Expériences mathématiques uniques et multiples. Actes du Colloque du GDM 2013.

132
______________________________ ACTES DU COLLOQUE DU GROUPE DE DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES DU QUEBEC Expériences mathématiques uniques et multiples Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Val-d’Or 5, 6 et 7 juin 2013 2013

Transcript of Expériences mathématiques uniques et multiples. Actes du Colloque du GDM 2013.

______________________________ ACTES DU COLLOQUE DU GROUPE DE DIDACTIQUE

DES MATHÉMATIQUES DU QUEBEC

 

Expériences mathématiques uniques et multiples

   

 

   

   

Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Val-d’Or 5, 6 et 7 juin 2013

2013

2

3

Table des matières INTRODUCTION AUX ACTES DE COLLOQUE GDM 2013 .................................................... 5  CONFÉRENCE D'OUVERTURE Expériences, Arrière-plans et connaissances : aspects épistémologiques, théoriques et praxéologiques ................................................................................................................................. 9 Bernard Sarrazy    COMMUNICATIONS Harmonisation des pratiques d'enseignement des mathématiques au cégep et à l'université : une entrée par la notion de situations signifiantes ................................................................................ 20 Adolphe Adihou, Isabelle Beaudoin, David Benoit, Hassane Squalli et Alain Bombardier  Une étude révélatrice d'un problème de la profession d'enseignant des mathématiques au secondaire en France ...................................................................................................................... 30 Nathalie Andwandter Cuellar  Une analyse de ce qui se dégage des échanges dans la triade de formation dans le cadre de la supervision en stage ....................................................................................................................... 41 Lily Bacon et Mireille Saboya  Entretiens didactiques sur la fraction auprès d'élèves en difficulté d'apprentissage ...................... 52 Jacinthe Giroux  Pratiques enseignantes en réponse aux erreurs des élèves. Cas de l'enseignement-apprentissage de la résolution d'une inéquation du premier degré à une variable ..................................................... 62 Stéphanie Goulet, Ridha Najar et Driss Boukhssimi  Portrait actuel des connaissances d'élèves de troisième année de l'ordre primaire sur la numération de position décimale au regard de celui des élèves issus de la génération de l'approche par objectifs .................................................................................................................. 71 Jeanne Koudogbo, Jacinthe Giroux et Sophie René de Cotret    

4

L'étude covariationnelle de la fonction comme moyen de favoriser le passage de la notion de fonction à celle de dérivée ............................................................................................................ 82 Valériane Passaro  Les difficultés d'apprentissage en mathématiques au primaire, quelle perspective privilégier? ... 93 Thomas Rajotte Un sujet multiple, de multiples sujets... et autant de milieux? ..................................................... 102 Sophie René de Cotret  Résolution de problèmes écrits au moment de l'introduction de l'algèbre : analyse de productions d'élèves du premier cycle du secondaire ...................................................................................... 112 Mireille Saboya, Victor Besançon, François Martin, Adolphe Adihou, Hassane Squalli et Mélanie Tremblay  Analyse d’une séquence didactique sur le nombre expérimentée auprès d’élèves du préscolaire ..................................................................................................... 123 Anik Ste-Marie, Jacinthe Giroux et Sophie René de Cotret

5

INTRODUCTION AUX ACTES DE COLLOQUE GDM 2013

En 2013, le colloque du Groupe de didactique des mathématiques du Québec (GDM) s’est tenu à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue à son campus de Val-d’Or du 5 au 7 juin. Le programme a été élaboré par le comité exécutif, composé de Lily Bacon, professeure à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Vincent Martin, doctorant à l’Université de Sherbrooke, Izabella Oliveira, professeure à l’Université Laval et Jérôme Proulx, professeur à l’Université du Québec à Montréal.

Localement, le colloque du GDM 2013 a été organisé par un comité composé de deux professeurs de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, Lily Bacon et Ridha Najar et, soutenus par trois étudiantes au baccalauréat, Nathalie Lapointe, Marie-Ève St-Georges et Fanny Thivierge. Le comité exécutif tient à remercier le Vice-rectorat à l’enseignement et à la recherche de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue pour son aide financière.

THÈME DU COLLOQUE – EXPÉRIENCES MATHÉMATIQUES UNIQUES ET MULTIPLES

C’est l’expérience mathématique et sa diversité que le colloque du GDM 2013 a choisi d’explorer.

Les travaux en histoire des mathématiques et en ethnomathématiques ont largement documenté la diversité des constructions mathématiques humaines, ainsi que la multiplicité des cultures mathématiques qui se sont constituées. Les mathématiques s’envisagent alors comme corps de connaissances, mais aussi comme expérience de pensée et de pratique. Cette perspective des mathématiques permet d’aller au-delà de leur universalité et de maintenir des points d’ancrage avec les expériences humaines et les pratiques culturelles variées : les mathématiques se vivent, se pensent, s’expérimentent, se pratiquent, se discutent, se racontent, etc., et ces expériences se font en divers lieux et contextes. Les mathématiques sont alors vues comme expériences uniques et multiples à la fois.

Envisagée dans le contexte scolaire, cette perspective présente l’intérêt de référer à une multiplicité des expériences mathématiques plutôt qu’à une vision normalisante de l’apprentissage mathématique. Il est alors possible de délaisser l’illusion d’un parcours régulier ou de la classe ordinaire à laquelle sont comparés des parcours marginaux, suivis par des publics spécifiques et dans des contextes particuliers.

Cette perspective nous amène à considérer les situations d’enseignement et d’apprentissages mathématiques par la lunette des expériences des acteurs – enseignants et apprenants - en regard de leur activité mathématique, de leur appropriation, de leur engagement, etc. Le projet d’enseignement-apprentissage de l’enseignant à propos d’un contenu mathématique donné se présente alors comme une véritable rencontre d’expériences mathématiques individuelles culturellement variées. Chaque acteur enseignant/apprenant s’y trouve avec son expérience mathématique unique, issue de sa vie sociale et scolaire, et y rencontre la multiplicité des expériences mathématiques vécues par les autres acteurs composant le groupe.

Ces rencontres croisées, ce mélange d’expériences, transforment nécessairement l’aventure collective et individuelle de l’enseignement, de l’apprentissage, du développement des connaissances et des pratiques mathématiques. La résultante de cette expérience partagée est sans contredit une situation d’une grande richesse. Cette lecture des situations d’enseignement-apprentissage s’attarde moins à catégoriser des publics ou contextes distincts qu’à analyser des dynamiques d’expériences diverses. Ainsi, l’apprentissage des mathématiques au préscolaire, en milieux difficiles, en milieux multiculturels, en adaptation scolaire, en contexte de douance, etc., peut être abordé comme autant de contextes où une constellation d’expériences entrent en relation et se conjuguent.

6

Le colloque du GDM 2013 a exploré cette perspective dans un contexte de recherche à partir des interrogations suivantes :

- Peut-on caractériser les expériences mathématiques offertes ou vécues au sein des différents contextes nommés plus haut? Comment peut-on décrire ces expériences mathématiques? Existe-t-il des points de convergence et de rupture entre ces différentes expériences mathématiques? - Au-delà d’une catégorisation administrative propre au contexte scolaire, que révèle la recherche en regard de ces expériences mathématiques uniques et multiples? Quels cadres conceptuels et quelles méthodologies existe-t-il pour décrire et comprendre de telles expériences mathématiques? La didactique des mathématiques a-t-elle des pistes de réflexions et d’actions à offrir pour aborder cette richesse et concevoir les projets de rencontre des expériences mathématiques? - Qu’en est-il de l’expérience mathématique vécue par les futurs enseignants? Est-ce que la formation des enseignants reflète cette diversité sur le plan des expériences mathématiques vécues par les élèves? Cette formation prépare-t-elle les enseignants à prendre en compte cette diversité?

LE DÉROULEMENT DU COLLOQUE Le colloque s’est déroulé sur une période de trois jours. Deux activités plénières, intercalées de présentations orales et par affiches, ont été organisées pour lancer et faire avancer les questions reliées au thème du colloque.

Le 5 juin en soirée, Bernard Sarrazy, professeur de l’Université Bordeaux Segalen, Bordeaux (France), a lancé le colloque en offrant la conférence plénière intitulée « Expériences, Arrière-plans et connaissances : aspects épistémologiques, théoriques et praxéologiqes. Cas de l’enseignement des mathématiques ».

Les 6 et 7 juin, plusieurs professeurs et étudiants œuvrant dans le champ de la didactique des mathématiques ont présenté des communications scientifiques. Nous avons eu droit à :

• 13 communications orales, présentées par :

o Nathalie Silvia Anwandter-Cuellar o Lily Bacon et Mireille Saboya o Jacinthe Giroux o Doris Jeannotte o Jeanne Koudogbo, Jacinthe Giroux et Sophie René de Cotret o Khôi Mai Huy, Laurent Theis et Claudine Mary o Vincent Martin o Valériane Passaro o Thomas Rajotte o Sophie René de Cotret o Hassane Squalli, Adolphe Adihou et David Benoit o Anik Ste-Marie et Jacinthe Giroux o Laurent Theis, Adolphe Adihou et Khôi Mai Huy

• 7 communications par affiches, présentées par :

o Adolphe Adihou, Mireille Saboya, Hassane Squalli, Mélanie Tremblay, Victor Besançon et François Martin

o Jean-Philippe Bélanger, Viktor Freiman et Lucie DeBlois o Geneviève Deschênes o Stéphanie Goulet et Ridha Najar o Jeanne Koudogbo, Laurent Theis et Marie-Pier Morin o François Lagacé o Sarah Mathieu-Souci

7

Enfin, le colloque a été clôturé par un débat intitulé « Expériences mathématiques uniques et multiples » ayant comme animateur Vincent Martin, doctorant à l’Université de Sherbrooke, et auquel ont participé trois professeurs et un doctorant, soit Richard Barwell de l’Université d’Ottawa, Ontario, Jacinthe Giroux de l’Université du Québec à Montréal, Québec, Viktor Freiman de l’Université de Moncton, Nouveau-Brunswick et David Benoit de l'Université de Sherbrooke, Québec. Les questions suivantes ont fait l’objet du débat :

o Peut-on caractériser les expériences mathématiques vécues par l’apprenant au sein de différents contextes ? Comment peut-on décrire ces expériences mathématiques? Existe-t-il des points de convergence et de rupture entre ces différentes expériences mathématiques? o La didactique des mathématiques a-t-elle des pistes de réflexions et d’actions à offrir pour aborder cette richesse et concevoir les projets de rencontre des expériences mathématiques?

LES ACTES DU COLLOQUE Les actes du colloque présentent la version texte de la conférence plénière et des communications réalisées au cours du colloque. Ceux-ci sont disponibles en format électronique sur le site web du GDM (https://sites.google.com/site/gdidmath/home).

LES REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier particulièrement Bernard Sarrazy pour nous avoir livré une conférence plénière intitulée « Expériences, Arrière-plans et connaissances : aspects épistémologiques, théoriques et praxéologiques. Cas de l’enseignement des mathématiques ».

Nous remercions également les professeurs, panélistes et animateur, qui ont pris part au débat ainsi que tous les présentateurs de communication et participants, pour avoir alimenté les discussions au cours du colloque.

Le comité exécutif du GDM

8

LES 32 PARTICIPANTS DU COLLOQUE

 

AYOTTE, Liette LAGACÉ, François

BACON, Lily MAI HUY, Khoi

BARWELL, Richard MARTIN, Vincent

BENOIT, David MATHIEU-SOUCI, Sarah

BESANÇON, Victor NADEAU, Déborah

BISSON, Caroline NAJAR, Ridha

BRACONNE-MICHOUX, Annette OLIVEIRA, Izabella

CHRÉTIEN, Lucette PASSARO, Valériane

DEBLOIS, Lucie RAJOTTE, Thomas

DESCHÊNES, Geneviève RENÉ DE COTRET, Sophie

FREIMAN, Viktor RHÉAUME, Stéphanie

GAUDET, Marylène SABOYA, Mireille

GIROUX, Jacinthe SARRAZY, Bernard

GOULET, Stéphanie SQUALLI, Hassane

JEANNOTTE, Doris STE-MARIE, Anik

KOUDOGBO, Jeanne THEIS, Laurent

9

Expériences, Arrière-plans et connaissances : aspects épistémologiques, théoriques et praxéologiques

Une approche anthropo-didactique de l’enseignement des mathématiques Bernard Sarrazy

LACES EA4140 Equipe « Anthropologie et diffusion des savoirs » Université de Bordeaux

     

RÉSUMÉ L’auteur se propose de clarifier la notion d’expérience dans ses rapports avec l’enseignement des mathématiques en la situant du double point de vue anthropologique et didactique. Il montera comment l’expérience scolaire est à considérer comme tout à la fois multiple eu égard à la multiplicité des Arrière-plans des élèves et, en même temps unique puisque l’enseignement vise l’incorporation de nouvelles connaissances dont l’usage ne supporte pas la variété. Ainsi, l’enseignement peut être envisagé comme l’organisation, la mise en scène… d’expériences à la fois prédéterminées par la culture et par les expériences sociales des élèves. La première partie développera quelques fondements épistémologiques et théoriques d’un cadre d’analyse se situant au croisement de l’anthropologie de l’usage de Ludwig Wittgenstein, de l’anthropologie de la pratique et de la théorie des situations didactiques en mathématiques (Guy Brousseau, 1998). La seconde partie présentera quelques éclairages sur l’expérience à partir de résultats de recherche anthropo-didactique.  

* * *  

On m'enseigne qu'en telles circonstances ceci se produit. On l'a découvert en faisant l'expérience à quelques reprises. Cela assurément ne nous prouverait rien si cette expérience n'était pas assortie d'un entourage d'autres expériences qui avec elles forment un système.

Ludwig  Wittgenstein,  Recherches  Philosophiques,  §  603      

   

INTRODUCTION Ce texte se propose de clarifier deux questions relativement simples : quelles propriétés devraient posséder les expériences scolaires destinées à apprendre aux élèves des mathématiques ? Quels rôles peuvent jouer leurs expériences non-scolaires dans la manière dont ils peuvent s’y inscrire ? Si leurs formulations sont simples, le défi qu’elles posent ne l’est pas car il recèle un certain nombre de paradoxes résistants que nous tenterons de dépasser par un modèle baptisé ‘anthropo-didactique’. Ce modèle situera l’expérience au croisement des points de vue anthropologique et didactique. Dans un second temps, sur la base des travaux de recherche menés principalement

10

dans notre équipe de recherche, nous montrerons en quoi ces formes d’organisation des expériences mathématiques peuvent justifier des différences non seulement dans les acquisitions des élèves mais aussi dans leurs manières de concevoir les mathématiques, et conséquemment de les pratiquer. Nous conclurons sur quelques perspectives ouvertes par ces développements.

1. QUELQUES ÉLÉMENTS POUR UNE PROBLÉMATISATION

1.1 L’expérience : quelques jalons définitoires Au sens large et premier, l’expérience renvoie à l’idée d’épreuve, d’essai ou de tentative (au sens de l’expérimentation) mais aussi à celle de l’expérience acquise par nos pratiques, par notre vécu (Robert Historique). Il est évident que le second sens inclut le premier et que c’est celui-ci que nous retiendrons dans un premier temps. Avant de proposer la définition que nous retiendrons pour traiter la question qui nous préoccupe, donnons quelques éclairages sur ce concept familier mais combien difficile à enfermer dans une définition ferme. Comme beaucoup de concepts familiers, il est difficile d’en tracer les frontières ; par exemple, « boire un café », « mâchonner son stylo », « se gratter la tête »… doivent-ils faire partie de la description de l’expérience que nous avons de l’écriture ? Quels éléments devrait-on fournir pour décrire au mieux : la manière de se présenter dans un restaurant, une joie amoureuse, la beauté d’une démonstration mathématique, une rage de dents… ? Selon les moments, les contextes, les interlocuteurs, les visées… la description de ces expériences prendra des formes multiples : songeons par exemple à la multi-dimensionnalité des analyses possibles d’une leçon de mathématiques (y compris lorsqu’il s’agit de la même leçon, de la même ingénierie – comme l’avait remarquablement montré Guy Brousseau à propos de l’impossible reproduction des situations). Ainsi l’expérience n’est réductible ni à l’activité (la réalisation à un instant donné d’une tâche donnée) ni à la pratique entendue comme un ensemble d’activités pas nécessairement homogènes et pouvant être orientées par une finalité (un sport par exemple). Pour les questions que nous souhaitons traiter ici, nous entendrons l’expérience comme le produit sédimenté et pérenne d’un ensemble d’activités et de pratiques socialement et historiquement structurées et sélectionnées – ainsi deux individus ayant pratiqué le hockey pendant le même nombre d’années, n’auront pas nécessairement la même expérience eu égard à leurs histoires singulières, à leur sensibilité axiologique, aux places qu’ils auront occupées, à ce qu’ils auront l’un et l’autre retenu, mémorisé... compte tenu d’un ensemble complexe de conditions d’Arrière-plan qui déterminera de manière non mécanique la façon dont cet ensemble de pratiques se structurera selon un mode que nous pourrions désigner comme un système organisé de représentations (de connaissances, de croyances…) non nécessairement conscientes ou explicitables – (les nombreux exemples que nous fournit la proxémique sont particulièrement patents ici pour illustrer la dimension inconsciente de ces systèmes d’attitudes). Ainsi définie, l’expérience gagne à être envisagée du double point de vue anthropologique et didactique : anthropologique dans la mesure où l’expérience a toujours partie liée avec l’histoire des sujets située dans un ensemble de possibilités « déjà-là » (la langue, l’école, la famille…), autrement dit, une culture au plein sens anthropologique du terme ; didactique aussi car l’expérience est toujours (plus ou moins) une occasion d’apprendre, dans la mesure où elle contribue à faire naître ou à transformer, à éprouver… les connaissances (c’est-à-dire les manières de penser, d’agir, d’apprécier…) des individus. L’expérience est donc tout à la fois multiple (eu égard à la multiformité et à la variabilité des histoires sociales des élèves, de leurs

11

Arrière-plans au plein sens de John Searle, 1998) et unique (plus particulièrement pour ce qui est des mathématiques eu égard à leur particulière universalité). Ainsi, l’enseignement peut être envisagé comme une sorte de matrice génératrice d’expériences tout à la fois prédéterminées (par la culture et par l’institution) afin que les élèves apprennent ce qu’ils ignorent ou savent mal, et multidéterminées par l’extraordinaire variabilité des expériences sociales (scolaires ou non) des élèves. Sous cet aspect, on comprend mieux l’intérêt de situer l’expérience dans ce cadre d’analyse au croisement de l’anthropologie de l’usage de Ludwig Wittgenstein, de l’anthropologie de la pratique de Pierre Bourdieu, et de la théorie des situations didactiques en mathématiques (Guy Brousseau, 1998).

1.2 Expérience et connaissances À la suite de Platon et de l’idéalisme, on a considéré que l’expérience ne jouait qu’un rôle mineur dans le développement des connaissances en regard des potentialités des sujets et de l’art de faire accoucher ce qui était déjà inscrit dans son esprit (la maïeutique, cf. Platon, « Le Ménon », 1993 ; Marchive, 2003). Cette conception didactique perdure encore aujourd’hui sous des formes nouvelles ; par exemple, dans le mythe moderne de l’élève créateur selon lequel le sujet pourrait trouver en lui-même les ressources et les leviers de son propre apprentissage, autrement dit de sa capacité à transformer sa conduite et à développer ses connaissances. Or, comme le pointait Piaget dans sa critique de l’innéisme : « Si [les assises de la logique et des mathématiques] étaient préformées, cela signifierait donc que le bébé à sa naissance possède déjà virtuellement tout ce que Galois, Cantor, Hilbert, Bourbaki ou MacLane ont pu actualiser depuis. Et comme le petit de l'homme est lui-même une résultante, c'est jusqu'aux protozoaires et aux virus qu'il faudrait remonter pour localiser le siège de l'«ensemble des possibles » » (Piaget, 1979, 56). L’argument est solide et la position innéiste est difficilement soutenable. Avec l’empirisme au contraire, l’expérience va prendre ses lettres de noblesse (Hume, 1983) : les connaissances en effet trouvent leurs origines dans les associations entre les idées, issues elles-mêmes des traces que le monde sensible a produites dans les esprits. L’idée fera florès dans l’enseignement, et particulièrement au 19e siècle (avec Maria Montessori notamment). Les mathématiques seraient dans le monde et il conviendrait de découvrir en quelque sorte cette harmonie cachée dans le monde sensible – c’est une idée que l’on trouve encore aujourd’hui dans certains travaux dans le domaine de l’ethnomathématique. C’est avec l’épistémologie génétique de Piaget (1975) que cette opposition classique entre idéalisme et empirisme va trouver son dépassement : l’expérience (prise au sens large de l’action d’un sujet sur un milieu) est nécessaire mais pas suffisante car l’expérience est aussi sous le joug des connaissances préalables du sujet. Piaget a en effet remarquablement montré comment les observables n’étaient pas « donnés » par la perception mais bien construits par les sujets par interactions successives avec les objets (abstractions simples) ou avec les opérations du sujet (abstractions réfléchissantes). Ainsi va-t-il renvoyer dos à dos empirisme et idéalisme et les dépasser en les intégrant dans un modèle où la connaissance est conçue comme le produit d’une interaction dynamique entre un sujet et un objet. Mais en soulignant le rôle de l’action, de l’erreur (des perturbations) et du problème (des déséquilibres), la théorie de l’équilibration renforça indirectement, et non négligemment, bon nombre de théories pédagogiques prônant le rôle de l’expérience et l’activité de l’élève. En effet, sous l’effet de diverses influences, le constructivisme

12

s’est radicalisé dans ses usages pédagogiques, et a contribué à naturaliser l’expérience mathématique (dans ce qu’elle a de spécifique) ; plus généralement, le placement de l’enseignement sous la tutelle des théories de l’apprentissage a conduit au masquage des conditions de l’expérience sur lesquelles les professeurs pouvaient pourtant effectivement agir. Car activité n’est pas pratique : tel fut d’ailleurs un des détonateurs de la théorie des situations initialement développée à l’encontre des propositions de Diénès. En effet, le constructivisme restait a quia pour rendre compte des conditions par lesquelles une situation pouvait constituer une expérience génératrice de perturbations (au plein sens de la théorie de l’équilibration), et dont l’intégration et le dépassement exigeaient des adaptations correspondant aux connaissances à enseigner. Les propriétés de telles situations ne peuvent ni être déduites seulement de l’élève (le sujet épistémique), ni seulement dans les manières d’enseigner (des styles pédagogiques en quelque sorte), ni encore dans le seul examen de la connaissance elle-même (ce qu’on appelle « l’analyse a priori » en théorie des situations), mais bien dans les conditions qui rendent possible la genèse des jeux complexes des rétroactions apparaissant dans le milieu comme une sorte de nervure mathématique. Ces rétroactions devant être tout à la fois suffisamment lisibles (‘assimilables’) par l’élève, mais aussi suffisamment informatives afin d’autoriser les régulations constructives coextensives des transformations des actions des élèves à l’égard du milieu, par lesquelles les élèves apprennent des mathématiques.

1.3 Des vertus poïétiques de l’expérience Si la connaissance peut être modélisée par une situation, alors comment peut-on envisager qu’une expérience nécessairement singulière puisse produire de la nouveauté au plan des connaissances mathématiques ? Tel a été l’un des paris théoriques de Guy Brousseau lorsqu’il développa la théorie des situations didactiques à la fin des années 60 : les situations possèdent, sous certaines conditions spécifiques, des propriétés poïétiques où la création (la nouveauté dans la conduite) de l’élève pouvait être contrôlée – silencieusement, implicitement et non mécaniquement. Autrement dit, l’expérience de l’élève peut être structurée de telle façon qu’il puisse apprendre ce qu’on ne peut lui enseigner directement. Explicitons un peu cette idée. Elle peut être formulée simplement : les mathématiques achevées sont des mathématiques mortes ; une grande partie du travail des professeurs consiste d’ailleurs à créer les conditions de leur ‘résurrection’ pour les élèves à travers, les problèmes, les situations… (tel est ce qu’on appelle la ‘transposition didactique interne’). Pour ce faire, ils créent des situations susceptibles de « montrer » aux élèves l’intérêt de ces connaissances : leurs usages, leurs utilités, leurs fonctions, l’économie qu’elles rendent possible… Mais les professeurs ne peuvent pas se substituer à leurs élèves pour les leur apprendre (tout comme on ne peut marcher, parler, dormir… ou souffrir à la place d’un enfant, même si bien sûr, on met tout en œuvre pour l’aider dans ces apprentissages : tel est le noyau dur du contrat didactique (Brousseau, 1998 ; Sarrazy, 1995). Ce contrat recèle un paradoxe fondamental : il ne peut être tenu que s’il est rompu, puisque l’apprentissage se manifestera lorsque l’élève se montera capable non de reproduire ce qu’on lui a dit ou montré, mais bien lorsqu’il produira une conduite nouvelle (car se manifestant dans une situation nouvelle) et conforme à ce qui lui aura été enseigné. En conséquence, l’élève ne peut apprendre que s’il accepte de ne plus être enseigné en s’engageant de lui-même dans une activité par laquelle il pourra apprendre ce que le professeur ne peut effectivement lui montrer (un usage et donc un sens). Mais cette rupture ne peut se réaliser que sous certaines conditions ; ainsi, dans cette perspective, « enseigner » consistera à créer les conditions du surgissement de cette re-production par l’élève, non au sens de la copie, de la répétition de ce que le professeur a dit ou montré, mais

13

bien au sens d’une production nouvelle dans une situation nouvelle. Cet espace de création a donc un prix pour le professeur : celui d’un possible surgissement de ce que J. Giroux (2008) appelle les « conduites atypiques »1. Tel est selon moi un des arguments principaux à l’encontre d’une lecture behavioriste de la théorie des situations didactiques. Donnons un exemple de ce type de situation qui permet de restaurer une véritable activité mathématique : chercher, conjecturer, confronter les convictions, convaincre, prouver… bref faire l’expérience de faire des mathématiques – un faire faire dirait Conne (1999).  Un  exemple  extrait  de  Guy  Brousseau  (1998)  Situation  d'étude  des  applications  linéaires  :  l’agrandissement  du  puzzle        

 

 Consigne      "Voici  des  puzzles.  Vous  allez  en  fabriquer  de  semblables,  plus   grands   que   les   modèles,   en   respectant   la   règle  suivante   :   le   segment   qui   mesure   4   centimètres   sur   le  modèle   devra   mesurer   7   centimètres   sur   votre  reproduction.   Je   donne   un   puzzle   par   équipe   de   5   ou   6,  mais   chaque   élève   fait   au  moins   une   pièce.   Lorsque   vous  aurez   fini,   vous   devez   pouvoir   reconstituer   les   mêmes  figures  qu'avec  le  modèle".      Déroulement      «  Après  une  brève  concertation  par  équipes,   les  élèves  se  séparent.  Le  maître  a  affiché  au  tableau  une  représentation  agrandie   des   puzzles   complets.   Presque   tous   les   enfants  pensent   qu'il   faut   ajouter   3   centimètres   à   toutes   les  dimensions.   Le   résultat   évidemment,   c'est   que   les  morceaux  ne  se  raccordent  pas.  »  

 Dans cette situation, on voit clairement comment les élèves peuvent apprendre par interaction avec la situation ; elle permet (entre autres choses) d’invalider le modèle prégnant de l’addition : si 4 → 7 (4+3) alors 5 → 8 (5+3). Si on s’était limité à fournir un puzzle à chaque élève pour illustrer l’usage de la proportionnalité, les élèves auraient-ils appris les mêmes mathématiques ? Certainement ! Les élèves auraient appris les mêmes fonctions mais avec la première situation, ils apprennent aussi quelque chose de plus : une manière de faire des mathématiques. Autrement dit, ce qui diffère entre ces deux situations ce n’est pas le savoir mathématique mais bien la nature même de l’expérience mathématique qu’ils auront ici vécue. La première permet de conserver la nature même de l’expérience mathématique (recherche, conjecture…), la seconde (basée sur l’ostension) montre le même savoir, mais ne permet pas à l’élève de faire l’expérience de cette manière de faire des mathématiques. On voit bien aussi à travers cet exemple non seulement le caractère indicible du contrat, mais aussi l’intérêt de rompre avec l’opposition classique entre les

                                                                                                               1 Elles ont comme caractéristiques : « 1. Caractère marginal ; 2. Non adaptée aux contraintes ; 3. Spécifique à l’enjeu de la situation mathématique », c’est d’ailleurs en cela qu’on peut les considérer comme relevant du domaine didactique. Elles ne sont pas assimilables à une « conduite inefficace ou déviante » ou « inadaptée au problème proposé », et comme le précise, J. Giroux, elles « témoignent du rôle de la dimension antagoniste du milieu [de la situation] » et « sont donc corollaires de l’appropriation d’un véritable enjeu de la situation. »

14

pédagogies dites « actives » et « classiques » qui constitue, me semble-t-il, l’une des impasses contemporaines des plus tenaces et contre-productives, car la connaissance des algorithmes ne détermine pas plus la connaissance de l’arithmétique que celle des règles du jeu d’échec ne détermine le « savoir jouer aux échecs ». L’idée est simple mais pas triviale. En conclusion de cette première partie, nous dirons que nous pouvons considérer l’éducation comme un processus générateur inconscient d’expériences (et de lectures d’expériences) qui façonnent les manières d’agir, de percevoir, de penser… (un habitus au plein sens bourdieusien du terme). L’enseignement, en tant qu’action intentionnelle de modifier ou de faire naître des connaissances chez des sujets, peut être conçu comme un générateur intentionnel d’expériences en vue d’économiser des expériences éducatives (au sens 1) – eu égard à leur caractère chronophage (songeons par exemple au compagnonnage) – et de transformer des inexpériences ou des expériences multiples en une expérience unique et unanime (i.e. des mêmes manières d’agir au-delà des différences interindividuelles). Ainsi, cette unanimité qui se donne à voir dans nos expériences multiples n’est pas première et ne doit pas être tenue comme responsable du fait que les hommes s’accordent sur des normes à l’aune desquelles ils évalueraient la conformité de leur action à la règle mais bien l’inverse : « On n’apprend pas à suivre une règle en apprenant d’abord l’usage du mot ‘accord’. On apprend plutôt la signification d’‘accord’ en apprenant à suivre une règle » (Wittgenstein, 1983, VI, § 39). Tel est, je crois, l’une des fonctions fondamentales de l’enseignement.

2. L’EXPÉRIENCE : TEMPS ET ARRIÈRE-PLANS Cette partie propose d’éclairer la question de l’expérience dans ses rapports à l’apprentissage sous deux focales différentes en lien avec des résultats de recherches conduites au sein de notre équipe « Anthropologie et diffusion des savoirs ».

2.1 Le temps de l’expérience Dans les discours classiques sur l’enseignement, il est courant d’entendre que plus de temps octroyé à l’enseignement permettrait d’optimiser les apprentissages ; beaucoup de professeurs se plaignent en effet de ne pas disposer de plus de temps pour enseigner. Qu’en est-il vraiment dans l’enseignement des mathématiques ? Peut-on dire que la quantité de temps alloué à l’expérience d’enseignement est corrélée à un apprentissage des mathématiques plus efficace ? Complémentairement, plus de temps permettrait-il à plus d’élèves de profiter de l’enseignement (dimension de l’équité) ? Telles sont les questions que M.-P. Chopin a abordées dans sa thèse (Chopin, 2007). Pour ce faire, elle soumet un pré-test à 8 classes de CM2 (9-10 ans) constitué de 20 problèmes de transformations du type :  

Alfred joue deux parties de billes. A la première partie il en gagne 3. A la seconde partie il en perd 5. Que s’est-il passé en tout ?

Puis elle négocie avec 4 professeurs, 2 leçons d’une heure afin d’accroître les performances des élèves (ces classes seront appelées CLAM) ; avec les 4 autres professeurs, elle négocie 4 leçons

15

d’une heure. Puis procède à un post-test et, 6 semaines après à un re-test afin de d’évaluer la pérennité des connaissances acquises. Ce protocole est résumé dans le schéma ci-après :    

 Comme nous pouvons le lire dans le graphique ci-après, les résultats sont pour le moins éloquents : on n’observe aucune différence significative entre les deux groupes tant au plan de l’efficacité de l’enseignement qu’au plan de l’équité ! Les CLAM auraient même tendance à obtenir de meilleurs scores que les CLAP !  Profils  de  progression  des  CLAM  et  des  CLAP  

   

ü Résultats obtenus par comparaison pré-test / post-test Progression moyenne des CLAM : 0,37 Progression moyenne des CLAP : 0,27

ü Maintien des connaissances 6 semaines après la dernière leçon (retest)

Les résultats obtenus par les CLAM sont supérieurs à ceux obtenus par les CLAP (U = 5335 ; p = .02)  Ainsi, plus de temps n’est associé ni à une plus grande efficacité, ni à une équité plus importante, ni à des acquisitions plus « consistantes » ou plus pérennes. Le temps didactique n’est pas corrélé mécaniquement au temps de l’horloge (Chopin, 2007) : l’épaisseur temporelle de l’expérience ne garantit donc pas l’accroissement des connaissances.

0,43

0,090,05

0,42

0,370,40

Bons Moyens Faibles

Scor

e de

pro

gres

sion

(moy

enne

des

Ip)

CLAMCLAP

F = 0,51p = .48

F = 0,02p = .89

F = 0,64p = .80

16

2.2 Les Arrière-plans de l’expérience scolaire La recherche dont il sera question ici (Sarrazy, 2002) a permis de montrer le rôle que jouaient les formes de structuration des expériences familiales dans la manière dont les élèves abordaient leurs expériences scolaires. Ces différences ont été définies en termes de sensibilité au contrat didactique ; donnons un exemple de ce que j’appelle ‘sensibilité au contrat didactique’ :  

 Un professeur de CM1 (élèves de 9-10 ans) avait enseigné un algorithme permettant de calculer rapidement la différence entre deux nombres :

 Quelques semaines plus tard, ce professeur propose une évaluation à ses élèves ; je lui suggère d’inclure l’item « c » :

Quel serait ton cheminement pour effectuer ces calculs ?         a)  875  -­‐  379  =  _______________       b)  964  -­‐  853  =  _______________       c)  999  -­‐  111  =  _______________  

Sur, 19 élèves 16 appliquent l’algorithme enseigné pour le 3ème exercice : 999  -­‐111  =  1008  -­‐  120  =  1088  -­‐  200  =  888  

Ces élèves ont ici manifesté une sensibilité au contrat didactique, ils ont été davantage sensibles aux attentes supposées de leur professeur qu’au « bon sens arithmétique » ; ces élèves auraient probablement calculé l’âge du capitaine (« Sur un bateau il y a 10 chèvres et 15 moutons. Quel est l’âge du capitaine ? »)… Bref un « élève sensible au contrat didactique » n’est pas nécessairement moins « bon » qu’un élève moins sensible mais présente moins de flexibilité dans l’usage de ces connaissances, surtout lors des situations présentant un caractère de nouveauté. Par exemple, il est beaucoup plus probable qu’un élève sensible calcule le temps que mettraient 3 escargots à monter un mur sachant qu’un seul escargot met 2 h pour escalader ce mur. Comment pouvions-nous expliquer ces différences, sachant qu’elles ne pouvaient se résumer à des différences d’acquisitions ou de niveaux ? Dans le prolongement des travaux de J. Lautrey (1984), nous avions distingué trois types de structuration de l’environnement familial selon le type dominant de relations entre les événements : 1) Faible : les relations sont aléatoires ; 2) Souple : elles sont modulées par d’autres événements plus périphériques ; 3) Rigide : les relations sont indépendantes entre elles. Puis nous avions soumis un certain nombre de problèmes d’arithmétique visant à évaluer la sensibilité au contrat didactique. Le protocole est complexe et ne peut être détaillé ici (il est consultable dans Sarrazy, 1996, 2002) ; il présentait des problèmes classiques auxquels avaient été ajoutés des problèmes atypiques tels ceux qui ont été déjà présentés ci-dessus. Que montrent les résultats ? Qu’Alain avait raison lorsqu’il écrivait dans L’Ecole libératrice que « Les enfants s’en vont à l’école chargés de l’ambition de leurs parents. Cela est plus lourd que leur sac. » (Propos II, 613, 2 février 1935). Quelque que soit le niveau initial en mathématique, les élèves soumis à un style d’éducation familiale rigide sont plus sensibles que les élèves des

328 - 47

281 281 - 100

381

281

331 - 50

+ 3

+ 3

+ 50

+ 50

17

deux autres styles. Les univers d’expériences des élèves sont déterminants dans leur manière de se ‘mettre en règle’ : l’expérience scolaire est donc sous le joug de l’expérience éducative familiale, ou plus largement de leurs expériences sociales : les élèves connaissent les mêmes mathématiques (savoirs – dimension de l’unicité de la culture mathématique) mais en font des usages différents (répétition / création d’usages nouveaux, dimension multiple attachée à la multiformité de leurs expériences sociales et culturelles). Toutefois, comme l’a bien montré C. Roiné (2009), si les expériences sociales des élèves sont différentes, il est fortement contreproductif de concevoir des expériences scolaires différenciées et spécifiques à ces élèves pour permettre aux enfants les plus en difficulté d’apprendre des mathématiques. Ces expériences devraient être déterminées par la culture spécifique de ce qu’ils doivent apprendre (ici les mathématiques) et non en fonction de leurs caractéristiques sociales, culturelles ou psychologiques.

3. DISCUSSION L’Homme est pétri par un ensemble grouillant et épais d’expériences multiples car toutes ces expériences prises une à une sont fondamentalement uniques et non reproductibles (la 2e expérience est toujours nécessairement vécue sur l’arrière-plan de la première, et donc n’est jamais tout à fait la même). L’unicité de l’expérience est donc une fiction ; une fiction nécessaire, une construction théorique (ou idéologique) d’après-coup qui les relie et qui permet de les désigner afin de les transmettre. Cette fiction collective n’est rien d’autre que le savoir ; de ce point de vue, il serait une fiction qui permettrait de capitaliser par mémorisation nos expériences labiles, multiples (dont on pense qu’elles ont une valeur, morale, esthétique, intellectuelle…) en vue de les transmettre. L’expérience est hologrammatique au plein sens d’E. Morin : « L'hologramme démontre donc la réalité physique d'un type étonnant d'organisation, où le tout est dans la partie qui est dans le tout, et où la partie pourrait être plus ou moins apte à régénérer le tout. » (Morin, 2005). Elle contient l’unique et le multiple car comme nous l’avons marqué à travers la citation introductive de Wittgenstein, elle est toujours prise dans un système organisé d’expériences, c’est-à-dire dans une culture. Ainsi, l’expérience est le lieu de l’assimilation, de l’incorporation de la culture (une intériorisation de l’extériorité, dirait Bourdieu, 1972 – du monde vers le sujet) mais aussi le lieu de notre identité (une extériorisation de l’intériorité, id. – du monde vers le sujet). Nos expériences sont donc tout à la fois uniques et multiples car nous sommes, nous les humains, condamnés à vivre avec les Autres sans lesquels nous ne serions pas. C’est ainsi, je crois, que nous devrions comprendre cette belle déclaration de Ludwig Wittgenstein : « Les mathématiques sont un phénomène anthropologique. » Dans une perspective d’amélioration de l’enseignement des mathématiques, nous avancerons prudemment quelques vœux :

• La formation professionnelle devrait permettre aux professeurs de mieux distinguer tout en les articulant : (1) l’unique : la mission didactique qui est la leur (le professeur prépare sa classe) et (2) le multiple : la manière dont ils le font (dimension pédagogique : il fait la classe à ses élèves) ;

• Développer la culture didactique des professeurs en vue de mieux cerner les enjeux didactiques (uniques) attachés aux expériences qu’ils organisent ; de développer une « visibilité didactique » (Chopin, 2007) afin de mieux concevoir les expériences

18

permettant tout à la fois de révéler les domaines de difficultés des élèves et de les réguler (le multiple) ;

• De sensibiliser les professeurs à une sorte d’épistémologique de l’expérience, afin de mieux clarifier le statut épistémologique des modèles enseignés en formation. Car la description ne dit rien sur les conditions de production des phénomènes didactiques attendus : la logique de l’expérience n’est pas l’expérience de la logique (paraphrase de Bourdieu).

Si la reconnaissance de la théorie des situations didactiques dans la communauté scientifique est importante2, sa diffusion et son usage dans la formation des professeurs restent fort limités – comme l’a montré une étude d’A. Marchive (2007). Doit-on le regretter ? Certainement, car la formation des professeurs apparaît comme un levier important pour permettre aux professeurs de sortir de ce débat mal engagé entre une tête bien faite et une tête bien pleine, entre académisme et pédagogisme. Croire à la créativité de l’élève est fondamentale pour les professeurs, mais cette croyance humaniste les laisse souvent démunis lorsqu’il s’agit de réunir les conditions de la re-création d’une expérience mathématique. De façon symétrique, l’académisme évacue cette dimension expérientielle au profit des objets qu’elle a produits ; mais comment peut-on dès lors imaginer que les élèves et plus tard les citoyens puissent continuer de produire du nouveau, s’ils n’ont jamais eu l’occasion d’en vivre intiment l’expérience ? Telle est la noble mission des professeurs : organiser les conditions de possibilité d’une expérience collective (qui, on l’a vu, ne peut être que collective car on n’a jamais raison tout seul), pour permettre aux élèves, dans leur multiplicité, de créer singulièrement mais unanimement des usages des mathématiques.

BIBLIOGRAPHIE Bourdieu P. (1972). Esquisse d’une théorie de la pratique, Genève : Droz. Brousseau G. (1998). Théorie des situations didactiques, La pensée sauvage.

Chopin M.-P. (2007). Le temps didactique dans l’enseignement des mathématiques. Approche des phénomènes de régulation des hétérogénéités didactiques. Thèse de doctorat de l’université Victor Segalen Bordeaux 2. 337 p. Conne F. (1999). Faire des maths, faire faire des maths, regarder ce que ça donne. In G. Lemoyne, F. Conne (dir.). Le cognitif en didactique des mathématiques. (p. 31-69). Presses de l’Université de Montréal. Giroux J. (2008). Conduites atypiques d’élèves du primaire en difficulté d’apprentissage. Recherches en didactique des mathématiques. Vol. 28/1. p. 9-62. Hume (1983). Enquête sur l’entendement humain, Paris : Flammarion, 252 p., coll. GF. Marchive A. (2002), " Maïeutique et didactique. L’exemple du Ménon ", Penser l’éducation, n° 12, pp. 73-92 Marchive A. (2008). La pédagogie à l’épreuve de la didactique : approche historique, recherches empiriques et perspectives théoriques, Presses universitaires de Rennes, 152 p.                                                                                                                2  G. Brousseau est le premier récipiendaire de la médaille Félix Klein ; décernée par la commission internationale

pour l'enseignement des mathématiques, elle lui a été remise lors du Congrès international pour l'enseignement des mathématiques à Copenhague en juillet 2004.

19

Morin E. (2005). Introduction à la pensée complexe. Paris : ESF. 158 p. Piaget J. (1975). L’équilibration des structures cognitives : problème central du développement, Paris : PUF, 188 p. Piaget J. (1979). « La psychogenèse des connaissances et sa signification épistémologique » in Massimo Piatelli-Palmarini(ed), (1979). – Théories du langage, théories de l’apprentissage : Le débat entre Piaget et Chomsky. Paris : Seuil. 53-64. Platon (1993). Ménon [trad. M. Canto-Sperber], 2° éd. mise à jour. - Paris : GF-Flammarion. Roiné (2009). Effets de cécité didactique des discours noosphériens dans les pratiques d’enseignement en S.E.G.P.A. Une contribution à la question des inégalités. Thèse de doctorat de l’université Victor Segalen Bordeaux 2. Sarrazy B. (1996). La sensibilité au contrat didactique : Rôle des Arrière-plans dans la résolution de problèmes d’arithmétique au cycle trois, Thèse pour le doctorat de l’Université de Bordeaux 2 – Mention Sciences de l’Education. 775 p. Sarrazy B. (1995). Le contrat didactique. [Note de synthèse]. Revue Française de Pédagogie. 112. 85-118. Sarrazy B. (2002). Approche anthropo-didactique des phénomènes d’enseignement des mathématiques : Contribution à l’étude des inégalités scolaires à l’école élémentaire. Note de synthèse pour l’habilitation à diriger des recherches de l’université Bordeaux Segalen. Searle J.R., La construction de la réalité sociale, [Traduit de l’anglais par C. Tiercelin], Paris : Gallimard, 1998, 320 p., coll. NRF Essais. Wittgenstein L. (1961). – Tractatus logico-philosophicus (Suivi des Investigations philosophiques). Paris : Gallimard, 364 p. Wittgenstein L. (1983). – Remarques sur les fondements des mathématiques, Paris : Gallimard, 351 p.

20

Harmonisation des pratiques d'enseignement des mathématiques au cégep et à l'université : une entrée par la notion de situations signifiantes

Adolphe Adihou, Isabelle Beaudoin, David Benoit et Hassane Squalli Université de Sherbrooke

Alain Bombardier Cégep de Sherbrooke

RÉSUMÉ Ce travail s’inscrit dans un projet de collaboration cégep-université (programme du MELS connu sous le nom de Chantier 3) visant à assurer un meilleur arrimage des dispositifs de formation mathématique au cégep et à l’université. Lors de cette première année du projet, une équipe formée de 3 didacticiens des mathématiques de l’université de Sherbrooke, 6 enseignants de mathématiques du cégep de Sherbrooke et un enseignant de mathématiques de l’université de Sherbrooke a choisi, d’aborder la question de l’harmonisation des pratiques de formation sous l’angle de la notion de situations signifiantes. Dans ce texte, nous présentons quelques résultats des travaux ayant mené à l’émergence d’une communauté de pratique ainsi que quelques productions de cette communauté.

