ERRERA M., PETREQUIN P. et PETREQUIN A.-M., 2011.- De l'image à l'objet : détermination de la...

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De l’image à l’objet : détermination de la provenance d’artefacts archéologiques par spectroradiométrie en réflectance diffuse Michel Errera, Attaché principal au M.R.A.C., Pierre Pétrequin Directeur de recherche au C.N.R.S. et Anne-Marie Pétrequin, Ingénieur d'étude au C.N.R.S. BIOGRAPHIE Après une carrière internationale de géologue, Michel Errera rejoint en 1981 le Département de Géologie et de Minéralogie du Musée royal de l'Afrique centrale (M.R.A.C.) à Tervuren (Belgique) pour y enseigner la gemmologie minière à l’usage des prospecteurs et des géologues. Il réalise de nombreuses études de géologie économique sur les aires diamantifères du Kasai (République démocratique du Congo). Depuis 1994, il développe aussi les applications de la spectroradiométrie aux objets précieux. Pierre Pétrequin, directeur de recherches au C.N.R.S., est le coordinateur du projet ANR JADE « Inégalités sociales et espace européen au Néolithique : la circulation des grandes haches en jades alpins » (2007-2009), dans la cadre de la MSH C.N. Ledoux à Besançon. Il s'occupe plus particulièrement des aspects typo-chronologiques, des approches expérimentales, des modalités de circulation des haches et de l'interprétation des fonction- nements sociaux. Anne-Marie Pétrequin, ingénieur d'étude au CNRS et ethnoarchéologue, travaille à la MSH C.N. Ledoux à Besançon ; elle se consacre à la modélisation à partir d'exemples ethnographiques de Nouvelle-Guinée, aux prospections et aux fouilles. MISE EN PERSPECTIVE Les télédétecteurs connaissent bien la spectroradiométrie imageante. Cette technique autorise des applications aussi nombreuses que variées particulièrement par l’analyse hyperspectrale (géologie, agriculture etc.). Appliquée à la cartographie archéologique, elle a apporté des progrès incontestables, mais, le coût de l’acquisition d’images particulières de qualité empêche le plus souvent l’utilisation optimale de cette technique. La notion de signature leur est familière et ils savent que l’information contenue, même si elle n’est pas nécessairement déchiffrable, peut être particulièrement riche. Les spectres ne sont pas toujours de bons moyens d’identification minérale par rapport à des techniques comme la diffractométrie X ou la spectrométrie Raman, mais ce sont de remarquables et inégalables outils de comparaison. Un des problèmes majeurs de la détermination d’objets précieux est le caractère destructif des analyses, puisqu’il est presque toujours nécessaire de prélever de la matière, même en très petite quantité. Souvent aussi, les objets sont trop grands pour se laisser enfermer dans une cellule d’analyse ou encombrants pour être placés facilement sous un instrument, un microscope par exemple. Les méthodes d’analyse non destructives ne sont guère nombreuses. La plus ancienne, mais tombée en désuétude depuis longtemps, est la mesure de la densité qui donne une information précise, mais non univoque dans la plupart des cas. Des méthodes modernes comme PIXE (Particle Induced X-ray Emission) nécessitent des investissements très importants qui les rendent difficilement accessibles aux chercheurs. De plus, les conservateurs des musées hésitent souvent à se séparer des pièces remarquables pour les confier à des experts, car les délais d’analyse sont généralement longs, les problèmes de transport et d’assurance difficiles à résoudre et la garantie qu’ils ne soient en rien altérés souvent insuffisante. Enfin, le coût d’analyse qui résulte de ces conditions ne permet généralement que des analyses ponctuelles. La spectroradiométrie en réflectance diffuse, peu coûteuse, mobile, rapide et surtout totalement non destructive, est donc une alternative élégante et efficace pour l’analyse d’objet précieux. Particulièrement, en ce qui concerne l’analyse d’objets archéologiques, un spectroradiomètre a été utilisé dès 1987, par le géologue Brian Curtiss du « Center for the Study of the Earth from Space » (Ward, 1987). Bien que la démonstration de l’utilité et la faisabilité de spectro- radiométrie en réflectance diffuse était particulièrement éloquente, la méthode appliquée à des artefacts comme moyen d’identification est longtemps passée inaperçue des archéologues et des archéomètres. La méthode a été testée par un des auteurs dès 1994 (ME), puis développée et améliorée. La contribution la plus importante est incontestablement son utilisation pour l’étude des grandes haches alpines en roche verte tenace

