Les multiples visages de l’actualité politique et diplomatique iranienne en 2014 vus par le...
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Blaise LEFEBVRE Novembre 2014 Master Méditerranée-‐Moyen-‐Orient Sciences-‐Po Grenoble
L’Iran en 2014, un pays à fort potentiel en passe de se réconcilier avec son ennemi n°1 mais refusant de se reformer en interne:
Les multiples visages de l’actualité politique et diplomatique iranienne vus par le prisme … du volleyball
Source photo : Sportivissimo.me, « Telefono Rosa: "L'Iran liberi subito Ghoncheh Ghavami" », 10 Novembre 2014, http://sportivissimo.me/news/volley/telefono-‐rosa-‐iran-‐liberi-‐subito-‐ghoncheh-‐ghavami_535538
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En cette fin d’année 2014, le volleyball fait les gros titres des articles consacrés à l’Iran dans les médias internationaux. La raison: la condamnation1 à un an de prison ferme2 d’une étudiante irano-‐britannique âgée de 25 ans, Ghoncheh Ghavami. Si officiellement, la raison invoquée de sa détention (« propagande contre le régime ») n’a pas directement à voir avec le volley-‐ball, on le verra pourtant, son incarcération, qui a commencé depuis la fin du mois de Juin, trouve son origine dans la présence de cette étudiante dans les coursives de l’Azadi Indoor Stadium, en marge d’un match de Ligue Mondiale (compétition internationale masculine), Iran-‐Italie; la présence des femmes dans les compétitions masculines de sport indoor étant devenue problématique depuis quelques semaines . C’est ce qui explique la mobilisation internationale du monde du volley, notamment les volleyeuses et volleyeurs italiens de Serie A3 (cf. photo), pour la libération de Ghoncheh Ghavami. Du fait de l’ampleur de la sanction et de la médiatisation4, cette condamnation peut être considérée non plus comme un fait de politique intérieure, mais désormais comme un évènement diplomatique préjudiciable à Téhéran, comme en témoigne certaines réactions et décisions suite à la détention puis la condamnation de Ghoncheh Ghavami. Avant de revenir sur les causes et conséquences de cette « affaire », il nous a paru intéressant dans cet article de mettre en perspective ce dernier développement avec d’autres faits notables antérieurs de l’année afin de rappeler que le volleyball iranien n’en est pas à son premier « coup d’éclat » en 2014. En Iran, le volleyball n’a pourtant jamais été considéré comme le sport majeur en Iran. Ce sont la lutte d’un coté et le football de l’autre qui font historiquement la une des journaux locaux. Malgré cela, bien qu’il y ait eu une actualité forte de la lutte5 et du foot6 iranien en 2014, le volleyball s’est pourtant distingué. Mais, plus que de simplement se distinguer, nous avons considéré ici que l’utilisation de la « focale du volleyball » pour évoquer et comprendre les dynamiques de la diplomatie iranienne7 se révélait plutôt opérante. C’est ce que nous allons essayer de montrer dans cet article ; l’idée étant de montrer que l’on retrouve en Iran, à la fois dans l’actualité diplomatique et celle du volley, le triptyque : espoir, grandeur et « décadences »8.
1 Annoncée comme telle par l’avocat de Ghoncheh Ghavami mais non confirmée par la justice iranienne. 2 C’est en tout cas la version donnée par l’avocat de Ghoncheh Ghavami. 3 Gazzetta.it (La Gazzetta dello Sport), « Volley, il caso Ghavami scuote il mondo della pallavolo: ripercussioni sull’Iran », 9 Novembre 2014, http://www.gazzetta.it/Volley/09-‐11-‐2014/volley-‐caso-‐ghavami-‐scuote-‐mondo-‐pallavolo-‐ripercussioni-‐sull-‐iran-‐90984012042.shtml 4 On ne doit pas négliger la double nationalité de l’étudiante, qui explique le très fort activisme de la presse britannique et par extension de la presse « occidentale ». 5 Comme déjà à de nombreuses reprises dans le passé récent, la fédération iranienne à invité les Etats Unis à la Takhti Cup, compétition annuelle rassemblant les plus grosses nations de la lutte au niveau mondial. 6 L’Iran a participé à la Coupe de monde de la FIFA au Brésil en Juin dernier, offrant une performance remarquée (défaite 1-‐0 avec un but à la 91ème minute) contre l’Argentine de Léo Messi, future finaliste de la compétition. 7 A un « détail » prêt, la gestion iranienne de l’émergence de l’Etat Islamique. 8 Le terme d’ « inertie sociale » semble surement plus juste ; le terme de « décadences » ayant été d’abord choisi pour s’opposer au terme de « grandeur » et ainsi reprendre l’expression usuel et antithétique : « grandeur et décadence ». On verra par la suite que l’usage de décadence dans le cas iranien peut malgré tout se justifier.