1. ÉLÉMENTS DE PROBLÉMATIQUE L’enseignement des mathématiques aux niveaux collégial et universitaire fait face aujourd’hui à différents défis : l’arrivée d’étudiants du secondaire ayant suivi leur cursus primaire et secondaire dans le nouveau programme de formation de l’école québécoise; l’enseignement des mathématiques au cégep et à l’université doit prendre en compte l’évolution tant des programmes que des pratiques pédagogiques à l’école secondaire; l’enseignement doit aussi prendre en compte l’évolution technologique fulgurante dans la société alors que les TIC ne pénètrent que timidement l’enseignement. Les enseignants doivent trouver des moyens pour amener les jeunes à saisir la place et l’importance qu’ont les mathématiques dans la réflexion scientifique et dans le développement de nouvelles technologies ainsi que d’augmenter leur intérêt vers des programmes nécessitant une formation mathématique. En outre, le cégep marque une étape importante dans le parcours scolaire des élèves qui désirent poursuivre leurs études à l’université. Durant leur court passage au cégep, ces étudiants vivent une double transition : celle du secondaire au cégep et celle du cégep à l’université. Ces transitions s’accompagnent d’un changement d’institution d’enseignement des mathématiques (Squalli, 2012). Chacune de ces institutions a sa propre culture véhiculant des normes, des valeurs, des pratiques sociales de références spécifiques, des manières de voir, de dire et de faire l'enseignement des mathématiques et tente de formater l’étudiant à ses propres formes culturelles. Cela pose le problème de l’arrimage des cultures de formation mathématique dans ces trois niveaux instituions. Dans ce projet, ce problème est abordé selon l’angle de l’arrimage des pratiques d’enseignement des mathématiques chez les formateurs de ces différentes institutions. Par ailleurs, le problème de la transition entre les mathématiques du secondaire et celles du postsecondaire était à l’ordre du jour d’un groupe de travail du colloque Espace Mathématique Francophone 2006 regroupant des enseignants et des didacticiens de mathématiques de plusieurs

21

pays de la francophonie. Ce groupe note dans son rapport les éléments suivants (Bloch, Kientega et Tanguay, 2006) :

- un constat général de difficultés des étudiants avec le formalisme; - l’impuissance de l’institution et des enseignants à donner aux étudiants les outils pour

surmonter ces difficultés; - la nécessité de prévoir, au secondaire, des situations qui développent la rationalité

mathématique et vont donc être préparatoires au raisonnement dans des registres plus formels, bien que ce formalisme ne fasse pas l'objet du travail spécifique au secondaire.

De l'ensemble des discussions s'est dégagé un consensus à l'effet que : - l’écriture formelle n’est pas en elle-même porteuse de la signification des lois qu’elle

énonce et des objets qu'elle met en jeu; - les connaissances logico-déductives doivent être mises en œuvre en articulation avec la

construction des concepts mathématiques sur lesquels elles permettent d’opérer; - l’enseignement collégial et supérieur doit remettre en question la disqualification

systématique d’une construction des concepts qui ne soit pas totalement contrôlée par le formel, et doit notamment accepter le recours à l’heuristique et à l’empirisme. 3

Comme le souligne le Conseil de la science et de la technologie (CST, 2004), une des conditions du succès de l’enseignement des matières scientifiques, dont les mathématiques, est le recours par les enseignants à des démarches et des approches « fondées sur la pédagogie de la découverte et de la production, ayant davantage recours à l’expérimentation et utilisant des situations d’apprentissage contextualisées » (CST, 2004, p. 68). Le recours à ces approches, en plus de favoriser la construction du sens, constituerait un moyen de différenciation pédagogique. Ces approches rejoignent aussi les attentes du ministère de l’Éducation.

2. OBJECTIFS Dans ce projet, nous partons du postulat que le recours à ce type d’approches dans l’enseignement des mathématiques au secondaire, au collégial et à l’université, qui tiennent compte des difficultés de transition identifiées par la recherche, non seulement favoriserait l’apprentissage des mathématiques dans chacun de ces ordres d’enseignement, mais aussi faciliterait la transition des élèves et des étudiants entre les institutions d’enseignement. À long terme, cette harmonisation des pratiques de formation et la prise en compte des difficultés de transition amélioreraient la réussite et l’attrait des étudiants à des programmes nécessitant une bonne formation en mathématique. Nous retenons alors les objectifs suivants :

1. Construire une communauté de pratique formée d’enseignants de mathématiques du Cégep de Sherbrooke et de l’Université de Sherbrooke et d’enseignants de didactique des mathématiques, visant un meilleur arrimage entre la formation mathématique au cégep et à l’université.

                                                                                                               3 Autrement dit, dans l’introduction de concepts, privilégier une entrée par les significations et non exclusivement par les formalisations, un concept ne se réduit pas à sa définition formelle

22

2. Concevoir et mettre à l’épreuve des approches d’enseignement des mathématiques dont il a été question précédemment.

3. Produire des ressources pédagogiques en vue de leur mutualisation

3. CLARIFICATIONS CONCEPTUELLES

Dans ce qui suit, nous rappelons les caractéristiques essentielles d’une communauté de pratique. Selon Wenger (1998), une communauté de pratique est un groupe de professionnels dont les membres s’engagent régulièrement dans des activités de partage de connaissances et d’apprentissage à partir d’intérêts communs. Dans notre projet, ce groupe est formé d’enseignants de mathématiques du cégep et de l’université ainsi que des didacticiens de mathématiques. Ces enseignants vont interagir, s’influencer mutuellement pour construire une compréhension commune d’une problématique en lien avec la formation mathématique et le problème des transitions. Ils devront participer de manière active à des prises de décisions collectives avec la définition d’objectifs communs. Une autre caractéristique d’une communauté de pratique est l’entreprise commune. Elle est le résultat d’un processus collectif permanent de négociation qui reflète la complexité de la dynamique de l’engagement mutuel. La négociation des actions communes crée des relations de responsabilité mutuelle entre les personnes impliquées. En effet, l’appartenance à une communauté de pratique est le résultat d’un engagement des individus dans des actions négociées les uns avec les autres. Cet engagement mutuel est basé sur la complémentarité des compétences et sur la capacité des individus à communiquer efficacement leurs connaissances avec celles des autres. Il suppose aussi un rapport d’entraide entre les participants, nécessaire au partage de connaissances sur la pratique. Enfin, la création d’un répertoire partagé est une autre caractéristique essentielle d’une communauté de pratique. Au fil du temps, la communauté crée des ressources qui forment le répertoire partagé. Elle a un capital initial qu’il convient de gérer pour élaborer progressivement une connaissance communautaire. Cette connaissance ne se réduit pas à la juxtaposition des connaissances individuelles; il y a mutualisation, innovation et production de nouvelles connaissances en utilisant les savoirs et compétences de chacun.

4. MÉTHODOLOGIE SUIVIE POUR LA CONSTRUCTION D’UNE COMMUNAUTÉ DE PRATIQUE

La méthodologie préconisée pour la constitution de la communauté de pratique mixte cégep-université est fondée sur la démarche utilisée dans plusieurs recherches collaboratives entre des chercheurs de l’université de Sherbrooke et des commissions scolaires partenaires (Squalli, Mary, et Morin; 2010-2012; Mary, Squalli et Theis; 2010-2012). Cette démarche favorise l’analyse réflexive par les enseignants de leur pratique d’enseignement. Elle s’appuie sur une interaction féconde entre des moments de co-formation, des moments de mise en pratique et des moments de retour réflexif sur ces mises en pratiques. Le travail de la communauté de pratique durant l’année 2102-2013 s’est déroulée selon plusieurs phases : 1) Identification d’une problématique cruciale au sein de la communauté de pratique en lien avec les transitions entre les institutions d’enseignement et les pratiques d’enseignement pouvant favoriser la formation mathématique des étudiants; 2) Co-formation pour la construction d’une compréhension commune de la problématique et l’identification de principes didactiques

23

qui permettront de guider la planification des situations d’apprentissage (SA); 3) Conception de SA opérationnalisant ces principes didactiques; 4) Expérimentation des SA en classe; 5) Retour réflexif sur ces expérimentations; 6) Production d'un document rendant compte des situations planifiées et expérimentées, du rôle des enseignants et des réflexions issues du travail de collaboration. Dns ce qui suit, nous présentons quelques résultats de ces activités ayant permis la genèse de cette communauté de pratique.

5. GENÈSE DE LA COMMUNAUTÉ DE PRATIQUE

Identification d’une problématique cruciale et d’une compréhension commune Après deux rencontres de discussion sur la problématique de la formation mathématique au collégial et à l’université, les membres participants au projet ont décidé d’étudier cette problématique sous l’angle de la notion de situations signifiantes. Pour construire une compréhension commune une démarche en deux temps a été suivie. Dans un premier temps, chacun des participants a identifié dans son expérience une situation d’enseignement qu’il considère comme signifiante et a explicité, selon son point de vue, ce qui rend cette situation signifiante. Dans un deuxième temps, les didacticiens ont présenté au groupe une analyse de la documentation scientifique et professionnelle. Voici quelques idées retenues.

5.1.1 La notion de situation signifiante dans le PFÉQ

Dans le renouveau pédagogique (RP), « Une situation est dite signifiante lorsqu’elle touche l’élève dans ses préoccupations, pique sa curiosité et l’invite à la réflexion » (Gouvernement du Québec, 2009). (p.14). Cette caractérisation de la signifiance d’une situation met en avant surtout la dimension affective: motiver l’élève à engager sa réflexion. Rappelons que le renouveau pédagogique insiste sur la contextualisation des apprentissages, particulièrement en utilisant des contextes ancrés dans les domaines généraux de formation. Selon le RP ces contextes peuvent inspirer des situations signifiantes. Hormis quelques citations, la notion de situation signifiante est de situation complexe viennent presque toujours ensemble. Ainsi on peut lire: « Une situation à la fois signifiante et complexe encourage donc l’élève à être actif, à mobiliser son bagage expérientiel et à l’enrichir par de nouveaux savoirs mathématiques » (p. 14). Les caractéristiques d’une situation complexe et signifiante peuvent être dégagées de la citation suivante:

[…] chacune des trois séquences fait appel à des situations d’apprentissage contextualisées, complexes et signifiantes:

- qui tiennent compte des objectifs de formation propres à la séquence, s’inspirent des domaines généraux de formation et permettent de développer une ou des compétences;

- qui sont axées sur les buts de l’activité mathématique: interpréter la réalité, anticiper, généraliser et prendre des décisions;

- qui renvoient à des situations plus ou moins familières, réelles ou fictives, réalistes ou fantaisistes, ou encore purement mathématiques (p.48).

24

Comme exemples de telles situations, le RP suggère les situations faisant appel à la modélisation et à l’optimisation car elles amèneraient l’élève à utiliser ses savoirs dans des contextes signifiants.

5.1.2 Quelques éclairages de la documentation scientifique

La signification du point de vue des pratiques mathématiques de la société

Vues comme pratique humaine, les mathématiques sont pratiquées dans la société par différents types d’acteurs et pour différents types de finalités. Une activité mathématique peut être signifiante au sens de la pratique mathématicienne: exemple: une activité qui permet de vivre la démarche du mathématicien: formulation d’un problème, construction d’une conjecture, vérification de la solidité de la conjecture, recherche de contre-exemple, construction d’une démonstration, vérification de la validité d’une démonstration, construction d’une définition, etc. D’autres acteurs de la société sont des utilisateurs professionnels des mathématiques, comme les ingénieurs, les physiciens, les démographes, les économistes, enseignants de mathématiques, etc. Ils ont des pratiques mathématiques tournées vers l’utilisation des mathématiques pour résoudre des problèmes ou comprendre des phénomènes de leur domaine. Ces activités sont alors signifiantes en regard de leurs pratiques.

La signifiance est une caractéristique émergente chez le sujet et non une propriété intrinsèque de la situation

À l’instar d’autres auteurs, Bednarz, et Larochelle (1994) rappellent que la signification d’une situation n’est pas donnée, elle est une caractéristique émergente chez le sujet. Les significations se construisent, elles ne se transmettent pas. Ceci a des conséquences pour l’enseignement: l’enseignant doit faire émerger la signification d’une situation chez ses élèves, bien que celle-ci peut apparaître allant de soi! La négociation des significations en classe est un enjeu majeur en enseignement

Des significations personnelles aux significations institutionnelles

Selon Cobb, Perlwitz et Unserwood (1994), l'enseignant doit permettre l'émergence « d'entités mathématiquement signifiantes » qui s'articulent sur les propres efforts de construction des élèves au cours des interactions sociales en classe. Ils précisent qu'il est essentiel que l'activité initiale informelle des élèves constitue une base à partir de laquelle ils pourront se livrer ensuite à une abstraction réflexive et ainsi effectuer une transition vers une activité mathématique plus formelle, personnellement signifiante. Dans ce sens, Adihou (2011) suggère de proposer aux élèves des situations facilitant l'accès au sens et permettant simultanément de confronter ce sens à des traitements syntaxiques et sémantiques des différents registres de représentation.

L’écriture formelle n’est pas porteuse en elle-même de significations Le sens d’un concept ne se dégage pas de sa définition, celui d’une formule ou d’une expression ne se dégage pas de son écriture formelle. Dans la théorie des champs conceptuels de Vergnaud (1990), le concept est formé, entre autres, de l’ensemble des situations ou des tâches qui lui donnent du sens. Cela suggère à l’enseignant de privilégier une entrée par les significations, soit à travers des situations porteuses de significations du concept en jeu et non par les formalisations.

25

En ce point, selon le groupe de travail de EMF-2006 (Bloch, Kientega et Tanguay, 2006), l’enseignement collégial et supérieur doivent remettre en question la disqualification systématique d’une construction des concepts qui ne soit pas totalement contrôlée par le formel, et doit notamment accepter le recours à l’heuristique et à l’empirisme.

5.1.3 Caractéristiques d’une situation signifiante retenues par la communauté

La formulation d’une liste de caractéristiques d’une situation signifiante a constitué une partie importante du travail de la communauté. Les discussions s’appuyaient sur une analyse réflexive de leur propre expérience en enseignement ainsi que sur les éclairages théoriques de la littérature scientifique. La liste suivante présente une synthèse des caractéristiques retenues de la signifiance d’une situation. Cette liste a servi d’un cadre pour la planification de situations signifiantes et l’analyse de leur expérimentation en classe. C1. Une situation qui s’inspire de «pratiques mathématiciennes» C2. Une situation qui a un impact durable sur les apprentissages liés aux contenus mathématiques

du programme C3. Une situation qui offre une validation interne C4. Une situation qui provoque l’engagement cognitif des étudiants dans les tâches proposées C5. Une situation qui donne une marge de manœuvre aux étudiants (questions ouvertes,

variabilité des solutions) C6. Une situation présentant un défi aux élèves, mais qui soit réalisable dans un temps

raisonnable

5.1.4 Situations expérimentées en classe

Le tableau suivant présente une brève description des 7 situations expérimentées en classe. Description de la tâche principale cours Programme

1 Utilisation des chaînes de Markov pour trouver l’état stable d’un marché fermé à trois produits.

Algèbre linéaire

Sciences administratives

2 Utilisation des 3 traits de personnalité (activité, émotivité et retentissement des représentations) issus de la caractérologie pour définir un espace tridimensionnel.

Algèbre linéaire

Sciences administratives

3

Modélisation du volume de solides de révolution (méthode des disques) et de la longueur de courbes planes, approche coopérative.

Calcul intégral Sciences de la nature

4 Amener l'étudiant à créer une définition et provoquer une réflexion sur la définition émise.

Algèbre linéaire et géométrie vectorielle

Sciences de la nature

5 Mettre les étudiants dans une démarche Calcul Imagerie, BES

26

évaluative et de confrontation des évaluations comme approche pour renforcer leur apprentissage.

différentiel et intégral II

science, BES math

6 Utilisation de la synthèse additive des couleurs pour une activité de consolidation sur l'indépendance linéaire.

Algèbre linéaire Sciences de la santé

7

Le poids de L'Hospital : activité utilisant le calcul différentiel pour trouver la position d'équilibre d'un poids suspendu à l'aide d'une corde et une poulie. (adapté de F. Caron (UdM) et A. Hénault et K. Pineau (ÉTS) (projetsmathematiquests.com/upload/Caron-Pineau.pdf )

Mathématiques techniques (Dérivée et intégrale)

Technique de génie mécanique

5.1.5 Quelques résultats des expérimentations et du retour réflexif

Une analyse a priori de ces situations ainsi que les discussions lors du retour réflexif montrent que toutes les situations rencontrent plusieurs caractéristiques de la signifiance. Cinq des 7 situations sont basées sur des tâches de modélisation mathématique. Cela semble indiquer que les tâches de modélisation sont potentiellement signifiantes pour les élèves, surtout quand le phénomène à modéliser suscite l’intérêt des élèves (par exemple, quand il s’inscrit dans une pratique sociale en lien avec le domaine du profil de formation de l’élève (administration, génie mécanique, etc.). À titre d’exemple examinons la situation 1 : Utilisation des chaînes de Markov pour trouver l’état stable d’un marché fermé à trois produits. L’activité présente un marché fermé des crayons disponibles au Cégep. Les probabilités que les étudiants changent de marque de crayon sont illustrées dans un graphe. L’étudiant doit répondre à la question : « Quelle marque de crayon achèterez-vous? » et ce, sachant qu’il veut la marque de crayon la plus populaire à long terme. L’étudiant est amené à répondre à cette question de trois façons différentes. Dans un premier temps, il doit répondre intuitivement. Ensuite, à l’aide de la matrice de transition, il doit procéder de façon itérative en utilisant le mode matrice de sa calculatrice. Finalement, de façon formelle, il doit résoudre le système d’équations linéaires qui représente la situation recherchée. Voici les faits saillants du retour réflexif de l’enseignant expérimentateur. Selon lui, les étudiants se sont mis à la tâche rapidement. À preuve, dit-il, selon un sondage réalisé après le cours : 77% des étudiants sont assez ou parfaitement d’accord que les problèmes posés étaient stimulants. Les facteurs qui, selon lui semblent avoir participé à susciter l’intérêt des étudiants sont les suivants : .

Premièrement, dans un cours axé sur l’exercisation, une application concrète et contextualisée dans le monde de l’administration est bienvenue. Dans les faits, les

27

étudiants se sont engagés rapidement dans la tâche, à cause de la curiosité. Une équipe se posait des questions sur l’essence du problème, à savoir ce qui allait se passer. L’effet de surprise lié au résultat contre-intuitif du changement d’état initial aurait suscité l’intérêt des étudiants. Toutefois, l’intérêt a diminué pour la partie théorique. Pour les étudiants, la preuve empirique était suffisamment convaincante qu’ils n’éprouvaient pas le besoin d’aller à l’infini. Une preuve en mathématique, c’est plus fort que juste intuitivement, mais les étudiants « s’en foutaient ». Il y avait alors une baisse de motivation dans la 2e séance. D’autres facteurs ont toutefois pu contribuer à cette baisse, la division en deux séances à deux semaines d’intervalle, la semaine de relâche, l’examen sur cette matière passé, en plus d’une partie théorique plus ardue.

En outre, cet enseignant souligne «Il est intéressant de voir que le côté intuitif des étudiants est mis à profit même s’il a été difficile de mesurer le nombre d’étudiants qui sont revenus sur leur hypothèse en la critiquant durant ou à la fin de l’activité.» et note la difficulté pour les élèves à revenir à la partie théorique du cours. Cette situation, comme d’autres, illustre bien le fait que la signification n’est pas dans le formalisme. Elle est plutôt dans la situation contextualisée qui donne un sens à ce formalisme-là. La difficulté du passage de la situation concrète et contextualisée au formalisme du modèle mathématique est un problème crucial en enseignement. La médiation de l’enseignant est ainsi primordiale. Il est donc tout à fait important que l’enseignant accompagne les étudiants dans ce passage. En outre, les expérimentations ont aussi mis en évidence le caractère émergent de la signifiance. Bien que les situations développées ou adaptées étaient potentiellement signifiantes pour les élèves, tout n’était pas joué a priori. Un travail de l’enseignant en classe est nécessaire pour faire émerger les significations chez les élèves. L’enseignant expérimentateur de la situation 2 l’illustre très bien. Dans cette situation, l’enseignant exploite la théorie psychologique de la caractérologie, qui modélise le caractère d’une personne comme la combinaison (linéaire) de trois traits essentiels: l’activité (l’actif et le non-actif), l’émotivité (l’émotif et le non-émotif) et le retentissement des représentations (le primaire et le secondaire). On associe ainsi une personne à une coordonnée à trois dimensions où chacun des axes est un des trois traits. Dans son retour réflexif après expérimentation il était surpris que le niveau d’engagement des étudiants était moindre que ce qu’il avait anticipé. «L’activité était centrée sur eux-mêmes, la caractérologie… j’aurais peut-être parlé plus de caractérologie […] moi, ça avait beaucoup de sens parce que je travaillais depuis deux mois là-dessus, mais eux ont rempli le test, ils avaient lu un petit paragraphe qui expliquait, est-ce qu’il l’ont lu? ». Le groupe compte revenir durant cette seconde année de travail, sur cet important aspect que l’on peut poser ainsi : les significations ne sont pas seulement un moyen favorisant l’apprentissage elles en sont aussi un objet. La négociation de sens ne se trouve-t-elle pas au centre des interactions sociales qui ont court en classe, notamment celles entre l’enseignant et les élèves. 6. EN GUISE DE CONCLUSION Dans ce texte, nous avons présenté le travail ayant conduit à l’émergence d’une communauté de pratique formée d’enseignants et de didacticiens de mathématiques autour de la problématique de la signifiance de l’enseignement. Pour la genèse de cette communauté, les didacticiens de mathématiques ont joué un double rôle : un rôle de formateur d’enseignants de mathématiques et

28

donc de praticiens réflexifs au même titre que les enseignants du Cégep mais aussi un rôle de chercheurs didacticiens des mathématiques, mobilisant des connaissances scientifiques (connaissances issues de recherches, construits théoriques) pour aider la communauté dans la problématisation, la conceptualisation, et l’analyse réflexive de la pratique. Les situations qui ont été développées, ou adaptées, ainsi que les idées qui ont émergé des retours réflexifs ont permis l’élaboration d’un répertoire partagé et rendu public via un site internet : http://projet.abombardier.ep.profweb.qc.ca . Les membres de la communauté espèrent que ce répertoire devienne un espace de collaboration professionnelle, un vivier de ressources dynamiques pour des praticiens préoccupés par la même problématique.

BIBLIOGRAPHIE ADIHOU, A. (2011). Enseignement-apprentissage des mathématiques et souffrance à l’école. Les Collectifs du Cirp, 2. BLOCH, I.; KIENTEGA, G & TANGUAY, D. (2006). Synthèse thème 6. Actes du congrès Espace Mathématique Francophone-2006, Groupe de travail 6: Transition secondaire/postsecondaire et enseignement des mathématiques dans le postsecondaire. Sherbrooke : Université de Sherbrooke. LAROCHELLE, M. et BEDNARZ, N. (1994). À propos du constructivisme et de l’éducation. Revue des sciences de l'éducation, 20(1). COBB, P., PERLWITZ, M. ET UNDERWOOD, D. (1994). Construction individuelle, acculturation mathématique et communauté scolaire. Revue des sciences de l'éducation, 20(1). CONSEIL DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE. (2004). La culture scientifique et technique au Québec: une interface entre les sciences, la technologie et la société. Rapport de conjoncture 2004. Québec: Conseil de la science et de la technologie. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. (2009). Programme de formation de l’école québécoise. Secondaire deuxième cycle domaine de mathématique. Québec. Ministère de l’éducation du loisir et du sport. MARY, C.; SQUALLI, H. & THEIS, L. (2010-2012). Communautés de pratique "mixtes" autour de problématiques liées à la transition primaire-secondaire en mathématique pour les élèves à risque. MELS : Programme de soutien à la formation continue du personnel scolaire. (Chantier 7). SQUALLI, H. (2012). Quelle articulation entre formation mathématique et formation à l’enseignement des mathématiques? Essai d’analyse et point de vue d’un didacticien des mathématiques. In. J. Proulx, C. Corriveau et H. Squalli (dir.). Formation mathématique des enseignants de mathématiques : pratiques, orientations et recherches (p.143-157). Montréal : PUQ. SQUALLI, H. MARY, C. & MORIN, M.-P. (2010-2012). Perfectionnement des compétences professionnelles des enseignants de mathématiques du primaire et du secondaire: une formation collaborative en ligne par et pour les TIC. MELS : Programme de soutien à la formation continue du personnel scolaire. (Chantier 7). VERGNAUD, G. (1990) La théorie des champs conceptuels, Recherches en Didactique des Mathématiques, vol.10 n°2-3, pp.133-170.

29

WENGER, E. (1998). Communities of Practice: Learning, Meaning, and Identity. Cambridge. University Press, New York, 1998.  

30

Une étude révélatrice d'un problème de la profession d'enseignant des mathématiques au secondaire4 en France

Nathalie Andwandter Cuellar Université du Québec en Outaouais

RÉSUMÉ En réponse aux changements curriculaires survenus en France depuis 1970, je me suis questionnée sur la place et le rôle des grandeurs au secondaire. Mon objectif était de refléter des décisions prises par deux enseignants et de comprendre le conditionnement écologique de leurs classes, à savoir, ce qui est enseigné, ce qui ne peut pas être enseigné et ce qui pourrait être enseigné. Dans ce texte, nous nous intéressons aux indices d’un problème de la profession inhérent aux mathématiques à enseigner et aux mathématiques pour l’enseignement (Cirade, 2008) relatives aux grandeurs. Il s’agit de montrer comment l’incorporation de l’étude des grandeurs en tant que domaine, demande la construction de nouvelles organisations mathématiques permettant de la faire, ainsi que l’articulation entre les anciens et nouveaux savoirs (Anwandter-Cuellar, 2012), et parallèlement, comment l’institution a ignoré les savoirs existants, ce que nous présentons comme une difficulté révélatrice d’un problème de la profession.

INTRODUCTION Cette communication est en lien avec ma recherche doctorale relative à l’enseignement des grandeurs au secondaire en France (Anwandter-Cuellar, 2012). Elle prend appui pour une grande partie sur les théories de la didactique des mathématiques développées par Chevallard (1999, 2002). Mon travail se situe quelques années après la mise en place d’un nouveau programme au collège où les grandeurs apparaissent comme l’un des principaux objets d’enseignement. En effet, les programmes scolaires du collège en France ont suivi différents changements relatifs à l’enseignement des grandeurs. En 1970, on observe une rupture entre le numérique et les grandeurs, ce qui semble avoir réduit leur place dans les différents domaines. Quelques années après, on retrouve le retour des grandeurs dans les programmes de 1995. Cette présence devient plus insistante quand ces documents institutionnels leur donnent le statut de domaine en 2005 et proposent une théorie mathématique pour leur étude. L’objectif de ma thèse était de décrire la place et le rôle des grandeurs dans la construction de différents domaines mathématiques et au niveau de leurs interrelations. Cette étude a abouti à l’énonciation des conditions et contraintes relatives à l’enseignement des grandeurs auxquelles les professeurs doivent faire face. En particulier, elle m’a aidée à analyser les savoirs de deux enseignants du collège vis-à-vis de ces objets. Elle m’a permis de mettre en évidence des indices d’un problème de la profession inhérent aux mathématiques à enseigner et aux mathématiques pour l’enseignement (Cirade, 2008) relatives aux grandeurs. Cet article s’inscrit dans une dynamique de passage de l’étude des conditions et des contraintes, à l’aide des niveaux de codétermination, dans des pratiques singulières vers la formulation de

                                                                                                               4 Secondaire : niveau collégial en France où les classes vont de la 6e à la 3e années et l’âge des élèves varie entre 11 et 15 ans.

31

problèmes de la profession d’enseignant de mathématiques. Ce point de vue est avancé par Chevallard dans son texte (2006) :

« Toute difficulté surgissant lorsqu’une personne tente d’exercer le métier de professeur doit être regardée comme exprimant d’une certaine manière un ou plusieurs problèmes de la profession – problèmes qui n’assaillent pas cette personne en particulier, mais bien la profession de professeur (de mathématiques, etc.). » (Chevallard, 2006, p.3)

Dans cet article, j’aborde premièrement, la notion mathématique de grandeur en exposant brièvement son contexte d’enseignement en France. Deuxièmement, je présente quelques outils théoriques de la théorie anthropologique du didactique (Chevallard 1999, 2002) qui m’ont aidée à caractériser la vie des grandeurs au collège. Troisièmement, des résultats concernant les conditions et contraintes liées à l’enseignement de ces dernières sont discutés. Finalement, des exemples des pratiques à propos des grandeurs me servent à énoncer des problèmes de la profession.

LA NOTION DE GRANDEUR ET SON ÉVOLUTION DANS L'ENSEIGNEMENT La construction des grandeurs et de leurs mesures est l'un des problèmes les plus anciens du développement des mathématiques. Les grandeurs et leurs mesures sont à la charnière entre le numérique et le géométrique, ou encore l’analyse, mais aussi entre mathématiques et physique. Cependant, si les grandeurs ont fondé le numérique pendant plusieurs siècles (Bronner, 1997), postérieurement à la réforme des mathématiques modernes au XIXe siècle, les nombres entiers deviennent le support essentiel des théories de construction des nombres. Les grandeurs sont ainsi sorties des mathématiques, elles ont été envoyées vers d’autres disciplines, notamment la physique. Et «[peut]-être est-ce à cause de leur histoire mouvementée [qu’il] n’existe pas une définition officielle des grandeurs, en mathématiques ; il en existe en revanche plusieurs approches. » (Chambris, 2008, p.124). Aujourd’hui, dans l’enseignement français (Ministère de l’Éducation nationale, 2008), on trouve le retour des grandeurs en tant que domaine d’étude au même niveau que la géométrie, les fonctions et le numérique et un document ressource, « Grandeurs et mesures au collège » (D.G.E.S.C.O., 2007), présentant une théorie pour leur enseignement. Il est ainsi important de définir ce qu’on comprend par « grandeur » au secondaire en France. Même s’il existe plusieurs recherches en didactique des mathématiques traitant la notion de grandeur et de mesure, j’ai fait le choix de présenter, en peu de mots, pour cette communication, la définition retenue par le document ressource « Grandeurs et mesures au collège ». D’après cette publication parmi les grandeurs géométriques, on trouve les angles, les longueurs, les aires, les volumes, mais on peut aussi étudier d’autres grandeurs telles que la distance, la masse, la vitesse. Pour enseigner les grandeurs au secondaire, on doit distinguer entre trois notions mathématiques : l’objet, la grandeur et la mesure. Par exemple, pour la longueur, les objets peuvent être les segments. On a la possibilité de comparer les segments à l’aide de procédures comme la superposition, dans ce cas, on dit que deux segments congruents par superposition ont même longueur (sans le mesurer). Si on choisit une unité de mesure, le nombre obtenu à travers la mesure de la longueur du segment est dénommé la mesure. Comme je l’ai dit auparavant, l’enseignement français des grandeurs a vécu plusieurs changements pendant les dernières années. Pendant la période 1995-2005, l’étude de ces objets se trouvait répartie en deux domaines dans les programmes : « Travaux géométriques » et

32

« Organisation de données, fonctions ». Après 2005, les contenus relatifs aux grandeurs sont regroupés autour de chaque grandeur, dans un domaine appelé « Grandeurs et mesures ». Par exemple dans la période 1995-2005 les changements d’unités de volume permettaient d’étudier la notion de proportionnalité et de fonction dans le domaine « Organisation de données, fonctions », comme on peut l’observer dans l’extrait suivant du programme de 5e :

Contenus Compétences exigibles Exemples de fonctions. Proportionnalité

Mettre en œuvre la proportionnalité dans les cas suivants : […] – effectuer pour des volumes des changements d’unités de mesure.

Tableau 1. Contenus de la classe de 5e dans le domaine « Organisation de données, fonctions » en 1995.

Aujourd’hui, ces contenus, les changements d’unités, supportent l’enseignement de la notion de volume en tant que grandeur s’ajoutant aux genres de tâches proposés, tels que calculer le volume, dans le domaine « Grandeurs et mesures », comme on peut le constater dans le tableau 2 :

Connaissances Capacités Commentaires

Volume. Prisme et cylindre de révolution

- Calculer le volume d’un parallélépipède rectangle. - Calculer le volume d’un prisme droit, d’un cylindre de révolution. - Effectuer pour des volumes des changements d’unités de mesure.

On travaillera les changements d’unités de volume dans des situations de la vie courante.

Tableau 2. Contenus de la classe de 5e dans le domaine « Grandeurs et mesures» en 2005.

De plus, de nouveaux savoirs sont proposés pour l’enseignement des grandeurs. Par exemple, comme nous l’avons dit entre 1995 et 2005, c’est la proportionnalité qui supporte les changements d’unités. Ainsi, si on demande aux élèves de convertir 60 km/h à m/s, les élèves vont utiliser le coefficient de proportionnalité 5/18 (1 𝑘𝑚 ℎ =

!!"𝑚 𝑠)  et vont donc multiplier 60

fois 5/18 en obtenant 50/3, ils pourront ajouter l’unité m/s à la fin de leurs calculs. À partir de 2005, les changements d’unités sont étudiés en lien avec chaque grandeur (longueurs, aires, volumes, etc.) dans le domaine « Grandeurs et mesures ». Le programme signale que c’est un traitement direct sur les grandeurs qui est nécessaire pour les conversions d’unités, par exemple, les calculs suivants sont précisés par le document ressource (2007) pour traiter notre tâche précédente :

Figure 1. Traitements sur les unités proposés par le document ressource « Grandeurs et mesures »

Les analyses menées pendant mon doctorat relativement aux programmes et aux pratiques ont abordé les conséquences structurelles et fonctionnelles de la création d’un domaine grandeurs et mesures (Anwandter-Cuellar, 2012) et l’introduction de nouveaux traitements pour ces dernières. Vu que l’existence d’un objet mathématique dans la noosphère ne garantit pas sa vie dans le système d’enseignement (Artaud, 2003), on peut avancer que la restructuration du programme et les nouveaux traitements pour les grandeurs ne seront pas nécessairement transplantés à la classe. Ceci est dû au fait qu’il ne suffit pas d’avoir des organisations mathématiques compatibles au

33

corpus organisationnel de l’enseignement, il faut des organisations mathématiques qui répondent à des conditions didactiques déterminées pour qu’on puisse faire vivre les programmes dans les salles de classe. De plus, les savoirs mathématiques nécessaires pour un enseignement conforme aux directives institutionnelles se trouvent dans les documents ressources. Cependant, ils n’ont pas un caractère obligatoire pour les enseignants.

LES GRANDEURS VUES À TRAVERS LES NIVEAUX DE CODÉTERMINATION DIDACTIQUE

L'échelle des niveaux de codétermination didactique Dans la théorie anthropologique (Chevallard, 1999), une praxéologie est un quadruplet T, τ, θ, Θ : T désigne un type de tâches (formé d’un ensemble de tâches spécifiques) ; τ désignant une technique que l’on peut mettre en œuvre pour traiter des tâches appartenant à T, θ une technologie, c’est-à-dire, un discours qui justifie la technique. Enfin, Θ désigne une théorie qui peut servir à justifier le discours technologique. Ce type de structure, appelée praxéologie ponctuelle, est rencontré rarement de manière isolée. Effectivement, une organisation mathématique ne se réalise pas dans un vide d’œuvres (Chevallard, 2002). Pour modéliser le questionnement de l’existence de praxéologies, Chevallard élargit le cadre en intégrant ce qu’il appelle les niveaux de codétermination didactique (Chevallard, 2002). À l’intérieur de la discipline des mathématiques, à chaque praxéologie mathématique ponctuelle lui correspond un sujet d’étude relatif au type de tâches dans l’enseignement. Ce type de tâches fait partie des tâches prescrites dans un thème d’étude, auquel lui correspond une praxéologie mathématique locale formée des organisations mathématiques ponctuelles ayant la même technologie. Cette organisation mathématique est à la fois partie d’une organisation mathématique régionale, un secteur d’étude, qui est l’amalgamation des organisations locales ayant la même théorie. On trouve comme dernier niveau une organisation mathématique globale relative à un domaine d’étude. Les domaines se regroupent autour d’une discipline, dans ce cas, les mathématiques. Aux niveaux supérieurs, on rencontrera les échelons de la Pédagogie, de l’École, de la Société et de la Civilisation. En reprenant, notre exemple sur les changements d’unités de volume (tableau 2), après une analyse des organisations mathématiques, j’ai structuré ce contenu du programme de 2005 de la manière suivante :

Discipline Niveau 1 Mathématiques

Domaine Niveau 2 Grandeurs et mesures

Secteur Niveau 3 Volume

Thème Niveau 4 Changements d’unités

Sujet d’études Niveau 5 Effectuer pour les volumes des changements d’unités

Tableau 3. Exemple de structuration en niveaux de codétermination

Tel qui le mentionne Chevallard, cette échelle est un outil efficace pour analyser ce qui est enseigné, ce qui ne peut pas être enseigné et ce qui pourrait être enseigné dans les classes :

« La reconnaissance de la hiérarchie de niveaux ainsi ébauchée, qui va des sujets d’études à la discipline en passant par thèmes, secteurs et domaines, a pour principal mérite de permettre un premier tri dans les paquets de contraintes présidant à l’étude scolaire, en évitant un déséquilibre trop flagrant entre ce qui, de ces contraintes, sera pris en compte et ce qui sera laissé pour compte. » (Chevallard, 2002.)

34

Les enseignants mettent en œuvre leurs pratiques dans un ensemble des conditions et contraintes. Dans mon étude, ces conditions et contraintes ont été repérées à l’aide de cette échelle de niveaux de codétermination didactique qui m’a aidée à formuler des problèmes de la profession. Par la suite, j’exposerai certains résultats concernant les niveaux de codétermination de moindre spécificité la société, la pédagogie, la discipline et le domaine.

Le niveau société L’étude des grandeurs au collège est légitimée par l’obligation de la noosphère de répondre à des besoins socio-économiques et par l’évolution de pratiques sociales :

« Les programmes actuels de l’école et du collège leur redonnent une place plus importante, alors que leur visibilité dans la vie sociale a beaucoup évolué : d’une part, la disparition de l’usage de certains instruments prive l’enseignement de référence à des pratiques sociales convoquant des grandeurs aussi fondamentales que les longueurs et les masses ; d’une autre part, deux faits aussi différents que l’obligation légale d’affichage des prix par kilogramme et l’emploi dans chaque secteur d’activité de grandeurs bien spécifiques mettent en évidence le besoin socio-économique de grandeurs composées plus complexes. » (D.G.E.S.C.O., 2007)

En effet, à la suite de l’avancement des sciences et du désir de l’homme d’interroger le monde, aujourd’hui les modélisations des phénomènes de la réalité font appel à des grandeurs beaucoup plus complexes comme les vitesses, les grandeurs économiques, les grandeurs physiques, etc. La noosphère se voit dans la contrainte de donner aux élèves les outils pour comprendre ces représentations du monde. En conséquence, le désir d’enseigner les grandeurs répond à une première condition écologique de la transposition didactique, la compatibilité entre les mathématiques et l’environnement social.

Le niveau pédagogie Un autre aspect qui contraint la noosphère à étudier les grandeurs est la nécessité de construire d’autres notions mathématiques d’une manière accessible aux élèves du point de vue cognitif. Les mathématiques au secondaire ne doivent pas être formelles, les connaissances sont tenues d’être proches de la réalité. Ainsi, la présence des grandeurs au secondaire se justifie par des raisons didactiques :

« Aujourd’hui, la science mathématique s’est largement affranchie de la question des grandeurs (l’ensemble des nombres, par exemple, se construit, formellement, sans référence aucune aux grandeurs). Théoriquement, les mathématiques peuvent donc à la fois se transmettre et se développer sans référence à la notion de grandeur. Sans cette référence, la présentation des mathématiques serait toutefois beaucoup trop abstraite pour être à la portée des élèves du collège, et même bien au-delà. » (C.N.D.P., 1999, p.20)

La fonction des grandeurs est de rendre plus facile la compréhension et l’étude des mathématiques pour les élèves. Les raisons didactiques et épistémologiques d’un travail sur les grandeurs sont explicitées dans le même document :

« […] S’il a été possible aux mathématiques de s’émanciper de la notion de grandeur, c’est sans doute qu’elles avaient accumulé quantité d’expériences et de résultats dont il ne semble pas que l’enseignement de base puisse faire l’économie. C’est dans des situations

35

mettant en jeu des grandeurs que tous les élèves pourront réinvestir les connaissances acquises en mathématiques. Les mathématiques du citoyen sont celles qui interviennent comme outils pour les grandeurs, celles qui permettent de modéliser efficacement des situations faisant intervenir des grandeurs. » (ibidem)

De cette manière, l’apparition des grandeurs dans les programmes semble retrouver sa justification dans des besoins didactiques et pédagogiques, car les grandeurs facilitent la construction cognitive des concepts mathématiques.

Le niveau discipline Les grandeurs sont à l’origine de la construction des mathématiques, mais, en raison de la recherche de la rigueur mathématique à partir de XIX siècle, les grandeurs perdent leur place privilégiée au sein de cette discipline. De plus, il existe différentes théories mathématiques relativement à la notion de grandeur et à chaque espèce de grandeur (Chambris, 2008). Cela amène à s’interroger sur les savoirs de référence relatifs aux grandeurs dans l’enseignement actuel au secondaire. Le programme indique qu’on devrait étudier les mathématiques à partir des grandeurs, mais l’évolution des mathématiques savantes a renvoyé la définition et l’étude des grandeurs dans d’autres disciplines, alors, on se demande, tel que Chevallard et Bosch (2001) : « Qu’est-ce qu’au juste une grandeur ? ». Par rapport à cette nécessité, le programme propose une théorie pour les grandeurs dans le document ressource « Grandeurs et mesures au collège » (D.G.E.S.C.O., 2007), mais les enseignants ne sont pas contraints de l’utiliser, alors comment peuvent-ils s’approprier la notion de grandeur et les savoirs relatifs à chaque espèce de grandeur pour mettre en place un enseignement conforme au nouveau programme? Est-ce que la théorie et les nouveaux traitements indiqués pour les grandeurs sont les plus adéquats du point de vue de l’enseignement et de l’apprentissage?

Le niveau domaine Le nouveau programme de 2005 définit les grandeurs comme un domaine, au même titre que la géométrie, le numérique et les fonctions. Or, avant cette année, elles se trouvent fragmentées en deux domaines le géométrique et le fonctionnel. Alors, les enseignants sont contraints de distinguer ces trois domaines et les notions associées. Par exemple, les documents institutionnels insistent sur le fait que l’apprentissage est favorisé par une différentiation de l’objet, la grandeur et la mesure, mais quelles sont les pratiques qui soutiennent un tel enseignement? Quels sont les liens entre ces trois notions? Quelles sont les organisations mathématiques que les enseignants devraient mettre en place? Et comment le faire? Un autre exemple est celui des unités. Pendant une longue période, elles étaient absentes des calculs, mais aujourd’hui les opérations mathématiques devraient être réalisées directement sur les unités. Comment les enseignants prendront-ils en considération un tel changement?

LES GRANDEURS DANS LES CLASSES

La difficulté de la construction de nouveaux savoirs L’aire entre grandeur et objet Comme nous l’avons vu, la noosphère met l’accent sur la distinction entre grandeur et objet. Cependant, en prenant comme exemple l’enseignement de la grandeur aire, nous verrons que cela n’est pas si évident pour les enseignants.

36

Par exemple, pendant une séance en classe de 6e, un enseignant définit l’aire de la manière suivante :

Enseignant: la longueur est le contour de la figure, et l'aire, ça sera quoi? Élève: c'est la surface Enseignant: c'est la surface représentée par le cadre, la portion qui est représentée à l'intérieur de la figure. Alors, l’aire représente la portion du plan qu'elle occupe. Élève: c'est quoi une portion? Enseignant: portion? portion d'une tarte Élève: par rapport à quoi? Enseignant: portion d'une tarte, bah c'est une portion, t'as le plan, t'as la feuille et puis la figure représente une portion de la feuille.

Dans la définition, l’enseignant utilise le mot « portion », lequel n’est pas compris par un élève. Il utilise alors un objet physique, la feuille, pour répondre à l’élève. Cela pourrait renforcer une conceptualisation de la notion d’aire très proche de la notion de l’objet. D’autant plus que d’autres pratiques renforcent aussi cet amalgame. D’une part, par exemple, si on regarde les unités dans la classe de cet enseignant, on remarque que leur place reste confuse. En effet, plusieurs réponses, qui font appel à des unités différentes, sont acceptées pour un même problème, telles que « carreaux », « unités  »,  «  cm  »,  «  cm2  », sans que des commentaires soient donnés par l’enseignant ou sans que les liens soient abordés. D’autre part, le seul moyen de faire vivre les aires en tant que grandeur est de proposer des tâches pour différencier les aires des figures et les aires des mesures. Or, ce type de problème n’est jamais étudié par l’enseignant, il met l’accent sur les calculs numériques. Alors, certaines pratiques mises en place par l’enseignant pourraient renforcer une confusion entre l’aire et l’objet en générant des difficultés chez les élèves. La place des unités dans les calculs Ci-dessous un exercice présenté par le même enseignant en classe de 5e :

Figure 2. Tâche proposée par un enseignant en classe de 5e.

On observe que les unités de longueur ne sont pas données dans la tâche. L’enseignant calcule l’aire en écrivant au tableau :

M2: il y a des choses qu'on peut observer, que ce point qui est là, on peut le mettre ici, du coup ça déplace plus et là c'est complet. D'accord? Et pareil pour l'autre partie, celle-ci on peut la mettre ici, donc j'ai plus de points et là c'est complet. Je me retrouve avec un ... Es: rectangle M2: qui mesure combien sur combien? E1: 4 sur 3

37

M2: 3 sur 4, donc l'aire... comment on fait pour calculer l'aire du rectangle? // Longueur par largeur, shut la longueur c'est... E: 3 M2: 3? Alors la longueur c'est la plus grande, alors c'est... Es: 4 M2: 4, la largeur? E: 3 M2: 3, la réponse est 12, rien d'autre. Si par contre, il y avait l'unité, parce qu’effectivement cette figure, elle est au départ en centimètres. S'il y avait une unité, il faut mettre quoi derrière? Es: centimètres carrés M2: centimètres carrés, vous êtes en dimension 2, donc centimètres carrés d'accord. Soit vous mettez rien parce qu'il a rien au départ, et c'est 12 sans rien. Soit s'il y a l'unité c'est l'unité qui doit avoir le carré, parce que ça c'est 4 cm fois 3 cm donc le cm.

