G. WIllems et J. Sosson Légiférer en matière de gestation pour autrui : quelques repères de...

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LÉGIFÉRER EN MATIÈRE DE GESTATION POUR AUTRUI : QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL PAR Geoffrey WILLEMS* ET J ehanne SOSSON** 1. - 1. Droit, progrès scientifiques et mobilité. La question de la ges- tation pour autrui confronte le droit à deux caractéristiques essen- tielles de nos sociétés modernes : le développement exponentiel des connaissances et des techniques et la mobilité des individus dans un contexte mondialisé. Dès lors qu'une possibilité technique existe il est également pos- sible pour les individus de se déplacer pour en bénéficier dans le contexte socio-économique et juridique qu'ils jugent le plus adé- quat. Le droit, face à la gestation pour autrui, doit dès lors prendre position non seulement au plan interne mais également au plan international l . Au plan interne, un État peut choisir d'interdire et de sanctionner la gestation pour autrui ou bien au contraire de l'autoriser et de l'en- cadrer. Il peut également choisir de ne pas la réglementer expressé- ment, tout en acceptant (ou pas) d'aménager, par la mise en oeuvre de règles de droit commun, les situations qui résultent de processus • Assistant à la Faculté de droit et de criminologie de l'U. C.L Professeur extraordimtire à la Faculté de droit et de criminologie de l'U.C.L. et à l'Université Saint-Louis - Bruxelles, avocat au barreau de Bruxelles. 1 Voy. C. PETTITI et C. BRETON, « La Cour européenne des droits de l'homme et la maîtrise de la vie ", in La maît?'ise de la vie. Les pmC'réations médicalement assistées inteTTogent l'éthique et le dmit (1. KllAIAT et C. MARCHAL dir.), Toulouse, Érès, 2012, p. 105. BRUYLANT

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LÉGIFÉRER EN MATIÈRE DE GESTATION POUR AUTRUI : QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT

INTERNATIONAL

PAR

Geoffrey WILLEMS*

ET

J ehanne SOSSON**

1. - IN~RQDUCTION

1. Droit, progrès scientifiques et mobilité. La question de la ges­tation pour autrui confronte le droit à deux caractéristiques essen­tielles de nos sociétés modernes : le développement exponentiel des connaissances et des techniques et la mobilité des individus dans un contexte mondialisé.

Dès lors qu'une possibilité technique existe il est également pos­sible pour les individus de se déplacer pour en bénéficier dans le contexte socio-économique et juridique qu'ils jugent le plus adé­quat. Le droit, face à la gestation pour autrui, doit dès lors prendre position non seulement au plan interne mais également au plan international l

.

Au plan interne, un État peut choisir d'interdire et de sanctionner la gestation pour autrui ou bien au contraire de l'autoriser et de l'en­cadrer. Il peut également choisir de ne pas la réglementer expressé­ment, tout en acceptant (ou pas) d'aménager, par la mise en œuvre de règles de droit commun, les situations qui résultent de processus

• Assistant à la Faculté de droit et de criminologie de l'U. C.L ~ Professeur extraordimtire à la Faculté de droit et de criminologie de l'U.C.L. et à l'Université

Saint-Louis - Bruxelles, avocat au barreau de Bruxelles. 1 Voy. C. PETTITI et C. BRETON, « La Cour européenne des droits de l'homme et la maîtrise de la

vie ", in La maît?'ise de la vie. Les pmC'réations médicalement assistées inteTTogent l'éthique et le dmit (1. KllAIAT et C. MARCHAL dir.), Toulouse, Érès, 2012, p. 105.

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de gestation pour autrui éventuellement mis en œuvre. Au plan inter­national, quelles que soient les dispositions qu'ils prennent ou ne prennent pas quant à la maternité de substitution sur leur territoire

, ' les Etats doivent prendre attitude par rapport aux situations consti-tuées à l'étranger et dont les protagonistes veulent voir les consé­quences importées dans l'ordre juridique interne.

Un État qui ne souhaite pas autoriser et organiser la gestation pour autrui sur son sol n'est pas dispensé de s'interroger sur la récep­tion dans son ordre juridique de situations d'enfants né dans un pays qui l'autorisent, pas plus qu'un État qui appréhende avec plus de bienveillance la maternité de substitution ne peut faire l'écono­mie d'une réflexion de type internationaliste lorsqu'il s'agit d'impor­ter dans son ordre juridique les conséquences de processus mis en œuvre à l'étranger dans des conditions ne respectant pas les garan­ties éthiques qu'il a fixées dans son droit interne.

2. Objet de la présente ~ontribution. Dans semblable contexte et au regard du questionnement qui existe actuellement en Belgique relativement à l'opportunité et à l'éventuel contenu substantiel d'une intervention législative en matière de gestation pour autrui, il n'est certainement pas inutile de revenir sur la multitude des solutions retenues dans d'autres pays et de se risquer à formuler quelques observations transversales (1). Face à pareil foisonnement, il n'est pas non plus inintéressant de s'interroger brièvement sur le risque d'un « nivellement par le bas» et corrélativement sur d'éventuels standards internationaux qui pourraient être mis en évidence par les juges européens des droits de l'homme ou dans le contexte d'une convention internationale (I!).,

II. - LA DIVERSITÉ DES SOLUTIONS EN DROIT COMPARÉ

3. Option méthodologique. L'approche comparative ici propo­sée tente de cerner les différents courants en présence et les traits communs à certains pays quant à leur législation et l'application de celle-ci.

À défaut de pouvoir exposer dans le cadre de la présente contri­bution la législation de tous les pays s'inscrivant dans chaque ten­dance présentée, le choix a été fait de présenter la réglementa­tion de certains pays considérés particulièrement représentatifs de celles-ci.

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Les courants ou tendances retenues par les législateurs étrangers sont présentées suivant un ordre croissant de faveur pour la mater­nité de substitution : certains pays, comme la France et l'Espagne, ont légiféré pour prohiber la maternité de substitution (A) ou n'ont pas de réglementation spécifique en la matière (B). D'autres ont adopté une réglementation en la matière, réglementation qui tantôt ne vise que le recours au procédé et non ses conséquences en droit civil (C), tantôt en embrasse tous les aspects (D). Les régimes très permissifs qui prévalent en Inde et en Ukraine seront enfin synthé­tisés (E).

Semblable tour d'horizon permet de dégager différentes questions ou de mettre en évidence différents clivages dont il est permis de considérer qu'ils constituent, à l'échelle mondiale, des enjeux norma­tifs majeurs ou des points d'articulation incontournables pour toute politique étatique en matière de gestation pour autrui (F).

Tout exposé de droit comp~é. a ses limites : au-delà du difficile accès à des sources d'information officielles ou scientifiquement fiables (et à jour ... ), il est périlleux de comparer des systèmes juri­diques dont les bases mêmes sont parfois différentes. La réglementa­tion de la gestation pour autrui fait partie d'un système juridique glo­bal, qui est lui-même le résultat d'un environnement social, politique, culturel et philosophique donné, dont le juriste d'un pays déterminé n'appréhende pas nécessairement tous les contours.

La modestie s'impose donc ici : l'analyse réalisée est fondée sur les données disponibles à la date de la rédaction de la présente contribu­tion (soit au début de l'année 2013) et constitue la lecture et la com­préhension que les auteurs ont pu avoir de ces données.

A. - Prohibition

4. La prohibition interne. Le droit français prohibe expressément la maternité de substitution aux termes de l'article 16-7 du Code civil

2 Voy. parmi de très nombreuses études : F. CHALTIEL, «La gestation pour autrui : réflexions avant la révision des lois de bioéthique », Les Petites Affiches, 1" septembre 2010, n° 174, p. 3; J. HAUSER, « La gestation pour autrui: aspects julidiques et éthiques », in La liberté de la personne SUT son C01"]JS» (p. MuzNY dir.), coll. Thèmes & commentaires, Paris, Dalloz, 2010, pp. 85-103; F. MaNÉGER, « France », in Gestation pOUT autnli : SU1"-rogate mothe-rhood CF. MaNÉGER dir.), coll. Colloques, vol. 14, Actes du 8' Congrès international de droit comparé tenu à Washington

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français (inséré par les lois bioéthiques de 1994). Les articles 227-12 et 227-13 du Code pénal prévoient les peines applicables à ceux qlÙ officieraient en qualité d'intennédiaire et aux protagonistes d'un processus de maternité de substitution (peine d'emprisonnement et amende). Les lois bioéthiques ont été révisées en 2004 et en 2011 , mais, malgré certains signes d'une évolution des perceptions favo­rables à la maternité de substitution (voy. par ex. le rapport sénato­rial n° 421 du 25 juin 2004), les révisions considérées n'ont pas levé l'interdiction. S'il n'est pas exclu que la spécificité française consti­tuée par l'accouchement sous x puisse rendre possible la mise en œuvre fraudlùeuse d'un processus de maternité de substitution non médicalisé sur le territoire français et l'établissement subséquent d'un double lien de filiation à l'égard de l'enfant, aujourd'hui, certains français souhaitant bénéficier du procédé se rendent à l'étranger.

5. La réception de gestations pour autrui réalisées à l'étran­ger. Les officiers de l'état civil français refusent en règle de trans­crire dans les registres de'l'état civil français les actes de naissance établis à l'étranger dans le contexte d'un processus de maternité pour autrui pour la raison que ce procédé contrevient au principe de l'indisponibilité de l'état. Si pareille transcription est néanmoins opé­rée, le ministère public peut agir en annlùation de celle-ci. La Cour d'appel de Paris a fait montre d'une certaine audace en 2007, dans l'affaire Mennesson, en estimant irrecevable l'action du procureur de la République tendant à l'annulation de la transcription des actes de naissance de fillettes mises au monde par une mère porteuse cali­fornienne3

• Après la censure de sa décision, par lm arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2008\ la Cour d'appel est cependant « rentrée dans le rang» (voy. l'arrêt du 18 mars 20105)6. Les parents

DC du 25 au 31 juillet 2010, Paris, Société de législation comparée, 2011, pp. 155-168; o. Roy, « Procréation médicalement assistée et révision des lois bioéthiques françaises. La montagne a accouché d'une sOillis », in Droit des familles, genre et se.T1talité (N. GALLUS dir.), Limal, Anthernis-LGDJ, 2012, pp. 139-168.

3 Voy., à propos de cet arrêt: 1. BRUNET, «De l'art d'acconunoder la gestation pour autrui au droit français: commentaire de CA Paris, 1" chambre, section C, 25 octobre 2007 », Revue géné­mIe de droit médical, 2008, pp. 155-186.

'Voy, à propos de cet arrêt: L. BRUNET, « Un arrêt en trompe-l'œil sur la gestation pour autrui: retour du droit ou recul de la raison juridique )', Recueil Dalloz, 2009, p. 340.

5 Voy., à propos de cet arrêt: M. FARGE, « Les jumelles Mennesson issues d'une gestation pour autrui: quand la promotion de l'ordre public français aboutit à une situation boiteuse inadmis­sible », Droit de la famille, n° 9, septembre 2010, étude 23.

o Voy. aussi l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 février 2009 et, à propos de lui: P. MURAT, « Gestation pour autrui: les palinodies de la Cour d'appel de Paris », Droit de la famille, n° 6, juin 2009, commentaire 75.

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se sont alors à leur tour pourvus en cassation. Aux termes d'un arrêt du 6 avril 20117

, la Cour de cassation française a rejeté le pourvoi et rappelé avec force que l'ordre public international français empêche de faire produire effet à une convention de maternité de substitu­tion. Quoi qu'il en soit, l'affaire Mennessons a été soumise à la Cour européenne des droits de l'homme par requête du 6 octobre 201l. Les Mennesson invoquent la violation des articles, 6, 8, 12 et 14 de la Convention9

.

6. Les évolutions possibles. Le statu quo en matière de mater­nité de substitution pour lequel il a été opté dans le cadre de la dernière révision des lois de bioéthique françaises répond notam­ment aux avis réticents exprimés par le Conseil d'État et le Conseil consultatif national d'éthique. La doctrine juridique apparaît quant à elle divisée quant à l'option à prendre. Dans ce contexte, et bien que la maternité de substitution soit - semble-t-illO

- globalement per­çue de façon favorable dans l'opi,nion publique française, il semble peu probable la levée de la prohibition interviennent dans un délai rapprochéll

.

2. L'Espagne12

7. La prohibition interne. La loi espagnole contient des dispo­sitions qui interdisent expressément le recours à la maternité de

7 La Cour a en réalité rendu le 6 avril 2011, trois arrêts en matière de maternité de substitution. À propos de ceux-ci, voy. : D. BERTHIAU et L. BRUNET, «I:ordre public au préjudice de l'enfant »,

Recueil Dalloz, 9 juin 2011, n° 22, pp. 1522-1529. 8 Requête n° 65192/1l. 9 Au moment où le texte de la présente contribution est finalisé, la garde des Sceaux Christiane

Taubira a, dans le contexte par ailleurs houleux, du débat relatif au « mariage pour tous », adressé aux juridictions françaises une circulaire destinée à faciliter la délivrance d'un certificat de natio­nalité française aux enfants nés à l'étranger dans le cadre d'un processus de gestation pour autrui (voy. : Circulaire CIV/02/13 du 25 janvier 2013).

10 o. Roy, «Procréation médicalement... », op. cit., p. 149. 11 Pour un tour d'horizon des argumentaires déployés par les partisans de la levée de l'inter­

dit et ceux du statu quo, voy. encore, par ex., parmi de nombreuses contributions: M. BANDRAC, G. DELAlSI DE PARSEVAL et C. DEPADT-SEBAG, «Repenser la prohibition de la gestation pour autrui? », Recueil Dalloz, 2008, pp. 434 et s. ; A. MIRKO\~c, « À propos de la maternité pour autrui », Dmit de la famille, juin 2008, étude 15; A. MIRKOVIC, «Mère porteuse: maternité indétermi­née », Dmit de la famille, juin 2009, étude 24 ; A. SÉRIAUX, « Maternités pour le compte d'autrui : la mainlevée de l'interdit? », Recueil Dalloz, 2009, pp. 1215 et s.

12 Les développements qui suivent synthétisent les contributions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi : E. LAlvIM, « Gestacion par Sustitucion. Realidad y Derecho », InD/·et, 3/2012, 49 p. (www.indret.com); A. QUINONES EscAMEz, « Doble filiacion paterna de gemelos nacidos en el extranjero medlante maternidad subrogada. En toma a la RDGRN de 18 de Febrero de 2009 », InDret, 3/2009, 42 p. (www.indret.com) ; M. PÉREZ MONGE, « Espagne », in Gestation POU?· autnLÏ : Sun·ogate motherhood, op. cit., pp. 129-156.

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substitution. Au plan civil, la loi prévoit que le contrat, à titre oné­reux ou gratuit, aux termes duquel une femme renoncerait à établir sa filiation à l'égard de l'enfant qu'elle a porté est nul (ley 14/2006 sobre técnicas de reprod'Llccion h'Llmana asistida). En outre, le Code pénal espagnol de 1995 prévoit des sanctions applicables aux personnes qui participent à un processus de maternité de substitu­tion (par ex. art. 220 et 221).

