«CHRISTUS VINCIT, CHRISTUS REGNAT, CHRISTUS IMPERAT» , la légende des monnaies royales...

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Régner pour vaincre ou vaincre pour régner ? Philippe Bodet Titre quelque peu singulier pour une invitation à quelques réflexions à propos d’une particularité dans les légendes de monnaies royales françaises en or. En effet la maxime «CHRISTUS VINCIT, CHRISTUS REGNAT, CHRISTUS IMPERAT» est on ne peut plus classique, le «Christ vainc, règne, commande». Toutefois, cette légende monétaire a fait l’objet de mutations au cours des siècles, variations apparemment passées inaperçues voire jugées par trop futiles pour être confrontées au «pourquoi». Ces évolutions portent sur la façon dont le mot «Christ» est représenté et sur l’ordre des deux premiers verbes de la maxime. 1. Première occurrence. Cette légende fut frappée initialement sur la première monnaie d’or royales française, à savoir le denier d’or à l’écu de Louis IX (Saint Louis) 1 , et sous une écriture gréco-latine. Ce denier de prestige, non destiné à la circulation, donc rare, porte au droit, dans une rosace, l’écu de France semé de fleurs de lys (d’où la dénomination monétaire d’écu) et au revers une croix feuillue contournée de quatre fleurs de lys. Cette pièce d’or pur (presque 24 carats) taillée sur un pied de 58 au marc devait peser 4.21gr 2 . Figure 1 : Denier d'or de Saint Louis (1245) 3 . Droit Ecu de France, LVDOVICVS : DEI : GRACIA : FRANCOR REX. Revers : croix feuillue cantonnée de 4 lys, XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT 1 Sans tenir compte du dinar d’or de Saint Louis frappé à St Jean d’Acre avec des légendes chrétienne écrites en arabe. 2 Source : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ecu-d-or/ 3 Source http://www.monnaiesroyales.org/pages/louisix.html : exemplaire de la Bibliothèque Nationale de France, offert par Mr Claude Cotte le 20 décembre 1960.

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Régner pour vaincre ou vaincre pour régner ?

Philippe Bodet

Titre quelque peu singulier pour une invitation à quelquesréflexions à propos d’une particularité dans les légendes demonnaies royales françaises en or. En effet la maxime «CHRISTUS VINCIT,CHRISTUS REGNAT, CHRISTUS IMPERAT» est on ne peut plus classique, le«Christ vainc, règne, commande». Toutefois, cette légende monétairea fait l’objet de mutations au cours des siècles, variationsapparemment passées inaperçues voire jugées par trop futiles pourêtre confrontées au «pourquoi». Ces évolutions portent sur la façondont le mot «Christ» est représenté et sur l’ordre des deux premiersverbes de la maxime.

1. Première occurrence.Cette légende fut frappée initialement sur la première monnaie d’orroyales française, à savoir le denier d’or à l’écu de Louis IX(Saint Louis)1, et sous une écriture gréco-latine. Ce denier deprestige, non destiné à la circulation, donc rare, porte au droit,dans une rosace, l’écu de France semé de fleurs de lys (d’où ladénomination monétaire d’écu) et au revers une croix feuilluecontournée de quatre fleurs de lys. Cette pièce d’or pur (presque 24carats) taillée sur un pied de 58 au marc devait peser 4.21gr2.

Figure 1 : Denier d'or de Saint Louis (1245)3.Droit Ecu de France, LVDOVICVS : DEI : GRACIA : FRANCOR REX.

Revers : croix feuillue cantonnée de 4 lys, XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT

1 Sans tenir compte du dinar d’or de Saint Louis frappé à St Jean d’Acre avec deslégendes chrétienne écrites en arabe.2 Source : http://www.universalis.fr/encyclopedie/ecu-d-or/ 3 Source http://www.monnaiesroyales.org/pages/louisix.html : exemplaire de laBibliothèque Nationale de France, offert par Mr Claude Cotte le 20 décembre 1960.

