Développement des fonctions exécutives de l’enfant prématuré

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De ´veloppement des fonctions exe ´cutives de l’enfant pre ´mature ´ § Executive functions in preterm-born children C. Borradori Tolsa a, *, K. Barisnikov b , F. Lejeune b , P. Hu ¨ppi a a Service du de ´veloppement et de la croissance, de ´partement de l’enfant et de l’adolescent, ho ˆpitaux universitaire de Gene `ve, 1211 Gene `ve, Suisse b Unite ´ de psychologie clinique et neuropsychologie de l’enfant, faculte ´ de psychologie et des sciences de l’e ´ducation, universite ´ de Gene `ve, Gene `ve, Suisse Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com 1. Introduction Les progre `s des soins ne ´onatals ont permis un accroissement du nombre d’enfants pre ´mature ´s (PM ; < 37 semaines de gestation) qui survivent a ` la naissance. Cependant, de nom- breuses recherches mettent en e ´vidence une pre ´valence plus importante de troubles neuro-de ´veloppementaux chez les PM compare ´s aux enfants ne ´s a ` terme. Cette pre ´valence est d’autant plus importante que l’enfant est ne ´ to ˆt, avec un faible poids de naissance ou avec des complications pe ´rina- tales. Ainsi, les PM sont plus a ` risque de pre ´senter des de ´ficits cognitifs, moteurs ou comportementaux avec d’importantes Summary The rate of children born prematurely has increased considerably in the last few decades, and their developmental outcome remains of great concern. The literature on the impact of prematurity has reported a wide range of cognitive and behavioral problems that may be related to deficits in executive function (EF) skills. EF refers to a series of high-level processes (selective attention, inhibition, set shifting, working memory, planning, goal setting) that develop throughout childhood and adolescence and play an important role in cognitive and social development as well as in school achieve- ment. EF skills have been linked to the prefrontal cortex, as well as to other neural networks and brain regions including the basal ganglia and cerebellum. This paper focuses on studies related to the development of EF and social behavior in children born preterm. The preschool period is a critical time to perform neuropsychological assessment in addition to IQ testing, and to detect the child’s specific needs in order to adapt effective intervention to enhance the development of executive processes in these high-risk children. ß 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Re ´sume ´ Les enfants ne ´s avant terme sont a ` risque de de ´velopper des difficulte ´s cognitives, scolaires et comportementales. Ces difficulte ´s peuvent en partie s’expliquer par un de ´ficit dans le de ´veloppement des fonctions exe ´cutives (FE). Ce terme de ´signe un ensemble de processus cognitifs de haut niveau permettant un comportement flexible et adapte ´ au contexte. Ces FE regroupent des capacite ´s lie ´es a ` l’anticipation, la planification, l’organisation, la me ´moire de travail, l’apprentissage de re `gles, l’attention se ´lective. Elles sont principalement associe ´es au fonctionnement des lobes frontaux du cerveau, mais les structures sous-corticales sont aussi implique ´es. Elles sont importantes pour le de ´veloppement cognitif, le comporte- ment social et les apprentissages. Cette mise au point examine le fonctionnement exe ´cutif chez les enfants ne ´s avant terme. Bien que des travaux de recherche a ` plus long terme soient ne ´cessaires, il est actuellement de ´montre ´ que les enfants pre ´mature ´s pre ´sentent un risque accru de troubles dans tous les domaines exe ´ cutifs. Il est donc important de proce ´der a ` un de ´pistage plus fin des dysfonctionne- ments cognitifs qui aille au-dela ` d’une mesure globale par le quotient intellectuel (QI). L’investigation de certains domaines spe ´cifiques tels que les FE et le de ´veloppement des compe ´tences sociales nous paraı ˆt indispensable pour adapter au mieux la prise en charge des enfants pre ´mature ´s. ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. § Travail pre ´sente ´ aux Journe ´es nationales de ne ´onatalogie 2014 (JNN 2014), Paris 27–28 mars 2014. * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (C. Borradori Tolsa). Rec ¸u le : 14 mai 2014 Accepte ´ le : 18 juin 2014 Mise au point ARCPED-3725; No of Pages 6 1 http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2014.06.011 Archives de Pe ´diatrie 2014;xxx:1-6 0929-693X/ß 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s.