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De l’image à l’objet : détermination de la provenance

d’artefacts archéologiques par spectroradiométrie en

réflectance diffuse

Michel Errera, Attaché principal au M.R.A.C., Pierre Pétrequin Directeur de recherche au C.N.R.S. et Anne-Marie Pétrequin, Ingénieur d'étude au C.N.R.S.

BIOGRAPHIE

Après une carrière internationale de géologue, Michel

Errera rejoint en 1981 le Département de Géologie et de Minéralogie du Musée royal de l'Afrique centrale (M.R.A.C.) à Tervuren (Belgique) pour y enseigner la gemmologie minière à l’usage des prospecteurs et des géologues. Il réalise de nombreuses études de géologie économique sur les aires diamantifères du Kasai (République démocratique du Congo). Depuis 1994, il développe aussi les applications de la spectroradiométrie aux objets précieux. Pierre Pétrequin, directeur de recherches au C.N.R.S., est le coordinateur du projet ANR JADE « Inégalités sociales et espace européen au Néolithique : la circulation des grandes haches en jades alpins » (2007-2009), dans la cadre de la MSH C.N. Ledoux à Besançon. Il s'occupe plus particulièrement des aspects typo-chronologiques, des approches expérimentales, des modalités de circulation des haches et de l'interprétation des fonction-nements sociaux. Anne-Marie Pétrequin, ingénieur d'étude au CNRS et ethnoarchéologue, travaille à la MSH C.N. Ledoux à Besançon ; elle se consacre à la modélisation à partir d'exemples ethnographiques de Nouvelle-Guinée, aux prospections et aux fouilles. MISE EN PERSPECTIVE

Les télédétecteurs connaissent bien la spectroradiométrie

imageante. Cette technique autorise des applications aussi

nombreuses que variées particulièrement par l’analyse

hyperspectrale (géologie, agriculture etc.). Appliquée à la

cartographie archéologique, elle a apporté des progrès

incontestables, mais, le coût de l’acquisition d’images

particulières de qualité empêche le plus souvent

l’utilisation optimale de cette technique.

La notion de signature leur est familière et ils savent que

l’information contenue, même si elle n’est pas

nécessairement déchiffrable, peut être particulièrement

riche. Les spectres ne sont pas toujours de bons moyens

d’identification minérale par rapport à des techniques

comme la diffractométrie X ou la spectrométrie Raman,

mais ce sont de remarquables et inégalables outils de

comparaison.

Un des problèmes majeurs de la détermination d’objets

précieux est le caractère destructif des analyses, puisqu’il

est presque toujours nécessaire de prélever de la matière,

même en très petite quantité. Souvent aussi, les objets

sont trop grands pour se laisser enfermer dans une cellule

d’analyse ou encombrants pour être placés facilement

sous un instrument, un microscope par exemple.

