Les céramiques communes de la fin de l'Antiquité à Xanthos: continuité ou innovation?

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LRCW 4 Late Roman Coarse Wares, Cooking Wares and Amphorae in the Mediterranean Archaeology and archaeometry The Mediterranean: a market without frontiers Edited by Natalia Poulou-Papadimitriou, Eleni Nodarou and Vassilis Kilikoglou BAR International Series 2616 (I) 2014 Volume I

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LRCW 4 Late Roman Coarse Wares,

Cooking Wares and Amphorae in the Mediterranean Archaeology and archaeometry

The Mediterranean: a market without frontiers

Edited by

Natalia Poulou-Papadimitriou, Eleni Nodarou and Vassilis Kilikoglou

BAR International Series 2616 (I)2014

Volume I

Published by

ArchaeopressPublishers of British Archaeological ReportsGordon House276 Banbury RoadOxford OX2 [email protected]

BAR S2616 (I)

LRCW 4 Late Roman Coarse Wares, Cooking Wares and Amphorae in the Mediterranean: Archaeology and archaeometry. The Mediterranean: a market without frontiers. Volume I.

© Archaeopress and the individual authors 2014

Cover illustration: Early Byzantine amphora from Pseira, Crete (photo by C. Papanikolopoulos; graphic design by K. Peppas).

ISBN 978 1 4073 1251 4 (complete set of two volumes) 978 1 4073 1249 1 (this volume) 978 1 4073 1250 7 (volume II)

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LES CÉRAMIQUES COMMUNES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ À XANTHOS:

CONTINUITÉ OU INNOVATION?

CECILE ROCHERON1, THIERRY BLANCO2

1 Post-doctorante, ANR Xanthiaca, UMR 5607 Institut Ausonius; [email protected] 2Doctorant UMR 5607 Institut Ausonius, Université de Bordeaux 3; [email protected]

Avec le soutien du CNRS de Bordeaux et de l'Institut Ausonius, Esplanade des Antilles Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 33607 Pessac Cedex France

La céramique de la fin de l’Antiquité est omniprésente à Xanthos. Si la vaisselle de table est assez bien connue, il n’en est pas de même pour les céramiques communes à pâte calcaire. En effet, l’évolution morphologique de ces dernières est encore assez mal connue pour le sud-ouest de l’Asie mineure. De plus, il semblerait qu’à cette époque, un système décoratif systématique se mette en place pour ce type de production jusqu’alors très peu ornée. La fonction de certains récipients est quelques fois difficile à définir. De petites coupes en pâte calcaire ont pu servir de pot de peinture. Des cruches à filtre produites dans la région, réalisées avec une argile kaolinitique, apparaissent à la même période. Ce sont probablement des bouilloires qui différaient des gargoulettes égyptiennes utilisées pour rafraichir l'eau. Sont-elles employées pour les préparations culinaires ou pour usage médical? Des interrogations subsistent.

KEYWORDS: CÉRAMIQUE, TYPOLOGIE, XANTHOS (TURQUIE), FIN DE L’ANTIQUITÉ, PÉRIODE PROTOBYZANTINE, PÂTE CALCAIRE, CRUCHE À FILTRE, BOUILLOIRE.

La cité de Xanthos se situe en Lycie, région du sud-ouest de la Turquie actuelle (Pl. 1, Fig. 1). Les fouilles qui y sont menées depuis une soixantaine d’années ont permis de mettre au jour un certain nombre de contextes de la fin de l’Antiquité voire du début de la période byzantine sur l’Agora supérieure ainsi que dans le secteur sud-est de la ville (Pl. 1, Fig. 2). En effet, il s’agissait d’une période faste pour Xanthos. La cité devient notamment siège épiscopal, et beaucoup de travaux sont entrepris, en particulier la construction de bâtiments privés, ainsi que quelques églises (Manière-Lévêque 2002, 235-244.).

La céramique commune à pâte calcaire de la fin de l’Antiquité à Xanthos est tout à fait originale puisqu’elle est décorée de façon quasi systématique. Alors qu’aux époques précédentes, il est plutôt rare que cette catégorie, d’utilisation fonctionnelle, soit ornée, mis à part quelques bords portant des décorations de lignes incisées, la plus grande majorité des récipients protobyzantins voient leur panse, anse et bord peints. Les motifs sont récurrents et prennent la forme de boucles ou de croisillons de couleur rouge à marron, en passant par l’orangé.

