D'une épistémologie à une esthétique de la clarté. Notes de cours III. Année 2014. Master 1.

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D’UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE LA CLARTÉ À UNE ESTHÉTIQUE DE LA CLARTÉ. ASPECTS DE LA FORTUNE DU CONCEPT DE CLARTÉ À LÂGE CLASSIQUE EN FRANCE. COURS DE PHILOSOPHIE DE LART. MASTER I. UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE. PREMIER SEMESTRE. ANNÉE UNIVERSITAIRE 2014-2015. 1 D’UNE ÉPISTÉMOLOGIE À UNE ESTHÉTIQUE DE LA CLARTÉ. ASPECTS DE LA FORTUNE DU CONCEPT DE CLARTÉ À LÂGE CLASSIQUE EN FRANCE. COURS DE PHILOSOPHIE DE LART. MASTER 1. AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ. PREMIER SEMESTRE. ANNÉE UNIVERSITAIRE 2014-2015.

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CONCEPT DE CLARTÉ À L’ÂGE CLASSIQUE EN FRANCE. COURS DE PHILOSOPHIE DE L’ART. MASTER I. UNIVERSITÉ

D’AIX-MARSEILLE. PREMIER SEMESTRE. ANNÉE UNIVERSITAIRE 2014-2015.

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D’UNE ÉPISTÉMOLOGIE À UNE ESTHÉTIQUE DE LA CLARTÉ.

ASPECTS DE LA FORTUNE DU CONCEPT

DE CLARTÉ À L’ÂGE CLASSIQUE EN FRANCE.

COURS DE PHILOSOPHIE DE L’ART. MASTER 1.

AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ.

PREMIER SEMESTRE. ANNÉE UNIVERSITAIRE 2014-2015.

D’UNE ÉPISTÉMOLOGIE DE LA CLARTÉ À UNE ESTHÉTIQUE DE LA CLARTÉ. ASPECTS DE LA FORTUNE DU

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I. LA CLARTÉ EN PEINTURE

§ 1. L’ATTICISME FRANÇAIS

L’ATTICISME GREC

L’atticisme désigne initialement un courant rhétorique grec des Ve et IV

e siècles avant

Jésus-Christ, qui est marqué par les grands orateurs attiques (i.e. de la région d’Athènes) de

cette époque qui allient précision, élégance, pureté de la langue et sobriété. Qui en sont les

représentants ? Le plus célèbre et accompli est peut-être l’orateur et homme politique athénien

Démosthène (-384/ -322). Ce courant est repris et prolongé par Cicéron au premier siècle

avant J.-C., qui donne Démosthène en modèle de l’éloquence idéale alliant passion et raison et

en exemple à imiter, puis, toujours à Rome, au premier siècle après J.-C par Quintilien et son

Institution oratoire, qui marquera l’art rhétorique et ses règles pour des siècles. On peut parler

d’un néo-atticisme romain comme retour à l’atticisme grec. L’atticisme s’oppose à

l’asianisme autre courant rhétorique qui avec Sénèque trouvera un prolongement à Rome.

L’asianisme développe l’ornementation, les artifices, des agencements sonores du discours,

l’exagération ou enflure stylistique, le pathos à l’excès aux fins de séduire. L’asianisme doit

son nom au fait de venir d’Asie mineure, notamment d’Ionie, région du monde grec qui se

trouvait sur les côtes de l’actuelle Turquie. L’asianisme se développe, en rupture avec la

tradition attique, au IIIe siècle avant notre ère. C’est par référence à l’atticisme antique que

l’on parle d’atticisme en lettres et en peinture pour évoquer le style classique.

L’ATTICISME PICTURAL

Expression que l’on trouve chez Bernard Dorival, historien et critique d’art, auteur de

La peinture française en deux tomes, en 1942 et chez Jacques Thuillier, historien d’art, lui

auteur d’un ouvrage intitulé La peinture française, en 1964, qui désigne un courant pictural

principalement parisien du milieu du XVIIe siècle sous Mazarin, disons entre 1640 et 1660.

