École et alphabétisation au XIXe siècle

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Jean Hébrard École et alphabétisation au XIXe siècle (approche psychopédagogique de documents historiques) In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 35e année, N. 1, 1980. pp. 66-80. Abstract Alphabetization and school in the XIXth century : a psycho-pedagogical approach to historical documents. J. Hébrard. The work of F. Furet and J. Ozouf has definitively established that the history of literacy and the history of education in France are not connected. However psycho-pedagogical approach to the documents of the school from the second half of the XIXth century demonstrate that even though the literacy of the French population was largely achieved, its qualitative extension had, in large measure, yet to be accomplished. Knowing how to read and write implies also knowing how to organize daily knowledge according to the taxonomy which writing makes possible : making tables, lists, organizing a page constitute specific cultural practices, in the sphere of writing. Even if the schools, under the Second Empire and the Third republic, continued to maintain rather clumsy discourse on the social benefits of knowing how to read, it unknowingly prepared the ground - in the notebook and in the blackboard - for the process of acculturation necessary for acces to literacy of a modern type over and above the simple culture of a signature or of the familiarity with well known texts. Citer ce document / Cite this document : Hébrard Jean. École et alphabétisation au XIXe siècle (approche psychopédagogique de documents historiques). In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 35e année, N. 1, 1980. pp. 66-80. doi : 10.3406/ahess.1980.282610 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1980_num_35_1_282610

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Jean Hébrard

École et alphabétisation au XIXe siècle (approchepsychopédagogique de documents historiques)In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 35e année, N. 1, 1980. pp. 66-80.

AbstractAlphabetization and school in the XIXth century : a psycho-pedagogical approach to historical documents. J. Hébrard.

The work of F. Furet and J. Ozouf has definitively established that the history of literacy and the history of education in France arenot connected. However psycho-pedagogical approach to the documents of the school from the second half of the XIXth centurydemonstrate that even though the literacy of the French population was largely achieved, its qualitative extension had, in largemeasure, yet to be accomplished. Knowing how to read and write implies also knowing how to organize daily knowledgeaccording to the taxonomy which writing makes possible : making tables, lists, organizing a page constitute specific culturalpractices, in the sphere of writing. Even if the schools, under the Second Empire and the Third republic, continued to maintainrather clumsy discourse on the social benefits of knowing how to read, it unknowingly prepared the ground - in the notebook andin the blackboard - for the process of acculturation necessary for acces to literacy of a modern type over and above the simpleculture of a signature or of the familiarity with well known texts.

Citer ce document / Cite this document :

Hébrard Jean. École et alphabétisation au XIXe siècle (approche psychopédagogique de documents historiques). In: Annales.Économies, Sociétés, Civilisations. 35e année, N. 1, 1980. pp. 66-80.

doi : 10.3406/ahess.1980.282610

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1980_num_35_1_282610

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Note critique

COLE ET ALPHAB TISA TION AU XIXe SI CLE approche psycho-pédagogique de documents historiques

Avec Lire et écrire Fran ois Furet Jacques Ozouf et leurs collaborateurs viennent de permettre aux historiens mais aussi aux pédagogues de porter un autre regard sur alphabétisation des Fran ais est la thèse fortement étayée de la dissociation entre histoire de alphabétisation et histoire de la scolarisation que les historiens ont été abord attentifs Aux pédagogues serait-il permis sans pour autant ils soient suspectés de refouler cette première affirmation de voir dans Lire et écrire les prémisses une histoire des efforts déployés par école pour répondre une demande alphabétisation Certes il agit de décrire ce qui se passe effectivement dans école tandis que la France alphabétise les auteurs sont prudents Parler de méthodes enseignement essayer de les répertorier et en apprécier efficacité en ce début du xixe siècle paraît téméraire

287 En effet les sources disponibles dans ce domaine sont constituées de traités pédagogiques de manuels divers et de mémoires anciens élèves ou instituteurs qui ne rendent souvent compte que des phénomènes les plus marginaux de école et non des apprentissages qui concernent le plus grand nombre Même en attachant uniquement école aujourdhui on sait il loin des discours qui sous-tendent les méthodes pédagogiques et des sentiments elles inspirent aux effets elles produisent Il nous semble pourtant que les auteurs de Lire et écrire ont rassemblé suffisamment de faits pertinents peut-être aidés en cela par la défiance que leur inspire le scolaire pour tenter outrepasser leurs réticences et voir comment école répondant la demande éducation qui lui parvenait elle-même transformé son rapport écrit

Pour comprendre comment école pu progressivement prendre en charge un projet alphabétisation massive comment elle pensé être donné les moyens de mettre en

uvre son projet comment elle analysé ce elle pensait être ses insuffisances il nous faut nous interroger nouveau sur ces deux pratiques réunies par Furet et Ozouf dans un même titre est-ce que lire et est-ce écrire dans les pratiques sociales comme dans les pratiques scolaires ils évoquent Et quels rapports entretiennent ce lire et cet écrire Deux phénomènes particulièrement soulignés dans Lire et écrire ont cet égard retenu notre attention de pédagogue une part existence un lire seulement est un critère particulièrement intéressant explorer du point de vue des progrès de accès

écrit dans les différentes couches du corps social et autre part la succession longtemps entretenue par école des deux apprentissages lire abord écrire ensuite si on en le temps peut être considérée comme indice central une caractérisation des

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rapports de école écrit Le degré de corrélation entre ces deux phénomènes constitue de surcroît un moyen de juger de efficacité des pratiques scolaires Existe-t-il un seuil partir duquel école se donne les moyens alphabétiser la partie de la population fran aise qui ne partage pas encore cette culture et partir duquel ces moyens ont une réelle efficacité

