"Entre devoir et nécessité : l’élaboration du revenu cadastral en Languedoc au XVIIIe siècle"

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1 Bruno Jaudon - doctorant et chargé de cours Montpellier III Entre devoir et nécessité : l’élaboration du revenu cadastral dans le Languedoc du XVIII e siècle Depuis les travaux d’Emmanuel Le Roy Ladurie, le Languedoc d’Ancien Régime est célèbre pour ses cadastres antérieurs à la Révolution, les compoix 1 . Les compoix languedociens sont accompagnés d’un long cortège documentaire connexe : livres de mutations foncières, « réparats » qui actualisent les matrices mais sans nouvel arpentage , lorsque les mutations sont devenues trop nombreuses, compoix « cabalistes » qui fiscalisent aussi les biens meubles (cheptel, stocks, capitaux prêtés...), préambules et rôles de taille, redditions annuelles de comptes des administrateurs de la communauté d’habitants, etc 2 . Les compoix s’intègrent donc à un abondant corpus fiscal, lui -même encadré par une solide littérature juridique. L’histoire de la série documentaire formée par les compoix languedociens a longtemps été mal connue, sinon dans ses très grandes lignes et la thèse en cours de rédaction sous la direction d’Élie Pélaquier vise à combler ce manque historiographique majeur 3 . De même, les travaux de Gilbert Larguier et ceux d’un groupe de recherches dirigé par Jean -Loup Abbé ont fini de relancer l’intérêt pour cette source fondamentale de l’histoire d’un vaste Sud de la France que restent les cadastres languedociens certes, mais aussi provençaux, comtadins, bas- dauphinois, rouergats et autres, depuis les Alpes jusqu’à la Garonne, aux Pyrénées et au Massif Central 4 . 1 E. Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, Paris, SEVPEN, 1966, 2 vol., 884 p. 2 Présentation rapide, par exemple dans M. Oudot de Dainville, « Remarques sur les compoix du Languedoc méditerranéen », Folklore, t. II, n° 15, 1939, p. 132-137 ou M. Derruau, « L’intérêt géographique des minutes notariales, des terriers et des compoix. Un exemple », Revue de géographie alpine, t. XXXIV, 1946, p. 355-380. 3 B. Jaudon, « Faire un compoix en Gévaudan sous l’Ancien Régime. Six rapports d’ opérations cadastrales (1482-1788) », Histoire & Sociétés rurales, n° 26, 2006, p. 129-168 et « Le paysage cadastral languedocien, photographie imparfaite du paysage (XV e -XIX e siècle) », actes de la table ronde de l’université Paul Valéry- Montpellier III (octobre 2005), Liame, n° 14 : « Cadastres et paysage », 2007, p. 11-29. 4 G. Larguier, « Les communautés, le roi, les États, la cour des Aides. La formation du système fiscal languedocien » in A. Follain et G. Larguier, dir., L’impôt des campagnes. Fragile fondement de l’État dit moderne (XV e -XVIII e siècle), actes du colloque de Bercy (2-3 décembre 2002), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2005, p. 69-95 ou « Du compoix/estime au compoix/cadastre. L’exemple du Languedoc (XIV e -XVI e siècle) » in A. Rigaudière, dir., De l’estime au cadastre en Europe (XIII e -XVIII e siècle), actes du colloque de Paris (11-12 juin 2003), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la

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1

Bruno Jaudon

-

doctorant et chargé de cours

Montpellier III

Entre devoir et nécessité :

l’élaboration du revenu cadastral dans le Languedoc du XVIIIe siècle

Depuis les travaux d’Emmanuel Le Roy Ladurie, le Languedoc d’Ancien Régime est

célèbre pour ses cadastres antérieurs à la Révolution, les compoix1. Les compoix

languedociens sont accompagnés d’un long cortège documentaire connexe : livres de

mutations foncières, « réparats » qui actualisent les matrices – mais sans nouvel arpentage –,

lorsque les mutations sont devenues trop nombreuses, compoix « cabalistes » qui fiscalisent

aussi les biens meubles (cheptel, stocks, capitaux prêtés...), préambules et rôles de taille,

redditions annuelles de comptes des administrateurs de la communauté d’habitants, etc2. Les

compoix s’intègrent donc à un abondant corpus fiscal, lui-même encadré par une solide

littérature juridique.

L’histoire de la série documentaire formée par les compoix languedociens a longtemps été

mal connue, sinon dans ses très grandes lignes et la thèse en cours de rédaction sous la

direction d’Élie Pélaquier vise à combler ce manque historiographique majeur3. De même, les

travaux de Gilbert Larguier et ceux d’un groupe de recherches dirigé par Jean-Loup Abbé ont

fini de relancer l’intérêt pour cette source fondamentale de l’histoire d’un vaste Sud de la

France que restent les cadastres languedociens certes, mais aussi provençaux, comtadins, bas-

dauphinois, rouergats et autres, depuis les Alpes jusqu’à la Garonne, aux Pyrénées et au

Massif Central4.

1 E. Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, Paris, SEVPEN, 1966, 2 vol., 884 p.

2 Présentation rapide, par exemple dans M. Oudot de Dainville, « Remarques sur les compoix du Languedoc

méditerranéen », Folklore, t. II, n° 15, 1939, p. 132-137 ou M. Derruau, « L’intérêt géographique des minutes

notariales, des terriers et des compoix. Un exemple », Revue de géographie alpine, t. XXXIV, 1946, p. 355-380. 3 B. Jaudon, « Faire un compoix en Gévaudan sous l’Ancien Régime. Six rapports d’opérations cadastrales

(1482-1788) », Histoire & Sociétés rurales, n° 26, 2006, p. 129-168 et « Le paysage cadastral languedocien,

photographie imparfaite du paysage (XVe-XIX

e siècle) », actes de la table ronde de l’université Paul Valéry-

Montpellier III (octobre 2005), Liame, n° 14 : « Cadastres et paysage », 2007, p. 11-29. 4 G. Larguier, « Les communautés, le roi, les États, la cour des Aides. La formation du système fiscal

languedocien » in A. Follain et G. Larguier, dir., L’impôt des campagnes. Fragile fondement de l’État dit

moderne (XVe-XVIII

e siècle), actes du colloque de Bercy (2-3 décembre 2002), Paris, Comité pour l’histoire

économique et financière de la France, 2005, p. 69-95 ou « Du compoix/estime au compoix/cadastre. L’exemple

du Languedoc (XIVe-XVI

e siècle) » in A. Rigaudière, dir., De l’estime au cadastre en Europe (XIII

e-XVIII

e

siècle), actes du colloque de Paris (11-12 juin 2003), Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la

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Le Languedoc du XVIIIe siècle était composé, en 1789, de vingt quatre diocèses civils qui

regroupaient 2800 communautés d’habitants, institutions qu’on compare souvent et

précipitamment aux municipalités issues de la Révolution5. Dans cette immense province, le

vivier documentaire cadastral semble intarissable. Aussi est-il nécessaire de limiter les propos

tenus ici au cadre géographique retenu pour la thèse : une coupe qui, du nord au sud, traverse

le Bas-Languedoc, depuis le très centralien Gévaudan jusqu’au littoral méditerranéen, coupe

qui englobe les diocèses civils de Mende, Montpellier, Alès et Agde.

