) ; sur les rapports entre transnationalisme et institutions, voir Itzigsohn (1999) ; concernant plus particulièrement le Portugal, voir Rocha-Trindade (1999).

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lusophonie, qui en quelque sorte vient se substituer à l’émigration1. De façon significative, un Secrétariat d’Etat aux Communautés Portugaises a remplacé l’ancien Secrétariat d’Etat à l’Emigration Portugaise. Dans les discours politiques adressés aux Communautés Portugaises, le « Portugais–émigrant », héros continuateur des Découvertes, fait enfin partie de l’Union Européenne2. Désormais citoyen européen, il redécouvre sa lusophonie. C’est également toute la dimension transnationale du Portugal qui se réinvente, dans le contexte de l’intégration européenne. A cet égard, la thématique des lusodescendants est révélatrice : plus encore que celle des Communautés Portugaises, elle tend à redéfinir les liens avec l’Etat-nation dont les jeunes issus de l’émigration portugaise se sentent originaires. Sur le plan symbolique, la phase de normalisation qui a suivi l’entrée du Portugal dans l’Europe en 1986 (stabilisation démocratique, développement économique) a connu son apogée en 1998, lors de l’Exposition Universelle organisée à Lisbonne. Sans doute, l’Expo’98 aura contribué à renforcer l’identité et la fierté nationales, dans le concert des nations européennes3. Cette période correspond à une accélération de l’histoire sans précédent, elle marque un processus irréversible et un changement profond dans l’expérience que les descendants de migrants vont avoir du Portugal par rapport à leurs parents. On assiste dans les années 1990 à l’affirmation identitaire des jeunes d’origine portugaise, 1 Si l’émigration portugaise n’a plus le caractère massif qu’elle a connue tout au long des années 1960 et 1970, elle est toutefois loin d’avoir disparu. En ce qui concerne par exemple l’émigration vers la France, le recensement de la population de 1999 révèle que 50 000 entrées sur le territoire ont été enregistrées entre 1990 et 1999. 2 Sur l’importance symbolique de cette transition, voir les travaux d’Eduardo Lourenço (1988, 1994, 1997) ; sur l’idée de transition symbolique, voir Oriol (1985a), et sur ses effets sur le mouvement associatif, voir Hily et Poinard (1985), et Cordeiro et Hily (2000). 3 L’idée que l’identité nationale évolue avec l’intégration européenne est ici clairement illustrée. Comme on l’a vu précédemment avec les sondages Eurobaromètre, on enregistre à partir de 1998 une hausse significative du sentiment d’identité nationale, après l’« état de grâce europtimiste » qui suit l’entrée du Portugal dans la Communauté Européenne et qui aura tout de même duré une douzaine d’années (de 1986 à 1998). On pourra voir dans la réaffirmation de l’identité nationale un « effet Expo’98 », à moins qu’il ne s’agisse, dans le cas d’un pays caractérisé par son « hyper-identité », d’un simple « retour à la normale » (l’expression d’« hyper-identité » est de Lourenço (1994) ; sur la prégnance de l’identité nationale au Portugal, voir également Cruz (1992), et Cunha (1991).

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dont l’engagement associatif voué à la promotion d’un Portugal moderne n’est pas sans effets sur la réélaboration de l’attachement lusodescendant dans le contexte européen. En tant que tel, cet engagement va contribuer à renforcer les liens entre le Portugal et ses Communautés1. La normalisation du Portugal entré dans l’Europe aura donc favorisé une sorte d’ajustement identitaire, entraînant une vision et un rapport nouveaux à la terre d’origine. Pour reprendre les termes de Hily et Oriol (1993), l’Europe devient une « ressource identitaire » forte, qui permet de donner une dimension nouvelle et positive au rapport entre le Portugal et ses émigrés. Par leur intégration dans les pays d’installation, les émigrés, citoyens européens, n’en deviennent que plus Portugais, modernes et cosmopolites. Alors que la citoyenneté européenne vient consacrer dans le droit une mobilité qui était déjà inscrite dans les pratiques, le recours à l’Europe comme un troisième terme vient réconcilier symboliquement le Portugais–émigrant et la terre d’origine, en donnant à la relation une dimension et une perspective modernes. Dans ce contexte, la thématique lusodescendante telle qu’elle s’exprime au cours de la décennie 1990 ne se comprend que dans le rapport à cette nouvelle matrice portugaise, modernisée et européenne, qu’elle aura dans une certaine mesure contribué à renforcer. Le terme lusodescendant en question En novembre 2002, l’Ambassade du Portugal à Paris organisait pour la première fois une Rencontre des Lusodescendants élus dans les municipalités françaises, en présence du Premier Ministre portugais (et futur Président de la Commission Européenne) Durão Barroso, du Ministre des Affaires Etrangères et des Communautés Portugaises António Martins da Cruz, du Secrétaire d’Etat aux

1 En France, l’importance numérique de la présence portugaise a probablement joué un rôle moteur dans le renforcement des liens avec le Portugal. De même, l’engagement des jeunes dans les associations aura contribué à faire émerger la thématique lusodescendante.

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Communautés Portugaises José Cesário, et de la Ministre Française Déléguée aux Affaires Européennes Joëlle Lenoir. La rencontre, qui avait lieu au Sénat, proposait un ensemble de réflexions autour des thèmes : « Mobilisation de la communauté lusodescendante pour la participation civique », « Citoyenneté européenne, dans sa réalité actuelle et future, ainsi que dans la perspective du prochain élargissement de l’Union Européenne », « Coopération municipale entre le Portugal et la France », et enfin, « Expérience de pouvoir local et articulation avec la communauté portugaise ». Parmi les 202 élus portugais et lusodescendants que comptait alors la France, la quasi-totalité avait été élue à peine un an auparavant, lors des élections municipales de 20011. Pratiquement, l’entrée des Portugais dans la vie politique française date donc de 2001. Cette entrée s’est faite dans le silence, loin des médias français, comme pour signifier ici encore une spécificité de l’intégration de la communauté portugaise en France, « silencieuse et invisible » (Leandro, 1995a, 1995b ; Cordeiro, 1997)2. Dans ce contexte, l’émergence de la thématique lusodescendante marque indéniablement un effort de visibilité. Littéralement, « lusodescendant » veut dire descendant de Portugais. Le terme renvoie donc à une origine portugaise par définition commune à tous les Portugais, « résidents comme expatriés – et à leur descendance » (Branco, 2000, p. 155). Si au sens littéral, la « lusodescendance » est commune à tous les Portugais, c’est le terme lui-même qu’il faut questionner à partir de ses usages contextuels, comme un objet de la sociologie des catégories sociales. Il importe de distinguer analytiquement, d’une part la réflexion critique sur le terme en tant que tel et ses

1 Soit 91 %, selon l’Ambassade du Portugal. En tout, 88 % avaient un mandat de conseiller municipal. 124 élus participaient à la rencontre au Sénat, soit un peu plus de la moitié de l’ensemble. 2 Toutefois, un ouvrage sous forme de galerie de portraits a été consacré à ces élus, par la journaliste Dominique Dreyfus (2004). Une seconde Rencontre des élus portugais a eu lieu en février 2004, toujours au Sénat.

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déclinaisons, d’autre part le ou les groupes auxquels il se réfère et qui en font l’usage1. Malgré sa prétention à l’universalité (lusodescendant égal tout descendant de Portugais), le terme est peu utilisé au Portugal, hors du contexte spécifique, académique ou journalistique, de l’émigration2. Le terme est en revanche devenu banal dans le contexte de l’émigration, il est victime de son succès. Depuis une dizaine d’années, on a vu apparaître des cours de portugais pour lusodescendants, des associations de jeunes lusodescendants, des rencontres européennes et mondiales de jeunes lusodescendants. Dans la presse portugaise destinée aux émigrés (Lusitano, O Encontro, Elos), le terme est peu à peu devenu un synonyme à la mode de « seconde génération » (segunda geração). Pourtant, le terme reste peu connu : renverrait-il à une identité défensive ? L’identité défensive prend sa source dans les phénomènes d’exclusion et de racisation, comme l’a montré Manuel Castells (1999). Or, la continuité de l’affirmation d’une identité portugaise dans l’émigration n’est pas liée à de tels phénomènes. Dans la plupart des contextes d’utilisation du terme lusodescendant, il y a indéniablement un élément d’affirmation, une appropriation qui renvoie à un besoin de nouveauté et de différenciation. La thématique lusodescendante et son utilisation est une thématique identitaire, d’appartenance et de référence. Dans une interview accordée à l’hebdomadaire Lusitano du 27 novembre 1999, Rita Ferro Rodrigues, présentatrice sur RTPi du programme Sub–26, se fait le relais de cette thématique identitaire. Elle déclare tenter dans ses émissions, de « rapprocher les lusodescendants du Portugal », et pense avoir une « perception

1 A ce niveau d’analyse, il suffit de considérer comme lusodescendant celui qui se dit tel, ou qui est considéré comme tel. 2 Lors de la Deuxième Rencontre Européenne des Jeunes Lusodescendants (août 1999) organisée en Algarve par la Coordination des Collectivités Portugaises de France, le Secrétaire d’Etat à la Jeunesse portugais pariait, dans son discours de bienvenue, que si l’on demandait aux gens dans la rue qu’est-ce qu’un lusodescendant, la plupart répondrait probablement « c’est un fils d’émigré ». En 2000, l’émission Sub-26 de la chaîne RTPi (Radio e Televisão Portuguesa internacional) réalisait justement un reportage sur le sujet et posait la question à de jeunes portugais dans les rues de Lisbonne. Perplexes pour la plupart, l’un d’entre eux hasardait enfin : « c’est un enfant d’émigré, non ? »

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actuelle des types de culture qui peuvent intéresser les lusodescendants qui, à part les distances, parlent la même langue ». La présentatrice entend « aider les lusodescendants à se sentir plus proches de leur pays et de la réalité dans laquelle ils vivent », ou encore « aller à la rencontre des réalités des lusodescendants, (avec) un programme qui soit en accord avec les attentes, les angoisses et les ambitions des lusodescendants ». Évoquant le courrier des téléspectateurs, elle déclare : « le feed-back reçu de leur part est énorme » ; il est « extraordinaire de voir à quel point les Communautés Portugaises sont dispersées dans le monde entier ». Enfin, elle ajoute : « l’idée de l’émigrant – je n’aime pas ce terme –, de Portugais de première génération vivant à l’étranger, n’a rien à voir avec les lusodescendants. Les Portugais ne le savent pas. Ils continuent avec la même idée, primaire et erronée, des lusodescendants, ce qui montre une certaine ignorance de la part de notre peuple ». Ne pouvant se réduire au simple fait d’être descendant d’émigré, le terme lusodescendant porterait donc un message d’espoir, bien que la conscience de porter un message nouveau se heurte parfois à une certaine incompréhension. En tout état de cause, le recours à la catégorie lusodescendant renvoie bien davantage à une affirmation d’identité qu’à une identité défensive. Au sein du mouvement associatif portugais en France, la thématique identitaire a connu une évolution au cours des années 1990. Avec l’avènement des associations créées par les jeunes, il semble que l’on soit passé de formes d’expression de la « portugalité » à cette identité nouvelle des lusodescendants1. Les termes employés ont leur importance, et une association de « jeunes lusodescendants » ne se confond pas avec une association de « Portugais de France », ou encore de « Portugais en France » – fussent-ils jeunes. Se dire « lusodescendant », « jeune d’origine portugaise » ou « Franco-Portugais » ne renvoie pas aux mêmes stratégies d’appartenance, ni aux mêmes désirs de reconnaissance. Si la terminologie « lusodescendant » suggère une identification

1 Pour ces deux thématiques respectives et leur rapport avec le mouvement associatif en France, voir par exemple Cunha (1988), et La Barre (1997).

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telle à la matrice portugaise que toute appartenance nationale autre est mise au second plan, alors la distance introduite par rapport aux pays d’installation et à l’histoire migratoire des parents doit être interrogée. Ce qui est parfois reproché au terme, et plus ou moins directement à ceux qui l’utilisent pour s’autodésigner, réside justement dans la prétendue intention de « faire l’impasse » sur l’histoire migratoire des parents, et sur la mémoire de l’immigration. Dans le champ des « catégories portugaises », ce ne sont pourtant pas les termes qui manquent. Dans l’hebdomadaire Lusitano par exemple (le « journal des Portugais résidant à l’étranger »), les termes renvoyant à des identités « à trait d’union » sont fréquents : Franco-Portugais, luso–français, luso–américain, luso–canadien, luso–allemand, luso–brésilien ; on trouve encore les expressions de « seconde », voire « troisième génération », ou celles de jeunes d’ascendance portugaise, jeunes d’origine portugaise, jeunes issus de l’immigration portugaise, etc.1 Avec le terme lusodescendant, l’accent est mis sur la proximité (ou la distance selon les cas), sur la continuité ou la rupture, comme le laisse entendre par exemple l’expression « Portugais et lusodescendants » : bien que proches, les lusodescendants sont nécessairement des Autres. A ce niveau exogène d’appellation, le terme renvoie, par-delà la (relative) familiarité, à une extériorité, à une extraterritorialité. Au niveau endogène, le terme peut au contraire renforcer l’idée de descendance directe et des liens du sang. L’étude des processus de catégorisation montre que les niveaux endogène et exogène ne se recouvrent jamais complètement, l’accent pouvant être mis sur la rupture ou sur la continuité. On peut se demander quelle définition objective donner à lusodescendant, autre que l’autodéfinition (il suffirait dans ce cas de considérer comme lusodescendant celui qui se dit tel, ou qui est considéré comme tel, comme on l’évoquait). C’est une difficulté

1 La liste n’est pas exhaustive. Concernant les Communautés Portugaises, citons encore : communautés émigrantes, Portugais de la diaspora, Portugais répartis dans les quatre coins du monde, Communautés Portugaises réparties dans le monde, émigration lusa (emigração lusa), etc.

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assez connue que celle de la dénomination des groupes – ethniques ou autre –, et de leurs frontières (Moerman, 1965 ; Barth, 1969 ; Eriksen, 1993, et concernant plus particulièrement les lusodescendants, Leandro, 2000). En outre, la recherche sur l’ethnicité a relevé que les nouvelles formes d’identification emploient parfois des termes déjà consacrés1. Comme on l’évoquait, se dire lusodescendant, Portugais, ou jeune d’origine portugaise, n’a pas la même signification. Les termes engagent des représentations nationales plus ou moins maîtrisées, ils portent en eux l’empreinte indélébile du national. En admettant qu’une analyse des termes rigoureuse, critique et objective puisse résoudre les ambiguïtés, on ne peut que constater à quel point les catégories de dénomination sont déterminées de façon nationale. A ce titre, les points de vue portugais et français en ce qui concerne l’émigration/immigration portugaise sont nettement distincts. D’un point de vue portugais, la « Communauté Portugaise » équivaut, d’un point de vue français, à la « population portugaise et d’origine portugaise » ; si l’on respecte le critère de mono-nationalité, les « Portugais », d’un point de vue portugais, peuvent être d’un point de vue français, les « étrangers portugais », et selon les cas, les « étrangers portugais immigrés », ou les « étrangers portugais nés en France ». Enfin, les « lusodescendants » d’un point de vue portugais sont, d’un point de vue français, les « Français par acquisition dont la nationalité antérieure est portugaise », ou des « personnes d’origine portugaise ». Ils peuvent encore être, selon les deux points de vue français et portugais, des « binationaux français et portugais », des « Franco–Portugais », ou encore des « luso–français » – ce qui nous rappelle combien il reste difficile de penser et de classer de façon binationale (tableau 3).

1 La question est évoquée par Arjun Appadurai, au sujet d’une catégorie issue du recensement de la population indienne Other Backward Caste (OBC), devenue une ressource d’identification de la part des groupes ainsi désignés (Appadurai, 1993).

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Tableau 3. – Points de vue portugais et français sur quelques catégories de dénomination.

Point de vue portugais Point de vue français « Communauté Portugaise » (1) « Portugais » « Lusodescendants » (6)

« Population portugaise et d’origine portugaise » « Portugais » (2), ou selon les cas, « Immigrés étrangers » (3), ou « Etrangers nés en France » (4) « Français par acquisition » (5), ou « Naturalisés », ou « Personnes d’origine portugaise » (6)

(1) En vertu de la loi de la nationalité portugaise (n° 37/81, 3 octobre), toute personne née d’un parent portugais au moins a droit à la nationalité portugaise quel que soit son lieu de naissance. (2) Cette catégorie fait partie de la catégorie INSEE « Etrangers (UE) » (Recensement de la population de 1999). (3) Soit les personnes nées étrangères à l’étranger et n’ayant pas la nationalité française. (4) Soit les personnes nées en France et n’ayant pas la nationalité française. (5) Soit les personnes devenues françaises par naturalisation, mariage, déclaration ou à leur majorité. Dans le cas où ces personnes sont nées à l’étranger, elles sont aussi « Immigrés français ». (6) Selon les deux points de vue français et portugais, ces personnes sont aussi des « Binationaux français et portugais », « Franco-Portugais », ou encore « luso–français ». Selon qu’il s’agit du point de vue du Portugal pays d’émigration ou de la France pays d’immigration, les termes ne sont pas les mêmes. Cette comparaison serait vaine si elle ne servait à illustrer le fait que toute catégorie de population renvoie plus ou moins explicitement à une conception nationale. Dans la conception portugaise, la question du rapport entre le Portugal et ses Communautés est première. Elle semble vouloir répondre à la question plus ou moins explicite de la perpétuation et du renouvellement d’un sentiment d’appartenance et d’identité dans la migration, à travers les générations. La conception française semble quant à elle illustrer une question qui est au fond commune à tous les pays d’installation : comment les populations issues de l’immigration deviennent-elles – ou sont-elles aussi – Américaines, Brésiliennes, Françaises, etc. ? Quel que soit le point de vue adopté, les deux perspectives devraient être traitées dans leur complémentarité. La thématique identitaire lusodescendante ne saurait être comprise en dehors du contexte de la relation politique, institutionnelle et symbolique existant entre le Portugal et ses Communautés. De même, les communautés dont il est ici question ne prennent leur sens que dans la mesure où elles s’inscrivent dans

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une extraterritorialité par rapport au Portugal, donc par définition dans les pays d’installation. Ceci renvoie également à la spécificité de l’émigration portugaise, dans laquelle des liens ont effectivement été tissés entre le pays d’origine et les communautés réparties dans les différents pays d’installation, au sein desquels certaines communautés ont eu un rôle moteur dans le renforcement de ces liens. De ce point de vue, le mouvement associatif des jeunes d’origine portugaise en France aura probablement influencé le succès et la relative banalisation du terme lusodescendant. Ce mouvement associatif est à l’origine des premières Rencontres Européennes de Jeunes Lusodescendants au Portugal, qui vont par la suite inspirer les Rencontres Mondiales organisées par le Secrétariat d’Etat aux Communautés Portugaises (SECP), le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse (SEJ), et le Conseil National de la Jeunesse (CNJ), consacrant l’effort de visibilité des jeunes issus de l’émigration auprès de l’Etat et de la société portugaise. Depuis 1998, année de l’Exposition Universelle, les Rencontres Européennes ont lieu tous les ans au Portugal, organisées par la Coordination des Collectivités Portugaises de France (CCPF). Elles font suite aux Rencontres Régionales de Jeunes d’Origine Portugaise, organisées depuis le début des années 1990 par la CCPF en France. En conformité avec la vocation première de la CCPF, les Rencontres Européennes sont destinées à former et à encadrer les jeunes engagés dans les associations. Lors de la sixième Rencontre, organisée à Viseu en 2003, la CCPF a lancé le projet de création d’une Plate-Forme Internationale des Associations de Jeunes Lusodescendants, prolongeant son action, son influence et sa capacité de représentation au-delà des frontières hexagonales1. La CCPF et l’association Cap Magellan ont eu un rôle moteur dans la reconnaissance par l’Etat portugais des

1 Si une Fédération Européenne des Jeunes Lusodescendants (FEJL) est créée dès la première rencontre à Aveiro en 1998, son action est restée limitée à l’enthousiasme initial des quelques jeunes participants à la Rencontre Européenne qui en avaient lancé l’idée.

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lusodescendants en tant que tels, et dans l’institutionnalisation de la relation entre le Portugal et ces derniers1. Dans le prolongement des Rencontres Européennes, l’Etat portugais organise les Rencontres Mondiales, à partir de 1999. Leur ambition est de créer des liens entre les jeunes du Portugal et les lusodescendants du monde entier ; elles sont placées sous le thème A mesma juventude noutra latitude (La même jeunesse sous une autre latitude)2. En 2000, la seconde Rencontre Mondiale a lieu au Brésil3. En 2003 est créée, à l’occasion de la cinquième Rencontre Mondiale de Jeunes Lusodescendants à Almada, la Plate-Forme Mondiale de Jeunes Lusophones et Lusodescendants, dont les organisateurs sont la CCPF et le CNJ. De façon symbolique, le passage des Rencontres Européennes de Jeunes Lusodescendants aux Rencontres Mondiales marque l’institutionnalisation et la reconnaissance par l’Etat portugais d’une relation spécifique avec les lusodescendants, plus précisément avec les instances les représentant (la CCPF ayant eu comme on l’a vu un rôle central dans la coordination des rencontres à l’échelle européenne). De même, la première

1 Depuis 2001, les deux associations ont d’ailleurs le même président, Hermano Sanches Ruivo – président de Cap Magellan depuis sa création en 1991. L’année 2001 a vu l’inauguration du nouveau siège de l’association et de l’Espaço Jovem (Espace Jeune), situés dans le centre de Paris. Dès sa création, l’identité proclamée de Cap Magellan était d’être une association de lusophiles et de lusophones. Dynamique et enthousiaste, Cap Magellan s’affirme au milieu des années 1990 comme « l’association des lusodescendants ». L’évolution du nom de son journal mensuel reflète la recherche d’identité d’une association dont l’ambition est d’être au service des jeunes et de les représenter : de « Cap Magellan News », le nom devient successivement « Cap Mag’, le journal de Cap Magellan », « Cap Mag’, le journal des lusodescendants », et « Cap Mag’, le journal des lusodépendants ». En ce qui concerne le choix du terme lusodescendant, le positionnement se fait d’abord par rapport à la France : selon le président de l’association (et mes notes de terrain), il s’agissait de choisir un terme différent de ceux déjà existants, connus, et dans un sens trop français (« jeune d’origine portugaise », « Franco-Portugais », « luso-français », ou encore, « Tos »). Dans le contexte français, le terme lusodescendant est donc apparu comme un terme nouveau et relativement neutre. 2 Il s’agit du programme mis en place par les Secrétariats d’Etat aux Communautés Portugaises et à la Jeunesse, dont sont issues les Rencontres Mondiales de Jeunes Lusodescendants. 3 L’année 2000 est aussi celle de la célébration d’une page importante de l’histoire des Découvertes portugaises et de l’histoire du Brésil, celle de l’arrivée au Brésil du navigateur portugais Pedro Álvares Cabral.

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Rencontre Mondiale organisée en 1999 à Lisbonne marque symboliquement la naissance d’une politique spécifique destinée aux lusodescendants, avec orientations précises et lignes budgétaires dédiées1. Le succès des Rencontres Européennes et Mondiales auprès des lusodescendants témoigne sans doute de leur volonté de préserver leur herança lusa (héritage portugais). Il est clair qu’elles s’inscrivent, du point de vue de l’Etat portugais, dans une politique visant à assurer la pérennité de la relation entre le Portugal et les Communautés Portugaises. Le Ministère du Plan a défini en 2000 six grandes orientations politiques pour la période 2000–20032. Il s’agit d’« affirmer l’identité nationale dans le contexte européen et mondial », de « renforcer la citoyenneté pour assurer la qualité de la démocratie », de « former les gens, promouvoir un emploi de qualité et orienter la société vers la connaissance et l’information », de « renforcer la cohésion sociale, grâce à une nouvelle génération de politiques sociales », de « créer les conditions pour une économie moderne et compétitive », et enfin, de « valoriser le territoire portugais comme facteur de bien-être des citoyens et de compétitivité de l’économie ». Au chapitre de la première orientation – « Affirmer l’identité nationale dans le contexte européen et mondial » –, le texte ministériel explique : « Le Portugal étant un des plus anciens Etats souverains d’Europe, avec une Histoire qui s’est concrétisée au long des siècles bien au-delà de ses frontières ibériques, l’ambition d’ ‘affirmer l’identité nationale dans le contexte européen et mondial’ est légitime » ; il poursuit : « Cette ambition devra être concrétisée de façon continue à travers l’action conjuguée de diverses politiques, desquelles se distinguent : une politique extérieure qui assure une participation active dans

1 D’une manière générale, la politique à l’égard des Communautés Portugaises devient plus ciblée à partir des années 1990. Ainsi, les programmes A mesma juventude noutra latitude pour les lusodescendants, et Portugal no coração (Portugal dans le cœur) pour les personnes retraitées, à qui sont offertes des possibilités de « redécouvrir » le Portugal à travers des séjours organisés. 2 Grandes opções do plano para 2000, Lisbonne, Ministère du Plan, 2000, <http://www.dpp.pt/pdf/Gop2000.pdf>.

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l’approfondissement et l’élargissement de l’Union Européenne, qui renforce la coopération pour le développement et qui valorise l’espace des Communautés Portugaises ; une politique de défense en accord avec la défense des intérêts nationaux à un tournant de la scène internationale ; une politique d’expansion de la langue portugaise dans le monde dans le contexte de la société de l’information. » Les Communautés Portugaises et par extension les lusodescendants apparaissent comme des facteurs potentiels d’affirmation de l’identité nationale dans le contexte européen et mondial, au même titre que les Affaires Européennes, la Coopération, ou la Défense nationale. L’effort de reconnaissance et de visibilité des lusodescendants n’est ici valorisé que dans la mesure où il vient effectivement renforcer l’identité nationale, et plus précisément l’image que le Portugal se fait de lui-même et de ses Communautés, comme autant de prolongements dans le contexte européen et mondial. Dans ce Rapport sur les grandes orientations pour l’an 2000, le même document ministériel inscrit, au compte du bilan de l’action gouvernementale orientée vers les Communautés Portugaises pour la période 1996–1999, que « Les préoccupations d’ordre social se sont dirigées vers les secteurs les plus démunis, des retraités des Communautés Portugaises, à travers le programme Portugal no coração. De même, a été choisie comme priorité la création de nouveaux moyens de liaison avec les lusodescendants des troisièmes générations, de manière à articuler les initiatives, en promouvant de nouvelles aires d’intervention des jeunes lusodescendants, par la coopération avec les associations de jeunes et d’étudiants portugais. A mesma juventude noutra latitude est le programme emblématique de l’intervention dans ce domaine. » Au chapitre des orientations à poursuivre dans le cadre des relations avec les Communautés Portugaises, le texte poursuit : « La politique du gouvernement pour les Communautés Portugaises privilégiera l’intégration sociale, civique et politique des citoyens nationaux résidents à l’étranger, au sein des

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différentes sociétés d’accueil : en prenant en compte l’importance croissante des lusodescendants dans l’affirmation et la visibilité du Portugal dans ces pays ; en sauvegardant le patrimoine des racines culturelles et en préservant une identité enrichie par la culture d’induction ; en alimentant la nécessité de sa valorisation culturelle, académique et professionnelle ; en stimulant une intervention accrue dans le domaine public et politique aux divers échelons de la vie démocratique de ces sociétés ; en promouvant un attrait pour une intervention plus intense dans le cadre de la démocratie participative ». Enfin, un des objectifs à moyen terme déclaré par le Ministère au Plan pour la période 2000–2003 concerne, parallèlement à la rationalisation du réseau consulaire et sa modernisation, la « création de nouveaux moyens visant à articuler les initiatives émergeant des Communautés Portugaises, notamment des secteurs lusodescendants, en particulier les plus influents et les plus dynamiques, dans le but qu’ils s’accordent mieux avec les objectifs les plus stratégiques de notre politique extérieure ». On comprend mieux dans ce contexte, le rôle d’« ambassadeurs du Portugal » que peuvent avoir les lusodescendants. L’orientation politique et institutionnelle prise à leur égard depuis la fin des années 1990 resterait purement symbolique si elle n’était suivie de mesures budgétaires concrètes. Au niveau institutionnel, les lusodescendants dépendent du Ministère des Affaires Etrangères – par le Secrétariat d’Etat aux Communautés Portugaises –, et du récent Ministère de la Jeunesse et des Sports – par le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et par le Conseil National de la Jeunesse. Cette réalité institutionnelle traduit la visibilité et la reconnaissance récentes des lusodescendants au Portugal, d’une part en tant qu’entité spécifique existant au sein des Communautés Portugaises, d’autre part en tant que jeunes qui se distinguent des jeunes portugais par leur extra-territorialité. Dans le Rapport général du budget de l’Etat pour 20011, les lusodescendants apparaissent en tant que tels au chapitre du

1 Relatório geral do orçamento do Estado para 2001, Lisbonne, Ministère des Finances, 2000, <http://www.dgo.pt/oe/2001/Proposta/Relatorio/RelOE2001-capIV.pdf>.

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Ministère des Affaires Etrangères : « Dans le domaine des Communautés Portugaises, pour l’année 2001 est prévue la concrétisation des mesures suivantes : (…) le lancement intégral des Stages professionnels pour les jeunes lusodescendants, lancé conjointement avec le Ministère du Travail et de la Solidarité, jusqu’à 1000 bénéficiaires avec bourses de stage et aide au séjour au Portugal ; la réalisation de la troisième Rencontre de Jeunes Lusodescendants sous le thème A mesma juventude noutra latitude (…) ». Toujours dans le même rapport, les lusodescendants apparaissent également au chapitre du Ministère de la Jeunesse et des Sports : « La politique de la jeunesse de ce gouvernement a pour préoccupation centrale l’encouragement des secteurs jeunes les plus dynamiques, notamment ceux promouvant la pleine participation des jeunes à la société de l’information en valorisant ces derniers comme agents privilégiés de la modernisation de la société portugaise. Dans ce secteur, nombreuses seront les actions et les mesures à promouvoir dans le courant de l’année prochaine, notamment : (…) l’appui aux projets de liaison entre associations de jeunes portugais et associations de jeunes lusodescendants, comme moyen de renforcer les liens culturels et sociaux entre les Communautés Portugaises (…) ». Au niveau des représentations, la thématique des lusodescendants inscrit la relation entre le Portugal et les Communautés Portugaises sur un plan qui est à la fois politique, symbolique, et imaginaire. Les pays d’installation apparaissent comme secondaires (ils sont de fait absents), alors que le rapport à l’Etat et au pays d’origine reflète le caractère « existentiel » de l’identité, pour reprendre la distinction de Michel Oriol entre identité existentielle et identité attitudinale (Oriol, 1984, 1985b). Le terme lusodescendant vient renforcer le lien intime et quasi-fusionnel avec le Portugal, déjà présent avec l’idée que l’appartenance nationale se prolonge dans l’émigration, les Communautés ou la diaspora portugaises. Ici, le rapport à l’Etat est central, dans la mesure où la référence unique à la descendance portugaise est indépendante des sociétés d’installation, et qu’elle implique et engage effectivement l’Etat portugais.

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Dans ce contexte, la situation même de transplantation peut suffire à expliquer le maintien d’un attachement et d’une identification nationale forte dans l’émigration. Toutefois, les revendications d’appartenance, variables selon les situations, combinées avec plus ou moins d’ordre, assumées ou déguisées au gré des circonstances, ne s’accordent pas toujours avec les normes proprement politiques de l’organisation collective. Comme le suggère René Gallissot, « les communautés, au sens de représentations de groupes locaux qui se réclament d’un référent collectif ou de mouvements associatifs, si l’on écoute leurs porte-parole, instrumentalisent les institutions de l’Etat national et visent à la reconnaissance d’un statut dans ce cadre étatique, mais non exclusivement. Les démarches interviennent aux différentes échelles, intra- ou infra-étatiques, et par-delà et au-delà des Etats nationaux. L’implication politique ou la sensibilité lient encore au pays d’origine, au sens de pays qui fut celui de grands-parents. Les associations fonctionnent comme relais d’oppositions en exil, ou offrent des possibilités d’action à des partis ou à des Etats qui cherchent à étendre leur mouvance en terre d’émigration. Mais la nouveauté des diasporas post-coloniales, ce qui précisément permet de parler de diaspora, c’est non seulement le devenir sans retour autre que circonstanciel, mais l’affirmation d’une ethnicité qui échappe à l’idéologie dominante de deux Etats nationaux, et par là au nationalisme d’Etat, l’Etat de référence généalogique et l’Etat dans lequel on vit. C’est là qu’il y a un écart de nationalité, un porte-à-faux devant la soumission à l’ordre de l’Etat national. C’est le point où se pose la question de la citoyenneté, ou plus exactement de la plénitude des droits que l’on dit de l’homme, par dissociation de la nationalité à partir des différents cas de figure de leur association dans une histoire nationale qui atteint ses limites. » (Gallissot, 1995, p. 243–244). Pour l’Etat portugais, une émigration massive entraîne la volonté de garder un lien politique et symbolique avec les Communautés au-delà du territoire, encourageant par là même une représentation du Portugal comme une nation de communautés. Cependant, la Comunidade portugaise resterait fortement marquée selon Hily et

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Oriol, par la nostalgie du projet impérial : « c’est une catégorie ‘macro sociale’ visant à rappeler l’unité indissolublement culturelle et politique d’une diaspora tellement éclatée qu’on ne s’y réfère souvent qu’au pluriel (comunidades). » (Hily et Oriol, 1991, p. 13–14). Ceci suggère encore que l’Etat national est et reste l’horizon de toute forme d’identification, de la plus locale à la plus extra-nationale – les « écarts de nationalité » faisant ici figure d’exception qui confirme la règle. Comme le rappelle Arjun Appadurai, « peu de formes de conscience populaire et d’agences subalternes sont, au regard de la mobilisation ethnique, à l’abri des formes de pensée et des champs politiques produits par les actions et les discours des États-nations » (Appadurai, 1993, p. 415). Reste que le terme lusodescendant ne se laisse pas enfermer dans les catégories usuelles du nationalisme – celles du sang et du sol –, d’où son ambiguïté relative. S’il suggère une identification nationale forte, il implique également une extraterritorialité, que la formule A mesma juventude noutra latitude résume assez bien. C’est pourtant la référence aux liens du sang, par-delà l’appartenance à un territoire unique, qui permet de parler d’une forme de transnationalisme1. De la part d’un pays qui tend à se considérer comme une nation de communautés, l’institutionnalisation du rapport aux Communautés n’a rien d’étonnant. On pourra faire l’hypothèse de l’extra-territorialité – ou de la transplantation – comme facteur de renforcement de l’imaginaire national, au sens de Benedict Anderson (1983). L’utilisation récente et réactualisée du terme lusodescendant ne saurait échapper à l’idée même de descendance, qui renvoie à l’Empire portugais – celui-ci se perpétuant sur le plan mythique avec les Communautés Portugaises et la lusophonie, comme l’a bien montré Eduardo Lourenço (Lourenço, 1988, 1994). On ne peut non plus ignorer la référence naturelle et non moins mythique aux Lusitaniens, qui se profile derrière l’usage du terme lusodescendant : « l’histoire des Lusitaniens c’est le temps d’avant.

1 Alors qu’une diaspora peut exister en tant que telle sans référence aux États, une communauté transnationale renvoie à l’existence de liens avec un ou plusieurs États. Sur la problématique des diasporas, voir Hovanessian (1998), Schnapper (2001), et Tarrius, (2001).

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Être Lusitanien est de l’ordre du sacré. (…) Il est plus facile de rêver d’être Lusitanien pour supporter une certaine image négative de ‘petit portugais’. On se réfère à la lusitanité pour mieux encaisser les coups portés à l’image de l’émigré. » (Pires Carreira et Tomé, 1994, p. 51). Le fil de la construction identitaire peut donc être déroulé par l’étude du processus de fabrication d’une identité d’origine, basée sur les liens du sang. On comprend alors comment le recours au terme lusodescendant peut aboutir à une forme de substantialisme1. Il est difficile de distinguer la représentation symbolique de l’identité personnelle et la représentation institutionnelle – que ce soit auprès des institutions françaises, au Portugal, ou à l’échelle européenne. Dans ce travail de reconnaissance d’une identité portugaise d’origine, les portes-parole et les leaders associatifs apparaissent comme des candidats à la représentation de nouvelles expressions de la « lusitanité ». De la même manière, il s’agit de resituer la logique de ce processus de construction identitaire dans le contexte élargi de l’intégration européenne, et la perception nouvelle du Portugal qui en découle. Les appartenances à diverses communautés supranationales peuvent se renforcer mutuellement (comme dans le cas du Portugal, entre l’Europe et la lusophonie, ou dans celui de l’Espagne, entre l’Europe et l’Amérique latine). Nous aurions

1 On trouve par exemple sur le site internet Portugal em Linha (http://www.portugal-linha.pt/), une rubrique « Lusodescendências », où l’on peut lire : « La grande famille lusophone ne s’épuise pas avec ceux qui s’expriment tous les jours dans la langue de Camoens. Un grand nombre de personnes dans le monde, bien qu’ayant des racines lusitanes, n’utilisent pas le portugais comme langue d’expression commune. Beaucoup d’entre eux, émigrés depuis nombre d’années, s’expriment et communiquent dans la langue du pays dans lequel ils vivent. Beaucoup d’autres, fils et petits-fils d’émigrants, nés dans les pays d’accueil des parents et grands-parents, ne sont pas Portugais de naissance. Ils ont grandi dans ces pays, y ont été scolarisés et s’expriment couramment dans la langue de leur pays, et parfois, le portugais est un moyen d’expression. Pourtant, ils n’ont pas perdu ce quelque chose qui se sent sans se voir, et le lien qui les unit aux choses de la lusophonie est toujours présent dans leurs cœurs. Cet espace est dédié à tous ces lusodescendants. Ils sont tous conviés ici à participer, sans se sentir limités par la langue. Ce qu’ils écrivent sous forme de contes, d’essais ou de poésie sera publié pour être partagé par tous les lusophones dans le monde entier. » Au-delà du partage hypothétique d’une même langue, ce serait donc l’attachement dans l’extraterritorialité qui définirait au mieux le lusodescendant. Loin d’aller de soi, le passage de lusodescendant à lusodescendance reste quant à lui à questionner.

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affaire à l’émergence d’une identité portugaise « post-navigateur » – des émigrés Européens, bien intégrés dans les pays d’installation, et gardant une grande fierté de leurs racines portugaises. Citoyens européens, précurseurs d’une mobilité désormais inscrite au rang des valeurs essentielles de la construction européenne, les émigrés portugais n’en deviendraient pas moins symboliquement, les ambassadeurs d’un Portugal moderne1. Dans ce jeu de miroirs entre l’État-nation d’origine et les Communautés, le lusodescendant deviendrait la preuve même de ce Portugal moderne, ouvert et européen. Les liens du sang qui unissent le Portugal et ses Communautés ne s’en trouvent que plus renforcés. 3. – Immigration en France Les identités multiples prennent leur sens dans le contexte général de l’intégration européenne, mais aussi en regard de l’immigration. De ce point de vue, l’histoire de l’immigration en France se caractérise par la diversification progressive des communautés étrangères et par là-même, des processus d’intégration. Il semble qu’une relation puisse être établie entre l’expérience française de l’immigration et les identités multiples observées durant la décennie 1992–2002. Dans la mesure où l’immigration a nécessairement des effets sur les représentations, l’émergence des identités multiples signifie aussi une ouverture de l’identité nationale à la reconnaissance de la diversité.

1 Il s’agit là rappelons-le, d’un discours récurrent chez les hommes politiques portugais tout au long des années 1990. Toutefois, ce discours entre dans bien des cas en contradiction avec la façon pour le moins critique dont sont généralement perçus les émigrés de la part des Portugais – particulièrement dans les régions de forte émigration (Gonçalves, 1996). Nous reviendrons sur cette question dans la seconde partie.

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Diversification des communautés étrangères Pendant les années 1960, le solde migratoire de la France a dépassé 3 % par an (c’était l’un des plus élevés d’Europe après celui de l’Allemagne Fédérale). Il est ensuite descendu en dessous de un pour mille par an dès le milieu des années 1970, pour s’établir à un niveau proche de zéro au milieu des années 1980. Comme dans tous les autres pays européens y compris ceux d’Europe du Sud devenus à leur tour des pays d’immigration, il a depuis légèrement remonté1. Le début des années 1970 voit la fin des flux d’arrivées massives. Les conditions de l’immigration se sont modifiées de façon radicale, pour trois raisons. En premier lieu, l’évolution technologique favorise désormais les secteurs à forte utilisation de capital et de main-d’œuvre qualifiée, la France n’a plus les mêmes besoins de travailleurs étrangers sans qualification (du moins dans le cadre de l’économie formelle). En second lieu, la montée du chômage crée une concurrence entre immigrés et nationaux sur le marché de l’emploi et dans la perception des aides sociales, ce qui devient peu à peu une difficulté sociale et politique pour les gouvernements. Enfin, même dans un pays d’immigration ancienne comme la France, la migration temporaire de travail n’a pas été envisagée conjointement avec les autres formes de migrations. Or, la migration de travail a logiquement été suivie d’une migration familiale, celle-ci s’est peu à peu détachée de l’économie, est devenue socialement visible et a suscité une vive politisation. La question de l’immigration s’est posée bien après que les causes qui l’avaient produite eurent disparu, et que le solde migratoire fut devenu quasiment nul.

1 Tous les pays de l’Union Européenne ont temporairement relâché les contraintes opposées à l’immigration à la fin des années 1980, pour accueillir des populations de l’Europe de l’Est pendant la période confuse qui a précédé l’effondrement du communisme. La brèche ouverte dans la « forteresse Europe » a entraîné une multiplication des demandes d’asile venues du Sud, pour contourner la fermeture des frontières. Le nombre de candidats au refuge politique a connu une véritable inflation : 20 000 demandeurs d’asile en 1981, 28 000 en 1985, 90 000 en 1990.

