HORRY (A.): Entre Nord et Sud. Céramiques médiévales en Lyonnais et Dauphiné

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Alban Horry ENTRE NORD ET SUD. CÉRAMIQUES MÉDIÉVALES EN LYONNAIS ET DAUPHINÉ Riassunto: Lione e la sua regione costituiscono un osservatorio privilegiato per la caratterizzazione delle eventuali influenze nella produzione delle ceramiche nell’inizio dell’Alto Medioevo. Se all’alba dell’era moderna le produzioni ceramiche si mostrano chiaramente rivolte verso il Sud e l’Italia, la prima parte del Medioevo, tra il VI e il XIV secolo, è più sovente rivolta verso il Nord, ad eccezione del periodo intorno all’anno mille dove i manufatti sono identici a quelli delle regioni circostanti. L’impact de l’arrivée d’artisans italiens et de produits méri- dionaux méditerranéens sur la constitution des vaisseliers céramiques en Lyonnais et Dauphiné au début du XVIe s., est aujourd’hui perceptible grâce aux découvertes de ces 30 dernières années. A l’inverse, pour le début du Moyen Age, on observe des influences du nord parfois marquées qui tranchent avec la fin de l’Antiquité. Désormais dirigés du nord vers le sud, les échanges renversent le sens des courants d’approvisionnements pratiqués précédemment. Aux envi- rons de l’An Mil, le répertoire s’appauvrit considérablement. Aux XIIIe-XIVe s., le vaisselier lyonnais et dauphinois est caractérisé par des vaisselles grises de cuisine, proches des formes méridionales, et des vaisselles glaçurées de table aux caractères franchement septentrionaux. Apparaît enfin, vers la fin du Moyen Age, l’utilisation d’une nouvelle technique, l’engobage, procédé qui, entre autres, est à l’origine de la diversification du vaisselier céramique régional, suivie de près par l’apparition de faïences lyonnaises. 1. AU HAUT MOYEN AGE? DES FLUX COMMERCIAUX INVERSÉS Au début du haut Moyen Age, la présence de quelques céra- miques d’importation atteste que la région lyonnaise n’est pas encore totalement isolée (AYALA 1998). De rares découvertes datées du VIIe s., peuvent être signalées à Lyon,. Il s’agit de quelques fragments d’amphores africaines (AYALA et al. 2003) ou de sigillée Claire D. Ce sont donc, à ce jour, les rares té- moins d’un lien commercial avec le sud, pâle reflet des riches approvisionnements méditerranéens que la région a connu entre les III e s. et V e s. Les vaisselles communes en Lyonnais et Dauphiné à partir du VIe s., sont presque identiques de celles de Bourgogne, Jura ou Suisse occidentale. Des études récentes ont démontré qu’une part est importée depuis les ate- liers bourguignons du secteur de Sevrey dans le Val-de-Saône (DELOR-AHU 2005) qui ont diffusé jusque dans les Alpes et les régions méridionales (MANI 2004). Un phénomène de commercialisation de masse sur une longue distance de la vaisselle de terre a pu être ainsi mis en évidence et atteste d’un approvisionnement qui se fait désormais au nord. Ces productions regroupées sous la dénomination “Service bistre” (fig. 1) s’illustrent au sein d’un répertoire fonctionnel destiné à la cuisson, la préparation ou la consommation. Les pots à cuire sont très proches formes de l’Antiquité tardive, en par- ticulier ceux en pâte rouge du Ve s. en