La légende du revers est bel et bien gréco-latine puisque XPCrenvoie vers les lettres grecques Chi, Rho, Sigma : Χ Ρ.Les deux premières lettres, Χ Ρ, rappellent sans conteste lechrisme, symbole reconnu comme chrétien et formé par la conjonctiondes lettres Chi et Rho générant ainsi l’abréviation de Christos(Χριστο) pour Christ. Ce signe serait, selon Eusèbe de Césarée,apparu en vision à Constantin à la veille de la bataille du pontMilvius (312 AD) qui enjambe le Tibre et sur lequel Maxence,concurrent à la pourpre impériale, appuyait son dispositif. Retenonségalement que l’historien chrétien rapporte également queConstantin aurait «entendu» également «In hoc signo vinces», par ce signetu vaincras, sentence qu’il fit apposer sur sa bannière avec lemonogramme, au titre de devise. Cette maxime fit d’ailleurségalement l’objet de légendes sur des monnaies du Royaume dePortugal dont elle était la devise héritée de l’Ordre de JésusChrist.

Le chrisme a trouvé, d’abord discrètement, sa place dans le métalmonétaire de Constantin et de ses successeurs. Le monogramme estparfois accompagné des lettre grecques et Ces lettres, quicertes encadrent l'alphabet grec, mais symbolisent aussi latotalité : le commencement et la fin. Par ailleurs, le verbe grecainsi formé par les mêmes lettres, ἄρχω, signifie «diriger, alleren tête».

Figure 2 : Première occurrence d'un chrisme discret sur une médaille frappée à Ticinium en 315 AD.4

Figure 3 : ½ maiorina de Constantin III, le chrisme est sur le labarum

4 Charles Odahl, “Christian Symbols in Military Motifs on Constantine's Coinage,” Society for Ancient Numismatics 13 (1982-1983) : 64-72.

puis dans le champ, pour in fine faire l'objet du revers du double maiorina sous Magnence

frappée à Ambianorum ( Amiens).

Figure 4 : Maiorina de Constance Galle.Dr : D N CONSTANTIVS IVN NOB C

pour Dominus Noster Constantinus Junior Nobilissimus Caesar .Rev : L’empereur tenant le labarum et couronné par une victoire

HOC SIGNO VICTOR ERISI / III SIRM pour sous ce signe tu seras vainqueur / III // Sirmium..

Déjà à l’époque des successeurs de Constantin l’on retrouvait doncla notion du Christ régnant et dirigeant. Sans nous étendre plusavant sur la conversion de Constantin, n’est il cependant pas plusréaliste de considérer qu’il utilisa l’abréviation païenne du motχρηστός (chrêstos), qui signifie «utile, de bon augure» indiquantsoit un souhait soit un commentaire approbateur. Deux constatsviennent en appui de cette position. D’une part le terme de «christ», d’origine grecque et traduction de

l’hébreu pour «messie», (ַַַַַַַַ - mashia'h, celui qui a reçu l’onction divine5)

n’apparaît qu’en 325 AD au Concile de Nicée, donc plus de dix annéesaprès la bataille du pont de Milvius. Le texte original du credo de Césarée en grec en témoigne :

Πιστεύω εἰς ἕνα Θεόν, Πατέρα, Παντοκράτορα, ποιητὴν οὐρανοῦ καὶγῆς, ὁρατῶν τε πάντων καὶ ἀοράτων. Καὶ εἰς ἕνα Κύριον ἸησοῦνΧριστόν, τὸν Υἱὸν τοῦ Θεοῦ τὸν μονογενῆ, ….Credo in unum Deum, Patrem omnipoténtem, factόrem cæli et terræ,visibílium όmnium, et invisibílium. Et in unum Dόminum Iesum Christum,Fílium Dei unigénitum…..

D’autre part la numismatique ptolémaïque nous fournit indirectement,sur le bronze ci-dessous, une preuve de la préexistence de cemonogramme.

Figure 5 : Ptolémée III, AE 44mm, 69.72 gr.

5 Source : Wikipedia.

Droit : Tête de Zeus – Ammon.Revers : Aigle debout à gauche tenant les éclairs dans ses serres,

une corne d’abondance dans le champ et le monogramme Chi Rho ☧ entre les pattes6.

La présence de la marque de contrôle (Chi et Rho superposés) entreles pattes de l’aigle atteste que déjà au troisième siècle avant J.-C. ce monogramme était en usage mais certainement dans une autresignification, vraisemblablement une marque d’approbation ou decontrôle de frappe monétaire.