Les méthodes d’analyse non destructives ne sont guère

nombreuses. La plus ancienne, mais tombée en désuétude

depuis longtemps, est la mesure de la densité qui donne

une information précise, mais non univoque dans la

plupart des cas. Des méthodes modernes comme PIXE

(Particle Induced X-ray Emission) nécessitent des

investissements très importants qui les rendent

difficilement accessibles aux chercheurs. De plus, les

conservateurs des musées hésitent souvent à se séparer

des pièces remarquables pour les confier à des experts,

car les délais d’analyse sont généralement longs, les

problèmes de transport et d’assurance difficiles à

résoudre et la garantie qu’ils ne soient en rien altérés

souvent insuffisante. Enfin, le coût d’analyse qui résulte

de ces conditions ne permet généralement que des

analyses ponctuelles. La spectroradiométrie en

réflectance diffuse, peu coûteuse, mobile, rapide et

surtout totalement non destructive, est donc une

alternative élégante et efficace pour l’analyse d’objet

précieux.

Particulièrement, en ce qui concerne l’analyse d’objets

archéologiques, un spectroradiomètre a été utilisé dès

1987, par le géologue Brian Curtiss du « Center for the

Study of the Earth from Space » (Ward, 1987). Bien que

la démonstration de l’utilité et la faisabilité de spectro-

radiométrie en réflectance diffuse était particulièrement

éloquente, la méthode appliquée à des artefacts comme

moyen d’identification est longtemps passée inaperçue

des archéologues et des archéomètres.

La méthode a été testée par un des auteurs dès 1994

(ME), puis développée et améliorée. La contribution la

plus importante est incontestablement son utilisation pour

l’étude des grandes haches alpines en roche verte tenace

(5500-2500 BC), haches polies néolithiques que l’on

retrouve dans toute l’Europe, depuis les Balkans jusqu’en

Ecosse et en Scandinavie (figure 1), c’est-à-dire sur des

distances qui peuvent atteindre, dès le Ve millénaire av.

J.-C. (Néolithique moyen I), près de 2 000 Km à vol

d’oiseau. De tels transferts sont un phénomène unique en

Europe occidentale, même pour des sociétés plus tardives

que celles du Néolithique. Les haches en jade-jadéite ont

donc intrigué les archéologues et les géologues depuis

près de 150 ans, mais sans qu’ils puissent identifier le

moindre gîte en place. Le minéral jadéite a d’ailleurs été

défini par le minéralogiste français Damour en 1865 sur

base de l’analyse chimique de haches néolithiques. Si

l’origine asiatique a été réfutée dès 1878, ce n’est qu’en

2003, après de longues années de prospection, que deux

d’entre nous (PP et A-MP) ont non seulement découvert

les occurrences de jade-jadéite recherchées par les

archéologues et les géologues depuis Damour, mais aussi

de très importantes carrières néolithiques de cette roche

fine (apogée vers 5000-4500 BC), situées entre 2 000 et

2 400 m au pied du Mont Viso (Alpes italiennes).

Jusqu’ici, les préhistoriens eux-mêmes avaient peu

travaillé la question, car la majorité des découvertes

étaient faites hors contexte. L’idée prédominante dans les

interprétations était que ces roches alpines exception-

nelles étaient simplement ramassées dans les moraines,

pour être échangées de proche en proche dans des

sociétés égalitaires. L’analyse pétrographique en lame

mince, donc destructive, de ces objets rares a été un jeu,

sans que l’on ait pressenti leur extraordinaire importance

pour comprendre les fonctionnements sociaux du Néo-

lithique.

LES SPECTRES DE JADEITE

La jadéite (pyroxène de formule NaAlSi2O6) est un

minéral exceptionnel qui ne se forme que dans un

environnement particulier de zones de subduction. C’est

une des deux sources du jade, l’autre étant la néphrite.

Pratiquement impossible à reconnaître à l’oeil nu,

difficile à identifier au microscope polarisant, les roches

qu’elle constituent (jadéitites et jades-jadéites) se

confondent sur le terrain avec de très nombreuses autres

roches vertes tenaces telles que certaines serpentinites, les

éclogites etc. La spectroradiométrie en réflectance diffuse

s’est révélée un outil extrêmement efficace et peu

coûteux pour distinguer ces roches vertes.