Ce territoire livre une grosse vingtaine de compoix du XVIIIe siècle, dont seize s’avèrent

particulièrement exploitables pour analyser l’élaboration du revenu cadastral qui détermina

leur rédaction. Leur excellent état conservatoire livre en effet les procès-verbaux préalables à

France, t. I, 2006, p. 221-244 ; sur le groupe réuni à Toulouse II-Le Mirail par J.-L. Abbé et F. Hautefeuille

autour des cadastres du Midi de la France : http://w3.terrae.univ-tlse2.fr/spip/spip.php?article302 5 A. Blanchard, É. Pélaquier, « Le Languedoc en 1789. Des diocèses civils aux départements. Essai de

géographie historique », Bulletin de la société languedocienne de géographie, fasc. 1-2, 1989, 13 cartes-211 p. ;

É. Pélaquier, dir., Atlas de la province historique de Languedoc, en cours d’élaboration, consultable sur le site de

« Crises », EA 4424 du CNRS : http://recherche.univ-

montp3.fr/crises/index.php?option=com_content&task=view&id=309&Itemid=181 ; sur la communauté

d’habitants : A. Follain, Le village sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2007, p. 107-115.

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la mise en service du document, depuis la demande d’autorisation près la Cour des Comptes,

Aides et Finances de Montpellier du conseil général des habitants de la communauté pour

« refaire » son compoix, jusqu’à l’homologation de la matrice par cette cour souveraine.

Les conditions semblent donc réunies, à travers cette modeste gerbe de sources, pour se

demander comment on procédait, à l’échelle locale, pour élaborer le revenu cadastral de

chaque contribuable. Le calcul du revenu imposable constituait en effet la clef-de-voûte du

système fiscal d’une des plus grandes provinces du royaume. Pays d’États, le Languedoc,

dont l’assemblée des trois ordres consentait annuellement l’impôt au souverain, tirait un

certain prestige de la codification très stricte du jeu et des enjeux fiscaux6. Le cadre

réglementaire existant appelait, quant à la rédaction des compoix, une nécessité, celle de

calculer les revenus cadastraux de façon très rigoureuse7. Il faisait aussi apparaître un devoir

en filigranne, celui d’élaborer des revenus imposables les plus « justes » possibles, justes

fiscalement bien sûr.

Des enjeux clairement et solidement codifiés

L’élaboration d’un compoix par la communauté d’habitants languedocienne constituait,

sous l’Ancien Régime, un moment fort de la vie villageoise, moment de tensions et

d’équilibre. Les enjeux demeuraient forts évidemment car le nouveau cadastre à la faction

duquel on œuvrait servait à répartir l’impôt et son caractère public, une fois mis au net,

entraînait des contraintes tacites.

Le compoix : répartir la taille et bien plus

Il est important de répéter que le compoix constitue, en Languedoc, la pierre de touche de

l’ensemble de l’édifice fiscal royal, pour la plus grande partie de la fiscalité directe s’entend.

La taille présentait ici deux caractéristiques entremêlées : une nationale et l’autre provinciale.

À l’échelle du royaume, la taille formait un impôt de répartition dont la logique demeurait de

déterminer, à l’avance, quelle fraction du total paierait chacun. Ainsi le Languedoc contribuait

à un peu plus de 2 % de la taille du royaume, le diocèse civil de Mende à 1/18,5e de la taille

6 G. Larguier, « Fiscalité et institutions : le testament des Etats du Languedoc », Études sur l’Hérault, n° 4, 1983,

p. 41-46. 7 G. Larguier, « Technique et nécessité : la mesure de la terre en Languedoc, XIV

e-XVIII

e siècles », Cahiers de

métrologie, t. 20-21, 2002-2003, p. 37-50.

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du Languedoc et la petite ville de Marvejols à 1/33e de la taille du Gévaudan

8. À l’échelle de

la province, la taille était aussi un impôt réel, c’est-à-dire qu’elle pesait sur l’ensemble des

terres roturières (dites « rurales ») et non sur les individus en tant que tels. Les terres nobles

ne contribuaient pas à la taille mais elles composaient très rarement plus du dixième de la

superficie du finage. Rares aussi étaient les terroirs ou les villages exempts de taille à d’autres

motifs – en général le bon plaisir du roi –, comme la châtellenie royale des Tours de Cabardès

(Montagne Noire) ou la seigneurie et de Grizac (Mont Lozère)9.

Les principes de réalité et de répartition de la taille amenaient donc doublement à la tenue

de matrices cadastrales. Il fallait absolument dresser, communauté par communauté, « l’état

civil » de la terre, c’est-à-dire distinguer les terres nobles des terres rurales du finage mais

aussi en identifier les propriétaires qui, par le simple fait de posséder un bien foncier,

endossaient le statut de contribuable à la taille. Il fallait en outre calculer le revenu imposable

8 É. Combes, La tariffe universelle des provinces de la France et des vingt deux dioceses du pays de Languedoc

avec la tariffe particuliere des villes & lieux du dioecese de Nismes…, Nîmes, J. Vaguenar, 1619, env. 150 p. ;

Commission nommée par délibération des États de Languedoc, Compte rendu des impositions et des dépenses

générales de la province de Languedoc d’après les départements & les états de distribution, Montpellier, J.

Martel aîné, 1789, 456 p ; J. Roucaute, « La répartition des tailles en Gévaudan au début du XVIIe siècle »,

Bulletin de la société d’agriculture, industrie, sciences et arts du département de la Lozère, t. LI, 1899, 2e partie,

p. 3-24. 9 B. Jaudon, S. Olivier, « Le destin d’un site : la colline des châteaux de Lastours du milieu du XIII

e siècle à la

fin du XXe siècle » in M.-É. Gardel, dir., Cabaret. Histoire et archéologie d’un castrum. Les fouilles du site

médiéval de Cabaret à Lastours (Aude), Carcassonne, C.V.P.M., p. 193-250 ; B. Jaudon, « Les contradictions

fiscales du Gévaudan au dernier siècle de l’Ancien Régime », in A. Follain, éd., Campagnes en mouvement en

France du XVIe au XIX

e siècle. Autour de Pierre de Saint Jacob, actes du colloque international d’histoire rurale

(Dijon, 23-24 mars 2007), Dijon, EUD, p. 275-287, 334-336.

5

de chacun en fonction de ses possessions, afin de déterminer à l’avance la quotité de chaque

contribuable10

. L’ensemble des revenus imposables des particuliers portés au compoix formait

le revenu imposable de la communauté : ainsi, lorsque la mande de la taille parvenait de

l’assiette diocésaine, chaque villageois savait déjà de quelle fraction de celle-ci il devrait

s’acquitter (figure n° 2). Poussé à son bout, le principe de répartition l’était assurément en

Languedoc, puisqu’il atteignait jusqu’à la porte de la maisonnée.

De plus, le compoix ne servait pas qu’à répartir la taille, puisque la quotité du Languedoc

s’alourdissait, pour le contribuable, à chaque étape des opérations de répartition. Ainsi le

montant du brevet était augmenté des frais de tenue des États de Languedoc, assez importants

et ensuite, de ceux de tenue de chaque assiette diocésaine, plus modestes. Au village enfin, la

communauté avait obtenu « de temps immémorial » le droit de s’imposer, en sus de la mande,

d’un certain nombre de dépenses ordinaires et imprévues déterminées par la Loi. Cela

amenait, depuis la fin du XVIIe siècle, la tenue rigoureuse de préambules explicatifs très

détaillés placés en tête des rôles de taille locaux, préambules dont un double était contrôlé par

l’assiette diocésaine11

.

Le revenu cadastral du contribuable (ou « allivrement ») pouvait aussi lui donner accès,

selon les époques et les lieux, à certaines pratiques économiques et sociales assez connues.