2. Le grec et le latin se confondent : un amalgame?Il est évident que les lettres grecques Chi Rho ainsi représentéesévoquent les lettres P et X latines. Il n’en faut pas plus pour yvoir, comme le professeur Remo Cacitti7 l’abréviation du mot PAXvoire même de la « PAX ROMANA ». Hasard de l’écriture ou volontédélibérée des successeurs de Constantin cette question est duressort de spécialistes.Mais alors, quelle était cette vision de Constantin dont laconversion fut tardive8 ? L’abréviation d’un mot qui n’existait pasencore, un signe de bonne augure ou la paix, pour laquelle il devaitd’abord vaincre pour régner et l’instaurer? Néanmoins, cette interprétation Chrisme / PAX reste d’actualité. Eneffet, le Chrisme fut le symbole du mouvement «PAX CHRISTI» de sorteque l’homme de la rue, certainement dans nos régions, est convaincuque le chrisme est le symbole de la paix. Néanmoins, serait-ce pouréviter cette assimilation que l’on ajouta la lettre S ?

3. La question de la lettre ou S ?Toutefois, l’adjonction de la lettre sigma pose question.Représente-t-elle la lettre s pour former le mot christos oureprésente-t-elle autre chose? Pourquoi trouve-t-on les troislettres grecques Χ Ρ ς sur les monnaies de Saint Louis alors quel’ajout cette lettre sigma ne lève pas l’ambiguïté christos(Χριστο) ou chrèstos (χρηστός)? Certains y voient l’adjonction d’unserpent comme dans le monogramme ci-dessous.

Figure 6 : Chrisme avec ς .

6Thèse de Maîtrise (Master of Art) de Mr V. Clarck en Chaire d’Histoire de l’Université du Tennessee, Murfreesboro , déc. 2009.7 Spécialiste, professeur à l’université de Milan, de l’étude du christianismeantique dans les sociétés grecques et romaines.8 L’Histoire retient une conversion en 312 mais un baptême sur son lit de mort en331 AD.

Cette approche badine fortement avec les croyances antiques,l’ésotérisme voire l’occultisme. Faut-il y voir une allusion aucaducée d’Esculape, ou à celui d’Hermès? Certains avancent le bâtonde Moïse qui se transforme en serpent ou le signe de reconnaissanceisraélite pour l’ange exterminateur, voire le serpent mercuriel desalchimistes, ou peut être l’oracle de la Pythie ou encore le serpentclérical maçonnique. D’autres, adeptes des convictions araméennes ethébraïques, prétendent qu’il s’agit du serpent de la connaissance.Selon les époques, les religions, les croyances et les endroits, leserpent est soit l’incarnation du mal ou une divinité protectrice.

Figure 7 : Monnaie de Constantin.

Au revers, le labarum planté dans le serpent: que représente ce dernier ? Maxence le fauteur de guerre,

le mal « terrassé » par la paix ?

Deux pistes retiennent néanmoins l’attention car elles sontcohérentes avec l’interprétation chrétienne du monogramme. La première s’inscrit dans la vision chrétienne du chrisme. Ils’agirait d’une allusion au serpent d’airain tel que décrit dans lesversets bibliques suivants :

NOMBRES 21:8 Et l'Eternel, YHWH, dit à Moïse : Fais-toi un serpentbrûlant, et mets-le sur une perche; et il arrivera que quiconque seramordu, et le regardera, sera guéri. NOMBRES 21:9 Moïse donc fit un serpent d'airain, et le mit sur uneperche ; et il arrivait que quand quelque serpent avait mordu un homme,il regardait le serpent d'airain, et il était guéri.

JEAN 3:14 Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, de même ilfaut que le Fils de l'homme soit élevé,JEAN 3:15 Afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait lavie éternelle.

Si cette piste biblique trouve un vaste écho, il en est une plussimple jamais évoquée, à savoir celle des deniers carolingiens dits«deniers au temple» ou encore deniers «XPICTIANA RELIGIO».