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Executive functions in preterm-born children

C. Borradori Tolsaa,*, K. Barisnikovb, F. Lejeuneb, P. Huppia

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a Service du developpement et de la croissance, departement de l’enfant et de l’adolescent,hopitaux universitaire de Geneve, 1211 Geneve, Suisseb Unite de psychologie clinique et neuropsychologie de l’enfant, faculte de psychologie et dessciences de l’education, universite de Geneve, Geneve, Suisse

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

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SummaryThe rate of children born prematurely has increased considerably in

the last few decades, and their developmental outcome remains of

great concern. The literature on the impact of prematurity has

reported a wide range of cognitive and behavioral problems that

may be related to deficits in executive function (EF) skills. EF refers

to a series of high-level processes (selective attention, inhibition, set

shifting, working memory, planning, goal setting) that develop

throughout childhood and adolescence and play an important role

in cognitive and social development as well as in school achieve-

ment. EF skills have been linked to the prefrontal cortex, as well as to

other neural networks and brain regions including the basal ganglia

and cerebellum. This paper focuses on studies related to the

development of EF and social behavior in children born preterm.

The preschool period is a critical time to perform neuropsychological

assessment in addition to IQ testing, and to detect the child’s specific

needs in order to adapt effective intervention to enhance the

development of executive processes in these high-risk children.

� 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

ResumeLes enfants nes avant terme sont a risque de developper des

difficultes cognitives, scolaires et comportementales. Ces difficultes

peuvent en partie s’expliquer par un deficit dans le developpement

des fonctions executives (FE). Ce terme designe un ensemble de

processus cognitifs de haut niveau permettant un comportement

flexible et adapte au contexte. Ces FE regroupent des capacites

liees a l’anticipation, la planification, l’organisation, la memoire de

travail, l’apprentissage de regles, l’attention selective. Elles sont

principalement associees au fonctionnement des lobes frontaux du

cerveau, mais les structures sous-corticales sont aussi impliquees.

Elles sont importantes pour le developpement cognitif, le comporte-

ment social et les apprentissages. Cette mise au point examine le

fonctionnement executif chez les enfants nes avant terme. Bien que

des travaux de recherche a plus long terme soient necessaires, il est

actuellement demontre que les enfants prematures presentent un

risque accru de troubles dans tous les domaines executifs. Il est donc

important de proceder a un depistage plus fin des dysfonctionne-

ments cognitifs qui aille au-dela d’une mesure globale par le quotient

intellectuel (QI). L’investigation de certains domaines specifiques

tels que les FE et le developpement des competences sociales nous

paraıt indispensable pour adapter au mieux la prise en charge des

enfants prematures.

� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

1. Introduction

Les progres des soins neonatals ont permis un accroissementdu nombre d’enfants prematures (PM ; < 37 semaines de

§ Travail presente aux Journees nationales de neonatalogie 2014 (JNN 2014),Paris 27–28 mars 2014.* Auteur correspondant.e-mail : [email protected] (C. Borradori Tolsa).

http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2014.06.011 Archives de Pediatrie 2014;xxx:1-60929-693X/� 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

gestation) qui survivent a la naissance. Cependant, de nom-breuses recherches mettent en evidence une prevalence plusimportante de troubles neuro-developpementaux chez les PMcompares aux enfants nes a terme. Cette prevalence estd’autant plus importante que l’enfant est ne tot, avec unfaible poids de naissance ou avec des complications perina-tales. Ainsi, les PM sont plus a risque de presenter des deficitscognitifs, moteurs ou comportementaux avec d’importantes

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consequences sur leur scolarite et leur qualite de vie [1,2]. Al’age scolaire, un nombre important de PM presente un niveaude developpement global plus bas (en moyenne de 10,9 pointssur une echelle normee a 100) que celui des temoins nes aterme, et ont davantage de retards scolaires [3,4]. A l’age de8 ans, les PM sont plus souvent scolarises en ecole ou classespecialisee (5 % vs 1 %) et redoublent plus frequemment (18 %vs 5 %) que leurs contemporains nes a terme [5]. Les PMpresentent en general des difficultes multiples plutot que desdeficits cognitifs isoles, comprenant des problemes d’atten-tion, de memoire, de lecture, de mathematiques et de rai-sonnement [6,7]. Ils sont egalement plus a risque dedevelopper des troubles du comportement, y compris descomportements oppositionnels, des troubles de l’attention/hyperactivite et des difficultes de regulation emotionnelle[8,9]. Ces troubles du comportement peuvent persister al’adolescence [10] et peuvent avoir un impact important dansles relations sociales [11]. Recemment, plusieurs auteurs ontmis en relation ces difficultes avec des deficits du developpe-ment des fonctions executives (FE) [3,12], meme chez lesenfants avec un quotient intellectuel (QI) dans les limitesde la norme pour l’age [13].