8. La réception de gestations pour autrui réalisées à l'étranger. il semble que depuis de nombreuses années, les couples espagnols ont recours à des mères porteuses étrangères pour réaliser leur désir d'enfant. Au titre d'exemple, l'M (Instit'Llto Valenciano de Infe1·tilidad), fondé en 1990, dispose de la logistique et des contacts nécessaires pour permettre qu'un enfant soit conçu par tille mère porteuse américaine au profit de parents d'intention espagnols13• À ce stade, les autorités espagnoles reconnaissent d'ailleurs en vertu de la instruccion de la Dirf?ccion General de los Registros y del Notariado du 5 octobre 2010 les actes de naissance établis à l'étran­ger en suite d'un processus de gestation pour autrui. Certains consi­dèrent que la réglementation considérée aboutit à une véritable léga­lisation détournée de la gestation pour autnù à tout le moins pour ceux qui peuvent se permettre la mise en œuvre d'un processus transnational. D'autres estiment que les conditions posées pour l'im­portation dans l'ordre juridique espagnol de l'identité de l'enfant telle qu'elle a été constituée à l'étranger sont trop restrictives, notamment en ce qu'elles exigent que l'établissement de la filiation étrangère ait procédé d'une décision judiciaire14

9. Les évolutions possibles. Il existe en Espagne un mouve­ment populaire et doctrinal relativement important en faveur de la légalisation et de l'encadrement de la maternité de substitu­tion, dès lors que, depuis des années, le recours à des procédés transfrontières est toléré. Une réforme de la ley 14/2006 semble envisageable15

.

13 Ibidem, pp. 143-145. II Voy. à propos de cette réglementation: A.L. CALVO CARAVACA et J. CARRASCOSA GONZALEZ,

«Notas crfticas en tomo a la instrucciôn de la Direcciôn de la Direcciôn General de los Registros y dei Notariado de 5 octubre 2010 sobre regimen registrai de la filiaciôn de los nacidos mediante gestaciôn par sustituciôn », Cuadenws de DeTecho Transnacional, 20n, pp. 247-262 et M. ROCA y ESCONDA, «Les passes et les impasses dans l'évolution juridique de la fIliation monosexuée en Espagne, Belgique et France ", in D1'Oit des familles, genTe et sexua­lité, op. cit., pp. 350-352.

151VI. PÉREZ MONGE, «Espagne ", op. cit., pp. 154-155.

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B. - Absence de réglementation

1. Le Japon16

10. La situation actuelle. Le Japon ne dispose à ce stade d'aucune réglementation spécifiquement dédiée à la maternité de substitution. La Société japonaise d'Obstétrique et de Gynécologie interdit à ses membres de mettre en œuvre ce procédé. L'adage mater semper certa est a été consacré par un arrêt de la Cour suprême du 27 avri11962.

11. La réception de gestations pour autrui réalisées à l'étranger. Face à des processus de maternité de substitution conduits à l'étran­ger, la jurisprudence japonaise refuse à ce stade de reconnaître la mère d'intention japonaise comme mère juridique de l'enfant à défaut pour elle d'en avoir accouché.

La société japonaise a notamment pu être interpellée par une affaire Aki Mukai du nom d'une vedette de télévision ayant fait recours à une mère porteuse américaine e~ qui s'est trouvée, aux termes d'un arrêt de Cour suprême rendu le '23 mars 2007, dans l'impossibilité de voir établie sa filiation à l'égard des jumeaux nés ensuite du pro­cessus considéré (alors que la Tokyo High Court avait quant à elle considéré qu'il y avait lieu d'enregistrer les enfants conformément à l'acte de naissance qui avait été établi dans le Nevada). Il est impor­tant toutefois de préciser que la Cour suprême du Japon a veillé dans son arrêt à souligner la possibilité qu'avait Aki Mukai de procéder à l'adoption des enfants.

12. Les perspectives. Cette affaire extrêmement médiatisée a sus­cité un important débat au Japon. En outre, un médecin -le Docteur Yahiro Netsu - milite pour la légalisation de la maternité de substi­tution et défie la Société japonaise d'Obstétrique et de Gynécologie en mettant d'ores et déjà en œuvre des processus. Semblable ému­lation a conduit le ministère de la Justice et le ministère de la Santé à solliciter conjointement du Science Council of Japan un rapport sur la question17

• Ce rapport a été déposé le 8 avril 2008 et préconise la conduite d'essais cliniques très encadrés susceptibles de conduire ultérieurement à une prise de position définitive sur la maternité de substitution. Il prévoit aussi que la mère porteuse est la mère

10 Voy. M. DE ALCANTARA, « Surrogacy in Japan : legaI implications for parentage and citi­zenship », Family COU?t Review, vol 48, n° 3, juillet 2010, pp. 417-430.

17 Ibidem, pp. 424 et s.

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légale de l'enfant qui peut ensuite être adopté par ses parents d'in­tentionlS

. Une proposition d'amendement au Code civil aurait par ailleurs été déposée par le L.D.P. (Liberal Democmt Party), durant l'été 2012, tendant à organiser l'accès à la maternité de substitution sur le modèle de l'autorisation judiciaire19

.

2. L'ATgentine20

13. La situation actuelle. L'Argentine ne dispose à ce stade d'au­cune réglementation applicable à la gestation pour autrui. Les conventions de mère porteuse sont considérées comme nulles par égard aux articles 242 et 953 du Code civil qui prévoient res­pectivement le principe mater semper certa est et l'exigence que l'objet d'un contrat soit dans le commerce. Il apparaîtrait cepen­dant que des processus sont mis en œuvre en Argentine, suivant des procédés frauduleux bien connus (reconnaissance de l'enfant par le père d'intention et ,adoption subséquente par la mère d'in­tention, ou mention pure èt simple du nom de la mère d'intention dans l'acte de naissance en lieu et place de celui de la mère por­teuse) et théoriquement sanctionnés par les articles 139 et s. du Code pénal argentin.

14. La réception de gestations pour autrui réalisées à l'étranger. L'Argentine fait au demeurant preuve d'une certaine ouverture s'agis­sant de la réception dans son ordre juridique des enfants nés d'une mère porteuse à l'étranger. Ainsi, en 2012, il a été admis que deux hommes soient désignés comme les parents légaux d'un enfant né suite à un processus de maternité de substitution pratiqué en Inde (l'Argentine a ouvert le mariage et l'adoption aux couples de même sexe: la Ley 26.618 a notamment modifié en ce sens l'article 172 du Code civil, s'agissant du mariage, et l'article 326 du même Code s'agissant de l'adoption).

15. Les perspectives. Différentes propositions de lois ont été déposées au cours de l'année 2011. Si une proposition déposée en 2007 prône sa prohibition expresse (138-D-200721

), plusieurs

18 Le rapport est disponible sur le site du Science Council : http://www.scj.go.jp. 19 R. SETH, « Bill on conditional approval for surrogacy being drafted by Japan's LDP ", The

Japan Daily Press, 12 juin 2012 (http://japandailypress.com). 20 Voy. A. BELLUSCIO, «Argentine », in Gestation pour autnlÎ : Sun"ogate nwtlzer/wod, op. cit.,

pp. 47-48; E. LAMM, «Gestaciôn por Sustituciôn. Realidad y Derecho », op. cit., pp. 29-31. 21 Idem.

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autres tendent à admettre la gestation pour autrui et à en enca­drer la mise en œuvre (voy. les propositions 4098-D-2011, 5201-D-2011 et 5441-D-2011 22

). Au titre d'exemple, la proposition 4098-D-2011 prévoit l'instauration d'une Agencia Publica de la Maternidad Subrogada au sein du ministère de la Santé et char­gée, parmi beaucoup d'autres fonctions, d'élaborer un modèle de base de convention de mère porteuse et de contrôler et approuver le contenu de celle-ci. Moyennant le respect de cette procédure, les parents d'intentions seraient considérés, en droit, comme les parents de l'enfant dès la fécondation (voy. l'article 22 de cette proposition).

3. L'lTlande23

16. La situation actuelle. L'Irlande ne dispose pas non plus d'une réglementation applicable à la maternité de substitution. Toutefois, une pratique existe pel et bien en Irlande sous l'égide du Medical Council qui a formulé des guidelines applicable à la procréation assistée en général24

• En l'absence de cadre réglemen­taire, le statut des conventions de mère porteuse est incertain. La mère gestationnelle est désignée comme la mère juridique et dis­pose en vertu de l'article 40 de la Constitution irlandaise d'un cus­tody right. Le père d'intention peut faire une déclaration conjointe avec la mère gestationnelle suivant laquelle il est le père de l'en­fant. L'enfant pourrait être confié aux parents d'intention si tel est son intérêt au sens du Guardianship of Infants Acts de 2005. Il s'agit toutefois d'une preuve assez difficile à apporter. Cette dif­ficulté semble accentuée quand la mère porteuse est mariée25

• Au final, les parents d'intention recourraient en pratique à l'adop­tion, laquelle serait considérée légitime par l'Adoption Board. Il convient toutefois de faire état d'une décision rendue le 5 mars 2013 dans une affaire MR & DR où la mère génétique de l'enfant se plaignait du refus du Superintendant Registmr de Dublin de la désigner comme mère de l'enfant dans l'acte de naissance en

22 Ces trois propositions sont disponibles sur le site de la Camara de Diputados : http://www1. hcdn.gov.ar.

23 Voy. M. HARDING, «Irlande», in Gestation pOUT autn.lÏ : Sun'ogate 7Jwtherhood, op. cit., pp.173-177; E.S. S[LLS et C.M. REALY, «Building Irish familles through surrogacy : rnedical and judicial issues for the advanced reproductive technologies ", RepTOductive Health, 2008, vol. 5 : 9.

2·' Ces guidelines sont disponibles sur le site du Medical Council : www.rnedicalcouncil.ie. 25 Voy. l'article 41 de la Constitution irlandaise qui protège la constitutional family.

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lieu et place de sa sœur qui avait accepté d'être mère porteuse. La High Court a expressément considéré que le principe mater sem­per certa est était sans pertinence dans le contexte de la gestation pour autrui et qu'il y avait lieu, dans le cadre de la mise en œuvre du Civil Registmtion Act de 2004, de désigner dans l'acte de nais­sance de l'enfant le nom de la mère biologique plutôt que celui de la gestatrice. Sans doute faut-il souligner d'emblée que cette juris­prudence concerne le cas spécifique où la mère d'intention pro­cure son propre matériel génétique26

17. La réception de gestations pour autrui réalisées à l'étranger. Il faut, ici également, mentionner une première décision rendue par la High Court en mars 2013, qui désigne expressément comme père de l'enfant un homme ayant mis en œuvre un processus de gesta­tion pour autrui en Inde au moyen de ses propres gamètes et d'un ovule procuré par une donneuse anonyrne27

• Il est sans doute ici aussi hasardeux de tirer des conclusions générales de ce cas parti­culiers, mais l'on peut sans doute avancer que cette décision -lue en conjonction avec celle rendue dans l'affaire MR & DR préci­tée - traduit une volonté de la High Court irlandaise de traduire en droit la volonté des parents intentionnels.

18. Les perspectives. Un rapport de 2005 établi par la Commission on Assisted Human Reproduction préconise la léga­lisation et l'encadrement de la maternité de substitution. Le sys­tème proposé induirait notamment la mise en place d'une ins­tance régulatrice à laquelle seraient soumis les projets parentaux. La filiation des enfants nés dans le contexte de sun'ogacy agree­ments serait immédiatement établie à l'égard des parents d'inten­tion. Il est également recommandé par la Commission qu'aucune interdiction ne soit formulée sur base du statut conjugal, du sexe ou de l'orientation sexuelle des parents d'intention. À ce stade, ces recommandations n'ont, quoi qu'il en soit, pas été traduites dans un texte.

26 X., « Genetic parents win sun"ogate twins case », h-ish Times, 6 mars 2013 (www.irishtimes. com/news! crime-and-law/genetic-parents-win-surrogate-twins-case-1.131S123).

27 M. CAROLAN, « Irish father wins surrogacy case over child born in India », Irish Times, 6 mars 2013 (www.irishtimes.com/newspaper/ireland/2013/0306/1224330S30447.html).

2B Voy. à cet égard (pour le contexte antérieur à la décision considérée) : M. HARDING, « Irlande »,

op. cit., p. 176.

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C. - Réglementation du pmcédé, mais pas des conséquences civiles

1. Les Pays-Bas29

19. Les sources. Il n'y a pas aux Pays-Bas de textes réglemen­tant de manière spécifique l'ensemble de la matière. Un règlement adopté le 1er avril 1998 relatif aux établissements qui pratiquent la fécondation in vitro (Planningsbesluit In Vitm Fertilisatie30

) s'ap­plique aux maternités de substitution qui mobilisent cette technolo­gie, ce qui implique que tout processus de maternité de substitution de haute technologie doit respecter les lignes de conduite établies par la Société d'Obstétrique et de Gynécologie (richtlijnen). Les processus de maternité de substitution dits de basse technologie, i.e. ceux qui ne nécessitent pas de fécondation in vitro, sans être interdits, ne sont nullement encadrés. Dans les deux cas, aucune législation spécifique ne règleIT!ente les aspects civils de la gesta­tion pour autrui, et notamment les règles relatives au transfert de filiation. Certains actes commis dans le cadre d'une gestation pour autrui à caractère commercial sont quant à eux érigés en infrac­tions pénales31

20. L'accès au procédé. Ces lignes de conduites prévoient notam­ment l'exigence qu'une grossesse soit impossible ou dangereuse pour la mère porteuse. Il faut aussi, suivant les richtlijnen, que les parents d'intention soient en mesure de procurer l'ensemble du matériel génétique nécessaire à la conception de l'enfant. Il résulte de ces dif­férentes conditions qu'à ce stade les couples de même sexe n'ont pas

29 Les développements qui suivent synthétisent les contributions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: K BOELE-WOELKI, 1. CURRy-SUMNER, W. SCHRAi\1A et M.J. VONK, DraagmoedeTschap en illegale opneming van kinderen (Sun'ogacy and illegal placement of childmn), Utrecht, Utrecht Centre for European Research into Family Law, 2011 (www.rijksoverheid.nI) ; 1. CURRy-SUMNER et M.J. VONK, «National and International Surrogacy : an Odyssey », in The Intemational SU1"Vey of Family Law. 2011 Edition (B. ATKIN ed.), Bristol, Family Law, 2011, pp. 259-280; M.J. VONK, «Pays-Bas: Maternity for another : a double dutch approach », in Gestation pOUl' autT'Id : Sun'ogate motherlwod, op. cit., pp. 205-218; M.J. VONK et K BOELE-WOELKI, « Surrogacy and Same-Sex Couples in the Netherlands », in Legal Recognition of Same-Sex Relationships in EUTOpe. National, eTass-border and EUTapean Perspectives (K BOELE-WOELKI et A. FuCHS éd.), 2" éd., Cambridge, Anvers, Portland, Intersentia, 2012, pp. 123-139.

30 Staatscoumnt 1998/95, pp. 14-18. 31 Uarticle 151 b du Code pénal hollandais érige en infraction le fait de provoquer ou de favo­

riser, dans l'exerclce d'une activité professionnelle, le rapprochement, directe ou non, entre une mère porteuse ou une femme qui souhaite le devenir et une autre personne. Voy. K BOELE-WOELKI, 1. CURRy-SUMNER, W. SCHRAlIIA et M.J. VONK, Draagmoederschap en illegale opneming van kinde­l'e?1..., op. cit., p. 36.

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accès à la maternité de substitution de haute technologie. Cependant , les couples homosexuels peuvent mettre en œuvre d'autres formes de maternité de substitution dans le cadre desquelles, à défaut de FIV, la mère porteuse sera toujours génétiquement liée à l'enfant.

