Evolution architecturale du sanctuaire des "Champs des Fougères" à Mandeure (Doubs, F) durant...

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423 Matthieu THIVET 1 et Pierre NOUVEL 2 1. Ingénieur de recherche, UMR 6249 CNRS-Université de Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement, 30-32 rue Mégevand, 25030 Besançon cedex. [email protected] 2. Maître de conférence en archéologie, UMR 6249 CNRS-Université de Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement, 30-32 rue Mégevand, 25030 Besançon cedex. [email protected] Résumé Le lieu-dit les « Champs des Fougères » est traditionnellement connu à Mandeure pour avoir livré les fragments d’une statue colossale de Mars. Or, les prospections magnétiques réalisées en 2003 y ont détecté deux anomalies linéaires parallèles caractéristiques d’un péribole. Les trois campagnes de fouille réalisées sur le site entre 2007 et 2009 ont alors permis de recon- naître environ 40 % de la surface totale supposée d’un sanctuaire inédit, mais elles auront surtout permis de définir un phasage précis des principales étapes de développement de l’édifice entre La Tène finale et l’Antiquité tardive. Nous présentons donc ici les phases contemporaines de l’Empire romain qui correspondent aux principales étapes de monumentalisation de l’édifice jusqu’à son démantèlement durant l’Antiquité tardive. Abstract The site known as the « Champs des Fougères » is traditionally associated with the discovery of fragments of a colossal statue of Mars. In 2003, however, magnetic prospecting detected the pre- sence of two parallel linear anomalies characteristic of a peribolos, and this led to the discovery of hitherto unknown sanctuary. Around 40 % of the area thought to belong to this sanctuary was explored during three later excavations, conducted between 2007 and 2009, which have been crucial to attempts to define the precise phases of the building’s development between the late La Tène period and Late Antiquity. This paper presents the phases of the Roman Empire as they correspond to the key stages of the monumentalisation of the building until it was dismantled in Late Antiquity. (Traduction Sadie Plant) Zusammenfassung Der Flurname « Champs des Fougères » steht in Mandeure im Zusammenhang mit der Entdeckung von Fragmenten einer Kolossalstatue des Mars. Nun hat die Durchführung von magnetischen Prospektionen im Jahr 2003 erlaubt, ein unbekanntes Heiligtum zu finden, da zwei längliche gleichlaufende Anomalien ein Peribolos erkennen liessen. Die drei auf dem Gelände zwischen 2007 und 2009 durchgeführten Grabungskampagnen legten etwa 40 % der Gesamtfläche des Heiligtums frei und trugen dazu bei, dass eine genaue Phasierung der wichtigsten Etappen in der Entwicklung des Gebäudes zwischen La Tène und der Spätantike zu erkennen ist. Damit können wir die zeitgenössischen Bauphasen des Römischen Reiches, welche die wichtigsten Schritte zur Monumentalisierung des Gebäudes darstellen, bis zu seinem Abbau in der Spätantike bilden, vorstellen. (Traduction Cynthia Dunning) Évolution architecturale du sanctuaire des « Champs des Fougères » à Mandeure (Doubs, F) durant l’Antiquité Extrait de : A. Richard, F. Schifferdecker, J.-P. Mazimann, C. Bélet- Gonda (dir.). Le peuplement de l’Arc jurassien de la Préhistoire au Moyen Âge. Actes des deuxièmes journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien, Delle (F) – Boncourt (CH), 16-18 novembre 2007. Besançon, Presses Universitaires de Franche- Comté et Porrentruy, Office de la culture et Société jurassienne d’Émulation, 2013, 586 p., (Annales Littéraires de l’Université de Franche- Comté, série Environnement, sociétés et archéologie 17 ; Cahier d’archéologie jurassienne 21). Gallo-Romain

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Matthieu ThiveT1 et Pierre Nouvel2

1. Ingénieur de recherche, UMR 6249 CNRS-Université de Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement, 30-32 rue Mégevand, 25030 Besançon cedex. [email protected]. Maître de conférence en archéologie, UMR 6249 CNRS-Université de Franche-Comté, laboratoire Chrono-environnement, 30-32 rue Mégevand, 25030 Besançon cedex. [email protected]