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Dans un premier temps, les flux de proximité ont été dominants : le nombre d’Italiens résidant en France passe de 450 000 en 1946 à 630 000 en 1962 (date du maximum d’après-guerre, contre 810 000 en 1931), celui des Espagnols passe de 300 000 à 600 000 en 1968, date du maximum absolu. Au moment où les vagues d’immigration italienne et espagnole commencent à refluer, l’immigration portugaise prend le relais : le nombre de Portugais dénombrés en France passe de 50 000 en 1962 à 760 000 en 1975. Comme entre-temps, ses besoins de main-d’œuvre n’avaient pas été satisfaits, la France va rechercher un complément de travailleurs immigrés dans son ancien Empire, et particulièrement dans les Etats du Maghreb. A l’époque de la colonisation, le flux d’immigration depuis l’Empire n’était pas totalement nul, mais il représentait peu (90 000 personnes, soit 4,1 % de la population étrangère à la veille de la Seconde Guerre mondiale). Les courants d’immigration commencent à s’intensifier dès les années 1950, pour atteindre leur maximum dans la période qui suit la décolonisation. Au recensement de 1954, la population originaire des pays de l’Empire devenus indépendants est multipliée par trois par rapport à 1936. Ce nombre continue d’augmenter rapidement : 250 000 personnes en 1954, 660 000 en 1962, 1 680 000 en 1982 – soit respectivement 14 %, 25 %, puis 45 % de la population étrangère totale. Entre 1982 et 1990, la diversification importante des pays d’origine prolonge la tendance observée au cours des recensements précédents. D’Européens, les étrangers sont devenus Africains, et de nationalités de plus en plus diverses. En 1954, la population étrangère était composée à 81 % de ressortissants d’Etats européens, en 1968 à 72 %, et en 1975 à 61 %. En 1982, 48 % des étrangers étaient ressortissants d’Etats européens, et 41 % en 1990 (tableau 4). Le recensement de 1999 a dénombré 3 263 000 étrangers en France (soit 5,6 % de la population totale). En 1990, la France comptait 3 582 000 étrangers (soit 6,3 % de la population totale). Les données du recensement de 1999 montrent que la tendance à la

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diversification s’est poursuivie et accentuée : si le nombre total des étrangers est demeuré à peu près stable, la composition de la population étrangère s’est modifiée. L’immigration en provenance de l’Europe du Sud s’est tarie : parmi les 5,6 % d’étrangers que comptait la France, près des deux tiers venaient d’un pays hors Union Européenne (63,3 % exactement, 36,7 % des étrangers étant originaires d’un des pays de l’Union Européenne) (tableaux 5 et 6). Tableau 4. – Répartition des étrangers par nationalité 1921–1990 (%) (source : INSEE, recensements de la population).

Nationalité 1921 1931 1954 1968 1975 1982 1990 Nationalités d’Europe (y compris ex-URSS) dont : Allemand Belge Espagnol Italien Polonais Portugais

93,7

4,9 22,8 16,6 29,4 3,0 0,7

90,5

2,6 9,3

13,0 29,8 18,7 1,8

81,1

3,0 6,1

16,4 28,7 15,2 1,1

72,3

1,7 2,5

23,2 21,8 5,0

11,3

61,1

1,3 1,6

14,5 13,4 2,7

22,0

47,8

1,2 1,4 8,8 9,2 1,7

20,7

40,7

1,5 1,6 6,0 7,0 1,3

18,1 Nationalités d’Afrique dont : Algérien Marocain Tunisien Nationalités d’Afrique noire francophone

2,5

) ) 2,4 )

3,9

) ) 3,2 )

13,0

12,0 0,6 0,3

24,8

18,1 3,2 2,3

34,6

20,6 7,6 4,1

2,0

43,0

21,7 11,9 5,2

3,4

45,4

17,1 15,9 5,7

4,9 Nationalités d’Amérique

1,5

1,2

2,8

1,1

1,2

1,4

2,0

Nationalités d’Asie dont Turc

1,9 0,3

3,2 1,3

2,3 0,3

1,7 0,3

3,0 1,5

7,8 3,3

11,8 5,5

Autres nationalités 0,4 1,2 0,8 0,1 0,1 - 0,1 Ensemble des étrangers

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Tableau 5. – Répartition de la population par nationalité en 1999 (source : INSEE, recensement de la population).

Nationalité Effectif % Français de naissance 52 902 209 90,4 Français par acquisition 2 355 293 4,0 Espagnol 161 762 0,3 Italien 201 670 0,3 Portugais 553 663 0,9 Autres nationalités de l’UE 278 403 0,5 Algérien 477 482 0,8 Marocain 504 096 0,9 Tunisien 154 356 0,3 Turc 208 049 0,4 Autres nationalités 723 705 1,2 Total étrangers 3 263 186 5,6 Total 58 520 688 100,0

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Tableau 6. – Répartition des étrangers par nationalité en 1999 (source : INSEE, recensement de la population).

Nationalité Effectif % Nationalités de l’UE dont : Espagnol Italien Portugais Autres nationalités de l’UE

1 195 498

161 762 201 670 553 663 278 403

36,6

5,0 6,2

17,0 8,5

Nationalité hors UE dont : Algérien Marocain Tunisien Turc Autres nationalités

2 067 688

477 482 504 096 154 356 208 049 723 705

63,4

14,6 15,4 4,7 6,4

22,2 Total étrangers 3 263 186 100,0

Présence portugaise en France Lors du recensement de 1999, la communauté portugaise en France s’élevait à 788 683 personnes (51 % d’hommes et 49 % de femmes), soit 10 000 personnes de moins qu’au recensement de 19901. Elle demeure depuis la décennie de 1970 la première communauté étrangère résidant en France. La baisse de l’effectif des mono-nationaux enregistrée en 1999 (–91 915, dont environ 80 % sont nés au Portugal) a été compensée par l’augmentation des binationaux (+81 815, dont environ la moitié sont nés en France), et des nouveaux immigrants (+49 882) (tableau 7). Tableau 7. – Evolution récente de la présence portugaise en France 1990–1999 (source : INSEE).

1990 1999 Solde 1999/1990 Mono-nationaux 645 578 553 663 –91 915 Naturalisés 153 259 235 074 +81 815 Communauté portugaise dont nouveaux arrivants

798 837 788 683 49 882

–10 154

1 La communauté portugaise est ici définie comme l’ensemble des personnes ayant la nationalité portugaise uniquement et des personnes ayant acquis la nationalité française dont la nationalité antérieure est portugaise, ou plus précisément, des personnes ayant la double nationalité, en vertu des lois française et portugaise (Code civil français, et Loi n° 37/81 du 3 octobre 1981 sur la nationalité portugaise).

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La France a connu deux vagues migratoires en provenance du Portugal. La première a eu lieu dans les années 1930 (on comptait alors près de 50 000 Portugais en France), la seconde dans les années 1960–1970 (Noiriel, 1998 ; Branco, 1998, 2002). Avec des flux d’entrée nettement plus massifs, cette seconde vague est aussi la seule à s’être stabilisée. L’immigration portugaise en France se caractérise donc par son caractère relativement récent, massif, et familial. Elle est assez homogène en ce qui concerne le milieu socioprofessionnel de départ (origine paysanne), ainsi que le lieu d’installation (grandes villes, région parisienne, où la mobilité sociale est d’ailleurs supérieure à celle enregistrée en milieu rural)1. L’immigration portugaise se caractérise également par le fait que les flux d’entrée en France se sont concentrés sur une période assez brève, par l’absence d’histoire coloniale entre la France et le Portugal, et enfin par une tendance assez nette au maintien des liens avec le pays d’origine et une pratique régulière du va-et-vient entre les deux pays, traduisant un fort attachement au Portugal. Il faut noter également que l’immigration portugaise en France représente, après les immigrations polonaise, italienne et espagnole, le dernier flux en provenance d’un pays d’Europe. Avec la crise des années trente, le nombre de Portugais présents en France s’effondre. Cette tendance s’est accentuée avec la Seconde Guerre mondiale (on ne comptait plus que 20 000 Portugais en France dans les années 1950). Au cours de la décennie suivante, la tendance s’inverse brusquement. En 1962, les chiffres sont

1 En termes de répartition géographique, les Portugais se concentrent assez fortement en région parisienne. La région Ile-de-France réunit près de la moitié des Portugais résidant en France (272 239 en 1999 et 295 255 en 1990, pour un total de 553 663 et 645 578 Portugais mono-nationaux, respectivement), loin devant la région Rhône-Alpes, qui en 1999 représente moins de 10 % de l'ensemble. En 1999, la répartition par départements en Ile-de-France montre que le Val-de-Marne est le département où les Portugais sont les plus nombreux (41 297), suivi par la Seine-Saint-Denis (39 585), la Ville de Paris (38 455), les Yvelines (35 344), les Hauts-de-Seine (30 994), l’Essonne (30 217), la Seine-et-Marne et le Val d’Oise (respectivement 29 893, et 26 454). La situation en 1990 était sensiblement différente, puisque la Ville de Paris était le département français comptant le plus grand nombre de Portugais (46 359), suivie par la Seine-Saint-Denis (46 945), et en troisième place, le Val-de-Marne (41 417), lui-même département où les Portugais étaient les plus nombreux en 1982.

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comparables à ceux de 1930, puis progressent de façon exponentielle : ils triplent entre 1962 et 1968, et augmentent encore de 250 % entre 1968 et 1975, pour se stabiliser à partir de cette date autour de 800 000 personnes (tableau 8)1. Tableau 8. – Evolution de la présence portugaise en France 1901–1999 (mono-nationaux, source : INSEE).

Année Nombre 1901 719 1911 1 262 1921 10 788 1926 28 883 1931 48 963 1936 28 290 1946 22 261 1954 20 085 1962 50 010 1968 296 448 1975 758 925 1982 764 860 1990 645 578 1999 553 663

Jusque dans les années trente, la présence portugaise concernait très majoritairement des hommes (soit 84 %, contre 61 % en moyenne pour les immigrés, et moins de 50 % pour les Français), en âge de travailler, dont 80 % étaient actifs (contre 61 % pour l’ensemble des étrangers, et moins de 50 % pour les Français). 90 % étaient ouvriers (moins de 70 % pour la moyenne des étrangers), travaillant pour la plupart dans le secteur de l’industrie. En 1936, le taux de masculinité s’affaiblit (78 %), alors que le nombre de femmes exerçant un emploi s’élève légèrement. La proportion de personnes travaillant dans le commerce ou les services est désormais de 27 %, le secteur de l’industrie ne représente plus que 1 De 50 000 en 1962, l'effectif des Portugais en France passe rapidement à près de 300 000 en 1968. En 1975, il est de 759 000, et atteint 765 000 en 1982. Entre 1962 et 1975, l'effectif des Portugais résidant en France est multiplié par quinze. Après cette période, il se stabilise jusqu'en 1982, date à partir de laquelle on enregistre une décroissance régulière des effectifs. A partir de 1974, la France décide de fermer ses frontières aux nouveaux travailleurs immigrés. Les flux d’entrées diminuent – 74 640 entre 1975 et 1982 – et concernent essentiellement le regroupement familial. La baisse de la population observée à partir de 1982 est principalement due à la diminution des entrées de primo-migrants, aux flux des retours au Portugal, à la mortalité, et aux entrées dans la nationalité française par acquisition ou à la naissance.

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68 % (alors qu’il représentait 88 % en 1931). Bien que la présence portugaise ait pu se consolider autour d’un petit noyau qui, dans certaines régions du moins, a permis de faire le lien avec l’immigration massive des années 1960–70, la population portugaise ne s’est enracinée en France que récemment, avec l’immigration familiale. La crise économique qui débute au milieu des années 1970 n’a pas eu les mêmes conséquences que celle des années 1930. Non seulement la communauté n’a pas été affaiblie, mais ses effectifs ont même eu tendance à augmenter légèrement. Cette stabilité reflète une tendance à l’enracinement, sans commune mesure avec les périodes antérieures (Noiriel, 1998). Dès 1975, les Portugais se comportent statistiquement comme la moyenne des immigrés présents en France, sur de nombreux points. Le taux de masculinité est même inférieur à la moyenne étrangère (53 % contre 60 %), la place des enfants est plus élevée que dans la plupart des autres communautés (24 % contre 17 %). Si les Portugais sont toujours proportionnellement très nombreux dans la classe ouvrière (84 %, contre 77 % pour les autres immigrés), la part de ceux qui travaillent dans le secteur tertiaire a fortement augmenté, atteignant 27 % du total – ce qui s’explique notamment par l’augmentation du taux d’activité féminine (30 %, contre 19 % pour l’ensemble des actifs étrangers)1 (tableau 9). Tableau 9. – Caractéristiques démographiques de l’immigration portugaise 1931–1999 (source : INSEE).

Année Hommes Femmes Dont enfants de moins de 10 ans

Naturalisés

1931 41 000 7 883 4 904 700 1936 21 974 6 316 3 210 1 794 1975 408 530 350 395 181 040 35 700 1982 405 480 359 380 129 260 68 300 1990 345 150 300 428 59 072 153 259 1999 294 746 258 917 34 004 235 074

1 La présence féminine n’a cessé d’évoluer depuis les années 1960, passant de 30 % en 1962 à 35 % en 1968, et 46 % en 1975. En 1990, la répartition par sexe était de 52 % d’hommes, et de 48 % de femmes. Cette situation traduit une immigration de type familial, majoritairement composée d’hommes jusqu’à la fin des années 1960, puis d’une composante féminine en forte croissance à partir de la décennie suivante.

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Plus enracinés dans la société française que beaucoup d’autres groupes immigrés, les Portugais auraient été mieux armés pour résister collectivement à la crise. Bien que massivement présents au milieu des années 1970 dans la grande industrie – secteur le plus durement touché par le chômage –, beaucoup semblent avoir réussi leur reconversion. Le recensement de 1982 montrait que 55 % des actifs portugais seulement travaillaient encore dans le secteur secondaire, et déjà, plus de 40 % dans le secteur tertiaire. La population portugaise en France est entrée dans une phase de vieillissement. La proportion des personnes ayant entre 15 et 29 ans dans la population portugaise totale en 1999 a fortement diminué, passant de 244 000 à près de 170 0001. Les jeunes portugais de moins de 20 ans ne représentent plus que 15 % de l’ensemble en 1999, alors qu’ils représentaient 25 % en 1990. Le groupe des personnes ayant entre 20 et 40 ans maintient un taux équivalent sur les deux périodes, passant de 40 % à 39 % – alors que le groupe des 40–60 ans augmente, passant de près de 31 % en 1990 à 35 % en 1999. Enfin, le groupe des personnes ayant 60 ans et plus a doublé entre les périodes, passant de 6 % à 12 %. Entre 1990 et 1999, la France a accueilli près de 50 000 nouveaux arrivants en provenance du Portugal. L’entrée en vigueur en 1986 de la libre circulation sur le territoire de l’Union Européenne pour les travailleurs non-salariés Espagnols et Portugais, puis élargie à l’ensemble des actifs en 1992, n’a donc pas entraîné de flux importants du Portugal vers la France (Lamy, 2000 ; Branco, 2002)2. Durant la même période, les flux de retours au Portugal ont été en moyenne de 6 500 personnes par an ; 32 000 mariages mixtes ont été célébrés, soit entre un Portugais et une Française (65 %), soit entre une Portugaise et un Français (35 %). 1 Par définition, ces chiffres ne tiennent pas compte des jeunes nés de parents portugais eux-mêmes naturalisés, donc Français à la naissance. 2 Deux facteurs d’explication peuvent être avancés : d’une part l’amélioration des conditions de vie au Portugal, d’autre part une conjoncture de l’emploi plutôt difficile en France tout au long des vingt dernières années.

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Relation entre identités multiples et immigration Du point de vue de l’immigration, les identités multiples observées en France renvoient à la diversification progressive de la population étrangère. L’idée que la logique d’accueil républicaine et l’acquisition de la nationalité n’impliquent pas une assimilation telle qu’elles évacueraient du même coup les autres formes de loyautés nationales donne tout son sens aux identités multiples observées. En tant qu’elles suggèrent l’interaction entre logique d’accueil et diversification, elles renvoient également à l’existence de processus d’intégration diversifiés. La logique d’accueil renvoie aux politiques d’immigration, à l’intégration nationale, et à la citoyenneté. La façon dont cette dernière est attribuée dépend des traditions nationales, qui ont forgé la conception de l’immigration et les politiques qui en découlent. Comme l’ont rappelé Pierre-André Taguieff et Patrick Weil, « L’installation durable en France d’une immigration d’origine culturelle étrangère a ouvert un débat général sur ce que l’on dénomme, selon les sensibilités politico-rhétoriques, l’’assimilation’ des ‘immigrés’, leur ‘insertion’, leur ‘intégration’ ; s’y greffe un débat particulier sur la validité d’un système juridique et politique qui contraint l’étranger désireux d’exercer les droits du citoyen à l’acquisition préalable de la nationalité française. Ces débats succèdent tout juste à un autre qui durant dix années (entre 1974 et 1984), s’était porté sur un autre aspect de la politique d’immigration : les flux. » (Taguieff et Weil, 1990, p. 87). Pour les auteurs, l’appel à l’intégration est intervenu afin de surmonter le dilemme de l’insertion et de l’assimilation (rendre les immigrés culturellement semblables aux « Français de souche »). Bien plus que de prendre la direction d’une insertion pluriculturelle, il s’agissait de s’orienter vers la « fusion » des divers groupes coexistant dans la société française, en favorisant l’action réciproque des « indigènes » et des « communautés » immigrées – ces dernières étant conçues comme autant d’additions d’individus. On a réaffirmé qu’il fallait faire « fusionner » pour mieux intégrer. L’intégration est apparue comme une aventure

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individuelle, répondant à une logique à la fois méritocratique et universaliste, l’accès à la nationalité devant être facilité. En d’autres termes, pour que l’intégration réussisse, il fallait et il suffisait que l’assimilation soit voulue et s’opère. D’une façon générale, la question de l’immigration en France est appréhendée selon la double dimension logique de l’intégration et/ou de l’insertion, étant par ailleurs entendu que « insertion et intégration sont des présentations logiques de l’action de l’Etat à vocation de légitimation » (Weil, 1995, p. 383). Alors que dans tous les cas, l’intégration renvoie à la dimension individuelle, la dimension « communautaire » (Kepel, 1987, p. 379–384) ou « économique » (Héran, 2002, p. 11–88) de l’insertion est mise en avant, selon les auteurs. Plus fondamentalement, tout ce qui touche à l’intégration relève avant tout de la croyance, même si les discours qui la concernent se parent souvent de vertus scientifiques, comme l’a montré Abdelmalek Sayad (Sayad, 1991, p. 49–77). La mythologie relative au champ social de l’immigration se reflète d’ailleurs dans l’utilisation des termes « adaptation », « assimilation », « insertion », « intégration », chaque fois chargés de sens et de connotations parasitaires. Cependant, l’intégration – dont on suppose qu’elle n’est jamais totale – est un processus inconscient de socialisation qui ne peut être uniquement le produit du volontarisme politique. L’intégration est comme l’effet secondaire d’actions entreprises à d’autres fins : une fois en place dans l’immigration, c’est toute la condition de l’immigré, toute son existence qui devient le lieu d’un travail d’intégration quasiment invisible, d’une seconde socialisation progressive. Les politiques d’immigration ne sauraient décréter l’intégration, elle est un processus lent et complexe au sein duquel les notions d’identité, de citoyenneté, et de nationalité doivent trouver leur véritable place. Il n’est pas facile de penser l’intégration nationale par le biais des politiques d’immigration1. Ces dernières touchent à des valeurs

1 Comme l’a noté Patrick Weil, « Les politiques spécifiques qui concernent la situation sociale de l’étranger résident recouvrent quatre domaines principaux : le logement, l’éducation, l’emploi et les droits. Droits civils, de séjourner, de s’associer, de pratiquer le

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fondamentales, qui renvoient à la fois à la dimension universelle des Droits de l’Homme, et à la dimension plus restrictive des identités nationales. En retour, les notions d’intégration et de citoyenneté sont difficiles à articuler, tant elles dépendent étroitement des conceptions des politiques d’immigration1. Enfin, l’intégration ne s’applique pas qu’aux immigrés, elle désigne « le processus par lequel les individus participent à la vie collective par l’activité professionnelle, l’apprentissage des normes de consommation, l’adoption des comportements familiaux et sociaux, l’établissement des relations avec les autres. Il ne s’agit pas de réduire l’intégration des immigrés à l’intériorisation de normes imposées par l’extérieur. Comme les autres, ils gardent des marges de jeu, des possibilités de réinterpréter ces normes et de participer à l’invention commune des modèles collectifs. ‘L’intégration’ des immigrés, qui occupe la scène politique, n’est qu’une dimension particulière de l’intégration nationale. » (Schnapper, 1992, p. 18). Aussi doit-on dissocier l’immigration des problèmes auxquels on l’a amalgamée, afin de mieux comprendre les rapports complexes entre immigration et intégration nationale – ce qui implique d’affronter la question sociale, les problèmes de l’école, les rapports entre Etat, religion et citoyenneté. Dans le cas particulier des immigrés, la tension qui oppose l’intégration de fait et l’intégration de droit se pose avec acuité (Héran, 2002, p. 72). Cette tension se prolonge et se traduit dans l’ordre de la citoyenneté, par l’opposition entre citoyenneté « sociologique » et citoyenneté juridique. La problématique des identités multiples s’inscrit au cœur de cette double tension dans la mesure où cette dernière s’observe non seulement au niveau national, mais également au niveau européen.

culte de son choix, droit à l’identité culturelle. Ces politiques n’ont jamais été ni prioritaires ni cohérentes. Elles sont en effet dépendantes de la politique des flux migratoires et donc de la réponse variable à la question : Que veut-on faire des immigrés ? » (Weil, 1995, p. 380). 1 On peut distinguer les deux modèles types correspondant aux cas français et allemand, soit l’immigration de type familial, et l’immigration de type gastarbeiter. Il faut néanmoins insister sur la logique migratoire, qui tend à unir dans bien des cas les impératifs économiques et le caractère plus ou moins définitif de la migration.

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La notion d’intégration est étroitement liée à celle de citoyenneté. Comme l’a montré Dominique Schnapper, l’évolution des sociétés démocratiques modernes vers l’idée d’une « nouvelle citoyenneté » fondée sur les seuls critères de résidence et de participation citoyenne locale, risquerait d’affaiblir l’intégration nationale en réduisant la citoyenneté à la seule dimension économique et sociale. Le critère de résidence n’est qu’une abstraction si la durée de résidence reste indéterminée, et une idée confuse dès lors que la communauté politique globale devient indéterminable. De même, une citoyenneté européenne fondée sur les Droits de l’Homme qui donnerait les droits politiques sur le lieu de résidence risquerait de remettre en cause l’intégration sociale (Schnapper, 1998, p. 412 et suiv.). Le Droit républicain a fondé la nationalité sur la socialisation, plus que sur un donné ethnique ou sur un acte volontaire et contractuel, sur l’acquisition des codes sociaux plus que sur l’origine ou le lieu de naissance. Comme l’a montré Patrick Weil, cette logique du lien sociologique effectif a structuré le droit de la nationalité française et lui a donné sa permanence (Weil, 1999). L’incorporation des enfants d’étrangers nés en France à la communauté civique est apparue d’abord comme une question de principe, intervenant au nom de l’égalité et de l’universalisme. En transformant les enfants d’immigrés en citoyens, les citoyens « sociologiques » en citoyens juridiques en vertu de la logique d’accueil, la France reconnaît et garantit leur appartenance permanente à l’Etat et à la société française, et les assure de leurs droits civiques, politiques et sociaux. De ce point de vue, l’accès à la nationalité contribue à l’intégration nationale1. Cependant, il est évident que l’octroi de la citoyenneté n’est pas la condition nécessaire et suffisante de l’intégration, les deux ne vont pas nécessairement de pair. La citoyenneté ne résout pas l’ensemble des problèmes sociaux, économiques et culturels. Elle ne protège pas les immigrés de la

1 En quelque sorte, la loi de 1993 sur la réforme du code de la nationalité a démontré a contrario cette relation entre citoyenneté et intégration, dans la mesure où elle semblait renvoyer plus ou moins explicitement à une loi implicite : si l’intégration ne marche pas, alors il faut restreindre l’accès à la nationalité.

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marginalisation sociale, et sous l’angle socio-économique son importance est mineure. IV. – Diversité et convergence L’immigration d’après-guerre en Europe a façonné les politiques publiques, les processus politiques et les conceptions de l’appartenance au sein de l’Union Européenne. Patrick Weil et Randall Hansen ont montré le lien subtil existant entre l’évolution du droit et des politiques de la nationalité, l’expérience européenne d’une immigration massive et non-européenne dans l’après-guerre, et la nécessité d’intégrer les millions de résidents permanents dans les pays de l’Union Européenne (Weil et Hansen, 1999). La convergence substantielle (bien qu’incomplète) des droits de la nationalité en Europe ne résulte ni de l’imitation ni d’une volonté étatique consciente de la nécessité d’harmoniser les politiques d’immigration, mais de l’existence de voies parallèles de développement. Confrontés à un impératif commun – l’intégration de leurs résidents –, les Etats ont tenté d’apporter des réponses similaires, indépendantes des conceptions différentes de chaque nation1.

1 La nationalité définit le lien juridique d’appartenance d’un individu à un Etat. Pour l’attribuer, les Etats utilisent quatre critères principaux : le lieu de naissance (jus soli), le lien de filiation (jus sanguinis), la situation matrimoniale, et la résidence passée, présente ou future – considérée à un instant donné ou sur une durée plus ou moins longue – sur le territoire de l’Etat. Le droit de la nationalité est un fait – et une idée – puissants, puisque son acquisition implique l’accès à l’appartenance pleine et entière. Il demeure, malgré les discours sur le post– et le transnationalisme, au fondement de l’identification individuelle. Il exprime de façon institutionnelle la prérogative étatique d’inclusion et d’exclusion, il définit la limite entre nous et les autres, décrivant ceux pouvant revendiquer le droit à un passeport – seuls ces derniers bénéficiant de l’intégralité de l’éventail de droits et de privilèges que l’Etat accorde à ses citoyens. En tête de ces droits, celui de voter, et celui d’être protégé contre l’expulsion et contre tout changement arbitraire concernant l’exercice de ces droits. Patrick Weil a montré que les règles relatives à la nationalité ont évolué « dans cette tension entre intérêts de souveraineté et nécessité d’allégeance – donc du lien social » (Weil, 1995, p. 456). Dans le même ordre d’idée, François Héran parle de « l’antagonisme de deux séries de principes : la souveraineté de l’Etat face au respect des Droits de l’Homme, l’intérêt général de la nation face aux intérêts individuels. » Et de poser la question : « Antagonisme

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1. – Nations et politiques d’immigration Dans la mesure où elles renvoient à la manière dont est conçue l’intégration nationale, les politiques d’immigration reflètent les identités – tout autant qu’elles contribuent à les transformer. L’évolution contemporaine des migrations internationales, et plus particulièrement l’élaboration des politiques d’immigration, constituent un premier élément de réponse à la question des relations entre identités et expérience migratoire. Jusqu’au début des années 1970, diverses typologies permettent encore de classer différemment les pays en termes de migrations. Le Japon, l’Italie et l’Espagne ne sont pas des pays d’immigration, ils ont plutôt une tradition d’émigration ; les Etats-Unis et la France sont des vieux pays d’immigration, tandis que la R.F.A., la Grande-Bretagne, la Belgique ou la Hollande ne sont devenus des pays d’immigration qu’après la Seconde Guerre mondiale. Parmi ces pays d’immigration, les pays au passé colonial ont cette spécificité d’avoir accueilli une immigration en provenance des Etats anciennement colonisés. Les années 1973–74 constituent une période charnière. La crise économique provoquée par la hausse des prix de l’énergie oblige les différents pays européens d’immigration à répondre à la même question : que faire de l’immigration en période de récession ? A cette époque, la France disposait déjà d’une tradition et d’une législation républicaines d’intégration. Elle affichait implicitement, depuis la fin du XIXe siècle, et officiellement depuis la proclamation des ordonnances de 1945, le souci unique en Europe de favoriser, pour des raisons économiques mais surtout démographiques, une immigration de famille ayant vocation à s’installer durablement et à intégrer la société tout comme la nationalité françaises. Entre 1945 et 1968, les politiques sociales en direction des immigrés ont été pratiquement inexistantes. Ce n’est qu’à partir de 1974 que des actions se sont développées, souvent comme contreparties offertes aux Etats d’origine à leur irréductible ? L’histoire des politiques migratoires montre plutôt qu’il s’agit d’une tension structurelle. » (Héran, 2002, p. 71).

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collaboration dans le contrôle des flux. Dès la fin des années 1980, la politique d’immigration devient un enjeu public et politique, ce qu’elle n’a depuis lors cessé d’être, de manière récurrente. Commun à tous les pays européens d’immigration est le fait que l’immigration reste ouverte tout en devenant sélective, c’est-à-dire réservée aux familles, aux époux et épouses étrangers de ressortissants de l’Etat-nation concerné, aux réfugiés politiques, et à l’immigration qualifiée. En 1986, au moment de l’Acte unique européen, une déclaration des gouvernements des Etats membres de la Communauté spécifiait encore que la définition de règles concernant l’entrée, la circulation et le séjour des ressortissants de pays tiers relèverait de la coopération entre Etats, et non d’une politique commune. La coopération entre Etats va alors s’accélérer et conduire à intégrer les problèmes migratoires dans l’accord de Maastricht. Les accords de Schengen constituent un premier pas vers une politique d’immigration communautaire. Ils concernent notamment le contrôle des frontières communes, la circulation des personnes à l’intérieur de l’espace communautaire, la mise en œuvre du Système d’Information Schengen, et l’entraide judiciaire internationale. Les frontières sont reportées à la limite extérieure de l’espace Schengen, qui prend en compte quiconque pénètre ou envisage de circuler sur le territoire des Etats signataires quelle que soit sa nationalité. Deux craintes surgissent alors : d’une part celle d’une « Europe passoire » ouverte à tous les flux migratoires, d’autre part celle d’une « Europe forteresse » dressant un mur à l’Est et au Sud. Le traité de Maastricht marque une étape décisive dans l’élaboration d’une politique commune d’immigration. Il prévoit que les règles relatives aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers, à la délivrance de visas, à l’attribution de l’asile politique et à la lutte contre l’immigration irrégulière soient dorénavant de la compétence de la Communauté Européenne. Dans la perspective d’une Europe ouverte et démocratique (au sens d’une participation accrue des individus et des collectivités à la décision publique), Maastricht marque également une étape

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décisive dans l’affirmation de la citoyenneté européenne, celle des « citoyens de l’Union ». L’Europe des citoyens devient créatrice d’un faisceau de droits et d’obligations, la citoyenneté européenne venant s’ajouter aux citoyennetés nationales. Outre les droits socio-économiques dont la libre circulation ou le droit au séjour, les ressortissants de la Communauté jouissent de droits civiques spéciaux, notamment le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et au Parlement européen. Cette citoyenneté voit sa force symbolique renforcée par un Protocole sur la cohésion économique et sociale, et un Protocole contre les discriminations et la xénophobie, signés à Maastricht. Malgré ces politiques convergentes d’immigration que tentent de mettre en place les accords de Schengen et de Maastricht, nombre de divergences concernant les politiques de flux subsistent entre les pays, selon les besoins en main-d’œuvre, et selon les traditions politiques et culturelles. Les politiques d’immigration ont des spécificités nationales qui renvoient non seulement à des considérations d’ordre économique, mais aussi à des conceptions spécifiques de l’immigration et de l’intégration. Dans ce contexte, les formes nationales d’identité renvoient à des traditions nationales d’immigration et d’intégration. On peut se demander dans quelle mesure l’histoire de l’immigration et les conditions d’installation des populations étrangères permettent d’expliquer les identités nationales. Il faut rappeler que la pensée de la nation fut d’abord philosophique et historique : « Du point de vue de la sociologie, la nation historique moderne – symboliquement née avec la Révolution française et qui a connu son épanouissement en Europe occidentale jusqu’à la Première Guerre mondiale – a été une forme politique, qui a transcendé les différences entre les populations, qu’il s’agisse des différences objectives d’origine sociale, religieuse, régionale ou nationale (dans les pays d’immigration) ou des différences d’identité collective, et les a intégrées en une entité organisée autour d’un projet politique commun. » (Schnapper, 1991, p. 71). Dominique Schnapper a montré que les politiques d’immigration peuvent être interprétées

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comme une des dimensions de l’élaboration nationale (Schnapper, 1991, 1992). En Europe, la nation est constituée par des siècles d’histoire commune, et l’immigration touche à des éléments constitutifs de la nation. L’installation de populations appartenant à une autre tradition culturelle et politique ne peut manquer de mettre en question le processus d’intégration nationale. Elle conduit les responsables à mener une politique dont le sens est de contrôler ou d’atténuer les formes de différenciation qu’introduit inévitablement la présence définitive de populations étrangères. De ce point de vue, l’immigration constitue un défi pour la nation. Dans quelle mesure les conditions d’installation des populations étrangères éclairent-elles donc les identités nationales ? On oppose par exemple une orientation « communautaire » britannique à une orientation « assimilationniste » française, une relative intégration en France à une relative ségrégation en Grande-Bretagne (Lapeyronnie, 1993). Le cas de la Grande-Bretagne suggère que la primauté accordée à l’identité nationale peut être associée à l’expérience d’une immigration liée historiquement à la décolonisation et à une perception des populations étrangères comme étant intrinsèquement différentes, justifiant par conséquent un traitement particulariste des communautés. Le cas de la France suggère que des identités multiples peuvent être le fait de l’expérience d’une immigration d’abord économique, et d’une perception des populations étrangères comme étant appelées à se fondre progressivement dans la nation, selon la logique républicaine universaliste. Or, toutes proportions gardées, le cas du Portugal peut être envisagé à la lumière du cas britannique. Suite à la Révolution des œillets, le Portugal a d’abord connu une immigration de décolonisation, dans le milieu des années 1970. Comme dans tous les pays du Sud de l’Europe, l’immigration économique n’est intervenue que très récemment (Baganha, 1997 ; Baganha et Góis, 1998–1999 ; Rocha-Trindade, 2000 ; Pereira-Ramos et Diogo, 2003) ; elle ne semble pas encourager pour l’instant l’émergence d’identités multiples. Comme on l’a vu précédemment, l’hypothèse de la relation entre identités et expérience migratoire suggère

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davantage, dans le cas du Portugal, l’importance de l’émigration comme facteur de renforcement de l’identité nationale. Le tableau ci-dessous résume les relations entre mouvements migratoires et identités nationales, en reprenant les données Eurobaromètre analysées dans le chapitre II (tableau 1). Tableau 1. – Identités et mouvements migratoires (Portugal, Grèce, Irlande, Espagne, Italie, Royaume-Uni, France, Allemagne).

Emigration Immigration Identité nationale Identités multiples

Portugal, Grèce, Irlande Espagne, Italie

Royaume-Uni France, Allemagne

D’une façon générale, trois niveaux de la situation et des processus migratoires peuvent être distingués ; ils correspondent également à trois grandes perspectives théoriques du champ de l’immigration. Le premier niveau renvoie à une approche structurale, centrée sur les problèmes économiques ; il met l’accent sur l’intégration et sur la place qui est assignée aux immigrés au sein d’un ensemble plus large. Il met également l’accent sur les projets d’installation ou de départ du groupe et sur son degré de cohésion interne, le processus d’intégration ne pouvant être conçu indépendamment du point de vue que les immigrés élaborent. Le second niveau concerne l’assimilation : il s’agit d’une perspective culturaliste, parfois liée à une approche en termes de stigmate et de réaction sociale, et qui désigne les mécanismes culturels dominant l’expérience de l’immigration, le rapprochement ou la distance entre les groupes et la convergence des « mœurs » des groupes en présence. Enfin, le troisième niveau renvoie à une perspective de sociologie politique : il concerne l’identification nationale comme modèle de citoyenneté, de participation politique et d’appartenance étatique. Les immigrés sont confrontés non seulement à une situation de changement de statut social et de transformation des modèles culturels, mais aussi à plus ou moins long terme, à un problème de « choix » national, désiré, imposé ou refusé. Si les modèles de citoyenneté reflètent en partie les attitudes vis-à-vis des migrations

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et donc de l’identité nationale, alors une des pistes à explorer concerne la relation entre identité et citoyenneté. 2. – Identité et citoyenneté Peut-on déduire des identités spécifiques à partir des modèles de citoyenneté, ou doit-on au contraire postuler leur relative indépendance ? Il convient de rappeler ici la distinction entre les modèles français et allemand de citoyenneté, la bonne volonté française et la répugnance allemande à transformer les immigrés en citoyens (Brubaker, 1992). A la différence de la loi française, la loi allemande de la citoyenneté n’accordait pas, jusqu’à la réforme de la loi de 2002, de signification à la naissance sur le territoire national – la citoyenneté étant uniquement fondée sur la filiation. La différence entre les politiques des deux Etats s’explique clairement par les voies divergentes qui ont fait parvenir la France et l’Allemagne à l’Etat-nation, et par les oppositions dans l’élaboration politique et culturelle de la nationalité qui en découlent. Les traditions façonnent le droit de citoyenneté, et par conséquent le statut et les possibilités offertes aux immigrants en France et en Allemagne. De façon idéaltypique, la citoyenneté peut être conçue comme un ensemble idéal composé de trois traits (Leca, 1994). Elle est d’abord un statut juridique, elle est aussi un ensemble de rôles sociaux spécifiques distincts des rôles privés, professionnels, économiques, elle est enfin un ensemble de qualités morales – le « civisme » –, considérées comme nécessaires à l’existence du « bon » citoyen. La citoyenneté voit dans l’institution scolaire son instrument le plus efficace pour l’homogénéisation politique. Or, dans le cas des immigrés, cette idée d’homogénéisation pose justement problème : venus souvent pour des raisons matérielles, ils ne sont guère enthousiastes pour s’identifier aux valeurs politiques du pays d’accueil, et peuvent très bien continuer à entretenir des liens forts avec leur pays d’origine. Le pluralisme culturel se développe sur ces bases : il est un modèle de

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construction des identités politiques sur des bases sub– ou transnationales (langue, ethnie, religion, couleur de la peau), qui se rattache à un type de comportement social pour lequel la société apparaît comme une mosaïque de solidarités compartimentées où la justice consiste à s’assurer de la distribution équitable de portions égales, à chaque segment culturel. D’un autre côté, la citoyenneté moderne s’appuie sur les mécanismes de la représentation. Elle est nécessairement, et par définition un mécanisme pluriel. On voit comment dans cette situation, l’extension de la participation citoyenne peut engendrer un éclatement de la nationalité et de la citoyenneté, par la multiplication des niveaux de citoyenneté. En tant que réalité institutionnelle et fait de psychologie collective, l’Etat-nation constitue une manière particulière d’éprouver et d’organiser l’appartenance politique et sociale. Mais il représente également une idée et un idéal, permettant de penser et d’évaluer cette appartenance. De façon idéaltypique selon Brubaker, l’appartenance à l’Etat-nation devrait être en premier lieu égalitaire, c’est-à-dire pleine et entière pour tous. En second lieu, elle devrait être sacrée (les citoyens devraient faire des sacrifices pour l’Etat). Troisièmement, elle devrait être fondée sur l’appartenance à la nation (la communauté politique doit être en même temps une communauté de culture, de langage, de mœurs et de personnalité). Quatrièmement, l’appartenance devrait être démocratique et ouverte : elle devrait impliquer une participation effective à la vie de la cité et l’Etat devrait permettre aux non-membres de la nation d’y accéder. Cinquièmement, l’appartenance à l’Etat devrait être unique, c’est-à-dire exhaustive et réciproquement exclusive, chaque individu ne pouvant appartenir qu’à un seul Etat. Enfin, l’appartenance devrait être socialement bénéfique, elle devrait s’exprimer dans un bien-être communautaire et entraîner des avantages importants qui, avec les devoirs sacrés mentionnés précédemment, devraient distinguer de manière claire et significative le statut de membre de celui de non-membre. Elle devrait pouvoir être objectivement évaluée et subjectivement valorisée, hautement et concrètement estimée.