On sait que Furet et Ozouf donnent des réponses nuancées ces deux questions Ils interprètent le lire seulement non comme une étape transitoire dans accès écrit mais comme la persistance un mode ancien alphabétisation dont origine est chercher dans le rapport religieux écrit instaure la Réforme et que perpétue la Contre-Réforme Cette forme de rapport écrit ne peut donc être considérée exclusivement comme une résistance la volonté éducative de école ou comme une preuve de son inefficacité autre part ils soulignent que des apprentissages successifs de la lecture et de écriture en un temps où la fréquentation scolaire demeure très irrégulière peuvent expliquer la méconnaissance un savoir écrire qui se traduirait entre autre par la non-signature) ils signalent que ce mode successif persiste assez tard dans le xixe siècle alors que la bataille de alphabétisation est pratiquement en voie être gagnée Toutefois ils considèrent que introduction par cole Mutuelle une simultanéité de apprentissage de la lecture et de celui de écriture constitue un seuil de modernité pédagogique que le Statut de 1834 mais surtout le Plan étude Octave Gréard 1868 ne feront que généraliser Ainsi selon Furet et Ozouf école alphabétiserait progressivement entre 1816 et 1881 en étendant un nombre de plus en plus grand de classes une technique pédagogique relativement simple apprendre lire et écrire en même temps

Ce sont ces quelques conclusions que nous voudrions examiner ici aide des instruments dont le pédagogue dispose hui pour décrire les pratiques scolaires Il agit de faire précéder la recherche des faits pouvant rendre compte du degré alphabétisation de école par une description psycho-pédagogique de acte lexique et de acte scriptural afin de voir dans quelle mesure les procédures scolaires ou extra scolaires apprentissage concourent les mettre en place Dans le cas de accès la langue écrite est du côté de la psycho-linguistique il faudra rechercher appui principal Il est pas simple de répondre la question est-ce que savoir lire La description un acte devenu si familier il paraît transparent buté en effet sur les nombreux obstacles que dressent les fausses évidences tel point que nous commen ons seulement voir un peu plus clair dans la complexité des éléments mis en jeu par un tel apprentissage est depuis que les travaux sur la perception et la mémorisation ainsi que approche linguistique et énonciative de la communication écrite et de la communication orale ont progressé2 on dispose un modèle relativement opératoire pour décrire acte lexique cf Smith 1971 par exemple)

On entend par lecture activité sémiotique complexe par laquelle le lecteur construit une signification pour un écrit donné en appuyant la fois sur attente il manifeste égard de cet écrit et sur les matériaux graphiques contenus dans celui-ci Ce que cette définition récuse est la conception généralement admise par école en particulier de la lecture comme processus de reconnaissance des lettres des syllabes des mots ou même des énoncés plus complexes

On peut effectivement percevoir un texte pour reconnaître des lettres ou des mots est ce que cherche faire par exemple un correcteur imprimerie certains prennent le texte en remontant de la dernière la première ligne pour être assurés de ne pas lire) ou un écolier soumis une méthode scolaire de lecture Dans ce cas il agit de ranger un input caractérisé par des indices dans une catégorie donnée je range une configuration

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graphique dans la catégorie lettre si les traits forme ouverte une extrémité barre transversale sont présents ce qui me permet de reconnaître comme aussi

bien que mais un seul de ces traits peut suffire et je peux faire hypothèse que la configuration est un On sait mal quels sont les indices effectivement pertinents mais la thèse selon laquelle activité de reconnaissance repose sur une inference et une catégorisation est difficilement révocable Elle été largement vérifiée pour toutes les activités de perception cf Bruner 1966 par exemple pour la perception des images photographiques Ainsi apprendre percevoir des lettres ou des mots est mettre en mémoire pour chaque catégorie-lettre ou chaque catégorie-mot les critères qui caractérisent cette catégorie et se donner une stratégie optimisation de nos inferences Cette stratégie sera autant plus efficace que nous serons capable de ramener un input sensoriel une catégorie donnée en utilisant le moins indices possibles rapidité de la reconnaissance ou encore en sachant reconnaître les indices les plus pertinents même ils sont peu nombreux et entourés indices appartenant pas la catégorie reconnaissance difficile Cette efficacité est acquise lorsque le sujet occasion de faire des expériences perceptives très variées En ce sens on peut imaginer que la perception répétée un même syllabaire ou des mêmes gravures ne permet pas accéder cette agilité perceptive En revanche assemblage de nombreuses formes écriture dans les manuels servant la lecture des manuscrits en usage au xixe siècle pu être un facteur important amélioration de la capacité de reconnaissance de écriture Il ne faut toutefois pas oublier que la reconnaissance même agile ne consiste ordonner nos sensations intérieur un ensemble fini de catégories Le dictionnaire en représente un bon exemple du côté de la perception linguistique condition toutefois on considère il pourrait être ensemble des catégories un groupe linguistique donné et non un individu de ce groupe On peut voir déjà que reconnaître un mot comme appartenant un dictionnaire ne permet en aucun cas en déduire le sens une catégorie implique pas sa définition et

fortiori que reconnaître une suite de mots implique pas la possibilité de comprendre une phrase Bref reconnaître est pas lire

on percevant un texte je ne reconnais pas directement un mot on fait traditionnellement hypothèse que je peux le retrouver par un déchiffrement Il agit alors de se souvenir de la valeur phonétique de chaque lettre assembler ces valeurs successives en syllabes puis ces syllabes en mot et de reconnaître alors non le mot écrit mais le mot approximativement oralisé souvent très approximativement lorsque le code écrit est fortement éloigné un système écriture phonographique ou lorsque ce travail est effectué dans une langue dont on possède mal le système phonologique Ainsi ayant syllabe /W-d un écolier peut hésiter en inférer il agit du mot oral salad

la difficulté de catégorisation vient ajouter ici la difficulté de passage de écrit oral La longue histoire de épellation traditionnelle ou port-royaliste comme la querelle du latin langue apprentissage de la lecture mériteraient êtres révisées en relation avec cette analyse il agit apprendre déchiffrer le latin devenu langue morte et parlé partir de son écriture est effectivement un écrit plus facile et il est pas sûr que épellation en beu-deu-ceu soit une aide plus grande-que celle en bé-cé-dé pour retrouver un mot de la langue parlée partir de son écriture En réalité le seul moyen efficace de réussir une épellation consiste reconnaître abord le mot directement puis le segmenter ensuite le déchiffrement est vraiment sûr que chez un lecteur qui sait déjà lire Beaucoup de chercheurs pensent hui que enfant scolarisé apprend lire parallèlement son apprentissage du déchiffrage et non pas grâce celui-ci