Dans les premières lignes, on remarque que l’enseignant applique une procédure de découpage-recollement à la surface pour obtenir un rectangle. Ensuite, il calcule l’aire du rectangle avec une formule. Une particularité de cette procédure est que les opérations portent sur les nombres et non sur les grandeurs (avec les unités). Ainsi pour résoudre cette tâche, le professeur écrit : « Aire=Lxl=4x3=12 ». Le contrat didactique concernant les unités est établi à la fin de l’extrait : si dans le problème les mesures des longueurs sont données sans les unités, la réponse doit s’écrire sans les unités, par contre si dans l’exercice les longueurs sont données avec les unités, les élèves doivent mettre les unités. De plus, le fait d’utiliser « cm² » est justifié par la dimension de travail, c’est-à-dire la dimension 2. L’absence d’unités dans les calculs et sur les dessins fait en partie disparaître la notion d’aire en tant que grandeur, car la mesure de l’aire est définie par le choix d’une unité. L’objet central d’étude est ainsi la formule, autrement dit le travail d’étude des aires s’inscrit dans un cadre numérique. La technique de découpage-recollement fait davantage intervenir les grandeurs, mais le professeur ne questionne pas les élèves à ce sujet, il ne propose aucune discussion autour de l’invariance de l’aire par isométries ou par découpage-recollement. Au contraire, il met l’accent sur les résultats numériques obtenus avec les formules en ignorant les unités, ainsi les différences et les liens entre l’aire, les surfaces et les mesures ne sont pas travaillés. Faire vivre le domaine de grandeurs dans l’enseignement, un problème de la profession Ces deux exemples, portant sur le traitement de l’aire en tant que grandeur et la place des unités, montrent que les enseignants rencontrent des difficultés à instaurer des pratiques convenables au traitement de l’aire en tant que grandeur et à la construction de liens entre l’objet, la grandeur et la mesure. Plus globalement, l’analyse de pratiques menée pendant ma recherche doctorale met en évidence que sur le processus qui conduit l’enseignant des mathématiques à enseigner (celles que le programme prescrit) aux mathématiques pour l’enseignement (celles que l’enseignant doit connaître pour concevoir et réaliser l’enseignement) (Cirade, 2008), il est confronté à la difficulté de caractériser et construire un domaine des grandeurs dans l’enseignement.

Le problème de l’articulation entre les anciens et les nouveaux savoirs Dans le programme de 2005, la proportionnalité est placée dans le domaine « Organisation de données, fonctions ». Il s’agit de faire des raisonnements directs sur les grandeurs en utilisant les

38

propriétés de linéarité. Par exemple, si on donne l’exercice suivant aux élèves : « Pierre achète 4 cahiers identiques et paie 10$. Combien aurait-il payé s’il avait acheté 2 cahiers », les élèves peuvent mettre en œuvre un raisonnement du type : « si on achète 2 cahiers, on va payer 2 fois moins que pour 4 cahiers, soit 5 $ ». Ainsi, si on associe une fonction linéaire f à ce problème, ces calculs sont justifiés par la propriété multiplicative de la linéarité (f(4)=10, alors f(2)=f(4/2)=1/2f(2)=1/2x10=5). De plus, les grandeurs prix et nombre de cahiers identiques apparaissent à l’aide des unités dans les raisonnements. Cependant, auparavant dans l’enseignement, la proportionnalité s’appuyait sur des rapports numériques. Dans ce cas, on pouvait écrire 4/10=2/x, et on trouvait x=5. Alors, on identifie deux théories pouvant supporter l’enseignement de la proportionnalité : la théorie de proportions et la théorie relative à la fonction linéaire (Hersant, 2001). Dans ma recherche, j’ai constaté que ces théories vont se rencontrer dans la pratique d’un même enseignant. En effet, il étudie la proportionnalité dans un chapitre dénommé « Quotients et applications ». Il commence par traiter la notion de quotient, le produit d’un quotient par un nombre et les proportions. Ensuite, il présente les pourcentages à l’aide des exercices du type, « calculer le pourcentage d’un nombre » sans jamais étudier le pourcentage d’une grandeur. Finalement, dans le même chapitre, il enseigne la proportionnalité. Cependant, à ce moment, les grandeurs surgissent dans la classe à travers des problèmes de proportionnalité, comme le suivant : « Dans une recette d’un gâteau au chocolat, il faut : Pour 6 personnes, 3 litres du lait et 140 grammes du chocolat. Quelles sont les quantités pour 9 personnes? » L’enseignant institutionnalise la technique suivante pour traiter ce problème :

Figure 3. Technique proposée par un enseignant en classe de 6e pour traiter un problème de proportionnalité.

Cette figure représente le modèle caractéristique adopté par l’enseignant pour la résolution de problèmes de proportionnalité. Dans sa pratique, l’enseignant centre les procédures sur des relations numériques de linéarité entre lignes et colonnes en utilisant des schémas du type tableau et il n’est jamais identifié les grandeurs en jeu. De plus, même si les unités sont présentes, on trouve des égalités entre grandeurs de différentes espèces (9p=6p+3p+4,5l). Il semble donc que l’enseignant place la proportionnalité dans le chapitre « quotients et applications » pour utiliser les opérations relatives aux propriétés de linéarité en utilisant les quotients et les rapports dans les tableaux. Cependant, d’autres types de représentations ne sont jamais proposés par l’enseignant et les traitements des grandeurs restent imprécis. Ainsi, même si l’enseignant veut intégrer l’étude de la proportionnalité comme une fonction linéaire, comme l’indique le programme, la notion reste attachée aux proportions en réduisant la place des grandeurs dans son enseignement au profit des raisonnements numériques. Les savoirs relatifs aux deux théories, des rapports et de la fonction linéaire, apparaissent désarticulés dans l’enseignement, et la place des grandeurs est confuse dans les pratiques.

39

De manière générale, les résultats relatifs à ma thèse montrent que la constitution d’un domaine grandeur et mesure au secondaire nécessite la construction de nouvelles organisations mathématiques en coordination avec les anciennes organisations. Les difficultés de l’enseignant observé peuvent être généralisées à un problème de la profession, qui s’explique par le fait que le programme a ignoré les savoirs existants conduisant à la cohabitation des savoirs mathématiques d’âges et de logiques différentes dans l’enseignement. CONCLUSION Cette communication a abordé les raisons et les effets d’une modification curriculaire importante, dont on ne connaît pas vraiment l’origine. En utilisant des outils de la théorie anthropologique du didactique, j’ai analysé des éléments relatifs aux grandeurs au secondaire en France en soulignant le rôle prépondérant des grandeurs dans l’enseignement. Mes analyses m’ont amenée à identifier et questionner les connaissances que les enseignants en général devraient pouvoir mettre en œuvre pour instaurer le nouveau programme du secondaire dans leurs classes. J’ai identifié des contraintes qui pèsent sur les choix de la noosphère et des enseignants. Par exemple, au niveau de la discipline, la place des grandeurs est très particulière, car elles ont fondé les mathématiques pendant plusieurs siècles pour ensuite être exclues de la construction de cette discipline. J’ai également précisé des éléments théoriques nécessaires exposés par le programme pour développer les nouvelles organisations mathématiques. L’une d’elles est la différenciation entre l’objet, la grandeur et la mesure. Ainsi, j’ai posé la question afin de savoir quelles étaient les connaissances essentielles pour mener à bien la construction du domaine des grandeurs au collège. Les deux enseignants de notre recherche ne semblent pas avoir conscience de certaines de ces connaissances. Effectivement, les résultats obtenus montrent comme la noosphère a ignoré les savoirs existants, en particulier les connaissances que les enseignants mettent en place pour décrire, donner du sens et justifier leurs pratiques. Ainsi, les analyses menées ont montré que, en ce qui concerne l’enseignement des grandeurs, les enseignants se trouvent affrontés à des difficultés qui reviendraient à la profession d’enseignant de mathématiques, de tenter de mettre en place le nouveau programme sans que les mathématiques pour l’enseignement soient clairement définies. BIBLIOGRAPHIE ANWANDTER CUELLAR N. S. (2012). Place et rôle des grandeurs dans la construction des domaines mathématiques numérique, fonctionnel et géométrique et de leurs interrelations dans l’enseignement au collège en France. Thèse de doctorat non publiée. Université Montpellier II, France.

ARTAUD M. (2003). Analyser des praxéologies mathématiques et didactiques "à calculatrice" et leur écologie. In Actes du colloque européen ITEM, Reims, 20, 21, 22 juin 2003

BRONNER A. (1997). Étude didactique des nombres réels. Idécimalité et racine carrée. Thèse de doctorat non publié, Université Joseph Fourier, Grenoble 1.

CHAMBRIS C. (2008). Relations entre les grandeurs et les nombres dans les mathématiques de l’école primaire. Évolution de l’enseignement au cours du 20e siècle. Connaissances des élèves actuels. Thèse de doctorat non publiée, Université Paris 7.

CHEVALLARD Y. (1999). L’analyse des pratiques enseignantes en théorie anthropologique du didactique. Recherches en Didactique des Mathématiques, 19/2, p. 221-265.

CHEVALLARD Y., BOSCH M. (2001). Les grandeurs mathématiques au collège. Partie I. Une Atlantide oubliée. Petit x, n°55, p. 5-32.

40

CHEVALLARD, Y. (2002). Organiser l’étude 3. Écologie & régulation. In Dorier, J.-L. et al. (éds.). Actes de la XIe École d’été de didactique des mathématiques, Corps, 21-30 Août 2001, Grenoble : La Pensée Sauvage. p. 41-46.

CHEVALLARD Y. (2006). Former des professeurs, construire la profession de professeur. http://yves.chevallard.free.fr/spip/spip/IMG/pdf/Former_des_professeurs_construire_la_profession.pdf

CIRADE, G. (2008), Les angles alternes-internes : un problème de la profession, Petit x, n°76, p. 5-26.

C.N.D.P. (1999). Accompagnement du programme de 3e.. http://icosaweb.ac-reunion.fr/RsrcPeda/Quatre/Docs/prgms/prog4.pdf

D.G.E.S.C.O. (2007). Ressources pour les classes de 6e, 5e, 4e et 3e du collège. Grandeurs et mesures au collège. http://media.eduscol.education.fr/file/Programmes/16/9/doc_acc_clg_grandeurs_109169.pdf

HERSANT M. (2001). Interactions didactiques et pratiques d’enseignement, le cas de la proportionnalité au collège. Thèse de doctorat, Université Paris 7- Denis Diderot.

MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE. (2008). Programmes du collège. Programmes de l’enseignement de mathématiques. http://media.education.gouv.fr/file/special_6/52/5/Programme_math_33525.pdf

41

Une analyse de ce qui se dégage des échanges dans la triade de formation dans le cadre de la supervision en stage

Lily Bacon Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

Mireille Saboya Université du Québec à Montréal

RÉSUMÉ Dans une étude de cas, nous nous intéressons aux échanges en rencontre de supervision entre une stagiaire, l’enseignante associée et la chercheure-didacticienne-superviseure dans le cadre d’un stage en enseignement des mathématiques en secondaire 1. Dans ce contexte de régulation de la pratique de la stagiaire, les objets de discussion relevés par les partenaires de la formation et la négociation de sens des situations professionnelles vécues et observées sont analysés de manière à rendre visibles les constituants de l’activité professionnelle jugés pertinents par la triade. Les outils conceptuels de la didactique professionnelle permettent de dégager les concepts organisateurs de ces situations pris en compte par la triade. Les résultats de cette étude contribuent à réfléchir la formation des enseignants en stage en mathématiques au secondaire.

1. CONTEXTE DE L’ÉTUDE Au Québec, la formation à l’enseignement dans le cadre des stages suit un dispositif d’alternance entre des moments d’action en classe par le stagiaire et des moments d’échanges avec ses formateurs. Les différents acteurs du stage – enseignant associé, superviseur universitaire et stagiaire – se rencontrent selon diverses modalités (dyade ou triade) dans le but de faire progresser le développement des compétences professionnelles du stagiaire. L’intérêt premier de ces échanges est d’engager ce dernier dans un travail d’analyse et de réflexion sur l’expérience vécue, travail considéré comme partie intégrante du métier. Ainsi, les formateurs ont comme mandat d’inviter le stagiaire à questionner ses choix et de le guider dans la mise en place d’un certain rationnel pour les baliser. Il est également attendu des formateurs qu’ils rendent visibles des enjeux variés qu’ils jugent pertinents dans les situations observées et par le fait même qu’ils abordent la pratique enseignante selon différentes perspectives. À cet égard, le superviseur universitaire a pour rôle d’animer l’échange de manière à faire interagir différents cadres théoriques - pédagogique et didactique, entre autres - avec les situations de pratiques discutées (Portelance et al., 2009). Or, les recherches qui se sont intéressées aux échanges entre les acteurs du stage ont constaté que peu de triades entrent dans une démarche réelle d’analyse des situations vécues et de la pratique d’enseignement du stagiaire et encore moins de triades le font à partir d’un point de vue didactique. Ainsi, quoique la didactique disciplinaire constitue une perspective incontournable pour éclairer les phénomènes d’apprentissage et d’enseignement, elle est peu interpellée en situation de formation en stage (Ball, Lubienski et Mewborn, 2001). S’il apparaît nécessaire d’assurer le développement d’une capacité réflexive chez notre stagiaire, les objets d’analyse abordés vont aussi requérir une attention particulière de la part des formateurs. Le regard sur une situation éducative, son interprétation et la formulation des problèmes liés aux enjeux didactiques à traiter constituent une démarche et une dimension de la pratique enseignante de premier ordre

42

compte tenu des missions propres au métier. Ainsi, la qualité des apprentissages mathématiques des élèves est tributaire de la maîtrise de ces contenus par les enseignants mais surtout de leur capacité à transformer ces contenus en situations d’apprentissage et de la pertinence des interventions éducatives qu’ils mettent en œuvre (Blanton et al., 2001). En fait, il est recommandé, depuis déjà un bon moment, que les didacticiens participent aux activités de supervision pédagogique en stage (MEQ, 2001; Lessard, 1996). Cette implication est d’ailleurs posée comme déterminante dans l’articulation de la formation mathématique, didactique et pratique (Bednarz et Perrin-Glorian, 2004). C’est dans ce contexte, en tant que formatrices-superviseures, didacticiennes et chercheures que nous sommes ici interpellées en regard de la pratique professionnelle pour l’enseignement des mathématiques au primaire (pour Bacon) et au secondaire (pour Saboya) de même que de la formation qui peut contribuer à son développement. Ainsi, notre implication dans les stages nous a amenées à orienter notre questionnement de recherche vers cette triade de formation particulière réunissant une stagiaire, l’enseignante-associée, la superviseure universitaire qui est également didacticienne des mathématiques et sur les objets d’analyse qui y sont retenus. Il nous apparaît, dès lors, pertinent d’étudier dans ce contexte particulier de quelles manières s’expriment les enjeux didactiques, comment ils sont considérés et traités par les différents acteurs de la formation. Qu’est-ce qui se dégage des échanges entre ces partenaires et qui nous renseigne sur les situations professionnelles liées à l’enseignement des mathématiques? Y voit-on émerger des objets de réflexion liés autant aux impératifs psychopédagogiques que didactiques propres à l’enseignement des mathématiques et susceptibles d’influencer le développement des compétences de la stagiaire?

2. UN APPUI SUR LA DIDACTIQUE PROFESSIONNELLE Pour entreprendre l’analyse des échanges de la triade de formation en supervision de stage, nous nous sommes inspirées de concepts développés par la didactique professionnelle5 parce que celle-ci s’intéresse à l’apprentissage du métier et au développement des compétences professionnelles ce qui correspond au mandat d’une activité-stage. Pour la DP, le développement des compétences est à penser non pas uniquement à partir de l’appropriation des savoirs du domaine, qu’ils soient issus de la pédagogie, de la didactique ou autre, mais également à partir de la conceptualisation des situations liées à la profession (Samurçay et Pastré, 1995). Le développement professionnel implique alors l’élaboration par le sujet des dimensions pertinentes des situations de travail qui orientent son activité de manière à en assurer une certaine efficacité (Pastré, 1999). L’exercice de l’activité est considéré comme une condition nécessaire à l’acquisition du métier, mais c’est surtout la capacité du praticien à analyser son action qui va lui permettre d’apprendre de son expérience (Samurçay et Pastré, 1998). À l’instar de l’ergonomie cognitive, la didactique professionnelle pose donc l’hypothèse d’une activité professionnelle située et cognitive où les particularités des situations et leurs interprétations par le sujet sont déterminantes et structurantes dans l’acquisition du métier. Le praticien n’est pas considéré comme simple exécutant des tâches conçues apriori par un tiers; on lui attribue plutôt une « intelligence des situations » qui lui permet de bricoler, à travers son activité, une réponse adaptée aux conditions et contraintes des situations réelles d’exercice (Montmollin, 1996). L’activité professionnelle est alors envisagée à partir des concepts organisateurs conceptualisés par le praticien à partir de son action en situation de travail. Ils

                                                                                                               5 Afin d’alléger le texte, nous utiliserons à l’occasion les initiales DP pour signifier Didactique professionnelle.

43

représentent les dimensions de la situation de travail à prendre en compte pour qu’une activité soit jugée pertinente. Pour la DP, ces concepts qui organisent l’activité professionnelle du praticien se révèlent à travers les buts poursuivis ou les anticipations envisagées par ce dernier. Ils se dégagent aussi des inférences qui sont faites tout au long du déroulement de la situation ainsi que les actions ou règles d’action qui s’y articulent. Les concepts organisateurs permettent donc au praticien de prélever des informations signifiantes en cours d’action qui servent d’indicateurs dans l’interprétation de la situation et la mise en œuvre d’actions pour répondre à la situation. La didactique professionnelle prend aussi appui sur la théorie du développement de Vygotski et considère que l’activité professionnelle revêt également un caractère social et culturel. Elle est en effet considérée comme le produit d’une construction réciproque d’individus engagés dans une pratique sociale (Billett, 2001). Ainsi, les règles et normes qui vont baliser l’activité professionnelle ne relèvent pas de critères de vérité, mais plutôt de pertinence autant en regard des situations à traiter que des validations collectives issues de la communauté de pratique. Au fur et à mesure de son expérience, de ses échanges avec des collègues ou de la régulation de sa pratique par des formateurs, un individu peut construire graduellement les différentes dimensions des situations de travail (concepts organisateurs) et les relations qui les lient. Il élabore ainsi une forme schématique d’une certaine catégorie de situations constituée des éléments considérés pertinents pour l’action efficace par la communauté de pratique et de formation (Samurçay et Pastré, 1995).

Lors des interactions spontanées en situation de travail ou encore lors des moments d’analyse de l’activité réalisée avec des collègues plus expérimentés ou des formateurs, les pratiques professionnelles sont explicitées et validées avec autrui (Beckers, 2007). Les objets de discussion abordés dans ces contextes ne sont pas que des connaissances; ils relèvent également de l’activité en situation c.-à-d. les éléments propres à l’organisation de l’action. Les échanges vont alors porter sur « l’identification du but à atteindre et des anticipations à opérer, à la sélection des informations pertinentes et à leur catégorisation, au réglage de la conduite par la validation ou la présentation de règles d’action, de prise d’information ou de contrôle, au réglage des raisonnements » (Mayen, 2002, p.97). Ainsi, les concepts organisateurs se retrouvent dans le discours des gens du métier et représentent à la fois des connaissances détenues par un individu et des connaissances partagées par une communauté de pratique au sujet d’une classe de situations (Pastré, 2001). Pour la didactique professionnelle, la médiation sociale est alors envisagée comme étant une clé essentielle pour la transformation de l’expérience en apprentissage (Mayen, 2002).

Individu Processus de conceptualisation Représentations des dimensions pertinentes des situations (concepts organisateurs)

Situations de travail

Communauté de pratique/ de formation Représentations partagées des dimensions pertinentes des situations (concepts organisateurs)

 

44

La DP propose donc une vision des compétences professionnelles comme une connaissance cognitive, située, sociale et culturelle inscrivant ainsi les pratiques individuelles dans un agir collectif. La médiation sociale qui a cours en situation de travail et de formation contribue à rendre visibles les éléments-clés des situations professionnelles partagés et négociés au cœur d’une pratique considérée comme viable et pertinente aux yeux des gens du métier et responsables de la formation de la relève. C’est à partir de cette perspective d’une activité professionnelle partagée que nous nous intéressons au savoir-enseigner les mathématiques qui s’élabore dans le cadre des situations de formation particulières que sont les supervisions pédagogiques en stage et qui impliquent praticiens et didacticiens. Dans le cadre des rencontres de supervision, le stagiaire et ses formateurs explicitent leur interprétation des situations vécues en classe rendant visibles du même coup les concepts organisateurs qui leur servent d’indicateur au diagnostic de la situation et qui orientent l’organisation de l’intervention pédagogique en mathématiques auprès des élèves. Notre étude vise à rendre compte du savoir-enseigner les mathématiques au secondaire qui se dégage des échanges entre les acteurs du stage. Dans ce but, nous nous attardons à décrire les concepts organisateurs qui sont partagés à travers les échanges entre les praticiennes et la didacticienne.

3. MÉTHODOLOGIE À l’Université du Québec à Montréal, les futurs enseignants en enseignement des mathématiques au secondaire effectuent pendant leur formation quatre stages dont un premier d’observation suivi de trois stages en enseignement. L’expérimentation qui est analysée dans ce texte a été menée auprès d’une stagiaire que nous nommerons Marie (nom fictif) lors de son premier stage d’enseignement qui a lieu à la session d’automne de la deuxième année du Baccalauréat en enseignement secondaire (BES). Ce stage comprend 22 jours de présence en classe. À ce stade de leur formation, les étudiants ont suivi trois cours de didactique. Marie était affectée pour ce stage en secondaire 1 (élèves de 12-13 ans) dans une école publique située dans la région de Montréal. L’enseignante associée avait à ce moment une dizaine d’années d’expérience dans ce niveau scolaire. C’est la chercheure M.Saboya qui a pris le rôle de superviseure, rôle officiel octroyé par l’université. Celle-ci a une relation privilégiée avec l’enseignante associée qui remonte à l’époque où toutes les deux étaient étudiantes au BES à l’UQAM. Il y a ainsi un lien de confiance entre ces deux actrices qui est un facteur important à prendre en considération dans l’étude de cas que nous proposons dans ce texte. En effet, cette proximité facilite les échanges entre les partenaires, une explicitation des buts poursuivis et du rationnel sous-jacent. Nous ne sommes pas confrontés comme le soulignent Kauffman (1992) et Sanford et Hopper (2000) à un manque de communication substantielle et de coopération entre superviseur et enseignant associé, donc dans le cas où les échanges ne sont pas toujours fructueux. Les stages en enseignement des mathématiques à l’UQAM offrent quatre moments d’échanges au sein de la triade de formation. Deux de ces rencontres ont lieu après que le superviseur ait assisté à la prestation du stagiaire en classe. Les échanges que nous analysons dans la prochaine section ont lieu au moment de la 2e visite de supervision. Tel que précisé, l’analyse fait appel aux cadres théoriques de l’ergonomie cognitive et de la didactique professionnelle. Mais avant de présenter un aperçu de l’analyse en cours, quelques précisions vont permettre au lecteur de se situer dans le contexte analysé. La triade de formation échange autour d’une période de 75 minutes dans laquelle la stagiaire Marie avait la charge de la classe. L’enseignante associée précise au moment de la rencontre que la stagiaire n’a pas été complètement guidée dans sa planification : « Je l’ai laissé un petit peu plus aller ». En effet, c’est ce qui est demandé aux enseignants associés, un

45

suivi plus rapproché des stagiaires au début du stage qui évolue vers une prise d’autonomie et de liberté à la fin de ce premier stage en enseignement. Pendant la période supervisée, Marie traite divers contenus mathématiques : les entiers relatifs; les priorités des opérations et le plan cartésien. Il s’agit d’une révision sur les entiers relatifs et les priorités des opérations en vue de préparer les élèves à l’examen qui a lieu la prochaine période et d’une introduction au plan cartésien (auquel les élèves ont déjà été initiés au primaire). La stagiaire est animée dans sa planification par la volonté de « voir de la matière » car c’est, d’après elle, une exigence de la visite de supervision6. Au début de la période, Marie donne aux élèves le problème suivant : L’été dernier, Mégane a fait une excursion dans le Grand Nord. Chaque matin, elle notait la température extérieure. Elle a constaté qu’il a fait -8 ⁰C à 5 reprises, -4 ⁰C à 3 reprises, 3 ⁰C à 2 reprises, -12 ⁰C à 4 reprises et -11 ⁰C une seule fois. Quelle était la température moyenne le matin durant son excursion? (Manuel Panoramath, 5 p.67).

Les concepts et processus mathématiques en jeu dans ce problème sont la moyenne, les entiers relatifs, les opérations sur ces nombres (multiplication et addition) et la priorité des opérations. Par la suite, Marie remet aux élèves un jogging mathématique, une feuille avec une cinquantaine de termes manquants à trouver (des entiers relatifs). Elle finit la période par une introduction au plan cartésien.

4. APERÇU DE L’ANALYSE EN COURS Après la prestation de Marie en classe, la triade, enseignante associée, superviseure et stagiaire se rencontre pour échanger autour de la planification et des actions entreprises par la stagiaire pendant cette période. La superviseure revient sur la résolution du problème telle qu’elle a été menée par la stagiaire en classe. Il en ressort deux épisodes significatifs quant à la pratique d’enseignement des mathématiques. Nous avons fait le choix de présenter ces deux épisodes sous forme de tableau dans lequel on retrouve dans la colonne de gauche des extraits de transcription de la rencontre soutenue dans la colonne de droite par une analyse sous l’angle des concepts issus de la didactique professionnelle. La stagiaire est identifiée par son prénom fictif, Marie, l’enseignante associée par E et la superviseure/chercheure par C. En classe, Marie donne le problème aux élèves, elle le fait lire par l’un d’eux, vérifie que les élèves ont bien compris ce qu’ils ont à faire et les engage dans la résolution de façon individuelle. C’est dans la gestion des interactions avec les élèves autour de la résolution de ce problème que se situent les deux épisodes analysés. Marie rend visible au tableau la résolution du problème, elle écrit l’expression -8 x 5 + -4 x 3 + 3 x 2 + -12 x 4 + -11 x 1 qui modélise la somme des températures pendant les 15 jours où Mégane a noté tous les matins la température. Un élève dans la classe pose alors la question suivante « Faut-il mettre des parenthèses? », autrement dit écrire (-8 x 5) + (-4 x 3) + (3 x 2) + (-12 x 4) + (-11 x 1)? Ce à quoi Marie répond tout simplement « non, ce n’est pas la peine ».

                                                                                                               6 Ce n’est pas tout à fait ce qui est demandé aux stagiaires. Nous précisons seulement que pour la visite de supervision, il est important que le(la) stagiaire soit en interaction avec la classe afin d’observer les échanges questions/réponses des stagiaires au sein du groupe. Dit autrement, nous précisons que la période supervisée ne doit pas être une période de révision, d’exercices où les élèves travaillent chacun de son côté et où le(la) stagiaire circule entre les rangées pour répondre aux questions de façon individuelle (le superviseur n’étant pas toujours en mesure de suivre adéquatement ces échanges). Nous voyons ici comment ce discours peut être interprété par des stagiaires.

46

ÉPISODE 1 – Comme au tennis doit-on attraper toutes les balles au bond?

Extraits de transcription Commentaires – Analyse sous l’angle des concepts de la didactique professionnelle

C : Tu aurais pu demander aux élèves « Est-ce que c’est différent si je mets des parenthèses ou pas? », de renvoyer la question aux élèves.

Marie : Ok. C : Je trouve que les occasions que tu as que les

élèves te donnent, tu passes trop vite, Marie. Moi, c’est vraiment ça le point que j’aimerais que tu reprennes pour ton stage III. C’est de t’attarder plus à ce que disent les élèves. Parce que tu réponds vite et tu ne fais pas un retour devant tout le monde. Pis c’est rapide. Toi, tu as un objectif très clair dans ta tête.

E : C’est comme si elle jouait au tennis. Elle

renvoie la balle, mais si la balle revient, elle ne s’en occupe pas.

C : Voilà. C’est un peu ça. Moi je dirais, ton point, à travailler : être à l’écoute de l’élève, pis de dire aux élèves « Oh! Je viens d’avoir une question intéressante. Vous m’écoutez. Là, tu vas au tableau, tu l’écris : qu’est-ce que vous en pensez? » Prends le temps, même si tu vois que tu es pressée. Prends le temps de le faire, parce que c’est important de s’attarder aux questions des élèves.

Marie : Ok. C : Comme la priorité des opérations, ils ont

énormément de la difficulté avec ça. Les parenthèses aussi. Tu avais l’occasion de revenir sur deux concepts compliqués.

E : Ils sont bons dans les chaînes d’opérations. Marie : Ouais. Pis tsé je pense que c’était évident

pour eux qu’ils faisaient les multiplications avant les additions.

C : Ok. E : Ils sont très bons dans les chaînes d’opérations. C : C’est quand ils arrivent après, ils oublient un

peu. E : Peut-être qu’ils oublient, mais l’examen sur les

chaînes d’opérations, c’est numéro 1 là. C : Oui mais après, quand ils arrivent en 3, ils s’en

souviennent plus. Tu sais, quand tu mets plus les parenthèses là et qu’ils font multiplier là, ils les font, ils oublient. C’est une erreur qu’ils

Pour la superviseure/chercheure, la question posée par l’élève est une belle occasion de questionner le groupe. Elle explicite une règle d’action : rediriger la question de l’élève aux autres élèves. « Profiter des occasions offertes par les élèves pour revenir sur les concepts » apparait comme une tâche attendue dans le cadre d’une intervention en mathématiques. La question de l’élève constitue alors une information signifiante (inférence). Implicitement, la chercheure y voit une prise pour le développement de la compréhension des élèves (concept organisateur). La superviseure considère que cette dimension est un élément central à travailler chez la stagiaire dans sa formation. L’enseignante associée image les propos de la superviseure/chercheure. Dans cet extrait, la superviseure/chercheure énonce une façon d’animer cette règle d’action, elle formule une façon de renvoyer la question aux élèves. La superviseure/ chercheure précise le but de cette règle d’action : travailler sur les difficultés des élèves. Les difficultés mentionnées relèvent d’une certaine anticipation de la chercheure. L’enseignante associée, en affirmant que les élèves sont bons dans les chaînes d’opérations, n’est pas dans une optique anticipatrice, mais elle ne précise pas sur qu’elle information (inférence) elle s’appuie. Marie confirme aussi que ces apprentissages sont bien acquis. L’enseignante explicite ici que les résultats à l’examen lui permettent de conclure que cet apprentissage est acquis (inférence) La superviseure/chercheure explicite ici une anticipation, elle souligne le fait que les élèves oublient dans les années subséquentes ces règles et

47

refont. ont des difficultés à bien comprendre le rôle des parenthèses qui sont source d’erreurs. Elle énonce ainsi un autre but de la règle d’action proposée.

Cet échange traite de la pertinence de revenir avec les élèves sur le sens des concepts. Des concepts organisateurs se dégagent de cet échange qui guident le rationnel de chacun des membres de la triade. Pour la superviseure/chercheure, le concept organisateur s’articule autour d’un retour sur le concept chaque fois que l’occasion se présente à travers les questions des élèves, dans le cas ici autour de la compréhension par les élèves des règles ou des principes de traitement de l’écriture. Il y a l’idée d’un travail à long terme sur des difficultés répertoriées chez les élèves. L’enseignante associée et la stagiaire partagent le même concept organisateur, elles sont centrées sur les éléments à enseigner au moment présent en se désengageant d’un retour sur le sens des concepts car ceux-ci sont jugés maîtrisés au moment présent. Cet épisode souligne la question imagée par les propos de l’enseignante Comme au tennis, faut-il attraper toutes les balles au bond? Si on ne les attrape pas toutes, lesquelles attrape-t-on? Le deuxième épisode concerne le traitement opératoire de la chaîne d’opérations par la stagiaire en classe.

ÉPISODE 2 : Faut-il laisser la place à différentes façons de calculer? Marie écrit au tableau le traitement du problème :

-8 x 5 + -4 x 3 + 3 x 2 + -12 x 4 + -11 = - 40 + -4 x 3 + 3 x 2 + -12 x 4 + -11 = - 40 + -12 + 3 x 2 + -12 x 4 + -11 = - 40 + -12 + 6 + -12 x 4 + -11 = - 40 + -12 + 6 + -48 + -11 = - 52 + 6 + -48 + -11 = -46 + -48 + -11

= -94 + -11 = -105

Un élève mentionne à Marie : « J’ai écrit -40, -12, 6,… directement » c’est-à-dire:

-8 x 5 + -4 x 3 + 3 x 2 + -12 x 4 + (-11) = - 40 + (-12) + 6 + (-48) + (-11)

Ce à quoi Marie répond « Non, non, pour moi c’est important que tu mettes toutes les étapes ». Le commentaire de l’élève (inférence) amène Marie à préciser qu’elle exige de voir apparaitre toutes les étapes (règle d’action).

Extraits de transcription Commentaires – Analyse sous l’angle des concepts de la didactique professionnelle

C : Ça, ici, j’étais surprise. Pourquoi ils doivent le faire étapes par étapes? Moi, j’aurais fait la première, j’aurais souligné chacun, pis là je mettais, -9, +2, +15, parce que ça devient long! Là, ton truc à toi, c’était 1,2,3,4,5,6,7,8,9 lignes, au lieu de trois lignes. C’est long pour les élèves de faire ça, étapes par étapes. Parce que là, je le fais quand même étapes par étapes si je souligne à chaque fois, non?

Marie : Ouais, mais toi tu le sais que ces étapes là, ça change rien que tu les fasses en même temps, mais eux autres le savent pas.

E : Pas encore. C : Ouais, mais pour eux, c’est important. C’est la

commutativité de l’addition qui est là. C’est ça qui est en jeu. Je suis en train de faire la commutativité. J’ai des additions, j’ai trois termes ici, je les additionne, je peux faire l’un ou l’autre. Ça ne dérange pas. Je ne suis pas

La superviseure/chercheure questionne la réponse donnée par Marie et énonce une règle d’action, celle d’accepter que les multiplications soient faites sur la même ligne. Marie fait ici une anticipation sur le fait que les élèves ne le savent pas donc elle ne peut s’appuyer là-dessus. L’enseignante associée précise que les élèves ne le savent pas encore mais on devine qu’il est prévu d’en faire part aux élèves plus tard (elle l’explicitera plus loin dans la discussion). La superviseure/chercheure souligne le but de la règle d’action, le travail sur une même ligne permet de travailler la commutativité, il s’en dégage une

48

obligée … y’a un élève qui t’a posé cette question-là.

E : Je suis d’accord avec toi, Mireille, là-dessus. C’est que, mes élèves forts, ils me feraient ça, je l’accepterais, parce qu’ils le comprennent et le maitrisent. Beaucoup d’entre eux ne voient pas que ça n’a pas d’influence, comme elle a dit. Admettons là, si par exemple notre résultat aurait été « multiplier par 2 » après, pis eux y vont, comment je pourrais dire, si tu as besoin du résultat précédent pour faire ton futur calcul, eux ils ne voient pas.

C : Donc, ils se perdent. Marie : Ouais, c’est ça. E : S’ils font tout d’une même ligne, ils oublient

des étapes. Fait que là ils vont faire des calculs, dans ce cas-là, un exemple simple…

Marie : Regarde, ici, la chaîne d’opérations : tu as le (-3) à la trois, pis là faut que ça donne moins 27; ensuite y a le moins qui faut que tu mettes dans la parenthèse. Fait que ça devient compliqué.

E : Dans l’exemple qui est là, je suis d’accord avec toi qui vont calculer multiplication, multiplication, multiplication, pis après t’additionnes pis c’est fini…Je l’accepterais dans l’examen.

C : Tu ne leur mettrais pas faux. E : Non. Non. Non. C : Un élève te souligne tout pis te met -9 -2 +15=

4, tu l’acceptes? Marie : Tu ne mettrais pas le mot priorités? E : En as-tu mis des priorités à ceux qui ont fait ça? Marie : Je ne pense pas qui en ai qui ont fait ça. E : Mais je ne pense pas, à ce temps-ci. Parce

qu’on est plus dans les chaînes d’opérations. Pis quand on a commencé les chaînes d’opérations, on met beaucoup d’emphase sur le fait de souligner une étape à la fois. Puis, tu as tant d’opérations, pis avec les exposants, donc ça va te donner tant d’égalités, donc euh…

Marie : Y’en a qui l’ont fait, justement, séparé. Y ont fait celui-là, celui-là, celui-là, pis après y ont tout additionné.

E : C’est correct aussi. C : Ok, donc ça c’est correct. Donc, finalement, la

démarche, elle compte pour que vous compreniez ce que fait l’élève, mais l’élève n’a pas juste une façon de faire.

E : Jamais! Jamais! (….) E : Parce que, d’ici la fin de l’année, on va les faire

souplesse dans la démarche de résolution. L’enseignante associée va dans le même sens que la superviseure/chercheure, elle partage le même but. L’enseignante associée précise sa pensée. Elle soutient les propos émis précédemment par la superviseure/chercheure dans le cas des élèves forts. Il y a ici de la part de l’enseignante associée une distinction entre les différents groupes d’élèves, une différenciation dans l’enseignement dispensé : les élèves réguliers ont des difficultés à bien saisir cette souplesse dans le calcul, à la maîtriser. Ce à quoi Marie consent. L’enseignante associée montre ainsi qu’en procédant étape par étape on aide les élèves, on évite les difficultés et erreurs (but). L’enseignante souligne qu’elle accepterait la réponse d’un élève qui fait toutes les étapes en même temps. La stagiaire, Marie, est surprise par cette réponse de son enseignante, elle ne s’y attendait pas. Toutefois, l’enseignante associée précise qu’à ce stade les élèves ne pensent pas à faire moins d’étapes : il leur est demandé de faire autant d’étapes (d’égalités) qu’il y a d’opérations à faire. La stagiaire rapporte une autre façon de faire de certains élèves qui ont fait les calculs à part et les ont par la suite rapportés dans leur chaîne d’opérations, ce qui revient à faire ce que propose la superviseure/chercheure. L’enseignante associée propose d’accepter cette façon de procéder. La superviseure/chercheure souligne l’importance de montrer aux élèves qu’il y a différentes façons de faire. Ce qui rejoint l’enseignante associée.

49

comme ça. On va les faire en plusieurs… Ben on va voir que ça n’a aucune influence pis on va pouvoir le faire. Mais c’est trop récent là.

Marie : Ouais pis là je n’osais pas le dire parce que je savais que Isabelle voulait les priorités pis j’osais pas dire…

C : OK. Là, y’a eu un truc. Tu vois, c’est vraiment les élèves qui t’amènent des choses et puis que tu laisses un peu de côté, ce qui est dommage.

L’enseignante associée énonce une règle d’action, celle de présenter une façon plus rapide et éclairée de travailler les chaînes d’opérations en cours d’année. Il ne faut pas brusquer les élèves. La stagiaire justifie sa règle d’action par le fait qu’elle ne savait pas que l’enseignante associée acceptait cette façon de procéder.

La superviseure/chercheure est guidée dans ses interventions par une ouverture sur différentes façons de calculer, par une souplesse dans la démarche de résolution. Les exigences sont alors basées sur une mobilisation appropriée des conventions d’écriture mathématiques et des propriétés des opérations au service du calcul. L’enseignante rejoint la superviseure/chercheure mais nuance ses propos en argumentant que les élèves forts sont capables d’avoir ce regard réflexif sur l’écriture mais pas les élèves réguliers. Leur donner un cadre de résolution permet de les soutenir dans leur apprentissage, d’éviter les difficultés et erreurs. Il y a chez l’enseignante associée un souci de faire progresser les élèves, de les amener à constater graduellement au cours de l’année d’autres façons de mener les calculs dans la chaîne d’opérations. Elle est toutefois ouverte à accepter d’autres formes de calcul que celle imposée si celles-ci se manifestent chez les élèves. La stagiaire n’est pas consciente de cette gradation, son concept organisateur tourne autour d’une exigence sur la démarche de résolution de la chaîne d’opérations qu’elle reconnaît comme seule valide.

5. DISCUSSION DES RÉSULTATS ET BRÈVE CONCLUSION Nous rappelons qu’en amont de notre recherche, c’est le contexte particulier de la supervision en stage dans laquelle est impliquée une didacticienne des mathématiques qui est au cœur de notre questionnement. Dans les deux épisodes analysés et présentés dans ce texte, nous sommes en effet intéressées à voir ce qui se dégage des échanges entre les partenaires de la formation et qui nous renseigne sur l’activité professionnelle liée à l’enseignement des mathématiques. Nous avons emprunté à la didactique professionnelle l’idée de concept organisateur, entre autres, afin de décrire l’intervention en mathématique telle que conçue par les acteurs du stage. Ainsi, un premier constat se dessine dans ce début d’analyse : même si les partenaires s’entendent pour reconnaitre l’importance d’une même tâche, par exemple travailler le sens d’une notion mathématique, le concept qui organise les actions attendues et qui anime chacun des membres de la triade n’est pas du même ordre. La superviseur/didacticienne est guidée par certains principes didactiques comme celui de donner du sens aux concepts et d’orienter les interventions en classe autour des questions provenant des élèves. Elle s’appuie sur sa connaissance des difficultés récurrentes en lien avec le concept et sur la nécessité d’investir un développement conceptuel sur un long terme. Les interventions continues qui favorisent la construction d’un sens approfondi et stable des concepts mathématiques en jeu vont être considérées comme pertinentes à ses yeux. L’enseignante associée reconnait également l’importance de travailler le sens des concepts, mais signale qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir à chaque occasion. Elle gère les apprentissages de ses élèves sur un temps plus court et s’appuie sur les résultats des évaluations pour déterminer s’il y a nécessité de s’y attarder encore ou pas. Les interventions sont balisées en fonction de sa représentation de la progression de la compréhension des élèves tout au long de l’année scolaire. Ainsi, il est

50

important de donner du sens aux concepts en début d’apprentissage et d’y revenir à des moments clés où le concept est le principal à l’étude. Elle trouve également important de donner un cadre aux élèves pour les aider à structurer leur pensée et éviter les erreurs. Cette perspective ne correspond pas tout à fait à celle préconisée par la didacticienne qui se demande si l’apprentissage ne perd pas de sa richesse quand on évite l’erreur. Quoique notre étude ne cherche pas à mesurer l’impact des échanges sur le développement professionnel de la stagiaire, l’analyse rend tout de même visibles certaines dimensions de la situation encore à construire ou bien des représentations à transformer chez notre novice. Par exemple, le deuxième épisode nous offre un bel exemple où elle se raccroche aux propos de l’enseignante et suit ce qu’elle propose sans toujours en connaître le rationnel sous-jacent. Elle est alors guidée par l’importance de présenter les étapes d’un calcul de façon rigide sans avoir en tête la progression prévue par l’enseignante associée. Ainsi, dans cet épisode, nous sentons clairement chez la stagiaire un réajustement sur ce qu’elle pensait comme vrai. Cette première esquisse du savoir-enseigner les mathématiques qui se dégage des deux épisodes de supervision analysés nous donne accès aux enjeux didactiques qui sont abordés par notre triade. Elle nous donne à voir également leurs redéfinitions distinctes par les différents acteurs du stage. La prochaine étape consistera évidemment à compléter notre analyse. Il nous apparait également intéressant d’envisager un retour vers nos praticiennes pour valider notre construction.

BIBLIOGRAPHIE BALL, LUBIENSKI et MEWBORN, (2001). “Research on teaching mathematics : the unsolved problem of teachers’ mathematical knowledge”, in Handbook of research on teaching, fourth edition, Virginia Richardson ed., American educational research association, pp. 433-456 BECKERS, J. (2007). Compétences et identité professionnelles. L’enseignement et autres métiers de l’interaction humaine, De Boeck édition, 356 pages. BEDNARZ, N. (2001). « Une didactique des mathématiques tenant compte de la pratique des enseignants », dans Les didactiques des disciplines : un débat contemporain, P. Jonnaert et S. Laurin dir., Presse de l’Université du Québec, pp. 57-79 BEDNARZ, N. et PERRIN-GLORIAN, M. J. (2004). « Formation à l’enseignement des mathématiques et développement de compétences professionnelles : articulation entre formation mathématique, didactique et pratique ». BILLET, S. (2001). « Knowing in practice : re-conceptualising vocational expertise » in Learning and instruction, vol. 11, Issue 6, december, pp. 431-452. BLANTON, BERENSON et NORWOOD (2001). « Exploring a pedagogy for the supervision of prospective mathematics teachers », in Journal of mathematics teacher education, 4, pp. 177-204 KAUFFMAN, D. (1992). Supervision of student teachers. Eric Digest. (ED344873). Consultée le 13 juillet 2007. http://www.ericdigests.org/1992-4/student.htm LESSARD, C. (1997). « Continuités et ruptures en formation des maîtres : à la recherche d’un point d’équilibre », dans Continuités et ruptures en formation des maîtres au Québec, M. Tardif et H. Ziarko, dir., Les Presses de l’Université Laval, pp. 253-279. MAYEN, P. (2002). « Le rôle des autres dans le développement de l’expérience » dans Éducation permanente, no. 151, pp. 87-107.

51

MEQ (2001). La formation à l’enseignement. Les orientations. Les compétences professionnelles, Gouvernement du Québec, Ministère de l’éducation, 253 p. MONTMOLLIN, M. (1996). « Savoir travailler. Le point de vue de l’ergonome », dans Savoirs théoriques et savoirs d’action, J.-M. Barbier dir. Presses universitaires de France : Paris, pp. 189-199. PASTRÉ, P. (2001). « Travail et compétences : un point de vue didacticien », in Leplat, Jacques et De Montmollin, Maurice, Les compétences en ergonomie, collection Travail & Activité Humaine, Octarès Editions, Toulouse, pp. 147-160.