21. Le contrat. Les lignes de conduite de la Société d'Obstétrique et de Gynécologie soulignent l'importance du counseling interdis­ciplinaire qui est de nature à pennettre à l'ensemble des parties de déterminer les termes du contrat de mère porteuse. Cependant, la ~

validité de pareil contrat - qui contient parfois des clauses très pré-cises relatives, par exemple, au comportement de la mère porteuse ou aux aspects médicaux de la grossesse - est extrêmement contro-versée. Il semble que de manière majoritaire, la doctrine considère que les clauses relatives aux obligations essentielles du contrat, soit la remise de l'enfant par la mère porteuse et sa prise en charge par les parents d'intention, sont frappées de nullité. Il s'ensuit que sem-blable contrat n'est pas suscel?tible d'exécution forcée.

22. La iIliation. À défaut de réglementation des aspects civils de la gestation pour autrui, l'application du droit commun de la filia­tion implique que la filiation maternelle est en établie à l'égard de la femme qui accouche de l'enfant (art. 198 du Code civil hollandais). Si la mère porteuse n'est pas mariée, le père d'intention peut recon­naître l'enfant moyennant le consentement de la mère porteuse et à condition qu'il existe un lien personnel étroit entre l'enfant et le père d'intention (art. 204(1) C. civ.). Le transfert de parenté inter­vient par la voie du droit commun de l'adoption. À cet égard, il appa­raît que la procédure néerlandaise revêt une certaine complexité dès lors qu'il convient préalablement que la mère porteuse et son éven­tuel mari se voient retirer l'autorité parentale (ontheffing van het gezag) et que les parents d'intention soient désignés tuteurs (voog­den). Les parents d'intention peuvent ensuite introduire tille procé­dure d'adoption, qui est ouverte indifféremment aux couples hétéro­sexuels et aux couples de même sexe, mais nécessite qu'ils vivent ensemble depuis trois ans et prennent soin de l'enfant, en leur qua­lité de tuteurs, depuis un an32

32 Cf. not. M. J. VONK, «Pays-Bas: Maternity for another : a double dutch approach », op. cit., 2011, p. 212; M. ANDRÉ, A MILON, H. DE RICHEMONT, Cont1'ibution à la Téfle."Cion sm' la matemité pOUT autnli, Rapport d'infom1ation n° 421, 25 juin 2008, Sénat, p. 27, disponible en ligne www. senat.fr/rap/r07-421/r07-4211.pdf; s. DERMOUT, H. VAN DE WIEL, P. HEINTZ, K. JANSEN and W. ANKUM, « Non-commercial surrogacy : an account of patient management in the first Dutch Centre for IVF Surrogacy from 1997 to 2004", Human RepTOduction, 2010, vol. 25, n° 2, p. 448.

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2. La Nouvelle-Zélande33

23. Les sources. La Nouvelle-Zélande s'est pourvue d'une légis­lation applicable à la maternité de substitution en 2004 (Human Assisted Reproductive Technology Act). Aux termes de l'article 14 de cet instrument, la maternité de substitution non commerciale est permise qu'il s'agisse d'un processus médicalisé ou d'un arrangement induisant une rencontre sexuelle. De même, la pratique Maori du Whangai (remise d'un enfant à un autre membre de la famille) est admise.

24. L'accès au procédé. Lorsque le processus de maternité de substitution envisagé induit le recours à une fécondation in vitro, les parents d'intention doivent introduire une demande auprès d'un comité d'éthique: le EUdcs Committee on Assisted Reproductive Technology (ECART). Ce comité est appelé à déterminer l'oppor­tunité de mettre en œuvre un projet déterminé. Le ECART réalise cette fonction d'accréditation en'.aYant égard aux lignes de conduites édictées par le Advisory Committee on Assisted RepTOductive Technology (ACART). Suivant ces guidelines, l'un au moins des parents d'intention doit avoir un lien génétique avec l'enfant et la mère d'intention doit se trouver dans une situation médicale qui rend la procréation naturelle impossible ou dangereuse.

À ce stade, la maternité de substitution n'est pas ouverte aux couples gays. Cependant, le ACART a proposé en 2012 une proposi­tion d'amendement des guidelines au terme de laquelle il serait pos­sible aux couples d'hommes de solliciter la mise en œuvre du pro­cédé pour la réalisation de leur projet parental.

25. Le contrat. Suivant le Human Assisted Reproductive Technology Act de 2004 le contrat de maternité de substitution n'est pas en soi illégal, mais il n'est pas susceptible d'exécution forcée. La loi interdit de donner ou de recevoir de l'argent à l'occasion d'un pro­cessus de maternité de substitution et fait expressément échapper au champ d'application de cette disposition les dépenses nécessaires et

33 Les développements qui suivent synthétisent les contributions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: B. ATKIN, « Regulation of Assisted Human Reproduction: The Recent New Zealand Model in Comparison with Other Systems », New Zealand Association fol' Compamtive Law YeaTbook 2004, pp. 81-100 (www.victoriaac.nzIlaw/nzacl) ; K DANIELS, « The Policy and Practice of Surrogacy in New Zealand », in Sun'ogate Motlwrlwod. International PeTspectives (H. COOK, S. DAY SCLATER et F. KAGANAS ed.), Oxford-Portland, Hart Publishing, 2003, pp. 55-66 ; voy. aussi les sites officiels des deux instances néozélandaises citées (www.acart.health.govt.nz et www.ecart.health.govt.nz).

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raisonnables la mise en œuvre du procédé, en ce compris les frais liés à l'obtention de conseils juridiques adéquats.

26. La filiation. La réglementation néozélandaise ne comporte pas de dispositions spécifiquement dédiées aux conséquences civiles de la mise en œuvre d'un processus de maternité de substitution. La mère porteuse sera dès lors dans un premier temps désignée comme la mère de l'enfant. Le transfert de parenté résultera le cas échéant d'une adoption subséquente conformément au droit commun. La mère porteuse ne peut exprimer son consentement à l'adoption moins de dix jours après la naissance de l'enfant.

D. - Réglementation du procédé et de ses conséquences civiles

1. L'Angleterre34,35

27. Les sources. La régulation juridique de la maternité de subs­titution en Angleterre fait .,suite au célèbre rapport déposé par la Commission Warnock en 1984. Au regard des perceptions très contrastées suscitée par le procédé, un compromis a été atteint sui­vant lequel il n'y avait lieu ni de l'encourager ni de l'interdire. Le législateur britannique a alors élaboré le Surrogacy Arrangements Act en 1985 et le Human Fertilization and Embryology Act en 1990. En 1997, un nouveau rapport a été élaboré à la demande du ministre de la Santé et, en 2008, les deux instruments (le SAA de 1985 et le HFEA de 1990) ont été amendés.

28. L'accès au procédé. Le système anglais permet que la mère porteuse soit la mère génétique de l'enfant, dès lors qu'il est seu­lement exigé que l'un des parents d'intention puisse procurer son matériel génétique à l'enfant. La maternité de substitution est ouverte à tous les couples, sans égard pour leur statut conju­gal (mariage, partenariat civil ou conjugalité de fait stable), mais

3-1 Au Royatune-Uni, les droits de la famille diffèrent selon les composantes du Royamne : en cette matière, il faut distinguer le droit qui s'applique en Angleterre et au Pays de Galles, en Écosse et en Irlande du Nord.

35 Les développements qui suivent synthétisent les contributions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: K. HORSEY et S. SHELDON, « Still hazy after all these years : the law reguiating surrogacy », Medical Law Review, 20, winter 2012, pp. 67-89; E. STEINER, « Angleterre: maternité pour le compte d'autrui entre prohibition et permission », in Gestation pour autniÏ : Sîm'ogate mothel'hood, op. cit., pp. 39-46; M. WELSTEAD, « This Child is my Child ; This Child is your Child ; This Child Was Made for You and Me - Surrogacy in England and Wales », The International SU1'1Jey of Family Law. 2011 Edition (H. ATKIN ed.), Bristol, Family Law, 2011, pp. 165-186.

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pas aux personnes seules (art. 54 du Human Fertilization and Embryology Act 2008).

29. Le contrat. Le droit anglais est ambivalent. Le contrat de maternité de substitution n'est pas nul en tant que tel, mais il ne peut en aucun cas faire l'objet d'une exécution forcée dans l'hypo­thèse d'un conflit entre parties (art. 1 A du Surrogacy Arrangements Act de 1985). Il ne sort donc ses effets que si les parties persis­tent toutes dans leurs intentions initiales jusqu'au dénouement ultime du processus. La somme versée à la mère porteuse par les parents d'intention s'élève généralement entre 10.000.5: et 15.000.5:. L'intermédiation non lucrative en matière de maternité de substi­tution n'est pas interdite pour autant qu'elle soit gratuite ou que la rémunération n'excède pas le montant réel des dépenses engagées dans l'accomplissement des services rendus. Il existe dès lors des surrogacy agencies - telles que COTS (Childlessness Overcome Through Surrogacy) - qui tiennept des listes de candidats parents d'intentions et candidates mères porteuses et accompagnent la rédaction du contrat. Depuis la réforme de 2008, ces agences de maternité de substitution peuvent demander une participation financière modique. Cette évolution résulte du développement de la conception suivant laquelle une certaine professionnalisation des associations considérées pourrait procurer un meilleur suivi aux personnes concernées.

30. La filiation. La mère porteuse est toujours considérée comme la mère de l'enfant même si elle n'en est pas la mère génétique (art. 33 du Human Fertilization and Embryology Act 2008). Si elle est mariée, son mari est le père sauf s'il s'est opposé à la ges­tation pour autrui36

• Les parents d'intention doivent agir en justice pour obtenir un parental orde1' qui permettra aux parents d'être «traités» comme les parents de l'enfant et qui, à l'instar d'une adoption, fera disparaître le lien de filiation existant avec la mère porteuse (et son éventuel mari). Cette procédure particulière est plus rapide qu'une procédure d'adoption et nécessite moins de for­malités et de contrôle de la part du juge si les conditions prévues par la loi sont remplies. Mais ces conditions sont plus strictes que celles prévues en matière d'adoption: l'un des membres du couple de parents d'intention doit être le parent biologique de l'enfant;

36 Article 35 du Human Fertilization and Embryology Act 2008, qui déroge donc dans ce cas à la présomption de paternité applicable selon la cornrnon law.

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l'un d'entre eux au moins doit être domicilié au Royaume-Uni. La mère porteuse doit avoir été médicalement supervisée dans une institution agréée; l'enfant doit vivre avec les parents d'intention au moment de la demande, celle-ci devant être formulée dans les six mois qui suivent la naissance de l'enfant. La mère porteuse et, s'il échet, son mari ou partenaire civil, doivent exprimer leur consentement37

. Le consentement de la mère porteuse ne peut être émis avant que l'enfant ait six semaines. Enfin, le droit anglais pré­voit expressément que la mère porteuse ne peut avoir reçu que les sommes destinées à couvrir les dépenses raisonnables liées à la grossesse, cette disposition étant interprétée assez largement par la jurisprudence. Le juge appréciera la demande en tenant compte de l'intérêt de l'enfant, conformément à l'article 1 du Children Act de 1989.

2. La Grèce38

31. Les sources. La Grèce s'est pourvue d'une réglementation complète de gestation pour autrui qui embrasse à la fois les aspects médicaux du processus (soit, essentiellement, les conditions d'accès à cette technique spécifique d'assistance médicale à la procréation) et l'organisation civile de ses conséquences (soit, essentiellement les modalités du rattachement juridique de l'enfant à ses parents d'in­tention). Ce régime résulte de deux lois adoptées respectivement en 2002 et 2005 (la loi 3089/2002 et la loi 3305/2005) et dont les disposi­tions ont été insérées dans le Code civil grec.

32. L'accès. La gestation pour autrui n'est autorisée que pour des raisons d'ordre médical qui rendant impossible la gestation ou qui empêchent la femme d'avoir une grossesse sans risque pour sa santé ou de mener celle-ci à terme. Le procédé n'est a priori ouvert en Grèce qu'au profit des couples de sexe différent et des femmes célibataires. Il semble cependant que certaines juridictions

37 En cas de refus, cf J. SOSSON et G. MATHIEU, «L'enfant: quelle filiation? Quels liens avec la mère pOTteuse ? ", Cet ouvrage, p. 396, n° 17.

3S Les développements qui suivent synthétisent les contlibutions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: P. AGALLOPOULOU, « La loi hellénique concer­nant les procréations médicalement assistées », Droit de la famille, mai 2004, étude 11 ; N. RATZIS, «The Reguiation of surrogate motherhood in Greece », Working paper, 1" septembre 2010, University of Athens (www.uoa.gr); N. RATZIS, «From soft to hard paternaiism and back : the reguiation of surrogate motherhood in Greece », Portuguese Economie Jownal, 2009, pp. 206-219 ; AC. PAPACHRISTOS, « Le don d'utéms et le droit hélennique », in Gestation pOlL?o autr'ui : S1i11"ogate nwther/wod, op. cit., pp. 169-171.

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grecques acceptent les processus de maternité de substitution pour autrui mis en œuvre au profit d'hommes célibataires39• Par contre, les couples homosexuels ne peuvent bénéficier de ce mode de procréation. En tout état de cause, l'article 1458 du Code civil prévoit que la mère porteuse ne peut pas procurer ses gamètes à l'enfant en manière telle que sa maternité est exclusivement ges­tationnelle. La femme demanderesse et la mère porteuse doivent avoir leur domicile en Grèce40

33. Le contrat. Les parents d'intention signent une conven­tion à titre gratuit avec la mère porteuse et son éventuel mari. Il convient ensuite pour les parents d'intention de solliciter auprès du tribunal l'autorisation de mettre en œuvre le processus. Le juge vérifie que les conditions fixées par la loi sont respectées par le projet procréatif qui lui est soumis. Toute rémunération de la mère porteuse est interdite mais la loi permet de verser à celle-ci une indemnité qui couvre tqus les frais ainsi que le manque à gagner consécutif à un arrêt de l'activité professionnelle (le pla­fond de cette indemnité est fixé à 10.000 €41). Si la maternité de substitution commerciale est a pTio1'i formellement interdite en droit grec, il apparaîtrait, suivant certains auteurs, que la plupart du temps les parents d'intention et la mère porteuse sont de par­faits inconnus.

34. La filiation. Pour autant que la gestation pour autrui se soit déroulée suivant le prescrit légal, la mère d'intention se trouve immédiatement désignée comme la mère juridique de l'enfant à la naissance de celui-ci. L'enfant a donc pour mère la femme qui a obtenu l'autorisation judiciaire. Elle bénéficie d'une nouvelle pré­somption insérée dans le Code civil. Cette présomption de mater­nité dont bénéficie la mère d'intention peut toutefois être renver­sée, durant une période de six mois prenant cours à la naissance de l'enfant, dans la seule hypothèse où il apparaitrait qu'en contra­vention à la loi, l'enfant serait finalement génétiquement lié à la mère porteuse; si l'action aboutit, la mère sera alors rétroactive­ment la mère porteuse.

39 Décisions du Tribunal d'instance d'Athènes 2827/2008 et de Salonique 13707, citées par A.C. PAPACHRISTOS, "Le don d'utérus et le droit hélennique », op. cit., p. 170.

,. Article 8 de la loi 3089/2002, lequel n'est pas inséré dans le Code civil. " Selon A.C. PAPACHRISTOS, «Le don d'utérus et le droit hélennique », op. cit., p. 170.

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3. L'Afrique du SUd42

35. Les sources. En Afrique du Sud, la maternité de substitution est organisée par la loi (Children's Act 38 de 2005). Ce texte prévoit un régime complet qui couvre tout autant les questions d'accès au procédé que les conséquences de sa mise en œuvre s'agissant de la filiation et de la prise en charge de l'enfant à naître.

