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XVII e siècle, n° 249, 62 e année, n° 4-2010 Familles et parrainages : l’exemple d’Aubervilliers entre les xvi e et xvii e siècles Les historiens de la famille, à la suite des travaux de démographie historique des années 1970 et 1980, ont peu à peu exploré les relations interpersonnelles à l’intérieur de la famille conjugale dominante en Europe du nord-ouest, celles qui existaient entre les époux 1 , entre les parents et les enfants 2 puis enfin plus récem- ment entre frères et sœurs 3 Au-delà de ce premier cercle, d’autres se sont intéressés à la place et les fonctions des grands-parents, des oncles et tantes, convoquant enfin l’ensemble du réseau familial 4 Outre la consanguinité et l’alliance qui organisent la parenté, la famille chrétienne médiévale et moderne reconnaît un autre type de parenté, dite parfois pseudo-parenté, ou parenté artificielle par les anthropolo- gues ou historiens, créée par le baptême des enfants Depuis les v e -vi e siècles, les nouveau-nés sont dotés rituellement d’un ou plusieurs parrains et/ou marraines au moment du rite de purification et d’agrégation à la communauté des chrétiens qu’est le baptême 5 Du sacrement naît une relation spirituelle de parrainage, entre parrain et filleul, de compérage entre parrains et parents de l’enfant, de fraternité 1 Alain Lottin et alii, La Désunion des couples : l’exemple du Nord, Paris, édition universitaire, 1975 ; et plus récemment Agnès Walch, Histoire du couple en France de la Renaissance à nos jours, Rennes, Ouest-France, 2003 ; Maurice Daumas, Le Mariage amoureux, histoire du lien conjugal sous l’ancien régime, Paris, Armand Colin, 2004 2 Philippe Ariès, L’Enfance et la vie familiale, Paris, Plon, 1960 (réédit) ; Linda Pollock, A Lasting Relationship. Parents and Children over three Centuries, Hanover London, University Press of New England, 1987 ; Steven Ozment, Ancestors, the Loving Family in Old Europe, Cambridge- London, Harvard University Press, 2001 ; et pour s’en tenir aux pères et mères : Jean Delumeau et Daniel Roche, édit, Histoire des pères et de la paternité, Paris, édition augmentée 2000 (1 re éd 1990) ; Yvonne Knibiehler et Catherine Fouquet, L’Histoire des mères du Moyen Âge à nos jours, Paris, Montalba, 1980 ; Giulia Calvi, Il contratto morale. Madri et figli nellaToscana moderna, Rome-Bari, Laterza, 1994 3 Didier Lett, Histoire des frères et sœurs, Paris, La Martinière, 2004 4 Vincent Gourdon, Histoire des grands-parents, Paris, Perrin, 2001 ; Marion Trevisi, Au cœur de la parenté, oncles et tantes dans la France des Lumières, Paris, pups, 2008 5 Abbé Jules Corblet, Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement de baptême, Paris, V Palmé, vol 2, 1882, p 175-176 ; Anita Guerreau-Jalabert, « Sur les structures de la parenté dans l’Europe médiévale », Annales ESC, 1981, 36, n o 6, p 1035 ; Joseph H Lynch, Godparents and Kinship in Early Medieval Europe, Princeton, Princeton University Press, 1986, p 169-192

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XVIIe siècle, n° 249, 62e année, n° 4-2010

Familles et parrainages : l’exemple d’Aubervilliers entre les xvie

et xviie siècles

camille Berteau, Vincent Gourdon, Isabelle Robin-Romero

les historiens de la famille, à la suite des travaux de démographie historique des années 1970 et 1980, ont peu à peu exploré les relations interpersonnelles à l’intérieur de la famille conjugale dominante en europe du nord-ouest, celles qui existaient entre les époux1, entre les parents et les enfants2 puis enfin plus récem-ment entre frères et sœurs3 . Au-delà de ce premier cercle, d’autres se sont intéressés à la place et les fonctions des grands-parents, des oncles et tantes, convoquant enfin l’ensemble du réseau familial4 . Outre la consanguinité et l’alliance qui organisent la parenté, la famille chrétienne médiévale et moderne reconnaît un autre type de parenté, dite parfois pseudo-parenté, ou parenté artificielle par les anthropolo-gues ou historiens, créée par le baptême des enfants . Depuis les ve-vie siècles, les nouveau-nés sont dotés rituellement d’un ou plusieurs parrains et/ou marraines au moment du rite de purification et d’agrégation à la communauté des chrétiens qu’est le baptême5 . Du sacrement naît une relation spirituelle de parrainage, entre parrain et filleul, de compérage entre parrains et parents de l’enfant, de fraternité

1 . Alain lottin et alii, La Désunion des couples : l’exemple du Nord, Paris, édition universitaire, 1975 ; et plus récemment Agnès Walch, Histoire du couple en France de la Renaissance à nos jours, Rennes, Ouest-France, 2003 ; Maurice Daumas, Le Mariage amoureux, histoire du lien conjugal sous l’ancien régime, Paris, Armand colin, 2004 .

2 . Philippe Ariès, L’Enfance et la vie familiale, Paris, Plon, 1960 (réédit .) ; linda Pollock, A Lasting Relationship. Parents and Children over three Centuries, Hanover london, University Press of New england, 1987 ; steven Ozment, Ancestors, the Loving Family in Old Europe, cambridge-london, Harvard University Press, 2001 ; et pour s’en tenir aux pères et mères : Jean Delumeau et Daniel Roche, édit ., Histoire des pères et de la paternité, Paris, édition augmentée 2000 (1re éd . 1990) ; Yvonne Knibiehler et catherine Fouquet, L’Histoire des mères du Moyen Âge à nos jours, Paris, Montalba, 1980 ; Giulia calvi, Il contratto morale. Madri et figli nellaToscana moderna, Rome-Bari, laterza, 1994 .

3 . Didier lett, Histoire des frères et sœurs, Paris, la Martinière, 2004 .4 . Vincent Gourdon, Histoire des grands-parents, Paris, Perrin, 2001 ; Marion Trevisi, Au cœur de

la parenté, oncles et tantes dans la France des Lumières, Paris, pups, 2008 .5 . Abbé Jules corblet, Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement de baptême,

Paris, V . Palmé, vol . 2, 1882, p . 175-176 ; Anita Guerreau-Jalabert, « sur les structures de la parenté dans l’europe médiévale », Annales esc, 1981, 36, no 6, p . 1035 ; Joseph H . lynch, Godparents and Kinship in Early Medieval Europe, Princeton, Princeton University Press, 1986, p . 169-192 .

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spirituelle, entre le filleul et les enfants des parrains qui fort logiquement s’accom-pagne d’interdits de mariage afin d’éviter l’inceste spirituel6 . selon les conceptions de l’Église, la parenté baptismale dégagée de tout péché est supérieure aux liens du sang et de l’alliance auxquels elle s’ajoute en élargissant le réseau de l’enfant, mais qu’elle peut parfois doubler si le parrain ou la marraine sont déjà alliés ou consan-guins du nouveau-né7 .

les études sur le parrainage et le compérage au Moyen Âge et jusqu’au xvie siè-cle ont souligné l’importance de cette parenté baptismale dans la société et étu-dié les stratégies relationnelles fondées sur ce sacrement . le choix exercé par les parents est créateur de lien social et tout baptême constitue une occasion nouvelle pour un couple de nommer un ou des parrains et marraines pour por-ter leur enfant sur les fonts baptismaux . On constate, sans que l’on puisse dater l’apparition du phénomène, que, échappant au contrôle de l’Église qui souhaite limiter le nombre de parents spirituels à un, deux ou trois, les fidèles ont parfois eu tendance à multiplier les parrainages pour chacun de leurs enfants . Il n’est pas rare de rencontrer des enfants qui, comme Jeanne d’Arc, sont dotés de nombreux parrains des deux sexes - cinq selon ses dires au procès, six selon certains témoins interrogés vingt ans après son exécution8 . Un modèle ternaire de parrainage est, semble-t-il, fréquent en France, en Angleterre, ainsi que dans l’europe du nord : les garçons recevant deux parrains et une marraine et les filles deux marraines et un parrain9 . Dans l’europe du sud et en partie en Allemagne, la propension à la multiplication des parrains et marraines est plus nette . À Florence au xve siècle, 8 % des enfants ont trois parents spirituels et 18 % au moins quatre, avec un net avantage donné aux garçons plus richement dotés en parrains que leurs sœurs moins considérées10 . G . Alfani a montré qu’une telle pratique était bien implan-tée dans certaines régions d’Italie septentrionale avant les années 1560 . Ainsi à Bellano en lombardie, un enfant sur quatre a au moins quatre parrains, un sur

6 . Jean Gaudemet, Le Mariage en Occident, Paris, cerf, 1987, p . 209-211 ; J . H . lynch, Godparents …op. cit., p 201-204 ; Guido Alfani, Padri, padrini, patroni. La parentela spirituale nella storia, Venise, Marsilio, 2006, p . 36 sq .

7 . John Bossy, « Godparenthood : the Fortunes of a social Institution in early Modern christianity », in Kaspar Von Greyerz éd ., Religion and Society in Early Modern Europe 1500-1800, london, G . Allen et Unwin,1984, p . 197 ; abbé Jules corblet, op. cit., vol . 2, p . 184 .

8 . Bernhard Jussen, « le parrainage à la fin du Moyen Âge : savoir public, attentes théologiques et usages sociaux », Annales esc, 1992, 47, no 2, p . 473 sq .

9 . Guido Alfani, « I padrini : patroni o parenti? Tendenze di fondo nella selezione dei parenti spiri-tuali in europa (xv-xxe secolo) », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, coloquios, 2008, p . 4 . Pour la France, voir par exemple le synodal de Bordeaux (1234) in Odette Pontal, Les Statuts synodaux français du xiiie siècle, t . II, les statuts de 1230 à 1260, Paris cths, 1983, p . 47 ; les statuts d’Arras de 1350-1354 étudiés par B . Delmaire, « le livre de famille des le Borgne (Arras 1347-1538) contribution à la démo-graphie historique médiévale », Revue du Nord, 1983, 65, no 257, p . 308 ou enfin ceux de Paris au début du xiiie siècle, Actes de l’Église de Paris touchant la discipline et l’administration, publiés par l’ordre de Mgr sibour, Paris, Imprimerie J . P . Migne, 1854, p . 85 .