Lyonnais. Ce vaisselier de transition est analysé dans la synthèse réalisée en 2001 entre Bresse, Lyonnais et Dauphiné (FAURE-BOUCHARLAT 2001: 67). Il est encore largement empreint des caractères de l’Antiquité tardive dans le répertoire des formes et dans les techniques de fabrication avec une majorité de vaisselles élaborées en pâte rouge. Au début du VIIe s. d’autres produits apparaissent, amorçant les changements de la fin du haut Moyen Age. Le “Service bis- tre” est peu à peu remplacé, et ce définitivement au début de la période carolingienne, par des produits exclusivement réali- sées en pâte grise et dont l’origine, un peu moins lointaine est peut-être à rechercher dans le Val-de-Saône, dans le Beaujolais près de Lyon. Les études réalisées sur les contextes régionaux attestent d’un appauvrissement significatif du catalogue des formes dès la fin du VIIe siècle. C’est le pot globulaire ou ovoïde à lèvre en bandeau en pâte grise qui règne désormais et quasiment jusqu’au début du XIIIe s. Quelques formes continuent d’évoquer des influences notables des régions septentrionales comme les pots biconiques qui appartiennent à l’aire burgonde et qui rappellent également les céramiques du Nord Est de la France (FAURE-BOUCHARLAT 2001: 232 et 261). On ne compte désormais plus que quelques rares formes ouvertes, grands gobelets en pâte grise apparus au VIe siècle et attestés jusqu’au Xe s. Ces récipients sont sans doute inspirés des pots alpins en pierre ollaire, dans le profil général et les décors peignés. Ce vaisselier “simplifié” qui est surtout perceptible à partir de la fin de la période carolingienne va perdurer pendant près de trois siècles. 2. AUX ENVIRONS DE L’AN MIL…LES SIÈCLES GRIS Un peu avant l’An Mil, le répertoire des vaisselles est des plus restreints, en s’inscrivant dans un phénomène du “tout gris” que l’on perçoit également dans les régions limitrophes d’un large sillon Saône-Rhône. Le faciès céramique du Dauphiné et du Lyonnais compte néanmoins quelques particularités assez marquées. Le pot globulaire sans anses, l’oule, règne désormais du Xe au XIIe s. et ce en compagnie d’autres formes emblé- matiques de cette période comme les cruches à bec ponté. Parfois très ponctuellement, certains sites livrent d’autres récipients, cruches à bec pincé, gourdes, grands gobelets et grandes cruches de stockage à bec tubulaire. Un des caractères régional les plus singuliers au Moyen Age central est le fond marqué. Ce procédé est un bon argument de datation des céramiques régionales. En effet, tous les sites des Xe-XIe s. livrent des récipients aux marques en relief plus ou moins complexes. Les différentes études définissent les limites géographiques de ce procédé (FAURE-BOUCHARLAT 2001). Il s’agit du nord de la région Rhône-Alpes, dans l’Ain, la Savoie, le Rhône, l’Isère et dans le nord de la Drôme. Les fouilles du TGV Méditerranée précisé les marges méridionales de diffusion de ce procédé (HORRY 2006: 402-403) qui ne dépassent pas au sud la vallée de la Drôme. En revanche, l’in- terprétation des marques reste source d’interrogations, mar- que de potiers, marques pour identifier un destinataire… La découverte en 2008-2009 d’un atelier de potiers des environs