36. L'accès. En règle, le processus de maternité de substitution est réalisé avec les gamètes des parents d'intention en sorte que la mère porteuse n'est pas la mère génétique de l'enfant. Aux tenues de l'ar­ticle 295 du Children's Act, les parents d'intention doivent être irrémé­diablement incapables de donner naissance à un enfant et doivent être à tous égards adéquats pour la prise en charge de l'enfant. L'un d'entre eux au moins doit être domicilié en Afrique du Sud. Dans une décision rendue en octobre 2011, dans une affaire Ex parte matter between WH, UVS, LG BJS, la North Gauteng High COU1't de Pretoria a pu expressément préciser que les couples homosexuels (en l'occurrence deux hommes respectivement hollandais et danois mariés et résidant en Afrique du Sud) étaient susceptibles de remplir ces conditions.

37. Le contrat. Le contrat de mère porteuse doit être soumis à la confirmation du tribunal avant le début du processus d'assistance médicale à la procréation. Semblable processus ne peut d'ailleurs être mis en œuvre plus de dix-huit mois après l'autorisation judi­ciaire. Le juge auquel est soumis le contrat peut refuser de l'approu­ver s'il lui apparaît qu'il existe un risque pour l'intérêt de l'enfant. Il y a lieu notamment que soient expressément prévues les hypo­thèses du décès d'un ou des parents d'intention et de la séparation du couple qu'ils forment. Il apparaît que les magistrats se livrent à un contrôle appuyé des projets parentaux et veillent notan1ment à dis­poser de nombreuses informations relatives, entre autres, au profil psychologique des candidats-parents ainsi qu'au passé médical et à la situation financière de la mère porteuse. Enfin, le Child1'en's Act 38 de 2005 prévoit expressément que la mère porteuse doit être mue par des motifs altruistes et non commerciaux.

"Les développements qui suivent synthétisent les contlibutions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: P. MAHERY, P. PROUDLOCK et L. JAMIESON, «A guide to the Children's Act for health professionals », 4' éd., 1" juin 2010, Children's Institute, University of Cape Town, (www.ci.org.za); N. SLABBERT, «Legal issues relating to the use of sur­rogate mothers in the practice of assisted conception », South Afriean Joumal of Bioethies and Law, vol. 5, n° 1, 2012, pp. 27-32.

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38. La filiation. Lorsque la mère porteuse ne procure pas son maté­riel génétique, la filiation de l'enfant est établie directement à l'égard des parents d'intention (sect. 297 du Children Act)43. il n'en va pas de même quand, par exception et en contradiction avec les règles énon­cées supra, la mère porteuse est également la mère génétique. Dans ce second cas uniquement, la mère porteuse dispose d'un délai de soixante jours prenant cours à la naissance de l'enfant pour dénon­cer le contrat (sect. 298 et 299 du Children Act)44. Cette option n'en­gage pas sa responsabilité contractuelle. Elle n'est tenue à l'égard des parents d'intention que du remboursement des frais qu'ils ont exposés en application de la loi dans le cadre du processuS45

4. IsraëZ46

39. Les sources. Israël est l'un des premiers pays à avoir éla­boré une réglementation encadrant la maternité de substitution. Le procédé est ainsi régi par la S,!!r:r"ogate Agreements (AppmvaZ of Agreements and Status of Newborn) Law de 1996.

40. L'accès. L'accès à la maternité de substitution est réservé aux couples hétérosexuels qui résident en Israël. La mère porteuse ne peut pas procurer son patrimoine génétique et est donc purement gestationnelle. L'ovule provient alors soit de la mère d'intention soit d'une donneuse. Par contre, le sperme doit être fourni par le père d'intention, le recours au don de sperme étant exclu. Un processus de réflexion relatif à ces différentes conditions d'accès a été initié en 2010.

43 Aux termes de l'article 297, 1, a, "the effect of a valid surrogate motherhood agreement is that any child born of a surrogate mother in accordance with the agreement is for ail purposes the child of the cornrnissioning parent or parents from the moment of the birth ».

4·1 Suivant l'article 298, 1, "A surrogate mother who is also a genetic parent of the child concer­ned may, at any tirne prior to the lapse of a period of sixty days after the birth of the child, termi­nate the surrogate motherhood agreement by fIlling written notice to the court ». Aux termes de l'article 299, a, «the effect of the terrnination of a surrogate motherhood agreement in terms of section 298 is that where the agreement is terrninated after the child is born, any parental rights established in terms of section 297 are terrninated ».

·15 Il semble que, pour certains, cette possibilité de rétractation devrait être ouverte également quand il n'existe pas de lien biologique entre la mère porteuse et l'enfant, au titre du droit à la dignité et au respect de la vie privée de la mère porteuse (N. SLABBERT, «Legal issues relating to the use of surrogate mothers ... », op. cit., p. 29).

·16 Les développements qui suivent synthétisent les contributions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: R. SCHUZ, « Surrogacy in Israel: an Analysis of the Law in Practice », in Sw"rogate MOtlU3Tlwod. Intemational Perspectives, op. cit., pp. 35-53 ; C. SHALEV, «Israel », in Gestation POU?' autnâ : SUTTogate motherlwod, op. cit., pp. 179-185.

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41. Le contrat. Il est intéressant de relever que le contrat de maternité de substitution est soumis en Israël au contrôle d'une instance pluridisciplinaire (Committee for AppTOving Surrogate Motherood Agreements). Ce comité d'approbation est composé de sept membres soit trois médecins, un psychologue, un assis­tant social, un membre issu de la société civile avec des connais­sances en droit et un ecclésiastique ressortissant au même culte que les parties. Il vérifie la réalité du consentement des parties et peut refuser d'approuver un contrat en cas de danger pour la santé ou les droits de la mère porteuse, ou par égard à l'intérêt de l'en­fant à naître. Progressivement, se sont jurisprudentiellement déga­gées des guidelines qui viennent en quelque sorte compléter les dispositions de la loi. Différents garde-fous sont destinés à pré­venir les risques d'exploitation. En particulier, l'examen du pro­jet par le comité d'approbation vise à s'assurer de ce que la future mère porteuse est psychologiquement et médicalement apte à s'en­gager dans le processus et en' mesure d'y consentir de manière libre et éclairée. Il est notamment prévu que la mère porteuse puisse se faire expliquer, respectivement par un médecin et un juriste, les conséquences médicales et juridiques de la démarche qu'elle s'apprête à entreprendre. L'indemnisation qu'elle recevra n'est pas fixée par la loi, mais soumise au contrôle du comité qui veille à ce que l'ensemble des frais potentiels soient visés au contrat et à ce que les parents disposent de ressources suffisantes pour assumer l'ensemble des frais et dédommagements. L'on vérifie aussi que la somme prévue n'est ni dérisoire ni outrageante.

42. La filiation. En droit israélien, le transfert de parenté au pro­fit des parents d'intention résulte d'une décision judiciaire pos­térieure à la naissance47

. La loi prévoit que par principe l'enfant doit être rattaché aux parents d'intention, mais la mère porteuse peut cependant solliciter que l'enfant lui soit juridiquement affilié en exposant les circonstances nouvelles susceptibles de justifier le retrait de son consentement. Dans tous les cas, le juge décide dans l'intérêt de l'enfant; il peut refuser de prononcer un transfert de parenté en faveur des parents d'intention si pareil transfert est contraire à son intérêt. Cependant, il apparaît, que pareille possi­bilité n'a, à ce stade, jamais été mise effectivement en œuvre par

" SUTTOgate Agreements (AppTOval of Agmements and Status of Newborn) Law de 1996, Section 11. Ce jugement a des effets identiques à ceux d'une adoption.

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une mère porteuse israélienne. Par ailleurs, la décision judiciaire est transcrite dans un registre spécifique accessible aux enfants à leur majorité, qui reprendra aussi des informations relatives à la mère porteuse, auquel l'enfant aura un droit d'accès à sa majo­rité. Ici encore, il apparaîtrait qu'il n'a pas encore été fait appel à cette possibilité.

5. Les États-Unis48

43. Absence de réglementation fédérale. La maternité de substi­tution ne fait (encore) l'objet d'aucune loi fédérale américaine, en manière telle que chaque État est susceptible de se pourvoir de la réglementation qu'il juge adéquate. Le droit américain de la gesta­tion pour autrui s'appréhende dès lors, sans surprise, comme une mosaïque de réglementations étatiques disparates49

: certains États acceptent et reconnaissent les contrats de mères porteuses, d'autres les bannissent totalement; d'a)ltres encore les permettent à cer­taines conditions; certains États ont adopté des lois sur la question, d'autres pasoo, Il n'est pas possible dans le cadre de cette contribu­tion d'exposer l'ensemble des solutions retenues, en manière telle que l'on se bornera à présenter deux options jugées représentatives parmi les états qui acceptent la gestation pour autrui : la Californie est longtemps restée dépourvue de législation applicable à la mater­nité de substitution et une pratique jurisprudentielle s'y était pro­gressivement construite qui admettait le recours à la technique; en

48 Les développements qui suivent synthétisent les contributions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: L. BRUNET, « De l'art d'accommoder la ges­tation pour autrui ... », op. cit., pp. 155-186; D. 1. HOFMAN, « "Man1a's Baby, Daddy's Maybe" : A State-by-State Survey of Surrogacy Law and their Disparate Gender Impact », William Mitchell Law Review, vol. 35, n° 2, 2009, pp. 449-468; J. MERCHANT, « Nouvelles configurations fami­liales, France et États-Unis », in Droit des familles, genre et sea;ualité, op. cit., pp. 245-260 ; R. RAO, « Surrogacy Law in the United States: The Outcome of Ambivalence ", in Swrrogate Motherhood. International Perspectives (R. COOK, S. DAY SCLATER et F. KAGANAS ed.), Oxford­Portland, Hart Publishing, 2003, pp. 23-34 ; H. S. SHAPO, « Assisted reproduction and the laws : disharmony on a divise social issue », Northwestern University Law Review, vol. 100, n° l, 2006, pp. 465-479; C. SPlVACK, « U.S.A. », in Gestation pour autnâ : Surrogate motherhood, op. cit., pp. 258-275.

49 li n'en va pas différemment en Australie et au Canada Pour ces deux pays, nous renvoyons le lecteur aux contributions suivantes: J. MILLBANKS, « The new surrogacy laws in Australia : cau­tious regulation or "25 brick wa1ls"? », MelbouT'lw University Law Review, vol. 35, 2011, pp, 1-44 ; L. LANGEVIN, « Canada: vers la reconnaissance juridique de la pratique des mères porteuses: état du droit canadien et québécois », in Gestation POU?' autn1i : Sîwrogate motherhood, op. cit., pp.85-107.

50 Pour un relevé de la position des différents états, cf. notan1ffient C. SPlVACK, « U.S.A », op. cit., pp. 261 et s.

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260 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

lllinois, le parti a été pris de faire entrer dans la loi la pratique des mères porteuses et l'on dispose depuis 2005 d'un texte spécifique­ment dédié à l'encadrement du processus.

a) La Californie51

44. Les sources. La Californie s'est récemment dotée d'une régle­mentation légale de la gestation pour autrui. Auparavant, à défaut d'interdiction, la pratique s'y était développée et la Cour suprême avait pu prendre position, dans un célèbre arrêt Johnson v. CalveTt de 1993, sur la détermination de la filiation juridique de l'enfant né dans le cadre d'un contrat de mère porteuse. Cette décision fon­datrice avait donné préséance à la mère d'intention qui était aussi la mère génétique de l'enfant par rapport à la mère porteuse de celui-ci, dans le cadre d'une maternité pour autrui uniquement ges­tationnelle. Elle est à l'origine d'un courant jurisprudentiel en ce sens mais il n'en demeure pas moin1? que le degré de sécurité conféré aux protagonistes était certainerrient moindre que celtù résultant, dans d'autres États américains, d'un ensemble structuré de règles éma­nant du législateur.

La Californie s'est tout récemment pourvue de différentes dis­positions relatives à la gestation pour autrui introduite dans le Family Code californien et qtÙ sont entrées en vigueur le 1er jan­vier 2013.

45. L'accès. En l'absence de régulation, les praticiens de la mater­nité de substitution avaient progressivement obtenu que les juridic­tions californiennes désignent un homme seul, une femme seule ou un couple homosexuel comme parent légal d'un enfant porté par une femme tierce dans le cadre d'un contrat de mère porteuse. il semble que dans la pratique antérieure à l'introduction du régime juridique de la gestation pour autrui dans le Family Code, il ait été généralement exclu que la mère porteuse soit génétiquement liée à l'enfant à raison des difficultés susceptibles de surgir au plan de

51 Sur le droit califorruen en particulier, voy. : F. BERYS, « Interpreting a Rent-a-Womb contract : How Califorrua Courts Should Proceed when Gestational Surrogacy Arrangements Go Sour », Westem Califomia Law Review, vol. 42, 2006, pp. 321-353; E.A. GORDON, «The aftermath of Johnson v. Calvert : surrogacy law reflects a more liberal view of reproductive technology »,

St. Thomas Law Review, vol. 6, 1993, pp. 191-211 ; S.H. SNYDER et M.P. BYRN, « The Use of Prebirth Parentage Orders in Surrogacy Proceedings », Family Law QllaTterly, vol. 39, n° 3, automne 2005, pp. 643-645; M. D. O'HARA et A W. VORZIl\lER, « In re Marriage of Buzzanca : charting a new des­tiny», Westem State UniveTsity Law Review, vol. 26, 1999, pp. 25-45.

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 261

l'établissement de la filiation de l'enfant. Aujourd'hui, la réglementa­tion californienne ne vise expressément que la seule gestational sur­rogacy (art. 7692, a).

Il n'y a aucune condition de résidence en Californie, ce qui contri­bue à faire de cet État un « surrogacy-friendly state ».

46. Le contrat. Dans le système du Family Code californien, le ou les parents d'intention et la mère porteuse (ainsi que son éventuel mari ou partenaire) doivent être représentés indépendamment par un conseil dans le cadre de l'élaboration du contrat de maternité de substitution (art. 7962 (b)), contrat qui doit, par ailleurs, être notarié (ou authentifié par témoins selon la méthode de certification appli­cable dans le conté concerné) (art. 7962 (c)). La loi ne définit qu'un contenu tout-à-fait minimal à ce contrat (date, personnes qui don­nent leurs gamètes si le don n'est pas anonyme, identité des parents d'intention) (art. 7962 (a)) en précisant bien qu'il ne doit évidemment pas être limité à cela. On peut supposer que la pratique établie avant l'adoption de la loi se poursuiVra : les contrats californiens com­portent un grand nombre de clauses. La substantial perfonnance constituée par la gestation de l'enfant et sa remise aux parents d'in­tention n'épuise sûrement pas les potentialités de pareilles conven­tions qui se déploient parfois fort loin. Les contrats peuvent ainsi viser, par exemple, non seulement l'obligation qu'a la mère porteuse de se prêter à certain suivi médical et le droit qu'elle a de recevoir une somme d'argent déterminée, mais également, différentes règles comportementales qui s'imposent à elle (prise de vitamines, absten­tion de consommer alcool et tabac, etc.). Enfin, certains contrats appréhendent la question de l'avortement, en conférant par exemple aux parents d'intention le droit de demander que la grossesse soit interrompue.

47. La filiation. La loi nouvelle prévoit que l'existence d'un contrat de maternité de substitution respectant les prescriptions légales neu­tralise les règles normales relatives à l'établissement de la filiation. La filiation des enfants est directement établie à l'égard des parents d'intention désignés dans le contrat via un jugement, qui peut inter­venir avant (ce qui semble privilégié, cf art. 7962(e)) ou après la naissance de l'enfant. Ce jugement dira pour droit que la mère por­teuse ainsi que son époux ou partenaire ne sont pas les parents de l'enfant et n'auront aucun droit ou obligation parental envers celui-ci (art. 7962, (e)), et cela pour autant que le contrat de maternité de substitution ait bien été respecté.

