Branchés sur la Diversité Culturelle. Enquête sur les Représentations et la Valorisation du...

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TABLE DE MATIERES

INTRODUCTION 3

PREMIERE PARTIE

Evolution d’une idéologie dans l’histoire moderne 9

Identité, altérité et valorisation 25

Exotisme et stéréotypes 41

Apports des enquêtes sociologiques 51

L’attrait du bouddhisme : différents modèles explicatifs 58

Formes contemporaines du croire 80

DEUXIEME PARTIE

Analyse des représentations 96

La traduction et l’interculturel 99

Le « succès » de certaines idées 116

Rhétoriques : la construction symbolique de la réalité 122

Contexte socioculturel des discours 131

TROISIEME PARTIE

L’analyse des médias 134

La presse 135

Internet 147

D’autres matériaux d’appui 161

CONCLUSION GENERALE 177

BIBLIOGRAPHIE 183

2

3

BRANCHE(E)S SUR LA DIVERSITE CULTURELLE

INTRODUCTION

Dans le contexte de l’intensification et la mondialisation des flux

d’information qui ont lieu entre groupes sociaux déjà multiculturels,

nous considérons que les études sur les relations interethniques

doivent prendre en compte les effets de ces flux d’information sur les

représentations de l’altérité.

Dans cette problématique, nous nous interrogeons sur la forme et

la diffusion des représentations publiques qui peuvent contribuer à

créer une image valorisée d’un Autre « ethnique », et plus

particulièrement, une image spirituelle de l’Orient. Nous allons étudier

le cas des représentations de la culture tibétaine en France, en

particulier du bouddhisme tibétain, mais il faut insister, d’ores et déjà,

sur le fait que l’idéalisation de l’altérité au travers d’une certaine

spiritualisation de sa culture, constitue un fait social dont nous

pouvons trouver maints exemples dans notre modernité tardive.

Cette étude constitue donc une contribution à la compréhension d’un

phénomène plus large caractérisé par la valorisation de certaines

formes d’altérité culturelle (nommées, de plus en plus fréquemment,

sous le terme de « diversité »), une valorisation qui se présente, par

ailleurs, comme le contraire des tendances racistes qui ont peuplé

l’histoire de l’Occident.

Face à ces tendances historiques de rejet de l’Autre culturel, il est

important de comprendre également pourquoi et comment elles

semblent avoir changé, de sorte que les individus en Europe

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s’intéressent et valorisent une culture étrangère et lointaine comme la

culture tibétaine. En considérant qu’il s’agit d’un phénomène collectif,

il est question de trouver les sources d’information qui touchent un

secteur de la population et qui peuvent être à l’origine de cette

valorisation récente. C’est ainsi que nous proposons, à la fin de ce

texte, un échantillon des représentations publiques qui circulent dans

les médias francophones sur cette culture orientale.

Ces flux d’informations à travers les médias constituent un facteur

prépondérant dans ce phénomène, dans la mesure les enquêtes

sociologiques ont démontré que le contact personnel entre les

Occidentaux et les tibétains est tout-à-fait négligeable. En revanche,

nous avons constaté une consommation très importante

d’informations sur le Tibet et sa religion prédominante, le

bouddhisme. Ces informations nous viennent notamment sous la

forme de discours (à l’oral et à l’écrit) et d’images, ce que nous

analyserons dans cette enquête, en privilégiant les textes qui ont été

écrits à ce propos dans le monde occidental.

C’est donc à partir de ces discours et, d’une manière plus

générale, de ces représentations publiques, que la population

française construit un imaginaire sur l’altérité. Pourtant, ces

représentations populaires de la culture et de la religion des autres,

sont souvent considérées comme des déformations par un bon

nombre de chercheurs, raison pour laquelle il existe peu d’études sur

ce sujet. Or, c’est là une grave erreur, car ces représentations

constituent en vérité un facteur déterminant de la réussite ou l’échec

des rencontres interethniques : elles sont au fondement et du mépris

et de l’idéalisation des autres cultures en Occident. Loin d’être

rejetées en tant que « déformations » ou de les étudier dans le seul

5

but de les dénoncer, nous les considérons comme un véritable objet

de recherche, un élément constitutif de l’interculturalité.

Il faut rappeler, d’ailleurs, que tous les imaginaires des cultures et

des religions sont nés de ces « déformations », c’est-à-dire, de ces

nouvelles versions créées à partir d’un héritage du passé et à partir

des échanges. Toutes les cultures ont été construites à partir de ces

réinterprétations et transformations. De même, toutes les croyances

sont constamment en cours de métissage. Les nouvelles

interprétations ne sont pas moins légitimes que les anciennes, à

moins que l’on veuille garder des cultures figées dans leur passé

(comme des pièces dans un musée pour la contemplation et

l’investigation) ou isolées des autres pour empêcher toute

« contamination ». Considérer un ensemble de représentations

comme des « déformations » constitue un jugement d’ordre moral qui

ne fait pas partie de nos objectifs en tant que chercheurs. « Il n’y a

pas de ‘vrai’ bouddhisme, si ce n’est celui prôné par chaque groupe

humain qui le pratique : l’argument de l’authenticité renvoie à celui du

‘génie’ d’une culture, d’une religion, d’une Nation » (Obadia, 1999, p.

35).

Dans la mesure où il s’agit de comprendre les flux des

représentations publiques qui contribuent à la construction des

imaginaires sur la culture tibétaine –« spirituelle » et « ancestrale »–

l’étude des moyens de communication s’avère un outil important. Il

est important pour nous que ces sources d’information aient une

large diffusion, puisque notre but est de comprendre le point de vue

du lecteur non-spécialiste. C’est ainsi que la brève étude empirique

présentée en troisième partie de ce texto se concentre sur la presse

écrite non spécialisée (notamment des journaux et des magazines) et

l’Internet.

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Le Web, en particulier, nous permet de comprendre la façon dont

les sujets sont reliés –selon des critères qui doivent être déchiffrées–

les uns aux autres dans l’espace des représentations publiques, en

recréant des catégories qui font partie d’une certaine mentalité. Le

Web est un océan de données à l’intérieur duquel l’information est

peu hiérarchisée, extrêmement diverse. Face à cet océan, le

consommateur « navigue » d’un site à l’autre, en ayant une sensation

de liberté, d’accès global, d’absence de frontières (nationales,

religieuses, etc.), tout en se permettant d’appartenir à des

communautés virtuelles de différentes sortes. L’Internet est l’espace

où l’individu consommateur d’information croit pouvoir voyager,

s’enrichir et avoir accès à un ailleurs idéalisé. Enfin, le Web incarne

ce besoin actuel d’être « branché sur le monde » et « en contact ».

Par une approche de type phénoménologique (cf. Berger et

Luckmann, 1996), le chercheur doit s’efforcer de se mettre à la place

de l‘individu consommateur de représentations publiques

susceptibles de construire en lui une image positive du bouddhisme

tibétain. Le processus de cette construction est composé d’une série

d’étapes qui s’enchaînent dans une sorte d’itinéraire que nous, en

tant que chercheur, avons voulu suivre.

Comme il est expliqué dans la deuxième partie de ce texte, notre

analyse aboutit sur une reconstruction des schémas conceptuels

partagés par la population en France à propos de la culture tibétaine

et son bouddhisme. Pourtant, cet aboutissement n’est possible que

grâce à une compréhension globale du milieu culturel et des

pratiques sociales de la population concernée. Ainsi, l’analyse des

représentations doit être complétée par des observations

ethnographiques

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Par ailleurs, il est important de clarifier que cette étude ne porte

pas sur le sujet traditionnel des changements sociaux et culturels

subis par le groupe minoritaire immigrant, comme il serait le cas

d’une enquête sur les bouddhistes tibétains en France. Au

contraire, nous nous intéressons aux Occidentaux et aux

représentations publiques qui circulent dans l’espace culturel français

contemporain à propos de la culture tibétaine et son bouddhisme.

Ces représentations ne sont pas le résultat d’une interaction sociale

entre deux groupes (les Français et les Tibétains), suite à la

migration massive de l’un d’entre eux, où la population d’accueil se

verrait en quelque sorte obligée d’entrer en contact avec le groupe

social étranger.

Nous partons du constat que bon nombre de Français possède

une image valorisée de ce qui est considéré comme « la culture

tibétaine ». Cette valorisation se manifeste par une sorte de

sympathie ou envie d’« en savoir plus ». En effet, le phénomène

d’engouement pour le bouddhisme tibétain se matérialise par

l’augmentation d’un type de consommation culturelle et,

éventuellement, par un contact ponctuel et sporadique avec des

personnes d’origine étrangère. En même temps, nous témoignons

d’une médiatisation remarquable d’éléments liés symboliquement au

bouddhisme tibétain.

Selon Frédéric Lenoir, « il y a indéniablement une très forte

croissance du nombre de gens qui se sentent proches du

bouddhisme tibétain et zen. En 1994, à la question ‘de quelle religion

vous sentez-vous le plus proche ?’, 2 millions de Français

répondaient le bouddhisme. En 1999, ils étaient 5 millions. Mais cette

catégorie des sympathisants est floue. Elle va de l'individu qui va

faire un stage de méditation d'une semaine à celui qui va acheter un

8

livre, en passant par celui qui va s'intéresser ponctuellement au

bouddhisme, à l'occasion de la visite du dalaï-lama » (Lenoir, 2003,

p. 32). Quelles sont donc les facteurs qui interviennent dans un

changement si remarquable et, qui plus est, en contradiction avec les

tendances du passé où l’Autre culturel a été considéré comme

inférieur ou méprisable ? L’hypothèse que nous proposons ici porte

sur l’importance des changements culturels en Occident, où les

médias jouent un rôle prépondérant. Cette hypothèse est justifiée

dans la mesure où –comme nous l’avons dit– l’immigration tibétaine

n’a pas grandie proportionnellement à l’intérêt des Occidentaux pour

cette culture asiatique. En outre, nous vivons dans une culture

médiatique ; il s’en suit que l’altérité culturelle soit également un

produit médiatique. Et un des plus porteurs, comme nous le verrons !

9

PREMIERE PARTIE

EVOLUTION D’UNE IDEOLOGIE DANS L’HISTOIRE MODERNE

Pour comprendre la construction des représentations et

imaginaires au fil du temps et sur une longue durée, nous pourrions

aborder une étude historique. Pourtant ce type d’explication n’est pas

l’objet principal ici, de sorte que nous ne prétendons pas donner

d’explications exhaustives concernant les facteurs socio-historiques

qui seraient à l’origine de ces représentations. Ceci dit, nous

reconnaissons les contributions historiques dans la mesure où elles

peuvent donner des pistes quant aux processus de formation des

imaginaires et donner une vision plus claire et étendue de la

complexité du phénomène qui nous occupe à présent. A travers des

exemples historiques, nous pouvons voir comment les imaginaires

sont façonnés autour de certains concepts, et que ces concepts sont

le résultat d’un contexte culturel particulier, de la même façon que les

imaginaires (et peut-être la connaissance savante aussi)

d’aujourd’hui s’articulent et se soutiennent grâce à des concepts qui

nous viennent du passé.

L’histoire des représentations du Tibet en France est intimement

liée à l’histoire des représentations de l’Orient en Occident, des

représentations qui ont vu le jour dans le contexte des explorations,

des conquêtes et de la Modernité toujours en contact avec l’altérité.

Pourtant, comme le montre Lopez (2003), l’idée romantique pro-

tibétaine d’une sorte de paradis peuplé par des gens adonnés à la

spiritualité n’est nullement la réalité d’une société avec une

10

aristocratie attachée à ses privilèges, des monastères qui bloquaient

les réformes pour conserver leur pouvoir, des complots et des

intrigues politiques, etc. Depuis les premières rencontres avec les

missionnaires catholiques et les explorateurs vénitiens, les

Occidentaux ont transféré leurs fantasmes et leurs rêves sur le Tibet,

et l’échec des pouvoirs occidentaux à le dominer n’a fait que nourrir

ces fantasmes. Bon nombre de Tibétains de la diaspora ont redéfini

leur propre identité selon ces images, quoique certains s’y soient

opposés. Pourtant, durant les deux derniers siècles, l’image a

beaucoup varié. Sa religion a été considérée tantôt comme la forme

la plus pervertie du bouddhisme, tantôt comme l’héritier le plus direct

du Bouddha. L’image d’un peuple traditionnel, non contaminé par la

modernité, caractéristiques considérées aujourd’hui comme un atout,

étaient pour certains un argument pour les considérer arriérés, vivant

dans l’obscurité du Moyen Age.

Les réinterprétations des religions orientales ont été très variées

dès le début des rencontres. Une source d’exemples ce sont les

documents des jésuites missionnaires dans les territoires de ce qui

est aujourd’hui la Chine et le Tibet. A propos des pratiques

religieuses, ils écrivaient : « Nous croyons que l’on fait des offrandes

aux ancêtres défunts dans le seul but de leur témoigner nos

sentiments d’amour et de regret, et non pas, selon le sens des livres

chinois, ou des lettres, pour les prier de nous protéger (…)

Pareillement, la Tablette érigée en l’honneur des ancêtres et des

proches est faite, non pour que leurs âmes y prennent résidence ;

mais seulement pour les représenter, comme s’ils étaient là » (cité

par Li, 2001, 218-19). Ainsi, les jésuites français étaient

généralement tolérants envers ces deux rites confucianistes, par le

biais de leur interprétation en tant que « rites civils ». Les

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missionnaires déclarent donc que ces pratiques n’ont aucune

signification religieuse. Ainsi, on voie comment les Occidentaux, en

projetant leurs propres interprétations des pratiques orientales, en

attribuant des catégories telles que « témoigner ses sentiments »,

« en l’honneur de », « représenter comme si », « rites civils »,

permettaient de classifier les manifestations des autres religions de

sorte qu’elles devenaient acceptables. Par contre, et en guise

d’exemple contraire à l’idéalisation dont fera l’objet le bouddhisme

tibétain après et jusqu’à nos jours, Li (2001) nous signale que ces

missionnaires considéraient les bonzes bouddhistes et les prêtres

taoïstes comme des « hypocrites, des égoïstes, ou des faux

docteurs, des prêtres de Satan. Ils traitent leurs doctrines d’idolâtries

et de superstitions » (Li 2001, p. 219). (Cette offensive est

comparable à celle menée par les missionnaires espagnols pendant

la colonisation contre le chamanisme des amérindiens). Pareillement,

Lopez (2003) signale que « Pour les orientalistes […] de l’époque

victorienne, le bouddhisme du Tibet n’était pas un bouddhisme

authentique. A cette époque on décrivait souvent la société tibétaine

comme corrompue et statique. La littérature savante dénigrait

largement sa religion. » (p. 203).

Vers la fin du XVIe siècle on voit déjà se manifester la distinction,

par rapport au Tibet, entre les formes religieuses « idolâtres », des

masses, plus proprement culturelles et mélangées avec les cultes

locaux, et d’autre part la religion des élites qui se caractérisait par les

pratiques ascétiques et l’étude des textes, une version savante,

parfois même conçue comme « athée ». Cette différenciation,

caractéristique de la tradition occidentale, est un autre élément qui

aurait façonné l’approche contemporaine que nous faisons du

bouddhisme. Il semblerait que c’est la deuxième version de la religion

12

tibétaine qui a été reprise comme la plus valable, celle qui intéresse

les Occidentaux, comme c’était déjà le cas pour les missionnaires.

Un autre élément qui marqua les imaginaires sur les cultures

orientales, c’était la recherche des « racines » de la civilisation

occidentale en Orient, projet alimenté par l’évolutionnisme qui se

développa dès la fin du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe et qui

imprégna non seulement la littérature et la philosophie, mais aussi les

sciences sociales. Ces idées des « racines » trouvaient un appui

dans le fait que les linguistes avaient en effet trouvé la « parenté »

entre les langues européennes, celles de l’Asie mineure, et celles de

l’Inde. On voulait donc reconstruire une histoire des religions suivant

le modèle de l’histoire de ces langues. Par la suite, on commença à

rechercher des liens entre la culture et la pensée européenne et

l’indienne (et entre les « races », postulant une origine « Arya » ou

« indo-européenne »). L’Inde est devenue le « berceau » de la

civilisation occidentale. Désormais, les parangons et les

interprétations des traits culturels orientaux en des termes

occidentaux étaient une chose commune et avaient un appui

« historique », puisqu’il s’agirait d’une même « tradition ».

Nous pouvons trouver dès la fin du XVIIIe siècle une idéalisation

des sagesses orientales, qui consistait en de nombreux ouvrages, en

allant de l'exotisme et le mysticisme sur la vie des maîtres tibétains,

jusqu'aux raisonnements de philosophes reconnus « Ainsi peut-on

parler pour tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle

d'une influence intellectuelle des religions orientales en Occident.

Durant ces cent cinquante ans, d'innombrables écrivains - de Goethe

à Borges en passant par Emerson, Hesse ou Tolstoï - furent

profondément marqués par les spiritualités orientales. Celles-ci

influencèrent également les travaux de nombreux philosophes

13

comme Schopenhauer, Nietzsche, Bergson, Heidegger ou

Wittgenstein et passionnèrent des penseurs aussi divers que Jung et

Einstein. » (Lenoir, 2000 p. 2403) Désormais, les spiritualités d'Orient

et d'Extrême-Orient ont été « intellectualisées », elles ont été

incorporées au savoir non religieux en Occident, étant ainsi mises à

la disposition d'un public cultivé. Ceci « malgré les innombrables dif-

ficultés de traduction et d'interprétation auxquelles les spécialistes

furent confrontés pour transposer les notions philosophiques et

religieuses entre deux univers conceptuels fort éloignés l'un de

l'autre. » (ibid.)

En général, L’ « Orient » aurait été un concept creux et flou :

« …la matrice de l'Europe, une civilisation à restaurer[…]. Pour

l'Europe, l'Orient est une des images de l'Autre, une figure nécessaire

pour entretenir sa propre identité. L'Orient se mesure toujours à

l'aune de l'Occident. (Souty, 2001, p. 36). Il s’agissait donc d’une

vision essentialiste qui donnerait lieu à une série de généralisations,

d'affirmations totalisantes, d'interprétations par trop globales.

Pendant la période romantique du XIXe siècle, l’Inde et la Chine

étaient plutôt idéalisées. Particulièrement l’Inde était considérée

comme la région de « l’Esprit » par excellence. Pourtant, avec la

colonisation, ces terres ont été aussi chargées d’images négatives

pour justifier la colonisation et le besoin de les civiliser par les

Européens, mais il restait le Tibet, une terre au-delà des plus hauts

sommets symbolisant la « pureté froide et immaculée » (Lopez 2003,

p . 20). L’image de cette barrière naturelle serait reprise comme une

paroi de protection.

La plupart des romantiques appartenaient à des sociétés secrètes

et il existait l’idée d’une « grande chaîne des philosophes et mysti-

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ques occidentaux, de Pythagore à Boehm, qui s'inspirent d'un ‘Orient

éternel’. (ibid.) ». L’éclectisme est évident dès cette époque.

Ce mouvement, selon Lenoir (2000), aurait servi de rampe de

lancement aux multiples études orientales, mais aussi aurait favorisé

la diffusion du mythe d'un « Orient merveilleux », d’une religion

« sublime et mystérieuse » auprès d'un plus large public en Occident.

Les humanistes du XVe siècle -ancêtres de l’ésotérisme moderne-,

parlaient déjà du principe de la concordance et donc de la possibilité

de s’approprier de diverses traditions du passé comme le

néopythagorisme ou la Kabbale juive. La mouvance « syncrétique »

moderne y aurait ses origines.

Il nous semble nécessaire de décrire très brièvement la Société

théosophique, une des plus importantes « sociétés secrètes » de la

seconde moitié du XIXe siècle, car elle « joua un rôle crucial dans

l'introduction en Occident des spiritualités orientales » (Lenoir 2000,

p. 2404), idée partagée par Lopez (2003). Fondée par Helena

Blavatsky et le colonel Henry Steel Olcott, ses principaux buts

seraient de: « Former le noyau d'une fraternité de l'humanité, sans

distinction de race, credo, sexe, caste ou couleur ; promouvoir l'étude

des littératures, religions, philosophies et sciences de l'Orient, et en

montrer l'importance pour l'humanité ; investiguer les lois

inexpliquées de la nature et les pouvoirs psychiques latents dans

l'homme.» (ibid.) Cette Société prétendait arriver à l’établissement

d’une « convergence universelle des religions ». Dans « La Doctrine

secrète », livre écrit par Blavatsky en 1888, la Théosophie est

« l’essence de toutes les religions ». La Société est un des principaux

promoteurs du bouddhisme en Occident à la fin du XIXe siècle, non

sans y avoir ajouté une coloration « ésotérique ». Les idées de la

Société théosophique sont considérées par Hannegraaf (1998)

15

comme étant d’origine ésotérique occidentale mais dites en des

termes exotiques empruntés à l’hindouisme ou au bouddhisme.

N’empêche que leur engagement et conviction auraient été sans

précédents en Occident, puisque, selon Obadia (1999), ils sont les

premiers Occidentaux à se déclarer bouddhistes. (Il ne serait pas

trop osé de dire qu’aujourd’hui, la mentalité qui fait l’objet de notre

enquête, est liée à la recherche d’une convergence universelle des

religions).

Ils proposaient aux gens un enseignement alternatif à la science

matérialiste et à la religion dogmatique et partaient du principe qu’il

existe des connaissances cachées pouvant offrir des solutions aux

problèmes spirituels de l’humanité.

Il faut pourtant mentionner que, selon Lopez (2003), la signification

du terme spirituel « n'est pas la même au début de cette décennie

[1990] qu'à l'époque de Mme Blavatsky. ‘Spirituel’ ne renvoie plus au

contact et à la communication avec les esprits des morts. Le terme

évoque au contraire un ethos au-delà des confins du purement

religieux, qui se réfère à ce qu'était la sève originelle des traditions

religieuses, libérée de son carcan institutionnel et historique. Au

début du XXème siècle, le spirituel était au contraire à la fois

universel et individuel, accessible à travers les expériences des

mystiques des grandes ‘religions du monde’ et peut-être, sous une

forme plus pure, à travers les traditions orientales ou le chamanisme,

l'adoration de la nature ou le culte de la déesse, jadis considérés

comme primitifs. » (Lopez, 2003, p. 97)

L’ésotérisme occidental a donc contribué grandement à

l’interprétation actuelle des religions non-occidentales. Selon Faivre

(1998), le mot « ésotérisme » apparu semble-t-il pour la première fois

en 1828 et en langue française, et il aurait au moins deux sens : la

16

connaissance ou science secrète réservée à une élite, ou la

connaissance et les moyens renvoyant à un « lieu » ou « centre »

spirituel au fond de l’être. Cet auteur cite 6 caractéristiques de

l’ésotérisme moderne. 1) L’idée des correspondances ou

l’interdépendance universelle de toutes les parties de l’univers. 2)

L’idée que la nature est un être vivant. 3) Le rôle de l’imagination et

des médiations qui, par exemple à travers les images symboliques,

permettent d’accéder aux différents niveaux de réalité. 4) L’idée de la

transmutation : l’homme ainsi que la nature, peuvent subir, suivant

certaines voies, des transformations radicales. 5) Un troc commun,

base de toutes les traditions, aurait peut-être été oublié ou caché.

Ces caractéristiques, quelque peu modifiées ou dites en d’autres

termes, nous les avons trouvées dans l’idéologie qui met en valeur

d’autres religions comme le bouddhisme ou le chamanisme.

L’ésotérisme est lui-même un discours syncrétique qui mélange,

étonnamment pour certains, des arguments rationnels avec des

idées mystiques. On y compte des dérives mystiques dans les

discours scientifiques, et des mystiques qui reprenaient de temps à

autre des données et des explications légitimées par la Science. Pour

certains, la science moderne ne faisait que redécouvrir ce que les

religions occidentales connaissaient déjà (ce qui est un argument

repris aujourd’hui aussi).

Une autre source importante des imaginaires sur l’Orient, et

particulièrement sur le Tibet, c’est l’œuvre d’Alexandra David-Neel,

exploratrice française qui arriva clandestinement à Lhassa en 1924.

Elle était aussi adepte de la Société théosophique avant la

publication de ses livres qui se vendent par millions, prétendant

transmettre le Tibet authentique. Parmi les plus importants de ces

livres, on trouve « Mystiques et magiciens du Tibet » publié en 1929

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(David-Neel, 1985). Il s’agit de morts qui parlent, de gâteaux volants,

de lamas télépathes, de dédoublements, de moines qui passent des

hivers dans les hautes montagnes sans nourriture. Ces récits

extraordinaires, nous signale Lenoir, auraient été assimilés en France

au bouddhisme tibétain. (Lenoir 2000, p. 2406)

Le « texte tibétain » le plus connu en Occident (Lopez, 2003) est le

livre de Walter Y. Evans-Wentz, « Le livre des morts tibétain ». Il

s’agit d’un amalgame de ce qui, selon l’auteur, est une simple

transcription de la parole d’un sage tibétain, et des préfaces,

introductions, avant-propos et commentaires qui constituent la moitié

du livre. « Son attrait initial est peut-être en partie dû à une

réapparition du spiritisme à l’issue de la première guerre mondial et à

un nouvel intérêt pour le destin après la mort. » (ibid. p. 64). Evans-

Wentz était, à son tour, influencé par les idées de Madame

Blavatsky. A cette époque, les croyances populaires autochtones,

sont traitées comme des versions « exotériques », des interprétations

littérales avec peu de valeur pour le savoir universel, tandis que la

version « ésotérique », ou interprétation symbolique, est celle à

laquelle seul les initiés ont accès et qu’il faudrait retenir.

Ce type d’interprétations « ésotériques » peuvent toujours faire

l’économie d’une confrontation avec une version asiatique,

puisqu’elles se revendiquent a priori comme la « vrai »,

l’« authentique », celle qui a une véritable valeur, celle qui contient le

sens occulte et profond. Cette attitude a ouvert la possibilité aux

interprétations les plus diverses et occidentalisées par la suite. C’est

ainsi que dans les années soixante, par exemple, les idées du « Livre

des morts tibétain » sont associées aux expériences psychédéliques

très à la mode en Occident à ce moment-là, et ces expériences sont

censées être la confirmation de l’unité mentale et spirituelle

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proclamée par Evans-Wentz. La doctrine bouddhiste concernant les

étapes de la mort devient donc une sorte de guide aux étapes dans

la consommation de drogues psychoactives. Cette interprétation

« spirituelle » et de la connaissance de la psyché à travers les

drogues peut être fondamentale pour comprendre les idées actuelles

concernant la participation à des « rites chamaniques » où la

consommation de drogues est présente.

Un deuxième « livre des morts » et qui a été aussi un best-seller,

apparaît en 1992 en anglais, écrit par Sogyal Rimpoché (1993).

Selon Lopez (2003), « l’immense popularité des versions d’Evans-

Wentz et de Sogyal repose peut-être sur leur homogénéisation du

texte tibétain en sagesse atemporelle et universelle. » (p. 97) En

effet, Sogyal dit que pour les tibétains, Gandhi, Shakespeare,

Einstein, mère Théresa ou encore Michel-Ange, seraient des

« bodhisattvas » (des illuminés qui restent sur terre pour aider les

autres à atteindre l’éveil), ou il compare le Dalaï Lama à saint

François d’Assise.

Chacune des différentes versions proposent que le texte original

tibétain doit être interprété à travers une référence extérieure pour

dévoiler son vrai sens, que cette référence soit le développement

personnel, les fondements de la psychologie ou les étapes d’un trip à

l’acide. C’est dans son potentiel évocateur que nous croyons que

réside le succès de la diffusion de ces textes « bouddhistes ».

Chaque époque, chaque groupe l’interprète à sa façon, tout en

maintenant la référence à une identité traditionnelle, en l’occurrence,

la tibétaine.

Les jeunes Occidentaux issus de la contre-culture des années

soixante s’intéresseraient de nouveau aux gurus orientaux,

notamment tibétains. Cette période connaît ce que l’on a appelé la

19

deuxième « vague » d’intérêt pour l’Orient, mais celle-ci se distingue

de la première par une diffusion et une popularisation beaucoup plus

larges. L’existence de plusieurs publications, les documentaires et la

présence des lamas en Occident, donne la sensation aux

Occidentaux que le bouddhisme est beaucoup plus accessible, que

l’Autre est à la portée de tous, connaissable par tous. C’est l’Orient

« à domicile ». Par exemple, Arnaud Desjardins présente un

documentaire sur les maîtres spirituels intitulé « Le message des

tibétains » qui rencontre un très grand succès dans sa transmission à

la télévision française : Ce succès provoquerait l’invitation de

plusieurs lamas à venir en France transmettre leurs enseignements.

Dans les années 1960 et 1970, la recherche d’approches

« alternatives » dans des domaines aussi divers que l’économie, la

médecine, la politique ou la religion, et d’une façon plus générale, la

quête de nouvelles formes de penser et de vivre, font que les idées

d’origine lointaine deviennent particulièrement intéressantes et les

formes de pensée non traditionnelles se multiplient.

Malgré leur très grande diversité, ils ont en commun la critique des

modèles occidentaux de pensée comme le réductionnisme au

matérialisme et le dualisme entre l’esprit et le corps. Ils prônent une

culture holiste : tout est relié, « la totalité de l’univers est reflétée

jusque dans ses particules les plus minuscules » (Hannegraaf 1998,

p. 943). La place de l’Autre y est très importante car les alternatives

qu’ils cherchent peuvent être empruntées aux diverses traditions,

grâce au principe de la concordance entre ces traditions du monde

entier (et qui est, nous l’avons vu, une caractéristique de

l’ésotérisme).

Dès cette époque l’invasion chinoise du Tibet des années 1950 est

perçue comme un nouveau cas de barbarie totalitaire contre un pays

20

pacifique, gardien de riches traditions, voué à la spiritualité. Les

victimes ne sont pas seulement les millions de Tibétains, mais aussi,

et souvent en priorité, le dharma bouddhique préservé jusqu’à

présent dans ces terres immaculées. Le conflit vient représenter pour

certains la lutte entre la liberté spirituelle et le pouvoir matériel, le

développement personnel et l’accroissement insensé des biens de

consommation. Au Tibet il y aurait de nombreux véhicules pour la

libération spirituel. Dans les années 90, on allierait la cause tibétaine

à celle de la préservation de l’environnement et à la défense des droit

de l’Homme, et des femmes ! ; la défense du Tibet devient une forme

indirecte de la défense de toutes ces valeurs.

Un autre aspect de cette idéologie moderne est la

« psychologisation de la religion » ou la « sacralisation de la

psychologie ». Ici il faut souligner l’importance des idées du

psychologue Carl G. Jung. Dans cette mouvance on retrouve dès les

années 80, des idées comme le « positive thinking » et les livres

consacrés au « self-help », des genres littéraires d’un succès de

diffusion énorme. La « psychologisation » des croyances religieuses

et de symboles d’autres cultures est une tendance très forte

aujourd’hui.

Par exemple, comme d’autres éléments de l’art tibétain, le

mandala n’échappa pas à la ‘psychologisation’ » (Lopez 2003, p.

169). Jung le considérait comme une image centrale du

« bouddhisme ésotérique ». Pour lui il s’agissait d’un schéma de

l’univers, représentant le passage du chaos à l’ordre. L’art devient

ainsi « symbolique ». Ce procédé de « symbolisation » est central

dans notre analyse. L’art, ainsi que les concepts, au lieu d’être

rejetés, peuvent avoir une signification importante à découvrir.

21

Un des mouvements récents les plus représentatifs de cette

tendance, c’est le New Age, qui trouva son plein essor dans les

années 1980 et qui est constitué de formes de pensée syncrétiste

tendant à unifier les différentes voies spirituelles d'Orient et

d'Occident dans un même courant de type humaniste. On y parle de

néonaturisme, magnétisme, acupuncture, Gestalt, bio-énergie,

expression sensitive, etc. : « Des nouvelles thérapies compor-

tementales ou corporelles qui visent à unifier le psychisme, l'âme et

le corps [...] L'Orient tient une place centrale dans les thématiques et

les techniques du Nouvel Âge, soit à travers le recours à des

techniques psycho-corporelles (yoga, méditation), soit à travers des

emprunts philosophiques (croyance au karma et à la réincarnation).

Mais ces emprunts à l'Orient sont intégrés dans une vision

occidentale de type ésotérique et syncrétique. En fait, le Nouvel Âge

est l'expression contemporaine du vieux courant ésotérique

occidental dont la Société théosophique avait été l'expression la plus

typique à la fin du XIXe siècle. (Lenoir 2000, p. 2414)

Parmi les principes fondamentaux des tendances New Age, on

trouve la critique d’une science positiviste qui serait trop rationaliste

et mécaniciste. Pour le New Age, le holisme (le « tout est dans le

tout ») est une idée fondamentale. Celle-ci implique des relations

entre les entités de l’univers d’une manière qui semble rompre avec

la rationalité traditionnelle. Egalement, « Le pluralisme y est une

valeur essentielle. Chamanisme, expériences des initiés et mystiques

(chrétiens, bouddhistes ou soufis), ‘transformation de la conscience’,

[…] programmation neuro-linguistique, etc. »(Kubler, 2004) « Au

rayon médecine, l’allopathie est largement décriée : il importe de

soigner le corps dans sa globalité. […] médecines traditionnelles des

Africains ou des Amérindiens, toutes les techniques médicales

22

douces, parallèles, exotiques, naturelles ou psycho-corporelles, sans

oublier leurs déviances et croisements divers, prolifèrent. » (ibid.)

Cette panoplie d’idées diverses est largement répandue de nos

jours dans la culture occidentale, se manifestant, par exemple, dans

la publicité : « Lorsque Yoplait lance un nouveau yoghourt Ofilus,

c’est avec une affiche présentant une femme en posture de yoga,

mains jointes et yeux fermés, avec un slogan : ‘la source du bien’.

[…] les eaux minérales vantent leur pureté à grand renfort de lents

mouvements de gymnastique chinoise. Le nouvel âge est bel et bien

devenu une mode. » (Kubler2004 [en ligne]). Ce type d’associations

entre des valeurs actuelles et images qui renvoient à une Altérité,

sont une piste essentielle pour notre recherche.

Le nouvel âge, ou, préférons-nous dire, ses idées, ont gagné le

reste de la société et sont maintenant valorisées par de divers

secteurs. Un autre exemple de la sortie de ces idées de leur milieu

mystique-ésotérique minoritaire auquel elles étaient confinées dans

les années 80, ce sont les sportifs ou les grandes entreprises, qui

apprécient les apports de la méditation ou d’autres techniques (jadis

considérées nouvel âge) pour motiver à la production et conforter le

bien-être des professionnels. C’est ainsi que, « après les stages où

l’on apprend à dominer son corps et à marcher sur des braises, des

cadres se retrouvent pour pratiquer le rebirth, mimer des

psychodrames ou découvrir la bioénergie. Clients des boutiques

d’alimentation « bio », amoureux du yoga, militants écologistes, férus

du paranormal, fervents des doctrines philosophiques orientales ou

des médecines parallèles : tous ces passionnés intègrent –

sciemment ou non – une part du nouvel âge dans leurs modes de

vie » (Kubler, 2004 [en ligne]). Il faut considérer d’autre part, que

23

cette idéologie peut exister chez quelqu’un d’une façon qui n’est pas

toujours manifeste dans sa vie publique. Elle est avant tout une

attitude et un discours qui « spiritualise » ou donne un certain sens

mystique ou transcendantal à ce que la personne fait, sans forcément

changer ses activités quotidiennes.

Dans les années 90, suite à une sur-abondance de courants du

New Age qui avait commencé dan les années 80, les bouddhistes,

notamment les Tibétains, font un effort pour se détacher de ce

supermarché de croyances de toutes sortes, et ressortir comme une

tradition « authentique » (ce qui n’a pas empêché tout de même que

les syncrétismes continuent à se faire jusqu’à nos jours). Le

traditionnel et l’ethnique deviennent alors des éléments

fondamentaux de valorisation dans cette idéologie, et ils prennent le

rôle de fournisseur de signifiants. En France, le bouddhisme tibétain

y prenait une place primordiale.

En somme, le Nouvel Age peut être un mot qui n’est plus utilisé

aujourd’hui ; il est vrai que nombre des mouvements qui y étaient

associés sont franchement dévalorisés car une très forte

effervescence de groupes, de sectes, de gurus, etc. a été perçue

comme un abus, un manque de sérieux et même comme un danger.

Il n’empêche que l’étude de cette idéologie est une démarche très

proche de la nôtre. Nous rencontrons le problème de ne pas savoir

comment l’appeler aujourd’hui. Les chercheurs utilisent des

catégories comme « spiritualité », « mysticisme », « ésotérisme », la

pensée des « nouveaux mouvements religieux », ou de la

« nébuleuse mystique-ésotérique », mais ils nous semblent tous trop

étroits, et certains, comme l’ésotérisme ou le mysticisme, connotés

négativement aujourd’hui. Certains de ses éléments, grâce à la

nature « intégratrice » de cette mouvance, ont influencé des

24

domaines de la société qui ne peuvent plus être appelés religieux, ni

appartenant à un mouvement particulier, et bon nombre d’entre eux

restent encore dans l’imaginaire de personnes qui appartiennent à

plusieurs secteurs de la société apparemment de plus en plus variés

et de plus en plus nombreux. Pourtant, nous savons que les idées

sont là, nous savons qu’elles constituent une idéo-logique, c’est à

dire qu’elles font partie d’une structure d’idées où les unes supportent

les autres, et nous savons qu’elles sont culturelles, c’est-à-dire

qu’elles se diffusent dans une collectivité. Cette idéologie nous la

définirons comme une forme contemporaine du croire.

Pour récapituler, plusieurs mouvements de la pensée ont repris le

thème de la valeur des cultures orientales selon leurs façons de les

réinterpréter : les romantiques qui voulaient opposer ces

connaissances mystiques aux Lumières et au rationalisme, - les

universalistes et syncrétistes qui voulaient trouver une parenté entre

les religions, notamment entre les religions orientales et le

christianisme, - les mécontents du catholicisme et ses dogmes ainsi

que les adeptes de l’ésotérisme occidental qui voyaient dans les

religions orientales la confirmation d’une sagesse primordiale

antérieure à toute forme institutionnelle de religion.

Les spiritualités orientales ont été réinterprétées à travers des

sujets et des mouvements de la pensée occidentale qui existaient

déjà avant leur arrivée (peut-il en être autrement ?). Elles ont

« souvent servi au XIXe siècle à assouvir une curiosité, épancher un

besoin récurrent d'exotisme et donner matière à des polémiques

‘occidentalo-occidentales’ auxquelles elles étaient fondamentalement

étrangères. » (Lenoir 2000, p. 2408)

Des idées créées dans ce passé récent semblent avoir eu une

influence qui demeure jusqu'à nos jours: - les religions « exotiques »

25

en tant que « sagesses », - certaines figures étrangères considérées

comme des « maîtres », - la croyance en un sens « caché et

éclairant » de ce qui est à première vue bizarre ou incompréhensible,

- les cultures Autres considérées comme des sanctuaires qui

sauvegardent une connaissance dont nous pouvons tous profiter

(« patrimoine culturel de l’humanité » peut-on dire aujourd’hui). Nous

trouvons le même mélange d’exotisme, mysticisme et intellectualisme

que pendant la première vague du XIXe siècle, mais, aujourd’hui il

semble exister un plus fort intérêt pour la pratique et l'expérimentation

personnelle.