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Alban Horry

ENTRE NORD ET SUD. CÉRAMIQUES MÉDIÉVALES EN LYONNAIS ET DAUPHINÉ

Riassunto: Lione e la sua regione costituiscono un osservatorio privilegiato per la caratterizzazione delle eventuali influenze nella produzione delle ceramiche nell’inizio dell’Alto Medioevo. Se all’alba dell’era moderna le produzioni ceramiche si mostrano chiaramente rivolte verso il Sud e l’Italia, la prima parte del Medioevo, tra il VI e il XIV secolo, è più sovente rivolta verso il Nord, ad eccezione del periodo intorno all’anno mille dove i manufatti sono identici a quelli delle regioni circostanti.

L’impact de l’arrivée d’artisans italiens et de produits méri-dionaux méditerranéens sur la constitution des vaisseliers céramiques en Lyonnais et Dauphiné au début du XVIe s., est aujourd’hui perceptible grâce aux découvertes de ces 30 dernières années. A l’inverse, pour le début du Moyen Age, on observe des influences du nord parfois marquées qui tranchent avec la fin de l’Antiquité. Désormais dirigés du nord vers le sud, les échanges renversent le sens des courants d’approvisionnements pratiqués précédemment. Aux envi-rons de l’An Mil, le répertoire s’appauvrit considérablement. Aux XIIIe-XIVe s., le vaisselier lyonnais et dauphinois est caractérisé par des vaisselles grises de cuisine, proches des formes méridionales, et des vaisselles glaçurées de table aux caractères franchement septentrionaux. Apparaît enfin, vers la fin du Moyen Age, l’utilisation d’une nouvelle technique, l’engobage, procédé qui, entre autres, est à l’origine de la diversification du vaisselier céramique régional, suivie de près par l’apparition de faïences lyonnaises.

1. AU HAUT MOYEN AGE? DES FLUX COMMERCIAUX INVERSÉS

Au début du haut Moyen Age, la présence de quelques céra-miques d’importation atteste que la région lyonnaise n’est pas encore totalement isolée (AYALA 1998). De rares découvertes datées du VIIe s., peuvent être signalées à Lyon,. Il s’agit de quelques fragments d’amphores africaines (AYALA et al. 2003) ou de sigillée Claire D. Ce sont donc, à ce jour, les rares té-moins d’un lien commercial avec le sud, pâle reflet des riches approvisionnements méditerranéens que la région a connu entre les IIIe s. et Ve s. Les vaisselles communes en Lyonnais et Dauphiné à partir du VIe s., sont presque identiques de celles de Bourgogne, Jura ou Suisse occidentale. Des études récentes ont démontré qu’une part est importée depuis les ate-liers bourguignons du secteur de Sevrey dans le Val-de-Saône (DELOR-AHU 2005) qui ont diffusé jusque dans les Alpes et les régions méridionales (MANI 2004). Un phénomène de commercialisation de masse sur une longue distance de la vaisselle de terre a pu être ainsi mis en évidence et atteste d’un approvisionnement qui se fait désormais au nord. Ces productions regroupées sous la dénomination “Service bistre” (fig. 1) s’illustrent au sein d’un répertoire fonctionnel destiné à la cuisson, la préparation ou la consommation. Les pots à cuire sont très proches formes de l’Antiquité tardive, en par-ticulier ceux en pâte rouge du Ve s. en Lyonnais. Ce vaisselier de transition est analysé dans la synthèse réalisée en 2001 entre Bresse, Lyonnais et Dauphiné (FAURE-BOUCHARLAT 2001: 67). Il est encore largement empreint des caractères de l’Antiquité tardive dans le répertoire des formes et dans les techniques de fabrication avec une majorité de vaisselles élaborées en pâte rouge.

Au début du VIIe s. d’autres produits apparaissent, amorçant les changements de la fin du haut Moyen Age. Le “Service bis-tre” est peu à peu remplacé, et ce définitivement au début de la période carolingienne, par des produits exclusivement réali-sées en pâte grise et dont l’origine, un peu moins lointaine est peut-être à rechercher dans le Val-de-Saône, dans le Beaujolais près de Lyon. Les études réalisées sur les contextes régionaux attestent d’un appauvrissement significatif du catalogue des formes dès la fin du VIIe siècle. C’est le pot globulaire ou ovoïde à lèvre en bandeau en pâte grise qui règne désormais et quasiment jusqu’au début du XIIIe s. Quelques formes continuent d’évoquer des influences notables des régions septentrionales comme les pots biconiques qui appartiennent à l’aire burgonde et qui rappellent également les céramiques du Nord Est de la France (FAURE-BOUCHARLAT 2001: 232 et 261). On ne compte désormais plus que quelques rares formes ouvertes, grands gobelets en pâte grise apparus au VIe siècle et attestés jusqu’au Xe s. Ces récipients sont sans doute inspirés des pots alpins en pierre ollaire, dans le profil général et les décors peignés.Ce vaisselier “simplifié” qui est surtout perceptible à partir de la fin de la période carolingienne va perdurer pendant près de trois siècles.

