Architecture moderne : entre écrans et fenêtres

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1 Architecture moderne : entre écrans et fenêtres Travail d’attestation pour le séminaire : Critique de la modernité construite Letícia Coutinho Lobach Université de Genève Janvier/2014

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Architecture moderne : entre écrans et fenêtres

Travail d’attestation pour le séminaire : Critique de la modernité construite

Letícia Coutinho Lobach Université de Genève

Janvier/2014

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Introduction

1. Voir, fonction primordiale de la maison ou l’histoire de la fenêtre 5

2. La psychologie de la transparence et de l’écran. 8

3. Du rêve à la fantaisie : les maisons futuristes 12

Conclusion

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Introduction

L’évolution de l’architecture moderne a toujours été liée au progrès technologique des moyens de

communication. La transformation de l’élément bâti ne s’effectue pas seulement à travers le

développement des matériaux et des techniques de construction, mais aussi par l’influence indirecte

des circonstances culturelles de chaque époque sur la conception esthétique des bâtiments et

maisons. Les nouvelles technologies, comme les moyens de transport, la photographie et la

cinématographie, par exemple, ont beaucoup influencé toutes les expressions artistiques, y compris

l’architecture, qui était à son tour beaucoup influencée par les arts d’Avant-garde, comme le

cubisme, le futurisme, l’expressionisme, le dada etc. (Tafuri, 1979). Ainsi, la photographie, le cinéma

et les autres médias de masse sont des éléments cruciaux pour comprendre l’architecture moderne

Tous ces enjeux culturels, technologiques et médiatiques font partie de l’esprit du temps et, par

conséquent, sont les moteurs de la conception et de la réception d’une nouvelle esthétique

architecturale des années de l’après-guerre.

Ce travail analyse la façon dont la présence de la TV a influencé l’organisation de l’espace

domestique aux Etats Unis dans les années 50 et 60. Puisque le thème est assez vaste et le pays

choisi un vrai mosaïque multiculturel avec une infinitude de possibilités de recherche en ce que

concerne la programmation de TV et styles d’architecture moderne, je ne chercherais pas à couvrir

l’ensemble de la programmation ni toute l’histoire de l’architecture de la période. Dans ce travail, je

me concentrerais plutôt à analyser la relation télévision-architecture à partir de deux éléments de

l’architecture moderne de cette période : l’architecture moderne des maisons en verre et

l’architecture du type futuriste. Le travail ne vise pas à analyser à fond les programmes de TV, mais

plutôt de les prendre comme des illustrations d’un type de programmation qui a changé les notions

sur l’espace privé, la décoration et la maison. La télévision était à la fois la cause et le symptôme des

changements des goûts qui ont influencé directe ou indirectement l’imaginaire collectif et, par

conséquent, l’architecture.

La télévision avait déjà été inventée dans les années 20, mais c’est à partir de sa commercialisation à

grand échelle, depuis les années 50, que son insertion dans la vie quotidienne peut être vue comme

un phénomène de masse. En 1955, la moitié des foyers en Amérique possédaient un appareil de TV.

L’arrivé de cette technologie dans l’espace privé a provoqué de nombreux changements de

comportements, dans l’organisation de la vie sociale, et dans la notion d’espace public et espace

privé.

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Le premier chapitre, pour situer le sujet dans son contexte historique, présente une brève synthèse

sur la relation de l’architecture moderne avec les médias de masse audio-visuelle (surtout le cinéma)

depuis Le Corbusier, pour ensuite analyser comment la télévision a influencé le changement de

perception entre public et privé et comment ce changement se traduit dans le contexte de

l’architecture moderne.

Le deuxième chapitre se concentre dans les rapports TV et architecture moderne dans les années 50

et 60 et le troisième chapitre explique comment la TV a influencé le surgissement et l’expansion d’un

autre type d’architecture d’un style assez futuriste qui était issu d’un imaginaire de la culture de

masse très influencé par la télévision.

1. Voir, fonction primordiale de la maison ou l’histoire de la fenêtre

L’influence des technologies, surtout la photographie et le cinéma dans l’architecture moderne sont

assez évidentes dans l’œuvre de Le Corbusier, non pas seulement comme moyen de publicité de

l’architecture moderne, mais surtout dans la conception de la maison comme une relation entre

monde intérieur et monde extérieur où les fenêtres sont des « organes »1 du regard. Selon cette

logique, voir est une fonction essentielle dans l’architecture moderne et la maison est considérée un

dispositif pour voir le monde (Colomina, 1994). Même dans la définition traditionnelle de maison

comme un espace clos qui protège ses habitants du froid, de la pluie et de l’observation externe, la

question du regard est présente et a influencé la manière dont on conçoit la maison, ce qui a changé

la notion de privé et d’intimité par rapport au regard.