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Or, selon Brubaker, ce modèle d’appartenance idéal n’existe plus qu’en tant que vestige, il est en dehors des réalités contemporaines de l’appartenance étatique. L’Etat bureaucratique se coupe de la société civile, la démocratie est relative, l’immigration importante de l’après-guerre a amplifié les déviations préexistantes (dévaluation de la nationalité, désacralisation croissante de l’appartenance, volonté croissante d’appartenir à un Etat sans appartenir à la nation, nombre croissant de personnes possédant une double citoyenneté, exclusion d’un grand nombre de résidents à la participation aux élections). Comment comprendre dans ces conditions la relation entre citoyenneté et identités ? Comme on l’évoquait, la façon dont la citoyenneté est attribuée dépend des traditions nationales qui ont forgé la conception de l’immigration et les politiques qui en découlent. Deux façons principales d’accorder la citoyenneté peuvent être distinguées : à un pôle, des pays traditionnellement d’immigration tels les Etats-Unis, le Canada, ainsi que la plupart des pays de l’Amérique latine, octroyant inconditionnellement la citoyenneté à tous les individus nés sur leur territoire. A l’autre pôle, l’Allemagne et la Suisse qui, si elles possèdent dans leur législation des clauses spéciales pour les individus nés sur leur territoire, privilégient de manière assez nette le principe de filiation. Dans les cas intermédiaires, une combinaison des critères de la naissance et de la résidence permet l’octroi presque automatique ou par demande, de la citoyenneté. Les normes d’appartenance partent donc dans plusieurs directions : égalitaires et démocratiques dans un cas, elles exigent l’admission des résidents permanents à la citoyenneté intégrale ; uniques, sacrées et nationales dans l’autre cas, elles peuvent servir à justifier une série de conditions préalables à l’admission, plus ou moins restrictives ; elles peuvent également être suffisamment dissuasives pour empêcher qu’un taux élevé d’immigrants ne soit accepté en tant que citoyens. Bien que l’immigration ne soit pas constitutive de la nation française, de très nombreux étrangers se sont progressivement incorporés à la communauté nationale. Héritière de mobilités multiples, la société française repose sur un droit à la nationalité

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qui prend sa source dans la filiation – tout en conférant une part non négligeable à la naissance sur le sol national, à la résidence, et dans une certaine mesure à la volonté de devenir Français. Etre Français garantit l’égalité totale des droits et l’insertion durable d’immigrés dont les enfants sont le plus souvent nés dans le pays de résidence. Aussi l’accession à la qualité de Français est-elle placée au centre des interrogations sur l’intégration des immigrés, comme l’a montré en 1993 la réforme du Code de la nationalité. Celle-ci venait modifier l’article 44 en vertu duquel l’enfant d’étranger né en France acquiert de manière quasi automatique la nationalité française à la majorité, en exigeant une « manifestation de volonté » – supprimée en 1997 après maintes querelles et débats. Le principe de l’acquisition de plein droit fut alors rétabli pour les jeunes étrangers nés en France et y résidant depuis au moins cinq ans, confirmant l’efficacité et la valeur symbolique du dit principe. La plupart des Etats modernes établissent un lien entre nationalité et citoyenneté. La prestation d’un serment est requise dans de nombreux droits étrangers, pour marquer l’importance du choix de devenir un national. Dans l’histoire, les nations ont été créées soit à partir d’une communauté de culture ou d’ethnie – le Volkgemeinschaft allemand –, soit à partir d’une volonté politique – universaliste, rationaliste, assimilationniste et centrée sur l’Etat, dans la conception française. La nation n’est pas qu’idéologie, elle est aussi un produit historique et une réalité concrète. Elle crée un espace politique, donc juridique, administratif et social, à l’intérieur duquel sont réglés les relations, les rivalités et conflits entre les individus et les groupes. La nation a aussi des fonctions sociales : si les immigrés en France ne bénéficient pas de la citoyenneté au sens du droit de vote, ils ont néanmoins droit à la protection sociale lorsqu’ils sont en situation régulière. En France, on intègre les immigrés par l’intermédiaire des droits sociaux, généraux et compensatoires, et par leur participation progressive – surtout celle de leurs enfants – à la vie politique, grâce à l’« ouverture » du droit de la nationalité qui transforme l’immigré

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en citoyen1. Dans la mesure où la France se caractérise par un modèle de citoyenneté ouvert, la logique d’accueil explique en partie sa tension vers des identités multiples. La citoyenneté portugaise est relativement proche d’une citoyenneté « à la française », dans la mesure où la relative liberté à avoir des allégeances multiples (consacrée par le droit de la double nationalité) s’observe également au Portugal. Les deux pays partagent une position intermédiaire commune, entre les pays traditionnellement d’immigration pour lesquels prime le droit du sol, et les pays pour lesquels le principe de filiation reste fondamental. Comme la France, le Portugal offre une combinaison de critères de naissance et de résidence, qui permet l’octroi presque automatique de la citoyenneté à la majorité pour les enfants nés de parents étrangers. Il établit toutefois une distinction entre les ressortissants des pays de langue officielle portugaise et les autres2. Il existe selon les cas une plus ou moins grande congruence entre identités et citoyenneté : alors que leurs modèles de citoyenneté diffèrent nettement, la France et l’Allemagne ont des identités relativement proches. Bien que la France et le Portugal partagent un modèle de citoyenneté relativement ouvert, leurs identités se distinguent : on observe en France une forte congruence entre identités multiples et citoyenneté ouverte, à la différence des cas portugais et allemand (identité nationale et citoyenneté ouverte dans un cas, et identités multiples et citoyenneté restrictive dans l’autre cas) (tableau 2). Tableau 2. – Identités et modèles de citoyenneté (Portugal, France, Allemagne).

Citoyenneté ouverte Citoyenneté restrictive Identité nationale Identités multiples

Portugal France

– Allemagne

1 En 1999, on comptait 1 554 000 anciens immigrés ayant acquis la nationalité française et 800 000 personnes nées en France, soit un total de 2 355 000 Français par acquisition, représentant 4 % de l’ensemble de la population résidant en France métropolitaine. 2 Selon la loi de la nationalité n° 37/81 du 3 octobre 1981, peuvent acquérir la nationalité portugaise, pourvu qu'ils déclarent leur volonté d'être Portugais, « les individus nés en territoire portugais, de parents étrangers qui y résident avec permis de séjour valable depuis au moins six ans s’il s'agit des citoyens ressortissants des pays de langue officielle portugaise, ou dix ans dans les autres cas ».

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Les modèles de citoyenneté ne sauraient donc expliquer à eux seuls les identités, pas plus que ces dernières ne sont le simple reflet des modèles de citoyenneté. Un modèle de citoyenneté restrictif n’implique pas nécessairement une identité nationale forte, pas plus qu’un modèle de citoyenneté ouvert ne garantit des identités multiples. Intimement liées à l’histoire et à l’intégration nationales, les identités engagent des éléments que les seules questions de citoyenneté et de nationalité n’épuisent pas. Au-delà de la différence des modèles de citoyenneté en France et en Allemagne, les identités multiples observéees dans leurs cas renvoient à l’idée que les deux pays ont appris à se méfier des nationalismes destructeurs. Au Portugal, le nationalisme a longtemps rempli une fonction de cohésion interne contre la menace d’invasion espagnole. Peut-être les identités nationales fortes en Europe actuellement, lorsqu’elles s’appliquent à des pays comme le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, se comprennent-elles par rapport à cette fonction de cohésion interne : il s’agit de petits pays, pour lesquels le nationalisme n’a pas connu les excès destructeurs des grandes puissances voisines. Un nationalisme à fonction défensive, un patriotisme de petit contre grand, expliquerait donc le maintien d’identités nationales fortes, à l’heure des identités multiples. Les identités nationales en Europe ne se comprennent que dans le cadre des histoires nationales – qui sont souvent l’histoire des nationalismes –, dont les modèles de citoyenneté ne sont qu’un des reflets. La tension vers des identités multiples, ou au contraire la permanence d’identités nationales fortes et/ou défensives, se comprend par l’histoire même de la construction et de l’intégration européennes1. Le fait que le rejet ou la méfiance vis-à-vis du nationalisme soit au cœur du projet européen initial n’a pas le même écho en France, en Allemagne, au Portugal ou en Irlande. D’ailleurs, les motifs d’européanisme ne se résument pas aux attitudes critiques à l’égard du nationalisme, pas plus qu’ils n’engendrent de manière automatique une forte identification à l’Europe. On comprend mieux dans ce contexte la diversité des

1 Sur la question des relations entre identité et citoyenneté en regard de la construction européenne, voir Delgado-Moreira (1997).

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identités en Europe, de même que la complexité des formes de combinaison entre identité nationale et identité européenne. Les discours de « perte de souveraineté » mêlent souvent indistinctement les méfaits d’une Europe jugée par trop « technocratique » à ceux d’une immigration « sauvage » et « incontrôlée ». La construction européenne et les migrations constituent de ce point de vue des facteurs centraux de l’évolution des identités, et l’on sait combien cette évolution peut susciter des réactions opposées – de la fuite en avant supranationale à la crainte de perdre son identité nationale. En France, ces deux facteurs expliquent sans doute la tension observée entre une crainte de perte de souveraineté et une valorisation de l’identité nationale comme ouverture à la diversité culturelle. En ce sens, les identités multiples observées en France se comprennent par rapport au sens que le pays donne à son appartenance européenne, et par rapport à la réalité de sa tradition d’accueil. 3. – Politiques de la nationalité L’Europe des identités n’a de cesse de nous rappeler à la prégnance du national. La tension entre identités nationales et identités multiples ne s’explique que par rapport au poids du national, à son histoire et à sa représentation. Pour des raisons d’ancienneté, il conjugue transcendance et différenciation de manière idéale. Toute étude sur l’Europe des identités se doit d’accorder une importance centrale aux différences nationales, à mesure que se forment des identités multiples. Patrick Weil et Randall Hansen ont montré que les politiques de l’immigration sont devenues les politiques de la nationalité à travers toute l’Europe, indépendamment du processus d’intégration européenne (Weil et Hansen, 1999). En 1992, le traité de Maastricht a défini la citoyenneté européenne comme un dérivé de la citoyenneté nationale, conception consolidée par le traité d’Amsterdam1. La citoyenneté européenne a été instaurée sans 1 Pour reprendre les termes de Catherine Wihtol de Wenden, « A bien des égards, la citoyenneté européenne constitue un substitut de nationalité européenne. C’est une

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harmoniser le droit de la nationalité entre les Etats membres ; contrairement aux politiques économiques et monétaires, on n’a pas considéré que la convergence organisée des politiques nationales était une condition nécessaire à la mise en place d’un régime européen supranational. Les rédacteurs des traités ont implicitement reconnu qu’il existait dans les traditions des Etats-nations européens des différences fondamentales en matière de nationalité – une idée d’ailleurs largement répandue dans les pays eux-mêmes et dans le milieu scientifique. En dépit des différences entre les traditions en matière de nationalité, des différentes conceptions de la nation et de la nature émotionnelle des politiques qui en découlent, on constate l’existence de facto d’une convergence européenne des politiques de la nationalité. Weil et Hansen ont mis en relief la convergence des droits de la nationalité en Europe, elle concerne le droit d’accès à la nationalité des descendants d’immigrés (sauf en Autriche, en Grèce et au Luxembourg)1. L’absence de convergence s’explique quant à elle par l’idée que l’octroi de la citoyenneté peut être perçu, dans le cas des petits pays où se trouve une forte population de descendants d’immigrés (Luxembourg), non comme une garantie d’intégration mais comme une menace pour l’identité de la communauté nationale. Dans le cas de la Grèce qui ne connaît que depuis peu une immigration significative, l’absence d’expérience de l’immigration créerait naturellement moins de pression en faveur de la réforme. La question de la double nationalité, outre le fait qu’elle soulève d’épineux problèmes de droit international, provoque également citoyenneté sans nation ou qui précède la nation européenne à construire. (…) La citoyenneté européenne se dissocie (…) de la nation, tout en étant la conséquence de la nationalité de l’un des Etats membres. » (Wenden, 1997, p. 29). 1 « A la fin du XIXe siècle, seule la France était un pays d’immigration au sens plein du terme. Aujourd’hui, qu’ils l’aient voulu ou non, tous les pays d’Europe sont devenus des pays d’immigration. Les Etats membres de l’Union Européenne, en premier lieu ceux du Nord–Ouest, sont parvenus à la mise en place de dispositions convergentes en matière de droit de la nationalité parce qu’ils ont dû faire face à un problème commun : la nécessité d’intégrer les immigrés résidents permanents, et avant tout leurs enfants, dans la citoyenneté nationale. Plus qu’un processus européen ou supranational, la réforme du droit de la nationalité reste une affaire intérieure, le mécanisme de convergence dominant étant celui des voies parallèles de développement. » (Weil et Hansen, 1999, p. 19).

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des réactions très divergentes dans les Etats-nations d’Europe. Pour certains d’entre eux, la double nationalité est un facteur décisif pour l’unité nationale, alors que pour d’autres c’est un non-enjeu. L’Union Européenne reflète la division qui a pu être observée entre la position des Etats-Unis pendant la Guerre Froide, où la double nationalité équivalait à la trahison, et celle du Canada, où les rares tentatives pour supprimer la double nationalité ont fait long feu. Au Royaume-Uni ou en France, la double nationalité n’a jamais été un enjeu. En Allemagne, il s’agit en revanche d’un enjeu parmi les plus cruciaux, qui divise partis et gouvernement entre ceux qui considèrent la double nationalité comme incompatible avec la loyauté à l’Allemagne, ceux qui la voient comme un mal nécessaire pour intégrer l’importante population turque du pays, et enfin ceux qui font de son adoption le symbole d’une société multiculturelle sûre d’elle-même. La France ne se soucie guère que ses nouveaux citoyens conservent une autre nationalité : sur le territoire national, seule compte la nationalité française et, comme la culture d’origine, la nationalité d’origine qui ne se pratique pas se perd rapidement avec la succession des générations. Il existe donc en regard de la double nationalité des réponses divergentes, liées aux politiques d’intégration des Etats. Les Etats désireux d’encourager l’intégration complète de leurs résidents permanents sont mieux disposés envers la double nationalité (France, Irlande, Royaume-Uni, Italie). L’interdiction de la double nationalité est à l’inverse un des principaux obstacles à la naturalisation des étrangers venus de pays tiers (exemple des Turcs en Allemagne). Comme l’attestent les exemples autrichiens et danois, les Etats qui se sentent menacés par leurs résidents permanents et/ou qui restent sceptiques quant aux perspectives d’intégration rapide sont généralement opposés à la double nationalité. Mais la double nationalité n’est pas uniquement une question de loyauté et d’intégration. Elle est également intimement liée à l’existence de communautés nationales à l’étranger. La double nationalité a un double visage : son acceptation peut annoncer une volonté d’inclusion, comme dans les cas britannique et français, ou la perpétuation des liens avec des communautés

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nationales à l’étranger en voie de dissolution, comme en Italie, en Grèce ou au Portugal. Tous les pays du Sud de l’Europe ont adopté des mesures restrictives en ce qui concerne la naturalisation, à l’exception de l’Espagne. Cette tendance s’explique par le fait que la libéralisation est moins probable quand l’immigration continue et/ou quand il existe un fort degré d’immigration illégale, particulièrement dans un contexte économique incertain. De façon générale, l’immigration est un phénomène relativement récent dans l’Europe du Sud. Pendant longtemps, ces pays furent avant tout des pays d’émigration, avec de fortes populations à l’étranger. Ce n’est qu’au début des années 1990 qu’ils ont envisagé de combiner des mesures de restriction et d’intégration, comme l’avait fait le Nord dans les années 1970. Au Portugal, l’augmentation de l’immigration légale à partir de la fin des années 1980, combinée avec l’impression d’une forte immigration clandestine, a amené le gouvernement à élever le critère de résidence pour la naturalisation des primo-migrants de six à dix ans (Margarida et al., 1999). 4. – L’injonction identitaire La convergence des politiques de la nationalité en Europe concerne des pays qui ont connu et connaissent par ailleurs des histoires migratoires fort différentes, à l’instar du Portugal et de la France. Dans les deux pays, le modèle de nationalité accorde une priorité à la dimension « sociologique » de la socialisation. Toutefois, il existe des différences assez nettes entre une France « rompue » à la diversité pour qui l’identité nationale reste une source de questionnement, et un Portugal comparativement plus homogène, qui maintient une identité et une cohésion nationales fortes indépendamment de son expérience récente de l’immigration. En tant que tels, les modèles de nationalité ne sont pas des facteurs explicatifs des différences observées entre les identités dans les deux pays. Ces facteurs se trouvent davantage dans l’expérience des migrations et dans les attitudes face à la construction

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européenne, qui en tant que telles dépassent le strict cadre national. La diversité qui, avec la logique d’accueil, atteste de l’existence d’identités multiples, ne se trouve pas tant dans les modèles de nationalité et de citoyenneté que dans les cycles migratoires et dans le sens donné à l’intégration européenne. Du point de vue de l’immigration en France, les identités multiples prennent leur sens par rapport à la diversification des populations et par rapport à la logique d’accueil qui caractérise l’approche française de l’immigration – une tradition d’Etat-nation et un projet politique à vocation universelle (Schnapper, 1989). Les identités multiples renvoient également à l’idée que l’identité nationale est consciente de sa diversité. En tant que vieux pays d’immigration, la France reconnaîtrait plus volontiers sa propre diversité culturelle. Dans ces conditions, la relative liberté de choisir ses allégeances au-delà du cadre national serait également caractéristique de l’identité nationale, de même que les identités multiples et la diversité seraient caractéristiques de l’intégration nationale. L’identification à l’Europe n’existe et n’a de sens qu’en référence à l’appartenance nationale. Elle ne peut se comprendre qu’à partir de cette dernière, dans la mesure où l’appartenance nationale continue de structurer les identités. Les identités nationales observées au Portugal et en Irlande se combinent relativement bien avec des attitudes favorables à l’égard de l’Europe, contrairement à la position britannique qui est de loin la plus critique parmi l’ensemble des Quinze. De ce point de vue, le Portugal et l’Irlande illustrent le cas de pays traditionnellement nationalistes, pour qui l’intégration européenne a signifié un regain de fierté nationale. Dans la tendance à la coexistence des identifications nationales et européenne, la construction européenne et les identités nationales sont intimement liées. De manière apparemment paradoxale, la construction européenne semble engendrer une injonction à adopter une identité nationale spécifique et ouverte à la fois. Dans ces conditions, les identités nationales et européenne ne se comprennent que dans leurs relations réciproques, chaque pays illustrant un partage spécifique entre identité nationale et identité

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européenne. Au-delà des réactions enthousiastes ou de méfiance vis-à-vis de l’Europe, la construction européenne favorise une évolution des identités qui peut se lire comme une tension vers des identités multiples. L’injonction identitaire produite de manière implicite par le projet européen ne porterait donc pas tant sur l’adoption d’une identité européenne – d’autant plus abstraite qu’elle serait imposée d’en haut –, que sur la nécessité d’adopter une identité nationale acceptable, par rapport à un espace d’interdépendances élargies. L’Union Européenne encouragerait l’affirmation des identités nationales, non pas tant à des fins défensives qu’à des fins discursives et argumentatives. Il s’agirait de produire une identité nationale présentable et exportable ; il s’agirait aussi d’être davantage soi-même pour être plus Européen. En ce sens, la construction européenne encourage la mise en scène rationnelle des différences, et tend à rendre ces dernières communicables et à faire en sorte que chacune tienne compte des autres. La multiplication des échanges se traduit par la nécessité pour chaque pays de définir ce qui le rend différent et spécifique par rapport aux autres. Le paradoxe de l’injonction identitaire serait que tous les pays se ressemblent au moins sur un point : leur manière de se croire et de se penser différent. Certes, il peut y avoir une tendance à figer des identités à des fins « touristiques » : on ne « produirait » plus que des identités nationales rationnelles, correspondant aux attentes d’autrui. La recherche de spécificité serait elle-même un produit de ce processus de rationalisation, la construction européenne encourageant non pas tant l’adoption d’une identité supranationale, qu’une affirmation de son identité nationale dans l’échange. Or, en tant que tel ce processus est homogénéisant. Sur le plan mythique, l’exemple du Portugal suggère que le discours national ne se contente pas de passer des Découvertes à l’intégration européenne : le « passage » par l’Europe permet la redécouverte de la lusophonie en tant que paradigme distinctif. Grâce à l’Europe le Portugal redécouvre sa lusophonie, tout en affirmant son lien avec les Communautés Portugaises. L’institutionnalisation de sa relation

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aux deux entités qui le rendent spécifique lui permet d’affirmer son intégration européenne. Conformément à l’hypothèse de l’injonction identitaire, il existe – ou doit exister – pour chacun des pays membres un équivalent structurel à la lusophonie pour le Portugal. Chaque pays a aussi à inventer sa propre interprétation de l’européanité sur le thème : « Ce qui fait de moi un Européen est aussi surtout ce qui fait de moi un national ». Dans ces conditions, l’analyse de l’évolution des identités nationales se prolonge nécessairement dans une lecture à l’échelle des groupes. Dans la mesure où les identités multiples prennent leur sens par rapport à l’intégration nationale, l’analyse du point de vue des groupes devrait envisager un double plan, socio-économique et identitaire1. Comme nous tenterons de le montrer dans la seconde partie, les formes d’allégeance des jeunes d’origine portugaise en France se comprennent particulièrement dans le contexte général de la spécificité de l’immigration portugaise, de l’expérience acquise en France, et de l’intégration européenne.

1 Le plan identitaire renverrait notamment au sentiment d’être intégré, ce dernier pouvant par exemple être évalué par les projets de vie.

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Seconde partie :

Formes d’identification des lusodescendants

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V. – Typologie des formes d’identification L’évolution des formes d’identification apparaît comme la situation par excellence à laquelle se trouvent confrontées les populations immigrées et leurs descendants. Concernant ces derniers, l’ambiguïté de l’expression « seconde génération » les définit inévitablement par la migration des parents, dans un entre-deux entre culture d’origine et pays d’installation des parents1. De façon significative, cet entre-deux est bien souvent inscrit plus ou moins explicitement dans une perspective assimilationniste qui adopte volontiers le point de vue de l’Etat-nation, selon lequel l’acquisition de la nationalité devrait entraîner l’allégeance unique et définitive. A moins que, dans une perspective culturaliste, l’accent ne soit mis à l’inverse sur les tendances – plus ou moins suspectes ou salutaires –, au maintien défensif d’une prétendue culture d’origine (Héran, 2002, p. 11–88). Pour préciser la situation des jeunes issus de l’immigration récente aux Etats-Unis, Alejandro Portes et Rubén Rumbaut ont proposé une typologie qui décrit l’acculturation au fil des générations (types of acculturation across generations) (Portes et Rumbaut, 2001). Cette typologie décline la situation des parents et celle des enfants selon deux vecteurs principaux de l’acculturation – définie comme l’adaptation à la société environnante –, à savoir, d’une part l’apprentissage de l’anglais et des coutumes américaines (learning of English and American customs), d’autre part l’insertion dans la communauté ethnique (insertion into ethnic community). Portes et Rumbaut ont montré que les formes d’adaptation les plus réussies sont celles qui combinent ces deux vecteurs pour les deux générations, soit la connaissance de l’anglais et des coutumes américaines, et l’insertion dans la communauté ethnique – pour les parents comme pour les enfants.

1 L’expression « seconde génération » est ambiguë dans la mesure où elle définit les jeunes par rapport à la migration des parents. Faut-il rappeler qu’il est en fait question de jeunes nés en grande majorité dans le pays d’installation. Pour une réflexion critique générale sur l’emploi de la notion de génération, voir Sayad (1994).

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Le type de l’acculturation sélective (selective acculturation) a pour caractéristique la préservation de l’autorité parentale, l’absence ou quasi-absence de conflit générationnel, et le fait de parler les deux langues couramment pour les enfants. Les quatre autres types décrits sont des formes imparfaites ou inachevées de cette acculturation sélective qui caractérise la vague récente d’immigration aux Etats-Unis, à partir du milieu des années 19701. Dans le même ordre d’idée, Herbert Gans – à qui l’on doit l’expression de symbolic ethnicity – a proposé de réconcilier assimilation et pluralisme, en mettant l’accent sur les stratégies identitaires qui tendent à favoriser des formes d’assimilation segmentaire (segmented assimilation), et qui incarnent en tant que telles la tension fondamentale entre acculturation et ethnic retention (Gans, 1979, 1997)2. D’une façon générale, le facteur migration ne peut échapper à cette tension entre pays d’origine et pays d’installation/de naissance (selon qu’il s’agit des parents ou des enfants), à l’échelle d’une ou de plusieurs générations. Les migrants et leurs descendants sont souvent pris entre logiques nationales des pays d’origine et d’installation (Oriol, 1979 ; Rex, 1996a) ; la situation idéaltypique des descendants de migrants peut être caractérisée par l’imbrication complexe de deux logiques nationales distinctes voire 1 Ainsi, l’acculturation consonante (consonant acculturation) est marquée par la recherche d’intégration de la part des parents et des enfants au détriment de l’insertion dans la communauté ethnique, et par le monolinguisme anglais rapide de la part des enfants. La résistance consonante à l’acculturation (consonant resistance to acculturation) est à l’inverse caractérisée par l’isolement dans la communauté ethnique de la part des parents et des enfants, avec la forte probabilité de repartir vivre dans le pays d’origine. Enfin, l’acculturation dissonante (dissonant acculturation) peut prendre deux formes : la première est caractérisée par la rupture des liens familiaux et par l’abandon de la communauté ethnique par les enfants, ainsi que par un bilinguisme limité de la part de ces derniers, voire un monolinguisme anglais (dissonant acculturation I) ; cette tendance peut se renforcer dans une seconde forme, caractérisée par la perte d’autorité des parents vis-à-vis des enfants et par la perte de la langue des parents par les enfants, ainsi que l’inversion des rôles entre parents et enfants et le conflit générationnel (dissonant acculturation II) (Portes et Rumbaut, 2001). 2 La théorie de moyenne portée de l’assimilation segmentaire (middle range theory of segmented assimilation) a quant à elle été proposée par Alejandro Portes et Min Zhou (Portes et Zhou, 1993 ; Portes, 1995). Sur les stratégies d’identification, voir également Stratégies identitaires (1990) ; Léonetti-Taboada (1991) ; Giraud (1992) ; Camilleri (1998a, 1998b).

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ambivalentes qui, en tant qu’expériences vécues, ont des effets sur les identifications. On peut par exemple se sentir Portugais par les parents et Français par la culture, ou bien Français uniquement – pour être considéré comme tel par les Portugais résidents. Il serait réducteur de considérer ces identités du seul point de vue de l’horizon de l’assimilation ou selon le seul paradigme de l’intégration nationale, dans la mesure où dans bien des cas la dimension européenne apparaît désormais dans les identifications. Elle justifie le questionnement sur la signification des identités multiples au sein des groupes, et plus particulièrement sur la spécificité d’un européanisme issu des migrations. Afin de contextualiser la typologie des formes d’identification élaborée à partir des données d’enquête, il importera de préciser les principales caractéristiques de l’évolution des jeunes d’origine portugaise en France. Mais il faut tout d’abord mettre en relief quelques éléments d’une problématique générale de l’européanisme. La problématique de l’européanisme renvoie à l’étude de la signification subjective de l’Europe pour les individus et les groupes. Il s’agit de comprendre comment se construisent et s’opposent des formes d’adhésion ou de rejet de la construction européenne, en sachant que cette dernière peut engendrer selon les groupes des tendances à la supranationalité, ou au contraire des tendances au nationalisme (Tapia, 1997). Cette dichotomie n’est pas nouvelle en soi, elle traverse les représentations de l’Europe et des nations depuis au moins la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’interrogation philosophique sur l’idée d’Europe remonte au siècle des Lumières et du cosmopolitisme, siècle qui oppose en Allemagne deux tendances à l’égard de l’Europe : l’universalisme, la civilisation, la raison, et l’engagement politique d’un côté, le nationalisme, le différencialisme culturel, la culture, l’instinct, et l’apolitisme de l’autre. Il est d’évidence difficile voire impossible de trouver une définition consensuelle de l’Europe – que ce soit en termes géographiques, ethniques, culturels ou politiques. D’ailleurs, la

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problématique de l’européanisme ne se confond pas avec une histoire des idées ou des conceptions de l’Europe1. Néanmoins, cette « Europe des idées » sous forme de deux philosophies antagonistes qui tendent à mélanger des éléments culturels, idéologiques et politiques, résume à elle seule l’éventail des attitudes à l’égard de l’Europe, elle constitue encore aujourd’hui le support principal des attitudes, favorables ou critiques. Pour la philosophie des Lumières, celle de l’Aufklärung kantien, l’attitude favorable à l’égard de l’Europe se définit comme une étape vers l’universalisme ; l’effacement progressif des caractères nationaux en Europe correspond à une avancée sur la voie d’une civilisation commune qui suppose un relatif déracinement des individus hors de la nation ou du territoire local d’insertion, au profit d’une identification à une citoyenneté plus large – européenne ou mondiale. L’Europe est dans ce cas perçue dans son unité culturelle, spirituelle et politique. A l’inverse, la thèse défendue par Herder contre l’universalisme des Lumières valorise la culture (qui se confond avec la nationalité) contre la civilisation : la culture « enracine les individus dans un même univers de valeurs, de langage, de spiritualité, de traditions ancestrales, et renforce l’autonomie et la singularité des nations et des peuples (…) ; l’hyper-intellectualité et l’idée d’un progrès transnational élargissant l’horizon individuel ou collectif sont des illusions ou, pire encore, des menaces pour les sensibilités, les instincts, les évolutions ‘naturelles’ ; enfin, la politisation du débat sur la culture est corrélative d’une inclination pro-française, pro-européenne, et pro-occidentale, donc à proscrire. » (Tapia, 1997, p. 18–19)2. Contrairement à l’Europe des idées, l’interrogation sur le contenu des attitudes favorables à l’égard de l’Europe s’inscrit dans une démarche empirique qui analyse l’influence de la construction européenne sur l’évolution des identifications. Deux formes principales d’européanisme peuvent être distinguées, d’une part

1 A ce sujet, l’anthologie proposée par Yves Hersant et Fabienne Durand-Bogaert est particulièrement intéressante (Hersant et Durand-Bogaert, 2000). 2 Sur Herder et le besoin d’appartenance, voir également Birnbaum (2000).

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une conception pragmatique de l’unité européenne qui, parallèlement à l’intégration économique en cours, suggère le renforcement d’un ensemble de pratiques, d’échanges culturels, universitaires, artistiques ; d’autre part une conception idéaliste, philosophique ou spiritualiste, qui fonde la construction européenne sur le partage d’un système de valeurs. L’« Europe des réalités » renvoie à la dimension politique et économique de la construction européenne, de la Communauté du charbon et de l’acier de Jean Monnet à aujourd’hui, en passant par le traité de Maastricht qui instaure l’Union Européenne et la citoyenneté européenne. Il faut noter la parenté existant entre les conceptions pragmatiques et instrumentales de l’Europe, et cette Europe des réalités, de même qu’une parenté existe entre les conceptions idéales de l’Europe, et l’Europe des idées. Si ces deux dimensions principales ne sont pas nécessairement en opposition, elles sont suffisamment distinctes pour orienter les opinions et les représentations. On peut enfin distinguer une « Europe de la culture ». En tant que concept, la culture européenne réunit les normes de la démocratie et de l’Etat de droit, la citoyenneté, les traditions et les mentalités, ainsi que l’intensité d’une multiplicité historico-culturelle. L’Europe des réalités est incapable de susciter le moindre enthousiasme ou la moindre passion au sein des peuples qu’elle concerne, du fait que les priorités auraient été inversées entre une Europe économique, une Europe politique et une Europe de la culture, dont la prééminence est ou devrait être nécessaire dans le projet d’unification de l’Europe. Plutôt abstraite, cette distinction entre trois dimensions de l’Europe ne dit rien sur la façon dont peut naître le sentiment d’appartenance à l’Europe – problématique qui est au centre de la réflexion sociologique et psychosociologique sur cette question. Cette perspective ne peut être qu’empirique, dans la mesure où elle consiste à examiner, auprès des populations concernées, la manière dont elles pensent leurs appartenances primaires ou secondaires et l’Europe, quels facteurs facilitent l’adhésion à la supranationalité,

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les mécanismes par lesquels les représentations de l’Europe déterminent des comportements ou des attitudes spécifiques. Une des ambitions principales de la plupart des recherches effectuées depuis au moins une vingtaine d’années sur l’identification à l’Europe ou sur l’intériorisation d’un sentiment européen, est de comprendre et d’expliquer comment diverses variables opèrent ensemble pour déterminer des systèmes d’opinions ou d’attitudes – dont celles orientées vers la construction européenne (Tapia, 1997). Des convergences sont notables sur un certain nombre de points : certaines variables objectives interviennent dans la constitution ou l’intensité des sentiments favorables à l’Europe, notamment le niveau d’instruction, l’âge, l’origine sociale. De même, il existe une relation sur le plan des attitudes, entre une tendance idéologique progressiste ou moderniste, et une attitude favorable à l’égard de l’Europe. A l’inverse, une relation entre un nationalisme classique et conservateur et des attitudes critiques à l’égard de l’Europe peut être observé. On observe également des corrélations entre le système de valeurs dominant au sein de la population interrogée et le degré d’adhésion à la construction européenne – le système le plus traditionaliste correspondant aux attitudes les plus réservées à l’égard de l’Europe. Deux échelles principales d’attitudes peuvent être distinguées, l’une mesurant l’européanisme, l’autre le nationalisme. Selon le critère de référence dominant – à savoir le degré d’ouverture à la supranationalité –, les distinctions suivantes peuvent être établies : d’une part, entre un nationalisme classique (critique à l’égard de l’Europe), un nationalisme élargi aux frontières de l’Union Européenne (européanisme défensif, anti-internationalisme), et un européanisme internationaliste ou universaliste ; d’autre part, entre un européanisme affectif, sentimental, un européanisme politique, idéaliste (désir d’appartenance), un européanisme pragmatique et utilitariste (motivations essentiellement économiques), et un européanisme rationaliste et stratégique (évaluation des avantages et inconvénients de l’unification). Enfin, on peut également distinguer un européanisme de façade, superficiel, d’opinion, et un

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européanisme d’engagement, reposant sur des attitudes stables et profondes. S’agissant d’interroger l’évolution des identités à l’heure européenne, les pistes de réflexion proposées par le double questionnement sur les identités multiples et sur les attitudes favorables à l’égard de l’Europe sont complémentaires à plus d’un titre. Elles fournissent un cadre et un contenu pouvant s’appliquer aux pays comme aux groupes particuliers. Ce faisant, elles suggèrent l’existence de voies de continuité entre opinions publiques nationales et opinions de groupes particuliers qui, en regard des populations migrantes et de leurs enfants, pourront être questionnées sous un angle nouveau. Elles proposent également un cadre d’analyse global et évolutif des identités, aux niveaux supranational, national, et infranational. Enfin, elles permettent ou facilitent une compréhension des identifications – plus ou moins exclusives ou au contraire multiples. Chez les jeunes d’origine portugaise en France, les attitudes favorables à l’égard de l’Europe semblent découler naturellement d’une identification binationale de fait (en tant que Français et Portugais), à laquelle la construction européenne donne un contenu objectif, reconnu et institutionnel1. Il y aurait là une spécificité des Portugais installés en France – immigrés et citoyens européens –, dont on connaît par ailleurs la tendance à maintenir des liens forts avec le Portugal. Au-delà des pays d’origine et de naissance, la « seconde génération » – plus précisément, les jeunes d’origine portugaise en France –, doit être questionnée du point de vue de l’intégration européenne2. Dans ce contexte, la diversité des formes d’identification des jeunes d’origine portugaise vient répondre à la question de l’émergence des identités multiples au sein des groupes 1 Il peut s’agir aussi d’une forme particulière de « nationalisme au-delà des vieux Etats », ou d’un (bi)nationalisme « pan-européen », pour reprendre les termes d’Etienne Balibar (Balibar, 1992, p. 32). 2 Sans doute, le fait que la situation des jeunes issus de l’immigration portugaise ait souvent été analysée en termes de bipolarité entre la France et le Portugal tient au caractère récent de l’intégration européenne. Tenter de voir dans quelle mesure cette bipolarité prend une signification nouvelle avec l’intégration européenne permet aussi de comprendre, le cas échéant, les formes d’identification que l’intégration européenne encourage.

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particuliers. Le fait des identités multiples observées en France a une signification particulière du point de vue de l’expérience de jeunes pour qui la France représente non seulement le pays de naissance et de scolarisation, mais aussi dans bien des cas un ensemble de valeurs et d’idéaux (Droits de l’Homme, Liberté, Egalité). De même, l’identité nationale au Portugal prend un sens particulier du point de vue de l’expérience de ces jeunes, lorsque l’image d’un Portugal « diasporique » est mise en avant (pays des ancêtres, des racines et du sang portugais). L’intégration européenne peut être pensée à partir de ces formes particulières d’expériences vécues et d’identifications, qui suggèrent que le rapport entre territoire et attachement est intimement lié à l’évolution historique des pays. Par exemple, l’attachement des jeunes au Portugal renvoie parfois au rêve d’un Portugal transatlantique plus ou moins mythifié, ou au contraire à une représentation d’un Portugal moderne et européen – les deux termes n’étant pas nécessairement opposés. Dans le même ordre d’idée, la représentation sociale du Portugais en France, celle de l’immigré discret et travailleur suggérant une intégration réussie, peut être liée à une « vie entre parenthèses » (Gonçalves, 1991), ou au contraire à une forme spécifique d’intégration européenne binationale. Avant de présenter les données d’enquête et la construction des types qui permettent de comprendre cette tension, il faut retracer l’évolution des jeunes d’origine portugaise en France. 1. – L’évolution des jeunes d’origine portugaise Les années 1980 ont marqué un tournant important dans le processus de l’intégration des Portugais en France, alors que l’instauration de la libre circulation n’a pas entraîné de flux importants du Portugal vers la France. La population active portugaise s’est caractérisée par une mobilité sociale et professionnelle, continuant à présenter quels que soient l’âge et le sexe des taux d’activité importants. Un changement de tendance

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dans le parcours scolaire des jeunes a également été observé, les jeunes ayant tendance à s’orienter vers des cycles d’études longs, débouchant sur une meilleure qualification professionnelle. Cette tendance s’est confirmée dans les années 1990. Par ailleurs, la diversité constatée n’est pas en soi différente de celle constatée au sein de l’ensemble des jeunes. La communauté portugaise en France a un taux d'activité parmi les plus élevés, indiquant leur bonne intégration sur le marché du travail et une assez bonne résistance au chômage1. Ce taux d’activité élevé est dû principalement à une importante main-d’œuvre féminine, et de façon générale, à une entrée relativement précoce sur le marché du travail. En 1999, le nombre d’actifs était de 516 683 personnes au sein de la communauté portugaise, représentant un taux d’activité proche des deux tiers. Les différences de taux d’activité entre mono-nationaux et binationaux étaient assez faibles. Dans le même temps, le taux d’activité des Français était de 55 %, et celui des étrangers de 57 %, toutes nationalités confondues (tableau 1). Conséquence d’un taux d’activité relativement important, la communauté portugaise enregistre un taux de chômage plutôt faible (soit 11 %, contre 13 % pour l’ensemble de la population active)2. De même, les différences selon le sexe sont relativement faibles (de l’ordre de deux points), alors que dans l’ensemble national, les femmes sont proportionnellement plus touchées que les hommes par le chômage (entre quatre et cinq points de différence).

1 Une étude datant de 1995 sur le poids du chômage parmi les différents groupes d’immigrés a montré que la vague d'immigration antérieure à 1975 (notamment espagnole et portugaise) était moins touchée que l'ensemble des immigrés d'une part, que la population française d'autre part (Dayan, Echardour et Glaude, 1995). Cette étude suggère également que l'origine ou la nationalité, loin de rendre compte de la diversité des trajectoires, ne sont pas plus déterminantes que la qualification et l'ancienneté dans la vie active pour rendre compte du rapport à l’activité. 2 Ce taux cache cependant des disparités très grandes : 12 % pour les Français, dont 18 % pour les naturalisés, et 24 % pour les étrangers.

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Tableau 1. – Population active et taux d’activité : Français, étrangers, Portugais en 1999 (source : INSEE).

Hommes % Femmes % Total % Total Actifs en France : Français + étrangers 14 362 383 62,3 12 175 053 48,7 26 537 436 55,2 Actifs français 13 365 311 62,0 11 583 337 44,2 24 948 648 55,1 Actifs français de naissance 12 771 641 62,1 11 038 048 44,2 23 809 689 55,3 Actifs français par naturalisation 593 670 59,5 545 289 38,5 1 138 959 52,3 Actifs étrangers 997 072 66,4 591 716 45,1 1 588 788 56,4 Actifs Communauté Portugaise 287 231 78,1 229 452 65,6 516 683 72,0 Actifs mono-nationaux 210 690 79,7 150 297 65,2 360 987 72,9 Actifs binationaux (= Naturalisés) 76 541 73,9 79 155 66,5 155 696 70,0

Entre 1982 et 1999, la communauté portugaise a connu une mobilité ascendante, observable dans toutes les catégories socioprofessionnelles. La répartition par secteurs d’activités montre une évolution très nette vers les activités du secteur tertiaire, qui occupe en 1999 plus de la moitié des actifs portugais (tableau 2). On observe au cours de la même période une forte augmentation du nombre d’artisans, commerçants et chefs d’entreprise portugais, de cadres et professions intellectuelles supérieures, de professions intermédiaires, d’employés (tableaux 3 et 4). Les Portugais arrivés en France récemment occupent sur le marché du travail une position très différente de celle des Portugais plus anciennement installés. Plus scolarisés, ils occupent des postes mieux rémunérés, fait qui ne doit pas occulter pour autant la persistance d’une composante moins qualifiée, venue occuper des catégories socioprofessionnelles délaissés par leurs prédécesseurs (Branco, 2002).

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Tableau 2. – Population portugaise active par secteurs d’activité 1982–1999 (%) (source : INSEE).

Secteur d’activité 1982 1990 1999

Agriculture 3,4 2,6 3,1

Industrie 30,5 23,9 17,5

Construction 29,6 30,1 25,1

Services 36,5 43,4 54,3

Total 100,0 100,0 100,0

Tableau 3. – Répartition par catégorie socioprofessionnelle en 1999 (source : INSEE).

Catégorie socioprofessionnelle

Français +

étrangers

Français de

naissance

Français par

acquisit.

Etrangers

Comm. port. (*)

Portugais

Portugais natural. français

Agriculteurs exploitants 2,4 2,6 0,6 0,6 0,3 0,2 0,5Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 6,2 6,2 7,1 6,7 5,7 5,7 5,8Cadres et professions intellectuelles supérieures 11,9 12,3 11,5 7,4 2,5 1,7 4,1

Professions intermédiaires 21,9 22,6 18,7 10,5 9,8 7,2 15,8

Employés 29,5 29,6 31,4 25,0 31,0 29,0 35,5

Ouvriers 26,5 25,2 28,5 46,1 50,2 55,8 37,2

Autres sans activité professionnelle 1,3 1,1 2,0 3,7 0,6 0,4 1,0

Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0(*) Communauté portugaise : ensemble des mono-nationaux et des naturalisés. Tableau 4. – Evolution de la population portugaise active par catégories socioprofessionnelles 1982–1999 (%) (source : INSEE).

Catégorie socioprofessionnelle

1982

1990

1999

1999/ 1982

Agriculteurs exploitants 0,1 0,3 0,2 +0,1

Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 1,3 4,9 5,7 +4,4

Cadres et professions intellectuelles supérieures 0,3 0,9 1,7 +1,4

Professions intermédiaires 2,4 4,6 7,2 +4,8

Employés 19,6 22,4 29,0 +9,4

Ouvriers 74,8 65,8 55,8 –19,0

Autres sans activité professionnelle 1,5 1,1 0,4 –1,1

Total % 100,0 100,0 100,0 –

Nombre total d’actifs 388 820 388 876 360 123 –

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Quels que soient le sexe et la tranche d’âge, le taux d’activité des jeunes portugais et d’origine portugaise est systématiquement plus élevé que la moyenne nationale. Chez les 20/24 ans, les jeunes de la communauté portugaise ont un taux d’activité proche de 68 %, contre près de 53 % seulement en ce qui concerne l’échantillon national. Chez les garçons de cette tranche d’âge, le taux d’activité avoisine les trois quarts, contre 57 % pour l’échantillon national (tableaux 5 et 6). Tableau 5. – Jeunes actifs et taux d’activité (15/29 ans) : Portugais mono-nationaux et naturalisés français en 1999 (source : INSEE).