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262 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

Ni la pratique jurisprudentielle californienne ni la nouvelle régle­mentation ne permettent de déterminer avec précision l'issue qui serait celle d'un litige relatif à une traditional surrogacy, que la loi nouvelle s'attache pourtant à définir comme étant « une femme qui accepte de porter pour un ou des parents d'intention un embryon dont elle est la donneuse de gamète et crée avec le spenl1e du père d'intention ou d'un donneur» (art. 7960 (f) (1)). Si la mère porteuse transmet son propre patrimoine génétique à l'enfant, la question qui se pose est celle de savoir si la maternité d'intention prime ou non la conjonction de la maternité gestationnelle et de la maternité géné­tique dans le chef de la mère porteuse. À cet égard, les affaires In re maT'riage of Moschetta de 1994 et In re marriage of Buzzanca de 1998 ne permettent pas de trancher définitivement à ce stade la question de la prévalence éventuelle de la volonté (parenthood by intent) sur les autres fondements possibles de la maternité que sont la gestation et la génétique.

b) L'lllinois52

48. Les sources. L'Illinois s'est doté d'une réglementation de la maternité de substitution, à savoir le Gestational Surrogacy Act qui est entré en vigueur le 1er janvier 2005. Ce texte est à la fois particu­lièrement sécurisant - les parents d'intention sont sûrs de voir leur filiation établie - et particulièrement peu contraignant - aucune pro­cédure devant une juridiction ou une instance éthique n'est néces­saire. Dès lors qu'en outre, il ne prévoit pas de condition de rési­dence dans l'État, l'lllinois est devenu une destination privilégiée pour les candidats parents d'intention.

49. L'accès. Le Gestational Surrogacy Act de 2005 prévoit expres­sément que la mère porteuse ne peut pas être la mère génétique de l'enfant. S'il y a un seul parent d'intention, il doit pouvoir procurer ses gamètes, s'il y en a deux, au moins l'un d'entre eux doit être en mesure de le faire. La maternité de substitution est par ailleurs acces­sible aux couples de même sexe (voy. sect. 20). Différentes condi­tions sont posées également à la mère porteuse: elle doit notamment avoir au minimum 21 ans, avoir déjà donné naissance à un enfant et se soumettre à des évaluations médicales et de santé mentale. Par

52 Sur la situation particulière de l'Illinois, voy. : J.J. RICHEY, «A Troublesorne Good Idea : An Analysis of the Illinois Gestational Surrogacy Act ", Southem Illinois Law JOîirnal, voL 3D, 2005, pp. 169-194.

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 263

contre, la réglementation de l'état ne prévoit aucune condition de résidence en Illinois.

50. Le contrat. Le texte vise expressément certaines mentions qui peuvent figurer dans le contrat sans en affecter la validité (voy. sect. 25). Ainsi, il est loisible aux parties de prévoir l'obligation pour la mère porteuse de se soumettre au suivi médical préconisé par le médecin qui met en œuvre le processus ou l'interdiction pour elle de se livrer à certaines activités considérées dangereuses pour l'enfant. La mère porteuse peut obtenir des parents d'intention une compen­sation raisonnable outre la couverture des dépenses liées à la mise en œuvre du processus. Le contrat n'est soumis à aucune forme de contrôle quelconque, que ce soit avant ou après la naissance de l'en­fant. Certains regrettent que la question de l'avortement n'ait pas été réglée par le législateur. Par ailleurs, chaque partie au contrat doit être représentée par un avocat qui certifie qu'elle remplit les condi­tions prévues (voy. sect. 25 et 35).

51. La filiation. Pour auta~t que les conditions posées par le Gestational SUTTogacy Act de 2005 soient respectées, la mère por­teuse ne sera pas considérée comme la mère juridique de l'enfant et la filiation de celui-ci sera directement établie à l'égard des parents d'intention dès la naissance et ceux-ci seuls auront des droits paren­taux envers l'enfant (voy. sect. 15)53. Comme l'indiquent S.H. Snyder et M.-P. Byrn, la réglementation mise en œuvre dans l'Illinois est unique et «révolutionnaire» dans la mesure où cet établissement direct de la filiation dès la naissance (et même dès la signature du contrat) ne suppose aucune autorisation judiciaire (ou autre) quelle qu'elle soit54

.

53 Sec. 15. Rights of Parentage. (a) Except as provided in this Act, the woman who gives birth to a child is presumed to be the mother of that child for purposes of State law. (b) In the case of a gestational surrogacy satisfying the requirements set forth in subsection (d) of this Section: (1) the intended mother shall be the mother of the child for purposes of State law inunediately upon the birth of the child ; (2) the intended father shall be the father of the child for purposes of State law inunediately upon the birth of the child; (3) the child shall be considered the legitimate child of the intended parent or parents for purposes of State law inunediately upon the birth of the child ; (4) parentallights shall vest in the intended parent or parents inunediately upon the birth of the child ; (5) sole custody of the child shall rest with the intended parent or parents inunedia­tely upon the birth of the child ; and (6) neither the gestational surrogate nor her husband, if any, shall be the parents of the child for purposes of State law inunediately upon the birth of the child.

51 Suivant S.H. SNYDER et 1VI.P. BYRN,la réglementation mise en oeuvre dans l'lllinois est « unique and revolutionary» dans la mesure notamment où «amazingly, this prebirth determination is obtained without the delay or expense of any court proceedings of any kind », (S.H. SNYDER et 1VI.P. BYRN, «The Use of Prebirth Parentage Orders in Surrogacy Proceedings », Family Law Qua7·terly, voL 39, nO 3, automne 2005, p. 654).

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E. - Permissivité

1. L'Indé5

52. Les sources. La maternité de substitution ne fait à ce stade l'objet d'aucune réglementation en Inde. La jurisprudence en a tou­tefois admis la légalité (voy. le célèbre Baby Manji case5G

). En outre, le Indian Council of Medical Research a émis en 2005 un certain nombre de guidelines. La maternité de substitution appa­raît ainsi aujourd'hui en Inde comme un marché extrêmement lucratif dans lequel des sociétés privées opèrent dans des condi­tions éthiques douteuses57

. Un comité a été chargé par le minis­tère de la Santé indien de la préparation d'une réforme prenant la forme de projets de loi dont le Dmfted Assisted Reproductive Technology Bill and Rules, 2010. Un projet de texte est d'ores et déjà disponible, mais, suivant ses nombreux détracteurs, ses dis­positions ne sont pas de nature à canaliser la pratique des mères ,-porteuses, mais bien plutôt, au contraire, à en entériner le carac-tère extrêmement libéral.

55 Les développements qui suivent synthétisent les contlibutions suivantes auxquelles il est expressément renvoyé pour un examen approfondi: S. JAISW AL, « Commercial surrogacy in India: An Ethical Assessment of Existing Legal Scenario From the Perspective of Women's Autonomy and Reproductive Rights », Gendel; Technology and Development, vol. 16, n° 1, 2012, pp. 1-28; A. PA.NDE, «Commercial Surrogacy in India : Manufacturing a Perfect Mother-Worker, Signs : Journal of Women in Cultw'e and Society, 2010, vol. 35, n° 4, pp. 969-992; A. PANDE, "Not an "an gel" not a "whore" : surrogates as "dirty" workers in India", !Julian Journal of Gender Studies, 2009, pp. 141-173; K POINTS, "Commercial surrogacy and fertility tourism in India : The case of Baby Manji", Case studies in ethics, The Kenan Institute for Ethics, Duke University (www.duke.edu) ; L QADEER, "The ART of marketing babies", lndian Joumal of Medical Ethics, vol. 7, n° 4, oct.-déc. 2010, pp. 209-215 ; voy. aussi le projet de Assisted Rep1"Oduction Technology (Regulation) Bill and Rules 2010 et les guidelines sur le site du lndian Council of Medical Resem"ch : www.icrIU".nic.in.

56 Un couple hétérosexuel malié de japonais avait eu recours à une mère porteuse indienne pour porter un enfant conçu avec le sperme du mali et l'ovule d'une donneuse. Baby Manji était né le 25 juillet 2008, mais le couple de parents d'intention avait divorcé un mois avant la nais­sance. IJex-épouse ne voulait pas élever cet enfant, ce que souhaitait en revanche fai.re son ex­mari. Celui-ci se vit refuser un passeport japonais pour ramener l'enfant au Japon car le Code civil japonais ne reconnaît que la femme qui a donné naissance cornnle mère de l'enfant et ne reconnaît pas la gestation pour autrui. La délivrance d'un passeport indien n'était pas possible car le légis­lation requiert pour ce faire un certicat de naissance mentionnant le nom de la mère et du père, et l'un d'eux doit être indien; or en l'espèce, la délivrance du certificat posait problème quant à savoir qui était la mère de l'enfant. Après de nombreuses pélipéties administratives et judiciaires, un certificat de naissance ne mentionnant pas le nom de la mère a été délivré et un visa a pu être délivré. Cf not. S. JAISWAL, «Commercial surrogacy in India ... », op. cit., pp. 6-8.

57 IJlndian Council of Medical Resea?"ch estime que la gestation pour autrui constitue une « industlie » de 450 millions de dollars par an (S. Mor-IAPATRA, « Stateless Babies & Adoption Scas : A Bioethical Analysis of International Commercial Surrogacy », Berkeley Joumal of InteT"/lational Law, 2012, p. 432 citant U. REGACHARY SMERDON, « Crossing Bodies, Crossing Borders: International Surrogacy Between the United States and India », C?l?n. L. Rev., 45 (2008-09).

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 265

53. L'accès. Dans la pratique actuelle, qui se déploie donc hors de tout cadre légal, la mère porteuse n'est généralement pas génétique­ment liée à l'enfant qu'elle porte pour autrui. Le projet de loi ART Bill and Rules traduit cette pratique en exigence légale. Aux termes de l'article 34.19 du projet, aucune condition de résidence ne serait imposée aux parents d'intention.

L'Inde était, jusqu'il y a peu, une destination privilégiée par les couples gays désireux de recourir à la gestation pour autrui. Elle vient cependant semble-t-il de perdre ce statut. Non seulement, dans le projet de réforme, le procédé est limité aux couples qui ont une relation sexuelle qui est légale dans le pays dont ils sont citoyens ou dans lequel ils vivent, mais surtout, il apparaît que le ministère de l'Intérieur indien a émis au début de l'année 2013 des guidelines contraignantes restreignant expressément la délivrance de visas pour les parents d'intention aux couples hétérosexuels mariés depuis deux ans aux moins58

54. Le contrat. Le contrat de mère porteuse est généralement rédigé en anglais alors que les mères porteuses ne le comprennent pas. Ces femmes - qui proviennent des couches les plus défavorisées de la population indienne - sont recrutées par des cliniques privées et ins­tallées dans des surrogacy lwstels où elles sont conditionnées psy­chologiquement et physiquement pour devenir de parfaites mères por­teuses: en bonne santé, attentionnées pour l'enfant qu'elles portent et néanmoins disposées à le remettre immédiatement lors de la naissance.

Dans le cadre de la réglementation envisagée, aucun garde-fou par­ticulier ne serait posé à la liberté contractuelle. La question financière est ainsi totalement escamotée (art. 34.3 du projet) tandis qu'aucune information indépendante n'est garantie (art. 20.6). La partie faible, soit la mère porteuse, demeurerait donc, nonobstant l'intervention législative envisagée, à la merci des intermédiaires commerciaux.

55. La filiation. Suivant les guidelines du Indian Council of Medical Research, lorsque l'enfant est génétiquement apparenté

58 Suivant la presse indienne: « In a first-of-its-kind step towards regulating the practice of sur­rogacy in India, the Uruon home rninistry has issued stringent guidelines for visas being issued to foreigners seeking to rent a womb in India The diktat indicates that gay couples and single foreigners will no longer be eligible to have an Indian surrogate bear their child as only a foreign "man and woman" who have been married for a period of two years will be granted visas » (M. RAJADHYAKSHA, « No surrogacy visa for gay foreigners, The Times of India, 18 janvier 2013 (http://articIes.timesofrndiaindiatimes.com/2013-01-18/india/36415052_1_surrogacy-fertility-clirùcs­home-rninistry)).

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aux parents d'intention, c'est leur nom qui est d'emblée apposé sur l'acte de naissance de l'enfant et en l'absence de pareil lien , le recours à l'adoption est nécessaire (voy. les guidelines 3.5.4. et 3.10.1). Différentes affaires, dont celle de Baby Manji, ont montré qu'à défaut de loi, la situation juridique de l'enfant peut néanmoins être problématique 59. Dans le projet présenté par le comité mis en place par le ministère de la Santé, la mère porteuse ne peut être que gestationnelle et la filiation de l'enfant est établie dès la naissance à l'égard des parents d'intention, le certificat de naissance mention­nant directement le nom de ceux-ci (article 34.10 du projet), la mère porteuse abandonnant quant à elle ses droits parentaux sur l'enfant (article 34.4)60.

2. L'UkTaine61

56. Les sources. L'Ukraine s'est dotée d'une réglementation libé­rale en matière de materrù,~é de substitution. Les dispositions rela­tives au procédé ont été introduites dans le Code ukrainien de la famille. Le pays est rapidement devenu, à l'échelle mondiale, une destination très prisée pour ceux qui souhaitent réaliser leur désir d'enfant, en contournant les éventuelles interdictions ou restric­tions qui ont cours dans le pays où ils résident. Les mères porteuses ukrainiennes ne sont aucunement stigmatisées - à la différence, par exemple, des mères porteuses indiennes - en manière telle que de nombreuses femmes sont prêtes à mettre leurs facultés pro créatives au service d'autrui. En outre, les cliniques ukrainiennes pratiquent la sélection du sexe.

57. L'accès. Aux termes de l'article 123 du Code de la famille, la maternité de substitution est réalisée avec les gamètes du couple d'intention ou donnés par des tiers. La mère porteuse ne procure

59 En 2010, une autre affaire l'a démontré: un couple d'allemands a amsi dû procéder à une adoption internationale de jmneaux conçus à partir de lems gamètes pour pouvoir rentrer en Allemagne avec ceux-ci. Cf. S. JAlSIVAL, « Commercial surrogacy in India ... », op. cit., pp. 9-10.

60 Pour éviter le problème qui s'est posé dans l'affaire Baby Manji, il est aussi prévu que si les parents d'intention se séparent ou divorcent après l'insémination mais avant la naissance de l'en­fant, l'enfant sera considéré comme l'enfant légitime de ce couple (article 35.4 du projet).

61 Il est difficile de trouver des textes scientifiques entièrement dédiés au réginle jUlidique de la maternité de substitution en Ukrame. L'on peut cependant renvoyer le lecteur aux développe­ments qui y sont consacrés dans cette contribution dont les explications figurant dans le corps de texte constituent une synthèse: S. MOHAPATRA, « Stateless Babies & Adoption Scams ... », op. cit., pp. 412-450, spéc. pp. 430-432. Certames informations sont également disponibles sur le site de la EUTOpean Society of Hwnan RepTOduction and Embryology (http://www.eshre.euJESHRE/ English/Guidelines-Legal/Legal-docUl11entation/Ukrame/page.aspx/576).