RésuméLe lieu-dit les « Champs des Fougères » est traditionnellement connu à Mandeure pour avoir livré les fragments d’une statue colossale de Mars. Or, les prospections magnétiques réalisées en 2003 y ont détecté deux anomalies linéaires parallèles caractéristiques d’un péribole.Les trois campagnes de fouille réalisées sur le site entre 2007 et 2009 ont alors permis de recon-naître environ 40 % de la surface totale supposée d’un sanctuaire inédit, mais elles auront surtout permis de définir un phasage précis des principales étapes de développement de l’édifice entre La Tène finale et l’Antiquité tardive. Nous présentons donc ici les phases contemporaines de l’Empire romain qui correspondent aux principales étapes de monumentalisation de l’édifice jusqu’à son démantèlement durant l’Antiquité tardive.

AbstractThe site known as the « Champs des Fougères » is traditionally associated with the discovery of fragments of a colossal statue of Mars. In 2003, however, magnetic prospecting detected the pre-sence of two parallel linear anomalies characteristic of a peribolos, and this led to the discovery of hitherto unknown sanctuary. Around 40 % of the area thought to belong to this sanctuary was explored during three later excavations, conducted between 2007 and 2009, which have been crucial to attempts to define the precise phases of the building’s development between the late La Tène period and Late Antiquity. This paper presents the phases of the Roman Empire as they correspond to the key stages of the monumentalisation of the building until it was dismantled in Late Antiquity.(Traduction Sadie Plant)

ZusammenfassungDer Flurname « Champs des Fougères » steht in Mandeure im Zusammenhang mit der Entdeckung von Fragmenten einer Kolossalstatue des Mars. Nun hat die Durchführung von magnetischen Prospektionen im Jahr 2003 erlaubt, ein unbekanntes Heiligtum zu finden, da zwei längliche gleichlaufende Anomalien ein Peribolos erkennen liessen.Die drei auf dem Gelände zwischen 2007 und 2009 durchgeführten Grabungskampagnen legten etwa 40 % der Gesamtfläche des Heiligtums frei und trugen dazu bei, dass eine genaue Phasierung der wichtigsten Etappen in der Entwicklung des Gebäudes zwischen La Tène und der Spätantike zu erkennen ist. Damit können wir die zeitgenössischen Bauphasen des Römischen Reiches, welche die wichtigsten Schritte zur Monumentalisierung des Gebäudes darstellen, bis zu seinem Abbau in der Spätantike bilden, vorstellen.(Traduction Cynthia Dunning)

Évolution architecturale du sanctuaire des « Champs des Fougères » à Mandeure (Doubs, F) durant l’Antiquité

Extrait de :A. Richard, F. Schifferdecker, J.-P. Mazimann, C. Bélet-Gonda (dir.). Le peuplement de l’Arc jurassien de la Préhistoire au Moyen Âge. Actes des deuxièmes journées archéologiques frontalières de l’Arc jurassien,Delle (F) – Boncourt (CH), 16-18 novembre 2007. Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté et Porrentruy, Office de la culture et Société jurassienne d’Émulation, 2013, 586 p., (Annales Littéraires de l’Université de Franche-Comté, série Environnement, sociétés et archéologie 17 ; Cahier d’archéologie jurassienne 21).

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Deuxièmes Journées Archéologiques Frontalières de l’Arc Jurassien

Préambule

Le sanctuaire des « Champs des Fougères », qui s’insère au sein d’un vaste complexe monu-mental se développant sur les marges sud de l’agglomération de Mandeure, apparaît comme l’un des deux principaux ensembles cultuels de cette zone, à côté de celui dit des « Cloux du Château », vierge de travaux archéologiques depuis plus d’un siècle.La réalisation de trois campagnes de fouille successives entre 2007 et 2009 nous aura per-mis de reconnaître environ 40 % de la sur-face totale supposée de l’édifi ce correspondant néanmoins à la totalité des terrains accessibles à la fouille (fi g. 1). Un quartier résidentiel s’est en effet édifi é sur le reste du site au cours des années 1950 à 1960, empêchant ainsi l’accès à la zone nord du péribole et au centre du sanc-tuaire, là où s’élevait probablement le ou les temples du complexe religieux.Un des apports essentiel de ces trois campagnes de fouille réside dans le phasage précis des

étapes de développement du site. Les premières phases d’occupation du site (état 1 et 2), datées de La Tène fi nale, ayant déjà été décrites récem-ment (Nouvel et Thivet 2011), nous présente-rons ici les phases contemporaines de l’Empire romain qui correspondent aux principales étapes de monumentalisation de l’édifi ce jusqu’à son démantèlement durant l’Antiquité tardive.