Eustache Lesueur (1616-1655), élève de Simon Vouet, peintre du Roi, comme

Charles Lebrun et Pierre Mignard, et Laurent de La Hyre (1606-1656), d’abord, mais aussi

Jacques Stella (1597-1657) promu par Richelieu, peintre du Roi, Pierre Patel (1604-1676)

paysagiste plus que peintre de scènes religieuses, Henri Mauperché (1602-1686), lui aussi

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paysagiste, en sont les représentants les plus éminents. Charles Le Brun en est proche dans ses

œuvres de jeunesse, Philippe de Champaigne en emprunte certains traits.

L’on ne confondra pas ce courant avec la désignation qui se fait parfois sous le même

terme d’atticisme ou de néo-atticisme pour désigner l’esthétique épurée d’une certaine

sculpture nostalgique de l’époque grecque et hellénistique à Rome au premier siècle avant

notre ère. L’on ne confondra pas non plus avec une statuaire de la première Renaissance sous

François Ier

et Henri II, qui avec des artistes comme Jean Goujon (1510-1566), imite des

modèles grecs.

Pour considérer la place qu’occupe la clarté dans cet art pictural français, parisien,

nous réfèrerons volontiers, en partie, au travail d’Alain Mérot1. Alain Mérot part d’une

analogie qu’il juge déterminante pour comprendre l’atticisme pictural entre peinture et

rhétorique, ce qui justifie le terme même d’atticisme en peinture. La rhétorique classique

héritée de Quintilien, tout particulièrement des livres VIII à X de l’Institution oratoire, fixait

une méthode de l’art d’écrire et de parler, véritable dispositif de construction et de mise en

scène du discours qui comportait cinq phases :

i) l’inventio ou recherche d’arguments,

ii) la dispositio ou la recherche du plan du discours, son agencement en parties,

iii) l’elocutio ou la recherche d’un style et des figures de style qui en sont la

marque (style élevé pour les sujets graves, moyen pour les discours informatifs

et explicatifs, bas ou simple pour les sujets plaisants) adapté au sujet traité et

aux effets que l’on souhaite produire sur l’auditoire. Il est permis et même

recommandé de varier les styles dans un même discours pour ne pas lasser

l’auditoire ou le lecteur ;

iv) la memoria, qui consiste à mettre en œuvre des procédés mnémotechniques et

à apprendre par cœur le discours

v) Enfin, l’actio qui est la récitation en forme de véritable performance physique

alliant expression verbale et gestuelle et mimes destinés à rendre sensible le

discours et à convaincre. Il y a ici une parenté évidente avec le théâtre.

Si on laisse la memoria qui n’a pas lieu d’être dans la peinture Alain Mérot pose une

équivalence ou analogie entre le dessin et l’inventio et la dispositio, le dessin donnant un

contenu représentatif, une composition, un agencement du sujet et des formes, et entre

1 Voir notamment A. MEROT, « La clarification de la forme dans l’“atticisme’’ pictural » E. Bury et C.

Meiner (éds.), La clarté à l’âge classique, Paris, Classiques Garnier [« Lire le XVIIe siècle - Discours

historique, discours philosophique 3 » 24], 2013, pp. 111-125. Voir aussi sur A. MEROT,

« L »atticisme parisien : réflexions sur un style », catalogue de l’exposition Éloge de la clarté. Un

courant artistique au temps de Mazarin, 1640-1660, Dijon, Musée Magnin et Le Mans, Musée de

Tessé, 1998-1999, pp. 13-40.

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l’elocutio avec les couleurs, lumières et lignes qui ornent le tableau comme les figures de

style le discours. Enfin, entre l’actio et l’expression des personnages en peinture qui fait

comprendre par les gestes, mimiques, attitudes le sujet. La clarté atticiste est la résultante des

ces quatre facteurs. Mais dans quel sens dont comprendre cette clarté ? C’est la que la notion

de clarté nous semble connaître une nouvelle mutation ou inflexion de sa signification, qui est

celle d’un entreprise de clarification, d’explicitation maximale. Clarification peut-être

excessive, qui nuit même à la clarté, ainsi que le suggère Alain Mérot, comme transparence,

discrète, grâce d’une certaine discrétion des moyens d’incarner dans un discours, des formes,

des couleurs, une pensée.