IDENTITE, ALTERITE ET VALORISATION

Ces représentations positives qui frôlent parfois l’idéalisation et

même la vénération, contrastent fortement avec le constat que dans

bien d’autres cas de relations interethniques, l’Autre est objet de

stigmatisation, d’exclusion, de rejet, de stéréotypes négatifs qui se

manifestent par des comportements qui vont des blagues

méprisantes au génocide. Même dans sa manifestation la plus

« douce », l’étranger est souvent signalé comme la figure d'altérité

grâce à laquelle l'identité propre s'affirme par opposition et rejet. En

effet, dans ce domaine la plupart des études ont porté sur des

phénomènes comme le racisme, la discrimination et l’exclusion, et

nous croyons qu’il est important de comprendre les idéologies1 qui

les sous-tendent.

Selon Oriol (2001), dans le processus d’accélération des échanges

au niveau mondial, il y a une tendance à la fermeture « hargneuse et

1 Il s’agit de structures de représentations et de croyances propres à un groupe social, participant à la régulation des opinions, des attitudes et des comportements.

26

meurtrière » à l’Autre. Ainsi, il propose que la tâche la plus urgente

des intellectuels devrait être celle de comprendre l’origine de ces

« fermetures », au lieu de se limiter à leur dénonciation.

Une des attitudes consiste simplement à refuser la réciprocité de

perspectives et de critères d’évaluation ou d’exclure la possibilité de

l’existence de règles et valeurs communes aux différents groupes

humains. Une étape plus avancée de clôture est celle de croire que

les frontières ethniques ne peuvent être franchies ; le métissage est

donc considéré comme une transgression, et comme le signale

Laplantine (1999), pour ce type de pensée il devient inconcevable

que l’Autre puisse changer l’intégralité du soi.

On peut même entendre dire que cette méprise de l’Autre est

nécessaire pour la construction de l’identité du Nous valorisé, ou que

c’est naturel de dévaloriser l’Autre puisque ce qui n’appartient pas au

Nous serait forcément mauvais. Penser qu’il s’agit là d’une question

logique ou d’une évidence nécessaire est une erreur. Ce n’est pas

non plus une description de la réalité, mais plutôt un principe moral,

une décision et non pas une description, une forme de catégorisation

où on allie a priori Nous-Bon et Autre-mauvais, mais cela n’est pas

forcément la seule façon de voir les choses. De plus, c’est une

proposition générale qui se réfère à deux concepts, ou plutôt à deux

oppositions dont la définition est extrêmement relative et nuancée : le

Nous-Autres et le Bien-Mal.

Par opposition à la définition catégorielle arbitraire : « tout Autre est

considéré comme mauvais », on peut montrer des exemples qui le

contredisent : il existe des Autres, bien identifiés comme non

appartenant à notre groupe ethnique, qui ont une valeur, qui sont

dignes d’estime tout en appartenant à la catégorie « Autre ». Après,

on peut discuter (et c’est ce que nous allons faire plus tard) si les

27

actions censées appartenir à cet Autre ont une altérité objective et si

cette objectivité est indispensable. De toute façon ce qui compte pour

notre analyse c’est qu’aux yeux du Nous, la source de ces actions est

manifestement Autre.

D’une façon générale et dans une analyse strictement

philosophique, l’identification est la définition de ce qui est. En traçant

les limites de ce qui est, elle détermine nécessairement ce qui n’est

pas. L’identité est une construction par rapport à un Autre et l’Autre

se définit par rapport à soi. Elle n’existe donc pas sans sa négation,

nommée l’altérité. Inversement, l’autre n’existe pas sans l’identité.

Dans les sciences sociales le concept a pourtant plusieurs

applications selon les différentes disciplines et selon le moment de

leur histoire. Le mot est donc polysémique et désigne différentes

formes de regroupement de la société. Le problème commence à

partir du moment où l’ « identité » devient un concept social très

sollicité avant d’être un objet scientifique. L’identité peut, par

exemple, véhiculer la revendication politique d’un groupe face à un

autre qui le domine.

Le processus d’identification désigne les caractéristiques d’une

entité, mais cette énumération de traits non seulement ne recouvre

pas la réalité complète de l’objet qu’elle prétend décrire, mais elle le

définit, le crée en quelque sorte, parfois d’une façon normative.

S’agissant d’une catégorie, cette définition arbitraire, mais qui se veut

souvent « objective », détermine qui y appartient et qui en est exclu à

partir d’un critère arbitraire. Ainsi, l’identité est liée à une dynamique

d’inclusion et exclusion.

L’identité, « C’est une manière de désigner plutôt que de

comprendre […]. L’identification de ce que l’on tient pour identique

délimite (par exemple géographiquement) et détermine des espaces,

28

des propriétés, des attitudes, voire des essences originelles et

éternelles » (Laplantine 1999, p. 18).

Concernant la culture, ce que Verkuyten (2003) appelle

« essentialisme », c’est l’idée selon laquelle la culture serait liée à

une essence du groupe social, qui fait d’une catégorie sociale

(comme celle de l’identité), une catégorie naturelle avec une essence

sous-jacente. Lorsqu’on « essentialise » un groupe, on assume que

ce que ses membres font, est dû à une essence qu’ils portent en eux,

qui fait en quelque sorte partie de leur « nature ». Des auteurs

comme Yzerbyt et Schradon (1996) montrent comment cette notion

d’essence permet aux individus d’inférer des qualités et d’anticiper

des réactions sur les membres de groupes sociaux. Les théories

cognitives nous expliquent qu’en effet, la pensée essentialiste est

onmi-présente et qu’elle est, à un certain degré, tout à fait normale et

nécessaire. Néanmoins, il faut aussi considérer les pratiques

discursives qui montrent comment cet essentialisme peut être laissé

à côté, voire contredit pour laisser la place à d’autres logiques.

Le racisme a été souvent considéré comme une vision

essentialiste. Ainsi, les idées essentialistes sont de plus en plus

critiquées dans les sciences sociales, au profit de la notion de la

construction sociale des identités. Un exemple est la critique contre la

fixation des représentations et de l’identité qui fait Laplantine (1999).

L’anti-essentialisme est souvent mis en valeur comme un fondement

contre les représentations hégémoniques.

Pourtant, la pensée essentialiste est retrouvée aussi dans les

discours des anti-racistes, puisque ce sont eux qui parlent d’un

respect des races, qui mettent en valeur les luttes raciales et des

termes comme « les blancs », « les noirs », les « beurs » etc., dans

la quête pour l’égalité.

29

Le multiculturalisme est souvent imprégné d’un type semblable

d’essentialisme, en liant culture et ethnicité. Cette liaison est au cœur

de notre réflexion sur la construction d’imaginaires du peuple tibétain,

où il y aurait effectivement cette association entre une culture

(représentée quasi entièrement par l’aspect religieux) et une identité

tibétaine. Cette association, qui revient à une sorte d’argument

essentialiste, est utilisée pour des fins de reconnaissance du peuple

tibétain et de légitimation de leur culture. Dans notre cas, l’image de

la culture tibétaine (riche, ancienne, pacifique, spirituelle, etc.) qui est,

on le sait, valorisée, et qui par conséquent devrait être préservée,

sert la cause sociale et politique de la préservation d’une ethnie

autonome et indépendante. En même temps, une identité essentielle

doit être maintenue pour avoir une visibilité vis-à-vis des systèmes

politiques occidentaux dominants qui suivent une logique

bureaucratique de classification et d’identification. On voit donc

comment l’essentialisme peut servir la cause des minorités.

Cette essence-culture est souvent considérée comme un

« héritage » qui doit être préservé soigneusement, évitant sa

« contamination » (par exemple, l’« occidentalisation »). Pourtant,

l’essentialisme promeut la création de frontières, et peut donc

provoquer de la discrimination au bout d’un certain temps. Cette

essence-culture peut également être utilisée pour dénigrer des

groupes qui ne correspondent pas à l’image de l’essence « pure ».

Par ailleurs (Verkuyten 2003) montre qu’il est possible de trouver

l’utilisation d’arguments essentialistes et anti-essentialistes dans un

même discours pour une même revendication. Cette utilisation

alternative et parfois paradoxale pour étayer une certaine vision des

choses dans un contexte de communication sociale, nous révèle

30

l’importance des stratégies rhétoriques et leur applicabilité selon le

contexte.

Le débat de la représentation des groupes ethniques, et qui peut

contenir en soi ces notions d’essentialisme culturel, peut avoir bien

évidemment des conséquences importantes dans les relations

interethniques. « Scholars from different countries have noted that

the dominant discourse on ethnic minorities has shifted from

biological theories of inferiority to essential and incompatible cultural

differences » (Verkuyten 2003, p. 386). Nous ajouterons que les

cultures peuvent se présenter comme « incompatibles » car elles

sont des essences constituant des identités qui sont par principe

séparées l’une de l’autre. Si elles se veulent uniques et donc

incommensurables, elles peuvent se voir aussi complètement

étrangères et donc isolées, écartées, exclues.

La pensée identitaire valorise ce qui est atavique, elle implique une

origine, elle veut appréhender les groupes sociaux « à partir de ce

qu’ils étaient autrefois, et non de ce qu’ils sont en train de devenir »

(Laplantine, p. 41), elle réifie la recherche de l’autochtonie, de

l’authenticité, elle cherche les fondements dans les « origines ». Elle

peut disposer de plusieurs critères pour différencier, comme la race,

la langue, l’ethnie, la religion, etc. ; tous figés et, le pire pour la

recherche, elle devient souvent une forme d’explication en attribuant

la causalité des comportements aux identités. L’identification à une

race n’est pas très éloignée de l’identification à une « culture » :

«… la culture peut elle aussi fonctionner comme une nature, en

particulier comme une façon d’enfermer a priori les individus et les

groupes dans une généalogie, une détermination d’origine immuable

et intangible » (Balibar, 1990, p. 34). La théorie des « relations

ethniques » (ou, en anglais, des race relations) « naturalise non pas

31

l’appartenance raciale mais le comportement raciste » (Balibar, 1990,

p. 35). « Race » et « culture » peuvent donc servir la même pensée.

Cette pensée en termes d’identités ne veut pas de cultures

polyformes, mélangées, contaminées, réinterprétées. Elle cherche

des spécificités autochtones qui puissent servir pour trancher les

différences avec les Autres. Elle veut être en possession de la vérité

de ce qui est, par exemple, le bouddhisme, et de ce qui ne l’est pas.

Mais elle oublie que les « traditions » inventées, par exemple

l’« Orient », sont « des processus d’acquisition, d’élaboration,

d’interprétation, qui se constituent en permanence dans un

mouvement d’interaction ininterrompue » (Laplantine 1999, p. 50).

Cette idée de cultures séparées nettement identifiables, donne lieu

au concept d’acculturation, comme l’interaction de ces entités, et que

nous analyserons plus tard.

La réalité est que l’ethnicité n’est pas le produit de la séparation

des groupes qui reproduisent leurs caractéristiques de façon isolée.

Bien au contraire, comme le signale Barth (1999), elle surgit de

l’interaction, elle est une réaction face à l’Autre. L’intensification des

échanges ne provoque pas forcément l’assimilation et

l’homogénéisation culturelle entre les groupes : par contre, elle peut

provoquer l’affirmation de leur spécificité identitaire. Dans le même

sillage, Couture (2000), signale que les situations de contact

génèrent des traditions et, ajouterons-nous, des catégories

ethniques.

En société, l’identité est une forme de catégorisation sociale. Le fait

que l’individu puisse déployer plusieurs identités implique qu’elles

résultent de la dynamique socialisation, qu’elles dépendent des

relations sociales, qu’elles se construisent dans l’interaction, et

qu’elles ne sont pas figées une fois pour toutes. Les individus

32

imaginent l’appartenance à un groupe, et les caractéristiques de ce

groupe. Malgré le fait que les groupes sociaux sont hétérogènes et

qu’il y a toujours des différences et donc des possibles lignes de

division, on peut aussi fonder l’unité de l’identité d’un groupe en

fonction de certaines fictions comme des origines communes. Ce

processus implique la disponibilité de ressources symboliques

comme la langue ou la religion.

Ces raisonnements viennent clarifier le concept et ainsi éviter les

nombreuses inférences erronées qui ont été faites à partir de

l’application du simple principe logique de l’exclusion-inclusion en le

rattachant à d’autres concepts et problématiques sociales. Par

exemple, il est une erreur de croire que le sentiment d’appartenance

communautaire (une des définitions possibles d’identité) est contraire

à l’intégration volontaire de manifestations culturelles d’origine

étrangère (une des définitions d’altérité culturelle), seulement à partir

du principe logique d’exclusion selon lequel l’identité se définit en

excluant ce qui n’est pas elle-même. Ou encore est-il une confusion

que de dire que si l’on a besoin de valoriser l’identité propre, on doit

donc dévaloriser l’altérité. Si un tel besoin de valorisation de l’identité

propre existe (ce qui est une supposition), la seule chose que nous

pouvons inférer logiquement c’est que ce qui fait partie de la

catégorie Nous sera valorisé, tandis que pour l’altérité (étant, elle, en

dehors de la catégorie, mais pas forcément son contraire) nous ne

pouvons rien inférer quant à sa possible valorisation. Pouvons-nous

prétendre que les comportements de violence basés sur une idée de

ségrégation (et donc d’exclusion), sont dus à l’existence d’identités

différentes et donc qu’il faut imposer une même identité (par exemple

que nous appartenons tous à la même race humaine) pour en

terminer avec la violence ? Non. L’inclusion ou l’exclusion dans des

33

catégories sociales n’impliquent aucunement, d’une façon nécessaire

ou logique, ni la violence, ni la haine, ni la dévalorisation, ni le mépris,

ni l’évitement. La raison de ces confusions (et tant d’autres de ce

type) c’est le mélange des conceptualisations complexes des

sciences sociales avec un principe qui appartient à la Logique.

S’il est vrai que l’appartenance identitaire peut constituer le

fondement argumentatif d’une action vis-à-vis de l’Autre : « Je suis X,

donc je dois faire… », il ne s’en dégage pourtant pas, comme une

conséquence nécessaire que « Pour conjurer les violences, il faut

dépasser chacune de nos appartenances soit en les combinant avec

d’autres, soit en les déstructurant » (Oriol 2001, p. 113). Peut-on

considérer que le renforcement des appartenances soit un facteur

détracteur des échanges avec les Autres ? En principe, cela ne

semble pas une conclusion nécessaire. La question pourrait

dépendre des conditions symboliques par lesquelles l’identité-

appartenance propre est affirmée ou infirmée.

Barth (1999) dissocie l’identité ethnique des contenus culturels.

Pourtant il n’est pas le premier à le faire. Avant lui, Hughes l’avait

déjà dit très clairement : « Un groupe ethnique n’est pas caractérisé

par son degré de différence, mesurable ou observable, avec d’autres

groupes ; au contraire, c’est un groupe ethnique parce que ceux qui

lui appartiennent et ceux qui sont à l’extérieur le considèrent comme

tel, et parlent, sentent et agissent comme s’il constituait un groupe

distinct. » (Hugues, 1996, p. 202). Dans notre approche, cette

distinction est fondamentale, car nous avons observé que l’idée d’une

identité ethnique distincte, est toujours présente dans l’esprit des

individus qui se sentent attirés par ces « autres cultures »,

indépendamment des différences culturelles réelles. Barth signale

que ce qui compte concernant cet aspect des relations

34

interethniques, c’est l’analyse des liens que les gens établissent entre

une conduite particulière et une identité. Au cœur de notre

problématique est donc la frontière ethnique, et non pas les relations

entre « cultures » définies de l’extérieur par le chercheur qui décide

quels sont les traits qui correspondent à chacune et ses limites. Il

s’agit de relations entre individus qui se considèrent ou s’identifient

entre eux comme appartenant à un autre groupe ethnique.

Par ailleurs, « Seuls les facteurs socialement pertinents deviennent

discriminants pour diagnostiquer l’appartenance, et non les

différences ‘objectives’ qui sont engendrées par d’autres facteurs.

Quels que soient les écarts manifestes de comportement entre les

membres du groupe, cela ne fait aucune différence » (Barth 1999,

p.212).

Face à ces différentes applications du mot identité et les

complexifications qui peuvent y avoir lieu, nous préférons garder

l’approche la plus élémentaire d’identité en tant qu’une catégorie

socialement construite.

Comme toute construction identitaire et « nationale » la

construction de la culture tibétaine, en tant que culture de tous les

Tibétains, est en quelque sorte imaginaire (reprenant le terme

d’Anderson, 2000). Ils ont aussi un mythe d’origine et de leur

caractère national particulier. Mais la réalité c’est qu’il s’agit d’un

pays divisé culturellement, notamment à travers l’adhésion aux

différentes écoles bouddhistes ou différents courants idéologiques.

Pourtant, le Tibet dans le contexte du monde, se présente en

Occident avec une autre image, notamment marquée par « une

emphase exagérée sur la pratique bouddhique dans sa particularité

tibétaine. […] Le Dalaï Lama a observé que les jeunes tibétains de la

communauté réfugiée montraient un intérêt renouvelé pour leur

35

religion parce que ‘les Européens et les Américains montrent un

intérêt sincère pour le bouddhisme tibétain’. » (Lopez 2003, p. 225).

Ce fait est d’une grande importance car il montrerait que les discours

construits par rapport au Tibet s’inscrivent véritablement dans un

phénomène de va-et-vient entre Occidentaux et Tibétains et qu’il a

des effets dans les deux sociétés. Même si le discours auquel le

grand public occidental a accès sur ce qu’est le bouddhisme tibétain

est largement construit en Occident et qu’il ne peut être qu’un

discours occidental puisqu’il doit ‘parler’ aux Occidentaux dans leurs

propres termes, la participation des tibétains dans cette construction

et dans sa diffusion, ne peut pas être niée non plus. Le rôle du Dalaï

Lama et des autres lamas dispersés en occident notamment depuis

1959 en est un exemple. Le processus de brassage est encore plus

complexe dès que la façon dont les Tibétains se présentent reprend

quelques aspects qui, comme la religion, séduisent les Occidentaux

depuis le XIXème siècle (par exemple le Tibet comme lieu de

préservation d’une sagesse universelle). De surcroît, cette

intentionnalité de la part des Tibétains a sûrement à voir avec la

cause de l’indépendance de la Chine, mais elle s’inscrit aussi dans le

contexte de la mondialisation où chaque collectivité a intérêt à se

projeter sur la scène internationale avec une image favorable. Ceci

est d’autant plus important pour les groupes minoritaires qu’ils se

trouvent face à des collectivités dominantes. Ainsi, on peut voir

comment le discours sur une identité culturelle est et a toujours été

syncrétique : une construction dans le contact. Historiquement il est

conséquence de ce contact, mais il en est aussi une cause car il

façonne les rapports culturels entre les individus.

Enfin, un élément qui peut compter dans la dynamique des

représentations qui nous concerne ici, c’est le fait que la valorisation

36

que les groupes majoritaires (normalement appelés Occidentaux) ont

faite de certaines manifestations ou productions ethniques a parfois

entraîné une valorisation de ces manifestations de la part des

autochtones qu’ils ne connaissaient pas avant le contact avec

l’Occident. Ceci est illustré dans le cas du marché de reliques

archéologiques. Les indigènes perçoivent que la valeur que les

Occidentaux accordent à ces objets leur permet d’avoir une position

avantageuse dans la relation. Ceci peut s’étendre aussi au-delà du

domaine des objets vers celui de l’identité ; des éléments identitaires

attribués par les Occidentaux aux indigènes, peuvent être appropriés

par les indigènes dans le cadre de la relation avec les sociétés

occidentales. Un exemple de ce type de réappropriation des images

construites dans le contexte du contact est documenté par

Malewska-Peyre (1999). Nous voyons comment les lamas tibétains,

s’appropriant ces images pour se présenter sur la scène

internationale, jouent un rôle important dans la reproduction du

discours.

Klein et Licata (2003) nous montrent que les orateurs « ajustent »

leur discours en fonction de l’audience à laquelle ils s’adressent, et

ont recours à des catégories distinctes selon l’idée qu’ils veulent

transmettre. Ceci vient étayer l’idée que les représentations des

objets ou des sujets ne sont pas univoques, qu’il n’est pas question

de penser qu’elles sont le reflet d’une nature objective, et surtout,

qu’il faut être conscient que la réalité culturelle est façonnée à partir

de ces multiples façons de représenter une « même » chose, de

construire des identités en fonction du contexte et de la relation. Ces

différentes façons de représenter l’Autre et soi-même font partie de la

réalité quotidienne, et ces « ajustements » sont notamment une

fonction de la situation sociale, du type d’Autre que nous avons en

37

face : « Different audiences may be thought to endorse different

viewpoints and opinions. Speakers may therefore adjust their

discourse, and hence the content of their representations, to these

audiences. » (Klein et Licata 2003, p. 573). Au niveau cognitif, nous

expliquent ces auteurs, la représentation d’un groupe social est un

processus souple qui varie en fonction des traits saillants que les

acteurs perçoivent dans une situation sociale. Dans leur étude de cas

à partir des différences des discours réalisés par Patrice Lumumba

pendant la décolonisation du Congo Belge, ils ont remarqué, par

exemple, que s’adressant aux Belges, il représentait les Belges

comme des alliés bienveillants (qui pouvaient aider le Congo à se

développer), et les Congolais comme des gens pacifiques et

amicaux. S’adressant à ses compatriotes, il représentait les Belges

comme des oppresseurs, et les Congolais comme des victimes. A

partir de ces différences, ils ont divisé les discours en deux types :

ceux évoquant l’« anti-colonialisme », et ceux évoquant la «

coopération ». Ils considèrent ces différentes formes de

représentation comme une fonction du type de réaction qu’il espérait

éveiller chez ses interlocuteurs, ils analysent donc le rôle performatif

(dans le sens donné par Austin, 1976) des discours en termes de

« stratégies argumentatives ».

Un exemple parmi d’autres de la valorisation de l’Autre culturel,

c’est le bouddhisme tibétain en France. La première question, celle

qui était à l’origine de cette recherche, c’était quelles sont les causes

de l’attraction qu’exerce cette religion chez bon nombre de Français.

Comment se fait-il qu’existe cette « sympathie » malgré l’origine

étrangère de cette doctrine?

Les enquêtes d’auteurs spécialisés dans le domaine du religieux

(que nous verrons en détail dans le chapitre 5) montrent que les

38

sympathisants du bouddhisme tibétain « bricolent » à partir de

plusieurs traditions, passent d’engagement à l’autre suivant une sorte

d’« itinéraire spirituel ».En outre, après une révision bibliographique

comparative, des études qui analysent les raisons pour adhérer à

diverses croyances comme le « chamanisme », le bouddhisme ou

encore l’Islam, nous montrent le recours à des rhétoriques

remarquablement semblables (chapitre 6).

Ces trouvailles nous permettent de supposer que l’engouement

pour le bouddhisme fait partie d’une attitude qui ne concerne pas

uniquement cette adhésion ; que le bouddhisme n’est qu’une étape

dans un parcours, qu’il n’est qu’une pièce pour le bricolage. En outre,

cela implique que notre étude concerne une problématique plus

ample, portant sur la place de l’Altérité dans les nouvelles formes du

croire en Occident.

La valorisation du pluralisme se trouve dans différents secteurs de

la culture et de la pratique sociale. Par exemple, les rencontres

multiculturelles dans les entreprises (cas présenté par Démorgon,

2002), peuvent être considérées comme sources de difficultés, mais

aussi comme des possibilités de découvrir et de développer des

ressources nouvelles. Par exemple, la multiplication d’entreprises

multinationales et la mondialisation des échanges commerciaux ne

fait qu’accroître une tendance qui, semble-t-il, gagne de plus en plus

de terrain dans la culture général. Cette mixité culturelle donne lieu à

certains types de discours par rapport à l’Altérité, et dont Démorgon a

analysé quelques idées de fond : -La culture comme un processus en

formation et non la culture déjà produite, - « La rationalité est

universelle » : tout le monde peut s’entendre grâce à l’utilisation de la

raison et de l’expression claire, -« Il n’y a guère que la barrière de la

langue à surmonter », toute différence culturelle peut être surmontée

39

par de bonnes traductions, l’apprentissage des autres langues, ou

l’utilisation de l’Anglais. Ces idées nous semblent être fondamentales

aussi dans les nouvelles formes du croire par rapport à l’altérité. Par

exemple, nous croyons que l’idéologie qui fait l’objet de notre

recherche suppose l’existence d’universaux et que les traductions

sont des équivalents exacts des originaux.

Pourtant, ces « équivalences » ne font pas disparaître l’élément

identitaire et donc la perception d’une pluralité. Par exemple, l’identité

ethnique joue un rôle important dans l’échange d’objets qui sont

censés avoir cette origine ethnique. La rechercher sur l’interculturel

porte-t-elle sur la « Construction des relations entre ‘sujets

culturellement identifiés’ » (Hily, 2001, p. 9). De surcroît, l’acquisition

de cet objet a la valeur symbolique de réduire la distance à l’Autre.

L’échange marchand est un moyen de cohabitation. Dans notre cas,

nous sommes face un processus d’échange de symboles, et donc

face à une dynamique qui ressemblerait à celle du marché ethnique.

Après tout, notre « objet ethnique » est une croyance investie d’une

identité ethnique ; elles deviennent des « ressources culturelles » et

suivent une logique qui tend à les mettre en valeur et les rendre plus

désirables dans le marché.

Le pluralisme est analysé par Friedman, (2003) dans le contexte

de la globalisation, qu’il associe à la « fragmentation culturelle »

(cultural fragmentation) et que nous entendons comme la dispersion

des éléments (formes, signifiants) culturels au-delà des limites

traditionnelles, comme la Nation, une ethnie ou une religion. Dans ce

contexte, la valorisation de la pluralité culturelle et ses identifications

ethniques, n’est pourtant pas une affaire de tous les secteurs de la

société. Cet auteur signale que « The discourse of cosmopolitan

openness is not coming from people who are integrated socially in

40

the diversity that they espouse. It emanates from the gentrified

fortresses that form the urban centers of global power » (p. 751).

Cette observation coïncide avec les observations notamment des

sociologues (Etienne et Liogier 1997, Le Quéau 1998, Lenoir 1999,

Obadia 1999), par rapport à la prépondérance d’une population

urbaine, de couches plutôt « aisées » et d’individus diplômés parmi

ceux qui adhèrent à une spiritualité liée à une tradition « ethnique »

dans le sens d’un Autre non-occidental, mais avec qui ils ont peu de

relations sociales.

Les traits mis en avant pour représenter une identité, dans notre

cas l’identité de l’Autre, peuvent être choisis d’une façon arbitraire.

Nous pouvons toujours choisir certains éléments qui nous plaisent ou

qui nous déplaisent pour construire ainsi une image, soit positive, soit

négative. A travers la socialisation et à cause de l’information que les

individus reçoivent de leur milieu culturel, ils apprennent et

conçoivent l’Autre à travers ces représentations. Il s’avère donc

nécessaire de connaître les dispositifs culturels mis en œuvre dans la

reproduction et la diffusion de cette information.

On peut constater que la religion est un aspect de la culture

tibétaine qui est très souvent mis en relief en Occident. Désormais, la

religion est prise comme véhicule des imaginaires sur ces Autres. Le

bouddhisme tibétain, comme toute religion d’ailleurs, est un

ensemble de croyances non seulement très vaste, mais aussi

dynamique et ayant des symboles et des consignes qui peuvent être

traduits et interprétés différemment. Même à l’intérieur d’un groupe

culturel relativement homogène, ces interprétations peuvent être si

distinctes, qu’elles provoquent des schismes, comme il a été le cas

dans l’histoire du christianisme de certains pays européens. Les

différences entre les réinterprétations des individus venant d’autres

41

contextes culturels et sociaux, peuvent donc être très importantes.

De ces réinterprétations dépend la bonne image que l’on peut se

former d’une autre identité culturelle.

EXOTISME ET STEREOTYPES

La pensée orientale a souvent été représentée comme étant

opposée à celle des Occidentaux. « L’Occident se serait préoccupé

de la maîtrise de la nature, l'Orient de la connaissance et de la

maîtrise de soi. L'Occident est prométhéen, l'Orient contemplatif;

l'Occident matérialiste, l'Orient spiritualiste, etc. » (Weinberg, 2001, p.

28). Cette simplification extrême va contre les faits que « les

sagesses grecques (stoïcisme, épicurisme) se fondèrent sur des

préoccupations très proches de ce qu’on attribue aujourd’hui à la

‘spiritualité’ » (ibid.), ou que la pensée orientale n'a jamais ignoré les

affaires matérialistes et la pensée rationaliste (Goody, 1999).

Ces images ont été souvent motivées par l’exotisme entendu

comme une idéalisation de l’Autre ethnique à travers des catégories

occidentales comme « naturel », « spirituel », « libre », etc. La

fascination pour l’Autre se trouve déjà chez Christophe Colomb de

manière quasi archétypale, lorsqu’il utilisait des références bibliques

pour décrire les Îles Caraïbes comme un paradis sur terre, et

manifestait sa fascination pour la beauté physique des Indiens.

L’expansion coloniale qui commença dès le XVe siècle et l’arrivée

des nationalismes par la suite, seraient à l’origine d’une classification

et hiérarchisation des peuples en tant qu’ethnies et races, et, comme

le signale Clifford (1996), une tendance à « dichotomiser » et à

« essentialiser » l’Autre, le figer dans une autre nature. La période

coloniale ajouta à ces classifications un critère évolutionniste pour

42

dénigrer les colonisés et justifier ses invasions. Ce dernier aspect a

changé, justement avec la fin du colonialisme, mais la vision

dichotomique et essentialiste reste très présente jusqu’à nos jours.

La dichotomisation joue un rôle important car elle signifie la

perception de l’Autre comme le contraire de Soi. Cette

dichotomisation place les deux parties dans des positions

radicalement différentes, ce qui permet l’idéalisation d’une partie et la

« diabolisation » de l’autre. Citant Freud et Erdheim, Lüsebrink (1999)

montre qu’il serait possible que des formes d’exclusion radicale

comme la xénophobie ou l’exotisme, aient en commun des stratégies

semblables d’évitement psychologique qui détournent l’attention

d’une connaissance plus approfondie de l’Autre.

Un facteur important à prendre en compte concernant les raisons

des représentations valorisées du Tibet aujourd’hui, est le contact

social entre les membres des deux sociétés. Ce contact est très

réduit, et les conflits sociaux n’existent pratiquement pas. Au

contraire, souvent il peut y avoir une sorte de condescendance pour

un peuple qui est ou a été trop long temps opprimé et méprisé.

Les quelques Asiatiques qui se manifestent sur la scène publique

occidentale ont pourtant su s’approprier quelques-uns des éléments

positifs de l’image que les Occidentaux se sont construit du Tibet,

pour se présenter avec cette identité valorisée.

En outre, les ethnies sont pensées en tant qu’unités confinées, à la

manière d’Etat-Nations, avec des frontières bien définies. Des traits

communs à tous les membres (culture, mœurs, religion, voire

phénotype) définiraient ces unités cohérentes.

Les identités collectives stéréotypées ont été reproduites et

diffusées par des écrits comme ceux de Jean-Jacques Rousseau

(avec ses « nobles sauvages »), Châteaubriand, voire ceux des

43

ethnographes. jusqu’aux discours ethnographiques. Certaines de ces

idées sont aujourd’hui utilisées dans la publicité et le tourisme. Les

médias contemporains « contribuent dans une large mesure à ancrer

ces registres dans les mentalités collectives » (Lüsebrink 1999, p.

84). Il existe une « […] forte interdépendance entre la perception de

l'Autre et les formes de représentation discursives, ces dernières

étant chaque fois caractérisées par une diffusion socioculturelle plus

ou moins large. » (ibid., p. 88)

Depuis le XVIe siècle, l’exotisme constitue un des principaux

paradigmes de perception, représentation et d’appropriation de

l’Autre. « Dérive du mot grec « exotikós » qui signifie « étranger » ou

« différent », le terme « exotique » se réfère, depuis cette époque, à

tout un ensemble d’images de l’Autre, cristallisées tant dans des

représentations visuelles que dans des récits et termes, qui

constituent un vaste champ lexical et sémantique : ‘mystérieux’,

‘bizarre’, ‘curieux’, ‘enchantant’, ‘indigène’, ‘paradisiaque’… » (ibid., p.

85) L’amplitude de ce champ sémantique montre qu’il existe toujours

diverses façons de véhiculer les représentations et leurs connotations

à travers des concepts qui changent en fonction du moment culturel.

Ce sont ces concepts que le chercheur doit mettre en évidence, car

le mot « exotique » lui-même est peu utilisé, et dans certains

contextes il peut avoir un sens péjoratif. En tout cas il est important

de souligner que les constructions de l’Autre circulant dans l’espace

culturel d’une société sont variables, multiples et se superposent.

Pour Lüsebrink (1999) la notion de transferts est très importante.

« La construction faite d’une culture et ses représentants est, en

effet, fortement traversée et déterminée à la fois par des transferts

sur le plan réel, - transferts de personnes, d’objets, de modes d’agir –

et des transferts sur le plan symbolique et discursif : traduction de

44

textes, au sens très large du terme, d’une culture à une autre ;

adaptation, réécriture, et transposition de ceux-ci ; mais transferts

aussi de concepts et de modes de pensée, régis souvent par des

volontés de domination politique, culturelle et économique, comme

c’était le cas pour l’expansion coloniale. » (p. 90)

Les études sur la stéréotypie constituent un champ où il y a eu des

découvertes importantes qui peuvent être utiles pour comprendre les

processus qui contribuent à construire les images de l’altérité et par

conséquent pour comprendre les relations interethniques. « Les

relations interethniques au sein d’une société pluraliste se

caractérisent souvent par la pauvreté des formules qui modèlent

l’interaction sociale. Et les rares qui subsistent deviennent

hautement conventionnelles et stéréotypées. » (Douglass et Lyman,

1976, p. 212)

Dans une définition assez consensuelle, selon Bert (2003) « Le

stéréotype est un ensemble de croyances donnant une image

simplifiée des caractéristiques d’un groupe. […] Le préjugé inclut le

stéréotype, qui en constitue l’aspect cognitif, mais y ajoute un aspect

conatif [la prédisposition à agir d’une certaine façon] et un aspect

affectif, fait de sentiments de méfiance, de mépris… Le préjugé, en

effet, est généralement péjoratif » (p. 46). Ce dernier paragraphe fait

penser que le stéréotype n’inclurait pas l’aspect conatif ni l’aspect

affectif, et que ces derniers seraient généralement négatifs. Cette

restriction ne nous paraît pas nécessaire, ni même souhaitable. Pour

nous, qu’elle que soit la définition, l’analyse de cette image que l’on

se fait de l’Autre doit contenir l’aspect conatif et affectif, et doit

considérer aussi les stéréotypes qui donnent une image positive.

« Les gens y tiennent parce qu’ils les aident à donner sens au

monde qui les entoure » (ibid.). Ils font partie de la fonction cognitive

45

générale de la catégorisation qui nous permet de réduire l’immense

quantité d’inputs sensoriels, pour en faire une image simplifiée, une

définition maniable, et réagir d’une façon déjà apprise.

« Notre esprit est meublé de représentations collectives à travers

lesquelles nous appréhendons la réalité quotidienne et faisons

signifier le monde. » (Amossy 1991, p. 9). Les schèmes collectifs plus

ou moins figés et simplifiés conditionnent notre perception et notre

interprétation du réel. Il s’agit d’un acte mental général qui consiste à

ramener le singulier à une catégorie générale constituée de certains

attributs prédéterminés. Le stéréotype serait un de ces schèmes,

mais extrêmement simplifié et surtout aux attributs figés. Bien que cet

aspect extrême des stéréotypes puisse les rendre parfois

inappropriés pour notre étude, le principe cognitif général mis en

œuvre dans la stéréotypie peut être appliqué non seulement aux

images mais aussi aux représentations, concepts, idées, croyances,

nous permettant d’analyser les opinions et les discours.

Les moyens de communication comme la publicité, la presse, les

best-sellers, etc., renforcent constamment nos stéréotypes. Avec la

massification et globalisation de la distribution de l’information, c’est

aussi les stéréotypes qui se massifient. Mais réciproquement, ces

produits culturels se nourrissent des images et des idées qui naissent

dans la société contemporaine.

Les médias font circuler des images simplifiées de personnages

qui, selon Amossy, exercent une fascination puissante sur

l’imagination collective, devenant des mythes. Reste à savoir

comment ces images acquièrent cette valeur et par quel biais

transmet-on cette valeur.

Même s’il s’agit de « descriptions » de la réalité, comme dans le

cas de la presse qui prétend être objective et sans préjugés (encore

46

faut-il voir si le texte l’est effectivement), les textes que nous allons

analyser sont le résultat d’un stéréotypage choisissant certains traits

du réel qui correspondent aux cases des schèmes préexistants. Il

s’agit d’un découpage et d’un effacement des autres traits. Les

variantes de chaque particularité sont réduites et réinsérées dans le

moule auquel on est habitué.

Dans sa manifestation sociale le stéréotype permet de caractériser

l’endogroupe, le nous, par rapport à l’exogroupe, les Autres (ce qui

relève du principe logique A n’est pas B). En psychologie sociale on a

exploré largement les mécanismes de catégorisation qui sous-

tendent ces représentations de l’autre. Il s’agit d’une part d’« Un effet

de contraste qui tend à accentuer les différences entre des sujets dès

lors qu’ils appartiennent à des groupes différents » (Lipiansky 2001,

p. 60), et d’autre par d’un effet qui « conduit à percevoir un étranger à

travers les images toutes faites transmises par la culture et à penser

que tous les ressortissants d’une même nationalité [ou groupe

ethnique] sont porteurs des traits prototypiques qui lui sont

associés » (op. cit, p. 60-61). « Cet effet d’assimilation est d’autant

plus fort qu’il porte sur un groupe étranger » (op. cit., p. 61). En outre

« On perçoit d’avantage ce qui semble prototypique » (ibid.). Par

contre, la fréquentation des individus d’un groupe diminue le recours

au stéréotype qui leur est associé.

Il faut remarquer que ces conclusions sont tirées à partir

d’enquêtes menées auprès d’individus de culture occidentale. Nous

les citons justement parce que nous nous intéressons aux

représentations occidentales, mais nous ne les prenons pas a priori

comme des caractéristiques générales de la cognition humaine.

D’autre part, la méthodologie employée dans ce type d’enquêtes crée

une situation qui est en quelque sorte artificielle. Par exemple, les

47

chercheurs proposent une situation de comparaison explicite entre

groupes, ce qui provoque que les mécanismes de catégorisation

soient plus actifs. En outre, on a démontré que les évaluations que

fait un même groupe, changent de nature en fonction des groupes

comparés.