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* * * 1) Des relations américano-‐iraniennes renouvelées ; illustrés par la collaboration entre les fédérations américaines et iraniennes de volleyball
Le 24 Novembre 2013, l’Iran, nouvellement dirigée par ledit réformiste Hassan Rohani, et les pays du groupe « 5+1 »9 s’entendaient sur un accord transitoire visant à résoudre la question du nucléaire sur le sol iranien. C’est cette question du nucléaire qui depuis plus d’une décennie (notamment depuis 2003 et la découverte d’un programme nucléaire iranien « clandestin10 ») a très fortement isolé l’Iran du reste du monde ; isolement qui pourtant préexistait du fait de la mise en place de la République Islamique en 1979. Cet accord, sans précèdent depuis le début de la crise nucléaire, devait malgré tout être confirmé dans un délai de 6 mois (reconductible une fois) par un accord définitif. Même si il n’a pas été possible de trouver un accord avant le 24 Novembre 2014, il est certain que l’année 2014 a pu générer des espoirs d’une résolution d’un « conflit », qui d’un coté cause de larges difficultés économiques internes et de l’autre, limite l’accès international à un « marché » pourtant considérable. Or, pour concrétiser ces espoirs, il s’agissait d’abord de réconcilier l’Iran avec son principal «ennemi » (avec l’Arabie Saoudite et l’Israël) : les Etats Unis ; les deux n’entretenant plus aucune relation diplomatique depuis plus de 35 ans et l’arrivée au pouvoir de Khomeiny en 1979 et précisément la prise d’otages de l’ambassade des Etats Unis à Téhéran. Il faut donc bien comprendre qu’aujourd’hui, résoudre le conflit du nucléaire iranien signifie principalement résoudre le conflit diplomatique entre Iran et Etats Unis ; et inversement. Ainsi, depuis l’arrivée au pouvoir d’Hassan Rohani, on a pu constater des convergences croissantes entre Iran et USA. La presse internationale a donc souligné la conversation téléphonique historique entre Rohani et Obama en Septembre 2013, puis l’accord transitoire déjà cité ou encore le travail régulier des négociateurs du groupe 5+1 avec l’Iran. Malgré tout, ces avancées restent encore modestes : alors qu’en Septembre 2013, certains avaient déjà anticipé une poignée de main entre Obama et Rohani au moment d’une réunion à l’ONU ; les deux parties avaient considéré que ce n’était pas encore le moment11. Aujourd’hui encore, cette « considération » n’a pas changé. Mais en dehors des arcanes traditionnels de la diplomatie, on a pu voir des rapprochements plus tangibles. Plusieurs exemples sont à notre disposition ; qu’ils soient sportifs ou non. Mais c’est celui de la récente collaboration entre les fédérations américaine et iranienne de volley-‐ball que nous avons décidé d’approfondir. Pour rappel, cette collaboration a pris la forme d’une invitation de l’équipe iranienne masculine de volleyball à se rendre en Aout 2014 sur le sol américain pour parfaire sa 9 Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU – Etats-‐Unis, France, Grande-‐Bretagne, Russie, Chine – plus l'Allemagne. 10 C’est-‐à-‐dire non soumises à l’autorité internationale régulatrice du nucléaire, l’AIEA 11 Les négociateurs de chaque deux pays ont des intérêts bien différents dans ces négociations ; mais il au moins un obstacle commun : les milieux conservateurs opposés à toute accord, avec d’un coté les néo-‐conservateurs et de l’autres les ultrareligieux.