En particulier, la jadéite se particularise grâce à une

absorption bien connue des gemmologues, absorption

située vers 434 nm et attribuée à Fe3+ (Rossman, 1980 ; Webster, 1983). En fait le fer ferrique se substitue fréquemment à l’aluminium et est responsable de la chute de réflectance dans le bleu. Une autre caractéristique de Fe3+ est une bande d’absorption située vers 770 nm. Le maximum situé vers 510 nm entre la chute de réflectance dans le bleu et l’absorption vers 770 nm est responsable de la couleur verte de la jadéite. Deux autres bandes visibles vers 975 et vers 1172 nm sont dues au fer ferreux Fe2+. L’importante absorption vers 1911 nm est attribuée à des inclusions fluides d’eau probablement piégée dans la maille cristalline de la jadéite (Hunt et al., 1973 ; Rossman, 1980).

D’autres caractéristiques sont dues aux minéraux qui accompagnent la jadéite dans les jadéitites, principalement le glaucophane et un mica blanc. Les distinctions se fondent sur des variations dans l’amplitude de ces absorptions et dans leur position qui dépendent de nombreux facteurs dont l’importance et la nature des substitutions chimiques etc. La figure 4 illustre quelques spectres caractéristiques de jadéitites et montre leur grande variabilité. LA DECOUVERTE DES GISEMENTS ALPINS

La jadéite, définie en 1865 sur des haches polies comme dit plus haut, n’a été découverte en Europe que beaucoup plus tard, dans les Alpes internes et seulement en lame mince. En travaillant à l’échelle de l’Europe et en utilisant des modèles ethnoarchéologiques qu’ils avaient développé en Papouasie-Nouvelle-Guinée, deux d’entre-nous (PP et A-MP) avançaient l’hypothèse que la force de pénétration des haches en roches alpines au travers de groupes culturels très différents pouvait résider dans la position des carrières en altitude ou loin des habitats permanents. L’application aux Alpes internes de ce modèle s’est cependant avérée difficile en raison de l’ampleur géographique de la chaîne montagneuse considérée et en l’absence de découverte de jadéitites (ou de jade-jadéite) massives avérées. Faute de disposer d’un référentiel pétrographique permettant la comparaison entre les haches néolithiques et des matières premières potentielles, il a fallu repartir sur le terrain et commencer une prospection systématique. L’idée était de prospecter en détail les moraines et les alluvions des vallées à leur débouché des Alpes internes et des Apennins ligures, pour tenter de reconnaître les matériaux utilisés au Néo-lithique, puis de remonter les vallées « positives » jusqu’aux gisements primaires. Après sélection d’échantillons en lit vif, ceux-ci étaient ensuite déterminés en lame mince ou par diffraction X, les jadéitites étant des roches particulièrement difficiles à reconnaître à l’oeil nu puisqu’elles avaient échappé aux géologues et aux archéologues pendant près de 150 ans. Toutefois, l’utilisation au laboratoire de la spectro-radiométrie allait permettre de comparer les roches entre elles et de traiter plus de 2 000 échantillons avec une efficacité et une rapidité beaucoup plus grande pour un coût presque insignifiant. Après de très nombreuses missions de prospection dans les Alpes, missions s’étalant sur près de 8 ans, les premières traces d’activités étaient découvertes en juin 2002. Il s’agissait d’ébauches et d’un gros nucleus mis en forme. En mai 2003, ce sont des fragments de boudins et des éclats de taille en jade-jadéite qui sont récoltés au sud-est du Mont Viso (Piémont italien) entre 2 200 et 2 400 m d’altitude (figure 2). La même année des postes de taille étaient repérés dans le massif du Beigua, appelé aussi massif de Voltri (Apennins ligures). Enfin, pendant l’été 2004, des gisements primaires de jade-jadéite étaient découverts jouxtant des exploitations néolithiques (figure 3) en altitude avec des campements temporaires et des ateliers de taille, à près d’une journée et demi de marche des habitats permanents potentiels. La démonstration était faite que les Néolithiques avaient su