Lipiansky (2001) rappelle le fait que les stéréotypes peuvent servir

à justifier les relations qui existent entre groupes, relations

influencées par des motifs politiques, économiques ou sociaux.

Ce dernier auteur expose une idée, largement répandue, selon

laquelle la tendance à dévaloriser l’autre viendrait nécessairement

comme conséquence de la tendance à valoriser son propre groupe

pour renforcer l’identité. Pourtant, comme nous l’avons déjà discuté,

nous n’avons pas trouvé d’argument logique comme quoi se

construire une identité positive impliquerait nécessairement une

dévalorisation d’Autrui. Cela dit, il est vrai que les stéréotypes ont

souvent fourni une justification au rejet de l’Autre, par exemple

lorsque deux groupes entrent dans un conflit politique. Ce serait une

forme de « rationalisation » ou légitimation discursive pour

« expliquer » et valider l’hostilité envers l’Autre.

Par ailleurs, parfois « les personnes stéréotypées y croient et

agissent en conséquence, « se comportant conformément à

l’image » (Bert, 2003, p.47) qu’on leur a attribuée. En outre, le cercle

vicieux s’accentue car les pratiques sociales se structurent en

fonction de ces stéréotypes. Ainsi, si « les Noirs sont considérés

comme des êtres inférieurs [peu intelligents], on ne leur accorde pas

suffisamment de chances d’éducation donc ils deviennent

effectivement inférieurs du point de vue de ce qu’ils accomplissent

effectivement. » (Bert 2003, p.47).

48

Pourtant, les stéréotypes ne seraient pas aussi figés et univoques

qu’on ne l’a cru dans le passé : ils sont plutôt des « constructions

élaborées au coup par coup en fonction du contexte, de la motivation,

etc. » (Bert 2003, p. 47). L’importance du contexte, en effet, nous

semble fort pertinente. Les stéréotypes étant une façon de réagir,

chaque circonstance entraîne une réaction spécifique (sans pour

autant vouloir dire que chaque cas implique une réaction différente à

toutes les autres). Un asiatique peut-être investi d’un tout autre

stéréotype lorsqu’on le rencontre dans un temple bouddhiste, ou

dans une entreprise ; ainsi, l’association qu’un Occidentale peut faire

à sa religiosité ou sa « sagesse » dépendraient du contexte et de la

situation d’interaction social.

Selon Amossy (1991) le stéréotype en tant que description, aussi

biaisée soit elle, n’a pas de valorisation. Cette valorisation s’opère

grâce à une « expansion métaphorique » où l’on passe au sens

« figuré ». C’est dans un processus additionnel, activé probablement

par le contexte, que les images, et les éléments qui les constituent,

acquièrent une valeur. Dans notre cas, c’est ce type de

« glissement » de sens et les contenus figurés qu’il faut creuser.

Concernant quelques-uns des stéréotypes occidentaux du Tibet,

on entend souvent dire même aujourd’hui que le Tibet serait resté

fermé aux influences extérieures ; suite à cela on peut lui associer

des images de pureté, d’authenticité, d’un lieu véritablement spécial,

d’alternative véritablement autre. Pourtant, Lopez nos explique que

les compte-rendus des voyageurs du XVIII détaillent de nombreux

contacts avec des marchands asiatiques. Dans son « Livre des

merveilles », suite à son voyage en Asie, Marco Polo « fait parti de

son admiration pour la magie tibétaine. Il est donc jusqu’à un certain

point, l’origine du stéréotype qui associe ‘Tibet’ à ‘magie’ et à

49

‘merveilleux’, qui fut notamment vulgarisé par Alexandra David-Néel

et qui est encore partagé par beaucoup d’Occidentaux. » (Obadia

1999, p. 13).

Parmi ces images, le Tibet apparaît comme une ressource pour la

société occidentale qui souffre les maladies du narcissisme, du

matérialisme, manque de repères, etc. La culture tibétaine serait une

alternative radicalement autre, lointaine, et par là, ambiguë. « […] le

Tibet est à la fois partout et nulle part, fonctionnant comme un

élément de différenciation à partir duquel tout est possible. » (Lopez

2003, p. 27) En France il est une alternative suite à un désir de

changement.

La construction de l’image du Tibet est à commencer par le nom

avec lequel on désigne fréquemment le bouddhisme tibétain en

Occident : le « lamaïsme ». De surcroît, le « lamaïsme » se substitue

quelquefois à ‘Tibet’ et ‘lamaïste’ à ‘tibétain’. Or, il se trouve que « Le

terme lamaïsme n’a pas d’équivalent dans la langue tibétaine ». !

(Lopez 2003, p. 31).

Le Dalaï Lama est la figure la plus représentative du Tibet, aussi

bien pour les Occidentaux, que pour les Tibétains (Lopez 2003, p.

210). Auteur ou co-auteur de plus d’une centaine de livres,

« ambassadeur » infatigable du Tibet partout dans le monde (mais

notamment dans les pays les plus riches) le Dalaï Lama est sans

doute la figure emblématique du tibétain en Occident. Toujours

souriant, suivi par des millions d’Occidentaux, avec un charisme qui

fait de lui une image presque mythique, il a largement contribué à

construire les représentations Occidentales de la culture tibétaine à

travers ses discours et des gestes symboliques qui constituent son

image « sympathique ». Un de ses efforts les plus important a été de

donner une image cosmopolite du bouddhisme tibétain notamment à

50

travers les échanges avec d’autres religions et une idée implicite (et

parfois explicite, puisque ses discours changent beaucoup) que

toutes les religions ont un fonds commun.

Dans un de ses livres (« Le Dalaï Lama parle de Jésus », 1996)

on trouve des commentaires de plusieurs autres auteurs, ce qui

donne l’idée d’une réciprocité dans l‘échange. Dans une postface du

P. Laurence Freeman, il décrit le Dalaï Lama comme un maître

spirituel, ayant une charge spirituelle globale. Il incarnerait les

« valeurs religieuses universelles de paix, de justice, de tolérance et

de non-violence ».

Le Dalaï Lama tente dans ce livre de montrer les points

convergents entre le bouddhisme et le christianisme, à travers des

exemples de textes de chaque doctrine, aussi bien que de la vie de

leurs fondateurs. Il s’oppose ici à la conversion et dit qu’il ne faut pas

tenter d’unifier les religions du monde en une seule, car cela

signifierait la perte des qualités et des « richesses » propres de

chaque tradition. Il serait important qu’il existe plusieurs religions pour

les différents besoins et dispositions des personnes, manifestant par

là une idée très proche de celle de la « religion à la carte ».

La religion y est clairement présentée comme une « voie » ou

plutôt comme quelque-chose à partir de quoi l’individu peut enrichir

sa voie, et la démarche du dialogue interreligieux, qui est celle du

Dalaï Lama et de ceux qui ont contribué à l’écriture de ce livre, serait

une contribution à l’enrichissement de la voie personnelle.

En effet, pour Obadia (1999), le bouddhisme se présente comme

un « enseignement » et les lamas comme des « maîtres » (guru en

sankrit, lama en tibétain). Mais la figure du maître semble aller au-

delà du contexte du bouddhisme, et même des religions

51

traditionnelles. Le maître est celui qui a des réponses, et il peut être

un « coach » ou un chaman aussi.

APPORTS DES ENQUETES SOCIOLOGIQUES

Au niveau sociologique, tous les auteurs consultés et qui se

référent à des statistiques concernant le type sociologique des

personnes intéressées par le bouddhisme, s’accordent sur le fait qu’il

y a une forte représentation des personnes ayant une formation

universitaire. L’un des chiffres les plus significatifs est le taux très

élevé de personnes ayant effectué des études supérieurs longues :

39% ayant un niveau bac + 4 et plus, et 64% ayant bac + 2. Par

ailleurs, « les médias les plus modernes, l'audiovisuel tout

particulièrement - mais aussi désormais le réseau Internet -, servent

de support à la propagation de la foi, et contribuent à bouleverser le

‘message’ » (Kempel 2000, p. 2448). Une forte représentation d'une

intelligentsia scientifique au sein des mouvements politico-religieux

aurait, quant à elle, une influence sur les formes et le contenu de la

prédication. L’influence d’une interprétation « intellectuelle » des

croyances seraient donc un élément essentiel de la lecture et

valorisation des manifestations culturelles et religieuses de l’Autre.

Ce phénomène d’intérêt et revendication des croyances religieuses

est, selon Kempel, assez nouveau: « on était souvent habitué à

considérer que les milieux restés religieux avaient pour caractéris-

tique de ne pas avoir été exposés à la modernité, de recruter

principalement dans les campagnes, les couches âgées ou peu

éduquées de la population ». (Kempel 2000 p. 2448)

Parmi les sagesses orientales, le bouddhisme bénéficie d'un grand

succès en France au moins depuis 1990, et notamment depuis

52

l'attribution du prix Nobel de la paix au dalaï-lama en 1989. Ce

dernier est devenu une icône vivante, non seulement du bouddhisme

tibétain, mais aussi du bouddhisme tout court. L’image très positive

du bouddhisme est attachée de façon prépondérante à sa variante

tibétaine et entraîne sa médiatisation (interviews et dialogues avec le

dalaï-lama et avec d'autres lamas réchappés du Tibet,

documentaires, livres, œuvres cinématographiques...). « Par

comparaison, l'audience des sagesses tirées du Vedanta indien ou

de la voie taoïste chinoise, qui s'expriment dans des formes moins

institutionnalisées, demeure discrète » (Hourmant, 2000, p. 28).

En effet, si le dénombrement des bouddhistes français est difficile

car les engagements ne correspondent pas à des catégories

nettement identifiables ni observables, la diffusion des messages

concernant le bouddhisme tibétain est tout à fait remarquable ; par

exemple plusieurs livres sur le sujet ont eu des tirages supérieurs à

cent mille exemplaires. Cette indéniable « surexposition médiatique »

des manifestations bouddhiques ou tibétaines peut entraîner une

forte visibilité, mais aussi la réinterprétation et la formation de

stéréotypes et d’idées occidentalisées sur le bouddhisme.

Obadia (1999) constate que pour ceux qui ne sont pas convertis

mais intéressés par le bouddhisme, les thèmes traditionnellement

bouddhistes représentent une partie minime du lexique de leurs

discours. Cela met en relief l’importance des contenus qui circulent

dans l’espace culturel général dans la formation d’imaginaires sur le

bouddhisme.

F. Lenoir constate que "... sous des formes et à des degrés très

divers, les sagesses orientales semblent bien implantées en Europe

et aux Etats-Unis. » (Lenoir 2000, p. 2401). Toujours pour Lenoir

(1999), le bouddhisme serait une doctrine qui se prête au bricolage

53

de croyances, de techniques psychocorporelles, de raisonnements,

etc. sans s’imposer à travers des règles ou par la fréquentation d’une

communauté. « Son attrait principal réside, au vu des enquêtes

menées ces dernières années, dans son positionnement comme

religion ‘autre’ : le bouddhisme est perçu comme une voie dont

l'aboutissement principal serait une sagesse de vie proche des

aspirations quotidiennes favorisant l'équilibre psychologique et le

bonheur dans le monde. » (Hourmant, 2000, p. 28)

En général, « L’époque s’intéresse aux sagesses », on aperçoit

partout un « tâtonnement spirituel ». Par exemple : « Un changement

est intervenu dans la manière de lire les philosophes antiques : au

lieu de considérer leur travail conceptuel comme un pur exercice

théorique, on retrouve dans leurs œuvres les efforts quotidiens pour

modifier le rapport à soi, aux autres, au monde. D’une part on lit

aujourd’hui Montaigne, Spinoza ou Wittgenstein avec en tête les

questions du bonheur, de la sérénité. Avec le souci de retrouver des

certitudes autres que celles du marché. Enfin, l’Orient devient une

nouvelle fois matière à rêver et espoir de ressource : on le croit

capable de satisfaire la demande diffuse, parfois confuse, d’une vie

différente. » (Droit, 1999a, p. 135). On ne veut pas de bords tranchés

entre les différentes traditions qui empêcheraient d’accéder à l’une ou

à l’autre librement. On veut du « religieux en général ». On veut

piocher un peu de sacralité ici, trouver un peu de transcendance là,

s’accorder un moment de stabilité, de sens dans une mer

d’informations constamment changeante et peu discriminée. Il faut

pourtant noter que l’idée de sagesse est plutôt une recherche qui

concerne le soi individuel et beaucoup moins la recherche de

principes moraux qui guident la vie collective.

54

Le croire de l’individu ne part plus de la référence à une institution

qui en définirait le contenu. Les fondements de ce changement

peuvent se définir comme le passage d’une autorité subie à une

autorité choisie. La tradition est remaniée. Ce remaniement, ces

manipulations du sens seraient en principe illimitées (Michel 2000,

Hervieu-Léger 1993). Pourtant, à notre avis, le mot illimité est

imprécis dans sa vastitude ; comme dans le cas de tout langage, bien

qu’il y ait d’infinies possibilités de constructions, il y en a certaines qui

ne sont pas permises, qui contredisent les principes généraux et

génératifs des constructions symboliques.

La « quasi-impossibilité des centres bouddhistes à fidéliser les

personnes touchées » (Lenoir 1999, p. 99) montre que l’adhésion

des individus reste très mobile. « Les statistiques de Dhagpo Kagyu

Ling [important centre bouddhiste en France] montrent que 20 %

seulement des personnes reviennent au moins une deuxième fois au

centre. » (ibid. p. 100). Ce fait vient confirmer la fluidité des

engagements et le turnover d’une catégorie à une autre que les

sociologues observent dans la religiosité moderne et qui affectent

aussi le bouddhisme. « Tel bricoleur peut se stabiliser dans le

bouddhisme et tel pratiquant régulier retourner au bricolage » (ibid).

Alors que la popularité du bouddhisme et le nombre de

sympathisants et touchés par ses idées ont explosés durant les

années 90, les centres bouddhistes n’ont pas présenté un

accroissement très sensible de leur taux de fréquentation et le

nombre de convertis est presque stable depuis les années 80. Par

rapport au passé, les engagements sont moins forts et plus

modulables. En outre, ils doivent s’adapter ou encore s’intégrer à la

vie sociale et professionnelle active de l’individu.

55

Pour connaître cette fluidité ou passage d’une catégorie à une

autre, Lenoir (1999) ainsi que qu’Ettienne et Liogier (1997) ont utilisé

la technique d’entretiens en profondeur et ont consacré une large

part au récit biographique en interrogeant les gens sur leurs parcours

spirituelles, leurs motivations, leurs ruptures, etc. Lenoir a noté

l’ « importance primordiale du rapport au religieux vécu par les

interviewés durant leur enfance » (p. 129).

Un fait remarquable c’est la fréquence avec laquelle les personnes

qui ont été concernées par le bouddhisme, remettent en valeur leur

propre religion d’origine, par exemple le christianisme. On peut

trouver par exemple un individu qui fait zazen dans une église

comme quelque chose de tout à fait naturel. Ce comportement paraît

s’inscrire dans une logique syncrétique qui unifie les deux religions,

de sorte que, par exemple, on considère Jésus comme un

bodhisattva. Une immense majorité d’adeptes se considèrent et

chrétiens et bouddhistes. Un témoin commente « …ça m’a touché

d’entendre Dennis Gira, cet excellent spécialiste du bouddhisme qui

est en même temps chrétien convaincu, parler du bouddhisme : il

parle d’une manière compréhensible, mieux qu’un bouddhiste

asiatique, parce qu’il l’exprime avec une sensibilité qui est la

nôtre… » (Lenoir 1999, p. 291) (c’est nous qui mettons en italiques).

Ces enquêtes biographiques sont fort importantes car elles nous

permettent de penser le phénomène des nouvelles formes du croire

en termes de « parcours ». Ces parcours spirituels sont jalonnés de

certains traits typiques : -L’individu prend distance avec la religion de

son enfance, dont il rejette sont caractère autoritaire et son dogme

hérité. Les valeurs technicistes et mercantiles occidentales ne

comblent pourtant pas son besoin de sens, de repères, de se sentir

intégré à un tout au-delà de sa personne. Il décide de chercher

56

d’autres « sagesses » venues d’ailleurs. Il trouve le bouddhisme

tibétain qui « lui parle » en ses propres termes et s’accorde avec ces

besoins. Certains se rendent compte que leur religion d’origine a les

mêmes contenus que ceux qui leur plaisent dans le bouddhisme, et

s’ils sont capables de mettre de côté les idées qu’ils avaient contre

leur religion d’enfance, ils peuvent la revaloriser, reprenant parfois sa

pratique.

Le mérite des discours bouddhistes (et on le verra aussi dans

d’autres mouvements spirituels concernant d’autres identités

ethniques) c’est qu’ils ont su incarner et mettre en pratique des

principes et des valeurs que l’individu avait en soi par sa formation et

qui se manifestaient seulement à travers une certaine motivation.

Ces discours des nouvelles religiosités ont su, par exemple, se

présenter comme des formes de connaissance parallèles et

complémentaires à la psychologie, qui viennent en aide comme une

sorte de « médecine » (Etienne et Liogier 1997) aux personnes en

détresse, désorientées, etc. C’est ainsi que, comme les trajectoires

spirituelles le confirment, les personnes se penchent souvent sur le

bouddhisme pendant une période de crise, bien qu’un engagement

véritable se fasse normalement assez lentement, des années après

leur premier contact avec le bouddhisme.

Mais l’engagement confessionnel n’est pas ce qui compte le plus

pour la plupart des sympathisants du bouddhisme car pour eux, et

même pour les pratiquants, leur adhésion n’est pas spécifiquement

d’ordre religieux. En outre, beaucoup d’Occidentaux hésitent à définir

le bouddhisme comme une religion (Lenoir, 2000, Liogier, 2003). Le

bouddhisme peut être une « philosophie de l’homme », une « façon

de voir les choses », une « manière d’être », un modèle des

« relations avec les autres », un « chemin spirituel » dont le but est

57

une transformation intérieure et il devient un art de vivre. Nous avons

observé que dans certains contextes le mot religion, dans un sens

classique a, au contraire, des connotations négatives, comme le

fanatisme, l’irrationalité absurde, l’aveuglement ou le lavage de

cerveau. Les adeptes aiment trouver l’aspect concret, pragmatique,

existentiel, et rejettent toute doctrine dogmatique.

A la question, « au début, qu’est-ce qui vous a le plus attiré dans le

bouddhisme ? » dans l’enquête qu’a menée Lenoir (1999), les

réponses les plus importantes sont : 1) Son respect de tout être

vivant, sa compassion. 2) Il ne fait pas appel à des dogmes ou à un

Dieu extérieur. 3) La liberté qu’il offre à chacun de suivre sa propre

voie. 4) Son pragmatisme. Il est toujours relié à l’expérience. 5) Sa

tolérance envers les autres religions et voies spirituelles. (p. 256-7)

Seulement en 8e place on trouve « son explication du mal et de la

souffrance ». Cette place plutôt peu importante contraste avec le fait

que l’explication et l’élimination des causes de la souffrance est

considérée comme le but principal du dharma bouddhiste.

Pour Etienne et Liogier (1997) le bouddhisme tibétain intègre des

enseignements de textes divers et venant de plusieurs branches,

dans le seul but d’obtenir de bons résultats, ce qui est une idée très

valorisée par la modernité. Alors, on peut interpréter cela comme un

trait « moderne » du bouddhisme, ou une réinterprétation moderne

du bouddhisme. Nous préférons privilégier la deuxième hypothèse.

Un des éléments pour ce choix, vient du fait évoqué par ces auteurs

eux-mêmes : le bouddhisme pratiqué par les Asiatiques vivant en

France ne correspond pas aux aspirations culturelles des Français

qui pratiquent le « bouddhisme ».

Un des exemples du rôle de l’interprétation, c’est le fait que les

rites pratiqués dans le bouddhisme tibétain peuvent paraître, aux

58

yeux des occidentaux, comme une mauvaise influence des religions

« païennes » ou comme des choses trop bizarres et même

choquantes. Ou bien, au contraire, ces rites peuvent laisser une

place au mystère ou se prêter à toutes sortes de réinterprétations

valorisantes.

L’ATTRAIT DU BOUDDHISME : DIFFERENTS MODELES

EXPLICATIFS

La « deuxième vague » dans l’histoire du bouddhisme en Occident

(mentionnée plus haut) et dans laquelle nous sommes encore

aujourd’hui, est analysée par la sociologie des religions en tant qu’un

phénomène plus général d’émergence en Occident d'une nouvelle

religiosité et dans la perspective d’une crise des sociétés

occidentales, incapables de fournir un système de significations

satisfaisant aux besoins des individus.

En essayant de comprendre pourquoi un système idéologique est

adopté par un autre peuple que celui qui l’a produit, Le Quéau dit que

les raisons historiques ont « peu d’intérêt », et que les circonstances

de la rencontre ne fournissent jamais l’explication de cette adoption

idéologique. Il pense, en tout cas, que, tant dans le cas des

syncrétismes entre le catholicisme et les religions africaines au

Brésil, et dans le cas occidental d’adhésion aux idées orientales, il

s’agit d’une Afrique « imaginale » ainsi que d’un Orient « imaginal ».

Un modèle de rencontre de cultures différentes serait basé sur un

principe commun aux parties, un tertium datum qui serait la « nature

humaine ». C’est en effet un principe qui sert de base aux discours

qui intègrent la diversité dans un tout universaliste. Une nature

59

humaine dont toutes les sagesses parlent et grâce à laquelle elles

peuvent communiquer entre elles. Dans le cas de cette rencontre

entre l’Occident moderne et les autres cultures, cette « nature »

s’accompagne de l’idée que toutes les cultures veulent accomplir les

même buts, et qu’elles ont développé des connaissances et des

techniques pour y parvenir, valables pour nous tous grâce au partage

de la même humanité. En effet, « Les historiens de l'appropriation du

bouddhisme par l'Occident soulignent que les orientalistes, en

l'abordant par le biais des textes, l'ont généralement réduit à une

sagesse, sinon une «sagesse athée», et ont considéré ses aspects

religieux comme des superstitions ou des concessions aux

demandes populaires. » (Hourmant, 2000, p. 28)

La réalisation de l’expérience alternative de ces nouvelles

religiosités, se fait par une forme de médiation, une logique

métaphorique, d’intégration, de symbolisation, ce qui permet à

l’individu une sorte d’appropriation de la nouveauté ou de l’altérité. Il

semblerait que ces combinaisons et appropriations se font par le

principe de « coupure » que Bastide aurait définit, et qui permet à

l’individu de passer d’un type de logique à un autre au cours de sa

vie social, permettant ainsi la coexistence des différents registres

chez lui.

Il existe au moins deux types de facteurs pour expliquer cette

nouvelle lecture des textes de l’Altérité, peuvent se diviser au moins

en deux types : les raisons que nous pouvons appeler d’ordre socio-

structurel, c’est-à-dire les caractéristiques sociales générales qui

favorisent ou soutiennent l’avènement de certaines formes

culturelles ; parmi ces raisons, nous pouvons considérer la perte

d’emprise des institutions religieuses, l’effondrement du

communisme, la domination mondiale du marché, et tout l’ensemble

60

de raisons historiques qui ont donné lieu à ces caractéristiques.

D’autre part, il y a les raisons proprement culturelles et que nous

pouvons considérer comme formelles : une idéologie, c’est-à-dire un

ensemble d’idées qui circulent et sont disponibles aux gens

d’aujourd’hui et qui façonnent leurs opinions, croyances, attitudes.

C’est à ce dernier type de raisons que nous nous intéressons

directement, non sans ignorer bien entendu les conditions socio-

structurelles qui les soutiennent d’une façon nécessaire mais non

suffisante.

Traditionnellement l’attrait occidental pour le bouddhisme tibétain a

été analysé par les sciences sociales à travers la conception de deux

cultures qui se rapprocheraient, suivant un modèle bipolaire qui

prétend trouver les explications d’un tel attrait en analysant les

caractéristiques de chaque partie qui les rendraient compatibles. En

l’occurrence, le modèle a été développé sous l’image de l’échange

économique où il y aurait coïncidence entre la « demande »

occidentale (de sens, de spiritualité, etc.) et l’« offre » orientale.

Evidemment, il peut s’avérer utile de connaître les caractéristiques

culturelles de chaque ethnie, mais cette étude n’est pas suffisante

pour rendre compte des particularités que la relation construit. En

particulier nous critiquons la partie « orientale » du binôme, car nous

croyons que ce n’est pas en étudiant le bouddhisme tibétain dans sa

version asiatique ou sa version traditionnelle, que nous allons

comprendre le phénomène d’intérêt pour le bouddhisme tibétain en

France.

Obadia (1999) critique les explications de la diffusion du

bouddhisme en Occident selon lesquelles il y aurait une congruence

entre le contenu philosophique du bouddhisme et la modernité en

général. Il critique particulièrement l’hypothèse selon laquelle le

61

bouddhisme serait une philosophie « rationnelle » et que par ce biais

il s’adapterait très bien à la rationalité occidentale. Il signale à juste

titre que dans la dynamique de circulation d’idées entre groupes

humains et de leur réinterprétation, « il n’est pas étonnant que le

bouddhisme ait été réinterprété en termes rationalistes dans une

société qui valorise par-dessus tout la Raison » (p. 47). En effet, les

discours concernant les raisons pour lesquelles le bouddhisme est

« intéressant » peuvent être la conséquence d’un engagement plutôt

que la cause de celui-ci. Le discours de légitimation est un élément

essentiel de la religiosité. Comme le signalait Durkheim « Les

hommes ne peuvent célébrer des cérémonies auxquelles ils ne

verraient pas de raison d’être, ni accepter une foi qu’ils ne

comprennent d’aucune manière. Pour la répandre, ou plus

simplement, pour l’entretenir, il faut la justifier, c’est-à-dire, en faire de

la théorie. » (cité par Obadia 1999, p. 226).

Par ailleurs, le bouddhisme se présente comme une alternative au

catholicisme ; une sorte d’antithèse à tout ce que l’on critique de sa

propre religion, et même parfois à tout ce que l’on critique de La

Religion, en faisant du bouddhisme un doctrine « athée ». En fait, on

voit plusieurs sortes de réinterprétations : les mystiques y voient une

religion de la contemplation et mettent l’accent sur la pratique de la

méditation ; les adeptes de la philosophie (Schopenhauer, Nietzsche,

etc.), un philosophie universelle ; les athées positivistes, une doctrine

rationnelle. Pour donner un exemple plus concret, ceux qui travaillent

de la santé y voient une explication de la mort et de la souffrance.

Notre questionnement additionnel et qui n’est pas posé par Obadia,

c’est d’où vient la motivation pour donner ce type de réinterprétations

positives, puisque, s’agissant de notions venues d’une autre culture

(ou plus pertinemment d’une autre ethnie), on aurait pu ne pas leur

62

accorder cette « rationalité » ou ce mysticisme selon le cas, et, au

contraire, les dénigrer et les rejeter. Il est possible que ces

interprétations ne soient pas causées par une particularité du

bouddhisme, mais par un discours qui inclut également d’autres

« religions », la seule particularité du bouddhisme tibétain étant qu’il

en est l’exemple le plus visible en France, et que les tibétains ont su

reproduire ce discours (de plus, bien sûr, certaines conditions socio-

structurales le permettent, comme le fait qu’il n’y a pas de conflits

politiques entre la France et le Tibet).

Selon Obadia, la diffusion du bouddhisme tibétain en France est

due à une intense activité missionnaire et de propagande par une

institution religieuse fortement bureaucratisée. A notre avis ce débat

entre les explications qui partent du contenu de la doctrine

bouddhiste, et celles qui partent d’une activité « missionnaire », naît

d’une confusion quant aux termes de la discussion, puisqu’il faut

savoir que lorsque nous parlons du bouddhisme en Occident nous

parlons forcément d’un bouddhisme occidentalisé, et donc, d’une

autre version du bouddhisme. Il ne peut en être autrement dès lors

que les textes sont traduits et adaptés à la mentalité des individus

occidentaux pour qu’ils puissent le comprendre, et ce facteur compte

d’autant plus que cette acclimatation ne date pas d’hier. C’est ce

bouddhisme-là qu’il faut prendre en compte, sa version occidentale,

celle qui s’est propagée en Occident, et non pas la doctrine

bouddhiste tel qu’elle est conçue et vécue au Tibet ou en Inde, ou

celle qui est conçue par les historiens des religions ou les

« savants ». Audinet (2000b) signale que les échanges entre les

discours « savants » et « populaires » sont permanents, et qu’un

« métissage » est inévitable, ce qui disqualifierait l’essai de

déterminer la véracité ou authenticité d’une source ou d’un discours.

63

« La nostalgie d'un retour à un discours unique ne peut que se

révéler vaine. La restauration dans leur pureté des discours

fondateurs, arme de combat de tous les fondamentalistes, est une

illusion. » (ibid., p. 2271). Après tout, le discours qui parvient aux

personnes concernées, et qui est celui qui nous intéresse, est

effectivement un produit du va-et-vient entre toutes sortes de

sources, un processus qui se construit dans l’interaction culturelle.

« La religion est d’abord celle des croyants et non celle des savants »

(ibid. p. 2270). C’est pourquoi nous avons opté pour l’étude des

représentations occidentales d’une forme culturelle Autre pour

expliquer la relation.

D’un autre côté, nous ne pouvons pas nier le rôle actif des moines

tibétains dans la diffusion du message bouddhiste (tel qu’il est

considéré en Occident) ni l’importance qu’ils ont eu pour donner

forme à l’image que l’on a de cette culture asiatique. Pourtant,

l’importance de ce « militantisme » (comme l’appelle Obadia)

prosélyte est pour nous peu importante. Cet auteur base son

hypothèse sur le fait que c’est lorsque les moines tibétains se sont

appropriés du discours, que les conversions sont devenues plus

nombreuses, or la concomitance de deux faits n’implique pas une

relation de causalité. Effectivement les conversions ne peuvent se

faire que grâce à une action institutionnelle, puisque c’est l’institution

qui peut convertir. Néanmoins, les conversions ne sont pas

représentatives de l’importance ou la diffusion de cette religion, et en

outre, l’importance du contenu du discours peut être extrêmement

grande même en absence de conversions. Par contre, l’appropriation

du discours par les moines tibétains, permet que le discours soit

associé à une identité ethnique.

64

En effet, le Dalaï Lama a par exemple participé très activement à

la diffusion du discours. Il a même mobilisé l’O.N.U. et d’autres

organismes internationaux ainsi que certains gouvernements pour

agir en faveur de la culture tibétaine qui, selon lui, serait gravement

menacée par l’invasion chinoise remontant à 1949. Par ailleurs, à

travers ses conférences et ses entretiens, il est présenté toujours en

tant que source de réponses aux crises occidentales, et les thèmes

abordés correspondent presque toujours aux intérêts des

Occidentaux et aux sujets très contemporains comme l’écologie, les

Droits de l’Homme ou l’épanouissement personnel. Il n’est pas

surprenant que selon les sondages, le bouddhisme soit considéré

comme la religion qui « favorise le mieux l’épanouissement

personnel » (sondage cité par Obadia 1999). Le Dalaï Lama prône le

pluralisme en déclarant à maintes reprises qu’il est positif que les

individus adoptent des techniques d’autres religions et qu’ils gardent

leur religion d’origine. En outre, il ne cesse de répéter que le

bouddhisme n’est pas un dogme, et que chacun doit tester sa validité

selon son propre jugement. Ce qui est fortement valorisé par la

modernité contemporaine.

Plus tard, Obadia lui-même semblerait accorder (de façon peut-

être contradictoire) que c’est dans le contenu des discours où

demeure le pouvoir du bouddhisme pour captiver les esprits des

Occidentaux : « Ce qui garantit l’efficacité de la pédagogie des

lamas, c’est tout d’abord le contenu de la propagande » (p. 163), et

que cette pédagogie « s’appuie également sur la mise en œuvre de

moyens rhétoriques […] qui facilitent l’acceptation par leurs élèves

des notions qu’ils cherchent à leur inculquer. » (p. 164). Nous

sommes tout à fait d’accord avec ce point sur la rhétorique, et nous

allons le développer plus tard. En outre, parfois il s’agirait plus d’une

65

séduction que d’une persuasion, ce qui implique des mécanismes

symboliques d’autant plus subtiles. Pour nous, c’est notamment dans

les discours et les représentations où réside une grande partie de ce

succès, bien qu’il s’agisse là, comme dans presque la totalité des

phénomènes sociaux, d’un ensemble d’éléments qui contribuent à

donner un effet particulier. La polysémie des éléments du discours

religieux lui donne son efficacité en ce sens où il peut être

réinterprété par des individus culturellement distincts selon leur

propre vision.

Un concept qui semble central pour expliquer le phénomène du

bouddhisme en Occident est celui de « bricolage », qui révèle le fait

que « …la plupart des bouddhistes français ont une identité

changeante et peu affirmée, […] qui fait de l'adhésion au bouddhisme

une manifestation parmi d'autres de la décomposition du religieux. »

(Hourmant 2000, p. 31). Les enquêtes révèlent des parcours des

adeptes, où l’on observe un intérêt pour d’autres formes de religiosité

qui surviennent suite à des lectures ou rencontres, et plus rarement à

des voyages. Il faut donc se demander quels sont les dispositifs

représentationnels qui permettent aux individus de « bricoler » des

réponses dans les domaines de l’altérité ethnique et du religieux.

Nous ne prenons pas le mot « bricolage » dans le sens d’un travail

peu soigné, sans importance ou même de la falsification d’un objet

authentique - selon quelques-uns des sens signalés par le

dictionnaire Petit Robert -. Pour nous il s’agit d’un travail « en

amateur », c’est-à-dire en dehors du cadre d’une institution ou même

d’une technique institutionnalisée ; un travail qui implique non pas

une « réparation », mais plutôt un aménagement, un arrangement.

« Ce bricolage rend bien compte de la pratique des individus insérés

dans ce nouveau ‘cosmos sacré des sociétés modernes’ où chacun

66

se sent libre de ‘suivre sa voie’, d’utiliser des fragments de croyances

prélevés sur les religions historiques en les combinant selon ses

besoins personnels, de piocher en somme dans le ‘croyable

disponible’ ce qui lui convient à un moment donné » (Lenoir 1999 p.

27). Face à cet éclatement de la religiosité contemporaine, l’approche

psychosociologique a permis d’élaborer des typologies plus

qualitatives qui tiennent compte de ce changement constant dans les

trajectoires individuelles. Les chercheurs ont constaté l’existence

d’une population engagée dans une quête de sens, que l’on peut

qualifier de spirituelle ou philosophique, qui se prête facilement à

toutes sortes de réinterprétations, combinaisons et arrangements. Ce

phénomène n’est pas exclusif à cette population. Après tout, dans les

différentes cultures, les religions sont associées à des pratiques et

des doctrines spécifiques, qui, indépendamment de leur caractère

plus ou moins laïque ou sacré, entraînent une définition de

l'existence humaine, en termes de buts, d'origine, de nature...

Comme le signale Vinsonneau, « Outre les liens que [la religion] tisse

entre les membres d'une même communauté, la religion se pose en

support des interrogations que les individus développent: sur eux-

mêmes, sur le monde, sur leur place dans ce monde... »

(Vinsonneau, 2002, p. 143). Le contexte religieux nous oblige à

considérer les éléments qui peuvent constituer des « supports » pour

les individus, ainsi que leurs intérêts et besoins.

Dans notre cas particulier, nous avons voulu comprendre quels

sont les mécanismes symboliques manifestes dans les discours et

représentations qui permettent ce type de bricolage à partir de

croyances et de traditions culturelles différentes. En outre, les autres

cultures étant sources de connaissances qui contribuent au bien-être

individuel, faut-il se demander dans quelle mesure le « droit au

67

bricolage » serait devenu une valeur culturelle qui sous-tend

l’acceptation et la valorisation des différences culturelles au sein

d’une même société, et donc d’une modalité de pluralisme.

La science aussi fait partie de cette « nébuleuse » de croyances.

Le rapprochement entre celle-ci et les religions est manifeste dans

des travaux comme ceux de F. Varela, pour qui la tradition

bouddhiste a beaucoup à dire sur le fonctionnement de l’esprit (nous

analyserons cet auteur plus tard). Par extension et dans le même

sillage, certains peuvent voir dans les courants ésotériques une

forme de scientisme marginal mais alternatif. En outre, comme le

montre Champion (1993b), l’adhésion de nombreux universitaires et

scientifiques à ces courants de pensée joue un rôle important dans

leur légitimation. De leur côté, les religieux tibétains ont volontiers

collaboré au développement de ces idées organisant des colloques

dans lesquels sont invités des scientifiques du monde entier, et ils se

présentent eux-mêmes souvent comme les transmetteurs d’une

science ou d’une forme de connaissance tout à fait compatible avec

la science. Par ailleurs, les lamas mentionnent rarement la spécificité

culturelle de leur religion. Non seulement on assume qu’il s’agit d’un

bouddhisme en général et non d’un bouddhisme tibétain, mais il est

très rare qu’on mette en question l’applicabilité de ces préceptes en

dehors du contexte socio-culturel d’où ils viennent.

Le bouddhisme est présenté comme une « science intérieure » ou

une « connaissance de l’esprit ». Sa sagesse, dont les Lamas sont

les détenteurs, serait un « trésor inestimable » pour l’humanité et elle

se situe au-delà des cultures et traditions. Le Bouddha et d’autres

sages bouddhistes après lui auraient fait une véritable recherche

d’ordre spirituel. Désormais, on parle de « psychologie bouddhiste »,

de « psychologie des profondeurs ».

68

Pourtant, les motivations des scientifiques ainsi que de la plupart

des gens, sont de l’ordre du sens. Varela lui-même avoue que suite

au coup d’Etat au Chili en 1973, il fut obligé de partir et il a vécu une

crise existentielle globale se demandant quoi faire de sa vie. C’est

ainsi qu’il s’intéressa au bouddhisme (« Rencontre avec Francisco

Varela » cité par Obadia, 1999, p. 198)

En guise de comparaison avec les critères d’adhésion à une autre

religion et les méthodologies employées pour y parvenir, nous avons

analysé l’ouvrage Les convertis à l’Islam : les nouveaux musulmans

d’Europe d’Allevi (1999). D’emblée, nous signale cet auteur, dans les

études scientifiques « c’est encore une approche essentialiste de

l’islam qui prévaut par habitude » (p. 60). Nous constatons cette

même approche essentialiste dans la plupart des études menées sur

le bouddhisme en France. On part d’une version « originelle » ou

« savante » du bouddhisme, qui ne peut être que théorique et idéelle.

Dans l’interprétation du phénomène général des conversions du

point de vue de la sociologie, Allevi dit explicitement qu’ils analysent

le problème du coté de la demande et du côté de l’offre. En essayant

de répondre à la question« pourquoi justement l’islam ? », il tente de

mettre en lumière la spécificité de l’offre religieuse musulmane

comme une des variables importantes qui déterminent la conversion.