1. État 3 : première moitié du ier siècle (fi g. 2)

Cette étape correspond à un profond remanie-ment du site, daté des années 30 de notre ère et marqué par la mise en place d’une cour annu-laire empierrée de 16 m de large, enserrant le sanctuaire lui-même et recouvrant partielle-ment les aménagements antérieurs (Nouvel et Thivet 2009).Vers l’extérieur, cet enrochement se termine en fuseau et repose directement sur le sol antérieur de galets défi nissant ainsi une rampe d’accès au sanctuaire. Sur sa marge interne, un talus, large d’environ 1 à 2 m, rattrape la cinquantaine de centimètres gagnés par l’édifi cation de la cour tout en suivant la forme ovalaire adoptée par le sanctuaire. Il est renforcé par une série de poteaux fortement ancrés. Dans la zone sud, les calages sont constitués exclusivement de fragments de faune, alors que dans la partie septentrionale les calages sont réalisés en blocs calcaires de petit appareil apprêtés (fi g. 3). Cet usage est d’autant plus étonnant qu’aucun bâti-ment en maçonnerie ne semble exister à cette phase sur notre sanctuaire. S’il est probable que ces poteaux aient supporté une charpente, ils ne possèdent cependant aucun vis-à-vis du côté de l’extérieur. On peut donc supposer que la charpente, si elle a existé, reposait sur un mur édifi é sur une sablière basse directement dispo-sée sur la surface de la cour. Toujours est-il que cet aménagement complexe détermine la limite du sanctuaire, en lieu et place des palissades des phases précédentes. De plus, à l’endroit ou l’andain amorce sa courbe vers le nord-ouest, la rampe est recouverte, sur environ 6,5 m de large, par une couche de chaux partiellement effondrée dans le remplissage de la fosse sous jacente. Elle recouvre les aménagements d’en-trée des phases précédentes et correspond cer-tainement à l’accès au sanctuaire depuis l’an-neau empierré périphérique. On notera donc que le tracé général de ce troisième état, autant que l’emplacement de l’accès s’inspirent direc-tement des aménagements préexistants.Au cours des décennies qui suivent ce vaste pro-gramme, les aménagements, en particulier dans l’enceinte du sanctuaire, sont peu nombreux. Ils se limitent à une série de fosses comblées 0 10 20 30 405

Mètres

Cour extérieure

Talus / endainVoie

Sols du sanctuaire

PalissadeFosse de récupération

Drain / Fossé divers

Four

Maçonnerie

TP (péribole, bâtiments)TP (divers)

Fosse

N

Fig. 01 - Mandeure, Champs des Fougères. Plan d’ensemble des structures fouillées (hors niveaux de sols stratifiés)

et proposition de restitution de l’emprise du sanctuaire sur le plan cadastral.

rue du clos

Fig. 1.Mandeure« Champs des Fougères ». Plan d’ensemble desstructures fouillées (hors niveaux de sols stratifi és)et proposition de restitution de l’emprise du sanctuaire sur le plan cadastral.(M. Thivet, P. Nouvel)

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Évolution architecturale du sanctuaire des « Champs des Fougères » à Mandeure (Doubs, F) durant l’Antiquité

0 10 20m5

Fig. 02 - Mandeure, Champs des Fougères. Etat 3 : Première moitié du Ier siècle.

Plan et proposition de restitution de l’assiette du sanctuaire.

Sol du sanctuaire

Cour annulaire extérieure

Arbre

Dépôt en vase

Trou de poteau

Structure fossoyée

Talus / endain

Remblai

accès chaulé

galerie / palissade ?

fouille 2008

fouille 2009

foui

lle 2

007

Fig. 2. Mandeure« Champs des Fougères ». État 3 : première moitiédu Ier siècle. Plan etproposition de restitutionde l’assiette du sanctuaire.(M. Thivet, P. Nouvel)

Fig. 3 : Mandeure« Champs des Fougères ».Vue d’ensemble detrois trous de poteauxcomposants le périboledu sanctuaire à l’état 3, dont le calage est fait de moellons calcaire.(Cliché M. Thivet)