repérer et exploiter, à l’occasion d’expéditions de plusieurs jours, des gisements d’altitude à ce point discrets qu’ils avaient échappé jusque-là aux recherches géologiques (Errera, 2004 ; Pétrequin, Errera et al., 2006 ; Pétrequin, Pétrequin et al. 2005 ; 2007). De plus, il a fallu attendre cette découverte pour commencer à comprendre les modalités de fabrication de ces haches tout à fait remarquables dont la plus grande connue mesure 46,6 cm de longueur à Locmariaquer/Mané er Hroëck (Morbihan) (Herbaut, 2000). En effet, il a été récemment démontré que, dans les Alpes et les Apennins ligures, le choc thermique avait été largement utilisé pour extraire des plaques et des blocs allongés, les seuls susceptibles d’être taillés sans trop de difficultés à partir des plans de frappe dégagés par l’éclatement des blocs supports ; sans utilisation préalable du choc thermique, ces blocs étaient d’ailleurs si tenaces que les percuteurs rebondissaient ou restaient sans effet, en particulier quand il s’agissait de jadéitite à structure très engrenée (Pétrequin, Pétrequin et al., sous presse). Le fait aussi de disposer de matière première, celle-là même utilisée par les Néolithiques, permet l’expérimentation pour comprendre l’ensemble des processus de fabrication. Ces travaux ne sont qu’à leur début, mais l’on peut déjà estimer qu’il faut une centaine d’heures de travail pour l’obtention d’une paire d’ébauches de haches jumelles c’est-à-dire les phases de dégrossissage, de sciage, de bouchardage et d’un premier polissage. C’est dire la valeur de ces haches en jadéitite appréciée à l’aune des heures de travail (Pétrequin, Errera et al., en préparation). Les carrières néolithiques du Mont Viso ont pu être datées par radiocarbone, ce qui a indiqué qu’elles ont atteint leur apogée dans les siècles autour de 5 000-4 500 av. J.-C. Il semble qu’elles aient été définitivement abandonnées un peu après 4 000 av. J.-C. ; elles ont donc été exploitées pendant plus de 1 000 ans ce qui constitue évidemment un élément tout à fait remarquable (Pétrequin, Errera et al., 2007). La détermination rapide de la jadéite sur près de 2 500

échantillons de référence prélevés lors des prospections a

été un guide particulièrement précieux et a largement

contribué au succès de ces dernières. L’essentiel du référentiel des roches alpines a été prélevé au cours de ces missions et de celles qui se sont poursuivies jusqu’à ce jour. Les échantillons ont fait l’objet d’une analyse spectroradiométrique (2 157 spectres au 31/12/2007), complétée par une analyse et une interprétation pétro-graphique s’appuyant sur 460 lames minces et sur 318 analyses par diffractométrie X. LES COMPARAISONS SPECTRALES ET LA

RECHERCHE DE L’ORIGINE DES HACHES

Grâce à une grande diversité des spectres de jadéitite et

de jade-jadéite (figure 4 et figure 5), il est possible

d’établir des comparaisons très fines et par ce moyen, de

démontrer la provenance des haches à l’échelle de

l’affleurement ou du groupe d’affleurement ou encore de

comparer les haches entre elles. Plus de 3 000 spectres de

ces haches alpines provenant des grands musées

nationaux français (Musée d’Archéologie Nationale,

Carnac, Vannes…) et étrangers (British Museum,

Edinburgh, Bruxelles, Luxembourg, Gênes, Udine, Sofia,

Berlin, Munich, Coblence, Weimar, Iéna …) ou de

collections particulières ont été réalisés. Les

comparaisons, dont certaines sont toujours en cours,

contribueront à comprendre pourquoi de simples haches

en pierre polie ont pu passer du statut d’outil efficace à

une fonction de signe socialement valorisé et pourquoi

elles ont connu une telle force de pénétration au travers

de civilisations différentes jusqu’à atteindre les rivages

les plus occidentaux de l’Europe.