Le répertoire se compose de récipients utilisés pour la préparation, le stockage et le service (Pl. 2, Fig. 3). En ça il ne diffère pas de celui des époques hellénistique et romaine.

En ce qui concerne les formes ouvertes, les bassines constituent le groupe le plus important avec un certain nombre de types différents. Le profil général montre une panse plus ou moins inclinée et, pour la plupart, un bord horizontal. Ce dernier peut être décoré de plusieurs sillons (Pl. 2, Fig. 4 en haut). L’autre type a une panse

plus droite, une profonde cannelure au passage avec le bord qui a une forme carrée et est assez épais (Pl. 2, Fig. 4 en bas). Ces bassines servaient à la préparation des repas, probablement en remplacement des mortiers, qui sont extrêmement rares à Xanthos et, plus généralement en Asie Mineure, mais aussi à la toilette. Les petites jattes utilisées pour le service à table ou la préparation de sauces sont également bien représentées. Cependant, la plupart des types ne trouvent aucun parallèle sur d’autres sites micrasiatiques.

En revanche très peu de plats de la fin de l’Antiquité sont à noter à Xanthos. Seul un exemplaire semble être typique de cette période. Il a une panse bombée, le bord est évasé et possède un ressaut interne pouvant probablement supporter un couvercle. La lèvre est biseautée. Les mortiers sont tout aussi rares puisqu’un seul type est connu. Il a un fond plat, une panse peu inclinée ainsi qu’un bord large qui pend légèrement vers le bas. Il est bombé sur le dessus. La lèvre est de section carrée.

Le répertoire morphologique des cruches est beaucoup plus varié que pour les époques précédentes. Cependant, il est intéressant de noter que la grande majorité des types sont des exemplaires uniques. De plus, rares sont ceux qui ont des parallèles sur d’autres sites méditerranéens, ce qui parlerait pour une production locale. Deux types sont plus fréquents dans le répertoire xanthien et se retrouvent également à Patara (Korkut 2007, n°11, Abb.2, n°33, Abb.6). Le premier a un fond annulaire, une panse globulaire qui se resserre en un col étroit. Le bord est droit et se finit en une lèvre arrondie. Une anse est à noter. Le côté extérieur est décoré de cannelures et de

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boucles peintes (Pl. 3, 1). Pour le deuxième, aucun exemplaire complet n’est connu. La panse paraît plutôt droite et le col est inexistant. Selon les variantes, le bord, en bandeau, est plus ou moins épaissi à l’extérieur. Ce type possède un bec verseur (Pl. 3, 2). La même décoration que le type précédent est présente. Ces cruches servent plus probablement au service à table qu’à la conservation de liquides. Il faut également noter la présence d’une cruche à fond ombiliqué et panse globulaire (Pl. 3, 3), strictement identique à un exemplaire de Patara (Korkut 2007, 18-19).

Les autres formes fermées (pots, vases de stockage, amphorettes, Pl. 3, 4) sont très peu représentées bien qu’une partie du matériel ait été découverte lors de la fouille d’une maison datant de la fin de l’Antiquité. Ceci laisserait donc à penser que ce type de récipients ait pu être fabriqué dans un autre matériau à partir de l’époque protobyzantine (peau, osier, bois…). En ce qui concerne les gros récipients de stockage tels que les pithoï, ils montrent le même type de décoration que les autres formes et sont assez proches morphologiquement de ceux que l’on trouve dans la région, notamment à Myra (Türker 2010, 222, 216).

Bien que les décorations peintes existent ailleurs en Méditerranée (Athènes (Robinson 1959, K59, pl. 13), Ephèse (Turnovsky 2005, 636)), morphologiquement les récipients sont différents et il est donc vraisemblable de penser que cette catégorie était produite dans la région. De plus, une étude macroscopique et pétrographique1