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préparation des Championnats du Monde (qui se sont déroulés en Septembre en Pologne) et qui avait comme point d’orgue l’organisation de plusieurs matches amicaux entre Iran et Etats-‐Unis. Précisément, la fédération américaine de volleyball a mis en place la « USA Volley Cup», « compétition » amicale prenant la forme de 4 rencontres entre les deux équipes nationales. Le lieu n’avait pas été choisi au hasard puisque les matchs se sont déroulés dans 4 villes de Californie où la diaspora iranienne est très importante. Al-‐Monitor 12 nous rappelle que Los Angeles est parfois appelé « Tehrangeles » du fait de cette forte présence iranienne à Los Angeles. Certes, cet échange entre volleyeurs américains et iraniens s’inscrit dans des relations sportives irano-‐américaines finalement assez développées depuis 1998 ; en tout cas plus que dans tout autre domaine. Mais cette collaboration récente entre fédérations de volleyball semble refléter une nouvelle tendance : la prise en main par le Département d’Etat américain des relations sportives entre Iran et Etats-‐Unis, preuve de convergences plus importantes entre les deux pays. Aucun article ne semble vouloir insister sur cette montée en puissance du département d’Etat ; les auteurs préférant simplement associer les initiatives sportives américano-‐iraniennes établies depuis 1998 pour ainsi insister sur le caractère spécifique du sport dans la relation USA-‐Iran ; initiatives qui malgré des relations diplomatiques inexistantes, ont permis d’assurer un minimum d’échanges entre les deux pays. Il est vrai que, toute collaboration sportive entre deux acteurs de pays différents impose que les autorités politiques avalisent celle-‐ci ; ne serait-‐ce que pour des questions de visa. Mais il faut faire la différence entre un soutien tacite et un soutien actif. Prenons l’exemple de la lutte : Ladite « diplomatie de la lutte » développée à partir de 1998 est un terme surement à nuancer dès ses premières heures: si Khatami a voulu utiliser très clairement la lutte comme un moyen de rapprochement au début de son premier mandat, du coté américain les autorités officielles montraient une réelle indifférence lors de la première venue de lutteurs américains sur le sol iranien en Février 1998; le Département d’Etat déclarant simplement : « no objection», dans une posture que Daniel Pearl qualifia de « passive response »13. Et au fil des années, malgré le retrait de Khatami des affaires sportives, les deux fédérations ont renforcé leur rapprochement, développant ainsi un partenariat sportif et non politique, faisant du terme « diplomatie du sport » un terme galvaudé. Ainsi, comme on a pu l’observer à plusieurs reprises dans les rencontres américano-‐iraniennes dans ce sport, c’est le calendrier sportif qui a imposé ces échanges et non pas l’agenda diplomatique. Dernier exemple en date : l’association en mai 2013 des fédérations de lutte américaine, iranienne et même russe afin de promouvoir ce sport qui voyait son statut de sport olympique remis en cause par le CIO ; association historique14 dans un contexte diplomatique pas forcément propice à ce genre de « partenariat ». Au delà du réel particularisme de la lutte, il faut bien noter que depuis 1998, du coté américain 15 , le Bureau de l’Education et des Affaires Culturelles, émanant du 12 Al-‐Monitor.com, « Iran, US try volleyball diplomacy », 14 Aout 2014, http://www.al-‐monitor.com/pulse/fr/originals/2014/08/iran-‐volleyball-‐team-‐united-‐states-‐sports-‐diplomacy.html 13 PEARL Daniel, « Iran Hopes to Use Wrestling To Warm Relations With U.S. », 1er Décembre 1998. 14 NYtimes.com, « Three Foes Unite to Keep Wrestling in Olympics », 14 Mai 2013, http://www.nytimes.com/2013/05/15/world/us-‐iran-‐and-‐russia-‐unite-‐to-‐save-‐olympic-‐wrestling.html?_r=0 15 Il nous a été impossible d’étudier l’évolution de la diplomatie iranienne dans le domaine sportif comme nous avons pu le faire du coté américain.