Les comparaisons spectrales sont réalisées, dans une

première approche, par une analyse en grappe à l’aide du

logiciel STATISTICA® selon la méthode de Ward (1-Pearson r) puis à l’aide d’ENVI® 4.4, logiciel familier des télédétecteurs, qui s’est avéré adapté et particulièrement performant, pour les comparaisons par paires (Errera et

al., 2007).

L’algorithme utilisé par ENVI® 4.4 n’est pas exactement le même que celui employé par STATISTICA® pour les diagrammes en grappe bien que les variables, les spectres après le développement du continuum, soient identiques. Les résultats de similitudes qui porteraient sur les mêmes spectres, mais par ces deux algorithmes pourraient donc être légèrement différents. Les comparaisons avec les spectres de référentiels s’effectuent en 3 phases :

• comparaison, après développement du continuum entre 500 et 2 500 nm, par la méthode SFF (« Spectral Feature Fitting ») entre un spectre donné (celui de la lame analysée = spectre de référence) et les spectres du référentiel en question (celui des roches alpines qui comprend, comme dit plus haut, 2 157 spectres dans le cas présent) ;

• comparaison visuelle du spectre de référence, avant et après développement du continuum avec les 5 spectres du référentiel qui ont obtenu les meilleurs scores. ;

• comparaison visuelle des spectres retenus entre 400 et 648 nm pour mettre surtout en évidence, s’il échet, l’absorption caractéristique de la jadéite vers 434 nm.

Cette méthode de comparaison est particulièrement intéressante en ce sens qu’elle ne se fonde que sur les spectres. La correspondance entre les spectres et les échantillons se fait ensuite. Il ne peut donc y avoir aucun priori en ce qui concerne soit l’origine des haches polies analysées, soit des appareillements entre haches. Elle vient d’être appliquée à un corpus de 127 haches de plus de 14 cm trouvées en Grande-Bretagne, au Danemark, en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne et en France dans des dépôts (c’est-à-dire où plusieurs pièces ont été découvertes ensemble soit 2 haches au

minimum jusqu’à 104 haches pour le dépôt de Mané er Hroëck, à Locmariaquer dans le Morbihan) y compris celles trouvées en contexte funéraire (figure 6). À ce corpus de 127 haches correspondent 271 spectres (généralement deux spectres par haches, un dans le sens longitudinal, le second dans le sens transversal). Il révèle, selon les déterminations spectroradiométriques, une proportion très importante de jadéitites (63%), suivie par les éclogites et les omphacitites (16%) et peut-être encore les néphrites (5%) ; c’est dire l’importance des roches d’origine alpine. D’autres matériaux, dont l’origine n’est probablement pas alpine (sans pouvoir être néces-sairement qualifiée de locale), comprennent surtout des basaltes, des serpentinites et des silex. L’analyse en grappe (figure 7) et la comparaison entre eux des spectres étudiés permettent aussi de dégager des informations intéressantes : au niveau des sous-grappes, en ce qui concerne les jadéitites, il est vraisemblable que les haches polies dont elles ressortent ont une origine commune, voire même, lorsque les spectres sont bien contrastés, qu’elles expriment une sorte de gémellité. La proximité des sous-grappes indique probablement une proximité des origines. Cette technique a permis d’appareiller de nombreuses haches et de démontrer que certaines d’entre elles forment, assez curieusement, de véritables paires, comme celles de la double ébauche de Lugrin (Pétrequin, Errera et al., en préparation). Ainsi, 4 paires de haches sont identiques, 3 provenant d’un même dépôt (Gonsenheim, Altenstadt, Arzon), la 4ème étant mixte (une hache provient de Er Grah, à Locmariaquer dans le Morbihan, l’autre de l’île de Sjaelland, au Danemark), au point de supposer que chaque paire provient du même bloc (figure 8) comme la double ébauche de Lugrin. Deux paires indiquent une origine commune ou très voisine des haches qui les composent, 3 paires montrent une origine très voisine des haches qui les composent sans toutefois être identiques. Enfin 2 paires montrent suffisamment de différences pour ne pas permettre de démontrer la proximité de leur origine. Pourquoi de nombreuses haches vont-elles par paires ? S’agit-il d’un problème uniquement technique ou touche-t-il au domaine des offrandes dans des lieux sacrés, où les haches, souvent plantées par paires tranchant vers le haut, jouent un rôle fondamental (Pétrequin, Errera et al., en préparation). La comparaison entre les spectres mesurés sur les haches en jadéitite du corpus d’une part et le référentiel des roches alpines d’autre part permet de déterminer l’origine de la matière première avec une certaine précision (figures 5 et 9). Ce problème est évidemment de première importance pour déterminer les flux de circulation de ces haches entre les carrières d’extraction et leur point de découverte. Rappelons que la distance entre les carrières et les haches les plus éloignée est proche de 2 000 Km à vol d’oiseau. On peut démontrer ainsi que 46% des haches proviennent du Mont Viso tandis que 18% proviennent du massif du Beigua. Les cas où aucune comparaison convaincante n’a été trouvée (28%) indiquent probablement que toutes les exploitations néo-