A ce moment-là, la question que nous nous posons est de savoir si

ces caractéristiques sont vraiment une spécificité islamique, et quel

est le rôle des interprétations et traductions de la doctrine islamique,

c’est-à-dire, quel est le poids de la création d’une « nouvelle culture »

comme Allevi lui-même l’appelle, et plus particulièrement des

« modèles rhétoriques » qui re-présentent l’Islam d’une façon qui

rend cette religion « intéressante » pour les occidentaux.

69

Voici quelques données qui viennent étayer notre hypothèse : 70%

des gens se convertissent pour des motifs de « réalisation

spirituelle ». Ici, donc, il y a aussi la vision de la religion comme un

chemin pour « rejoindre un certain type de réalisation » (p. 68). Il

existe le type de personnes « voyageurs-chercheurs », des

« nomades en quête de sens de la vie » qui, après un premier

contact du type spirituel, ont envie d’en savoir plus, d’aller aux

« sources ». Les « conversions intellectuelles » (qui sont celles des

couches plutôt aisées) sont « généralement liées à un malaise que

l’islam guérirait », malaise « dû à un rejet du modèle occidental, un

refus de la sécularisation et au manque de transcendance de notre

société », « les intellectuels trouvent une stabilisation dans l’islam »

(p. 124). L’intégration de nouvelles idées religieuses est censée

produire une « nouvelle façon de lire et interpréter la réalité, de se

placer à l’intérieur de celle-ci » (p. 220), et constitue une critique de

l’identité antérieure. « Le soufisme, ‘la voie mystique’ de l’Islam, est le

courant spirituel de pensée et le visage de l’Islam qui suscite la plus

grande sympathie et le plus grand intérêt en dehors du monde

islamique » (p. 139). On peut aussi noter l’intérêt éditorial

considérable pour les textes du soufisme. Le rôle des convertis dans

la diffusion et la visibilité de l’islam paraît très important. On parle

d’un rôle de « médiation culturelle, de traduction linguistique,

d’«interprétation cognitive ». La construction de l’image de l’Islam

dans le monde Occidental serait donc largement due à l’action et aux

interprétations d’individus occidentaux. « Il s’agit d’un rôle joué en

particulier par les intellectuels convertis présents entre autres dans le

monde académique (comme orientalistes, par exemple) étant donné

qu’ils font avec leur activité, l’image de l’Islam et ses contenus » (p.

286). La conversion (et médiatisation évidemment) de certains

70

personnages célèbres tels Jacques Cousteau et Niel Armstrog ou

encore Cat Stevens, et le fait que nombre de convertis sont des

intellectuels reconnus, semble aussi jouer un rôle dans l’intérêt et la

valorisation de cette « spiritualité » (le rôle des célébrités

sympathisants du bouddhisme a aussi été très important dans ce

cas-là). Comme caractéristiques générales de la religiosité en

Occident qui doivent être prises en compte pour expliquer les

conversions, il y a la sécularisation, la privatisation et la pluralisation.

Allevi témoigne que ce type de conversions, suite à la « rencontre »

avec une autre culture, n’ont pas pour cause une spécificité

islamique, mais, par exemple, un principe communautaire contre

l’individualisme dépersonnalisant occidental, ou un « comportement

quotidien qui inclut, plutôt que d’exclure, la dimension du sacré » (p.

324). Enfin, c’est une image de l’Autre en général qui serait à l’origine

des motivations pour se convertir. Les attributs sociaux les plus

remarquables « prédisposant » aux conversions de type

« intellectuel » sont : classe moyenne et éducation souvent

supérieure.

Toutes ces données coïncident avec les caractéristiques du

phénomène du bouddhisme en France. Quant aux « spécificités » de

l’islam citées par Allevi, la ressemblance est toujours étonnante :

« …la recherche d’une foi claire, simple, compréhensible,

rationalisable, loin des mystères complexes comme les sacrements,

la trinité […] L’islam, outre que comme religion rationnelle, se

propose comme religion modérée, comme religion du juste milieu… »

(p. 327). L’islam offrirait un rapport avec un maître légitime qui fait

remonter aux origines de la tradition. Les occidentaux apprécient, en

outre qu’il s’agit d’une identité qui vient « de dehors », qui ne serait

pas compromise par l’influence de l’Occident. De surcroît, l’islam est

71

présenté comme plus compact qu’il ne l’est dans le monde islamique.

Il s’agit d’une image essentialiste « véhiculée par les médias, par un

certain orientalisme et par un certain ‘sociologisme’ » qui le fait

apparaître comme un monolithe dans lequel on ignore volontiers la

pluralité interne, et les conflits sociaux, politiques, idéologiques, etc.,

dont parle Lopez (2003) par rapport au bouddhisme tibétain et qu’on

ignore volontiers en Occident.

Dans sa conclusion, Allevi reconnaît que l’étude du phénomène

des conversions c’est comme l’étude que mena Adorno dans les

années soixante-dix sur la rubrique d’astrologie d’un journal, à savoir,

une « excuse » pour analyser un phénomène bien plus ample : la

réceptivité à ce type de discours. L’intérêt pour l’astrologie ou pour

une religion non-occidentale est ici compris comme un « symptôme »

d’une tendance de nos sociétés. Pour ce faire, il nous faut une

analyse sémiologique des dynamiques des croyances dans le monde

contemporain globalisé, et non des religions en tant que traditions

originelles.

Le caractère éclaté de la religiosité actuelle se combine avec le

caractère pluraliste de nos sociétés. Pour Berger et Luckmann (1967)

il existe un vaste « marché » de sens et de croyances, où les

religions traditionnelles participent en tant que fournisseurs. Cette

métaphore nous semble utile dans le sens où les personnes ont une

attitude de « consommateurs » vis-à-vis des symboles et croyances

qui sont disponibles, achetant, c’est-à-dire adhérant à ce qui leur

« plaît », leur « convient », les « intéresse ». Ceci est possible grâce

à un éparpillement des croyances qui n’arrivent plus sous la forme

d’un ensemble compact et strictement codifié. D’autre part, les

individus se sentent « libres » de choisir parmi ces croyances

dispersées, car ils ne sont plus contraints de suivre une seule

72

tradition en fonction d’une imposition ou d’une appartenance

quelconque.

Pourtant, ce même parangon nous permet d’amoindrir le rôle de la

rationalisation et intellectualisation des religions. Tout comme les

consommateurs peuvent justifier d’une façon plus ou moins

rationnelle leurs décisions d’achat, il est déjà connu que les

comportements économiques ne correspondent pas toujours à une

logique rationnelle, et la publicité fait constamment appel à des

critères non-rationnels pour séduire les consommateurs. En tout cas,

la souveraineté de l’individu dans ses choix (de croyances et autres)

n’est pas contestée. En effet, l’adhésion aux croyances bouddhistes

est considérée comme une « affaire personnelle ». Il ne faut pas

oublier, comme le signale Obadia, que malgré cette prétendue

souveraineté, le sujet n’est pas isolé de la collectivité.

L’individualisme, par exemple, est lui-même un phénomène culturel,

socialement construit et qui façonne la mentalité des individus. C’est

justement sur la base de ce caractère collectif, que les discours

religieux peuvent avoir un même effet sur un ensemble d’individus.

Plutôt qu’adhérer à une foi particulière et d’une façon définitive, il

s’agit d’une attitude de quête permanente, ce qui implique une sorte

d’ouverture face aux messages ou « produits » divers. Les religions

et les sagesses offriraient des moyens variés pour atteindre un même

but, que l’on appelle l’amour, la libération, la félicité suprême. La

diversité et l’absence de barrières entre cultures permettent les

échanges et sont considérées comme une chance, un potentiel dont

l’individu peut profiter pour son bien-être.

En outre, il semble bien que les gens cherchent un

bouleversement, un changement radical, peut-être de leur pensée,

de leur façon de voir la vie, de leurs sentiments, mais de quoi

73

exactement ? En tout cas, les autres cultures sont considérées

comme des modèles et des sources de cette altérité désirée.

Suivant un autre modèle d’explication, celui que nous pourrions

appeler un modèle de projection de fantasmes, pour Liogier « Les

éléments du discours bouddhiste occidentalisé diffusé par ses

principaux leaders – le dalaï-lama, le moine zen Thich-Nhat-Hanh

[…] correspondent moyennant quelques variations, aux valeurs

qualifiées par Roland Inglehart de ‘post-matérialistes’ », […] « valeurs

dites de bien-être (autonomie individuelle, tolérance à la marginalité,

sensibilité environnementale, expression de la créativité personnelle,

etc.). » (Liogier 2003, p. 138). « Il n’y aurait pas d’émigration

croyante, adoption d’un nouveau système de représentations, mais

intériorisation de valeurs produites en situation de modernité ou de

post-modernité, et ainsi reproduites à travers le bouddhisme, selon

des modalités religieuses » (ibid. p. 139). Selon l’auteur, il s’agit de

l’incorporation religieuse de valeurs occidentales. Pour nous,

effectivement il ne s’agit pas d’une émigration dans le sens d’un

changement radical, mais cela n’implique pas non plus qu’il n’y ait

pas de changement dans un processus de contact avec l’altérité :

D’abord, l’Altérité y est indéniablement, sous forme d’une identité

« bouddhiste » ou « tibétaine » qui renvoie à un autre ethnique, et

dont on peut constater la présence dans le langage. Essayer de

prouver que ce n’est pas du « vrai » bouddhisme tibétain ou autre,

signifie, à notre avis, rester dans le mauvais débat. D’autre part,

l’attribution de valeurs occidentales à d’autres religions, et par là à

d’autres « cultures » est un processus qui ne va pas de soi et qui n’a

pas été expliqué. C’est dans les principes d’application de ces

valeurs-concepts, c’est à dire dans l’acte de construire un objet (ou

74

une identité), de le qualifier et le valoriser, qu’on trouve la véritable

complexité du phénomène.

Nous acceptons qu’une partie de la dynamique mise en jeu

consiste en l’intériorisation des valeurs contemporaines (ce qui

revient à dire que des notions sont intégrées et valorisées par des

valeurs existantes) reproduites sous une forme religieuse nommée

« bouddhisme ». Pourtant, dire qu’il n’y aurait pas d’adoption d’un

nouveau système de représentations nous semble trop radical, car

parler en termes d’un système est imaginer un tout complexe qui

serait soit complètement intégré, soit pas du tout. A notre avis, ce

type de conceptions totalisantes empêchent la compréhension des

véritables processus de transformation culturelle. Le changement, la

« migration » de croyances, peut se faire pas à pas, par des unités

beaucoup plus élémentaires, c’est-à-dire, des représentations parfois

simples qui commencent à changer suite aux échanges culturels.

Cette discussion a une importance fondamentale puisqu’elle met en

question le concept même de l’interculturalité (que nous aborderons

plus tard). Celle-ci dépend, comme les migrations, des limites que

l’on trace. Peut-on parler de « migrations » de croyances ? Quel type

de changement, quelle frontière faut-il dépasser pour pouvoir utiliser

le terme ? Dans le domaine des croyances et des changements

culturels, cette limite n’a pas été définie. En Occident, on a divisé le

monde, traçant de nombreuses frontières culturelles, les considérant

comme des réalités objectives, et ainsi on parle de relations

interculturelles. Or, ce cloisonnement n’est pas partagé par tout le

monde, et, surtout, à part le fait de diviser les gens, ces lignes ne

sont guère utilisables pour l’étude scientifique des vrais phénomènes

relationnels et d’échange entre les gens.

75

Ce n’est pas dire que nous renions l’importance des valeurs

occidentales dans cette dynamique. En effet, la tendance « post-

matérialiste » est celle de la liberté spirituelle, la sensibilité

environnementale qui est en lien la nature et l’intégration de soi dans

son entourage, la notion que la terre est un être vivant, que tous les

êtres sont liés entre eux ou interdépendance universelle, la

valorisation théorique de la diversité culturelle, la méfiance par

rapport au prosélytisme au bénéfice du dialogue interculturel et

interreligieux. Ses critères étant « spirituels », en opposition avec la

moralité de la modernité industrielle. La place de l’individu est celle

du consommateur individuel inscrit dans un réseau global.

Cette époque en occident, avec ce que Weber a décrit comme le

« désenchantement du monde », se vantait de privilégier la Raison et

l’esprit critique au dépens de la religion et ses dogmes. Pourtant, la

modernité avait, elle aussi, créé des mythes, dont celui du

« Progrès » et une foi en la science et la technologie pour façonner

un monde heureux. Après des années, le même esprit critique s’est

retourné contre ces mythes et les a aussi « désenchantés » ; ils ont

perdu leur valeur absolue. On croit de moins en moins que la science

et la technique puissent résoudre tous nos problèmes, mais l’individu

garde tout de même des caractéristiques de la modernité comme son

autonomisation pour interpréter lui-même les croyances, son souci

d’efficacité, la valeur de la réalisation personnelle (qui est très

imprégnée de la notion de progrès) et la valeur de l’évolution (ce qui

peut également être une dérivation de la notion de progrès). De

surcroît, à notre époque, comme le montre ce dernier auteur, avec la

diffusion industrielle des moyens culturels et l’intervention des mass-

media, « le caractère éphémère des contenus et des formes s’est

accentué », il y a un « travelling continuel ». Le changement « perd

76

peu à peu toute valeur substantielle du progrès qui [le] sous-tendait

au départ, pour devenir une esthétique du changement pour le

changement » (p. 318). Il ne s’agit pourtant jamais d’un changement

radical car seuls certains types de mutations sont permis.

La modernité s’inscrit dans un jeu d’un ou de multiples systèmes

de signes, c’est pourquoi le rôle de l’amalgame est si important. Nous

croyons que parmi ces systèmes de signes, se trouve ceux qui sont

identifiés à une « tradition » ou à une religion. La modernité, selon

Baudrillard (ibid.) noue « de curieux compromis » avec la tradition,

qu’elle fait ressurgir « sans que celle-ci ait pour autant un sens

conservateur ». Modernité et tradition entrent « dans un jeu culturel

subtil », dans un processus d'assemblage et d’adaptation. « La

dialectique de la rupture y cède largement à une dynamique de

l’amalgame. » (p. 318).

L’impératif de changement et le manque de certitudes entraînent

une remise en question de vérités et promesses forgées par la

science et la technique, mais aussi un souplesse étonnante qui

permet l’intégration de croyances fort variées. Même les individus les

plus imprégnés de la culture scientifique et technique recourent au

bricolage, car leur milieu ne leur fournit pas les significations dont ils

ont besoin, les incitant à chercher des compensations dans des

discours dont ils n’ont presque aucun sens critique.

La dichotomie moderne entre le sacré et le profane, semble être en

train de se dissoudre pour les « nouveaux mouvements religieux ».

La religion, ou plutôt les religions, sont de plus en plus considérées

comme des philosophies (d’ailleurs il s’agit souvent du même rayon

dans les librairies), le magique semble avoir sa propre rationalité, les

spiritualités se mélangent de plus en plus avec la psychologie.

Egalement, la dichotomie corps – âme semble être en train de se

77

dissoudre, notamment par les sympathisants des courants alternatifs

où la guérison ou le bien-être dépendent de l'harmonie de l'âme et du

corps, ou pour les adeptes aux courants plus religieux, pour qui la

pratique d’une spiritualité peut apporter la santé physique. La

méditation ou la transe des rituels chamaniques sont des pratiques

qui se trouvent justement au milieu, où l'action sur l'esprit est censée

avoir des effets sur le corps et vice-versa. En tous cas, il s’agit là

d’une idéologie qui semble gagner de plus en plus d’adeptes.

La foi, si l’on peut l’appeler ainsi, est très liée au pragmatisme. On

y croit pourvu que « ça marche », et que « ça » ait des effets

ressentis positifs -et un des effets les plus recherchés est celui de

donner un sens aux expériences de la vie. C’est justement là où on

attaque très fréquemment la science et l’esprit technocratique, qui

n’ont pas su fournir ce sens et ces sensations positives à l’individu.

Alors, si des croyances « te parlent », si elles « te donnent de

l’espoir », ou si « tu te sens mieux parce que plus intégré à

l'univers », par exemple, « pourquoi ne pas y croire ? ».

La science, dit-on, n’a pas été une « science intérieure », une

science de soi, qui permette le « travail sur soi », ce qui est très

fréquemment mentionné dans les discours et qui est considéré

comme essentiel pour le bien-être. Un intérêt primordial des sciences

non-occidentales (bien qu’il y en ait d’autres) est sa contribution au

bien-être individuel.

Notre hypothèse, celle qui nous éloigne d’une étude exclusive du

bouddhisme, vient invalider celle de Lenoir, pour qui le bouddhisme

« possède une réelle affinité avec la modernité – affinité, il est vrai,

souvent exagérément mise en avant, mais néanmoins réelle – que le

bouddhisme permet aux Occidentaux d’avoir recours à cette

tradition ». Nous ne croyons pas non plus à la thèse d’Obadia (1999)

78

(attaquée à son tour par Lenoir), pour qui le succès du bouddhisme

est dû à son caractère « extrêmement prosélyte » et à l’efficacité de

son organisation institutionnelle. L’intégration à la pensée moderne et

l’intérêt qu’il suscite viennent des représentations qu’on s’en ait faites

dans les sociétés occidentales, représentations qui sont évidemment

le produit de notre propre grille de lecture, confirmées par

l’observation biaisée de certains traits de la culture tibétaine et la

diffusion médiatique des mêmes imaginaires, et qui sont à leur tour

confirmés, reproduits et incarnés par certains représentants (les

lamas notamment) de la culture tibétaine. Ils ont su recréer un

discours d’eux-mêmes qui coïncide avec les valeurs modernes et les

attentes que l’on s’est construit d’eux en Occident. Nous ne jugeons

pas ce fait comme une posture ni comme une stratégie

manipulatrice dont les Tibétains ont toujours été conscients (cela

nous ne le savons pas), mais en tout cas ils ont mis en avant et

reproduit certains traits qui s’intègrent mieux à la culture Occidentale

que d’autres.

D’une culture, et quasiment de n’importe quelle chose, on peut

relever certains traits, de sorte qu’on peut l’interpréter positivement

ou négativement. Un exemple : les divinités de la culture tibétaine

prébouddhique, considéré par certains comme franchement

dégoûtantes (et qui en effet sont assez éloignées de l’esthétique et

de la logique commune en Occident), sont maintenant interprétées à

travers des théories pseudo-psychologiques pour en faire des

éléments de l’inconscient et qui clarifieraient beaucoup d’aspects de

la psyché humaine. D’ailleurs, le même type de réinterprétations sont

mises en œuvre par ceux qui valorisent les cultures indigènes et

leurs personnages mythologiques en Amérique Latine.

79

Des aspects essentiels du bouddhisme comme l’abandon de soi, la

cessation de la souffrance et l’atteinte du Nirvana, sont très rarement

évoqués dans les discours occidentaux sur le bouddhisme. On a

choisi d’autres aspects qui s’accordent mieux avec les intérêts et

concepts occidentaux. Lenoir même le confirme « L’enquête a

montré que la motivation principale d’une majorité d’adeptes gravite

autour de l’accomplissement de soi et du développement de leurs

potentialités personnelles, ce vers quoi tend la modernité

psychologique, plus que vers la dépossession de soi ou la perte des

illusions de l’individualité prônées par le Bouddha » (Lenoir 1999, p.

335). Le Nirvana est, en fin de compte, la cessation des naissances,

ce que les Occidentaux n’aiment pas. Ils veulent continuer à vivre,

continuer à progresser spirituellement, revenir sur terre, se réincarner

(ce que l’ « éveil » bouddhiste veut éviter). Pourtant, bon nombre

d’Occidentaux ont très bien accueilli l’idée que les bouddhistes

croient en la réincarnation et considèrent cette idée comme un

argument pour parler en faveur du bouddhisme, ignorant un trait qui

est pourtant le but ultime du bouddhisme : arrêter les réincarnations.

Enfin, nous avions commencé notre recherche avec une question

que se posait Lenoir (ibid.) : le bouddhisme peut-il s’acculturer sans

dommages à l’Occident compte tenu de leurs différences

fondamentales, comme la « non existence du moi » s’opposant, par

exemple, à la conception personnaliste régnant en Occident ?

Maintenant, cette question ne nous paraît plus pertinente, car,

d’abord, il faut se demander à quel bouddhisme nous faisons

référence. Ce que les Tibétains appellent leur bouddhisme, peut

rester pour eux une chose, tandis que ce que les Occidentaux

appellent bouddhisme tibétain est pour ces derniers une autre chose.

Pourtant, ce qui reste dans l’équation est une identification sous le

80

nom « bouddhisme tibétain », ou « culture tibétaine », etc. Le

bouddhisme « naît » dans chaque communauté à un moment donné

de son histoire. Ses transformations (et qui peuvent être considérées

comme de l’acculturation, du syncrétisme ou du métissage), peuvent

être redoutées par certains, mais elles sont inévitables. Lenoir

signale qu’elles se développent même chez les pratiquants fortement

impliqués. Par ailleurs, cela a été le cas tout au long de l’histoire du

message du Bouddha, à travers les différentes aires culturelles où il

est arrivé.

Pour conclure ce chapitre, l’analyse des raisons de l’intérêt pour le

bouddhisme tibétain nous éloigne, apparemment d’une façon

paradoxale, du bouddhisme tibétain en tant qu’objet traditionnel

d’étude, car cet intérêt s’expliquerait par la représentation de ce qui

serait cette identité culturelle à travers la grille d’interprétation d’une

idéologie qui s’inscrit dans un phénomène culturel plus ample, que

l’on peut appeler les formes contemporaines du croire.

LES FORMES CONTEMPORAINES DU CROIRE

Analysant la religiosité moderne, Weber évoquait déjà des

« religions de remplacement », et un « polythéisme de valeurs » qui

constituent le fond de ce paysage religieux. Il s’était intéressé aux

transformations des religions historiques. Le « désenchantement du

monde » qu’il évoque ne serait pas la fin de la religion, ni même la fin

des religions historiques, mais la création de nouvelles formes de

religiosité libérées des contraintes des religions historiques. Pourtant,

Weber ne définit pas ces nouvelles formes comme de la religion.

Séguy (1989) signale « L’importance des phénomènes de religion

analogique de toutes sortes (politiques, militaires, esthétiques, etc.)

81

dans la vie sociale » (p. 192). Il désigne ces phénomènes, étudiés de

plus en plus par la sociologie en utilisant des expressions comme la

floraison de nouvelles « offres religieuses », les mouvements « para-

ou quasi-religieux », et la « néo-religiosité ». La modernité religieuse

vient se poser comme un concept alternatif aux tendances -

aujourd’hui remises en question-, d’opposer la religion à la modernité

et de penser les mouvements religieux modernes comme s’il

s’agissait d’ un « retour ». « La religion (ou le sacré) avait-elle

d’ailleurs disparu ? » (p. 209). Il serait plus prudent de parler de

transformations du religieux qui existent depuis toujours. Evidemment

il s’agit de phénomènes avec leurs propres particularités historiques,

mais ce n’est pas leur aspect religieux qui est nouveau, c’est leurs

transformations vers des formes analogiques.

« Il y a vingt-cinq ou trente ans, les sociologues qui s'intéressaient

à l'évolution religieuse des sociétés contemporaines mettaient très

unanimement l'accent sur la place secondaire faite à la religion dans

le monde moderne. La ‘fin de la religion’ était alors considérée

comme l'un des traits majeurs de la modernité. Sous la triple pression

de l'affirmation de l'individu, de l'avancée de la rationalisation et de la

différenciation des institutions, le rétrécissement continu du champ

religieux des sociétés modernes et la perte d'emprise des religions

historiques semblaient inéluctables. » (Hervieu-Léger 2000, p. 2089).

En effet, selon Rouano-Borbalan (2001) les principaux analystes de

la sécularisation (Berger ou Bell) renient aujourd’hui leurs théories

antérieures. Celles-ci annonçaient le déclin de la religion, qui devait

s'étendre progressivement au gré de la modernisation économique.

Or, la religiosité demeure, les croyances se recomposent.

Dès la fin des années 60, quelques chercheurs avaient remarqué

que certaines formes de dévotion et de religiosité « populaire »

82

persistaient. « […] non seulement les pèlerinages, les rites de

guérison, les cultes des saints locaux, etc., n'avaient pas disparu en

Europe dans la seconde moitié du XXe siècle, mais ils trouvaient

paradoxalement, dans la fièvre modernisatrice des golden sixties,

une capacité imprévue d'attraction et d'innovation. » (Hervieu-Léger

2000, p. 2091).

A partir des années soixante-dix, on a constaté une grande variété

de nouveaux mouvements religieux. A ce propos Champion avait

crée une expression qui serait reprise par nombre d’auteurs jusqu’à

nos jours : la « nébuleuse mystique-ésotérique ». Il s’agit d’une

« nébuleuse de groupes plus ou moins lâches qui conjuguent

références mystiques, ésotériques et psychologiques » (Champion

1989, p. 155). Elle nous parle d’un mélange de « […] stages de yoga,

zen, méditation, bouddhisme, danse derviche, cuisine végétarienne,

rebirth, gestalt, massage californien ainsi qu’un stage-découverte

d’une communauté du ‘Nouvel Age » et un de ‘Célébrations’ visant à

faire ‘retrouver le sens initiatique profond de la fête’. Sont également

proposés des stages qui, tels ‘science et sacré’, ‘la mystique

chrétienne et Jung’, ‘Yoga-symbolisme et vie intérieure’, cherchent

d’emblée une convergence entre savoir psychologique ou

scientifique, et expériences spirituelles. ». (p. 156). Dans une variante

de cette même mouvance on peut trouver des médecines

alternatives et techniques de développement personnel et spirituel, et

des « recherches » qui visent à démontrer que la science la plus

avant-gardiste peut, elle aussi, prouver la validité de ces idées

« alternatives », et qu’elle-même est en train de changer, s’éloignant

des paradigmes positivistes « mécanistes et disjonctives » pour

privilégier une approche holiste et humaniste. Les membres de ces

mouvements estiment qu’il existe plusieurs voies pour atteindre « La

83

Connaissance » qu’il faut faire dialoguer les religions pour y arriver.

Selon Champion, ces mouvements constituent des « réseaux »

extrêmement mobiles, constitués par des publications, conférences,

centres de méditation ou de « développement personnel ». Ces

centres peuvent se structurer en « départements » qui, chacun,

contribue à développer un aspect de l’« homme dans sa globalité »,

d’accéder à la « Réalité Fondamentale » par-delà la diversité des

méthodes, origines ou langages. Ils empruntent des thèmes et des

pratiques librement aux traditions spirituelles occidentales et

orientales. Ces formes syncrétiques sont dirigées par la recherche

individuelle d’un accomplissement, un enrichissement, un

développement intérieur, spirituel et/ou psychologique.

A cette description de Champion nous proposerons deux

spécificités de la réalité actuelle que nous avons pu remarquer :

Premièrement, ces réseaux se constituent notamment en fonction de

l’échange d’information sur certains thèmes d’intérêt commun et le

lieu où se réunissent les personnes a de moins en moins

d’importance. Deuxièmement, il nous semble imprécis de dire que

les thèmes sont empruntés « librement », car tous les thèmes, toutes

les religions ne sont pas « empruntables », et il ne suffit pas de dire

qu’on emprunte selon la correspondance avec les valeurs culturelles,

car, comme nous le précisons tout au long de ce travail, ce sont les

réinterprétations d’une manifestation culturelle quelconque (un

symbole, un discours, par exemple), qui permettent d’adapter ces

manifestations aux valeurs. Notre tâche est justement de dégager les

dispositifs symboliques qui déterminent l’intégration d’un élément à

une structure de sens et de valeur propre.

Ainsi, le phénomène qui apparaît à partir des années soixante en

Occident est considéré, dans cette optique, comme « l’abaissement

84

des capacités des grandes religions historiques à contrôler les limites

symboliques de leurs systèmes de croyances respectifs »,

permettant ainsi aux nouveaux mouvements d’emprunter des

symboles à ces religions et de leur donner de nouvelles

significations. Il y a, par la suite, une forte multiplication de nouvelles

figures religieuses, allant des maîtres spirituels aux téléprédicateurs,

qui interceptent la demande de sens des individus occidentaux

libérés du contrôle des religions institutionnelles. Il y a ce que nous

pouvons appeler une libéralisation du marché des symboles religieux

ou para-religieux. Une immense offre symbolique se présente à la

porté de tous, et c’est aux individus d’en saisir les possibilités.

Chaque individu est censé pouvoir atteindre une expérience

religieuse ou mystique et tester sur lui, par sa propre expérience, un

des « produits » de l’offre, comme la doctrine d’un maître ou une

technique de méditation.

Après avoir rencontré un maître ou ses écrits, l’adepte tend à vivre

son expérience religieuse ou mystique comme une démarche

individuelle, de façon autonome, tout au plus en rencontrant d’autres

personnes qui partagent ses connaissances et ses expériences.

Les communautés qui se créent, communautés volontaires

d’ailleurs, sont des communautés de production et confirmation

sociale des significations individuelles. Ces communautés bénéficient

et font partie des réseaux d’information.

Cette notion se rapproche de celle des « réseaux situationnels »

décrits par Gilles Lipovetsky dans l’Ere du vide. Ceux-ci se créent à

partir du désir des individus d’être en contact avec d’autres

personnes qui partagent les mêmes préoccupations immédiates et

situationnelles. L’individualisme contemporain se manifeste aussi,

selon lui, par un « engouement relationnel » ou l’envie d’établir des

85

connexions ou des branchements. Nous croyons que ces idées sont

encore plus vraies aujourd’hui qu’à l’époque où cet auteur a écrit le

livre auquel nous faisons référence, notamment en ce qui concerne

cette tendance à vouloir être « branché » à une communauté aussi

virtuelle qu’elle puisse l’être, ne serait-ce que pour avoir le sentiment

de partager des informations avec une collectivité qui peut être

complètement délocalisée et composée d’individus que la personne

ne connaîtra jamais.

Le va-et-vient entre la pratique de croyances individuelles et celles

qui sont partagées (par exemple à travers les médias) ou ancrées

dans les grandes traditions constitue partout la dynamique de

transformation religieuse, dans un aller-retour permanent entre local

et global. Il reste à savoir en fonction de quoi change-t-on sa source

et sa référence.

On peut dire que ce processus de va-et-vient se manifeste aussi

dans les échanges interculturels. En tout cas il s’inscrit dans une

caractéristique plus générale de l’Occident moderne, qu’est le

pluralisme des sources de sens, ce qui conduit tantôt à l’intégration

de formes diverses, tantôt à la multiplication et dispersion de ces

formes au-delà de leurs contextes ou « contenants » traditionnels.

Dans ces recherches personnelles décidément « ouvertes »

l’individualisme joue un rôle à la fois de désagrégation et de

recomposition. L’engagement serait une fonction des bénéfices

obtenus, la déception signifiant souvent l’abandon. Le bénéfice est

souvent mesuré sur le plan moral ou psychologique : un

épanouissement de la personnalité et l’augmentation du bien-être.

« […] une adhésion ou un engagement sans promesse

d’épanouissement et de réalisation de soi est difficilement

concevable aujourd’hui. » (Schlegel, 2000, p. 2393). Une sorte de

86

bonheur et de joie doivent en être le résultat, le sacrifice personnel

étant presque inconcevable pour la plupart des individus. Ce n’est

plus le sens moral du bien et du mal qui compte, mais le convenable

pour l’individu.

Puisque c’est à l’individu autonome de décider ce qui fait sens et

ce qui a une valeur, on comprend bien la « psychologisation » de la

modernité (ou « modernité psychologique » selon J. Baudrillard) :

l’individu réifié, maître et constructeur de son monde, doit bien

« fonctionner » pour que son monde soit meilleur, et pour cela, il faut

bien étudier son esprit -dans un sens de plus en plus large et de

moins en moins séparé du corps et de l’environnement.

L’accent est mis sur l’expérience personnelle et son authenticité,

c’est à dire la vérité de son vécu par la personne elle-même. Une

certaine croyance aurait un degré de vérité dans la mesure où elle

apporte du bien-être psycho-corporel à la personne. L’individu doit se

sentir bien, et cela inclut souvent la sensation corporelle, ce qui fixe

un lien avec la médecine et les thérapies qui se multiplient.

Le concept religieux de salut a été réinterprété souvent par celui de

la « guérison » de l’esprit. La religion comme un moyen d’atteindre le

salut dans l’au-delà (notamment après la mort), a été remplacée par

la religion comme moyen d’atteindre le bien-être dans ce monde. Les

religions ne sont plus des dogmes, mais des formes de connaissance

de l’esprit au même niveau que la psychologie occidentale. Ce

transfert de signification met donc les religions à l’intérieur d’un

ensemble d’éléments susceptibles d’être valorisés selon la logique

individualiste et pragmatique.

Les « communautés spirituelles », si communauté il y a, sont

reliées par le « sentiment de communauté mondiale » Il faut

considérer que si dans les années quatre-vingts (moment où

87

Champion a décrit ces réseaux) cette idée était déjà développée, elle

aurait aujourd’hui toutes les chances de s’accroître, le processus de

mondialisation ayant poursuivi sa marche et les technologies de

communication permettant le contact de ces communautés

véritablement à l’échelle globale et en temps réel.

Dans cette religiosité, la religion se définie comme ce qui relie

(selon l’étymologie du mot), elle se manifeste à travers le principe

général de relier les hommes entre eux, sans distinction de culture,

mais aussi les relier avec la nature et le cosmos. « C’est une religion

de recherches mystiques et relationnelles. » (Champion 1989, p. 167)

Pour nous, le mot mystique reste à définir plus précisément, mais

nous pouvons garder le sens de « religare », c’est-à-dire relier

symboliquement, trouver un sens au-delà du sens ancien ou du non-

sens. En outre, en reliant symboliquement, on relie les personnes et

les groupes qui proposent ces symboles et partagent leurs sens.

La quelque peu paradoxale symbiose entre la modernité

rationnelle et sécularisée, et les nouvelles formes de croyances,

montre la capacité des individus à produire des systèmes de

signification malgré l’absence de codes de sens stables hérités de la

tradition, afin de trouver des repères dans un univers complexe et en

changement rapide. La sécularisation ne serait donc pas un

processus d’effacement du religieux, mais de recomposition des

croyances ; il s’agirait d’accorder une transcendance ou une sacralité

à d’autres formes, peut-être d’une façon plus diffuse, redistribuée.

Une condition de cette libéralisation et redistribution des croyances

est le fait que l’appartenance et la croyance ne semblent plus être

une paire dissociable comme l’a montré Grace Davie (1990). Aucune

institution ne peut retenir ses membres dans une culture qui valorise

le changement et l’autonomie du sujet Toute appartenance peut être

88

perçue comme une camisole de force. La séparation entre la

croyance et l’appartenance est d’autant plus nette que l’individu

revendique le pouvoir de choisir ses croyances selon ses

convenances et son critère. Il ne veut pas être contraint par une

appartenance quelconque, ce qui est clairement le cas aujourd’hui,

comme nous l’avons constaté lors des communications personnelles.

Cette division entre appartenance et croyance permet d’ailleurs de

garder sa propre identité tout en acceptant des idées d’autres

origines. Ceci est particulièrement clair pour les identités collectives

comme la nationale ou la culturelle. Ces recompositions font que les

frontières entre différentes confessions, et plus encore, entre

religieux et non-religieux, soient difficile à tracer, mettant aussi en

avant le vieux débat sur la définition de religion qui n’a pas pourtant

été résolu.

Le caractère de « religion volontaire » et sécularisée s’inscrit dans le

principe moderne des droits à la subjectivité, l’importance de

l’expérience éprouvée, une adhérence en fonction des bénéfices

personnels (pragmatisme selon certains) que l’individu croit en retirer,

une méfiance envers les impositions des intellectuelles qui

prétendent avoir l’autorité.

Les emprunts divers et l'apparente capacité de donner son avis sur

n’importe quel sujet font partie des traits typiques de la mentalité

moderne. Dans une phrase couramment prononcée dans cette

idéologie « Chacun doit trouver sa propre voie », nous voyons

condensés plusieurs facteurs clefs. D’abord, le mot « chacun » relève

de l’individualisme. La « voie », ce sont les croyances et pratiques

selon les besoins de chaque individu. Cela laisse entendre qu’il y a

plusieurs voies, et donc la mise en valeur de la pluralité. Il y a là

implicitement aussi le refus d’une autorité dogmatique qui détermine

89

quelle est la voie à emprunter. La voie signifie une sorte d’évolution.

Le critère d’adhésion est souvent celui de l’efficacité, mesuré par

l’expérience éprouvée.

La démarche de ces individus peut commencer par la demande

d’une simple recette anti-stress –et effectivement on voit

qu’aujourd’hui les traditions orientales sont souvent associées aux

méthodes de relaxation, comme l’expression « rester zen » le

démontre-. Il existe un large éventail de voies d’accès pour arriver à

une tradition quelconque

Un facteur qui contribue à ce débordement du « religieux

occidental », souligne Champion, est l’influence du contact entre les

religions des diverses populations migrantes. « Celles-ci sont en effet

souvent des "ethno-religions", ou du moins des religions "holistes",

où la communauté prime sur l’individu » (1999 [en ligne]). A ce

propos, nous voudrions ajouter deux points. D’une part, que

l’important, ce n’est pas le fait que les populations soient

« migrantes », mais qu’elles soient en contact suite à une forme de

migration (par exemple, suite à une migration dans le passé, comme

les amérindiens en contact avec les sociétés occidentales qui

composent aujourd’hui les pays de l’Amérique Latine, ou suite à une

migration de croyances et d’idées favorisée par les moyens de

communication).

La logique de validation subjective du croire qui marque la fin de la

quête spirituelle dans le monde des certitudes confirmées par la

religion, « active, dans des proportions étonnantes, la consommation

de biens culturels (livres, films, revues, etc.) qui soutiennent la

recherche purement individuelle de confirmations croyantes. En

témoigne le succès des ouvrages de genre spirituel, de Bobin à

Coelho, les triomphes éditoriaux des livres de témoignages ou

90

d'entretiens avec des personnalités que les médias désignent comme

des athlètes de la quête du sens, du Dalaï Lama à l'abbé Pierre, ou

encore le boom de la littérature ésotérique qui occupe, depuis une

vingtaine d'années, des rayons entiers dans toutes les grandes

librairies. Le partage de ces lectures constitue d'ailleurs l'un des

ressorts de l'agrégation en réseaux des chercheurs individuels de

sens : réseaux fluides, mobiles, instables et même, de plus en plus,

virtuels » (Hervieu-Léger 1999, p. 181)

Pour Hervieu-léger (1993), la « vague spirituelle » des dernières

années fait partie de ces nouvelles formes qu’on peut définir aussi

comme « phénomènes qui agissent à la place et en qualité des

religions » (p. 42) mais pour lequel il n’existe pas de consensus pour

le nommer. Nous pourrions dire que les attitudes modernes par

rapport à la religion sont la continuation d’un modèle idéologique qui

fait de la vérité religieuse une question d’interprétation personnelle,

laissant le champ ouvert à des interprétations toujours nouvelles. Il

s’agit d’une nouvelle gestion du rapport à la vérité des croyances et à

leur mobilité constante. « La difficulté vient de ce que cet univers

religieux complexe participe du caractère éclaté, mouvant, dispersé,

de l'imaginaire moderne dans lequel il s'inscrit (Hervieu-léger 1993, p.