§ 2. DESSIN, QUADRILLAGE, PERSPECTIVE.

Le dessin est primordial dans l’atticisme pictural, il incarne une pense, il dessine la

pensée qui se clarifie par des tracés successifs. Comme les idées claires et distinctes, et

parfaitement claires parce que distinctes, il délimite, par les contours qu’il leur assigne, des

figures, des groupes. Les figures sont isolées du groupe et reliée à lui, un peu, dirons-nous,

comme les idées claires et distinctes s’intègrent comme ses maillons dans les démonstrations

mathématiques chères à Descartes. Les compositions picturales sont, en quelque façon, aux

figures, ce que les discours de la raison sont aux idées qui les composent et qu’ils mettent en

relation. Mais pour parvenir à l’aisance apparente de la composition picturale, il aura fallu par

exemple à Le Sueur dans une œuvre comme Clio, Euterpe et Thalie2 (vers 1652-1655, huile

sur bois, 130 x 130 cm, Louvre), une suite de dessins préparatoires qui fonctionne comme un

éclaircissement progressif du projet de représenter le groupe des trois muses au prix de

nombreux tâtonnements.

2 Histoire, musique, comédie

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L’effort de clarification par tracés successifs de l’idée de la composition produit un

ensemble qui semble impossible à défaire comme les ensembles que forment les longues

chaînes de raisons des sciences. La clarté résulte d’un effort de clarification. Même chose

dans Saint Paul à Éphèse toujours de Le Sueur (1649, huile sur toile, 394 x 328 cm, Louvre).

Les dessins préparatoires montrent, d’une part la suppression de sujets ou épisodes

secondaires comme une scène d’aumône au second plan et, d’autre part, une mise au net

comportant des annotations de dimensions et de distances pour rationaliser l’espace, une mise

au carreau et une échelle de perspective pour le placement des personnages et la précision des

agrandissements à opérer dans le passage de l’étude préparatoire à la toile. Notons que la

perspective unifiée à point et lignes de fuite uniques, préconisée par Alberti à la Renaissance,

et que l’atticisme (à l’exception des trop grandes surfaces des plafonds peints sans caissons où

le point de vue unique recréerait de la confusion et non la clarté recherchée ) s’ordonne

désormais en France avec une plus grande rigueur et qu’elle rompt avec les procédés plus

empiriques utilisés depuis le Moyen Âge, tel que la construction bifocale. Cette perspective

linéaire, géométrique permet une répartition claire et hiérarchisés des figures dans un espace

qui possède une profondeur ordonnée. En outre l’étude mise au carreau semble pouvoir

renvoyer au second précepte de la méthode cartésienne qui nous invite à diviser chaque

difficulté en autant de parcelles claires et distinctes utiles à sa résolution. Bref, l’on voit à

l’œuvre toute une technique de clarification sensible et de rationalisation qui permet un rendu

clair de l’espace, une distinction des figures, une netteté des compositions. Ces techniques ne

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sont pas empiriques, car elles renvoient à des ouvrages théoriques comme les Sentiments sur

la distinction dans les diverses manières de peindre (1649) d’Abraham Bosse, graveur,

membre de l’Académie royale de peinture, ou la Méthode universelle de mette en perspective

les objets (1636) du mathématicien Girard Desargues, ami de Descartes. Le lien ici entre

clarté intellectuelle et clarté picturale, clarté des idées et clarté en art est manifeste puisque les

beaux-arts tirent leurs techniques de représentation des mathématiques dont le XVIIe siècle est

le grand siècle en France avec Descartes, Pascal, Fermat, Desargues, Roberval…On voit là

encore comment la clarté migre et s’exporte du champ épistémique vers le champ esthétique,

ce qui constitue notre hypothèse de lecture de départ. Les beaux-arts en tirent des préceptes de

division, d’unité reconstruite, d’ordre, de hiérarchie et de distinction des formes qui inscrivent

leur style, celui de l’atticisme français, dans l’histoire de clarté classique.