2. Description des FE

La notion de FE fait reference a un ensemble de processus dehaut niveau qui se developpe tres tot, des l’age de 1 an, puistout au long de l’enfance et de l’adolescence, et qui permet ausujet de s’adapter a des situations nouvelles, notammentlorsque les routines d’actions ne sont plus suffisantes. CesFE jouent ainsi un role important dans le developpementcognitif et social ainsi que dans la reussite scolaire [14,15].On distingue principalement parmi ces processus, les compe-tences d’anticipation, l’attention, l’inhibition (l’ensemble des

[(Figure_1)TD$FIG]

Figure 1. Developpement des fonctions executives : modele d’Anderson (adaptcomposants du fonctionnement executif.

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mecanismes permettant d’empecher que des informations,des pensees, des comportements non pertinents ne viennentperturber la tache en cours et de supprimer des informationsprecedemment pertinentes qui sont devenues inutiles), lamemoire de travail (capacite a conserver l’information enmemoire a court terme visuelle ou auditive), la planification(elaboration d’un plan d’action) ainsi que la resolution deprobleme, le raisonnement logique et l’apprentissage desregles.Alors que les premiers modeles consideraient toutes lescomposantes des FE dans un seul module de traitement del’information [16], la tendance actuelle est de retenir unmodele dans lequel les differents facteurs sont a la foisdistincts et moderement correles entre eux. Largementinfluence par la litterature de neuropsychologie du develop-pement [17], le modele conceptuel d’Anderson permet d’abor-der le developpement des FE [15,18]. Ce modele integre quatredomaines qui englobent les differents composants du fonc-tionnement executif : controle attentionnel, traitement del’information, flexibilite cognitive et capacite a definir desobjectifs (fig. 1). Le controle attentionnel se developpe plus totet a une influence sur les 3 autres domaines qui communi-quent entre eux, mais sont independants.

2.1. Le controle attentionnel

Le controle attentionnel inclut la capacite a se concentrerpendant une periode prolongee et a se fixer de maniereselective sur des stimuli specifiques tout en pouvant inhibertout ce qui est non pertinent pour la tache en cours. Lecontrole attentionnel implique egalement la capacite a sur-veiller que les taches sont executees dans le bon ordre sanserreurs et que les objectifs sont atteints. Les enfants ayantune deficience dans ce domaine sont impulsifs, distraits, neparviennent pas a accomplir des taches, commettent des

e de [15]). Ce modele integre quatre domaines qui englobent les differents

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erreurs de procedure qu’ils n’arrivent pas a corriger et repon-dent de facon inappropriee.

2.2. Le traitement de l’informationDans ce modele, le traitement de l’information est caracterisepar une bonne vitesse, une fluence et une efficacite detraitement. L’efficacite du traitement de l’information refletel’integrite de la connectivite neuronale entre le cortex pre-frontal et les structures sous-corticales. Un deficit dans cedomaine peut se manifester par des hesitations, un temps dereaction plus long, des reponses tardives.

2.3. La flexibilite cognitive

La flexibilite cognitive comprend la memoire de travail,l’attention divisee, la capacite a pouvoir alterner entre unensemble de reponses, la capacite a apprendre de ses propreserreurs, d’elaborer des strategies alternatives et de traiter demultiples sources d’informations de maniere fluide et rapide.Les enfants qui ont un deficit dans ce domaine sont genera-lement consideres comme rigides et ritualistes, n’arrivant pasa s’adapter aux changements et aux nouvelles exigences. Undeficit dans ce domaine est souvent associe a un comporte-ment persistant, avec des enfants qui continuent a faire lameme erreur.