Figure 8 Denier de Charlemagne Empereur. Ag, 20 mm, 1.55 grDroit : Buste lauré drapé (C en exergue)

KAROLVS IMP AVG. Revers : Temple tétrastyle XPICTIANA RELIGIO.9

Figure 9 : Louis le Pieux (822 - 855) parfois appelé Le Débonnaire,

denier (Ag, 21mm, 1.35 g, 11h) Atelier de DaxDroit : + HLVDOVVICVS IMP, croix pattée cantonnée.

Revers : + XPISTIANA RELIGIO, temple.10

Figure 10 : Charles le Chauve (840 - 877), denier (Ag, 21mm, 1.61 g, 7h).Droit : + CΛRLVS REX FR, croix pattée cantonnée.

Revers : +PISTIΛNΛ REICIO, temple.11

9 Source : Münzkabinett der Stattliche Museen zu Berlin, 10 http://www.coinarchives.com/w/results.php?search=denier+patt%C3%A9e&s=0&results=100 11 Id

Figure 11 : Lambert de Spolète12 (empereur d’Occident 892- 896), denier (Ag, 23 mm, 1.44 g, 2h) Atelier de Milan.

Droit : + LΛMĐERTV (S rétrograde) IMPE, croix pattée cantonnée.Revers : ++PIITIΛNΛ RELIGIO, (O pointé) temple.13

L’examen des deniers carolingiens «XPIS(C)TIANA RELIGIO », dontl’échantillon présenté ci-dessus est extrait, permet de conclurequ’à l’époque la différence entre Ρ (Rho) et R était bel et bienconnue. En d’autres termes, il y avait une volonté d’utiliser lesdeux lettres du chrisme pour écrire «christiana religio», traductionlatine de «religion chrétienne». A noter également le remplacementde la lettre grecque ς , présente sur le denier de Charlemagne parla lettre latine S, ce qui tend à démontrer que cette lettre n’aqu’une importance phonétique ou syntaxique, dénonçant ainsil’interprétation biblique dont question ci-dessus.

Figure 12 : Denier de Charles le Chauve, Ag , 21 mm14

Droit : CARLVS REX FR (entre 843 et 875)

Cette légende reflète les liens tissés depuis Pépin le Bref entre lePape menacé par les Lombards et de plus en plus opposé à l’Empereurd’Orient, et la royauté franque, cette dernière destinée à occuperune position entre le représentant de Dieu sur terre et les hommesen échange de la protection du souverain pontife.

4. Quid des monnaies mérovingiennes ?Le chrisme apparaît-il sur des monnaies mérovingiennes? Similitudeil y a, mais la pauvre qualité de frappe, l’épigraphie mal soignéeet peu explicite, rendent attribution et identification souventhypothétiques. Ainsi, concernant l’étoile à six branches quiapparaît sur certaines saigas ou les croix ancrées sur les monnaiesd’or, peut on tout au plus observer une ressemblance avec le chrismeou plutôt une certaine dégénérescence de ce dernier. La probabilitéque ce symbole chrétien ait fait l’objet d’empreintes monétaires

12 Lambert de Spolète, également roi d’Italie et duc de Spolète était bel et biend’ascendance carolingienne par son arrière grand-mère, fille de Lothaire Ier 13 Id14 http://www.cosmovisions.com/numismatiqueFranceChrono.htm

stylisées dans nos régions dès le VIIème siècle est possible mais nonprouvée. 15

☧Figure 13 : Denier à la croix de Chalon sur Saône. (E = x2 )

VIIIème siècle, Ag, 11 mm, 1.23 gr.Droit :  Croix à six branches dans un grènetis ; légende circulaire illisible.

Revers : Croix cantonnée, CA-BIL-ON-NOSource : CGB

Figure 14 : Triens, VIIème siècle, Au, 1.34 cm, 1.21 gr. (E = x2 )Droit :  Buste très stylisé à droite, SALAR BRIPUS ;

Revers : Croix ancrée sur un globe, + LPOM (...) SEGOV (?) Source : CGB16

5. Acception de la maxime XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT« XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT» ; pour peu que l’on examine la vie deLouis IX, l’adoption d’une telle maxime christologique ressorti auchoix naturel de la part d’un prince aussi pieux. Mais d’où provientcette sentence? A nouveau il faut se retourner vers l’époquecarolingienne et spécifiquement vers certains chants liturgiquesreprenant une longue série d’acclamations en l’honneur du souverain,accompagnées de demande d’intercessions des saints en sa faveur. Enparticulier les «Laudes Regia» qui, en parallèle avec les «ordines»,règlent le déroulement des couronnements et messes votives enl’honneur du pape, des empereurs et des rois de France. Selon lestravaux d’Ernst H. Kantorowitz17 ces chants, en Gaule franque,