PASTRÉ, P. (1999). « La conceptualisation dans l’action : bilan et nouvelles perspectives », dans Éducation permanente, no. 139, pp. 13-35. PORTELANCE, GERVAIS, LESSARD et BEAULIEU (2009). Rapport de recherche : La formation des enseignants associés et des superviseurs universitaires. Cadre de référence, 153 pages ROGALSKI, J. (2003). « Y a-t-il un pilote dans la classe? » dans Recherches en Didactique des Mathématiques, vol.23, no. 3, pp. 343-388. SAMURÇAY et PASTRÉ (1995). « La conceptualisation des situations de travail dans la formation des compétences », dans Éducation Permanente, no. 123, pp. 13-31

SAMURÇAY et PASTRÉ (1998). L’ergonomie et la didactique. L’émergence d’un nouveau champ de recherche : didactique professionnelle, http://www.ergonomie-self.org/rechergo98/html/samurcay.html SANDFORD, K. et HOPPER, T. (2000). Mentoring, not Monitoring : Mediating a Whole-School Model in Supervising Perservice Teachers. The Alberta Journal of Educational Research, Vol. XLVI, 2, 149-166.

52

Entretiens didactiques sur la fraction auprès d'élèves en difficulté d'apprentissage Jacinthe Giroux

Groupe d’études sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques en adaptation scolaire (GEMAS),

Université du Québec à Montréal. LACES, EA 4140, Équipe ADS,

Université de Bordeaux

RÉSUMÉ Ce texte présente les résultats de l’analyse d’entretiens sur la fraction menés auprès de 10 élèves en difficulté d’apprentissage de fin primaire. Trois plans d’analyse ont permis l’interprétation des connaissances mathématiques des élèves. Une analyse contrastée intra tâche identifie des catégories de stratégies mises en œuvre par les élèves. Une analyse inter tâches caractérise l’effet des spécificités des tâches sur les stratégies des élèves. Enfin, une analyse des conduites d’un même élève à différentes tâches spécifie comment les stratégies d’un même élève varient en fonction des caractéristiques mathématiques de chaque tâche. Au terme de ces analyses, nous avons croisé les résultats pour considérer la progression de la dynamique des interactions didactiques au cours des entretiens.

INTRODUCTION Les nombres rationnels, et donc la fraction, sont un thème mathématique fort important dans la scolarité obligatoire étant au coeur de la transition primaire/secondaire en mathématiques. Chez les élèves du primaire, la fraction vient se coordonner aux connaissances sur la multiplication et la division des naturels qui ont déjà fait l’objet d’apprentissage. Chez les élèves du secondaire, la fraction trouve son prolongement dans l’étude des rationnels, de la proportionnalité, des probabilités et statistiques ainsi que de l’algèbre. Cette notion est donc essentielle dans le cursus scolaire et les nombreuses difficultés liées à son enseignement et son apprentissage sont connues autant des enseignants que des chercheurs (Boulet, 1998). L’enjeu est particulièrement sensible pour la réussite scolaire des élèves faibles. Selon nos observations, la période d’enseignement des fractions en classe d'adaptation scolaire n’est pas aussi longue que celle des classes ordinaires et ne vise pas, nécessairement tous les élèves de la classe. Devant ce constat, deux questions se posent : 1) Quelles connaissances sur la fraction possèdent les élèves de 3e cycle primaire en adaptation scolaire ; 2) Quelles sont les situations accessibles à ces élèves pour qu’ils construisent la fraction en tant que structure multiplicative ? Le texte apporte quelques éléments de réponse à la première question, mais il traite également des caractéristiques de l’échange dans le cadre d’entretiens didactiques. En effet, dans le but de procéder à l’évaluation des connaissances sur la fraction des élèves en difficulté d’apprentissage, nous avons été conduite à développer un schéma d’entretiens didactiques. L’analyse des contenus des entretiens réalisés a permis de caractériser les dynamiques didactiques à l’œuvre au sein des interactions entre le pilote de l’entretien et l’élève. Ainsi, les résultats de cette étude sont

53

à double volets. D’une part, ils nous renseignent sur les connaissances des élèves de 3e cycle primaire en difficulté sur la notion de fraction et, d’autre part, ils donnent lieu à une modélisation des interactions au sein d’entretiens didactiques.

L’ENTRETIEN COMME MOYEN D’INVESTIGATION DES CONNAISSANCES MATHÉMATIQUES En milieu scolaire, la question de l’évaluation des connaissances mathématiques des élèves en difficultés d’apprentissage peut se problématiser en ces termes : l’évaluation aurait un caractère statique permettant de renvoyer une image dichotomique des connaissances d’un élève (sait/ne sait pas) alors que l’intervention rééducative, de caractère dynamique, favoriserait la transformation des connaissances et donc l’apprentissage. Cette opposition entre évaluation et remédiation est utile au système, notamment au regard du classement des élèves en difficultés. Cependant, les épreuves de type «papier/crayon», souvent utilisées dans l’évaluation des connaissances mathématiques (par exemple, pour les instruments validés Key Math et Wiatt) ne favorisent pas la manifestation des connaissances des élèves en difficulté et sont très peu utiles pour planifier une intervention mathématique auprès d'eux. C’est sur ces considérations que nous avons énoncé, sous forme de principes, ce qui caractérise l’entretien didactique. Ces principes, en interdépendance, marquent le caractère dynamique des échanges didactique propres à l’entretien d’investigation des connaissances :

1. Les connaissances ont un caractère dynamique puisque : a) elles sont «circonstanciées», liées aux caractéristiques de la situation dans laquelle elles sont mises en œuvre; b) elles permettent d’agir sur la situation, de la transformer, voire de la contrôler ; c) elles se modifient en retour sous l’effet de la transformation de la situation.

2. L’entretien didactique est tissé d’interprétations injectées par l’enseignant/l’élève dans la situation : les connaissances mises en œuvre dans un entretien sont imbriquées dans un flot d’interprétations mathématiques et didactiques qui agissent sur le déroulement de la situation.

3. L’entretien didactique n’ouvre pas sur l’état des connaissances mais, sous l’effet des interactions, sur leurs transformations.

Ainsi, l’entretien didactique est un outil pour investiguer les connaissances mathématiques du point de vue de leur adaptation aux caractéristiques des tâches qui leur son proposées. Il importe alors de préparer des tâches qui se caractérisent par quelques variables didactiques et qui varient en fonction des valeurs de ces variables (Brousseau, 1998). Un schéma d’entretien, pour un domaine de savoir mathématique donné, doit ainsi comporter différentes collections de tâches ; une même collection regroupant des tâches affectées de valeurs différentes pour une même variable. Une analyse «inter-tâches» permet ainsi de juger de l’adaptation des stratégies de l’élève en fonction des valeurs que prennent les variables didactiques. De plus, un entretien didactique est un échange relativement ouvert entre deux personnes : le pilote de l’entretien et l’élève. Si cet échange est encadré par les caractéristiques de chacune des tâches, chaque dyade pilote/élève développe sa propre dynamique au travers de leurs interactions et créent ainsi leur propre espace de dialogue. Chaque protagoniste doit profiter de cet espace pour faire progresser l’entretien. Les interactions sont nécessaires pour qu’il y ait un véritable entretien et non, simplement, la supervision d’une épreuve de connaissances. Ainsi, le pilote est appelé à interpréter au fur et à mesure ce que produit dans l'interaction élève/tâche : les impasses, les hésitations, les essais, les réussites, etc. Les interprétations du pilote lui sont nécessaires pour

54

relancer l’activité mathématique de l’élève à des moments opportuns. Pour que le pilote puisse exercer ce rôle, il doit posséder une connaissance approfondie des enjeux de chacune des tâches qu’il propose. C’est là une des raisons pragmatiques de l’utilité des analyses a priori.

QUELQUES ÉLÉMENTS THÉORIQUES POUR L’ÉLABORATION DES TÂCHES Les études sur le développement de la notion de fraction (Behr, Lesh, Post et Silver, 1983 ; Kieren, 1993) et celles sur l’enseignement de la fraction (Charalambous et Pitta-Pantazi, 2007 ; Empson, Junk, Dominguez et Turner, 2006) convainquent de la nécessité d’étudier de nouveaux dispositifs didactiques qui sollicitent des interprétations et des relations essentielles à la construction de la fraction. Si ce constat est valable pour l’enseignement en classe ordinaire, il est particulièrement éclairant pour saisir les enjeux d’enseignement et d’apprentissage en contexte d’adaptation scolaire. En effet, les modèles d’enseignement qui s’appuient sur des interprétations élémentaires de la fraction (partie/tout) et des fractions équivalentes sont particulièrement prisés dans l’enseignement auprès des élèves en difficulté puisqu’ils permettent d’obtenir une certaine réussite à des tâches bien stéréotypées (Blouin, 1993 ; Keijzer et Terwel, 2003). Ces réussites locales sont possibles parce que ces modèles ne confrontent pas les élèves aux propriétés propres aux rationnels. Les élèves peuvent donc faire fonctionner avec succès leurs connaissances relatives aux propriétés des nombres naturels dans des tâches qui portent sur les fractions (par exemple, produire des fractions équivalentes en multipliant l’entier du haut et celui du bas par le même naturel sans interroger la relation entre le numérateur et le dénominateur). Cependant, les connaissances investies dans ces tâches ne favorisent pas une compréhension idoine de la fraction laquelle sera nécessaire, par exemple, en algèbre. Les études que nous avons recensées convergent d’une part, sur le constat que les activités de partition sur des touts continus sont surinvesties dans l’enseignement et, d’autre part, sur la nécessité de proposer aux élèves des situations qui favorisent un apprentissage de la fraction en tant que structure multiplicative. Considérant ces études, nous avons développé 5 collections de tâches dont chacune d’elles comportent des tâches scolairement plus typées, pour lesquelles les élèves sont relativement familiers, ainsi que des tâches moins typées, donc relativement nouvelles pour les élèves, et dont la résolution sollicite un raisonnement multiplicatif. Ces collections de tâches sont : 1) application d’une fraction à un tout continu ou une collection (a/b, n ≠ b) ; 2) construction d’un tout (continu ou discret) étant donné une fraction du tout; 3) énoncés de problèmes multiplicatifs dont l’une des données ou l’inconnu est une fraction ; 4) identification d’une fraction d’une bande par pliages successifs ; 5) opération sur des fractions. Les tâches proposées aux élèves en difficulté d’apprentissage doivent permettre un engagement mathématique assez rapidement et pour cela, les consignes, le matériel ou le contexte ne doivent pas «écraser» le savoir en tant qu’enjeu de savoir. Les tâches doivent aussi permettre aux élèves d’avoir une rétroaction rapide sur la justesse des stratégies qu’ils ont engagées (Giroux, 2013). Si les conditions de réalisation d’un entretien didactique d’évaluation ne favorisent pas la mise en place d’une situation didactique dont le milieu assure la rétroaction, l’entretien didactique doit tout de même être mené de manière relativement souple pour que l’élève puisse être relancé par le biais d’une rétroaction. Ainsi, des relances sont prévues au protocole d’entretien, mais peuvent aussi être improvisées pour dynamiser l’interaction élève/tâche et stimuler l’adaptation des connaissances. Nous croyons en effet que c’est là une condition importante du travail auprès des élèves en difficulté d’apprentissage de manière à soutenir leur engagement mathématique. Ce qui

55

fournit, en retour, plus d’informations sur les connaissances qu’ils «peuvent» investir en situation.

L’ANALYSE À PRIORI DES TÂCHES Dans le cadre de cet article, ne sont présentés que les résultats obtenus à partir de la première collection de tâches soit celle qui invite l’élève à construire un tout continu ou discret étant donné une fraction de ce tout. Ces tâches sont résumées dans le tableau 1.

Types de touts de

références Nombre

TOUT CONTINU (RECTANGLE)

TOUT CONTINU (SEGMENT)

TOUT DISCRET (COLLECTION)

DESSIN RECTANGLE

TRAIT TRACÉ JETONS

1/b

Tâche A 1/5 du T

Tâche C 1/3 du T (4 cm)

Tâche E 2 jetons est 1/5 du T

a/b (a ≠ 1 et a < b)

Tâche B 2/3 du T

Tâche D 2/3 du T (8 cm)

Tâche F 6 jetons est ¾ du T

Tableau 1 – Six tâches sur la construction d’un tout étant donné une fraction du tout Nous avons principalement joué sur deux variables pour ces tâches. La première est le type de «tout» ou encore d’unité de référence et, la seconde, la fraction à considérer pour construire le tout. Dans toutes ces tâches, il y a nécessité de répliquer des parts égales – correspondant à la fraction 1/n du tout - pour construire l’unité de référence. Pour chaque type de tout, deux tâches sont proposées. La première implique une fraction du type 1/n et, la seconde, une fraction ordinaire a/b (a ≠ 1 et a < b). Lors des entretiens, les tâches se suivent selon l’ordre alphabétique inscrit au tableau 1. Cet ordre est modifié dans la description qui suit : les tâches qui se rapportent au tout segment étant décrites en dernier. • La construction d’un tout continu : un «rectangle» Dans le cas d’un tout continu de type «rectangle», une fraction de ce tout est à la fois une mesure et un rapport à l’entier. La construction du tout de référence, aux tâches A et B exige la réplique, «b» fois, de la figure donnée si sa mesure est 1/b du tout. Lorsque la mesure de la figure est a/b du tout, la construction du tout fait appel d’abord à une opération de partage (÷ «a») de la figure pour obtenir la mesure 1/b puis, à la réplique de cette mesure, « b» fois. Une des principales difficultés est la nécessité de constituer des parts égales et d’en contrôler leur réplique. Nous prévoyons que ce contrôle est particulièrement difficile pour construire le tout étant donnés les 2/3 de ce tout : si la figure donnée représente les 2/3 du tout-rectangle, il doit être partagé en 2 parties égales pour identifier le 1/3 du tout-rectangle et le répliquer 3 fois. • La construction d’un tout discret : une collection de jetons La construction d’un tout de type discret, aux tâches E et F, exige l’articulation entre la fraction comme rapport à l’entier (par exemple, 1/5) et la mesure de la sous-collection (par exemple, 2 jetons) entretenant le même rapport avec la collection totale (par exemple, 10 jetons). La principale difficulté de cette tâche ne relève pas tellement de la constitution de parts égales, comme dans le cas d’un tout continu. Elle relève plutôt de la prise en compte, simultanément, d’une sous-collection en terme de mesure (2) et en terme de rapport à un tout (1/5). Ce contrôle

56

devrait être plus difficile à réaliser pour la tâche F étant donné le nombre et l’articulation des relations à établir : si 6 jetons sont les ¾ d’une collection, je dois créer 3 sous-collections pour identifier la mesure d’une sous-collection entretenant un rapport de ¼ avec la collection totale, et répliquer cette sous-collection 4 fois pour constituer la collection totale. • La construction d’un tout continu : un «segment» La construction d’un tout continu de type «segment» présente des caractéristiques qui relèvent à la fois du tout continu et du tout discret. La fraction de ce tout, qui se présente sous la forme d’un trait, est un rapport au tout. Cependant la mesure de longueur de ce trait est une information que l’on peut tirer pour discrétiser en quelque sorte le segment. Dans la tâche expérimentée, la mesure de ce trait n’est pas donnée à l’élève ; il peut toutefois utiliser une règle pour l’identifier. La tâche D devrait avoir un niveau de complexité moindre que les tâches B et F étant donné les entrées possibles : si ce trait est les 2/3 du segment, je dois le partager en deux parties égales pour identifier le 1/3 du segment et le répliquer 3 fois ou encore si ce trait est les 2/3 du segment et mesure 4 cm, je peux identifier le 1/3 du segment en divisant 4cm en 2 et répliquer cette dernière mesure, 3 fois.

LE PREMIER NIVEAU DU MODÈLE D’ANALYSE INTERPRÉTATIVE À un premier niveau du modèle d’analyse interprétative, trois plans sont définis. Le premier se rapporte à une analyse intra-tâche qui procède d’une analyse contrastée des stratégies mises en œuvre par l’ensemble des élèves à une même tâche pour dégager des niveaux de stratégies. Le second plan est relatif à l’analyse inter-tâches par lequel une analyse comparée des stratégies mises en œuvre à chacune des tâches permet de caractériser l’effet des valeurs des variables didactiques sur les stratégies mises en œuvre. Enfin, le troisième plan concerne une analyse croisée des stratégies d’un même élève à une même collection de tâches, analyse qui permet de dégager comment ces stratégies varient, chez un même élève, en fonction des caractéristiques de chacune des tâches. Ce premier niveau d’analyse est illustré dans le schéma qui suit.

INTRA-TÂCHE

Analyse contrastée à une même tâche

Dégager des niveaux de

stratégies mises en œuvre pour une même tâche ainsi que les

effets des relances sur ces stratégies

INTER-TÂCHES INTER-TÂCHES/ÉLÈVE

Analyse comparée à une collection de tâches

Caractériser l’effet des valeurs

des variables didactiques sur les stratégies

Analyse croisée des conduites

d’un même élève à une collection de tâches

Dégager comment les stratégies chez un même élève varient en

fonction des valeurs des variables didactiques

Schéma 1 : Premier niveau du modèle d’analyse interprétative des contenus d’un entretien. Analyses intra-tâche et inter-tâches Nous avons établi 4 niveaux de stratégies qui s’applique à chacune des tâches qui portent sur la construction d’un tout. Au niveau 1, aucune action qui transforme le milieu initial n’est réalisée : par exemple, l’élève écrit la fraction en jeu ou encore reproduit exactement la figure, forme ou sous-collection qui est donnée. Au niveau 2, la tâche est traitée soit selon la relation directe

57

(identifier une fraction d’un tout plutôt que construire un tout) soit de manière qualitative. Dans ce dernier cas, l’élève dessine, trace ou produit une collection qui est un peu plus grande que la mesure initiale sans aucun contrôle sur la réplique d’un certain nombre de parts égales. Au niveau 3, un raisonnement multiplicatif est engagé, mais sans qu’il permette d’exercer un contrôle sur le milieu. Par exemple, partant d’un trait qui est les 2/3 d’un segment, l’élève réplique 2 ou 3 fois le trait initial. Au niveau 4, le tout de référence est construit correctement par un contrôle du rapport entre le numérateur et le dénominateur de la fraction. Le tableau 2 présente la fréquence des différents niveaux de stratégies initiales (avant qu’il y ait relance de la part du pilote) des élèves à chacune des tâches.

TOUT CONTINU Rectangle (gâteau)

TOUT CONTINU segment

TOUT COLLECTION jetons

A) 1/5 DU TOUT

B) 2/3 DU TOUT

C) 1/3 DU TOUT à 4 CM

D) 2/3 DU TOUTà 8 CM

E) 1/5 DU TOUT à 2

JETONS

F) ¾ DU TOUT à 6

JETONS Niveau 1 : 2 Niveau 2 : 5 Niveau 3 : 1 Niveau 4 : 2

Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 3 Niveau 3 : 5 Niveau 4 : 1

Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 1 Niveau 3 : 0 Niveau 4 : 8

Niveau 1 : 2 Niveau 2 : 0 Niveau 3 : 5 Niveau 4 : 3

Niveau 1 : 0 Niveau 2 : 4 Niveau 3 : 0 Niveau 4 : 6

Niveau 1 : 2 Niveau 2 : 0 Niveau 3 : 5 Niveau 4 : 3

Tableau 2 - Fréquence des stratégies initiales pour chacun des niveaux à chacune des tâches. Les résultats montrent que les tâches n’impliquent effectivement pas le même degré de difficulté. Celles qui impliquent une fraction unitaire (1/n) sont mieux réussies que celles qui impliquent une fraction ordinaire (a/b, a ≠ 1). Aussi, tel que prévu dans l’analyse à priori, la construction d’un tout «segment» avec 1/n est la tâche la mieux réussie. Par ailleurs, la construction d’un tout continu «rectangle» qui implique la fraction 2/3 est la tâche qui semble la plus difficile. Cependant, il est peu approprié de juger de la complexité des tâches en se limitant à une comparaison des résultats. Les relances didactiques, à l’intérieur d’une tâche, agissent sur le niveau des stratégies engagées et ce, de manière différenciée selon l’élève et le type de tâche. De même, le rang de la tâche dans l’entretien affecte le niveau de stratégies engagé. Nous allons examiner conjointement l’effet des relances à l’intérieur de chacune des tâches et l’effet de l’ordre de présentation des tâches sur la progression des stratégies. Dans le tableau 3, sont précisées les stratégies initiales et les stratégies atteintes suite aux relances effectuées par le pilote à chacune des tâches. La progression des stratégies à l’intérieur d’une même tâche dépend bien entendu de la difficulté de la tâche, autrement dit, du niveau des stratégies initiales. Ainsi, la progression interne à la tâche C est nulle et s’interprète aisément du fait que 8 élèves sur 10 ont réussi dès le départ la tâche, les deux autres élèves n’ayant pas bougé. La progression intra tâche est relativement marquée cependant pour les tâches A, E et B. Les tâches A et B sont les premières qui confrontent les élèves à la construction d’un tout. Les stratégies initiales le sont donc à double titre ! Mais justement, le fait que ces tâches soient les premières (1/b et a/b) bonifie l’effet de relance. Ainsi, à la tâche A, si 5 des 10 élèves établissent une relation directe plutôt qu’inverse, en identifiant 1/5 de la figure de départ plutôt que de construire un tout qui est 5 fois plus grand (niveau 2), 3 parmi ces 5 élèves profitent de la relance : deux réussissent la tâche (niveau 4) et un autre atteint le niveau 3.

58

A) 1/5 DU TOUT CONTINU (RECTANGLE GÂTEAU)

C) 4 CM EST 1/3 DU TOUT CONTINU (SEGMENT)

E) 2 JETONS EST 1/5 DU TOUT COLLECTION (JETONS)

Initiales atteintes Initiales atteintes Initiales atteintes Niveau 1 : 2 Niveau 2 : 5 Niveau 3 : 1 Niveau 4 : 2

Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 2 Niveau 3 : 3 Niveau 4 : 4

Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 1 Niveau 3 : 0 Niveau 4 : 8

Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 1 Niveau 3 : 0 Niveau 4 : 8

Niveau 1 : 0 Niveau 2 : 4 Niveau 3 : 0 Niveau 4 : 6

Niveau 1 : 0 Niveau 2 : 0 Niveau 3 : 2 Niveau 4 : 8

B) 2/3 DU TOUT CONTINU (RECTANGLE-GÂTEAU)

D) 8 CM EST 2/3 DU TOUT

CONTINU (SEGMENT)

F) 6 JETONS EST ¾ DU TOUT

COLLECTIONS (JETONS)

Initiales Atteintes Initiales Atteintes Initiales Atteintes Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 3 Niveau 3 : 5 Niveau 4 : 1

Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 2 Niveau 3 : 3 Niveau 4 : 4

Niveau 1 : 2 Niveau 2 : 0 Niveau 3 : 5 Niveau 4 : 3

Niveau 1 : 2 Niveau 2 : 0 Niveau 3 : 2 Niveau 4 : 6

Niveau 1 : 2 Niveau 2 : 0 Niveau 3 : 5 Niveau 4 : 3

Niveau 1 : 1 Niveau 2 : 0 Niveau 3 : 5 Niveau 4 : 4

Tableau 3 - Fréquence des niveaux de stratégies initiales et atteintes à chacune des tâches. À la tâche E, les élèves sont confrontés pour la première fois à un tout collection. Aucune stratégie de niveau 1 n’est toutefois observée et la tâche est réussie par 6 des 10 élèves. Parmi les 4 autres élèves, 2 profitent de la relance pour réussir alors que les 2 autres mettent en place une stratégie multiplicative qui n’est, cependant, pas efficace (niveau 3). Les tâches B, D et F impliquent des fractions ordinaires et présentent un degré de difficulté plus important que les tâches A, B et C. C’est sans doute la raison pour laquelle la relance a un peu moins d’effet sur la progression des stratégies. Le niveau 3 est plus représenté aux tâches B, D et F qu’aux tâches A, B et C. Rappelons que le niveau 3 implique un raisonnement multiplicatif mais sans contrôle sur le rapport entre le numérateur et dénominateur. Lorsqu’une fraction unitaire est impliquée (tâches A, C, E), ce type de raisonnement est moins fréquent du fait qu’une seule opération pour construire le tout est nécessaire : la réplique de la mesure donnée. Aux tâches B, D et F, deux opérations sont nécessaires : le partage égal et la réplique de la part qui correspond à 1/n. Plusieurs stratégies ont été observées à ces tâches sans que l’opération de réplique soit articulée à une opération de partage. Une combinaison de facteurs semble jouer en faveur du recours à ces stratégies : la difficulté d’articulation des deux opérations combinée à l’effet pérenne des stratégies utilisées aux tâches A, C et E qui précèdent respectivement les tâches B, D et F. Nous voyons ici un premier effet de l’interaction inter-tâches. On peut relever d’autres effets plus importants de cette interaction. La tâche F est sans doute celle dont le degré de difficulté est le plus élevé. Cependant, elle est réussie d’entrée de jeu par 3 élèves sur 10. Neuf élèves sur 10 profitent de la relance pour engager un raisonnement multiplicatif lequel est contrôlé par 4 de ces 9 élèves. Il est difficile de penser que ces résultats auraient pu être obtenus si la tâche F avait été la première présentée aux élèves.

Analyse inter-tâche/élève Dans ce qui suit, nous présentons brièvement quelques résultats concernant l’analyse des conduites mathématiques d’un même élève à l’ensemble des tâches. Comme l’illustre le tableau

59

qui suit, l’élève E1 ne peut, dès le départ, interpréter la première tâche (A). Cependant, à partir de la relance il donne du sens aux relations en jeu. À la tâche B, la relance ne lui permet pas d’élaborer une stratégie multiplicative étant donné sans doute la nécessité de procéder à deux opérations pour construire le tout. Cependant, aux tâches C, D, E et F, l’élève engagera des stratégies multiplicatives. Examinons les tâches C et E qui impliquent une fraction unitaire. À la tâche C, l’élève met en place une stratégie multiplicative mais non efficace et suivie, grâce à la relance, par une stratégie adéquate. Cependant, à la tâche E, l’élève met en œuvre dès le départ une stratégie qui permet la construction du tout. Aux tâches D et F, qui impliquent toutes deux, une fraction de type a/b, a ≠ 1, des stratégies multiplicatives mais non contrôlées sont utilisées. Les relances n’ont alors pas d’effet et on voit bien que, par le caractère relativement stable des stratégies lorsqu’est impliquée une fraction ordinaire de type a/b, a ≠ 1, les stratégies multiplicatives ne peuvent être contrôlées par l’élève. Nous pouvons interpréter que, dans le cadre de cet entretien, une «saturation» de l’adaptation des connaissances de l’élève est atteinte.

Analyse inter-tâche/élève Tâches

Stratégies

A) à partir de 1/5 d’un tout continu

B) à partir de 2/3 d’un tout continu

C) à partir de 4 cm qui

est 1/3

D) à partir de 8 cm qui

est 2/3

E) à partir de 2 jetons qui est 1/5

F) à partir de 6 jetons qui

est 3/4

NIVEAU 0 X NIVEAU 1 X X NIVEAU 2 X X X X X NIVEAU 3 X X X X

Tableau 4 – Stratégies initiales et atteintes d’un même élève (E1) à chacune des tâches Par ailleurs, le tableau 4 permet de voir le jeu possible d’adaptation et donc, «d’apprentissage circonscrit»7 au cours d’une même tâche, mais aussi sur l’ensemble de cette collection de tâches.

LE DEUXIÈME NIVEAU D’ANALYSE INTERPRÉTATIVE

Les résultats auxquels donne lieu le premier niveau d’analyse interprétative conduit à interroger comment les interactions didactiques affectent le contenu des échanges entre le pilote et l’élève. Ainsi, un deuxième niveau d’analyse interprétative, tel qu’illustré au schéma 2, est généré. Il permet de dégager trois dynamiques qui se déploient au sein de toute interaction didactique en mathématiques. À la différence du premier niveau, ce deuxième niveau ne donne pas lieu à un outil dont peuvent s’emparer les enseignants pour l’analyse des conduites des élèves. Il permet cependant au chercheur de saisir ce qui se joue dans l’entretien didactique et qui affecte à la fois les conduites mathématiques du pilote et de l’élève. C’est, selon nous, d’un grand intérêt si l’entretien est utilisé en tant qu’outil d’évaluation des connaissances d’un élève. Ses retombées éventuelles pour les praticiens concernent la compréhension de la spécificité de l’entretien didactique au regard notamment des épreuves papier/crayon. La première dynamique, identifiée au deuxième niveau d’analyse, se rapporte aux interactions didactiques propres à une tâche. C’est à travers elle que peuvent être mises en relation les connaissances des élèves et les caractéristiques précises d’une tâche. Il faut également tenir compte des interventions du pilote qui sont sous l’effet de son interprétation de l’interaction élève/tâche. Ces interventions, qu’elles soient prévues au protocole (par exemple, jouer sur la                                                                                                                7 Cet type d’apprentissage est désigné par la microgenèse en psychologie développementale.

60

disposition des jetons) ou improvisées, peuvent générer des effets didactiques tels que des effets de contrat ou des événements d’apprentissage. Dans le cas où l’intervention improvisée donne lieu à une adaptation des connaissances et donc à un événement d’apprentissage, il est alors possible d’identifier des variables didactiques qui n’avaient pas été prévues. Ce fut le cas, par exemple, dans nos entretiens avec la production de l’écriture de type : n/n = 1. Une deuxième dynamique est celle des interactions propres au déroulement d’un entretien avec un même élève. Elle s’entrelace à la première dynamique puisqu’on ne peut considérer les conduites des élèves en les cloisonnant par tâche. En effet, les connaissances qu’une tâche sollicite ne sont pas fermées sur elle. Les tâches se succèdent mais non les connaissances auxquelles elles font appel. Ainsi, au fur et à mesure que progresse l’entretien et que les tâches s’enchaînent, les connaissances des élèves s’adaptent. Il y a un «effet de cumul» qui transforme le contenu des interactions (élève/tâche/pilote) au fur et à mesure que progresse l’entretien. Les adaptations de l’élève sont des sources d’informations importantes. Certains des élèves rencontrés ont été peu ou non sensibles aux interventions didactiques alors que d’autres, au contraire, en ont été littéralement relancés. Enfin, une troisième dynamique est propre au jeu du pilote de l’entretien. Chaque pilote (qu’il soit enseignant ou chercheur) engrange différentes interprétations, faites sur le vif, sur le rapport connaissances/tâche tiré de ses observations et de ses échanges en situation. Mener une succession d’entretiens ne peut qu’affecter le contenu de ses interventions. Au même titre que la succession des tâches affecte les stratégies de l’élève, la succession des entretiens affecte et transforme les stratégies d’intervention du pilote.

INTRA- TÂCHE

INTER- TÂCHES

INTER-TÂCHES/ÉLÈVE

INTER-ENTRETIENS/PILOTE

Analyse de la dynamique propre à

une tâche Repérer : o les variables

didactiques émergentes

o les effets de contrat

o les apprentissages sous l’effet de relances…

Analyse de la dynamique propre à

l’entretien Repérer : o les effets de

l’enchaînement des tâches sur les stratégies

o les apprentissages

o les phénomènes didactiques…

Analyse de la dynamique propre au pilote de

l’entretien Repérer : o comment la

succession des entretiens affecte les interventions du pilote

o comment ces interventions modifient les caractéristiques des tâches…

Schéma 2 : Deuxième niveau du modèle d’analyse interprétative des entretiens

61

CONCLUSION Un certain nombre de constats peuvent être établis au terme de cette étude. Le premier est à l’effet que sous des conditions didactiques favorables, les élèves en difficulté d’apprentissage de notre étude arrivent, dans le temps court de l’entretien, à élaborer des stratégies multiplicatives dans le traitement de tâches qui portent sur la fraction. Ensuite, l’étude fournit un tableau assez clair des variables didactiques qui favorisent l’appropriation d’un traitement multiplicatif efficace dans la construction d’un tout (figure, segment ou collections) étant donné une fraction de ce tout. Sur le plan méthodologique, le modèle d’analyse à deux niveaux, peut être utilisé pour étendre l’étude à d’autres collections de tâches sur la fraction, mais aussi à d’autres savoirs mathématiques. On peut dès lors espérer construire des outils utiles aux praticiens pour mener un entretien d’évaluation ou plutôt d’investigation des connaissances mathématiques auprès d’élèves en difficulté. Enfin, l’identification des dynamiques diachroniques qui affectent le contenu des interactions didactiques, et donc des conduites mathématiques des élèves, contribue à développer une perspective didactique pour l’évaluation des connaissances. Cette perspective est nécessaire dans un contexte où les orthopédagogues sont de plus en plus sollicités à utiliser des outils relevant de la psychologie cognitive ou de la neuropsychologie.

BIBLIOGRAPHIE BEHR, M. J., HAREL, G., POST, T. ET LESH, R. (1993). Rational number : Toward a semaintic analysis-emphasis on the operator construct in T.P. Carpenter, E. Fennema et T.A. Romberg (eds.), Rational Numbers : An integration of Research (p. 13- 47). NJ : Éditions Lawrence Erlbaum Associates.

BLOUIN, P. (1993). Enseignement de la notion de fraction à des élèves de 1ère secondaire en difficulté d’apprentissage. Thèse de doctorat inédite. Université de Montréal. Montréal.

BOULET, G. (1998). Didactical implications of children’s difficulties in learning the fraction concept, Focus on Learning Problems in Mathematics, vol 20, no 4, p.19-34.

BROUSSEAU, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble: Éditions La pensée Sauvage..

CHARALAMBOUS, Y., PITTA-PANTAZI, D. (2007). Drawing on a theoretical model to study students understandings of fractions. Educational Studies in Mathematics. Vol. 64, no 3, p. 293-316.

EMPSON. E., JUNK, D., DOMINGUEZ, H., TURNER, E. (2006). Fractions as the coordination of multiplicatively related quantities : a cress-sectional study of children’s thinking. Educational Studies in Mathematics, vol. 63, no 1, p. 1-28.

GIROUX, J. (2013). Étude des rapports enseignement/apprentissage des mathématiques dans le contexte de l’adaptation scolaire: Problématique et repères didactiques. Revue Éducation et didactique. Vol. 7, no 1, p. 59-86.

KIEREN, T. E. (1993). Rational and fractional numbers : From quotient fields to recurcsive understanding in T.P. Caprpenter, E. Fennema et T.A. Romberg (eds). Rational Numbers : An integration of Research (p.49-84). NJ : Éditions Lawrence Erlbaum Associates.

KEIJZER, R., TERWEL, J. (2003). Learning for mathematical insight : a longitudinal comparative study on modeling. Learning and Instruction, vol. 13, p. 285-304.

62

Pratiques enseignantes en réponse aux erreurs des élèves. Cas de l'enseignement-apprentissage de la résolution d'une inéquation du premier

degré à une variable Stéphanie Goulet, Ridha Najar, Driss Boukhssimi Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

RÉSUMÉ Nous entamons notre projet de recherche en nous intéressant à la notion d'erreur. Nous nous inspirons de Bachelard et de Brousseau pour supposer que les erreurs sont ancrées dans les conceptions des élèves. De là, nous nous posons la question de l'utilisation de celles-ci dans l’enseignement et, plus précisément, dans le contexte de résolution d'inéquations du premier degré à une inconnue en troisième secondaire au Québec. Nous expliquons ensuite comment la théorie anthropologique du didactique de Chevallard et de la théorie socioculturelle de Vygotsky orienteront notre travail. Enfin, nous ouvrons sur nos objectifs quant à la réalisation du projet.

INTRODUCTION Les programmes scolaires de mathématiques en vigueur au Québec incitent les enseignants à accorder aux conceptions des élèves ainsi qu’aux erreurs qui apparaissent dans leurs productions une attention particulière et à les exploiter de manière à favoriser l’apprentissage et le développement des compétences chez les apprenants. Ce rôle implique une nouvelle vision vis-à-vis des erreurs des élèves et une approche où «l’enseignant laisse une place à l’erreur, qu’il exploite de façon constructive, c’est-à-dire qu’il apprend aux élèves à tirer profit de leurs erreurs ou des obstacles rencontrés pour les transformer en ressources et progresser» (MEQ, 2007, p.13). Une question qui se pose à ce niveau est de connaître les différents moyens privilégiés par les enseignants pour adopter cette nouvelle perspective. Nous traiterons d’abord ici des aspects orientant cette préoccupation. Nous expliquerons ensuite notre intérêt pour le choix de l'algèbre comme champs spécifique de travail et soulignerons l’apport de certains travaux ayant portés sur le sujet. Enfin, nous conclurons en spécifiant les objectifs de notre projet de recherche, la question à laquelle nous envisageons de répondre ainsi que les théories qui orienteront notre travail.

1. PROBLÉMATIQUE ET QUESTION DE RECHERCHE

1.1. La notion de conception Il existe une terminologie variée pouvant se rapporter aux constructions mentales d’un individu. Toutefois, ce sont les termes représentation et conception qui semblent le plus souvent utilisés. Le premier semble privilégié par les chercheurs en sociologie, en anthropologie ou en psychologie voulant explorer le passage entre l’expérience de la réalité et la conscience. Tandis que le deuxième prévaut souvent en didactique des mathématiques et, plus généralement, en didactique des disciplines car il est en lien étroit avec la notion de concept et, par conséquent, de savoir ou de connaissance. Le terme conception réfère donc plus précisément à la relation entre un objet de connaissance et un individu cherchant à l’appréhender. D’ailleurs, il prend un attrait intéressant en didactique

63

dans la mesure où il réfère à une tentative d’appréhension par l’esprit humain d'une construction de l’esprit humain. Allant plus loin et faisant référence à son caractère contextuel, évolutif et utilitaire, Brousseau (1983) définit la conception comme un type d’approche que l’élève adopte dans certaines situations ou pour travailler certains types de problèmes et qui lui permet d’arriver à ses fins même s’il existe d’autres cas de figure où les règles, les pratiques et les savoirs qui caractérisent cette approche se révèlent insuffisants. Cette définition renvoie à l’activité mentale constitutive et résultante de la conception, activité mentale dont nous pourrons trouver certaines traces dans les productions des élèves.

1.2. Le rôle des conceptions dans l’enseignement-apprentissage en mathématiques Nous nous intéressons plus précisément à l'écart entre les conceptions manifestées par les élèves avant et celle qu'ils manifestent après une opération d'enseignement concernant un objet de savoir. Ou encore à l'écart entre les conceptions manifestées par les élèves après une séquence d'enseignement et la conception que l'enseignant voulait leur induire. Dans ce contexte, et adoptant une approche socioculturelle des apprentissages, nous supposons que la conception que se fait l’élève d’un objet de savoir affectera considérablement sa façon de s'investir dans les problèmes mettant en jeu cet objet de savoir. Plusieurs auteurs soulignent aussi l’influence des conceptions de l’enseignant qui orchestre l’opération d’enseignement-apprentissage ainsi que l’influence des conceptions partagées plus largement par la communauté scientifique ou la société et se manifestant notamment à travers les programmes de formation et les manuels. La conception développée par l'élève sous diverses influences lui permettra ainsi de résoudre certains problèmes, mais à d'autres moments, elle se révèlera inadéquate ou insuffisante. Dans ce cas, la tentative de l'élève à résoudre le problème se soldera en une réponse différente de celle attendue par l'enseignant. Ce dernier qualifiera la production de l'élève d'erronée. L'erreur, nous apparaît ainsi comme une manifestation concrète d'un écart entre la conception propre de l'élève et la conception visée par l'enseignant.

1.3. Le statut de l’erreur La notion d'erreur peut sembler simple à définir, mais lorsqu'on s'y attarde, elle revêt une certaine complexité. À cet égard, Mensouri (2004) catégorise trois types d'acception pour la notion d'erreur : l'erreur comme acte, l'erreur comme état et l'erreur comme produit. Sierpinska (1995) se penche quant à elle plutôt sur l'acte de comprendre, étroitement lié à la notion d'erreur, et soutient que :

« … lorsque ce n'est pas le compreneur lui-même, mais quelqu'un d'autre, qui scrute sa compréhension, le point de vue adopté est alors normatif, ce qui est très souvent le cas dans l'enseignement ou l'apprentissage, et particulièrement à l'école où il faut tenir compte des programmes, des manuels et des examens. Dans ce type de situations, on accorde à certaines manières de comprendre plus de valeur qu'à d'autres. » (Sierpinska, 1995, p.114). Notons que cette approche tend à enlever à l'erreur son caractère univoque et objectif. En effet, en faisant référence au « vrai » et au « faux », il n’y a pas de zone grise, la réponse est bonne ou mauvaise. En revanche, lorsque l’erreur est jugée en fonction de l’écart à une norme, elle devient relative à la personne qui juge et l’écart observé peut prendre différentes proportions.

64

1.4. La catégorisation des erreurs Suivant cette optique, l'erreur prend une multiplicité de formes et plusieurs auteurs s'intéressant à cette question proposent une catégorisation à partir de différents critères. Nous retenons celle d'El Bouazzaoui (1988) qui catégorise les erreurs en étroite relation avec les types de conceptions qui les entraînent. Elle dégage ainsi trois catégories d'erreurs: celles issues d'une conception pertinente mais inadéquate au contexte, celles issues d'une conception non pertinente et celles issues d'une conception erronée. Elle précise d'ailleurs que :

«une conception pertinente et inadéquate est une conception qui permet de résoudre des situations-problèmes mais d'une manière longue, fastidieuse et coûteuse [...], une conception non pertinente est une conception qui est syntaxiquement correcte mais qui ne permet pas de résoudre les situations-problèmes considérées parce qu'elle est utilisées à un endroit inapproprié [...] et qu'une conception erronée est une conception qui n'est valable pour aucune situation-problème. Elle traduit une façon de penser qui est fausse.» (El Bouazzaoui, 1988, p.43) Suivant cette approche, il nous apparaît que l’erreur joue un rôle déterminant dans l’opération d’enseignement-apprentissage en ce sens que l’enseignant peut d’abord l’utiliser pour accéder à ce qui se passe dans la tête de l’élève, ensuite pour optimiser sa communication avec lui et enfin pour ajuster sa pratique en vue de favoriser l'accès de l'apprenant à une conception adéquate. Il convient donc de considérer l’erreur comme un outil permettant de repérer un usage inadéquat d’une connaissance ou de dépister une entrave à la compréhension de l’élève afin de l’aider à y remédier. Toutefois, à quel moment peut-on qualifier cet usage d’inadéquat et cette entrave de difficultés et à quel moment peut-on parler d’obstacles?  

1.5. Le concept de difficulté et le concept d'obstacle Notons ici que si Bachelard introduit le concept d'obstacle épistémologique en lien avec le domaine des sciences expérimentales, c'est Brousseau qui poursuit ce travail dans le domaine de la didactique des mathématiques. Ce dernier définit ainsi le concept d'obstacle comme une connaissance valide dans un certain contexte, productrice d'erreurs en dehors de ce contexte et qui résiste à disparaître même après la prise de conscience de son inexactitude par comparaison à une connaissance meilleure. El Bouazzaoui (1988, pp.32-33), quant à elle, décrit la difficulté comme un blocage que l’élève peut surmonter sans remettre en question de façon décisive sa conception de la connaissance et l’obstacle comme un blocage que l’élève ne peut surmonter qu’en restructurant cette conception. Nous retenons cette distinction tout en nous concentrant plus spécifiquement sur le cas des obstacles dont on peut retrouver les traces dans les productions des élèves et ce plus précisément dans le contexte de l’apprentissage de certains savoirs algébriques en troisième secondaire.

1.6. L'enseignement de l'algèbre au secondaire au Québec L’algèbre est abordé dès le primaire au Québec, mais de façon implicite au fil des apprentissages en arithmétique. On n’aborde explicitement les concepts de variable, d'inconnue, d’expression algébrique et d’équation qu’au premier cycle du secondaire. L’algèbre occupe donc une place importante très tôt dans le parcours scolaire de l’élève et demeure un aspect important réinvesti dans les autres domaines des mathématiques tout au long du parcours scolaire de niveau secondaire. Ceci dit, plusieurs chercheurs se sont penchés sur la transition entre l’arithmétique et l’algèbre dans l’enseignement des mathématiques ou, plus généralement, sur les obstacles à

65

l’apprentissage de nouvelles notions mathématiques. Nous envisageons donc d'inscrire notre travail dans une continuité de recherches en nous intéressant plus précisément à la résolution d'inéquations du premier degré à une variable en troisième secondaire.

1.7. Des travaux antérieurs En examinant les questions déjà soulevées concernant les difficultés des élèves à aborder l’algèbre en mathématique, nous remarquons que certaines tendances se répètent à travers la littérature. Par exemple, notons les trois ruptures relevées par le groupe d’enseignants de l’académie d’Amiens en lien avec le passage de l’arithmétique à l’algèbre au début du secondaire, soient : le statut des parenthèses, le statut du signe d’égalité et le statut accordé au résultat de la résolution par rapport aux processus mis en œuvre (Grugeon, 2006, p.9). Ces chercheurs pointent aussi de façon très prégnante l’importance de placer l’élève face à des situations où l’arithmétique s’avère insuffisante (Ibid., 2006, p.60). Dans ce contexte, Vergnaud précise que « l’algèbre représente à l’évidence une rupture par rapport à l’arithmétique, en particulier parce que le contrôle du sens des opérations faites ne se fait plus avec les mêmes moyens » (Groupe CIRADE, 1988, p.37). Plus précisément, il décrit le passage difficile, mais nécessaire vers des situations où l’élève ne peut plus utiliser le contexte du problème pour contrôler le sens des opérations qu’il réalise. C’est d’ailleurs un des points aussi soulignés par Demonty (2008) qui identifie trois stades dans l’évolution historique du domaine algébrique : le stade rhétorique caractérisé par l’absence de symbolisme, le stade syncopé caractérisé par l’usage d’une abréviation pour désigner un nombre inconnu et le stade symbolique où les lettres sont utilisées en tant qu’inconnue et en tant que variables qu’on peut aussi utiliser dans les processus démonstratifs (Demonty, 2008, p.226). Considérant que la question de l'identification des difficultés et des obstacles épistémologiques reliés à l’apprentissage de l'algèbre semble avoir déjà fait l'objet de plusieurs recherches antérieures, nous nous intéresserons plutôt aux pratiques des enseignants. Aussi dans le but de nous inscrire dans une continuité de recherche nous porteront plus spécifiquement notre intérêt sur la résolution d'inéquations du premier degré à une variable en troisième secondaire. Cette étape du parcours de l'élève nous paraît particulièrement intéressante puisque l’usage des signes (≤, ≥, >, <,=), le statut de la lettre et l'interprétation de l'ensemble-solution d’une inéquation pourraient constituer des obstacles pour l’élève lors de la manipulation des inéquations.  