Malheureusement, les terrains géologiques de Xanthos se retrouvent dans une vaste région géographique (sud de la région égéenne, Levant) et, à ce jour, aucune zone de production n’ayant pu être mise au jour à Xanthos ou dans ses environs immédiats, il n’est pas possible de localiser avec exactitude la zone de production. Le manque de données sur cette catégorie pour des sites proches ou micrasiatiques reste un problème pour une identification certaine. Toutefois, sur le site de Patara distant de 5km de Xanthos, des fours ont été retrouvés et il semblerait qu’ils aient fonctionné entre le 3e siècle A.D. et la période byzantine (Özüdoğru et Dökü 2007, 399-411). Ceci ainsi que les nombreux parallèles entre Patara et Xanthos inciteraient à penser que cette catégorie était produite dans les fours patariotes. Nous savons qu’à Limyra, les céramiques à pâte calcaire sont identiques en forme et en décoration avec celles de Xanthos (Yener-Marksteiner 2007, 234-235) et pourraient donc provenir de la même production.

a démontré le caractère régional de cette production. Ces analyses ont permis de montrer que dès la fin de l’Antiquité, toutes les formes de récipients étaient cuites en mode A et produites avec la même argile. Il s’agit d’une pâte calcaire de couleur rose. La surface est lisse, la cassure fine. La pâte est tendre. Cette argile marneuse est issue de la désagrégation de roches ophiolitiques et a des inclusions argileuses abondantes.

1 Étude réalisée par N. Cantin (UMR 5060, IRAMAT-CRPAA, Bordeaux).

D’autre part, il est intéressant de comparer le pourcentage de céramiques communes à pâte calcaire des US d’époques hellénistique ou romaine et celles des périodes protobyzantines. Ainsi, nous pouvons nous apercevoir que pour cette dernière période les pâtes calcaires sont prépondérantes par rapport au reste du matériel (Pellegrino 2007, 660). Le pourcentage de céramiques fines baisse de façon significative (de 50% du NTI aux époques hellénistique et romaine à 20/30%) au profit des pâtes calcaires. De fait, lorsqu’on observe le répertoire morphologique nous pouvons constater que, sous cette catégorie, sont également fabriquées des vaisselles destinées à la table telles que de petites coupes ou assiettes (Pl. 4, 1-3). La lèvre droite à extrémité arrondie ou aplatie se prolonge par une sorte de bandeau. Une carène marque le passage avec la panse légèrement convexe qui se termine par un pied annulaire ou plat. Une variante présente une paroi plus droite (Pl. 4, 4-5). Elles pourraient s’inspirer des productions phocéennes (Phocean Red Slip), forme 3, que l’on rencontre aussi à Xanthos à la même période. Nous retrouvons le décor peint en "croisillons". Surement moins onéreuses que les sigillées, elles ont pu orner les tables de nombreuses résidences de la ville.

Cette recrudescence de l’utilisation des pâtes calcaires s’observe de la même manière sur d’autres sites micrasiatiques comme Hiérapolis de même que leur abandon progressif à partir du 9e siècle A.D. (Cottica 2005, 656). Ce phénomène existe également en Gaule, mais dès la fin de l’Antiquité (Batigne-Vallet, Lemaître 2009, 254). L’épuisement des gisements argileux n’apparaît pas être la cause de cet abandon, il semblerait plutôt que ce soit pour une question économique liée au coût de production ou à la simplification du répertoire.

Des pots de peinture?

Façonnées aussi en argile calcaire, trois petites coupes à lèvre très évasée vers l’extérieur ne paraissent pas, à première vue, destinées à la préparation ou la consommation des aliments (Pl. 4, 6-8). De réalisation assez grossière, seul l’intérieur de ces coupelles est lissé. À notre connaissance, pour le sud-ouest de la Turquie, aucun vase équivalant ne fut publié. Sont-ce des couvercles de grande cruche dont la panse tronconique aurait pu s'emboîter dans le col? Des traces de pigments rouges sous forme de poudre fine furent trouvées au fond de l’une d’elles. En réemploi, faisaient-elles office de «pot de peinture»? À moins qu'elles fussent réalisées spécifiquement pour cette fonction. La partie supérieure interne des lèvres très moulurées permettrait, potentiellement, à des artisans, d’éliminer le surplus de peinture ou de pigments prélevé sur un pinceau. Des analyses chimiques des résidus de couleur sont envisageables afin d’étayer cette hypothèse.

Des «gargoulettes» à pâte kaolinitique.