Bien évidemment, la réalité sensible, ses formes, ses couleurs n’ont jamais la netteté

que leur confèrent les tableaux de l’atticisme français. La clarté en peinture est, ici, l’œuvre

d’un travail savant de clarification, exactement toutefois comme l’est, chez Descartes, le

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décodage du monde physique par la science à l’aide de natures simples innées (nombre,

figures, mouvement, étendue…). Toutefois, la clarté des figures de la peinture résulte de la

clarification obtenue à l’aide des techniques picturales telles que la perspective et la mise au

carreau alors que, dans la nouvelle science physique dont elle est contemporaine, la

clarification des données sensibles est une transcription, un décodage qui résulte de données

intellectuelles, les natures simples et élémentaires (nombres, figures, mouvement, étendue…)

dont dispose naturellement notre esprit, et qui sont déjà claires. La peinture produit une clarté

clarifiée, la science une clarté clarifiante.

§ 3. COULEURS ET LUMIÈRE

L’apport plus spécifique de la peinture, qui ne doit a priori rien aux sciences sur ce

point, vient de son usage des couleurs et de la lumière en un système dégradé. La perspective

géométrique ne suffit plus à produire la clarté recherchée par l’Atticisme pictural. Il faut

encore y adjoindre une perspective aérienne qui contribue à rendre sensibles les distances par

une impression d’éloignement. Cette impression d’éloignement est alors créée au moyen d’un

adoucissement des traits, des couleurs et des ombres au fur et à mesure que le regard s’avance

dans la profondeur du tableau et que nous passons, par des plans successifs d’intensités

dégressives, du premier au dernier plan. Ainsi pour ne prendre qu’un exemple chez Laurent

de La Hyre dans Laban cherchant ses idoles3 (1647, huile sur toile, 0,95 x 1,33 cm, Le

Louvre), l’on voit une diminution graduelle de l’intensité des couleurs qui s’atténuent dans un

fond où le paysage est représenté de manière de plus en plus vaporeuse. A la hiérarchie

géométrique des grandeurs vient s’ajouter ainsi une hiérarchie sensible des intensités

lumineuses. Au devant du tableau sont données les couleurs les plus fortes, les plus pures, les

plus violentes, glacées et éclatantes. Elles donnent, par un effet de contraste, l’impression de

repousser les autres à l’arrière-plan.

3 Le sujet est tiré de la Genèse : las de sa longue servitude chez son oncle Laban, Jacob s'était enfui

avec les troupeaux qui faisaient partie de son salaire et ses deux épouses, Léa et Rachel, filles de

Laban. Celui-ci les rattrapa mais ne retrouva pas ses idoles emportées par Jacob.

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Philippe de Champaigne appliquera la même technique, par exemple, dans La

présentation au temple (1642, huile sur toile, 257 x 197 cm, Musée royal des Beaux-arts de

Bruxelles).

Si, dans l’usage des couleurs et dans le rendu de la lumière, la perspective aérienne se

superpose à la perspective géométrique chez les peintres de l’Atticisme parisien, ce n’est pas

là le seul parti qu’ils sauront tirer des couleurs. Clarté d’inventio, clarté de la dispositio, la

clarté atticiste est aussi clarté d’élocutio par comparaison avec les canons de la rhétorique

évoqués de Quintilien ci-avant. En effet, en choisissant des couleurs fraîches et vives,

notamment les trois couleurs primaires que sont le bleu, le rouge, le jaune, les peintres

atticistes obtiennent des contrastes ou des accords contrastés de couleurs d’intensités égales,

situées sur un même plan, qui renforcent la clarté et la distinction des objets ou des

personnages. Les couleurs et teintes se détachent les unes des autres comme les figures. Elles

participent de l’effort de clarification du sujet traité et de la clarté du rendu de l’ensemble.

Nous sommes ici très loin de l’harmonie tonale et des fondus, souvent chauds et bruns, de

vénitiens comme Giorgione, Titien, Tintoret (à l’exception de Véronèse) ou de flamands

comme Rubens, Van Dyck, Rembrandt qui jouent du clair-obscur. L’on notera d’ailleurs que

les contrastes colorés atticistes sont parfois si vifs qu’ils frisent la dissonance comme on

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pourra, par exemple, en juger dans Clélie passant le Tibre avec ses compagnes (vers 1635-

1645, huile sur toile, 137 X 101 cm, Louvre) peint par Jacques Stella.