La lecture haute voix peut relever du déchiffrage mais aussi de la reconnaissance des mots en particulier chez le lecteur compétent Elle peut être aussi précédée une lecture visuelle qui anticipe de quelques mots seulement empan perceptif oralisation Ce est

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que dans ce cas il accès au sens et donc lecture Mais cette activité ne peut être soutenue très longtemps et le lecteur haute voix revient alors une simple reconnaissance Il peut cependant se donner des moyens de pallier cet inconvénient soit en préparant sa lecture avance de fa on en connaître le sens avant de oraliser soit en ménageant des pauses toutes les deux ou trois phrases afin de revenir sur les mots reconnus qui ont pas encore totalement échappé sa mémoire soit encore en dissociant activité ïoralisation et celle de compréhension chacune entre elles étant confiée un individu différent

Dans acte lexique la reconnaissance de écrit est utilisée autres fins que dans le déchiffrement et en deux points différents du processus Dans un premier temps le lecteur reconnaît des graphismes mais aussi les caractéristiques des supports matériels de ceux-ci un titre une illustration un format une mise en pages un début de phrase Il en infère un domaine sémantique possible et des énoncés qui pourraient exister dans ce domaine il attend lire tel ou tel texte telle ou telle phrase est partir de cette attente il retourne alors vers le texte pour vérifier la présence ou absence des énoncés prévus ou de leurs transformations syntaxiques

Au fur et mesure il avance dans exploration du texte il se constitue une mémoire contextuelle partir de laquelle il enrichit ses anticipations il peut alors négliger de plus en plus le premier type de reconnaissance

ref ce qui est central dans activité de lecture est la construction une signification réalisée par le lecteur partir de sa culture et plus particulièrement de sa culture textuelle

proprement parler il pas de reconnaissance une signification dans la mesure où la signification ne relève pas un inventaire fermé On peut en déduire apprendre lire consiste se donner les moyens linguistiques et culturels de cette construction Ainsi est-il fort probable que enfant aujourdhui apprend lire en imprégnant précocement des différents types écrits qui lui sont lus par les adultes qui entourent usage du livre illustré par enfant qui ne sait pas encore lire en est un bon exemple non seulement ces livres lui sont lus mais il éprouve souvent un grand plaisir les raconter son tour après avoir mémorisé une grande partie du matériel linguistique dont ils sont faits inverse beaucoup enfants qui semblent savoir lire dans leur manuel de lecture sont incapables de transférer leur apparente capacité autres écrits il se trouve que ce sont ceux qui sociologiquement ne bénéficient que un apport très limité de culture écrite avant leur apprentissage

On pourrait du côté de activité scripturale faire le même type de distinction entre un savoir dessiner des lettres et un savoir écrire des textes Tracer des lettres dans le sable ou sur ardoise copier des exemples relèvent du premier rédiger depuis le thème latin des collèges la rédaction dirigée de école primaire semble seul pouvoir être rapporté au second dans la mesure où une réelle activité linguistique et sémantique est

uvre Encore une fois il ne agit pas dans le cadre de notre alphabétisation moderne de transformer de oral en écrit mais engendrer de écrit partir des écrits qui nous entourent est-à-dire partir une acculturation textuelle encore plus importante que celle que nécessite acte lexique cf annexes et II)

Il ne faudrait pas restreindre la portée générale de ces modèles en considérant ils ne appliquent la pratique culturelle du lettré contemporain On soutenu de Certeau 1978 ils peuvent décrire avec la même pertinence les braconnages culturels des groupes sociaux dont on dit ils ne sont aptes la consommation une mauvaise littérature Il faudrait pouvoir décrire comment est lu le Parisien libéré du matin comment le Journal télévisé du soir qui est un écrit oralisé se constitue

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comme mémoire collective partir de laquelle chaque lecteur construit ses hypothèses pour aborder le lendemain la lecture de son quotidien le message journalistique devient alors la vérification et par là même la vérité de anticipation télévisuelle

est encore partir du même modèle explicatif que on peut rendre compte de la lecture oralisée antique ou médiévale sur laquelle H.J.Martin 1977 attiré notre attention il faut en effet attendre la Renaissance pour que la lecture visuelle notre lecture moderne devienne possible est parce que la mémoire culturelle qui permet de construire le sens un texte est avant cette époque une mémoire du discours du chant de la le on Pour comprendre un texte le lecteur doit redevenir un auditeur ce sont des périodes il anticipe et des mots entendus qui permettent la vérification des significations prévues est bien de lecture il agit et non de reconnaissance Et lorsque le xvie siècle se passionne pour les taxonomies Goody 1977) ce est pas seulement parce que écrit envahit la culture savante mais aussi parce que les lettrés se construisent une nouvelle mémoire culturelle pour se donner les moyens aborder cet écrit avec plus efficacité

Peut-on tenter de décrire avec la même grille analyse les actes de lecture produits par école au xixe siècle en tenant compte aussi bien des techniques de rapport écrit elle procure aux enfants que de équipement mental elle leur suppose ou les aide acquérir Certes cette école est pas uniforme au sortir de la Révolution et ne est pas encore complètement devenue aube du xxe siècle école Ancien Régime dans ses formes les plus frustes maintient sa présence maigre les réformes structurales successives Mais dans le même temps une école pédagogiquement moderne apparaît et se donne de nouvelles pratiques enseignement Les écoles normales décantent les innovations pédagogiques et construisent leur synthèse propre partir du mode ancien individuel et du mode nouveau simultané Les maîtres qui vont former prennent conscience de leur modernité ils opposent avec indulgence la tradition des instituteurs qui leur ont appris lire instituteur primaire de Matter 1832 ou plus tardivement les Mémoires un instituteur fran ais de Vauclin 1895 en témoignent école se donne des plans études pense se rationaliser Est-ce sûr En fait les deux écoles ancienne et la nouvelle ne coexistent pas seulement dans leur répartition géographique mais aussi au sein des mêmes classes Pendant que une en finit pas de mourir autre insinue déjà dans les plus petits villages Où situer le seuil le moment de rupture 1816 1832 1868 1881 Aucune de ces dates est totalement significative en particulier pour ce qui concerne les pratiques alphabétisation qui se produisent dans école