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Département d’Etat américain s’est montré plus enthousiaste et a été à l’origine de quelques initiatives sportives entre américains et iraniens ; accueillant à plusieurs occasions des iraniens sur son sol ou envoyant certains américains en Iran. Mais les échanges sportifs étaient de même nature que les autres initiatives d’échanges culturels (art, littérature etc.) développés par l’administration américaine. Des initiatives qui restaient finalement assez confidentielles. Des initiatives plus tournées vers la diaspora iranienne que réellement tournées vers le grand public. Il n’y avait donc pas une volonté d’utiliser le potentiel médiatique du sport. Et puis il est important de voir qu’à plusieurs reprises, ces initiatives sportives ont dû faire face à des obstacles politiques/diplomatiques ; soit du coté iranien16, soit du coté américain17. Enfin notons que ces initiatives concernaient des sports secondaires comme le badminton ou le ping-‐pong. A une exception près peut être : la venue de l’équipe nationale de basket masculine d’Iran aux Etats Unis en Juillet 2008 ; date à laquelle les USA avaient choisi par ailleurs de faire avancer les négociations avec leur ennemi iranien. Précisément, le 19 Juillet 2008, l’Iran affrontait sa première équipe NBA sur le sol américain18 grâce notamment au travail du Département d’Etat ; et dans le même temps, ce dernier envoyait pour la première fois un représentant (William Bern, n°3 de ce Secrétariat d’Etat) dans le cadre des négociations « 5+1 »19. Coïncidence ou corrélation ; il n’en reste pas moins que ce type d’initiatives sportives ne connaitra pas de « lendemain » après que les tentatives de rapprochements diplomatiques en 2008-‐2009 se soient soldées par des échecs. Encore plus qu’en 2008 et ces échanges sur les parquets de basket, l’initiative de Juin dernier montre d’un coté, un engagement fort du Département d’Etat américain et du coté de la diplomatie iranienne, un soutien tacite. On n’hésite plus à dire que le Département d’Etat est directement à l’origine de l’initiative. Al-‐Monitor parla même de réel « complément aux négociations sur l’accord nucléaire »20. Alors que dans les initiatives passées, c’étaient les responsables des fédérations que l’on pouvait entendre, dans notre cas d’étude, on a pu voir des membres du Département d’Etat s’exprimer à ce sujet : par exemple le chef de la diplomatie publique au sein du bureau des affaires iraniennes sur Voice of America21. De plus, un article a été publié sur le blog officielle du Département d’Etat22 (Dipnote). Enfin, les matchs étaient diffusés en direct sur Voice of America ; tout cela ne s’étant pas vu lors des initiatives précédentes. Ainsi, contrairement aux initiatives passées du département d’Etat, on pouvait voir dans cette
16 Slate.fr, « Pas de visa iranien pour le badminton US », 9 Février 2009, http://www.slate.fr/story/pas-‐de-‐visa-‐iranien-‐pour-‐le-‐badminton-‐us 17 VoAnews.com, « Iranian Wrestlers Abruptly Leave US Early », 17 Mai 2013, http://www.voanews.com/content/iranian-‐wrestlers-‐unexpectedly-‐leave-‐us-‐early/1663207.html 18 NBA.com, « Iranian Olympic Team Invited to Rocky Mountain Revue », 15 Juillet 2008, http://www.nba.com/news/iran_080715.html 19 Nouvelobs.com, « Les Etats-‐Unis changent d'approche avec l'Iran », 18 Juillet 2008, http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20080718.OBS3469/les-‐etats-‐unis-‐changent-‐d-‐approche-‐avec-‐l-‐iran.html 20 Al-‐Monitor.com, « Iran, US try volleyball diplomacy », 14 Aout 2014, http://www.al-‐monitor.com/pulse/fr/originals/2014/08/iran-‐volleyball-‐team-‐united-‐states-‐sports-‐diplomacy.html 21 USCpublicdiplomacy.org (University of South California), « U.S. Sports Diplomacy with Iran: USA Volleyball Cup », 3 Septembre 2014, http://uscpublicdiplomacy.org/story/us-‐sports-‐diplomacy-‐iran-‐usa-‐volleyball-‐cup 22 Blogs.state.gov (Dipnote), « Volleyball Diplomacy Strengthens U.S.-‐Iranian Relations », 11 Aout 2014, https://blogs.state.gov/stories/2014/08/11/volleyball-‐diplomacy-‐strengthens-‐us-‐iranian-‐relations