2. AUX ENVIRONS DE L’AN MIL…LES SIÈCLES GRIS

Un peu avant l’An Mil, le répertoire des vaisselles est des plus restreints, en s’inscrivant dans un phénomène du “tout gris” que l’on perçoit également dans les régions limitrophes d’un large sillon Saône-Rhône. Le faciès céramique du Dauphiné et du Lyonnais compte néanmoins quelques particularités assez marquées. Le pot globulaire sans anses, l’oule, règne désormais du Xe au XIIe s. et ce en compagnie d’autres formes emblé-matiques de cette période comme les cruches à bec ponté. Parfois très ponctuellement, certains sites livrent d’autres récipients, cruches à bec pincé, gourdes, grands gobelets et grandes cruches de stockage à bec tubulaire.Un des caractères régional les plus singuliers au Moyen Age central est le fond marqué. Ce procédé est un bon argument de datation des céramiques régionales. En effet, tous les sites des Xe-XIe s. livrent des récipients aux marques en relief plus ou moins complexes. Les différentes études définissent les limites géographiques de ce procédé (FAURE-BOUCHARLAT 2001). Il s’agit du nord de la région Rhône-Alpes, dans l’Ain, la Savoie, le Rhône, l’Isère et dans le nord de la Drôme. Les fouilles du TGV Méditerranée précisé les marges méridionales de diffusion de ce procédé (HORRY 2006: 402-403) qui ne dépassent pas au sud la vallée de la Drôme. En revanche, l’in-terprétation des marques reste source d’interrogations, mar-que de potiers, marques pour identifier un destinataire… La découverte en 2008-2009 d’un atelier de potiers des environs

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1 Fouille archéologique placée sous la direction de M. Le Nézet-Célestin (Inrap).

fig. 1 – Céramiques du “Service Bistre”. VIe-VIIe s. Production des ateliers de Sevrey (Saône-et-Loire). © O. Simonin. Inrap.

fig. 2 – Céramiques communes grises de l’atelier de Romans. Xe-XIe s. © Inrap.

fig. 3 – Les marques de fond de l’atelier de Romans. Xe-XIe s. © Inrap.

fig. 4 – Cruche en céramique glaçurée. Début du XIe siècle. Cha-ravines (Isère). © Musée Dauphinois. Grenoble.

de l’An Mil à Romans1 (Drôme) dans le sud du Dauphiné permet d’ouvrir à nouveau le dossier “fonds marqués”. Cette fouille a livré une très riche documentation mobilière de plus de 60000 tessons (fig. 2) et offre un échantillon représentatif, technique, typologique et stylistique. Les oules, cruches à bec pincé ou ponté, sans décors, manufacturées dans l’atelier

constituent l’essentiel suivies de loin par quelques formes ouvertes. L’élément le plus remarquable de la production est la présence de marques en relief sur les fonds des récipients (fig. 3). Elles sont réalisées à l’aide de moules en bois dont les stries apparaissent nettement. Les motifs inventoriés sont différents de ceux connus à ce jour dans la région et font toute l’originalité de cette découverte comme l’illustre le modèle avec un personnage stylisé de type “orant” ou encore ce motif d’inspiration épigraphique. Enfin, l’atelier n’a pas livré de céramiques glaçurées dont la présence est attestée régulièrement ailleurs.En effet, c’est également à partir du Xe s., étape technologique à souligner, qu’apparaissent, dans la région les revêtements plombifères. Ces premières manifestations se font alors sur pâte grise avec presque toujours des glaçures très épaisses, couvrantes, de couleur verte. La rareté et le profil des vases évoquent des objets à vocation décorative. La cruche à plu-sieurs becs (fig. 4) de Charavines (Isère) en est un bel exemple (FAURE-BOUCHARLAT, MACCARI-POISSON 1993: 190). Cette timide apparition amorce ce que l’on pourra observer au bas Moyen Age sur tous les sites de la région.