lithiques sur les sites connus n’ont pas encore été mises à jour ou aussi que certains sites n’ont pas encore été découverts. Quelques 8% des comparaisons représentent enfin des cas douteux. AUTRES APPLICATIONS DE LA SPECTRO-

RADIOMETIE EN ARCHEOLOGIE

Dans les grands tumulus bretons, souvent associées à des dépôts funéraires particulièrement riches, on a depuis longtemps découvert des perles d’une superbe matière bleu-vert autrefois baptisée « callaïs » (figure 10). On sait que ce minéral est un phosphate d’alumine dont le nom minéralogique est variscite. L’origine de la variscite est longtemps restée inconnue, car aucun gisement proche n’était susceptible d’avoir été exploité, la variscite ne constituant tout au plus que des mouchetures dans une gangue. En 1970, des minéralogistes découvraient un gisement intéressant à Pannecé (Loire-Atlantique), près des tumulus bretons. Le problème de l’origine de la variscite pouvait alors sembler résolu, mais en 1978 des exploitations néolithiques furent mises à jour à Can Tintorer près de Gavà (Barcelone, Espagne), ce qui relançait le débat. De nombreuses analyses spectroradiométriques ont été réalisées sur ces perles qui se sont bien avérées être en variscite pour la plupart, mais parmi lesquelles quelques turquoises pouvaient être reconnues. Certaines comparaisons spectrales avec le référentiel qui avait été constitué sur base des gisements européens connus permettaient de suggérer une certaine proximité, mais non une correspondance parfaite, avec les variscites de la région de Zamora (notamment Palazuelo de Las Cuevas), en Espagne (Errera, 2000 ; 2001), quelques perles avec le gisement de Can Tintorer. Cette origine ibérique vient d’être confirmée par la méthode PIXE, mais il semblerait qu’il y ait eu plusieurs gisements (Can Tintorer, San Vicente ou Encinasola et El Bostal), ni celui de Palazuelo, ni celui de Pannecé ne pouvant être retenus (Herbaut et Querré, 2004 ; Querré et