Si la provenance de ces cruches à filtre ne semble plus soulever de problème, il n'en est pas de même pour

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l'analyse fonctionnelle de ces récipients, que nous appelons «gargoulettes», en raison de leur similitude morphologique avec les vases à rafraichir l'eau. (Pl. 4, 9-13). L'argile kaolinitique, différente de celle abordée précédemment, est plus réfractaire et résistante aux hautes températures. La pâte, assez grossière, rugueuse au toucher, rose/orangée, comporte de multiples inclusions blanches et brunes variant jusqu’à 2mm. Les surfaces externes peuvent prendre une teinte inégale d'orangée à beige foncé, tirant parfois sur le brun/gris. Ces cruches ont une lèvre simple plus ou moins ronde légèrement évasée vers l’extérieur, un goulot très mouluré auquel une seule anse latérale s’accroche. L'épaule, sur laquelle vient se greffer un tube verseur, est arrondie. Nous n’avons pas d’exemplaire complet, mais d’après les divers fragments récoltés, la panse serait plus ou moins globulaire, terminée par un fond légèrement bombé et ombiliqué (Pl. 4, 13). En observant les trous du filtre, l'enfoncement de la pâte formant des aspérités à l’intérieur de la paroi présume le façonnage de ces récipients en deux temps. Le col vient se souder sur la partie supérieure de la panse creuse fermée tournée au préalable. Les orifices sont percés, ensuite, à travers le goulot à l’aide d’outils aux extrémités rondes ou carrées. Notons que quelques exemplaires sont dépourvus de filtre (Pl. 4, 9).

Des échantillons de céramiques ont été analysés lors d'une étude archéométrique d'un programme de recherche menée par Séverine Lemaître et S. Yona Waksman (Waksman, Lemaître 2011). Les résultats mettent en avant plusieurs productions de récipients de cuisine par grands groupes de pâte. Nos exemplaires de "gargoulettes" correspondent aux fabrications qui se rencontrent plus fréquemment à Limyra, tant en nombre de formes typologiques qu'en quantité (Marksteiner, Yener-Marksteiner 2009, 231-232, Taf. 5; Lemaître 2007, 232, Pl. 14; Waksman, Lemaître 2010, 282-283, Fig. 4). Elles appartiennent aux réalisations exploitant des pâtes nommées "lyciennes kaolinitiques" (Waksman, Lemaître 2011, 782-783), qui seraient mises en œuvre par des potiers de la région de Limyra.

Déclinées dans des profils différents, des cruches à filtre sont présentes un peu partout dans le monde méditerranéen du 5e-7e siècles A.D.; comme en témoignent les découvertes du site d’Anemurium en Cilicie (Williams 1989, 85-86, Fig. 51), de Salamine de Chypre (Diederichs 1980, 53, Pl. 17 No 182), d'Elaiussa Sebaste (Ferrazzoli et Ricci 2007 673-674, Fig. 8), les exemplaires à paroi mince (Brittle Ware) découvertes à Beyrouth (Reynolds et Waksman 2007, 64-65, Fig. 75-79), les cruches à filtre du nord de la Syrie (Vokaer 2007, 702, Fig. 2) et des tessons issus d’assemblages mis au jour dans le sud de la France (Waksman et al. 2005, p. 313, 315, Fig. 1, 3), pour ne citer que quelques exemples. Des individus comparables morphologiquement aux cruches xantiennes ont été découverts sur le site de Patara (Korkut 2007, 157, Abb. 5 Nos 30-31) et seraient susceptibles de provenir aussi de la région de Limyra.

Quelques vases munis d'une petite collerette triangulaire sous la lèvre droite arrondie (Fig. 4, G9; Pellegrino 2007, 251-253, Fig. 18) possèdent un anneau rajouté sur la

partie supérieure de l’anse formant une double anse. D’après les trouvailles de Saraçhane (Hayes 1992, 100-101, Fig. 39 n° 29-30), de Salamine de Chypre (Diederichs 1980, 53 et 62, Pl. 24 No 309), ou les réalisations locales d’Elaiussa Sebaste (Ferrazzoli et Ricci 2007, 674, Fig. 12), cette boucle maintenait l’anse d’un couvercle qui fermait le récipient. Des fragments de panses, revêtus d'un décor de cercles concentriques exécuté à l'engobe non grésé brun/orangé, et des anses avec des bandes peintes discontinues de mêmes tonalités, se rapportent à cette forme de cruche (Pl. 5, 4). Cette caractéristique esthétique est rarement observée sur des bouilloires dites "classiques". Ces vases à couvercle n'auraient pas dépareillé sur les tables.