44). Pour les individus il s’agirait de construire et reconstruire des

structures de sens qui puissent donner cohérence à l’extrême

complexité de l’expérience sociale vécue. « Le religieux moderne

s'écrit entièrement sous le signe de la fluidité et de la mobilité, au

sein d'un univers culturel, politique, social et économique dominé par

la réalité massive du pluralisme. » (ibid. p. 239).

Ce phénomène de pluralisme « spirituel » trouve un exemple dans

les nombreuses combinaisons « thérapeutiques » ayant développé

des croyances quasi-religieuses ou se basant sur elles. Leurs

91

références se trouvent fréquemment dans les rayons « ésotériques »

des librairies. Ces groupes peuvent être nés dans des pays non-

occidentaux comme l’Inde ou le Japon, mais leur origine est souvent

liée au contact avec l’Occident et aux problématiques culturelles qui y

surgissent ; Mayer (1998) parle d’ailleurs d’une véritable dimension

interculturelle de ces mouvements.

Les diverses religions du monde sont vues comme le patrimoine

de tout le monde (comme le déclare l’UNESCO). La pluralité est

désormais une richesse, que ce soit dans le domaine économique,

spirituel, politique (démocratie), etc. La multiplicité de ressources est

sollicitée sans se soucier des barrières traditionnelles. Une personne

pratiquant le bouddhisme tibétain va aussi en pèlerinage à Santiago

de Compostelle (comme en témoigne le site Web que nous

évoquons plus bas). Pour les adeptes, la possible acculturation du

bouddhisme n’est pas un problème. Elle ne serait qu’une question

secondaire, car le bouddhisme est considéré comme universel. C’est

La Tradition avec un grand T et la Vérité qu’elle possède.

« Précisément parce qu'elles ont été transformées, au sein de la

culture moderne de l'individu, en un réservoir de signes et de valeurs

qui ne s'inscrivent plus dans des appartenances précises ni dans des

comportements réglés par les institutions, les religions tendent à se

présenter comme une matière première symbolique, éminemment

malléable » (Hervieu-Leger 1999, p. 59)

Ce « bricolage », ou « synthèse », ou « syncrétisme », est aussi

décrit par une autre métaphore qui n’est pas moins appropriée : « il y

a mondialisation du marché des biens religieux, et les individus sont

sollicités par des ‘produits’ nouveaux, inédits, tentants, ne serait-ce

que pour ‘essayer’ » (Schlegel, 2000, p. 2394). Il reste à savoir par

quel biais ces « produits » deviennent attirants.

92

Un autre élément de cette idéologie est la tendance à nier les

distinctions « verticales » –ou hiérarchique, pourrait-on dire – et

« horizontales », par exemple entre les différentes religions.

« Certains en arrivent ainsi à unifier toutes les religions par le biais de

la ‘spiritualité’ et des traditions mystiques, comprises comme des

voies de l'intériorité foncièrement semblables sous toutes les

latitudes. Cette opération suppose la mise à l'écart ou la relativisation

des formes historiques et concrètes des diverses religions, pour n'en

retenir que certains aspects - les écrits mystiques, les traditions

ésotériques en l'occurrence. » (Schlegel, 2000, p. 2397)

Nous sommes, semble-t-il, loin de la « pensée religieuse » telle

que la définit Durkheim dans les Formes élémentaires de la vie

religieuse, où il affirme que toutes les croyances religieuses

supposent une classification des choses, réelles ou idéales, en deux

classes opposées que l’on peut traduire assez bien par les termes

profane et sacré. En effet, Durkheim (1968) définissait « religion »

comme « un système solidaire de croyances et de pratiques relatives

à des choses dites sacrées c’est-à-dire séparées, interdites ;

croyances et pratiques qui unissent en une même communauté

morale appelée Église, tous ceux qui y adhèrent » (p. 65).

Nous sommes donc confrontés à un véritable problème de

définition du type de croyances que nous voulons étudier. D’abord,

faut-il les appeler « religieuses » ? Berger et Luckmann avaient déjà

parlé en 1967 –avant que les NMR n’aient pris la place qu’ils

occupent actuellement- de « consommateurs symboliques » qui

élaborent ses combinaisons de signification à partir d’un stock de

symboles culturellement disponibles, dans le but de répondre aux

« questions ultimes » et qui concernent leurs « mini-

transcendances ». Ce type d’approche nous semble moins restreinte

93

et plus appropriée pour se référer à la démarche de construction de

sens des individus qui ne se considèrent pas en train de suivre une

idéologie religieuse, ni mystique, ni ésotérique.

Parler du « religieux » est pour nous un point de départ, un

instrument pratique qui doit aider à penser sa propre mutation.

De leur côté, Etienne et Liogier (1997) utilisent l’expression

« nouvelles modalités du croire », mais elle est imprécise en ce sens

qu’elle parle de « nouvelles » alors que ces modalités peuvent ne pas

l’être. Nous préférons l’expression de formes contemporaines du

croire. Nous préférons ne pas parler de groupes, mouvements ou

réseaux sociaux, car la construction de l’idéologie chez l’individu ne

dépend pas de sa conscience d’appartenir à un groupe aux contours

définis.

L’analyse de ce croire passe par les dispositifs (comme celui de la

métaphorisation) que les individus, immergés dans une culture,

mettent en place pour construire ce sens à partir d’une quantité

accablante d’informations mais très peu de certitudes ou de repères

stables. Pourtant, ce croire est lui-même changeant, alors son

analyse complète doit porter sur la logique de sa propre

transformation, les principes de son flux.

Hervieu-Léger s’appuyant sur les travaux de Jean Séguy, montre

que le concept de métaphorisation permet de rendre compte du jeu

mobile des échanges entre religions historiques et religions

séculières : « les religions historiques servent de référant aux

religions séculières qui se substituent à elles en réinterprétant

symboliquement leurs contenus. Mais ces religions séculières

deviennent à leur tour un référant des religions historiques qui se

recomposent, diversement, en s'alignant sur le même régime

symbolique que les premières ». (Hervieu-Léger 1993, p.109)

94

Face à la difficulté de repérer les contours du champ religieux, il

faut trouver des outils méthodologiques qui puissent rendre compte

de cette délocalisation et de la façon dont des nouveaux éléments

sont investis d’un sens transcendantal ou simplement d’une valeur

prioritaire pour l’individu. Pour y parvenir, nous croyons que des outils

méthodologiques peuvent être trouvés dans le champ des figures du

discours, par exemple la métaphorisation qui « spiritualise » certaines

croyances ou pratiques.

Hervieu-Léger signale que peu de travaux ont été faits sur ce

domaine de la « réélaboration métaphorisante des significations

religieuses » à laquelle Jean Séguy s’est intéressé. La

métaphorisation et la spiritualisation qui remanient les croyances, loin

d’être des sous-produits passablement dénaturés, sont de nouvelles

créations de plein droit, et qui, en plus, constituent un moyen par

lequel certaines formes religieuses peuvent conserver une pertinence

culturelle dans la modernité.

Aujourd’hui on considère comme obsolète et non-désirable

l’imposition des institutions ayant des contenus dogmatiques. Cette

valeur est l’impératif d’autonomie et de rationalité. Pourtant, cette

autonomie « impose » aux sujets la responsabilité de leurs parcours

personnels de construction de sens. « Personnel » entre guillemets

bien entendu, car il est à l’origine façonné par la culture (Bruner

1997), ainsi qu’il se construit à partir de ce que Paul Ricoeur appelle

le « croyable disponible » et enfin, parce que le sens est renforcé

dans la mesure où il est partagé. Pour récapituler, pour

comprendre la religiosité dans la modernité, il est utile de dégager

certaines caractéristiques essentielles de la modernité : -La

rationalité, c’est-à-dire l’impératif d'adéquation des moyens aux

objectifs désirés. –L’autonomie de l’individu, capable de décider pour

95

lui-même ce qui est juste et ce qui est vrai, et donc de donner sens à

sa vie et à ses propres actes. – La différenciation des institutions et

« détotalisation de l’expérience humaine » qui fait que « l’individu

peine à reconstruire l’unité de sa vie personnelle » (Hervieu-Léger

1999, p. 60), et qu’il cherche cette unité dans la pensée religieuse.

Le « bricolage » des croyances par chaque individu et qui échappe

à la régulation des institutions religieuses traditionnelles, est une

tendance assez homogène à l’échelle du continent européen et en

Amérique du Nord pour que l’on puisse la considérer comme un trait

de la « modernité religieuse » et que nous considérons aussi

répandue dans d’autres pays occidentaux comme la Colombie.

Cette homogénéité dépend, pourtant, d’un accès semblable aux

mêmes ressources culturelles. Il faut donc savoir que si cette

idéologie est répandue géographiquement, elle est tout de même

restreinte à certains groupes sociaux qui ont accès à ces ressources

culturelles. Le bricolage, qui emprunte des éléments aux religions

traditionnelles de diverses origines, concerne particulièrement

certains groupes qui « métaphorisent » les croyances religieuses

pour restaurer leur pertinence et application dans le contexte de leurs

vies « séculières ».

96

DEUXIEME PARTIE

ANALYSE DES REPRESENTATIONS

De l’analyse d’une religion en particulier, notre enquête a avancée

vers l’analyse des formes contemporaines du croire, pour ensuite

analyser la construction social d’un objet nommé « religion » à

travers le langage. « Les discours sont, eux aussi, des événements,

des moteurs de l’histoire » (Todorov 1989, p. 13). Ils sont des actes à

part entière, ils sont le produit d’une décision, et, ajoute l’auteur, ils

sont des « actes décisifs ».

Mais en abordant une idéologie que d’aucuns classifieraient

comme religieuse dans la recherche des représentations et

croyances en général, nous questionnons en même temps la

pertinence du concept de « religion » comme une catégorie d’étude

généralisable à toutes les situations culturelles. En effet, Couture

(2000) signale que l’usage du mot religion pour désigner un système

objectif de croyances comparable à d’autres systèmes de croyances,

est une idée qui doit se placer dans l’histoire. En outre, l’idée que le

mot religion pouvait être généralisable à tous les ensembles de

croyances du monde s’est imposée au XIX siècle.

De manière similaire, des catégories comme celle de l’institution

ecclésiale, ou encore celles du sacré et du profane, peuvent ne pas

rendre compte du changement rapide des formes contemporaines du

croire dans le monde occidental et ailleurs: « Richard Gombrich, un

des meilleurs spécialistes du bouddhisme au Sri Lanka, critique la

97

conception selon laquelle une religion doive correspondre à un credo

particulier » (Couture 2000, p. 1377).

Par conséquent, l’idée d’une religion comme un objet d’étude bien

défini et différencié des autres religions, est aussi mise en question.

Pour le cas du bouddhisme et en général d’autres formes de

religiosité en Asie, le phénomène est évident : « Les premiers

observateurs de la ‘religion’ bouddhique se sont évidemment étonnés

de ne trouver en général chez ces bouddhistes qu’une indifférence

aux doctrines religieuses. Quelques Occidentaux ont même tenté de

combler cette lacune en composant des catéchismes bouddhiques »

(ibid, p.1377). Le bouddhisme, comme une religion institutionnalisée,

n’existait pas.

Réduire chaque religion à quelques idées est peut-être une

tendance dans la tradition occidentale à bien marquer les contrastes,

à dichotomiser. « Il semble […] que l’idée même d’une religion hindou

unifiée soit une élaboration récente destinée à légitimer une

communauté hindou distincte du sikhisme, de l’islam et du

christianisme, et dentant de plus en plus le besoin de développer une

conscience socio-politique puissante. » (Couture 2000, p. 1380) Les

communautés religieuses sont aussi des communautés imaginées et

on pourrait dire la même chose des religions.

Par ailleurs, Bastide (2001) définit la religion comme un ensemble

de représentations collectives. Cette définition place le champ de

l’étude des religions dans celui des représentations, et nous permet

de dé-substantialiser la religion comme un domaine à part. En outre,

nous considérons qu’il s’agit d’un ensemble à contours flous, ce qui

est remarquable dans les nouvelles religiosités, et il semble bien que

c’est le cas pour d’autres cultures non-occidentales, où le religieux

peut être « partout ». Les formes contemporaines du croire posent

98

également un défi aux définitions et catégorisations classiques

(comme celles proposées par E. Durkheim) de la religion.

Mais prenons des définitions plus récentes : « La religion apparaît

à partir du moment où un groupe d’êtres humains désigne un monde

ailleurs, un invisible dont dépend le visible […] » (Audinet, 2000a,

p.2078). Cette conception de l’invisible est pour nous étroitement liée

au fondement de la pensée symbolique (et donc de toute pensée), ce

qui est pertinent ici car le phénomène auquel nous sommes

confrontés n’est pas le phénomène religieux du XIXème siècle

européen à partir duquel Durkheim donnait sa définition de religion

comme un domaine concernant les « choses sacrées, c’est-à-dire

séparées, interdites… ». Si le bouddhisme tibétain n’est pas

considéré pour bon nombre de ses adeptes comme une religion mais

plutôt comme une philosophie, c’est dans un contexte où la ligne de

division entre ce qui est du religieux et ce qui est du profane, est

souvent floue. Par exemple, la notion de « spiritualité » est tantôt

associée à des domaines qui pourraient être considérés comme

profanes, comme la santé et le bien-être, tantôt elle renvoie à des

divinités et à la vie au-delà de la mort.

« Cognitive studies of religion start from the premise that religious

concepts are governed by the same kind of constraints as other

concepts and can be investigated in the same way […]. A number of

anthropologists have argued that religious concepts do not in fact

constitute an autonomous “domain” […]. Information derived from

nonreligious conceptual schemata constrains religious ontology […],

the modes of transmission of religion as well as some developmental

aspects of religious belief. (Boyer et Ramble 2001, p. 536)

Le fait que nous pouvons étudier les concepts religieux comme

faisant partie d’un continuum de la pensée conceptuelle, nous permet

99

d’utiliser des théories de la sémiologie pour étudier cette pensée et

surtout de ne pas l’isoler des autres domaines de la pensée qui

seraient essentiels pour comprendre l’idéo-logique de ladite pensée

religieuse. D’une façon peut-être inattendue pour certains, ce

rapprochement entraîne la mise en lumière de l’ « irrationalité » ou

l’aspect « magique » d’un type de pensée qui se fait au quotidien. S'il

est vrai que l’aspect « mystique » de l’expérience est un domaine qui

recours aux figures de la langue –comme la métaphore-, il est aussi

vrai que notre pensée non considéré comme religieuse s’en sert

constamment.

La difficulté de comprendre les échanges entre les religions ou les

amalgames contemporains comme le « Nouvel Age » renvoie à une

tendance à conceptualiser la religion comme un tout cohérent, un

système de croyances figé et déterminé.

LA TRADUCTION ET L’INTERCULTUREL

Les représentations du bouddhisme tibétain qui circulent dans la

culture occidentale ont traversé plusieurs « filtres » d’acculturation, ce

qui a entraîné des transformations importantes. On doit considérer,

d’abord, que ces représentations sont le produit de traductions

parfaits de leur original�

large éventail de possibilités de réinterprétations et de

transformations sémantiques à partir de processus d’adaptation des

signifiants orientaux à la pensée occidentale. En outre, des morceaux

de la doctrine bouddhiste ont été ignorés ou carrément transfigurés.

C’est là un point déterminant pour l’étude des phénomènes

interculturels. Il s’agit d’une problématique représentée par les

100

difficultés de traduction à cause de l’absence d’équivalences

sémantiques ou conceptuelles entre différentes cultures. La

signification complète d’un terme s’inscrit dans une vision du monde,

dans des pratiques sociales, dans une histoire commune et d’autres

facteurs qui composent la vie et la pensée des individus qui parlent

une langue. Un exemple classique de la différence conceptuelle qui

existe entre les cultures asiatiques et occidentales, c’est le concept

de « moi ». Il semble qu’il y a de très grandes différences quant à la

façon de concevoir cette idée. Et pourtant, la conception du « soi »

est centrale dans la doctrine bouddhiste, et de sa compréhension

découlent des principes essentiels, comme l’ « abandon » ou

« extinction » de soi, la réincarnation, l’âme, la compassion, etc.

Tous ces mots peuvent avoir plusieurs sens. On peut penser qu’il

suffit de les traduire, de dire que telle phrase en Tibétain signifie

« abandon de soi » mais ce qu’un Tibétain entend par là est

vraisemblablement fort différent de ce que nous comprenons, car

nous avons une éducation dès l’enfance, un ensemble de pratiques,

un rapport avec le monde à partir de notre conception de soi à nous,

qui est souvent différente de celle d’autres cultures non occidentales.

D’autres problèmes encore plus fondamentaux et généraux ont été

mis en lumière par des anthropologues dans l’étude des croyances

religieuses d’autres cultures. Par exemple la difficulté de généraliser

le concept de sacré, ou même la mise en question de l’universalité de

ce qui signifie « croire » en quelque chose.

Puisque les représentations occidentales de ce qui est le

bouddhisme ne correspondent pas nécessairement au bouddhisme

tibétain dans sa version « orientale », les approches traditionnelles

qui tendent à analyser l’intérêt pour cette religion en fonction des

caractéristiques du bouddhisme « de souche » orientale, et qui sont

101

une abstraction intellectuelle, statique et « pure », ne nous semblent

pas appropriées comme explication.

Les transformations et réinterprétations de ce qui est le

bouddhisme tibétain et plus largement la culture tibétaine, peuvent

aller dans presque tous les sens, c’est-à-dire qu’un objet culturel n’a

pas de sens en soi, mais on lui en confère un grâce à un processus

d’interprétation arbitraire et relative à la culture. Ainsi, une culture

peut toujours faire d’une doctrine une source de sagesse ou

d’aberration, et cette doctrine peut venir d’ailleurs ou de l’intérieur du

propre groupe social. Si l’on considère d’autres cas de rencontres

interreligieuses et interculturelles (y compris dans l’histoire

d’Occident), on ne peut que conjecturer que le bouddhisme tibétain

pourrait aussi être considéré comme quelque chose de mauvais et

incompatible avec la culture occidentale. Or c’est le cas contraire qui

s’est produit et c’est cette image qui continue de séduire des

occidentaux.

Le fait que ces interprétations positives ne concernent pas

seulement le bouddhisme tibétain et que le bouddhisme a été

acculturé, nous font penser que ce qui entraîne une valorisation du

bouddhisme tibétain chez les occidentaux, c’est la conséquence de la

diffusion de représentations culturelles construites suite à un

processus de transformations symboliques qui n’est pas unique ou

spécifique au cas du bouddhisme en France, et qui a son intérêt

justement parce que c’est un processus qui permet la construction

d’imaginaires de l’Altérité.

Nous nous intéressons à une idéologie qui s’est développée suite

aux contacts avec la culture tibétaine et par rapport à cette dernière,

et qui a crée de nouvelles formes de croire qui ne sont pas

nécessairement comme les croyances tibétaines. Nous pourrions

102

dire que notre cas concerne le phénomène de l’acculturation, mais ce

concept n’est pas sans équivoque non plus.

Prenons la définition classique de Redfield, Linton et Herskovits

(cité par Berry, 1999) : « acculturation comprehends those

phenomena which result when groups of individuals having different

cultures come into continuous first-hand contact with the subsequent

changes in the original culture patterns of either or both groups » (p.

177) Des questions surgissent par rapport aux cas qui ne

correspondent pas nettement à la définition. Quant y-a-t-il du contact

direct ? La perception de certaines formes symboliques venant de

l’autre groupe est-elle considérée comme ce type de contact ?

Comment savoir si ces changements au niveau de « cultural

patterns » ont lieu, particulièrement dans des sociétés complexes où

les sous-groupes culturels peuvent différer autant.

Pour De Villanova, Hily et Varro (2001), l’interculturel est un

processus de création souvent conçu autour de concepts comme

l’hybridation, l’emprunt, le métissage ; ils signalent qu’il est aussi

question de l’interrogation sur un point intermédiaire ou une création

nouvelle.

On peut donc dire que l’acculturation aurait lieux dans

l’interculturalité, mais là, on obtient encore d’autres questions du

même genre : De quelle façon pouvons-nous déterminer quand il y a

un vrai échange interculturel (et non, par exemple, dans la projection

de fantasmes dont nous avons déjà parlé). Quel degré et quel type

d’interaction doit-il y avoir lieu pour que l’on puisse parler de cet

échange ? Peut-il exister un échange sans aucune transformation de

ce qui vient de l’Autre ? Par ailleurs, qu’est-ce qu’une société

multiculturelle ? Et si une société se déclare ainsi (comme beaucoup

103

de pays l’ont fait), quelle distance culturelle faut-il qu’il existe entre les

parties pour pouvoir ajouter les préfixes « multi » ou « inter » ?

Bastide nous montre que le contact culturel ou l’acculturation

(terme d’origine américaine) « ne doit pas être regardé comme le

transfert d’éléments d’une culture à une autre, mais comme un

processus continu d’interaction entre groupes culturellement

différents » (Fortes, cité par Bastide 1998, p. 47). Ensuite il fait

référence au processus d’endoculturation, qui serait la transmission

de la culture des adultes à la génération qui leur succèdent et qui se

fait au cours des premières années de vie. A notre avis, l’opposition

entre acculturation et endoculturation (aussi appelée enculturation)

peut-être très questionnable justement dans les sociétés de plus en

plus « multiculturelles », où les individus, dès leur enfance, sont

confrontés à des éléments culturels d’origines diverses.

Le concept même d’acculturation comme contact entre cultures,

est questionnable, car que sont les cultures qui entreraient en

contact ? Qu’est-ce qui entre en contact véritablement ? A quel point

pouvons-nous dire que la culture a changée ? Bastide nous signale

que « …ce ne sont jamais des cultures qui sont en contact, mais des

individus […qui] ne représentent jamais la totalité de leurs cultures,

mais seulement la part que Linton appellerait ‘statutaire’, c’est-à-dire

le secteur de leurs cultures qui touche à leurs rôles distinctifs dans la

société globale. […] certaines parties des deux cultures peuvent ne

pas être du tout en contact. » (Bastide 1998, p. 51) ; à cela il faudrait

ajouter que les individus prennent un rôle particulier dans et pour la

situation de contact (sous la forme, par exemple, de stratégies

identitaires, comme le signale Camilleri 1990, 1999), ce qui limite

davantage le prétendu contact culturel. En outre, dans cette

dynamique, certains éléments culturels feront l’objet d’une diffusion et

104

une réception meilleures : « parce qu’empruntés par les chefs

politiques, [ces éléments] pourront rayonner » (Bastide 1998, p. 52)

Dans notre cas, ce facteur de « rayonnement » peut jouer un rôle

important, car certaines figures publiques et très populaires comme

des acteurs, chanteurs, politiciens, etc., ont manifesté leur sympathie

pour ces « sagesses » et revendiquent la protection des ethnies qui

en seraient à l’origine.

Parler de « culture » est forcément lié à la délimitation d’un

ensemble de traits que l’observateur subsume sous le terme

« culture », qui sont rapportés à des individus et à des groupes

(nation, ethnie, classe, etc.). Cette construction de l’objet « culture »

« est dépendante de la position d’un observateur se situant toujours,

d’une manière ou d’une autre, en extériorité […] elle est tributaire des

moyens que cet observateur met en œuvre pour sa description »

(Leimdorfer 2001, p. 142). Si la description de ce qui est « la culture »

est donc de cette manière ‘relative’, (c’est nous qui utilisons le terme)

la définition de ce qui est « interculturel » dépendrait aussi de la

position de l’observateur et de ses moyens. Ainsi, d’un point de vue,

pratiquement toute étude de la culture est aussi celle de

l’interculturel, car toute culture a reçu des influences d’autres cultures

et toute culture se définit par rapport à d’autres cultures. Une des

limitations des « moyens » de l’observateur est la période et

l’envergure de son cadre d’analyse : un phénomène qu’aux yeux

d’aucuns peut concerner l’interculturel, peut ne pas l’être pour

d’autres qui ont un cadre d’investigation plus réduit. Les flux

d’échanges interculturels font que la fusion de traits et de symboles

n’ait pas de frontières définies. Tracer les limites de ce qui appartient

à une culture et ce qui appartient à une autre, n’est pas notre tâche.

A partir de quel point du continuum peut-on parler de l’emprunt d’un

105

élément à une autre culture, étant donné que dès qu’on le perçoit et

lui attribue un sens, on se l’approprie en quelque sorte et il n’est plus

étranger. Si nous pouvons parler d’interculturel, il nous faut parler de

frontières entre cultures, ce qui est une construction sociale et non un

fait objectif (Barth, 1999). Pour parler d’échange, il nous faut parler

plutôt d’éléments culturels que les gens identifient comme ayant une

identité ethnique.

Douglass et Lyman (1976) critiquent la notion d’acculturation

comme un processus de transition d’une culture A devenant une

culture B, car pour ce faire, il faut caractériser les deux cultures

comme étant deux entités stables, descriptibles au moyen des listes

de traits, or, nous savons que les cultures sont en permanent

changement, et que ce qui demeure, pour qu’on puisse les appeler

« cultures » malgré ces changements, c’est une identité que nous

appelons ethnique. La continuité de ces entités, nous signale Barth

(1999) ne réside pas dans la continuité des traits culturels objectifs,

mais dans le maintien d’une identité (avec une frontière) ethnique.

En outre, le modèle d’acculturation mentionné « élude

implicitement les questions de la ‘viscosité’ du phénomène ethnique »

(Douglass et Lyman 1976, p. 206) : toutes les manières dont les

individus recourent à certains traits culturels et en refusent d’autres

pour construire leur identité et qui deviennent donc les traits

considérés à un moment donné comme saillants. « A mesure qu’ils

se dépêtrent de toutes sortes de situations, les individus se voient

contraints de marchander leur identité et de choisir les traits qu’ils

désirent mettre en relief » (p. 216). Les constructions identitaires

deviennent donc des procédés tactiques en matière de relations

sociales. Cette notion de « tactique », ou stratagèmes (mot que ces

derniers auteurs utilisent aussi) est analysée dans le même contexte

106

de relations interethniques, mais en approfondissant sur les raisons

psychologiques qui y interviennent (Camilleri, 1999). Egalement,

pour M. Lipiansky, I. Taboada-Leonetti, A. Vasquez (1999), les

individus recourent à des stratégies pour se définir et choisir leurs

appartenances, entendant par stratégies « des procédures mises en

œuvre (de façon consciente et inconsciente) par un acteur (individuel

ou collectif) pour atteindre une, ou des finalités (définies explicitement

ou se situant au niveau de l’inconscient), procédures élaborées en

fonction de la situation d’interaction, c’est-à-dire en fonction de

différentes déterminations (socio-historiques, culturelles,

psychologiques) de cette situation. » (p. 24). Concevoir les identités

en termes de stratégies identitaires permet de souligner leur

caractère relationnel et dynamique.

L’exemple concret de Bastide (2001) au Brésil, est celui des

sociétés des esclaves qui ont dû s’adapter au catholicisme mettant

des « masques » de saints catholiques sur le visage de leurs divinités

d’origine africaine ; les nouvelles divinités avaient donc des

caractéristiques et des saints catholiques et des dieux africains. Les

saints catholiques faisaient surgir, chez les croyants de couleur, les

« complexes affectifs et mentaux » qui étaient liés aux cultes des

dieux africains. C’est le cas paradigmatique où on a une forme à

laquelle on associe des concepts, des croyances, des significations,

et des émotions, de diverses sources. C’est aussi une caractéristique

de la pensée mythique, qui relie par la voie des correspondances

symboliques, des éléments de différentes réalités.

Plus tard, toujours au Brésil, mais cette fois-ci sous l’influence de

ce que Bastide appelle l’« orage mystique », ces divinités africaines

qui avait survécu au travestissement catholique, se sont

« spiritualisées » à cause du spiritisme importé d’Europe et des

107

Etats-Unis, de sorte que certaines d’entre elles ont pu devenir, par

exemple, des « Esprits de Lumière ». C’est ainsi que, nous raconte

Bastide, à Rio de Janeiro a surgit une nouvelle religion : un

« spiritisme nègre » par rapport au spiritisme d’Allan Kardec.

Poursuivant l’évolution de ces transformations des dieux, on voit

apparaître les candomblés dits « commerciaux » ou pour touristes.

C’est un cas de la transformation des formes culturelles propres pour

donner une image particulière aux Autres. Les chefs des

candomblés, avec une « mentalité occidentale », nous explique

l’auteur, y ont ajouté des éléments d’érotisme et de sadisme dans le

but de plaire aux touristes.

Il semble qu’il n’existe guère de consensus quant aux réponses à

toutes les questions que nous avons posées précédemment. Elles

correspondraient plutôt à des critères normatifs ou au moins

arbitraires de ce qui est une culture, un contact, un échange, la

« distance culturelle » qui doit exister pour parler de deux cultures

distinctes, etc.

A cause de ces imprécisions, nous préférons nous donner pour

objet d’étude ces transformations culturelles dans un contexte où les

individus conçoivent l’existence de plusieurs identités ethniques, au

lieu de parler de changements d’une « culture » en tant qu’entité

discrète, provoqués par une autre culture. Ces transformations, si

transformations il y a, nous les analysons sous la forme des relations

entre signifiants et significations (nouveaux et anciens) que les gens

associent avec un Autre ethnique. Si nous parlons d’intégration (et

nous préférons décidément ne pas utiliser le terme « assimilation », à

cause de sa connotation d’effacement de tous les traits culturels

précédents, ce qui est très invraisemblable), c’est dans le sens où un

108

signifiant censé avoir une origine étrangère est « emprunté » et

intégré dans une structure symbolique propre comme un discours.

Dans ce processus, les réinterprétations jouent un rôle central et

elles sont définies comme : « le processus par lequel d’anciennes

significations sont attribuées à des éléments nouveaux ou par lequel

de nouvelles valeurs changent la signification culturelle de formes

anciennes » (Herskovits, [1952], cité par Bastide, 2004). Il s’agit là

d’une définition qui correspond tout à fait à la réalité que nous avons

observée, et qui s’éloigne du débat stérile d’un bouddhisme

acculturé, occidentalisé, par opposition à un bouddhisme « vrai » ou

« authentique ».

Par contre, nous avons affaire, comme le suggère Bastide, à des

« synthèses vivantes », où apparaissent des traits culturels inédits,

une réalité originale. Abordant alors les notions de « situation » et de

« phénomène social total », ce sociologue conclut : « Dans le cas de

l’Afrique noire, société noire et société blanche participent à un même

ensemble [c’est nous qui soulignons]. Le contact et ses effets ne

peuvent être compris qu’à la condition d’être replacés dans des

‘ensembles’, c’est-à-dire dans les totalités sociales qui les encadrent,

les orientent et les unifient ». (Bastide, 2004 [en ligne]).

Dans les études d’acculturation, notre but n’est donc pas celui de

décrire deux civilisations avant leur contact (le fameux « point zéro »

critiqué par Malinowski), puis, de décrire ce qui se passe quand elles

se rencontrent. « Nous n’avons jamais d’autre objet d’étude que des

sociétés complexes, pluriethniques » (ibid). C’est là la critique que

nous proposons ici au modèle d’analyse du bouddhisme en France,

celle du bouddhisme pris isolément, à partir des théories sur le

contenu idéel de sa doctrine. Par ailleurs, la recherche interculturelle

a généralement porté sur la relation (sociale, pédagogique, etc.),

109

mais « plus rarement semble-t-il, sur les créations elles-mêmes

issues de ces contacts de cultures. » (De Villanova 2001b, p. 259).

« À partir du XIXe siècle, l’histoire des religions utilisa plus ou

moins consciemment le mot [syncrétisme] dans un sens péjoratif

pour désigner des manifestations religieuses hybrides, impures, qui

n’étaient pas primitives mais, au contraire, dérivées de la

combinaison de diverses religions, et qui correspondaient à un stade

de décadence, c’est-à-dire à l’incapacité de certaines religions à

subsister dans la rigueur de leurs formes constitutives. » (Sabbatucci,

2004 [en ligne]). « Syncretism is a contentious term, often used to

denote inauthenticity, or the pollution of a notionally pure tradition by

symbols and meanings taken from alien tradition. [...] Recently,

anthropologists and social historians have discredited the idea of

essential, untainted traditions, exploring instead the processes by

which they have been invented or imagined. (Maxwell 2001, p.

13054). Au lieu de chercher les essences qui se mélangent, il faut se

demander plutôt les motivations et les moyens pour revendiquer une

authenticité, une origine ou une tradition, que ce soit la sienne ou

celle d’un Autre ethnique.

A une époque, pour l’histoire comparée des religions « le prétendu

phénomène syncrétiste s’est révélé de plus en plus inconsistant à

mesure que s’étendait le champ de la comparaison ; il finit par

disparaître tout à fait quand on constata que tous les produits

culturels et non seulement les faits religieux peuvent être rapportés à

des sources diverses en ce qui concerne leurs éléments constitutifs

sans représenter pour autant une forme de syncrétisme. De la

rencontre des différentes cultures […] peut naître une culture

nouvelle […] ; on peut alors se demander quel sens il y aurait à

distinguer dans ce processus général un phénomène syncrétiste

110

particulier. […] Le fait que cela n’ait pas de sens s’explique par

l’absence d’un phénomène auquel s’oppose l’éventuel syncrétisme. »

(Sabbatucci, 2004 [en ligne]). Effectivement, si toutes les cultures

sont d’origine syncrétique, pourquoi parler de syncrétisme culturel. A

quoi bon dire qu’une idéologie est syncrétique, si toutes les

idéologies sont syncrétiques. Justement, pour qu’il y ait du

syncrétisme, il faut d’abord identifier les cultures, les religions ou les

idéologies comme entités bien définies, qui constitueraient ce qui se

mélange dans le syncrétisme. Par conséquent, ce débat rejoint celui

de l’applicabilité d’un terme comme « culture », car comment définir

ses limites, si l’on constate que tout ce qu’il existe ce sont des

continuums entre les formes culturelles qui passent d’une localité

(dans le sens du mot anglais « localities » employé par Appadurai,

2000) ou d’une communauté à une autre, et cela de plus en plus vite

et vers des destinations de plus en plus lointaines. On peut peut-être

parler de syncrétisme entre deux formes concrètes que l’on a

identifiées en tant qu’éléments distincts à un moment donné et qui,

se rapprochant, créent une forme nouvelle, mais parler des origines

culturelles indépendantes de ces deux formes, semble de plus en

plus problématique, et c’est en effet une problématique qui nous

concerne très directement lorsque nous voulons dire qu’une certaine

croyance vient de telle ou telle culture, par exemple la tibétaine ou

l‘indigène.

Pareillement, pour le concept de « métissage » culturel, celui-ci

part d’une idée erronée qui consiste à croire qu’il existe des entités

discrètes nommées « cultures », des univers étanches, qui restaient

« purs » dans un passé (qui n’a jamais existé), et qui, suite aux

contacts avec d’autres cultures, se seraient métissées. C’est l’idée de

culture mélangée opposée à celle de « cultures ataviques ». En

111

outre, cette approche suppose que ces entités métisses seraient de

plus en plus nombreuses à cause de la mondialisation, et que ce

processus tendrait à homogénéiser les cultures du monde entier (la

coca-colonisation, par exemple). Or ces cultures « originelles » à

partir desquelles on conçoit les métissages, sont, elles-mêmes,

métissées, et les contacts avec l’altérité ont toujours existé. Amselle

(2001) propose une approche alternative qui nous semble tout à fait

pertinente pour notre étude. Recourant à la métaphore de l’électricité,

et par extension de l’informatique, il parle de « branchements » que

chaque collectivité peut établir au réseau planétaire de signifiants,

leur donnant leurs propres signifiés locaux. Grâce à ce modèle nous

nous écartons décidément du modèle (bi)polaire ou dichotomique

dans l’analyse des échanges culturels. Nous nous écartons aussi du

débat sans fin sur les contenus originels de chaque culture et de

l’interrogation sur qui a apporté quoi dans le brassage culturel. Ces

débats se fondent sur des problèmes insolvables comme la

délimitation des cultures et des traditions, sans pouvoir user d’aucun

critère objectif concret pour y parvenir. Des anthropologues dans le

passé ont essayé d’utiliser certains critères comme la langue (qui est,

elle aussi, à contours flous et en constant changement), le territoire,

la religion, ce qui marchait pour eux et leurs notions fossilisées des

cultures « primitives », cultures-choses immobiles et isolées, qui n’ont

existé que dans leurs ethnographies.

Le branchement d’un groupe sur les signifiants qui circulent à

l’échelle mondiale devient un moyen pour reconstruire ses propres

particularités, par exemple affirmant son identité. La diffusion globale

de messages, de représentations culturelles, loin d’homogénéiser,

devient un moyen d’expression des particularités locales face aux

Autres, si bien que ces signifiants globalisés permettent aux groupes

112

locaux de se projeter sur la scène mondiale avec une image

reconnaissable par les autres. Dans ce phénomène d’appropriation

se trouve toute la problématique de la traduction et de la

réinterprétation. Pour Amselle, l’expression d’une identité suppose

d’emblée une traduction, une conversion de signes « universels »

(bien que ce mot puisse être controversé, nous l’entendons ici

comme désignant ce qui transcende la localité, et qui pourrait être

régional, transnational…) dans les idiomes locaux ou l’attribution de

signifiés propres aux signifiants « planétaires » afin d’y manifester

leur singularité.

En outre, les religions, nous signale cet auteur, sont basées sur

cette idée de traduction d’un message qui permettrait au particulier

d’accéder à l’universel. Le cas des religiosités modernes et la façon

dont le bouddhisme est représenté par les Occidentaux, suit ce

principe. Bien que cela puisse paraître contradictoire, les religions

locales -et par là les identités ethniques qui y sont rattachées-

existent sur la scène globale en fonction d’une « universalisation » de

leurs signifiants.

L’accent que nous mettons sur la métaphore des

« branchements », vient de la différenciation entre signifiants et

signifiés. Le modèle classique d’échanges culturels suppose la

transmission des signifiants toujours avec leurs signifiés ; seulement

s’il y a cette correspondance, supposent certains, il y a un véritable

échange. Ainsi, étant donné la construction sociale de la signification

on peut conclure qu’il n’y a jamais de vrai échange, que les cultures

sont incommensurables, ou qu’elles doivent rester séparées, car il

est impossible de reconstruire ce monde social pour reconstruire les

signifiés. De l’autre côté, il y a les « naïfs », qui ne font pas la

séparation non plus, et croient que reprendre le signifiant implique

113

automatiquement reprendre le signifié, de sorte qu’ils croient que leur

signifié (ou interprétation) au signifiant venu d’ailleurs, est le même

que celui que l’autre culture lui attribue.