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rencontre irano-‐américaine de volleyball une façon de mettre en scène le « réchauffement » des relations entre les deux pays par le truchement d’un sport médiatique, le volleyball. Le département d’Etat voulait faire passer un message internationalement relayé ; d’autant plus que dans les semaines qui suivaient ce stage, les deux équipes allaient se rencontrer dans un match officiel, aux Championnats du Monde, permettant aux médias internationaux d’évoquer à cette occasion l’initiation d’une diplomatie du volleyball. Le Département d’Etat avait vu juste : L’Equipe, dans son édition du Jeudi 4 Septembre23, proposait un article « Avec les Etats Unis, la diplomatie du volley ». L’exemple de l’échange entre équipe de volleyball est donc d’autant plus intéressant qu’il met en évidence l’engagement nouveau de la diplomatie américaine dans ses échanges sportifs avec l’Iran. C’est donc un symbole tout trouvé pour illustrer le retour d’échanges « diplomatiques »24 plus importants entre Iran et Etats Unis depuis quelques mois. 2) L’Iran en 2014, un pays qui rayonne de nouveau et attire l’attention ; illustré par la 6ème place mondiale de l’équipe iranienne masculine de volleyball
Comme on l’a dit, le stage de l’équipe iranienne de volleyball n’avait pas qu’un but purement diplomatique. L’objectif premier, au moins pour les joueurs, étaient de préparer les Championnats du Monde prévus, quelques semaines plus tard en Pologne. Or, Dans cette compétition, l’Iran a joué les « troubles fêtes » en ne perdant que 2 matches lors des 2 premiers tours ; en réussissant à s’imposer face à l’Italie et les Etats Unis, deux équipes, qui avec le Brésil, sont solidement installées tout en haut de la hiérarchie mondiale du volleyball. L’équipe d’Iran réussit l’exploit d’intégrer le troisième et dernier tour de ces Championnats du Monde. On peut donc considérer que l’Iran est la 6ème « puissance » mondiale dans le microcosme du volleyball, devançant ainsi les Etats Unis, seulement 7ème de ces derniers Championnats du Monde. Cette 6ème place doit être associée aux résultats de l’Iran dans l’autre grande compétition internationale, la Ligue Mondiale. Dans cette compétition annuelle, qui de par son format, n’a pas d’équivalent dans les autres sports collectifs25, l’Iran a réussi à atteindre le « dernier-‐ carré », échouant à la 4ème place. Alors bien-‐sûr, ces résultats en 2014 ont peut être moins surpris les plus grands connaisseurs du volleyball mondial ; l’Iran dominant les compétitions continentales 23 Article paru dans le quotidien mais dans disponible sur le site internet LEquipe.fr. 24 L’Iran et les Etats Unis n’ont toujours pas officiellement de liens diplomatiques. Pour autant, dans le cadre multilatéral des négociations entre Iran et le groupe « 5+1 », des émissaires représentants Iran et Etats Unis discutent ensemble. 25 On peut considérer la Ligue Mondiale comme une sorte de compétition hybride, entre les Championnats du Monde et le tournoi amical où les équipes sont invités par la Fédération Internationale (pas de qualifications comme pour les Championnats du Monde). Cette compétition permet aux meilleurs équipes de se rencontraient en dehors des grands championnats (par exemple, les Championnats du Monde n’ont lieu que tous les 4 ans) ; mais dans un contexte avec un minimum de compétition et d’enjeu ; l’enjeu étant peut être plus financier (une exposition certaine pour le volley mondiale chaque année et une prime au gagnant plus élevé qu’aux Championnats du Monde) que véritablement sportif.