Hommes % Femmes % Total % Total Mono-nationaux 15/19 ans 1 737 14,9 923 8,1 2 660 11,5 20/24 ans 9 515 83,8 5 870 69,4 15 385 77,6 25/29 ans 22 465 96,5 13 756 80,7 36 221 89,8 (Ensemble population portugaise mono- nationale) 210 690 79,7 150 297 65,2 360 987 72,9 Naturalisés 15/19 ans 1 880 17,5 928 9,8 2 808 13,8 20/24 ans 9 729 65,4 9 624 58,2 19 353 61,6 25/29 ans 14 542 94,8 17 078 87,1 31 620 90,5 (Ensemble population naturalisée française) 76 541 73,9 79 155 66,5 155 696 70,0 Total (Mono-nationaux + Naturalisés)

15/19 ans 3 617 16,0 1 851 8,8 5 468 12,6 20/24 ans 19 244 73,3 15 494 62,0 34 738 67,8 25/29 ans 37 007 95,8 30 834 84,1 67 841 90,1 (Ensemble communauté portugaise) 287 231 78,1 229 452 65,6 516 683 72,0 Tableau 6. – Jeunes actifs et taux d’activité (15/29 ans) : ensemble national en 1999 (source : INSEE).

Hommes % Femmes % Total % Total Ensemble national 15/19 ans 218 961 10,9 106 465 5,5 325 426 8,3 20/24 ans 1 067 663 56,9 886 453 48,3 1 954 116 52,6 25/29 ans 1 910 613 91,4 1 717 889 82,3 3 628 502 86,9

Les différences entre jeunes de la communauté portugaise et ensemble national en termes de taux de chômage sont également flagrantes, notamment en ce qui concerne les plus jeunes (15/19 ans). Pour cette tranche d’âge, les jeunes de la communauté portugaise enregistrent un taux de chômage de 15 %, contre près de

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28 % en ce qui concerne l’ensemble national. La différence est encore plus nette chez les filles de la même tranche d’âge (18 % chez les filles de la communauté portugaise, contre près du double dans l’ensemble national, soit 35 %) (tableaux 7 et 8). Tableau 7. – Jeunes chômeurs et taux de chômage (15/29 ans) : Portugais mono-nationaux et naturalisés français en 1999 (source : INSEE).

Hommes % Femmes % Total % Total Mono-nationaux 15/19 ans 212 12,2 164 17,8 376 14,1 20/24 ans 1 318 13,9 1 138 19,4 2 456 16,0 25/29 ans 2 282 10,2 2 132 15,5 4 414 12,2 (Ensemble population portugaise mono- nationale) 22 493 10,7 17 776 11,8 40 269 11,2 Naturalisés 15/19 ans 257 13,7 170 18,3 427 15,2 20/24 ans 1 734 17,8 2 031 21,1 3 765 19,5 25/29 ans 1 778 12,2 2 539 14,9 4 317 13,7 (Ensemble population naturalisée française) 7 427 9,7 10 967 13,6 18 394 11,8 Total (Mono-nationaux + Naturalisés)

15/19 ans 469 13,0 334 18,0 803 14,7 20/24 ans 3 052 15,9 3 169 20,5 6 221 17,9 25/29 ans 4 060 11,0 4 671 15,1 8 731 12,9 (Ensemble communauté portugaise) 29 920 10,4 28 743 12,5 58 663 11,4 Tableau 8. – Jeunes chômeurs et taux de chômage (15/29 ans) : ensemble national en 1999 (source : INSEE).

Hommes % Femmes % Total % Total Ensemble national 15/19 ans 52 725 24,1 37 396 35,1 90 121 27,7 20/24 ans 240 603 22,5 252 129 28,4 492 732 25,2 25/29 ans 265 383 13,9 331 458 19,3 596 841 16,4

L’accès des jeunes d’origine portugaise sur le marché du travail en France reflète la tendance générale à l’évolution sociale et professionnelle observée au sein de la communauté portugaise. Or, la situation des jeunes d’origine portugaise a souvent été décrite comme une conséquence du projet migratoire des parents, dont la vie s’organisait autour de l’espoir du retour au Portugal ; à ce titre, leur faible niveau de formation et leur entrée précoce sur le marché de l’emploi ont pu être considérés comme des caractéristiques spécifiques (Todd, 1994). Aujourd’hui, force est de constater la

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diversité des situations scolaires et professionnelles des jeunes1. Il est vrai que le taux d’activité important observé au sein de la communauté portugaise, conjointement à un taux de chômage relativement faible, doit être mis en relation avec le fait d’une entrée précoce dans le monde du travail. De même, les jeunes d’origine portugaise sont moins touchés par le chômage que l’ensemble des jeunes, nationaux ou descendants de migrants, du fait de l’importance d’une structure communautaire et de l’existence d’un réseau d’entraide2. Nombre de jeunes suivent des cycles d’études courts, débouchant directement sur le monde professionnel. Si l’on remonte à l'année scolaire 1980–81, le taux de jeunes portugais inscrits dans le second degré en cycle long n’était que de 23 %, contre 34 % pour l’ensemble des étrangers. L’évolution enregistrée dix ans après est cependant très nette : en 1990–91, près de la moitié des Portugais du second degré fréquentaient des cycles longs, soit trois points de plus que l’ensemble des étrangers. Le nombre de Portugais étudiant à l’université a donc doublé entre les années 1980 et 1990. Cette tendance s’est prolongée au cours des années 1990 : comparées aux précédentes, les nouvelles générations restent plus longtemps dans le système scolaire. Dans toutes les populations issues de l'immigration, une certaine mobilité sociale se vérifie – cette mobilité étant même parfois plus rapide que celle observée dans l’ensemble de la société d'accueil. Plusieurs études ont montré qu’à origine sociale égale, les enfants descendants de migrants réussissent mieux leur parcours au collège que les élèves français. La forte motivation des familles immigrées, 1 D’une manière générale, elle est aussi le reflet du spectaculaire allongement de la scolarité qu’a connu l’ensemble des jeunes en France : depuis 1975, le taux de scolarité a progressé de vingt points pour les 15/19 ans et de trente points pour les 20/24 ans. 2 Bien qu’à chaque niveau de qualification, les jeunes nés à l'étranger ou nés en France d'un parent né à l'étranger ont d’une manière générale plus de probabilité de se trouver au chômage que la moyenne des jeunes français, les difficultés particulières liées à l'origine étrangère n’affectent pratiquement pas les Portugais. A niveau inférieur au Bac, le chômage affecte 37 % des jeunes d'origine algérienne, 20 % des jeunes d'origine espagnole, et 17 % des jeunes d'origine portugaise, contre 16 % des jeunes français. A niveau supérieur au Bac, le taux reste le même chez les jeunes d’origine portugaise (17 %) ; ces taux passent à 32 % chez les jeunes d’origine algérienne, 19 % chez les jeunes d’origine espagnole (Dayan, Echardour et Glaude, 1995).

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qui placent en l’école une bonne part de leurs espoirs d’intégration, n’est pas le moindre des facteurs favorisant cette situation. Plus que la nationalité ou le fait de parler une autre langue à la maison, le phénomène migratoire accentue néanmoins le risque d’une scolarité primaire moins réussie. Certaines études ont montré que des difficultés persistent pour les élèves nés dans un pays étranger, et surtout pour ceux qui ont passé au moins trois années scolaires hors de France1. D’une façon générale, ce ne serait donc pas tant l’origine nationale des parents qui détermine le succès scolaire des enfants, que le fait d’avoir passé la totalité de sa scolarité en France. Dans le cas des Portugais, la mobilité est proche de celle des nationaux. Pour préciser la situation des jeunes portugais, deux groupes peuvent être distingués : les jeunes immigrés d’une part, les jeunes nés en France d’autre part. En 1992, on comptait 140 000 jeunes immigrés portugais de 20 à 29 ans, et 130 000 jeunes nés en France de parents nés au Portugal (Echardour, 1996)2. Parmi les jeunes immigrés portugais, 70 % avaient entre 25 et 29 ans et étaient entrés en France avant 1975, pour les trois quarts d’entre eux dans le cadre du regroupement familial. Environ 10 % étaient arrivés à l’âge adulte à partir de 1984, sans leurs parents. Ces jeunes immigrés avaient au plus le niveau BEP pour trois quarts d’entre eux, contre 46 % pour l’ensemble des jeunes vivant en France. Le niveau d’étude des 130 000 jeunes nés en France de parents nés au Portugal se rapprochait quant à lui de celui de l’ensemble des jeunes résidant en France, les jeunes nés en France de parents nés au Portugal occupant en termes de poursuite des études une position intermédiaire entre les jeunes immigrés et les jeunes du pays d'accueil. Entre 20 et 24 ans, les jeunes immigrés accédaient plus tôt sur le marché du travail que les jeunes portugais nés en France, et plus tôt que l’ensemble des jeunes. Ils étaient moins souvent au chômage,

1 Gurrey Béatrice, « L'origine sociale des enfants d'immigrés détermine leur niveau scolaire », Le Monde, 12 mars 1996. 2 Les données présentées par Annick Echardour sont issues du recensement de la population de 1990 et de l’enquête Mobilité Géographique et Insertion Sociale (Tribalat, 1995, 1996).

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sans doute en raison des filières d’études poursuivies, du choix précoce du métier, et par conséquent d’une expérience plus longue sur le marché du travail. Entre 25 et 29 ans, leur taux de chômage était plutôt faible (6 %). En revanche, le taux de chômage des jeunes nés en France était assez élevé, voisin de celui des jeunes en général (il dépassait les 20 % pour les hommes de 20/24 ans, et atteignait 30 % pour les femmes du même âge). Trois quarts des jeunes immigrés nés au Portugal avaient un emploi d’ouvrier, répartition proche de celle de leurs aînés. Toutefois, une certaine promotion sociale était enregistrée : les jeunes immigrés de père ouvrier non-qualifié accédaient davantage aux postes d’ouvriers qualifiés que l’ensemble des jeunes dans la même situation. De même, les jeunes immigrés de père ouvrier qualifié occupaient un peu plus souvent des postes d’encadrement, 16 % d’entre eux atteignant le niveau de technicien ou d’agent de maîtrise (13 % chez les Français). Enfin, 6 % s’installaient en tant que travailleurs indépendants (contre 3 % chez les Français). La profession des pères était moins influente dans le cas des jeunes nés en France. Ces derniers étaient plus fréquemment employés, dans la même proportion que l’ensemble des jeunes ; ils étaient plus nombreux à se tourner vers les professions de cadres et de professions libérales. Immigrés ou nés en France, ces jeunes trouvaient surtout du travail dans le secteur tertiaire, principalement le commerce, et les services rendus aux entreprises et aux particuliers. Près de 30 % des garçons travaillaient dans le bâtiment comme salariés ou à leur compte (c’est un secteur qui traditionnellement a embauché une forte proportion d’immigrés portugais, et 48 % de ceux âgés de 30 à 59 ans y travaillaient encore). Comme l’entrée dans la vie active, l’émancipation familiale – entendue comme le fait de quitter le domicile parental pour suivre des études ou pour rentrer dans la vie active –, intervient plus tôt pour les jeunes nés au Portugal que pour ceux nés en France (Lefranc et Thave, 1995). De façon générale, le fait d’être né en France ou d’avoir immigré comme les parents influe sur la date et les conditions d’autonomie des enfants d’immigrés. Quel que soit

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le pays d’origine, les familles d’immigrés et leurs enfants présentent également ces deux caractéristiques : le départ plus précoce des filles, et la faible cohabitation entre parents et enfants une fois que les enfants ont formé un couple. Dans les premières années de l’installation en France, le mode de présence des Portugais a pu être comparé à une « vie entre parenthèses » (Gonçalves, 1991). Les parents souhaitant retourner un jour au Portugal, la scolarisation courte et l’entrée précoce des jeunes sur le marché du travail correspondaient à une stratégie spécifique. Depuis longtemps stabilisés dans leur vie en France, les parents portugais reconnaissent, au même titre que l’ensemble des parents immigrés, l’importance de l’école. De ce point de vue, l’allongement de la scolarité suggère l’évolution du projet migratoire. Si les années 1990 correspondent à l’entrée dans la vie adulte pour nombre de jeunes issus de l’immigration portugaise, elles marquent une perception nouvelle du sens de leur présence en France, et de leurs références culturelles. 2. – Présentation de l’enquête et construction des types Le tableau 9 présente les effectifs de l’échantillonnage au 1/20e réalisé à partir des données issues du recensement de l’INSEE de 1990 sur la base de 1000 individus, par sexe, âge et pays de naissance. Selon le même découpage, le tableau 10 présente la distribution de notre échantillon (956 sujets). Tableau 9. – Echantillonnage au 1/20e des jeunes de 15/29 ans d'origine portugaise et vivant en région parisienne par sexe, âge et pays de naissance (N = 1000), d’après les données du recensement de 1990 (Source : Ambassade du Portugal à Paris). Age 15/19

ans 20/24

ans 25/29

ans Total

Né au Port.

Né en Fr.

Total 15/19

Né au Port.

Né en Fr.

Total 20/24

Né au Port.

Né en Fr.

Total 25/29

Né au Port.

Né en Fr.

Total

Fille 36 112 148 116 47 163 161 11 172 313 170 483 Gar. 53 122 175 135 52 187 146 9 155 334 183 517 Total 89 234 323 251 99 350 307 20 327 647 353 1000

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Tableau 10. – Effectif de l’enquête par sexe, âge et pays de naissance (N = 956). Age 15/19

ans 20/24

ans 25/29

ans

Total

Né au Port.

Né en Fr.

Total 15/19

Né au Port.

Né en Fr.

Total 20/24

Né au Port.

Né en Fr.

Total 25/29

Né au Port.

Né en Fr.

Total

Fille 33 335 368 38 168 206 18 14 32 89 517 606 Gar. 19 162 181 31 98 129 21 19 40 71 279 350 Total 52 497 549 69 266 335 39 33 72 160 796 956

Notre population est composée de 63 % de filles, et de 37 % de garçons1. La majorité des jeunes est née en France (83 %)2. Plus de la moitié de l’échantillon est constitué de filles nées en France (54 %), les garçons nés en France représentent 29 %3. Un peu plus de la moitié des enquêtés a déclaré avoir la double nationalité franco–portugaise ; un peu plus du quart a déclaré avoir la nationalité portugaise, et près de 17 % la nationalité française. Du fait d’une proportion importante de 15/19 ans, la majorité des enquêtés est en cours de scolarité, soit lycéen en enseignement général ou technique (respectivement un tiers, et 15 % de l’ensemble). Les étudiants représentent près de 30 % de l’ensemble, et les actifs 22 %4. Le niveau d’études reflète la proportion importante des plus jeunes : 58 % n’ont pas (encore) le Bac, 22 % ont le Bac, et les

1 57 % des jeunes ont entre 15 et 19 ans. Les 20/24 ans représentent un peu plus d’un tiers, et les 25/29 ans un peu plus de 7 %. En termes de sexe et d’âge, 38 % de l’ensemble sont des filles de 15/19 ans, près de 19 % sont des garçons de 15/19 ans, 21 % sont des filles de 20/24 ans, et les garçons de la même tranche d’âge représentent un peu plus de 13 %. 2 Parmi les jeunes nés au Portugal (17 %), 53 % sont en France depuis plus de 15 ans, 22 % y sont depuis 5 à 15 ans, et 22 % depuis moins de 5 ans. 3 On observe une forte corrélation entre l’âge et le pays de naissance : les 15/19 ans sont très nettement associés à la naissance en France, alors que les 20/24 ans et les 25/29 ans sont proportionnellement plus nombreux à être nés au Portugal. 4 La proportion d’étudiants et d’actifs parmi les 20/24 ans est à peu près équitable – les 15/19 ans étant majoritairement en cours de scolarité, et les 25/29 ans majoritairement actifs. On note que les jeunes nés en France sont proportionnellement plus nombreux à être lycéens en enseignement général ou étudiants, alors que les jeunes nés au Portugal sont proportionnellement plus nombreux que la moyenne à être actifs. Parmi les actifs, 16 % ont un niveau 2e / 3e cycle, 19 % un niveau de 1er cycle, 21 % ont au plus le niveau Bac, et 44 % ne l’ont pas. Les actifs se retrouvent en majorité dans la catégorie employés (41 %), les professions intermédiaires représentent 18 %, les cadres 14 %, et les ouvriers 11 % (40 % seulement des actifs ont répondu à la question de leur activité professionnelle).

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diplômés de l’enseignement supérieur représentent 19 %, tous cycles confondus. Les 20/24 ans sont proportionnellement plus nombreux que les 25/29 ans à avoir le Bac, ce qui suggère un allongement de la scolarité chez les 20/24 ans par rapport à leurs aînés. Près de 90 % des enquêtés sont célibataires et vivent chez leurs parents ; 4 % sont mariés, 3 % vivent en concubinage, et 4 % vivent seuls. Un quart des jeunes réside à Paris (13 % sont dans ce cas selon l’échantillonnage au 1/20e), 43 % vivent dans la grande couronne, et près d’un tiers dans la petite couronne1. La majorité des enquêtés déclare se sentir Français et Portugais dans les mêmes proportions (57 %). Alors que moins de 4 % se sent (ou déclare se sentir) Français exclusivement, un quart des jeunes se sent Portugais exclusivement. La proportion de jeunes qui se sent Européen au-delà de la nationalité est de 12 %2. Afin de déterminer le poids respectif des caractéristiques des jeunes sur l’identification, l’analyse factorielle des correspondances multiples a été utilisée. Les résultats permettent

1 Près de 45 % des parents sont originaires du Nord du Portugal, un quart vient du Centre du pays, et entre 21 % viennent de Lisbonne et de sa région. Parmi les parents originaires du Nord, près de 14 % viennent du district de Braga, 10 % de celui de Porto, et 9 % de celui de Viana do Castelo. En ce qui concerne la région Centre (région des Beiras), les parents viennent particulièrement des districts de Viseu et de Coimbra (9 % et 7 % respectivement). En ce qui concerne la région de Lisbonne, il s’agit particulièrement du district de Leiria (entre 13 % et 14 %). Enfin, 2,5 % sont originaires du district de Faro, en Algarve. En ce qui concerne la profession des parents au Portugal, il faut noter que seulement un tiers de l’échantillon a répondu à la question. Parmi ces derniers, 36 % des pères étaient agriculteurs exploitants (45 % des mères), et 34 % étaient ouvriers (16 % des mères). 15 % des pères étaient artisans, et 14 % étaient employées. Les enquêtés ont davantage répondu à la question de la profession des parents en France (le taux de non réponse est de 8 % pour les pères, et de près de 27 % pour les mères). Les pères sont majoritairement ouvriers (54 %), puis artisans (15 %), employés (7 %), cadres (6 %), ou exercent une profession intermédiaire (5 %, une proportion équivalente est sans activité professionnelle). Plus d’un tiers des mères sont employées, 15 % sont sans activité professionnelle, 14 % sont ouvrières, 4 % sont cadres, 3 % sont artisans, et une même proportion exerce une profession intermédiaire. 2 Si l’on en juge par le faible taux de non-réponses (moins de 2 %), la question de l’identification est particulièrement prégnante. Près de trois quart des jeunes ont répondu à la question ouverte correspondante (« Pourquoi ? »). Elle informe sur les valorisations et les représentations qui accompagnent l’identification, comme on va le voir.

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de définir l’identification en termes de probabilité, en fonction du sexe, de l’âge, du niveau de diplôme, etc. L’effet de ces variables indépendantes sur l’identification montre que la nationalité déclarée, le pays de naissance, le sexe, la situation actuelle, et le niveau d’études ont des effets très significatifs. En revanche, les variables concernant les parents (profession des parents en France et au Portugal, région des parents en France et au Portugal) n’ont pas d’effet significatif, à l’exception de la région des parents au Portugal. Synthèse des effets significatifs Il apparaît assez nettement que l’identification en tant que Portugais concerne les filles nées au Portugal, mais aussi les garçons de 15/19 ans dont la nationalité déclarée est portugaise. Ces derniers sont plutôt lycéens en enseignement technique, ou actifs sans Bac. L’identification en tant que Français concerne plutôt les filles nées en France dont la nationalité déclarée est française, ou française et portugaise (double nationalité). L’identification en tant que Français et Portugais est surtout le fait des filles de 15/19 ans, lycéennes en enseignement général, nées en France et déclarant avoir la double nationalité. Enfin, l’identification en tant qu’Européen concerne les garçons de 25/29 ans, étudiants ou actifs nés au Portugal et déclarant avoir la nationalité portugaise. Actifs, ils peuvent avoir un niveau 2e / 3e cycle ou un niveau Bac. Identification et variables d’opinion L’analyse factorielle a permis de vérifier que l’identification a la contribution la plus importante parmi l’ensemble des variables d’opinion. En d’autres termes, l’identification constitue le facteur de différenciation le plus fort au sein de la population enquêtée.

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Les variables concernant les parents ayant une contribution relativement faible (que ce soit sur l’identification ou sur l’ensemble des variables d’opinion), les variables indépendantes concernant les jeunes ont été croisées avec l’ensemble des variables d’opinion. On constate, ici encore, que l’identification a la contribution la plus importante parmi l’ensemble des variables d’opinion, ce qui permet de la considérer comme une variable indépendante. Il s’agit donc de voir comment elle influe sur les variables d’opinion. Le tableau 11 reprend les caractéristiques des jeunes associées à chaque forme d’identification. Tableau 11. – Synthèse des caractéristiques des jeunes selon la forme d’identification.

Forme d’identification/ Caractéristiques des jeunes

Portugais Français et Portugais, Français

Européen

Sexe et âge Garçon 15/19 ans Garçon 20/24 ans

Fille 15/19 ans Fille 20/24 ans

Garçon 25/29 ans Fille 25/29 ans Fille 20/24 ans Garçon 20/24 ans

Situation actuelle et niveau d’études

Lycéen ens. technique Actif sans Bac

Etudiant en 1er cycle Lycéen ens. général Etudiant en 2e cycle Etudiant en 3e cycle

Actif de niveau Bac Actif de niveau 1er cycle Actif de niveau 2e/3e cycle Etudiant en 2e cycle Etudiant en 3e cycle

Sexe et pays de naissance Filles nées au Portugal Filles nées en France Garçons nés en France

Garçons nés au Portugal Garçons nés en France

Nationalité déclarée Nationalité portugaise Double nationalité Nationalité française

Note : sont indiquées en italiques, les positions intermédiaires entre deux formes d’identification (exemple : en termes de sexe et âge, les garçons de 20/24 ans occupent une position intermédiaire entre les identifications en tant que Portugais seulement, et en tant qu’Européen). Les identifications en tant que Portugais, en tant que Français et Portugais, et en tant qu’Européen se distinguent donc les unes des autres et sont en relation avec des caractéristiques distinctes de sexe, d’âge, de situation actuelle, de niveau d’études, et de nationalité déclarée. L’identification en tant que Français n’a pas quant à elle de poids statistique, elle tend à se rapprocher – statistiquement – de l’identification en tant que Français et Portugais1.

1 On constate en effet que les identifications en tant que Français (moins de 4 % de l’effectif total), et en tant que Français et Portugais (57 %), sont relativement proches statistiquement,

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Au-delà de l’analyse statistique, la construction des types repose sur l’analyse des réponses aux questions ouvertes. Comme on le verra, ces dernières apparaissent comme des indices de l’identification, aussi seront-elles interprétées par rapport aux types d’identification. 3. – Identifications nationales, identifications multiples L’identité étant un processus dynamique, il n’est pas étonnant de constater la diversité des formes d’identification des jeunes d’origine portugaise – une population à la fois jeune et binationale. Leur situation objective (origine portugaise, vie en France) fait l’objet d’une multiplicité d’interprétations (Leandro, 1993b), qui apparaissent comme autant de manières de vivre le rapport entre origine portugaise et vie en France, et comme autant de formes de combinaison entre les parts française et portugaise – des plus exclusives aux plus combinées, des plus simples aux plus multiples. In fine, l’identification peut être évaluée en fonction de l’attachement à l’identité nationale. Les formes d’identification sont classées à partir du critère national selon deux types : identités nationales, identités multiples. Les identités nationales renvoient à une forme d’identification exclusive – en tant que Français ou en tant que Portugais. Elles se construisent le plus souvent dans une opposition réciproque, selon une logique de type « Eux/Nous ». L’identification en tant que Portugais se construit dans bien des cas par référence et par opposition à une représentation de la France ou de l’identité française. De la même manière, l’identification en tant que Français renvoie à un refus ou à un rejet parfois explicite de l’identité portugaise. Si les représentations et les valorisations sont

l’effectif le plus faible étant attiré par l’effectif le plus fort. Ceci implique que les caractéristiques statistiques définissant les deux formes d’identification sont également proches, et qu’elles se distinguent particulièrement des identifications en tant que Portugais d’une part, en tant qu’Européen d’autre part. Comme on le verra, l’identification en tant que Français reste néanmoins distincte de l’identification en tant que Français et Portugais au niveau qualitatif.

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bien distinctes dans les deux cas, le processus de fermeture et de confrontation est similaire. Les identifications en tant que Portugais et en tant que Français sont dans une relation d’opposition mutuelle, qui caractérise ici de manière empirique l’identification nationale. La logique des identifications multiples est inverse : elle renvoie à l’idée d’une combinaison possible des identifications aux niveaux national, binational, et supranational. Si l’identification nationale est caractérisée par la fermeture dans un espace de référence national, l’identification multiple est caractérisée par l’ouverture et le dépassement, au-delà du national. C’est le cas de l’identification binationale en tant que Français et Portugais, et c’est également le cas de l’identification supranationale en tant qu’Européen. Les deux sous-types sont dans une relation de continuité ou de prolongement, dans la mesure où le supranational prolonge le binational et le national. Lorsque les identifications sont hiérarchisées (identification en tant que Français d’abord, puis en tant que Portugais, ou vice-versa), la continuité possible entre les identifications nationale et multiple apparaît d’autant plus nettement (tableau 12). Tableau 12. – Spécification des identifications nationales et multiples.

Identifications nationales Identifications multiples Spécification Fermeture, clôture Ouverture, dépassement Relations réciproques Confrontation, opposition Continuité, prolongement

Identification en tant que Portugais En termes de probabilités, l’identification en tant que Portugais concerne particulièrement les garçons, notamment les plus jeunes (15/19 ans) – qu’ils soient nés en France ou au Portugal –, elle concerne ensuite les filles nées au Portugal. Si l’on en juge par la très forte corrélation qui existe entre le fait de déclarer avoir la nationalité portugaise et l’identification en tant que Portugais, la nationalité déclarée est un indice fort de l’identification en tant que Portugais. En termes de situation actuelle et de niveau d’études,

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l’identification en tant que Portugais est plutôt le fait des lycéens en enseignement technique et des actifs sans Bac. De manière générale, on observe que l’identification nationale renvoie à un choix, à une préférence identitaires. L’identification en tant que Portugais renvoie de manière explicite à une préférence voire à une opposition par rapport à l’identité française. Si l’identification en tant que Français valorise l’expérience de vie en France, on trouve clairement dans l’identification en tant que Portugais une valorisation des éléments primordiaux de l’identité (fait d’avoir des parents, des racines, du sang portugais). L’importance accordée aux origines est première. L’évocation des parents portugais, des racines, de l’amour du Portugal, des sentiments de fierté et de patriotisme, ou encore le désir d’aller vivre au Portugal démontre la centralité de l’attachement. Cette forme de primordialisme renvoie à une préférence, un choix identitaire, qui peut trouver un prolongement dans le rejet explicite de la France selon une logique de type « Eux/Nous ». L’identification en tant que Portugais en France peut passer par une représentation négative de la France, qui sert a contrario à valoriser le Portugal. Ce type de réponse renforce le sens d’une identification basée sur la dimension ontologique de l’identité, dont les caractéristiques renvoient à l’affectif, aux racines et aux liens du sang. Identification en tant que Français L’identification en tant que Français concerne plus particulièrement les filles nées en France, quel que soit leur âge. La nationalité déclarée reflète en partie cette forme d’identification, dans la mesure où la nationalité française lui est particulièrement associée, ainsi que dans une moindre mesure la double nationalité (française et portugaise). Pour le reste, les caractéristiques des jeunes sont assez proches de celles de l’identification en tant que Français et Portugais, du fait du faible poids statistique de

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l’identification en tant que Français1. Selon un processus équivalent à celui de l’identification en tant que Portugais, on observe que l’expérience de vie en France tend à se construire dans la confrontation avec les éléments de l’identité portugaise. L’identification en tant que Français renvoie à un choix, à une préférence identitaires, plus particulièrement à la priorité accordée de façon exclusive à la part française (naissance en France, fait d’y avoir grandi, d’y vivre, d’y avoir ses amis, d’y poursuivre ses études, de vouloir y faire sa vie, etc.). Elle valorise de façon pragmatique l’expérience de vie en France, la mobilité à travers les études ou la vie professionnelle. Le fait que les parents soient Portugais n’a pas l’importance primordiale que l’on observe avec l’identification en tant que Portugais, dans la mesure où l’origine portugaise renvoie ici au passé. L’identification en tant que Français peut se construire par comparaison, voire par confrontation avec l’identité portugaise. La primauté accordée à la vie en France est accentuée par un rejet explicite des origines portugaises ou du Portugal. Le choix ou la préférence pour l’identification en tant que Français peut correspondre à une volonté d’intégration et de mobilité en France, selon l’idée que les origines passent après. Dans ce contexte, les éléments portugais critiqués permettent de mettre en relief la part française de l’identité. Identification en tant que Français et Portugais Comme on l’a vu avec les identifications nationales, la nationalité déclarée est un indice d’identification. Ici, l’identification en tant que Français et Portugais est le fait des jeunes ayant déclaré avoir la double nationalité. En termes de situation actuelle, il s’agit particulièrement de lycéens en enseignement général. Les filles sont particulièrement concernées par cette forme d’identification,

1 Toutefois, le contenu des questions ouvertes renvoie bien à un type d’identification nationale, comme on le verra.

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particulièrement les plus jeunes (15/19 ans), et celles nées en France. De façon idéaltypique, l’identification binationale apparaît comme un dépassement de l’identification nationale ; elle valorise à la fois les parts française et portugaise de l’identité. L’idée de biculturalité est mise en avant. Dans un style à chaque fois spécifique, l’expérience et la vie en France sont combinées avec le sens de l’identité portugaise transmise par les parents. Le dépassement proprement dit consiste à valoriser la biculturalité en tant que telle. Celle-ci est vécue comme un avantage sur les plans culturel, linguistique, social, ou économique. C’est aussi le caractère inséparable des deux éléments qui est accentué, la vie en France et les origines portugaises étant toutes deux au fondement de l’identification binationale. Le binational apparaît comme supérieur au national, il offre une richesse culturelle, des atouts linguistiques, une ouverture sur le monde. La signification de l’identification binationale se comprend donc essentiellement par rapport au sens donné au national ; elle se situe dans une représentation du dépassement de ce dernier. Cette dimension de dépassement prend tout son sens si l’on considère à l’inverse les représentations de la biculturalité qui mettent l’accent sur la difficulté voire l’impossibilité de se sentir complètement (c’est-à-dire exclusivement) Français ou Portugais. L’affirmation d’une biculturalité par défaut est aussi une forme d’identification binationale qui, en mettant l’accent sur le regard des autres, suggère que la combinaison des parts française et portugaise n’est pas donnée d’avance et qu’elle peut être vécue de manière difficile. On observe enfin une hiérarchisation des identifications en tant que Français et en tant que Portugais, suggérant une forme de continuité avec l’identification nationale. Les identifications, binationale par défaut d’une part, hiérarchisées d’autre part, apparaissent comme des formes intermédiaires entre identifications nationale et européenne.

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Identification en tant qu’Européen L’identification en tant qu’Européen est plutôt le fait des étudiants, des actifs, et des plus âgés (25/29 ans). De même, elle concerne plus particulièrement les garçons, qu’ils soient nés en France ou au Portugal. En termes de situation actuelle et de niveau d’études, il s’agit d’actifs ayant un niveau 2e / 3e cycle, mais également d’actifs ayant un niveau Bac. L’identification en tant qu’Européen représente un dépassement et un prolongement des identifications nationale et binationale. Lorsqu’elle renvoie aux attitudes favorables à l’égard de l’Europe, elle peut signifier une forme subjective de pragmatisme (lorsque par exemple l’identification en tant qu’Européen permet de simplifier le choix entre les identifications en tant que Français ou en tant que Portugais). De même, l’identification supranationale apparaît parfois comme une ressource permettant de dépasser l’identification binationale vécue de façon problématique. Toutefois, elle s’oriente dans la majorité des cas vers des représentations objectives de l’Europe. VI. – Identifications nationales L’affirmation d’une primauté plus ou moins exclusive accordée à la part française ou portugaise de l’identité caractérise l’identification nationale. Cette affirmation peut être renforcée par le rejet explicite de l’« autre » identité. 1. – Portugais Avec l’identification en tant que Portugais, la dimension ontologique de l’identité est clairement valorisée, au détriment de la naissance et de l’expérience de vie en France : on se sent Portugais, bien que né en France. Les éléments primordiaux mettent en relief l’attachement et la fidélité aux origines

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portugaises, manifeste dans l’évocation des racines, de la race et du sang portugais. Les parents portugais et la famille au Portugal sont évoqués pour rendre compte de l’identification, de même lorsque c’est le cas, le fait d’être né et d’avoir vécu au Portugal. L’attachement se traduit par l’assimilation du Portugal à un être cher, l’identification renvoie à la nostalgie que l’on éprouve du fait de l’éloignement. De manière plus ou moins explicite, cette représentation du Portugal comme une personne à la fois proche et lointaine renvoie également à l’expérience migratoire des parents. Les éléments affectifs constituent de puissants moteurs de l’identification en tant que Portugais, celle-ci reposant sur le partage d’une même langue, l’amour du pays d’origine, ou la fierté patriotique. Au-delà de l’amour du Portugal ou de l’ascendance portugaise, la nationalité peut apparaître comme une légitimation de l’identification. Je voue une dévotion et une admiration sans borne à ma nation et ma culture ainsi qu’à mon « peuple » et mon pays1. J’aime le Portugal et il me manque beaucoup, c’est comme si c’était quelqu’un de ma famille qui manquait, c’est pour cela que je me sens très attaché au Portugal et que je me sens Portugais2. Je suis né en France, mais mes parents sont Portugais, et le Portugal me plaît beaucoup. D’ailleurs, j’ai la nationalité portugaise3. L’identification s’explicite encore par référence à l’environnement culturel familial et l’éducation reçue, faite de principes et de normes considérés comme typiquement portugais. La notion d’héritage portugais est valorisée, qu’il s’agisse d’un état d’esprit, d’un ensemble de valeurs, d’une culture ou d’une forme d’éducation. L’identification peut être liée à une sociabilité exclusivement portugaise ; la culture ou l’ambiance portugaises sont évoquées pour expliquer la préférence pour le Portugal. Cette forme d’identification est particulièrement nette lorsque la France est évoquée. Par comparaison, la France permet de 1 Fille, 15/19 ans, née au Portugal, lycéenne en enseignement technique. 2 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général. 3 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général.

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renforcer l’idée de préférence, de choix d’appartenance. L’accent peut être mis sur la continuité générationnelle ou sur la nationalité portugaise. Dans tous les cas, la vie en France apparaît comme secondaire par rapport aux éléments de l’identité portugaise. L'évocation de la France permet de préciser que le Portugal reste prioritaire, et que la vie en France n’a que peu de poids par rapport à l’amour du Portugal. Dans la mesure où « l’état d’esprit portugais » ou la « culture portugaise » sont clairement valorisés, la France n’apparaît que comme pays d’accueil. Dans ces conditions, le sentiment de ne pas être intégré en France peut venir expliquer l’identification en tant que Portugais, qui se construit par réaction dans une forme de rejet de la France, en tant qu’elle représente une menace pour l’identité portugaise. De façon plus ou moins explicite, cette attitude considère la combinaison des identités portugaise et française comme impossible. Parce que j’aime le Portugal et tous ceux que j’aime sont là-bas, et je me sens beaucoup plus heureuse là-bas qu’ici, et je préfère l’ambiance de là-bas plutôt qu’ici1. Parce que je me sens plus proche du Portugal que de la France. Et j’adore tout ce qui se rattache au Portugal. La France pour moi ne serait rien s’il n’y avait pas de Portugais2. J’ai beaucoup plus d’affinités avec l’état d’esprit et la culture portugais qu’avec la France qui n’est qu’un pays d’accueil comme pourrait l’être tout autre pays3. Peut-être parce que j’y ai vécu longtemps, et que je ne me sens pas vraiment « intégrée » à la France, ou plutôt à la mentalité française4. Parce qu’élevé en tant que Portugais, j’ai refusé ma culture française qui se veut souveraine et renie ce qui ne lui convient pas. Je refuse de me reconnaître dans cet aspect égocentrique du peuple ‘beauf’ et franco–français5. La mise en valeur explicite du Portugal se prolonge dans le désir d’aller vivre dans le pays d’origine. L’identification trouve une 1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement technique. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Garçon, 20/24 ans, né en France, actif de niveau 2e/3e cycle. 4 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 5 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général.

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forme de justification dans une volonté – parfois « inexplicable » – de connaître ses origines, et dans le projet concret d’aller s’installer au Portugal. Une partie de ma famille est portugaise et cela fait depuis le primaire que j’apprends le portugais ; je m’intéresse beaucoup à la culture et à la langue portugaises : je veux connaître mes origines1. Avant j’avais tendance à croire être Française mais plus les années passent plus je me sens Portugaise. J’ai l’intention de partir au Portugal, pays où je me sens chez moi et tout ce qui a trait au Portugal m’attire, aussi bien la culture, politique, etc. Je ne me sens pas bien en présence des Français et en France2. Ce n’est pas quelque chose qui se dicte ou se décide. C’est comme ça. C’est naturel et inconscient. S’il y a un concours quelconque où la France et le Portugal participent, je suis, sans aucune hésitation pour le Portugal3. Lorsqu’elle est évoquée par comparaison et par confrontation, la France sert donc à renforcer l’idée de préférence pour le Portugal. Comme on vient de le voir, l’identification en tant que Portugais met en avant les éléments ontologiques de l’identité tels que le sang, la race, l’origine, l’ascendance, etc. L’identification en tant que Français renvoie quant à elle explicitement à la dimension pragmatique de l’identité, comme on va le voir. 2. – Français L’identification en tant que Français apparaît d’abord comme une conséquence directe de la naissance et de la vie en France. Le fait d’avoir la nationalité française, d’avoir pratiquement toute sa famille en France, ou simplement de vivre et travailler en France, constituent de puissants motifs d’identification. Lorsque la France est comparée au Portugal, l’identification en tant que Français s’explicite non seulement par l’importance accordée à la naissance et à la vie en France, mais également selon l’idée que les origines

1 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 1er cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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passent après la nationalité et que la mentalité et les valeurs acquises sont résolument françaises. La dimension pragmatique de l’identification trouve sa justification dans le projet de vie : c’est en France que l’on vit, que l’on étudie ou travaille, et c’est en France que l’on a choisi de rester – sans que toutefois le primat accordé à l’expérience de vie en France n’empêche l’amour du Portugal. Néanmoins, la France apparaît comme le pays d’attachement principal. Le fait de ne pas connaître le Portugal ou de n’y avoir jamais vécu peut venir expliquer la priorité accordée à l’identité française, ainsi qu’une représentation du Portugal comme simple pays des vacances. Je me sens Portugaise parce que c’est mon pays, ma langue, ma famille y vit, j’ai beaucoup d’attaches au Portugal. En même temps, du point de vue de la mentalité, je me sens plus Française dans les mœurs, les valeurs1. Je me sens Portugaise car mes parents sont Portugais mais je me sens plus Française que Portugaise car je suis née en France, je vis en France, et je ne compte pas aller vivre au Portugal2. Je suis entourée d’amis français et rarement de Portugais. Mais, une nuance doit être faite : je ne peux pas me passer de vacances au Portugal tous les ans3. Tout simplement parce que je suis née ici et je ne connais le Portugal que comme lieu de vacances. Je ne connais pas la vie là-bas comme je sais ce qu’elle est ici4. Car je suis née en France et mon esprit, mon cœur est concerné par le sort de la France alors que le Portugal est un pays agréable pour les vacances mais ça ne m’intéresse pas plus5. L’identification en tant que Français peut a contrario se construire dans une certaine difficulté à se sentir Portugais, ou dans un refus d’identification. Il est notamment question du rapport à la langue portugaise.

1 Fille, 20/24 ans, né au Portugal, étudiant en 1er cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement technique 3 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 5 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle.

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Parce que je n’aime pas parler le portugais et je ne me sens pas bien entouré avec des personnes portugaises. Par contre, je m’intègre bien dans un groupe dont les personnes sachent parler le français et le portugais à la fois1. Un certain rejet de la mentalité portugaise ou du Portugal peut donc expliquer l’identification en tant que Français. Bien que pays d’origine, le Portugal est perçu comme appartenant au passé, par comparaison à la vie en France. L’identification se définit selon une préférence pour la mentalité ou la culture françaises (de la même manière que l’identification en tant que Portugais tendait à mettre l’accent sur la préférence pour les origines portugaises, ou sur le Portugal comme pays de référence unique). L’identification en tant que Français suggère alors que le désir d’intégration peut impliquer une mise à l’écart des origines. La naissance en France, le fait d’y avoir toujours vécu, d’y avoir toute ou partie de sa famille, et d’avoir la nationalité française apparaissent comme les facteurs centraux de l’identification en tant que Français. VII. – Identifications multiples Les identifications nationales se caractérisaient par l’affirmation d’une préférence exclusive pour l’origine portugaise ou pour la vie en France, privilégiant des choix identitaires basés sur l’opposition et la confrontation. Les identifications multiples représentent au contraire un dépassement du national par le binational ou par le supranational. Elles sont inscrites dans une relation de continuité, où l’identification supranationale représente un prolongement de l’identification binationale. Dans de très rares cas on observe toutefois, dans l’identification en tant que Français et Portugais, une réticence à l’identification en tant qu’Européen. Je suis née en France et ai toujours vécu en France, j’ai donc une culture plutôt française, je me sens cependant différente d’une Française de par l’origine de mes parents. Pas Européenne, je ne trouve pas qu’il existe déjà un esprit européen2.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle.