Furet et Ozouf situent apprentissage successif de la lecture et de écriture du côté de ancienne pédagogie les suivre un premier seuil de modernité serait franchi lorsque

cole Mutuelle vers 1816 répand dans sa zone influence 96 des écoles la technique de apprentissage simultané des deux pratiques de écrit méthode semble-t-il héritée des précepteurs du xvine siècle Delaunay ou le chanoine Cherrier par exemple Cette simultanéité devient la règle avec le Statut de 1834 Mais avec ou sans écriture comment apprend-on lire dans la plupart des écoles du xixe siècle

Les débutants sont régulièrement confiés aux moniteurs Les jeunes écoliers étaient conduits dans une pièce exiguë et confiés de

grands élèves moniteurs et quels moniteurs On se demande comment on pu apprendre lire avec eux A.B. 1872 Aude dans Ozouf 1967 97)

Ils effectuent le dur parcours de la mise en mémoire des lettres et des syllabes Le maître école Le quatrième banc au premier tableau.

Petit Matthieu du second banc va montrer les lettres aux ignorants Petit Matthieu se lève et commence la le on

répétez tous Les huit petits répètent

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Petit Matthieu Assez assez Répétez tous Tous répètent Petit Matthieu Assez est-ce que est Il montre un A. Tous La fortune de Gaspard Comtesse de Segur née Rostopchine.

Sait-on les lettres et les syllabes Il faut ensuite initier la subtile technique de la lecture épellative Depuis Démia les noms des lettres ont quelquefois changé mais le procédé reste identique

La première bande doit compter et dire tout haut chaque lettre par exemple en épelant ce mot ae Domine il faut dire comme suit do mi ne Réglemens pour les écoles de la ville et diocèse de Lyon Demia Lyon s.d.

ce point de apprentissage peu importe on lise du latin ou du fran ais que la dénomination des lettres se fasse en enne ou en ne essentiel réside dans apprentissage par ur de cette litanie Fort heureusement les syllabaires en usage ne sont pas une longueur exagérée et nombreuses sont les classes où existent guère autres types écrits particulièrement chez les filles

Comme livre je ai jamais eu que la Croix de Dieu est ainsi on appelait alphabet P.P. 1883 Manche dans Ozouf 1967 97

Du point de vue de activité intellectuelle mise en uvre et de équipement mental requis il pas de différence entre la méthode préconisée par Démia celle des Frères des coles chrétiennes ou celles de Enseignement Mutuel Plan de abbé Gaultier par exemple et le maître-artisan décrit par Martin Nadaud procède selon les mêmes techniques Il agit assurer chez chaque enfant la capacité de reconnoitre un matériel graphique se présentant en inventaire fermé Aucun accès la signification est autorisé par cette méthode Et même lorsque épellation est étendue aux petits textes qui terminent le syllabaire est toujours la mémorisation qui emporte il aucune différence entre lire le Benedicite et le réciter Il est fort probable que pour de nombreux enfants la reconnaissance est pas assurée de fa on définitive Ce problème est ailleurs toujours actualité dans école aujourdhui chez certains enfants la mémorisation de la syllabation ba se déconstruit au fur et mesure on avance dans le livre de lecture era car et arc se confondent Le syndrome de la dyslexie scolaire ne relève le plus souvent que de ce processus de désapprentissage lorsque le savoir du code grapho- phonétique ne se soutient pas un accès la signification

On sait mal comment techniquement les enseignants parviennent faire passer leurs élèves de épellation la lecture des quelques livres dont disposent les plus grands civilités psaumes abrégés histoire religieuse etc Mais on ne sait pas mieux hui comment les enfants utilisent le déchiffrage pour lire On longtemps fait hypothèse il agit une accélération de la reconnaissance un certain seuil le mot apparaîtrait grâce au défilement rapide des syllabes qui le constituent et il en serait de même pour la phrase issue de la suite des mots Rien est inoins sur

Supposons cependant ce passage effectué Le maître la chance de posséder quelques livres enquête de 1832 en donne un bon échantillonnage Par exemple dans les écoles de la Creuse

Le choix des livres en usage dans les écoles donne une idée de ce étaient les études les plus répandus servant enseignement tout mécanique de la lecture étaient les Heures du diocèse la Morale en action les Aventures de Télémaque la Bible les pîtres et vangiles divers abrégés histoire de France et de géographie et parfois de vieux papiers de famille pour la lecture des manuscrits On trouvait encore Alphabet latin pour les premiers éléments de la lecture et des livres disparates comme la Mythologie Imitation de Jésus- Christ Une veillée de Louis-Philippe au corps de garde etc Mais importait

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ailleurs cette disparité due initiative de chaque famille Art Creuse dans Dictionnaire de Pédagogie de Buisson Paris 1887)

En 1895 Noël Vauclin se souvient des livres de école de son enfance op cit Ils sont de registre identique Mais en enseignant attentif aux pratiques pédagogiques il décrit aussi usage qui en est fait cf annexe III Il distingue entre lire et étudier mais cette division concerne plus le contenu de apprentissage que ses modalités Du côté de étude la Grammaire de Noël et Chapsal Histoire sainte Ansart et pour les plus forts Arithmétique de Saigey VHistoire de France de Mme de Saint-Ouen la Géographie de

Meissas et Michelot Du côté de la lecture VHistoire abrégée de la Religion de Lhomond le Psautier et le Choix gradué de cinquante sortes écritures Mais pour ces deux modalités il ne décrit en fait une pratique apprentissage

Les élèves apprennent leurs le ons haute voix Comme chaque écolier est gêné par ses voisins il se bouche les oreilles avec les deux mains et en crie que plus fort op cit. 23)

Et celle-ci ne conduit un mode unique évaluation la récitation Alors la récitation commence et dure au minimum une heure et demie

Chaque élève récite successivement par ur cinq ou six le ons. et cet exercice monotone est accompagné aucune explication. Ceux qui ont meilleure mémoire ou qui sont plus studieux savent leurs livres en entier tandis que les autres éternisent sur les premières pages ibid. 25)