Fig. 4 : Mandeure Champs des Fougères. Amphore locale portant le gra�to «ATEPA» ou «AREPA» Ech : 1/3 Dessin DAO D. Champeaux

0 5 cm

3167/01

Fig. 4 : Mandeure « Champs des Fougères ». Amphore locale portant le graffi to « ATEPA » ou « AREPA ». (Dessin et DAO D. Champeaux)

de mobilier associant céramique, carcasses ani-males et mobilier métallique. Toutefois, ces types de dépôts ne se limitent pas aux seules fosses. Il faut en effet noter qu’au sud de la zone fouillée, sur une vingtaine de mètres, le talus était recouvert d’un épais épandage de faune, vestiges de multiples opérations de bou-cherie liées aux pratiques cultuelles qui se sont déroulées dans l’enceinte du sanctuaire. De plus, la fouille de la masse de l’andain a révélé,

à proximité de la coupe ouest de la fouille, un dépôt structuré. Il est formé d’une petite amphore locale à deux anses au fond inten-tionnellement perforé (fi g. 4). Elle contenait deux petites monnaies tibériennes, quelques ossements de volaille et une masse de graines (encore en cours d’étude). L’épaule du récipient portait le graffi to « ATEPA » ou « AREPA » qui peut renvoyer autant au dédicant qu’à la divi-nité honorée.

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2. État 4 : seconde moitié du ier siècle (fi g. 5)

Dans le dernier quart du Ier siècle de notre ère, un vaste programme de construction est entre-pris aux « Champ des Fougères ». Il consiste dans l’édifi cation d’un péribole maçonné percé d’une porte sur laquelle débouche une voie d’accès.Ces travaux sont marqués par la mise en place d’une galerie formée de deux murs. À inter-valles réguliers, on observe sur la face interne du mur intérieur une succession de poches de taille, nettement visibles. Ces différents élé-ments confi rment que ce mur interne suppor-tait une colonnade en calcaire, dont le ravale-ment s’est fait sur place. Le mur externe, quant à lui, présente une physionomie différente. Sur l’essentiel de son parcours, il repose direc-tement sur la surface de la cour annulaire de l’état 3, les fondations posées sur un lit de réglage en béton.Quelques éléments nous permettent de res-tituer dans ses grandes lignes l’élévation de l’accès monumental. La présence d’un élargis-sement du mur extérieur et la présence, dans

une fosse de spoliation voisine, de dalles en calcaire de Vergennes, permet de supposer que cet aménagement supportait un emmar-chement. Sur le mur interne, l’aménagement semble plus abouti. Deux dés débordant de la maçonnerie portent les traces de l’arrachement de blocs en grand appareil, qui devaient former l’élévation des piédroits. L’accès ainsi délimité forme un passage de 2,6 m de large (fi g. 6). Il semble, d’après la mise au jour d’un fragment d’entablement simple dans une fosse de spo-liation voisine, que la superstructure de cette porte était elle aussi réalisée en grand appareil. La récupération méticuleuse de ces éléments ne permet malheureusement pas de restitution plus précise. Immédiatement à l’ouest de l’en-trée, les aménageurs ont mis en place un épais hérisson délimitant une voie pénétrant dans le sanctuaire. Il supporte différentes recharges à un endroit où la fosse sous-jacente rendait le ter-rain particulièrement instable.Les sols internes de la galerie, quant à eux, sont en grande partie arasés. Seul un remblai d’argile rouge orangé très pierreux, reposant directe-ment sur la couche de construction des maçon-neries a pu être systématiquement retrouvé. Cette couche supportait vraisemblablement un radier de sol et un sol, totalement détruits dans la fenêtre fouillée. Seuls subsistaient une couche hétérogène qui correspond probablement aux vestiges de l’arrachage et de la récupération d’un sol dallé.Il semble donc que les architectes aient recher-ché, lors de cette phase de monumentalisation de l’édifi ce, un compromis entre la nécessité de conserver l’entrée là où elle était implantée précédemment et celle de réorienter l’accès par rapport aux points cardinaux ou à la mise en place d’autres aménagements tel que le théâtre par exemple. Le résultat est maladroit. L’entrée monumentale dans le complexe se trouve posi-tionnée en biais par rapport à la section recti-ligne préexistante, rompant la régularité du tracé ovalaire de l’enceinte.0 10 20m5

Sol du sanctuaire

Cour annulaire extérieure

Voie

Mur

Arbre

Trou de poteau

Structure fossoyée

Talus

Galerie du péribole

Fig. 05 - Mandeure, Champs des Fougères. Etat 4 : Seconde moitié du Ier siècle.