10 . christiane Klapisch-Zuber, « Parrains et filleuls : une approche comparée de la France, de l’An-gleterre et l’Italie médiévales », in La Maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, ehess, 1990, p . 113 .

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cinq quatre marraines et plus dans la première moitié du xvie siècle11 ; à la même époque, à Ivrée en Piémont, la présence d’au moins quatre parrains est requise dans 19 % des baptêmes ; mais les parents marquent une nette préférence pour un parrainage masculin, en effet, les bébés ne sont dotés d’au moins 4 marraines que dans 5 % des cas12 . l’analyse détaillée des stratégies mises en place par les habitants de cette petite ville révèle que, par ce biais, les parents officialisent des relations avec des amis, des voisins, des relations de travail, ou bien s’effor-cent d’obtenir la protection d’un plus puissant, ou bien encore renforcent leurs échanges avec leurs consanguins et affins . Avec le multi-parrainage, les habitants d’Ivrée peuvent envisager de mener plusieurs stratégies de front afin de compo-ser un réseau social différencié mêlant parents et étrangers à la famille, égaux et personnalités d’un rang supérieur . Toutefois ce modèle de parrainage n’est pas dominant partout . Bien au contraire, il faut souligner la très grande disparité des usages locaux sur le nombre, le sexe des parents spirituels, sur les choix préféren-tiels dans ou hors du groupe des parents, parmi ses égaux ou dans des groupes socialement différents13 . À Porrentruy au xve comme à Marseille au début du siècle suivant, les enfants ont un couple de parents spirituels pris de préférence à l’extérieur de la parenté14 . À Florence, les parrains en nombre variable selon les enfants sont le plus souvent des individus non-apparentés, ce qui fait du compérage un élément essentiel des liens d’amitié et un instrument au service de l’influence sociale des parents15 .

Dans les pays restés catholiques après l’apparition des églises protestantes, les pratiques sociales autour du baptême sont amenées à se transformer en profon-deur à partir de la seconde moitié du xvie siècle, sous la très forte impulsion de la réforme tridentine . l’Église s’est alors efforcée d’imposer à tous les fidèles les règles et conditions du parrainage qui avaient été définies dans les canons conci-liaires . Deux éléments importants pour l’histoire sociale du baptême doivent être retenus . Premièrement, la parenté spirituelle ressort amoindrie des discussions des prélats . Alors que dans les usages locaux, on avait parfois développé une conception très large des liens fondés par le baptême d’un enfant qui pouvaient comprendre les conjoints et les descendants des parrains et marraines, comme des père et mère16, les canons de 1563 reviennent à une définition plus limitée de

11 . G . Alfani, op. cit., p . 53 . À Bellano, on compte en moyenne 2,86 parrains par baptême et 2,35 marraines .

12 . Idem, à Ivrée, les moyennes de 2,55 parrains et 1, 27 marraines par enfant cachent un multi-parrainage déjà en léger recul depuis 1473, date des premiers enregistrements de baptêmes .

13 . B . Jussen, art . cit ., s’efforce de synthétiser cette variété des pratiques médiévales, p . 469-470 . 14 . Pierre Pegeot, « Un exemple de parenté baptismale à la fin du Moyen-Âge, Porrentruy, 1482-

1500 », in Les Entrées dans la vie, initiations et apprentissages, actes du xiie congrès de la société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement supérieur Public, (Nancy, 1981), 1982, p . 53-70 ; christian Maurel, « Prénomination et parenté baptismale du Moyen Âge à la contre-Réforme . Modèle religieux et logi-ques familiales », Revue de l’histoire des religions, 1992, 209/no 4, p . 393-412 .

15 . christiane Klapisch-Zuber, « compérage et clientélisme à Florence (1360-1520) », Ricerche sto-riche, 1985, 15, no 1, repris dans La Maison et le nom, op. cit., p . 127 .

16 . en 1355, le concile de Prague avait d’ailleurs encore élargi les cas d’empêchements reconnus . Désormais la parenté spirituelle pouvait être aussi indirecte et concerner les descendants du parrain et du filleul (voir G . Alfani, op. cit., p . 43) .

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la parenté baptismale qui ne concerne plus que les parrains et les parents d’une part, les parrains et leur filleul(e) d’autre part, le baptisant et le baptisé enfin ; ce faisant, ils réduisent aussi les interdits de mariage . Deuxièmement, reprenant des injonctions longuement mais souvent inutilement répétées depuis des siècles dans différents textes17, l’Église promeut un modèle de parrainage restreint . les parents doivent choisir un parrain unique ou bien un couple de parents spi-rituels . Au passage, la mission d’éducation religieuse des parents spirituels est rappelée .

les efforts de la papauté, du concile, relayés par le travail pastoral des évê-ques et des clercs dans les paroisses enclenchent une lente transformation des usages du parrainage et leur progressive uniformisation en des temps et ryth-mes propres à chaque lieu . G . Alfani en a montré les modalités – y compris les résistances des populations – et les calendriers pour l’Italie du Nord18 . On peut supposer que la France, où les pratiques étaient aussi très variées, a connu une telle transformation avec un décalage temporel, puisque l’application du concile a été longtemps retardée dans le royaume . De la même façon, il a fallu compter avec les refus d’obtempérer des fidèles . On repère quelques indices de cette mutation dans des études monographiques . Au Mans, les enfants de la famille Bodreau sont tous portés sur les fonts par un seul parrain et une seule marraine à partir de 1589 . Dans leur paroisse, les registres montrent que bon nombre de parents sont fidèles aux trois parrains et marraines du modèle ter-naire jusqu’en 1600, date à laquelle tous les baptêmes deviennent conformes à la nouvelle règle tridentine qui avait pourtant été édictée par le concile provincial de Tours dès 1583, puis rappelée par l’évêque en 1588 et 159819 . Autre lieu, autre temporalité : dans deux paroisses d’Orléans, sainte-catherine et saint-Benoît, les premiers signes du changement sont notables en 1610, mais l’adop-tion de la règle par tous n’intervient qu’en 163220 . cette mutation de la norme et des pratiques, suggère Alfani à partir de ses exemples italiens, introduit une tendance forte à la verticalisation du parrainage qui ne semble pas favoriser le choix familial .

Hormis pour les parents naturels des enfants, l’Église n’a pas édicté de règle en faveur d’une stricte séparation entre alliés, consanguins et famille spirituelle . sur la question du mariage, on sait qu’elle recommande l’exogamie, conforme à son intention de création de liens de paix dans la société ; on peut penser que

17 . le concile de Metz en 888 avait fixé le nombre de parrain à un ; selon le décret de Gratien vers 1140, chaque chrétien a « un parrain particulier et pour le catéchuménat, et pour le bap-tême et pour la confirmation », cité par Didier lett, Familles et parenté dans l’Occident médiéval, ve-xve siècle, Paris, Hachette, 2000, p . 72 . Dans les diocèses français, on s’est également efforcé d’intervenir pour restreindre le nombre des parents spirituels en reprenant parfois ce modèle du parrain unique comme à sisteron dans les statuts de 1249, à Nîmes dans le livre synodal de 1252, art . 13 (voir Odette Pontal, Les Statuts synodaux français du xiiie siècle, t . II, les statuts de 1230 à 1260, Paris, cths, 1983) .

18 . G . Alfani, op. cit. chap . V .19 . Martine Barilly-leguy, Le Livre de mes anciens grands-pères, Rennes, Presses universitaires de

Rennes, 2006, p . 409-410 .20 . Isabelle séguy, La Population d’Orléans aux xvie et xviie siècles, 1525-1670, Maîtrise d’histoire de

Paris I sous la direction de Marcel lachiver, 1979, p . 124-125 .

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sa position implicite n’est pas radicalement différente pour le parrainage qui, au fond, ressort de la même stratégie relationnelle . Ne sont exclus de façon claire par les textes que les père et mère du baptisé qui, en tant que responsables de la transmission du péché originel, ne peuvent prétendre à cette parenté, gage d’une renaissance pure et spirituelle21 . lors des discussions du concile de Trente, le choix dans la famille n’est pas mentionné dans la liste des abus que l’on vou-drait combattre22 . le choix du parrain dans la parenté, ni encouragé, ni vrai-ment interdit, relève essentiellement des pratiques sociales . les études portant sur la fin du Moyen-Âge et le xvie siècle concluent cependant à la place généra-lement limitée des consanguins et des alliés dans le réseau de parrainage23 . en France, on manque d’études sérielles sur les registres de baptême, encore peu nombreux en cette fin de Moyen Âge, tandis que les livres de raison familiaux des représentants des élites nous fournissent des indications ponctuelles parfois contradictoires . chez louis Merles à Avignon, on compte peu de parents parmi les parrains24 mais à l’inverse, les le Borgne d’Arras nomment la moitié des parrains et le tiers des marraines dans leur parenté25 . selon l’hypothèse la plus communément partagée, l’époque moderne, en France comme en europe, serait celle de la lente transformation du parrainage extra-familial en un parrainage plus replié sur le cercle des parents, une mutation dont les chronologies fines restent cependant encore à cerner26 . Ajoutons que cette évolution se serait faite hors de toute contrainte émise par l’Église en la matière .

Dans cette longue histoire du parrainage familial, dont on ne pressent encore que les grandes lignes, nous nous proposons d’observer les choix des parents à

21 . le texte de référence est celui des canons du concile de Mayence en 813 qui interdit aux parents d’être les parrains de leur progéniture . certains usaient de cette pratique pour obtenir la séparation d’avec leur époux(se) devenu(e) ainsi compère ou commère et avec lesquels tout commerce charnel devenait ainsi illicite, d’autres ayant dû procéder au baptême en urgence de leur enfant se retrouvaient liés par une parenté spirituelle qui les obligeait à se séparer . Voir Agnès Fine, Parrains, marraines. La Parenté spirituelle en Europe, Paris, Fayard, 1994, p . 22 ; D . lett, Familles et parenté dans l’Occident médiéval, op. cit, p . 70 ; Michel Rubellin, « le baptême à l’époque carolingienne », in Les Entrées dans la vie, initiations et apprentissages. Actes du XIIe congrès de la société des Historiens Médiévistes de l’Enseigne-ment supérieur Public, (Nancy, 1981), 1982, p . 48-49 .