Laplantine et Nouss (2001) prennent la créolisation des langues et

la traduction comme des exemples de métissage. En ce qui concerne

la traduction, par exemple, la conception traditionnelle repose, selon

ces auteurs, sur les notions d’équivalence et de fidélité. La traduction

serait l’équivalent de l’original, transmettant son message. Cette idée

plus que commune, ignore l’adage italien bien connu en

traductologie: « traduttore tradittore » (traduire, c’est trahir). La

conception traditionnelle suppose que le sens serait isolable de la

forme. Une sorte de monde platonicien d’idées pures et donc de sens

univoques qui existeraient indépendamment des vies humaines qui

les construisent et les vivent. Or, nous savons que le sens n’existe

que dans un contexte particulier, dans un cadre culturel et dans un

réseau de connotations, et que c’est donc là que réside le sens du

texte original. Ce réseau existe autour de la forme et la forme n’existe

qu’à l’intérieur de lui, de sorte que pour avoir une équivalence

complète du sens il faudrait recréer le réseau, mais ce dernier est

construit à partir des expériences qui composent la vie sociale des

individus, ce qui fait que nous ne puissions que rarement atteindre

cette reconstruction de façon complète.

Par conséquent, la traduction est très souvent un nouveau texte,

avec les réseaux locaux qui entourent les formes locales censées

prendre la place des étrangères. C’est une fiction populaire de croire

que la traduction nous rend un texte comme si l’écrivain originel

l’avait écrit dans la langue d’arrivée et de nos jours, alors que cet

auteur n’appartenait pas à une culture de langue écrite, ou qu’il vivait

en Inde il y a 2500 ans. Pour nous, le syncrétisme est dans la

114

construction de nouveaux « textes » (ou nouvelles formes culturelles)

qui effectivement surgissent dans la cohabitation d’individus et de

formes culturelles diverses. Ce qui nous permet de différencier le

syncrétisme du changement culturel, c’est la présence de plusieurs

identités ethniques concernant les formes -et les effets de frontière

que cet élément identitaire entraîne. Si l’on peut définir le

« bricolage » dont nous avons déjà parlé comme une démarche

syncrétique, c’est parce que les gens qui le réalisent tout en ayant

conscience des frontières ethniques, se permettent de franchir ces

frontières pour s’approprier des signifiants qui appartiendraient aux

Autres culturels.

Au modèle d’entités séparées, on a opposé le modèle de

l’universalisme construit sur l’idée de fusion et du partage du même,

une quête de synthèse, de l’Unité. Que ce soit par le truchement de

la Raison, de l’Histoire, du Progrès, des Astres, du Destin, de la

Nature, de la Nation, de la Classe, ces idées toujours très

occidentales, ont déjà aspiré à l’unification de l’Humanité. A ce

propos, on peut penser aux notions actuelles comme les droits de

l’Homme, le Spirituel ou la Psychologie ; des éléments qui seraient

partagés par toute l’Humanité et qui permettraient de rapprocher tout

le monde.

La traduction, ainsi que l’interculturalité, sont une construction

nouvelle, avec des risques et des potentialités nouvelles. L’erreur est

de croire que la traduction est l’original. En guise d’exemple de la

manière dont les traductions sont des adaptations en fonctions de

systèmes de représentations beaucoup plus complexes et qui

s’insèrent à leur tour dans des pratiques sociales, il faut remarquer

que dans les traductions du XVIIIème siècle, l’emploi de termes

typiquement occidentaux comme « couvent », « pontife » et

115

« prêtres », a été repris comme justification pour condamner la

religion du Tibet comme une hérésie. Dans ce contexte, avoir trouvé

un équivalent des concepts étrangers, proches de ceux de sa propre

culture, a été un moyen pour interpréter l’autre religion comme une

usurpation de sa propre religion. Les ressemblances sémantiques

étaient entendues comme le signe d’une religion qui voulait prendre

la place du catholicisme, et donc comme la religion du diable. « Dans

cette théorie, toute similitude entre les éléments rituels de l’Eglise et

ceux des cultes rivaux est l’œuvre du diable. » (Lopez 2003, p. 42).

Ceci pose un contraste intéressant avec l’idéologie d’aujourd’hui, où

l’on essaie de traduire la symbolique tibétaine avec des concepts qui

valorisent du coup l’Autre ethnique ; on n’y voit plus un signe

d’usurpation, mais au contraire, une la confirmation que toutes les

cultures parlent de la même chose, qu’elles peuvent contribuer à un

but commun.

Les mots ne sont pas simplement des étiquettes pour nommer les

mêmes objets que nous voyons tous, mais ils ont des connotations

de valeur (sacrée, politique, émotionnelle, esthétique, etc.). Ces

extensions sémantiques se manifestent dans la pensée sous forme

d’associations. Cette problématique devient évidente pour le

traducteur lorsqu’il veut traduire un texte humoristique ou un poème :

il en va de même lorsqu’on prétend connaître les croyances

religieuses d’autrui et la vision du monde qui va avec. En outre, elle

nous montre que le travail du traducteur est fondamental dans la

formation des représentations d’une autre culture (et l'ethnologue est

un traducteur!). En fonction des signifiants employés et de dispositifs

rhétoriques, la traduction établie des liens d’ « équivalence », et par

là elle peut fixer un rapport de « compatibilité » ou de

« compréhension », faisant d’une doctrine, malgré son éloignement

116

de la pensée propre, une source de « spiritualité », un « beau texte »,

etc.

LE « SUCCES » DE CERTAINES IDEES

En essayant de reconstruire l’effet « perlocutoire » (Austin, 1976)

que les mots ont sur les individus ou le « pouvoir des paroles »

(Bordieu, 1982) employées pour parler d'une autre culture, nous

sommes face aux questionnements sur les mécanismes

d’argumentation qui provoquent une certaine séduction (ou rejet).

« Communiquer, c’est requérir l’attention d’autrui : par conséquent,

communiquer, c’est laisser entendre que l’information que l’on

cherche à transmettre est pertinente. » (Sperber et Wilson, 1989, p.

7) L’importance de cette notion de « pertinence » dans notre étude

vient du fait que nous devons supposer une intention de la part de

ceux qui produisent les messages inter-ethniques. Elle nous rappelle

donc que dans ce type d’échanges communicationnels, il peut y avoir

une connaissance implicite de la part de l’émetteur du message sur

ce qui est pertinent pour ses interlocuteurs, il modifie donc son

langage en fonction de cette connaissance. Par exemple, dans les

messages du Dalaï Lama, il est normal de supposer une intention de

captiver son audience occidentale en disant des choses qui sont

pertinentes pour son audience. Pour certains, il s’agit là d’une sorte

de tricherie, mais, de fait, les théories de la communication montrent

que cela se fait tout le temps dans l’interaction sociale et que c’est

nécessaire pour que les interlocuteurs se prêtent attention les uns

aux autres.

Pour nous, l’intérêt et la valorisation de l’Autre ethnique passe en

grande partie par une forme de communication. Nous prenons la

117

définition très simple de la communication que Sperber et Wilson

(1989) proposent comme la modification de l’environnement

physique d’un dispositif de traitement de l’information (une personne)

par un autre dispositif de traitement de l’information. Cette notion

d’environnement est très importante car ce sont ces modifications de

l’environnement que nous pouvons observer, et il faut toujours

indiquer pour qui cet environnement est pertinent.

Les concepts d’ « échange » ou de « message » sont

problématiques car on peut toujours supposer qu’il n’y a pas de

correspondance exacte entre ce qu’un des interlocuteurs a voulu dire

(son prétendu message) et ce que l’autre interlocuteur a compris (sa

version du prétendu message). Parfois même, un des interlocuteurs

croit recevoir un message, alors que l’autre n’a rien voulu

transmettre, ou vice-versa. (On a même douté que ce que l’individu

croit vouloir dire soit ce qu’il veut vraiment dire, etc.) Cette

problématique devient d’autant plus insolvable qu’il s’agit de relations

entre individus culturellement éloignés. A chaque fois que les

individus croient avoir appris quelque chose sur l'Autre, on pourra si

cet Autre est vraiment la source de ce que le récepteur a cru

comprendre.

La communication verbale met en jeu à la fois un processus de

codage et un processus inférentiel. Un processus inférentiel a pour

point de départ un ensemble de prémisses et pour aboutissement un

ensemble de conclusions qui sont logiquement impliquées ou, au

moins, justifiées par les prémisses. » (Sperber et Wilson, 1989, p.

27). Les individus traitent les manifestations des autres ainsi que

l’entourage et leurs propres contenus mentaux comme des

prémisses. En outre, les individus tiennent compte de qu'ils croient

que l'autre pense, et d’un savoir mutuel, c’est-à-dire ce que leur

118

interlocuteur sait d’eux. Les tibétains, par exemple, comme le signale

Obadia (1999), connaissent ne serait-ce qu’en partie évidemment, les

discours que les Occidentaux tiennent à leurs propos.

L’interprétation, en tant que produit des inférences, va bien au-delà

du simple décodage des énoncés. Elle implique un vaste ensemble

de données qui est utilisé par les individus pour arriver à une

interprétation particulière. Dans l’analogie, par exemple, on établit

une ressemblance ou une correspondance entre A et B, qui nous

permet d’inférer les caractéristiques de B à partir des caractères

connus de A. B, étant un élément nouveau, est intégré à un réseau

de représentations auquel appartient A

En général, les processus inférentiels se produiront en fonction des

concepts qui constituent une représentation (Sperber et Wilson,

1989, chap. 2). Par exemple, la présence de concepts de valeur

comme compassion, amour, tranquillité ou épanouissement, qui sont

très fréquents dans les discours de type religieux, semble jouer un

rôle important dans la réception et valorisation des messages

religieux.

Dans l’analyse de formes culturelles comme les mythes, la

littérature, les rituels, etc., les auteurs nous montrent que « ces

phénomènes culturels ne servent pas, en général, à communiquer

des messages précis et prévisibles. Ils orientent l’attention des

destinataires dans certaines directions ; ils les aident à structurer leur

expérience. » (Sperber et Wilson, 1989, p. 20) En effet, c’est

justement dans ce sens qu’agissent les représentations publiques du

type religieux ou « para-religieux ».

La notion de représentation est le processus élémentaire de

l’interprétation. Elle met en relation trois termes : « une chose en

représente une autre pour quelqu’un. » (Sperber 1996, p. 108). Le

119

succès de la distribution culturelle d’une représentation est une

fonction de la richesse de ses conséquences et des ses possibles

interprétations par les membres d’une société en fonction de leurs

besoins. Un exemple cité par Sperber (ibid.) est celui de la croyance

que « tous les hommes sont égaux ». Les individus peuvent

l’interpréter de maintes façons, d’autant plus qu’elle a des

conséquences dans une société qui est de fait profondément

inégalitaire.

Les représentations culturelles sont, pour Sperber (1996), des

« représentations largement distribuées dans un groupe social et

l’habitent de façon durable. » (, p. 50). Cette précision nous paraît

importante, car elle impliquerait que les représentations peuvent être

« plus ou moins culturelles », dans la mesure où elles sont plus ou

moins largement et durablement distribuées. Cette considération

théorique est d’autant plus pertinente dans les sociétés dites

« complexes » ou « multiculturelles », où un grand nombre de

représentations circulent de façon très discontinue, souvent

partagées non pas en fonction des groupes sociaux dans un même

territoire, mais en fonction de réseaux sociaux et communicationnels.

Les représentations sont donc culturelles dans la mesure où elles

sont partagées et reproduites au fil du temps, mais le groupe qui les

partage peut ne pas coïncider avec ce que nous entendons

traditionnellement (et d’une façon très problématique) par « une

culture » délimitée. Pour ces raisons, il est préférable de parler de

représentations collectives.

La notion d’interprétation est centrale, vu l'objectif de montrer

comment les discours qui parlent d’une autre « culture » sont

interprétés en fonction des représentations pré-existantes. Une

complexification qui vient s’y ajouter, mais qu'il ne faut pas ignorer,

120

est qu'à partir de ces interprétations faites par une population

d’étude, nous faisons nos propres interprétations en tant chercheurs.

Geertz (1973) le dit très simplement : nous faisons des interprétations

des interprétations. Quand nous disons « Les X pensent que… »,

comment évaluer la véracité de notre interprétation ? Bien qu’un objet

de recherche comme les « contenus de la pensée » puisse paraître

de la métaphysique, et qu’en effet il se prête à toutes sortes de

dérapages théoriques, tous les individus, dans la vie sociale, font des

associations entre les représentations et utilisent une vaste

connaissance pour communiquer avec autrui. Ils peuvent inférer,

avec un succès considérable, ce que l’autre pense en fonction d’un

ensemble de représentations collectives ou de constructions

langagières. Ces interprétations nous aident à vivre ensemble. Si

l’anthropologie contribue à élucider les principes mis en œuvre dans

ces interprétations, il ou elle aura peut-être contribué à une meilleure

compréhension et tolérance dans la diversité culturelle

Nous pouvons envisager notre démarche à travers l’étude des

propriétés formelles des représentations. En effet, comme le propose

Sperber dans un exemple : « on peut se demander quelles sont les

propriétés formelles qui font que le Petit Chaperon rouge se

comprend et se retient mieux qu’un résumé des événements du jour

à la Bourse » (Sperber 1996, p. 88). C’est toute notre question

initiale : quelles sont les caractéristiques formelles du discours qui

circule dans l’espace culturel Français concernant le bouddhisme

tibétain, qui font que celui-ci soit « intéressant ».

Il semblerait que « les représentations les plus évocatrices sont

celles qui, d’une part, sont étroitement liées aux autres

représentations mentales de l’individu, et qui, d’autre part, ne peuvent

jamais recevoir une interprétation définitive » (op. cit., p. 101) ou qui,

121

en d’autres termes, sont à demi comprises. Leur compréhension

consiste en un travail de recherche de la part de l’individu, de

construction d’hypothèses grâces auxquelles l’idée à demi comprise

aura plus de sens. Parfois, il y a tout simplement l’autorité de la

personne qui parle (« l’argument d’autorité ». Bourdieu, 1982) qui fait

qu'une idée soit acceptée. Dans ce dernier cas, l’individu penserait

que le manque de sens n’est pas dû à une incohérence de l’idée,

mais à un manque des ses propres connaissances ou capacités pour

la comprendre complètement. Mais parfois, les l'argument d'autorité

intervient (et quand un chaman réputé parle, cela peut être le cas)

pour faire que des idées à demi-comprises reçoivent des

interprétations positives, qu'elles soient associés à d'autres

représentations ou concepts avec des connotations positives.

Evidemment, beaucoup d’idées religieuses ou para-religieuses

relèvent de ce domaine, et d’autant plus si ces idées sont censées

avoir une origine culturelle étrangère dans un contexte qui valorise la

pluralité. Concrètement dans notre cas, il faut prendre en compte

l’effet de « l’argument d’autorité », puisque les moines tibétains,

considérés comme des maîtres, jouissent d’un certain statut de

crédibilité.

Mais l’importance de la source ne se limite pas à la personne qui

énonce les mots, mais aussi aux sources autorisées. Un facteur à

prendre en considération est le fait que les individus tendent à prêter

plus d’attention à l’information qu’ils croient être largement partagée,

et d’autant plus si ceux qui la partagent appartiennent à un groupe de

référence valorisé. S’il s’agit d’informations confuses ou en principe

incohérentes pour l’individu, il va faire un effort pour les intégrer à sa

pensée et à ses goûts. Les médias, avec le statut dont elles jouissent

(le fait d'apparaître à la télévision est, par exemple, déjà un argument

122

d'autorité) peuvent rendre une information « importante ». Il faut donc

penser au rôle de la forte médiatisation du phénomène Bouddhisme-

Tibet, et au fait que certaines célébrités et membres des élites

montrent publiquement leur sympathie pour le bouddhisme et/ou le

Tibet.

D’autre part, ces idées à demi comprises laissent toujours la

possibilité d’être interprétées différemment en fonction des besoins

de sens des individus à un moment donné. Il faut donc considérer la

situation des récepteurs pour comprendre leurs interprétations. Les

croyances religieuses ont cet aspect de « mystère » qui fait qu’on n’a

jamais fini de les interpréter, laissant une certaine inquiétude.

Puisqu’elles sont seulement à demi comprises, elles sont

susceptibles d’être indéfiniment réinterprétées. D’ailleurs, il en est de

même des pratiques religieuses.

RHETORIQUES : LA CONSTRUCTION SYMBOLIQUE DE LA

REALITE

Nous adhérons au sens simple du mot « rhétorique » en tant

qu’ « art de dire quelque chose à quelqu’un » et plus particulièrement

« l’art d’agir par la parole sur les opinions, les émotions, les

décisions » (Douay-Soublin, 2004 [en ligne]). Il ne faut pas le

confondre avec un sens péjoratif du mot en français courant,

dénonçant « soit la grandiloquence déclamatoire du discours

malhabile, soit l’habileté menaçante du discours manipulateur »

(ibid.). Au-delà de ce sens péjoratif, le fait est que « la conjoncture

actuelle paraît assez favorable au retour de la rhétorique, puisque,

dans trois autres disciplines au moins, la philosophie du langage,

l’anthropologie culturelle et la linguistique générale, resurgissent des

123

concepts comme discours, genres, circonstances, moment, dialogue,

interaction, émotion, polyphonie, ajustement, convenance, qui dans

la réflexion rhétorique traditionnelle furent longtemps le pain et le

sel. »(ibid.). Au fond, ce qui nous intéresse ici est d’analyser le

pouvoir des mots et des discours sur l’esprit humain, et par

conséquent sur les relations sociales. Il faut tenir compte du fait que

la rhétorique n’est pas une activité limitée aux discours d’individus

surdoués ou ayant des projets machiavéliques pour manipuler les

autres ; les figures rhétoriques sont utilisées à tout moment dans la

communication ; le langage est foncièrement métaphorique et ce

type de figures n’existent pas simplement pour donner un style

esthétique au discours, mais elles construisent une réalité mentale en

re-présentant les choses et leurs qualités.

Une activité extrêmement importante dans nos sociétés actuelles

qui recourent au pouvoir du langage pour changer les croyances,

c’est la publicité. Observant ses mécanismes symboliques, dont le

but est de « séduire et convaincre », nous pouvons trouver des

ressemblances avec le phénomène de séduction d’un discours

religieux ; pareillement, la construction des attributs d’une marque,

d’une entreprise, peuvent nous mettre en lumière les moyens

symboliques mis en œuvre notamment dans les discours de type

religieux (mais pas uniquement), pour construire une identité

culturelle.

Il est reconnu que nombre des messages publicitaires combinent

les aspects dénotatifs (d’information) et connotatifs -qui évoquent une

émotion et procèdent par association d’idées, par l’évocation d’une

ambiance, qui jouent sur les symboles, les motivations profondes…-.

La publicité dite « douce » utilise cet aspect connotatif, visant

l’acceptation et le changement d’attitude en faveur d’un nom (une

124

identité), favorisé par les associations qu’induit et suggère le

message. Dans l’évolution des stratégies publicitaires, depuis les

années 70, elles jouent de plus en plus sur les aspects symboliques

et connotatifs. Il n’est pas de doute que si nous voulons comprendre

les raisons de l’acceptation d’un discours (pseudo) religieux, et le

changement d’attitude en faveur d’une identité qu’en serait l’origine,

nous devons analyser comment opèrent ces associations d’idées,

ces symboles, ces connotations que la publicité utilise, elle aussi,

dans ses buts.

La publicité compte aussi sur la « réinvention » de l’objet de la part

du récepteur du message, de sorte que celui-ci l’intègre à ses

besoins et ses désirs. C’est pourquoi, les objets (concepts, images,

signifiants) qui sont susceptibles de plusieurs interprétations peuvent

être plus facilement accueillies par les gens (avoir plus de

« succès », pour reprendre le concept de Sperber, 1996).

Les individus intègrent constamment des éléments neufs dans une

structure de sens. A travers l’analogie, par exemple, nous pouvons

donner du sens à la nouveauté, mais en plus, comme le signale

Tardan-Masquelier (2000), elle peut nous reconduire à une réalité

transcendante, faisant d’un phénomène banal, un de type religieux.

L’allégorie, de son côté, nous permet de rendre sensible et

compréhensible une réalité abstraite. Les discours religieux

mentionnent souvent des allégories, à travers, entre autres, leurs

multiples métaphores et paraboles. L’interprétation est une « mise en

marche », un « mouvement vers », un « éveil à l’altérité ». Le sens

caché révélé par la religion, est une manifestation de cette altérité.

La notion de structure de sens sera utile pour comprendre les

représentations que nous allons analyser. Pourtant, le concept de

structure a grand nombre de définitions que l’on a construit dans les

125

sciences sociales. Pour nous, une structure est un ensemble

d’éléments reliés entre eux et qui s’influencent mutuellement. Dans

une structure, bien que les liens suivent certaines trajectoires plus

fréquemment que d’autres, ces autres restent possibles et peuvent

être activées grâce à de nouvelles formes de conception et/ou aux

changements des pratiques.

La linguistique nous montre l’importance des schémas

relationnels : l'effet de sens ne procède pas du mot en soi, mais de

son potentiel de re-présenter d’autres mots, concepts, images qui lui

sont associés. De même, « une image symbolique ne porte pas, en

soi, de sens fixe, le rapport entre contenant et contenu étant

provisoire; tout dépend de la manière dont elle se trouvera combinée

avec d'autres représentations; seul importe, pour comprendre le

mythe, cette corrélation. » (Tardan-Masquelier, 2000, p. 2185-86).

Thomas d’Aquin décrivait déjà le fondement du dispositif

symbolique : « le symbole est une chose qui, outre l’apparence

qu’elle présente à nos sens, fait venir à la pensée quelque chose

d’autre qu’elle-même » (De Somme théologique, III, 60, a1, ad. 2, cité

par Tardan-Masquelier, 2000) ; c’est là, en fait, le même principe que

celui de la représentation. Qu'il s'agisse de symboles religieux ou de

toute autre forme de représentation symbolique (Cf. Boyer et

Ramble, 2001), les deux se réfèrent à ce qui n’est pas « sous nos

yeux » et les constructions mentales qui peuvent « venir » à la

pensée en fonction d’une image ou forme.

Le mysticisme est une des manifestations de la représentation,

puisqu’il s’agit de donner un sens qui est au-delà de la chose, un

sens caché. Il est important que le trait emprunté soit ré-interprétable

pour la culture « receveuse ». « Un trait culturel, quelle que soit sa

forme ou sa fonction, sera d’autant mieux reçu et intégré, qu’il pourra

126

prendre une valeur sémantique en harmonie avec le champ des

significations de la culture receveuse, c’est-à-dire, qu’il sera

réinterprété. » (Bastide, 1998, p. 54). Pour utiliser toujours le concept

de structure, pour qu’un nouveau trait soit ré-interpété avec succès, il

faut qu'il soit intégré à une structure de sens, qu’il soit, pour ainsi dire,

« positionné » dans la structure de représentations.

Egalement, il faut considérer, comme le note Bastide à propos de

l’acculturation, que « la modification d’un élément entraîne, comme

par une réaction en chaîne, des transformations dans d’autres

éléments qui n’ont pas cependant subi directement l’influence du

contact » (Bastide, 2004). D’autre part, les traits tendent à être plus

ou moins regroupés, de sorte qu’il se peut que lors de leur diffusion,

ils ne se transmettent pas isolément.

Raimundo Panikkar dans Le dialogue intrareligieux (cité par

Couture, 2000) nous propose quatre modèles ou quatre grandes

métaphores du rapport face à l’altérité religieuse : l’exclusivisme, qui

prétend détenir une vérité universelle et absolue, et donc rejette les

discours de l’Autre ; l’inclusivisme, qui affirme que sa tradition

englobe toutes les autres, les réinterprétant selon son système de

croyances, par exemple selon un évolutionnisme dans lequel les

croyances d’autrui serait des stades ; le parallélisme, qui admet que

toutes les traditions sont autant de voies particulières et

autosuffisantes vers un but ultime transcendantal ; il interdit les

syncrétismes ; enfin, l’interpénétration, prétend que les religions sont

complémentaires et qu’elles peuvent toutes contribuer à la

croissance spirituelle des individus.

On peut remarquer, toujours selon Panikkar, l’emploi et

l’importance des métaphores pour se représenter la religion et surtout

les religions. Panikkar propose une métaphore utilisé dans la

127

population étudiée: la métaphore des religions en tant que langages,

ce qui fait d’elles des moyens de compréhension du monde et de la

vie.

Les métaphores, et leurs conséquences interprétatives, ont été

signalées par les sociologues des nouvelles formes du croire en

Occident. « Précisément parce qu'elles ont été transformées, au sein

de la culture moderne de l'individu, en un réservoir de signes et de

valeurs qui ne s'inscrivent plus dans des appartenances précises et

dans des comportements régulés par les institutions religieuses, les

religions historiques tendent à se présenter, dans les sociétés

modernes, comme une matière première symbolique, éminemment

malléable, qui peut donner lieu à des retraitements divers, selon les

intérêts des groupes qui y puisent. » (Hervieu-Léger 2000, p. 2099)

(c’est nous qui mettons en italiques). Les traditions sont donc

considérées comme « des réservoirs de sens », mais ce processus

suit une « métaphorisation (ou symbolisation) des objets de la

croyance religieuse traditionnelle » (Hervieu-Léger 2000, p. 2098)

A propos de la façon dont les éléments sont incorporés dans une

structure de sens, Champion (2000) a une approche intéressante

lorsqu’elle analyse le phénomène en termes de « fragments » : « Le

sens de ces fragments -thématiques ou pratiques - réside dans

l'écho qu'ils éveillent chez chacun, dans les interprétations

personnelles pour lesquelles, de plus, l'éprouvé affectif est souvent

l'élément décisif. Leur sens reste, pour une part, flottant. C'est

pourquoi, dès lors qu'un même fragment entre dans plusieurs

compositions, il est susceptible de constituer une passerelle entre

ces compositions, de permettre des connexions pouvant conduire à

des rapprochements qui, eux-mêmes, amplifient la circulation des

thèmes et des personnes d'un univers à un autre. Un de ces thèmes

128

privilégiés concerne les ‘enseignements’ sur le fonctionnement

psychique, les états d'être de l'homme et les méthodes pour les

transformer. » (p. 35). Concernant la même question, il semble

intéressant de considérer la notion d’« espaces d’interprétation »,

« espaces sémiotiques », espaces sémantiques où des éléments

signifiants s’opposent et se relient, où « des significations s’élaborent

et s’ajustent. » (Leimdorfer 2001, p. 163). L'intégration d'un trait dans

une structure se fait donc, plus précisément, dans un tel « espace

d'interprétation ».

En approfondissant sur la façon dont les signifiants sont incorporés

à une structure de sens, nous remarquerons le principe fondamental

de la catégorisation.

Les catégories dans lesquelles les individus regroupent les

éléments n'ont pas toujours des frontières nettement définies, et

leurs éléments peuvent avoir différents degrés et modalités

d'appartenance (Lakoff, 1987). Les catégories s’entrecroisent,

s’enchevêtrent. Ainsi, il faut considérer le mécanisme de greffe des

catégories pour comprendre véritablement le sens ou les sens d’un

concept, en allant chercher plus en profondeur les catégories

auxquelles il peut être attaché, et par là, comprendre ses

connotations et les valorisations implicites.

Les éléments prennent sens dans la mesure où ils rentrent dans

des structures où les éléments sont regroupés dans des catégories.

Mais, comme on viens de voir, les catégories peuvent à leur tour être

« greffées » l’une sur l’autre à travers le langage, en amplifiant ainsi

les sens qu'un élément peut avoir. Ceci explique la diversité des sens

métaphoriques qu’un symbole peut avoir.

La division entre sens littéral et sens métaphorique, est toujours

très présente, même dans les sciences humaines. Pourtant, la

129

métaphore n’est pas la figure spéciale réservée aux poèmes. « La

métaphore est bien plus qu’un procédé rhétorique ; il y a une

« métaphorique » fondamentale qui préside à la constitution des

champs sémantiques. » (Ricoeur, 2004 [en ligne]). Lakoff et Johnson

(1980) ont démontré la nature endémique de la métaphore dans la

compréhension de la vie au quotidien, et ses implications dans le

domaine de la cognition.

Conçue comme un mécanisme de transfert d'un domaine

sémantique à un autre, d'une catégorie à l'autre, le mécanisme

métaphorique (au sens large du terme qui inclut d’autres figures du

langage comme l’analogie ou la métonymie) est donc fondamental

aux processus de réinterprétation, car il est un moyen privilégié

d’établir de nouvelles associations entre catégories : « La métaphore

franchit les coupures des classifications » (Ricœur, 2004 [en ligne]).

Cet agencement métaphorique permettrait d'expliquer

l'réinterprétation et la mise en valeur d’éléments « nouveaux »

(comme ceux d'une culture Autre qui avant étaient interprétés

différemment) à travers les connexions dans la structure de sens et

ses catégories, connexions qui entraînent l'attribution de

significations et de connotations nouvelles. Par exemple, il est

possible que la catégorie conceptuelle bouddhiste de "réincarnation"

ait été rapportée à celle du "progrès" individuel, et par là même

incorporée à la notion de réalisation personnelle, fort connotée

positivement et typique de l'individualisme occidental.

« Dans la rhétorique classique, la métaphore constituait une figure

de substitution par laquelle on transpose sur un objet la signification

d'un autre qui peut lui être comparé. Pour les théoriciens modernes,

en revanche, la métaphore ne peut se réduire à une simple figure

rhétorique ou stylistique, mais elle constitue un procédé de tension

130

capable de faire surgir des significations nouvelles en rapprochant

deux champs sémantiques de manière inattendue. » (Gorgievski,

2000, p. 2249) Les métaphores peuvent structurer l’acquisition de

l’information et elles nous permettent de construire des opérations

entre ces éléments, comme les inférences.

L’école de Palo Alto, travaillant sur les logiques de communication,

nous montre qu’il existe un « langage de changement » qui remet en

question la conception habituelle du receveur du message « en lui

proposant des alternatives nouvelles et c'est ce recadrage de la

réalité qui peut l'amener à modifier son système de valeurs. »

(Gorgievski, 2000, p. 2250). La valorisation d'éléments jadis méprisés

est désormais possible. Vu que le langage religieux est

particulièrement ambigu et donc ouvert à différentes interprétations, il

n’est donc pas surprenant que ce le langage religieux, riche en

métaphores, soit un domaine particulièrement prolifique pour les

réinterprétations « positives » (ou négatives, si l'on veut!) des

symboles de l’Altérité.

Le rapprochement entre des catégories nous rappelle le concept

de « conceptual blending » : « a basic mental operation that leads to

new meaning, global insight, and conceptual compressions useful for

memory and manipulation of otherwise diffuse ranges of meaning. It

plays a fundamental role in the construction of meaning in everyday

life, in the arts and sciences, and especially in the social and

behavioural sciences. The essence of the operation is to construct a

partial match between two inputs, to project selectively from those

inputs into a novel ‘blended' mental space, which then dynamically

develops an emergent structure. It has been suggested that the

capacity for complex conceptual blending (`double-scope' integration)

is the crucial capacity needed for thought and language. »

131

(Fauconnier, 2001, p. 2495). Un exemple est celui d’un rituel

symbolique où deux représentations sont mélangées [blended]:

monter les escaliers et le progrès dans la vie d’une personne, de

sorte que la première action symbolise le deuxième concept. Le

concept de « conceptual blending » englobe des phénomènes

comme « les catégorisations, les analogies, métaphores, les rituels,

les constructions grammaticales”, pour rapprocher des éléments

symboliques qui étaient considérés traditionnellement comme

distincts, voire incommensurables. (op. cit.. p. 2497).

CONTEXTE SOCIO-CULTUREL DES DISCOURS

Le Quéau (1998) propose une « phénoménologie qui restitue des

créations de l’esprit dans le milieu qui en dépend et, réciproquement,

dont elles dépendent. L’espace en tant qu’ensemble de formes

objectives dans lesquelles chacun se trouve nécessairement « pris »

dès le départ, constitue donc une matrice. » (p. 57).

Il va sans dire que l’analyse des discours et la recherche de

structures de représentation ne seraient pas possible sans la

considération d’un contexte très large qui va au-delà du contexte

linguistique et situationnel de l’énonciation, pour considérer les

aspects sociaux qui concernent directement ou indirectement la

population. Pour comprendre le sens des pratiques (et prononcer un

discours ou donner un simple avis sont des pratiques), il faut

considérer que les significations se négocient avec les interlocuteurs

qui portent une identité (ethnique ou autre), dépendent de la

circonstance d'interaction sociale dans laquelle les représentations

sont produites et de l’autorité qui les justifie. Ces significations

s'actualisent et parfois naissent grâce à d’autres pratiques, ont des

132

références dans la vie quotidienne des individus, sont les

conséquences d’événements passés, ont des connotations et des

implications pour les individus qui les interprètent (par exemple sur le

plan des rapports de pouvoir ou économiques), pour ne mentionner

que quelques aspects à prendre en compte. Nous considérons cet

ensemble de facteurs comme l'objet d'une description

ethnographique.

Comme nous l’avons déjà vu, il n’est pas question d’étudier une

« culture », car cette notion suppose une entité homogène et close,

ou du moins un Tout intégré et autonome. Or, ce que nous avons en

réalité ce sont des flux d’information, des milieux et des réseaux qui

s’enchevêtrent (ou des milieux en réseaux) dans lesquels les

individus cohabitent. Ces réseaux, plus fluides, plus éphémères, ne

remplaceront pas les communautés localisées traditionnelles, mais

s’y ajoutent, et font relativiser l’importance des communautés

localisées dans un espace en particulier, l’individu pouvant appartenir

et à sa communauté locale, et à plusieurs réseaux.

Le commerce et le consumérisme actuels promeuvent

constamment la valorisation de ce qui vient d’ailleurs et l’envie de

nouveauté. La publicité nous incite constamment à vouloir quelque

chose de nouveau. Les médias sont un élément crucial dans ce

processus. Pour Appadurai (2000) les médias véhiculent des images,

des idées, des opportunités qui « viennent d’ailleurs » et que

l’imagination locale transforme.

La culture cosmopolite d’aujourd’hui se nourrit de plusieurs formes

de transmission de sens et de valeurs comme les restaurants, le

cinéma, le tourisme, la musique, etc. qui ont des origines

transnationales et diverses. Quelques-unes de ces formes peuvent

commencer d’une façon très globalisée, et trouver un champ

133

d’application localisé, tandis que d’autres peuvent commencer

comme un phénomène ou une idée locaux, pour se répandre après

dans le monde. Ce qui est important de retenir, c’est qu’en général,

les origines d’une forme sont une combinaison de formes locales et

des influences plus globales, de sorte qu’il existe un va-et-vient entre

les échelles globale et locale qui constituent les créations culturelles

actuellement.

Si nous utilisons le mot « culture », c’est seulement d’une façon

approximative et relative, dans le sens d’une collectivité où certaines

représentations seraient assez largement répandues (une définition

basée sur celle de Clifford Geertz). C’est dans ce même sens que

nous parlons d’une façon de penser ou d’une idéologie qui peuvent

être relativement représentatifs d’une collectivité. Cela n’implique,

pourtant, que tous les membres d’une collectivité et d’un territoire

pensent de la même manière. Les généralisations sont toujours

problématiques, mais elles sont nécessaires pour la pensée

scientifique.

134

TROISIEME PARTIE

L’ANALYSE DES MEDIAS

Notre accès à la réalité est toujours biaisé par les représentations ;

il s’en suit que toutes les images de l’Autre, de sa culture, de sa

religion et de ses croyances, se construisent par ce biais, ce qui

implique toujours une simplification de la réalité, le choix arbitraire de

certains traits et notre interprétation selon nos grilles d’interprétation.

L’imaginaire du « bouddhisme tibétain » se construit très souvent

par le biais d’associations conceptuelles avec d’autres thèmes et

contextes culturels qui ne sont pas étiquetés en tant que

« bouddhisme tibétain ». Au cours de ce que l’on peut appeler un

itinéraire, les individus accèdent à différentes sources d’information,

pouvant commencer à se familiariser avec un thème très général

comme celui du « bien-être », pour ensuite se familiariser avec la

« méditation » ou la « spiritualité » dans d’autres médias, et arriver,

dans une étape postérieure, au nom du « bouddhisme tibétain ». Par

exemple, il se peut qu’un individu tombe sur un livre sur le bien-être

où l’on fait allusion à la méditation dans le bouddhisme, et qu’à la

télévision on ait vu le Dalaï-Lama parler du bouddhisme au Tibet.

Une association indirecte et faible est alors créée ; elle est à l’origine

de l’image d’une « culture » tibétaine en tant que source de

connaissances pour le bien-être. Ces associations produisent ainsi la

liaison (plus ou moins forte) entre des éléments apparemment

disparates. Pour comprendre cette idéologie nous devons donc

135

suivre ces itinéraires d’accès à l’information qui façonnent les

structures de sens.

Deux grands axes d’associations sont à explorer en raison de leur

présence répétée dans les représentations publiques qui concernent

l’identité tibétaine: le bouddhisme et l’invasion chinoise du Tibet. Le

bouddhisme est considéré comme le trait le plus représentatif de la

culture tibétaine, et la question de l’invasion est souvent mentionnée

et médiatisée.

En regardant de plus près le langage qui est employé par les

médias, on remarque qu’il y a certains concepts prépondérants qui

véhiculent la valorisation de cet Autre. Le bouddhiste se présente

comme une « sagesse », une source de « bien-être » ou de

« bonheur » pour l’individu. L’origine de cette sagesse est le Tibet :

un lieu mystique (et mythique), « spirituel », où la doctrine aurait été

mieux préservée. Cette culture, ce peuple, cette « civilisation », ce

pays, cet Autre est donc conçu comme un réservoir de sagesse, qui

doit être protégé de toute invasion afin que l’humanité entière ne

perde pas à jamais cette connaissance. Également, il doit être

protégé au nom de la liberté et du respect de l’identité et des

minorités ethniques.

LA PRESSE

Nous avons cherché dans la presse des articles qui traitent du

Tibet. Nous avons trouvé deux sujets principaux qui y sont associés :

Le bouddhisme et l’invasion chinoise. Le premier ayant bien d’autres

thèmes adjoints, prend une place beaucoup plus importante dans les

informations.

136

Mais notre enquête ne saurait se limiter au mot « Tibet » (et ses

variantes, comme « tibétain »). En effet, il a fallu aborder un

ensemble de sujets qui ne sembleraient pas être rapportés au Tibet

en première instance. En essayant de reproduire la démarche d’un

lecteur non-spécialiste du sujet, nous avons voulu voir par quels biais

il peut arriver à se former une image positive du Tibet. C’est pourquoi

nous devons inclure ici des extraits de textes qui parfois semblent

être hors-sujet. Nous croyons que ce type d’idées constitue une

partie importante de l’idéologie qui supporte cette image.

Les qualifications positives explicites du peuple tibétain ne sont pas

très fréquentes, mais on trouve des références au Tibet associées à

des thèmes qui sont valorisés et très porteurs en Occident.