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 267

pas son matériel génétique. Le texte réserve a priori la maternité pour autrui aux couples mariés ou à tout le moins officially regis­tered et aux femmes célibataires. En pratique cependant, des pro­cessus sont mis en œuvre au profit de couples gays, même s'ils sont formellement présentés comme destinés à réaliser le projet paren­tal d'un homme célibataire. L'Ukraine ne prévoit pas de condition de résidence à proprement parler, mais il semblerait qu'en octobre 2012 le législateur ukrainien ait décidé d'interdire le recours à la gestation pour autrui aux ressortissants de pays qui interdisent le procédé62

58. Le contrat. Le contrat de mère porteuse ne doit être soumis à aucune forme de contrôle, judiciaire ou éthique. Il faut toutefois que le consentement de la mère porteuse soit exprimé sous la forme d'un acte notarié. Ce contrat est présenté comme ne conférant aucun droit à la mère porteuse; il protège principalement l'enfant et les parents d'intention. La question du caractère exécutoire ou non du contrat reste floue.

La maternité de substitution en Ukraine fait l'objet d'un commerce florissant. Il apparaît que le recours à une mère porteuse coûte environ 30.000 à 45.000 $ pour le couple d'intention. L'essentiel de cette somme est accaparé par les sociétés qui assurent l'intermé­diation entre les parents d'intention étrangers et la mère porteuse ukrainienne. La somme perçue in fine par celle-ci s'élèverait tout au plus à 10.000 à 15.000 $. Il est probable toutefois que les restric­tions récemment apportées par le législateur ukrainien (interdiction du recours à la gestation pour autrui aux ressortissants de pays qui interdisent le procédé) auront un impact considérable sur ce marché ukrainien de la gestation pour autrui.

59. La f"ùiation. En vertu de l'article 123 du Code de la famille ukrainien et pour autant que le consentement de la mère porteuse ait été dûment exprimé dans un acte notarié, la filiation de l'en­fant est établie directement dans l'acte de naissance à l'égard des parents d'intention63

• La mère porteuse n'est donc à aucun moment la mère juridique de l'enfant qu'elle a accepté de porter pour le compte d'autrui.

62 Voy. à cet égard : http://www.genethique.org/?q=contentJl%E2%SO%99ukraine-adopte-une-loi­interdisant-le-recours-aux-m%C3%ASres-porteuses-pour-les-%C3%A9trangers.

63 IJarticle 123.2 du Code de la famille ukrainien prévoit que «si un embryon conçu par les époux est implanté dans une autre femme, les époux seront les parents de l'enfant ». Texte dispo­nible en ukrainien sur http://zakon3.radagov.ua/laws/show/524-16.

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268 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

F. - Esquisse d'une analyse transversale

60. Quelles balises? Que peut-on dégager de ce tour d'horizon? Quels enseignements le législateur belge pourrait-il tirer des expé­riences étrangères?

Une analyse transversale est, certes, complexe à réaliser tant le panel des positions adoptées est large. On peut néanmoins déga­ger certains constats, voire certains enseignements potentiellement utiles pour le législateur belge.

61. Prohibition ou absence de réglementation : quels constats? Deux constats peuvent être retirés, selon nous, de l'analyse réalisée des pays qui soit interdisent légalement le recours à la gestation pour autrui, soit n'ont aucune réglementation en la matière.

On constate, tout d'abord, qu'une prohibition affirmée expressé­ment (France, Espagne) ou «tacitement» (Japon, Argentine) sur le plan interne n'empêche évidemment pas (et dans tille certaine mesure encourage peut-être) le recours à la gestation pour autrui à l'étran­ger mais aussi, et surtout, la reconnaissance des situations acquises à l'étranger. Si le droit français adopte la même position de refus pour les gestations pour autrui tant « internes» que « externes» (si l'on peut ainsi appeler des gestations pour autrui réalisées dans le pays visé d'une part, ou à l'étranger par des ressortissants de ce pays, d'autre part), on constate qu'en Espagne64 et en Argentine65 (et dans une moindre mesure au Japon66

), la reconnaissance de situations acquises à l'étranger n'est pas impossible, voire organisée légalement (comme c'est le cas en Espagne). Et dans ces pays d'ailleurs, des processus de réflexion ou de modification législative en vue d'une éventuelle acceptation avec encadrement du procédé sont en cours, comme si l'acceptation des gestations pour autrui externes avait une sorte d'« effet domino» sur la possibilité d'envisager une acceptation de celles-ci en interne.

On notera, par ailleurs, qu'une absence de réglementation en matière de gestation pour autrui peut avoir deux types de consé­quences au plan interne : soit elle induit une interdiction d'y pro­céder sans avoir recours à des processus considérés comme

&l Voy. S1tpTa, n° 8. 65 Voy. sup1'a, n° 14. 66 Où la jUlisprudence refuse de reconnaître que la mère d'intention japonaise est la mère juli­

dique de l'enfant à défaut d'en avoir accouché tout en laissant ouverte la possibilité pOUl" celle-ci d'adopter l'enfant; voy. supm, n° Il.

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 269

frauduleux, comme au Japon67 et en Argentine68, soit, comme c'est le

cas en Belgique actuellement ou encore en Irlande69, elle n'empêche

pas l'existence de pratiques de maternités de substitution tacitement tolérées ou acceptées.

62. Réglementation: quelles lignes de force? L'analyse des pays ayant réglementé soit uniquement l'accès au procédé, soit l'accès au procédé et ses conséquences civiles permet de dégager, selon nous, certaines « lignes de force» sur les grandes questions qui se posent ou que devra se poser le législateur belge s'il souhaite encadrer léga­lement la gestation pour autrui.

63. Mère porteuse, mère génétique ou pas? Une question de base. On constate une diversité d'approches quant à l'exigence posée aux parents d'intention d'apporter une partie voire tout (Pays-Bas, Afrique du Sud70

) le patrimoine génétique qui sera utilisé. Mais une ligne de force se dessine en tous cas clairement: la plu­

part des États qui ont réglementé la gestation pour autrui ne per­mettent pas la procréation pour autrui, pour reprendre une termi­nologie qui différencie les situations dans lesquelles la femme qui porte l'enfant est uniquement gestatrice, d'une part, et celle où elle est à la fois gestatrice et génitrice de l'enfant, d'autre part71

• Si l'on fait abstraction de l'Inde - qui n'encadre quoiqu'il en soit pas la pratique actuelle -, parmi les systèmes analysés qui organisent de façon structurée l'accès à la maternité de substitution, seul le droit anglais permet que la mère porteuse soit la mère génétique de l'en­fant72

• Les autres réglementations analysées, en revanche, ne per­mettent pas que la mère porteuse procure son matériel génétique, même une législation permissive comme la législation ukrainienne73

ou le Gestationnal Surrogacy Act de l'état d'Illinois (qui, pourtant, apparaît comme une réglementation fort peu exigeante à d'autres égards74

). Ceci n'est pas sans conséquence sur la façon dont sont abordées et réglées par les différentes législations les autres ques­tions qui se posent quant au contrat d'une part, et surtout quant à

67 Voy. supm, nO' 10 et 12. 68 Voy. supra, n° 13. 69 Voy. sup1"a, n° 16. 70 Voy. supra, respectivement, nO' 20 et 36. 7I Sur le sens de ces distinctions temtinologiques, voy. l'introduction au présent ouvrage. 72 Voy. sup1"a, n° 28 73 Voy. sup1"a, n° 57. 74 Voy. infra, n° 49.

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270 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

la filiation d'autre part: le fait que la mère porteuse ne sera pas la mère génétique de l'enfant permet de prendre des positions ou d'en­visager des techniques de rattachement de l'enfant à ses parents d'intention qui ne pourraient être ou ne seraient sans doute pas envisagées si la femme qui l'a porté était aussi sa mère génétique.

Le législateur belge, s'il devait décider d'encadrer légalement la gestation pour autrui, se devrait, en tous cas selon nous, d'être conscient de ce que la position adoptée sur cette question première est tout à fait déterminante, et même conditionne la façon dont les autres questions peuvent être abordées.

64. Un accès et/ou une filiation subordonnés à une autorisation : de qui? Quand? Avec quels effets? Les deux systèmes juridiques les plus permissifs (avec les conséquences décrites75

) que nous avons analysés sont les systèmes indiens et ukrainiens. Ils ont un point commun: aucune instance n'est désignée pour opérer un contrôle sur l'accès à la gestation I?o,ur autrui qui, par ailleurs, entraîne un « boycott» total de la mèrè porteuse notamment en termes de filia­tion puisqu'elle ne deviendra pas la mère de l'enfant. Aucun contrôle, par une instance judiciaire, ou de type médical ou éthique, n'est opéré. La seule vérification opérée en Ukraine est celle posèe quant à l'expression des consentements, via l'exigence (bien ténue) d'un acte notarié. Le système organisé dans l'État américain de l'Illinois n'est, quant à lui, finalement pas très éloigné du système ukrainien: alors que la loi balise quelque peu le contenu du contrat, notam­ment quant à la couverture financière76

, celui-ci n'est soumis à aucun contrôle, la seule « garantie» prévue étant la nécessité pour chaque partie d'être représentée par lm avocat qui certifie qu'elle remplit les conditions prévues.

Tous les autres systèmes juridiques prévoient, en revanche, une forme de contrôle dont la nature et les conséquences varient.

Soit l'instance compétente pour le réaliser est une instance pluri­disciplinaire ou de type « éthico-médical ». C'est le cas en Nouvelle­Zélande, où la demande de gestation pour autrui doit être fonnulée auprès de l'Ethics Comittee on Assisted Reproductive Technology77 ou en Israël, où le contrat doit être approuvé par le Comittee f01'

;5 Voy, supm, nO' 53 à 55 et 56 à 59. ;6 Voy. sup1'a, nO 50. TI Voy. supm, n° 24.

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 271

Approuving Surrogate Motherhood Agreements78,79. Il n'est pas sans

conséquence de constater que dans ces deux systèmes, cette ins­tance contrôle le respect des conditions légales posées quant à l'accès au processus ou au contenu du contrat, mais que «l'ap­probation» donnée n'a pas pour effet, ensuite, de permettre un établissement direct de la filiation à l'égard des parents d'inten­tion : dans les deux cas, la mère porteuse sera désignée comme la mère de l'enfant et une procédure d'adoption conformément au droit commun (Nouvelle-Zélande) ou de transfert de parenté via une décision judiciaire (Israël) sera nécessaire pour établir la filia­tion à l'égard des parents d'intention80.

Soit le contrôle est opéré par une instance judiciaire. On constate que c'est la voie choisie par des pays ayant une législation pouvant apparaître comme construite et complète en la matière, comme la Grèce et l'Afrique du Sud. Ce contrôle judiciaire peut être requis avant le début du processus de ,gestation pour autrui, de sorte qu'un contrôle est opéré quant au ~espect des conditions fixées par la loi pour l'accès au processus et/ou le contenu du contrat, et qu'il peut apparaître comme une forme «d'autorisation» ou «d'homologa­tion » judiciaire du contrat: autorisation nécessaire pour mettre en œuvre le processus en Grèce81, confirmation du tribunal avant le début du processus d'assistance médicale à la procréation en Afrique du Sud82, ou encore preconception judicial appTOval dans différents États américains83, 84. Le point commun de ces systèmes est que le choix opéré d'une instance judiciaire pour ce contrôle est la raison

7B Voy. supra, n° 4l. 79 Pourrait-on inclure les Pays-Bas dans cette «catégorie » ? On hésitera à le faire dans la

mesure où n'y a pas de réglementation spécifique en la matière et que ce sont les règles de conduite de la Société d'Obstétrique et de Gynécologie qui « encadrent» les processus de gesta­tion pour autrui (cf supra, n° 19), sans que l'on puisse parler d'une autorité exerçant un contrôle de ceux-ci comme c'est le cas dans les pays où la loi impose ce contrôle.

BD Cf respectivement supra, n° 26 et n° 42. BI Voy. supra, n° 33. B2 Voy. supra, n° 37. sa Même si nous n'avons pas analysé dans la présente contribution les législations de ces

états, on signalera que la même logique a été adoptée par plusieurs autres états américains. Ainsi par exemple, en VIrginie, en Utah, au Texas, au New Hampshire, le contrôle du juge inter­vient de manière préalable à toute conception d'un enfant (p1'econception judicial appmval), avant que la grossesse de la femme «porteuse» n'ait débuté, pour autoriser la mise en œuvre de l'accord de sîwrogacy. A la naissance de l'enfant, une simple requête des parents d'inten­tion, dans un délai requis, devant le juge suffira pour obtenir des actes de naissance établis­sant leur parenté légale.

BI En Californie, il semble que ce jugement, selon la nouvelle loi, puisse avoir lieu également après la naissance (cf supra, n° 47).

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272 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

même et ce qui conditionne le choix législatif d'une technique per­mettant ensuite l'établissement de la filiation directement à l'égard des parents d'intention. C'est parce qu'une instance judiciaire a opéré, en amont du processus, ou à tout le moins de la naissance de l'enfant, un contrôle du respect des conditions légales posées ainsi que des droits de chacun, et notamment de la mère porteuse, que celle-ci ne sera pas inscrite comme étant la mère de l'enfant et que la filiation sera établie directement à l'égard des parents d'intention. Cet établissement direct s'opère, dans ces systèmes, au moyen et en raison d'un contrôle judiciaire et non pas sur le simple constat d'un accord de volontés privées.

III. - LA RECHERCHE DE BALISES DE DROIT INTERNATIONAL

65. Globalisation et gestation pour autrui. La diversité des options ouvertes à l'échelle moncUale conjuguée à la mobilité des classes moyennes et favorisées invite certainement à une réflexion sur les rap­ports entre globalisation et production de la règle de droit. Les États doivent-ils prendre leur parti de leur impuissance à maîtriser le phéno­mène ou disposent-ils au contraire de leviers internes susceptibles de leur permettre de poser en la matière des choix politiques véritable­ment effectifs CA) ? Les instruments internationaux de protection des droits de l'homme et les juridictions chargées de les interpréter et de les appliquer sont-ils susceptibles de faire émerger certains standards qui détermineraient partiellement ou orienteraient les choix internes (B) ? Est-il par ailleurs envisageable qu'une convention internationale spécifiquement dédiée à la question de la gestation pour autrui puisse être élaborée et procurer sinon des règles substantielles, à tout le moins des mécanismes d'articulation des droits nationaux CC)?

A. - Les choix internes face à l'internationalisation de la procTéation

66. Le «nivellement par le bas»? L'amplitude du spectre des solutions juridiques disponibles induit la tentation pour les indivi­dus en désir d'enfant de prospecter le marché procréatif interna­tional pour choisir la solution la plus adaptée à leur projet et à leur profil personnels. Certains états américains C comme l'Illinois voire la Californie), l'Inde et l'Ukraine sont ainsi des ordres juridiques notoirement « sU1·Togacy-fTiendly ». Mais la diversité des solutions

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 273

induit également certaines difficultés dans la transposition des liens établis à la suite de processus de gestation pour autrui. Au titre d'exemple, des pays comme la France et l'Espagne sont actuelle­ment soumis à une pression importante dans le contexte des débats relatifs à la reconnaissance des actes de l'état civil étranger, éta­blis dans des conditions qui sont en contradiction complète avec les solutions internes.

Tous les États doivent-ils renoncer à interdire ou à réguler la gestation pour autrui dès lors qu'elle est accessible ou plus aisément accessible à l'étranger? Certains le pensent et exposent qu'il vaut mieux autoriser et encadrer le processus pour éviter qu'il y soit fait recours à l'étranger dans des conditions éventuellement problématiques. D'autres dénon­cent au contraire un risque de nivellement par le bas à l'échelle mon­diale si tous les États doivent autoriser et encadrer un processus dès qu'il est disponible ailleurs. Cela d'autant plus que le mouvement géné­ral progresserait vraisemblablement vers la réglementation la moins contraignante ou le plus petit déh~minateur réglementaire communS5

67. Des solutions de droit interne? Face à cette problématique aigüe, certaines solutions de droit interne peuvent être mises en œuvre. En effet, comme le démontre très clairement P. Wautelet dans sa contribution à cet ouvrage, la réponse à apporter aux questions de droit international privé que posent les gestations pour autrui trans­frontières est en grande partie fonction de l'option retenue pour l'ap­préhension de la gestation pour autrui en droit internes6.