22 . G . Alfani, op. cit., p . 97-99 .23 . c . Klapisch-Zuber, « Parrains et filleuls… », art . cit ., p . 112-113 ; Philip Niles, « Baptism

and the Naming of children in late Medieval england », Medieval Prosopography, 1982, 3, no 1, p . 95-107 (repris dans Studies on the Personal Name, David Postles et Joel T . Rosenthal (éd .), 2006, Kalamazoo, Western Michigan University, p . 147-157) ; Michaël Bennett, « spiritual Kinship and the Baptismal Name in Traditionnal society », in Principalities, Power and Estates: Studies in Medieval and Early Modern Governement and Society, l . O . Frappell, Adelaide, 1979, p . 1-13 (repris dans Studies on the Personal Name, David Postles et Joel T . Rosenthal (éd .), 2006, Kalamazoo, Western Michigan University, p . 115-146) ; P . Pegeot, art . cit ., p . 65-66 .

24 . e . de Balincourt, Deux livres de raison au xve siècle. Les Merles de Beauchamps, Nîmes, A . chastanier et successeurs, 1903, p . 13-17 .

25 . B . Delmaire, art . cit ., p . 308-310 .26 . André Burguière, « Prénom et parenté », in Le Prénom, mode et histoire, entretiens de Malher 1980,

Jacques Dupâquier, Alain Bideau, Marie-Élisabeth Ducreux (dir .), Paris, ehess, 1984, p . 31 ; Alain collomp, « Un stock de prénoms dans deux groupes de villages de Haute-Provence, de 1630 à 1770 », in Le Prénom, mode et histoire… p . 175 ; c . Maurel, art . cit ., p . 408-409 ; Guido Alfani, « I padrini : patroni o parenti? . . . », art . cit ., p . 2 .

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Aubervilliers dont l’histoire particulière de la paroisse et l’état de conservation des registres font un objet d’étude intéressant27 . entre xvie et xviie siècles, au moment même où la normalisation du parrainage sous la direction des clercs se mettait en place, nous interrogerons la place de la parenté parmi les parrains et marraines et celle de certaines familles en tentant de distinguer l’avant et l’après de la réforme catholique . s’agissait-il à l’occasion d’un baptême de renforcer des liens familiaux ou bien de tisser de nouvelles relations avec des individus qui au travers du premier sacrement formaient une nouvelle parenté ? sachant que certains individus et leurs proches cumulent parfois les parrainages, quelles stra-tégies sont mises en place par les parents demandeurs et par les familles le plus souvent sollicitées ?

Aubervilliers, une paroisse pilote des Oratoriens

À proximité de Paris, la communauté d’Aubervilliers est forte d’environ 800 à 900 âmes au début du xviie siècle28 . Plusieurs seigneurs vassaux de l’abbaye de saint-Denis, dont les hospitaliers de saint-Jean de latran et la famille de Montholon, qui a acquis la seigneurie du Vivier en 1531, se partagent la plus grande partie des terres . Pas plus que les religieux, le seigneur laïc, retenu par ses importantes charges auprès du roi, ne réside sur place29 . Ainsi les élites locales, assez réduites, sont-elles constituées de quelques officiers, comme le notaire, le procureur fiscal de la seigneurie, ou le greffier, mais aussi de laboureurs et d’un petit nombre d’artisans qui, par exemple, veillent à tour de rôle sur la fabrique . la plupart des habitants ont peu de terre en propre et travaillent pour les propriétaires

27 . le travail qui sert de base à cette communication est le mémoire de master de camille Berteau, Baptême et parrainage à Aubervilliers au xvie siècle et au début du xviie siècle. Formation de réseaux et renou-veau religieux post-tridentin, master I de Paris IV, sous la direction de Vincent Gourdon et Isabelle Robin-Romero, juin 2009 .

28 . la population d’Aubervilliers, après les guerres de religion, croît au xviie siècle atteignant entre 1200 et 1400 habitants, répartis dans les 353 feux recensés par le « Dénombrement des Paroisses de l’Élection de Paris » de 1709 . cité par Maurice Foulon et léo Demode, Le Vieil Aubervilliers avant 1789, clermont-Ferrand, Impr . Mont-louis 1929, p . 44 .

29 . cette famille des Montholon gravite, à partir du règne de François Ier dans les hautes sphères de l’administration royale . François Ier de Montholon, l’acquéreur de la seigneurie, a été avocat général puis président au Parlement de Paris, et enfin Garde des sceaux du roi en 1542-1543 . son fils, François II, avocat, Garde des sceaux en 1588-1589, démissionne à l’avènement d’Henri IV qu’il ne veut pas servir par conviction religieuse ; ses trois petits-fils, Pierre, Docteur de la sorbonne, mort en 1596, Jacques, avocat au Parlement de Paris, mort en 1622, et enfin François III, conseiller d’État, se sont ensuite succédés à la tête de la seigneurie du Vivier . Un seul de ces hommes, Pierre, a été inhumé dans l’église d’Aubervilliers, tous les autres l’ont été à Paris, c’est dire leur peu d’atta-chement à ce lieu . Bernard Barbiche, Les Institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, puf, 1999 ; M . Foulon, l . Demode, op. cit., p . 100-108 ; Jacques Dessain, Aubervilliers à travers les siècles. 2, Des guerres de religion à la fronde, Aubervilliers, société de l’histoire et de la vie à Aubervilliers, 1991 .

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nobles, religieux et bourgeois de Paris ou saint-Denis30 . Ils sont de ces paysans des environs de Paris qui, du fait de la proximité de la capitale, participent activement à son approvisionnement . la plaine qui s’étend entre Paris et saint-Denis s’est en effet fait une spécialité des cultures légumières en plein champ qui complètent une production de céréales traditionnelle . Au xviie siècle, Aubervilliers est déjà réputée pour ses choux auxquels on donne le nom du lieu et qui alimentent les marchés de la grande ville31 .

Une seule paroisse suffit à rassembler les habitants, mais une statue de la vierge attire depuis le xive siècle bien d’autres fidèles32 . les appellations « des Vertus » ou « Notre-Dame-des-Vertus » qui remplacent parfois celle d’Aubervilliers sous la plume de certains chroniqueurs attestent du succès de ce pèlerinage33 . À l’origine de ces dévotions, on trouve plusieurs récits miraculeux, dont le premier met en scène une image de Marie ruisselant d’eau en pleine période de sécheresse et apportant des pluies bénéfiques en 1338, tandis que le dernier rapporte le répit accordé à un petit mort-né en 158234 . ce sanctuaire reçoit donc les dévotions de pèlerins divers et de parents en attente de miracle35 . la cure dépend du prieur de Deuil, chargé des nominations, ce qui n’empêche évidemment pas, étant si proche de Paris, le jeu des puissants . Mathieu de Morgues, ancien jésuite, est nommé à cette charge en récom-pense de services rendus au cardinal de Joyeuse en 161136 . lorsqu’il se retire en 1614 pour suivre une prometteuse carrière de prédicateur et d’homme de lettres auprès de la reine Marguerite, un certain Jacques Gallemant lui succède . cet homme ne tient la cure que pendant deux années mais il prépare son passage sous la tutelle de la congrégation de l’Oratoire, une opération qui a fait d’Aubervilliers une paroisse expérimentale de la réforme catholique37 .

30 . À la fin du xvie, les villageois se partagent deux cinquièmes des terres, tandis que les Montholon en possèdent un cinquième, autant revient aux bourgeois de Paris qui ont investi en achetant des terres agricoles à Aubervilliers, la dernière part rassemble des propriétaires religieux et bourgeois des villes alentours . Voir J . Dessain, Aubervilliers à travers les siècles, op. cit., p . 52-57 .

31 . Reynald Abad, Le Grand Marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002, p . 657-658 ; Françoise Turek et Jean-Michel Roy, « les cultures légumières à Aubervilliers . Aspects techniques et commerciaux », Mémoires de la fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île de France, 1992, t . 43, p . 13-15 .

32 . louis XIII, à la veille de sa majorité, a fait un vœu à Notre-Dame des Vertus qu’il a honoré par une visite quelque temps après pour faire ses dévotions . l’épisode est raconté par Héroard, voir le Journal de Jean Héroard, médecin de Louis XIII, Madeleine Foisil éd ., t . II, Paris, Fayard, 1989, p . 2236-2248 .

33 . Pierre de l’estoile et Héroard citent en effet cette localité sous la simple appellation des Vertus . Voir note précédente et le Journal sous le règne d’Henry IV, t . II, collection des mémoires relatifs à l’his-toire de France, t . XlVI, librairie Foucault, Paris, 1825, p . 389-390 .

34 . D’après Jacques Du Breul, les textes des récits des miracles étaient placardés sur les murs de l’église ; Les Antiquitez de la ville de Paris, éd . revue et augmentée par claude Malingre, Paris, Rocolet, 1640, p . 120-124 ; voir aussi Raymond labois, Aubervilliers-les-Vertus :1000 ans d’histoire civile et reli-gieuse, Aubervilliers, 1987, p . 12 sq .

35 . sur les sanctuaires à répit, voir Jacques Gélis, Les Enfants des limbes. Morts-nés et parents dans l’Europe chrétienne, Paris, Audibert, 2006 .

36 . seung-Hwi lim, « Mathieu de Morgues, Bon Français ou Bon catholique ? », xviie siècle, 2001, 4, no 213, p . 655-672 .

37 . Jacques Dessain, « les Oratoriens à Aubervilliers, 1618-1792 », Mémoires de la fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Île de France, Paris, 1997, t . 48, p . 257-269 .