Dans le bas pays, l’accès temporaire du bétail aux champs moissonnés ou aux vignes

vendangées se faisait à proportion de « l’allivrement », nom donné au revenu cadastral, à tant

de bêtes par sous ou livres « de compoix »12

. Dans le haut pays, l’allivrement pouvait aussi

conditionner l’accueil à l’estivage des troupeaux transhumants ou le partage des nuits de

fumature13

. À Drigas (Grands Causses), de 1636 à 1751, les contribuables jouissent du droit

10

Belles explications à l’époque du Roi-Soleil par l’intendant Nicolas Lamoignon de Basville in F. Moreil,

L’intendance de Languedoc à la fin du XVIIe siècle. Edition critique des mémoires « pour l’instruction du duc de

Bourgogne », Paris, CTHS, 1985, p. 187-188 ou à la fin de l’Ancien Régime : J.-B. Denisart, J.-B Bayard, L.

Calenge, Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence tant ancienne que moderne,

Paris, veuve Desaint, 1786, p. 32-33. 11

Comme explicité, par exemple, dans cette Ordonnance concernant les dépenses ordinaires & impreveuës,

capitaux & interests des dettes ; et le formulaire des preambules des rôlles des impositions des villes &

communautez de la province de Languedoc, 1701, 7 p., reprise en 1723, 1724, 1736... et conservées, parfois,

dans les papiers des communautés d’habitants. 12

É. Appolis, « La question de la vaine pâture en Languedoc au XVIIIe siècle », Annales historiques de la

Révolution française, 1938, p. 97-132. 13

B. Jaudon, J. Lepart et al., « Troupeaux et paysages sur le Causse Méjan (XVIIe-XX

e s.) » in P.-Y. Laffont,

éd., Transhumance et estivage en Occident des origines aux enjeux actuels, actes des XXVIe Journées

internationales d’histoire de l’abbaye de Flaran (9-11 septembre 2004), Toulouse, Presses universitaires du

Mirail, p. 275-289 ; R.-J. Bernard, « Notes sur les nuits de fumade d’après le compoix et cadastre de Belvezet,

1630 », Revue du Gévaudan, n° 11, 1965, p. 211-228 ; estimation du revenu cadastral pour se répartir entre

contribuables les nuits de fumâture : Arch. dép. Lozère, E 841, compoix et répartition des nuits de fumature du

Chastel-Nouvel (Margeride), 1672, 267 f°.

6

d’accueillir pendant l’été des troupeaux venus de la plaine en fonction du revenu cadastral : ils

« peuvent tenir vingt bestes a layne estrangeres pour ch[ac]une livre en compoidz »14

.

On comprend aisément que la réalisation du compoix constituait un enjeu important pour

la communauté d’habitants, enjeu économique et social qui dépassait le simple cadre fiscal.

Un document qui se veut irréprochable

De là découle le soin méticuleux qui entoure les pratiques cadastrales, régulées et

encadrées de près par la Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier. La cour

souveraine, créée dans la première moitié du XVIe siècle, réglait les litiges en matière d’impôt

et notamment en ce qui concernait la taille réelle et partant, les compoix15

. Dès les années

1560, plusieurs de ses magistrats s’inscrirent dans une longue tradition d’écriture de la

jurisprudence. Au XVIIIe siècle, on réédite toujours le Traicté des tailles et autres impositions

d’Antoine d’Espeisses, paru pour la première fois en 164316

. L’édition originale consacre de

longues pages à la procédure administrative à suivre pour élaborer le nouveau cadastre d’une

communauté mais aussi, de façon très éclairante, sur les grands principes à respecter pour

élaborer le revenu cadastral des contribuables17

. À la fin du XVIIIe siècle, les États

commandèrent à Jean Albisson, avocat, jurisconsulte et garde des archives de l’assemblée

depuis 1774, la rédaction des Loix municipales et économiques du Languedoc, œuvre

14

Arch. dép. Lozère, EDT 074 DD 1, règlements sur la dépaissance des ovins, 4 mars 1636, nf ; interdiction

définitive de la transhumance en 1751 (même dossier, nf). 15

P. Serres, Histoire de la Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier, Montpellier, F. Seguin, 1878,

218 p ; P. Vialles, Études historiques sur la Cour des Comptes, Aides et Finances de Montpellier, Montpellier,

Firmin et Montane, 1921, 336 p. 16

Rééditions en 1656, 1657, puis publication des Œuvres... principales de l’auteur en 1660, suivies de rééditions

complétées en 1685, 1750 et 1778 au moins. 17

J. Philippi, Edits et Ordonnances du Roy concernans l’autorité et iurisdiction des cours des Aides de France

sous le nom de celle de Montpellier, Montpellier, sn, 1561, sp et du même : Arrestz de consequence de la Cour

des Aides de Montpellier, recueillis, assemblez et adnotez par M. Jean Philippi conseiller du roy & president en

ladite Cour, Montpellier, Jean Gilet, 1597, 98 p. ; A. d’Espeisses, Traicté des tailles et autres impositions

Traicté des tailles et autres impositions, où sont contenues les decisions des matières des tailles, aydes,

equivalent, decimes ou dons gratuits, gabelles, guet & garde, imposition foraine, haut passage, rève,

fortifications & réparations, levées de chevaux & charriots, solde de cinquante mil hommes; estapes, munitions

& logemens des gens de guerre, impositions pour l’industrie, cabaux, meubles lucratifs, deniers à interest, à

rente ou à pension & bestail gros & menu & de la capitation. Le tout confirmé par loix ou par canon ou par les

ordonnances de nos roys ou par les advis des docteurs ou par des raisonnemens puisez de la source du droit ou

par les arrests des cours souveraines de ce royaume & notamment de la Cour des comptes, aydes & finances de

Montpelier, Toulouse, A. Colomiez, 1643, 344 p., p. 200-229 notamment.

7

monumentale en sept volumes et plus de 5000 pages : le tome V donne en 1784 la liste des

principaux textes législatifs en matière de compoix18

.

La faction d’un nouveau compoix, solidement encadrée, suivait donc plusieurs étapes mais

trouvait son origine dans un constat souvent identique : la matrice en service était périmée.

Deux raisons étaient alors avancées par la communauté pour refaire un compoix : la matière

imposable avait changé, la vétusté du registre devenait préjudiciable au bon département

annuel de la taille. Ce fut en ces termes que le conseil général des habitants de Bizanet

(Biterrois) demanda en 1711 la refonte de son cadastre « a cause des changem[en]ts qui sont

arrivés dans lesd[its] lieux par raport a l’estat present des terres et des maisons, soit parce que

les vieux compoix sont tellement alteréz et ambarasséz que ceux qui sont commis a la faction

des rolles ont beaucoup de peine a demelér l’alivrement de chaque contribuable pour faire

l’imposition avec egalité »19

.

Au XVIIIe siècle, cette délibération initiale du conseil général des habitants lançait la

procédure administrative de réalisation du nouveau compoix, aux nombreuses et coûteuses

étapes. Les interlocuteurs de la communauté d’habitants s’étaient alors multipliés : Cour des

Aides de Montpellier bien sûr, mais aussi assiette diocésaine et même Intendant, puisque

celui-ci pouvait seul autoriser ou non le village à contracter un emprunt pour régler les

émoluments des agents cadastraux. Presque toujours, la Cour des Aides donnait un accord

formel à la réalisation d’un nouveau compoix mais la communauté devait franchir bien des

obstacles administratifs pour aboutir à la mise en service d’un nouveau cadastre20

. À Celles

(Lodévois), on lança ainsi la procédure de réfection du compoix en 1753 mais elle n’aboutit

jamais, pour des raisons inconnues et alors que l’arpenteur avait été désigné21

.