Pourtant ces élèves ne relèvent déjà plus du lire seulement Ils savent écrire et font même des exercices pendant le peu de temps qui échappe aux interminables séances de mémorisation et de récitation Mais la lecture ils pratiquent ne semble pas pro fondément différente de celle de leurs cadets Lire est encore apprendre par ur Ils sont installés dans une circularité parfaite ils apprennent des textes pour pouvoir les lire et les lisent pour les apprendre Ce sont des suites de mots qui se gravent dans les mémoires et ces textes morcelés sont inutilisables pour construire des hypothèses sémantico-linguistiques qui permettraient un accès au sens On pourrait évoquer là cette remarque acerbe de J.-J Rousseau propos de habitude de faire apprendre aux jeunes enfants des fables de La Fontaine est-ce un arbre perché Emile II Elle vaudrait aussi bien pour importe quelle lecture faite dans ces conditions

Les autorités scolaires en alarment ailleurs très vite Cela concerne au premier chef les enfants non francophones

II arrive fréquemment que les enfants qui suivent les écoles primaires ne comprennent pas les lectures ils font en fran ais circulaire du 25 octobre 1838)

Mais la situation de bilinguisme ne peut totalement expliquer cette difficulté ailleurs les instituteurs candidats au Brevet de capacité semblent souffrir de problèmes identiques

On doit assurer que tous les candidats au brevet de capacité non seulement lisent et prononcent correctement mais ils comprennent ce ils lisent Instructions relatives aux règles suivre par les commissions examen pour les brevets de capacité mai 1855)

évidence de échec de cette alphabétisation inquiète autant plus école les instituteurs comme la hiérarchie on croit en avoir réellement assuré les bases par la rigueur de la mise en uvre des méthodes dans le cadre de enseignement simultané Les enfants apprennent leurs lettres et même leurs livres mais savent-ils vraiment lire peine sortis de école ils ne fréquentent plus dans leur immense majorité écrit et tout particulièrement cet écrit éducatif est le bon livre Dans un système éducatif où

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enseignement et éducation se confondent où ce demi-lettré est instituteur est imprégné de idée-force des Lumières que école pour but apprendre lire pour que le livre devienne éducateur privilégié et continu de homme du peuple on ne saurait arrêter en chemin Il faut trouver une explication et une solution cette impasse dans laquelle semble épuiser effort alphabétisation

Une première ébauche de solution semble esquisser autour de deux faits qui inscrivent moins de dix ans intervalle en plein milieu du xixe siècle la volonté éradication de la culture écrite considérée comme populaire mise en place de la commission de censure où illustra Nisard en 1852 et institution des bibliothèques scolaires par Rouland en 1860 un côté il agit éviter que alphabétisation acquise école se dévoie vers des formes de cultures jugées amorales et dangereuses de autre on met en place une nouvelle culture écrite intention des enfants des écoles et du peuple confondus dans la même sollicitude Les instituteurs sont les premiers inscrire dans la dynamique de cet ultime effort pour sauver oeuvre alphabétisation La correspondance ils envoient la Société Franklin en donne de nombreuses preuves4 est que pour eux échec réside moins dans insuffisance des méthodes utilisées que dans évidente mauvaise volonté de leurs élèves astreindre ascèse difficile de la lecture Ce sentiment accentue autant plus que le réseau des maisons école étendant bientôt au moindre village la non-scolarisation et absentéisme deviennent progressivement des alibis non recevables Aussi lorsque institution des bibliothèques scolaires dépérira au début du xxe siècle est école tout entière qui en trouvera profondément blessée Dès 1887 dans les enquêtes réalisées occasion de la rédaction du Dictionnaire de pédagogie de Buisson une nette auto-critique se manifeste on mis de bons livres dans les placards au fond des classes mais on pas pris le soin de les choisir assez lisibles compte tenu du niveau alphabétisation de la population visée La tentative de constitution une nouvelle culture par intermédiaire de bibliothèques pénétrant par école au ur même de la France rurale relève assurément une vision relativement juste des conditions permettant une alphabétisation généralisée Il faut donner au futur lecteur une mémoire culturelle nourrie écrit pour lui permettre de lire en comprenant ce il lit Mais école

pas vu que cette acculturation ne peut se passer une médiation par les pairs ou par institution éducative On ne saurait aller seul écrit dont on besoin pour apprendre lire en toute logique on ne sait pas encore lire

Pour la hiérarchie pédagogique comme pour les lettrés qui observent école il existe un autre type explication plus directement pédagogique de cette impossibilité de passer un savoir des lettres un savoir lire On en voit la trace dans les circulaires ministérielles

En lecture efforcera-t-on quelles que soient ailleurs les méthodes adoptées faire de cet exercice presque toujours si fastidieux pour les élèves un instrument de développement intellectuel Il agit obtenir abord que la lecture soit faite avec aisance et naturel et en général sur le ton de la conversation ensuite que les enfants prennent habitude de se rendre compte de tous les mots et de toutes les pensées circulaire du ministre de Instruction publique relative la direction pédagogique des écoles primaires 20 août 1857)

Les instituteurs se voient reprocher de ne remplir que la première partie du programme et être inattentifs aux pensées >-- contenues dans les livres Pourtant arrêté du 31 juillet 1851 relatif aux programmes enseignement des écoles normales primaires attirait déjà attention sur ce point en distinguant trois niveaux de lecture

la lecture simple Cet exercice pour but principal épellation et la prononciation la lecture accentuée On accoutumera les élèves se pénétrer de ce ils lisent

distinguer les parties et les membres de phrases marquer les repos et rendre par les diverses inflexions de la parole les idées et les sentiments que auteur voulu exprimer

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la lecture raisonnée ou compte rendu de lecture accès au sens est on le voit lié expressivité de la lecture orale alors en toute

logique est une relation inverse il faudrait penser incapacité de passer du premier au second niveau est particulièrement bien caractérisée et expliquée dans les termes mêmes utilise le ministère par Zola décrivant une scène de lecture populaire la veillée dans La terre