Ainsi, il est imaginable pour un pays qui interdit et sanctionne la maternité de substitution de poursuivre ceux qui cherchent à échapper à leur loi nationale en mettant en œuvre à l'étranger leur projet pro­créatifl7. À titre d'exemple, la Turquie poursuit les femmes qui recou­rent à l'étranger à l'insémination artificielless. En France, par contre, la loi pénale ne s'applique pas si les faits qu'elle sanctionne se sont dérou­lés exclusivement dans un pays où ils sont licites89

85 Voy. R. F. STORROW, « T'ravel into the future of reproductive teclmology ", UMKC Law Review, vol. 79, n° 2, pp. 295-307, spéc. pp. 301-302.

88 P. WAUTELET, « La filiation issue d'une gestation pour autrui. Quelles règles de droit interna­tional privé pour la Belgique? ", Cet ouvrage, spécialement nO' 5 et s.

87 Voy. à propos de cette technique dite du national p1"Înciple : R.F. STORROW, « T'ravel into the future of reproductive technology", op. cit., pp. 295-307, spéc. pp. 302-305.

88 Z. GÜRTIN-BROADBENT, « Problems with legislating agalnst "reproductive tourism" ", Bionews, 22 mars 2010 (www.bionews.org.uk); G. ZORLU, « Overseas Artificial Insemination Outlawed in Turkey ", Bionews, 22 mars 2010 (www.bionews.org.uk).

89 F. MONÉGER, « France ", op. cit., p. 165.

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274 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

Il est aussi imaginable pour un pays qui autorise et encadre le recours aux mères porteuses de restreindre l'accès aux tech­niques considérées à ses nationaux ou à tout le moins aux rési­dents. Certains pays - comme la Grèce90

, l'Afrique du Sud et Israël - ont mis en œuvre des mécanismes propres à réserver à leurs nationaux ou à ceux qui résident sur leur territoire le béné­fice de la gestation pour autrui et à protéger la souveraineté des autres États. L'évolution récente de la législation ukrainienne qui interdit la mobilisation du procédé au profit de ressortissants de pays qui l'interdisent s'inscrit certainement dans un même mou­vement.

B. - Le droit international des droits de l'homme

68. L'impact des droits fondamentaux. Certaines orientations en la matière pourraient aussi découler de la nécessaire prise en consi­dération des droits de l'hoJ;p.me et notamment, en ce qui concerne les pays membres du Conseil de l'Europe9I, de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Il est en effet clair que tant le principe même de la gestation pour autrui que l'attitude à prendre une fois que l'en­fant est né et confié aux parents d'intention posent diverses ques­tions sous l'angle des droits fondamentaux92

69. Les droits des adultes. La question se pose d'une part d'un éventuel droit d'accéder à la gestation pour autrui. Même si elle n'a pas encore rendu d'arrêt concernant spécifiquement cette question93

,

la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a d'ores et déjà expressément reconnu le « droit des couples à conce­voir un enfant et à recourir pour ce faire à la procréation médicale­ment assistée »94. Ce droit ne revêt toutefois pas une nature absolue et peut se voir assigner des limites, pour autant qu'elles poursuivent

00 A.C. PAPACHRISTOS, « Le don d'utérus et le droit hélennique », op. cit., p. 171. 91 Voy. aussi la Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de

l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine signée à Oviedo le 4 avril 1997.

D'.! Voy. pour un tour d'hOlizon des questions posées: C. PETTITI et C. BRETON, «La Cour euro­péenne des droits de l'hornnle et lamaîttise de la vie », op. cit., pp. 79-108; C. HENRICOT, S. SAROLÉA et J. SOSSON, « La filiation d'enfants nés d'une gestation pour autrui à l'étranger », note sous Liège, 6 septembre 2010, Rev. trim. d1: fam., 2010, pp. 1154-1162.

93 Mais plusieurs affaires sont pendantes: Menesson et autres c. France (requête n° 65192/11), Labassée et autres c. France (requête n° 65941/11) et Paradiso et Campanelli c. Italie (requête n° 25358/12). IJexposé des faits est disponible pour chacune de ces affaires sur le site de la Cour : www.echr.coe.intlECHRI.

DI Voy. Cour euro D.H. (grande ch.), arrêt Dickson C. Royaume-Uni du 4 décembre 2007.

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 275

de manière proportionnée un objectif légitime et qu'elles respectent la règle de non-discrimination95

.

Dans un arrêt S.H. c. Autriche rendu le 3 novembre 2011 en formation de grande chambre, la Cour européenne des droits de l'homme a ainsi considéré que l'interdiction de la fécondation in vitro hétérologue (i.e. avec don de sperme ou don d'ovules) n'ex­cédait pas la marge d'appréciation de l'État autrichien au regard du souci vanté de protéger la dignité humaine, le bien-être des enfants et la prévention des inconvénients et abus possibles. L'on pour­rait penser que si la Cour européenne a considéré conforme à la Convention l'interdiction des fécondations in vitro hétérologues, elle devrait a fortiori considérer que le refus d'ouvrir l'accès à la gestation pour autrui est acceptable. Cependant, la portée de l'ar­rêt S.H. est certainement biaisée par la circonstance que la Cour a choisi dans cette affaire d'examiner l'interdiction litigieuse au moment de sa validation par la Cour constitutionnelle autrichienne, soit en 1999. Il est difficile d~ns ce contexte de déterminer quelles pourraient être les conséquences de cet arrêt en 2013 !9G

La question du respect des droits fondamentaux de la mère por­teuse se pose d'autre part avec acuité. En effet, la décision de devenir parent97

, le recours au diagnostic préimplantatoire9s, les modalités de

95 il convient notamment d'avoir égard à la reconnaissance progressive des droits familiaux des homosexuels non seulement dans la jurisprudence de la Cour européenne (voy. not. Schalk et Kopf c. Autliche et Geu; et Dubois c. France) mais également dans lajurlsprudence du Comité des droits de l'homme des Nations-Unies (voy. L. HENNE BEL, « Conjugalités et discriminations en droit international des droits de l'homme ", in Conjugalités et disC1iminations (A-C. VAN GYSEL dir.), Limal, Anthemls, 2012, pp. 67-85). Pour une réflexion théorique sur la difficulté qu'il y a à régle­menter l'accès à la procréation assistée au regard des libertés publiques et en particulier du prin­cipe d'égalité et de non-discrimination, voy. : R. RAo, «Equal Liberty ... ", op. cit., pp. 1457-1489 (à propos du système constitutionnel américain. L'auteur envisage notamment la légitimité, au regard dudit principe, des réglementations qul réguleraient l'accès aux techniques considérées en recourant à des critères tels que l'orientation sexuelle ou l'âge. De même, la possibilité de bannir certaines techniques hétérologues et pas d'autres (qul était notamment en question dans l'affaire S.H. et autres) est examinée, toujours au regard de l'exigence d'égalité et de non-discrimination.

96 L'on peut signaler au demeurant la déclsion rendue le 28 novembre 2012 par la Cour inte­ramélicaine des droits de l'homme de San José dans l'affaire Atavia MUlilio y otTOS (fertiliza­cion in vitro) c. Costa Rica. La Cour y a considéré que l'interdiction absolue de la fécondation in vitm prévalant au Costa Rica suivant la jurlsprudence de la Cour suprême constituait une vio­lation des articles 5 (intégrité de la personne), 7 (liberté de la personne), 11 (honneur et dignité de la personne) et 17 (protection de la famille) de la Convention interaméricaine (voy. à ce pro­pos : N. NEUMANN DAS NEVES, «La Cour interaméricaine des droits de l'homme condamne l'inter­diction absolue de la fécondation in vitro ", in Lettre Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 4 mars 2013 (http://credof.u-parislO.fr).

97 Cour euro D.H. (grande ch.), arrêt Evans C. Royaume-Uni du 10 avril 2007, § 71, et Cour euro D.H. (grande ch.), arrêt Dickson C. Royaume-Uni du 4 décembre 2007.

98 Cour euro D.H., arrêt Costa et Pavan c. Italie du 28 avril 2012.

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276 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

l'accouchement99, la décision d'interrompre la grossesse100 ou l'éta­

blissement d'un lien de filiation avec l'enfant101 sont autant d'élé­ments qui ressortissent de manière évidente à la vie privée protégée par l'article 8 de la Convention102

IJensemble de ces aspects fait pourtant l'objet de clauses détaillées dans les conventions de mère porteuse. Faut-il considérer pareilles dispositions valables et sont-elles susceptibles d'exécution forcée en nature ou bien par équivalent? La question, extraordinairement épi­neuse, qui se pose est alors précisément celle de la possibilité pour une femme de renoncer de manière conventionnelle à certains droits fondamentaux liés à son corps et à ses faclùtés procréatrices, et la réponse que l'on y procure ne peut dépendre, en dernière analyse, que de la perception plus ou moins protectrice ou libérale que l'on a des droits fondamentaux103

• La question présente en réalité deux volets. En premier lieu, il convient de s'interroger sur le principe même de la renonciation à certains droits104 et, en second lieu, il faut, le cas échéant, s'interroger'-s{u. les conditions propres à garantir, si l'on accepte le principe d'une renonciation à un droit déterminé, le caractère libre et éclairé du consentement exprimé105

• Or, en admet­tant qu'il puisse être renoncé aux différentes facettes du droit au res­pect de la vie privée concernées par le processus de gestation pour

!l!l Cour euro D.H., arrêt Ternovszky C. Hongrie du 14 décembre 2010. 100 Cour euro D.H. (grande ch.), arrêt A, B et C C. Irlande du 26 mai 2011. 101 Cour euro D.H., arrêt Marckx C. Belgique du 13 juin 1979, §§ 35 et S.

10' Voy. aussi de la Convention des Nations-Unies sur l'élirnination de toutes les forn1es de dIs­crimination à l'égard des femmes (CEDAW) (Convention sur l'élirnination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, faite à New York le 18 décembre 1979, approuvée par la loi du 11 mai 1983, M.B., 5 novembre 1985, p_ 16178). IJarticle 5, b, de ce texte, qui prévoit que «faire en sorte que l'éducation familiale contribue à faire bien comprendre que la maternIté est une fonc­tion sociale et à faire reconnaître la responsabilité commune de l'homme et de la femme dans le soin d'élever leurs enfants et d'assurer leur développement, étant entendu que l'intérêt des enfants est la condition primordiale dans tous les cas )} apparaît par exemple fort peu compatible avec la maternité de substitution dans ses déclinations commerciales.

103 M. FABRE-MAGNAN, M. LEVINET, J.-P. MARGUÉNAUD et F. TuLKENS, « Controverse sur l'autonomIe personnelle et la liberté du consentement", Droits, Revue française de théorie, de philosophIe et de cuitures juridiques, 2008, n° 48, pp. 3-57.

10' Il est possible de réfléchir à cet égard à partir des questionnements induits par l'hypothé­tique possibilité de renoncer au droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention ou à l'inter­diction des traitements inhumains et dégradants prévue par l'article 3 de la Convention.

105 Voy. O. DE Sc HUTTER et J. RINGELHEIM, «La renonciation aux droits fondamentaux. La libre dIsposition du soi et le règne de l'échange ", CRlDHO Working Paper Series, 1/2005, (http://cridho. uclouvain.be/frl) ; O. DE Sc HUTTER, «Waiver of rights and state paternalism under the European Convention on human rights ", Northern f1-eland Law Qum'tm'ly, 2000, pp. 481-508; F. OST et S. VAN DROOGHENBROECK, «La responsabilité, face cachée des droits de l'homme ", in La 1'espon­sabilité face cachée des dTOits de l'/wmme (H. DUMONT, F. OST et S. VAN DROOGHENBROECK dir.), Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 38-49.

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 277

autrui, la qualité du consentement exprimé par la mère porteuse ne manque certainement pas de poser question notamment en raison de son caractère anticipé et de l'éventuelle situation de vulnérabi­lité affective ou financière dans laquelle elle est susceptible de se trouver.

70. L'intérêt de l'enfant. Quelles que soient les prérogatives recon­nues ou à reconnaître aux adultes, les instruments internationaux de protection des droits de l'homme commandent la prise en consi­dération prépondérante de l'intérêt de l'enfant106

• Or, il n'est pas de notion plus ambiguë que cet intérêt de l'enfant qui doit en tout cas être appréhendé différemment selon que l'on se place dans la situa­tion qui précède la réalisation du projet parental ou dans celle qui découle de sa mise en œuvre effective.

D'un côté, lorsqu'il n'existe encore qu'un désir d'enfant dans le chef d'un couple infertile ou d'un individu, l'intérêt de l'enfant peut constituer un frein à l'admission ,de la maternité de substitution. il est en effet à ce stade loisible d~ réfléchir la question abstraitement en termes de désirs individuels et de politiques sociales. Dans ce contexte, la légitimité du désir d'enfant se heurte éventuellement à la volonté de ne pas admettre et organiser la naissance d'enfants dans des configurations non-usuelles présentant le cas échéant une coloration financière et occultant parfois définitivement les cir­constances de la conception et l'identité de la mère gestationnelle (voy. supra).

D'un autre côté, dès lors qu'un enfant est né, fût-ce frauduleuse­ment ou bien à l'étranger, l'intérêt concret de cet enfant qui existe n'impose-t-il pas logiquement aux États, nonobstant les fraudes et détournements dont se seraient rendus coupables les parents, de per­mettre l'intégration de l'enfant dans sa famille constituée par ceux qui peuvent se prévaloir de l'effectivité d'une relation affective avec lui ? Pourrait-on alors considérer que le droit international des droits de l'homme recèlerait aujourd'hui une obligation pour les États de reconnaître dans leur ordre juridique les liens de filiation légalement

100 Voy. aussi la Convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 20 novembre 1989. Suivant l'article 3 de cet instrument, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ». Aux termes de l'article 7, «l'enfant est enregistré aus­sitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux ».

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278 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

constitués à l'étranger entre les parents d'intention et l'enfant né par gestation pour autrui ?l07

On ne peut, à nos yeux, répondre positivement à cette question dans l'état actuel de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Différents arrêts montrent en effet que si la Cour entend protéger les liens familiaux établis, elle s'attache moins à l'existence formelle d'un lien juridique de filiation qu'à la possibilité de mener une vie familiale effective.

Certes, dans l'arrêt Wagner c. Luxembou1'g du 28 juin 2007, elle a condamné les autorités nationales qui refusaient de reconnaître l'adoption réalisée au Pérou par une femme luxembourgeoise à rai­son notamment de l'existence de liens de facto entre l'enfant adopté et sa mère adoptive et de la prévalence de l'intérêt de l'enfant sur les règles de droit international privé. Encore soulignera-t-on le rôle joué dans cette espèce par l'existence antérieure, au Luxembourg, d'une pratique de reconnaissance d~s adoptions péruviennes sur base de laquelle Madame Wagner a~illt pu légitimement espérer que le lien noué à l'étranger pourrait être transposé dans son ordre juridique national108

Mais dans l'arrêt Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012, la Cour n'a pas jugé contraire au droit au respect de la vie familiale l'impossibilité pour une femme homosexuelle d'adopter l'enfant de sa partenaire conjugale alors que cet enfant était né d'un pro­jet parental commun des deux femmes et avait été élevé par elles depuis sa naissance. L'on peut déduire à ce stade109 de cet arrêt que l'existence d'une relation familiale parentale, fût-elle effective et partant digne de la protection de l'article 8 de la Convention, n'induit pas nécessairement l'obligation pour les États parties de

107 Voy. par ex. B. STARK, « Transnational surrogacy and international human rights law », ILSA JOUT'lwl of International & Compamtive Law, vol. 18, n° 2,2012, pp. 16 et s. Voy. aussi: C. PETTIT! et C. BRETON, « La Cour européenne des droits de l'homme et la maîtrise de la vie », op. cit., p. 100.