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§4. LEBRUN ET L’ACADÉMIE ROYALE DE 1648.

L. Hourticq (1875-1944), historien d’art, voit dans la création de l’Académie royale de

peinture une entreprise destinée à encadrer la création picturale par une méthode et ses règles,

comme Descartes, le fit auparavant pour la recherche de la vérité dans les sciences. Dès leurs

premières réunions, les peintres et les sculpteurs, en se chargeant de l'instruction des élèves,

s'engagèrent à fonder une doctrine :

L’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, fondée en 1648, et remplacée aujourd'hui par

notre Académie des Beaux-arts, était à la fois une école professionnelle et un corps savant. Les

Académiciens tenaient ateliers et dirigeaient les travaux d'élèves ; ils se préoccupaient aussi de

« résoudre les difficultés de l'art » et s'assemblaient pour se « communiquer les lumières dont

ils étaient éclairés ». Les résultats de ces recherches n'ont pas été perdus. Des comptes rendus

ont été rédigés par les différents secrétaires de l'Académie, Félibien, Guillet de Saint-Georges,

Testelin. Ils sont conservés dans les archives de l'École des Beaux-arts. Ces artistes assemblés

en de solennelles conférences ne discutaient pas seulement parce qu'il est naturel entre gens

d'un même métier de s'entretenir de leurs occupations; ils discutaient pour élaborer une

doctrine de leur art, qui eût la certitude de la science et pût se démontrer comme les vérités

mathématiques4.

Descartes aurait ainsi fournit à l’Académie un modèle qui rapprocherait l’art de la

science dont les académiciens voulait s’inspirer :

Un autre patronage illustre de l'Académie fut celui de Descartes. Quelques historiens de l'art

s'étonnent que l'on puisse déduire une esthétique de la peinture d'une philosophie. C'est parce

qu'on se représente la philosophie comme une denrée de collège et de baccalauréat. La société

française du XVIIe siècle lisait Descartes; on se préoccupait des « tourbillons » chez le

bonhomme Chrysale. Quand une philosophie est acceptée par les hommes d'un temps, ce n'est

pas seulement parce qu'elle les a convertis, mais parce qu'elle leur donne un système où ils

reconnaissent leurs manières de penser. Du moment que les académiciens se mêlaient de

raisonner, ils devaient nécessairement entrer dans les cadres de la pensée cartésienne.

D'ailleurs, ce ne fut pas seulement un instinct obscur qui en fît les disciples inconscients du

philosophe. Le Brun avait en main les œuvres de Descartes; il les lisait et les faisait lire à ses

confrères. Ils ont pratiqué, en particulier, le Traité des Passions, non pas comme un manuel à

qui l'on emprunte quelques définitions, mais pour lui demander cette science des relations

entre l’âme et le corps qui se trouve être à la fois au centre de la doctrine cartésienne et de

l'esthétique académique5.

4 L. Hourticq, De Poussin à Watteau, Paris, Hachette, 1921, p. 42.

5Id., p. 10 ; voir aussi p. 67.

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Et encore :

[…] La vue d'un beau tableau doit donner la même satisfaction logique qu'une déduction bien

conduite. Une telle pensée ne pouvait alors choquer aucun esprit. Il paraissait naturel de

transcrire toute chose en langage rationnel, et même Pascal, qui reconnaissait au cœur des

raisons que la raison ne connaît pas, consacrait toutes les forces de son intelligence à pénétrer

ces raisons inconnaissables, en unissant la clarté logique de l'esprit géométrique à l'intuition

sentimentale de l'esprit de finesse. C'est que tous avaient appris à l'école de Descartes, ou

Descartes à l'école de son siècle, que la vérité n'est pas autre chose que la notion évidente, et

c'était pour eux comme un malaise intellectuel de quitter les clartés de l'intelligence, pour

entrer dans l'obscurité trouble et le demi-jour du sentiment […]ce n'est pas seulement l'identité

de la beauté et de la vérité qu'ils ont apprise à cette école : ce sont les notions mêmes et les

raisonnements particuliers du système cartésien qu'ils ont appliqués à leur esthétique. Dans

cette construction d'une science-art, Descartes a donné la forme et la matière. Pour étudier

cette influence cartésienne, il suffit de reprendre, l'une après l'autre, les trois grandes questions

que se posaient les artistes de l'Académie : le dessin et la couleur; l'expression; l'ordonnance6.