Voyons dit Fouan qui est-ce qui va nous dire pour finir la veillée Caporal vous devez très bien lire imprimé vous

Il était allé chercher un petit livre graisseux un de ces livres de propagande bonapartiste dont empire avait inondé les campagnes Celui-ci tombé là de la balle un colporteur était une attaque violente contre ancien régime une histoire dramatisée du paysan avant et après la Révolution sous ce titre de complainte Les malheurs et le triomphe de Jacques Bonhomme

Jean avait pris le livre et tout de suite sans se faire prier il se mit lire une voix blanche et ânonnante écolier qui ne tient pas compte de la ponctuation Religieusement on écouta

Certes Jean est alphabétisé par école ou par armée Mais sa lecture quasiment automatique ne lui permet accéder et par conséquent de faire accéder les non- alphabétisés qui entourent un type écrit spécifique peu différent du Benedicite ou du Conf teor qui terminent la Croix de Dieu En effet ce qui permet son auditoire de comprendre sa lecture est que ce dernier connaît déjà parfaitement le texte lu Il ne agit que une reconnaissance et on peut supposer que Jean pris par effort du déchiffrage ne parvient même pas comprendre ce il lit

Le diagnostic de Zola est intéressant Pour lui est parce que Jean ne sait pas tenir compte de la ponctuation il ne sait pas vraiment lire et donc que sa lecture ne peut être éducative elle ne lui permet aborder que des textes déjà connus des textes de la vieille culture Et cette analyse de Zola répondent les conseils éclairés de ce grand spécialiste et propagandiste de la lecture est Ernest Legouvé Il écrit dans sa Lecture en action éditée par son ami Hetzel intention du jeune public du Magasin éducation

Sur quels points principaux repose art de la lecture Sur la prononcia tion sur articulation sur la respiration et enfin sur interprétation intelligente de la pensée de écrivain Hé bien il est pas un seul de ces objets étude où la ponctuation scrupuleusement observée ne vous soit un grand secours

Ramener le problème de la lecture celui de la saisie de la ponctuation est pas dépourvu intérêt Jean Vezin 1976 montré comment celle-ci peut être un indicateur du passage autour du xive siècle une lecture strictement oralisée une lecture visuelle Pour lui la ponctuation moderne se différencie de ancienne en ce elle structure la phrase logiquement et non par rapport aux périodes orales de la lecture haute voix Mais il va de soi que pour tenir compte de la ponctuation il est nécessaire de faire précéder la lecture haute voix une lecture silencieuse dont la fonction est de découvrir partir de cette ponctuation mais aussi partir des marques syntaxiques portées par écriture la structure de chaque phrase est le traitement de ces données non lexicales qui permet par le biais des hypothèses syntaxiques et sémantiques la construction un sens et est une fois ce sens construit une lecture haute voix devient possible elle substitue alors

la ponctuation logique ou plus exactement syntaxique une ponctuation oralisation Cette dernière est plus imparfaitement marquée dans les textes depuis la Renaissance

Encore une fois explication que les lettrés du xixe siècle se donnent de incapacité de école dépasser un niveau très élémentaire alphabétisation est strictement inverse de celle que nous pourrions proposer hui Mais elle est pas pour autant dépourvue

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intérêt En effet il semble que les Jean Macé Ernest Legou vé Jules Hetzel ces lettrés- éducateurs pour lesquels école est rien sans le livre imaginent accès écrit des jeunes élèves ou des hommes du peuple comme un processus qui reproduirait en inversant leur propre activité de lecteur-éducateur Dans les lectures publiques ils ont inventées reprenant une tradition qu arante-huitarde cf Pellisson 1903) il agit utiliser toutes les finesses de éloquence pour dire un texte bien accentué et bien rythmé mais avant de le dire il est nécessaire de préparer la lecture de parcourir le texte des yeux plusieurs reprises de se pénétrer de son sens Legouvé est intarissable ce propos Si la compréhension permet de trouver la diction juste pourquoi la diction juste ne permettrait-elle pas de trouver la signification Il suffit de faire hypothèse que la ponctuation est une notation explicite et exhaustive de la diction Remarquons que école ne est pas encore complètement éloignée de ce principe il justifie hui comme hier habitude de ne faire lire les enfants haute voix et avec expression

Pendant ce temps il existe pourtant des enfants qui alphabétisent dans cette école Ils en sont souvent les premiers surpris Certains au-delà de étonnement tentent de découvrir les raisons profondes de cette réussite inattendue Noël Vauclin en homme de art attentif et lucide ne manque pas encore une fois intuition il analyse son

propre apprentissage Tous les soirs je montais dans la chambre de mon grand-père et passais de

longues heures ecouter narrer des contes des histoires ou bien feuilleter des livres illustrés qui se trouvaient sur une tablette auprès de la fenêtre Je ne en tins pas aux images je voulus connaître les histoires auxquelles elles se rapportaient op cit. 19)

Ici il agit très explicitement une acculturation dans le cadre une pratique familiale de écrit Le jeune Noël se constitue dans une interaction culturelle et linguistique avec son grand-père un équipement mental efficace Il écoute des paroles dont on peut penser elles se tiennent mi-chemin entre le récit oral et le récit écrit le vieil homme est alphabétisé et possède des livres Vies de saints Almanachs divers Il parcouru les textes illustrés dont on lui commenté les images Il interrogé son lecteur en le coupant au milieu du récit On est très loin de la mise en mémoire cahotante des textes obligés de école enfant certainement pu mettre en place la faveur de cette médiation familiale toute une stratégie interrogation sémantique des récits entendus ou des livres illustrés parcourus Progressivement il appris produire de écrit dans ses paroles mêmes il est constitué une mémoire active écrit partir de laquelle il peut générer des hypothèses sur le sens de écrit Il ne lui reste plus acquérir les clés du code graphique Quelles que soient ses méthodes école peut le lui permettre avec efficacité apprentissage des lettres intervenant postérieurement cette rencontre active de écrit est une réponse véritable attente culturelle du jeune enfant quatre ans je fréquentais école de mon oncle cinq ans je lisais couramment op cit. 18 est bien un lire seulement il agit ici mais il se situe dans un rapport écrit qui relève une alphabétisation réelle