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depuis 2011 et montant en puissance depuis quelques années sur la scène mondiale. Il n’empêche que les progrès sont significatifs : aux Championnats du Monde, de la 19ème (2010) à la 6ème place ; en Ligue Mondiale, de la 9ème (2013) à la 4ème. On pourrait aussi dire que l’Iran réussit de meilleurs résultats dans des sports comme l’Haltérophilie ou la Lutte, et cela depuis plusieurs décennies. Mais justement, ce que l’on veut tenter de mettre en lumière par le truchement de ces résultats de l’équipe de volleyball iranienne, c’est la capacité de l’Iran à s’imposer dans des sports où historiquement, l’Iran ne s’était pas forcément montré à son avantage dans les compétitions internationales. L’idée n’est pas d’établir une causalité directe entre les bons résultats de l’équipe de volley et le retour de l’Iran dans les affaires mondiales envisagé pendant toute cette année 2014. Cela serait faux. Simplement, on peut se « servir » de ceux-‐ci comme d’une métaphore de l’attraction nouvelle de l’Iran depuis quelques mois pour les acteurs politiques et économiques du reste du monde. En effet, aux Championnats du Monde, après la victoire de la Pologne à domicile, c’est l’émergence de l’Iran qui a marqué l’attention. D’ailleurs, dans l’un de ses articles26 de Septembre dernier, consacrés à l’équipe d’Iran, décrit sous le terme flatteur de « fenomeno asiatico », la Gazzetta dello Sport » disait à son sujet : « Ecco la nuova frontiera del volley »27. Or, symboliquement, si le monde du volley a définitivement ouvert ses « frontières » à l’Iran, le « monde » de façon globale, en particulier occidental, semble aussi décider à le faire ; au moins pour partie. Il est temps de rappeler ici, comme le mettait en évidence Jean Paul Burdy dès Avril dernier, que les grandes puissances occidentales depuis la décision du 24 novembre 2013, ouvrant la possibilité à un retour de l’Iran sur la scène mondiale, sont engagées dans « un violent bras de fer économique » en Iran. En effet, les années d’isolement ont fait prendre à l’Iran un retard certain en terme d’infrastructures (besoin de renouvellement et de « mise à la page »). Le marché qui s’ouvre est gigantesque ; surtout que comme l’illustre sa 6ème place mondiale en volley, l’Iran est, malgré son isolement, une puissance au potentiel non négligeable. D’ailleurs, les résultats sportifs sont utiles pour « remettre chacun à sa place » et se rappeler, que face à ses voisins « médiatiques », l’Iran est une puissance d’un autre calibre (cf. démographie et système de formation). On est toujours à la recherche du Qatar, des E.A.U et de l’Arabie Saoudite dans le monde sportif (et non pas dans l’évènementiel ou le financement sportif)… Si les Championnats du Monde de volley ont permis de montrer l’Iran sous son meilleur profil, c’est aussi durant cette compétition que la presse, d’abord britannique, a révélé l’affaire « Ghoncheh Ghavami ».
3) L’inertie sociale, préjudiciable pour l’image internationale de l’Iran ; illustrée par l’affaire « Ghoncheh Ghavami »
En effet, comme on l’a vu précédemment, depuis fin septembre, un nombre important d’articles revient sur cette affaire ; venant ainsi mettre un coup de balai à tout ce qui avait incarné de manière positive le volley iranien en cette année 2014. Le volley n’incarne plus les espoirs, ni la grandeur de l’Iran, mais illustre désormais quasi-‐ 26 Gazzetta.it, « Volley: l’Iran, semifinali, dollari e famiglie », 17 Septembre 2014, http://www.gazzetta.it/Volley/17-‐09-‐2014/volley-‐l-‐iran-‐semifinali-‐dollari-‐famiglie-‐mondiale-‐kovac-‐velasco-‐90477466110.shtml 27 « Voilà la nouvelle frontière du volley »
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exclusivement un travers invariant de la société iranienne, le statut de la femme. D’ailleurs, plus on avance dans les semaines, et moins on rappelle que le volley avait été jusqu’à cette affaire, le témoin de perspectives rassurantes quand au futur de l’Iran. Avant de voir en quoi cette affaire induit des conséquences diplomatiques pour l’Iran, rappelons les tenants de cette affaire. Comme on l’a vu, Ghoncheh Ghavami a d’abord été arrêtée une première fois par la police en marge du match de volley masculin Iran-‐Italie le 20 Juin alors qu’elle protestait contre l’interdiction faite aux femmes d’assister