604 Familles et parrainages

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Pas plus que de Morgues, Gallemant n’est un curé de campagne anonyme38 . cet ancien curé d’Aumale est un réformateur très actif et influent lié au milieu dévot parisien . Avec Jean de Brétigny, il a porté le premier projet d’introduction des carmélites dans le royaume en 1601 ; il s’est aussi impliqué dans la réforme de l’ordre de Fontevrault et a travaillé au côté de Pierre de Bérulle à la fonda-tion de la congrégation de l’Oratoire en 1611 . Depuis qu’il est un des direc-teurs de conscience de Barbe Avrillot, l’épouse de l’ancien ligueur Pierre Acarie et la cousine de Pierre de Bérulle, il est très introduit dans les réunions de l’hôtel Acarie où il côtoie François de sales, de grandes dames pieuses comme la duchesse de longueville ainsi que la famille de Montholon qui appartient à ces milieux très catholiques d’anciens ligueurs39 . la sœur de François III de Montholon, catherine, est une amie proche de Madame Acarie40 . Ainsi la nomination de Jacques Gallemant, qui a refusé par humilité un évêché, ne doit rien au hasard mais s’explique par son insertion dans ces groupes dévots . Par ce geste, la famille de Montholon cherche certainement à promouvoir les principes tridentins dans cette paroisse tout en s’imposant face au collateur du bénéfice et aux autres sei-gneurs . Quand Gallemant démissionne en octobre 1616, il le fait au profit de Guillaume Farges, membre de l’Oratoire, avec l’approbation du prieur de Deuil41 . Toutefois, l’installation de l’Oratoire n’est pas effective avant de longues années car le supérieur dudit prieur, l’abbé de saint-Florent-les-saumur, à cette époque l’évêque de comminges Gilles de souvré, se fait prier pour donner son consen-tement . en 1622, l’intervention du nouveau seigneur de Vivier, François III de Montholon, est décisive . Il obtient d’abord à ses frais une Bulle de Grégoire XV le 1er septembre 1622, à laquelle il ajoute une rente annuelle de 50 livres pour le prieur de Deuil et un don de 2000 livres à Gilles de souvré qui finissent d’aplanir toutes les difficultés42 . À la fin de cette année 1622, en remplacement de Farges, arrive le père André Tod qui est le premier à exercer conjointement les charges de curé et de supérieur de la toute nouvelle Maison de l’Oratoire d’Aubervilliers43 . l’approbation des habitants recueillie lors d’une enquête en janvier 1623, et, plus tard, la reconnaissance officielle de la monarchie par les lettres patentes du 20 sep-tembre 1636 parachèvent le processus de transfert de la paroisse à la congréga-tion . sous la houlette des Oratoriens, la communauté s’engage résolument dans la réforme tridentine notamment dans la diffusion des nouvelles règles de parrainage que l’on peut suivre grâce aux registres paroissiaux .

38 . André Dodin, « Jacques Gallemant », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique, Paris, Beauchesne, 1967, t . VI, p . 76-79, qui reprend son premier biographe et neveu Placide Gallemant, La Vie du vénérable prêtre de Jésus Christ, M. Jacques Gallemant, Paris, 1653 .

39 . christian Renoux, « Mme Acarie “lit” sainte Thérèse d’Avila au lendemain de l’édit de Nantes », in Carmes et carmélites en France du xviie siècle à nos jours, Bernard Hours (dir .), Paris, cerf, 2001, p . 121-126 .

40 . Barbara B . Diefendorf, From Penitence to Charity, Pious Women and the Catholic Reformation in Paris, Oxford, Oxford University Press, 2004, p . 132-133 .

41 . Arch . nat ., s 6776 . 42 . J . Dessain, « les Oratoriens à Aubervilliers… », art . cit ., p . 258 .43 . Arch . nat ., mm 603, Histoire abrégée de l’établissement de notre congrégation, p . 85-86 .

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suivant la législation royale et les demandes de l’Église, les prêtres d’Auber-villiers enregistrent les baptêmes depuis le milieu du xvie siècle44 . les lacunes impor-tantes des années 1570 et 1590 s’expliquent aisément par le contexte très troublé du royaume . les événements affectent directement la région au moment de la bataille de la Plaine saint-Denis en 1567 puis lors du siège de paris par Henri IV en 1590 . Malgré tout, la série de 3228 baptêmes entre 1552 et 1631 permet une étude origi-nale de la mise en place des règles tridentines touchant au parrainage45 .

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Fig . 1 . – Baptêmes par année dans l’échantillon Aubervilliers, 1552-1631

NB : Avant janvier 1568, les années commencent et s’achèvent à Pâques . en 1580, 1590 et 1591, les registres, très lacunaires, ne mentionnent que de rares baptêmes (quatre au total)

Dans la seconde moitié du xvie siècle, les paroissiens d’Aubervilliers comme la plu-part des gens d’Île-de-France ont pour habitude de donner trois parrains et marraines à chacun de leurs enfants46 . en cela, ils sont parfaitement conformes aux recommanda-tions des statuts synodaux qui rappellent par deux fois au cours du siècle cette limite des trois parents spirituels47 . l’adoption du nouveau modèle du couple ne se fait pas sans difficultés et passe par une action et une volonté ferme au niveau local . en effet l’énonciation de la nouvelle règle par l’évêque Henri de Gondi lors du synode de 1608 : « nous ordonnons l’observation inviolable de la rubrique défendant qu’on admette

44 . René le Mée, « la réglementation des registres paroissiaux en France », in Dénombrements, espaces et société, Cahiers des Annales de Démographie Historique, no 1, 1999, p . 21-62 .

45 . Arch . mun . d’Aubervilliers, registres paroissiaux 1 e 1 et 1 e 2 .46 . Isabelle seguy, Clamart et les Clamartois (1527-1627), dea de l’université Paris I, octobre 1985 :

les clamartois donnent communément au xvie siècle trois parrains et marraines aux enfants (p . 27) ; voir aussi Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’île de France, Paris, Fayard, 1994, p . 164 .

47 . les statuts synodaux d’Étienne Poncher, évêque de 1503 à 1519, puis ceux d’eustache Du Bellay en charge de 1551 à 1563 (canon XXV) sont formels sur ce point, voir les Actes de l’Église de Paris op. cit., p . 114 et 139 .

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pour le Baptême d’un enfant plus d’un parrain et d’une marraine » ne déclenche pas de réaction immédiate à Aubervilliers48 . ce n’est que dans les années 1620, après le Mans mais avant Orléans ou saint-Denis, que les fidèles sous la direction des prêtres de l’Oratoire ont finalement adopté le couple du parrain et de la marraine49 .

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Fig . 2 . – Proportion de parrainage ternaire par année à Aubervilliers, 1552-1631

(cas ambigus exclus)

le modèle ternaire est quasi unanimement suivi jusque dans les années 1590 . À cette date, seuls trois enfants n’ont reçu que deux parrain/marraine en 1556, 1564 et 1588, mais à partir de 1600 les comportements commencent à bouger, quoi-que sans véritablement entamer la domination écrasante du trio traditionnel de la parenté baptismale . les familles qui se conforment au principe tridentin ne représen-tent jamais plus de 10 % des actes annuels pendant la longue période d’installation des Oratoriens (1614-1622) . Même Jacques Gallemant, pourtant résolument engagé dans la réforme catholique, ne parvient pas à faire changer les habitudes . Pendant ses années de présence à la tête de la paroisse (1614-1616), il enregistre respectivement 2,6 %, 7,4 % et 4,3 % de baptêmes à deux parents spirituels . l’action du Père Tod et de son vicaire Berthod en 1622-1624 marque en revanche un tournant décisif et se traduit par le recul relativement rapide et définitif des cérémonies comportant trois parrains et marraines . Avec 80 % des actes en 1622, elles dominent encore mais chutent à 60 % et 40 % dans les deux années suivantes . À partir de 1625, la parenté baptismale de tous les enfants est réduite à un couple . Tout se passe comme si, en à peine plus de deux ans, les prêtres de l’Oratoire avaient réussi sans problème là où leurs prédécesseurs avaient longtemps peiné . leur action auprès des parents se révèle, à la lecture des actes, plus subtile et plus progressive qu’il n’y paraît .

48 . Idem, p . 146, statuts synodaux d’Henri de Gondi, art . XXIV .49 . Voir plus haut note 21 et Monique Richard et ewa lesgold, Saint-Denis, étude démographique

(1554-1670), maîtrise Paris I sous la direction de Marcel lachiver, 1970, p . 5 .

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607Camille Berteau, Vincent Gourdon, Isabelle Robin-Romero

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On peut voir dans les premiers reculs de 1622 et 1623 les résultats d’un effort de pastorale des Oratoriens auprès des fidèles . certains parents convaincus désignent d’eux-mêmes un couple, quand d’autres préfèrent les anciens usages . la rédaction des actes de baptêmes témoigne de l’avancée à petits pas des prêtres . Afin d’écarter peu à peu le troi-sième parent spirituel, ils optent pour l’introduction d’une catégorie nouvelle, celle de témoin du baptême, et progressent en quatre temps . Pendant six mois – de mars à la fin août 1624 – le nom du second parrain ou de la seconde marraine est ajouté en fin d’acte précédé de la simple mention « y assista » ; du 29 août 1624 au 25 janvier 1625, une nouvelle formule signale que la cérémonie s’est déroulée devant le couple de parrain/marraine désigné et « en présence de » deux témoins inscrits à la suite ; il s’agit de deux hommes pour un garçon, de deux femmes ou d’un couple pour une fille . Notons que le sacristain est souvent choisi pour assister à ces baptêmes . Dans un troisième temps, du 26 janvier 1625 jusqu’à la fin de l’année 1626, il n’y a plus qu’un seul témoin mais c’est toujours un homme attaché au service de la paroisse . enfin, dernier temps de cette transition, les actes ne comportent plus aucune mention d’un témoin et la formule « en présence de » disparaît en janvier 1627 . Au final, le passage au modèle de parrai-nage tridentin déborde de la période initialement repérée de 1622-1624 pour s’étaler sur cinq ans (1622-1626) . Relégué(s) à la fin de l’acte, le ou les témoins des dernières années n’ont plus aucune qualité de parent spirituel ni de fonction avérée mais ils consti-tuent un moyen de ménager les usages locaux . Ils sont au bout du compte évincés et ce d’autant plus facilement qu’à la fin ce sont des hommes d’église, toujours les mêmes, qui sont désignés sans que les parents n’aient déjà plus de choix à faire . les Oratoriens, sans susciter apparemment de résistance forte de la part des paroissiens, ont su avancer avec souplesse et pragmatisme . Quant aux fidèles, il n’est pas certain qu’ils aient été toujours prévenus ou conscients des enjeux réels de ces subtilités de rédaction des actes .

On peut suivre cette transformation des usages à l’intérieur même des familles du lieu . Anne Félix et Philippe Hoto ont eu onze enfants, dont deux naissances multiples . les cinq premiers, nés entre 1615 à 1622, sont tous dotés de trois parents spirituels selon la tradition . Après un long intervalle de six années, la mère met au monde des jumeaux, baptisés le 27 avril 1628, et pour lesquels on choisit deux couples de parrains et marraines . On procède de même pour les triplés, le 30 octobre 1629, et pour le petit dernier, le 10 novembre 1630 . Des trois filles de Nicole Dailly et Nicolas Amery nées en décembre 1622, septembre 1625 et avril 1628, seule la première a eu droit à deux marraines et un parrain . le nouveau modèle de parrainage s’applique à tous en même temps et non aux nouveaux couples devenus parents à partir de 1624 . Il reste toujours aux parents la responsabilité du choix de leurs compère et commère .