La famille est pas le seul lieu où cette acculturation puisse se réaliser Martin Nadaud décrit dans ses mémoires des groupes de gar ons-ma ons qui se réunissaient le soir après le travail pour commenter ensemble le journal de Cabet et apprendre lire école serait-elle donc la seule institution qui emportée par urgence pédagogique des

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RECHERCHES EN COURS

apprentissages réaliser manque en grande partie ses objectifs parce elle ne se donne pas le temps de ménager une médiation entre enfant et la culture écrite hui encore le problème demeure entièrement posé De nombreux travaux

sur les pédagogies dites de compensation mises en place aux tats-Unis et dans plusieurs pays européens depuis vingt ans reposent sur hypothèse il doit être possible de réaliser dans école cette habituation écrit qui manque aux enfants des milieux que on appelle défavorisés cf par exemple Bereiter Engelmann 1966 Mais on ne peut que constater que ces campagnes très largement financées ne modifient pas sensiblement la réussite scolaire ultérieure ni insertion sociale et professionnelle On peut imaginer est du moins dans ce sens que orientent les travaux actuels une des causes essentielles de cet échec réside dans incapacité de école inscrire acculturation elle propose dans des pratiques culturelles propres aux milieux sur lesquels elle travaille étude de ces dernières menées par des sociologues comme Labo 1976 et 1978) montre elles ne sont pas totalement étrangères aux pratiques des classes dominantes et en conséquence une médiation pourrait être trouvée des unes aux autres condition que école accepte de sortir des modèles stéréotypés elle véhicule

école du xixe siècle est-elle immédiatement enfermée dans ces stéréotypes A-t-elle dressé entre les enfants elle tentait alphabétiser et elle-même cette barrière culturelle qui empêche les enfants accéder une alphabétisation efficace De nombreux symptômes semblent montrer elle est précipitée rapidement dans cette impasse Outre le phénomène bibliothèques scolaires qui relève tout fait de cette analyse on peut relever autres exemples oppositions culturelles radicales entre instituteur et ses élèves Francine Muel en fait une étude remarquable en reprenant le corpus de Ozouf Elle montre 1977 que origine sociale de ces enseignants comme leurs études école normale les amènent reconstruire un rapport esthétique et folklorique la réalité paysanne dans laquelle ils travaillent Mais il agit encore une fois des discours que ces maîtres tiennent sur eux-mêmes ou sur le monde qui les entoure Si on tente au contraire de se pencher sur leurs pratiques professionnelles on peut découvrir un autre visage de école

Nous avons entrepris une exploration systématique de ces traces des pratiques de scolarisation que sont les cahiers élèves Le Service des collections historiques de Institut national de recherche pédagogique en possède une riche collection Nos premières analyses cf Hubert Hébrard 1979 semblent permettre affirmer existence une profonde transformation du travail scolaire qui se manifeste dès la fin du Second Empire Elle se caractérise la fois par envahissement du temps scolaire par la parole du maître et par la mise en place une pédagogie complexe de la production graphique

En effet le rôle pédagogique de instituteur semble se transformer profondément entre 1860 et 1870 alors il passait le plus clair de son temps faire régner la discipline donner des consignes et faire réciter ses élèves Maintenant il ne se contente plus de faire apprendre les livres et les manuels dont il dispose il fait lui-même la le on ou plus précisément il la dicte On pourrait croire et il le croit peut-être il agit de sacrifier cet engouement soudain de école pour orthographe En fait son activité produit une véritable médiation entre le savoir contenu dans les livres et les enfants travers ces dictées ou ces essais de styles ancêtres de la rédaction et qui ne sont que des dictées différées) il met la portée linguistique des enfants les grands thèmes moraux et politiques de école le goût du travail le respect de la famille amour de la patrie il inscrit dans écriture les réalités quotidiennes du village ou les événements qui émeuvent il donne les formes de la communication graphique courante la missive Très vite le cahier devient le véritable livre de écolier il en copie la forme illustre de petits dessins en marge se donne une mise en pages complexe ouvre des techniques

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BRARD ALPHAB TISATION DES FRAN AIS

graphiques fortement spécialisées qui ont pas équivalent dans la parole la liste le tableau la classification le diagramme la carte Autrefois enfermée dans la copie des lettres exemple la pédagogie de écriture se déplace vers exploration systématique de espace graphique

Certes tout ceci concerne les grands élèves ceux qui sont déjà avancés dans alphabétisation Mais la structure collective du travail scolaire la présence dans la même classe des débutants et des plus avancés permet tous en profiter En entrant dans école apprenti-lecteur découvre un monde relativement familier le maître sait resituer le savoir dans la réalité locale) mais ce monde est restructuré devant lui dans une culture écrite dont il imprègne progressivement

Ce que nous avan ons doit être encore largement vérifié Tout particulièrement en ce qui concerne le seuil chronologique que nous avons fixé La quasi-absence de cahiers école primaire antérieurement 1860 nous oblige une grande prudence De fortes présomptions existent pourtant pour considérer que apparition et la conservation de ces objets est contemporaine de cette transformation des pratiques de scolarisation autre part une comparaison avec les pratiques acculturation écrite des collèges beaucoup plus anciennes est encore faire

Ne peut-on pourtant supposer que si la France semble définitivement alphabétisée la veille de la guerre de 1914 est une part parce que école su découvrir tardivement des moyens de transformation efficace des équipements mentaux de ses élèves et par là pu véritablement généraliser accès écrit et autre part parce elle pu transformer qualitativement cette alphabétisation en appuyant sur une réelle acculturation et ainsi la rendre irréversible

Jean BRARD Centre national de formation

des professeurs cole normale Paris

NOTES

Nous entendons par description psycho-pédagogique une pratique de scolarisation analyse des rapports entre les processus par lesquels les enseignants tentent atteindre les objectifs ils se fixent et les comportements que manifestent les enfants intérieur du champ ordonné par ces pratiques Nous avons tenté dans cet esprit une description de quelques-unes des pratiques de école élémentaire aujourdhui dans CHARTIER BRARD 1977)