aux rencontres sportives masculines. Relâchée après plusieurs heures d’interrogatoires, l’étudiante irano-‐britannique fut ré-‐arrêtée quelques jours plus tard alors qu’elle se rendait au commissariat pour venir récupérer des affaires confisquées par la police lors de sa première arrestation. Depuis cette date et jusqu’au 24 novembre 2014, Ghoncheh Ghavami a été emprisonné en « détention provisoire », la sanction d’un an pour « propagande contre le régime » annoncée par l’avocat de l’étudiante irano-‐britannique ayant été réfutée par le bureau du procureur en charge de l’affaire. En effet, selon ce dernier, l’emprisonnement de Ghoncheh Ghavami n’avait « rien à voir avec le volleyball »28 ; son emprisonnement étant lié aux relations que la jeune femme avait avec des mouvements de séditions, la justice ayant découvert dans son téléphone qu’elle avait des contacts de personnes associées à la « sédition actuelle ». Ces rappels faits, il faut bien noter que ces déclarations ne suffisent en rien pour comprendre cette affaire. Les médias occidentaux semblent vouloir faire du cas Ghoncheh Ghavami un symbole de la lutte des femmes iraniennes pour l’accès aux enceintes sportives. Cela semble en effet servir la « cause ». Malgré tout, on oublie que le traitement infligé à Ghoncheh Ghavami n’a rien de commun pour ce genre d’affaire judiciaro-‐sportive. En effet, régulièrement, des femmes tentent d’entrer dans diverses enceintes sportives. Dans certains cas historiques, elles ont réussi à rentrer (par exemple en 1998 et 2006 durant la Coupe de Monde de Football). Mais la plupart du temps, elles sont arrêtées quelques heures mais relâchées rapidement dans la mesure où comme il semble très important de le rappeler, il n’y a ni loi ni fatwa2930 qui interdit la présence des femmes dans les enceintes sportives pour des épreuves masculines31.
28 Telegraph.co.uk, « Ghoncheh Ghavami's imprisonment 'nothing to do with volleyball' », 18 Novembre 2014, http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/iran/11238135/Ghoncheh-‐Ghavamis-‐imprisonment-‐nothing-‐to-‐do-‐with-‐volleyball.html 29 BROMBERGER Christian, « A third half for Iranian football », in Le Monde Diplomatique (English Edition), Avril 1998, en ligne : http://mondediplo.com/1998/04/04iran 30 PRI.org, « Iranian women fight for the right to attend sports events in their country », 7 Juillet 2014, http://www.pri.org/stories/2014-‐07-‐07/iranian-‐women-‐fight-‐right-‐attend-‐sports-‐events-‐their-‐country 31 En effet, il s’agit juste d’une interdiction établie depuis 1979. Il faut d’ailleurs noter que pendant longtemps, cette interdiction n’a pas concerné des sports comme le volleyball ou le basketball ; les autorités conservatrices ayant estimés que face au peu de popularité de ces sports (au contraire du football ou de la lutte), l’interdiction n’avait pas de sens. En effet, le discours qui tente de justifier cette interdiction met en avant que du fait des possibles insultes et violences au sein de l’enceinte sportive, ce lieu est inapproprié à la présence de la femme. Face au succès grandissant du volleyball et du basketball, le Hesarat (agence chargée de la sécurité au sein de toutes les institutions publiques en Iran) a décidé ces derniers mois de s’attaquer aussi à ces deux sports. Comme on le voit dans le documentaire « Iran Job », décrivant le quotidien d’un basketteur américain évoluant dans un club iranien, les femmes en 2009 ont été progressivement chassées du championnat de basket masculin : historiquement installés dans une tribune réservée aux femmes, les femmes se sont vu à un moment donné refuser l’entrée. De même, en 2012, le Hesarat du ministère des Sports iranien a interdit la présence de femme pour le match de l’équipe