Ainsi, la préférence et la primauté accordées par l’Académie au dessein peuvent se

comprendre comme l’importation en peinture d’un précepte cartésien :

Parmi les défenseurs du dessin, voyez au contraire avec quelle force et quelle précision la

pensée cartésienne se manifeste. A leurs yeux, la couleur a contre elle de n'être qu'un accident,

tandis que le dessin est une permanence ; elle est matérielle, tandis que le dessin est spirituel ;

elle dépend du dessin, tandis que le dessin ne dépend pas de la couleur. « La couleur est un

accident tout pur, dit J.-B. Champaigne; la forme est la vérité. » Ouvrez ensuite Descartes : «

Tout ce que d'ailleurs on peut attribuer au corps présuppose de l'étendue et n'est qu'une

dépendance de ce qui est étendu... Ainsi nous ne saurions concevoir par exemple de figure, si

ce n'est en une chose étendue... Les couleurs, les odeurs, les saveurs et autres choses

semblables ne sont rien que des sentiments qui n'ont aucune existence en dehors de ma pensée

et qui ne sont pas moins différents des corps que la couleur diffère de la figure ou le

mouvement de la flèche qui le cause7.

Dans l’élaboration de sa doctrine nouvelle l’Académie a fait une place sans précédent

à l’expression. Elle est si importante qu’elle est détachée des autres parties de la peinture pour

faire l’objet d’une étude à part. Ainsi dans sa conférence intitulée De l’expression générale et

particulière de 1668, véritable physiognomonie (étude du caractère à partir des traits et de

l’apparence physique d’une personne) des passions, Charles Lebrun, premier peintre du roi,

semble vouloir appliquer à la peinture la doctrine et la classification des Passions de l’âme de

6 Id., p. 44-45.

7 La référence qu’Hourticq ne donne pas se trouve chez Descartes dans les Principes de la philosophie,

I, art. 53, AT, IX, 2, p. 48.

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Descartes. En réalité, ce texte, s’il est cartésien par certains aspects (sur la glande pinéale, la

circulation des esprits animaux, l’admiration comme passions, les signes extérieurs des

passions et leur manifestations corporelles…), s’en éloigne aussi par bien d’autres,

notamment par la définition qu’il propose de la notion de passion. Celle-ci reste thomiste en

ce qu’elle est considérée comme l’expression d’un appétit qui nous porte vers le bien ou vers

le mal. Notons que chez Descartes le corps n’exprime pas les passions, mais connaît des effets

qui accompagnent les passions comme leurs conséquences physiologiques. Ainsi la tristesse

provoque des larmes. Aussi, le texte de Lebrun n’est pas vraiment cohérent du point de vue

doctrinal, mais plutôt opportuniste, en empruntant, ici où là, des éléments de doctrine et en

visant l’efficacité des préceptes aux fins de produite des effets (surprise, émotion) sur le

spectateur. Doit-on le lui reprocher que cela se fasse au détriment de la cohérence d’une

doctrine? Certainement pas, si l’on veut bien considérer que Lebrun n’est ni physicien ni

philosophe, mais peintre et que son but n’est pas de construire une théorie de la connaissance

des passions mais de donner naissance à des œuvres d’art ? Toutefois, si l’influence

cartésienne sur l’Académie doit être nuancée, elle ne peut être niée, et l’exigence classique de

la clarté explique la recherche par l’Académie d’éléments de doctrine cartésiens qui

permettent de soutenir et d’enseigner cette exigence classique.