1.8. Notre question de recherche Nos préoccupations relativement aux conceptions nous amènent à cibler les stratégies mises en place par l’enseignant pour réduire l'écart entre les conceptions propres des élèves et celles visées par l'enseignant suite à une séquence d'enseignement-apprentissage. Nous privilégierons à ce propos les conceptions que nous pouvons caractérisées par l'entremise des erreurs commises par les élèves. En ce sens, nous orienterons notre travail autour de la question suivante : Quelles sont les pratiques des enseignants à l'égard des erreurs de leurs élèves dans le contexte de l'apprentissage de la résolution d'une inéquation du premier degré à une inconnue en troisième secondaire?  

2. CADRE THÉORIQUE ET HYPOTHÈSE Dans le présent contexte, il nous paraît pertinent de mettre en relation deux théories s’intéressant à des objets différents, mais partageant une approche similaire: la théorie socioculturelle et la

66

théorie anthropologique du didactique. La première orientera principalement notre regard sur les processus mis en œuvre par l'élève alors que la seconde guidera davantage notre perspective sur les processus mis en œuvre par l'enseignant ainsi que sur la notion de savoir mathématique.

2.1 Théorie socioculturelle des apprentissages Soulignons que la théorie de Vygotsky s’organise à partir de l’idée que « la structure du psychisme est en son essence sociale » (Brossard, 2004, p.35). C’est notamment ce qui distingue ce courant du constructivisme de Piaget avec lequel le socioculturalisme partage l’idée que les apprentissages ne sont ni innés, ni acquis, mais plutôt construits à travers un conflit intérieur. Dans sa globalité, la théorie formulée par Vygotsky au début du vingtième siècle nous permet d'aborder l'apprentissage comme le processus et le résultat de l'appropriation par l'enfant d'outils symboliques par le biais de son environnement social et lui permettant de développer certaines formes de pensées plus élaborées. Cette approche s'oppose à une conception assez générale admettant que le développement des fonctions cognitives avancées se veut naturellement corolaire du développement physiologique. Cette perspective théorique accorde d'ailleurs un rôle prépondérant à la médiation de l'adulte et, plus largement, à la scolarisation dans le développement des fonctions cognitives de l'enfant. Langford (2005) explique que selon cette approche, se sont les interactions de l'enfant avec l'adulte ou des pairs plus expérimentés qui lui permettent d'accéder aux outils symboliques développés historiquement par l'humanité et faisant partie de la culture. Ces outils symboliques permettent d'abord à l'enfant d'accéder à des formes de pensées plus évoluées à travers la médiation sociale pour ensuite être intégrés et devenir eux-mêmes médiateurs des fonctions cognitives de l'individu. Cette orientation nous permet de supposer que c'est à partir des interactions qu'il entretient avec ses enseignants que l'élève articule sa conception des notions mathématiques. Ces interactions prennent forme de différentes façons. Par exemple, elles tendent à se déployer plus formellement à travers les explications magistrales et la formulation d'exemples ou, plus implicitement, à travers les documents didactiques utilisés et les différentes tâches proposées aux élèves. À cela s'ajoute les diverses formes de rétroaction que l'enseignant peut fournir à l'élève lors de la réalisation d'une tâche. C'est d'ailleurs ce dernier aspect qui nous intéresse alors que nous cherchons à décrire les moyens mis en place par l'enseignant afin d'orienter le développement de la conception de l'élève relativement à une notion donnée. À cet égard, le concept de zone proximale de développement (ZPD) nous permet d'envisager une façon dynamique d'examiner les capacités des élèves car il légitime la reconnaissance non pas seulement des acquis de l'élève, mais de son potentiel. Langford (2005), notamment, développe cette position en expliquant que le concept de ZPD formulé par Vygotsky comporte trois aspects fondamentaux : «that a concept or meaning can be successfully taught somewhat more than a full stage before its spontaneous appearance; that assessment of what the child can do with help is more predictive of future success than assessment of what it can do without help; there are qualitative differences between taught and spontaneous concepts» (Langford, 2005, p.188-189). Le concept de ZPD comporte donc plusieurs dimensions. Dans le cadre de notre travail, son intérêt consiste à mettre en lumière le moment du processus d'apprentissage où l'élève intègre le sens des outils symboliques liés à la résolution d’inéquations que les acteurs sociaux lui exposent.

67

Rappelons aussi que la perspective socioculturelle implique une vision du processus d'apprentissage allant de l'extérieur vers l'intérieur. L'apprenant apprend d'abord à maîtriser certains outils selon l'utilisation qu'en font les acteurs sociaux intervenant dans son environnement avant de les internaliser et de les utiliser pour contrôler ses processus de pensée. Ainsi, la formulation d'une réponse «incorrecte» par l’élève exhibe l'état d'avancement de ce processus et permet une négociation externe susceptible de réduire l’écart entre la connaissance acquise et l’apprentissage visé. Cette régulation externe en elle-même est d'ailleurs susceptible d'être intégrée par l'apprenant de telle sorte qu'il parvienne ultérieurement à s'autoréguler. La ZPD nous permet donc de considérer les interventions possibles de l'enseignant en fonction de leur rôle médiateur pour le développement des fonctions cognitives de l'apprenant relativement aux concepts abordés. Quoique ces interventions puissent avoir plusieurs aspects et être analysées sous une multiplicité d'angles, notre travail cible plus spécifiquement celles directement reliées à la gestion des erreurs des élèves par l’enseignant. L’absence d’interventions de la part de l’enseignant est aussi un aspect à considérer comme le fait remarquer Kozulin (2003) lorsqu’il explique que certains enseignants tendent à structurer les activités d'apprentissage autour du matériel pédagogique assumant que le sens porté par ce matériel sera suffisamment transparent pour que les élèves développent les conceptions attendues sans médiation explicite. Le rôle de la médiation va donc au-delà de la simple notion de support. Suivant la perspective socioculturelle, les interactions permettent à l'apprenant d'accéder au sens de ce qui lui est transmis. À l'opposé, leur absence force l'élève à essayer de déduire cette essence, processus susceptible d'engendrer un glissement de sens difficile à identifier et à rétablir par la suite. De plus, dans le domaine de l’algèbre et plus généralement en mathématiques, l'élève doit prendre conscience de la nature de ses apprentissages afin de s’approprier le sens des objets enseignés et de pouvoir utiliser les outils symboliques consciemment. L’élève sera ainsi en mesure de transférer ses acquis en cas de besoin. La théorie socioculturelle nous permet donc d'assumer qu'une médiation appropriée de l'enseignant auprès de l'élève pourrait favoriser le développement chez ce dernier de capacités à accéder volontairement et intentionnellement à ses processus de pensée et d'apprentissage afin d'exercer un certain contrôle sur ceux-ci. La théorie anthropologique du didactique (TAD) initiée par Chevallard propose à ce sujet certains concepts supportant l'analyse du système didactique formé par l'élève, l'enseignant, les objets de savoir et les rapports pouvant exister entre ces objets de savoir et l'élève ou l'enseignant.

2.2 Théorie anthropologique du didactique Dans son ensemble, la TAD correspond au cadre de notre travail car elle propose une modélisation de l'enseignement dans son contexte institutionnel en mettant l'accent d’une part sur les différentes praxéologies (organisations) mathématiques et didactiques pouvant être construites et mises en œuvre relativement à un objet de savoir à enseigner, et d’autre part sur les différents rapports possibles (personnels et institutionnels) pouvant être établis avec cet objet de savoir. Ces outils théoriques nous offrent la possibilité de placer notre analyse des pratiques enseignantes dans un cadre élargi et de l'affranchir de l'influence exercée par les différents facteurs intervenant dans le système scolaire. Cette orientation nous amènera également à nous pencher davantage sur les fondements contextuels (programme, manuel, matériel didactique, etc.), en vue de déterminer les éléments institutionnels et culturels structurant les pratiques. En outre, soulignons que la TAD permet une approche cohérente avec la théorie socioculturelle dans la mesure où ces

68

deux théories supposent la même nécessité de placer les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage dans leur contexte historique et culturel afin de les étudier. S'élevant au dessus des débats sur la polysémie du mot savoir, et n'entrant pas dans ceux concernant la notion de conception, Chevallard réfère plus souvent à la notion d'objet qu’il définit comme « toute entité, matérielle ou immatérielle, qui existe pour au moins un individu » (Chevallard, 2009, p.1). De même, il fait référence à la notion de rapport à l'objet où un objet peut être envisagé dans sa relation avec un individu, mais également dans sa relation avec une institution. Néanmoins, l'accent porte ici davantage sur les différentes positions assumées par les personnes d’une institution à la fois assujetties et soutenues par cette institution. Pour l'institution formée par la classe par exemple, Chevallard (2009) identifie au moins deux positions: celle d'enseignant et celle d'élève. Ainsi, l'institution détermine que le rapport d’un individu à un objet de savoir devrait correspondre à un certain idéal selon sa position. Un projet d'enseignement relatif à un objet de savoir devrait alors chercher notamment à favoriser la meilleure conformité entre le rapport personnel de l’élève et un certain rapport institutionnel prédéterminé. Selon cette approche, l'évaluation relève de l'appréciation de cette conformité. Cela pose la question des facteurs subjectifs pouvant influer sur cette appréciation et, parallèlement, met en évidence la diversité potentielle des pratiques enseignantes à l'égard des erreurs. Ceci dit, pour analyser le savoir à enseigner ou le savoir enseigné dans une institution, Chevallard propose une modélisation de ces savoirs en termes de praxéologies (ou d’organisations) auxquelles peuvent se rapporter tant les objets étudiés (praxéologies mathématiques) que la façon de les étudier (praxéologies didactiques). Pour rendre compte d'une praxéologie, le modèle propose quatre éléments centraux : une tâche t d'un certain type T, une technique 𝜏 (manière permettant de réaliser t), une technologie 𝜃 (discours qui explique, justifie et rend intelligible la technique 𝜏), et une théorie Θ (discours justifiant et rendant intelligible la technologie 𝜃). Le quadruplet [T, 𝜏, 𝜃,Θ], caractéristique d'une praxéologie peut être considéré en deux parties : le bloc pratico-technique composé par le couple [T, 𝜏] , constituant le savoir-faire et le bloc technologico-théorique, composé par [𝜃,Θ] et constituant le savoir (théorique). Ainsi, à la lumière de la TAD, l'analyse a priori du programme et du matériel didactique nous permettra d'abord de dégager les praxéologies mathématiques véhiculées pour l’étude du thème fixé pour notre travail et, de là, de déterminer le rapport institutionnel à ce thème. L'analyse des erreurs des élèves nous permettra par la suite de dégager certains rapports personnels entretenus susceptibles de ne pas correspondre au rapport institutionnel véhiculé. Enfin, nous chercherons à décrire les praxéologies didactiques préconisées par l'enseignant pour favoriser la synchronisation desdits rapports.

3. MÉTHOLOGIE Pour réaliser ce projet, nous nous intéresserons au cas de deux enseignants d'une école secondaire de deuxième cycle en Abitibi-Témiscamingue et envisageons une expérimentation en deux phases. La première consistant en l'analyse documentaire du programme de formation ainsi que du matériel didactique utilisé par les enseignants. Cette première partie nous permettra de décrire les prémisses qui servent d'assise à la préparation et à la réalisation des séquences d'enseignement

69

pour ces enseignants. La deuxième phase consistant ensuite à recueillir un échantillon d’erreurs commises par les élèves lors de l’apprentissage de la résolution d’inéquations pour pouvoir mettre en perspective les pratiques effectives des enseignants en fonction de ces erreurs.  

CONCLUSION C’est la notion d'erreur qui a inspiré l’amorce de ce projet de recherche. Ensuite, à la lumière des travaux de Bachelard et de Brousseau, nous nous sommes intéressés à la notion de conception étroitement associée à celle d’erreur. Cela nous amène à nous poser la question de l’utilisation de ces erreurs par les enseignants dans le contexte de la résolution d’inéquations. La théorie anthropologique du didactique de Chevallard et de la théorie socioculturelle de Vygotsky sont ensuite retenues afin d’orienter notre travail. Enfin, nous donnons un aperçu de ce que nous envisageons pour la mise en œuvre de l’expérimentation du projet.

BIBLIOGRAPHIE BROSSARD, M. (2004). Vygotski: Lecture et perspectives de recherche en éducation. Villeneuve: Septentrion Presses Universitaires. BROUSSEAU, G. (1983). Les obstacles épistémologiques et les problèmes en mathématiques. Recherche en Didactique des Mathématiques , 4 (2), pp. 165-198.. CHEVALLARD, Y. (2009). La TAD face au professeur de mathématiques . Communication au Séminaire DiDiST . Toulouse. CHEVALLARD, Y. (2007). Passé et présent de la théorie anthropologique du didactique. Texte de la conférence plénière donnée à Baeza (Espagne) en octobre 2005 dans le cadre du premier congrès international sur la théorie anthropologique du didactique. CIRADE. (1988). Constructions de savoirs. Obstacles et conflits. . Actes du Colloque International "Obstacle épistémologique et conflit cognitif". Montréal. DEBLOIS, L. (2006). Influence des interprétations des productions des élèves sur les stratégies d'intervention en classe de mathématiques. Educational Studies in Mathematics (62), pp. 307-329. DEMONTY, I. (2008). La transition entre l'arithmétique et l'algèbre élémentaire dans le contexte de la résolution de problèmes arithmétiques. Dans Enseignement et apprentissage des mathématiques. Que disent les recherches psychopédagogiques? (pp. 225-246). Bruxelle: Éditions De Broeck Université. EL BOUAZZAOUI, H. (1988). Conceptions des élèves et des professeurs à propos de la notion de continuité d'une fonction. Thèse de Doctorat . Faculté des Sciences de l'Éducation, Université Laval: Québec. KOZULIN, A., GINDIS, B., AGEYEV, V. S., MILLER, S. M., & KARPOV, Y. (2003). Vygotsky’s Educational Theory in Cultural Context. Learning in Doing: Social, Cognitive, and Computational Perspectives. Consulté le 15 juin, 2013, sur Cambridge University Press: http://lib.myilibrary.com.proxy.cegepat.qc.ca?ID=43087 LANGFORD, P. E. (2005). Vygotsky's Developmental and Educational Psychology . New York: Psychology Press.

70

MENSOURI, L. (2004). Obstacles didactiques rencontrés par les élèves du secondaire scientifique dans l'interprétation de dessins représentant des figures géométriques dans l'espace. Rabat: Thèse de doctorat . MEQ. (2007). Programme de formation de l'école québécoise; Enseignement secondaire deuxième cycle. Domaine de la mathématique, de la science et de la technologie . Bibliothèque et Archives nationales du Québec. SIERPINSKA, A. (1995). La compréhension en mathématique. Québec : La Spirale.

71

Portrait actuel des connaissances d'élèves de troisième année de l'ordre primaire sur la numération de position décimale au regard de celui des élèves

issus de la génération de l'approche par objectifs Jeanne Koudogbo, Université du Québec à Montréal, Université de Sherbrooke

Jacinthe Giroux, Université du Québec à Montréal Sophie René de Cotret, Université de Montréal

RÉSUMÉ La numération de position décimale est un concept clé pour l'arithmétique. À ce titre, elle a été étudiée par les chercheurs, notamment québécois, dans les années 80'-90'. Ceux-ci ont montré sa complexité et certains ont relié les difficultés des élèves à l'enseignement par objectifs d'alors. Or le programme actuel socioconstructiviste se pose en rupture avec le précédent. Cet article présente un pan d’une recherche doctorale (Koudogbo, 2013) qui vise à brosser le portrait actuel des connaissances d'élèves (N=18) dans la réalisation de deux tâches extraites des études de Bednarz et Janvier (1984) pour le confronter à celui d'élèves réalisé par ces auteures. Les résultats révèlent que les connaissances d'élèves d'aujourd'hui qui ont reçu un enseignement qui devrait s’inscrire dans une approche socioconstructiviste sont comparables à celles d'élèves instruits sous l’ancien programme.  

PROBLÉMATIQUE ET CADRE DE THÉORIQUE Le système de numération de position décimal 8 est incontournable en ce qui a trait à l'enseignement des mathématiques à l’ordre primaire puisqu’il constitue la base de l’arithmétique. En effet, le passage des petites aux grandes quantités nécessite de recourir à un système de numération pour les représenter et les traiter. Le système de NPD, à la fois additif et multiplicatif et constitué d’un ensemble de signes et de règles, permet de désigner, ordonner et opérer sur les nombres. Ce système est un objet complexe autant pour l’enseignement que pour l’apprentissage. Après l'avoir circonscrit, nous revenons sur des études réalisées en didactique des mathématiques à propos de ce concept, pour traiter par la suite les changements opérés dans le programme actuel et introduire la question de recherche.

La numération de position décimale Bednarz et Janvier (1986, p.18) proposent une définition large de la numération : « Par numération, on entend généralement un système cohérent de symboles régi par certaines règles permettant d’écrire les nombres, de les lire. » Cette définition s'applique bien sûr à la NPD. Des principes et caractéristiques la déterminent. Un premier principe est celui de la « base » (Guedj, 1996) qui permet de compter par groupement en utilisant un nombre limité de symboles oraux (mots) ou écrits (chiffres) dans la représentation des nombres. Dix étant la base du système décimal, il y dix chiffres pour représenter tout nombre entier (Ifrah, 1994). La base est l’unité de

                                                                                                               8 Lire dorénavant NPD pour numération de position décimale.

72

groupement régulier qui fonde un système de numération positionnel. Un autre principe est la valeur de position décimale: chaque chiffre dans un nombre réfère à un nombre (une quantité) inférieur à la base; la position occupée par le chiffre dans le nombre lui confère sa valeur, son poids. Ainsi,« la valeur d'un chiffre n'est pas constante : elle varie en fonction de la position qu'il occupe dans l'écriture d'un nombre » (Guedj, 1996, p. 47). La valeur de chaque position est déterminée par les puissances successives de la base 10 (100, 101, 102 , etc.). En outre, la NPD a des caractéristiques d’ordre multiplicatif et additif (Ifrah, op.cit). Ainsi, chaque chiffre dans le nombre désigne le produit de la quantité qu'il représente par la valeur de position décimale. Le zéro sert à indiquer une position ou une puissance intercalaire vide et ainsi à assurer que chaque chiffre est bien vis-à-vis la puissance à laquelle il est associé. La quantité désignée par le symbole numérique tout entier est la somme des produits, comme le montre l'exemple du nombre 4 702 dans ce tableau.

Tableau : Représentation du nombre 4 702

Nombre Principes

4702

Puissance de 10 selon la position 3 2 1 0 Valeur des positions 103 102 101 100

Valeur du chiffre selon sa position 4 x 103 + 7 x 102 + 0 x101 +2 x 100

Composition additive des produits 4 000 + 700 + 0 + 2

Sur un plan conceptuel, la structure multiplicative a deux interprétations : 1) l'addition répétée par laquelle un nombre de groupements peut être répété autant de fois (4 groupements de mille ; 2) une idée d'exponentiation, i.e., des groupements de groupements. La coordination de ces deux interprétations s'avère un apprentissage difficile pour les élèves. Par ailleurs, la NPD intègre différentes fonctions concernant les nombres : la désignation, la représentation, les opérations, la reconnaissance de certaines propriétés. Somme toute, l'apprentissage de la NPD consiste à saisir le rôle de la base dans la désignation écrite des nombres et celui de cette base dans les groupements successifs, différencier la valeur de position de la valeur des chiffres compte tenu de leur position dans le nombre, cerner le sens du zéro dans l’écriture d’un nombre et intégrer sa structure à la fois multiplicative et additive. Il y a ainsi une certaine complexité de la NPD, considérant les multiples dimensions imbriquées. De nombreux travaux des trente dernières années (Bednarz et Janvier, 1988, 1986, 1984a, 1984b, 1982; Brun, Giossi et Henriques, 1984 ; Collet, 2003; Deblois, 1997, 1996, 1995; Fuson, 1988; Giroux, 1990; Kamii, 1990...) ont permis de saisir autant la complexité de la NPD comme objet d’enseignement et d’apprentissage que les difficultés qu'elle suscite. Deux perspectives d’études marquent les travaux didactiques sur la NPD publiés entre les années 1980 et 2000 : la perspective développementale et la perspective socioconstructiviste. Le rappel de ces études vise à circonscrire les paradigmes et les résultats de recherche disponibles au moment où le curriculum scolaire québécois a été renouvelé. Ce rappel permet de cerner les orientations du programme actuel et ainsi, ce sur quoi devraient s’appuyer les pratiques d’enseignement actuel de l’enseignement de la NPD.

73

Perspective développementale À travers la perspective développementale, DeBlois (1997, 1996, 1995 et 1993) et Collet (2003) étudient les processus développementaux de structuration des connaissances spécifiques au concept de NPD chez les élèves à partir de différents modèles. DeBlois utilise le modèle de Herscovics et Bergeron (1989) ainsi que celui de Piaget (1977) alors que Collet se réfère à ceux de Fuson, Smith et Lo Cicero (1997) et Fuson et al. (1997). Plus particulièrement, DeBlois, procède à l'élaboration de modèles développementaux sur la NPD. Ces modèles sont utiles au diagnostic et à la rééducation des difficultés d’apprentissage sur la NPD. DeBlois privilégie l’observation du développement de la compréhension des élèves au travers de l’évaluation par la méthode clinique et l’exploration des processus de construction de connaissances dans le cadre d’une rééducation, par l’intervention (expérimentation didactique cas par cas). Les diverses constructions de l’élève sur la NPD, mises en évidence par DeBlois, montrent que l’apprentissage est la capacité de construire des schèmes et des structurations nouvelles qui se développent grâce à la coordination entre la reconnaissance de quelques particularités propres à la NPD ; l’expérimentation étant facilitée par les régulations. Par exemple, la composante procédurale renvoie aux régulations employées par les enfants. Si les régulations concernant un arrangement physique des quantités et des chiffres conduisent l'enfant à saisir le nombre comme une juxtaposition de quantités ou de chiffres, l'introduction d'un comptage entre les divers groupes contribue au passage d'un palier vers un autre, tandis qu'une opération déclenche des réflexions propres au palier logico-mathématique.

Perspective socioconstructiviste D'autres auteurs (Bednarz et Janvier, 1988, 1986, 1984, 1982; Brun, Giossi et Henriques, 1984 ; Brun et Henriques, 1987 ; Perret, 1985 a et b et Kamii, 1990) empruntent une perspective (socio) constructiviste. Plus particulièrement, Bednarz et Janvier (1988, 1986, 1984, 1982) font l'étude de la construction des connaissances mathématiques à propos de la numération, incluant la NPD, ainsi que du rôle des interactions sociales dans cette construction. Elles s'intéressent aux rapports entre les situations d’enseignement et la construction des connaissances chez les élèves. D'abord, à travers une étude diagnostique, les auteures évaluent les conceptions des élèves (N= 75) à la fin de la 3è et de la 4è année. Elles s'attardent alors sur la construction des connaissances en situation de manière à prendre en compte différentes variables liées au contexte d’apprentissage, i.e., le type de tâches proposées, le matériel, la communication entre les pairs, etc. Les résultats montrent des erreurs récurrentes et des conceptions inappropriées chez les élèves, lesquelles découlent des difficultés à : « voir les groupements et leur rôle dans l’écriture conventionnelle9 (…), la pertinence de ces groupements (…), opérer avec ces groupements, les faire et les défaire (…), travailler simultanément avec deux groupements différents (…), interpréter les procédures de calcul (…) en termes de groupements… » (Bednarz et Janvier, 1984, p.30).

Ces chercheures remettent en cause les situations d’enseignement soumises aux élèves, à l'instar d'autres chercheurs (Brun, Giossi et Henriques, 1984 ; Perret, 1985 et Kamii et Baker Housman, 2000). Elles font un examen critique des méthodes d'enseignement fondées sur une pédagogie par                                                                                                                9Par exemple, la juxtaposition des chiffres ou séquence de chiffres : découpage, ordre dans l’écriture.

74

objectifs et les désignent comme étant à la base des difficultés et conceptions des élèves. L'analyse qu'elles en font révèle des lacunes concernant la structuration des contenus et leurs composantes. Conséquemment, elles établissent des liens entre les conceptions erronées et la structuration des savoirs à enseigner, en termes d’objectifs d’enseignement du programme des mathématiques alors en vigueur au Québec (Bednarz et Janvier, 1984a et 1986). Ces conceptions seraient liées à des obstacles didactiques considérant l'apprentissage séquentiel visé, structuré en fonction d’objectifs fragmentés : un morcellement de la suite numérique, avec l'étude des nombres inférieurs à 69 en 1ère année, à 99 en 2ème année, à 999 en 3ème année et à 9999 en 4ème année et une désarticulation entre la NPD et le traitement des opérations sur les nombres. Aussi, selon Bednarz et Janvier (1982, 1984a, 1988), le matériel de manipulation sert-il surtout à illustrer l’ordre conventionnel du symbolisme écrit (du plus grand/gros au plus petit). Ces chercheures ont expérimenté une séquence d’enseignement de la NPD fondée sur une approche socio-constructiviste sur une durée de trois ans auprès d’un échantillon d’élèves (N=23) de la 1è à la 3è année primaire (échantillon B1). Elles ont comparé leurs performances à deux autres échantillons d’élèves (A10 et B211) ayant reçu un enseignement «ordinaire», c’est à dire, fondé sur la base d’une pédagogie par objectifs, qui caractérise le programme des années 1980. Les résultats montrent que les élèves de l'échantillon B1 ayant bénéficié de l’enseignement dispensé par Bednarz et Janvier ont, à la fin de la 3è année, moins de difficultés, sur le plan de la compréhension de la règle de groupement, que ceux ayant suivi un enseignement «ordinaire». Ces résultats tendent à montrer qu’une approche socio-constructiviste favorise une meilleure compréhension de la NPD qu’une approche d'enseignement par objectifs. En 2001, l’implantation de la réforme (MÉQ, 2001) du curriculum vient marquer une rupture avec l’approche par objectifs.

La NPD dans le programme actuel Le programme en vigueur marque le passage à un paradigme socio-constructiviste et une approche par compétences, avec les changements qui l'accompagnent. Par exemple, la NPD se retrouve parmi les savoirs essentiels liés à l’arithmétique du «Domaine de la mathématique, de la science et de la technologique» : 1) Sens et écriture des nombres ; 2) Sens des opérations sur les nombres et opérations sur les nombres. Ce découpage intègre l'articulation entre nombre-numération-opérations. De plus le matériel didactique (livre de l’élève, cahier d’exercice, manuel de l’enseignant, guide d’enseignement...) est renouvelé pour répondre aux exigences du programme. On peut dès lors supposer que l’implantation du programme depuis une décennie ait donné lieu, dans les classes, à un renouvellement des situations d’enseignement et de leur gestion. Il est raisonnable de penser que certaines pratiques se sont relativement stabilisées et qu'il y ait eu un certain effet sur les connaissances des élèves au regard des résultats d’études antérieures (Bednarz et Janvier).

Question de recherche La question de recherche est alors la suivante : Quel est le portrait actuel des connaissances des élèves, issus de la génération du programme d’orientation socioconstructiviste implanté en 2001, sur la NPD au regard de celui des élèves dans les études de Bednarz et Janvier ?

                                                                                                               10 L'échantillon A représente les élèves qui avaient participé à l'étude diagnostique. 11 Les échantillons B1 et B2 (N=26) sont de la même commission scolaire; l'échantillon A d'une autre commission.

75

MÉTHODOLOGIE Pour dresser le portrait actuel des connaissances des élèves sur la NPD au regard de celui des élèves dans les études de Bednarz et Janvier, nous avons retenu un échantillon de 18 élèves de 3è année. Le choix de la 3è année est justifié par différents éléments dont le degré scolaire des élèves impliqués dans les études précédentes, l'analyse des manuels scolaires qui révèle la prépondérance de la NPD et l'apprentissage des grands nombres (PFÉQ12, 2001). Ainsi, les 18 élèves provenant de 3 classes de la région du Bas Saint Laurent, ont été retenus à partir de critères d'inclusion reposant sur l'hétérogénéité des performances des élèves (élèves forts, moyens et faibles). Les méthodes de collecte consistent en la passation d'entretiens individuels, d'une quinzaine de minutes, enregistrés sur bande audio, auxquels s'ajoutent les productions écrites des élèves et les informations recueillies dans le journal de bord. Parmi l’ensemble des tâches utilisées dans les études de Bednarz et Janvier (1982, 1984), deux ont été sélectionnées pour la présente étude. Elles ont été choisies, notamment au regard des critères définis par Bednarz et Janvier (1982) : le degré de complexité, le contexte et la représentation en lien avec les règles de groupement. Ainsi, les caractéristiques, principes et fonctions de la NPD sont sollicités dans la résolution de ces deux tâches : les groupements, la valeur positionnelle décimale, la structure mixte, le lien entre la NPD et les opérations (actions sur les groupements), le lien entre la NPD, le nombre et la numération orale et écrite.... Ces tâches sont présentées dans ce qui suit. Tâche 1 : Le dénombrement d’une collection de 14413 barres «Description de l’item : Présenter à l’enfant une feuille où sont dessinées beaucoup de barres et lui demander : « Peux-tu me dire très vite combien il y a de barres là-dessus ? »

Puis si l’enfant n’arrive pas à répondre :« Je vais faire la même chose tout à l’heure avec un ami qui va venir après toi. Pourrais-tu t’organiser (on lui donne la feuille) pour que, lorsque je vais lui montrer ta feuille, il puisse me dire très vite combien il y a de petites barres ? » Tâche 2 : Résolution du problème de bonbons « Description de l’item :

                                                                                                               12 Programme de Formation de l'École Québécoise. 13La collection proposée par Bednarz et Janvier à 75 élèves à la fin de la 3è année avait pour cardinal, 147. Des manipulations (numérisation/reprographie) ont fait que celle soumise ne compte que 144 barres !

76

Le matériel comporte des bonbons emballés par dix dans un rouleau de papier de soie (les bonbons ne sont pas visibles dans les rouleaux) et des rouleaux emballés par dix dans un sac non transparent (les rouleaux ne sont pas visibles à l’intérieur du sac). Mise en situation.‘’Une maman prépare une fête pour son petit garçon et elle va acheter des bonbons. Elle prépare des cadeaux pour donner aux amis pendant la fête. Elle met les bonbons dans des rouleaux comme ça (on montre à l’enfant un spécimen réel), puis les rouleaux, elle les met dans un sac comme ça (un spécimen est montré)’’.‘’Elle a préparé des rouleaux comme ça, des sacs comme ça, et elle a quelques bonbons non enveloppés’’. L’enfant a devant les yeux un sac, un ou deux rouleaux et trois ou quatre bonbons. Important : Aucune mention n’est faite dans la préparation du nombre de bonbons dans un rouleau, ni du nombre de rouleaux dans un sac. Ce nombre n’est pas visible, mais accessible soit en allant voir sur le matériel même, soit en posant la question à l’interviewer. ‘’La maman avait préparé tout ça (nous montrons le dessin du haut, ci-dessous). Pendant la fête, elle a donné tout ça aux amis (nous montrons le dessin du bas). Dessine ce qui lui est resté. ‘’

Puis quand l’enfant a terminé : ‘’Peux-tu m’expliquer ce que tu as fait ?’’ ».

L’expérimentation que nous avons conduite vise à caractériser les connaissances mises en jeu par les élèves issus de la génération du programme actuel dans ces deux tâches et de confronter ces connaissances à celles mises en évidence par Bednarz et Janvier dans les années ‘80. Une analyse a priori des 2 tâches a permis de dégager différents niveaux de stratégies possibles à leur résolution, ainsi que les connaissances que ces stratégies commandent, voire des difficultés ou erreurs liées à l’application d’une stratégie. Les tâches ont ensuite été soumises à 18 élèves dans le cadre d’entretiens individuels semi-dirigés. Puis, une analyse qualitative des stratégies effectives des élèves a été faite par catégorisation mixte : une catégorisation émergente (Paillé et Mucchielli, 2008) et une catégorisation prédéterminée à partir des résultats de Bednarz et Janvier. Finalement, une analyse statistique descriptive (fréquences et pourcentages) a permis d'établir une comparaison entre les stratégies utilisées par les élèves de notre étude et celles mises en œuvre par les élèves des trois échantillons (A; B1 et B2) de l'étude de Bednarz et Janvier.

77

RÉSULTATS Les résultats sont présentés et discutés selon trois axes : les deux premiers traitent des stratégies des 18 élèves à chacune des tâches et, le dernier axe, de la confrontation des résultats des deux études (Bednarz et Janvier/les nôtres).

Dénombrement des barres : 4 catégories de stratégies De l’analyse des données des entretiens, 4 catégories de stratégies émergent. La catégorie 1 regroupe les stratégies qui font appel aux principes multiplicatif et additif. Ainsi, l'élève organise la collection selon une base de groupements (dix, vingt ou cinq), recourt à une structure multiplicative pour rendre compte du nombre de groupements et recourt à une structure additive pour faire l’ajout du nombre d’éléments non groupés (base x nombre de groupements + éléments non groupés). À titre d'exemple, «J’ai fait des ronds. Je les ai comptés. J’en ai eu 14! 14 dizaines… 4 unités; et puis 14 et 4 ça fait quatre cents quarante quatre…» (E21414). La catégorie 2 se fonde sur les règles d’une structure additive. La collection est ainsi organisée selon une base de groupement (10 ou autres) et la cardinalité est trouvée par un comptage régulier selon la base de groupement, comme on peut le lire: «Oui, je peux faire des groupes de 10 ! Mais je préfère des groupes de 5… Oui ! (rires, puis termine les groupements de 5 et compte.) 5, 10… 40… 140...et 149 !» (E211). L'élève fait toutefois une erreur de comptage, le cardinal de la collection étant 144 barres. La catégorie 3 repose sur le dénombrement des barres ou le comptage un à un, comme l'atteste la conduite de cet élève: «(Il biffe chaque barre, comptant à voix basse… puis dit la réponse) : Cent quarante quatre… (...) Ben je les ai toutes barrées, en les comptant, pour être sûr de les avoir comptées ! » (E207). La dernière catégorie repose sur une évaluation de type qualitatif. Ce qui ne permet pas de quantifier exactement la collection : «Une centaine ! (…) J’ai regardé, c’est à peu près ça ! (…) Mais, il faudrait que je les compte ! Mais ça prend du temps ! (…) Moi je dirais quatre-vingt-six !» (E195). En outre, des erreurs apparaissent et résultent soit d’un manque de coordination lors du comptage dans la constitution des groupements de dix, par exemple, et/ou des barres restantes, soit de défauts dans le recours aux principes de la NPD, voire dans l'écriture des nombres. Des erreurs de dénombrement sont communes aux 3 premières catégories.

Résolution du problème des bonbons: 3 catégories de stratégies L’analyse des données révèle 3 catégories de stratégies. Dans la catégorie 1, l’élève ne recourt à aucune règle de groupement. Ainsi, la résolution du problème se fait soit de façon partielle ou locale soit elle débouche sur une impasse. C'est le cas de l'élève ci-dessous qui arrive à une impasse après un traitement partiel en soustrayant le seul sac de la collection donnée aux deux sacs de la collection initiale. Selon son raisonnement, plus il y a d’éléments dans une collection, plus elle est grande. «Ben, il en reste un sac, parce que il y avait 2 sacs, là (collection initiale; puis dessine un sac et écrit 1). Et ici, (2è collection) il y a les bonbons et puis les rouleaux, il y en a plus qu’ici (collection initiale). Là (2è collection), il pourrait pas avoir tout ça comme bonbons; parce que la maman elle n’a pas plus ici. Parce que ici (collection initiale), il y en a moins que ici (2è

                                                                                                               14 Il s'agit de l'élève portant le numéro 214.

78

collection). Donc je ne peux pas dessiner, parce que, il n’en a pas assez. (Écrit sur sa copie: «il n’en na pas assé)» (E201). La catégorie 2 consiste en la recherche de la règle de groupement. Un travail contrôlé est effectué sur les groupements pour établir un lien entre chacune des collections de bonbons et le nombre qui y est associé. Finalement, l’algorithme de soustraction est utilisé en contrôlant les techniques de calcul à la verticale. « Chercheure : Peux-tu me dessiner ce qu’il lui reste? Élève : Oui, mais, il faut savoir combien y a de rouleaux dans un sac et combien de bonbons dans un rouleau. (…) Heu, ça me rappelle quelque chose… Un bonbon, c’est une unité hein… Un rouleau c’est une dizaine. Un sac, c’est une centaine !(écrit 234 sur collection initiale et 178 sur la 2è collection; calcule et trouve la réponse.)» (E214) La dernière catégorie concerne un travail non contrôlé sur les groupements entraînant une confusion entre les ordres des groupements. Six élèves se comportent ainsi, dont celui-ci.«Je pense, il y a une dizaine dans un sac. (Il écrit 10 sur chaque sac, compte à voix basse les éléments de la collection initiale et trouve 27, puis de la 2è collection et écrit 25. Il calcule la différence entre 27 et 25, trouve 2 et dessine 2 bonbons sur sa fiche).» (E207) Si la valeur 10 est attribuée à chaque sac, autant les rouleaux que les bonbons isolés ont comme valeur numérique «1». L’élève opère ainsi sur les nombres, additionnant le nombre d’éléments des 2 sacs (10 + 10 = 20). L’attribution d’une même valeur unitaire à tous les éléments restant de la collection initiale permet d’opérer ainsi : 3 rouleaux + 4 bonbons = 7 et 20 + 7 = 27. Il en fait autant avec la 2è collection : 10 (un sac) + 7 (rouleaux) + 8 (bonbons) = 25 ! Enfin, 27–25= 2. Même si l’ordre des termes est respecté, l’élève ne contrôle pas tout à fait les groupements. Les résultats issus de l’analyse des stratégies de traitement des tâches par les élèves montrent des différences dans le travail sur les groupements en lien avec la NPD. Comment ces résultats se comparent-ils à ceux de Bednarz et Janvier ?

Analyse comparant les résultats de Bednarz et Janvier aux nôtres et discussions Rappelons que les études de Bednarz et Janvier ont porté sur trois échantillons d’élèves : l'échantillon B1 qui a reçu durant 3 années un enseignement préparé par les chercheures fondé sur une approche socioconstructiviste ; les échantillons A et B2 qui ont reçu un enseignement usuel lié à l’ancien programme (approche par objectifs). Des résultats contrastés émergent des analyses comparatives menées. À la tâche de dénombrement, la majorité des élèves des échantillons A (74%) et B2 (73%), de même que les élèves de notre étude (89%), appliquent le codage d’une collection d’éléments, surtout le comptage un à un. Mais ceux ayant reçu un enseignement préparé par les chercheures Bednarz et Janvier fondé sur une approche socioconstructiviste (B1) recourent surtout au codage d’une collection regroupée (92%), dont le groupement de groupements, stratégie qu’ils sont quasiment les seuls à utiliser. À la résolution du problème de bonbons, les élèves de notre étude (78%) ainsi que ceux des échantillons A (environ 70%) et B2 (46%) recourent aux stratégies de non groupement ou en confondent les ordres, contrairement à ceux de l'échantillon B1, ayant reçu l’enseignement de Bednarz et Janvier constructiviste (8%), qui font plutôt un travail contrôlé sur les groupements, les défaisant pour opérer. Ainsi, d'un côté, on relève que les élèves ayant profité d'un enseignement de type socioconstructiviste de l'étude de Bednarz et Janvier adoptent des

79

stratégies empreintes d'une réelle compréhension des groupements. Les connaissances de ces élèves s’avèrent les plus riches et les plus abouties sur la NPD. D'un autre côté, les élèves qui ont participé à notre étude n'adoptent pas pour autant de stratégies plus efficaces que ceux des échantillons A et B2 instruits sous l'ancien programme. Le résultat le plus important est le fait qu’il n’y a quasiment pas de différences entre les stratégies et connaissances des élèves ayant reçu un enseignement par objectifs (A et B2) et ceux de notre étude, qui ont reçu un enseignement qui devrait s’inscrire dans une approche socio-constructiviste. Ainsi, ces résultats soulèvent un certain nombre de questions sur les paradigmes des programmes et les pratiques d’enseignement ainsi que les processus d’apprentissage. Les paradigmes à la base des deux programmes d’enseignement auprès des échantillons A et B2 /le nôtre sont différents. Le paradigme behavioriste à la base de l'approche par objectifs, de l’ancien programme, a été délaissé au profit du paradigme socio constructiviste dans le programme actuel. Comment interpréter alors la convergence des résultats relatifs aux connaissances des élèves ayant reçu un enseignement issu de l’approche par objectifs des années 80 (échantillons A et B2) et des élèves de notre étude, ayant reçu un enseignement dans le cadre d’un programme d’orientation socio-constructiviste ? Comment expliquer la différence entre les résultats relatifs aux connaissances des élèves de notre étude et ceux propres à l'échantillon B1 constitué d’élèves ayant bénéficié de l’enseignement donné par Bednarz et Janvier, lequel se fonde sur le même paradigme (socio) constructiviste que celui à la base de l’actuel programme ? Nous formulons quelques hypothèses en guise de conclusions.

CONCLUSIONS Le changement de paradigme du programme de formation de l'école québécoise (Gouvernement du Québec, 2001) n’aurait pas produit de changements significatifs sur les connaissances des élèves à propos de la NPD. Il n'y aurait pas ainsi d'effet manifeste sur le portrait des connaissances des élèves. Ainsi, la similarité du portrait des connaissances des deux générations d’élèves (ancien et actuel programme) s’expliquerait par la prépondérance des tâches dont le traitement nécessiteraient des réponses plus fermées comme support à l’enseignement actuel, tout comme auparavant, dans l’enseignement de l’approche par objectifs. Il est aussi possible de suggérer que chaque objet de savoir mathématique présente ses propres résistances à l’apprentissage. Son acquisition nécessite des ruptures dans les connaissances construites, le franchissement d’obstacles épistémologiques (Bednarz et Garnier, 1989) desquels aucun apprenti ne peut faire l’économie. Il est en outre possible de supposer que les connaissances et savoirs reflètent le type d’enseignement reçu et sont empreints des caractéristiques des activités d’enseignement. Ainsi, les élèves qui ont bénéficié d'un enseignement dispensé par Bednarz et Janvier, orienté sur la maîtrise des groupements, au moment de l’évaluation, étaient familiers avec le type de tâches proposées; ce qui n'est possiblement pas le cas des élèves des autres échantillons. La recherche de Bednarz et Janvier montre qu’il est possible de lever les difficultés des élèves pour faire place à une véritable compréhension dans le cadre d’un enseignement articulant les caractéristiques du savoir avec le développement cognitif des élèves. Cependant, un changement de paradigme ne semble pas suffisant, voire nécessaire, pour que soient mises en place des situations possédant les qualités didactiques requises pour favoriser l’acquisition de connaissances appropriées sur la NPD. Conséquemment cela soulève la pertinence de la recherche en didactique des mathématiques et l'importance d’une formation didactique à l’enseignement des mathématiques.

80

BIBLIOGRAPHIE BEDNARZ, N. et DUFOUR-JANVIER, B. (1988). A constructivist approach to numeration in primary school : Results of a three year intervention with the same group of children. Educational Studies in Mathematics, 19, 299-331.

BEDNARZ, N. et DUFOUR-JANVIER, B. (1986). Une étude des conceptions inappropriées développées par les enfants dans l'apprentissage de la numération au primaire. European Journal of Psychology of Education, 1 (2), 17-33.

BEDNARZ, N. et DUFOUR-JANVIER, B. (1984a). La numération : Les difficultés suscitées par son apprentissage ; une stratégie didactique cherchant à favoriser une meilleure compréhension. Grand N, 33, 5-31.

BEDNARZ, N. et DUFOUR-JANVIER, B. (1984b). La numération : une stratégie didactique cherchant à favoriser une meilleure compréhension. Grand N, 34, 1-17.

BEDNARZ, N. et DUFOUR-JANVIER, B. (1982). The understanding of numeration in primary school. Educational Studies in Mathematics, 13, 33-57.

BEDNARZ, N. et GARNIER, C. (éd.) (1989). Construction des savoirs : Obstacles et conflits, Actes du Colloque de Montréal sur les obstacles épistémologiques et les conflits socio-cognitifs. Ottawa : Agence Arc.

BERGERON, J. Et HERSCOVICS, N. (1989). Un modèle de la compréhension pour décrire la construction de schèmes conceptuels mathématiques. Actes de la 41e rencontre de la Commission internationale pour l'étude et l'amélioration de l'enseignement des mathématiques, Bruxelles, 139-147.

BRUN, J., GIOSSI, J.-M. et HENRIQUES, A. (1984). A propos de l’écriture décimale. Math-École, 23 (112), 2-11.

COLLET, M. (2003). Le développement du système en base 10 chez des élèves de 2e et de 3e année primaire, une étude exploratoire. In C. Mary et Schmidt, S. (Dir), La spécificité de l’enseignement des mathématiques en adaptation scolaire. Éducation et Francophonie [En ligne], XXXI (2).

DEBLOIS, L. (1997). Quand additionner ou soustraire implique comparer. Éducation et Francophonie [En ligne], XXV. Québec : Association Canadienne d’Éducation en Langue Française. 102-120.

DEBLOIS, L. (1996). Une analyse conceptuelle de la numération de position au primaire. Recherches en Didactique des Mathématiques, 16 (1), 71-128. DEBLOIS, L. (1995). Le développement de l’écriture des nombres chez Christine. Revue des sciences de l’éducation, XXI (2), 331-351.

DEBLOIS, L. (1993). Le développement de l’abstraction en regard du concept de numération positionnelle chez les enfants en difficulté d’apprentissage. Thèse de doctorat, Université Laval, Québec.

FUSON, K.C. (1988). Children’s counting and concepts of number. New York : Springen-Verlag.

FUSON, K.C., Smith, S.T., et Lo Cicero, A.M. (1997). Supporting latino first graders’ ten structured thinking in urban classrooms. Journal for Research in Mathematics Education, 28 (6), 738-766.