Cela dit, une fois réalisés, les compoix languedociens du Siècle des Lumières semblent

irréprochables. Les documents conservés sont de grand format, environ 30 40-45 cm,

parfois très épais, notamment en milieu urbain : à Agde (plaine littorale) en 1720, le compoix

du Bourg, de la Cité et du finage occupe plus de 1900 pages22

. Les marges sont généreuses et

des pages sont laissées blanches entre deux « tails », afin d’enregistrer, si nécessaire, les

mutations foncières en face des parcelles concernées23

. L’écriture, très posée et appliquée,

18

J. Albisson, Loix municipales et économiques du Languedoc, Montpellier, Rigaud & Pons, 1780-1787, 7 vol.,

5320 p ; sur les compoix : t. V, 1784, p. 807-913 notamment ; sur l’auteur : L.-G. Michaud, dir., Biographie

universelle et moderne ancienne et moderne, Paris, C. Desplaces, t. I, 1854, p. 317-318. 19

Arch. dép. Hérault, 1 B 10970, compoix de Bizanet, 1713, f° 3 v°-4 r°. 20

A. d’Espeisses, Traicté des tailles..., op. cit., p. 200-203. 21

Arch. dép. Hérault, 2 E 25/141, étude de maître Joseph Domergue, notaire royal de Clermont-l’Hérault, f° 470

r°-471 r° (information aimablement communiquée par S. Olivier). 22

Arch. mun. Agde, CC 29-34, compoix d’Agde, 1720, 6 vol. 952 f°. 23

Tail : ensemble des biens d’un propriétaire.

8

permet de décrire trois ou quatre parcelles par page24

. La description parcellaire s’avère très

fouillée et se présente comme infailliblement explicative du revenu cadastral qu’elle porte, le

fameux allivrement.

La localisation du bien est double : au moyen d’un toponyme mais aussi de confronts, qui

viennent pallier l’absence presque systématique de plans parcellaires associés à la matrice25

.

La largeur des chemins confrontants est parfois précisée, ainsi que leur nom quand ils en ont

un, comme cette parcelle jouxtant « du couchant le chemin des Charbonniers ayant vingt pans

de largeur », à Saint-Geniès-des-Mourgues (garrigues) en 178726

. La nature de la mise en

valeur du sol est très fine depuis le milieu du XVIIe siècle, comme ce « castanet, rouvière et

issartiel [...] outre la rancarède » (châtaigneraie, bois de chênes rouvres et essart, outre

l’étendue rocheuse), à Saint-Julien-d’Arpaon (Cévennes) en 172027

. Cela est très vrai aussi

pour de toutes petites parcelles, comme ce jardin des faubourgs de Lodève en 1751, « jardin

24

Contre une dizaine, par exemple, dans les compoix des XVe et XVI

e siècles.

25 Bien qu’insistamment demandés par la Cour des Aides de Montpellier, les plans parcellaires accompagnant les

matrices sont rares : on en connaît dans la plaine pour Mèze en 1768 (aujourd’hui perdus mais référencés dans le

corps du compoix) ou Tressan en 1770 (arch. mun. Tressan, CC 3) ; les plans-terriers sont plus fréquents à cette

époque dans le même espace (S. Olivier, « La seigneurie et l’agriculture en Lodévois d’après deux plans-terriers

du XVIIIe siècle », in G. Brunel, O. Guyotjeannin, J.-M. Moriceau, éd., Terriers et plans-terriers du XIII

e au

XVIIIe siècle, actes du colloque de Paris (23-25 septembre 1998), Paris-Rennes, Mémoires et Documents de

l’École des Chartes, n° 62, Bibliothèque d’Histoire Rurale, n° 5, 2002, p. 397-411.). 26

Arch. dép. Hérault, 166 EDT CC 2, compoix de Saint-Geniès-des-Mourgues, 1787, f° 50 r°. 27

Arch. dép. Lozère, EDT 162 CC 1, compoix de Saint-Julien-d’Arpaon, v. 1720, f° xx.

9

avec arbres fruitiers dans lequel il y a une maison servant de logement au jardinier, joignant

un grenier a foin, pred, ollivette et rivage le tout contigu »28

.

Les exemples étant déclinables à l’infini, on ne peut manquer de souligner la très grande

qualité formelle – parfois même esthétique – des compoix languedociens du XVIIIe siècle.

Celle-ci, ajoutée à la rareté des procès, prouve la qualité foncière de ces cadastres qui

s’inscrivent alors au terminus de cinq siècles d’histoire de la fiscalité royale et municipale. De

tels efforts descriptifs s’expliquent surtout par la nécessité d’élaborer rigoureusement le

revenu cadastral des contribuables.

Une nécessité : la « table d’allivrement »

On appelle table d’allivrement la grille de calcul du revenu imposable élaborée par le

conseil général des habitants de la communauté. Cette étape de la procédure administrative

constituait sans nul doute le premier moment fort, pour les propriétaires, de la rédaction du

nouveau compoix, moment qui précédait de peu l’arpentage et la levée topographique des

biens.

Une mise au point délicate et sensible

On peut analyser l’élaboration de la table d’allivrement par le conseil général des habitants,

en présence du syndic des propriétaires forains et du commissaire « au compoix », comme le

point de tension et d’équilibre des opérations cadastrales. En effet, bien que l’arpenteur, les

deux estimateurs et les indicateurs étaient déjà choisis, les habitants se réunissaient à l’appel

des autorités municipales afin de fixer pour chaque catégorie culturale et bâtie un revenu

imposable à l’hectare29

:

« En laquelle table est dit à quel pied sera cotisée la sesterée de terre, soit labourable, pré, ou vigne,

& à quel pied celle qui est au premier, second, ou troisième degré ; comme aussi à quel pied seront

cotisées les maisons suivant leur assiette & contenance. Puis que cela touche les habitans du lieu en

seul, il est juste de prendre leur avis sur cela »30

.

On imagine volontiers que dans tel village de la plaine, en plein essor viticole, les

vignerons œuvraient à obtenir pour leurs vignes des revenus imposables moindres que ceux

28

Arch. dép. Hérault, 142 EDT 81, compoix de Lodève, 1751, f° 1 r°. 29

On emploie ici le mot hectare par souci de clarté mais les revenus imposable étaient fixés en livres, sous ou

derniers par mesure locale, ici la dextre, là la sétérée, de valeur métrique variable d’un lieu à l’autre (cf note n°

43). 30

A. d’Espeisses, Traicté des tailles..., op. cit., p. 206.

10

des propriétaires d’olivettes. À l’intérieur de chaque catégorie culturale – champs céréaliers,

vignes, olivettes, prés... –, le revenu imposable décroissait en fonction de la qualité présumée

du sol selon des « degrés », du premier au énième.

Il est impossible de savoir aujourd’hui, à travers les procès-verbaux de ces séances, si elles

étaient houleuses, bien réglées, longues, courtes, animées, si des personnages arrivaient à

influencer l’assemblée en leur faveur31

... Mais cette table finissait par être mise au point et

remise, en guise de cahier des charges, à l’équipe cadastrale qui, dès lors, travaillait plusieurs

semaines sinon plusieurs mois à encadastrer le finage, biens nobles compris, pour enregistrer

ceux-ci à part dans un Cahier des biens prétendus ou réputés nobles. Sur le terrain, l’arpenteur

mesurait les parcelles, les deux estimateurs jaugeaient la qualité des terres et notaient les

informations relatives à chaque parcelle, les indicateurs, en nombre variable, localisaient cette

dernière et en nommaient le propriétaire. L’opération étant publique, ces propriétaires

suivaient les agents cadastraux et parfois même, devaient confirmer les propos des

indicateurs, comme à Bessan (plaine littorale) en 1699, entre voisins, « l’un sur l’autre »32

.