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3. LES XIIIe-XVe S.: LES PRÉMICES D’UNE ÈRE NOUVELLE

Aux XIIIe-XIVe s., le vaisselier lyonnais et dauphinois entre dans une ère nouvelle. Il mêle désormais des caractères plu-tôt septentrionaux. Au milieu du XIIIe s. l’oule disparaît et achève donc une carrière entamée huit siècles plus tôt. Lui succède alors des récipients plus grands, munis d’anses, à larges fonds lenticulaires, bombés ou hémisphériques, les marmites. Le profil général de ces vases évoque celui des formes de Provence et Languedoc. Les récentes fouilles lyonnaises ont révélé néanmoins la présence au XIIIe s., de grands pots globulaires sans anses, descendants directs des oules du Moyen Age central et proches de vases plutôt de tradition septentrionale attestés en Bourgogne ou Franche Comté. Ces vaisselles de cuisine sont presque toujours en pâte grise et il faudra attendre le XIVe s. que quelques rares récipients en pâte rouge soient recouverts, avec parcimonie, de glaçure plombifère. L’origine de ces pots à cuire du bas Moyen Age est inconnue, mais des ateliers situés à une ving-taine de kilomètres au nord de Lyon dans le Val-de-Saône pourraient être envisagés.S’il est un domaine où l’on peut parler réellement de carrefour d’influences c’est celui de la vaisselle de table. Timidement apparus vers la fin du XIIe s., de petits pichets et cruches en pâte fine recouverts de glaçure plombifère parsemée vont s’installer dans le vaisselier. Dès le XIIIe s., ce dernier s’enrichit des formes élancées et fines, très caractéristiques, aux décors et motifs polychromes réalisées à l’aide de molettes et de barbo-tines (fig. 5). Certaines pièces avec leurs motifs d’écailles sont très élaborées. Elles intègrent la catégorie des vaisselles dites “très décorées” emblématiques de l’Europe du Nord Ouest et dont Lyon et sa région constituent la limite méridionale de diffusion. Les techniques décoratives que l’on observe sur ces vases en font des objets remarquables à l’instar des individus aux pastilles en relief pincées qui évoquent les verreries des contrées germaniques. Des pichets trapus, diffusés au XIVe s., sont parés de motifs anthropomorphes qui ornent la partie supérieure du récipient en associant modelage, barbotine et éléments rajoutés (fig. 6). Ces pots singuliers, découverts régulièrement à Lyon (HORRY 2002) et dans ses environs, trouvent des semblables en France septentrionale et jusqu’en Belgique et Angleterre.Si ces vaisselles font donc partie intégrante des faciès nor-diques, on note l’arrivée ponctuelle de produits issus du bassin méditerranéen, mais leur influence sur le répertoire local n’est perceptible ni au XIVe ni au début du XVe s. Les premières faïences au décor “vert et brun” et constituent de loin la majorité des vaisselles “exotiques” originaires du Lan-guedoc ou de Provence. Elles sont présentes régulièrement à Lyon (HORRY 2001: 166-167) et sa proche région (fig. 7). Les produits hispaniques sont beaucoup plus rares avec un seul un fragment de jarre “a cuerda seca” d’origine andalouse trouvé à Lyon (HORRY 2001: 138-139). Ce dernier constitue, à l’instar de quelques céramiques islamiques les éléments les plus lointains découverts dans la région en cette fin de Moyen Age. Les fouilles du Parc Saint-Georges2 à Lyon ont livré un petit récipient d’origine levantine qui rejoint celui découvert sur un autre site du Vieux-Lyon (THIRIOT 1991).En effet, le mélange des genres entre nord et sud au bas Moyen Age trouve aujourd’hui une illustration au travers des résultats fournis par la fouille en 20063 d’une officine de

2 Fouille archéologique placée sous la direction de G. Ayala (Inrap).3 Fouille archéologique, placée sous la direction d’A. Horry (Inrap).

fig. 5 – Ensemble de céramiques du XIIIe s. Région de Lyon. © Ch. Thioc. Musée Gallo-romain de Lyon.

fig. 7 – Céramiques glaçurées et faïences à décor “vert et brun”. Lyon, fouille du Parc Saint-Georges. © Inrap.