GIROUX, J. (1991). Modélisation des connaissances sur la numération et les opérations chez des élèves en première année du primaire. Thèse de doctorat, Université de Montréal, Québec.

GUEDJ, D. (1996). L’empire des nombres. Paris : Éditions Gallimard.

81

IFRAH, G. (1994). Histoire universelle des chiffres. Paris: Robert Lafont. (1ère éd. 1981. Paris : Seghers).

KAMII, C. et Baker Housman (2000). Young children continue to reinvent arithmetic. Implications of Piaget’s theory. New York : Teachers College Press. Second Edition.

KAMII, C. (1990). Les jeunes enfants réinventent l’arithmétique. Berne : Peter Lang.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT, GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. (2001). Programme de formation de l'école québécoise. Version approuvée. Enseignement préscolaire et primaire. Québec: Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport.

PAILLÉ, P., et MUCCHIELLI, A. (2008). L'analyse qualitative en sciences humaines et sociales (2e éd.). Paris: Armand Colin. PERRET, J.-F. (1985a). L'élève et la numération : regard sur la rénovation de l'enseignement de la mathématique à l'école primaire. Berne : Peter. Lang. PERRET, J.-F. (1985b). Comprendre l'écriture des nombres. Berne : Peter. Lang. PIAGET, J. (1977). Recherche sur l'abstraction réfléchissante. Paris: Presses Universitaires de France.

82

L'étude covariationnelle de la fonction comme moyen de favoriser le passage de la notion de fonction à celle de dérivée

Valériane Passaro Université de Montréal

RÉSUMÉ L’approche de la fonction en terme de covariation est suggérée par plusieurs chercheurs pour pallier certaines difficultés rencontrées par les élèves avec les notions de fonction et de dérivée. Dans la perspective de l’introduction de ce type d’approche dans l’enseignement au secondaire, nous proposons d’en cerner les caractéristiques en introduisant notamment l’idée d’étude covariationnelle de la fonction. Notre démarche comprend une partie théorique et une partie empirique visant l’identification des raisonnements impliqués lors de la réalisation de tâches sollicitant cette étude et de l’influence des variables de situations sur ces raisonnements. INTRODUCTION La notion de fonction occupe une place importante dans les programmes de mathématiques au Québec. Le Ministère de l’éducation, du loisir et du sport (2003, 2007) prescrit l’initiation des élèves aux situations fonctionnelles dès la deuxième année du secondaire puis l’étude explicite des fonctions en troisième, quatrième et cinquième secondaire. Au deuxième cycle du secondaire, les élèves suivant les séquences scientifiques (sciences naturelles et technico-sciences) sont préparés à aborder le cours de calcul différentiel au collégial et donc à poursuivre l’étude des fonctions initiée au secondaire (Ministère de l’éducation, du loisir et du sport, 2010). En outre, plusieurs chercheurs s’entendent à dire que le concept de fonction est un concept fondamental en mathématiques et qu’il est essentiel à la compréhension du calcul différentiel (Oehrtman, Carlson, & Thompson, 2008; Selden & Selden, 1992). Ainsi, dans l’optique de favoriser l’arrimage entre les ordres secondaire et collégial, nous pensons que l’enseignement de la notion de fonction au secondaire doit favoriser le passage à la notion de dérivée au collégial. Dans cette contribution, qui présente une partie de notre recherche doctorale en cours, nous présentons une manière d’envisager les caractéristiques d’un tel enseignement. Nous proposons donc une brève analyse de quelques difficultés types rencontrées par les élèves puis des éléments de définition de la notion de fonction à prendre en compte lors du passage à la notion de dérivée. Cela nous amène à identifier les caractéristiques d’une approche de la fonction sous l’angle de la variation au sein de laquelle l’étude covariationnelle de la fonction prend place. Nous posons ensuite les questions spécifiques de la recherche et nous présentons la méthodologie de l’expérimentation menée auprès d’élèves de quatrième et cinquième secondaire, ainsi que de première année du collégial. Finalement, nous abordons quelques résultats préliminaires.

UNE ANALYSE DE QUELQUES DIFFICULTÉS SUR LA FONCTION ET LA DÉRIVÉE Depuis le milieu des années 60, la recherche en didactique des mathématiques a largement mis de l’avant les difficultés qu’implique la compréhension des notions de fonction (Beichner, 1994; Carlson, 1998; Janvier, 1998; Monk, 1992; Sajka, 2003; Sierpinska, 1992) et de dérivée (Gantois & Schneider, 2009; Orton, 1983; Thompson, 1994).

83

Parmi les recherches visant particulièrement la notion de fonction, certaines proposent d’identifier des difficultés rencontrées par les élèves spécifiquement lors d’un travail sur la représentation graphique. C’est le cas de Janvier (1993), qui montre que l’interprétation de graphiques et la modélisation d’une situation par un graphique sont des tâches qui posent problème. Il est effectivement fréquent que les élèves confondent la situation concrète et la représentation graphique de la relation entre deux grandeurs impliquées dans la situation ; le graphique est alors vu comme une image de la situation. Beichner (1994), Carlson (1998) et Monk (1992) ont mis en évidence ces mêmes difficultés dans divers contextes (étude de la cinématique en physique, test d’évaluation sur les fonctions, étude d’un phénomène dynamique dans un cours de calcul) et avec des étudiants de différents niveaux scolaires (fin du secondaire, collégial et universitaire). De plus, la recherche de Beichner révèle que ces difficultés apparaissent même si les étudiants ont préalablement étudié les phénomènes présentés dans les situations. Celle de Carlson indique que, dans le cadre de ce type de tâche, l’identification du rôle de chaque variable et la considération de la variation continue d’une grandeur dont dépend la variation d’une autre grandeur pose particulièrement problème aux élèves. Monk, quant à lui, distingue deux types de questions en lien avec la modélisation et l’interprétation graphique : les questions « ponctuelles » et les questions « à travers le temps ». Dans son étude, il pose à des élèves de niveau universitaire des questions du second type dans une situation dans laquelle on s’intéresse à un phénomène dynamique15. Il montre alors que les étudiants qui ont une vision strictement ponctuelle rencontrent plus de difficultés. Cette vision est caractérisée par une conception de la fonction comme étant un ensemble de valeurs ou de paires de valeurs « input-output » plus ou moins isolées. Ainsi, pour favoriser la réussite des élèves dans ce type de tâches l’étude de Monk suggère de les amener à développer une vision de la fonction « à travers le temps »16. Comme l’indique Zandieh (2000) cette vision est liée à une compréhension de la fonction en terme de covariation de deux quantités. Dans les recherches visant l’identification de difficultés liées à la compréhension de la notion de dérivée, la représentation graphique occupe aussi une place importante. Gantois & Schneider (2009), par exemple, ont observé que peu d’étudiants effectuaient explicitement le lien entre la pente de la tangente et la dérivée. Orton (1983), quant à lui, a identifié plusieurs types d’erreurs apparues lors de la réalisation de 21 tâches de calcul différentiel. Les items ayant posé le plus de difficultés concernaient la compréhension de la différentiation en terme de rapport entre deux différences, l’approche graphique du taux de variation, les notions de taux de variation moyen et instantané, ainsi que la conceptualisation de la dérivée comme une limite. Pour Thompson (1994) qui a mené une étude sur la compréhension du théorème fondamental du calcul, les principales difficultés rencontrées par les élèves sont issues d’une compréhension incomplète de la notion de fonction, de la covariation et du taux de variation. En résumé, parmi les difficultés rencontrées par les élèves avec les notions de fonction et de dérivée, on retrouve des difficultés reliées à la modélisation et l’interprétation graphique particulièrement lorsque les questions nécessitent une vision de la fonction sous l’angle des variations concomitantes de deux grandeurs. De plus, la notion de taux de variation ainsi que                                                                                                                15 Il s’agit du contexte d’une échelle qui glisse contre un mur. On s’intéresse d’abord à la distance entre le haut de l’échelle et le haut du mur en fonction de la distance entre le bas de l’échelle et le bas du mur, puis à la vitesse du haut de l’échelle en fonction du temps alors que la vitesse du bas de l’échelle est constante. 16 Monk parle de « pointwise view of function » et de « across-time view of function ». Nous pensons que la désignation « across-time » est un abus de langage puisque dans les situations proposées, il ne s’agit pas forcément d’étudier la variation d’une grandeur au cours du temps.

84

l’association de la dérivée au taux de variation instantané et à la limite du taux de variation moyen posent particulièrement problème en ce qui concerne le passage de la notion de fonction à celle de dérivée. Le travail sur certains aspects de la fonction pourrait toutefois permettre de faciliter ce passage.

DES ÉLÉMENTS DE DÉFINITION DE LA NOTION DE FONCTION FAVORISANT LE PASSAGE À LA NOTION DE DÉRIVÉE En introduction, nous avions noté que le concept de fonction est considéré comme unificateur en mathématiques. Dans le programme de l’école québécoise, on le retrouve d’ailleurs au centre de l’ensemble des contenus abordés au 2ème cycle du secondaire (cf schéma des contenus p.50 dans MELS, 2007) soit à l’intersection des trois grands thèmes : « arithmétique et algèbre », « géométrie » et « probabilités et statistique ». Néanmoins, comme le note Biehler (2005), le sens du concept de fonction dépend du contexte dans lequel il est utilisé. Ainsi, même s’il existe une définition structurelle de la fonction à laquelle on se réfère dans différents champs des mathématiques et même dans d’autres domaines d’application (physique, informatique etc.), les usages du concept diffèrent. Une analyse épistémologique de l’évolution de la définition de fonction a permis de mettre en évidence trois éléments importants pour définir cette notion : la dépendance, la variation et la correspondance (René de Cotret, 1987). Elle a aussi révélé que les définitions modernes, plus générales, mettent l’accent sur l’aspect de correspondance et évacuent particulièrement celle de variation. Toutefois, dans la visée de l’enseignement de la notion de fonction au secondaire en vue de préparer les élèves à aborder le calcul différentiel, les aspects de dépendance et de variation jouent un rôle important. En effet, historiquement, l’émergence du calcul différentiel et intégral est liée à une vision dynamique de la fonction que nécessitaient les problèmes d’étude du mouvement (Charbonneau, 1987). Cette dernière mène à définir la fonction comme une relation entre des quantités variables comme l’illustre cet extrait de définition proposée par Euler dans un ouvrage sur le calcul différentiel en 1755 : « Si certaines quantités dépendent d’autres quantités de telle manière que si les autres changent, ces quantités changent aussi, alors on a l’habitude de nommer ces quantités fonctions de ces dernières (…) » (Youschkevitch, 1981, p.49).

En résumé, le sens de la fonction en lien avec l’étude du calcul différentiel est associé à une définition qui met l’accent sur ses aspects de dépendance et de variation : une grandeur dépend d’une autre de telle sorte que la variation de l’une entraîne la variation de l’autre. Il est aussi fortement lié à la modélisation de phénomènes dynamiques et épistémologiquement à l’étude du mouvement. Ce type de situation appartient à la branche des « mathématiques du changement » (Noble, Nemirovski, Wright, & Tierney, 2001).

L'ÉTUDE DU CHANGEMENT : D'UNE APPROCHE DE LA FONCTION EN TERME DE COVARIATION À L'ÉTUDE COVARIATIONNELLE DE LA FONCTION L’idée d’une approche de la fonction en terme de covariation a été exploitée par différents chercheurs dans les vingt dernières années. Certains l’ont utilisé comme moyen pour développer la compréhension d’autres objets mathématiques (Confrey & Smith, 1995; Moore & Carlson, 2012; Saldanha & Thompson, 1998) alors que d’autres se sont penchés sur la compréhension de la covariation comme objet d’apprentissage à l’école (Carlson, Jacobs, Coe, Larsen, & Hsu, 2002; Johnson, 2012; Passaro, 2007). Nous avons repéré dans ces travaux différentes perspectives de ce qu’est la covariation : la covariation permet de définir la fonction (a

85

covariational definition of function), la covariation est une façon de travailler la fonction (a covariational approach to function) et la covariation est un objet en soi (the covariation concept). La perspective la plus exploitée est celle de la covariation comme manière d’aborder la fonction ou encore comme un regard porté sur la fonction. À ce sujet, Confrey & Smith (1995) proposent de parler de deux regards, celui de la correspondance et de celui de la covariation. Pour ces chercheurs, on peut donc regarder le même objet (la fonction) sous deux angles différents. Nous illustrons ces deux approches avec l’exemple de la fonction g qui met en relation les variables x et y de manière à ce que y dépende de x (voir figure 1).

Figure 1 Deux regards sur la fonction : covariation et correspondance

 La correspondance est donc associée au lien interne entre les grandeurs (lien entre la valeur de x et la valeur de y qui lui correspond) alors que la covariation concerne le lien externe entre les grandeurs et permet d’étudier les variations concomitantes de ces deux grandeurs. Dans la perspective de la présente recherche, il est nécessaire de préciser en quoi consiste le travail de la fonction par la covariation de manière à établir le lien entre fonction, covariation et dérivée. Dans le travail de Monk (1992), sur lequel s’appuient la plupart des travaux sur la covariation, des étudiants de niveau collégial étaient amenés à travailler sur une situation dans laquelle une échelle est posée contre un mur et on s’intéresse aux variations des distances parcourues par le haut et le bas de l’échelle lorsque celle-ci glisse le long du mur. Les questions amenaient les étudiants à décrire le comportement d’abord des accroissements de la distance parcourue par le haut de l’échelle lorsque les accroissements de la distance parcourue par le bas de l’échelle sont constants, puis de la vitesse du haut de l’échelle lorsque le bas de l’échelle se déplace de manière continue à vitesse constante. Ainsi, il était suggéré de faire l’étude des variations concomitantes de deux grandeurs à l’aide de l’observation des accroissements concomitants de ces deux grandeurs. L’accroissement d’une grandeur correspondant au passage d’une valeur à une autre pour cette grandeur, dans l’exemple de la figure 1, 𝑥! − 𝑥! et 𝑔(𝑥!)− 𝑔(𝑥!) sont des accroissements concomitants. Cette idée de passer par les accroissements est directement liée à la notion de taux de variation et par conséquent de dérivée. Zandieh (2000) note d’ailleurs qu’il est nécessaire de les aborder avant d’introduire la dérivée comme un taux. Carlson et ses collègues (Carlson et al., 2002; Carlson, Larsen, & Jacobs, 2001; Moore & Carlson, 2012) abordent aussi la notion d’accroissement (increments) alors qu’ils établissent un cadre d’analyse du développement du raisonnement covariationnel chez les étudiants de niveaux

86

collégial et universitaire. Dans ce cadre, cinq actions mentales sont décrites (voir tableau 1). Les auteurs indiquent que la première action mentale est associée à l’image de deux variables qui changent simultanément (Mental action 1). Ensuite, cette image évolue et se raffine jusqu’à devenir celle du taux de variation instantané alors que le changement de la variable indépendante est continu sur l’ensemble du domaine de la fonction (Mental action 5). Tableau 1 Description des actions mentales liées au développement du raisonnement covariationnel Mental action Description of mental action Mental Action 1 Coordinating the value of one variable with changes in the other

Mental Action 2 Coordinating the direction of change of one variable with changes in the other variable

Mental Action 3 Coordinating the amount of change of one variable with changes in the other variable Mental Action 4 Coordinating the average rate-of-change of the function with uniform increments of

change in the input variable Mental Action 5 Coordinating the instantaneous rate-of-change of the function with continuous changes in

the independent variable for the entire domain of the function Ainsi, nous considérons que le travail de la fonction sous l’angle de la covariation permettant le passage à la notion de dérivée repose sur une étude des accroissements concomitants des deux grandeurs mises en relation par cette fonction. Dans Passaro (2013), nous avons présenté un exemple de résolution d’un problème type de mouvement qui nous a servi d’assise pour mettre en évidence les différentes étapes possibles de l’étude des accroissements et les raisonnements mobilisés lors de cette étude. La figure 2 présente l’enchaînement des raisonnements qui a émergé de notre démarche. Nous avons organisé les raisonnements en quatre catégories : les raisonnements spécifiques au travail de la fonction en haut du schéma et ceux spécifiques au travail de la dérivée en un point en bas du schéma. Entre les deux apparaît l’étude covariationnelle que nous avons séparée en deux volets, l’un qualitatif et l’autre quantitatif. L’étude covariationnelle de la fonction découle donc d’une approche de la fonction en terme de covariation et peut déboucher sur l’introduction de la dérivée en un point. Il est à noter toutefois qu’à partir du moment où l’étude qualitative du comportement des accroissements débute, la notion de fonction dérivée ainsi que le lien entre une fonction et sa dérivée sont travaillés implicitement à un niveau global.

LES QUESTIONS SPÉCIFIQUES DE LA RECHERCHE Une analyse de quelques études nous a permis d’identifier l’étude des accroissements concomitants de deux grandeurs comme caractéristique d’une étude covariationnelle favorisant le passage de la notion de fonction à celle de dérivée. Nous avons alors dégagé des raisonnements impliqués lors de la réalisation d’une tâche appelant l’étude covariationnelle d’une fonction. Cette analyse théorique nécessite selon nous d’être complétée car deux dimensions importantes n’y sont pas considérées : les stratégies spontanées des élèves (Hitt & Passaro, 2007; Lemaire & Fabre, 2005) et le rôle des situations (Vergnaud, 1990). Nous nous demandons donc comment, dans le contexte de l’enseignement actuel au Québec, les élèves de quatrième et cinquième secondaire et de première année du collégial, sont-ils en mesure de traiter des situations basées sur une étude covariationnelle de la fonction ? Plus précisément, nous voulons répondre aux questions suivantes : « Quels sont les raisonnements mobilisés et quels sont les liens établis entre ces raisonnements par ces élèves lors d’une étude covariationnelle de la fonction ? » et « Quelles caractéristiques des situations proposées favorisent la mobilisation de ces raisonnements et la mise en place de liens entre ces raisonnements ? ».

87

 

         

 

     Figure 2 Raisonnements impliqués lors du passage de la notion de fonction à celle de dérivée par l’intermédiaire de l’étude covariationnelle et liens possibles entre ces raisonnements

R3   Qualifier le changement de la grandeur dépendante lorsque la grandeur indépendante augmente  

Définition  de  la  notion  de  fonction  

R1   Identifier la grandeur indépendante et la grandeur dépendante  

R2   Identifier la présence de variations concomitantes de deux grandeurs  

R4  Qualifier le changement des accroissements de la grandeur dépendante pour des accroissements constants de la grandeur indépendante  

R7  Interpréter le changement des accroissements en terme de taux de variation et nommer la grandeur associée selon le contexte (vitesse, débit etc.)  

R6  Qualifier le changement des accroissements de la grandeur dépendante pour des accroissements constants de plus en plus petits de la grandeur indépendante  

Étude  covariationnelle  qualitative  de  la  fonction  

R5  Déterminer les différentes phases de variation (une phase est un intervalle de la grandeur indépendante sur lequel la « façon de varier » de la grandeur dépendante est la même)  

R8  Quantifier un accroissement de la grandeur dépendante pour un accroissement précis de la grandeur indépendante  

R9  Quantifier un accroissement de la grandeur dépendante pour un accroissement unitaire de la grandeur indépendante  

R10  Quantifier le rapport entre l’accroissement correspondant (taux moyen) à un accroissement précis de la grandeur indépendante et ce dernier  

R11  Quantifier le rapport entre les accroissements correspondants (taux de variation moyen) à des accroissements de plus en plus petits de la grandeur indépendante et ces derniers  

Étude  covariationnelle  quantitative  de  la  fonction  

R12  Déterminer une valeur de la grandeur indépendante pour laquelle on connait la limite du rapport entre l’accroissement correspondant à un accroissement précis de la grandeur indépendante et ce dernier, lorsque l’accroissement de la grandeur indépendante tend vers 0 (taux de variation instantané)  

R13  Déterminer, pour une valeur de la grandeur indépendante donnée, la limite du rapport entre l’accroissement correspondant à un accroissement précis de la grandeur indépendante et ce dernier, lorsque l’accroissement de la grandeur indépendante tend vers 0 (taux de variation instantané)  

Définition  de  la  notion  de  dérivée  

88

L'EXPÉRIMENTATION Les modalités de la collecte de données Nous avons mené une expérimentation de type « clinique » avec des élèves de quatrième et cinquième secondaire (séquences sciences naturelles et technico-sciences) et de première année du collégial (programme pré-universitaire en sciences de la nature). Pour chaque niveau, un groupe de quatre élèves volontaires a participé à quatre séances de 90 minutes. Les séances ont eu lieu dans des locaux de l’école mais en dehors des heures régulières de classe. Les élèves ont ainsi eu à répondre d’abord individuellement à une ou deux questions, puis en équipe à toutes les questions, et ce pour quatre situations. La chercheuse était présente pour collecter les données, mais n’intervenait pas auprès des élèves durant leur travail sauf pour leur donner les questions. Les questions étaient données les unes après les autres de manière à respecter le rythme des élèves. Ces derniers ne savaient pas à l’avance combien il y avait de questions. Après 60 minutes de travail collectif, la chercheuse a mené une mini-entrevue d’explicitation (Vermersch, 1994) avec l’équipe de manière à préciser quelques éléments apparus au cours de la séance. Les données collectées sont les enregistrements vidéo et audio des séances complètes (travail d’équipe et entretien), ainsi que les productions écrites individuelles et collectives. Les situations Le processus de conception des situations a été réalisé en sept étapes : 1) Analyse de 18 situations utilisées dans 8 recherches antérieures dans lesquelles une

expérimentation avec des élèves amenait l’étude des variations concomitantes de deux grandeurs pour mettre en évidence les caractéristiques des contextes et les caractéristiques du questionnement ;

2) Choix des caractéristiques des situations pour la présente recherche (types de contextes, nature des grandeurs, modes de représentations donnés et demandés, matériel fourni) ;

3) Choix des variables de situation observées (contexte et grandeurs, voir tableau 2) ; 4) Construction d’une structure pour le questionnement de manière à solliciter les raisonnements

identifiés dans le cadre théorique (voir schéma de la figure 2) avec chaque contexte ; 5) Construction des quatre situations ; 6) Pré-expérimentation ; 7) Révision et ajustement des quatre situations.

Tableau 2 Situations choisies : contextes et grandeurs observées Contexte du pichet On remplit un pichet avec de l’eau.

Situation 1 (S1) On s’intéresse à la hauteur de l’eau dans le pichet en fonction du volume.

Situation 2 (S2) On s’intéresse d’abord à la hauteur de l’eau en fonction du temps puis à la vitesse à laquelle l’eau monte dans le pichet en fonction du temps.

Contexte de l’échelle Une échelle est appuyée contre un mur de même hauteur et on fait glisser le bas de l’échelle sur le sol.

Situation 3 (S3) On s’intéresse à la distance qui sépare le haut de l’échelle du haut du mur en fonction de la distance qui sépare le bas de l’échelle du bas du mur.

Situation 4 (S4) On s’intéresse d’abord à la distance qui sépare le haut de l’échelle du haut du mur en fonction du temps puis à la vitesse du haut de l’échelle en fonction du temps.

89

Nous avons posé les mêmes questions dans les situations 1 et 3 ainsi que dans les situations 2 et 4. Les contextes étaient présentés dans les registres verbal et figural et un matériel permettant de simuler en partie les phénomènes étudiés était fourni. Par exemple, pour la première situation (S1), une photo du pichet accompagnait la description du contexte, le pichet ainsi que de l’eau, des verres etc. étaient fournis et les trois premières questions étaient les suivantes :

1) Décrivez comment réagit le niveau de l’eau à mesure que le volume d’eau augmente dans le pichet.

2) Le niveau de l’eau augmente-t-il toujours de la même façon à mesure que le volume d’eau augmente dans le pichet ?

3) Le verre A, rempli jusqu’à la marque, est utilisé pour remplir le pichet. a. Pour chaque verre ajouté, l’accroissement du niveau de l’eau est-il le même ? b. À mesure que le pichet se remplit, les accroissements du niveau de l’eau sont-ils :

constants, de plus en plus petits, de plus en plus grands ou autrement ? Expliquez. c. Décrivez comment l’augmentation du niveau de l’eau se comporte à mesure que le

volume d’eau augmente dans le pichet.

QUELQUES RÉSULTATS PRÉALABLES ET CONCLUSION Lors de la présentation au colloque, la collecte de données venait d’être complétée. Les résultats présentés ici concernent donc uniquement quelques observations effectuées durant la collecte, ils ne sont pas issus d’une analyse approfondie des données. Premièrement, nous avons remarqué que la plupart des raisonnements ont été mobilisés à un moment ou à un autre sur l’ensemble des séances et par toutes les équipes. Les élèves ont suivi les étapes de l’étude covariationnelle qualitative de plusieurs fonctions suggérées sans rencontrer d’obstacle majeur. Toutefois, lors du travail sur les accroissements, ils ont eu de la difficulté à distinguer le comportement des accroissements (et donc de la fonction dérivée) et le comportement de la fonction. Dans leur discours, ils passent de l’un à l’autre sans s’en rendre compte, leurs verbalisations sont donc souvent confuses. De plus, même après avoir effectué un travail correct et cohérent sur les accroissements, ils ne semblent pas y référer lors de la construction de l’esquisse du graphique. En outre, cette construction ne leur a pas posé les difficultés relevées dans des recherches antérieures (voir précédemment). Deuxièmement, nous avons observé des stratégies qui n’apparaissaient pas dans notre analyse a priori. Par exemple, dans la situation 1 (le pichet), les élèves ont eu tendance à traiter simultanément la fonction et sa réciproque afin de s’approprier le phénomène. En fait, ils ont spontanément regardé le comportement de l’augmentation du volume pour une augmentation constante du niveau (voir la solution de Fabrice à la figure 3).

90

 Figure 3 Solution de Fabrice (élève de cinquième secondaire) à la question 2 (S1)

Troisièmement, comme nous l’avions anticipé (Janvier, 1998), les élèves ont souvent fait référence au temps, de manière implicite ou explicite, même lorsque celui-ci n’était pas l’une des grandeurs observées. Par exemple, pour décrire le comportement du niveau de l’eau alors que le volume augmente, ils utilisent les qualificatifs « lentement » et « rapidement » (voir la description de Martin figure 4).

 Figure 4 Solution de Martin (élève du collégial) à la question 2 (S1)

Finalement, l’analyse des données que nous complétons actuellement suit les étapes suivantes : 1) Repérage des raisonnements anticipés et précisions de ces raisonnements, 2) Description des verbalisations et des actions associées à chaque raisonnement, 3) Identification des stratégies des élèves pour passer d’un raisonnement à l’autre, 4) Comparaison des stratégies afin d’évaluer l’influence des variables de situation.

Nos résultats permettront donc de préciser les raisonnements impliqués lors d’une étude covariationnelle de la fonction et d’éclairer les liens entre ces raisonnements et les caractéristiques des situations traitées. Cette contribution permet donc l’avancement des connaissances sur le développement du raisonnement covariationnel qui mèneront à la fois à de nouvelles questions de recherche et à la formulation de recommandations pour l’amélioration de l’enseignement des fonctions au secondaire.

BIBLIOGRAPHIE BEICHNER, R. J. (1994). Testing student interpretation of kinematics graphs. American journal of physics, 62, 750‑762. CARLSON, M. (1998). A cross-sectional investigation of the development of the function concept. In CBMS Issues in Mathematics Education (Vol. 7). American Mathematical Society.

91

CARLSON, M., LARSEN, S. ET JACOBS, S. (2001). An investigation of covariationnal reasoning and its role in learning the concepts of limit and accumulation. In Proceedongs of the 23rd annual meeting of the north american chapter of the international group for the psychology of mathematics education (Vol. 1, p. 145‑153). Snowbird, UT: R. Speiser, C, Maher & C. Walter.

CHARBONNEAU, L. (1987, mai). Chronique  : l’histoire des mathématiques. Première partie  : fonction  : du statisme grec au dynamisme du début du XVIIIème siècle. Bulletin de l’AMQ, 5‑10.

CONFREY, J. ET SMITH, E. (1995). Splitting, covariation, and their role in the development of exponential functions. Journal for Research in Mathematics Education, 26(1), 66‑86.

GANTOIS, J.-Y. ET SCHNEIDER, M. (2009). Introduire les dérivées par les vitesses. Pour qui  ? Pourquoi  ? et Comment  ? Petit x, (79), 5‑21.

HITT, F. ET PASSARO, V. (2007). De la résolution de problèmes à la résolution de situations problèmes  : le rôle des représentations spontanées. In Actes du 59ème colloque de la commission internationale pour l’étude et l’amélioration de l’enseignement des mathématiques (p. 117‑123). Dobogókö (Hungary).

JANVIER, C. (1998). The notion of chronicle as an epistemological obstacle to the concept of function. The Journal of Mathematical Behavior, 17(1), 79‑103. doi:10.1016/S0732-3123(99)80062-5

JOHNSON, H. L. (2012). Reasoning about variation in the intensity of change in covarying quantities involved in rate of change. Journal of Mathematical Behavior, (31), 313‑330.

LEMAIRE, P. ET FABRE, L. (2005). Strategic aspects of human cognition: Implications for understanding human reasoning. In Methods of Thought, Individual Differences in Reasoning Strategies (p. 11‑29). UK: Psychology Press.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT. (2003). Programme de formation de l’école québécoise, Enseignement secondaire 1er cycle, Domaine de la mathématique. Gouvernement du Québec.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT. (2007). Programme de formation de l’école québécoise, Enseignement secondaire 2er cycle, Domaine de la mathématique. Gouvernement du Québec.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, DU LOISIR ET DU SPORT. (2007). Programme de formation de l’école québécoise, Enseignement secondaire 2er cycle, Domaine de la mathématique. Gouvernement du Québec.

MONK, S. (1992). Students’ understanding of a function given by a physical model. In The Concept of Function. Aspects of Epistemology and Pedagogy. (Vol. 25, p. 175‑194). E. Dubinsky and G. Harel.

MOORE, K. C. ET CARLSON, M. P. (2012). Students’ images of problem contexts when solving applied problems. Journal of Mathematical Behavior, (31), 48‑59.

NEWTON, E. J. ET ROBERTS, M. J. (2005). The windows of opportunity: A model for strategy discovery. In Methods of Thought, Individual Differences in Reasoning Strategies (p. 159‑182). UK: Psychology Press.

NOBLE, T., NEMIROVSKI, R., WRIGHT, T. ET TIERNEY, C. (2001). Experiencing Change: The Mathematics of Change in multiple Environments. Journal for Research in Mathematics Education, 32(1), 85‑108.

OEHRTMAN, M., CARLSON, M. ET THOMPSON P. W. (2008). Foundational Reasoning Abilities that Promote Coherence in Students’ function Understanding. In Making the connection: Research and practice in undergraduate mathematics (Mathematical Association of America., p. 27‑42). Washington, DC: M.P. Carlson & C. Rasmussen.

ORTON, A. (1983). Students’ understanding of differentiation. Educational Studies in Mathematics, 14(3), 235‑250.

92

PASSARO, V. (2007). Étude expérimentale sur le développement du concept de covariation entre deux grandeurs révélé par une analyse des représentations spontanées d’élèves du premier cycle du secondaire. Université du Québec à Montréal, Canada.

PASSARO, V. (2013). Jouer avec le concept de fonction. Bulletin de l’AMQ, Numéro spécial-octobre 2013.

RENÉ DE COTRET, S. (1987). La notion de fonction à travers les représentations graphiques du mouvement. Une expérimentation suggérée par l’histoire. In Actes du onzième congrès international (Vol. III, p. 155‑161). Montréal: Jacques C. Bergeron, Nicolas Herscovics, Carolyn Kieran.

SAJKA, M. (2003). A Secondary School Student’s Understanding of the Concept of Function: A Case Study. Educational Studies in Mathematics, 53(3), 229‑254.

SALDANHA, L. A. ET THOMPSON, P. W. (1998). Re-thinking co-variation from a quantitative perspective: Simultaneous continuous variation. In Proceedings of the 20th annual meeting of the north american chapter of the international group for the psychology of mathematics education (Vol. 1, p. 298‑303). Columbus, OH: ERIC Clearinghouse for Science, Mathematics, and Environmental Education: S. B. Berensen, K. R. Dawkins, M. Blanton, W. N. Coulombe, J. Kolb, K. Norwood & L. Stiff.

SELDEN, A. ET SELDEN, J. (1992). Research Perspectives on Conceptions of Function-Summary and Overview. In The Concept of Function. Aspects of Epistemology and Pedagogy. (Vol. 25, p. 1‑21). E. Dubinsky and G. Harel.

SIERPINSKA, A. (1992). On Understanding the Notion of Function. In The Concept of Function. Aspects of Epistemology and Pedagogy. (Vol. 25, p. 25‑58). E. Dubinsky and G. Harel.

THOMPSON, P. W. (1994). Images of rate and operational understanding of the fundamental theorem of calculus. Educational Studies in Mathematics, 26, 229‑274.

VERGNAUD, G. (1990). La théorie des champs conceptuels. Recherche en didactique des mathématiques, 10(2-3), 133‑170.

VERMERSCH, P. (1994). L’entretien d’explicitation en formation initiale et en formation continue. Paris: ESF.

YOUSCHKEVITCH, A. P. (1994). Le concept de fonction jusqu’au milieu du 19ème siècle. Fragments d’histoire des mathématiques. Brochure APMEP, (41), 7‑68.

ZANDIEH, M. J. (2000). A theoretical framework for analyzing student understanding of the concept of derivative. CBMS Issues in Mathematics Education, 8, 103‑127.

93

Les difficultés d'apprentissage en mathématiques au primaire, quelle perspective privilégier?

Thomas Rajotte Université du Québec à Rimouski

RÉSUMÉ Les recherches abordant les difficultés d’apprentissage en mathématiques se positionnent à l’intérieur de deux perspectives distinctes. Dans la première perspective, les difficultés d’apprentissage sont attribuées aux caractéristiques intrinsèques de l’élève. Selon la seconde perspective, les difficultés d’apprentissage sont interprétées comme étant la résultante de l’interaction entre l’élève et le système scolaire. Cette étude vise à éprouver la portée de ces deux perspectives quant à l’interprétation des difficultés en mathématiques des élèves à risque. Afin d’atteindre ces objectifs, nous avons collaboré avec des élèves tout-venant et des élèves à risque. Les résultats démontrent que la seconde perspective est plus appropriée afin d’interpréter les difficultés des élèves en mathématiques.

PROBLÉMATIQUE Depuis la réforme du système de l’éducation en 2000, l’intégration et la réussite des élèves ayant des difficultés d’apprentissage sont devenues des enjeux majeurs du ministère de l’Éducation (Squalli, Venet et Lessard, 2006). Cette préoccupation constitue l’orientation fondamentale de la Politique en adaptation scolaire (Gouvernement du Québec, 1999). Dans la perspective de la prévention des difficultés scolaires, une des disciplines à privilégier est celle des mathématiques. À cet effet, Deblois (2009) soutient que les connaissances en mathématiques sont constamment mobilisées, tant dans les tâches quotidiennes que dans les activités professionnelles que réalise un individu. Dans le domaine des mathématiques, plusieurs écrits scientifiques révèlent deux perspectives distinctes sur la problématique des élèves présentant des difficultés d’apprentissage. La première perspective est essentiellement centrée sur l’identification et la description de dysfonctionnements propres à l’élève, tandis que la seconde perspective s’intéresse plutôt au fonctionnement du système didactique et aux phénomènes particuliers qui caractérisent les relations entre la production de l’élève, la situation effective d’enseignement et la spécificité du savoir à apprendre (Giroux, 2010 ; Roiné, 2009). Martin et Mary (2010) corroborent ces propos en précisant que ces différentes perspectives adoptent des positions antagonistes quant à l’explication des particularités de l’enseignement des mathématiques qui est dispensé aux élèves en difficulté.

Ces deux perspectives reposent sur des fondements théoriques et méthodologiques particuliers, ainsi qu’elles sont alimentées et supportées par différents foyers (surtout universitaires) de recherche. De plus, elles influencent l’enseignement des mathématiques à un certain groupe d’élèves et par l’extension, elles influencent également l’apprentissage de cette discipline par ce même groupe d’élèves.

94

(Martin et Mary, 2010; p.230)

À cet effet, les travaux scientifiques adoptant un cadre explicatif se rapportant aux domaines de la psychologie développementale, de la neuropsychologie, ainsi que des sciences cognitives sont rattachés à la première perspective (Giroux, 2010 ; Goupil, 2007; Martin et Mary, 2010). Les tenants de cette perspective attribuent les difficultés d’apprentissage directement à l’élève. En fait, celles-ci paraissent intrinsèquement liées aux caractéristiques fonctionnelles et structurales de l’apprenant (Lemoyne et Lessard, 2003). En adoptant ce point de vue, l’élève est perçu comme étant un sujet pour lequel les caractéristiques personnelles peuvent être mesurées par le biais d’instruments d’évaluation standardisés. Toujours selon cette perspective, le rôle de l’enseignant consiste à aider l’élève à pallier ses difficultés par le biais d’interventions remédiatives visant à modifier ses processus cognitifs. Dans ce contexte, l’élève est placé dans la position de celui qui a besoin d’aide. Par ailleurs, certaines études montrent que les modalités d’aide mises en place ne stimulent pas toujours l’engagement mathématique et cognitif de l’élève (Martin et Mary, 2010). À ce sujet, Roiné (2009) mentionne que les difficultés en mathématiques, interprétées à l’intérieur de cette perspective, reposent sur « l’hypothèse des spécificités ». Selon cette hypothèse, les interventions des enseignants doivent être effectuées en correspondance avec la classification des catégories d’élèves telle que mise de l’avant à l’intérieur du système scolaire. Par ailleurs, Lemoyne et Lessard (2003) précisent qu’au courant des dernières décennies, les recherches sur les difficultés d’apprentissage ayant adopté un cadre explicatif propre aux sciences cognitives ont obtenu peu de résultats empiriques. Selon ces auteurs, ce constat a conduit à une remise en question du caractère immuable des caractéristiques cognitives de l’apprenant et à l’investigation du fonctionnement de l’institution scolaire. Conséquemment, une seconde perspective explicative des difficultés d’apprentissage a émergé. Cette seconde perspective repose essentiellement sur des fondements relatifs à la didactique des mathématiques. Au sein de cette perspective, les difficultés d’apprentissage sont interprétées comme étant la résultante de l’interaction de l’élève avec le système scolaire auquel il participe. Dans ce contexte, l’apprenant est considéré comme étant un élève (donc un sujet du système didactique) pour lequel certaines de ses difficultés découlent du contrat didactique17 qui le lie au système didactique (Perrin-Glorian, 1993). Ainsi, selon Roiné (2009), les difficultés d’apprentissage sont, dans cette perspective, interprétées sous l’angle de « l’hypothèse du contrat ». Cette perspective considère l’enseignement du point de vue de la mise en place des conditions favorables à l’apprentissage par le biais d’interventions didactiques qui prennent en compte à la fois les connaissances mathématiques de l’élève et la spécificité du savoir (Martin et Mary, 2010). Quant à l’élève, il est modélisé comme un sujet actif qui interagit dans le cadre d’un milieu didactique que son enseignant a conçu selon les dimensions cognitives du sujet et les caractéristiques du savoir à apprendre (Mary, Squalli et Schmidt, 2008). Afin de décrire la perspective adoptée par les différentes disciplines qui étudient les difficultés d’apprentissage en mathématiques, Giroux (2010) a proposé un schéma permettant d’organiser ces disciplines en fonction de leur finalité ou de leur posture épistémologique. Ce schéma, tel

                                                                                                               17 Selon Brousseau (1998), le contrat didactique permet de décrire les règles implicites ou explicites qui régissent le partage des responsabilités, concernant la transmission ou l’acquisition du savoir, entre l’enseignant et l’élève. Ce contrat constitue donc une représentation des attentes de part et d’autre.

95

que représenté par figure #1, permet de traduire les finalités de ces disciplines en situant celles-ci sur un axe transversal. Sur cet axe, un déplacement vers la gauche symbolise un intérêt croissant pour l’étude du fonctionnement cognitif. Ce déplacement implique une centration sur les caractéristiques des individus. Par ailleurs, Giroux (2010) mentionne qu’un déplacement vers la droite représente un intérêt croissant pour l’étude du fonctionnement du savoir en situation d’enseignement ou d’apprentissage. Ce mouvement engage une centration sur les phénomènes interactifs qui sont nécessaires à la transmission et à l’acquisition des savoirs.

SCIENCES COGNITIVES Psychologie

développementale Didactique des mathématiques Neuropsychologie Psychologie cognitive

Étude du siège cérébral des fonctions mentales

Étude des processus cognitifs/ formation des connaissances

Étude du développement cognitif de l’enfant

Étude des conditions d’enseignement et d’apprentissage des mathématiques

Figure 1 : Organisation des disciplines qui étudient les difficultés en mathématiques selon Giroux (2010)

À la lumière des propos de Giroux (2010), il est possible de percevoir que les tenants de la première perspective, qui comprend particulièrement les recherches issues de la psychologie développementale, de la neuropsychologie et des sciences cognitives, se situent à la gauche de l’axe. L’attribution de cette position est justifiée par le cadre explicatif des difficultés d’apprentissage en mathématiques, caractérisé par une centration sur les caractéristiques des individus, qui est adopté par les chercheurs oeuvrant dans ces disciplines. En revanche, les tenants de la seconde perspective se localisent plus spécifiquement sur la droite de l’axe dans le sens où ceux-ci effectuent une centration sur l’interaction de l’élève à l’intérieur d’un système didactique donné. Position ministérielle à l'égard de l'enseignement des mathématiques aux élèves en difficulté L’évolution des législations et des politiques propres à l’adaptation scolaire tend à positionner l’orientation du ministère de l’Éducation dans la première perspective sur les difficultés des élèves en mathématiques. Cette position se dégage de la Politique de l’adaptation scolaire (Gouvernement du Québec, 1999) qui vise à recadrer les grandes orientations de la réforme de l’éducation à l’égard des besoins particuliers et des caractéristiques propres aux EHDAA. Cette politique comprend une injonction ministérielle à l’égard des enseignants afin qu’ils adaptent leur enseignement aux caractéristiques et aux besoins des élèves (Gouvernement du Québec, 1999, 2006; MÉQ, 2000a, 2000b). Par ailleurs, il est pertinent d’interroger les fondements de l’injonction ministérielle relative à l’adaptation de l’enseignement aux caractéristiques spécifiques aux élèves. À cet effet, Giroux

Fonctionnement  cognitif  Traitement  symbolique  Caractéristiques  individuelles  

Fonctionnement  du  savoir  Contenu  de  la  connaissance  

Interactions  sujet/savoir/milieu  

96

(2007) mentionne que la perspective adoptée par le MELS ne se fonde pas sur une prise en compte de la dimension didactique de l’enseignement et de l’apprentissage. En fait, l’orientation ministérielle tend à instaurer des pratiques enseignantes constamment à la recherche de moyens pour « combler le déficit » dont souffrirait l’élève en difficulté au détriment de la prise en compte de la spécificité relative au contenu d’enseignement et des conditions didactiques qui favorisent son apprentissage. De plus, même si depuis les années 1980, les cadres explicatifs relatifs à la didactique des mathématiques sont de plus en plus utilisés (Lemoyne et Lessard, 2003), ces injonctions ministérielles, par leur posture explicative des difficultés d’apprentissage, négligent en quelque sorte les résultats de la didactique des mathématiques. Objectifs de recherche L'objectif de ces considérations nous amène à remettre en question les modalités d’interprétation des difficultés d’apprentissage en mathématiques. À l’intérieur de ce projet de recherche, nous explorons la portée de chacune des deux perspectives des difficultés d’apprentissage. Pour ce faire, nous vérifions si les caractéristiques intrinsèques à l’élève, telles qu’opérationnalisées par l’étiquette « d’élève à risque », représentent un cadre explicatif valide des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Cette démarche vise à éprouver « l’hypothèse des spécificités ». De plus, afin d’éprouver la seconde perspective interprétative, nous explorons l’influence de la structure des énoncés de problèmes mathématiques et de l’appartenance à un milieu scolaire donné sur l’émergence des difficultés d’apprentissage. Cette démarche vise spécifiquement à éprouver « l’hypothèse du contrat ».

MÉTHODOLOGIE Échantillon L’échantillon que nous avons constitué a permis d’effectuer notre expérimentation auprès de 522 élèves de sixième année du primaire. Au total, 106 élèves à risque, ainsi que 416 élèves sans diagnostic identifié ont participé au projet d’études. L’ensemble des participants provenait de 28 écoles différentes dans la région de Québec. Variables à l’étude Plusieurs variables ont été utilisées à l’intérieur de ce protocole de recherche. En premier lieu, nous avons considéré l’attribution ou non de l’étiquette « d’élèves à risque » afin de vérifier si les caractéristiques individuelles influaient sur l’efficacité des procédures de résolution de problèmes mises en œuvre. L’efficacité des procédures effectuées par les élèves à risque est comparée à celles des élèves tout-venant18. En second lieu, afin d’explorer l’influence de l’adhésion à une communauté d’apprentissage spécifique, nous avons considéré la classe d’appartenance de chacun des élèves. Les difficultés en mathématiques Afin de documenter les difficultés en mathématiques des élèves à risque, nous avons étudié le calcul relationnel mis en œuvre lors de la résolution de problèmes mathématiques. Plus spécifiquement, nous avons analysé le calcul relationnel élaboré à l’intérieur de neuf problèmes distincts sur les proportions. Les problèmes variaient en fonction du type d’information présenté,

                                                                                                               18 Par la notion « d’élèves à risque », nous référons à l’ensemble des élèves qui ne répondent pas aux critères d’élèves à risque, d’élèves handicapés, ainsi que d’élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage.

97

soit : des problèmes présentant exclusivement les données essentielles à la résolution du problème, des problèmes abordant des éléments d’information situationnels, des énoncés abordant des éléments d’information superflus. De plus, nos énoncés de problèmes sur les proportions comprenaient trois types de rapports numériques distincts, soit : rapport scalaire entier, rapport fonction entier, ainsi qu’aucun rapport entier. Les caractéristiques des neuf problèmes que nous avons utilisés dans notre étude sont présentées à l’intérieur de la figure #2.