Dès que l’on découvre la façon de classifier les articles, la section

dans laquelle les éditeurs les mettent, les catégories utilisées par les

bases de dépouillement, on ne peut que constater une certaine

association qui doit représenter une forme d’interprétation et qui peut

vraisemblablement avoir un effet sur le lecteur. Les classifications de

la presse nous sont utiles car elles sont une manifestation des

associations établies dans l’esprit de ceux qui les ont construites, et

parce qu’elles guident les connexions entre thèmes de ceux qui les

consultent.

Les associations entre les catégories se comprennent dans la

mesure où l’on prend en compte les différents termes qui les

composent. Ce type d’associations nous permet de comprendre

comment on peut arriver à se former une idée de la culture tibétaine

à partir d’un intérêt, par exemple, pour la médecine alternative,

l’écologie, les droits de l’Homme, les arts martiaux, etc.

Notre démarche a commencé par le fait de chercher

« bouddhisme en France» « bouddhisme tibétain » et « Tibet » dans

137

la base de dépouillement de périodiques généralistes de la presse

française « Généralis » (Copyrights : Indexpresse). Cette base de

données nous fournit les titres des articles qui appartiennent à une

catégorie, mais aussi les autres catégories qui y sont rapportées.2

Dans les paragraphes qui suivent, nous trouverons les catégories

sous-lignées et, en-dessous, marqués chacun par un tiret, des

extraits des titres ou des phrases utilisées dans certains articles. Nos

commentaires apparaissent entre crochets.

Bouddhisme, France

-Spiritualité

-Philosophie de la vie

-Etre avec soi

-La cinquième religion [le bouddhisme] du pays [France] fascine

Européens et Américains [on parle du bouddhisme en tant que

religion quand il s’agit de le mettre en valeur face aux autres

religions, malgré le fait que dans d’autres contextes on dit

explicitement qu’il n’est pas une religion].

-Bouddha : Ce qu'il dit vraiment, image de non-violence, de

tolérance et de maîtrise de soi sur un système philosophico-religieux

vieux de 2500 ans [souci d’authenticité, de « tradition testée et

confirmée » et de véritable altérité. La tradition y est donc

implicitement valorisée].

2 Les articles sont datés entre 1993 et 2003. Les sources sont des revues comme : Jeune Afrique, L’Express, Psychologies, Actualité des religions, L’Histoire, Historia, Nouvel observateur, L’Usine nouvelle, L’Evénement du jeudi, Esprit, Télérama, LeMonde des religions, Le Point, Nouvel Observateur, Géo, Grands reportages, Courrierinternational, Sciences et avenir, Le Monde : dossiers et documents, Le Mondediplomatique, Science & vie, Alternative santé, Technikart, Sciences humaines,Connaissance des arts, Futuribles, Rebondir, Enjeux-Les Echos, Challenges. Il faut souligner que certaines revues apparaissent plus fréquemment, notamment Actualitédes Religions et Psychologies.

138

-De la dalaïmania à la bouddhophobie [Le Dalaï-Lama a toujours

une immense médiatisation et popularité, même au-delà de l’image

du bouddhisme]

-Bouddhisme : Le triomphe de la religion sans dieu. Conciliant

athéisme et spiritualité, corps et esprit, il a conquis le cœur de milliers

de Français. Non sans quelques malentendus.

-De plus en plus de Français sont séduits par la modernité du

bouddhisme, ses valeurs et son éthique.

-[Le bouddhisme] connaît un succès inattendu.

-…adeptes du bouddhisme : Isabelle Adjani, Sophie Marceau,

mais aussi des patrons, des intellectuels…

Bouddhisme Tibétain, Dalaï-Lama

-Après sa quasi disparition d'Inde, le Tibet devint le foyer de

rayonnement du bouddhisme.

-[Un lama] défrayé la chronique en fuyant le pouvoir communiste

chinois [on décrit l’aspect spectaculaire de cette fuite, on se met du

côté du persécuté].

-Le Vieux sage s'est réincarné.

-Dharamsala (Inde), avec ses cours de bouddhisme à la carte et

ses fêtes techno, c'est devenu la destination obligée des jeunes

routards occidentaux en manque de spiritualité.

Philosophie Orientale, Spiritualité Orientale

-Les mythes [religieux] concernent chacun d'entre nous, à chaque

instant.

-Spiritualité dans l'art australien aborigène.

-…[un] philosophe parle de son intérêt pour la spiritualité et même

la mystique. Un théologien catholique, se revendique "libre penseur".

139

-Plus qu'un savoir, une compétence, une règle de morale ou

d'action, la sagesse est un souci de soi-même, et du bonheur peut-

être.

-Les Eglises traditionnelles se vident, d'autres, venues du monde

entier, explosent. Leur secret : un rapport direct au divin et l'absence

de contraintes.

-Aurions-nous des neurones spécialisés dans le divin ?

[témoignage de l’intérêt intellectuelle pour la religion et son côté

apparemment naturelle et même nécessaire : Des idées qui

n’auraient eu le même écho il y a à peine 30 ans].

-…des montagnes du Tibet aux déserts du Mali et aux rives du

Gange, la spiritualité emprunte bien d'autres formes.

-Partir... à la recherche de sa vérité [le voyage spirituel].

-La vie, notre vie, ne serait-elle pas un perpétuel départ ? "Oui",

répond le psychanalyste…

Spiritualité, Connaissance de Soi, Psychologie

-Une mode ? Non, une vague de fond.

-Pourquoi on croit en Dieu : L'étonnante réponse des

neurosciences

-La neurothéologie se propose de mettre au jour les bases

physiologiques des expériences spirituelles.

-Spiritualité et bien-être

-Le renouveau spirituel.

-La quête de spiritualité n'a jamais été aussi forte

-A la recherche de la sagesse. Comment bien vivre ? A toutes les

époques et sous toutes les latitudes, l'homme s'est posé et se pose

cette question [...le bien-vivre est considéré comme un concept

140

universel. Les cultures du monde donnent la possibilité d’avoir des

réponses à ses propres interrogations].

-La propension à croire fait peut-être partie de notre nature. Même

s'il n'est astreint à aucun dogme, chacun s'interroge sur le sens de sa

vie, sur la souffrance et sur la mort.

-Chacun se construit sa propre chapelle.

Sagesse, Esotérisme, Spiritualité

-L’épanouissement de spiritualités sauvages

-[Au niveau éditorial] l'ésotérisme traditionnel tend à s'effacer au

profit de thèmes plus vendeurs comme développement personnel.

-La Spiritualité : notre nouveau besoin ? Un tiers des Français la

jugent nécessaire pour réussir leur vie. Désormais distincte des

religions, chacun peut la rencontrer à sa façon.

-Leçon de vie des sagesses orientales. Depuis les années 70, la

passion pour les sagesses orientales n'a cessé de croître..

-A défaut de changer la société, changer le cœur de l'homme.

-Au cours d'un travail sur soi, peut-on à la fois résoudre ses conflits

intérieurs et trouver un sens satisfaisant à sa vie ? C'est autour de

cette question que thérapeutes croyants et non-croyants se sont

récemment réunis à Paris....

Réalisation de Soi, Aspects Psychologiques

-Développement personnel

-Former, se former, se transformer.

-Comment devient-on soi ?

-Le Changement personnel

-Moi d'abord : Les nouvelles clefs de la confiance en soi

141

-S'affirmer pour être plus heureux, plus performant. La recherche

du développement personnel

-Vie professionnelle, vie privée et développement personnel. Etre

heureux au travail

-Le bien-être est une valeur en hausse dans l'entreprise.

-Le travail sur soi

-Les Français s'épanouissent-ils dans leur travail ? Quels sont les

secrets du bonheur dans l'entreprise ? Etre heureux rend-il plus

productif ?

-A quoi sert la croissance, si elle ne rend pas plus heureux ? :

Bienvenue dans l'ère postmatérialiste.

-Spiritualité et bien-être

Bien-être, Corps Humain, Spiritualité

-Les Sagesses antiques : Elles nous aident à mieux vivre

-Yoga, shiatsu, bouddhisme, taekwondo, qi, tantrisme... Petit à

petit, les pratiques, philosophies et religions venues d'Asie entrent

dans nos mœurs.

-Méditations et arts martiaux

-Pour échapper un moment aux cadences infernales, les

Occidentaux ont adopté les grandes disciplines d'Extrême-Orient.

-Les Français se réapproprient leur santé. Celle de leur corps et

celle de leur tête. Bien-être et développement personnel font

désormais partie intégrante d'une recherche d'équilibre plus globale.

-Le yoga paraît chargé d'une mission de réparation ; il viendrait

rappeler la place de l'être et de la gratuité dans un contexte où

l'humain ne se juge et n'est jugé qu'à l'efficacité de ses actes.

-Pour se retrouver soi, unifié et en paix. Les méthodes de

relaxation peuvent y aider.

142

-On découvre en soi un espace de paix et de sérénité que rien ne

peut entamer.

-L'Asiemania se propage dans de nombreux secteurs. Arts

martiaux, Cuisson au wok…

-Les arts martiaux ou le yoga apprennent à maîtriser le corps et

développer la concentration.

-Tai-chi : A force de persévérance, cet art martial favorise

souplesse et concentration, élimine le stress et fait circuler l'énergie.

-Soif d'exotisme ? Besoin de cultiver votre bien-être physique

autant que mental ? Pratiquez un art martial ! Lequel choisir ? Tai-chi,

qi gong, kendo ou aïkido : tout dépend de votre tempérament

-Ce n'est pas l'exotisme que je recherchais, mais des outils

opérationnels comme ceux que propose le bouddhisme avec sa

méthode d'observation de la pensée.

Bouddhisme, Tibet, Chine

-Tibet : L'épopée du petit Bouddha

-Isolé, jamais colonisé, ce royaume [le Tibet] heureux verdoie [une

image idyllique] à l'ombre des géants chinois et indien.

-Tibet : le peuple sacrifié.

-[Le Tibet,] un peuple menacé. Depuis 1950, et l'invasion de son

territoire par la Chine, il risque de disparaître...

- La tragédie du Tibet contemporain

-Tibet : L'épopée du petit Bouddha

-Lhassa : nettoyage ethnique à la chinoise […] Une colonisation qui

transforme les Tibétains en citoyens de seconde zone sur leur propre

terre.

-La Chine s'en prend aujourd'hui au patrimoine intellectuel du

Tibet. [Ce dernier] fait l'objet de destruction et de répression...

143

-L'avenir du Tibet reste dramatique.

-Tibet : comment on assassine une culture Au Toit du Monde […]

répression chinoise contre les moines et les traditions tibétaines.

-Arte présente un hommage au Tibet et à sa culture en exil

Nous approfondirons maintenant sur quelques extraits des

discours présentés dans le quotidien Le Monde, entre le janvier 2000

et mars 2004, qui traitent du Tibet et/ou du Bouddhisme tibétain. Il

s’agit d’extraits qui ont été mis ensemble par nous, mais dont les

mots utilisés sont ceux de la version originale du journal. Chaque tiret

correspond à un article différent. Nos idées personnelles et

explications du contexte de l’information, sont mises entre crochets.

-Le dalaï-lama, chef spirituel et temporel du Tibet, conquiert Paris

lors de sa dernière visite. […Selon lui], le bouddhisme est une

science expérimentale, un travail permanent et rigoureux sur soi pour

identifier les raisons de ses émotions et de ses souffrances, les

mesurer, les évacuer. [Il propose un ensemble de pratiques

expérimentales pour mieux comprendre la façon dont fonctionne

notre cerveau, connaître les mécanismes du bonheur...]

-[Dans des entretiens à des personnes présentes à une

conférence du Dalaï Lama :] « Il est l'un des seuls qui ne cherche pas

à convertir, à terrifier, à culpabiliser ». « C'était génial. Je ne veux pas

encourager quoi que ce soit, mais je le dis, ce pouvoir d'ouvrir l'esprit,

de devenir conscient de tout ce qu'auparavant on ignorait, c'était

génial ». « Il flottait dans l'air... comment dire ? Quelque chose de

léger et de doux. Quelque chose de souriant, quelque chose

d'amical….Rien à voir avec une fête. Parlons de réflexion, studieuse,

appliquée. Parlons de questionnement. Dans l'écoute. La

144

tolérance... » Albert, qui a tant étudié et comparé les religions qu'il ne

croit plus désormais qu'en la laïcité, est maintenant en quête de

"sagesse" et de sérénité. […] bouddhiste israélienne convaincue que

le message du dalaï-lama est le seul qui puisse insuffler la paix dans

son pays devenu fou. […]quelqu’un est venu chercher « un peu de

paix dans l'enfer que sont devenues les cités urbaines »; ils viennent

espérant "s'améliorer" et trouver l'inspiration qui les fera trouver en

eux-mêmes les ressources capables de rendre le monde meilleur.

« En sortant d'une conférence du dalaï-lama, on a la conviction qu'on

peut être » meilleur. « Alors que le processus de paix est bloqué

[Israël et Palestine], le bouddhisme apporterait un point de vue

radicalement nouveau

-Après l’invasion, les autorités chinoises tentèrent d'arrêter ou de

tuer le dalaï-lama, entraînant son exil et le soulèvement des tibétains

à Lhassa, où des dizaines de milliers d'entre eux furent massacrés.

Entre 1949 et 1979, un véritable génocide fut perpétré par le régime

chinois : 1,2 million de tibétains trouvèrent la mort.

-Aujourd'hui, il y a encore urgence, car les violations des droits de

l'homme et crimes contre l'humanité se multiplient au tibet. [...] De

plus, la Chine pille les ressources du pays, entraînant de graves

catastrophes écologiques sur le Toit du monde, source de toute l'eau

de l'Asie (...).

-Il y a des mots tabous à la commission des droits de l'homme de

l'ONU, dont la session annuelle s'est ouverte le 15 mars à Genève.

Comme "Guantanamo" ou "Tibet", comme "Tchétchénie". Consternés

par "cette grande parade de l'hypocrisie"

-Tibet martyr souriant. Aucun peuple en effet ne se trouve

aujourd'hui dans la situation d'écrasement et de joie mêlés qui

caractérise les tibétains. Du côté de l'écrasement : le pays occupé et

145

dominé par la Chine depuis 1950, …la joie : la sérénité jamais

perdue, l'espoir toujours résolument tenace, la ferveur secrète

habitant le pays malgré les coups, l'organisation des réfugiés en

Inde, en Europe, aux Etats-Unis, …la sympathie des opinions de par

le monde, la survivance, voire l'expansion, en exil, des croyances et

des pratiques millénaires du bouddhisme tibétain.

-[Le livre :] « Everest le rêve accompli » de la Royal Geographical

Society, Londres. Ce bel ouvrage ne passionnera pas seulement les

alpinistes. En préambule, un texte du dalaï-lama donne le point de

vue tibétain sur la montagne en général et sur celle-ci en particulier.

Il évoque le tibet, « ces Alpes d'ailleurs perdues aux confins

del'Himalaya », dont la culture est en train de disparaître.

-France-Culture propose une programmation spéciale sur la Chine,

dont l'histoire du tibet [encore cette région de la Chine qui est la plus

connue des Français. Effectivemment elle est peut-être la seule à

laquelle on dédie des émissions entières. C’est un territoire très

chargé de signification]

-Les causes humanitaires : la lutte contre le sida en Inde, la

défense de la forêt amazonienne, celle du tibet... « C'est de la

responsabilité de tous que de s'engager dans ce type de combat.»

-Où en est le Tibet, pays si lointain, berceau du bouddhisme

tibétain et du dalaï-lama ? Avec Françoise Pommaret, ethnologue et

auteur du Tibet, une civilisation blessée.[voilà trois des principaux

sujets associés au Tibet : lointain, bouddhiste et blessé].

-Car chacun sait que, si les préceptes de base du bouddhisme

sont simples - avoir un coeur compatissant et lâcher prise -, la

doctrine peut être déroutante et rigoureuse, mais la difficulté est

surmontable et l'exercice salutaire […] L'auteur principal, Matthieu

Ricard[…] s'efface pour mieux rendre hommage à son maître [la

146

valorisation de l’authenticité de l’Autre]…l'image du maître qui a

inspiré l'ouvrage, Dilgo Khyentsé Rinpotché.

-Le Tibet englobe tous les bouddhismes, notamment le

bouddhisme tantrique. Grâce à lui, en une seule existence, l'homme

peut se libérer de ses pulsions négatives et atteindre à la libération

par des techniques psycho-physiques et des rituels magiques. Les

images gorgées de sang,les divinités repoussantes ne sont là que

pour provoquer un choc salutaire, convoquer des énergies

puissantes. Un univers déroutant pour un esprit cartésien, aux

antipodes de la tradition judéo-chrétienne occidentale.

-L'exposition, pièce monumentale inspirée d'un voyage au tibet.

Ponomarev y a filmé le vent, souffle himalayen qui agite les stores

des temples de Lhassa. Belles images qui se terminent sur un

portrait de l'artiste, méditant à la manière d'un moine bouddhiste.

[l’importance des artistes dans la diffusion des images et de leur

valorisation par le biais d’une combinaison entre l’esthétique et le

spirituel]

-L'art sacré du Tibet trouve refuge à Bâle : Le Musée des cultures

présente la prestigieuse collection Essen de trésors bouddhiques,

plus de 700 pièces rescapées du Toit du monde [la présentations de

la destruction de la culture tibétaine par la Chine renforce la

valorisation de la première] …la collection Essen avait déjà suscité

un vif intérêt, d'autant qu'elle rassemble une partie importante de la

mémoire d'un peuple en exil coupé depuis un demi-siècle de son

terroir natal et qui sait sa culture gravement menacée dans ses

montagnes himalayennes d'origine. De pratiquement tous les objets

exposés à Bâle émane une puissante présence spirituelle. [nostalgie

du sens sacré des choses]. Pièces d’artistes anonymes doués d'un

sens aigu de la beauté. Regard inhabituel sur le monde. Les objets

147

sacrés auraient-ils une âme ? Pour les bouddhistes, et surtout les

tibétains, ils sont intimement liés à une vision originale du monde [les

tibétains comme prototype de l’altérité] et sont autant de repères sur

le chemin de l'éveil.

-En signe de solidarité avec le dalaï-lama, l'archevêque sud-

africain Desmond Tutu a été le premier à protester [contre l’exclusion

du Tibet à l ‘ONU. Dans une lettre adressée au secrétaire général [de

l’ONU], il a qualifié l'exclusion du dalaï-lama de " honteuse " [Qu’ont

en commun Desmond Tutu et le Dalaï Lama ? C’est alliance des

minorités ou plutôt des marginalisés. Ils luttent ou ont lutté contre une

forme de domination aujourd’hui largement rejetée et considérée

comme une honte de l’Occident. Ces figures représentent l’antithèse

de ce passé et/ou de cet aspect-là de la société Occidental et sont

donc supportées et valorisées. Avec les cultures indigènes en

Colombie c’est le même cas de revendication des minorités qui ont

souffert la répression des pouvoirs occidentaux.]

INTERNET

Dans notre analyse des associations entre thèmes qui sont reliés

au sujet du « Tibet » et du « bouddhisme tibétain » sur Internet, nous

avons voulu suivre l’enchaînement des ces sujets tel qu’il est

présenté sur les sites eux-mêmes.

L’hebdomadaire « Nouvel Observateur » propose quelques liens

Internet permettant de « comprendre ce que représente le Dalaï-

Lama, ce qu'est le bouddhisme, et la question du Tibet ». Trois

figures clés, trois images que mobilisent des discours, trois thèmes

représentatifs de cette mouvance. Quand on dit « ce que représente

le Dalaï-Lama », c’est justement parce qu’à ce nom sont rapportées

148

bien de qualités souvent très positives : une « culture », une

« sagesse » riche d’une tradition millénaire, originaire d’une région

lointaine, isolée, ces hautes montagnes.

D’abord, le site nous montre le texte du discours du Dalaï-Lama

lors de la remise de son prix Nobel de la Paix en 1989. Ce fait et très

souvent rappelé dans d’autres sources lorsqu’on parle du Dalaï-

Lama. C’était un événement sans doute très significatif pour les

Occidentaux. Ce prix est le symbole d’une reconnaissance publique,

d’une légitimation devant une autorité réputée.

Ensuite, sur le site sur le Dalaï Lama : « l’une des grandes figures

spirituelles de notre temps ; son message de paix et de

compréhension. A Lhassa, la capitale, il reçoit une éducation de très

haut niveau [ce fait, qui es mentionné souvent, renvoie à un système

de formation très familier en Occident]…lorsque la Chine envahit la

province orientale du Tibet… appelle à la non-violence, essence du

bouddhisme. Son charisme, sa nature humble et chaleureuse en font

l’une des personnalités les plus reconnues de la planète. Le Dalaï-

Lama offre des réponses concrètes aux difficultés que rencontrent les

hommes et les femmes d’aujourd’hui, grâce à sa compréhension du

monde contemporain. »

Le deuxième site sur la liste du Nouvelobs, c’est le « site officiel du

Gouvernement tibétain en exil et de sa Sainteté le Dalaï-Lama » :

www.tibet.net. Lorsqu’on parle de « la question du Tibet », c’est

presque entièrement consacré à la cause politique, et à la réification

d’un idéal nationaliste typiquement de la modernité occidentale.

On y voit la figure du Dalaï Lama et son nom. Ce site concerne

toutes sortes de questions administratives et politiques. Le rappel du

« génocide » chinois et de la répression sont très importants. On y

trouve « A brief introduction of Tibet » qui reprend des idées que l’on

149

retrouve fréquemment dans ce type de textes sur le Tibet : Invaded

by China in 1949-50, the independent country of Tibet was forced to

face the direct loss of life […] The fate of Tibet's unique national,

cultural and religious identity is today seriously threatened and

manipulated by the Chinese.

« Tibet is still in breach of the rights to life, liberty and security, and

the freedoms of expression, religion, culture and education. » (Il

existe une vidéo documentaire « Tibet », avec le célèbre acteur

américain Richard Gere, qui commence avec un extrait similaire à ce

discours de la déclaration des droit de l’Homme par d’autre célébrités

mondiales du cinéma ou de la musique).

« …with the invasion of Tibet, the consumerist and materialistic

Chinese Communist ideology trampled upon this nature-friendly

attitude of the Tibetan people. » Sur le site on parle et montre des

photos sur les tournées internationales de Sa Sainteté, faisant preuve

de sa popularité partout dans le monde.

Quant aux Ressources et événements relatifs au bouddhisme (le

site proposé est en anglais), on est emmené vers

www.dharmanet.org : « DharmaNet Internationa »l, un site Américain

« one of the first and largest Buddhist websites on the Net. Online

since 1991, DharmaNet is now at an important crossroads. »

[…]DharmaNet offers this www/ftp site freely […] to promote dialogue

and communication.

On constate comment, si l’on devient intéressé, on peut passer

d’un site à l’autre, étant emmené très loin, où on n’aurait pas pensé

aller. De plus, c’est un exemple de la promotion de la communication

entre les différentes traditions et de l’idée d’appartenir à une

communauté globale, construite à partir de l’échange et l’accès à un

150

réseaux d’information, où, plus que des rapports sociaux, les

individus partagent une idéologie.

On trouve un lien avec un “webring” (où il faut s’inscrire) sur le

bouddhisme. Ces webrings, se voulant des « communautés » et

peut-être donnant ce sentiment aux participants, sont une façon

d’ajouter son propre site Web à un ou plusieurs groupes de sites,

partageant un sujet en commun. Cette « inscription » permet de

participer à des Forums, se sentir part d’une « growing and vibrant

community of Internet users. ».

Sur ce site de webrings on trouve aussi :

« Dharma Dialogue: Chat Resources - Ask any question… » Dans

ces « dialogues » on trouve par exemple des question sur la

réincarnation, et la réponse d’un « expert » (ce besoin d’ « experts »

est un trait remarquable de cette mentalité, et il s’inscrit dans l’attitude

d’approche à cette question de la religiosité à travers des soucis et

d’interrogations personnelles) « When we die, the mind, with all the

tendencies, preferences, abilities and characteristics that have been

developed and conditioned in this life, re-establishes itself in a

fertilised egg…». Dans une autre question sur la prière à Dieu, la

réponse d’un autre expert est : « Enlightenment cannot be gained by

praying. However, paying homage to Manjushri is a form of respect

that we have for an enlightened being and also a way to accumulate

good and vast merits. » Dans ces questions et presque toutes les

autres, ces experts font preuve d’une habile combinaison de types de

discours, entre scientifique, religieux, ésotérique et références à des

valeurs et pratiques culturelles très contemporaines. L’utilisation de

l’anglais est aussi un trait remarquable dans cette mouvance.

Concernant la géographie « sacrée » qui constitue un des

éléments construisant l’image valorisé du Tibet, on trouve un site qui

151

parle en ces termes, combinant religion avec le « goût pour la

nature » : « The center of the cosmos for nearly a billion Hindus,

Jains, and Buddhists, Tibet's Mount Kailash is perhaps the most

revered place on the planet.[…] The mere sight of the peak brings

tears to the eyes of many who behold it.” L’intérêt pour la spiritualité

et la séduction de la beauté, servent aussi les affaires dans le

tourisme : « We make the beautiful and spiritually penetrating

pilgrimage. Circling the Sacred Mountain »

On passe sur un site américain sur « la culture vivante » du Tibet

(en anglais) : « In 1987, at the request of His Holiness the 14th Dalai

Lama of Tibet, Richard Gere, Philip Glass, Robert Thurman, among

others founded Tibet House for the sake of preserving and presenting

Tibetan Culture by means of educational programs, exhibitions of art,

publications, conferences and the like. The ultimate aim is to

establish a permanent institution to represent Tibets' displaced and

endangered civilization with its' unique devotion to the spiritual

potential of all human beings. ». Ce paragraphe touche trois éléments

clefs, qui se répètent et qui permettent d’attirer l’attention du public

occidental :- Nous avons tous un potentiel spirituel ; -ce potentiel est

développé par la culture tibétaine, mais -cette culture est en danger

de disparaître. Ensuite on ajoute un quatrième élément fondamental :

la pluralité : « Tibet House is dedicated to the proposition that the

wisdom and arts of all human civilizations vitally enrich the emerging

global culture. Within this, we focus on a special concern for Tibet, its

people, its spectacular highlands, and its civilization of extraordinary

wisdom and beauty. » On voie ici que l’idéologie qui valorise le Tibet,

est tout à fait transposable à la valorisation d’autres cultures, et que

sont fondement est l’unité plurielle dans une culture globale.

152

« Tibet House Benefit Auction at Christie’s : […] an array of

fabulous items ranging from exotic trips, jewelry, contemporary art

and photography to celebrity memorabilia, and Tibetan antiques. The

evening was a great success. » La présence du marché des objets

est un aspect peut-être secondaire mais non négligeable, car la

valeur monétaire des objets, manifeste d’une certaine façon la

valorisation de ce qu’ils représentent. Autrement dit, le marché

d’objets ethnico-religieux constitue une piste à suivre pour l’étude

d’une forme de valorisation de l’ethnique... Cela a été le cas quand

nous avons découvert la vente d’objets du « chamanisme » à côté

des rouleaux à prières tibétains.

Dans la section « événements » du site Internet www.tibet.fr, on

trouve une tournée qui, pendant 33 jours, a réalisé des événements

combinant l’activisme politique avec la spiritualité. Les manifestations

pour l’indépendance du Tibet et pour la défense des droits de

Homme ou encore la démocratie se confondent avec des

conférences consacrées au Bouddhisme Tibétain à la FNAC, et

l’esprit de « Aventure du Bout du Monde » avec les témoignages des

prisonniers politiques. Ses organisateurs sont, entre autres: « La

Transhimalayenne, en association avec Amnesty International ». La

politique agit pour la spiritualité et vice-versa, ou peut-être les valeurs

politiques et religieux-spirituels se confondent.

On voit qu’à part les organisateurs (qui promeuvent une image du

Tibet en France), ce type d’événements ont le support

d’organisations comme des universités, la FNAC (ce qui montre son

intérêt commercial aussi), des mouvements étudiants, des mairies,

l’Institut des Droits de l’Homme.

Un autre événement cité sur le site est : « Nov. 2003 : Le Dalai

Lama en Italie : "Le chemin de la liberté". Le titre de cette conférence

153

joue avec l’ambiguïté des mots : « Le chemin de la liberté ». On peut

penser qu’il s’agit d’un message de type religieux menant à la liberté

spirituelle, comme ceux auxquels on est habitué venant de la part du

Dalaï-Lama, mais, puisque ensuite on parle de militants de la cause

tibétaine, on suppose qu’il peut s’agir plutôt de la liberté politique, ou

des deux, ou que les chemins qui conduisent à la liberté du Tibet

conduisent aussi à la liberté spirituelle.

Un autre exemple de cette association entre la spiritualité qui

concerne l’individu, et les causes sociales, est le titre de cette

conférence par le Dalaï-Lama, qui a visité la France du 11 au 17

Octobre 2003 :"Paix intérieure, paix universelle". En effet, le

bouddhisme tibétain peut toucher aussi ceux qui sont concernés par

les questions sociales et de politique internationale. Il faut ajouter que

cette conférence a fait salle comble au Palais Omnisports de Paris

Bercy, malgré le prix d’entrée de 20 euros pour la conférence seule.

Le fait que le Prix Nobel de la Paix reçu par « Sa Sainteté le Dalaï

Lama » en 1989 coïncide avec la journée internationale des droits de

l’homme, est souligné : « La conjugaison de ces deux événements a

son importance toute particulière. »

Le Forum social européen réalisé en Novembre 2003 est

mentionné aussi sur le site, maintenant on combine l’engouement

pour le spirituel avec la lutte contre politiques néo-libérales et la

mondialisation, le sujet principal de la plénière étant « Accords

économiques, luttes sociales et populaires face aux politiques néo-

libérales » Aucune intervention ne touchera le Tibet ni le bouddhisme

directement ; l’association est pourtant faite puisqu’elle se trouve à

l’intérieur du site sur le Tibet.

Une publication qui a été cité dans une source de presse comme

ayant un énorme succès auprès du public, avec un tirage de son

154

magazine imprimé de 300.000 exemplaires, est le magazine

« Psychologies ». Nous en avions entendu parler dans des émissions

à la radio sur les sujets orientalistes, et elle fait l’objet d’une publicité

remarquable dans le secteur de presse grand public.

A partir de son site Internet www.psychologies.com, on voit le lien

« annonces du mieux-vivre » et puisque nous savons par la

classification de la presse que le bien-être est rapporté au

bouddhisme et par là au Tibet, nous y sommes allés, et nous y

trouvons un lien de publicité du centre « Dôjô » ce qui fait penser au

bouddhisme Zen. Pourtant, à l’intérieur, il existe aucune référence au

bouddhisme. Par contre, le contenu de cette annonce pour « mieux

vivre » est non seulement pertinent à cause du nom de « L’institut

Dôjô », mais aussi parce que nombre des thématiques qu’ils traitent

dans leur discours comme : individualisme, développement

personnel, efficacité, confort, sont en effet traitées dans d’autres

discours par rapport au sujet du bouddhisme, de la méditation, etc.

Le site www.psychologies.com contient une sélection des

« meilleurs sites » classés dans une quinzaine de thèmes (« Amour,

Dépendances, Spiritualité, Sport... »), « décrits et analysés par notre

rédaction. ». Dans l’édition de la semaine du 16 au 23 février 2004,

un de ces sites choisis est « Le bouddhisme et le bouddhisme

tibétain », décrit par le magazine comme « Les concepts de base du

bouddhisme, son histoire, son évolution, le rôle du Dalaï-Lama… De

quoi découvrir le bouddhisme ou approfondir des connaissances de

base. ». En allant sur ce site, on découvre qu’il ne s’agit pas d’un

« expert » ou savant sur la matière, ce qui le rend d’autant plus

intéressant pour notre recherche. Comme l’auteur même le dit, il

s’agirait d’une version « vulgaire ». Il décrit le site comme suit : « Ces

pages représentent la conception du bouddhisme que j'ai acquise

155

suite aux enseignements que j'ai reçus, livres que j'ai lu, discussions

bouddhiques, études personnelles, etc. Je ne suis pas un maître

mais un autre qui chemine, possiblement comme vous présentement.

Le Bouddha nous a enseigné de ne pas croire aveuglément… » La

démarche de cette personne coïncide avec les « parcours »

individuels dont nous avons déjà parlé plus haut.

Outre une grande quantité d’information sur le bouddhisme pour un

grand public, le site possède des liens concernant l’ésotérisme, dont

voici un exemple :

« Esotérisme expérimental. Le site de l'insolite par excellence...

Ufologie - Sciences alternatives - Sexualité - Tantrisme [directement

associé au bouddhisme tibétain] - École Djédi - Actualité sous l'angle

ésotérique. » « Sur notre site vous trouverez le meilleur choix de

livres et articles divers pour votre bien-être, votre développement

personnel et votre recherche spirituelle. »

Ce site semble être aussi dédié à faire la publicité

d’« accessoires », et on y trouve effectivement la section

« Bouddhisme » à côté des sections « Produits Feng Shui, Pendules

& Radiesthésie, Protéger votre habitat, Santé et bien-être, Tarots et

Oracles, Bagues Égyptiennes – Bracelets. »

On voit bien qu’il s’agit d’une idéologie qui met en relation une

véritable nébuleuse d’éléments et de concepts d’origines très

diverses, de l’écologisme aux oracles : On trouve aussi des origines

ethniques diverses aussi : les produits « Feng Shui » sont

normalement identifiés à une certaine image de la Chine ; nous

avons les bagues égyptiennes, dont on imagine l’origine dans la

« civilisation égyptienne antique » ; le bouddhisme, une sagesse que

possèdent les Tibétains.

156

Dans la section bouddhisme, on trouve un « Bol Tibétain Moyen

modèle », ou « Masque Bouddha Tibétain ». La version tibétaine du

bouddhisme se présente avec une iconographie plus abondante que

sa version Zen, par exemple, ce qui peut favoriser sa médiatisation et

une plus large popularité que les autres versions du bouddhisme.

Sur un autre site, appelé « Magicka » on trouve des articles

« amérindiens » ajoutés à cette nébuleuse. Un des livres annoncés,

qui a pour titre « Chamanisme » présente le contenu suivant :

« Qu'est-ce que le chamanisme ? Quels sont les rituels du

chamanisme ? Et où se pratique t-il ? Quel est le rôle des

hallucinogènes dans le chamanisme ? Les chamans ont-ils un rôle à

jouer dans le monde moderne ? En quoi l'expérience du chamanisme

rejoint-elle le développement personnel ? ». La question du rôle des

chamans dans le monde moderne, évoque un sujet qui nous paraît

central pour comprendre une mentalité de valorisation d’Autrui : C’est

la façon de voir ces « peuples », « cultures » ou « civilisations »

possédant des sagesses à caractère universel et (peut-être)

intemporelle, sorte de patrimoine de toute l’humanité, et qui, grâce à

un certain mouvement actuel (qu’il s’appelle ésotérisme ou pas), sont

mises à disposition de nous, les occidentaux, pour en profiter. Elles

sont des moyens pour le « développement personnel », ce concept

qui véhicule tant de représentations chargées de valeur en Occident.

A partir du site Internet de vente de livres « amazon.fr », si l’on

cherche par Tibet, parmi les livres, on en trouve 916 en français,

contre 1641 en anglais (ne pas oublier que nous sommes sur le site

francophone d’ « Amazon », ce qui démontre l’importance des

échanges transnationaux d’information concernant ce sujet).

Cherchant par Dalaï Lama, on compte pas moins de 189 éditions de

livres en Français dont le Dalaï Lama est l’auteur ou le co-auteur,

157

disponibles par Amazon.fr. Des livres d’autres auteurs qui y sont

rapportés parce, selon le Amazon ceux qui se sont intéressé aux

livres du Dalaï Lama se sont intéressés à ces autres livre aussi,

portent sur des thèmes comme par exemple : Les tantras et la

sexualité, la psychanalyse familiale, la paix intérieur, la paix dans le

monde, Ayurveda Science de la joie, Jésus maître spirituel, les

apôtres et les femmes, les énergies du corps et les techniques

chinoises, Tao et la sagesse, le Tao-te-king. Parmi les auteurs les

plus connus (et les plus étonnants pour nous de le retrouver dans

cette liste), il y a Daniel Goleman, célèbre psychologue américain,

connu pour ses livres grand-public sur « l’Intelligence émotionnelle ».

Après ce succès, il a publié : « Surmonter les émotions destructrices :

Un dialogue avec le Dalaï Lama », livre qui est présenté par l'éditeur

de la façon suivante : « Selon la philosophie bouddhiste, la source du

malheur est à rechercher dans les " trois poisons " : le désir, la colère

et l'illusion.[...] Pour les surmonter et atteindre le but ultime de

l'existence, le bonheur, le bouddhisme a élaboré des méthodes d'une

incroyable complexité[…] Il devrait être une source de réflexion et

d'inspiration pour tous ceux qui, de par le monde, sont en quête d'une

humanité en paix avec elle-même.

La sélection de sites analysés jusqu’à présent n’est évidemment

pas exhaustive. La quantité d’information disponible sur Internet est

toujours énorme et déroutante. La sélection dépend de la présence

d’éléments qui ont des connotations positives et qui nous permettent

de démontrer la façon dont les sujets ou concepts sont rapprochés

entre eux. Il ne s’agit pas d’une représentativité statistique, mais

plutôt d’une perception qui serait partagée par un individu quiconque

de la société occidentale qui « consomme » ce type d’information et

158

construit ses propres images à partir des nœuds qu’il emprunte du

réseau d’information. Il s’agit, en outre, d’un choix en fonction d’une

connaissance acquise par l’observation-participation (que

l’ethnologue peut utiliser) qui permet de repérer des sujets

« porteurs » qui circulent dans l’espace culturel général.

L’expérience avec l’Internet n’est pas aisée, car on se trouve

face à une réalité extrêmement complexe où une immense variété de

documents pourraient être pertinents pour comprendre cette

idéologie, mais dont on ne connaît pas la relation concrète avec le

sujet en question. Pourtant, ce qu’on peut ressentir est en soi une

donnée à prendre en considération au moins dans un sens : même si

cette expérience ne conduit aux données directement pertinentes,

elle confirme qu’il s’agit bien d’une sorte de « nébuleuse » (reprenant

le concept utilisé par F. Champion), ce qui implique qu’il y a plusieurs

points d’entrée, plusieurs directions à prendre une fois dedans, et

plusieurs aboutissements. Cette dynamique peut être bien

représentée par l’accès à l’information à travers Internet : on

commence quelque part où on trouve des « liens », qui nous

renvoient sur un autre site, aussi avec des liens, et ainsi de suite. A

un moment donné, on se trouve sur un site qu’on n’aurait pas prévu

dès le départ. Sur le chemin, il y a plusieurs routes, donc plusieurs

destinations. Il y a, pourtant, quelques points de repère qui peuvent

guider la personne, des sujets qui semblent plus intéressants, des

sujets dont on a entendu parler, un lien avec une figure renommée,

comme le Dalaï-Lama : Par exemple on peut voir ce dernier nom et

on peut se dire, « s’il a fait salle comble l’autre jour à Paris, ça doit

être intéressant ». A la fin, on se trouve sur un site inattendu. Du

point de vue du chercheur, on ne pourrait pas dire les raisons pour

lesquelles une personne se trouve sur un site sur le Dalaï Lama,

159

exclusivement à partir d’une idée fixe et claire qu’elle avait quand elle

a commencé sa recherche, et il en va de même pour ses « parcours

spirituels » au fil des années ; il faut prendre en compte cette

caractéristique de l’espace culturel contemporain qui présente au

sujet un faisceau de possibilités, d’associations que nous pouvons

représenter sous la figure d’un réseau d’information (dont Internet

n’est qu’un exemple paradigmatique). Ces associations lui permettent

de passer d’une étape à l’autre suivant une sorte d’itinéraire. Chacun

peut construire son propre itinéraire, suivre son propre chemin, ce qui

implique qu’une collectivité ne partage qu’un morceau du réseau.