Plan et proposition de restitution de l’assiette du sanctuaire.

système d’entrée

canalisation

canalisation

poche de taille

canalisation

mur d’enceintedu complexe cultuel

Fig. 5. Mandeure« Champs des Fougères ». État 4 : seconde moitiédu Ier siècle. Plan etproposition de restitutionde l’assiette du sanctuaire. (M. Thivet, P. Nouvel)

Fig. 6 : Mandeure « Champs des Fougères ». Vue d’ensemble du système d’entrée du sanctuaire aménagé dans le péribole maçonné de l’état 4. (Cliché M. Thivet)

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Évolution architecturale du sanctuaire des « Champs des Fougères » à Mandeure (Doubs, F) durant l’Antiquité

Le croisement de l’axe déterminé par la voie avec celui du grand axe de symétrie permet de restituer, dans ses grandes lignes, l’extension et la forme générale du monument dans son contexte actuel. On obtient un ensemble ova-laire de 88 m dans son grand axe et de 63 m dans son petit axe couvrant donc une surface d’environ 4 600 m².Sensiblement au même moment, un premier état de mur de clôture est édifi é, formant la limite septentrionale du vaste complexe monu-mental de Mandeure. La structure du sanc-tuaire mise en place à cette phase en constitue la forme défi nitive. On remarque d’ailleurs que

l’installation des premiers niveaux de drainage, dans la cour externe, remonte probablement à cette phase, lors de la conception du monu-ment. Tous tendent à évacuer l’eau des toitures de la galerie et d’un hypothétique bâtiment cen-tral. L’ensemble des modifi cations observées par la suite resteront mineures.

3. État 5 : iie et iiie siècles (fi g. 7)

À partir du IIe siècle, les activités du sanctuaire ne s’observent plus qu’à travers la continuité d’occupation des espaces de circulation : les structures et les sols mis en place à la phase 4 sont toujours utilisés. Tout au plus, peut-on noter quelques aménagements complémen-taires, aujourd’hui très arasés.Dans la seconde moitié du IIe siècle/première moitié du IIIe siècle, la voie et les couches de circulation de l’aire interne sont renforcées. La voie reçoit une recharge de gravier, les trot-toirs sont empierrés et rechargés en tuiles. Les niveaux de circulation au-delà reçoivent égale-ment quelques épandages de matériaux.Au nord, d’autres caniveaux sont percés. Ces modifi cations sont à mettre en liaison avec la restructuration de la limite septentrionale du complexe monumental. Le mur, mis en place à la période précédente, est détruit et récupé-ré. Il est remplacé par une galerie formée de deux murs, avec une orientation légèrement divergente.À l’intérieur du péribole, une série de construc-tions se développe parallèlement à la voie et au nord de celle-ci. Elle se compose d’un bâtiment, à l’ouest, de forme rectangulaire (4,8 m x 3,2 m) (fi g. 8), dont le plus long côté est parallèle à la galerie du péribole. Il est précédé à l’est de deux bases qui permettent de lui restituer un auvent prostyle. Une grosse base hérissonnée, grossiè-rement quadrangulaire (2,5 m x 2,5 m) lui fait face à l’est (fi g. 9). Plusieurs couches d’occupa-tion, contemporaines du fonctionnement de cet ensemble, ont été fouillées alentours. Elles

0 10 20m5

Sol du sanctuaire

Cour annulaire extérieure

Voie

Mur

Trou de poteau

Structure fossoyée

Galerie du péribole

Dépôt en vase

Fig. 07 - Mandeure, Champs des Fougères. Etat 5 : IIe et IIIe siècle.