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Les caractéristiques de l’identification binationale peuvent être transcendées par l’issue et le dépassement identitaires que représentent l’identification supranationale, celle-ci venant en quelque sorte légitimer celle-là. C’est le sens de la continuité hiérarchique des différents niveaux d’identification : les identifications multiples n’ont pas besoin d’autre justification que la possibilité même, perçue ou réelle, du dépassement des identités nationales. Car elles sont aussi, in fine, des choix d’identification. 1. – Français et Portugais L’identification binationale se caractérise par la combinaison des identités française et portugaise. La logique combinatoire est repérable dans l’idée de compatibilité des deux dimensions, parfois même dans leur caractère inséparable. La « double culture » est considérée comme un avantage, elle peut cependant apparaître parfois sous l’angle de la difficulté à combiner des références perçues comme contradictoires. Ces deux dimensions et leur explicitation permettent de rendre compte de l’identification en tant que Français et Portugais, et plus particulièrement du lien nécessairement dynamique qui combine, à des degrés divers, ascendance portugaise et expérience de vie en France. Les éléments désignant la part française renvoient principalement à la dimension objective de la naissance et de la vie en France : études, scolarité, éducation, culture, mentalité, façon de penser, etc. La part française se décrit par les relations, l’environnement, le mode de vie, le travail, ou encore la nationalité. La dimension affective est également présente, dans le fait par exemple d’aimer la France et d’aimer y vivre. Les éléments qui désignent la part portugaise renvoient quant à eux aux parents, à la famille portugaise, aux origines. La dimension affective est particulièrement forte : elle concerne la fierté, l’orgueil d’avoir du sang portugais ou des racines portugaises, et l’idée qu’il faut être fier de ses origines plutôt que de les renier. Il

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est également question des liens entretenus avec le pays d’origine, des visites régulières au Portugal, des vacances inoubliables, et éventuellement, du projet d’aller s’y installer. Enfin, la part portugaise s’exprime par l’éducation reçue des parents, par l’amour de la langue et de la culture, ou encore par une certaine mentalité, une « façon de voir les choses ». L’identification en tant que Français et Portugais repose typiquement sur une valorisation de la France et du Portugal comme deux références identitaires essentielles et inséparables, la France représentant le pays où l’on vit depuis la naissance, et le Portugal le pays des parents, de la famille, et des racines. L’identification en tant que Français et Portugais peut s’expliciter par la juxtaposition d’une dimension objective (le fait de vivre en France et d’y être né), avec la dimension affective de l’attachement au Portugal, repérable dans le recours à la thématique des racines ou des origines, qui tend à accentuer l’idée de conscience identitaire portugaise. La dimension affective peut également se décrire par rapport à l’éducation et à la culture portugaises transmises par les parents. Je suis née en France, c’est donc mon pays natal. De plus mon éducation a été faite en France. Cependant ma famille est portugaise, tous les ans je vais au Portugal. De plus, j’ai été élevée dans un milieu où la tradition portugaise, ainsi que la mentalité, sont très présentes1. Française par le sol et la culture. Le mode de vie adopté, l’éducation sont plutôt de type français. Le sang, les racines et le cœur (n’est-ce pas presque la même chose) parlent en faveur du Portugal2. Je me sens Française car je vis ici depuis toujours, j’aime la langue, le pays. Je me sens Portugaise car ce sont les origines de mes parents, ils me les ont transmises à travers la langue et la culture, et je trouve cela très bien3. Par extension, l’identification binationale peut renvoyer à la conscience d’avoir reçu une « double éducation », à la fois

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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française et portugaise, illustrée par la capacité à s’exprimer en français comme en portugais, à s’adapter dans le contexte français comme dans le contexte portugais, par le fait d’avoir une maison dans les deux pays, de se sentir chez soi dans les deux pays. D’une manière générale, cette forme d’identification peut faire référence aux deux pays, la France représentant le pays de naissance, et le Portugal le pays d’origine. La France et le Portugal représentent deux pays que l’on aime également, pour des raisons différentes. Dans ces conditions, le choix de la double nationalité apparaît comme le résultat d’une double appartenance de fait, qui rend compte à la fois de la vie en France et des racines portugaises. La double nationalité constitue de ce point de vue un argument fort en faveur d’une identification binationale, qu’elle vient en quelque sorte légitimer. Je m’entends aussi bien avec les jeunes portugais qu’avec les Français. Lorsque je suis au Portugal je suis Portugaise et lorsque je suis en France je suis Française1. Parce que je suis née en France donc Française et je continue mes études ici, et Portugaise, car chaque année je retourne dans le pays de mes parents, voir ma famille et des amis. Ayant une maison dans les deux pays, je suis chez moi dans les deux pays2. Je me sens à la fois Française et Portugaise parce que je suis trop imprégnée des deux cultures pour ne choisir qu’une seule nationalité, j’ai d’ailleurs une carte d’identité française et « o bilhete de identidade portuguesa » (carte d’identité portugaise)3. Tout simplement parce que je réside en France et j’ai la nationalité française, et Portugaise car j’aime énormément mon pays d’origine, je tiens à conserver mes racines, et j’ai la nationalité portugaise4. Une caractéristique typique de l’identification en tant que Français et Portugais réside dans l’expérience – toujours différente et toujours spécifique – de la double culture. Dans la mesure où les parts française et portugaise sont vécues et ressenties comme 1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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inséparables, l’accent est mis sur l’idée de complémentarité et de combinaison. De façon explicite, l’identification apparaît comme une conséquence de la double culture, la résultante du fait d’être né en France de parents portugais. Affirmée en tant que telle et source de fierté, elle renvoie à la dualité des points de vue. Parce que je suis en contact permanent avec les deux cultures et qu’il est absolument impossible voire ridicule de vouloir faire un choix1. Mon éducation, ma culture sont faites à la fois de valeurs, de livres, de personnes portugais et français. Cette dualité, j’y tiens, je la revendique2. On m’a appris à être fière de mes origines même si j’ai la nationalité française. Renier un de ces aspects c’est comme si j’effaçais une partie de moi3. Comme on vient de le voir, la dimension d’affirmation de l’identification en tant que Français et Portugais envisage la double culture comme une combinaison harmonieuse, comme un avantage. On observe néanmoins une dimension par défaut de l’identification binationale, qui met l’accent sur le regard des autres. Dans le meilleur des cas, l’hétérodénomination ne constitue pas une menace pour la combinaison des parts française et portugaise. Toutefois, l’identification par défaut peut renvoyer aux difficultés ressenties lorsque l’identité est assignée, imposée par le regard extérieur. Le fait d’être catégorisé comme étranger ou comme émigrant illustre la dimension par défaut de l’identification binationale, qui met l’accent sur son caractère ambigu, alors que la dimension d’affirmation mettait l’accent sur la complémentarité. Les parts française et portugaise tendent dans ce cas à être perçues comme différentes, inégales, problématiques, contradictoires, parfois même incompatibles. Définie par le regard des autres, l’identification par défaut suggère une conception des appartenances nationales comme (devant être) exclusives. On observe alors une imbrication problématique des identifications : française au Portugal, portugaise en France.

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 3e cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle.

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Ici en France on me considère comme étant de nationalité portugaise. Au Portugal je suis une Française alors disons que je suis les deux. Aucune des deux nationalités ne prend le pas sur l’autre1. Je suis née en France. Je pars souvent au Portugal, donc je parle deux langues. Malgré tout, dans les deux pays on est considéré comme étranger !2 Parce qu’étant le fruit de deux cultures, on n’est ni l’un ni l’autre. Avec nous, une nouvelle génération est née (enfants d’immigrés) qui n’existe que par sa particularité : le multiculturalisme3. Plutôt les deux à la fois, mais quelquefois je finis par ne plus savoir à quel pays j’appartiens réellement. Pour les Portugais je suis Française et pour les Français je suis Portugaise. Alors quel est mon pays ?4 Deux dimensions opposées semblent donc caractériser l’identification binationale : une dimension d’affirmation, et une dimension par défaut. La dimension positive, affirmative, de l’identification binationale se définit dans l’autodénomination, au-delà des combinaisons (toujours spécifiques) des références à la France en tant que pays de naissance et de vie, et des références au Portugal en tant que pays des parents et de l’origine. Ces références portent également sur la langue française et la langue portugaise, l’amour des deux pays, la double nationalité, etc. Il s’agit idéalement d’un biculturalisme assumé, qui place les termes de la référence sur un plan équivalent. Cependant, l’identification en tant que Français et Portugais peut renvoyer à une dimension par défaut comme on vient de le voir, ou à ce qu’Alberto Martinho a appelé une « portugalité indéterminée » (Martinho, 1986), caractérisée par une certaine difficulté à combiner le sens de l’héritage portugais avec la vie en France. Dans ce cas, le regard de l’autre, l’hétérodénomination occupent une place importante ; ils renvoient à un sentiment d’être entre deux cultures, et de ne pouvoir choisir entre les deux.

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 3 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau 2e/3e cycle. 4 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 1er cycle.

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2. – Européen L’identification en tant qu’Européen s’interprète comme une volonté de dépasser la difficulté d’une identification nationale exclusive, ou l’inconfort d’une identification binationale. De ce point de vue, elle apparaît comme le prolongement des appartenances nationales et binationales. Elle suggère une instrumentalisation de l’Europe, dans la mesure où elle permet le dépassement de la contradiction éventuelle entre les références française et portugaise. Dans ce contexte, l’Europe représente non seulement une idée, des pratiques de mobilité ou un certain pragmatisme (ce qui est le cas effectivement lorsque l’identification en tant qu’Européen se présente sous la forme d’attitudes favorables à l’égard de l’Europe), elle représente aussi et peut-être surtout une forme de dépassement. Ce serait ici le sens particulier d’une forme d’européanisme issu des migrations, l’Europe apparaissant comme une ressource instrumentale permettant de transcender la difficulté identitaire par le recours à une voie officielle et reconnue comme légitime. On observe une hiérarchisation des sentiments d’appartenance, entre identification nationale et identification européenne. La hiérarchisation des niveaux d’identification se prolonge dans l’idée de « citoyen du monde » appartenant à l’humanité, et dans le refus des identités exclusives. Dans la volonté de transcender les appartenances, la raison est mise en avant, plus que le cœur. L’identification supranationale prolonge l’identification binationale, les caractéristiques principales de la double culture se trouvent transcendées. On retrouve ici la thématique biculturelle (naissance en France de parents portugais, fait d’être issu de deux cultures, d’aimer les deux pays, etc.), bien que dans un sens différent. La difficulté, voire le refus d’appartenir à une seule nationalité atteste de cette identification par dépassement : l’identification supranationale permet de simplifier le choix entre les deux nationalités. Au-delà de la France et du Portugal, l’Europe représente une issue à la difficulté d’identification mono-nationale.

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Car ayant des parents portugais et que moi je suis née en France, je me sens plus Européenne et aussi car j’aime les deux cultures de ces deux pays1. Mes ancêtres, mes grands-parents, mes parents sont Portugais, et je suis moi-même née au Portugal. Donc je suis Portugaise à 100 %, Européenne par la suite2. Je ne me sens pas Portugaise car j’ai vécu une grande partie de ma jeunesse en France, d’autre part, je ne me sens pas Française car j’ai des points de vue souvent divergents donc je me forge une nationalité européenne, humaine plutôt3. Je suis tenté par « Les deux à la fois », mais ma fibre européenne est la plus forte ! Il s’agit plutôt de la raison que du cœur4. C’est délicat, mais je ne m’identifie pas par rapport à une frontière mais à un état d’esprit que je retrouve au-delà du Portugal ou de la France. Je suis une femme, l’univers est mon « pays ». De plus, il est dangereux de vouloir appartenir à une nation, exacerber les nationalismes5. Lorsque l’appartenance à l’Europe est interprétée à partir de l’identité biculturelle, le fait que la France et le Portugal appartiennent au même espace européen est mis en avant. La préférence pour les deux pays peut également être évoquée. L’identification en tant qu’Européen peut être liée à une dimension pragmatique, à la connaissance des langues et à la mobilité, envisagées dans le contexte européen. Etant née en France de parents portugais et ces deux pays faisant partie de l’Union Européenne, je me sens Européenne avec une préférence pour ces deux pays6. J’ai vécu dans trois pays et parle quatre langues. L’évolution des communications et des transports fait que l’on est dans un « village global ». Je reste cependant très attaché à la culture française, dans laquelle j’ai passé trois quarts de ma vie7.

1 Fille, 20/24 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante de niveau 1er cycle. 3 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 4 Garçon, 25/29 ans, né au Portugal, actif de niveau 1er cycle. 5 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 6 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 7 Garçon, 20/24 ans, né en France, actif de niveau 2e/3e cycle.

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L’identification supranationale suggère encore des interprétations liées à la nationalité – que cette dernière soit jugée comme étant sans importance, ou que la double nationalité vienne au contraire encourager l’identification en tant qu’Européen. L’identification supranationale trouve également sa justification dans un sentiment de méfiance à l’égard du patriotisme, du territoire et des frontières nationales – le recours à l’Europe permettant de transcender les appartenances nationales (l’idée d’une « Europe sans frontières »). L’Europe apparaît ici comme un troisième terme qui, au-delà des frontières nationales, permet de « simplifier le choix » entre la France et le Portugal. Les nationalités n’ont que peu d’importance. L’entente entre individus est beaucoup plus importante, ainsi que l’échange entre eux1. Au niveau des papiers je suis Française en France car cela facilite au niveau des études et j’ai également o bilhete de identidade português (la carte d’identité portugaise) aussi je me sens plus Européenne ayant une double nationalité2. Je pense que le territoire importe peu et qu’il faut voir plus loin que le bout de son nez3. Je suis attaché au Portugal par la nationalité, la culture, etc. mais aussi à la France : lieu de résidence, travail, vie déjà organisée. Je trouve que l’Europe est une très bonne idée pour avoir une réponse à beaucoup de problèmes. Une Europe sans frontières4. Une autre dimension de l’identification supranationale se trouve dans l’interprétation de l’appartenance européenne du point de vue de la culture, lorsque par exemple les cultures nationales européennes sont perçues comme plutôt proches les unes des autres. Ici encore, l’idée de culture commune suggère que l’Europe permet de dépasser des appartenances nationales jugées « trop petites ». L’identification supranationale peut être liée à des conceptions abstraites, idéales ou idéalisées de l’Europe, toujours selon l’idée de dépassement des nationalités et des appartenances

1 Fille, 25/29 ans, née en France, active de niveau Bac. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 4 Garçon, 25/29 ans, né au Portugal, actif sans Bac.

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réductrices. L’Europe peut être perçue comme une direction ou un horizon. En faisant appel à une volonté commune, l’Europe permet de trouver une unité par-delà les particularismes. De ce point de vue, l’Europe représente l’avenir, une « chance » pour les Européens. Le chemin politique qui trace sa construction amènera ces derniers à l’unité et à la découverte de leur « âme européenne ». Je n’aime pas avoir une nationalité choisie et précise car s’il faut choisir entre la France et le Portugal, je crois que je ne pourrais pas. Je crois qu’il faut voir plus loin que des pays mais une communion des cultures1. Aucune des deux options ne me convient (Français, Portugais). Choisir une ou deux serait m’enfermer dans une dimension trop « petite » à mon goût. Mon expérience personnelle me fait être plus à même de percevoir notre culture commune : l’Europe2. L’origine a peu d’importance, l’importance est de vouloir aller de l’avant ensemble, au-delà de critère de nationalité, de religion ou de couleur3. Tous les efforts politiques pour unir l’Europe nous font sentir notre âme européenne. La multiplication des échanges scolaires, des moyens de transport, des moyens de communication unissent les pays. C’est une chance pour nous Européens qu’il ne faut pas laisser passer4. On retrouve également la dimension par défaut de l’identification, appliquée ici à la référence supranationale : dans une forme de bricolage identitaire, l’Europe vient combler un défaut d’identification nationale exclusive. Face à l’hétérodénomination, l’Europe permet la ré-appropriation d’une identité dans la dignité, selon le raisonnement suivant : Me considérer comme une Portugaise, je ne peux pas. Je suis née en France et y vis encore actuellement. Française, je ne le suis pas non plus car mes parents sont Portugais. Dans les deux pays nous sommes des étrangers. Nous sommes donc des Européens5.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Garçon, 25/29 ans, né au Portugal, actif de niveau 2e/3e cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 4 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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Car je ne me sens pas acceptée par les Français pourtant je suis née en France et c’est pareil vis-à-vis des Portugais. Donc, je suis les deux à la fois et je suis surtout Européenne1. Ces résultats suggèrent le caractère mouvant de l’identification et de ses représentations. On observe, chez les jeunes d’origine portugaise, nombre d’attitudes et de représentations relatives aux dimensions économique et culturelle de la France, du Portugal, et de l’Europe. Dans une étude sur les représentations de l’Europe auprès des Français, Annick Percheron avait noté que l’Europe était assez nettement perçue comme répondant à une nécessité économique, suscitant à la fois des attitudes favorables (sécurité offerte par l’élargissement du champ des relations et des échanges économiques, et par l’instauration d’une monnaie unique), et défavorables ou ambivalentes (fondées sur la crainte d’une amplification de la crise de l’emploi, de la concurrence et de la fragilisation des prérogatives nationales en la matière) (Percheron, 1991 ; voir également Chaudron, Suaud et Tertrais, 1991). Claude Tapia a souligné que la notion d’identité européenne en tant que telle restait abstraite, si elle n’était pas saisie dans l’immédiateté de ses effets, et dans son rapport direct à la vie nationale (Tapia, 1997). Chez les jeunes, le problème de la définition de l’identité européenne ne se pose donc pas en termes politiques ou en termes de concurrence avec l’identité nationale, mais bien plutôt en termes de valeurs ou d’idéaux susceptibles d’orienter les conduites. Les convergences observées dans nombre d’enquêtes européennes auprès des jeunes renvoient à une forme de réalisme pragmatique (perception de la langue anglaise comme l’instrument principal de communication en Europe, mobilité professionnelle comme l’une des exigences incontournables de notre époque). Toutefois, il semble que ces descriptions n’épuisent pas l’éventail des motifs d’identification chez les jeunes d’origine portugaise. Certes, on observe chez ces derniers une relation positive entre les

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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attitudes favorables à l’égard de l’Europe et une certaine familiarité avec les institutions supranationales ou les cultures européennes, s’exprimant dans des pratiques comme l’apprentissage des langues étrangères et les visites ou les voyages culturels. On vérifie également des convergences assez fortes autour de la prééminence accordée aux Droits de l’Homme sur l’intérêt national, et même sur la justice entre les peuples. Toutefois, le recours à l’Europe apparaît surtout comme une ré-appropriation de l’expérience migratoire des parents, et comme une réinterprétation des pratiques de mobilité entre la France et le Portugal, dans le contexte de la construction européenne. Là réside semble-t-il, la dimension proprement identitaire du recours à l’Europe, au-delà des dimensions pragmatiques et économiques observées. Dans la mesure où la typologie des formes d’identification procède par oppositions, les identifications nationales et multiples apparaissent comme interdépendantes, et négativement corrélées. Dans ce contexte, la relation négative existant entre la priorité accordée à l’identité nationale et l’esprit d’ouverture à la supranationalité est mise au jour, suggérant également une congruence entre les identités nationales et une certaine indifférence, voire une méfiance à l’égard de la construction européenne. VIII. – Dimensions interprétatives L’identité se construit par une affirmation qui renvoie à une identification de fait, pouvant se passer de toute explication. Centrale dans la typologie des formes d’identification, la dimension de l’affirmation concerne autant les identités nationales que les identités multiples. Les identités nationales tendent quant à elles à accentuer une dimension de rejet et d’opposition, alors que les identités multiples se caractérisent par une dimension de dépassement (tableau 1).

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Tableau 1. – Types et sous-types d’identification : dimensions observées. Type/sous-type d’identification Rejet

(–) Affirmation

(+) Dépassement

(++) National/Portugais National/Français

– –

+ +

Multiple/Binational Français et Portugais Multiple/Supranational Européen

+ +

++ ++

La dimension de rejet renvoie à une opposition de type « Eux/Nous », fondatrice de l’identité de groupe (Devereux, 1972 ; Anderson, 1983). Elle est une forme exclusive d’identification, dans le sens où l’identité du groupe X se construit par rapport au groupe Y, et souvent contre lui. Les identités multiples se caractérisent par le dépassement des identités nationales, par le binational ou par le supranational. Dans la mesure où l’identification binationale s’explicite par le caractère inséparable des parts française et portugaise, la logique combinatoire entre les deux éléments est centrale, quel que soit le contenu qui leur est donné. L’identification supranationale peut être justifiée quant à elle par une attitude de méfiance à l’égard des nationalismes, des frontières nationales, ou d’un patriotisme excessif. Dans les deux cas, les identités multiples se construisent par le dépassement des identités nationales. La dimension d’affirmation renvoie à un contenu et à une signification différents selon les identifications, ces dernières pouvant se trouver dans des relations d’opposition, de complémentarité, ou de prolongement. L’identification en tant que Portugais est caractérisée par la primauté de l’origine portugaise sur la vie en France ; à l’inverse, l’expérience de vie en France est plus importante que les origines portugaises selon l’identification en tant que Français. L’identification binationale quant à elle combine idéalement les éléments opposés des deux formes d’identification nationale ; enfin, l’identification supranationale prolonge les identifications nationale et binationale. Au-delà du caractère spécifique de l’affirmation, les dimensions de rejet et de dépassement permettent de comprendre la logique interne à chaque type d’identification. L’identification binationale se définit par une combinaison plus ou moins stable entre une

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affirmation incertaine de biculturalité (dimension par défaut), et une représentation de la biculturalité comme un avantage et une ouverture – donc un dépassement. De manière similaire, l’identification supranationale se définit par une tension particulière entre l’affirmation d’un européanisme minimal (le recours à l’Europe permet de résoudre la biculturalité par défaut), et une forme d’européanisme assumé, qui en tant que tel constitue également une forme de dépassement. La logique des identifications nationales et des identifications multiples apparaît donc avec les dimensions d’affirmation, de rejet ou de dépassement. Fondamentalement, la typologie des formes d’identification renvoie à la tension particulière entre les identités nationales et les identités multiples (tableau 2). Tableau 2. – Types et sous-types d’identification : dimensions et thèmes.

Type/Sous-type Rejet Affirmation Dépassement National/Portugais National/Français

Rejet explicite de la France ; Sentiment de discrimination ; France : pays d’accueil. Relations ; Langue portugaise peu connue ; Le Portugal renvoie au passé

Portugais par la famille et les relations ; Portugais de fait ; Fierté ; Idéalisations ; Intégration en France : Bonne réputation des Portugais ; Projet de vie au Portugal. Projet de vie en France ; Intégration en France : comparable aux Français.

Multiple/Binational Français et Portugais Multiple/Supranational Européen

Hiérarchies : Portugais, puis Français ; Français, puis Portugais. Double catégories : Entre-deux ; Regard des autres. Développement du Portugal ; Entrée du Portugal dans l’Europe ; Européanisme minimal.

Biculturalité ; Combinaison ; France et Portugal ; Intégration en France : Double culture ; Projets de vie. Pragmatisme ; Idéalisations ; Européanisme transcendance.

Retour sur les types et dimensions Bien qu’elle ait un contenu spécifique selon les types, la typologie des formes d’identification renvoie aux variations autour de cette dimension centrale qu’est l’affirmation identitaire. Les identités

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nationales renvoient à une valorisation privilégiée des origines portugaises ou de la vie en France, pouvant également opposer le cas échéant, la fierté patriotique portugaise et la volonté d’intégration en France. Dans le cas de l’identification multiple, la dimension d’affirmation illustre la diversité des formes de combinaison des parts française et portugaise qui caractérise l’identification binationale ; elle illustre également la récurrence du thème de l’« entre-deux », qui peut se traduire par une forme minimale d’européanisme. En tant que telle, la dimension de dépassement renvoie tout particulièrement à l’identification supranationale, dans la mesure où elle permet de transcender les identifications nationales et binationales. De ce point de vue, elle s’oppose également à la dimension de rejet qui caractérise ici l’identification nationale. En ce sens, il y a effectivement opposition entre les identités nationales et les identités multiples (tableau 3). Tableau 3. – Types et sous-types d’identification : dimensions observées et thèmes.

Type/Sous-type Rejet Affirmation Dépassement National/Portugais National/Français

De la France Du Portugal

Primordialisme (origines) Intégration (vie en France)

Multiple/Binational Français et Portugais Multiple/Supranational Européen

Incertitude (biculturel par défaut) Européanisme minimal

Combinaison (biculturel de fait) Transcendance par l’Europe

La typologie s’attache à mettre en relief les deux dimensions principales et complémentaires de l’identification supranationale : l’affirmation d’un européanisme minimal, et le dépassement (ou la transcendance) d’une biculturalité par l’Europe. Au-delà du thème de la bipolarité et de l’idée de combinaison plus ou moins stable entre pays d’origine et pays d’installation, l’Europe apparaît comme un terme nouveau, qui questionne les traditionnelles approches culturalistes et assimilationnistes des descendants de migrants (les unes mettant l’accent sur la résistance culturelle des groupes minoritaires, les autres insistant sur le caractère inéluctable

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de l’acculturation ou de l’assimilation). La signification concrète de l’identification à l’Europe chez les jeunes d’origine portugaise réside peut-être aussi dans cette continuité spécifique qui mène de l’identité binationale à l’identité supranationale, en tant que celle-là se prolonge dans celle-ci. Là serait le sens spécifique de l’identification à l’Europe de la part des jeunes d’origine portugaise. Les chapitres qui suivent tentent d’interpréter les formes d’identification observées dans leurs relations avec les représentations d’une part, avec les significations associées à l’origine portugaise et à l’évolution en France d’autre part. La problématique des formes d’identification peut semble-t-il être élargie par la prise en compte des valeurs, des projets professionnels, des idéaux de vie, du désir de mobilité ou d’enracinement, et de la représentation des facteurs de la cohésion sociale. Cette hypothèse part du principe que les attitudes à l’égard de l’Europe, et d’une manière générale, les identifications ne peuvent constituer une attitude isolée du contexte psychologique, idéologique, et moral de référence des sujets. Elles peuvent donc être appréhendées comme « un élément d’un système symbolique cohérent, intégrant l’éthique, le social, le religieux, le politique… qui varie en raison de l’âge des sujets, du contexte culturel national d’appartenance. » (Tapia, 1997, p. 42). Il faut rappeler à ce titre l’étude pionnière de Jean Stoetzel sur les valeurs européennes, qui a mis en relief l’uniformité de certaines tendances dans les différents pays à l’égard de la morale, du travail, de la famille (Stoetzel, 1983). Son intérêt est également d’avoir clairement établi que les options politiques, religieuses, morales, professionnelles, familiales forment des entrelacs complexes en liaisons mutuelles, et avec certaines caractéristiques individuelles. 1. – Représentations L’analyse des relations entre représentations et identification suggère que les représentations s’interprètent par rapport à

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l’identification. En d’autres termes, l’identification oriente dans une certaine mesure les attitudes et les opinions ; la typologie des formes d’identification peut donc être complétée par l’analyse de ces relations. Dans un premier temps, les projets d’études, professionnels et de vie seront analysés ; nous examinerons ensuite les opinions concernant la communauté portugaise en France, les jeunes de la communauté et les Portugais du Portugal, et les représentations de la France et du Portugal. 1.1. – Projets Le Portugal occupe une place importante dans les projets des jeunes, qu’ils souhaitent aller y tenter une expérience professionnelle, y poursuivre des études, ou s’y installer avec un projet professionnel. Près d’un tiers des jeunes projette d’aller vivre sûrement au Portugal. D’une façon générale, les projets renvoient à une volonté de réussir sa vie professionnellement et affectivement. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, les projets sont assez clairement liés à l’idée d’aller vivre au Portugal dans un futur proche, que ce soit pour y poursuivre des études ou pour y travailler et fonder un foyer. Le projet d’aller vivre au Portugal peut toutefois être différé. Je veux réussir ma vie professionnelle déjà en France, pour pouvoir m’installer plus tard au Portugal, avec une bonne situation économique, afin de supporter les charges d’une famille1. Alors que l’identification en tant que Français tend à mettre l’accent sur le besoin d’indépendance par rapport aux parents, les projets tendent, du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, à faire référence de façon plus ou moins explicite à la double culture : il s’agit de contribuer à la promotion de la langue et de la culture portugaise. De même, les projets de vie reflètent l’idée d’un attachement spécifique entre la France et le

1 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général.

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Portugal : il s’agit d’être capable de vivre et travailler en France comme au Portugal. J’aimerais être prof de français au Portugal, ou bien être avocate. Je désire garder un contact avec le Portugal et la France dans mon futur métier. Choisir très bientôt où vais-je faire ma vie : au Portugal ou en France ?1 Du point de vue de l’identification en tant qu’Européen, le Portugal apparaît comme une option, il s’agirait d’aller y tenter une expérience pour voir si l’on peut s’y adapter. Partir au Portugal en voyage, pour le découvrir, mieux connaître ses villes, car depuis seize ans je vis en France, je ne passe que mes vacances là-bas, j’aimerais bien, mieux connaître mon pays d’origine2. En ce qui concerne le choix du conjoint, le souhait de se marier à l’église au Portugal est particulièrement associé à l’identification en tant que Portugais. Il s’agit tout d’abord de l’idée que la famille se trouve au Portugal, et que le mariage à l’église représente une tradition familiale. Le souhait de se marier à l’église au Portugal peut être lié à la conviction religieuse ; il s’agit également de l’idée que le mariage religieux est plus beau au Portugal qu’en France. Souhaiter se marier au Portugal équivaut à vouloir se marier dans son pays. Enfin, c’est de toutes les façons au Portugal que l’on souhaite vivre. Car je trouve que les mariages sont plus beaux au Portugal, et pour avoir aussi toute ma famille3. Je suis née au Portugal, j’ai été baptisée là-bas, j’ai fait ma communion là-bas et je me marierai aussi là-bas4. C’est là-bas que je me marierai car c’est là-bas que j’habiterai5. Si, du point de vue de l’identification en tant que Français, le souhait de se marier en France correspond à l’idée que c’est en France que l’on compte faire sa vie, le choix du lieu de mariage

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement technique. 4 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 2e cycle. 5 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle.

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reste ouvert du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais : le choix devra se faire à deux. Eventuellement, on souhaite faire un « double mariage » : au Portugal pour la famille et en France pour les amis. En France à la mairie pour faciliter tous les problèmes de papiers, au Portugal à l’église car c’est la coutume dans la famille et parce que je le veux1. Au cours des années 1990, on a parlé du « phénomène des lusodescendants » en regard de l’installation de ces derniers au Portugal (Lamy, 2000). Si le phénomène en question reste bien difficile à quantifier, le fait par exemple que les universités portugaises aient mis en place des quotas spécialement réservés aux lusodescendants est assez significatif. Malgré le niveau scolaire et professionnel des jeunes candidats à l’installation et la biculturalité qu’ils peuvent dans bien des cas mettre en avant (Charbit, 2000), les obstacles économiques, administratifs et culturels suggèrent une intégration au Portugal plus difficile qu’il n’y paraît (équivalence et reconnaissance des diplômes, connaissance de la langue portugaise, et d’une manière générale, images des « émigrés » auprès des résidents (Gonçalves, 1996). Dans la mesure où les salaires au Portugal sont deux à trois fois moins élevés qu’en France – et la protection sociale bien moins développée –, on peut faire l’hypothèse que les motivations d’ordre familial et affectif (attachement au pays d’origine, héritage du désir de retour des parents, changement d’image du Portugal liés à l’intégration européenne et à l’Expo’98) l’emportent sur les motivations d’ordre économique. 1.2. – Communauté portugaise en France Les réponses à la question ouverte « Quelle opinion avez-vous de la communauté portugaise résidant en France » indiquent tout d’abord une variété d’interprétations de la notion de communauté.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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Il peut s’agir des Portugais du quartier, de la ville, ou de l’image des Portugais en général. La communauté portugaise en France est principalement décrite comme une communauté discrète, travailleuse, invisible, etc. Les notions d’intégration et de solidarité apparaissent comme des thèmes centraux dans les descriptions. La communauté portugaise peut être décrite comme bien intégrée et solidaire, ou au contraire comme peu intégrée et peu solidaire. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, les aspects positifs de la communauté portugaise sont mis en avant : elle apparaît comme discrète et jouissant d’une bonne réputation auprès des Français, sérieuse, travailleuse. La convivialité, la solidarité, la chaleur de la communauté portugaise sont particulièrement valorisées. Celle-ci est également décrite en termes de discrétion (souvent synonyme d’intégration). Elle apparaît également comme étant bien intégrée par rapport à d’autres communautés. J’adore l’ambiance de la communauté portugaise. Les Portugais sont en général de bonne humeur et joyeux ; ils s’aident tous entre eux et s’entendent très bien car ils sont avant tout chaleureux1. Je pense qu’elle est parfaitement intégrée, et qu’elle s’en sort très bien par rapport aux autres communautés étrangères en France2. La communauté portugaise est symbole de travail, courage et discipline. Par comparaison avec les autres communautés, elle reste humble et très sympathique. Leur intégration est une réussite3. Parfois, les descriptions se font plus réservées, l’intégration devient synonyme de perte des racines. Les difficultés liées à l’émigration sont évoquées. Ils sont tous venus pour la même chose : travailler. Je ne pense rien en particulier sur eux, je dirais simplement que les Portugais sont assez solidaires entre eux car ils ont les mêmes problèmes, les mêmes difficultés4. 1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 3 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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Du point de vue de l’identification en tant que Français, la communauté portugaise tend à être décrite de façon négative : fermée sur elle-même, acharnée au travail, elle est trop discrète et manque de dynamisme. La communauté portugaise apparaît ici comme peu solidaire, à moins qu’elle n’apparaisse au contraire comme solidaire et unie – ce qui freine son intégration. Plus particulièrement, la génération des parents est critiquée pour son conservatisme et son caractère « arriéré ». Le « bas niveau culturel » de la communauté qui est mis en avant. Les critiques portent sur l’idée que la communauté est invisible, acharnée au travail, et peu dynamique ; elle peut enfin être décrite comme ne mettant pas suffisamment en valeur sa culture. Il existe une grande solidarité entre les membres de la communauté, solidarité qui se voit à travers les différentes manifestations. Traduit un besoin de se retrouver dans un contexte autre que le français. Manque d’intégration ?1 La communauté portugaise a, je pense, une très grande cohésion. Elle se regroupe autour des traditions portugaises et s’identifie plutôt bien. Cependant, je trouve qu’elle est trop tournée vers le passé : il y a un risque d’immobilisme2. Des personnes sympathiques, pour la plupart pas très cultivées. Mais ce sont des gens animés qui parlent (souvent beaucoup et fort), qui en face sont très bons amis et dans le dos les pires ennemis, ils sont avides de critiques, de vins, de foot et de morue3. La même opinion que le peuple français a. C’est-à-dire que la communauté portugaise située en France a tendance à rester dans l’ombre. Sont sympathiques, travailleurs, etc. enfin, ne posent aucun problème4. Du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, la communauté portugaise peut apparaître comme étant bien intégrée tout en restant portugaise, ou au contraire comme étant tellement intégrée qu’elle tend à devenir « comme les Français ». On observe néanmoins l’idée que l’intégration et le maintien des origines vont de pair. La communauté portugaise peut

1 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 2e cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 3 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général. 4 Garçon, 20/24 ans, né en France, étudiant en 1er cycle.

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être décrite selon deux groupes distincts (comme on va le constater, ce type de description duale caractérise l’identification binationale). Enfin, la communauté portugaise peut être décrite dans le contexte particulier de ses séjours au Portugal. Sa différence d’avec les Portugais du Portugal est aussi relevée. C’est une communauté qui garde des liens affectifs très importants avec le Portugal. Et paradoxalement elle s’intègre très bien dans ce pays, que ce soit dans le sport, la culture, la littérature ou la politique municipale1. Elle est très divisée. Il y a ceux qui arrivent du Portugal et qui essaient de s’intégrer tant bien que mal et les autres qui peut-être sont trop « saudosistas » (nostalgiques) et qui tentent de révéler notre culture portugaise à travers les associations, les restaurants, ... C’est bien !2 Sur les individus en général, je les admire, des sacrifices qu’ils ont fait et qu’ils font mais en leur reprochant cependant un air légèrement hautain qu’ils prennent vis-à-vis des Portugais « du Portugal »3. Comme avec la question concernant la communauté portugaise en France, une des dimensions principales des réponses à la question ouverte « Quelle opinion avez-vous des jeunes de la communauté portugaise résidant en France » concerne l’intégration, comme on va le voir. Si le thème de la solidarité est également présent, des aspects spécifiques aux jeunes sont évoqués, tels que la question du rapport aux origines, ou le partage entre deux cultures. 1.3. – Jeunes de la communauté portugaise en France Dans une certaine mesure, les descriptions des jeunes de la communauté portugaise reflètent l’auto-identification : certains enquêtés tendent à décrire les jeunes à partir de leur propre expérience. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, l’accent est mis sur ce qui lie les jeunes portugais entre eux : affinités particulières, partage de la langue, etc. De même, les

1 Garçon, 20/24 ans, né en France, actif de niveau Bac. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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jeunes tendent à être décrits, du point de vue de l’identification en tant que Français, selon leur volonté de s’affranchir de l’influence des parents. L’idée d’une intégration individuelle étant particulièrement valorisée, l’aspect grégaire de la communauté et des jeunes est critiqué. Du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, les jeunes tendent à être décrits selon deux types : certains jeunes connaissent des difficultés à se considérer comme Portugais (ou comme Français), alors que pour d’autres, la double culture est clairement perçue et vécue comme un avantage. Enfin, du point de vue de l’identification en tant qu’Européen, la double culture apparaît nettement comme un avantage, dans la mesure où elle procure une « ouverture d’esprit » ; elle permet de se sentir adapté dans les deux pays, ainsi que dans le reste de l’Europe. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, les jeunes sont d’abord décrits par la fierté qu’ils éprouvent à être Portugais, ou par leur propre identification : ils se sentent « plus Portugais que Français ». Les jeunes sont par ailleurs décrits comme solidaires entre eux – parfois même ils apparaissent comme plus solidaires que leurs parents. Cette solidarité peut toutefois apparaître comme un frein à l’intégration. Les jeunes peuvent encore être décrits selon l’idée qu’ils désirent aller vivre au Portugal, ou par le fait qu’ils n’ont pas choisi de vivre en France. Je les trouve dynamiques, souvent fiers d’être Portugais. Les nouveaux lusodescendants aiment affirmer leur origine. Ca fait plaisir de voir qu’ils sont nombreux à réussir leurs études. Quand je rencontre un jeune portugais en France, je suis heureux de parler avec lui : c’est comme quelqu’un de la famille1. Il me semble que les jeunes portugais en France sont solidaires entre eux. Les jeunes portugais que je connais « se serrent les coudes ». Le fait d’être Portugais et à l’étranger crée et resserre des liens2. Les lusodescendants sont plus solidaires entre eux que n’étaient leurs parents (génération précédente)3.

1 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Garçon, 25/29 ans, née au Portugal, active sans Bac.

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Malgré le fait qu’ils résident en France depuis plusieurs années, ils ont un grand attachement au Portugal. Avec, pour certains, le désir de repartir définitivement au Portugal1. Du point de vue de l’identification en tant que Français, les jeunes tendent à être décrits sous l’angle de leur intégration en France, suggérant par là l’auto-identification au groupe en question. L’accent peut être mis sur l’idée que les jeunes de la communauté sont parfaitement intégrés, et qu’ils ne se distinguent pas particulièrement des autres jeunes. En revanche, leur intégration et leur mentalité se distingue particulièrement de celle des parents. Lorsqu’à l’inverse, l’identification se fait contre le groupe décrit, les jeunes apparaissent comme subissant l’influence des parents ; leur manque d’ambition est mis en avant. Manque d’affinités avec les Portugais, préférence pour les amis français : les descriptions se font plus critiques, les jeunes ayant par exemple tendance à idéaliser le Portugal, ou à rester entre eux. Ils sont communicatifs entre eux et peuvent plus facilement se comprendre, car leurs coutumes sont à peu près semblables. Ils sont pour la majeure partie complètement adaptés à la France, beaucoup veulent y rester2. Sympathiques, mais ils suivent bien le chemin tracé par leurs parents : bas niveau culturel, apparences futiles3. Devraient essayer de trouver une vraie identité et faire des études pour être reconnus par les autres (et ne pas donner l’image de femme de ménage ou d’ouvriers)4. Je les trouve très actifs mais ils ont souvent une image faussée (idéalisée) du Portugal (à la limite de l’utopie), ce qui dans certains cas freine leur intégration5. Du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, les jeunes sont principalement décrits sous l’angle de la double culture – nettement perçue comme un avantage. Les jeunes 1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Garçon, 15/19 ans, né au Portugal, étudiant en 1er cycle. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 5 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle.

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apparaissent également comme étant bien intégrés en France, tout en gardant le sens de leurs origines portugaises, selon l’idée de combinaison des deux cultures. Le rapport aux origines portugaises et la fierté d’être Portugais se combinent de façon plus ou moins harmonieuse avec l’intégration en France. Ici encore, les descriptions reflètent l’auto-identification au groupe en question. Les jeunes peuvent être décrits selon deux catégories : certains n’oublient pas leurs origines, d’autres au contraire sont « comme les Français ». On retrouve, dans la combinaison des dimensions d’affirmation et par défaut, une caractéristique de l’identification binationale, qui suggère que l’origine portugaise et la vie en France font l’objet de nombreuses et fréquentes réinterprétations. Certaines descriptions mettent explicitement l’accent sur la division entre héritages français et portugais. La double catégorisation peut servir à distinguer les jeunes nés au Portugal et ceux nés en France, ces derniers étant « comme les Français ». L’accent est parfois mis sur les formes d’identification, selon l’idée que la plupart des jeunes tendent de façon regrettable à se sentir davantage Français que Portugais. Lorsqu’à l’inverse, la double catégorisation porte sur les projets de vie, l’accent est mis sur le désir de certains jeunes d’aller s’installer au Portugal. Nombre de descriptions portent également sur la double allégeance : certains jeunes sont critiqués pour être « trop intégrés », pour ne pas accorder suffisamment d’importance à leur culture d’origine – qu’ils aient tendance à l’oublier voire même à la nier. Nombre de descriptions évoquent le partage entre deux cultures, ou la honte d’être Portugais. La perte de la langue portugaise est également évoquée, tout comme le fait de ne pas connaître le Portugal. Les jeunes peuvent encore être décrits selon l’idée d’un attachement et d’une fierté retrouvés. Ils sont de plus en plus fiers d’être Portugais, se rendent compte des apports d’une double culture, ils s’investissent de plus en plus, c’est encourageant1. Il y a deux types de jeunes portugais : ceux qui sont nés en France ou sont venus très jeunes, et ceux qui sont venus récemment. Les premiers s’éloignent un peu de

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle.