Sur le plan psychologique ces travaux inscrivent dans le cadre des développements de la Théorie de information cf BRUNER 1966 et 1958 pour la perception visuelle et MILLER 1951 pour la perception linguistique Ces travaux ont été en partie critiqués par CHOMSKY 1957 en ce qui concerne leur application au langage Sur la base de cette critique est constituée une psycho linguistique de la compréhension dont les développements sont retracés dans MELHER et

NOIZET 1974 Sur les problèmes énonciatifs de écrit et de oral la référence de base est BENVENISTE 1966 et 1974 On trouvera un essai application de cet ensemble de théories aux

problèmes de accès écrit dans BRARD 1977) Les méthodes de lecture dites globales renvoient au même type de difficultés Ce est pas

parce un enfant appris reconnaître des mots il peut en inférer le sens un énoncé et on ne peut comme le suggère la méthode Decroly faire mémoriser toutes les phrases de la langue écrite En revanche si on deviné le sens un énoncé on peut beaucoup plus facilement découvrir les mots écrits dont il est fait Mais la procédure mise en jeu est alors une activité de lecture et non plus une activité de reconnaissance

RECHERCHES EN COURS

HASSENFORDER 1967) cite dans sa recherche sur les bibliothèques les réflexions un instituteur du Nord parues en 1872 dans le Bulletin de la Société Franklin II faut faire une guerre impitoyable aux mauvais livres qui infiltrent leur poison dans les âmes. On hui dans les campagnes une vieille grammaire usée une vieille géographie histoire des quatre fils Aymon et un almanach triple liégeois Les feuilletons romans brochures sont dans toutes les mains et portent la corruption au fond des plus pauvres chaumières est un déluge immoralité qui monte. Cet instituteur est bien entendu un partisan convaincu du développement des bibliothèques scolaires

ANNEXE Reconnaître

Objets textuels Type de mémoire mise en uvre Indices

Syllabaires ou tableaux de Nom des lettres ou des syllabes epeliä- Forme des let- lettres tion tres

Images accompagnées de Stéréotypes iconographiques et connais- Attributs ico- courts textes sance des textes les accompagnant niques

Prières psaumes ou textes noncés plus ou moins longs mèmori- Mots reconnus divers appartenant un corpus ses par des pratiques rituelles de répétition directement ou fermé jeu prière chant) après déchiffre

ment

ANNEXE III Une école de vulage vers 1850...*

La cloche de église donné le signal de entrée en classe Pénétrons-y avec les élèves Ils se précipitent bruyamment leur place puis ils apprennent leurs le ons haute voix Comme chaque écolier est gêné par ses voisins il se bouche les oreilles avec les deux mains et en crie que plus fort Ce vacarme incommode nullement instituteur Pendant ce temps il taille une quantité prodigieuse de plumes oie rude besogne qui embarrasserait fort nos maîtres actuels Les plus jeunes élèves ont un Syllabaire de Peigné qui reproduit les tableaux accrochés autour de la salle les plus avancés lisent dans Histoire abrégée de la Religion par Lhomond dans le Psautier puis dans le Choix gradué de cinquante sortes écritures Ils étudient Histoire sainte Ansart la Grammaire de Noël et Chapsal ou la Grammaire selon Académie par Bonneau et Lucan Les plus forts de la classe ont en outre une Arithmétique de Saigey Histoire de France de Mme de Saint- Ouen enfin la Géographie de Meissas et Michelot Au bout une demi-heure les nombreux élèves qui ne savent pas encore lire vont se grouper autour des tableaux de Peigné Là des moniteurs les feront lire compter puis réciter des prières du catéchisme des fables et cela sans répit pendant toute la séance Les autres élèves forment un grand cercle autour de estrade Alors la récitation commence et dure au minimum une heure et demie Chaque élève récite successivement par ur cinq ou six le ons fran ais histoire géographie arithmétique etc. et cet exercice monotone est accompagné aucune explication De plus quoique les élèves soient divisés en sections chacun eux sa le on particulière Ceux qui ont meilleure mémoire ou qui sont plus studieux savent leurs livres en entier tandis que les autres éternisent sur les premières pages Enfin la récitation est finie et les élèves retournent leurs tables pour faire des dictées des analyses des conjugaisons et des problèmes La classe se termine par des chants le plus souvent liturgiques et en latin Les élèves chantent aussi en ch ur et en se balan ant la table de multiplication les nomenclatures de la géographie et du système métrique

VA CLIN Mémoires un instituteur fran ais 1895

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ANNEXE II Lire haute voix

Objets textuels Type de mémoire mise en uvre Indices

Textes divers illustrés ou non savants ou populaires appartenant un corpus ouvert produits dans une écri ture linéaire et isomorphe la tradition culturelle orale

Culture de tradition orale disponible et reconstructible par le lecteur sous la forme de périodes oral possibles réorganisables par transformation syn taxique et/ou stylistique Le lecteur est un producteur potentiel de récit de discours.

Lecture collective

Mots entendus accentua tion intonation Dissociation nécessaire entre oralisation et compréhension présence un oralisateur Modèle Lectio publica.

Lecture individuelle

Mots mis en mémoire court terme pendant oralisa- tion et retrouvés dans les pauses qui rythment la lec ture Modèle Lecture mona cale recto-tono.

Lire silencieusement Textes divers illustrés ou non sa

vants ou populaires appartenant un corpus ouvert disponibles en grand nombre produits dans une écriture spécifique de la tradition culturelle écrit organisés selon une mise en page fortement spécialisée présentant éventuellement des listes tableaux dia grammes

Culture de tradition écrite textes lus antérieurement ou qui ont été entendus lors de lectures par un oralisateur reconstructibles par le lecteur sous la forme de phrases écrit possibles réorganisables par transformation syn taxique et/ou stylistique Le lecteur est un producteur potentiel écrit.

Savoir organisé spatialement usage de la taxinomie)

Mots per us partir de leur représentation idéogra phique plus que phonogra phique

Marques syntaxiques Ponctuation syntaxique Indices spatiaux divers

traits accolades blancs de mise en pages)

RECHERCHES EN COURS

DOCUMENTS

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