II. CONCLUSION :

Si le cartésianisme a eu une influence indéniable sur les arts de l’âge classique qui ont

repris la valeur et la norme de la clarté originellement élaborée dans le domaine des sciences

et de la philosophie, rien n’est moins sûr que de supposer que Descartes se serait reconnu dans

cet héritage et cette paternité qu’on lui attribue si généreusement. Car il s’est souvent refusé à

donner des règles en matière d’esthétique, affirmant que le goût reste subjectif et varie d’un

individu à l’autre. Ainsi dans une lettre à Mersenne de janvier 1630, écrit-il :

Mais pour déterminer ce qui est plus agréable, il faut supposer la capacité de l’auditeur,

laquelle change comme le goût, selon les personnes, ainsi les uns aimeront mieux entendre une

seule voix, les autres un concert, etc. ; de même que l’un aime mieux ce qui est doux, et l’autre

ce qui est un peut aigre ou amer, etc.8

Dans une autre lettre à Mersenne du 4 mars 1630, on lit encore à propos de la musique :

Je vous avais déjà dit que c’est autre chose, de dire qu’une consonance est plus douce qu’une

autre, et autre chose qu’elle est plus agréable. Car tout le monde sait que le miel est plus doux

que les olives, et toutefois force gens aimeront mieux manger des olives que du miel. Ainsi

tout le monde sait que la quinte est douce que la quarte, celle-ci que la tierce majeure, et la

8 AT, I, p. 108.

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tierce majeure que la mineure ; et toutefois il y a des endroits où la tierce mineure plaira plus

que la quinte, même où une dissonance se trouvera plus agréable qu’une consonance9.

Dans une autre lettre à Mersenne d’octobre 1631 :

Pour votre question, savoir si on peut établir la raison du beau, c’est tout de même que ce que

vous demandiez auparavant, pourquoi un son est plus agréable que l’autre, sinon que le mot

beau semble plus particulièrement se rapporter au sens de la vue. Mais généralement ni le

beau, ni l’agréable ne signifient rien qu’un rapport de notre jugement à l’objet ; et pour ce que

les jugements des hommes sont différents, on ne peut dire que le beau, ni l’agréable n’aient

aucune mesure déterminée […] la même chose qui fait envie de danser à quelques uns, donne

envie de pleurer aux autres10

.

L’histoire de la clarté et son transfert du champ épistémique vers le champ esthétique

relève d’une annexion par la tradition académique du classicisme français, comme le suggère

Pascal Dumont11

, peut-être autant ou plus que d’une esthétique cartésienne. Mais c’est

certainement le propre des grandes œuvres d’avoir des prolongements inattendus. Ces

prolongements inattendus en excèdent les contours initiaux et leur donnent une postérité que

leurs auteurs n’auraient pas même pu envisager. Le cartésianisme en art invente un Descartes

différent du Descartes réel, de sorte que sous le même nom logent plusieurs Descartes qui en

font une grande figure de l’histoire de la pensée et de l’esthétique, fût-ce, pour ce qui relève

de l’esthétique, en quelque façon malgré lui.

9 AT, I, p. 126.

10 AT, I, pp. 133-134

11

P. Dumont, Descartes et l’esthétique. L’art d’émerveiller, Paris, Presses Universitaires de France,

[« Philosophie aujourd’hui »], 1997, p. 22.

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III. ANNEXE

L'arrêt burlesque de Boileau. Éléments tirés de Philippe Albou, Histoire des sciences

médicales, t. 28, n° 1, 1994, pp. 25-32.

Concernant les relations entre la médecine et la littérature, L’arrêt burlesque de Boileau

est une œuvre particulièrement marquante. Les circonstances de sa rédaction permettent

d'évoquer le souvenir de trois personnages célèbres du 17e siècle : bien entendu l'auteur

Nicolas Boileau-Despréaux (1636-1711), surnommé « Despréaux » par ses contemporains,

mais aussi Gui Patin (1601-1672) et le premier président Guillaume de Lamoignon (1617-

1677). L'origine de L’Arrêt burlesque, comme nous le dit Boileau en 1701, vient d'une

demande que l'Université voulait faire au Parlement de Paris afin que soit rendu un arrêt

officiel contre l'enseignement dans les Écoles d'autres principes que ceux d'Aristote -

autrement dit contre Descartes -. C'est dans ce contexte et en vue de « prévenir cet arrêt très

sérieux », qu'il rédigea donc son Arrêt burlesque, paru pour la première fois en 1671 de

manière anonyme. Ce texte subira quelques variantes jusqu'en 1701, date de l'édition

définitive des œuvres de Boileau où ce dernier reconnaîtra enfin en être l'auteur.