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la culture de leurs parents (quelques exceptions non), et les seconds parlent portugais entre eux1. Ils sont bien adaptés à la France, ce ne sont plus vraiment des Portugais, ce sont plutôt des Français car parfois, ils ne savent même pas parler la langue et renient presque leur culture2. De plus en plus, ils veulent, à l’inverse de quelques années passées, partir au Portugal travailler ou étudier. Il y a une sorte de ras le bol de la France3. On devrait leur apprendre à être fiers d’être d’origine portugaise, à ne pas renier leur richesse et plutôt à l’exploiter en effet, le fait de parler couramment une langue aussi répandue que le portugais, est une richesse4. Je trouve qu’ils ne s’intéressent pas à la culture portugaise. L’idée qu’ils ont du Portugal est celle du mois d’août. Pour eux, le Portugal c’est les vacances5. Il semble qu’il y ait aujourd’hui une prise de conscience, de la part des lusodescendants, de leurs origines, de leur culture. Et donc un besoin nouveau de se connaître6. Dans le prolongement de l’identification en tant que Français et Portugais, les jeunes de la communauté portugaise tendent à être décrits de façon plutôt positive du point de vue de l’identification en tant qu’Européen – ce qui suggère ici encore une forme d’auto-identification au groupe décrit. Il est notamment question de l’évolution scolaire et de l’ambition de ces jeunes. Les jeunes peuvent encore être décrits du point de leur identification : nombre de jeunes se sentiraient Européens. Ceci suggère que les descriptions sont particulièrement liées à l’expérience personnelle. Enfin, lorsque le thème de l’intégration apparaît, celle-ci est tout particulièrement entendue dans le sens d’une bonne adaptation, en France comme au Portugal. Je pense que les jeunes se sentent plus Européens que Portugais ou Français7.

1 Fille, 25/29 ans, née au Portugal, active de niveau 2e/3e cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Garçon, 20/24 ans, né en France, étudiant en 2e cycle. 4 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 6 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 7 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau 2e/3e cycle.

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Bonne image, ceux que je fréquente ont la volonté de faire des études et d’améliorer leur niveau social, tout en restant fiers de leurs origines1. On observe donc que les représentations concernant les jeunes de la communauté portugaise en France reflètent l’identification : les jeunes apparaissent d’autant plus solidaires et attachés au Portugal que l’on s’identifie en tant que Portugais. Les thèmes de l’intégration et de la fidélité aux origines sont chargés de contenus positifs ou négatifs, selon que l’accent est mis sur la continuité générationnelle ou au contraire sur le fait d’une intégration spécifique des jeunes en France par rapport aux parents. Enfin, l’accent mis sur les aspects positifs ou contradictoires de la double culture suggèrent une interprétation de la situation des jeunes à la lumière de l’auto-identification. Voyons maintenant quelles représentations les jeunes se font des Portugais résidant au Portugal. 1.4. – Portugais résidant au Portugal Relativement à la question ouverte « Quelle opinion avez-vous des Portugais résidant au Portugal », l’accent est mis de façon très nette sur les attitudes négatives à l’égard des Portugais émigrés. D’une manière générale, le racisme des Portugais est dénoncé, que ce soit à l’égard des émigrés portugais ou à l’égard des étrangers en général. Les Portugais du Portugal sont décrits comme méprisants, hostiles, intolérants, jaloux et racistes – notamment envers les émigrants. Pour nombre de jeunes, les attitudes de rejet vis-à-vis des émigrés mettent en exergue le décalage existant entre ces derniers et les résidents. L’attitude des Portugais du Portugal à l’égard des émigrés est dénoncée du point de vue des stéréotypes, les émigrés ayant quitté leur pays pour venir « s’enrichir » en France, pays « où l’argent est facile ». Selon certains, l’attitude

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle.

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négative des Portugais trouve une explication dans leur sentiment d’infériorité vis-à-vis des Français. Le décalage entre la réalité vécue en France, et la manière dont sont considérés les émigrés au Portugal, sont mis en avant. La méconnaissance des conditions de vie en France de la part des Portugais est vivement dénoncée, de même que le fait d’être considéré comme des étrangers ou des Français, et non comme de « vrais Portugais ». D’une manière générale, les réponses suggèrent une grande difficulté dans le dialogue avec les Portugais – difficulté de communication qui a parfois pour conséquence une difficulté d’identification, certains jeunes se sentant étrangers à la fois au Portugal et en France. Je remarque avec tristesse et surprise que la plupart des gens que je connais sont d’un racisme assez profond contre les immigrés Africains, qui viennent au Portugal. Il y a quand même des gens très gentils1. Ils sont sympathiques mais ils ont une vision de la France trop exagérée : ils pensent que c’est un pays qui offre aux émigrés toutes les chances possibles. Ils pensent que les Français sont tous riches car ils vivent dans un pays prospère (ils ne voient pas la crise). Ils sont ignorants et se font des idées de ce pays2. Je trouve qu’ils ont vraiment un comportement révoltant envers les Portugais qui résident en France. Ils oublient tout de même que c’est le pays natal de nos parents, ils ont des racines, de la famille au Portugal qu’ils ne peuvent renier3. Je trouve qu’ils sont injustes car en France on est des émigrés, et lorsqu’on va au Portugal, les Portugais de là-bas ne nous considèrent pas tellement Portugais. C’est comme si on n’avait plus de nationalité, on est étranger partout4. Mises à part les descriptions négatives – trop nombreuses pour être attribuées à une forme particulière d’identification –, l’accent est mis, du point de vue de l’identification en tant que Portugais, sur ce qui unit les Portugais, par-delà les frontières. Les Portugais du Portugal représentent « la famille », plus ou moins idéalisée par rapport au mode de vie en France. Ils sont vus comme des gens chaleureux et accueillants, l’accent est mis sur leur sympathie, leur

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 4 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général.

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convivialité et leur qualité de vie, ici encore de façon idéalisée. Aussi ont-ils de la chance d’être « restés dans leur pays », ou d’être « restés Portugais ». Les Portugais sont encore décrits par comparaison avec les Français : leur sympathie et leur accueil sont particulièrement loués. La comparaison permet de valoriser a contrario les qualités de sociabilité et la simplicité des Portugais. Les Portugais du Portugal peuvent enfin être comparés aux Portugais résidant en France. Ils se distinguent par leur qualité de vie, leur moindre acharnement au travail ou leur ouverture d’esprit. Ils ont un mode de vie assez différent du notre, ils sont plus joyeux, plus conviviaux. On sent que les gens portent de l’intérêt aux autres (on discute…), alors qu’ici on est souvent pris par le temps, et les gens sont plus froids. L’ambiance y est meilleure1. Je les envie pour leur mode de vie. Là-bas, les gens sont ouverts, plein de joie de vivre, travailleurs ; ils gardent beaucoup de principes et ont des buts bien précis dans la vie. Les jeunes sont très ouverts sur l’Europe, instruits et motivés2. C’est ce que nous serions si nos parents n’étaient pas partis. Alors évidemment pour moi, j’aime le portugais et la mentalité portugaise qui sait vivre3. Du point de vue de l’identification en tant que Français, les Portugais du Portugal sont tournés vers le passé, « endormis sur les lauriers des Découvertes ». Ceci suggère que c’est au nom de la modernité que l’on se revendique Français. Le monde rural : religion, commérages et argent. Les vieux sont réactionnaires, les jeunes américanisés. Endormis sur les lauriers des Découvertes, ils se répètent qu’ils furent les maîtres du monde et regardent les dizaines de feuilletons brésiliens. Ils ont une plus grande ouverture sur le monde que nous en France. Leurs journaux ne sont pas autant égocentriques4. Selon l’identification en tant que Français et Portugais, les Portugais tendent à être décrits de façon duale : ils sont chaleureux et sympathiques bien que racistes, jaloux et médisants. L’accent

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 4 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général.

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peut être mis sur les différences entre générations, ou sur les disparités entre villes et campagnes. Je trouve que ce sont des gens très sociables, seulement pour eux, j’ai l’impression qu’on n’est pas des Portugais, mais des Français. Je parle des jeunes que l’on fréquente plus souvent. Je trouve qu’ils font une grande différence entre eux et nous1. Les jeunes sont très ouverts et chaleureux envers les étrangers. Ceux du troisième âge ont encore un esprit primaire (exemple : la femme est l’inférieur de l’homme, le divorce est très mal vu, une jeune fille doit quitter la maison des parents seulement si elle se marie…). Le progrès leur fait peur, ils y restent étrangers : ceci certainement du au fait qu’ils sont beaucoup analphabètes2. L’accent peut être mis sur l’idée que les attitudes hostiles à l’égard des émigrés sont en train d’évoluer. La volonté de changer les mentalités est parfois évoquée. Ils soutiennent de plus en plus les Portugais résidant à l’étranger, l’Europe sans frontières oblige moralement mais aussi par pression sur le gouvernement. Malheureusement, certains restent encore sur l’idée de « Portugueses de segunda » (Portugais de seconde classe)3. En tant qu’émigrés, nous avons souvent une étiquette plutôt négative, posée par les Portugais résidant au Portugal. Il faut leur faire comprendre que nous sommes aussi Portugais qu’eux et aussi fiers qu’eux, que nous avons les mêmes droits (vote…)4. Du point de vue de l’identification en tant qu’Européen, l’accent est mis sur le développement du Portugal : les Portugais sont alors décrits par leur évolution économique, sociale, et culturelle. De même, l’accent peut être mis sur l’intégration européenne du Portugal. Malgré tout ce qu’on peut dire, je trouve qu’on peut noter une grande évolution de la part des Portugais résidant au Portugal sur tous les points de vue. Leurs idées évoluent avec la société5.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 25/29 ans, née au Portugal, active sans Bac. 3 Garçon, 25/29 ans, né au Portugal, actif sans Bac. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 5 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 2e cycle.

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Ils sont très bien. Ils sont en pleine évolution aussi bien dans leur mentalité que dans leur manière de vivre. Ce sont de vrais Européens1. De manière très nette comme on vient de le voir, les Portugais résidant au Portugal sont décrits selon leur hostilité vis-à-vis des émigrés et de leurs enfants – ce qui pour les jeunes est clairement vécu comme une expérience douloureuse. L’identification ne manque pas toutefois de refléter la diversité des interprétations de ce phénomène, selon l’importance accordée aux origines portugaises et à l’expérience de vie en France. Nous en venons maintenant aux représentations du Portugal. Comme on va le voir, elles confirment et prolongent cette réflexion. 1.5. – Représentations du Portugal Plus de la moitié des jeunes considèrent le Portugal comme un pays plutôt moderne ; plus du quart le considèrent comme plutôt arriéré. L’analyse des correspondances a montré que le fait de considérer le Portugal comme un pays plutôt voire très moderne, est particulièrement associé à l’identification en tant que Portugais. A l’inverse, le fait de considérer le Portugal comme un pays plutôt arriéré, ou le fait de ne pas se prononcer sur la question est plutôt associé à l’identification en tant que Français et Portugais. Outre la question relative au développement du Portugal, deux questions ouvertes étaient posées : « Que représente pour vous la France ? », et « Que représente pour vous le Portugal ? » Le Portugal représente avant tout le pays des racines et de la famille, il représente également le pays des vacances, ainsi qu’éventuellement le pays où l’on souhaite vivre. D’autres représentations, plus détachées de l’expérience personnelle, mettent l’accent sur le développement récent du pays. D’une manière générale, les vacances au Portugal sont décrites sous l’angle des réactions d’hostilité des Portugais face à la

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle.

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présence des émigrés : il est question de jalousie, voire du racisme à l’égard des « Français » ou des émigrés. J’en reviens toujours avec de très bons souvenirs. J’y passe des moments exceptionnels. J’ai le plaisir d’être dans mon pays, même si « le Français » devient mon surnom pour la plupart de mes amis. Il n’est pas rare que l’envie de rester et de ne plus repartir au bout de trois mois me prenne1. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, le Portugal est considéré comme un pays plutôt moderne, dans la mesure où sa qualité de vie, sa simplicité et son charme sont particulièrement valorisés. Les représentations du Portugal suggèrent également la vision idéale d’un pays chaleureux et accueillant. Le développement rapide que le Portugal a connu récemment peut apparaître comme une menace pour la qualité de vie : le pays se développe parfois trop vite, il risque en s’uniformisant de perdre son originalité, aussi souhaiterait-on qu’il reste « comme avant ». L’attachement au Portugal étant particulièrement fort, le pays représente les racines, les origines, les ancêtres et la famille. Il apparaît comme le pays natal (en dépit de la naissance en France), « mon seul et vrai pays », « ma véritable maison », « ma patrie », etc. Le pays peut parfois être idéalisé au point de « tout » représenter. Le Portugal représente l’avenir, le pays où l’on compte faire sa vie. Les vacances au Portugal apparaissent comme un retour aux sources, un moment très attendu, dont on ne pourrait se passer. Elles sont l’occasion de retrouver famille et amis, de parler le portugais, et de (re)découvrir son pays d’origine. Parce qu’il s’industrialise, s’intègre à l’Union Européenne, développe son réseau routier et très touristique et très accueillant. Mais il a peut-être des idées arriérées pour certains, mais c’est ce qui fait son charme et son originalité et identité propre2. Le Portugal c’est toute ma vie. Malgré le peu de temps passés là-bas, j’y garde mes plus beaux souvenirs, et puis c’est la terre de mes ancêtres. Mais surtout, le Portugal ça représente l’authenticité3. 1 Garçon, 15/19 ans, né au Portugal, lycéen en enseignement général. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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Le pays de mes origines. Le plus beau de tous les pays. Le pays où tous les gens ont une formidable mentalité. Le pays d’un peuple travailleur, humble et ayant une très grande histoire1. Pour moi le Portugal représente tout et j’en suis fière. Actuellement le Portugal est synonyme de « futur », « avenir », car je me vois mal rester en France alors que je suis si heureuse lorsque je suis au Portugal !!…2 Du point de vue de l’identification en tant que Français, l’accent est mis sur le retard économique, social et culturel du Portugal, par rapport à la France ou à d’autres pays de l’Europe. Le pays apparaît comme une terre traditionnelle, plutôt tournée vers le passé. Par opposition au Portugal traditionnel, l’identification en tant que Français est revendiquée au nom de la modernité (bien que l’accent puisse parfois être mis sur le développement récent du Portugal). Cependant, le Portugal apparaît plus lointain que la France. La relation avec le Portugal étant plus détachée affectivement, elle est aussi relativisée. Au fond, le Portugal ne représente guère que les vacances, on ne souhaiterait pas y vivre. Parfois même, les vacances au Portugal sont perçues comme une obligation par rapport aux parents et à la famille. Un pays qui a énormément de qualités à développer mais qui regarde trop vers le passé et qui a peur d’avancer trop vite3. Le Portugal étant un pays européen ayant vécu sous cinquante ans de dictature fasciste ne peut à l’heure actuelle posséder un niveau industriel comparable à celui de la France ou de l’Allemagne, néanmoins, il ne peut être considéré comme arriéré (loin de là)4. Le Portugal c’est pour moi le pays d’origine de mes parents. J’aime le Portugal avec ses coutumes, avec sa culture, sa religion, mais je ne me sens pas prête de quitter la France au profit du Portugal, car je ne pense pouvoir m’adapter5. Bof. Mes parents passent leurs vacances à travailler, il y a toujours quelque chose à faire dans les champs, deux jours sur trente à la plage, et encore que quelques heures. Là-bas, ils sont contents de nous voir, ils offrent toujours du vin, il y a

1 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 1er cycle. 3 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 4 Garçon, 25/29 ans, né au Portugal, actif de niveau 2e/3e cycle. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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quatorze jours pour dire bonjour et quatorze jours pour dire au revoir. Salut nous sommes arrivés. Au revoir nous partons1. En tant que description duale, le fait de comparer le Portugal à la France semble caractéristique de l’identification en tant que Français et Portugais. On observe une prise de distance par rapport à l’idéalisation du Portugal, qui caractérisait l’identification en tant que Portugais. Toujours selon un mode de description duale, le Portugal est considéré à la fois comme un pays moderne et arriéré ; il est question des mentalités, des infrastructures routières, ou du système de santé. L’accent peut être mis sur la disparité entre régions, entre ville et campagne. Lorsque le Portugal est considéré comme un pays plutôt moderne, il est mis sur le même plan que la France, ou d’autres pays européens. Les représentations du Portugal deviennent personnelles, elles renvoient à une forme d’attachement au pays. Le Portugal représente « mon pays », au même titre que la France. Les représentations du Portugal peuvent également refléter une confiance dans l’avenir. Le Portugal est parfois décrit en tant qu’il fait l’objet d’une « redécouverte » personnelle. Il est parfois difficile de dire ce que représente exactement le Portugal : il apparaît comme le « bout du monde ». Les sentiments vis-à-vis du Portugal peuvent parfois révéler un attachement ambigu, entre vacances et vie future… On a une image idyllique du Portugal : les racines, l’absence de violence, la convivialité des gens, le soleil, etc. Elle est peut-être moins belle qu’on ne le croit2. Au Portugal, on trouve encore beaucoup d’endroits très pauvres, où il y a peu de moyens, il n’y a qu’à voir les routes pleines de trous. Pour voir le modernisme au Portugal, il faut aller dans les grandes villes, Porto, Coimbra, Lisbonne…3 Il existe au Portugal le désir d’évoluer, de se moderniser afin de s’affirmer dans l’Union Européenne, mais ce pays a des principes moraux, sociaux vraiment arriérés. C’est dans ces domaines-là que le Portugal s’oppose à la France4.

1 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général. 2 Garçon, 20/24 ans, né en France, étudiant en 3e cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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J’adore ce pays. Il est moins développé que la France mais je suis sûre qu’un jour ou l’autre le Portugal va montrer toutes ses capacités. Il fait partie aussi de l’Union Européenne. Grâce à ce moyen il va vraiment se développer1. Les champs, les vacances, le soleil, les veuves, leurs ragots en semaine et leur sainteté le dimanche. La distance, l’éloignement des préoccupations mondiales pour les problèmes agricoles : le bout du monde2. Il représente le pays où sont nés mes parents, où se trouve une bonne partie de ma famille. C’est aussi le pays où je passe mes vacances et où un jour (peut-être) j’irai vivre3. Du point de vue de l’identification en tant qu’Européen, le Portugal tend à être considéré comme un pays moderne. L’accent est mis sur le développement récent et rapide du pays. A la différence de l’identification en tant que Portugais, qui mettait l’accent sur la dimension affective de l’attachement au Portugal, les descriptions tendent ici à être objectives, détachées de l’expérience personnelle. Les raisons pour considérer le Portugal comme un pays moderne tiennent tout particulièrement à son entrée dans l’Union Européenne, qui aura contribué à faire évoluer les mentalités. C’est également du point de vue culturel que le caractère moderne du Portugal est envisagé, toutefois, le pays n’est pas tout à fait comparable aux autres pays européens. Il y a quand même de grands centres urbains assez modernes tels que Lisbonne, Porto, Coimbra, Braga… L’enseignement s’y développe, il y a pas mal de facultés et d’universités, à la base de la modernité, beaucoup de centres culturels… le Portugal est en train de se développer4. Avec l’entrée du Portugal dans l’Union Européenne, celui-ci s’est beaucoup modernisé (dans les constructions, routes, autoroutes, usines, audiovisuel, informatique, etc.). Changeant également la moralité des personnes (surtout les jeunes)5.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 5 Garçon, 25/29 ans, né au Portugal, actif sans Bac.

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Il est vrai qu’il y a quelques années en arrière, le Portugal était en retard, mais depuis qu’il est entré dans l’Union Européenne, je trouve qu’il a fait énormément d’efforts pour rattraper les autres pays de l’Union Européenne1. Nous constatons que, dans une certaine mesure, les représentations du Portugal reflètent l’identification. Le Portugal apparaît d’autant plus moderne que l’on y est attaché (identification en tant que Portugais), ou que l’on voit en lui une possibilité d’avenir (identification en tant qu’Européen). L’identification en tant que Français s’interprète comme une aspiration à la modernité, elle tend aussi à décrire le Portugal comme un pays plutôt arriéré. Ces interprétations se prolongent dans les représentations de la France, comme nous allons le voir maintenant. 1.6. – Représentations de la France Si la France est de fait le pays de naissance pour la majorité des jeunes, les représentations la concernant sont variées. La France apparaît comme le « second pays » après le Portugal, le pays des études et du travail, le pays où l’on vit et où l’on fera sa vie – à moins qu’il ne soit qu’un pays d’accueil, une parenthèse avant d’aller s’installer au Portugal. La France représente également, dans certains cas, les idéaux de démocratie, de liberté et d’égalité. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, les représentations de la France tendent à être plutôt proches de l’expérience migratoire des parents. De manière significative, la France apparaît d’abord comme un pays d’accueil et de travail. Dans une conception qui pourrait être celle des parents et qui atteste par là-même de la fidélité aux origines portugaises, les représentations de la France font explicitement référence à l’expérience migratoire (plus ou moins imaginée) des parents. La France ne représente qu’une parenthèse, avant d’aller vivre au Portugal. Ne faisant pas l’objet d’un attachement fort, la France ne

1 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle.

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représente « que » le pays des études ou du travail, malgré le fait d’y être né et d’y avoir vécu pratiquement toute sa vie. Le pays du travail, de l’école, pays qui permet à beaucoup de Portugais de gagner de l’argent et améliorer leur vie1. J’ai toujours vécu en France, je la respecte et je lui dois beaucoup mais tout de même, en matière de contact elle a encore beaucoup à faire ! Je compte bien aller vivre au Portugal, mais je ne pourrais jamais oublier la France car j’y ai grandi et j’y ai tout appris2. C’est mon pays natal, j’y ai fait mon éducation. Mais ce n’est rien de plus qu’un pays et je n’oublie pas le Portugal3. Du point de vue de l’identification en tant que Français, la France apparaît nettement comme le pays où l’on compte faire sa vie. Faisant l’objet d’un attachement fort, la France représente bien plus que le pays de naissance, à la différence de ce qu’elle peut représenter pour les parents. Bien que les racines soient portugaises, on ne pourrait quitter la France pour aller vivre au Portugal. Pour moi, la France c’est le pays où je suis née et où j’ai l’intention de passer le reste de mes jours. La France est aussi pour moi, un « grand » pays, car il a aidé mes parents à avoir tout ce qu’ils ont aujourd’hui. Elle nous aide à vivre4. C’est le lieu où j’ai fait mon éducation, l’occasion pour connaître une autre culture que celle du Portugal, c’est un enrichissement, la France reste pour moi un pays auquel je suis attachée5. Les représentations de la France et du Portugal tendent, du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, à se placer sur un plan équivalent, les deux pays faisant l’objet d’un égal attachement. De façon pragmatique, la France représente également le pays où l’on vit et où l’on poursuit ses études. L’attachement pour la France est parfois envisagé dans la continuité de l’expérience des parents, il s’agit de reconnaître ce 1 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 1er cycle. 3 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement technique. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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qu’elle a apporté à ces derniers. La France représente beaucoup plus que le seul pays d’accueil des parents. De manière significative, la France représente, dans une ambiguïté assumée, le pays des origines. C’est le pays où je suis né, où je vis. Elle est au même plan que le Portugal1. Elle représente le pays où je suis née, où j’ai été scolarisée et où je pense rester un certain temps. Mais la France est aussi le pays qui a permis à mes parents d’améliorer leur vie, et c’est en grande partie grâce à elle si l’on a une bonne situation2. C’est une question un peu difficile puisque je suis née en France et que j’y vis depuis toujours, donc j’aurais tendance à dire que c’est là que se trouvent mes origines, cependant c’est un peu contradictoire puisque mes origines se trouvent plutôt au Portugal, là où se trouve ma famille3. Comme dans le cas du Portugal, les représentations de la France tendent selon l’identification en tant qu’Européen, à être objectives et détachées de l’expérience personnelle. La France apparaît par exemple comme un « carrefour », de différentes cultures et origines. De même, la France représente certains idéaux et valeurs, elle est le pays de « l’égalité des droits et des chances ». Une magnifique diversité de langues, d’origines, de couleurs, de cultures. La culture « universelle » à petite échelle4. Le pays des Droits de l’Homme, un exemple de « démocratie », un pays d’accueil, un beau pays, avec une culture intéressante5. Un pays accueillant, où les droits sont égaux. Si ce n’était pas le cas, les étrangers seraient repartis sans hésiter. Du point de vue éducatif et culturel, c’est un pays très très bien6. De même que les représentations du Portugal, les représentations de la France reflètent dans une certaine mesure l’identification.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 4 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 5 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 6 Fille, 25/29 ans, née au Portugal, étudiante en 3e cycle.

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Ainsi de façon schématique, la France apparaît comme un simple pays d’accueil, du point de vue de l’identification en tant que Portugais. Comme on l’a vu, cette dernière s’interprète comme une fidélité aux origines, qui peut se construire également en relation plus ou moins directe avec l’expérience migratoire des parents. L’analyse qui précède a tenté de montrer que les représentations, opinions et attitudes, prennent leur sens par rapport à l’identification – exception faite toutefois, des opinions concernant les Portugais du Portugal. Comme on l’a vu, les jeunes déplorent unanimement l’hostilité des Portugais à l’égard des émigrés, de leurs parents ou encore d’eux-mêmes, ces jeunes qui, aux yeux des « vrais Portugais », sont « devenus Français ». On observe une contradiction assez nette entre un fort attachement sentimental, voire patriotique, et les attitudes hostiles, méprisantes, et parfois racistes dont se plaignent les jeunes en regard des Portugais. Albertino Gonçalves a analysé en détail cette thématique centrale des relations entre Portugais et émigrés. Il a montré notamment que l’hostilité est particulièrement forte dans les régions traditionnelles d’émigration, et qu’elle est d’autant plus manifeste lorsque l’origine sociale est proche (Gonçalves, 1996). Si, toutefois, les Portugais apparaissent comme un peuple chaleureux et accueillant, c’est aussi que l’identification en tant que Portugais accorde, d’une manière générale, une priorité inconditionnelle à tout ce qui concerne le Portugal. Qu’il s’agisse des projets de vie, du choix du conjoint, des opinions relatives à la communauté portugaise, ou des représentations concernant le Portugal, les réponses suggèrent une idéalisation du Portugal particulièrement saillante, qui se traduit également par une forme de rejet de la France, ou de la vie en France. Alors que l’identification en tant que Français valorise explicitement le choix d’intégration en France (sans pour autant rejeter la part des origines), les identifications binationale et supranationale semblent quant à elles se caractériser par l’idée de combinaison entre héritage et mobilité – avec toutes les variations que cela suppose.

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Nous poursuivons maintenant l’analyse des relations entre identification et réponses aux questions ouvertes, en examinant la thématique générale de l’origine portugaise et de la vie en France. 2. – Origine portugaise, évolution en France De la même manière que l’identification oriente les représentations, elle permet également de comprendre la diversité des significations accordées à l’origine portugaise, et à la vie en France. Afin de poursuivre et d’enrichir la typologie des formes d’identification, nous examinons, en regard de ces dernières, les dimensions relatives à l’origine portugaise, aux relations, aux valeurs, aux principes d’éducation, et à la langue portugaise. 2.1. – Perception de l’origine portugaise Que ce soit à l’école, au lycée, ou au travail, la majorité des jeunes n’a jamais ou que très rarement ressenti le fait d’être d’origine portugaise comme un handicap. Cependant, un jeune sur dix a ressenti très souvent ou assez souvent ce handicap, à l’école ou au lycée. Dans la majorité des cas, le fait d’être d’origine portugaise est considéré comme un avantage. Aussi, 42 % des jeunes pensent qu’il est mieux d’affirmer son origine portugaise dans ses rapports avec les autres ; une proportion équivalente estime que « Ca dépend des situations ». L’analyse factorielle a montré qu’il n’y a pas de relation entre le fait d’avoir ressenti son origine portugaise comme un handicap, et l’identification. Les descriptions concernent notamment l’idée préconçue que les Portugais ne suivent pas des études longues, ou n’en ont pas les capacités. A l’école, le fait d’avoir des parents immigrés a pu aussi être ressenti comme un handicap. De même, le « racisme » à l’égard des Portugais est parfois évoqué. Il est également question des images négatives et des blagues qui circulent sur les Portugais.

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Toutefois, nombre de jeunes reconnaissent qu’« il ne faut pas dramatiser la situation ». Certaines personnes à qui vous demandez des détails ou des conseils, surtout pour les orientations ont tendance à répondre sentencieusement ou même à vous dire que vous n’y arriverez jamais. « Choisissez plutôt un BEP ou un Bac technologique ». Nos parents ne sont pas ingénieurs ou médecins1. A l’école, certains Français peuvent avoir l’aide de leurs parents, ce qui n’est pas le cas pour moi et je pense pour la majorité des étudiants d’origine portugaise2. Lors de ma scolarité, c’est-à-dire au collège, car j’étais presque la seule Portugaise dans mon école, et j’ai ressenti que les profs étaient racistes, ainsi que certains élèves qui m’appelaient « la Portugaise » d’une manière ironique. Ensuite, le problème fut résolu3. Disons que le Français a l’image du petit portugais : femme de ménage ou maçon, avec un accent bizarre. C’est plus qu’une image, c’est même une étiquette. Quand on est jeune, les blagues salaces ne manquent pas à propos des Portugais4. Etant petite je ne supportais pas les critiques du genre : « Ta mère est concierge, ton père est maçon ». Aujourd’hui ça me fait plutôt rire5. Dans la mesure où l’identification en tant que Portugais tend à accorder une place centrale aux racines et au sang portugais, elle tend naturellement à considérer l’origine portugaise comme un avantage. L’époque glorieuse des Découvertes est évoquée comme une source de fierté, elle vient expliquer l’ancrage fort dans les racines portugaises. L’identification en tant que Portugais tend parfois à assimiler caractère individuel et caractère national, l’avantage de l’origine portugaise étant précisément de fournir des racines et un fort sentiment d’appartenance. L’avantage ressenti dans l’origine portugaise est interprété en termes de richesse. Dans une dimension plus pragmatique, la question de l’origine portugaise apparaît sous l’angle des images positives concernant

1 Garçon, 15/19 ans, né en France, lycéen en enseignement général. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 20/24 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 4 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 5 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau 2e/3e cycle.

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les Portugais en France. Il s’agit précisément de produire et de défendre une image positive, afin de déjouer les critiques. Dans la mesure où l’on est fier d’être Portugais ou d’origine portugaise, il ne saurait être question de renier ses origines, ou d’en avoir honte. Affirmer son origine portugaise s’explique par l’idée qu’une « autre » origine est une richesse, à la fois pour soi-même et pour les autres. De façon plus ambiguë, on peut enfin vouloir affirmer son origine portugaise pour éviter d’être pris pour un Français. Je suis fier d’appartenir à un peuple d’explorateurs et de marins dont le courage n’est certainement plus à prouver (à part peut-être quelques ignorants…)1. C’est un enrichissement personnel que d’appartenir à une culture qui a fait l’histoire, de faire partie d’un peuple aussi chaleureux, à la culture et aux traditions aussi riches et respectables !2 Elle est source de motivation et d’orgueil dans tout ce que je fais. J’aime à défendre l’image d’un pays qu’on dit paysan, pauvre et inculte. J’aime le Portugal. Ici de plus, les Portugais sont considérés comme sérieux et travailleurs3. Je pense qu’il ne faut pas avoir honte de ses origines, je suis Portugaise et même s’il fallait choisir je resterais Portugaise. C’est en s’affirmant que les préjugés changeront4. Pour qu’ils ne croient pas que je suis Française5. Du point de vue de l’identification en tant que Français, l’origine portugaise n’est qu’une origine parmi d’autres. N’étant pas source d’identification, elle ne représente pas particulièrement un avantage. Pour les mêmes raisons, il est mieux de ne pas affirmer son origine portugaise dans ses rapports avec les autres. Je ne veux pas me sentir différente des autres français, ni qu’ils se fassent un jugement sur moi par rapport à ma nationalité6.

1 Garçon, 20/24 ans, né au Portugal, étudiant en 1er cycle. 2 Garçon, 20/24 ans, né en France, actif de niveau 1er cycle. 3 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 4 Fille, 20/24 ans, née en France, lycéenne en enseignement technique. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement technique. 6 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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L’identification en tant que Français et Portugais tend quant à elle à relativiser l’importance de l’origine portugaise lorsqu’il s’agit de l’affirmer dans ses rapports avec les autres. Cette attitude renvoie à une crainte des réactions éventuelles de la part des autres, ou à une méfiance vis-à-vis du nationalisme. En tant que telle, l’origine n’est pas jugée très importante, il n’y a donc pas de raisons de l’affirmer. Il s’agit de l’idée que « Nous sommes tous égaux », quelle que soit l’origine. L’origine ou la nationalité sont décrites comme faisant partie intégrante de la personne, elles ne constituent donc en soi ni un avantage ni un inconvénient. Dans la mesure où elle est interprétée sous l’angle de la double culture et du bilinguisme, l’origine portugaise peut toutefois être considérée comme un avantage, sur le plan personnel comme sur le plan professionnel. D’une façon générale, l’origine portugaise est du reste envisagée dans la complémentarité avec la culture française. C’est l’association des deux cultures qui est perçue comme un avantage : la richesse du mélange des deux cultures, et la capacité à en tirer le meilleur parti. En tant que telle, la double culture renvoie à l’idée d’un double point de vue sur la France et sur le Portugal, et d’une plus grande ouverture sur le monde. Dans ce contexte, l’origine portugaise apparaît comme un avantage pour les valeurs de tolérance et l’ouverture d’esprit qu’elle procure. Je pense que ce n’est pas la nationalité (qu’elle soit française ou portugaise) qui va changer notre façon de vivre1. Parce qu’étant bilingue dès toute petite, j’ai toujours eu de la facilité pour les langues étrangères (et j’adore ça !), et parce que j’ai deux cultures, deux patries, des amis dans les deux pays et parce que je suis fière de cette origine2. Il me semble qu’en ayant des origines portugaises, on arrive à mieux comprendre l’environnement autour de soi. On a un œil plus vif sur ce qui arrive soit au Portugal, soit en France3. Je pense avoir quelque chose de plus que les personnes n’ayant qu’un pays. J’ai en effet deux cultures et je pense que cela m’a aidée en diverses occasions à être plus tolérante. Je suis aussi très fière de pouvoir parler deux langues. D’autre

1 Garçon, 15/19 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle 3 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle.

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part, connaître une autre culture permet d’avoir beaucoup plus de sujets de conversation1. S’agissant des possibilités de mobilité entre la France et le Portugal, l’origine portugaise est perçue comme un avantage, du point de vue de l’identification en tant qu’Européen. La connaissance des langues et des cultures étant valorisée, l’origine portugaise prend une dimension européenne, voire mondiale. Elle est synonyme d’ouverture, d’avantage culturel, et d’atout linguistique. Enfin, l’origine portugaise peut être perçue comme un avantage, en tant qu’elle renvoie explicitement à l’appartenance européenne. C’est un avantage car si un jour je désire retourner là-bas au Portugal, je n’aurais aucun problème sur la maîtrise de la langue. Cela peut m’aider aussi plus tard à trouver un emploi. De toutes façons dans tous les cas c’est un avantage pour moi2. Je comprends et peux parler deux langues, j’ai deux cultures, deux visions du monde différentes, sachant le portugais, je peux aller au Brésil ou dans les Etats Africains où cette langue est parlée : donc ouverture sur différents mondes, et d’autres peuples : des connaissances3. Les jeunes ont beaucoup de chance car ils ont deux cultures différentes et peuvent avoir la double nationalité s’ils le souhaitent. En plus, ils peuvent se sentir davantage Européens ayant une vision de l’Europe plus large4. Comme nous allons le voir maintenant, l’analyse des perceptions de l’origine portugaise et de la vie en France se prolonge dans celle des relations. 2.2. – Relations Près de la moitié des jeunes déclare avoir des amis français et portugais dans les mêmes proportions, alors qu’un peu plus du

1 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 25/29 ans, née au Portugal, active sans Bac. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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quart déclare avoir des amis majoritairement portugais, et 15 % des amis majoritairement français. Un peu plus de la moitié des jeunes déclare fréquenter ses amis portugais très souvent, et 38 % leurs amis français. Enfin, plus de la moitié des jeunes déclare se sentir d’abord très proche des Portugais, et ensuite plutôt proche des Français. Le choix des relations amicales reflète en partie l’identification. Le fait de déclarer avoir des amis français et portugais est particulièrement associé à l’identification en tant que Français et Portugais, alors que le fait d’avoir des amis majoritairement portugais est particulièrement associé à l’identification en tant que Portugais. De même, le fait de se sentir plutôt (voire très) proche des Français est particulièrement associé à l’identification en tant que Français. Les réponses à la question ouverte correspondante diffèrent, selon que les jeunes déclarent avoir des amis majoritairement portugais, majoritairement français, ou français et portugais et/ou d’autres nationalités. Dans le cas des amis majoritairement portugais, elles renvoient à l’idée de préférence, d’affinités. L’accent est mis sur ce qui rapproche les Portugais, sur le fait de partager davantage de choses en commun. Dans le cas des amis majoritairement français, l’accent est mis sur le fait de n’avoir pas beaucoup d’affinités avec les Portugais. Du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, les amis sont Français, Portugais et d’autres nationalités. La nationalité en tant que telle n’a pas d’importance dans les relations amicales : il est bien davantage question de tempérament, de personnalité et d’ouverture d’esprit. Les jeunes font référence aux associations portugaises pour expliquer la fréquentation des amis portugais. Plus du tiers déclare être membre d’une association. Il s’agit, dans la très grande majorité, d’une association portugaise (un peu plus d’un jeune sur dix est membre d’une association française). Un peu plus d’un tiers est membre d’une association sportive (portugaise ou non), et un peu plus d’un quart est membre d’une association folklorique (donc très probablement portugaise).

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L’appartenance à une association varie selon l’identification : elle concerne tout particulièrement l’identification en tant que Portugais, notamment lorsqu’il s’agit d’une association folklorique. Le fait d’être membre d’une association portugaise ou sportive est quant à lui associé à l’identification en tant que Français et Portugais, alors que le fait d’être membre d’une association française est plutôt le fait de l’identification en tant qu’Européen. Parmi les manifestations relatives à la culture portugaise, les bals et fêtes associatives ont le plus de succès parmi les jeunes : près de la moitié déclarent y assister souvent, voire très souvent. Un tiers des jeunes se rend souvent (voire très souvent) dans des boîtes de nuit portugaises, et près d’un tiers assiste à des concerts de groupes portugais. Concernant les bals et fêtes associatives, l’analyse factorielle a montré que leur fréquentation concerne tout particulièrement les identifications en tant que Français et Portugais, et en tant que Portugais. Le fait d’aller en boîte de nuit portugaise est quant à lui nettement associé à l’identification en tant que Portugais, de même que le fait d’assister à des concerts de musique ou de groupes portugais. Ce type de fréquentation est particulièrement associé à l’identification en tant que Portugais, de même que le fait de regarder la télévision portugaise, de lire la presse portugaise, ou d’écouter la radio de la communauté portugaise. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, le fait d’avoir des amis majoritairement portugais est particulièrement lié à l’idée de complicité, de proximité sociale et culturelle, voire de proximité géographique. Le fait de vivre dans une ville ou dans un quartier à forte densité de Portugais explique également la fréquentation de Portugais. Les raisons évoquées tiennent à l’environnement social, au fait de suivre des cours de portugais, ou de fréquenter des associations portugaises. Le fait d’avoir des amis majoritairement portugais est parfois lié explicitement à l’identification ; il peut s’agir d’une plus grande proximité culturelle, d’affinités particulières et d’une préférence générale pour les amis portugais. Le fait de parler la même langue est

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également évoqué. Lorsqu’ils sont comparés aux Français, les amis portugais apparaissent comme plus « sympas », la comparaison servant ici à valoriser le contact avec les Portugais et, par extension, tout ce qui concerne le Portugal. Dans le même ordre d’idée, la famille portugaise est valorisée à travers les relations amicales. Le sentiment d’être plus proche et de mieux se comprendre entre Portugais peut renvoyer à l’idée d’une condition sociale et culturelle communes. En ce sens, il est parfois fait référence au fait d’être « fils d’émigrant », voire tout simplement « immigrant ». Ces réponses suggèrent une forte identification à l’expérience et à la condition des parents, y compris dans le désir supposé de retour au Portugal. C’est le fait de vouloir rester un peu dans l’ambiance du Portugal. De plus, les Portugais sont géographiquement concentrés, généralement dans une ville, alors ça facilite les amitiés1. Car je me sens avant tout Portugais. Donc, je participe aux fêtes portugaises, aux manifestations relatives au Portugal. D’où la connaissance d’amis plutôt portugais2. J’explique cela par le fait qu’ayant de la famille portugaise, nos cousins sont Portugais, donc ce sont déjà des amis portugais. De plus, je pense qu’étant d’origine portugaise, on a plus de facilités de communiquer avec des gens de la même origine que nous, ce qui n’empêche pas d’avoir des amis français ou d’autres origines3. On se rapproche tout naturellement des éléments de notre catégorie sociale et aussi culturelle. Avec les lusodescendants, le code du langage est le même – question de facilité !4 Des opinions similaires parce que fils d’émigrants5. D’une façon générale il existe, du point de l’identification nationale, une valorisation des affinités ou de la préférence pour les amis portugais, ou français. Ici, l’identification nationale se

1 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau 1er cycle. 2 Garçon, 20/24 ans, né en France, étudiant en 1er cycle. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 4 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau 2e/3e cycle. 5 Garçon, 20/24 ans, né en France, étudiant en 2e cycle.