Une présence minoritaire de la famille dans les parrainages

la réforme du parrainage en imposant un couple mixte au lieu des trois personnes communément mobilisées autrefois contraint les pères et mères à établir des priorités au moment du baptême de leurs enfants, en fonction de leur conception du rôle des parents spirituels . la stratégie de redoublement des liens de parenté entre désormais en concurrence plus directe avec la recherche d’extension du réseau relationnel, qu’il s’agisse alors d’entrer dans une clientèle ou bien d’établir des contacts avec des égaux

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ou des inférieurs . en raison de l’imprécision des liens de parenté qui pouvaient unir le parrain et son filleul dans les registres50 et en l’absence d’une reconstitution des familles et de généalogies, la mesure de la présence de parents parmi les parents spirituels des enfants nés à Aubervilliers se fera sur l’homonymie des patronymes, méthode qui ne peut nous donner qu’une hypothèse basse du poids des parrains apparentés à leur filleul mais qui se révèle fort utile pour une étude diachronique, car ce test fournit une précieuse indication de tendance51 .

Pour cette étude, les parrains et marraines d’Aubervilliers ont été classés premier ou second parrain et première ou seconde marraine selon leur ordre d’inscription dans l’acte . Dans les meilleurs des cas, trois patronymes, ceux des géniteurs et celui du parrain, permettent deux confrontations mais la source est parfois incomplète . Afin de procéder au moins à une comparaison, on a éliminé les baptêmes qui ne présentaient pas au moins un patronyme de parents et celui du premier parrain . les 3 188 actes retenus concernent 1 570 filles, 1 612 garçons, et 6 cas indécis quant au sexe de l’enfant . Ils se répartissent sur trois périodes de durée inégale mais dont les coupures sont commandées par l’histoire de la paroisse et de son passage de trois à deux parrains . la première, qui commence avec la série des baptêmes et s’achève l’année de l’arrivée de Jacques Gallemant installé en novembre 1614, correspond au temps du modèle ternaire de parrainage . la deuxième couvre les années de transition qui sont celles du passage sous la tutelle de l’Oratoire et de l’imposition progressive des nouvelles règles entre 1615 et 1624 . la troisième, enfin, de 1625 à 1631 permet d’observer le nouvel état des lieux après la normalisation du parrainage .

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Tableau 1 . – l’homonymie patronymique entre les parrains et les parents des baptisés à Aubervilliers (1552-1631)

50 . les informations sur les liens de parenté entre filleul et parrains dans les registres sont extrême-ment rares à la période étudiée . sont déclarés, et de façon préférentielle sur la fin de la période, 5 grands-pères et deux grands-mères, 3 oncles mais 7 tantes, 3 frères, 2 cousins/cousines .

51 . l’homonymie des noms des parrains/marraines avec ceux des parents des baptisés ne garantit pas à coup sûr un lien de parenté, toutefois il en donne une indication valable selon Jean-Pierre Bardet qui l’a testé à Bouafles . Au xviiie siècle, l’homonymie parrain/filleul y était de 51 % selon l’analyse des actes de baptêmes ; la base de données démographiques de Vernon et de sa région, construite à l’ircom, a permis d’identifier 70 % de liens de parenté, ce qui reste encore une fois une indication car les 30 % restant sont des cas non renseignés par la base sans que ces individus soient à coup sûr des étrangers au cercle des alliés et consanguins . Voir Jean-Pierre Bardet, « Angelots, famille, patrie : parrains et marraines à Bouafles (eure) au xviiie siè-cle », in Guido Alfani, Philippe castagnetti, Vincent Gourdon (dir .), Baptiser. Pratique sacramentelle, pratique sociale (xvie-xxe siècles), saint-Étienne, Publications de l’université de saint-Étienne, 2009, p . 171-177 .

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sur l’ensemble de la période étudiée, la répartition des choix opérés par les géniteurs s’équilibre entre environ 80 % de parents spirituels a priori étrangers à la famille et 20 % d’homonymes que l’on suppose parents en raison de leur patronyme . Rappelons qu’à la fin du Moyen Âge, les ricordanze florentins tout comme le registre des baptêmes de Porrentruy témoignent d’une présence extrê-mement restreinte de la parenté52 . Analysant des périodes plus contemporaines, certains auteurs affirment l’écrasante domination de la parenté dès le xviie siè-cle53 . si l’on s’en tient à des comparaisons avec des travaux procédant aussi par calcul de l’homonymie patronymique, on peut placer Aubervilliers dans une position moyenne, entre les paroisses saint-Uldéric et saint-Maurice d’Ivrée où Guido Alfani enregistre en 1588-1610 4,46 % de parrains et 2,36 % de marrai-nes portant le même patronyme que le père du bébé54 et Bouafles dans le Vexin normand où au xviiie siècle Jean-Pierre Bardet repère 51 % d’homonymes du père ou de la mère55 . le baptême présente bien à Aubervilliers, comme ailleurs aux xve-xvie siècles, un caractère de rite social permettant avant tout d’élargir les liens sociaux du couple . la transmission du prénom des parents spirituels à leur filleule(e) (84 % des cas) est une autre preuve de la fonction d’ouverture du par-rainage, comme du rôle conféré à ces parents spirituels . les 10 % d’homonymie patronymique paternelle rapprochent cette population d’Île de France des échan-tillons anglais étudiés par Philip Niles et louis Haas à la fin du Moyen Âge (8 et 10 %)56 . l’ensemble des homonymes est présent une fois sur cinq à la place que l’on peut supposer plus valorisante de premier parrain ou de première marraine . Un usage similaire du parrainage oscillant entre établissement de relations socia-les et solidarité familiale se retrouve chez les notaires nantais à la même époque . entre xvie et xviie siècle, ils sollicitent leur famille dans 38,5 % des cas quand il s’agit de nommer un parrain pour un de leurs enfants et dans 45,3 % des cas pour la marraine57 . Tout comme un certain Jahaneau, père pour la première fois en 1614, qui choisit pour parrainer ses sept enfants huit membres de sa famille

52 . 2,1 % à Florence selon c . Klapisch-Zuber, « Parrains et filleuls… », art . cit ., p . 112 ; P . Pegeot signale 5 cas de liens explicitement indiqués par le registre, mais l’on sait combien les plus anciens registres sont imprécis sur les liens de parenté, et 32 cas d’homonymie paternelle sur 800 baptêmes et 1580 parents spirituels (soit 2 %), art . cit, p . 65 .

53 . Voir Françoise Zonabend, « la parenté baptismale à Minot (côte-d’Or) », Annales esc, 1978, no 3, p . 665 ; Alain collomp, « Un stock de prénoms dans deux groupes de villages de Haute-Provence, de 1630 à 1770 », in Le Prénom, mode et histoire…op. cit., p . 175 . ;

54 . G . Alfani, « spiritual kinship and the others . Ivrea, xvith-xviith centuries », Popolazione e Storia, 2006, 1, p . 61-62, cet usage tend à prendre plus d’importance au fil du siècle notamment dans le choix du parrain .

55 . J .-P . Bardet, art . cit .56 . P . Niles, art . cit, p . 154 ; louis Haas, « social connections between Parents and Godparents

in late Medieval Yorkshire », Medieval Prosopography, 1989, 10, no 1, p . 1-21 (repris dans Studies on the Personnal Name, David Postles et Joel T . Rosenthal (éd), 2006, Kalamazoo, Western Michigan University, p . 159-175) . l . Haas indique 10 cas d’homonymie paternelle sur 91, mais détermine en tout 14 cas de parents spirituels apparentés, soit 15 % .

57 . Proportions calculées sur un total de 148 baptêmes d’enfants de notaires nantais ; voir Julie Hardwick, The Practice of Patriarchy. Gender and the Politics of Household Authority in Early Modern France, The Pennsylvania University Press, 1998, p . 169 .

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et six étrangers, ces hommes des catégories moyennes urbaines savent doser leurs demandes aux uns et aux autres58 .

Tableau 2 . – l’homonymie patronymique entre les parrains et les parents des baptisés à Aubervilliers selon les périodes

1552-1614 1615-1624 1625-1631

Nb % Nb % Nb %

Père seul 242 10 .79 59 11 .43 49 11 .47Mère seule 227 10 .11 53 10 .27 40 9 .36Père et mère 2 0 .08 0 1 0 .23Total des homonymies 471 20 .98 112 21 .7 90 21 .07Non homonymie 1 774 79 .02 404 79 .68 337 78 .92N . de parrains 2 245 100 516 427

a . Premier parrain (3 188 baptêmes)

1552-1614 1615-1624 1625-1631

Nb % Nb % Nb %

Père seul 220 9 .79 49 9 .49 43 10 .07Mère seule 220 9 .79 45 8 .72 64 14 .98Père et mère 1 0 2Total des homonymies 441 19 .64 94 18 .21 109 25 .52Non homonymie 1 804 80 .53 422 81 .78 318 74 .47N . de marraines 2 245 516 427

b . Première marraine (3 188 baptêmes)

1552-1614 1615-1624

Nb % Nb %

Père seul 114 10,22 21 9,76Mère seule 91 8,16 22 10,23Père et mère 1 0Total des homonymies 206 18,47 43 20Non homonymie 909 81,52 172 80N . de parrains 1 115 215

c . second parrain (1 330 filleuls dont 1 321 garçons)

58 . Idem, p . 170 : ils n’oublient pas par ailleurs de nouer des liens verticaux avec des parrains puissants (23 % des baptêmes des enfants de notaires) et d’établir des échanges horizontaux (38,5 %) .

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1552-1614 1615-1624

Nb % Nb %

Père seul 94 8,55 21 9,41Mère seule 97 8,82 33 14,79Père et mère 0 0Total des homonymies 191 17,37 54 24,21Non homonymie 908 82,62 169 75,78N . de marraines 1 099 223

d . seconde marraine (1 322 filleuls dont 1 315 filles)

Après avoir considéré les parrainages dans la famille sur l’ensemble de la période, on peut examiner les pratiques avant et après l’adoption des recommandations du concile . Au temps du modèle ternaire, les parents naturels font appel aux deux lignées lors des baptêmes dans des proportions sensiblement proches qui laissent toutefois percer une petite préférence pour le côté paternel . On se doit de mentionner que le patronyme de la mère est parfois manquant dans ces premiers registres, tout particu-lièrement à la fin des années 1590, ce qui empêche bon nombre de comparaisons qui devraient cependant se répartir entre homonymes et non-homonymes59 . Au moment du choix du troisième parent spirituel, un homme ou une femme selon le sexe du nouveau-né, s’amorce un partage qui montre que l’on privilégie le côté paternel si on baptise un garçon (10,22 %) et que l’on donne un petit avantage à la branche maternelle si c’est une fille (8,82 %) .