Cela dit, le calcul de l’allivrement se faisait en cabinet, une fois la levée topographique

achevée : il s’agissait de multiplier la superficie par son revenu cadastral à l’hectare, tel

qu’indiqué dans la table d’allivrement. Pour le petit village de La Cadière (Cévennes), le

compoix de 1693, bien que très modeste (56 folios en tout) a nécessité dix jours de travail en

cabinet (cinq à six folios achevés par jour) pour faire des notes de terrain un registre foncier

mis au net, « exibé et montré ausd[its] habittans qui lont parcoureu exattement »33

.

Cela dit, la mise au point de la table d’allivrement pouvait provoquer certaines dissensions

dans les campagnes, pour des raisons variées. On peut néanmoins les regrouper autour de

l’idée que les transferts de charges fiscales entraînés par la refonte de la matrice cadastrale

allaient à l’encontre des intérêts particuliers et suscitaient des tensions. Le cas est d’une

grande clarté à Serverette (Margeride) où, dès 1781, la réalisation d’un nouveau compoix fut

retardée par une frange de propriétaires mécontents de voir la mémoire de l’état civil du sol

retrouvée et les terres fiscalisées autrement. Il faut dire qu’ici la matière imposable, sclérosée

et fragmentaire, n’avait plus été encadastrée depuis 1549 : la mise en service du nouveau

compoix attendit donc 178834

...

31

A. Follain, Le village..., op. cit., p. 258-264. 32

Arch. dép. Hérault, 31 EDT CC 5, compoix de Bessan, 1699, introduction, nf. 33

Arch. dép. Gard, E dépôt 148/5, compoix de La Cadière, 1693, 58 f°. 34

Arch. dép. Lozère, EDT 188 CC 1 et G 586, compoix double de Serverette, 1549, 85 et 87 f° ; arch. dép.

Lozère, EDT 188 BB 2, délibérations consulaires de Serverette, 1781-1788, f° 59 v°-145 r°, passim ; arch. dép.

Lozère, E 964, compoix de Serverette, 1788, 88 f°.

11

C’est en ville malgré tout que se rencontrent les plus gros problèmes. Bien qu’il reste

nécessaire d’étudier ce phénomène de manière approfondie, il semble bien que, toute

précaution gardée, au-delà d’un certain seuil de population, les enjeux économiques et

politiques bloquent l’encadastrement des bâtiments et des terres. Montpellier, capitale

provinciale, siège de la Cour des Comptes, Aides et Finances, bien qu’elle essayât, ne parvint

jamais à faire refaire son compoix au XVIIIe siècle, le dernier réalisé datant tout de même de

159135

. Les petites villes sont elles aussi touchées : à Montagnac (plaine littorale), on obtient

de faire refaire le cadastre en 1739 : celui-ci est mis en service en 178736

. À Mèze, la situation

s’avère plus complexe encore : le nouveau compoix est homologué en 1768 par la Cour des

Aides, qui avait autorisé sa rédaction en 1719, près de cinquante ans plus tôt37

. Et les contre-

exemples sont rares : Agde (plaine littorale) dispose sans heurts d’une nouvelle matrice en

1720, Lodève en 175138

... La résidence épiscopale d’une personnalité affirmée et par ailleurs

soucieuse du bien public comme monseigneur Jean-Georges de Souillac, évêque de Lodève

de 1732 à 1750 et par ailleurs président de l’assiette diocésaine de ce diocèse civil, entre-t-elle

en compte pour expliquer cela39

? Il est bien malaisé de se faire une idée.

Quelque difficile peut être sa mise au point, la table d’allivrement constitue cependant un

document public employé par des agents cadastraux dans le cadre d’une enquête publique.

Une grille « publique » de calcul du revenu cadastral

Elle est donc à ce titre placée au début du compoix, dans une longue introduction, parmi

les procès-verbaux relatant la plupart des étapes administratives de la réalisation de la matrice.

Mise au point, on l’a vu, au cours d’une délibération du conseil général des habitants de la

communauté, sa transcription est incluse dans le procès-verbal de cette délibération. C’est,

avec la levée topographique des biens, un des deux piliers des opérations cadastrales :

utilisées, dans les campagnes languedociennes depuis la seconde moitié du XVe siècle et dans

les villes depuis le premier tiers du XVIe siècle, les tables d’allivrement on formellement peu

35

Arch. mun. Montpellier, Joffre 299, 302, 305, 308, 311 et 314, compoix de Montpellier, 6 vol., 2136 f°. 36

Arch. dép. Hérault, 1 B 11028, compoix de Montagnac, 640 f° : introduction, nf. 37

Arch. dép. Hérault, EDT Mèze CC 3-5, compoix de Mèze, 1768, 3 vol., 679 f° : t. I, introduction, nf. 38

Arch. mun Agde, CC 29-34, compoix d’Agde, doc. cit. ; arch. dép. Hérault, 142 EDT 81, compoix de Lodève,

1751, 284 f°. 39

É. Apollis, Un pays languedocien au milieu du XVIIIe siècle : le diocèse civil de Lodève. Étude administrative

et économique, Albi, Impr. coopérative du Sud-Ouest, 1951, 675 p.

12

changé entre le début et la fin du XVIIIe siècle

40. En effet, lorsque la Cour des Comptes,

Aides et Finances de Montpellier autorisait la communauté à refaire son compoix, la lettre

d’autorisation reçue par la municipalité stipulait la nécessité de réaliser une table « par

degrés », pour le non-bâti comme pour le bâti.

Certaines tables d’allivrement, puisqu’elles étaient élaborées au cours d’une séance

publique du conseil général des habitants, posent de réels problèmes aux chercheurs. Dans le

cas du cadastre de Lodève de 1696, l’encadastrement des terres cultes et incultes suivait une

grille unique de calcul du revenu cadastral, décomposée en dix-sept degrés41

. « Des champs,

ollivettes, vignes, hieres, rebairals, chastanettes, hermes, bois de chaines, bouissières et autres

terres vagues et incultes a esté arresté quelles seront compéziées sur dix sept degreds » :

champs, olivettes, vignes, aires à dépiquer les céréales, rivages, châtaigneraie, hermes,

chênaies, espaces couverts de buis, l’inculte en général, toutes les occupations du sol sont

donc théoriquement soumises à 17 tarifs cadastraux par hectare42

. Dans les faits, il est

probable que certaines cultures étaient contenues dans des fourchettes de degrés, tout comme

l’inculte est vraisemblablement fiscalisé par les derniers degrés de la table. Cela demanderait

néanmoins de dépouiller intégralement ce compoix de Lodève et d’analyser attentivement la

classe cadastrale moyenne de chaque catégorie culturale ou inculte.

Toutefois, la seconde moitié du siècle passée, les tables d’allivrement telles que demandées

par la Cour des Aides auraient dû, pour chaque occupation du sol, décliner le tarif cadastral à

l’hectare en neuf degrés maximum : trois classes pour les bonnes terres, trois pour les

moyennes et trois pour les mauvaises. À Saint-Geniès-des-Mourgues, la table du compoix de

1787 prévoit ainsi trois tarifs pour les prés, irrigués ou non, de cinq sous deux deniers à trois

sous un denier par sétérée carrée43

. Champs céréaliers, vignes et olivettes sont divisées en

cinq classes : bon, moyen, faible, second degré du faible et troisième degré du faible, entre

deux sous sept deniers et six deniers la sétérée, selon une gradation fiscale variant du simple

au quintuple44

.