À Xanthos, ces "gargoulettes" proviennent de contextes archéologiques datés du 5e ou 7e siècle de notre ère. Elles représentent entre 4.5% et 6.6% du NMI des assemblages dans lesquels elles apparaissent.

Comme l'exposent P. Ballet et al. (2003, 166-171, ill., 179-181) et M. Egloff (1977, 121-131) dans leurs études des céramiques coptes, en Égypte de telles cruches étaient couramment employées pour contenir de l’eau. Le filtre préservait le liquide des impuretés et des insectes. La porosité de la pâte, souvent calcaire, permettait aussi une légère évaporation qui maintenait une certaine fraîcheur du liquide. La pâte kaolinitique ne semble pas appropriée pour ce type d’utilisation. À Limyra, ces cruches serviraient de récipient pour faire bouillir des liquides (Marksteiner, Yener-Marksteiner 2009, 231-232). Les propriétés de l'eau chaude notamment pour les pratiques médicales sont très bien connues dans le monde grec et l'Empire romain (Jouanna 1994, 25-40). Alexandre de Tralles, au VIe siècle, mentionne plusieurs fois dans ses œuvres médicales, les bienfaits de l'eau pure et chaude (Brunet 1933-37, Livre I, Chap. XIII, 174; Chap. XVII, 229; Livre XI, Chap. I, 161, pour ne citer que quelques exemples). Toutefois, aucun dépôt calcaire sur les parois et les rares traces de "brulés" peu convaincantes ne nous laisse envisager clairement qu’elles ont fait fonction de bouilloires comme les vases en "Brittle Ware" au fond bombé. Cette éventualité n'est nullement écartée, mais il convient de rester prudent quant à cette interprétation. Rien n'exclut que des vases fabriqués avec une argile kaolinitique aient pu être mis en œuvre "pour le simple stockage et/ou le service des liquides" (Lemaître 2007, 208). Le filtre ne procure aucune commodité supplémentaire, par rapport à une bouilloire "classique", pour faire chauffer de l'eau, si ce n'est d'empêcher les éclaboussures du liquide, ou pour avoir une eau plus limpide en évitant le prélèvement d'impuretés grossières lors du remplissage. Le couvercle de certains exemplaires a pu permettre le ralentissement du refroidissement du liquide et d'avoir une eau chaude plus longtemps à disposition. Ont-elles servi à conserver et protéger de l’huile ou du miel dans une cuisine, en moindre quantité qu'une amphore, comme nous pouvons le voir aujourd’hui sur les marchés égyptiens? Difficile de se prononcer dans ce sens. Une particularité est à relever. Les vases avec filtre ont une anse ronde/ovale lisse, alors que ceux qui en sont dépourvus ont une anse moulurée. Est-ce un signe dissemblable voulu par le potier afin de

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faciliter leur différenciation par les utilisateurs? En envisageant cette piste, nous pouvons concevoir que chaque type de cruche contenait un liquide distinct ou le même, mais destiné à une utilisation différente. Le tube verseur de diamètre assez faible, outre sa fonction d’empêcher le liquide d’être souillé par des impuretés, permettait, peut-être, de verser la quantité de liquide désiré lors des préparations culinaires, au cours des repas ou lors de soins médicinaux. La poursuite et les avancées de l'étude devraient fournir des éclaircissements à ces interrogations.

Malheureusement, en ce qui concerne la datation, la situation de remblai ne rend pas aisé le travail pour émettre une chronologie affinée. Les datations sont surtout abordées au travers des comparaisons analogiques de vases avec d’autres sites. Ce matériel est le plus souvent associé à des sigillées tardives de type Phocean Red Slip, Cypriot Red Slip Ware ou African Red Slip. Cela a permis, avec les nombreux restes d’amphores importées, d’approcher une chronologie d’utilisation des récipients qui s’étend du 5e au 7e siècle de notre ère. Une étude en cours sur les céramiques fines de la période de l'Antiquité tardive et byzantine du site, et la poursuite des fouilles d’une demeure, probablement byzantine, devrait générer plus de précisions tant sur les durées d’usage de nos vases que sur la continuité de peuplement du site lycien.

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