Plan et proposition de restitution de l’assiette du sanctuaire.

contrefort

chapelle ?

embase de statue ?

canalisation

galerie d’enceintedu complexe cultuel

Fig. 7. Mandeure« Champs des Fougères ». État 5 : IIe et IIIe siècles.Plan et propositionde restitution de l’assiette du sanctuaire. (M. Thivet, P. Nouvel)

Fig. 8 : Mandeure« Champs des Fougères ». Vue d’ensemble dubâtiment rectangulaire mis au jour dans l’espace du sanctuaire. (Cliché M. Thivet)

Fig 9 : Mandeure « Champs des Fougères ». Vue d’ensemble des bases de poteaux (auvent prostyle) et du massif hérissonné (base d’autel ou de statue ?) associés au bâtiment. (Cliché M. Thivet)

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ont fourni un mobilier datable du IIe jusqu’au début du IVe siècle de notre ère. Le petit bâti-ment lui-même, fouillé en 2007, avait livré des colonnettes en calcaire tendre décorées d’en-trelacs végétaux, datées du début du IIIe siècle. Ces structures correspondent, selon nous, à une petite chapelle annexe construite tardivement. Les couches environnantes ont en effet livré une concentration tout à fait étonnante de couteaux

miniatures. Il serait tentant de voir dans la fon-dation en hérisson quadrangulaire, la base d’un autel monumental ou, à défaut, une base d’une des statues monumentales mises au jour dans cette parcelle. Quoi qu’il en soit, cet aménage-ment et le bâtiment qui lui fait face prennent place dans l’axe est-ouest du sanctuaire, dans une position relativement privilégiée.Plus au sud de l’aire centrale, la fréquentation continue à être importante jusqu’à la fi n de cette phase, comme le confi rme la multitude d’ornières datées de cette époque et comblées de matériaux de récupération.Enfi n, les problèmes de statiques de la gale-rie, devenus plus ardus par les multiples tasse-ments dus aux fosses sous-jacentes, nécessitent une série de remaniements. On rajoute alors une série de renforts contre le mur interne de la galerie. Il s’agit tout d’abord de tuiles jetées en vrac et de gravier, puis de matériaux plus consistants (colonne, chapiteau, pied de sta-tue monumentale). À la fi n du IIIe ou au début du IVe siècle, le bâtiment accuse donc ses deux siècles d’existence. Le bâtiment est vétuste et les réfections trop minimes pour conserver l’édi-fi ce en l’état sans remaniement profond.Parallèlement, les éléments mobiliers devien-nent nettement plus rares sur les niveaux de circulation et le taux de résidualité devient lar-gement majoritaire, en particulier à partir du milieu du IIe siècle de notre ère. Seuls quelques dépôts sont encore les témoins de pratiques cultuelles (fi g. 10). Deux, recueillis au nord-ouest de la cour interne, correspondent à l’état 5. Ils étaient contenus dans des céramiques déposées dans de petits creusements perçant la couche de circulation. Le premier contenait cinq monnaies s’échelonnant de Vespasien à Marc Aurèle César et quelques ossements de volaille. Le second rassemblait trois monnaies (un as de Néron, un dupondius de Marc Aurèle et un antoninien de Volusien) enfouies après 253 de notre ère. Il était contenu dans un réci-pient volontairement percé au fond (une panse d’amphore) et rassemblait lui aussi quelques ossements de volaille.

4. État 6 : début du ive siècle (fi g. 11)

D’après les corpus céramiques et moné-taires, la fréquentation cultuelle du sanctuaire semble cesser au cours de la première moitié du IVe siècle. Dans les périodes qui suivirent, un démantèlement soigneux semble avoir tou-ché le monument. Ces indices les plus précis sont visibles à l’est, à proximité de l’entrée du péribole et dans la zone nord fouillée en 2009. Un ensemble de fosses de récupération se concentre tout d’abord autour des piédroits

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Fig. 10 : Mandeure « Champs des Fougères ».Vue de détail d’undes dépôts mis au joursur le sol du sanctuaire de l’état 5. (Cliché M. Thivet)

0 10 20m5

0 10 20m5

Sol

Mur

Fosses et drains

Mur récupéré

a. État 6

b. État 7

fosse derécupération

fondationde bâtiment

Fig. 11 : Mandeure « Champs des Fougères ». a. État 6 :début du IVe siècle.Plan des structures.b. État 7 :haut Moyen Âge ?Plan des structures.(M. Thivet, P. Nouvel)