40

B. Jaudon, « Des recherches diocésaines aux compoix des communautés : un impact fort (vers 1430-1560) »,

court article mis en ligne sur le site « Terrae » de l’université de Toulouse II-Le Mirail : http://w3.terrae.univ-

tlse2.fr/spip/IMG/pdf/CR_reunion_compoix_Perpignan_03.06.pdf 41

Les degrés d’estimation du compoix correspondent à part entière aux « classes » des cadastres dits

napoléoniens. 42

Arch. dép. Hérault, 142 EDT 78, compoix de Lodève, 1696, 244 f° : introduction, nf. 43

La sétérée, unité de mesure des superficies, variait beaucoup d’un lieu à l’autre, en général entre un cinquième

et un quart d’hectare (P. Charbonnier, dir., Les anciennes mesures locales du Midi méditerranéen d’après les

tables de conversion, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif Central, 1994, 281 p.). 44

Arch. dép. Hérault, 166 EDT CC 2, doc. cit. : introduction, nf.

13

Les compoix languedociens du XVIIIe siècle révèlent donc une élaboration très fine du

revenu cadastral, qui témoigne aussi d’une représentation collective fouillée des territoires

agraires et de leur productivité présumée. Ces savantes tables d’allivrement mises au point, les

terres encadastrées, il restait, comme on l’a dit, à multiplier les superficies des parcelles par le

degré d’imposition correspondant.L’estimation de la valeur fiscale du fond s’avère d’autant

plus rigoureuse que très fréquemment, une parcelle portant la même culture est déclinée en

plusieurs classes cadastrales, comme cette vigne à Boujan-sur-Libron (Biterrois) en 1725 :

« un vigne, muscat et maliol en broque [plantier de l’année] [...] contient la vigne trois cesterées

trois quartons deux dextres, le muscat une cesterée trois quartons neuf dextres, le maliol deux

quartons estimé [pour les] deux tiers [de la superficie] bon du faible [et] un tiers moyen du faible. Le

muscat moitié moyen de moyen, moitié faible de moyen. La vigne moitié moyen de moyen, moitié

faible de moyen. Fait tout de compoix [un revenu cadastral de] treize sols deux deniers »45

.

Cet exemple, parmi des dizaines de milliers, montre bien qu’en fait de parcelle, un

« article » ou « item » de compoix pouvait en réalité être composé de plusieurs parcelles

contigues, regroupées ainsi par les agents cadastraux. La précision descriptive de la nature du

bien est particulièrement approfondie, puisqu’une simple vigne est fiscalement distinguée

d’une autre plantée de muscat, considéré comme plus noble et partant, plus imposé à

l’hectare. Quant au plantier, encore improductif, son allivrement est évidemment plus faible.

Plus précise encore est l’estimation des classes cadastrales de chacune des trois vignes de cet

article. Le revenu imposable de ce dernier apparaît bien tel qu’en lui-même : un calcul public

et pour ainsi dire scientifique de la valeur d’un bien, hors de la pratique de tout arbitraire.Cela

dit, sur le terrain, plan parcellaire et compoix en main, sûr de l’identification d’une parcelle

actuelle à un article de compoix, les raisons de la ventilation d’un bien de petite superficie en

deux ou trois classes cadastrales restent incompréhensibles. En Provence, François-Xavier

Emmanuelli se heurte au même problème de l’impossibilité de pénétrer la logique

d’estimation de la qualité d’un fond par les agents cadastraux du XVIIIe siècle

46.

Les raisons invoquées dans les rapports d’arpentage placés eux aussi en tête des compoix

ne sont d’aucun secours, puisque, d’un bout à l’autre du Languedoc, les experts répètent

inlassablement la même formule, comme dans l’introduction du compoix de Généragues

(Cévennes) :

« Tant que nous a este possible avons tenu et observe les degres et cordes mantionnes en lad[ite]

table [d’allivrement] ayant heu et prins esgard a la scitua[ti]on aizance bontes comodittes &

incomodittes fertillictes et infertillictes et aux degres de bon moien & foible et rante annuelle que de

45

Arch. dép. Hérault, 1 B 10971, doc. cit., f° 9 r°. 46

Très belle étude de cas de M.-F.-X. Emmanuelli, « Cadastres en Provence : le cas de Bouc-Albertas (1627-

1834) », Provence Historique, fasc. 233, t. LVIII, juillet-sept. 2008, p. 273-318.

14

ch[acu]ne qualitte de terre peult porter et produire suivant la juste valeur dicelles et a toutes aultres

considera[ti]ons que avons juge estre juste et raizonnable de droict observer et tenir pour daultant mieux

treuver l’esgualitté et ayant exactement calcullé le presaige et allivrem[en]t »47

.

Cette concaténation rhétorique, reprise au mot près de la jurisprudence de la Cour des

Aides de Montpellier, a au moins le mérite de nous éclairer sur la philosophie de l’élaboration

du revenu cadastral. Si œuvrer à produire une table d’allivrement consensuelle est nécessaire

à la bonne rédaction du compoix, il existe un véritable devoir, face aux contribuables, de

calculer en outre de justes revenus cadastraux.

Un devoir calculer de « justes » revenus cadastraux

En fait de justice fiscale – cette chimère intemporelle –, la taille languedocienne se

caractérisait, au XVIIIe siècle, par le souci d’une recherche d’équité plus grande que dans

d’autres régions, encore que ce point devrait être nuancé par bien des contre-exemples48

. Le

conseil général des habitants de chaque communauté faisant refaire son compoix visait à une

péréquation interne à la communauté d’habitants. La solidarité face à l’impôt en pays de taille

réelle constituait en effet un élément fort de la concorde et de la cohésion politiques et

sociales microlocales.

Le maquis des tables d’allivrement : des pratiques empiriques !

Afin de pénétrer les logiques d’élaboration du revenu cadastral, il a été décidé d’adopter

deux pis-aller statistiques. Le premier concerne l’échantillonnage, composé des seize compoix

ruraux déjà dépouillés dans notre zone d’étude et pour lesquels la table d’allivrement était

conservée : il s’agit d’une limite « par la force des choses ». Le second, particulièrement

discutable, met en exergue le problème de la comparaison par l’utilisation d’indices. L’indice

100 de la valeur cadastrale des terres a été attribué à la seule culture qu’on rencontre des rives

de la mer Méditerranée aux terres d’altitude du Gévaudan : les champs céréaliers. Parmi ceux-

47

Exemple antérieur au XVIIIe siècle mais tout à fait significatif et qu’on peut retrouver mot à mot à la veille de

la Révolution, tiré des arch. dép. Gard, E dépôt Généragues CC 3, compoix de Générargues, 1635, 564 f° :

introduction, nf. 48

Nombreuses et éclairantes études de cas in A. Follain et G. Larguier, dir., L’impôt des campagnes. Fragile

fondement de l’État dit moderne (XVe-XVIII

e siècle), op. cit., 660 p., dont P. Charbonnier, « La taille vue des

collectes auvergnates : injuste ? oppressive ? », p. 335-378, sans oublier, dans une abondante bibliographie, E.

Esmonin, La taille en Normandie au temps de Colbert, 1661-1683, Paris, Hachette, 1913, XXX-552 p. et M.

Touzery, L’invention de l’impôt sur le revenu. La taille tarifée (1715-1789), Paris, Comité pour l’histoire

économique et financière de la France, 1994, XVII-618 p. Sur la prétendue justice de la taille réelle en

Languedoc : B. Jaudon, « Les contradictions fiscales du Gévaudan... », art. cit.