Dans sa version de 1701, le titre complet était le suivant : Arrêt burlesque, donné en la

grand’ chambre du Parnasse, en faveur des maîtres-es-Arts, médecins et professeurs de V

Université de Stagyre, au pays des Chimères : pour le maintien de la doctrine d'Aristote.

Après avoir exposé, dans les attendus de son jugement factice, les principales nouveautés

concernant la théorie de la circulation du sang et le traitement des fièvres par le quinquina,

Boileau conclut son Arrêt de la manière suivante :

La Cour, ayant égard à ladite requête, a maintenu et gardé, maintient et garde ledit Aristote en la pleine et

paisible possession et jouissance desdites écoles. Ordonne qu'il sera toujours suivi et enseigné par les

régents, docteurs, maîtres es arts et professeurs de ladite université, sans que pour ce ils soient obligés de le

lire, ni de savoir sa langue et ses sentiments. Et sur le fond de sa doctrine, les renvoie à leurs cahiers.

Enjoint au cœur de continuer d'être le principe des nerfs ; et à toutes personnes, de quelque condition et

profession qu’elles soient, de le croire tel, nonobstant toute expérience à ce contraire. Ordonne pareillement

au chyle d'aller droit au foie, sans plus passer par le cœur, et au foie de le recevoir. Fait défense au sang

d'être plus vagabond, errer ni circuler dans le corps, sous peine d'être entièrement livré et abandonné à la

faculté de médecine. Défend à la Raison et à ses adhérents de plus s'ingérer à l'avenir de guérir les fièvres

tierces, double-tierces, quartes, triple-quartes, ni continues, par mauvais moyens et voies de sortilèges

comme vin pur, écorces de quinquina, et autres drogues non approuvées ni connues des anciens. Et en cas

de guérison irrégulières par icelles drogues, permet aux médecins de ladite faculté de rendre, suivant leur

méthode ordinaire, la fièvre aux malades, avec casse, séné, sirops, juleps, et autres remèdes propres à ce, et

de remettre lesdits malades en tel et semblable état qu'ils étaient auparavant, pour être ensuite traités selon

les règles ; et, s'ils n'en réchappent, conduits du moins dans l'autre monde, suffisamment purgés et évacués.

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Ce serait une erreur de considérer que grâce à L’Arrêt burlesque la question de

l'aristotélisme fut définitivement réglée en France ! Après cette requête manquée de 1671, les

adversaires de Descartes demeurèrent encore très actifs : en 1675, l'Université d'Angers, puis

en 1678 celle de Caen s'élevèrent officiellement contre le cartésianisme ; en 1685, soit

quatorze ans après L’Arrêt burlesque et huit ans après la mort de Guillaume de Lamoignon,

Louis XIV décida d'interdire officiellement l'enseignement de la philosophie de Descartes

(après avoir tout de même créé en 1672, au Jardin des Plantes, un enseignement public en

faveur de la circulation du sang) ; et même en 1699, la thèse du cartésien Pourchot, qui fut

recteur de l'Université de Paris entre 1692 et 1694, fut condamnée comme « enseignant une

méchante doctrine ». L'importance des forces en présence sur cette question brûlante aide à

mieux comprendre la décision de Boileau de se cacher pendant trente ans derrière un

anonymat de bon aloi. Mais L’arrêt burlesque présente surtout pour nous une valeur

documentaire. Tout d'abord, les circonstances de sa rédaction nous ont permis de nous

souvenir de l'ambiance qui régnait à cette époque dans la maison de Guillaume de

Lamoignon, où Gui Patin puis Nicolas Boileau furent successivement accueillis de manière

aussi amicale que privilégiée. D'autre part, même si L’Arrêt burlesque peut paraître discutable

sur le plan strictement littéraire (Boileau reconnaîtra lui-même en 1701 que « la plaisanterie y

descend un peu bas »), ce texte a le mérite de nous apporter, sous une forme plaisante, un

témoignage direct sur l'évolution des esprits en France à la fin du XVIIe siècle et surtout de

l’inscription de Boileau dans la lignée intellectuelle de Descartes dont il défend l’héritage.

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