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construit dans la valorisation de certaines relations amicales, par opposition à d’autres. Le fait de déclarer avoir des amis majoritairement français renvoie de façon significative au fait de ne pas avoir beaucoup d’affinités avec les Portugais, la comparaison avec ces derniers permettant d’accentuer l’idée de préférence pour les amis français. La préférence pour les amis français peut être associée à une représentation caricaturale des lieux de sociabilité portugais (boîtes de nuit, associations, bals et fêtes portugais). Je ne sais pas pourquoi. Je pense que les amis amènent les amis. J’ai beaucoup de mal à m’entendre avec les jeunes portugais vivant en France. Ils sont trop différents et épousent souvent des idées reçues1. Je ne fais pas partie d’une association et vais très peu aux bals. Je fréquente beaucoup de lieux français. Mes amis portugais ont été des connaissances de collège2. Le fait de ne pas accorder d’importance à la nationalité dans les relations amicales est particulièrement associé aux identifications binationale et supranationale. L’environnement occupe une place importante dans les raisons évoquées, qu’il s’agisse de l’école, du quartier, de la ville, ou de la France, « pays multiracial »3. Le fait d’avoir des amis de différentes nationalités peut être interprété en termes d’intégration. Lorsque les différents contextes des rencontres et des fréquentations sont évoqués (école, quartier, associations), le rôle des associations portugaises apparaît assez nettement. La France est traditionnellement une terre d’accueil. De plus j’habite dans une ville où il existe soixante-quinze nationalités différentes. Mes parents m’ont également éduquée dans le respect des autres4. Au lycée, mes amis étaient le plus souvent français, j’aime parler avec eux mais avec des amis portugais que j’avais en dehors du lycée, les conversations sont différentes. On a un besoin de retrouver le Portugal à travers eux5.

1 Garçon, 20/24 ans, né au Portugal, actif de niveau Bac. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau 1er cycle. 3 Garçon, 20/24 ans, né en France, actif sans Bac. 4 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 5 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 1er cycle.

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On retrouve, du point de vue de l’identification en tant qu’Européen, l’idée que la nationalité n’a pas d’importance dans les relations amicales. L’accent est mis bien davantage sur les valeurs de sociabilité et d’ouverture d’esprit, ainsi que sur les traits de caractère personnels. L’idée de cosmopolitisme et d’ouverture vers d’autres cultures sont valorisés. Je suis par nature quelqu’un de « sociable » et il n’y a pas forcément de lien entre la personnalité et la nationalité d’une personne, surtout pour ce qui est l’amitié1. Cela s’explique par l’intégration aux deux cultures, aux deux pays, et non à un seul, de plus, pourquoi pas ? La chance n’est-elle pas pour nous d’être doublement Européens dans l’âme ?2 L’idée de complicité, évoquée positivement ou négativement, s’oppose à l’idée d’ouverture d’esprit, celle-ci pouvant renvoyer à la double culture, au cosmopolitisme, à l’idée que la nationalité importe peu, ou à l’intégration. Dans une certaine mesure ici encore, cette opposition renvoie à l’identification. 2.3. – Valeurs La Famille est de loin la valeur la plus citée par les jeunes (21 %). Viennent ensuite la Fraternité, l’Honnêteté (13 % chacune), la Liberté, le Respect (10 % chacune), devant la Tolérance, l’Egalité, l’Amour, le Travail, et l’Humanisme (entre 5 % et 7 %)3. Les valeurs reflètent l’identification. La Fraternité et la Famille sont citées dans le cas de l’identification en tant que Portugais,

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 3 Ces résultats peuvent être rapprochés de l’enquête de Luís de França sur les valeurs européennes, réalisée en 1993, dans dix pays d’Europe dont le Portugal. Dans tous les pays (excepté les Pays-Bas et l’Allemagne de l’Ouest), la Famille venait en première position. Les Amis et connaissances venaient en seconde position dans la plupart des pays, toutefois, en Italie, en France, en Espagne et au Portugal, c’est le Travail qui occupait la seconde position, laissant les Amis et connaissances en troisième position (França,1993). Sur les valeurs au Portugal, voir également Cabral (1992) ; Brassloff (1998) ; concernant plus particulièrement les jeunes, voir Pais (1998).

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alors que les identifications en tant que Français et Portugais d’une part, en tant qu’Européen d’autre part, tendent à citer des valeurs altruistes (Humanisme, Solidarité d’une part, Egalité, Fraternité, Liberté, et Tolérance d’autre part). En outre, il apparaît que l’identification en tant qu’Européen accorde de l’importance à un plus grand nombre de valeurs ; elle tend également à s’inscrire dans une ouverture à des valeurs progressistes et universalistes, déjà suggérée par l’identification binationale1. 2.4. – Engagement Pratique électorale Un peu plus de 44 % des jeunes en âge de voter déclare être inscrit sur les listes électorales en France. Une grande majorité d’entre eux déclare avoir déjà participé à un scrutin électoral (79 %) ; une proportion équivalente souhaite aller voter prochainement. L’analyse des correspondances a montré que l’inscription sur les listes électorales en France est particulièrement le fait des identifications en tant que Français et Portugais, et en tant qu’Européen – elle l’est nettement moins en ce qui concerne l’identification en tant que Portugais. Engagement pour des actions Plus de la moitié des jeunes déclarent être prêts à s’engager personnellement pour la « Lutte contre le sida » (54 %). La « Défense et la promotion de la culture portugaise », et la « Lutte contre le racisme » sont plébiscitées, respectivement, par 47 % et

1 Ces résultats rejoignent également les observations faites dans nombre d’enquêtes auprès des jeunes, chez qui les valeurs orientées vers autrui ou la collectivité voisinent avec l’identification au monde et à l’Europe. Relativement au lien entre les valeurs, les attitudes à l’égard de l’Europe et la représentation de l’avenir, les images positives de l’Europe seraient également proches d’une représentation optimiste de l’avenir (Tapia, 1997).

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43 %. Un peu plus d’un quart des jeunes cite ensuite la « Lutte contre la toxicomanie », la « Lutte contre la pauvreté en France », la « Protection de l’environnement », et la « Lutte contre l’exclusion » (entre 27 % et 28 %, pour chacune de ces actions). Viennent ensuite la « Construction européenne », et l’« Action humanitaire à l’étranger » (24 %, et 22 %). Enfin, l’« Action politique » n’est plébiscitée que par 5 %, et l’« Action syndicale » par 3 % des enquêtés. Un quart des jeunes se dit prêt à faire son métier de l’une de ces actions. Les formes d’action reflètent également l’identification. La « Défense et la promotion de la culture portugaise » et, dans une moindre mesure, la « Lutte contre le sida », concernent particulièrement l’identification en tant que Portugais. L’identification en tant que Français et Portugais est particulièrement concernée par la « Lutte contre la pauvreté en France », la « Lutte contre l’exclusion », ainsi que, dans une moindre mesure, la « Lutte contre le racisme », et la « Lutte contre le sida ». Enfin, l’identification en tant qu’Européen est particulièrement concernée par la « Construction européenne », ainsi que par la « Protection de l’environnement », quoique dans une moindre mesure. 2.5. – Différences par rapport aux parents dans le lien avec le Portugal Les réponses à la question ouverte « Dans votre lien avec le Portugal, qu’est-ce qui vous différencie le plus par rapport à vos parents » s’interprètent en fonction de l’identification. L’identification en tant que Portugais met l’accent sur la dimension affective de l’attachement au Portugal. Elle met l’accent sur les similitudes par rapport aux parents ; le lien avec le Portugal est parfois même considéré comme plus fort que dans le cas de ces derniers. L’identification en tant que Français tend quant à elle à mettre l’accent sur les différences, témoignant par là d’un attachement moindre pour le Portugal. Du point de vue de

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l’identification en tant que Français et Portugais, l’accent est mis sur l’expérience de vie en France, suggérant le fait d’une identification binationale et non pas seulement portugaise, comme dans le cas des parents. Toujours selon l’identification binationale, l’accent est mis sur un intérêt renouvelé pour le Portugal, qui ne concernerait plus uniquement la famille, ou la région d’origine. Le désir d’aller s’installer au Portugal s’oppose parfois au « retour » des parents, toujours différé. L’idée d’une nouvelle forme d’intérêt pour le Portugal est confirmée par l’identification en tant qu’Européen : les connaissances linguistiques, culturelles, ou historiques plus vastes et plus savantes que celles des parents sont valorisées. Selon l’identification en tant que Portugais, les différences par rapport aux parents sont mises de côté. Au contraire, le désir commun d’aller vivre au Portugal est mis en avant. Parfois, le lien avec le Portugal est même décrit comme étant plus fort que celui des parents. Le fait de ne pas avoir vécu au Portugal contribue sans doute à l’idéalisation du pays d’origine. Ne pas avoir vécu au Portugal encourage une grande curiosité à l’égard de ce dernier. Parfois, la différence par rapport aux parents concerne justement le désir d’aller vivre au Portugal, ces derniers préférant rester en France. Enfin, la référence aux années Salazar, que les parents ont connues, vient expliquer l’attitude critique de ces derniers vis-à-vis du Portugal. Pas grand-chose : tout comme eux, je veux y retourner. Tous deux avons nos amis là-bas. La plus grande différence se situe au niveau du lieu de la naissance et de la nationalité1. Je n’ai que de bons sentiments et souvenirs du Portugal, ce qui n’est pas toujours le cas avec mes parents qui ont souffert, bien que leurs avis soient partagés, eux ont la « Saudade », moi je ne fais que la deviner2. Mes parents savent ce que c’est vivre au Portugal, moi je ne connais qu’un mois par an, pendant les vacances. Je pense aimer ce pays autant qu’eux. Je

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Garçon, 25/29 ans, née au Portugal, active de niveau Bac.

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souhaiterais y vivre dans quelques années alors que ma mère par exemple préférerait rester en France1. J’entrevois la possibilité de pouvoir y travailler. J’ai une autre vision de la culture portugaise. Dans mon vécu, le Portugal a une connotation moins négative (salazarisme)2. L’identification en tant que Français tend à accentuer les différences par rapport aux parents dans le lien avec le Portugal. Le fait de ne pas avoir vécu au Portugal, de ne pas y être aussi attaché, ou de ne pas parler la langue portugaise apparaîssent comme des éléments différenciateurs. L’accent peut être mis sur le fait que le Portugal ne représente que les vacances, et que le projet est de rester en France – les parents souhaitant retourner un jour au Portugal. L’intégration dans la société française, ou le fait d’être considéré comme Français au Portugal, sont mis en avant. C’est également dans la pratique de la langue portugaise qu’apparaissent les différences. Les différences peuvent être perçues en termes d’éducation, de culture ou de méconnaissance des traditions portugaises. Ces dernières prennent une dimension négative, les parents sont critiqués pour leurs « idées portugaises » et leurs « principes arriérés » (ce qui suggère que la différence de génération est interprétée en termes de rapport aux traditions ou à la modernité). L’incompréhension entre générations est également évoquée, les parents ayant une vision nostalgique du Portugal. La différence de génération peut renvoyer à une opposition entre le passé et le présent. L’attachement des parents au village d’origine est jugé excessif. La différence réside également dans le fait de ne connaître que le Portugal des vacances. De façon plus générale, le Portugal ne fait pas l’objet d’une forte identification, par rapport au fait d’être né en France, d’avoir la mentalité française, d’avoir ses racines en France, et de se sentir Français. Le fait que je n’ai jamais vécu là-bas. Ils y ont passé leur enfance et voient donc le Portugal comme leur pays. Moi je n’y ai pas grandi et je ne ressens donc pas la

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle.

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même chose. Je considère pourtant le Portugal comme mon pays, mais d’origine seulement1. Un semblant de mentalité fasciste mal contrôlée, qui se retrouve chez presque tous les Portugais de la génération de mes parents. Celle-ci se traduit par un conservatisme traditionnel, où le rôle de chaque maillon de la famille est bien déterminé. L’obéissance aveugle des enfants aux parents demeure2. Ma vision du monde. Nos idées ne sont pas toujours semblables. Quelques fois, j’ai du mal à les comprendre et eux non plus ne me comprennent pas toujours. Ils ont du mal à accepter certaines choses qui à notre époque sont tout à fait normales mais ne l’étaient pas à leur époque3. Mes parents ont encore en tête le Portugal, tel qu’ils l’ont laissé il y a 20 et 25 ans. Ils sont nostalgiques de ce temps-là. Alors que moi, je vois le Portugal tel qu’il est actuellement (même si je n’en ai qu’une vision partielle)4. Pour mes parents, le Portugal représente leurs racines, mes racines à moi sont en France5. Du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, la double culture est mise en avant pour expliquer la différence par rapport aux parents. La différence porte également sur la représentation du Portugal, plus actuelle du fait de la poursuite des études. La langue portugaise est également un élément différenciateur, en tant qu’elle est mieux parlée par les jeunes que par les parents, ces derniers ayant tendance à la mélanger avec le français. De façon plus générale, la différence renvoie au niveau d’éducation. Lorsque la différence est exprimée en termes de projet, la possibilité d’aller vivre au Portugal apparaît comme une option parmi d’autres. Le fait d’être considéré comme Français au Portugal peut également être à l’origine d’une perception différente. Ma double culture, mon envie moins forte de retourner au Portugal, une vision différente du Portugal par rapport au monde6.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 3e cycle. 3 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 2e cycle. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 6 Garçon, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 3e cycle.

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Mes parents jugeaient le Portugal uniquement par rapport à la région où ils vivaient, tandis que moi j’ai une vision plus globale. Moi je veux retourner au Portugal mais pas dans la région de mes parents tandis qu’eux n’imaginent pas vivre ailleurs1. Je crois que c’est la langue. Mes parents la parlent en la francisant mais pas moi car j’essaie d’utiliser vocabulaire et grammaire appris et assimilés. Lorsque je parle une langue, je la travaille en même temps. De plus, eux connaissent la vie de là-bas alors que moi non. Ils savent mieux comment sont les gens et les peuples que moi je ne le sais2. Mes parents voient le Portugal comme leur pays d’origine, où ils ont amis et famille et où ils veulent retourner. Je le vois plutôt comme un pays où j’ai la possibilité de m’établir pour vivre comme je le souhaite. C’est pour moi simplement une option3. Eux sont considérés comme des Portugais, mais moi non. Pour les Portugais résidant au Portugal, je suis « la Française », bien que j’aie ma carte d’identité portugaise, et que je parle le portugais4. Je ne me sens pas complètement Portugaise5. Comme on vient de le voir, les réponses suggèrent que l’identification oriente la perception des différences entre jeunes et parents en regard du rapport au Portugal. Qu’en est-il maintenant des représentations de l’avenir, envisagées à travers les principes d’éducation que l’on souhaiterait inculquer aux enfants ? 2.6. – Principes d’éducation Dans leur grande majorité, les enquêtés pensent inculquer à leurs enfants les mêmes principes d’éducation que ceux qu’ils ont reçus de leurs parents (près d’un jeune sur cinq pense l’inverse). Les réponses favorables renvoient principalement à l’idée que les 1 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 2e cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 3e cycle. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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principes d’éducation reçus des parents sont de bons principes. Lorsqu’elle est évaluée du point de vue des valeurs, l’éducation renvoie aux valeurs de liberté, d’amour, de famille, de religion, de travail, de tradition, de moralité, de loyauté, de franchise, d’honnêteté et de tolérance. L’idée que les principes d’éducation reçus des parents sont bons est particulièrement associée à l’identification en tant que Portugais. L’identification en tant que Français tend quant à elle à prendre ses distances par rapport à des principes jugés arriérés, trop sévères, ou pas adaptés. Du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, les principes sont interprétés du point de vue du bilinguisme et de la double culture, l’accent pouvant toutefois être mis sur l’idée qu’ils devront être adaptés. L’accent est mis, du point de vue de l’identification en tant que Portugais, sur l’idée de continuité générationnelle par rapport aux parents. Les principes reçus seront également transmis aux enfants ; la famille, l’honnêteté, le respect et le travail sont particulièrement valorisés. Mes parents m’ont appris le respect des autres. Et surtout ne m’ont inculqué aucun préjugé. Je leur dois mon ouverture d’esprit et ma curiosité des autres1. Du point de vue de l’identification en tant que Français, les principes d’éducation reçus des parents apparaissent comme trop sévères, aussi ne souhaiterait-on pas les transmettre tels quels. Ces principes sont évalués par rapport à la vie en France, ils ne sont plus adaptés, ou sont jugés « trop portugais ». On souhaiterait donner plus de liberté, d’ouverture et de tolérance qu’on n’en a reçue, bien que l’on reconnaisse les valeurs d’honnêteté, de loyauté, ou de franchise, transmises par les parents. Parce que mes parents sont ringards, arriérés, me couvent encore, et ne me comprennent pas, ne sont pas tolérants, me déçoivent2. Mes parents m’ont élevée selon la communauté portugaise. C’est moi qui ai du m’adapter à la culture française. De mon côté, je pense que j’élèverai mes enfants

1 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau 2e/3e cycle. 2 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 1er cycle.

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sous les deux communautés. Je leur apprendrai aussi bien la culture française que la culture portugaise1. Mes parents sont plutôt autoritaires et vieux jeu, en plus ils ont eu du point de vue financier une enfance difficile, et donc pour eux l’argent il sert pour manger et rien d’autre. Aussi moi j’espère être plus ouverte avec mes enfants2. Parce qu’ils ont des principes : tolérance, honnêteté, sérieux, responsabilité… que je trouve importants, mais ils ont des visions de la vie qui sont trop vieux jeu3. Du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, les principes d’éducation reçus des parents sont assimilés à l’idée de double culture, perçue comme un avantage. L’identification en tant que lusodescendant apparaît dans ce contexte comme synonyme de la valorisation de la double culture et du bilinguisme, dans le contexte de l’intégration européenne. Parce que je suis satisfaite de l’éducation que j’ai reçue, il n’y a donc pas de raison d’en changer. J’éduquerai mes enfants avec la double culture (franco–portugaise) et dans la religion catholique, sans toutefois les forcer à être pratiquants4. Dans le prolongement de l’identification binationale, les principes d’éducation reçus des parents sont assimilés, du point de vue de l’identification en tant qu’Européen, aux avantages du bilinguisme. Si j’ai des enfants, je leur ferai part de mes origines, et comme mes parents leur enseignerai la langue, il est essentiel de connaître ses origines, je suis sûre que ça leur sera bénéfique, d’ailleurs je remercie mes parents de m’avoir inscrit en école portugaise étant jeune5. Outre les principes d’éducation, l’identification oriente également, comme on va le voir, le rapport à la langue portugaise, langue que l’on souhaiterait transmettre aux enfants.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, étudiante en 1er cycle. 5 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général.

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2.7. – Langue portugaise Près de trois quart des jeunes déclarent parler le portugais avec les parents, assez (voire très) souvent ; plus de deux tiers déclarent parler le français avec la même fréquence. Avec les frères et sœurs, le français est parlé plus fréquemment que le portugais (85 % le parlent entre eux assez souvent voire très souvent, contre un peu plus d’un tiers dans le cas du portugais), de même qu’avec les amis lusophones en France, quoique la différence soit moins nette (plus de 68 %, contre 45 % dans le cas du portugais). Enfin, si plus d’un jeune sur dix déclare parler le français assez (voire très) souvent avec les amis au Portugal, la quasi-totalité parle le portugais avec les amis et la famille au Portugal. L’analyse factorielle a montré que le fait de parler le portugais très souvent avec les parents, les frères et sœurs, ou les amis lusophones, est particulièrement associé à l’identification en tant que Portugais. La quasi-totalité des enquêtés souhaitent que leurs enfants apprennent la langue portugaise. Du point de vue de l’identification en tant que Portugais, il ne peut y avoir de doute sur le fait que les enfants apprendront la langue portugaise. A travers la langue, il s’agit aussi de transmettre le sens des origines et des racines portugaises, d’autant plus que c’est probablement au Portugal que l’on souhaite vivre. Les enfants devront être capables de communiquer avec la famille et les amis au Portugal. De façon générale, le fait que la langue portugaise soit une belle langue suffit à justifier le souhait que les enfants l’apprennent. La culture portugaise est mon origine. Je considère que je dois faire connaître cette culture à mes enfants. Je souhaite donc qu’ils apprennent la langue portugaise. Je pense que c’est un devoir de mère. La culture portugaise doit être connue1. C’est un avantage, pour parler avec les grands-parents et avec les cousins lors des vacances au Portugal s’ils naissent ailleurs qu’au Portugal2.

1 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 2 Fille, 20/24 ans, née au Portugal, étudiante en 2e cycle.

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Parce qu’il s’agit d’une langue très riche, c’est la troisième langue européenne la plus parlée au monde1. Parce qu’étant donné que j’espère épouser un garçon portugais et que je compte partir au Portugal, mes enfants n’auront pas vraiment le choix2. Du point de vue de l’identification en tant que Français, la langue portugaise n’est pas considérée comme devant être absolument transmise aux enfants : ce sera à eux de choisir. Si je vis en France, ce sera le français qui sera leur langue maternelle, par la suite s’ils désirent apprendre la langue portugaise, ce sera à eux de faire ce choix. Je préfère qu’ils sachent parler au moins une langue correctement que d’être de mauvais « bilingues »3. Les enfants devraient, du point de vue de l’identification en tant que Français et Portugais, apprendre la langue portugaise afin de pouvoir communiquer avec amis et famille au Portugal, mais aussi dans la mesure où elle représente un atout, et parce que la double culture est considérée comme un avantage. Car je pense que posséder deux cultures ne peut être une chose que bénéfique. J’aimerais que mes enfants aient la même chose que ce que la culture portugaise m’a apporté4. Enfin, du point de vue de l’identification en tant qu’Européen, la nécessité d’apprendre la langue portugaise est perçue en termes d’avantages culturels et économiques. L’avantage de la connaissance du portugais peut renvoyer explicitement au contexte européen. Afin qu’ils soient autonomes s’ils vont au Portugal, afin de se débrouiller. De plus, c’est un avantage d’être bilingue, ils peuvent ainsi trouver un emploi en France ou au Portugal5. Avec l’Union Européenne, il est indispensable de savoir parler plusieurs langues, alors pourquoi ne pas leur apprendre le portugais. Ce sera toujours un plus, et puis pour qu’ils puissent parler avec la famille du Portugal, etc.1 1 Garçon, 20/24 ans, né au Portugal, actif de niveau 2e/3e cycle. 2 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 3 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement technique. 4 Fille, 15/19 ans, née en France, lycéenne en enseignement général. 5 Fille, 20/24 ans, née en France, active de niveau Bac.

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Ces résultats suggèrent que les significations accordées à l’origine portugaise et à la vie en France s’interprètent à la lumière de l’identification. En d’autres termes, l’identification oriente (ou reflète) les attitudes et les représentations. Alors que l’identification en tant que Français est liée au choix de la vie en France et d’une certaine prise de distance à l’égard des origines, l’identification en tant que Portugais exprime une préférence pour le Portugal, qui s’apparente à une forme inconditionnelle de loyauté. L’origine portugaise apparaît comme un avantage, le choix des relations amicales se définit principalement en fonction de la complicité des origines, les valeurs sont principalement orientées vers une dimension communautaire, que l’on opposera à une dimension universelle ou altruiste. Dans le même registre, qu’il s’agisse des principes d’éducation reçus des parents, des formes de différenciation dans le lien avec le Portugal par rapport aux parents, ou du rapport à la langue portugaise, les réponses suggèrent une identification telle à la « matrice portugaise » (qu’il s’agisse de l’idée de culture, de peuple ou de patrie), que la présence en France semble paradoxalement être absente (Gonçalves, 1987, 1989). Or, le caractère parfois forcé de certaines réponses de la part des jeunes ne tend-il pas justement à prouver à l’inverse le caractère fluctuant de l’identité2 ? Dans une forme d’identification par réaction, l’« autre » identité – la part française – n’en est que plus présente. Doit-on rappeler à ce propos, que nombre de pratiques identitaires des jeunes d’origine portugaise ne prennent leur sens qu’en situation de transplantation (Leandro, 1993a ; Lopes, 1998). Du point de vue des identifications binationale et supranationale, l’origine portugaise n’est pas spécialement un avantage : elle est

1 Fille, 20/24 ans, née en France, étudiante en 2e cycle. 2 Pour reprendre les termes d’Alfred Grosser : « Toute identité est bien modifiable dans le temps. Surtout si elle est collective. Surtout si elle est définie en termes de catégories, de groupes. Cela vaut déjà pour les catégories d’âge. » (Grosser, 1996, p. 16).

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une origine comme une autre. L’accent est mis sur l’ouverture d’esprit et le tempérament personnel dans le choix des relations amicales, l’origine ou la nationalité n’ayant pas grande importance. Alors que les principes d’éducation reçus des parents sont parfois jugés trop sévères ou peu adaptés, le lien avec le Portugal tend quant à lui à être ré-actualisé, par un intérêt renouvelé qui traduit une forme de connaissance savante que la poursuite des études aura encouragé. Enfin, la langue portugaise apparaît clairement comme un avantage sur les plans personnel et professionnel, ce qui suggère l’orientation pragmatique que prend la biculturalité, à l’heure de l’Europe des échanges et de la mobilité.

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Conclusion Les formes d’identification des jeunes d’origine portugaise reflètent leur évolution dans un contexte qui est à la fois national, binational, et supranational. Elles représentent, de ce fait, autant de valorisations spécifiques et de formes de conjugaison des origines portugaises et de la socialisation en France, ainsi qu’une certaine valorisation de l’intégration européenne. L’Europe représente plus qu’une référence abstraite et lointaine, l’attachement à l’Europe coexiste avec les identifications française et portugaise, dont il est le prolongement. Le recours à l’Europe apparaît comme une possibilité nouvelle de conjuguer deux formes de références nationales, dont l’articulation, entre socialisation et origines, est parfois complexe. Telle est semble-t-il, la signification particulière de l’identification en tant qu’Européen, de la part de jeunes pour qui l’identification en tant que Français et Portugais reste toutefois centrale. L’identification nationale en tant que Portugais pose la question du maintien (ou du renforcement) de la référence à une identité portugaise en France. Dans la mesure où elle fait appel à la dimension ontologique de l’identité, et où elle met l’accent sur l’idée de descendance dans un sens quasi-biologique, l’identification en tant que Portugais est apparue comme la plus prégnante. De manière implicite, elle renvoie également à la thématique du Portugal comme une nation de communautés – la communauté s’appliquant ici à l’origine ethnique comme critère d’appartenance1. La dimension ontologique de l’identification en tant que Portugais contraste avec les autres formes d’identification, toutes plus ou moins « sociologiques ». Dans l’identification en tant que Français et Portugais, l’idée de combinaison est dominante, alors que l’idée de socialisation caractérise l’identification en tant que Français. Enfin, l’identification en tant qu’Européen se caractérise par le 1 Cette thématique, du reste, n’est pas très éloignée du concept de race comme nation (Schiller et Fouron, 2000).

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dépassement (ou la transcendance) du conflit – toujours possible – entre les dimensions ontologique et sociologique des identités portugaise et française. Dans ce contexte, la distinction entre les deux dimensions renvoie à la distinction entre appartenance et référence, en tant que l’appartenance met l’accent sur les liens du sang, alors que la référence suggère l’effet de la socialisation, de la mobilité, et de l’émancipation dans le choix des identités. Pour autant, les deux termes ne sont pas opposés ; l’identification en tant que Français et Portugais a montré la diversité des formes de valorisations de l’appartenance et de la référence. Cependant, la continuité ou le renforcement de l’identité portugaise que suggère l’identification en tant que Portugais n’est pas liée à des phénomènes de racialisation dans le pays d’installation. L’identité portugaise semble au contraire se maintenir, malgré les phénomènes de rejet dont sont parfois victimes les émigrés et leurs enfants lors de leurs séjours au Portugal1. Bien que nombre de jeunes se plaignent de l’hostilité dont font preuve les Portugais du Portugal à l’égard des émigrés, ils n’en continuent pas moins de s’identifier en tant que Portugais. Par l’importance qu’elle donne à une définition ethnique de l’identité (sang, race, ancêtres, racines), l’identification en tant que Portugais peut toutefois comporter une forme de rejet de la France. Elle se définit par opposition à la France ou à la présence en France, ce qui par extension pose la question du caractère plus ou moins exclusif des identités nationales. Pierre-André Taguieff a mis en relief l’ambiguïté intrinsèque de l’identité nationale française, à la fois ethnique et sociologique (Taguieff, 1995)2. Selon un cadre interprétatif similaire, l’identité

1 Ces phénomènes sont parfois mis en avant pour justifier, par réaction, une identification en tant que Français (« Ils (les Portugais du Portugal) nous considèrent comme des émigrés »). 2 Voir aussi Patrick Weil, 1995, p. 475 : « L’accès à la nationalité française est ouvert à un point d’équilibre construit après expérimentation, qui est devenu signe de l’identité de la nation. L’étranger inclus est censé être à même d’appartenir à une nation constituée non sur un fondement ethnique ou contractuel, mais sur un fondement de citoyenneté sociologique. Entre le contrat et l’ethnie, le mot de nationalité qui ne fut introduit dans la législation française qu’à partir de 1889 symbolise cette socialisation. » Et, citant Jean Leca : « Le système est un croisement entre une logique de la civilité ‘indéfiniment inclusionnaire puisque la reconnaissance de l’individu en est le programme central et indéfiniment ouverte

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nationale portugaise apparaît à la fois comme ethnique et transnationale, ce qui n’est pas contradictoire. Dans ce contexte, les formes d’identification des jeunes d’origine portugaise suggèrent également que les identifications en tant que Français, et/ou en tant que Portugais, n’ont pas en soi la même signification. Il n’est pas inutile de rappeler à ce propos que, d’une manière générale, l’identification nationale peut être caractérisée selon sa position intermédiaire, entre les dimensions ethnique et contractuelle (tableau 1). Tableau 1. – L’identification nationale : entre l’ethnique et le contractuel.

Ethnique Identification nationale Contractuel Communautaire, primordial, sang, race

Socialisation, enracinement Dimension sociologique : volonté de participer et de vivre ensemble, participation à la souveraineté

Juridique, institutionnalisation, nation-contrat, patriotisme constitutionnel

Le fait que la France se caractérise par des identités multiples signifie que son identité nationale est diverse et ouverte, pour plusieurs raisons. Les formes d’identification des jeunes d’origine portugaise ont montré que la France est souvent associée à des images d’ouverture et de diversité, aux Droits de l’Homme et à l’universalisme, ce qui confirme le sens d’une identité nationale multiple. A l’inverse, la dimension exclusive ne saurait expliquer à elle seule le sens des identifications nationales1. Il y a plusieurs modalités du national et des identifications nationales – plus ou moins exclusives –, tout comme il y a plusieurs modalités

et conflictuelle puisqu’elle inclut des parties opposées et égales ne pouvant être réduites a priori en une unité englobante’ et une ‘vision des communautés sociales comme des organismes naturels constituant les hommes par tradition et par culture’ qui, elle, exclut en fonction de l’origine. » (Weil, 1995, p. 527). 1 Ici encore, Pierre-André Taguieff a mis en garde contre le risque de confusion entre le national et le nationalisme (Taguieff, 1995). Dans le même ordre d’idée, Catherine Neveu a rappelé la distinction entre nationalité et nationité (Neveu, 1995), et Maurice Agulhon la distinction entre patriotisme et nationalisme : « tous les nationalistes sont patriotes (…) mais tous les patriotes ne sont pas forcément nationalistes, dans la mesure où l’on peut être patriote tout en mettant au sommet de l’échelle des valeurs des principes moraux universels tels que le droit, la justice ou l’humanité. » (Agulhon, 1992, p. 59).

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d’identifications multiples, plus ou moins inclusives, ou transcendantes (tableau 2). Tableau 2. – Identifications nationales et multiples.

Identifications nationales Identifications multiples Données Eurobaromètre Enquête sur les jeunes

Identité nationale (Portugal) Identification en tant que Portugais Identification en tant que Français

Identités multiples (France) Identification binationale en tant que Français et Portugais Identification supranationale en tant qu’Européen

On pourra également placer ces diverses modalités sur un axe Exclusif–Inclusif. Dans la mesure où les identifications nationales et les identifications multiples ne sont pas nécessairement en opposition et où, par ailleurs, les identifications nationales ne renvoient pas toutes à un exclusivisme défensif, les identités observées au niveau des pays et au niveau des groupes peuvent se résumer à une tension entre dimensions exclusive et inclusive. On obtient dans ce cas une continuité entre les diverses formes d’identification (schéma 1, et tableau 3). Schéma 1. – Identifications nationales et multiples selon l’axe Exclusif/Inclusif. Identifications nationales Identifications multiples Portugais, Français Français et Portugais, Européen Exclusif ------------------------------------------------------------------------------------ Inclusif (cohérence) (transcendance) Tableau 3. – Identifications nationales et multiples selon l’axe Exclusif/Inclusif.

Exclusif (cohérence) Inclusif (transcendance) Identifications nationales Identifications multiples

Identification en tant que Portugais (définition ethnique de l’identité, sang, race, racines, origines)

Identification en tant que Français (définition sociologique de l’identité – socialisation) Identification binationale en tant que Français et Portugais comme un avantage, une richesse, une ouverture sur le monde Identification supranationale en tant qu’Européen comme simplifiant le choix entre Français et Portugais, ou par européanisme

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L’exemple des jeunes d’origine portugaise suggère que les formes d’identification ne se réduisent pas aux destins nationaux. Force est de constater la relative indépendance entre les identifications, les actions des Etat-nations et des sociétés civiles. De ce point de vue, une tension existe entre les efforts des gouvernements et des institutions des Etat-nations pour promouvoir le patriotisme entre les citoyens, et les migrants et leurs descendants – dont les loyautés se sont constituées selon des modalités différentes. Aussi, la migration et la construction européenne se comprennent-elles dans un contexte de mobilité et d’institutionnalisation. Si l’enracinement est une condition de l’institutionnalisation, cette dernière traduit une volonté politique dans la mesure où elle inscrit l’histoire et la continuité dans l’ordre du Droit. De ce point de vue, l’histoire des migrations en Europe est aussi l’histoire de la construction européenne, qui est aussi l’histoire de la mobilité et de l’institutionnalisation – bien plus que celle de la fixation et de l’enracinement. Dans l’histoire d’une Europe en mouvements, l’histoire de l’émigration portugaise et l’histoire de l’immigration portugaise en France représentent assurément des chapitres importants. La construction européenne est l’occasion d’une réélaboration des identités nationales. Il y a sans doute, de la part des populations issues de l’immigration, un « détour européen », qui tend à les affranchir des pays d’installation, comme des pays d’origine. Le détour européen est l’occasion d’un passage renouvelé par des détours nationaux, dans la mesure où la construction européenne renvoie à une forme d’injonction identitaire : celle de fournir une identité nationale relativement ouverte, et communicable. En faisant ressortir l’ambiguïté intrinsèque de l’identité – à la fois ontologique et dynamique –, il se peut que l’Europe rende les identités nationales plus prégnantes, de façon moins paradoxale qu’il n’y paraît. En France, la logique d’accueil (qui renvoie à une culture républicaine ouverte) laisse à bien des égards le champ libre à la construction d’identités. La logique d’accueil renvoie de ce fait aux identités multiples. Dans ce contexte, la spécificité portugaise serait de faire appel, pour la réinvention de son identité

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nationale, aux « ressources identitaires » transnationales que sont la lusophonie et les Communautés Portugaises. L’intégration européenne du Portugal marque la réélaboration de son identité nationale dans le concert des pays membres aussi, l’entrée dans l’Union Européenne représente pour le Portugal l’occasion d’une redécouverte de la lusophonie1. Le passage symbolique des Découvertes à la construction européenne représente également l’occasion d’une réaffirmation des liens avec les Communautés Portugaises. C’est dans un tel contexte que l’enjeu du positionnement lusodescendant doit être resitué. Par définition, la thématique lusodescendante se situe dans cet intermédiaire, entre pays d’origine et pays d’installation. Dans ce détour par la construction européenne, la « lusodescendance » représente un instrument pour la jeunesse en évolution scolaire et professionnelle, dont on sait, quête de légitimité aidant, à quel point elle est en demande de contenus identitaires. Alors qu’elle contient nécessairement méfiance et ambivalence vis-à-vis du national, la construction européenne représente l’occasion pour les identités nationales de jouer le pari de la diversité. Dans la mesure où les liens transnationaux renforcent l’intégration européenne, la thèse lusodescendante renforce l’identité nationale du Portugal. Si la construction européenne et les migrations constituent des facteurs d’évolution des identités, on doit poser la question de savoir ce qui, dans ces facteurs, permet de rendre compte du maintien d’une identité nationale forte ou au contraire, d’une tension vers des identités multiples. Le sentiment d’appartenance à l’Europe encourage l’identification à l’Europe, et favorise les identités multiples. Cependant, il n’y a pas de réponse univoque à cette question, chaque réponse étant par définition intrinsèquement nationale. L’Allemagne et la France ont sans doute de bonnes raisons de se méfier des identités nationales fortes, tant ces dernières renvoient dans leur cas à un passé douloureux2. De même 1 Il n’est pas inutile de rappeler ici que, de façon significative, la création – ou plutôt l’institutionnalisation – de la Communauté des Pays de Langue Portugaise en 1996, est postérieure à l’entrée du Portugal dans la Communauté Européenne (Cahen, 1997). 2 On sait aussi – et pour quelles raisons – ces deux pays sont et restent les moteurs de la construction européenne.

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une citoyenneté ouverte, et la longue histoire de l’immigration en France, encouragent des identités multiples. Les identités se comprennent donc notamment à partir de l’expérience proprement nationale des migrations, et de la signification accordée à l’intégration européenne (tableau 4). Tableau 4. – Facteurs d’évolution des identités selon l’axe identifications nationales/multiples.

Facteurs d’évolution des formes d’identification

Identifications nationales (Portugal : identité nationale)

Identifcations multiples (France : identités multiples)

Construction européenne Migrations

Développement économique, Fierté retrouvée Emigration : Liens du sang, Dimensions affective, ethnique, Primordialisme, Communautés Portugaises, Nation de Communautés

Rôle moteur, Méfiance vis-à-vis du nationalisme Immigration : Logique d’accueil, Mobilité, Intégration, Identité culturelle, Diversification, Territoire, Etat-nation multiculturel

La comparaison des identités nationales à l’échelle de l’Union Européenne a donné un système de relations où les identités se distinguaient, selon leur caractère plus ou moins national ou plus ou moins européen, et selon leur stabilité dans le temps. Dans la mesure où les identités permettent de caractériser les différences nationales, elles deviennent en soi nationales, dans le système de comparaison. On comprend mieux la diversité intrinsèque des définitions du national, et des identifications nationales. L’intérêt de la comparaison est de montrer que les identités nationales ne prennent leur sens que dans leurs relations réciproques. Dans la mesure où elles tendent à fournir des garanties de communautés (sentiment, territoire, langage, histoire, culture), les identités nationales fonctionnent comme des étiquettes rassurantes. L’Europe est peut-être d’autant plus inquiétante qu’elle manque précisément de ce caractère différenciateur, incarné par l’identité nationale. Or, la question de la légitimité de la construction européenne se pose justement en ces termes : l’institutionnalisation ne peut se passer du contrôle démocratique que seul l’enracinement

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peut procurer. Dans le cas de la construction européenne, le problème reste entier1. On peut difficilement séparer dans ce sens, la « crise des identités » de celle des Etats-nation. L’apologie de l’open diversity et de l’ouverture se heurte inévitablement à une sorte d’angoisse du vide, que représente l’Europe pour beaucoup. En ce sens, la tension entre les identifications nationales et les identifications multiples renvoie bien à une tension entre identités exclusives et identités par transcendance ; elle permet de penser également la continuité entre pays et groupes en termes d’allégeances – ce qui précisément ne va pas de soi pour les binationaux, et pour les populations issues de l’immigration. Là où il est question d’identités multiples, il est aussi question, en ce qui concerne les populations issues de l’immigration, d’identités nationales déterritorialisées, en prise avec des processus d’institutionnalisation. D’où l’intérêt de restituer les points de vue nationaux, afin de mieux comprendre la spécificité des populations entre-deux. Ces dernières permettent de penser, toujours en termes d’allégeances et de loyautés, les processus de complexification induits par la construction européenne. En ce sens, les identifications nationales et multiples renvoient bien, selon les cas, aux dimensions de cohésion et d’inclusion, de fermeture et d’ouverture ou de dépassement, à l’ethnique et au « sociologique », au passé et à l’avenir. Le détour européen opéré par le Portugal aboutit à un recentrage identitaire autour de la lusophonie et des Communautés Portugaises. Du point de vue de l’Etat portugais, l’institutionnalisation de la relation avec ces dernières correspond à une volonté politique et symbolique de garder ses émigrés dans l’attachement au pays. De façon implicite, l’institutionnalisation participe à un renforcement de l’identité nationale. Parallèlement, il y a aussi, du point de vue français, la volonté de ne pas tenir

1 Pour reprendre les termes de Jean-Louis Quermonne, « Par conséquent, trouver le juste équilibre entre la communauté héritée et la communauté de choix, telle est la tâche qui attend la génération des dirigeants politiques (…). A condition d’y parvenir, émergera alors une Europe légitime – démocratique, impartiale et efficace – au service de laquelle une ‘gouvernance molle’ dont on déplore l’insuffisance, pourra faire place à un véritable gouvernement. » (Quermonne, 2001, p. 121–122).

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compte des liens naturels et de s’en tenir au seul lien valable qui transcende les particularismes : la citoyenneté. Cette tension binationale explique en grande partie la diversité des formes d’identification des jeunes d’origine portugaise en France. On comprend comment, dans ce contexte, la citoyenneté européenne peut créer, pour les communautés portugaises résidant en Europe, une forme de lien communautaire raisonnable, la pratique du va-et-vient entre le Portugal et les pays d’installation neutralisant la formation d’une identité diasporique devenue sans enjeu, par le fait même de l’intégration européenne1. C’est bien dans ce sens que l’Europe apparaît comme un prolongement, un dépassement identitaire, qui force à repenser l’intégration nationale à l’heure de l’intégration européenne. En tant que telle, la construction européenne pose, fondamentalement et concrètement, la question du rapport entre processus d’intégration et identités, d’une façon nouvelle. Pour autant, l’Europe ne constitue pas l’horizon unique des identités multiples. Le Royaume-Uni se sent des affinités plus fortes avec les Etats-Unis qu’avec l’Europe. L’Allemagne et la France tentent chacune de maintenir des relations privilégiées avec leurs partenaires, l’une avec l’Europe de l’Est, l’autre avec l’Europe du Sud et la Méditerranée. Le Portugal semble trouver quant à lui une forme de combinaison particulière entre l’Europe et la lusophonie. Force est de reconnaître que les identités nationales, loin de disparaître, continuent d’exister voire de se renforcer par la construction européenne, dont les effets sur les identités sont eux-mêmes multiples.