15 En poussant le raisonnement à l’extrême, l’on pourrait même voir dans le symbole☧une mutation de la croix égyptienne Ankh.16 L’atelier serait soit SALVIACVS VICVS pour Sauvat ( Haute Vienne) ou SALVINIACVSVICUS pour Sauvigny ( Indre et Loire) selon CGB.17 Ernst H. Kantorowicz, Laudes Regiae : une étude des acclamations liturgiques et du culte du souverainau Moyen Âge, Paris, Fayard, 2004 (trad. française de l’ouvrage paru à Berkeley en1946 sous le titre : A Study in Liturgical Acclamations and Mediaeval Ruler Worship). Historienmédiéviste allemand d'origine juive, émigré eu Angleterre puis aux Etats-Unis, ErnstH Kantorowicz (1895-1963) fut l'un des grands érudits du XXe siècle. Il a renouveléen profondeur l'histoire institutionnelle, pratiquant une inter discipline intégréequi combine les données théologiques et liturgiques, économiques, esthétiques etjuridiques en une synthèse où la réalité et la symbolique du politique serejoignent.

allieraient d’une part le rituel de la cérémonie d’acclamations desempereurs romains victorieux et d’autre part les invocationsliturgiques aux saints (litanie, rogations) adoptées par la liturgieromaine dès le VIIIème siècle. Il est intéressant de noterqu’initialement ces «Laudes Regia» ne se rapportaient qu’au Christ Roiavant d’être destinées aux papes et souverains qui furent d’abordassociés dans un seul et même texte avant d’être dissociés au XIIIème

siècle, témoin de l’affranchissement, timide certes, de la tutellepontificale18. Le Liber Pontificalis nous rapporte que tout le peupleprésent au sacre de Charlemagne chanta des laudes, dont lesmanuscrits carolingiens gardent encore le texte19.

Christus vincit , Christus regnat, Christus imperat

Rex regum, Christus vincitRex noster, Christus regnat

Spes nostra, Christus imperat…

Le Christ est vainqueur, leChrist règne, le Christ a

l’empireRoi des rois, le Christ est

vainqueurNotre Roi, le Christ règneNotre Espérance, le Christ a

l’empire…

Transmises à la dynastie capétienne, les «Laudes regia» sont donc néeslors du rétablissement de l’empire et associent dans ce contexte lahiérarchie temporelle, la hiérarchie céleste (Dieu et ses saints),mais aussi la hiérarchie de l’Eglise (le pape). On peut ainsi y voirle fondement de la double personnalité du roi ou de l’empereur, unepersonne physique et celle du «fils aîné de l’Eglise, défenseur de l’Eglise romaine»par la grâce de Dieu (d’où la mention Dei Gratia dans lestitulatures royales en légendes des avers monétaires) qui comme telse reconnaît, ainsi que son peuple, sujets du Christ Roi.

On ne peut cependant pas passer sous silence l’ambiguïté de lamaxime «XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT», en effet, si les chrétiens, suiteaux convictions reconnues durant différents conciles depuis celui deNicée, reconnaissent Jésus Christ dans l’abréviation XPC, rappelonsque le mot «christ» signifie à l’origine « celui qui a reçul’onction divine », … la relation avec le sacre des rois et desempereurs est obvie.

Avec une telle légende monétaire, affirmation de la royauté de droitdivin, il n’est guère surprenant qu’elle fut reproduite par tous les

18 Les laudes  ont été chantées en 2005, lors de la messe d’inauguration dupontificat de Benoît XVI.19 Duchesne, Liber Pontificalis, II, 37. D’après le manuscrit 13159 de la BibliothèqueNationale de France.

rois de France20 dans l’or monétaire au cours des siècles jusqu’à laRévolution et même par Henri V d’Angleterre (le vainqueurd’Azincourt et l’époux de Catherine de Valois) et Henri VI deLancastre sous la tutelle du duc de Bedford.