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Évolution architecturale du sanctuaire des « Champs des Fougères » à Mandeure (Doubs, F) durant l’Antiquité

de l’entrée et aux points de contact entre les caniveaux et les maçonneries (fig. 12). Il est probable que ces fosses, qui contiennent du mobilier du IVe siècle pour certaines d’entre elles, aient contribué à nettoyer entièrement le sanctuaire des « Champs des Fougères » de sa parure monumentale. La construction du castellum voisin n’y est certainement pas étrangère. Des travaux identiques ont touché la galerie dans toute la zone nord. Les ren-forts des inflexions du mur, probablement en grand appareil, sont systématiquement récu-pérés. Enfin, dans la cour externe, une couche de limon dans laquelle des paquets d’argile crue ont été observés, pourrait correspondre à l’écroulement d’une paroi en terre et bois. Elle est surmontée par l’effondrement d’une puis-sante toiture. Il peut s’agir là des conséquences de l’effondrement du mur extérieur de la gale-rie, après récupération des blocs de chainage d’angle. Il aurait entraîné dans sa chute une partie de la toiture de la galerie. Tous ces élé-ments indiqueraient que ce mur était édifié en terre et bois, renforcé aux angles par des blocs de grand appareil, méthode pour le moins étonnante. Il est en effet peu probable qu’il ait été construit en petit appareil, dans la mesure où aucun bloc ni fragment n’a été retrouvé

sous, dans ou sur la couche d’effondrement de la toiture. Cette dernière devait donc présenter un pendage vers l’extérieur et la galerie l’aspect général d’un préau.Un lot de monnaies constantiniennes, trou-vé dans la couche d’argile et de limon (piégé sous la toiture), fournit un précieux terminus post quem, relativement fiable, de 326 pour ces phases de récupération.Parallèlement, le système de clôture du com-plexe cultuel subit de forts remaniements. Peut-être sous l’effet d’une action volontaire (arase-ment), la galerie mise en place à la période 5 est en grande partie détruite. Le mur n’est toute-fois pas totalement arasé, ni récupéré : il sert de soutènement à un nouveau système de clôture nettement moins monumental. Le second mur, probablement en grand appareil est, quant à lui, totalement récupéré jusqu’au fond de ses fondations. Ces travaux ne conduisent pas à la suppression de la limite préexistante du quar-tier monumental, ils ne visent qu’à la récupéra-tion de blocs en grand appareil et à l’extension de l’espace de circulation. Tous ces travaux sont vraisemblablement à mettre en relation avec l’édification du castellum tout proche.

5. État 7 : occupation des ruines. haut Moyen Âge ? (fig. 11)

À une période indéterminée, après les phases de récupérations principales, plusieurs aména-gements ont été réalisés dans les ruines du péri-bole des « Champs des Fougères ». Ces traces sont essentiellement visibles au nord, où les couches superficielles sont les mieux conser-vées. On y a observé des soubassements amé-nagés en bloc de récupération (fig. 13), formant des alvéoles s’appuyant contre les vestiges du mur interne de la galerie. Ces aménagements prenaient place dans des couches noirâtres, assimilables aux « terres noires » communes aux sites urbains du haut Moyen Âge. Ces vastes niveaux ont été reconnus de part et d’autre de l’ancienne galerie. Ils n’ont malheureusement livré presque aucun mobilier exploitable.C’est enfin au tour du mur de clôture du com-plexe cultuel, conservé lors des récupérations de la phase 6, d’être spolié jusqu’à son lit de réglage. Ce sont cette fois les blocs de petit appareil qui intéressent les récupérateurs.

Fig. 13 : Mandeure « Champs des Fougères ».Vue d’ensemble d’un des soubassements aménagé en blocs de récupération. (Cliché M. Thivet)

Fig. 12 : Mandeure « Champs des Fougères ».Vue d’ensemble des fosses de récupérations localisées au niveau de l’entrée du sanctuaire. (Cliché M. Thivet)

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Deuxièmes Journées Archéologiques Frontalières de l’Arc Jurassien

Bibliographie

Nouvel et Thivet 2009 : NOUVEL (P.) et THIVET (M.). L’occupation laténienne du sanctuaire des « Champs des Fougères » à Mandeure (Doubs). Campagnes 2007 et 2008. Bulletin d’actualité de l’AFEAF, 2009, 4 p.

Nouvel et Thivet 2011 : NOUVEL (P.) et THIVET (M.). Évolution architecturale du sanctuaire des « Champs des Fougères ». In : Reddé (M.) et al. dir., Aspect de la Romanisation dans l’Est de la Gaule. Glux-en-Glenne, Bibracte, 2011, 21/2, p. 567-573. (Bibracte, 21).

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