1 Pour reprendre les termes de Maria Beatriz Rocha-Trindade, « Au plan individuel la tendance, aujourd’hui, est de considérer à la fois les opportunités offertes par le pays d’accueil et par le pays d’origine, et de ne pas renoncer aux avantages de l’un ou de l’autre. (…) De ce point de vue, la notion d’Européen immigré au sein de cet espace plurinational élargi, n’aura plus de raison d’existence. Ainsi de même, à plus forte raison, pour ce qui est de ses descendants. Tous auront peut-être un profil culturel moins caractérisé, plus riche et plus indéfini ; à la fois plus conscient et moins inquiet de la dualité culturelle, apparemment contradictoire, entre patrie d’origine et patrie d’adoption. Le million et demi de Portugais immigrés en Europe auront, peut-être, ce type d’attitude ; leurs descendants, eux, l’auront certainement. » (Rocha-Trindade, 1990, p. 42–43).

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Liste des tableaux Introduction Tableau 1. – Cohésion et inclusion. Tableau 2. – Première hypothèse : relations entre niveaux d’identification et inclusion–cohésion. Tableau 3. – Seconde hypothèse : relations entre niveaux d’identification et attitudes défensive–dépassement. Tableau 4. – Troisième hypothèse : niveaux d’identification et attitudes défensive–dépassement. Chapitre I Tableau 1. – Différenciation et transcendance I. Tableau 2. – Différenciation et transcendance II. Schéma 1. – National et supranational. Tableau 3. – National et supranational. Tableau 4. – Enracinement et institutionnalisation. Chapitre III Tableau 1. – Synthèse des positions du Portugal et de la France. Tableau 2. – Attitudes vis-à-vis de l’Europe et identités. Tableau 3. – Points de vue portugais et français sur quelques catégories de dénomination. Tableau 4. – Répartition des étrangers par nationalité 1921–1990. Tableau 5. – Répartition de la population par nationalité en 1999. Tableau 6. – Répartition des étrangers par nationalité en 1999. Tableau 7. – Evolution récente de la présence portugaise en France 1990–1999. Tableau 8. – Evolution de la présence portugaise en France 1901–1999. Tableau 9. – Caractéristiques démographiques de l’immigration portugaise 1931–1999. Chapitre IV Tableau 1. – Identités et mouvements migratoires. Tableau 2. – Identités et modèles de citoyenneté. Chapitre V Tableau 1. – Population active et taux d’activité : Français, étrangers, Portugais en 1999. Tableau 2. – Population portugaise active par secteurs d’activité 1982–1999. Tableau 3. – Répartition par catégorie socioprofessionnelle en 1999. Tableau 4. – Evolution de la population portugaise active par catégories socioprofessionnelles 1982–1999. Tableau 5. – Jeunes actifs et taux d’activité : Portugais mono-nationaux et naturalisés français en 1999. Tableau 6. – Jeunes actifs et taux d’activité : ensemble national en 1999. Tableau 7. – Jeunes chômeurs et taux de chômage : Portugais mono-nationaux et naturalisés français en 1999. Tableau 8. – Jeunes chômeurs et taux de chômage : ensemble national en 1999.

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Tableau 9. – Echantillonnage au 1/20e des jeunes de 15/29 ans d'origine portugaise et vivant en région parisienne par sexe, âge et pays de naissance. Tableau 10. – Effectif de l’enquête par sexe, âge et pays de naissance. Tableau 11. – Synthèse des caractéristiques des jeunes selon la forme d’identification. Tableau 12. – Spécification des identifications nationales et multiples. Chapitre VIII Tableau 1. – Types et sous-types d’identification : dimensions observées. Tableau 2. – Types et sous-types d’identification : dimensions et thèmes. Tableau 3. – Types et sous-types d’identification : dimensions observées et thèmes. Conclusion Tableau 1. – L’identification nationale : entre l’ethnique et le contractuel. Tableau 2. – Identifications nationales et multiples. Schéma 1. – Identifications nationales et multiples selon l’axe Exclusif/Inclusif. Tableau 3. – Identifications nationales et multiples selon l’axe Exclusif/Inclusif. Tableau 4. – Facteurs d’évolution des identités selon l’axe identifications nationales/multiples.

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Annexes Annexe I. – Analyse factorielle des correspondances L’analyse factorielle des correspondances est une technique statistique qui permet d’analyser et de hiérarchiser les relations entre variables. On parle d’analyse factorielle des correspondances multiples lorsque plusieurs variables sont croisées entre elles. Les sorties graphiques sous forme de « nuages de point » permettent une vision d’ensemble, multidimensionnelle, des relations entre les différentes variables, qui facilite l’interprétation des résultats. L’analyse factorielle des correspondances a été créée dans les années 1960 par Jean-Pierre Benzécri pour des applications linguistiques ; cette technique est désormais utilisée dans de nombreux champs des sciences sociales1. Les grandes lignes de cette technique statistique sont présentées à partir des données Eurobaromètre, en utilisant le logiciel SAS. Les données sont organisées sous forme de tableau logique avec, en ligne, les pays membres de l’Union Européenne en 1992 et en colonne, les quatre modalités de la variable identité nationale et européenne (tableau 1). Notre analyse va consister à croiser ces deux variables. Pour interpréter ces données, il faut un critère permettant de situer la distribution observée au sein des pays membres. Ce critère est le critère d’indépendance (synonyme de moyenne). S’il était satisfait, les réponses apportées à la question de l’identité nationale et européenne seraient exactement les mêmes quel que soit le pays. Nous aurions, pour chaque modalité en ligne, une contribution de 1/12=0,08 %, et pour les modalités en colonne, une contribution de 1/4=0,25 %, car la somme des contributions des modalités en ligne et des modalités en colonne est toujours égale à un. Ces valeurs, de 0,08 % pour les modalités en ligne, et de 0,25 % pour les modalités en colonne correspondent à la « moyenne ». L’analyse factorielle des correspondances permet de présenter de manière synthétique les écarts à l’indépendance (ou à la moyenne), calculés pour chaque association d’une modalité ligne (pays membre), et d’une modalité colonne (identité nationale et européenne). On présente 1 Par exemple, Claude Tapia l’utilise dans Les jeunes et l’Europe. Représentation, valeurs, idéologies, Paris, PUF, 1997 et Pierre Bourdieu, dans La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.

258

graphiquement ces associations, sous forme de nuage de points, dans un espace à deux dimensions. Le graphique 1 présente la relation entre les pays membres, et l’identité nationale et européenne (les modalités de cette variable sont présentées en italiques). L’axe 1 (ou facteur 1) est l’axe horizontal, l’axe 2 (ou facteur 2) est l’axe vertical. A chaque axe est associé un pourcentage. Celui de l’axe 1 est de 71,88 %, ce qui signifie qu’il résume près de 72 % des écarts à l’indépendance (ou de l’inertie) du tableau. Le deuxième axe résume 20,41 % des écarts à l’indépendance1. Tableau 1. – Identité nationale et européenne en juin 1992 (%) (Europe des Douze, données : EB37).

(Nationalité) uniquement

(Nationalité) et Européen

(Européen) et Nationalité

Européen uniquement

Belgique 37 48 9 3 Danemark 48 46 4 1 Allemagne 41 43 9 3 Grèce 38 55 4 2 Espagne 34 50 5 4 France 31 55 6 6 Irlande 52 38 5 2 Italie 24 57 7 5 Luxembourg 27 53 10 6 Pays-Bas 42 45 7 3 Portugal 38 54 3 1 Royaume-Uni 54 35 4 4 CE12 38 48 6 4 % « ne sait pas » non représentés. Question : Dans un avenir proche, vous voyez-vous...

1 En règle générale, le nombre total d’axes est déterminé par la plus petite somme des modalités en ligne ou en colonne – 1. Ici, le nombre d’axes est donc de trois, soit les quatre modalités en colonne – 1. On ne traite généralement que des deux premiers axes, qui ont les pourcentages d’inertie les plus grands. Dans le cas présent, l’inertie du 3e axe est 7,71 %.

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Graphique 1. – Identité nationale et identité européenne en juin 1992 (Europe des Douze, données : EB37). --+------------+------------+------------+------------+------------+------------+------------+-- | | | | | | 0.3 + | + | | Européen et (Nationalité) | | | Européen | | | | | | | | | | | | | 0.2 + | + | | | | | | | | | | | | | Allemagne Luxembourg | | Royaume-Uni | | 0.1 + | + | | Belgique | | | | | Irlande Pays-Bas| | | (Nationalité) | | | | | Axe 1 (71.88 %) | France | 0.0 +----------------------------------------+-----------------------------------------------------+ | | Italie | | | Espagne | | | | | | (Nationalité) et Européen | | Danemark | | | | | -0.1 + | + | | | | |Grèce | | | | | | | | | | | Portugal | -0.2 + | + | | | --+------------+------------+------------+------------+------------+------------+------------+-- -0.3 -0.2 -0.1 0.0 0.1 0.2 0.3 0.4

Axe 2 (20.41 %)

Il faut maintenant interpréter le graphique, à partir de l’examen des écarts à l’indépendance de chaque modalité. Ceci revient à interpréter chaque axe en examinant son inertie. Outre le graphique, l’analyse factorielle des correspondances fournit les tableaux statistiques indiquant les contributions de chaque modalité de variable à l’inertie des deux axes. Nous avons donc, par ordre d’importance des contributions : Variable indépendante sur l’axe 1 (71,88 %) Contribution Italie 0.20928 Royaume-Uni 0.20662 Luxembourg 0.18598 Irlande 0.18111 Danemark 0.09280 France 0.09153 Espagne 0.01334 Pays-Bas 0.00823 Belgique 0.00543 Allemagne 0.00346 Portugal 0.00203 Grèce 0.00019

260

Variable dépendante sur l’axe 1 (71,88 %) Contribution (Nationalité) 0.56712 (Nationalité) et Européen 0.23716 Européen 0.12056 Européen et (Nationalité) 0.07516 Variable indépendante sur l’axe 2 (20,41 %) Contribution Portugal 0.33490 Grèce 0.18433 Luxembourg 0.12537 Allemagne 0.12033 Royaume-Uni 0.07749 Danemark 0.05966 Belgique 0.04304 Pays-Bas 0.02035 Irlande 0.01442 Espagne 0.01234 Italie 0.00775 France 0.00003 Variable dépendante sur l’axe 1 (20,41 %) Contribution Européen et (Nationalité) 0.47300 (Nationalité) et Européen 0.25894 Européen 0.24561 (Nationalité) 0.02244

Ces informations aident à interpréter les axes, et donc le graphique. Pour évaluer la contribution de chaque modalité à l’inertie totale de l’axe, il suffit de comparer sa valeur à la moyenne (0,08 % pour les modalités en ligne, et 0,25 % pour les modalités en colonne, comme on l’a vu). Plus grand est l’écart à l’indépendance, plus la modalité s’éloigne de l’origine sur le graphique. Par exemple, la modalité « Italie » représente près de 21 % de l’inertie totale de l’axe 1 pour les modalités en ligne, aussi est-elle très éloignée du centre du graphique. Les modalités en ligne qui contribuent le plus à l’inertie de l’axe 1 sont donc : l’Italie, le Royaume-Uni, le Luxembourg, l’Irlande, le Danemark et la France (contribution supérieure à la moyenne, et position relativement éloignée du centre sur le graphique). A l’inverse, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne, le Portugal et la Grèce ont une contribution inférieure à la moyenne (ces modalités se situent aussi près du centre du graphique). Après avoir caractérisé les deux axes à partir des contributions les plus fortes, il est possible d’interpréter les relations entre des modalités appartenant à deux variables différentes (soit pays membre d’un côté, e t identités nationale et européenne de l’autre). On peut interpréter l’angle par rapport à l’origine, entre un point ligne et un point colonne à partir de quelques règles simples :

- Si l’angle entre les deux points est aigu (< 90°), les deux modalités de variables ligne et colonne s’attirent. On parlera alors de voisinage ou de concentration. Par exemple, l’angle

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entre les points « Italie » et « (Nationalité) et Européen » est très aigu. Ceci signifie que les Italiens ayant déclaré se sentir à la fois Italien et Européen sont nettement plus nombreux que la moyenne de l’ensemble des répondants à s’identifier en tant que « (Nationalité) et Européen » : il y a donc une sur-représentation de l’Italie par rapport à cette modalité.

- Au contraire, si l’angle est obtus (> 90°), les modalités se repoussent, comme c’est le cas entre l’Italie et la modalité « (Nationalité) ». Ceci signifie que les Italiens ayant déclaré se sentir « (Nationalité) » sont sous-représentés par rapport à la moyenne en ce qui concerne cette modalité.

- Enfin, si l’angle est droit comme c’est le cas par exemple entre les Pays-Bas et « (Européen) et Nationalité », les modalités n’interagissent pas.

L’analyse factorielle des correspondances permet une visualisation des données, et une mise en relief des relations entre variables. On comprend aussi qu’elle allie une approche quantitative et une approche qualitative : quantitative, car sa représentation spatiale s’appuie sur l’analyse statistique d’un tableau de contingences (ou d’un tableau logique), et qualitative, car l’interprétation des axes est laissée à l’initiative du chercheur. Références Benzécri Jean-Pierre, Histoire et préhistoire de l’analyse des données, Paris, Dunod, 1982. Cibois Philippe, L’analyse des données en sociologie, Paris, PUF, 1990 (1984). Fénelon Jean-Pierre, Qu’est-ce que l’analyse des données ?, Paris, Lefonen, 1981. Micheloud François, « L’analyse des correspondances », <http://www.micheloud.com/FXM/COR/index.htm>. Phillips Dianne, « Correspondence analysis », Social Research Update, n° 7, 1995, <http://www.soc.surrey.ac.uk/sru/>. Volle Michel, L’analyse des données, Paris, Economica, 1978.

262

Annexe II. – Questionnaire de l’enquête 1. Vous sentez-vous suffisamment informé(e) de ce qui se passe au Portugal... Oui,

tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non,

pas du tout Ne se prononce pas

a- Sur le plan politique 1 2 3 4 5 b- Sur le plan social 1 2 3 4 5 c- Sur le plan économique 1 2 3 4 5 d- Sur le plan culturel 1 2 3 4 5 e- Sur le plan sportif 1 2 3 4 5 2. Pour vous tenir informé(e) sur l'actualité portugaise, est-ce que vous... Oui, très souvent Oui, souvent Oui,

mais rarement Jamais

a- Lisez la presse portugaise distribuée en France

1 2 3 4

b- Ecoutez des émissions radio, diffusées à partir du Portugal

1 2 3 4

c- Ecoutez la radio de la communauté portugaise en France (précisez) ....................................................................

1 2 3 4

c- Regardez la télévision portugaise que l'on capte en France (RTPI)

1 2 3 4

3. Etes-vous satisfait(e) du rôle joué par... Oui,

tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non,

pas du tout Ne se prononce pas

a- La presse de la communauté portugaise en France

1 2 3 4 5

b- La radio de la communauté portugaise en France

1 2 3 4 5

c- La télévision portugaise que l'on capte en France (RTPI)

1 2 3 4 5

4. Assistez-vous à des manifestations relatives à la culture portugaise (que celles-ci soient organisées par la communauté portugaise, lui soient adressées, ou indépendamment de ce lien) ? Oui,

très souvent Oui, assez souvent

Non, pas souvent

Non, pas du tout

Ne se prononce pas

a- Cinéma 1 2 3 4 5 b- Concert 1 2 3 4 5 c- Théâtre 1 2 3 4 5 d- Expositions 1 2 3 4 5 e- Bals, fêtes associatives 1 2 3 4 5 f- Boîte de nuit 1 2 3 4 5 g- Autres (précisez) ............................................

1 2 3 4 5

5. Quelle opinion avez-vous... a- Des organismes officiels portugais en France ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… b- De la communauté portugaise résidant en France ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………

263

c- Des jeunes de la communauté portugaise résidant en France ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… d- Des Portugais résidant au Portugal ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 6.A. Vous sentez-vous.... Portugais(e) Français(e) Les deux à la fois Européen(ne), au-delà

de la nationalité Ne se prononce pas

1 2 3 4 5 6.B. Pourquoi ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 7. Autour de vous, trouvez-vous les Portugais solidaires entre eux ? Oui, tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non, pas du tout Ne se prononce pas 1 2 3 4 5 8.A. Avez-vous ressenti le fait d'être d'origine portugaise comme un handicap ? Oui,

très souvent Oui, assez souvent

Non, assez rarement

Non, jamais Ne se prononce pas

a- A l'école, au lycée 1 2 3 4 5 b- Au travail 1 2 3 4 5 c- Ailleurs (précisez) ....................................

1 2 3 4 5

8.B. A quelle occasion ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 9.A. Sur le plan individuel, votre origine portugaise est un avantage... Oui, tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non, pas du tout Ne se prononce pas 1 2 3 4 5 9.B. Pourquoi ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 10.A. Dans vos rapports avec les autres, vous pensez qu'il est mieux d'affirmer son origine portugaise... Oui, tout à fait Ca dépend des situations Non, pas du tout Ne se prononce pas 1 2 3 4 10.B. Pouvez-vous expliquer pourquoi ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………

264

11.A. Vos amis sont... Majoritairement Français

Majoritairement Portugais

Français et Portugais, dans les mêmes proportions

D'autres nationalités (précisez)

Ne se prononce pas

1 2 3 4 ..................... 5 11.B. Comment expliquez-vous cela ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 12. Fréquentez-vous vos amis... Très souvent Souvent De temps

en temps Rarement Ne se

prononce pas a- Français 1 2 3 4 5 b- Portugais 1 2 3 4 5 c- Autres nationalités (précisez) ..........................

1 2 3 4 5

13. Comment vous sentez-vous vis-à-vis des... Très proche Plutôt proche Indifférent(e) Distant Ne se

prononce pas a- Français 1 2 3 4 5 b- Portugais 1 2 3 4 5 c- Autres nationalités (précisez) ................................

1 2 3 4 5

d- Gens, indépendamment de leur nationalité

1 2 3 4 5

14. Si vous êtes venu(e) en France... Très bien Assez bien Assez mal Très mal Ne se

prononce pas a- Comment avez-vous vécu votre arrivée ? 1 2 3 4 5 b- Comment se sont passées vos plus récentes années en France ?

1 2 3 4 5

15. Si vous êtes membre d'une association, quel en est le type ? A- Associations portugaises - Folklorique : 1 - Sportive : 2 - Autre type d'activité culturelle (précisez) : 3

........................................................................... B- Autres associations (précisez) ....................................................................................... C- S'agit-il d'une association créée par des jeunes ? - Oui : 1 - Non : 2 D- Depuis combien de temps en êtes-vous membre ? - Moins d'1 an : 1 - De 2 à 3 ans : 3 - De 4 à 5 ans : 5 - De 1 à 2 ans : 2 - De 3 à 4 ans : 4 - Plus de 5 ans : 6 16. Assistez-vous à certaines activités associatives de la communauté portugaise ? Oui, très souvent Oui, assez souvent Non, pas souvent Non, pas du tout Ne se prononce pas 1 2 3 4 5 17. A votre avis, une association portugaise en France devrait développer... (Plusieurs réponses possibles, numérotez par ordre de préférence) a- L'apprentissage de la langue portugaise : _ b- L'aide à la recherche de stages et d'emplois en France : _ c- L'aide à la recherche de stages et d'emplois au Portugal : _ d- Les activités culturelles (concerts, expositions,...) : _ e- Autres (précisez) ............................................................................................................. : _

265

18. Quel doit être selon vous le rôle d'une association de jeunes luso-descendants en France ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 19.A. Avez-vous suivi des cours de langue portugaise ? - Oui : 1 - Non : 2 Si oui, veuillez répondre aux questions 19.B. et 19.C. : 19.B. Cours parallèle Cours intégré Autres (précisez) a- A l'école primaire 1 2 3 ............................ b- A l'école secondaire 1 2 3 ............................ c- Au lycée 1 2 3 ............................. d- A l'université - Oui : 1 - Non : 2 e- Autres (précisez) .......................................................................................................... 19.C. Était-ce imposé par vos parents ? a- A l'école primaire - Oui : 1 - Non : 2 b- A l'école secondaire - Oui : 1 - Non : 2 c- Au lycée - Oui : 1 - Non : 2 20. Quelle(s) langue(s) autre(s) que le français connaissez-vous ? Lu, écrit et parlé Lu et parlé Parlé Seulement

compris Aucune

a- Le portugais 1 2 3 4 5 b- L'anglais 1 2 3 4 5 c- Autres langues (précisez) ...............................................

1 2 3 4 5

21. Parlez-vous... Oui,

très souvent Oui, assezsouvent

Non, passouvent

Non, pas du tout

Ne se prononce pas

A. Le français... a- Avec votre père 1 2 3 4 5 b- Avec votre mère 1 2 3 4 5 c- Avec frères et soeurs 1 2 3 4 5 d- Avec vos amis lusophones en France

1 2 3 4 5

e- Avec vos amis au Portugal

1 2 3 4 5

B. Le portugais... a- Avec votre père 1 2 3 4 5 b- Avec votre mère 1 2 3 4 5 c- Avec frères et soeurs 1 2 3 4 5 d- Avec vos amis lusophones en France

1 2 3 4 5

e- Avec amis et famille au Portugal

1 2 3 4 5

22. Que représente pour vous la France ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 23. Que représente pour vous le Portugal ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………

266

24.A. A votre avis, le Portugal est un pays... Très moderne Plutôt moderne Plutôt arriéré Très arriéré Ne se prononce pas 1 2 3 4 5 24.B. Pourquoi ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 25. Combien de fois par an partez-vous en vacances au Portugal ? Une fois Deux Fois Trois fois Autres (précisez)

.................................. 1 2 3 4 26.A. Où passez-vous ces vacances le plus fréquemment ? (Plusieurs réponses possibles, numérotez par ordre de fréquence) - Dans la maison familiale, dans la région d'origine de l'un des parents au moins : _ - Habitation familiale, située en dehors de la (des) région(s) d'origine des parents : _ - En villégiature, à la mer, louée par vos parents : _ - Autres (précisez) ................................................................................................................... : _ 26.B. Que pensez-vous de ces vacances, comment les vivez-vous ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 27. Combien de fois par an passez-vous des vacances en France ? Une fois Deux Fois Trois fois Autres (précisez)

.................................. 1 2 3 4 28.A. Où passez-vous ces vacances le plus fréquemment ? (Plusieurs réponses possibles, numérotez par ordre de fréquence) - Dans votre domicile habituel : _ - En villégiature, louée (mer, montagne, campagne) : _ - Autres (précisez) ...................................................................................................................... : _ 28.B. Que pensez-vous de ces vacances, comment les vivez-vous ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 29. Choisissez-vous en priorité certains commerces ou services portugais ? (Plusieurs réponses possibles, numérotez par ordre de préférence) a- Librairies : _ b- Disquaires : _ c- Agences de voyages : _ d- Compagnies de transport aérien : _ e- Assurances : _ f- Auto-école : _ g- Taxis : _ h- Restaurants : _ i- Alimentation : _ j- Autres (précisez) ..................................................................................... : _ 30.A. Avez-vous un compte bancaire ou postal ? - Oui : 1 - Non : 2

267

30.B. Si oui, s'agit-il... a- D'une banque française : 1 b- D'une banque portugaise présente en France : 2 - Banque Franco Portugaise : A - Uniao de Bancos Portugueses : E - Caixa Geral de Depositos : B - Banco Borges & Irmao : F - Banco Pinto Sotto & Mayor : C - Banco Popular & Comercial : G - Banco Portugues do Atlantico : D - Autres (précisez) .................................... : H c- Autres (précisez) ................................................................................................................ : 3 d- Attendez-vous de votre banque des produits plus adaptés à vos besoins? - Oui : 1 - Non : 2 31. Projetez-vous... Oui, sûrement Oui, peut-être Non Ne sait pas Ne se

prononce pas a- De rester en France 1 2 3 4 5 b- D'aller vivre ailleurs : 1 2 3 4 5 b1- Au Portugal 1 2 3 4 5 b2- Autre (précisez) ............................................

1 2 3 4 5

32. Si vous décidez d'aller vivre au Portugal, où habiterez-vous ? - Commune d'origine de l'un de vos parents au moins, ou ville qui en est la plus proche : 1 - Grande ville portugaise, indépendamment de l'origine géographique de vos parents : 2 - Ailleurs (précisez) ................................................................................................................... : 3 33. Depuis combien de temps êtes-vous en France ? - Né en France : 1 - Entre 15 et 20 ans : 5 - Entre 0 et 5 ans : 2 - Entre 20 et 25 ans : 6 - Entre 5 et 10 ans : 3 - Entre 25 et 30 ans : 7 - Entre 10 et 15 ans : 4 - Plus de 30 ans : 8 34. Si vous n'êtes pas né(e) en France, comment y êtes-vous arrivé ? - Avec vos parents : 1 - Pour rejoindre votre père : 3 - Pour rejoindre votre mère : 2 - Pour rejoindre vos parents : 4 - Autres (précisez) ..................................................................................................................... : 5 35.A. Etes-vous déjà parti(e) vivre au Portugal, puis revenu vivre en France ? - Oui : 1 - Non : 2 35.B. Si oui, qu'est-ce qui a motivé votre retour en France ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 36. Quels sont vos projets d'études ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 37. Quels sont vos projets professionnels ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………

268

38. Quelle est votre année de naissance ? - Avant 1964 : 01 - 1969 : 07 - 1975 : 13 - 1964 : 02 - 1970 : 08 - 1976 : 14 - 1965 : 03 - 1971 : 09 - 1977 : 15 - 1966 : 04 - 1972 : 10 - 1978 : 16 - 1967 : 05 - 1973 : 11 - 1979 : 17 - 1968 : 06 - 1974 : 12 - Après 1979 : 18 39. Sexe - Masculin : 1 - Féminin : 2 40. Quel est votre rang de naissance ? - Aîné : 1 - Troisième : 3 - Second : 2 - Autres (précisez) .................................. . : 4 41. Situation actuelle - Collégien(ne) : 01 - Elève dans un lycée d'enseignement technique : 02 - Elève dans un lycée d'enseignement général : 03 - Etudiant(e) : 04 - A la recherche d'un premier emploi : 05 - Chômeur, ayant déjà travaillé : 06 - En apprentissage : 07 - Exerce un métier à temps complet : 08 - Exerce un métier à temps partiel : 09 - Autres (précisez) ............................................................................................. : 10 42. Situation familiale - Marié(e) : 1 - Divorcé(e) : 2 - Célibataire : 3 - En concubinage : 4 43.A. Avez-vous des enfants ? - Oui : 1 - Non : 2 43.B. Si oui, combien ? - Un : 1 - Deux : 2 - Trois : 3 - Plus de trois : 4 44. Diplôme(s) Fréquentation Diplôme

obtenu - Aucun diplôme déclaré 01 01 - Certificat de fin d'études primaires 02 02 - BEPC seul 03 03 - CAP, BEP seul 04 04 - CAP, BEP et BEPC 05 05 - Brevet professionnel, Brevet d'enseignement industriel 06 06 - Brevet d'enseignement commercial, Brevet d'enseignement agricole, Brevet de maîtrise 07 07 - Bac. de technicien (séries F, G, H) sans Bac. général, Brevet de technicien, Capacité en droit 08 08 - Bac. général seul, Brevet supérieur 09 09 - Bac. général et diplôme secondaire technique 10 10 - Paramédical ou social (santé et professions sociales), sans Bac. général 11 11 - Paramédical ou social, avec Bac. général 12 12 - Brevet de technicien supérieur (BTS), Diplôme universitaire de technologie (DUT) 13 13 - Premier cycle universitaire (DEUG, propédeutique),Certificat d'aptitude pédagogique 14 14 - Deuxième cycle (licence, maîtrise) 15 15 - Troisième cycle (doctorat, DESS, CAPES) 16 16 - Grande école, diplôme d'ingénieur 17 17 45. Nationalité - Française : 1 - Double nationalité (Franco-Portugaise) : 3 - Portugaise : 2 - Autres (précisez) .................................................. : 4

269

46. Vous êtes né(e) - En France : 1 Ville : .............................. Code postal : /_/_/_/_/_/ - Au Portugal : 2 Ville ou village : ....................... District : ................. - Autres (précisez) : 3 .................................................................................... 47. Avez-vous acquitté vos obligations militaires ? - Pas fait de service militaire : 1 - Au Portugal : 3 - En France : 2 - Autres (précisez) ..................................... : 4 48.A. Avez-vous une religion ? - Oui : 1 - Non : 2 48.B. Si oui : - a. Laquelle ? - Catholique : 1 - Autre (précisez) ....................................... : 3 - Protestante : 2 - Ne se prononce pas : 4 - b. Etes-vous... Pratiquant(e) régulier(e) Pratiquant(e) occasionnel(le) Non pratiquant(e) 1 2 3 49. Si vous vous mariez, ce sera... a- En France : A l'église A la mairie Au consulat portugais Ne se prononce pas 1 2 3 4 b- Au Portugal : A l'église A la mairie Au consulat français Ne se prononce pas 1 2 3 4 c- Justifiez votre choix ....................................................................................................……………………………………………………............ ........................................................................................................................………………………………………………… d- Le choix de votre futur(e) conjoint(e) : Un(e) Français(e) Un(e) Portugais(e) Autres (précisez) Peu importe la

nationalité Ne se prononce pas

1 2 3 ........................ 4 5 50.A. Si vous avez un jour des enfants, pensez-vous leur inculquer les mêmes principes d'éducation que ceux que vous avez reçus de vos parents ? Oui, tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non, pas du tout Ne se prononce pas 1 2 3 4 5 50.B. Pourquoi ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 50.C. Souhaiteriez-vous qu'ils apprennent la langue portugaise ? - Oui : 1 - Non : 2 - Ne se prononce pas : 3 50.D. Pourquoi ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 51. A votre avis... Oui,

tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non, pas du

tout Ne seprononce pas

a- La sexualité est très importante 1 2 3 4 5 b- Vous vivez bien votre sexualité 1 2 3 4 5 c- Vous savez quoi faire face au SIDA 1 2 3 4 5

270

52.A. Etes-vous inscrit(e) sur les listes électorales ? a- A la Mairie en France - Oui : 1 - Non : 2 b- Auprès du consulat portugais en France - Oui : 1 - Non : 2 52.B. Si non, avez-vous l'intention de vous inscrire ? - Oui : 1 - Non : 2 52.C. Pourquoi ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 53. Si vous êtes inscrit(e) sur les listes électorales... Avez-vous déjà participé à un scrutin électoral (vote) ? a- Concernant la France - Oui : 1 - Non : 2 b- Concernant le Portugal (vote par correspondance) - Oui : 1 - Non : 2 54. Avez-vous voté aux dernières élections européennes ... A- Pour élire les députés représentant la France : - N'étant pas inscrit sur les listes électorales, vous n'avez pas voté : 1 - Bien qu'inscrit sur les listes électorales, vous vous êtes abstenu : 2 - Vous avez voté : 3 B- Pour élire les députés représentant le Portugal (via le Consulat en France) : - N'étant pas inscrit sur les listes électorales, vous n'avez pas voté : 1 - Vous vous êtes inscrit à ce moment, et n'avez donc pas pu participer à ce scrutin : 2 - Bien qu'inscrit sur les listes électorales, vous vous êtes abstenu : 3 -Vous avez voté : 4 55. Comptez-vous voter prochainement ? Oui,

sûrement Oui, peut-être

Non Ne sait pas Ne se prononce pas

a- Au bureau de vote en France 1 2 3 4 5 b- Auprès du consulat portugais en France (votepar correspondance)

1 2 3 4 5

56.A. Etes-vous prêt(e) à vous engager personnellement pour : ou vous êtes déjà engagé(e) pour : (plusieurs réponses possibles) La lutte contre la pauvreté en France : 01 L'action politique : 07 La lutte contre l'exclusion : 02 L'action syndicale : 08 L'action humanitaire à l'étranger : 03 (précisez le pays : ..........................................)

La lutte contre la toxicomanie : 09

La lutte contre le racisme : 04 La lutte contre le SIDA : 10 La protection de l'environnement : 05 La défense et la promotion de la culture portugaise : 11 La construction de l'Europe : 06 Autres (précisez) ..................................................... : 12 Aucune de ces actions : 13 56.B. Etes-vous prêt(e) à en faire votre métier ? - Oui : 1 - Non : 2 57.A. Vous habitez... Propriétaire(s) Accédant à la propriété Locataire(s) a- Chez vos parents 1 2 3 b- Seul(e) 1 2 3 c- En couple marié 1 2 3 d- En couple non marié 1 2 3 e- Autres (précisez) ....................................................................................................................... 58.B. Ville et code postal de votre domicile actuel Ville : ________________________ Code postal : /_/_/_/_/_/

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58.C. Caractéristiques de votre logement Studio 1P 2P 3P 4P 5P Plus de 5P a- Maison individuelle 1 2 3 4 5 6 7 b- Appartement 1 2 3 4 5 6 7 59. Région d'origine de vos parents... A. France (précisez le département) : Père : /_/_/_/_/_/ Mère : /_/_/_/_/_/ B.1. Portugal (précisez le district) : Père Mère Père Mère Aveiro 01 01 Portalegre 11 11 Beja 02 02 Porto 12 12 Braga 03 03 Santarem 13 13 Bragança 04 04 Setubal 14 14 Castelo Branco 05 05 Viana do Castelo 15 15 Coimbra 06 06 Vila real 16 16 Evora 07 07 Viseu 17 17 Faro 08 08 Madeira 18 18 Leiria 09 09 Açores 19 19 Lisboa 10 10 Anciennes provinces d'outre-mer 20 20 B.2. Au Portugal, s'agit-il : Père Mère a- D'une ville 1 2 b- D'un village 1 2 C. Ailleurs (précisez) ................................................ ................................................. 60. Vos parents... Oui, sûrement Oui, peut-être Non Ne savent pas Ne se

prononce pas a- Projettent-ils de retourner vivre au Portugal ?

1 2 3 4 5

b- Sont-ils déjà rentrés vivre auPortugal ?

- Oui : 1 - Non : 2

c- Envoient-ils de l'argent au Portugal ?

- Oui : 1 - Non : 2

61. Si vous travaillez, aidez-vous vos parents financièrement ? - Oui : 1 - Non : 2 - Ne se prononce pas : 3 62. Quels sont les projets qui vous tiennent à cœur et que vous voudriez réaliser ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 63. Dans votre lien avec le Portugal, qu'est-ce qui vous différencie le plus par rapport à vos parents ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 64. Quels sont les événements qui vous ont le plus marqué récemment ? …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 65. Vos priorités dans la vie... …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………………………………………………

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66. Les valeurs et idéaux auxquels vous attachez le plus d'importance... …………………………………………………………………………………………………………………………………….…………………………………………………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………………………………………………… 67. Si vous exercez un métier à temps partiel ou à temps complet, quelle est votre situation professionnelle ? 1. Agriculteur exploitant 1 2. Artisan, commerçant et chef d'entreprise : 21. Artisan 21 22. Commerçant et assimilé 22 23. Chef d'entreprise de dix salariés ou plus 23 3. Cadres et professions intellectuelles supérieures : 31. Profession libérale 31 33. Cadre de la fonction publique 33 34. Professeur, profession scientifique 34 35. Professions information, arts et spectacles 35 37. Cadre administratif et commercial d'entreprise 37 38. Ingénieur, cadre technique d'entreprise 38 4. Professions intermédiaires : 42. Instituteur et assimilé 42 43. Profession intermédiaire santé et travail social 43 44. Clergé, religieux 44 45. Profession intermédiaire administrative de la fonction publique 45 46. Profession intermédiaire administrative et commerciale des entreprises 46 47. Technicien 47 48. Contremaître, agent de maîtrise 48 5. Employés : 52. Employé civil, agent de service de la fonction publique 52 53. Policier, militaire 53 54. Employé administratif d'entreprise 54 55. Employé de commerce 55 56. Personnel de services directs aux particuliers 56 6. Ouvrier : 62. Ouvrier qualifié de type industriel 62 63. Ouvrier qualifié de type artisanal 63 64. Chauffeur 64 65. Ouvrier qualifié manutention, magasinage, transports 65 67. Ouvrier non qualifié de type industriel 67 68. Ouvrier non qualifié de type artisanal 68 69. Ouvrier agricole 69 7. Retraités 8. Autres personnes sans activité professionnelle : 81. Chômeur n'ayant jamais travaillé 81 85. Sans activité professionnelle 85

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68. Quelle est la situation professionnelle de vos parents en France / Quelle était la situation professionnelle de vos parents au Portugal (ou de celui d'entre eux qui vient du Portugal) ? En France Au Portugal Père Mère Père Mère 1. Agriculteur exploitant : 11. Agriculteur sur petite exploitation 11 11 11 11 12. Agriculteur sur moyenne exploitation 12 12 12 12 13. Agriculteur sur grande exploitation 13 13 13 13 2. Artisan, commerçant et chef d'entreprise : 21. Artisan 21 21 21 21 22. Commerçant et assimilé 22 22 22 22 23. Chef d'entreprise de dix salariés ou plus 23 23 23 23 3. Cadres et professions intellectuelles supérieures : 31. Profession libérale 31 31 31 31 33. Cadre de la fonction publique 33 33 33 33 34. Professeur, profession scientifique 34 34 34 34 35. Professions information, arts et spectacles 35 35 35 35 37. Cadre administratif et commercial d'entreprise 37 37 37 37 38. Ingénieur, cadre technique d'entreprise 38 38 38 38 4. Professions intermédiaires : 42. Instituteur et assimilé 42 42 42 42 43. Profession intermédiaire santé et travail social 43 43 43 43 44. Clergé, religieux 44 44 44 44 45. Profession intermédiaire administrative de la fonction publique 45 45 45 45 46. Profession intermédiaire administrative et commerciale des entreprises 46 46 46 46 47. Technicien 47 47 47 47 48. Contremaître, agent de maîtrise 48 48 48 48 5. Employés : 52. Employé civil, agent de service de la fonction publique 52 52 52 52 53. Policier, militaire 53 53 53 53 54. Employé administratif d'entreprise 54 54 54 54 55. Employé de commerce 55 55 55 55 56. Personnel de services directs aux particuliers 56 56 56 56 6. Ouvrier : 62. Ouvrier qualifié de type industriel 62 62 62 62 63. Ouvrier qualifié de type artisanal 63 63 63 63 64. Chauffeur 64 64 64 64 65. Ouvrier qualifié manutention, magasinage, transports 65 65 65 65 67. Ouvrier non qualifié de type industriel 67 67 67 67 68. Ouvrier non qualifié de type artisanal 68 68 68 68 69. Ouvrier agricole 69 69 69 69 7. Retraités : 71. Ancien agriculteur exploitant 71 71 71 71 72. Ancien artisan, commerçant, chef d'entreprise 72 72 72 72 74. Ancien cadre 74 74 74 74 75. Ancienne profession intermédiaire 75 75 75 75 77. Ancien employé 77 77 77 77 78. Ancien ouvrier 78 78 78 78 8. Autres personnes sans activité professionnelle : 81. Chômeur n'ayant jamais travaillé 81 81 81 81 85. Sans activité professionnelle de moins de 60 ans (sauf retraité) 85 85 85 85 86. Sans activité professionnelle de 60 ans ou plus (sauf retraité) 86 86 86 86

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Table des matières Avant-propos……………………………………………………..9 Préface…………………………………………………………...13 Introduction……………………………………………………..15 Première partie : Identité nationale et identité européenne……………………...33

I. – Effets de la construction européenne sur les identités…….35

1. – Vers des identités multiples ? ........................................ 35 2. – Niveaux d’identification................................................ 43 3. – Le paradigme de l’institutionnalisation ......................... 47

II. – Evolution des identités en Europe (1992–2002)…………53

1. – Une décennie de construction européenne .................... 56 2. – Identité nationale, identité européenne.......................... 63

III. – Identités au Portugal et en France……………………….67

1. – Sentiments d’appartenance à l’Europe .......................... 69 2. – Emigration portugaise ................................................... 81 3. – Immigration en France ................................................ 104

IV. – Diversité et convergence………………………………117

1. – Nations et politiques d’immigration ............................ 118 2. – Identité et citoyenneté ................................................. 123 3. – Politiques de la nationalité........................................... 129 4. – L’injonction identitaire................................................ 132

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Seconde partie : Formes d’identification des lusodescendants………………..137

V. – Typologie des formes d’identification………………….139

1. – L’évolution des jeunes d’origine portugaise ............... 146 2. – Présentation de l’enquête et construction des types .... 155 3. – Identifications nationales, identifications multiples .... 160

VI. – Identifications nationales………………………………165

1. – Portugais...................................................................... 165 2. – Français ....................................................................... 168

VII. – Identifications multiples………………………………170

1. – Français et Portugais ................................................... 171 2. – Européen...................................................................... 176

VIII. – Dimensions interprétatives…………………………..181

1. – Représentations ........................................................... 185 2. – Origine portugaise, évolution en France ..................... 209

Conclusion……………………………………………………...231 Ouvrages cités………………………………………………….241 Sources Eurobaromètre……………………………………….254 Liste des tableaux……………………………………………...255 Annexes………………………………………………………...257

Annexe I. – Analyse factorielle des correspondances ........ 257 Annexe II. – Questionnaire de l’enquête ............................ 262

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IDENTITES MULTIPLES EN EUROPE ?

Le cas des lusodescendants en France Dans quelle mesure l’émergence des identités multiples en Europe permet-elle de rendre compte des formes d’identification des jeunes d’origine portugaise en France ? Pour répondre à cette question, l’auteur analyse les effets combinés de la construction européenne et des migrations sur les identités nationales en Europe, au cours de la décennie 1992–2002. Il se penche plus particulièrement sur les contextes français et portugais. La lecture qu’il propose des interactions entre identités nationale et européenne est éclairante à plus d’un titre. Elle s’avère très pertinente pour envisager la diversité des interprétations de l’origine portugaise dans le contexte de la vie en France de la part des lusodescendants. Elle permet également de poser la question d’un européanisme issu des migrations, et offre une perspective importante pour qui cherche à comprendre les enjeux identitaires que pose aujourd’hui la construction européenne. Sociologue, Jorge de La Barre mène actuellement une recherche post-doctorale sur les phénomènes de globalisation et de transnationalisation au sein des communautés lusophones.