Mais, nous l’avons vu, il y certains hauts-lieux, points communs par

lesquels la collectivité passe car ils ont été socialement construits et

deviennent des figures culturellement saillantes, mises en valeur

collectivement, partagés par une communauté qui a accès au même

type d’information.

Il faut donc expliquer les choix des individus dans un espace

culturel relativement ouvert, où l’information n’est pas (ou peu) limitée

par les frontières nationales et où l’individu se conçoit soi-même

comme libre de choisir, donc libéré des frontières culturelles qui était

jadis imposées par l’autorité ou la tradition.

Les croyances actuelles semblent être construites au cours des

trajectoires qui présentent des choix et des éléments symboliques

associés d’une certaine façon qui n’est pas forcément explicite ni

explicitable par l’individu. Nous voulons reproduire cette démarche

pour en dégager les principes d’association et de fluidité. Un des

principes les plus simples paraît être celui de la simple contiguïté

dans l’espace. La personne perçoit deux éléments ensemble, elle

pense qu’ils ont un rapport entre eux, mais elle en ignore la nature.

Elle assume ce rapport à cause du fait que des personnes qui

160

connaissent le sujet avant elle, les ont mis ensemble pour une

certaine raison, suivant une certaine logique par laquelle elle se

laisse entraîner, et qu’elle pourra peut-être reconstruire ou

s’approprier a posteriori. Nous ne prétendons que toute l’idéologie

concernant notre sujet soit construite uniquement à partir de ce type

d’associations, mais il serait un aspect à considérer. Un exemple en

dehors de notre sujet de ce mécanisme d’association d’images qui se

renforcent mutuellement malgré l’absence d’une rationalité qui les

relierait, semble être celui utilisé fréquemment en publicité : la mise

ensemble de belles images avec un produit qui n’a strictement rien à

voir avec cette image, mais qui valorise le produit en quelque sorte.

En tant qu’espaces d’accès à l’information, les librairies et l’Internet

ont certaines caractéristiques en commun. Dans les deux cas, si on

cherche par Tibet, on trouve des images et de l’info sur le

bouddhisme (ce qui confirme le fait que l’aspect le plus saillant du

Tibet est sa religion). D’ailleurs, même si on ne parle pas du

bouddhisme, on décrit ce lieu avec des adjectifs comme

« mystique », « magique », « spirituel », et dans les documents sur le

bouddhisme, il y a souvent des pistes qui renvoient au Tibet, si ce

n’est que l’auteur même est un tibétain.

Finalement, nous avons constaté que les pistes qui peuvent nous

conduire aux voies d’accès et aux perceptions du Tibet sont très

variées. Cette méthode doit être appliquée avec d’autres méthodes

de recherche comme l’observation ethnographique générale, qui

reste le moyen privilégié pour déterminer quels sont les concepts

prépondérants et leur signification complète pour une population

donnée. Par ailleurs, il nous semble important de commencer

l’investigation à partir des parcours des individus qui sont déjà

familiarisés avec l’idéologie autour du Tibet, et reconstruire ce

161

parcours « en arrière », retrouvant les étapes qu’ils ont vécu pour

arriver aux représentations qu’ils mettent en valeur aujourd’hui.

D’AUTRES MATERIAUX D’APPUI

Dans les paragraphes qui suivent, nous présenterons plusieurs

sources d’information, chacune indiquée par un tiret long pour les

distinguer :

les librairies, les publications sur le bouddhisme tibétain

sont rangées d’une façon particulière. Le rayon est typiquement

nommé « religions », « spiritualités », « bien-être », « bien-vivre »,

« développement personnel ». Ce rayon sera à côté de rayons

comme « psychologie », « santé » (souvent « médecine

alternative »), « ésotérisme »… Il nous semble important le fait qu’on

puisse associer le bouddhisme tibétain (lequel, on l’a vu, est

considéré comme le aspect le plus représentatif de la culture

tibétaine) à des sujets fortement connotés et populaires en ce

moment comme le « bien-être » ou le « développement personnel ».

Dans les rayons de livres de poche non discriminés par type, il n’est

pas rare de trouver un livre sur le bouddhisme (tibétain ou pas), et

parmi eux, un nom qui ressort est le Dalaï-Lama.

Les livres de Lobsang Rampa ont eu une très forte influence en

Occident. Quoiqu’on ait su qu’il s'agissait en fait d'une fiction et que

l'auteur était Anglais (Lenoir 2000, Lopez 2003) le succès de ses

livres fut immense et ils ont influencé un grand nombre

d'Occidentaux. En fait, il est l’auteur du plus grand nombre de livres

vendus en Occident « sur le Tibet » (Lopez, 2003). On peut très bien

penser que ce succès est dû en grande partie au désir du public de

recréer un « Tibet mystérieux ». Le mélange de sujets comme l’aura,

162

les extra-terrestres, les temps pre-historiques, prédictions de guerres,

l’évolution spirituelle de l’humanité, sont des thèmes qui attirent

l’attention du grand public, tous présentés dans le décor d’un pays

largement ignoré, quasi mythique, sur lequel on a pu projeter nombre

d’images.

Nous avons voulu voir quel est le type de discours utilisé

particulièrement dans « Le troisième Œil » de Rampa (1957), car il se

trouve toujours dans les librairies et les bibliothèques publiques

françaises et il est connu du grand-public aujourd’hui. D’abord, le livre

est libellé (et donc classifié), sur sa couverture comme « Aventure

Mystérieuse ». Cette collection –nous explique-t-on dans la dernière

page- publie des études sur « les grandes énigmes de l’humanité :

civilisations disparues, vie après la mort, OVNI, alchimie, astrologie,

[…] Tous ces sujets, qui sont à la frange des sciences reconnues,

sont analysés ici de façon passionnante. » (c’est nous qui mettons en

italiques). Nous remarquons déjà le type de sujets avec lesquels le

livre est associé. On nous dit aussi que l’auteur œuvre « dans le

secret à la diffusion de son message ».

Dès la première phrase du livre, Rampa assure, en effet, qu’il est

tibétain et qu’il nous décrira de l’intérieur « le pays le plus mystérieux

du monde, le Tibet ». Nous percevons donc l’air d’une histoire

secrète, la vrai, qui nous serait enfin révélée ; il y a là le même esprit

qui génère l’intérêt pour l’ésotérisme dans sa version populaire.

L’auteur se présente comme un être privilégié grâce à qui le devoir

de préserver une connaissance ancestrale et précieuse sera

accompli, tâche d’autant plus importante qu’« un nuage étranger

couvrira notre pays », faisant clairement allusion à la Chine. Ce

même thème de la préservation d’une connaissance ancestrale et

précieuse est repris dans les discours d’aujourd’hui.

163

Un autre sujet relie ce discours avec ceux d’aujourd’hui : c’est la

critique de la société « occidentale » : « …il est regrettable que le

scepticisme et le matérialisme de l’Occident n’ait pas permis une

investigation sérieuse des possibilités de la Science. » (p. 151).

L’idée de la Science (et son grand S) fait allusion à une connaissance

qui serait générale, partagé par toute l’humanité (ce qui est un

fondement, croyons-nous, du « bricolage pluriculturel » que nous

verrons plus tard et qui est au cœur de notre recherche). En

poursuivant les arguments de sa critique de l’Occident, il explique

pourquoi au Tibet ils n’utilisent pas les roues : « Les roues servent la

vitesse et la prétendue civilisation. Nous avions compris depuis

longtemps que la vie dans le monde des affaires est trop précipitée

pour laisser le temps de s’occuper des choses de l’esprit. » Cette

vision romantique de l’Orient comme contraire de ce qu’il y a de

négatif en Occident (la vie trop précipitée, négligeant ce qui compte

pour l’esprit), est toujours partagée de nos jours. Il critique aussi,

comme à présent, la religion traditionnelle. « Certains se réconfortent

en pensant qu’ils peuvent commettre péché sur péché à la condition

d’aller au temple le plus proche […] (p. 133) ». De plus il reprend un

discours qui fait partie des idées d’aujourd’hui sur un dieu

impersonnel. « Il est certain en tout cas que nous ne croyons pas en

l’existence d’un père omniscient et doué d’ubiquité qui surveillerait et

protégerait tout le monde » (p. 132), pourtant, « il existe un Dieu, un

Être Suprême. Qu’importe le nom qu’on lui donne ! » (p. 133).

Les effets des ouvrages comme celui de Rampa sont

considérables, même dans le monde académique : « Lorsque je

parle de Rampa avec des tibétologues et des bouddhologues en

Europe, nombre d’entre eux m'avouèrent que Le Troisième Œil avait

été le premier livre qu'ils avaient lu sur le Tibet ; certains avaient été

164

si fascinés par le monde décrit par Rampa que cela avait déterminé

leur avenir professionnel. Ainsi, certains disaient que même s'il était

un imposteur, Rampa avait eu ‘de bons effets’. » (Lopez 2003, p.

133) C’est ainsi que la diffusion de ces textes contribuent à créer un

intérêt pour une culture et l’identification ethnique qui vient avec. Par

le même biais, Rampa a stimulé la recherche et la diffusion des idées

scientifiques sur le Tibet, ne serait-ce qu’en attirant des masses

d’étudiants aux universités pour l’étudier.

Pareillement, nous croyons que l’idéologie de la valorisation

d’autres « cultures » et la « protection » des minorités, peut avoir

pour commencement ou facteur déclencheur, d’une façon indirecte,

l’intérêt pour des sujets comme l’astrologie et le New Age, qu’il

s’agisse d’ « impostures » ou non. Réciproquement, les descriptions

et découvertes scientifiques rendent des idées et des légitimations

aux écrivains qui se permettent une dose plus considérable de

fantaisie. Les ouvrages scientifiques et les livres ésotériques et

mystiques s’appuient les uns sur les autres tout comme sur les

étagères des librairies.

Pour approfondir sur certains concepts, nous avons cherché dans

des ouvrages de consultation qui peuvent être des sources

d’information pour la personne qui s’y intéresse. Par exemple, nous

avons trouvé, dans une bibliothèque publique, une « Encyclopédie

des Mystiques » qui contient des articles dans un style très

éclectique, combinaison de thèmes qui coïncide avec nos trouvailles

par d’autres moyens. « Cette Encyclopédie des Mystiques s’adresse

aux amants de la lumière, aux croyants et aux incroyants, à ceux qui

éprouvent une nostalgie de l’Unité située au-delà des religions

particulières » (Davy, 1977, p. XXVIII).

165

La mystique est un « au-delà », « elle enseigne à l’homme la

liberté », la « désaliénation ». Elle a normalement été la démarche

d’individus solitaires, suivant des « itinéraires en marge de la

conscience commune ». Par le biais de cette liberté et de cette

marginalité, on voit donc comment elle peut être associée à un côté

rebelle. « L’Esprit est révolutionnaire », « la conscience supérieure

brise les vieilles outres ». Il s’agit d’une sorte de découverte qui place

la personne dans une position privilégiée de la connaissance des

choses et des religions. C’est une « révélation » que la personne

s’approprie. Elle va de paire avec la valeur moderne de

l’individualisme : « La mystique appartient à des individus et non à

des groupements ». La connaissance de soi ou connaissance de la

« structure humaine » en sont à la base, et elles incluent la

connaissance du corps, de l’âme et de l’esprit.

L’intégration de « toutes sagesses » y est évidente. Les mystiques

de toutes les religions « se ressemblent ». Par exemple, selon

l’auteur, Maître Eckart expose des idées qui se rapprochent d’idées

censées être bouddhiques ou orientales : « abandonner le ‘je’ par

amour », « sois un désert de toi-même et de toutes choses ». « Nous

participons à la création du monde en nous décrétant nous mêmes »

selon les paroles de Simone Weil, une des figures fondatrice du

mysticisme. En outre, cette notion de « vide », qui est considérée par

certains comme caractéristique du bouddhisme, est ici rapportée à la

pauvreté chrétienne, et se retrouverait « identique » chez Lao Tseu.

On y ajoute aussi la philosophie grecque « en tant que sagesse ». La

gnose, le chamanisme y sont compris aussi : Quant à ce dernier, le

chaman, dans son extase, effectuerait une forme d’« ascension

spirituelle » comparable à celle des grands mystiques de l’Orient et

166

de l’Occident. Selon Simone Weil « les mystiques de presque toutes

les traditions religieuses se rejoignent presque jusqu'à l'identité ».

Ce discours semble une façon tout à fait actuelle d’argumenter le

pluralisme des croyances. La connaissance, la sagesse est Une,

valable pour tout le monde, tous auraient le même but de connaître

Le « mystère » -ce terme n’est pourtant pas souvent employé

aujourd’hui, mais il nous semble que le sens de ce quelque-chose à

découvrir dans le domaine de la spiritualité reste encore

fondamentale. Il est très intéressant de voir la façon dont les

possibles différends qui surgiraient à cause d’idées distinctes, sont

neutralisés par une individualisation de la façon de comprendre la

religion. Chacun a son propre « voyage mystique ». (On voit là une

relation entre la monté de l’individualisme et celle du pluralisme).

L’attitude actuelle est effectivement de prendre de chaque doctrine ce

que l’on veut, construisant ses propres idées, ne se souciant pas trop

des idées et croyances différentes, les considérant comme valides

dans une autre sorte de démarche.

Mais cette intégration est possible grâce à un principe : « le

langage des mystiques est un langage symbolique. Il faut

nécessairement recourir aux images […] Pour se décrire, la voie

unitaire réclame l’emploi des allégories » (p. XXVII) [c’est nous qui

mettons en italiques].

Jean Baruzi, dans l’introduction de ce même ouvrage, nous dit, à

propos du langage mystique, qu’il « émane moins de vocables

nouveaux, que de transmutations opérées à l’intérieur de vocables

empruntés au langage normal » (p. XXVIII) Et notamment,

ajouterions-nous, au langage « normal » des religions traditionnelles

et des valeurs contemporaines. Il faut se rendre « docile » à ces

symboles pour être conduit vers l’au de-là. Il compare, très justement

167

d’ailleurs, la façon d’opérer de ces symboles mystiques, à la façon

dont opère la poésie ; un même mot, qui peut être d’usage quotidien,

est définit d’une façon de plus en plus éloignée de son sens

traditionnel, mais pour le mystique ce sens est plus « profond », « le

fond même des choses »

A partir des forums que la revue « Psychologies » a organisés

sous le thème général « Quelle est votre spiritualité ? », nous avons

tiré les citations suivantes des 2408 messages qui composent ce

forum.

Le thème général « Quelle est votre spiritualité ? » se présente de

la façon suivante : « Le besoin de sens n'a jamais été aussi vivace.

Certains trouvent les réponses dans leur religion d'appartenance ;

d'autres se reconnaissent davantage dans des valeurs morales, des

lectures ou une pratique comme la méditation. […] Vie spirituelle,

avec ou sans dieu. » Dans ce thème général, il y avait plusieurs

sujets dans lesquels le gens participaient directement, dont le thème

« Bouddhisme » que nous analyserons ci-dessous.

[…Bouddhisme…]« J'aimerais tant en savoir plus... Cette

spiritualité m'attire ». On voit le sens d’une recherche personnelle,

mais en même temps partagée par d’autres. On cherche en général

des livres, des articles ou de l’information sur Internet. Quelqu’un

recommande "bouddhaline.net" où toutes les branches du

bouddhisme seraient représentées au travers de différents textes. On

cherche pourtant une connaissance qui ne soit pas limitée à la

doctrine d’un groupe réduit de personnes. On essaie d’éviter les

sectes.

« Il faut bien se renseigner lorsqu'on fait quelque-chose et savoir

où l'on va. Il y a moyen maintenant de se diriger en France vers des

168

centres bouddhistes on ne peut plus sérieux et d'être très bien

accompagné pour éviter de partir dans les dérives d'une mauvaise

pratique de la méditation. »

On recommande comme un bon « échantillonnage » du

bouddhisme, des livres écrits par des bouddhistes tibétains : « L'art

du bonheur », « Conseils spirituels pour bouddhistes et chrétiens »,

« Transformer son esprit » et « Le Dalaï- lama parle de Jésus » tous

les quatre écrits par le Dalaï-lama, « Le livre tibétain de la vie et de la

mort » de Sogyal Rinpoché, et ensuite « Plaidoyer pour le bonheur »

(de Mathieu Ricard, converti au bouddhisme tibétain).

Quelqu’un dit, pourtant, qu’à côté des religions, et des

« philosophies », « il y a l'art, la musique. Les choses qui font

vraiment vibrer l'âme et les sens ». Implicitement cela laisse entendre

que l’on cherche dans la religion quelque chose qui fait « vibrer l'âme

et les sens », ce qui coïncide avec d’autres témoignages.

Il faut trouver « la voie qui nous convient », même concernant le

bouddhisme (les différentes écoles). Un lama peut conseiller à une

personne d’aller ailleurs ou bien de méditer d’une façon plus

« adaptée » à son cas particulier. Le tout est de bien se renseigner et

de faire l'expérience par soi-même, sans que personne n’intervienne

de façon autoritaire

Les mouvements New-Age sont nettement dévalorisés car les

gens les associent avec des mouvements sectaires qui « disent

n’importe quoi ». Face à « l'hyper-marché de la méditation » on

préfère la sécurité d’une « sagesse qui est pratiquée depuis 2500 ans

» et qui a démontré ses « bienfaits incontestables » pour le corps et

l'esprit.

Bon nombre d’entre eux se méfient de tout groupe car « là c'est

souvent dévié » et préfèrent alors la recherche personnelle

169

notamment à travers la lecture et des conférences sporadiquement.

On y trouve ceux qui pensent que chacun doit avoir compris et avoir

fait l'expérience seul, car ainsi on ne se laissera influencer et

persuader par les autres. Pourtant, comparer ses propres

expériences avec celles d’autres personnes est souvent une façon

de confirmer qu’elles sont authentiques.

En parlant du Dalaï Lama quelqu’un ajoute « ... je l'admire! » « Je

n'arrive pas à concevoir comment un être humain puisse incarner

tant de sagesse, de bonté, de clairvoyance, de tolérance, d'amour. ».

Sur une autre ligne : « Le Dalaï-Lama dit que nous devons avoir la

porte d'entrée de notre propre culture ». On voit par là que le

bouddhisme est considéré comme un complément à une religiosité

qui n’a pas de frontières, qu’il s’agit au fond d’une même sagesse

sous des formes culturelles diverses mais secondaires. Par exemple

quelqu’un d’autre dit que les principales choses positives qu’il a

trouvé dans un livre sur le bouddhisme étaient : « il ne faut pas juger

quoi que ce soit... » « ne pas être orgueilleux », ce qui correspond à

des valeurs typiquement occidentales. Le parallèle qui est fait avec

d’autres sagesses tient peut-être en ce que la méditation, pratique

incontournable pour le bouddhisme, est une méthode qui « laisse les

émotions se lever et les pensées apparaître sans qu'on ait à les

refouler ni à les combattre ».

Le bouddhisme s'intéresse à « attaquer le mal à sa racine » et à en

connaître et comprendre les causes. C'est probablement en cela

qu’on le rapproche de la psychanalyse.

Quant à la psychanalyse, probablement la figure classique la plus

associée avec ce type de croyances « religieuses » c’est Carl Gustav

Jung. On le reconnaît comme quelqu’un qui travailla profondément

sur les phénomènes de la conscience, et qui était très proche de la

170

philosophie bouddhiste parce qu’elle a une approche toute

particulière et « très fouillée » du fonctionnement de l'esprit. (Ce sont

d’ailleurs les mêmes raisons que l’on évoque pour expliquer le

rapprochement du bouddhisme tibétain et les sciences cognitives,

que nous avons trouvées dans le livre de Varela, 1998)

A propos des liens avec la psychanalyse, quelqu’un ajoute que

c’est au cours de ses séances de psychanalyse qu’il a été amené à

« se documenter » sur le bouddhisme à cause de phénomènes qui

lui « intriguaient » et auxquels « ma culture ne me donnait pas de

réponse », sauf pour quelques éléments que Jung lui a apportés

concernant les archétypes et les mandalas qu’il ne connaissait pas

jusque là.

Une autre personne corrobore : elle a fait une psychanalyse, mais,

« il manquait des pièces au puzzle et je viens de comprendre que le

bouddhisme élargit l'horizon de l'être humain en se basant sur le

karma, la réincarnation qui personnellement me conviennent en tant

qu'explications logiques des évènements ».

Il paraît que l’idée de progrès n’est plus entendue comme le

sacrifice de la vie actuelle pour atteindre un but de salut dans l’avenir.

S’il y a encore des « bénéfices » qui seront récoltés dans le futur et

pour lesquels on travaille aujourd’hui, un critère est essentiel :

« Avancer sur son chemin avec un certain bien-être ». Dans ce

progrès, qui prend aussi souvent la forme de « développement

personnel » on souligne l’importance du « travail sur les émotions ».

L’expérience lors de la méditation « comme le dit Jung » « se

ressent physiquement ». « On n'arrive pas à décrire avec des mots

suffisamment précis et imagés cette sensation », « c'est cette unité

psychique, l'équilibre et l'harmonie ». Quelqu’un d’autre ajoute qu les

171

« choses spirituelles » ne doivent pas s'entendre que d'une façon

intellectuelle, elles doivent passer par l'expérience et la pratique.

Dans une comparaison interreligieuse, une personne lance

l’hypothèse que « les grands courants religieux prônent tous

l'altruisme », ensuite on confirme « Les exemples sont certainement

nombreux et les paraboles, les sourates, les sûtras et autres

enseignements sont riches de paroles tendant à élargir notre

focale ». Le bouddhisme serait le meilleur exemple en prônant la

compassion comme sujet central, selon le Dalaï Lama.

Finalement on manifeste que la spiritualité est une sorte de

« philosophie universelle et qu'on retrouve dans presque toutes les

civilisations » et qu’elle « laisse un sentiment de vision claire, de

sérénité, d'unité, de paix intérieure tel, que vous êtes certain d'avoir

"touché au but" sans pouvoir vraiment définir cette sensation » En

effet, après cette discussion il nous paraît essentiel d’approfondir sur

la signification du « spirituel » (dont on ne donne que des

descriptions très ambiguës) et de la façon dont on peut le différencier

de la psychologie, avec laquelle les gens la rapprochent mais en

même temps la différencient.

Le texte de F. Varela (1998) Dormir, rêver, mourir. Explorer la

Conscience avec le Dalaï-Lama a été écrit avec la participation de

plusieurs scientifiques occidentaux travaillant sur le domaine des

sciences cognitives (dont Varela) et Dalaï Lama. C’est le produit

d’une des rencontres qu’ont lieu tous les deux ans sous le titre

« Dialogue Interculturel et Conférences Mind and Life ».

Le Dalaï Lama nous montre avec clarté un des fondements

idéologiques de ce type de rencontre entre la science et le

bouddhisme, « Il est apparu avec clarté que le progrès extérieur à lui

172

seul ne saurait apporter la paix de l’esprit. On a commencé à prêter

davantage attention à la science intérieur, à la voie de la recherche

mentale et de l’évolution interne » (p. 9). Ce nouvel intérêt trouverait

un apport précieux dans les « explications d’anciens érudits de l’Inde

et du Tibet concernant l’esprit et ses manières de fonctionner » (p.

10). Selon lui, un nombre croissant de chercheurs s’intéresse au

« facteur spirituel », soulignant que le spirituel n’est pas restreint au

religieux, mais plutôt aux valeurs spirituelles comme « la

compassion », « l’affection humaine » et à la « bonté » qui viennent

« avant » la religion. Dans sa conclusion, Varela ajoute que les

concepts utilisés par le bouddhisme, et qui sont évoqués dans ce

livre, comme les degrés de « l’esprit subtil » correspondent à des

catégories assez précisément délimitées sur la base de l’expérience

réelle. Le contenu des discours bouddhiques aurait donc une

légitimité empirique, de sorte qu’elles peuvent et « doivent » être

prises au sérieux par la science. En outre, cette apport d’une autre

tradition et d’une approche différente à ces faits réels, fait penser qu’il

semblerait « nécessaire de réévaluer entièrement l’ensemble de

l’approche occidentale » (p. 279). Encore une fois, l’Orient se

présente comme une alternative aux modèles occidentaux de

connaissance. Il faudrait pourtant se garder contre les

réductionnismes, puisqu’il faudra l’effort de plusieurs générations

pour bâtir des ponts entre les deux traditions.

Dans un élan décidément enthousiaste et qui lie ce « projet » aux

causes politiques, il ajoute « nous pouvons changer le monde, du

moins dans le domaine des inégalités sociales. » (p. 15). Par ailleurs,

les rapports au soi sont très importants tout au long du livre. On nous

dit, rappelant les discours New Age, que dans certains états de la

méditation « on s’expérimente soi-même comme faisant parti d’un

173

formidable composé de relations, […] simplement un réseau de

connexions » (p. 145).

Dans ce livre il est évident le rôle qui joue le type de traduction des

termes pour représenter ce qui serait la culture tibétaine et/ou le

bouddhisme. Les traductions y présentées de quelques concepts

« bouddhistes » s’adaptent très bien (étonnamment dirions-nous) aux

sujets traités dans le livre. Par exemple, on traduit « abhidharma »

comme « recherches philosophiques détailles sur les fonctions

mentales » (p. 291) ; « karma » « se réfère aux actions et leurs

empreintes dans le continuum mental » (p. 295) ; « praña » « fait

référence à divers types d’énergie subtile qui animent et imprègnent

le système psychophysique » (p. 297). Nous pourrions citer bien

d’autres exemples où nous voyons l’emploi de termes qui sont non

seulement typiquement occidentaux, mais qui correspondent au

jargon de sciences comme la philosophie, la psychologie, la

neurologie, etc., et cela non seulement pour des termes précis, mais

aussi pour la présentation d’idées complexes qui paraissent avoir été

adaptées au type de discours utilisé par le livre.

Nous ne jugeons pas cette « adaptation », entre autres parce que

nous ne sommes pas en mesure de le faire. Nous constatons

pourtant qu’il s’agit d’une pratique qui à pour effet le fait de permettre

aux individus d’un groupe de penser à travers leur propre langage,

avec ses propres sens et ses propres valeurs, les manifestations d’un

groupe.

En fin, il faut remarquer qu’on trouve tout au long du livre de

commentaires très courts faisant allusion au sens de l’humour et à

l’attitude souriante du Dalaï Lama, ce qui peut être une façon grâce à

laquelle le lecteur peut ressentir une certaine affectivité envers ce

personnage, au-delà des arguments du texte.

174

Le Dictionnaire Critique de l’Esotérisme (Paris : PUF, 1998),

compilation d’articles de plusieurs auteurs, se présente dans son

« Avant-propos » comme étant « moins un dictionnaire, qu’un guide »

C’est la façon dont certains individus prennent la lecture des

« dictionnaire des symboles » et d’autres dictionnaires de ce genre.

En effet, cette notion de guide est très importante dans l’idéologie

mystique-ésotérique, où les discours sont censés guider la personne

en lui présentant un éventail de possibilités, de « sources », de

« ressources », les connexions qui mènent aux « réponses ». Plus

cet éventail est multiforme, éclectique, plus il est complet, et mieux la

personne sera « informée ».

La démarche du bricolage doctrinaire paraît mener au but de

mieux s’informer, de connaître le plus possible, de trouver des pistes

pour reconstruire la vérité, mais surtout pour ramasser autant d’outils

de bonheur. A ce propos, nous ajouterons que, de leur côté, des

personnes que nous avons rencontré ont véritablement un esprit de

recherche � ême si cela ne constitue pas un projet de vie ni un

travail de tous les jours, mais une attitude qui se manifeste à travers

un intérêt, une ouverture modérée mais quasi permanente à chaque

fois qu’ils croisent une source d’information considérée comme

légitime (hormis les personnes qui traversent une crise, et qui

peuvent être vraiment obsédées par cette recherche, et qui suivent

des voies extrêmes qui ne font pas parti de notre recherche).

Une entrée de ce dictionnaire est consacrée strictement au Tibet,

faisant de lui un sujet ésotérique à part entière. En effet, Jean-Luc

Achard présente le bouddhisme tibétain comme typiquement

ésotérique puisque qu’on y trouverait partout des secrets

communiqués à un petit nombre d’initiés ; « II n'est, pour ainsi dire,

175

pas de conceptions, de textes et de pratiques qui ne puissent être

interprétés selon un sens caché (sbas-don) ou nécessitant une

interprétation particulière pour révéler des éléments « secrets »

(gsang-ba) qui n'apparaissaient pas au premier abord. »

L’importance des exégèses « secrètes » se ferait sentir dans

quasiment tous les aspects de ce « Tibet ». Les multiples images de

la culture tibétaine, comme les démons ou le panthéon tantrique des

divinités autochtones, ou les récits, nécessiteraient un « décodeur ».

Mais ces secrets rendent le bouddhisme tibétain d’autant plus

intéressant ; cette nécessité d’interprétation est une voie ouverte à

toutes sortes de significations et (très pertinemment ici) la possibilité

qu’il y ait toujours un sens caché et intéressant même derrière ce que

l’on ne comprend pas, ou derrière certaines formes, par exemple l’art,

qui, en principe, vont à l’encontre des valeurs esthétiques propres.

Lors d’une émission à la radio sur « France Culture », le 11 avril

2004, on présente un livre sur la médecine chez les Navaho, et l’on

propose des exemples de plusieurs cultures, mentionnant très

souvent les Tibétains. Ils opposent les « savoirs » de ces peuples à

un Occident qui « a perdu le contact avec… », « est insensible à… »,

« n’est pas capable de… ». Les médecins tibétains sont capables, à

travers la méditation, de voir le « corps subtil », ce qui est une autre

façon de voir le corps et le monde.

Nous constatons que derrière ces associations entre cultures, il y a

la supposition qu’il existe des principes, concepts ou des entités qui

sont universels, qui se trouvent chez tous ces peuples, la seule

différence étant qu’ils les désignent d’une manière différente. Nous

notons à nouveau la croyance que toutes les différences culturelles

sont surmontables grâce à la traduction. Par exemple « le mana dans

176

les îles du pacifique, est le karma des Tibétains »! Nous avons donc

affaire à des concepts ouverts, des significations assez floues que

l’on peut désigner en choisissant des termes censés venir de

traditions fort diverses, parce qu’elles auraient toutes les mêmes

concepts. Parallèlement, il existe plusieurs voies de guérison, mais

elles guérissent les maux de toute l’humanité.

La question que nous devons nous poser maintenant porte sur les

autorités qui vont déterminer quelles seront les croyances et les

thérapies valables.

177

CONCLUSION GENERALE

Le phénomène d’engouement pour le bouddhisme tibétain en

France s’inscrit dans le contexte culturel occidental d'instabilité des

repères symboliques et d'affaiblissement des institutions

traditionnellement chargées d'attribuer du sens à l’existence, ainsi

qu’au déboulement d’anciennes hiérarchies. Nous assistons à ce que

quelques auteurs, après Lévi-Strauss, ont appelé un « bricolage » de

croyances et religions. La société occidentale est devenue

consommatrice d'idéologies du transcendantal dans un « marché »

qui transcende les frontières religieuses, nationales, ethniques.

Ainsi, parmi les principales caractéristiques du croire contemporain

nous pouvons compter : l’indépendance des institutions,

l’individualisme « bricoleur », l’hybridation de croyances et de

pratiques, la non-exclusivité des adhésions, l’importance de

l’expérimentation sur soi et des sensations vécues à travers

l’expérience religieuse, et le critère pragmatique pour le choix des

croyances et des pratiques. Quant aux motivations personnelles, une

des idées centrales est la quête de sens et de bonheur dans la vie

actuelle, sous la forme générale d’« épanouissement » personnel.

Les textes qui font allusion au bouddhisme tibétain traitent aussi

bien de biologie et neurosciences, que du bonheur, de

développement spirituel et de respect des minorités. Il s’agit d’un

discours qui tend à intégrer nombre d’idéologies, de valeurs et même

de pratiques. Cette « transversalité de valeurs » commence par

unifier les différences entre les traditions bouddhistes, comme celles

du bouddhisme tibétain, le zen vietnamien et le Theravada, à travers

le parrainage du Dalaï-Lama comme la figure la plus représentative

178

du bouddhisme auprès de l’Occident et ses organisations

transnationales comme la « International Network of Engaged

Buddhists ». Mais cette tendance unificatrice, qui passe souvent par

l’utilisation de la langue anglaise, s’étend à toutes les religions sous

la forme de « spiritualité », « sagesse », « thérapeutique », etc.

Cette nouvelle idéologie occidentale cherche à légitimer un Etat

fictif sans frontières et déterritorialisé. Il serait question d’une société

transnationale. Du point de vue individuel, ces idées s’inscrivent dans

une volonté de dépassement des frontières nationales et ethniques,

ainsi que de la mise en valeur des formes culturelles exotiques.

Cette tendance est à son tour fondée sur l’idée selon laquelle la

personne humaine est un être toujours en formation, toujours en

quête de « nourriture spirituelle », toujours à la recherche de repères,

où qu’ils se trouvent. Dès que l’identité personnelle et collective ne

dépendent pas d’une seule source de repères comme le territoire, la

communauté, la religion, etc., le soi ou la communauté peuvent

accepter l’influence des Autres, lesquels ne sont plus considérés

comme des menaces, car ils sont tout de même considérés comme

inférieurs technologiquement parlant. Ce sont là des conditions

indispensables et surprenantes qui facilitent le développement récent

d’un certain pluralisme.

Par ailleurs, le support pour la cause tibétaine représente

plusieurs enjeux, comme la société civile sans frontières, la liberté de

croyances, l’universalisme qui cherche des points en commun à

toutes les cultures, l’égalité accordée à chaque culture (surtout si

elles sont « ethniques » et « traditionnelles »). Soutenir la cause

« ethnique » est aussi une façon, pour l’individu occidental, d’afficher

des valeurs, des idéaux et, par conséquent, d’affirmer une identité et

179

d’adhérer à une communauté (souvent virtuelle) qui partage les

mêmes valeurs.

Nous avons constaté que l’identité et l’altérité ne peuvent exister

l’une sans l’autre. C’est ainsi que les représentations et la valorisation

de l’altérité ne peuvent être comprises qu’à partir des représentations

du soi moderne. On ne pourrait comprendre la valeur des sagesses

et des maîtres, l’importance de la pluralité des sources et des voies,

si ce n’est par rapport à l’épanouissement ou la réalisation

personnelle, le vide de sens, la soif de spiritualité chez l’individu

occidental ; autant de métaphores et de concepts flous, creux, à demi

compris, et par conséquent à demi ouverts, qui servent à mettre en

valeur les manifestations culturelles les plus distinctes, dans un

monde de plus en plus marqué par la cohabitation avec la diversité.

En France, la valorisation de la différence culturelle est manifestée

et formalisée dans le rapport remis par le Haut Conseil à l’Intégration

en 1991 au Premier ministre : « Il faut concevoir l’intégration comme

un processus spécifique : par ce processus, il s’agit de susciter la

participation active à la société nationale d’éléments variés et

différents, tout en acceptant la permanence, conservation de

spécificités culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que

l’ensemble s’enrichit de cette variété, de cette complexité. » (Cité par

Barou 1993, p. 173). La diversité culturelle est donc considérée

officiellement comme une richesse pour l’ensemble de la société.

Malgré cette reconnaissance, nous savons que les mécanismes

d’exclusion dans le monde occidental demeurent encore très actifs,

bien qu’ils ne suivent pas forcément les critères qui s’imposaient au

passé.

Avec la création de l’UNESCO ou avec la Déclaration universelle

des droits de l’Homme, l’Occident a manifesté officiellement sa

180

volonté d’accorder une légitimité égale à toutes les cultures du globe,

alors même que l’idée d’un Homme universel y est prônée. Or, nous

sommes toujours face à la contradiction entre ces deux principes qui

combinent la reconnaissance effective de la diversité et l’affirmation

de l’unité du genre humain. Ces deux idées sont, nous semble-t-il,

présentes dans l’idéologie analysée dans ce livre. Il y a là une

défense et valorisation de la différence culturelle, mais en même

temps, la valorisation de cet Autre n’existe que sous les critères

occidentaux qui se présentent –soit dit en passant– comme

universaux. « L’option universaliste peut s’incarner dans plusieurs

figures. L’ethnocentrisme mérite d’être en tête, car il est la plus

commune d’entre elles. Dans l’acception ici donnée à ce terme, il

consiste à ériger, de manière indue, les valeurs propres à la société à

laquelle j’appartiens en valeurs universelles » (Todorov 1989, p. 19).

Dans les discours de valorisation de l’Orient il existe, en effet, une

revendication de « leur société là-bas », de la protection de leur

territoire, de leurs coutumes, de leur religiosité, etc., mais tout cela,

au fond, est valorisé en tant qu’une « richesse de l’humanité », c’est-

à-dire, une richesse pour nous, les Occidentaux.

Par ailleurs, cette idéologie se développe dans un paradoxe : une

population ultra-moderne qui valorise la tradition, et qui, depuis son

rationalisme, valorise le mysticisme. Dans cette contradiction, les

termes opposés émergent alternativement en fonction de la situation

sociale d’interlocution, ce qui rend d’autant plus importante la

nécessité de comprendre la multiplicité et la fluidité des mécanismes

d’interprétation mis en œuvre dans les différentes situations

communicationnelles et interculturelles.

L’engouement pour le bouddhisme tibétain en France s’inscrit dans

un phénomène plus général qui consiste en une idéologie présente,

181

avec quelques variations, dans plusieurs pays, et qui permet aux

populations occidentalisées de valoriser non seulement le

bouddhisme tibétain, mais aussi d’autres formes de croyances

« spirituelles » et d’autres identités ethniques. Notre objet de

recherche est devenu une idéologie pluraliste qui conçoit plusieurs

« cultures », « sociétés » ou « peuples » comme sources de

« spiritualité » ou de « sagesse universelle ». Cette idéologie, ce

« goût des autres » se répand dans la mesure où l’individualisme et

les angoisses existentielles des modernes se globalisent.

* * *

182

183

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