potiers à Aoste (Isère) en Dauphiné. Sur le site, deux périodes de production situées entre les XIVe et XVe s. se succèdent. La découverte de deux fours, de fosses dépotoirs et de vastes épandages de tessons de céramique témoigne de l’activité et fournit une riche documentation. Au XIVe s., l’essentiel des vaisselles est fabriqué dans une pâte rouge assez fine, parfois glaçurée sans application d’engobe. Les potiers proposent alors un catalogue bien diversifié où la vaisselle domestique (cruches, jarres, marmites) occupe une place respectable aux côtés d’autres objets, plus originaux comme les trompes d’appel ou quelques carreaux de poêle. Inédites dans la région à cette période, l’atelier a aussi livré des assiettes à petit marli. Ornées de décors incisés de type “sgraffito”, associé à la glaçure plombifère sans engobe elles évoquent assurément les régions méditerranéennes et four-nissent une originalité à la production au XIVe siècle dans ce secteur du Dauphiné.

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fig. 6 – Pichet tonnelet à décor anthropomorphe. XIVe siècle. Lyon, fouille de la rue du Président E. Herriot. © Ch. Thioc. Musée Gallo-romain de Lyon.

fig. 8 – Ensemble de carreaux de poêle. Production de l’atelier d’Aoste (Isère). XVe siècle. © Inrap.

fig. 9 – Carreau de poêle avec décor de griffon. Production de l’atelier d’Aoste (Isère). XVe siècle.© Inrap.

fig. 10 – Carreau de poêle avec décor de rosace. Production de l’atelier d’Aoste (Isère). XVe siècle.© Inrap.

Plus tard, au XVe siècle, la production des potiers, avec tou-jours des vases destinés au service ou au stockage des liquides sous la forme de grandes cruches et de jarres, se singularise par la création de carreaux décorés destinés à revêtir des poêles de chauffage en terre cuite (fig. 8). Cette dernière constitue donc de loin l’aspect le plus étonnant de cet atelier, avec des produits des plus variés et de qualité, ce qui est perceptible à la fois dans l’esthétique du répertoire iconographique choisi et dans la réalisation des carreaux. C’est un apport précieux pour observer l’installation d’un artisanat d’inspiration

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fig. 11 – Albarello en faïence. Production des ateliers lyonnais. Première moitié du XVIe siècle. © Inrap.

plutôt germanique, dont c’est d’ailleurs l’attestation la plus méridionale en France, dans ce secteur. Au total, 22 modèles différents sont définis à la fois par la morphologie générale et les décors. Tout l’éventail des carreaux destinés à constituer un poêle était manufacturé dans l’atelier: carreaux de faîtage, carreaux niches, corniches, carreaux plats et plinthes. Une gamme de riches décors avec des thèmes variés, inspirés à la fois par la religion, la littérature ou la vie quotidienne orne ces objets. D’autres carreaux mettent en scène les animaux légendaires du bestiaire fabuleux médiéval: dragon, griffon (fig. 9), lion… Une architecture gothique miniature sert presque toujours de cadre à ces scènes historiées, et l’on trouve aussi des carreaux ornés de rosaces (fig. 10). Les thèmes choisis s’inscrivent dans un répertoire de l’est de la France et en Suisse. Les carreaux de poêle fabriqués par les potiers d’Aoste témoignent peut-être d’une commande particulière, ce qui expliquerait peut-être la présence de cet artisanat ici. Des artisans rompus à la fabrication de ce type d’objets par-ticuliers et originaires d’officines septentrionales auraient pu provisoirement s’installer à Aoste et faire bénéficier les potiers locaux de leur savoir-faire.Si ces objets sont remarquables, leur élaboration permet d’effectuer des observations précieuses sur les méthodes de travail des potiers régionaux. En effet, l’utilisation de l’engobe associé à la glaçure plombifère est systématique sur ces carreaux du XVe siècle. Ils témoignent des débuts dans la région d’une technique de fabrication qui n’aura de cesse de se développer dans la région à partir de la fin du Moyen Age, comme dans le sud (AMOURIC, VALLAURI 2001), et dont l’impact sur la diversification et l’essor des céramiques régionales sera sensible.