2.4. La capacite a definir des objectifs

La capacite a definir des objectifs comprend l’anticipation, laplanification des actions d’une maniere efficace et strate-gique. Un deficit dans ce domaine se traduit par une faiblecapacite de resolution de problemes, comme en temoigne uneplanification inadequate, une desorganisation, des difficultesa developper des nouvelles strategies efficaces.Au niveau neuronal, il a ete montre que les changements quisurviennent dans l’enfance et l’adolescence etaient correlesavec le developpement cognitif. Ces changements se fontdurant des periodes sensibles du developpement ou l’acquisi-tion de competences specifiques est rapide mais aussi vulne-rable [19]. Par exemple, la myelinisation est un phenomeneessentiel qui permet d’augmenter la vitesse de conduction lelong des axones et par consequent les periodes de myelinisa-tion rapide sont associees a des progressions dans les domai-nes tels que la vitesse de traitement de l’information etl’attention.D’apres des etudes cliniques, et plus recemment d’apres desetudes de neuro-imagerie fonctionnelle, le dysfonctionnementexecutif etait generalement attribue a une pathologie du lobefrontal, en particulier du cortex prefrontal [20,21]. Ces dernieresannees, ce dysfonctionnement a egalement ete associe a deplus petits volumes de ganglions de la base et du cervelet, ainsiqu’a des perturbations des circuits de la substance blanchesous-corticale reliant le cortex prefrontal, le striatum, et lesregions thalamiques [22,23]. Ainsi, on pourrait supposer quel’integrite du cortex prefrontal est necessaire, mais qu’elle n’est

pas une condition suffisante pour un bon fonctionnementexecutif car un dysfonctionnement executif n’est pas toujoursla consequence d’une pathologie du cortex prefrontal, maispeut etre aussi le reflet d’un mauvais fonctionnement desreseaux neuronaux sous-jacents [18].

3. Developpement des FE chez l’enfantpremature

Les etudes sur le fonctionnement executif du PM montrentdes deficits specifiques dans les taches faisant appel auxcapacites d’inhibition, de memoire de travail, de planificationet de controle de l’attention ; deficits qui peuvent avoir unimpact negatif sur les performances scolaires et qui semblentpersister tout au long de l’enfance et de l’adolescence[2,3,12,24,25]. Espy et al. [26] ont etudie chez les PM la memoirede travail, l’inhibition et la capacite a changer de plan quandcela s’avere necessaire. Leurs resultats ont montre qu’a l’ageprescolaire, les PM avaient des deficits d’inhibition et unemoins bonne memoire de travail que les enfants nes a terme.Anderson et Doyle [3] ont evalue a l’age de 8–9 ans les FE degrands PM (< 28 semaines) et celles d’enfants nes a terme. Ilsont observe un dysfonctionnement executif global chez lesgrands PM. Ces enfants presentaient des capacites significa-tivement plus basses dans le raisonnement, la memoire detravail spatiale et visuelle ainsi que dans la planification. Lesauteurs avaient egalement utilise un questionnaire a comple-ter par les parents, afin d’evaluer les FE de leur enfant dans lavie quotidienne. Ils ont ainsi montre que les grands PMavaient un dysfonctionnement executif global comportantdes difficultes dans toutes les echelles du questionnaire(memoire de travail, inhibition, changement de strategie,controle des emotions). Aarnoudse-Moens et al. [1] ont effec-tue une meta-analyse des etudes publiees entre 1998 et2008 portant sur l’evaluation de FE telles la fluence verbale,la memoire de travail et la flexibilite cognitive chez les PM. Lesgrands PM avec tres faible poids de naissance avaient desscores plus faibles aux epreuves de fluence verbale, dememoire de travail, et de flexibilite cognitive que les temoinsnes a terme. Les problemes d’attention etaient egalementplus frequents dans la cohorte de grands PM. Lors du passagea l’adolescence et a l’age adulte, ces enfants restaient enretard par rapport a leurs pairs nes a terme. Ces difficultespeuvent etre mises en relation avec des lesions cerebralesspecifiques de la grande prematurite dont la forme la plusmenacante pour le cerveau en developpement est l’atteintede la substance blanche periventriculaire [27]. Ces lesions denecrose de la substance blanche n’evoluent pas necessaire-ment vers la cavitation mais peuvent se traduire parfois parune simple gliose reactionnelle ou uniquement par un elar-gissement des ventricules cerebraux [28]. Ces lesions peuventetre mises en evidence dans la majorite des cas par lestechniques de resonance magnetique nucleaire precoce