Au cours de la période 1625-1631, effet peut être de la prise en main de la paroisse par des prêtres réformateurs, la qualité des enregistrements s’améliore, aucun patronyme maternel ne manque, et seuls deux marraines et un parrain sont désignés de façon incomplète par leur prénom . Bien qu’au premier abord la mutation du modèle de parrainage engagée par les Oratoriens ne paraisse pas ruiner le poids des homonymes qui se maintient à 20 %, la réduction effec-tive du nombre de parrains (– 33 %) les fait tout de même reculer (mais seule-ment de – 19 %) . Alors qu’avant 1614 et encore jusqu’en 1624, on mobilisait 0,58 homonyme par baptême, pendant les années qui suivent 1625, on ne fait plus appel qu’à 0,47 parrain de ce type . ces homonymes qui n’ont jamais consti-tué des choix prioritaires subissent donc une légère érosion et, curieusement, ce sont les femmes et les patronymes maternels, en retrait jusque-là par rapport au côté et ligne des hommes, qui marquent des points . Pendant la longue tran-sition des années 1614-1625, la seconde marraine des filles porte plus souvent qu’autrefois le même nom que la mère de sa filleule (14,79 %), puis après 1625, quand il ne faut plus donner qu’une seule marraine, la branche maternelle est encore honorée dans près de 15 % des actes quand les parrains issus de la famille paternelle ne représentent que 11,47 % des cas . Il est bien difficile de conclure de

59 . Dans cette période 1552-1614, le patronyme maternel est manquant 239 fois sur 2 245 baptêmes .

612 Familles et parrainages

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façon ferme sur ce point . On ne peut que suggérer que les mères, peut-être plus particulièrement attachées au parrainage familial, ont pu faire preuve d’une cer-taine insistance pour introduire leurs parentes dans le groupe de compérage au moment de la réforme du parrainage . Il faudrait poursuivre l’enquête plus avant dans le siècle pour repérer si cette tendance perdure ou bien si un rééquilibrage entre les branches intervient . Toutes les hypothèses avancées jusqu’à aujourd’hui et les exemples ultérieurs connus nous laissent croire que, de toute façon, le poids des parrains pris dans la parenté à Aubervilliers a dû se renforcer au cours des xviie et xviiie siècles60 .

le parrainage en famille

le choix d’une parenté baptismale dans le cercle des parents n’est qu’une des solutions qui, de plus, ne convient pas à tous . en effet, les paroissiens de statut modeste, en quête de patronage ou de protection, orientent volontiers leur recrute-ment vers les strates supérieures en dignité et en aisance de la petite communauté . certains individus et certaines lignées sont ainsi très souvent sollicités pour parrainer les enfants du lieu61 . De même, les élites locales peuvent aussi faire le choix de l’exten-sion des relations mais en nommant de préférence des égaux . Dans la seconde moitié du xvie siècle, les laboureurs d’Île-de-France recrutaient leurs compères parmi les autres laboureurs et principalement dans la parenté62 . ceux d’Aubervilliers, quoique bien modestes, présentent la même inclination à l’entre soi des élites . les enfants de Jehan Berthe et Michelle lestoc (voir tableau en annexe) reçoivent pour parents spiri-tuels des représentants des autres familles de laboureurs comme Étienne Blancheteau, Jehanne David, des artisans tel Jehan Paucquet, le maçon du lieu, Me Jehan Présidat, le pâtissier, ou bien encore un membre de la famille Goran, une femme en l’occur-rence . leur groupe familial n’est pas oublié non plus : 5 homonymes et une pos-sible alliée en la personne de Jehanne Hébert, épouse de Nicolas lestoc, figurent parmi les 26 parrains et marraines de leurs 9 enfants . en revanche, certaines familles de laboureurs semblent bien plus disposées que les Berthe à favoriser leurs proches parents . André David et son épouse (voir tableau en annexe) mobilisent en moyenne une fois sur trois un homonyme – 5 David et 3 lebouc – pour leurs 8 enfants . ce père de famille, à son tour, parraine en 1601 Michel David, un fils du laboureur Guillaume David et de Denise Bonneau ; il est également inscrit comme parrain

60 . Bernard cousin a suivi de près une telle évolution pour la Provence, où il repère une croissance des parrains apparentés à leur filleul passant de moins de 10 % à plus de 40 % entre le début du xviie et la fin du xixe siècle . Voir « Prénommer en Provence (xvie-xixe siècle) », Provence historique, 2003, 212, p . 193-224 .

61 . Trente-neuf parrains (0,85 %) apparaissent de 20 à 80 fois dans les registres entre 1552 et 1631 à l’occasion de 39,7 % des baptêmes ; en raison de la fréquence de certains prénoms, on peut douter qu’il n’y ait que 39 individus derrière ces noms, mais cela montre bien qu’un petit nombre d’individus issus des familles notables (lebouc, Boudier, Poquet, Grimperel, Goran) concentre les parrainages de pres-tige . les frères Goran, Alexandre et Gérard, qui n’ont aucun homonyme dans la base, ont ainsi porté respectivement 21 et 22 enfants sur les fonts baptismaux .

62 . J .-M . Moriceau, Les Fermiers de l’île de France, op. cit., p . 165 .

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pour deux de ses petits-fils, christophe d’abord, né en 1621 de Guillaume Hébert et de Marguerite son aînée, puis André, fils de claude Godon et d’Andrée une de ses cadettes, auquel il transmet son prénom . chez les Goran, la place accordée à la famille paraît encore plus nettement .

Avec un patronyme peu susceptible d’être confondu avec un autre, malgré deux ou trois orthographes, et une présence régulière parmi les parrains et marraines, les Goran se font vite remarquer à la lecture des registres63 . si on ne connaît pas avec pré-cision leur statut social ni toutes leurs activités professionnelles, on sait néanmoins que l’un d’entre eux, Alexandre, exerce la charge de greffier de la prévôté d’Auber-villiers64 . en outre le second époux de Marie Goran, François Pothier, est l’un des bouchers d’Aubervilliers65 . Tout cela désigne une famille avec laquelle beaucoup aiment à tisser des liens de compérage en raison d’un rang social qui les fait remar-quer dans la communauté . en remontant au couple Rémon Goran et Marie Prévost, on peut même tenter une reconstitution de leur généalogie sur trois générations (voir tableaux en annexe)66 . les baptêmes de six enfants du premier couple ont été retrouvés, mais deux autres individus, prénommés Gérard et Marie, désignés aussi comme fils et fille de Rémon Goran, sont mentionnés à de multiples reprises dans les registres . On peut raisonnablement supposer qu’ils sont nés pendant l’intervalle de sept ans entre les naissances d’Alexandre et de léonard à une période d’importantes lacunes dans la série des baptêmes . Trois de ces 8 enfants Goran, léonard, Jehanne et Jacques, ne feront par la suite baptiser aucun enfant (jusqu’en 1631), tout en étant choisis comme parrains et marraine .

On peut s’étonner des toutes premières dates de participation à un baptême de certains enfants mais ces exemples coïncident avec l’usage du parrainage précoce que l’Église voudrait sinon voir disparaître du moins bien encadrer . le fils aîné de la famille, Alexandre, a tout juste atteint l’âge de raison lors de son premier parrainage ce qui ne pouvait que satisfaire les autorités67 . Tous ensemble, parents et enfants Goran ont par-rainé 120 nouveau-nés d’Aubervilliers dont 13 de la lignée des Goran, 8 autres dont la mère était une Goran (17,5 %), et 4 Prévost . les époux Goran puis deux de leurs aînés sont appelés pour baptiser deux couples de frères et sœurs qui pourraient être leurs neveux ou leurs cousins maternels . Jehanne, marraine 17 fois, a à partir de 1623 une homonyme en la personne de sa nièce, la fille d’Alexandre, ce qui pourrait signifier que les marraines nommées Jehanne Goran sont en réalité deux personnes qui se partagent

63 . Ils représentent 2,8 % des parrains avant 1614 puis 6,2 % . 64 . Attesté par un acte de baptême du 3 janvier 1628, à la naissance de sa fille Élisabeth, et un acte

notarié du 16 août 1655, cité par Jean-Marc Dabin, Naître, vivre et mourir à Aubervilliers sous l’Ancien Régime, 1992 .

65 . Désigné ainsi dans l’acte de baptême de son fils le 28 janvier 1630 .66 . seuls quelques individus nommés Goran ne trouvent pas leur place dans la généalogie pro-

posée ici autour du couple Goran/Prévost : un léonard, parrain en 1584 et 1588, un Germain, père en 1566 d’un jeune Hubert, et un Jehan, devenu père d’une Isabelle qui apparaît en 1625, ce qui accrédite l’idée que la famille serait nouvellement installée à Aubervilliers au xvie . leurs prénoms très originaux pour l’Île-de-France tout comme leur patronyme font penser en effet à des migrants venus du sud du royaume . Ainsi, dans les premières décennies du xviie, il n’y aurait eu finalement qu’une branche de Goran vraiment stable et prolifique dans cette communauté, celle de Rémon .

67 . le synode de 1557 d’Île-de-France, déjà cité plus haut, pour prévenir tout abus, précise bien que les jeunes parrains doivent avoir atteint l’âge de 7 ans (art . XXIV) .

614 Familles et parrainages

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les filleuls . Toutefois, comme la famille fait preuve d’une réelle propension au choix des oncles et tantes pour présenter ses nouveau-nés à la communauté, cela n’est pas certain . De plus, cette fille de Rémon Goran est la seule pour laquelle aucune naissance n’a été retrouvée . s’est-elle même mariée ? elle est peut être désignée marraine de ses neveux et nièces en raison de cette plus grande disponibilité .

Dates du 1er et du dernier parrainage

Nombre de parrainages

Parrainages de Goran

Parrainages de Prévost

Rémon Goran Père 1587-1625 11 1fille de Marie

1fils de Perette

Marie Prévost Mère 1566-1622 14 - 1fille de Perette

1 . Alexandre (1589) 1597-1629 21 2fils de Marie

fille d’Anthoine

1fils de Michelle

2 . Marie?