Données essentielles Éléments situationnels Éléments superflus

Rapport scalaire entier Problème #5 Problème #2 Problème #6

Rapport fonction entier

Problème #4 Problème #1 Problème #7

Aucun rapport entier Problème #9 Problème #8 Problème #3

Figure 2 : Présentation de la structure des neuf énoncés de problèmes

Analyses statistiques

Afin de répondre à nos objectifs de recherche, nous avons mis en œuvre trois tests statistiques distincts. En premier lieu, afin de comparer l’efficacité des procédures de résolution de problèmes des élèves à risque par rapport à celles mises en place par les autres élèves, nous avons effectué des analyses de khi-carré pour chacun des neuf problèmes. Ensuite, afin de comparer le niveau de difficulté impliqué par la structure des énoncés de problèmes nous avons effectué des tests T pairés pour chacune des dyades de problèmes. En dernier lieu, nous avons effectué une analyse de variance (ANOVA), ainsi qu’une analyse de covariance (ANCOVA) afin d’explorer l’influence de l’appartenance à une communauté d’apprentissage spécifique. Cette analyse visait à dégager s’il existe une différence au niveau du rendement en résolution de problèmes entre les différentes classes de sixième année avec lesquelles nous avons collaboré.

RÉSULTATS Comparaison du calcul relationnel des élèves à risque et des élèves tout-venant Afin de répondre à notre première visée de recherche qui consiste à comparer le calcul relationnel des élèves à risque et des élèves tout-venant, nous avons effectué un test du khi-carré pour chacun des énoncés de problèmes que nous avons abordés. Ces analyses ont permis de dégager des différences significatives au niveau des procédures de résolution de problèmes utilisées pour résoudre les problèmes #2 (khi-carré = 20,998, ddl = 2 ; p < 0,001) et #4 (khi-carré = 15,517, ddl = 2 ; p < 0,001). Comparaison des niveaux de difficulté des problèmes Afin de répondre à la seconde visée du projet de recherche, nous avons comparé les différents niveaux de difficulté imputables à chacun de nos problèmes mathématiques. Pour ce faire, nous avons effectué un test T pairé pour les différentes combinaisons de dyades de problèmes qu’il

98

nous était possible de mettre en place. Au total, nous avons effectué 36 tests T pairé distincts, puisqu’il y avait 36 combinaisons de problèmes possibles. De ce fait, afin de respecter le critère de l’alpha cumulatif (inflation of the alpha), nous avons effectué la correction de Bonferroni en divisant notre seuil de signification par 36 pour chacun de ces tests. Conséquemment, notre seuil de signification pour chacun des tests T pairé fut fixé à p ≤ 0,001 (0,05/36). La réalisation de ces tests a permis d’établir que 26 dyades de problèmes sur 36 impliquaient des niveaux de difficulté divergents. Ces résultats démontrent que des différences statistiquement significatives sont perceptibles au niveau de la difficulté impliquée par la majorité des problèmes présentés au sein de notre protocole de recherche. La hiérarchisation des niveaux de difficulté imputables à la structure de nos problèmes est présentée au sein de la figure #3. De plus, l’ordonnancement des variables didactiques en fonction du niveau de complexité impliqué est présenté au sein du tableau #1.

Figure 3 : Hiérarchisation des niveaux de difficulté de chacun des énoncés de problèmes

!!!!!!!

!!

!!

!

Palier 1 : Problèmes #1 et # 4

Palier 2 : Problèmes #2 et # 7

Palier 3 : Problème #5

Palier 4 : Problème #3

Entredeux : Problème #6

Entredeux : Problèmes #8 et 9

99

Tableau 1

Ordonnancement des variables didactiques selon leur niveau de complexité

Niveau de difficulté

Types de rapports numériques et éléments d’information impliqués au sein des énoncés

Aucun rapport entier

Éléments d’information superflus

Données essentielles

Rapport scalaire entier

Éléments d’information situationnels

Rapport fonction entier

!

Cla

ssem

ent d

es v

aria

bles

did

actiq

ues

selo

n un

or

dre

croi

ssan

t du

nive

au d

e di

ffic

ulté

impl

iqué

Mie

ux ré

ussi

Moi

ns ré

ussi

100

Exploration de l’influence de l’appartenance à une classe

En troisième lieu, nous avons vérifié si le fait d’appartenir à une classe, dirigée par un enseignant titulaire donné, influence le rendement à résoudre des problèmes sur les proportions. Pour ce faire, nous avons effectué une analyse de variance (ANOVA). De plus, afin de respecter les conditions d’application des ANOVA, nous avons observé si nous respections l’homogénéité des données en effectuant un test de Levene. À la lumière des données obtenues suite à la réalisation de notre ANOVA, il est possible de dégager que le rendement des élèves en résolution de problèmes sur les proportions diffère en fonction de la classe d’appartenance des élèves de sixième année (F= 3,999 ; p ≤ 0,001). De plus, selon Cohen (1988), la portion de la variance en résolution de problèmes expliquée par l’appartenance à un milieu scolaire est de grande taille (η2 = 0,168). Une analyse de covariance subséquente (ANCOVA) a permis de dégager que ces différences entre les classes au niveau du rendement ne découlent du milieu socio-économique des élèves. INTERPRÉTATION DES DONNÉES Nous pensons que les résultats obtenus dans ce projet de recherche tendent à démontrer que « l’hypothèse du contrat » constitue la perspective interprétative la plus appropriée concernant l’explication des difficultés d’apprentissage en mathématiques des élèves en difficulté. D’une part, ce constat est dégagé du fait que les caractéristiques des élèves, opérationnalisées par l’identification aux étiquettes d’élèves à risque, influençaient peu l’efficacité du calcul relationnel mis en œuvre à l’intérieur des problèmes sur les proportions. À l’intérieur de seulement deux problèmes sur neuf, les élèves tout-venant ont utilisé des procédures plus efficaces que les élèves à risque. Ce constat permet de déprécier la validité de « l’hypothèse des spécificités », puisqu’en démontrant que les procédures utilisées par les différentes catégories d’élèves ne sont pas différentes de nature, il n’est pas pertinent d’adapter l’intervention de l’enseignant aux caractéristiques de l’élève. D’autre part, nous avons démontré que la structure des problèmes, ainsi que l’appartenance à un milieu scolaire donné influent fortement sur le rendement de l’élève. Ces résultats appuient « l’hypothèse du contrat » en soutenant que diverses considérations didactiques influencent le calcul relationnel des élèves de sixième année. Conséquemment, il est proposé d’interpréter les difficultés en résolution de problèmes sur les proportions des élèves en fonction de l’interaction de celui-ci à l’intérieur du système scolaire auquel il participe, ainsi qu’en lien avec la spécificité du savoir. Nos résultats contredisent les fondements des injonctions ministérielles qui recommandent aux pédagogues d’intervenir en fonction des caractéristiques psychologiques de l’élève seraient. De nouvelles recherches en didactique des mathématiques sont nécessaires afin de mieux comprendre comment s’opère l’enseignement du raisonnement proportionnel auprès des élèves à risque. À ce sujet, nous proposons d’explorer les différents phénomènes didactiques susceptibles de se produire à l’intérieur d’une classe favorisant l’inclusion scolaire. BIBLIOGRAPHIE COCHEN, J. (1988). Statistical power analysis for the behavioral sciences. Hillsdale : Lawrence Erlbaum.

DEBLOIS, L. (2011). Enseigner les mathématiques : des intentions à préciser pour planifier, guider et interpréter. Presses de l’Université Laval : Sainte-Foy.

101

GIROUX, J. (2007). « Adapter l’enseignement en classe d’adaptation scolaire (La TSD a ̀ la rescousse des difficulte ́s d’enseignement aux e ́le ̀ves en difficulte ́ d’apprentissage), Entre didactique et politique : Actualite ́s de la The ́orie des Situations Didactiques a ̀ propos de quelques questions vives sur l’enseignement des mathe ́matiques a ̀ l’e ́cole e ́le ́mentaire, Contribution au Symposium Bordeaux 2, mai 2007.

GIROUX, J. (2010). Pour une différenciation de la dyscalculie et des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Actes de colloque du GDM: Moncton.

GOUPIL, G. (2007). Les élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (3e éd.). Montréal : Gaétan Morin.

GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. (1999). Une école adaptée à tous les élèves. Politique de l’adaptation scolaire. Québec : Ministère de l’Éducation du Québec.

GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. (2006). L’évaluation des apprentissages au secondaire, Cadre de référence. Québec : Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

LEMOYNE, G. ET LESSARD, G. (2003). Les rencontres singulières entre les élèves présentant des difficultés d’apprentissage en mathématiques et leurs enseignants. Éducation et francophonie, 21(2). [En ligne]. Disponible le 30 septembre 2011 : http://www.acelf.ca/revue/revuehtml/31-2/01-lemoyne.html.

MARTIN, V. ET MARY, C. (2010). Particularités de l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté en classes régulières ou spéciales. Actes du colloque du GDM. Université de Moncton : Moncton.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC. (2000a). Trouble de déficit de l’attention/hyperactivité : rapport du comité-conseil sur le trouble de déficit de l’attention/hyperactivité et sur l’usage de stimulants du système nerveux central. Québec, Gouvernement du Québec.

MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION DU QUÉBEC. (2000b). Élèves handicapés ou élèves en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) : définitions. Québec : Direction de l’adaptation scolaire et des services complémentaires.

PENNIN-GLORIA, M.-J. (1993). Questions didactiques soulevées à partir de l’enseignement des mathématiques dans des classes « faibles ». Recherche en didactique des mathématiques, 13(1/2), 5-18.

ROINÉ, C. (2009). Cécité didactique et discours noosphériens dans les pratiques d’enseignement en S.E.G.P.A : Une contribution à la question des inégalités. Thèse inédite. Université Victor Segalen Bordeaux 2 : Bordeaux.

SQUALLI, H., VENET, M., ET LESSARD, A. (2006). Intervention auprès de l’élève à risque : approches multiples et différenciées. Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, 9(2), 119-122.

102

Un sujet multiple, de multiples sujets... et autant de milieux? Sophie René de Cotret Université de Montréal

RÉSUMÉ Le concept de milieu est fondamental en didactique des mathématiques. En TSD il est défini comme le système antagoniste de l’actant ou de l’élève générique. L’adoption d’une telle position est utile pour penser les situations d’enseignement, mais l’analyse du déroulement effectif en classe demande souvent de prendre en compte les différences individuelles et de revoir alors la définition de milieu. Nous proposons de distinguer le milieu senti du milieu perçu. Le milieu perçu est relatif au sujet et, par exemple, un même problème soumis à deux élèves peut très bien donner lieu à deux milieux différents selon les perceptions que démontre chacun à l’égard du problème posé. De même, un sujet peut concevoir de façons distinctes un même problème selon la posture depuis laquelle il l’appréhende.

1. UNE ANECDOTE INTRODUCTIVE Extrait de mon enfance : Un soir, alors que les trois enfants ont pour dessert de la crème glacée. - Pierre et Sophie: Oh! Elle goûte étrange cette crème glacée au chocolat! - Maman: Mais elle n’est pas au chocolat, elle est au café! - Pierre et Sophie, y regoûtant: Ah! Elle est très bonne alors! Pendant ce temps Léon a dégusté heureux sa délicieuse crème glacée au café. Cette petite anecdote offre une mise en scène de l’ensemble du propos de cet article. Tout d’abord, on observe qu’un même bol de crème glacée est perçu de manières différentes selon les enfants qui le mangent : pour Pierre et Sophie il s’agit de crème glacée au chocolat qui a un goût étrange, pour Léon, il s’agit de crème glacée au café tout à fait normale. Ensuite, l’injection d’une information transforme la perception de Pierre qui trouve maintenant que la crème glacée n’a plus ce goût étrange. Ainsi, le même bol offre deux expériences différentes à Pierre selon les connaissances qu’il met en jeu. Il en est de même pour Sophie, ce qui conduit à penser que ce phénomène de perceptions disons « inattendues », n’est pas exceptionnel ou marginal. Cette anecdote suggère, d’une part, que ce qui peut sembler être un « même » milieu ne l’est pas nécessairement pour les sujets auxquels il est proposé et qu’il peut donner lieu à des expériences différentes. Il devient alors utile d’apporter quelques nuances au concept de milieu pour rendre compte de cette diversité. D’autre part, un même sujet, en fonction de sa façon de l’aborder, modifiera le milieu et pourra vivre des expériences différentes. Pourrait-on exploiter à dessein ces multiplicités de milieux et d’expériences de manière à enrichir l'éventail de réponses possibles à un problème donné par un élève? Ce sont ces deux propositions qui seront développées dans l’article. Tout d’abord nous verrons comment un même milieu proposé à plusieurs sujets, parce qu'il est perçu de manières différentes, donne lieu à des expériences multiples et constitue en fait plusieurs milieux. Cela nous conduit à proposer des nuances au concept, à l'instar d'autres chercheurs. Par la suite, nous verrons qu'un même sujet, selon la posture qu'il adopte transformera en quelque sorte le milieu et pourra proposer des solutions différentes. Nous suggérons enfin une façon d’exploiter cette

103

diversité éventuelle de milieux pour un même sujet afin qu’il puisse élargir la gamme des réponses qu’il est à même de produire.

2. « UN » MILIEU SOUMIS À PLUSIEURS SUJETS PEUT DONNER LIEU À PLUSIEURS MILIEUX ET EXPÉRIENCES Le concept de milieu développé en Théorie des situations didactiques (TSD) est défini comme: « […] le système antagoniste de l’actant. Dans une situation d’action, on appelle « milieu » tout ce qui agit sur l’élève et/ou ce sur quoi l’élève agit. » (Brousseau, 2010). On peut donc considérer que le milieu est ce avec quoi l’actant interagit. Par ailleurs, « L’actant est « ce » qui dans le modèle agit sur le milieu de façon rationnelle et économique dans le cadre des règles de la situation. En tant que modèle d’un élève ou plus généralement d’un sujet, il agit en fonction de son répertoire de connaissances. » (Brousseau, 2010). Cette définition de l’actant conduit à distinguer un élève donné du modèle de l’élève, ce dernier permettant de concevoir une situation en fonction du jeu de connaissances auquel elle peut donner lieu. Cette modélisation, tout aussi utile qu’elle soit pour la conception de situations, soulève certaines interrogations lorsqu’elle est utilisée pour la description ou l’analyse de situations effectives. Parmi ces interrogation, la suivante: Le milieu tel que vu par qui ? En effet, selon que l’observateur est chercheur, enseignant ou élève, la description risque de ne pas être la même. Brousseau a d'ailleurs soulevé la question de l’observateur comme en témoignent les citations suivantes : « Une décision du joueur peut être interprétée par un observateur […] Est-il nécessaire de modéliser aussi le fonctionnement du système observateur et ses interactions avec le système observé ? » (Brousseau, 1988, pp. 314-315). La réponse qu’il apporte s’inscrit dans le cadre du jeu tel que modélisé et non du jeu effectif. « Ces jeux ont pour objet de modéliser le fonctionnement d’institutions ou de pratiques de références, en se plaçant soit d’un point de vue du joueur, soit du point de vue d’un observateur. » (p. 316). La question du milieu pour le sujet agissant demeure donc. En effet, bien que Brousseau ait soulevé la question de l’observateur et qu’il ait distingué différents milieux, il semble que les distinctions proposées n’offrent pas suffisamment d’emprise pour prendre en compte les divers milieux en jeu dans la situation effective. Les milieux mis en évidence dans la TSD renvoient davantage aux modes de fonctionnement du savoir dans la modélisation des situations qu'aux différents milieux en jeu selon les sujets en situation effective. Ainsi, le besoin de prendre en compte le sujet effectif dans son interaction avec le milieu se fait sentir et il nous apparaît nécessaire de trouver une façon de mettre en évidence le fait que le milieu n’est pas nécessairement le même pour tous les acteurs de la situation. C’est pour cela que nous disions en 1997 « L’élève agit donc selon sa propre sensibilité à l’environnement […] Cet environnement avec lequel l’élève interagit constitue son milieu, son propre découpage du système. » (René de Cotret, 1997 p.166). Le milieu serait donc, selon ce point de vue, ce à quoi est sensible le sujet. Si on revient à l’anecdote de la crème glacée, le milieu pour Léon est de la glace au café délicieuse tandis qu’il est pour Pierre de la glace au chocolat qui goûte drôle! La sensibilité que démontrent les deux enfants à l’égard de la crème glacée servie n’est pas la même. En fait, bien que physiologiquement, ces deux enfants soient assez identiques, ce sont les connaissances à partir desquelles ils appréhendent leur dessert qui fait en sorte qu’ils vivent des expériences différentes et que leurs milieux d’interaction, de ce fait, diffèrent.

104

Par ailleurs, comme dans le cours de ses interactions avec son milieu le sujet est amené à modifier sa perception, notamment par les connaissances qu’il met en jeu dans cette interaction (sachant qu'il ne s’agit plus de crème glacée au chocolat, mais au café, elle n’a alors plus un drôle de goût), on constate que le milieu change. On dira que le milieu se transforme au fur et à mesures des interactions qui modifient les connaissances et donc la perception.

2.1 Autres travaux traitant de la diversité des milieux Le besoin de rendre compte des expériences différentes vécues par des sujets confrontés, en principe, à un même milieu est partagé par d’autres chercheurs. En effet, bien que la façon de l’appréhender diffère, ce phénomène est aussi étudié et décrit, d’une, part par le concept de conduites atypiques développé par Giroux et, d’autre part, par celui de bifurcation didactique que l’on doit à Margolinas. 2.1.1 Conduites atypiques (Giroux 2008) Les conduites atypiques mises en évidence par Giroux cherchent à donner forme à des observations récurrentes qui ne pouvaient être appréhendées par les outils de la TSD. « À plusieurs reprises, nous avons été effectivement surprise sinon déroutée par des réponses d’élèves qui se présentaient comme des voix « hors champ » de la situation. » (Giroux 2008, p. 13) Ces réponses sortaient de ce que l’analyse a priori était à même de prévoir et le besoin de trouver des outils qui permettraient prendre en compte le déroulement effectif de la situation se faisait sentir. Il fallait donc accepter de considérer l’élève dans sa singularité comme le précise Giroux : « … si nous voulons savoir comment s’est effectivement déployée une situation, nous ne pouvons nous en tenir au sujet générique, à l’actant rationnel. » (idem, p. 20). L’exemple suivant, tiré du travail de Giroux, est particulièrement éloquent pour montrer que ce qui est investi par l’élève n’est pas dicté par le milieu proposé. Giroux travaille, avec des élèves en difficulté de 9 à 11 ans, le dessin du cube en perspective cavalière, celui-ci pouvant être produit à partir de deux carrés translatés dont on joint les sommets ou encore à partir d’un hexagone à l’intérieur duquel on insère un Y. La première technique est d’abord proposée aux élèves avant de les surprendre avec la seconde. Mais, la surprise est plutôt venue d’un élève qui s’est mis spontanément à éprouver, si on peut dire, la technique qu’il venait d’apprendre (la translation des carrés) en cherchant à créer d’autres dessins de figures en 3D. Voici trois dessins qu’il a produits.

Bien que sa façon d’investir le milieu ne rencontrait pas le but prévu par l’enseignant, elle s’inscrivait tout de même dans un travail mathématique tout à fait intéressant et valable. Cet exemple montre que « Ce que l’expérimentateur (ou l’enseignant) contrôle, c’est l’aménagement du milieu et non pas directement les interactions et donc les connaissances comme contenus des interactions effectives » (Giroux 2008, p. 45). Dans cet exemple, l’élève fait des mathématiques

105

à partir du même jeu, mais il fait d’autres mathématiques… On pourrait chercher à modifier la situation de manière à éviter ce glissement, si on peut l’appeler ainsi, par rapport à ce qui était prévu mais, comme le souligne Giroux, ce serait peine perdue : « On ne peut modifier une situation en colmatant tous les espaces possibles de contingence […] il y a du coup une marge irréductible, variant selon les situations, dans laquelle peuvent se mouvoir à la fois les élèves et l’enseignant et qui modifie l’expérience mathématique prévue par la situation. » (idem, p. 16) Les conduites atypiques ne peuvent donc être évitées. Elles sont, en quelque sorte, la manifestation du fait que le milieu n’est pas déterminé par ce qui est proposé par l’enseignant à l’élève, mais il résulte de ce que chacun des élèves est à même de percevoir à partir de cette proposition en fonction des connaissances qu’il mobilise pour l’appréhender. 2.1.2 Bifurcations didactiques (Margolinas 2005) Dans le même esprit, la notion de bifurcation didactique est développée par Margolinas afin de rendre compte du fait qu’elle a observé à plusieurs reprises que le milieu avec lequel interagissaient certains étudiants les conduisaient à travailler une autre question que celle visée par la situation. Elle définit donc « […] parmi les branches possibles de la situation une branche principale, qui correspond à la situation visée par le professeur. Une fois définie une branche principale, j’appelle branche marginale toute autre branche de la situation. » (Margolinas 2005, p.4). L’existence de ces deux branches fait en sorte qu’ « On a donc une tension entre les points de vue du professeur et de certains élèves, puisque des élèves investissent la situation de la branche principale alors que d’autres investissent celle d’une branche marginale. » (p.5). Cette tension apparaît inévitable et ne doit pas être attribuée à un dysfonctionnement de l’élève. « Le fait que les élèves n’investissent pas le même type de situation, qu’ils n’y apprennent pas les mêmes connaissances, est un dysfonctionnement du point de vue de la circulation des savoirs, mais pas du point de vue de l’investissement dans l’action de chaque élève dans la classe. » (p.10)

2.2 Dysfonctionnement de la situation ou de l’élève L’admission et même la reconnaissance, tant par Margolinas que par Giroux, du fait que le milieu proposé par l’enseignant peut être investi de différentes manières par les élèves a un effet majeur sur la façon de prendre en compte leur travail. Le fait que certains élèves proposent des réponses étonnantes ou inattendues peut provenir d’un potentiel de la situation qui n’avait pas été anticipé. Il ne s’agit pas d’un défaut de l’élève. Cette nuance est importante et, faute de la prendre en compte, on peut faire porter à l’élève le poids d’un dysfonctionnement de la situation telle que prévue. Si l’on n’explicite pas clairement cette possibilité d’investir de différentes manières le milieu proposé, le glissement devient facile entre dysfonctionnement de la situation et dysfonctionnement de l’élève, tel qu'on peut le voir dans l'exemple suivant, emprunté à Million-Faure et Quilio. Million-Faure et Quilio (2013) ont travaillé, à partir d’une ingénierie de Brousseau, la multiplication vue comme un calcul de surface plutôt que comme une addition itérée. La tâche qu’ils ont proposée à des élèves de 8-9 ans consistait à trouver le nombre de carreaux d’une configuration rectangulaire en la découpant en rectangles connus. Par exemple la multiplication de 23 x 15 est accompagnée de la configuration suivante :

106

Lorsque la multiplication de 28 lignes par 3 colonnes est soumise, Léo y répond ainsi : « 3*8 = 24 3*20 = 60 24 + 60 = 84 Donc 28*3 et égale à 84. » Par la suite, Léo obtiendra 132 comme résultat de la multiplication 18 x 14, en reprenant une procédure semblable, soit 18x14=10x10 + 8x4. Comme la décomposition proposée par Léo ne remplit pas tout le quadrillage, et que ce quadrillage avait notamment pour fonction de rétroagir quant à la validité du résultat obtenu, les chercheurs concluent que « Léo ne s’intéresse pas aux rétroactions du milieu ». Et c’est là, selon nous, un exemple de glissement entre dysfonctionnement de l'élève et dysfonctionnement de la situation prévue. En effet, le milieu n’offre pas de rétroactions comme telles, les rétroactions n’en sont que dans la mesure où elles sont perceptibles par les élèves et cette perception est fonction des connaissances mobilisées au cours de l’interaction. Pour Léo, que le quadrillage ne corresponde pas au résultat qu’il a obtenu n’a pas d’importance, sa procédure ne s’appuie pas sur le quadrillage, elle apparaît surtout numérique. Ainsi, il semble à tout le moins hasardeux de dire que Léo ne s'intéresse pas aux rétroactions du milieu, puisqu’il y a tout lieu de penser que le milieu avec lequel il interagit n’inclut pas vraiment le quadrillage et ne correspond donc pas à celui prévu par la situation. Bien sûr Léo voit le quadrillage, il y est sensible, mais il ne le perçoit pas avec les connaissances qui lui permettraient de l’interpréter comme une rétroaction utile pour valider son calcul.

2.3 Milieu senti et milieu perçu Les diverses observations qui précèdent nous conduisent à distinguer le milieu senti du milieu perçu. Tel que le mentionne Matheron : « Ainsi donc, la réalité sensible de certaines données des problèmes [...] induit une certaine perception variable chez des sujets institutionnels » (Matheron 2013 p.15). Comme nous l’avons vu, bien qu’une même réalité sensible soit soumise aux élèves, la façon dont chacun d’eux la prendra en compte ou la percevra dans son action peut varier. Nous proposons de définir le milieu senti comme ce à quoi est sensible un sujet étant donné son équipement sensoriel. Le milieu perçu, pour sa part, serait constitué de la perception que se construit le sujet à partir de son milieu senti. Si l’on peut s’attendre raisonnablement à ce que le milieu senti soit à peu près le même pour un groupe d'individus donnés et, notamment, une classe, il en va autrement du milieu perçu. Ce milieu est nécessairement relatif au sujet et peut se décliner en plusieurs versions selon les sujets percevants. La perception d'un sujet est fonction de ses connaissances, à tout le moins de celles qu'il mobilise dans son interaction avec le milieu senti à un moment donné. Le milieu perçu est "instantané"

107

car il peut être modifié au fur et à mesure que les actions du sujet sur le milieu perçu offriront des rétroactions, lesquelles pourront engendrer de nouvelles perceptions, modifiant alors le milieu perçu. Ce nouveau milieu perçu pourra alors appeler de nouvelles interactions, lesquelles donneront éventuellement lieu à un nouveau milieu perçu et ainsi de suite. Ces milieux perçus successifs témoignent en quelque sorte de la mouvance des connaissances en jeu dans l'interaction sujet/milieu et, en quelque sorte, d’un apprentissage. Cette distinction entre le milieu senti et le milieu perçu peut contribuer à éviter de faire porter à l’élève le poids de ce qui revient à la situation. Si on revient au cas de Léo, on voit bien que le milieu qu’il perçoit n’offre pas la rétroaction souhaitée, soit montrer que si tous les petits carrés à l’intérieur du grand rectangle ne sont pas pris en compte, on n’obtient pas le résultat de la multiplication. Léo ne perçoit pas de contradiction. Il voit bien ce qui apparaît sur la feuille mais la perception à laquelle le conduit son action sur le milieu senti ne remet pas en cause le résultat qu’il obtient, à savoir 132. Ainsi, les connaissances qu’il engage dans la recherche du produit demandé ne transforment pas le milieu senti en milieu perçu « contredisant » son résultat. Et cet apparent désintérêt ne relève pas d’un dysfonctionnement de l’élève, mais plutôt d’un écart entre la perception souhaitée et la perception effective de l’élève. La reconnaissance de cet écart nous semble importante à prendre en compte dans la gestion d’une situation. En effet, pour gérer une situation de manière à ce que les interactions que l’élève entretient avec son milieu lui permettent de faire les apprentissages visés, il faut reconnaître que c’est le milieu mis en place qui « fait défaut » en ce sens qu’il permet diverses perceptions et que chacune rend compte d’une façon de connaître du sujet. En d’autres termes, pour aménager les conditions de la perception du milieu tel que prévu, il faut admettre qu’on peut voir autre chose et reconnaître les différences avant de pouvoir les prendre en compte et intervenir en conséquence auprès des élèves. D’ailleurs, la reconnaissance de l’écart entre la perception souhaitée et la perception effective ne serait-elle pas partie prenante de la création d’ignorance dont parle Mercier lorsqu’il dit : « […] la production institutionnelle d’ignorance et la rencontre personnelle de leur ignorance par les différents élèves d’une classe de mathématiques ne donnent lieu à apprentissages que si chacun des élèves interprète l’ignorance qu’il éprouve comme un fait exprès de l’action enseignante que le professeur mène à son intention […]» (1998, p. 100) Pour qu’un élève puisse interpréter l’ignorance qu’il éprouve comme un fait exprès de l’enseignant, encore faut-il qu’il puisse reconnaître son ignorance. C’est, notamment, en réalisant qu’il ne résout pas tout à fait le problème auquel on souhait le confronter qu’il la reconnaîtra. Mais, si l’enseignant intervient sans concevoir la possibilité que l’élève ait pu résoudre un « autre » problème que celui qu’il lui a proposé, il ne pourra pas lui offrir les conditions qui lui permettraient d’entrer dans le jeu prévu puis de prendre la mesure de son ignorance. Ainsi, la reconnaissance du fait que le milieu perçu peut varier d’un élève à l’autre pourrait s’avérer importante pour la création d’ignorance et, conséquemment, pour l’apprentissage. Non seulement le milieu perçu peut-il varier d’un sujet à l’autre, mais il est aussi possible qu’il varie pour un même sujet selon les connaissances qu’il injecte dans l’appréhension de la situation. Cette variabilité pourrait revêtir un intérêt pour l’enseignement et c’est ce que nous allons tenter d’examiner maintenant.

108

3. « UN » SUJET ET PLUSIEURS POSTURES POUR UN PROBLÈME PEUT CONDUIRE À DES EXPÉRIENCES MULTIPLES La distinction que nous faisons entre le milieu senti et le milieu perçu met en évidence le fait que la perception est liée aux connaissances en jeu dans l’interaction. C’est, par exemple, la connaissance de la saveur de la crème glacée qui transforme la perception qu’en a Pierre. Il est donc possible pour un même sujet de concevoir différemment un même objet en fonction des connaissances avec lesquelles il l’appréhende. Ainsi, une « même » question posée à une « même » personne dans des contextes différents peut engendrer des réponses différentes. Le petit Maurice ne résoudra sans doute pas de la même façon le problème qui consiste à trouver quelles pièces, parmi un ensemble de pièces données, sont nécessaires pour l’achat d’un jouet selon qu’il y réponde comme élève à l’école ou comme enfant au magasin… Dans le premier cas, il fera sans doute quelques additions et soustractions pour obtenir une solution, dans le second, il pourrait simplement tendre la main avec les pièces et attendre que la caissière prenne ce qui est nécessaire pour acheter le jouet. Comme le décrit Lahire dans un article intitulé L’homme pluriel : « Or, l’observation montre que les acteurs incorporent des modèles d’action différents et contradictoires. […] Ce stock de modèles, plus ou moins étendu selon les personnes, s’organise en répertoires, que l’individu activera en fonction de la situation. » (1999, p.1). Dans la foulée des travaux de DeBlois & Squalli (2002), qui ont distingué les postures d’ancien élève, d’étudiant universitaire et d’enseignant depuis lesquelles de futurs maîtres analysent des erreurs d’élèves, nous retenons le terme de posture pour rendre compte de cette pluralité de modèles ou de rôles. Nous définissions la posture comme le « rôle depuis lequel le sujet aborde une question, ce rôle sollicitant alors un certain ensemble de connaissances et pouvant changer selon le contexte pour une même question. » (René de Cotret, sous presse). Ainsi, selon la posture que l’on adopte pour traiter un problème, les réponses pourront différer. Voyons brièvement un exemple à partir du problème suivant tiré du manuel Perspectives pour le 1er cycle du secondaire.

La posture attendue pour résoudre ce problème (si on se réfère au guide du maître) est celle de l’élève qui étudie les aires des solides. Il s’agit donc, dans ce cas, de calculer, d’une part, l’aire des 4 trapèzes formant l’abat-jour de la première lampe [4x(30+15)x20÷2=1800cm2] et, d’autre

109

part, l’aire du rectangle de la 2e lampe [30x130=3900cm2] puis de conclure que la lampe qui a exigé le moins de tissu est celle dont l’aire de l’abat jour est la plus petite, soit la première. Cette réponse, pour toute précise qu’elle soit, apparaît peu réaliste. En effet, si on adopte la posture de la couturière qui doit effectivement confectionner les abat-jours, la réponse risque d’être différente. Adopter une posture de couturière conduit à poser plusieurs questions avant de pouvoir fournir une réponse. Il faudrait, par exemple, savoir si le tissu utilisé comporte un motif19, car, dans ce cas, le découpage des 4 morceaux de la lampe de gauche ne pourra se faire en les disposant tête-bêche, et il faudra alors plus de tissu. La largeur du rouleau de tissu est aussi importante. Si elle est de 130cm ou plus, il suffira de couper une longueur de 30 cm de ce tissu pour confectionner l’abat-jour de droite mais, dans le cas contraire, il faudra couper une longueur de 130 cm de tissu, à moins de faire un abat-jour qui ne serait pas d’un même morceau. Plusieurs autres questions pourraient encore être posées, mais l’on s’arrêtera ici, l’idée étant voir que la seule prise en compte de l'aire de l'abat-jour est loin de suffire à fournir une réponse réaliste et que le choix des variables et du modèle qui vise à rendre compte des relations entre celles-ci est très différent selon la posture adoptée, même s'il s'agit de la même question. Cet exemple montre que les connaissances en jeu pour traiter un problème varient selon la posture adoptée pour ce traitement. Ceci étant, pourrait-on exploiter à dessein cette pluralité de façons d’appréhender le problème? Peut-on favoriser le passage volontaire d’une posture à une autre, dans le traitement d’un problème, de manière à ce que l’élève puisse produire des solutions selon différents points de vue puis, par la suite, en évaluer la pertinence ? Par exemple, pourrait-on demander aux élèves d’essayer d’imaginer comment procèderait leur père pour résoudre un problème donné? Ou leur sœur ou leur professeur ou leur ami ou le voisin? En d’autres termes, serait-il possible d’entraîner les élèves à changer de posture, lors de la résolution d’un problème, afin qu’ils élaborent quelques solutions différentes puis qu’ils en évaluent la validité en fonction des besoins de la posture adoptée, par exemple, pour le problème précédent, celle de l’élève de mathématiques et celle de la couturière. Un moyen d’entraînement que nous souhaiterons mettre à l’essai est Une ligue d’improvisation en maths. Calquée sur la ligue nationale d’improvisation (LNI) ce jeu consisterait à résoudre un problème « à la façon de… » Il pourrait y avoir des improvisations comparées, des improvisations mixtes (mettant en scène des joueurs de deux équipes adverses), etc. Le but de ce jeu serait de forcer le changement de posture, d’une part pour que les élèves réalisent qu’il leur est possible d’effectuer un tel changement et, d’autre part, pour qu’ils cherchent par la suite à changer volontairement de posture afin d’examiner un problème depuis plusieurs points de vue et, en conséquence, de produire un ensemble de solutions.

CONCLUSION Ce texte a tenté de développer une première réflexion sur la nécessité et l’intérêt qu’il y a à apporter quelques nuances au concept de milieu en distinguant le milieu senti (ou proposé) du milieu perçu. Le milieu perçu correspond, somme toute, à celui que l’élève conçoit dans son action en situation à partir du milieu senti. Cette distinction se révèle nécessaire, notamment, dans l’analyse du déroulement de situations effectives en classe. Elle permet de reconnaître que le milieu avec lequel interagit l’élève n’est pas nécessairement celui qui était prévu pour l’interaction et, ainsi, d’éviter de faire porter à

                                                                                                               19 Quiconque a déjà posé de la tapisserie est au fait de l’importance de ce détail.

110

l’élève le fardeau du dysfonctionnement de la situation par un glissement ou une confusion entre milieu tel que prévu et milieu tel que perçu. Par ailleurs, pour aménager les conditions de l’entrée dans le jeu prévu, il est nécessaire d’accepter que d’autres entrées sont possibles. La prise en compte de cette variété de milieux par l’enseignant pourra le guider dans ses aménagements de la situation afin que l’élève y perçoive le jeu prévu. Par ailleurs, la diversité de milieux qui pouvait sembler problématique au premier abord, puisqu’elle complique la tâche de l’enseignant et du chercheur, nous est apparue plutôt constructive puisqu’elle pourrait offrir la possibilité d’élargir la gamme des solutions produites par un élève. En effet, partant du principe que le milieu peut être perçu de manières différentes selon les connaissances qui sont investies dans son étude, on peut considérer des milieux différents non seulement entre deux élèves, mais pour un même élève selon la posture qu’il adopte pour d’appréhender le problème (quand Pierre regoûte à la crème glacée, sachant quel est son parfum, il vit une autre expérience). Le projet d’exploiter à dessein ces différentes façons de traiter le problème de manière à produire un ensemble de solutions plus riches reste à être mis à l’essai.

BIBLIOGRAPHIE BROUSSEAU, G. (1988) Le contrat didactique : le milieu d’apprentissage, Recherches en Didactique des Mathématiques Vol 9, no 3, pp. 309-336.

BROUSSEAU, G. (2010). Glossaire de quelques concepts de la théorie des situations didactiques en mathématiques. [http://guy-brousseau.com/wp-content/uploads/2010/09/Glossaire_V5.pdf]

DEBLOIS, L. & SQUALLI, H. (2002). Implication de l’analyse de productions d’élèves dans le formation des maîtres du primaire In : Educational Studies in Mathematics 50 (2). Kluwer Academic Publishers pp. 212-237.

GIROUX, J. (2008), Conduites atypiques d’élèves du primaire en difficulté d’apprentissage, In : Recherches en Didactique des Mathématiques. 28/1 9-62.

GUAY, S., HAMEL, J.-C. & LEMAY, S. (2004). Perspective Mathématique, 1er cycle du secondaire, Manuel de l’élève, volume 1A, Éditions HRW, Laval.

LAHIRE, B. (1999) L’homme pluriel. La sociologie à l’épreuve de l’individu, In : Sciences Humaines, vol 91, [http://www.scienceshumaines.com/l-homme-pluriel-la-sociologie-a-l-epreuve-de-l-individu_fr_10644.html]

MARGOLINAS, C. (2005) Les bifurcations didactiques: Un phénomène révélé par l’analyse de la structuration du milieu. In A. Mercier & C. Margolinas (Eds.), Balises pour la didactique des mathématiques (cédérom). Grenoble: La Pensée Sauvage pp.1-12.

MATHERON, Y. (2013) Médias – milieux, une frontière ténue au sein de la problématique de base, In : Évolutions contemporaines du rapport aux mathématiques et aux autres savoirs à l’école et dans la société Actes du IVe congrès international sur la TAD (Toulouse, 21-26 avril 2013), 24 pages.

MERCIER, A. (1998). Sur l’espace-temps didactique. Études du didactique, en sciences de l’éducation. Note de synthèse pour l’habilitation à diriger des recherches, Université de Provence, Aix-Marseille I, 141p. [http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/68/85/85/PDF/NoteDeSynthA_seRA_visA_e.pdf]

MILLON-FAURE, K. & QUILIO. S. (2013). Episodes biographiques dans la mise en œuvre d'une ingénierie sur la multiplication au CE2, Séminaire ADEF, Marseille, avril.

RENÉ de COTRET, S. (Sous presse) Espaces de travail / espaces de connaissances : Peut-on imaginer une navette pour y voyager ? Revista latinoamericana de investigación en matemática educativa, Mexico, 13 pages.

111

RENÉ de COTRET, S. (1997). Quelques questions soulevées par l’adoption d’une perspective “bio-cognitive” pour l’étude de relations du système didactique. Séminaire DidaTech, Didactique et technologies cognitives en mathématiques, Séminaire No 184, Laboratoire Leibniz-IMAG, Grenoble, Vol 1997, pp. 161-178.

112

Résolution de problèmes écrits au moment de l'introduction de l'algèbre : analyse de productions d'élèves du premier cycle du secondaire

Mireille Saboya, Victor Besançon et François Martin Université du Québec à Montréal

Adolphe Adihou et Hassane Squalli Université de Sherbrooke

Mélanie Tremblay Université du Québec à Rimouski

RÉSUMÉ

L’introduction à l’algèbre a évolué au fil des décennies. En concomitance, la complexité des problèmes proposés aux élèves s’est accrue, laissant croire à une meilleure efficacité de ceux-ci dans la résolution de problèmes visant la mobilisation de raisonnements arithmétiques et analytiques qui ne s’avère pas confirmée. Notre texte expose les résultats d’une analyse préliminaire des résolutions des problèmes de comparaison issues des 900 copies d’élèves du 1er cycle du secondaire recueillies dans 48 classes québécoises. Le taux de réussite de chaque problème en considérant sa complexité ainsi qu’une classification des différentes stratégies de résolution sont présentées, lesquelles nourrissent la réflexion exposée.

CONTEXTE DE L'ÉTUDE

Depuis déjà plus de vingt ans, l'enseignement de l'algèbre au Québec s'est détourné d'une introduction centrée sur la manipulation de symboles pour ainsi viser un développement de la pensée algébrique qui s’appuie sur différentes approches (e.g. généralisation, résolution de problèmes écrits, modélisation) qui sont davantage porteuses sur le sens à accoler à la lettre et aux expressions algébriques. En concomitance, le plus récent programme de formation en application au Québec réitère la place prépondérante à accorder à la résolution de problèmes et encourage enseignantes et enseignants à proposer aux élèves des problèmes d’une plus grande complexité. Guidée par ce qui précède, la pratique enseignante, loin d’être unique, connait des transformations au fil du temps qui nous incite à interroger la possible prégnance de difficultés déjà recensées par le passé pour certains types de problèmes et plus généralement, les raisonnements mobilisés par les élèves québécois pour certaines structures de problèmes.

Dans le cadre de notre recherche exploratoire, nous avons administré plus de 900 questionnaires à 48 classes du premier cycle du secondaire sélectionnées parmi huit écoles de sept commissions scolaires pour documenter les raisonnements algébriques et arithmétiques mobilisés par les élèves dans la résolution de problèmes écrits. Parmi ces derniers, certains visaient la généralisation à partir de contextes géométriques ou numériques ou, pour d'autres, la recherche d'une inconnue pouvant être obtenue par la traduction d'une équation algébrique ou, comme on le verra, de raisonnements arithmétiques qui persistent malgré une introduction plus formelle à l'algèbre. Notre présentation, réalisée dans le cadre du congrès du GDM, ciblait plus précisément l’analyse des problèmes de comparaison (Marchand et Bednarz, 1999, 2000). La structure des problèmes proposés sera présentée dans cet écrit. De même, nous exposons une classification des différentes stratégies de résolution des élèves qui renvoient à deux principaux raisonnements que sont les raisonnements arithmétique et analytique. Pour chaque problème et aussi pour chaque stratégie,

113

une présentation du taux de réussite est réalisée. Tout cela permettant de dégager quelques pistes de réflexion qui concluront cet écrit.

OBJECTIF ET QUESTIONS DE RECHERCHE Notre intérêt de recherche tourne autour du développement de la pensée algébrique. Cette étude s’inscrit dans la continuité de deux recherches visant à éclairer le travail fait dans la résolution de problèmes de comparaison après les changements mis sur pied dans le curriculum des mathématiques au secondaire. La première est celle de Bednarz et Janvier (1992) qui s’est principalement attardée à l’impact de la réforme des années 80. Celle de Marchand (1997) vise pour sa part, à documenter la réforme des années 90 (MEQ, 1993). Précisons, par ailleurs, qu’Oliveira et Camara (2011) brossent le portrait pour les élèves de 6e année primaire au Brésil et au Québec ainsi que ceux de première année du secondaire. Notre objectif est aussi de dresser un portrait des élèves autour de la résolution de problèmes de comparaison. Lequel nous conduit à deux questions que sont : - La classification proposée par Bednarz et Janvier (1994) au sujet de la complexité des

problèmes associée à leur structure est-elle confirmée par l’étude du taux de réussite de chacune de ces catégories de problèmes?

- Pour chaque structure de problème, quelles sont les stratégies mobilisées par des élèves du 1er cycle du secondaire dans la résolution de problèmes écrits de type comparaison suite à la réforme des années 2000?

GRILLE D'ANALYSE

Tel que précisé, nous reprenons dans ce texte l’analyse des problèmes de comparaison (« de plus que », « de moins que »,…). Le choix des problèmes dans les questionnaires écrits repose sur la grille élaborée par Bednarz et Janvier (1992) et également utilisée dans les recherches de Marchand (1997) et Oliveira-Camara (2011). Pour concevoir leur grille, Bednarz et Janvier (1992) se sont appuyées sur le cadre conceptuel de Vergnaud (1992) développé autour du calcul relationnel dans les problèmes arithmétiques. Dans ce cadre, une schématisation de la structure du problème permet une analyse en termes de complexité. Cette schématisation a été appliquée à d’autres classes de problèmes comme les problèmes impliquant une transformation et les problèmes impliquant une relation entre grandeurs non homogènes par l’intermédiaire d’un taux (voir Bednarz et Janvier, 1994). Les éléments qui constituent la schématisation sont présentés dans la figure 1.

Figure 1. Éléments qui schématisent la structure d’un problème À titre d’exemple, le tableau 1 illustre la schématisation d’un problème.

114

L’école offre deux activités sportives durant la session. Le basketball

regroupe 76 élèves de plus que le patinage et la natation regroupe 114 élèves de plus que le basketball. S’il y a 380 élèves inscrits à ces activités,

combien d’élèves participent à chacune d’elles ? (Bednarz et

Janvier, 1994).

Tableau 1. Un exemple de schématisation autour d’un problème de type comparaison.

Bednarz et Janvier (1994) distinguent les problèmes connectés des problèmes déconnectés. Elles précisent que pour les problèmes connectés « une relation peut facilement être établie entre deux données connues, induisant alors un raisonnement de type arithmétique s’articulant sur les données connues du problème pour aboutir en fin de processus à retrouver la donnée inconnue » (p. 279) alors que pour les problèmes déconnectés « aucun pont ne peut être établi a priori directement entre les données connues du problème » (p. 279). Nous proposons une illustration de ces deux types de problèmes dans le tableau 2.

Un exemple de schématisation d’un problème connecté.

Comme une des grandeurs est connue, il suffit d’appliquer les relations également connues pour retrouver les autres grandeurs (relations qui sont dans le cas illustré ici multiplicatives).

Un exemple de schématisation d’un

problème déconnecté.

Nous pouvons remarquer que cette schématisation est semblable à celle de la colonne de gauche. Toutefois, il n’y a pas de pont direct entre le total (connu) et les autres grandeurs. La résolution est moins immédiate.