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Or pour comprendre l’affaire Ghoncheh Ghavami, il semble qu’il faille aller voir du coté de la dualité au sein de la société et du pouvoir iranien. En effet, cette affaire serait plus le symbole de l’actualité toujours vivace des conflits entre l’autorité gouvernementale et les autorités religieuses. Certains comme Ahmad Salamatian32, ancien ministre des affaires étrangères de l’Iran, envisage l’emprisonnement de Ghoncheh Ghavami comme une façon pour les ultra-‐conservateurs de rappeler aux réformateurs du gouvernement que la « vieille garde » est toujours là pour s’opposer aux réformes libérales du gouvernement Rohani. . Or, si on considère cette interprétation de cette affaire (interprétation que l’on ne peut vérifier), il est important de voir que cette instrumentalisation du cas de cette jeune irano-‐britannique a des conséquences réellement diplomatiques et non pas seulement internes. En effet, si cette décision est liée à des luttes d’acteurs pour des affaires internes ; certains voient dans cette décision une manière de déstabiliser le Président Rohani dans ses négociations actuelles avec les occidentaux. Pour étayer ce propos, on doit rappeler ici quelques conséquences « internationales » de cette affaire. D’abord au niveau sportif : comme nous l’avons dit en introduction, différents acteurs du monde du volleyball ont réagit face à cette actualité. Ce sont d’abord les clubs des ligues professionnelles en Italie et en France qui ont manifesté leur soutien à Ghoncheh Ghavami. Mais plus encore, la Fédération Internationale de Volley (FIVB) a pris position dans cette affaire en retirant, à l’Iran l’organisation et l’accueil du Mondial 2015 U-‐19 masculin33 afin de montrer son opposition à l’emprisonnement de la jeune femme. " Mais il faut voir que les conséquences ont bien dépassé le microcosme du sport. En effet, c’est même directement David Cameron qui en Septembre dernier, en marge de l’Assemblée Générale des Nations Unis avait évoqué le cas de la jeune irano-‐britannique à Hassan Rohani. Il avait mis en garde34 son homologue iranien en affirmant que cette détention pouvait nuire à l’image de l’Iran en Grande Bretagne alors même que les deux pays étaient à la fois engagés dans un rapprochement bilatérale (après que les relations entre les deux pays aient été rompues en 2011 suite à l’assaut de l’Ambassade britannique à Téhéran) et un rapprochement multilatérale sur la question du nucléaire et dans le cadre des négociations « 5+1 ». Il faut souligner que si la « vieille garde » a choisi (si, choix il y a eu) Ghoncheh Ghavami, ce n’est pas un hasard et le fait qu’elle soit irano-‐britannique ne semble être absolument pas anodin. Avec ce type de réaction de la part de Cameron, on peut dire que trivialement, la « vieille garde » a réussi son coup ; c’est à dire nuire à Rohani et aux négociations de l’Iran avec les pays occidentaux.
nationale de volley masculine Iran-‐Japon. Depuis les femmes n’ont plus eu accès aux rencontres de l’équipe nationale. 32 CulturesMonde (France Culture), « De la Corée du Nord à l'Antarctique: les territoires impénétrables (2/4) -‐ "Quand les frontières s'entrouvrent" », 11 Novembre 2014, http://www.franceculture.fr/emission-‐culturesmonde-‐de-‐la-‐coree-‐du-‐nord-‐a-‐l-‐antarctique-‐les-‐territoires-‐impenetrables-‐24-‐quand-‐le 33 Abc.net.au, « Iran stripped of world championship volleyball tournament after jailing female spectator », 11 Novembre 2014, http://www.abc.net.au/news/2014-‐11-‐11/international-‐volleyball-‐federation-‐bans-‐iran-‐from-‐hosting-‐games/5881072 34 LaStampa.it, « Iran, voleva vedere la partita di volley maschile: attivista condannata a un anno di carcere », 2 Novembre 2014, http://www.lastampa.it/2014/11/02/esteri/voleva-‐vedere-‐unaa-‐partita-‐di-‐volley-‐maschile-‐iran-‐la-‐giovane-‐ghoncheh-‐condannata-‐a-‐un-‐anno-‐jmpthRWfefFW3o4Bj2KKcL/pagina.html
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* * * En Conclusion, on pourrait être positif en disant que comme l’ont montré certaines initiatives sportives, l’Iran et l’occident se sont rapprochés et qu’en Juin 2015, un accord sur la résolution du nucléaire pourra être conclu. Malgré tout, après l’échec des négociations avant le 24 Novembre 2014, il semble nécessaire d’évoquer aussi le possible échec de ce rapprochement entrevu durant toute l’année 2014: au lieu d’un pas vers un accord historique et sans précédent ; au contraire, il est possible que l’on assiste à un processus qui ressemblerait à ce que l’on avait déjà vu sous l’ère Khatami : des espoirs, que le sport avait su matérialiser par des échanges sans précèdent entre lutteurs ; mais qui finalement nous avaient mené à un sévère désenchantement (à l’époque, c’est la découverte d’un programme nucléaire caché et puis l’arrivée de Mahmoud Ahmadinejad qui avait finalement mis fin à toute possibilité de rapprochement définitif).