al.. 2008). De plus, une superbe boucle d’oreille gallo-romaine (figure 11) trouvée dans le vicus de Liberchies (Hainaut, Belgique) montrait deux pendants, également en variscite, dont l’origine semble très proche de celle des perles des tumulus bretons (Errera, 1999). Le problème de savoir si ces pendants provenaient directement de la péninsule ibérique ou s’ils provenaient de perles néolithiques réutilisées reste entier. Des essais sont en cours de réalisation pour identifier certains pigments utilisés à diverses époques (du Paléo-lithique au Bronze final) dans les grottes ornées d’Ardèche (ocres, hématites etc.) et les comparer à un référentiel de matières premières d’origine connue, en cours de constitution. Les premiers résultats se sont avérés particulièrement prometteurs. Des tentatives ont également été menées pour rechercher l’origine des haches en silex trouvées en Ardèche et dans le Gard. Le problème est beaucoup plus ardu que pour les jadéitites car les gisements potentiels sont infiniment plus nombreux pour les silex que pour ces dernières. De plus aussi les spectres des silex apparaissent moins diversifiés que ceux des jadéitites. Néanmoins, les conclusions

semblent beaucoup moins négatives que ce que l’on aurait pu penser et les recherches continues. REMERCIEMENTS

Ce travail a été réalisé dans le cadre du Projet JADE (Agence Nationale de la Recherche 2007-2009) : « Inégalités sociales et espace européen au Néo-lithique : la circulation des grandes haches en jades alpins », géré par la Maison des Sciences de l’Homme et de l’Environnement, Besançon. REFERENCES

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Figure 1.- Localisation des grandes haches néolithiques en Europe (de longueur supérieure à 14 cm). La région du

Mont Viso et du massif du Beigua ainsi que celle du Morbihan ressortent clairement par l’importance du nombre de haches. Certaines zones semblent plus denses que d’autres. Les zones blanches ne correspondent probablement pas à un

biais dans la recherche archéologique mais réellement à une absence de grandes haches.

Figure 2.- Blocs de jadéitite empâtés dans des serpentinites au pied du Mont Viso (Oncino, Piédmont, Italie). Cliché P.

Pétrequin

Figure 3.- Sondage de reconnaissance dans une exploitation néolithique au pied du Mont Viso. (Oncino, Piédmont, Italie). Cliché A.-M. Pétrequin.

Figure 4.- Spectres caractéristiques de jadéitites avant et après développement du continuum entre 500 et 2 500 nm. La légende de marge (1a1a1a1a etc.) se réfère à l’analyse en grappe (voir figure 7) et à l’identification des spectres

(ANNE_001 etc.).

Figure 5.- L’analyse spectroradiométrique a démontré que la hache de Svoboda (Chirpan, Bulgarie ; Errera et al., 2006) provenait du massif du Beigua (Ligurie, Italie) et plus précisément de la haute vallée de l’Erro. La comparaison visuelle

entre la hache et les deux échantillons de référence (provenant d'un même bloc) analysés souligne l’étonnante ressemblance. Clichés E. Dewamme (I.R.S.N.B.) et P. Pétrequin.

Figure 6.- Localisation des haches néolithiques trouvées en dépôt (y compris celles des ensembles funéraires). Ceux dans lesquels des haches ont été analysées par spectroradiométrie sont figurés en rouge.

Figure 7.- Interprétation du diagramme en grappe pour 271 variables (les spectres après développement du continuum entre 500 et 2 500 nm).

Figure 8.- Cas de gémellité. Un seul spectre est figuré par hache (avant et après développement du continuum entre 500 et 2 500 nm ; les haches provenant d’un même dépôt sont distinguées par un chiffre différent).

Figure 9.- Comparaison d’une hache du dépôt de Vendeuil (Errera et al., 2005) (avant et après développement du continuum entre 500 et 2 500 nm) avec le référentiel des roches alpines dans l’ordre des coefficients de ressemblances.

Figure 10.- Colliers en variscite provenant du Tumulus de Tumiac à Arzon (Morbihan, France). Musée de

Vannes (Morbihan, France).

Figure 11.- Boucle d’oreille gallo-romaine provenant du vicus de Liberchies (Hainaut, Belgique). Les pendants, en variscite, ont été taillés en prismes octogonaux. Musée de

Mariemont (Hainaut, Belgique).