1601-1628 17 3fils de Gérardfils de Pierre

fille d’Alexandre

1fils de Michelle

3 . Gérard?

1610-1624 22 2fille de Marie

fils d’Alexandre4 . léonard (1596) 1613-1624 5 2

fils Alexandrefils de Marie

5 . Anthoine (1598) 1614-1629 7 2fille de Gérardfils de Marie

6 . Jehanne (1599) 1607-1630 17 6fils d’Alexandre

fils de Mariefille d’Anthoinefille de Gérardfils de Pierrefils de Marie

7 . Jacques (1601) 1619 1 1fils de Marie

8 . Pierre (1604) 1615-1625 5 3fils d’Alexandrefille de Marie

fils de léonard

Total 120 21 4

Tableau 3 . – les parrainages de Rémon Goran, son épouse et leurs enfants

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le parrainage en famille des Goran s’étend aussi aux alliés . Isabelle lebouc, l’épouse d’Alexandre, est sollicitée en 1617 pour le baptême d’un fils de sa belle-sœur, Marie Goran, puis en 1619 pour une fille de Gérard Goran . Une Denise caron appa-raît également deux fois dans les parrainages de la 3e génération en 1622 et 1623, or les petites Denise et Marie Goran ont bien une tante paternelle par alliance qui porte ce nom . De même Jehanne Boudier, mariée à léonard, est présente au baptême d’une de ses nièces en 1620 . Il n’y a bien que les deux époux de Marie et la femme de Pierre qui ne parrainent pas leurs neveux Goran . Ainsi au total 9 homonymes des conjoints des enfants Goran – nommés lebouc, Bonneau, Boudier, caron – com-plètent le tableau de cette mobilisation familiale au dessus des berceaux des petits-enfants de Rémon et Marie .

Il ressort de cette analyse que les Goran, bien plus que la moyenne de leurs voisins, placent leurs proches parents parmi leurs compères . si l’on s’en tient sur les deux générations de fils et petits-fils de Rémon et Marie Goran à la stricte homonymie patronymique entre parents naturels et spirituels, la parenté est présente dans 30,6 % des cas (30/98 parrains) ; en tenant compte de tous les alliés, on atteint 34,7 % des parrainages . cependant ces cas sont tous concentrés sur la dernière génération d’enfants baptisés, car parmi les parrains des enfants de Rémon et Marie, on ne repère aucune homonymie ni aucun lien de parenté . Peut être les Goran en âge d’être appelés pour cette charge n’étaient-ils pas alors nombreux dans la commu-nauté . Des parrainages de prestige sont toutefois signalés par le rédacteur des actes : deux clercs (Bertrand d’Imbonnet et Jacques coquerel), une dame et un page du roi . Pour la génération suivante, les nombreux frères, sœurs et leurs conjoints se choisissent mutuellement et sollicitent parfois les grands-parents . Il serait intéressant de poursuivre plus avant dans le siècle cette observation du clan des Goran qui se constitue dans les années 1600-1620 afin de vérifier si ce comportement de repli sur la famille se maintient .

les choix faits en faveur de certains parents chez les Goran se retrouvent ailleurs . Des grands-pères comme Jehan Andelle, claude Auvry, André David déjà cité, ou Jehan Berthe (voir tableau) parrainent leurs petits-enfants ; des oncles et tantes, des frères et sœurs concourent tous à la nomination et au sacrement des nouveau-nés, toutefois les informations fournies par les registres sur les liens de parenté entre filleul et parrains sont extrêmement rares à la période étudiée et les quelques reconstitutions de familles possibles ne nous permettent pas de dresser un tableau plausible des parents préférés pour endosser la charge de parents de baptême68 .

certes les pourcentages d’homonymie, comme on l’a dit, ne sont que des indi-cations basses du recours à la parenté lors des baptêmes, mais les Goran ont adopté un comportement que d’autres historiens, tels Guido Alfani et Julie Hardwick, ont attribué aux élites69 . si comme on peut le supposer d’autres familles, membres vrai-semblablement de la petite élite locale, pratiquent assez volontiers le renforcement des liens de parenté grâce au parrainage à l’instar des Goran, il est toutefois permis de penser qu’en aucune manière ce type de parrainage n’est dominant en ce début du xviie siècle .

68 . À la différence de J .-P . Bardet, art . cit, p . 181-183 .69 . G . Alfani, op. cit., p . 228-229 ; J . Hardwick, op. cit., p . 167-172 .

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le choix d’une famille de notables

le parrainage est un instrument d’alliance essentiel dans les communautés anciennes car il permet la création de liens verticaux . Bon nombre de parents choisissent des parrains et marraines de rang supérieur avec qui le parrainage, un lien somme toute faible et peu contraignant pour le sollicité, apporte tout de même une familiarité de bon aloi avec des notables, et éventuellement une protection pour les demandeurs . la réduction du nombre des parrains après le concile de Trente a largement encouragé les choix les plus intéressés de la part des parents comme l’a montré G . Alfani à Ivrée70 . Tout comme en Italie du Nord, la concentration verticale des parrainages à Aubervilliers se renforce avec la mise en place de la réforme tridentine . les petits officiers et les laboureurs désignés avec un avant nom71 dans les actes sont de plus en plus choisis pour devenir parrains72 . Non seulement ces hommes peuvent alors avoir une belle carrière de parrain mais on constate aussi que leurs proches sont également souvent associés et viennent les représenter pour certaines cérémonies . le procureur fiscal de la seigneurie, l’honorable Jehan lebouc, son épouse Marie caron et deux de leurs enfants, Marguerite et louis, apparaissent près de deux fois par an dans les huit dernières années de l’échantillon, dans des actes qui mentionnent expressément le statut et le lien avec le chef de famille73 . Jehan et son fils partagent à égalité 10 parrainages ; Marie caron et la jeune Marguerite deviennent les marraines de respectivement 2 et 3 enfants . Au père reviennent les trois parrainages Goran ; au fils l’unique compérage avec une lebouc ; à la fille une présence au baptême d’un des enfants de « Maître » Jacques Poisson ; pour le reste, les familles avec lesquelles ces lebouc s’allient appartiennent au tout venant de la population, qui souhaite en s’adressant aux enfants ou à l’épouse se rapprocher tout de même de

70 . G . Alfani, op. cit., p . 150-160 .71 . les avant nom ou épithètes d’honneur (honorable homme, maître etc .) sont les seules indi-

cations sociales qui nous permettent de repérer les individus reconnus par le rédacteur de l’acte et les autres assistants au baptême comme des notables de la paroisse . la réflexion des historiens sur ce sujet qui s’est élaborée à partir des actes notariés permet une meilleure compréhension de la fonction et de la mention fluctuante de ces épithètes pour un même individu . Voir à ce propos les travaux de Roland Mousnier et notamment La Stratification sociale à Paris aux xviie et xviiie siècles. L’échantillon de 1634, 1635, 1636, Paris, Pedone, 1976, p . 25-40 ainsi que claire Dolan, Le Notaire, la famille et la ville. Aix-en-Provence à la fin du xvie siècle, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1998, p . 44-52 ; Alain servel, « les signes extérieurs de notabilité en pays d’Apt aux xvie et xviie siècles », rhmc, 1995, t . XlII, no 2, p . 195-218 .

72 . sur 4 654 parrains laïcs dotés d’une identité complète, 2,53 % ont un avant nom d’honneur entre 1552 et 1614 ; et 5,16 % après 1625 . Il s’agit ici d’une estimation basse des choix verticaux ou au sein des élites villageoises, ne serait-ce que parce que la présence d’un avant nom n’est pas systématique dans les actes, y compris pour un même individu . c’est donc la tendance qui importe ici plus que les pourcentages eux-mêmes .

73 . N’ont été retenus que les actes dans lesquels la mention de la charge du chef de famille et le lien de parenté avec lui sont signalés, par ailleurs entre 1624 et 1631, 18 autres marraines s’appellent Marguerite lebouc, 4 Marie caron, et 3 Jehan lebouc, aucun autre louis lebouc n’est en revanche inscrit comme parrain .

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cette famille honorable74 . Il est possible que Jehan lebouc ait délégué les siens afin de maintenir une distance avec certains demandeurs plus modestes .

Avec un couple mieux connu comme celui d’Alexandre Goran et Ysabelle lebouc, on peut mettre en exergue l’étroite imbrication de leurs deux carrières de par-rain/marraine et une stratégie un peu différente . lorsque naît leur premier enfant en 1613, lui a déjà 13 filleuls, elle seulement 2 . Dans les années suivantes, ils vont, au gré des naissances, alterner leurs participations à une dizaine de baptêmes de la paroisse . entre 1613 et 1616, Ysabelle accouche trois fois et Alexandre parraine trois enfants ; en 1617, elle est nommée marraine deux fois avant de mettre au monde l’année suivante leur quatrième enfant ; les deux époux figurent chacun de leur côté dans le registre pour l’année 1619, mais ensuite six autres naissances mettent fin à la carrière de marraine de cette mère de famille nombreuse, tandis que son mari est encore choisi quatre fois en tant que parent spirituel75 . À y regar-der de plus près, Ysabelle lebouc après son mariage ne participe qu’à des baptêmes familiaux, comme celui de Germain Bonneau, fils de Marie, sa belle-sœur, celui de Nicole Goran, fille de Gérard, et enfin celui d’un certain louis lebouc qui lui est peut être apparenté . De son côté Alexandre, outre les liens doublés avec deux petits Goran et avec deux enfants lebouc, noue de nouvelles relations avec quatre couples apparemment étrangers à sa parenté . Dans cette famille Goran très favora-ble aux choix internes de parrain et marraine, tout se passe comme si le chef du feu concentrait sur sa personne une grande partie des contacts avec les autres familles, une tâche qu’il a déléguée ensuite à certains de ses enfants . À son tour, en 1631, sa fille Jeanne âgée de 15 ans baptise la fille de catherine Fouet et Jean Germain . elle devient marraine en tant que « fille de Monsieur le greffier », comme l’indique le registre . les filles de Jehan Berthe, toutes deux prénommées Marguerite (voir tableau en annexe), représentent également leur père dans quatre cérémonies . Pour les trois premiers baptêmes auxquels participe une Marguerite Berthe entre 1608 et 1610, l’aînée, née en 1601, a atteint l’âge de raison et peut assurer la charge . en revanche en 1616 et 1619, on ne peut distinguer les sœurs, mais peu importe après tout qu’il s’agisse de l’une ou de l’autre, elles participent pleinement à une logique de sélection des parents spirituels selon leur appartenance à une famille avec laquelle cherchent à s’allier les parents des bébés . Notons que leur carrière de marraine s’interrompt ensuite, même si l’on peut suivre l’itinéraire de l’une des deux qui se marie et devient mère à son tour .