15

ci, l’indice 100 a été donné aux champs les plus fortement évalués par les agents cadastraux,

ceux appelés « premier degré du bon » ou « bon du bon » dans les tables d’allivrement. La

limite majeure de cette méthode à but comparatiste reste consubstantiellement liée à la variété

des céréales entretenues selon les finages, la nature des sols et l’altitude, mais aussi à la

grande variabilité des rendements céréaliers d’un point à l’autre de la zone d’étude. Il faut

donc se contenter de ces ordres de grandeurs les plus acceptables possibles et garder

constamment à l’esprit la défaillance statistique initiale de l’appareillage méthodologique.

La présentation rapide de deux cas permet de se demander plus encore quelles logiques

pouvaient bien prévaloir à l’élaboration du revenu cadastral. À Bessan en 1699, dont on a déjà

parlé, l’inculte est allivré entre les indices 5 et 10, les jardins potagers entre 100 et 200 et le

reste des terres cultivées entre 12,5 et 10049

. La même simplicité apparente se retrouve dans

les revenus cadastraux fixés pour Saint-Pierre-le-Vieux (Margeride) en 1714 : les champs,

pâtutages et bois plutôt bons sont fiscalisés dans une fourchette indicielle de 50 à 100, les

autres terres plutôt médiocres entre 20 et 4050

.

Mais plus les comparaisons sont nombreuses, plus la complexité augmente.

49

Arch. dép. Hérault, 31 EDT CC 5, doc. cit. 50

Arch. dép. Lozère, E 955, compoix de Saint-Pierre-le-Vieux, 1714, 146 f°.

16

Soit deux communautés localisées dans des finages étendus sur les garrigues et disposant

de compoix chronologiquement assez proches : Candillargues (1756) et Brouzet-lès-Quissac

(1773). À Candillargues, trois groupes fonciers ont été créés : les champs, vignes et olivettes

(indices 75 à 100), les vignes plantées de muscat (indices 100 à 125), les prés et les jardins

(indices 112 à 125). Ici, les revenus cadastraux restent assez homogènes mais l’inculte semble

avoir été oublié alors qu’il occupe de vastes pans du paysage51

. À Brouzet, l’espace fiscal est

divisé en cinq groupes fonciers : l’inculte (indices 3 à 25), les bois (indices 6 à 50), les

champs, vignes et olivettes (indices 11 à 100), les prés irrigués ou secs (indices 22 à 111), les

jardins potagers enfin (indices 89 à 133)52

. Deux villages, deux manières d’appréhender

l’espace fiscal et deux échelles d’imposition foncière très différentes l’une de l’autre : neuf

classes cadastrales et un rapport de 1 à 1,7 entre les deux classes extrêmes à Candillargues, 39

classes et un rapport de 1 à 48 à Brouzet...

De tels chiffres, si éloignés les uns des autres, pour des pratiques cadastrales semblant a

priori uniformisées, mettent à mal la notion même de logique. Ils soulignent toutefois que

chaque communauté élaborait son revenu cadastral à sa manière, c’est-à-dire appliquait à sa

représentation collective et consensuelle du territoire sa propre grille de fiscalisation de la

terre. On pourrait en rester là et regretter de ne pas étudier cette question pour la Provence, où

s’appliquait le règelement de 1724. Les Procureurs du Pays demandèrent aux Provençaux de

réaliser désormais des cadastres employant partout dans la province les mêmes unités de

mesure et les mêmes règles d’appréciation des revenus fonciers. Mais François-Xavier

Emmanuelli remarque que malgré la Loi, le maquis des pratiques cadastrales locales persiste

jusqu’à la fin du XVIIIe siècle

53.

Après tout, chaque cadastre ne servait pour répartir la taille qu’à l’échelle de la commuauté

d’habitants et constituait un outil fiscal interne et utile à celle-ci seulement, exception faite des

propriétaires résidant à l’extérieur, les forains. Une analyse plus poussée des tables

d’allivrement offre néanmoins des éléments de compréhension des mécanismes d’élaboration

des revenus cadastraux languedociens.

Le rapport au conjoncturel : des pratiques logiques !

51

Arch. dép. Hérault, 50 EDT 10, compoix de Candillargues, 1756, 188 f°. 52

Arch. dép. Gard, C 1032, compoix de Brouzet-lès-Quissac, 1773, 36 f°. 53

M.-F.-X. Emmanuelli, « Cadastres en Provence... », art. cit.

17

L’univers du revenu cadastral non bâti est traversé par des invariants dans l’estimation des

mises en valeur du sol. Les seize tables d’allivrement employées ici font saillir une

hiérarchisation globale mais très nette des valeurs foncières :

le saltus obtient un indice moyen de 13 (1,7 à 40) et demeure fiscalisé, bien que peu

apprécié ;

la silva, précieuse aux ruraux, atteint un indice moyen de 41 (0,01 à 150) et talonne de

peu l’ensemble des terres cultivées ;

les cultures sèches montent à un indice moyen de 53 (1,3 à 125) ;

les cultures arrosées, fortement productives et rentables, qui plus est sous un climat

méditerranéen (même altéré), grimpent à un indice moyen de 123 (17 à 300).

En dehors de ces constantes, connues mais jamais mesurées, deux logiques coexistent. La

première est d’ordre économique et fait varier de manière subtile les revenus cadastraux à

l’hectare. Dans la plaine par exemple, tout entière en train de se tourner vers la viticulture

dans la seconde moitié du siècle, les vignes ne sont pas surfiscalisées à l’hectare. Cela autorise

vraisemblablement d’en mener la culture sans pour autant en voir les revenus rognés par le

prélèvement de la taille. Cela dit, des compoix du Biterrois, comme ceux de Thézan (1713),

Boujan-sur-Libron (1725) ou Abeillan (1768), fiscalisent plus fortement les bâtiments

vitivinicoles et les plantiers54

. La culture des oliviers plonge alors en plein marasme car, après

le Grand Hiver, les olivettes, même ruinées, restent soumises à la taille et encadastrées en tant

que telles :

« les champs, terres labourables meme celles qui sont complantées en oliviers auxquels on n’aura

aucun egard a cause de la perte d’iceux, en sera fait quatre degrés »55

.

En l’espèce, les propriétaires d’oliviers n’obtinrent de l’État aucun dédommagement pour

cas fortuit, même sous la forme de moins-imposé56

. Certaines cultures enfin, en raison sans

doute de leur excellente réputation et des bons revenus qu’elles apportent, sont nettement

surfiscalisées. À Tressan (Biterrois) en 1770, les nombreuses luzernes d’un terroir humide,

fauchées plusieurs fois par an dans une région manquant de fourrages, sont plus imposées que

les autres cultures, que le vignoble par exemple, pourtant en pleine extension57

. Dans le

54

Arch. dép. Hérault, 1 B 10970, compoix de Thézan-lès-Béziers, 1713, 111 f° ; arch. dép. Hérault, 1 B 10971,

compoix de Boujan, doc. cit. ; arch. dép. Hérault, 1 B 10966, compoix d’Abeilhan, 1768, 314 f°. 55

Arch. dép. Hérault, 1 B 10970, doc. cit., f° 4 v°. 56

S. Durand, « L’indemnisation des dommages aux oliviers en Languedoc de la fin du XVIIe siècle au début du

XIXe siècle », actes du colloque international de Montpellier : «L’olivier et l’identité des pays de l’Europe

méditerranéenne » (17-18 mars 2006), Liame, à paraitre. 57

Arch. mun. Tressan, CC 1, compoix de Tressan, 1770, 228 f° ; B. Jaudon et J.-L. Abbé, « Enjeux et gestion

des milieux humides. Les étangs asséchés de la vallée de l’Hérault au cours du dernier millénaire », Annales du

Midi, t. 119, n° 257, p. 27-40.