6. Les mutations.C’est durant le règne de Louis XI qu’intervient la premièremodification de la légende, à savoir l’abandon définitif du sigmagrec () et son remplacement par la lettre S. Il est difficile debien cerner l’année de transition estimée entre 1461 et 1475. Ainsi,par exemple l’on retrouve le changement de lettre sur les deuxseules émissions de l’écu d’or à la couronne (avec une diminution demasse de 4 cgr). De même pour l’écu d’or au soleil ou la lettre S deXPS apparait sur l’émission de 1475.

Figure 15 : Les deux émissions de l'écu d'or à la couronne.21

Droit : (couronne) LVDOVICVS° DEI° GRA° FRAnCOR° REX, Écu de France couronné accosté de deux lis couronnés.

(Louis, par la grâce de Dieu, roi des Francs)Revers 1 : XPC° VINCIT° XPC° REGNAT° XPC° IMPERAT.Revers 2 : XPS° VInCIT° XPS° REGnAT° XPS° ImPERAT.

Figure 16 : Deux écus d'or au soleil. Droit LVDOVICVS°DEI°GRA°FRANCOR°REX

 Écu de France couronné sommé d'un soleil (Louis, par la grâce de Dieu, roi des Francs)Revers 1 : XPC VINCIT° XPC REGNAT°XPC IMPERATRevers 2 : XPS VINCIT° XPS REGNAT°XPS IMPERATCroix fleurdelisée avec quadrilobe en cœur.

20 Excepté les Henri d’or sous Henri II et François II.21 Sources : respectivement MA Shop (Alain Cheilan) et CGB

Le changement le plus important dans le libellé de la légendeconsiste en la suppression des caractères grecs et leur remplacementpar CHRIST(V) (ou CHRS) ainsi qu’en l’inversion des deux premiersverbes, de sorte que, de «XPC VINCIT (XPC) REGNAT (XPC) IMPERAT», l’on passeà «CHRISTV (ou CHRS) REGNAT VINCIT (et) IMPERAT». Parfois attribué, à tort,à CHARLES I de BOURBON, cardinal de Vendôme, fils puiné du frère dupère d’Henri IV et un temps proclamé roi de France par la Ligue sousle nom de Charles X, c’est pourtant sous Charles IX que se produisitle changement, les dates sur les monnaies en témoignent,certainement à partir de 1562.

Figure 17 : Ecu d'or au Soleil, Charles IX, 1567 (Au, 3.31 gr , 24 mm)22. Droit : CAROLVS. VIIII. D. G. FRANCORVM. REX. MDLXVII

Ecu de France couronné Revers : + CHRISTVS. REGNAT. VINCIT. ET. IMPERA.

Croix fleurdelisée avec un losange et la lettre d'atelier H pour La Rochelle.23

L’absence de toutes explications quant à cette nouvelle formulationsemble attester d’une variante uniquement syntaxique. Néanmoins, àla lumière des événements qui perturbent le royaume de France durantla régence de Catherine de Médicis pour son fils le jeune CharlesIX24, il n’est pas interdit d’y voir une allusion à la situationtroublée du pays (voire de l’Europe), qui malgré quelquesconciliations, conduira au massacre de la Saint Barthélemy et plustard à la révocation de l’Edit de Nantes. Catherine de Médicispréconisant une politique de paix, prône la mission divine dusouverain pour faire régner l'harmonie dans son royaume.  Ce faisantelle se distancie des partisans de la «conception romaine» médiévaleet conservatrice fondée sur le pouvoir pontifical, qui lors de laseconde session du Concile de Trente (1562–1563) entendents’attaquer aux abus des princes et n’hésitent pas à prononcerl’anathème contre les hérétiques, sous entendu les protestants.22 http://www.sixbid.com/browse.html?auction=368&category=6700&lot=326388 23 Le siège de La Rochelle, foyer du protestantisme, débutera en 1573, suite aumassacre de la Saint Barthélemy en 1572.24 Outre la montée de la religion réformée, il faut également souligner la querellequi oppose la riche et noble famille des Guise, descendant des rois carolingiens auroi de France, Valois et descendant de Saint Louis.