Tableau 2. Des exemples de schématisation de problème connectés Dans notre étude, nous rapportons les résultats obtenus avec les problèmes déconnectés qui sont ceux qui favorisent le recours à l’algèbre. Les chercheures rapportent pour ce type de problèmes divers éléments qui peuvent expliquer la complexité du problème : la nature des relations de comparaison impliquées (additive, multiplicative,…); l’enchaînement des relations de comparaison et le nombre de données. La variable nombre de données les amène à distinguer les problèmes à 2 branches (avec deux données inconnues) des problèmes à 3 branches (avec trois données inconnues). Elles ont constaté que les problèmes à deux branches sont moins complexes que les problèmes où il faut gérer trois relations de comparaison (les problèmes à trois branches, voir tableau 3). Ce même tableau fait état d’un autre résultat qui repose sur l’enchaînement des relations de comparaison dans les problèmes à 3 branches. Elles soulignent que les problèmes source sont moins complexes que les problèmes de composition qui sont eux moins complexes que les problèmes puits. La définition de chacune de ces classes de problèmes est spécifiée dans le tableau.

Ce rectangle symbolise la somme des 3 données qui est connue : 380 inscrits au total.

Il y a 3 données dans le problème qui ne sont pas connues : le nombre d’élèves pour le basketball, pour le patinage et pour la natation.

115

Problèmes à 2 branches Problèmes avec UNE relation de

comparaison (additive ou multiplicative)

Problèmes à 3 branches

SOURCE Les deux relations on la même donnée comme point de départ.

COMPOSITION Une des données est le point d’arrivée d’une relation et le

point de départ de l’autre.

PUITS Les deux relations on la même donnée comme point d’arrivée.

Tableau 3. Nature et structure des problèmes de comparaison. Finalement, à l’intérieur de chacune de ces catégories de problèmes, un autre élément à considérer dans la complexité des problèmes concerne la nature des relations de comparaison. Par exemple, dans la classe des problèmes de composition, ceux qui possèdent les relations (×,+) sont moins complexes que ceux où les relations sont de même nature (+,+) ou (×,×), les plus complexes étant les problèmes de composition (+,×).

DESCRIPTION DE L'EXPÉRIMENTATIONS

Une version préalable des questionnaires comprenant 12 problèmes de comparaison a été développée, laquelle a donné lieu à la confection de 3 versions différentes de questionnaires comprenant des problèmes de même nature. Ces questionnaires ont été soumis à des élèves du premier cycle du secondaire (1re et 2e secondaire). Leur passation a eu lieu durant la période des mois de mai ou juin 2012 auprès d’écoles provenant de 7 commissions scolaires de différentes régions du sud du Québec. En tout, 48 classes de premier cycle ont été ciblées dans 8 écoles secondaires. Nous avons recueilli plus de 900 productions. Nous présentons quelques résultats de l’analyse qui est en cours.

CLASSIFICATION DES STRATÉGIES DE RÉSOLUTION DE PROBLÈMES DE COMPARAISON

L’analyse des productions des élèves nous a amené à considérer 5 stratégies de résolution qui peuvent être classées en deux types de raisonnements : le raisonnement analytique et le raisonnement arithmétique. Le raisonnement arithmétique a été repéré par Bednarz et Janvier (1996) dans l’analyse des procédures de résolution utilisées par des élèves qui ne connaissent pas encore l’algèbre. Les élèves essaient alors de créer des liens entre les données pour être capables

 

   

     

   

 

   

   

 

   

     

     

 

 

 

De

plus

en

plus

com

plex

e

116

d’opérer sur elles à partir d’une donnée connue. Dans les problèmes que nous avons soumis, nous retrouvons ce type de raisonnement chez les élèves qui créent un état initial en utilisant un nombre fictif, ce sont les procédures de type « essais » (un exemple est donné dans le tableau 5). Nous avons également classé dans ce type de raisonnement la procédure « jeu de nombres » dans laquelle les élèves procèdent à des calculs impliquant les nombres du problème mais sans que l’on puisse comprendre le rationnel en arrière. En ce qui a trait au raisonnement analytique, Squalli (2003) souligne l’importance de la pensée analytique qui a joué un rôle crucial à tous les niveaux du développement de l’histoire de l’algèbre. Ainsi, ce chercheur affirme que la tendance à penser analytiquement et à généraliser renforce la tendance à symboliser.

« En effet, la tendance à opérer sur quelque chose d’inconnue pousse à commencer par la nommer, la représenter par un symbole pour pouvoir opérer sur ce symbole comme s’il était une quantité connue. » (Squalli, 2003, p.162). Trois procédures, la résolution algébrique explicite, la position réajustée et le raisonnement surplus/parts sont issues d’un raisonnement analytique. Le tableau 4 présente ces deux types de raisonnements avec les procédures associées.

RAISONNEMENT ANALYTIQUE Résolution algébrique explicite Position réajustée Raisonnement surplus/parts

RAISONNEMENT ARITHMÉTIQUE Essais Jeu de nombres

Tableau 4. Classification des raisonnements et procédures associées. Nous avons recompilé dans le tableau 5 un exemple de production d’élève qui illustre chacune des procédures que nous avons identifiée.

Résolution algébrique explicite (raisonnement analytique)

Nous sommes face à un problème de composition (×,+).

Ici l’élève procède en désignant par le symbolisme n le nombre d’amis de Carlos. Il identifie ainsi une grandeur recherchée par une lettre. Suit la mathématisation du problème par la mise en équation. Sont symbolisés le nombre d’amis de Sophia (3n) et celui de François (3n+14). La résolution de l’équation permet de trouver les trois grandeurs recherchées.

117

Position réajustée (raisonnement analytique)

Dans ce problème puits (+,+), il est intéressant de noter que l’élève modifie la structure du problème par un problème de composition (+,+) (considéré comme moins complexe). Il reformule ainsi les relations données. L’élève part en fixant pour le canoë « au moins 0 jeunes », ce qui permet d’arriver à « au moins 29 jeunes pour le tir à l’arc (29 de plus) et « au moins 127 jeunes » pour le soccer (98 de plus). En soustrayant du total des jeunes (315), la somme des jeunes obtenue jusqu’ici, il arrive à 159 jeunes qu’il va répartir entre ces trois catégories sportives. Il obtient alors 53 jeunes qu’il ajoutera aux jeunes déjà présents.

L’élève se donne une valeur pour chacune des catégories de sport qu’il réajuste par la suite.

Raisonnement surplus/parts (raisonnement analytique)

Ce problème est un problème source, les grandeurs « produits laitiers » et « produits en conserve » sont générées à partir d’une même grandeur « produits céréaliers ».

Pour résoudre l’élève enlève du total (460 produits) les surplus donnés par les relations de comparaison (201+22). Il obtient alors 237 produits qui vont être répartis entre les trois catégories de produits. Il obtient ainsi 79 produits laitiers, 79 produits céréaliers et 79 produits en conserve. Il suffit alors d’ajouter les surplus pour avoir le nombre de chacun des produits.

Comme le problème implique des relations additives, il s’agit d’un raisonnement surplus. Si les relations avaient été multiplicatives ce raisonnement serait nommé parts. L’élève peut également avoir recours à un raisonnement mixte (dans un problème avec une relation additive et une relation multiplicative).

118

Essais (raisonnement arithmétique)

Il s’agit d’un problème de composition (×,×). Pour résoudre ce problème,

l’élève procède par différents essais. Il repère le générateur qui est le nombre d’amis de Carlos auquel il attribue une valeur de 15. Il génère ainsi les amis de François (deux fois plus que ceux de Carlos) et ceux de Sophia (5 fois plus que ceux de François). Il ajoute

par la suite ces trois valeurs et obtient 195 qui est en dessous du nombre

d’amis total qui est 494. Il choisit alors pour le nombre d’amis de Carlos 30 et procède comme auparavant. L’élève fait plusieurs essais en contrôlant le

résultat jusqu’à arriver au nombre total d’amis.

Jeu de nombres (raisonnement

arithmétique)

Face à ce problème, nous pouvons remarquer que l’élève procède à différentes opérations impliquant les nombres qui sont dans l’énoncé et les 3 grandeurs à l’étude. Toutefois, nous ne pouvons discerner la procédure utilisée par l’élève, identifier le sens derrière ses calculs. Ceci est confirmé par l’élève qui mentionne qu’il ne comprend pas comment procéder.

Tableau 5. Catégorisation des procédures ressorties : des exemples.

Suite à la lecture du tableau précédent, deux questions nous interpellent. Existe-t-il un lien entre les procédures répertoriées et la structure du problème? Et quel est le taux de réussite pour chacune de ces classes de problèmes, retrouve-t-on les résultats énoncés dans le tableau 3 provenant des recherches de Bednarz et Janvier?

STRATÉGIES UTILISÉES SELON LA STRUCTURE DU PROBLÈME ET TAUX DE RÉUSSITE

Le tableau 6 fournit des éléments de réponse aux questions énoncées précédemment. Pour chaque structure du problème (à 2 branches, à 3 branches source, à 3 branches composition et à 3 branches puits) et pour les deux niveaux scolaires (secondaire 1 et 2), nous avons recompilé à la fois les procédures ressorties dans un secteur circulaire (on peut ainsi relever leur fréquence d’apparition) et noté le taux de réussite global.

119

Secondaire 1 Secondaire 2

Problèmes à 2 branches

Problèmes à 3

branches

Source

Composition

Puits

Tableau 6. Répartition des procédures et taux de réussite selon la structure du problème pour les niveaux scolaires secondaire 1 et secondaire 2.

Légende :

La lecture de ce tableau permet de confirmer les résultats relevés par Bednarz et Janvier (1994) et par Marchand (1997) quant à l’ordre de complexité des problèmes de comparaison, et ce, en 1re et en 2e secondaire. Les problèmes à 2 branches apparaissent comme les moins complexes (taux de réussite de 53% en secondaire 1 et de 68% en secondaire 2), suivent les problèmes à 3 branches type source (taux de réussite de 37% en secondaire 1 et 59% en secondaire 2), puis les problèmes type composition (24% en secondaire 1 et 44% en secondaire 2). Finalement les problèmes puits apparaissent comme les plus complexes avec des taux de réussite très bas (10% en secondaire 1 et 22% en secondaire 2). Nous pouvons remarquer qu’à part les problèmes à 2 branches, le taux de réussite des autres problèmes est faible en 1re secondaire, en dessous de 40%.

Les secteurs circulaires permettent de tirer des conclusions quant à la diversité des stratégies utilisées par les élèves par niveau scolaire et par structure de problème. En 1re secondaire, nous pouvons remarquer qu’il y a une grande diversité dans les procédures utilisées, ce qui n’est pas le cas en 2e secondaire 2. Ainsi, en 1re secondaire, on retrouve les raisonnements arithmétiques

Résolu)on  Algébrique   Posi)on  Réajustée   Raisonnement  surplus  parts  

Essais-­‐Erreurs   Jeu  de  nombres   Aucune  démarche  

Autres  démarches  

Taux  de  réussite  :  

53%  

Taux  de  réussite  :  

68%  

Taux  de  réussite  :  

59%  Taux  de  réussite  :  

37%  

Taux  de  réussite  :  

24%  

Taux  de  réussite  :  

44%  

Taux  de  réussite  :  

10%  

Taux  de  réussite  :  

22%  

120

(essais et jeu de nombres) avec une grande proportion. Toutefois, plusieurs démarches n’ont pu être classées. Suivent par la suite les raisonnements analytiques, surtout la stratégie surplus/parts. La procédure Position Réajustée est rarement utilisée par les élèves. Une donnée qui semble intéressante est l’utilisation de la résolution algébrique en 1re secondaire. Cette stratégie se retrouve principalement dans la résolution de problèmes à 2 branches et dans les problèmes à 3 branches type composition. Nous pouvons donc constater qu’avec l’arrivée de la nouvelle réforme, la résolution algébrique de problèmes de comparaison est introduite dès la première année du secondaire dans certains milieux. À la deuxième année du secondaire, c’est surtout la résolution algébrique explicite qui prédomine, les autres stratégies sont sous-représentées. Une question se pose après la présentation de ce portrait : les élèves maîtrisent-ils les procédures ressorties? Autrement dit quel est le taux de réussite de chacune de ces procédures? Le tableau 7 fournit des éléments de réponse à ces questions.

Résolution algébrique Explicite 50%

Position réajustée 59% Stratégie surplus parts 55%

Essais 62% Jeux de nombres 3%

Tableau 7. Taux de réussite pour chacune des procédures utilisées.

La procédure la mieux maîtrisée par les élèves est celle des essais, un raisonnement arithmétique (62%). Ainsi, nous remarquons qu’à ces deux niveaux d’étude, au début du secondaire, les élèves sont portés à se donner des nombres pour résoudre et à utiliser les relations connues pour obtenir le total des grandeurs. L’élève contrôle ainsi à chacune des étapes le résultat des grandeurs fixées et réajuste le nombre fixé au départ pour se rapprocher le plus possible du total donné. Les élèves ont l’air habile dans l’utilisation de cette procédure. Les raisonnements qui s’appuient sur des nombres apparaissent parlants pour les élèves. De plus, les raisonnements analytiques Position réajustée et Surplus/parts sont plutôt bien maîtrisés par les élèves (59% de réussite et 55% respectivement). C’est la procédure algébrique explicite qui est la moins bien maîtrisée avec un taux de réussite de 50%. Nous pouvons ainsi constater que l’utilisation d’un symbole explicite ne va pas de soi pour les élèves et exige un vrai saut conceptuel.

DISCUSSION ET CONCLUSION

Ces données de recherche sont issues de notre souci de documenter les stratégies de résolution mobilisées par des élèves du premier cycle du secondaire dont le parcours scolaire est fortement coloré par les commandes ministérielles associées à la dernière réforme en éducation (MELS, 2003). Bien que ce récent programme unit les recommandations de 1re et de 2e secondaire sous l'appellation unique du 1er cycle, on observe que la résolution de problèmes écrits semble demeurer l'apanage de la 2e secondaire. En 1re secondaire, on remarque une grande diversité dans les stratégies employées par les élèves au détriment d’une stratégie algébrique en 2e secondaire pas toujours bien maîtrisée (taux de réussite de 50%). Une question demeure : La réforme accompagne-t-elle mieux les élèves dans la résolution de problèmes complexes? Nous avons constaté que les taux de réussite obtenus dans notre étude sont inférieurs à ceux fournis par Marchand et qui proviennent de la réforme précédente (MEQ, 1993). Avec la réforme du système scolaire, nos élèves sont plus souvent confrontés à des problèmes dont l'ouverture de la tâche est

121

plus grande qu'auparavant et dont la juxtaposition des concepts à mobiliser est aussi plus grande. Si l’on considère comme autre dimension permettant de juger de la complexité d’un problème la structure de celui-ci, force est de constater que les élèves québécois interrogés ne sont pas nécessairement plus à l'aise dans la résolution de problèmes ayant des structures semblables à celles proposées à leurs prédécesseurs des décennies précédentes.

Par ailleurs, dans la mesure où la stratégie essais obtient un taux de réussite de 62%, et ce, même pour la résolution des problèmes jugés plus complexes, nous pouvons supposer que les élèves qui maîtrisent cette stratégie ne ressentiront certainement pas la nécessité d’utiliser un autre raisonnement. S’il est vrai que la résolution de problèmes dits complexes devrait inévitablement être le fruit d’un travail préalable en classe visant le partage et la réflexion sur la diversité des stratégies possibles de résolution, mais aussi, et surtout, sur l’efficacité de certaines stratégies par rapport à d’autres, aucune recherche québécoise ne s’est encore attardée à documenter finement la pratique d’enseignants alors qu’ils accompagnent les élèves dans la recherche de stratégies de résolution, leur comparaison pour ultimement, retenir celles qui sont culturellement jugées plus efficaces.

Tel que précisé plus tôt, les questionnaires administrés comprenaient également des situations de généralisation dont l’analyse permettra d’enrichir le portrait des élèves brossé dans ce texte, analyse qui est actuellement en cours.

BIBLIOGRAPHIE BEDNARZ, N. et DUFOUR-JANVIER, B. (1992). L’enseignement de l’algèbre au secondaire : une caractérisation du scénario actuel et des problèmes qu’il pose aux élèves. Actes du colloque international du 20 au 22 mai 1992 : didactique des mathématiques, formation normale des enseignants. École normale supérieur Marrakech. p. 21-40.

BEDNARZ, N. et DUFOUR-JANVIER, B. (1996). Emergence and development of algebra as a problem-solving tool : continuities and discontinuities with arithmetic. In N.Bednarz, C.Kieran et L.Lee (Eds.) Approaches to algebra. Perspectives for research and teaching (pp. 115-136). Boston : Kluwer Academic Publishers.

BEDNARZ, N., et DUFOUR-JANVIER, B. (1994). The emergence and development of algebra in a problem solving context: A problem analysis. In J. da Ponte et J. Matos (din), Proceedings of the 18th International Conference for the Psychology of Mathematics Education, Vol. II, 64-71. Lisbonne: Université de Lisbonne.

MARCHAND, P., et BEDNARZ, N. (1999). L’enseignement de l’algèbre au secondaire: une analyse des problèmes présentés aux élèves. Bulletin de l’Association Mathématique du Québec, XXXIX(4), 30- 42.

MARCHAND, P., et BEDNARZ, N. (2000). Développement de l’algèbre dans un contexte de résolution de problèmes: résolution des élèves. Bulletin de l’Association des Mathématiques du Québec, XL(4), 15-24.

MARCHAND, P. (1997). Résolution de problème au secondaire : analyse de deux approches et des raisonnements des élèves. Thèse de maîtrise. Université de Québec à Montréal, 218p.

MELS (2003). Programme de formation du Ministère de l’Éducation, des Sports et des Loisirs. Enseignement secondaire, premier cycle, chapitre 6, p.224-264.

MEQ (1993). Programme de formation du Ministère de l’Éducation du Québec, mathématique 116 et 216.

122

OLIVEIRA, I. et CAMÂRA, M. (2011). Problemas de estrutura algébrica : uma análise comparativa entre as estratégias utilizadas no Brasil e no Québec. XIII CIAEM-IACME, Recife, Brasil. SQUALLI, H. (2003). Tout, tout, tout, vous saurez tout sur l'algèbre. Coll. "Mathèse". Montréal : Éditions Bande didactique, 316 p. VERGNAUD, GÉRARD (1982). A classification of cognitive tasks and operations of thought involved in addition and subtraction problem. In Carpenter T.P., Moser J.M., Romberg T.A. (Eds). Addition and Subtraction: a cognitive perspective. Hillsdale NJ, Lawrence Erlbaum, 39-59.

123

Analyse d’une séquence didactique sur le nombre expérimentée auprès d’élèves du préscolaire

Anik Ste-Marie et Jacinthe Giroux Groupe d’études sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques en

adaptation scolaire (GEMAS) Université du Québec à Montréal

Sophie René de Cotret Université de Montréal

RÉSUMÉ Dans ce texte, nous présentons quelques résultats issus d’une recherche doctorale (Ste-Marie, 2013) portant sur l’analyse qualitative du volet numérique du programme de prévention Fluppy destiné aux élèves du préscolaire. À l’objectif de la thèse sont liées plusieurs questions de recherche. Pour ce texte, nous avons choisi de nous intéresser à la question suivante : est-ce que les conditions didactiques prévues par les situations didactiques pour favoriser la dévolution et l’institutionnalisation sont mises en place par l’enseignant dans le cadre de ses interactions avec ses élèves ? Quelques éléments de réponses à cette question sont apportés à partir d’exemples tirés d’une des séquences d’enseignement portant sur le nombre expérimentées auprès d’élèves de deux classes du préscolaire. INTRODUCTION Depuis le début des années 90, le programme d’intervention au préscolaire Fluppy (Poulin et al., 2013; Capuano et al., 2010; Tremblay et al., 1995) a été développé et implanté dans plusieurs régions du Québec. Le programme Fluppy vise à prévenir la violence et le décrochage scolaire en proposant des interventions axées sur le développement des habiletés sociales aux élèves en début de scolarisation. En 2002, dans le cadre d’un vaste projet d’évaluation d’impact, le programme a été bonifié, notamment par l’ajout d’un volet enseignement offrant une composante en français et une autre en mathématiques, de manière à couvrir à la fois la dimension sociale et la dimension éducative. La composante en mathématiques se fonde, essentiellement, sur la Théorie des situations didactiques (Brousseau, 1998) ainsi que sur la méthodologie qui y est propre, l’ingénierie didactique (Artigue, 1990). Le Volet mathématique du programme Fluppy (Giroux et Ste-Marie, 200420) offre aux élèves du préscolaire des séquences didactiques et des capsules d’activités qui s’articulent autour de deux grands thèmes : le nombre et la structuration de l’espace. En 2011-2012, profitant d’une nouvelle évaluation d’impact du programme Fluppy, des situations didactiques du volet mathématique ont été expérimentées auprès de 39 élèves de deux classes du préscolaire. Les analyses fines des conduites des élèves ont permis d’une part, d’évaluer l’impact des situations didactiques sur les connaissances mathématiques des jeunes élèves et, d’autre part, de faire une analyse de la gestion enseignante des leçons. C’est de cette dernière analyse dont il est question dans cet article. Plus précisément, nous présentons quelques éléments de réponse à la question de recherche suivante : est-ce que les conditions didactiques

                                                                                                               20 L’année correspond à la dernière version du document. La première version ayant été diffusée en 2002, au début du projet d’évaluation d’impact qui s’est déroulé sur trois ans.

124

prévues par les situations didactiques, pour favoriser la dévolution et l’institutionnalisation, sont mises en place par l’enseignant dans le cadre de ses interactions avec ses élèves ?

LA THÉORIE DES SITUATIONS DIDACTIQUES La Théorie des situations, élaborée par Guy Brousseau (1998) au cours des dernières décennies, est devenue un cadre de référence incontournable en didactique des mathématiques. Une description des principaux concepts de cette théorie permet d’éclairer les fondements théoriques du Volet mathématique du programme Fluppy.

Milieu et situation adidactique Le milieu est défini, dans la Théorie des situations didactiques, comme un système autonome qui se modélise en fonction d’une connaissance, d’un savoir spécifique, d’une notion mathématique, et devient par le fait même un objet central de cette théorie. Les situations didactiques font généralement cohabiter milieux didactiques et adidactiques. Les premiers requièrent l’intervention didactique de l’enseignant par l’explication, la démonstration, la théorisation, etc. Les seconds se distinguent par la propriété qu’ils ont de laisser l’élève prendre des décisions pour solutionner un problème qui lui est dévolu et les modifier en fonction des rétroactions données par le milieu. En situation adidactique, l’élève doit donc faire des choix pour adapter sa conduite mathématique aux contraintes du milieu et ainsi élaborer une stratégie de résolution qui fait appel à la connaissance visée. La situation adidactique est intégrée à la situation didactique. Dans la Théorie des situations, les concepts de situation adidactique et de milieu sont centraux La Théorie des situations considère donc comme primordial le recours à la situation adidactique et donc, au milieu adidactique, pour organiser les rapports enseignement/apprentissage dans l’élaboration d’une situation didactique. En situation adidactique, le savoir est un moyen de répondre aux exigences d’un milieu afin d’atteindre un état favorable, gagnant dans une situation dénuée d’intentionnalité didactique explicite. Ainsi, l’organisation du milieu est une nécessité interne à la situation adidactique (Brousseau, 1998). Une situation adidactique se présente donc comme un problème pour l’élève, que ce dernier cherche à résoudre avec toutes ses connaissances. Cette situation a été organisée par l’enseignant et répond donc à une intention didactique - l’enseignant vise un apprentissage. Mais pour l’élève, la situation est adidactique car l’enseignant n’intervient pas en tant que détenteur du savoir pour lui proposer une aide lors de la recherche d’une solution. Le processus d’enseignement par lequel l’enseignant fait accepter, à l’élève, sa responsabilité au regard de ce qu’il produit en situation est la dévolution. Ainsi, le milieu adidactique doit être organisé pour que la connaissance visée par l’enseignant soit nécessaire à l’élaboration de la stratégie optimale, un état gagnant du milieu, celle menant à la solution du problème dévolu à l’élève. Une connaissance sera pertinente dans une situation donnée si elle permet à l’élève de mettre en œuvre une ou plusieurs stratégies permettant de progresser dans la situation, d’atteindre un état du milieu différent de son état initial. Au terme d’une situation didactique, l’enseignant a cependant la responsabilité d’assurer le processus d’institutionnalisation par lequel il vient fixer le statut culturel du savoir mis en œuvre en situation adidactique.

Typologie des situations Dans une situation adidactique, on prévoit différents fonctionnements des connaissances. Trois dialectiques de situations sont associées à ces fonctionnements. La situation d’action engage

125

l’élève dans une démarche de solution qui appelle des connaissances qui se manifestent de manière instrumentale. L’élève agit de différentes manières sur la situation à l’aide de ses connaissances. Les stratégies à la source de ces actions engagent des connaissances mathématiques que la situation se propose de faire évoluer par un jeu sur les valeurs des variables didactiques. Ces valeurs ont donc un impact important sur les solutions développées (et donc les connaissances) par les élèves. On les appelle variables didactiques dans la mesure où le jeu sur les valeurs de ces variables est utilisé pour favoriser un changement de stratégies chez les élèves. Une variable didactique est donc un élément de la situation qui peut être modifié par l’enseignant et qui affecte la hiérarchie des stratégies. La deuxième dialectique est la situation de formulation qui sollicite de la part de l’élève l’explicitation des connaissances engagées dans la dialectique de l’action, dans un langage qui doit être compris par les autres. Enfin, la troisième dialectique est la situation de validation qui requiert des élèves la justification de leurs explicitations. Cette dialectique fait donc appel à une validation qui repose sur des arguments mathématiques.

LES ACTIVITÉS MATHÉMATIQUES DU PROGRAMME FLUPPY Le Volet mathématique du programme Fluppy (Giroux et Ste-Marie, 2004) propose différentes séquences didactiques travaillées sur une longue période au moyen de différents scénarios et une série de capsules d’activités visant le réinvestissement et la consolidation des connaissances mathématiques développées dans les séquences. Chaque séquence met en place un problème à résoudre par les élèves sous forme de jeu. Le même jeu est répété en modifiant, à chacun des différents scénarios, certaines valeurs des variables didactiques de la situation de manière à favoriser l’émergence de nouvelles stratégies de résolution et implicitement l’élaboration de nouvelles connaissances mathématiques (Brousseau, 1998). Les séquences s’inspirent donc largement de la Théorie des situations didactiques, mais elles ne sont pas totalement encadrées par elle. Chaque séquence comporte des moments qui relèvent d’une situation d’action, dans le cadre d’une situation adidactique, de formulation et de validation. Cependant, le processus d’institutionnalisation n’est pas réglé et prévu de manière aussi précise que le processus de dévolution. Dans le respect du programme du préscolaire, s’il y a des phases d’institutionnalisation permettant d’identifier les stratégies efficaces à la fin de chacun des scénarios d’une séquence, on ne peut dire qu’il y a réellement processus d’institutionnalisation. Ce processus s’accompagnerait, par exemple, de périodes d’exercices pour consolider les savoirs, ce qui est peu approprié aux orientations du préscolaire. L’analyse qualitative du volet mathématique s’effectue à partir de trois séquences didactiques qui sollicitent diverses pratiques numériques, soit : la désignation de quantités (séquence des Commandes de gommettes), la comparaison de collections (séquence du Petit Poucet) et la composition additive de nombres (séquence de la Chasse aux trésors). Par ailleurs, les exemples exposés dans ce texte pour traiter de la dévolution et de l’institutionnalisation étant tirés de la première séquence didactique, la séquence des Commandes de gommettes, seule cette dernière est présentée.

Séquence didactique des Commandes de gommettes La séquence des Commandes de gommettes s’inspire d’une situation didactique construite par des chercheurs rattachés à l’IREM de Bordeaux (Gairin-Calvo, 1988). Elle porte sur la constitution d’une collection équipotente. Cette séquence vise à ce que les élèves aient besoin de désigner,

126

d’exprimer une quantité (nombre d’éléments d’une collection) pour résoudre un problème. Le nombre comme mémoire de quantité et l’écriture du nombre comme outil de communication recouvrent le savoir visé. Ce savoir est nécessaire pour mettre en place une stratégie efficace de dénombrement. Le jeu fonctionne sur un modèle de communication (Brousseau, 1988) où un émetteur (ou groupe émetteur lorsque les élèves sont en équipe de deux) doit produire un message mathématique intelligible et pertinent et le faire parvenir au récepteur (l’enseignant), afin d’obtenir juste ce qu’il faut de gommettes pour compléter un dessin. Les variables didactiques de la situation sont : le nombre de gommettes nécessaires pour compléter le dessin, le type de situation de commande (auto-communication, communication muette ou communication écrite) et le destinataire du message (sans destinataire pour l’auto-communication ou l’enseignant pour les autres formes de communications). Notons qu’un seul déplacement est permis pour obtenir les gommettes, ce qui suppose de prendre en compte la quantité requise pour aller chercher ou commander juste ce qu’il faut de gommettes pour compléter le dessin. Dans cette séquence, cinq scénarios sont élaborés de manière à rendre de plus en plus nécessaire, pour la réussite de la tâche, le savoir numérique visé en modifiant certaines valeurs des variables didactiques. Par exemple, pour le premier scénario (voir le modèle à la Figure 1) l’élève doit aller chercher lui-même les gommettes circulaires (situation d’auto-communication) et le nombre de gommettes requis est peu élevé (cinq), pour rendre possibles d’autres stratégies de résolution que le dénombrement, telles la reconnaissance globale de la quantité (ce qui est possible jusqu’à 7 éléments, selon Baroody (1991)) ou la correspondance terme à terme en utilisant les doigts d’une main. Les scénarios suivants sont construits de manière à contraindre les élèves à mettre en œuvre des stratégies numériques. Deux contraintes sont alors imposées : le nombre de gommettes est augmenté et la situation commande la production d’un message muet (l’émetteur doit utiliser un moyen autre que la parole pour communiquer la quantité désirée de gommettes au récepteur) ou d’un message écrit (utilisation d’un bon de commande). Une particularité intéressante des situations didactiques réside dans la rétroaction par la situation elle-même (Brousseau, 1998). La séquence des Commandes de gommettes permet ce type de rétroaction. En effet, une fois que l’élève est allé chercher ou a reçu les gommettes, il doit les coller sur son dessin. Il est alors à même de constater s’il a réussi (il a juste ce qu’il faut de gommettes) ou échoué la tâche (il a trop ou pas assez de gommettes pour compléter le dessin). À la fin du jeu, un retour collectif, animé par l’enseignant, permet de dégager les différentes procédures mises en œuvre par les élèves pour constituer leur collection et de juger de leur efficacité (la tâche est réussie ou non). Lorsque la situation prévoit la production d’un message

 

 Figure 1 : Modèle à compléter au

scénario 1

127

écrit, le retour est aussi l’occasion d’inviter les élèves à porter des jugements argumentés sur les messages produits, selon des critères comme la pertinence, la clarté, l’économie et la justesse.

GESTION DIDACTIQUE DE LA SITUATION DES COMMANDES DE GOMMETTES PAR LES ENSEIGNANTS L’interprétation des données obtenues lors de l’expérimentation des séquences numériques est réalisée de manière à mettre en lumière les processus de dévolution et d’institutionnalisation, tels que gérés par les enseignants en situation, tout en relevant les enjeux relatifs à l’implantation de situations didactiques en milieu scolaire ordinaire. Il faut noter que les enseignants et les stagiaires21 qui participent à l’évaluation du programme ont reçu une formation minimale de deux jours de formation sur l’ensemble des situations proposées dans le volet mathématique. Cette formation est axée sur l’appropriation des situations didactiques et, plus particulièrement, sur les enjeux mathématiques et didactiques qui les caractérisent. L’enjeu mathématique est spécifié par le savoir visé par chacune des séquences, alors que l’enjeu didactique renvoie aux fondements de la Théorie des situations didactiques sur lesquels repose la conception des séquences. Les enjeux mathématiques et didactiques sont intimement liés par la structuration des séquences, notamment par la description de la situation au fondement de chaque séquence, les variables didactiques et les valeurs qu’elles prennent d’un scénario à l’autre, la description des conduites anticipées et les consignes d’animation devant favoriser la dévolution des situations adidactiques, l’engagement mathématique des élèves dans la situation, les moments d’institutionnalisation et ainsi, l’évolution des connaissances numériques des élèves sur le temps d’une séquence. Les deux journées de formation représentent un temps relativement court pour saisir les tenants et aboutissants de chaque séquence. Mais il y a une dimension plus substantielle qui intervient dans la formation et à laquelle les formateurs ont peu accès : l’expérience professionnelle des enseignants par laquelle sont lues et interprétées les situations proposées. Si nous savons peu de choses sur l’interprétation que font chacune des enseignantes des propositions didactiques qui leur sont soumises, nous pouvons cependant supposer qu’elles ne peuvent (et ne doivent) assurer la prise en charge des séquences sans y intégrer une part de leurs savoir-faire professionnels.

Articulation entre les expériences mathématiques vécues par les élèves et le travail de l’enseignant dans la gestion didactique de la séquence des Commandes de gommettes Dans cette section, nous présentons trois épisodes relatifs au processus de dévolution où les interventions des enseignantes et de la stagiaire semblent relever d’une recherche d’adaptation à la situation didactique telle que proposée par le programme Fluppy tout en préservant certaines de leurs pratiques professionnelles. Les deux premiers épisodes concernent le premier scénario de la séquence, où l’animation de la situation est prise en charge par la stagiaire dans la classe A et par l’enseignante dans la classe B.

                                                                                                               21 Les stagiaires sont des étudiants de 4e année du baccalauréat d’enseignement en adaptation scolaire et scolaire qui ont comme formation en mathématiques, 2 cours de didactique des mathématiques et 3 cours en orthopédagogie des mathématiques. Aussi, des rencontres hebdomadaires sont organisées avec les stagiaires pour leur permettre d’échanger sur leur stage et pour les aider dans la planification de leurs activités.

128

Épisode 1 : La stagiaire anime le premier scénario de la séquence dans la classe A

Stag. : Sur le camion on va mettre des petites gommettes. Sur les cercles en pointillé, on va mettre les gommettes. On va cacher les cercles avec les gommettes. Quand vous êtes prêts, vous levez la main. Quand je vais nommer votre nom, vous allez venir voir Mme Su. Vous avez le droit de venir seulement une seule fois.

Pour insister sur la contrainte du déplacement unique, la stagiaire montre un doigt et poursuit.

Stag. : Vous allez venir chercher juste ce qu’il faut de gommettes pour votre camion. Vous oubliez pas : vous avez droit seulement à une seule fois… un seul déplacement. Après vous allez coller les gommettes.

De nouveau, elle montre un doigt. Elle distribue ensuite les feuilles aux élèves.

Stag. : Après avoir collé les gommettes, si jamais vous avez des gommettes de trop, on va les coller en haut.(…) Oublie pas, vous avez droit à un seul déplacement… Une fois, on va voir Mme Su seulement une fois.

Cet extrait de protocole montre de quelle manière la stagiaire retient comme une contrainte essentielle le fait de n’autoriser qu’un seul déplacement pour aller chercher les gommettes nécessaires pour compléter le dessin. Ainsi, elle répète à trois moments cet élément de la consigne en l’accompagnant du geste (montrer un doigt). Il ne s’agit pas ici d’une erreur de la part de la stagiaire, mais d’une décision prise sur le vif pour tenter de s’adapter à la fois à la situation et aux jeunes élèves. Il est possible qu’une enseignante plus expérimentée sache utiliser plus adéquatement, qu’une novice, des registres différents (gestuel, verbal) dans la présentation d’une consigne. Mais il est évidemment possible que les élèves fassent une lecture du geste qui soit différente de celle attendue par la stagiaire, soit d’interpréter le geste comme « une gommette », plutôt que comme « un déplacement ». Épisode 2 : L’enseignante anime le premier scénario de la séquence dans la classe B

Ens. : Je vais te remettre une feuille avec un camion et tu vas devoir le compléter. Sur chaque petit cercle, tu vas devoir mettre une gommette, un collant. Pour avoir les gommettes, tu vas venir me voir ou voir Mme An quand on va dire ton nom. Tu vas lever la main quand tu vas savoir ce qu’il te faut pour compléter le camion. Quand tu es prêt, tu sais ce qu’il te faut, tu lèves la main, on t’appelle et tu viens chercher les gommettes. Tu n’as pas le droit de te lever deux fois, tu vas te lever seulement une fois.

Dans la classe B, les consignes sont correctement formulées par l’enseignante. Toutefois, elle juge que la consigne est trop longue pour les élèves et décide de l’alléger en ne précisant pas aux élèves que les gommettes en surplus doivent être collées sur la feuille22. Pourtant, la nécessité de présenter l’ensemble des consignes aux élèves dès le début du jeu est un enjeu important de la situation qui a été discuté avec les enseignants et la stagiaire lors de la formation et rappelé avant de réaliser l’activité. En effet, il est nécessaire que les élèves sachent, dès le début, qu’ils devront coller toutes les gommettes reçues. C’est une contrainte importante du jeu pour rendre nécessaire

                                                                                                               22 Ce n’est qu’au moment du retour que l’enseignante demande aux élèves de coller leurs gommettes en surplus.

129

le dénombrement pour obtenir la bonne quantité de gommettes. Cette décision prise par l’enseignante peut ainsi modifier l’enjeu de la situation et donc la tâche. À partir des ces deux épisodes, on peut donc se demander si les modifications aux consignes apportées par la stagiaire et par l’enseignante affectent la dévolution de la tâche aux élèves ainsi que le déroulement de la séquence. Pour apporter des éléments de réponses à la question, une confrontation des stratégies anticipées dans l’analyse a priori pour le scénario 1 aux stratégies qui sont effectivement mises en œuvre par les élèves des deux classes de l’expérimentation est nécessaire (voir à ce sujet le Le Tableau 1).

Un type de stratégie anticipée pour ce scénario dans l’analyse a priori n’est pas apparue, celui faisant intervenir la correspondance terme à terme. (Stratégie B). Ce procédé semble assez coûteux à mettre en place pour les élèves. Les autres stratégies anticipées ont cependant été relevées. Les stratégies de dénombrement sont les plus fréquentes et utilisées avec succès pour 8 élèves dans la classe A et 7 élèves dans la classe B. Et avec erreurs dans le dénombrement pour 3 élèves dans la classe A et 5 élèves dans la classe B. Des résultats intéressants concernent les stratégies non numériques. Dans la classe A, on observe que 8 élèves prennent une seule gommette avec ou sans dénombrement préalable des cercles, alors que dans la classe B, 1 seul élève produit cette conduite. On peut expliquer la fréquence élevée de cette conduite dans la classe A par un effet de la consigne donnée par la stagiaire, qui insiste sur l’importance de ne faire qu’un seul déplacement et qui l’accompagne du geste de montrer un doigt (les élèves ont pu interpréter qu’il ne fallait qu’une seule gommette).

    Tableau 1 : Nombre d’élèves ayant mis en œuvre les stratégies anticipées à l’analyse a priori

du scénario 1  

130

Aussi, l’autre stratégie non numérique, qui consiste à aller chercher plusieurs gommettes (un petit paquet de gommettes) sans dénombrer, absente de la classe A, apparaît 4 fois dans la classe B. Encore une fois, un effet de la consigne peut expliquer cette différence entre la classe A et la classe B. En effet, l’enseignante de la classe B avait choisi de ne pas donner au complet les consignes aux élèves. Comme il n’était pas indiqué que les élèves devaient coller toutes les gommettes sur le dessin (même le surplus), cet élément du jeu ne pouvait agir comme contrainte pour développer une stratégie efficace. Ainsi, les modifications apportées par l’enseignante et la stagiaire aux consignes ne semblent pas affecter la dévolution de la tâche aux élèves, ni le déroulement de la séquence. En effet, toutes les stratégies anticipées dans l’analyse a priori sont apparues, même si elles se distribuent différemment dans les deux classes. Les modifications apportées aux consignes ne changent donc pas, à terme, ce qui est prévu dans la séquence. Aussi, sur la question de la dévolution de la tâche aux élèves, il est intéressant de remarquer qu’il est possible que les élèves recherchent des indices dans la consigne leur permettant de résoudre la tâche. Ce qui permet, après coup, d’assurer aux élèves que ce n’est pas le cas (ex.: ce n’est pas parce que la stagiaire montre 1 doigt qu’il faut prendre 1 seule gommette). Ce qui permet aussi de fixer les règles du jeu (savoir à quoi on joue), de clarifier ce qui est attendu par la situation adidactique (dévolution), ce qui sera utile pour les prochains scénarios de la séquence.Le type d’intervention qui semble affecter le plus à la fois la dévolution et la validation (avec ses moments d’institutionnalisation) est celui qui vise à enseigner les stratégies optimales, ce qui assure du coup la réussite des élèves. C’est ce qui a été observé, au 4e scénario de la séquence où les élèves, en équipe de deux, doivent produire un message écrit à remettre à l’enseignante afin d’obtenir 13 gommettes pour compléter leur dessin. Une équipe de la classe B produit un message où apparaît l’écriture de la suite des nombres de 1 à 13. L’enseignante, au moment d’interpréter la suite des nombres pour donner les gommettes aux élèves, insiste pour que les élèves encerclent le nombre désiré, le « nombre important dans le message ». Ainsi, l’enseignante semble considérer que ce message est erroné puisque, selon elle, il manque de précision et ce, même s’il apparaît clairement dans le répertoire des stratégies anticipées pour ce scénario dans l’analyse a priori23. Par la suite, lors du retour, plutôt que de mettre en relation le message produit et le dessin obtenu, l’enseignante pilote fortement l’échange pour convaincre les élèves que l’écriture de la suite des nombres de 1 à 13 et celle du nombre 13, expriment une même quantité : l’écriture du nombre 13 étant seulement plus économique à produire et à décoder. Épisode 3 : L’enseignante anime le retour au scénario 4 dans la classe B

Ens. : Est-ce que j’aurais compris si tu avais écrit juste 13 ? (…) Est-ce qu’il fallait que je sache qu’il y avait 1, 2, 3, jusqu’à 13 ? (…) Mais si tu avais écrit 13, est-ce que j’aurais compris que tu voulais 13 gommettes ? (…) Oui, juste 13… hein les amis !

À ce moment, on assiste à un véritable épisode d’enseignement où l’enseignante prend à sa charge ce que la séquence sur le plus long terme cherche à dévoluer aux élèves. Ainsi, la séquence d’enseignement, par le jeu sur les variables didactiques, est organisée pour que la

                                                                                                               23 En fait, il s’agit d’un message où l’ordinal prend le dessus sur le cardinal.

131

conduite s’estompe pour laisser place à une écriture plus économique qui repose sur le cardinal de la collection. En effet, dans le scénario suivant, la taille du bon de commande est réduite de manière à favoriser l’écriture du nombre et l’abandon des dessins ou de l’écriture de la suite des nombres.

CONCLUSION Dans l’analyse des différents épisodes, on peut relever certaines spécificités attribuées par les stagiaire/enseignantes aux interactions didactiques avec des élèves du préscolaire qui caractérisent ces savoir-faire. C’est le cas, notamment, de l’importance accordée aux consignes courtes, au langage corporel, à la référence à un contexte familier, à l’importance de favoriser la réussite des élèves, à l’emploi de matériel manipulable, etc. Ces spécificités peuvent se présenter en conflit avec les indications données aux enseignantes pour l’animation des situations. Les modifications que les enseignantes apportent à ces indications peuvent altérer la tâche et donc la dévolution de la tâche aux élèves. Cependant, comme il a été démontré précédemment, ces modifications ne disqualifient pas nécessairement les processus de dévolution, et donc la situation adidactique, ainsi que le processus d’institutionnalisation. C’est, depuis une perspective qui cherche à reconnaître ces savoirs d’expérience, que nous avons tenté de cerner en quoi les interventions des enseignantes sont des formes d’adaptation aux contraintes de la situation d’enseignement. Un certain savoir didactique est nécessaire pour rendre possible l’incorporation des manières de piloter une situation didactique sur la base des principes didactiques sur lesquels elle se fonde. Ce savoir didactique ne peut s’acquérir en quelques heures de formation. De plus, il ne peut se substituer aux pratiques que les enseignants ont développées et incorporées du fait même du champ d’efficacité sur lesquelles elles reposent.

BIBLIOGRAPHIE ARTIGUE, M. (1990). « Ingénierie didactique », Recherches en didactique des mathématiques, vol 9, n° 3, p. 281-308.

BROUSSEAU, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble: Éditions La pensée Sauvage.

CAPUANO, F., POULIN, F., VITARO, F., VERLAAN, P., BRODEUR, M. & GIROUX, J. (2010). La prévention des problèmes de comportement en début de scolarisation : Un essai randomisé avec allocation en fonction du nombre de stratégies de prévention et de leur durée. Rapport de recherche déposé aux Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), 115 p.

GAIRIN-CALVO, S. (1988). Problèmes didactiques liés à la construction du nombre. Actes du Séminaire IDEN. Publication interne.

GIROUX, J. & STE-MARIE, A. (2004). Projet Fluppy – Volet mathématique, Partie I : Activités numériques; Partie II : Structuration de l’espace. Document inédit pour la formation des enseignants et des stagiaires au volet mathématique du programme Fluppy, 116 p.

POULIN, F., CAPUANO, F., VITARO, F., VERLAAN, P., BRODEUR, M., ET GIROUX, J. (2013). Large-scale dissemination of an evidence-based prevention program for at-risk kindergartners : Lessons learned from an effectiveness trial of the Fluppy Program. In M. Boivin et K.L. Bierman (Eds.), Promoting School Readiness and Early Learning : The Implications of Develomental Research for Practice and Policy (p.304-328.) Guilford Press.

132

TREMBLAY, R.E., KURTZ, L., MÂSSE, L.C., VITARO, F., & PIHL, R.O. (1995). « A Bimodal Preventive Intervention for Disruptive Kindergarten Boys: Its Impact Through Mid-adolescence ». Journal of Consulting and Clinical Psyclology, vol 63, p. 560-568.

STE-MARIE, A. (2013). Analyse didactique du volet numérique du programme Fluppy au préscolaire. Thèse de doctorat. Université de Montréal, Montréal.