18

Lunellois après 1750, les vignes plantées en muscat ont un revenu cadastral à l’hectare plus

élevé que celui des simples vignes58

.

À cette logique économique s’ajoute une logique qu’on pourrait qualifier de

« physiocratique » : le choix des revenus cadastraux peut servir à cultiver plus de terres. Les

cadastres n’ont pas attendu – et loin s’en faut – la Déclaration sur les défrichements de 176659

.

On fiscalise l’inculte pour encourager la mise en valeur des réserves de productivité, comme

le dit le compoix de Mèze (plaine littorale) de 1768 : « les jonquasses, paturages et terres

incultes dont les fonds seroient bons a mettre en culture seront estimés sur 3 degrés »60

. Le

Traicté des tailles d’Antoine d’Espeisses le précisait dès 1643 en prenant l’exemple de la

maison ruinée, appelée « cazal », imposée car pour son propriétaire, du point de vue du fisc, il

« ne tenoit qu’à luy, qu’il ne la fit rebastir »61

.

Bien que les historiens languedociens demeurent prompts à se servir des compoix pour

écrire l’histoire économique et sociale de la province, mais aussi celle des paysages passés et

des rapports des sociétés anciennes à l’environnement, aucun n’a cherché à démêler l’échevau

des logiques d’élaboration du revenu cadastral62

. Si la question est en effet d’une rare

complexité, on voit bien à l’œuvre une juxtaposition de volontés locales qui font de chaque

table d’allivrement un véritable outil de politique fiscale adoptée en un temps donné de

l’histoire de la communauté d’habitants. Le seul vrai problème, le plus important pour être

honnête, reste la question du rapport entre les revenus cadastraux et la réalité du marché

foncier : en existe-t-il seulement un, si oui est-il quantifiable, peut-on même le mettre en

équation63

?

On ne manquera pas de livrer, à ce point de l’exposé et en guise de logogriphe, un résumé

des seize tables d’allivrement employées ici pour élaborer le revenu cadastral de quatre petites

villes (Agde, Lodève, Mèze et Montagnac) et douze villages (figure n° 5).

lieu date rapport entre Références

58

Comme à Candillargues : arch. dép. Hérault, 50 EDT 10, doc. cit. 59

L. Dutil, L’état économique du Languedoc à la fin de l’Ancien Régime (1750-1789), Paris, Hachette, 1911,

962 p. 60

Arch. dép. Hérault, EDT CC 3-5, doc. cit. : introduction, nf. 61

A. Despeisses, Traicté des tailles..., op. cit., p. 129. 62

S. Olivier, « L’environnement languedocien avant l’âge industriel. Vers une modélisation des paysages ruraux

anciens », in F. Neveu, coord., Jeunes chercheurs en Sciences humaines et sociales. 10 ans de recherche à la

MRSH de Caen, Caen, Cahiers de la MRSH, n° spécial, 2005, p. 123-135 et « Compoix, terriers et cadastres. Des

données quantitatives et spatiales sur l’environnement rural languedocien (XVIIe-XIX

e siècle) », actes de la table

ronde de l’université Paul Valéry-Montpellier III (octobre 2005), Liame, n° 14 : « Cadastres et paysage », 2007,

p. 63-82. 63

J. Heffer, « Les déterminants du prix de la terre. La prédominance du marché dans un comté du Missouri

(1860-1870) », Histoire & Sociétés rurales, n° 32, p. 81-108.

19

les évaluations

cadastrales extrêmes

à l’hectare :

de 1 à...

A.D. : archives départementales

A.M. : archives municipales

Agde 1691 16 A.M. Agde, CC 24-26, 3 vol., 1191 f°

Montaud 1692 500 A.D. Hérault, EDT Montaud CC 2, 174 f°

Saint-Bauzille-de-Montmel 1695 10000 A.D. Hérault, EDT Saint-Bauzille-de-Montmel CC 1, 221 f°

Lodève 1696 300 A.D. Hérault, 142 EDT 78, 244 f°

Bessan 1699 40 A.D Hérault, 31 EDT CC 3, 178 f°

Lédenon 1712 60 A.D. Gard, C 1051, 512 f°

Saint-Pierre-le-Vieux 1714 5 A.D. Lozère, E 955, 146 f°

Cournonsec 1747 40 A.D. Hérault, 87 EDT 4, 3 vol., 367 f°

Candillargues 1756 1,7 A.D. Hérault, 50 EDT 10, 188 f°

Lavérune 1758 18 A.D. Hérault, 134 EDT 7, 345 f°

Fourques 1768 2,5 A.D. Gard, C 1044, 314 f°

Mèze 1768 157,5 A.D. Hérault, EDT Mèze CC 3-5,

3 vol., 679 f°

Tressan 1770 120 A.M. Tressan, CC 1, 228 f°

Brouzet 1773 48 A.D. Gard, C 1038, 36 f°

Montagnac 1787 64 A.D. Hérault, 1 B 11028, 640 f°

Saint-Geniès-des-Mourgues 1787 10 A.D. Hérault, 166 EDT CC 2, 102 f°

Figure n° 5 : la variété des évalutions cadastrales

à travers quelques compoix du Languedoc du XVIIIe siècle

Le concept de politique fiscale, pour autant qu’il fut opératoire au XVIIIe siècle, a au

moins le mérite de souligner tout le raffinement des tables d’allivrement, subtiles non

seulement dans le nombre de classes cadastrales adoptées dans chaque cas, mais aussi dans

l’amplitude de la fourchette des tarifs employés pour imposer la terre.

Se demander comment on procédait à l’échelle locale pour élaborer les revenus cadastraux

dans le Languedoc du XVIIIe siècle relève donc, en grande partie, d’un défi intellectuel pour

l’heure isolé dans le champ historiographique de l’ancienne province.

On voit bien les autorités municipales, ainsi que les propriétaires résidents et forains,

« s’accorder » – pour reprendre les termes d’époque – afin de créer une table d’allivrement

nécessaire à fiscaliser l’espace. Mais rien ne filtre des procès-verbaux de ces assemblées des

très vraisemblables tensions qui les caractérisèrent, car l’objet des discussions cristallisait un

enjeu économique et social capital : une nouvelle donne de l’impôt.

Dans les villes en tout cas, mais les études comparatives font cruellement défaut à cette

époque pour les pays de taille réelle du royaume de France, élaborer le revenu cadastral

semble devenu une affaire d’une immense difficulté à résoudre. La question des transferts

induits de charges fiscales heurtait frontalement le fragile équilibre de la mosaïque

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socioprofessionnelle et économique de l’espace urbain. Le problème de la réalisation d’un

nouveau cadastre y était-il devenu, selon les cités, parfaitement insoluble ? Oui, sans doute, ne

doit-on pas hésiter à répondre.

Songeons par exemple que le 26 février 2006, René André, député de la Manche, lors

d’une séance de l’Assemblée Nationale, interpella le gouvernement de Dominique de Villepin

sur la question de l’évaluation cadastrale des propriétés bâties. Jamais elles n’avaient été

modifiées et ne l’ont toujours pas été depuis 1970, malgré la promulgation d’une loi de

révision en 1991. Christine Lagarde, alors ministre déléguée au commerce extérieur, répondit

que les simulations réalisées à partir de 1991 avaient soulevé des problèmes trop « sensibles »

de transferts des charges fiscales, notamment en milieu urbain. Mais elle proposa une solution

miraculeuse dont l’État garde le secret séculaire : réaliser de nouvelles simulations64

...

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Sur le site internet du Sénat, Carrefour Local : http://carrefourlocal.senat.fr/breves/breve967.html