108 Cour euro D.H., arrêt Wagner c. Luxembourg du 28 juin 2007; voy. aussi S. SAROLÉA, « IJadoption internationale en droit belge à l'aune de la jurisprudence de la Com emopéenne des droits de l'homme », Rev. tTim. d1: fam., 2009, spéc. pp. 32-57.

109 Certes, les opinions séparées rendent compte d'une véritable inquiétude ou d'tille véritable hésitation au sein de la formation de jugement relativement à la plise en considération de l'intérêt de l'enfant dans le système français, et il n'est pas exclu que cette jurisprudence évolue à l'avenir, une affaire similaire étant pendante devant la grande chambre de la Cour ex. et autres C. Auttiche, Req. n° 19010/07). Sur les raisons qui donnent à penser qu'une autre section de la Com aurait pu aniver à un résultat différent, cf N. HERVIEU, « Droit au respect de la vie fanilliale (Art. 8 CEDH) : IJadoption internationale au ptise avec la kafala sous le regard européen », in Lettre Actualités Droits-LibeTtés du CREDOF, 8 octobre 2012 (http://credof.u-paris10.fr).

BRUYLANT

QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 279

permettre sa traduction dans un lien juridique de filiation adop­tivello. La même conclusion se déduit encore des arrêts Chavdarov c. Bulgarie du 21 décembre 2010 - relatif à l'impossibilité pour un père biologique de renverser la présomption de paternité du mari de la mèrelll

- et Harroud} c. France du 4 octobre 2012 - relatif à l'impossibilité pour une femme française d'adopter l'enfant qui lui avait été confié au titre de la kafalall2

- où, à nouveau, l'impossibi­lité d'établir un lien de filiation est considérée comme n'ayant qu'un impact limité sur la vie familiale effective.

Cette jurisprudence qui se développait et suivant laquelle la tra­duction d'une relation familiale effective dans un lien juridique de filiation n'était pas nécessairement essentielle pourrait cependant se trouver elle-même en porte-à-faux au regard de l'arrêt rendu par la grande chambre de la Cour le 19 février 2013 dans l'affaire X. et autres c. Autriche. La Cour a ainsi pu souligner dans cette der­nière affaire «l'importance que !evêt la reconnaissance juridique des familles de fait» en se référant, notamment, à son arrêt Wagne1' précité ll3

110 Cour euro D.H., arrêt Gas et Dubois C. France du 15 mars 2012. Voy. à propos de cet arrêt: A. GOUTTENOIRE et F. SUDRE, «La conventionnalité du refus de l'adoption par la concubine de l'enfant de sa compagne », note sous Cour euro D.H., arrêt Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012, Semaine jUTidique, édition Générale, n° 19, 7 mai 2012, 589, pp. 961-964; N. HERVlEU, « Pusillanimité jurisprudentielle et carences conventionnelles à l'heure d'assurer l'égale protec­tion des cellules familiales homoparentales », in Lettre Actualités Droils-LibeTtés du CREDOF, 16 mars 2012 (http://credof.u-parislO.fr).

III Cour euro D.H., arrêt Chavdarov C. Bulgarie du 21 décembre 2010. La Cour a considéré accep­table l'impossibilité pour un père biologique élevant seul ses trois enfants de contester la pater­nité présumée du mari de leur mère afm d'établir subséquemment sa propre filiation. La Cour a en particulier retenu que la vie familiale de cette famille monoparentale n'avait à aucun moment été mise en péril par l'impossibilité litigieuse, tandis que le requérant conservait la possibilité d'adop­ter ses enfants. Il s'ensuit semble-t-il que l'existence effective d'un lien parental affectif et exclusif combinée à un lien biologique avec l'enfant n'est pas nécessairement appelée à se traduire dans un lien de filiation stlicto sensu dès lors que la relation considérée n'est pas menacée. Voy., à propos de cet arrêt: M. DOURIs, « I1adoption, palliatif à la non-contestation de la filiation biologique », AJ famille, 2/2011, pp. 108-109; N. HERVlEU, « Présomption de paternité légitime et établissement du lien juridique de paternité au profit du père biologique », in LettTe Actualités Droits-Libertés du CREDOF, 26 décembre 2010 (http://credof.u-parisl0.fr).

112 La Cour considère que le refus de prononcer l'adoption d'une enfant mineur recueillie en Algétie via une kafala n'était pas contraire au droit au respect de la vie familiale au motif que le refus d'adoption ne heurte pas le bon développement des liens familiaux entre l'enfant et la per­sonne qui l'a recueilli. Cf. N. HER\~EU, « Droit au respect de la vie familiale ... », op. cit.

113 Cette affaire X. et autTes porte comme l'affaire Gas et Dubois sur l'impossibilité pour une femme homosexuelle d'adopter l'enfant de sa partenaire conjugale, mais elle s'en distingue à deux égards. D'une part, l'enfant n'avait pas été conçu par P.M.A. dans le cadre d'un projet parental commun aux deux femmes, mais il avait été mis au monde par l'une d'entre elles dans le cadre d'une relation hétérosexuelie antétieure. D'autre part, l'Auttiche, à la différence de la France, auto­tise l'adoption par le partenaire pour les couples non-mariés hétérosexuels. C'est ce second élé­ment de différence qui justifie, d'ailleurs, les solutions opposées dégagées dans les deux arrêts.

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280 GEOFFREY WILLEMS ET JEHANNE SOSSON

71. Prochains développements jurisprudentiels. Il paraît a priori peu probable que la Cour de Strasbourg statue rapidement sur la question de l'accès à la maternité de substitution en tant que tel114•

Aux termes des arrêts Evans ll5, Dickson1l6 et S.H. et au tres 117, la

grande chambre de la Cour européenne a consacré, sous la ban­nière de la vie privée garantie par l'article 8 de la Convention, l'existence d'un droit de procréer. Cependant, le régime de ce droit fondamental est à ce stade radicalement inabouti et il constitue en conséquence un droit en chantier : on ne peut encore dire l'am­pleur des abstentions et obligations qu'il est susceptible d'induire à charge des États, ni la nature exacte et le poids précis des intérêts collectifs ou particuliers qtÙ pourraient lui être opposés. Sans doute la mobilisation de la doctrine de la marge d'appréciation pennettra­t-elle d'ailleurs en tout état de cause encore un temps à la Cour de s'abstenir de structurer le régime jurisprudentiel de ce nouveau droit reconnu aux individus1l8

.

Il est par contre certain que la Cour prendra très prochaine­ment position sur la possibilité pour les parents d'intention de voir reconnu dans leur pays le lien qu'ils auront pu nouer à l'étranger suite à la mise en œuvre d'un processus de gestation pour autrui. La Cour est effectivement à ce jour saisie de trois affaires posant cette question précise: Menesson et autres c. France, Labassée et autres c. France et Paradiso et Campanelli c. Italiell9

• L'on sera particu­lièrement attentif dans ces arrêts à venir à la manière dont la Cour règlera la question essentielle de l'intérêt des enfants mis au monde par gestation pour autrui transnationale, dans le contexte spécifique d'une jurisprudence récente peu encline à in1poser la filiation comme

114 Cf not. J.-M. Sc HERPE, «Medically assisted procreation: this margin needs to be appre­ciated", T7w Cambridge Law JOîi11WI, vol. 71, n° 2, 2012, pp. 276-279; G. WILLEMS, « Cour de Strasbourg et procréation médicalement assistée avec tiers donneur: des choix interprétatifs empreints dejudicial self-Testmint", Rev. tTim. dl: fam., 2012, pp. 509-532.

115 Cour euro D.H. (grande ch.), arrêt Evans C. Royaume-Uni du 10 avril 2007; C. MORRIS, « Evans V. United Kingdom : Paradigms of Parenting ", T7w Mode11~ Law Review, vol. 70, n° 6, pp. 992-1002.

110 Cour euro D.H. (grande ch.), arrêt Dickson C. Royaume-Uni du 4 décembre 2007; M. EIJKHOLT, «The Right to Procreate is not Aborted. Dickson v. United Kingdom", Medical Law Review, 16, summer 2008, pp. 284-293.

117 Cour euro D.H. (grande ch.), arrêt S.H. et autres C. Autliche du 3 novembre 2011. 118 M. EIJKHOLT, « The Right To Found a Family ... ", op. cit." pp. 127-151 ; D. MORGA.\I, « Enigma

Variations: Surrogacy, Rights and Procreative Tourism ", in Slll~'ogate Molherhood. Intemational PeTspectives (R. COOK, S. DAY SCLATER et F. KAGA.\lAS ed.), Oxford-Portland, Hart Publishing, 2003, pp. 75-91.

119 I.:exposé des faits est disponible pour chaclUle de ces affaires sur le site de la Cour: WWW.

echr.coe.inUECHRI.

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QUELQUES REPÈRES DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL 281

traduction nécessaire des relations parentales. il n'est pas interdit de penser à cet égard que la Cour pourra être surtout attentive à la pos­sibilité pour les parents d'intention et l'enfant de bénéficier d'une vie familiale effective, quelles qu'en soient les modalités précises.

C. - L'élaboration d'une convention intel"nationale ?

72. La Conférence de La Haye. Une autre option réside dans l'éla­boration d'une convention internationale. Pareille convention pour­rait porter sur les importantes questions posées par le procédé et/ou sur les difficultés causées par le caractère international qu'il revêt souvent120

• Une certaine harmonisation pourrait à cet égard éventuel­lement découler des travaux de la Conférence de La Haye de droit international privé qui s'est lancée dans un important processus de réflexion relatif à la gestation pour autrui.

Si différents documents préparatoires d'ores et déjà disponibles rendent compte de l'ampleur et du sérieux des travaux, il est cer­tainement difficile à ce jour d'en prédire le résultat. En tout état de cause, la Conférence poursuit ses travaux de consultation et de recherche et devrait publier un nouveau rapport en avril 2013121

73. Deux options envisagées. il semble qu'à ce· stade de ses tra­vaux, la Conférence envisage deux pistes distinctes.

D'une part, la possibilité est examinée de « considérer la ques­tion dans le contexte d'un futur instrument complet concernant les aspects de droit international privé de l'établissement et de la contes­tation de la filiation juridique» en général et donc bien au-delà des questions spécifiquement posées par la gestation pour autrui. Cela étant, pareil chantier, extrêmement ambitieux, pose d'importantes questions en termes d'opportunité et de faisabilité 122

Il faut notamment souligner que les États pourraient exiger la présence dans pareil instrument d'une «clause d'ordre public» qui « [empêcherait] l'application du droit étranger ou la reconnais­sance d'une décision étrangère, d'un acte authentique ou d'une

1'0 Voy. S. MORTAZAVI, « It Takes a Village To Make a Child : Creating Guidelines for International Surrogacy », The GeOTgetown Law JOllmal, vol. 100, 2012, pp. 2249-2290.

121 Les documents préparatoires d'une éventuelle convention internationale - soit une note de mars 2011 et un rapport préliminaire de mars 2012 - sont d'ores et déjà disponibles en ligne sur le site de la Conférence: www.hcch.net.

122 Rapport prélin1inaire sur les problèmes découlant des conventions de maternité de substitu­tion à caractère international, mars 2012, n° 53 (http://www.hcch.neVupload/wop/gap20l2pd10fr. pdf).

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reconnaissance volontaire, lorsque ceci serait contraire à l'ordre public d'un État ». Or, c'est précisément ce type de clauses qui, présentes dans les droits nationaux, font aujourd'hui parfois obs­tacle à l'établissement de la filiation (en particulier maternelle) des enfants nés dans le cadre d'une gestation pour autrui transnatio­nale. La convention internationale élaborée pourrait alors se révéler impropre à éviter les « situations boiteuses» dans lesquelles se trou­vent les enfants concernés alors que ces situations sont précisément celles qui ont justifié la mise en œuvre du processus de réflexion mené par la Conférence123

D'autre part, il est envisagé de considérer la maternité de substi­tution comme un problème «brûlant» et « à part» et de mettre en œuvre une démarche « plus ciblée» qui reviendrait à tenter de trans­poser certaines solutions dégagées dans la Convention de 1993 sur l'adoption internationale à la pratique de la gestation pour autrui transfrontière124

À nouveau cependant, c~rtaines difficultés ne manqueront pas de se présenter. En premier lieu, il n'existe pas en matière de maternité de substitution internationale «un ensemble compa­rable de principes internationaux consensuels» en sorte qu'il pourrait être difficile de désigner des « principes communs pour un instrument international ». Néanmoins, la Conférence est encline à examiner la possibilité de mettre en œuvre «un sys­tème de garanties minimum» et «un système de coopération» qui rendraient possible l'énonciation d'un principe de reconnais­sance en manière telle que, moyennant un contrôle exercé par les États concernés en amont de la mise en œuvre du processus, la gestation pour autrui pourrait être internationalement mobilisée sans les incertitudes qui affectent aujourd'hui l'établissement de la filiation juridique de l'enfant125

IV. - CONCLUSION

74. Conflit de droit triangulaire. Les solutions retenues à l'échelle nationale en matière de gestation pour autrui restent à ce stade

123 Ibidem, nO' 53-55. 12·1 Ibidem, n° 58. 125 Ibidem, nO' 58-61.

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extraordinairement diversifiées, de l'interdiction absolue à la permis­sivité. Cette diversité foisonnante peut s'expliquer notamment par la circonstance que gît au cœur du processus un conflit de dTOit trian­gulaire confrontant les droits fondamentaux des parents d'intention à ceux de la mère porteuse et surtout à l'intérêt de l'enfant. Le poids important reconnu à chacun de ces intérêts spécifiques est tel que leur confrontation peut aboutir à des solutions très différentes et toutes justifiables en termes de droits fondamentaux.

L'intérêt prééminent de l'enfant n'est en l'occurrence pas en mesure de procurer des solutions fermes, puisque - par-delà les divergences très importantes auxquelles peut donner lieu la détermination de son contenu substantiel- il se donne à lire très différemment selon qu'on réfléchit de manière strictement interne ou que l'on prend en consi­dération la possibilité qu'ont les plus nantis des adultes en désir d'en­fant de mettre en œuvre leur projet procréatif dans le contexte le plus favorable. Quand semblable projet a été effectivement accompli à l'étranger, fut-ce dans des conditions éminemment problématiques ou douteuses, la préoccupation principale devrait être de permettre la prise en charge effective de l'enfant par les adultes qui ont souhaité sa naissance. L'internationalisation de la procréation met donc sous pression le droit interne menacé d'incohérence et éventuellement contraint d'adopter la solution la plus libérale (le plus petit déno­minateur commun). Si des solutions purement internes, orientées vers la protection de la souveraineté des États, existent, dans le chef des pays plus restrictifs comme dans celui des pays plus libéraux, une réflexion plus globale semble indispensable qui se nourrira plus que certainement des tout prochains développements de la jurispru­dence strasbourgeoise comme des grands travaux mis en œuvre par la Conférence de La Haye.

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