Paradoxalement, les édits de tolérances25 promulgués par Catherine deMédicis attisent plutôt la haine entre les catholiques et lesprotestants, tant il est vrai que l'esprit de tolérance ne dépassepas le cercle restreint des milieux cultivés26. Manifestation subtilede cette distanciation, la Régente fait aliéner une partie des biensdu clergé catholique le 13 mai 1563. Cette mesure très contestéemais profitable pour couvrir une partie des frais de guerre, varapporter 94 millions de livres en cinq ans. Elle préfigure lanationalisation des biens du clergé par les députés de laConstituante deux siècles plus tard puis la séparation de l’Egliseet de l’Etat. Par son attitude, Catherine de Médicis soutient que laloi n’est pas faite pour imposer des vertus, sentiments, convictionsou révélations mais pour régner, vaincre les résistances et doncaccroître le pouvoir du roi qui arrête sa volonté après avoir bienévalué la situation réelle … régner pour vaincre et commander.

7. Conclusions«XPC VINCIT XPC REGNAT XPC IMPERAT» apparaît comme légende de la monnaied’or royales françaises à partir de Saint Louis. Cette formule quel’on développe en «le Christ vainc, le Christ règne, le Christcommande», trouve son origine dans l’antiquité tardive. Tellementutilisée au cours de siècles, elle en est devenue classique et peudigne d’intérêt. Pourtant plusieurs questions n’ont trouvé réponses.Ainsi la présence pendant trois siècles de lettres grecques en débutde légende latine, force à remonter jusqu’à l’époque de Constantinet du chrisme dont l’origine chrétienne est contredite par laconfrontation chronologique et l’existence de symboles identiquesdans la numismatique ptolémaïque. Les trois lettres Chi, Rho etSigma, apparaissent dans nos régions vraisemblablement sur lenuméraire carolingien. Une occurrence sur les monnaies mérovingienneest possible quoique non avérée.

Si le latin ne pose pas de problème d’acceptation quant à la langue,puisque c’est, au moyen âge, le langage administratif, la présencedu S ou d’un sigma grec () ne s’explique pas tant lesinterprétations sont multiples. Toutefois la lettre S (XPS) segénéralise à partir de Louis XI.

Christus vincit , Christus regnat, Christus imperat est une acclamation reprise dansles «Laudes regia » et entonnée depuis Charlemagne lors du couronnementdes empereurs, des papes et des rois de France. Cette louange

25 Edit de janvier 1562, suivi de celui de mars 1563, connu sous le nom de « paixd’Amboise ».26 Plus tard, sous Henri III, le peuple et la bourgeoisie manifesteront égalementplus de tolérance car, contrairement au clergé et à la noblesse ils supportent lesfrais et impôts des guerres de religion.

allierait d’une part le rituel de la cérémonie d’acclamations desempereurs romains victorieux et d’autre part des invocations auxsaints adoptées par la liturgie romaine dès le VIIIème siècle.

C’est sous la régence de Catherine de Médicis qu’apparaît unenouvelle construction de la légende, à savoir, «CHRS REGNAT VINCITIMPERAT». Ce changement est apparemment passé inaperçu. Néanmoins,placée à lumière des événements opposant catholiques et protestantset les décisions du Concile de Trente, la syntaxe revisitée de cettemaxime dénonce une distanciation du pouvoir royal par rapport à uneconception romaine jugée par trop intolérante. Pour Catherine deMédicis, le Roi doit régner pour vaincre les résistances et arrêtersa volonté par la loi, fondée sur la réalité de la situation.

La maxime CHRS REGNAT VINCIT IMPERAT demeurera inchangée dans sa syntaxepour disparaître de l’or monétaire français en 1792 et laisser laplace à la légende constitutionnelle LA NATION LA LOI LE ROI.

En les replaçant dans leur exacte perspective chronologique, leslégendes monétaires peuvent, au-delà de la simple traduction,dégager des interprétations ou pistes de réflexions. Telle l’étudedes astres et des étoiles suscitant questions et connaissance del’univers, l’étude des monnaies dévoile des énigmes et participe àla compréhension de notre passé.

Vilvoorde ce 31 décembre 2014.