4. XVe-XVIe S: UN AIR D’ITALIE…

Le vaisselier connaît de profonds changements dans le courant du XVe s. et surtout au début du XVIe s. (HORRY 2009) et Lyon et sa région semblent désormais résolument tournés vers le sud. En effet, les traits stylistiques et morphologiques de la vaisselle rappellent de près ceux de la Provence et de l’Italie. Faut-il accorder à l’arrivée d’une forte diaspora italienne à Lyon au XVIe s., une réelle importance dans l’évolution des vaisselles locales? Les artisans lyonnais ont sans doute dû répondre à des appels d’offres émanant de communautés diverses et l’installation des potiers originaires de Toscane dès les années 1510 (fig. 11) a suscité sans doute des “vocations” quant à la production de vaisselles aux riches décors et aux techniques novatrices diffusées en masse grâce au dévelop-pement de foires locales implantées dès le XVe s. (AMOURIC 2009). En effet, les études menées au gré des découvertes archéologiques confirment l’influence notable des majoli-ques italo-lyonnaises sur les produits engobés et ce jusque dans le répertoire des formes. Cet air d’Italie est également perceptible dans les séries de sgraffito, d’origine régionale, aux caractères bien marqués et que les découvertes de Lyon ou Chambéry4 (fig. 12) illustrent avec pertinence. Enfin, l’arrivée régulière, grâce à cet essor commercial, de produits issus de contrées plus au moins éloignées aura sans doute également sa part d’influence sur la constitution des vaisseliers. L’analyse de tous les ensembles céramiques découverts dans lé région et appartenant au début de la période moderne confirme

4 Fouille archéologique de Chambéry, site des Halles, direction S. Bocquet (Inrap).

fig. 12 – Cruche en céramique engobée et décor “sgraffito”. Chambery, fouilles du site des Halles. XVIe siècle. © Inrap.

la présence presque systématique de l’engobe sur toutes les céramiques destinées à la table en particulier. Leur repré-sentation sera toujours majoritaire par rapport aux faïences et ce pratiquement jusqu’au début du XVIIIe s. Tant d’un point de vue technologique ou stylistique, il semble désor-mais acquis que c’est vers le milieu du XVIe s. que peut être fixée “l’invention” ou la naissance de la céramique moderne (AMOURIC 1995). Cette ère correspond au début du règne de l’engobe et de l’émail comme (fig. 13) dont les XVIIe et XVIIIe s. seront les périodes les plus florissantes.

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fig. 13 – Ensemble de céramiques de la seconde moitié du XVIe siècle. Lyon, fouille de la Place des Terreaux. © Inrap.

4. CONCLUSION

Au terme de ce rapide survol de près de dix siècles, il est utile de rappeler qu’en Lyonnais et Dauphiné, le phénomène d’évo-lution progressive du vaisselier pendant la période médiévale, sans être en tout point identique, se rapproche néanmoins d’une manière générale de celui observé dans d’autres régions de France. Les innovations que constituent alors la glaçure au plomb, l’engobage, ou l’émail stannifère apparaissent à peu près au même moment dans des régions éloignées ou voisines. La paupérisation des répertoires se met en place dès la fin du haut Moyen Age et il faudra attendre le XIIIe s. pour que de nouveau les vaisselles du quotidien s’inscrivent dans la diversité grâce surtout aux apports des régions septentrionales. Un peu plus tard ce sont les innovations techniques qui vont permettre de dynamiser l’approvisionnement en objets de terre cuite manufacturés. Leur utilisation aura un impact très sensible sur les styles décoratifs et sur la morphologie des récipients. Sa situation géographique fait de Lyon et de sa région un ob-servatoire privilégié pour l’analyse d’influences qui s’avèrent franchement nordiques voire germaniques entre les VIe et XIVe s. et qui deviendront méditerranéennes à partir des XVe-XVIe s., ce qui nous permet d’affirmer que l’on se trouve ici vraiment dans un carrefour d’influences entre Nord et Sud.

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