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[29,30]. Selon des estimations recentes, des etudes en neuro-imagerie suggerent qu’environ 20 % des grands PM presen-tent des anomalies moderees a severes de la substanceblanche et 50 % des anomalies legeres [31,32]. Ces taux sontassez comparables avec les risques de troubles cognitifs dansce groupe d’enfants. Woodward et al. [33] ont teste a l’age de4 ans les capacites de planification, de flexibilite, d’attentionselective et d’inhibition dans un groupe de grands PM, et ontetudie les relations entre la presence d’anomalies de la sub-stance blanche et les resultats des epreuves evaluant l’integ-rite de ces FE. Les PM avaient de moins bons resultats queleurs contemporains nes a terme et, plus precisement, desdifficultes executives etaient presentes chez les enfants ayantdes lesions de la substance blanche.Il est important de rappeler que des perturbations du deve-loppement cerebral liees a une naissance avant terme tellesque les alterations dans la neurogenese, la migration, la mye-linisation, la mort cellulaire et la synaptogenese se produisentmeme en l’absence de lesions et peuvent etre liees aux diffi-cultes cognitives rencontrees chez les enfants PM [34].Dans la suite de cet article, nous nous concentrerons sur lesdeficits specifiques d’attention, d’inhibition et de regulationemotionnelle. Nous integrerons aussi les resultats de nostravaux qui s’inscrivent dans le cadre d’une recherche pluslarge, que nous menons actuellement, portant sur le deve-loppement des FE chez l’enfant ne tres prematurement(< 29 semaines de gestation).

3.1. Competences attentionnellesDes difficultes d’attention peuvent etre observees precoce-ment chez les PM [35] et semblent predictives de leur deve-loppement cognitif ulterieur [36]. Le modele de Posner et al.postule l’existence de trois mecanismes attentionnels diffe-rents interconnectes et sous-tendus par des reseaux neuro-naux differents : l’orientation (capacite a detournerl’attention), l’etat d’alerte (maintien de capacites de vigilance)et le controle attentionnel (capacites d’inhibition) [37]. Les PMmettent plus de temps a orienter leur regard vers un nouveaustimulus et le regardent moins longtemps. Ils auraient aussides difficultes a mobiliser et maintenir des ressources atten-tionnelles optimales afin de conserver un etat d’alerte face al’arrivee imminente d’un stimulus. Ces deux premiers meca-nismes font plutot appel a des processus automatiques nonconscients et apparaissent tot dans le developpement. Versl’age de 6 mois, commence a se developper le controleattentionnel (ou controle executif) qui sollicite des processusvolontaires et conscients. Au cours du developpement, lesprocessus attentionnels sont de plus en plus engages dans desactivites impliquant la planification et l’autocontrole. Desdeficits du controle attentionnel sont aussi observes chezles PM a l’age scolaire [38,39]. D’une part, ils ont des difficultesa effectuer plusieurs actions simultanement (attention divi-see) et, d’autre part, ils presentent de moins bons resultatslorsqu’ils doivent se focaliser sur un stimulus particulier tout

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en supprimant ou inhibant des informations non pertinentes(distracteurs). Pizzo et al. [39] ont evalue l’efficacite ducontrole attentionnel au moyen du test informatise « ChildAttention Network Task » chez des PM ages de 5,5 a 6,5 ans. Cetest consiste a determiner si une fleche centrale pointe vers lagauche ou vers la droite. Des situations de conflit sont pro-voquees lorsque les distracteurs accompagnant la flechecentrale se trouvent dans des directions opposees. Les auteursont observe des deficits specifiques dans les capacites decontrole attentionnel chez les PM, caracterises par des tempsde reponse plus longs et des taux d’erreurs plus eleves.

3.2. InhibitionLe controle attentionnel est fortement associe a l’inhibition.Par consequent, les difficultes d’inhibition semblent aussiparticulierement marquer la trajectoire developpementaledes PM. Les processus d’inhibition se developpent tot et sontimpliques dans le developpement des autres FE, notammentla flexibilite mentale, la planification et la memoire a courtterme. Ces competences semblent particulierement toucheeschez les PM. La litterature relate de nombreux types d’inhibi-tion, mais un accord semble emerger pour distinguer l’inhibi-tion de distracteurs et l’inhibition d’une reponse automatiqueou dominante chez l’enfant. Des deficits de l’inhibition dedistracteurs (evalues avec le test de Stroop dans lequel le sujetdoit nommer la couleur de l’encre avec lequel le mot desi-gnant la couleur est ecrit) semblent persister chez le PM avecl’age [38]. Quant au deficit specifique d’inhibition d’unereponse automatique ou dominante (evalue avec une tachego/no-go ou le participant doit repondre a un stimulus go :execution ; et ne pas repondre a un autre stimulus no-go :inhibition), les PM ages de 3–4 ans ont plus de difficultes ainhiber leur reponse, mais ces difficultes semblent disparaıtreavec l’age. Des etudes en imagerie par resonance magnetique(IRM) fonctionnelle indiquent qu’a 6 ans [40] et a l’adoles-cence [41] les PM ont des performances equivalentes auxgroupes controles nes a terme tout en activant un reseauneuronal different. Selon les auteurs, ces resultats peuventetre attribues aux mecanismes de plasticite cerebrale : pourun meme resultat, les sujets nes prematurement developpe-raient des strategies « alternatives ».