74 . Pour prendre connaissance d’un exemple très documenté d’une longue carrière de parrainage en couple, on se référera à Bénédicte Gady, « la construction des réseaux professionnels et artistiques à Paris au xviie siècle : charles le Brun parrain et compère », in Baptiser, op. cit., p . 369-392 . l’auteur montre que suzanne Butay est sollicitée régulièrement par les artistes et artisans qui travaillent avec son époux – 29 fois seule et 7 fois en association avec son époux – mais que c’était le Brun le « destinataire symbolique » de la demande des parents du nouveau-né (p . 370) .

75 . Une association entre époux impliquant une alternance ou des carrières parallèles n’a rien de systématique . Étienne Blancheteau, laboureur de son état, marguillier de la paroisse en 1623, participe à 16 baptêmes sur une période de 24 ans . la plupart du temps, il apparaît comme un parrain de pres-tige venu honorer la famille de son filleul en signant le registre . Pourtant cet homme très sollicité mène sa carrière de parrain seul car son épouse Marguerite caron, bien que présente à ses côtés au moins jusqu’en 1622, n’est, elle, jamais choisie .

618 Familles et parrainages

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conclusion

le concile de Trente ne s’est pas prononcé sur le choix des parrains dans ou hors de la parenté . Il est vrai que la question était secondaire au regard des problè-mes posés par les variations des modèles de parrainage, et du peu de respect des conditions pour devenir parrain qui entraînaient bien souvent des usages intéressés de celui-ci . Malgré les efforts des prêtres oratoriens de Notre-Dame-des-Vertus, les stratégies clientélaires ont perduré et mettent en évidence un petit nombre de familles appartenant aux catégories socioprofessionnelles les plus aisées dont les différents membres, en fonction de leur disponibilité, sont souvent sollicités pour représenter le père, sinon leur nom . ces mêmes familles sont aussi celles qui aiment à favoriser particulièrement leurs consanguins et affins lors des nomina-tions de parrains pour leurs enfants . Pourtant au terme de cette étude, il apparaît que la communauté tout entière à Aubervilliers accorde une certaine place à ses proches, tant dans la branche paternelle que dans celle de la mère . cette position de la famille n’est d’ailleurs pas remise en cause par le passage du modèle ternaire ancien à celui de la réforme catholique dans les années 1620 alors que la limitation à un couple mixte, édictée par les canons tridentins et établie dans les faits par les Oratoriens, oblige les parents à faire des choix plus resserrés qu’auparavant . Il semble que ces paroissiens soient au fond très attachés à ce type particulier de parrainage, ce qui est loin d’être, à cette période, une réalité partout en europe catholique . Il est vrai que la famille est aisément mobilisable, et que des considé-rations sur la limitation des interdits de mariage pour le filleul peuvent intervenir dans le choix76, mais il faut aussi compter avec une forme d’honneur ainsi rendu à ses proches au moment des baptêmes . l’observation telle qu’elle a été menée à Aubervilliers ne nous donne à voir que le début de la familialisation du parrainage dans cette communauté d’habitants, un phénomène qui, sur le long terme, s’est généralisé en europe et qui mériterait pour cela d’être, dans ce même lieu, scruté avec attention aux xviie et xviiie siècles .

camille Berteau, Vincent Gourdon, Isabelle Robin-Romero(centre Roland Mousnier, Université Paris-IV)

76 . A . Burguière écrit « en superposant la parenté spirituelle aux réseaux des consanguins et des alliés, on gardait intact le stock des conjoints possibles », art . cit ., p . 31 .

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619Camille Berteau, Vincent Gourdon, Isabelle Robin-Romero

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ANNeXes

En gras : les liens de parenté mentionnés par le registre de baptêmesouligné : les homonymes des parentsAbréviations : Md = marchand ; Me = Maître ; Hon . H = honorable homme ; * prêtre

Jehan Berthe (laboureur mort le 02/09/1628) et Michelle lestoc

Jehan06/05/1600

Marguerite17/08/1601

Katherine?/12/1603

Marguerite23/10/1605

Michel09/11/1607

- Jehan lestoc- Jehan lesueur- Denise lebouc

- Nicolas lestoc- Marguerite caillet- Jehanne Bonneau

- David lestoc- Marguerite clos ép . M . leprint- Jehanne Hebert ép . N . lestoc

- Anthoine Berthe- Marguerite Alix

- Michel coullon- Jehan Présidat- claude Boudier

Jehanne24/12/1611

Jehanne24/10/1614

Reine27/12/1616

Jacques05/12/1619

- louis Hébert- Jehanne Gauran- Jehanne lebouc

- Jehan Paucquet- Marie Genot- Marguerite lestoc

- Étienne Blancheteau- Reine Demoustiers- Jehanne David

- Jacques cheron- Jehan coulon- Jehanne lebouc

Parrains et marraines des enfants Berthe/lestoc

André David et claude lebouc

Marguerite22/09/1597

Fille ?08/12/1599

Françoise21/09/1602

Martine02/06/1604

Andrée14/05/1606

Anne28/07/1610

Denis11/03/1613

- Jacques lebouc- Marguerite laNoblette- Michelle lestoc

- Guillaume David- Geneviève David- Jehanne lebouc

- Jehan lezier- Françoise lebouc- Jehanne Hubert

- Pierre lamary- Martine Despinne- Magdeleine Ferie

- Martin cheron- Andrée David- Katherine lezier

- Jacques lebouc- Marie Moustiers- Jehanne Demars

- Denis David- Jacques David- catherine clau

Parrains et marraines des enfants David/lebouc

GORAN 1re et 2e générationRemon Goran et Marie Prévost (mariés en 1588)

Alexandre03/05/1589

Marie?

Gérard?

léonard28/02/1596

Anthoine20/01/1598

Jehanne06/12/1599

Jacques05/11/1601

Pierre02/10/1604

- Bertrand d’Imbonnet*- Jeahn ?- Michelle Damour

- François de Farelle (page du roi)- louys caron- Marie cheron (dame)

- Anthoine Descharon- Jehan Grimperel- ?

- Jehan Maurassion- Jehanne Boudier- Nicole Miette

- Jacques coquerel*- Gilles chapon- Marie lamery

- Pierre Moreau- Jacques lebouc- Nicole Bonneau

Parrains et marraines des enfants et petits enfants du couple Goran/Prévost

620 Familles et parrainages

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GORAN 2e et 3e générationAlexandre Goran et Isabelle lebouc (morte en 1633)

Raimond07/05/1613

Mathieu03/01/1615

Jehanne28/08/1616

sébastien27/12/1618

Pierre09/08/1620

- léonard Goran- louys Hébert- Jehanne lebouc

- Mathieu Morgues*- charles Bouleux (hon .h .)- Jeanne Goran

- claude Hébert- Jehanne Bordier- Marguerite Boudier

- sébastien levacher- Gérard Goran- Marie caron

- Pierre Goran- Nicolas cheneviere- Denise Hébert

Denise08/01/1623

Nicole04/05/1625

Élisabeth03/01/1628

Anthoine09/04/1629

Marie05/05/1630

- Jacques Oyon- Denise caron

- Pierre lestoc- Nicole Pocquet

- Thomas Fournier (Me)- Denise Barreau

- Pierre lescuyer (hon .h)- louise Godefroy

- Jean lebouc (Me)- Marie Goran

GORAN 2e et 3e générationMarie Goran et Étienne Bonneau

Jean18/04/1613

Nicolas14/03/1615

Germain23/02/1617

Anthoine22/10/1619

Denise11/07/1622

- Gérard Goran- Jean lebouc- Agnès Bonneau

- Nicolas coquerel- Alexandre Goran- Jehanne Goran

- Germain charpentier (Me)- léonard Goran- Isabelle lebouc

- Anthoine Goran- Jacques Goran- Jehanne Boudier

- Pierre Goran- Denise caron- Nicolas lesier

Marie Goran& François Pothier

catherine06/04/1625

François02/08/1626

catherine?/10/1628

- Rémond Goran- catherine lezier

- Jean caronMarguerite lebouc

- Nicolas Bouquest- catherine Boudier

GORAN 2e et 3e générationGérard Goran et Marguerite Boudier (dite l’aisnée, baptisée le 29/03/1598)

Mariés le 02/09/1619

Nicole22/02/1619

Marie22/11/1620

charles02/10/1622

Jehan06/03/1624

Marguerite02/04/1625

Nicolas23/08/1627

- Anthoine Goran- Nicole Miette- Isabelle lebouc ép . A . Goran

- Michel Boudier- Jehanne Goran- Jehanne Boudier ép . l . Goran

- charles Ferant- Jacques cheron- Jehanne Boudier

- Jean lebouc (hon . h)- louis Hubert- Marguerite Boudier la jeune

- claude Ferant- Marguerite lebouc

- Nicolas Boudier (Gd père mat.)- Marie Goran (Tante)

GORAN 2e et 3e générationléonard Goran et Marguerite Boudier

Marie30/07/1628

- Jehan lebouc (procureur fiscal)- Marie Boudier

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621Camille Berteau, Vincent Gourdon, Isabelle Robin-Romero

22 novembre 2010 - Revue n 249 - Collectif - Revue du 17e siècle - 155 x 240 - page 621 / 792

GORAN 2e et 3e générationAntoine Goran et Denise caron (baptisée le 06/06/1599)

Mariés le 03/09/1619

Jehanne09/11/1620

Marie28/08/1623

Denise01/04/1625

Marie15/03/1627

Jean16/09/1628

François04/11/1629

- louis caron- Jehanne Goran- Denise cheron

- sébastien Pocquet- Marie caron- Marguerite Boudier

- Jehan Bordier- Françoise Guendy

- Alexandre Goran- Marguerite lebouc

- Jean lebouc (Me)- suzanne Bertrand

- Jean Potier (Md)- Perette Andelle

GORAN 2e et 3e générationPierre Goran et Jeanne lebouc

louis07/12/1625

- louis Hébert- Jehanne Goran