3.3. Regulation emotionnelle

Des donnees recentes suggerent que les PM sont egalementvulnerables aux perturbations du developpement socio-emo-tionnel. Ainsi, ils semblent presenter des reactions emotion-nelles plus intenses et des difficultes a apaiser et a gerer leursemotions [35,42] qui peuvent persister jusqu’a l’age scolaireainsi qu’a l’adolescence [43]. Certaines etudes utilisent dessituations induisant des emotions fortes et revelent que lestres jeunes PM se montrent deja hautement reactifs dans dessituations negatives telles que la frustration, et d’autant plusque l’enfant est ne tot. Le developpement des composantes

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emotionnelles lors de la periode prescolaire semble coıncideravec le developpement des competences d’attention soute-nue et du controle attentionnel. Ainsi, les capacites d’atten-tion soutenue seraient liees a une meilleure regulation desaffects negatifs lors de paradigmes de frustration et predisentles competences de controle attentionnel [44]. A son tour, lecontrole attentionnel semble jouer un role determinant dansle developpement de la regulation emotionnelle, en fournis-sant la flexibilite attentionnelle necessaire pour une regula-tion efficace des emotions negatives et en permettantl’emergence des strategies de regulation autonomes et pla-nifiees [45]. Ces constatations sont confirmees par des etudescliniques qui revelent que les enfants presentant des deficitsde controle attentionnel sont plus susceptibles de developperdes problemes comportementaux et sociaux [46].Nos recherches sur les habilites de regulation emotionnelle al’age de 12 mois ont montre que les grands PM presentaientdes reponses emotionnelles plus fortes que les enfants nes aterme, particulierement lors des episodes evaluant les repon-ses de colere. De plus, les grands PM presentaient des diffi-cultes a maintenir leur attention sur une longue duree, ce quisuggere un deficit d’attention soutenue [47].

4. Conclusion

Les PM sont a risque de presenter des deficits des FE quipeuvent expliquer nombre de leurs difficultes ulterieures. Ilest donc important de suivre ces enfants regulierement et deproceder a un depistage plus fin des dysfonctionnementscognitifs ou comportementaux qui aille au-dela de l’evaluationglobale d’un QI [14]. Pour les enfants d’age prescolaire, les testsvalides et normes pour evaluer les FE sont peu nombreux [18].En revanche, pour les enfants d’age scolaire il existe plusieurstests neuropsychologiques publies et normes pour l’evaluationdes habilites executives. L’utilisation d’un questionnaire per-mettant d’evaluer les comportements de la vie quotidiennefamiliale et scolaire lies au fonctionnement executif, comme laBehavior Rating Inventory of Executive Function (BRIEF) [48],pourrait completer le bilan neuropsychologique d’enfants etadolescents en ajoutant l’information d’un parent ou d’unenseignant. L’investigation de certains domaines specifiquestels que les FE et le developpement des competences socialesest indispensable pour adapter au mieux la prise en charge desdifficultes que peuvent presenter les PM. Certains chercheurssuggerent des interventions simples pouvant s’integrer a unprogramme prescolaire et visant a stimuler le developpementdes FE [49]. Sur le modele mis en place par A. Diamond et al., desprogrammes d’interventions informatises peuvent etre propo-ses aux enfants plus ages, a partir de l’age scolaire [50]. Etantdonne que les FE ont un impact sur les competences d’appren-tissage, sur l’integration scolaire et sur le fonctionnementsocio-affectif, il paraıt indispensable de mettre en place desprogrammes d’intervention precoce qui pourraient permettre a

des enfants plus vulnerables d’eviter de nombreuses difficultesscolaires et comportementales.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

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