Le fait que les fenêtres, depuis le début de l’architecture moderne, sont devenues de larges

panneaux horizontaux capables d’intégrer le paysage extérieur au mur de la maison est interprété

par Colomina (1994) comme résultat indirect de l’influence que l’avènement du cinéma a eu sur la

façon de regarder, ou, autrement dit : un lien entre écrans et fenêtres. Elle trouve les fondements de

son analyse dans les livres, revues, films, photographies et dessins de Le Corbusier où les questions

de publicité, du regard et cinéma sont toujours présentes. Cela se peut se confirmer par les deux

dessins ci-dessous qui montrent bien que le premier élément d’un projet de maison était la vue : la

relation du spectateur avec ce qu’il regardait. Colomina arrive à la conclusion que l’histoire de la

fenêtre moderne est aussi une partie de l’histoire de la communication.

1 Notre traduction : « Le Corbusier utilisait le mot « organe » au lieu d’élément pour considérer la fenêtre

comme un œil. » (Colomina, 1994)

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Fig.1 : Dessin de Le Corbusier pour la Ville Savoye, Lac Léman, Genève. Source : Colomina, 1994. Fig.2 : Dessins de Le Corbusier pour la Maison des Hommes, Enseada de Botafogo, Rio de Janeiro. Source : Colomina, 1994.

La relation entre l’architecture et le média audio-visuelle n’est pas une nouveauté de « l’Âge de la

TV ». Depuis les années 20, Le Corbusier a participé dans plusieurs projets de films et il a toujours

coopéré avec des réalisateurs pour montrer son architecture et son approche de l’urbanisme. Pas

seulement un simple décor ou un ornement visuel, l’architecture peut être un élément si essentiel

dans le cinéma comme le sont les personnages.

La fenêtre est donc, pour ainsi dire, l’organe de la communication entre l’intérieur et l’extérieur ou

entre l’espace privé et l’espace public ; et de ce point de vue, sa fonction et aspect esthétique sont

étroitement liés à l’influence des moyens de communication visuelle (Colomina, 1994). Cette thèse

développée par Colomina est essentielle à l’analyse proposée par le présent travail, car la télévision,

de manière analogue au cinéma, a fondé une « culture du regard » qui a influencé les

transformations dans l’architecture.

Colomina observe que dès que la maison est devenue un dispositif de communication visuelle avec

le monde, les habitants sont devenus une sorte de public.

« The modern transformation of the house produces a space defined by walls of

(moving) images. This is the space of the media, of publicity. To be « inside » this space is

only to see. To be « outside » is to be in the image, to be seen, whether in the press

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photograph, a magazine, a movie, on television, or at your window. […] But of course,

the fact that (for the most part) this audience is indeed at home is not whithout

consequence. The private is, in this sense, now more public than the public. Privacy is

now what exceeds the eyes. » (Colomina, 1994)

Cette observation de Colomina sur le rapport entre public et privé dans l’architecture moderne

contribue à l’analyse de la façon dont la télévision et l’architecture moderne se sont influencées

mutuellement en ce qui concerne la relation public/privé. Le premier aspect de cette relation

public/privé et architecture est un aspect physique, c’est-à-dire, la transparence. L’architecture de la

transparence a acquis sa plénitude en Amérique du Nord à travers une dématérialisation totale des

murs ouverts au spectacle extérieur comme on voit, par exemple, dans des maisons en verre de

Richard Neutra et du Case Study Houses Program (CSH).

Fig.3 : Photos de foyers avec télévision, années 50. Source : www.vintag.es/2012/02/old-pictures-of-die-hard-new-york.html. Fig.4 : Maison en verre en Californie. Source : www.visitpalmsprings.com/page/mid-century-modern-architecture.

Certes, le climat et le style de vie californien ont beaucoup l’influencé l’esthétique des maisons en

verre, mais elle sont aussi, d’une certaine manière, le résultat d’un changement dans la perception

de l’espace public et privé qui a été très influencée par une culture du regard mise en vogue par le

cinéma et la télévision. Dès que nous sommes devenus des téléspectateurs, la manière de voir et

d’être vu a changé radicalement, car le regard est de plus en plus habitué à voir l’intérieur des

maisons, même dans la fiction. De la misanthropie des murs à petits fenêtres dans les façades

incommunicables des maisons d’Adolf Loos (1870-1933), en passant par les fenêtres-écrans

horizontales et les « murs de lumière » des maisons de Le Corbusier, (1886-1965), pour finalement

arriver à la transparence radicale du style californien des maisons de verre de Richard Neutra (1892-

1970), cette évolution est fortement liée à l’évolution de la communication audio-visuelle.

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Fig. 5 : Stahl House. CSH#22. Photographie de Julius Schulman, 1960.

Les maisons en verre sont un élément relevant de l’histoire du cinéma hollywoodien et de la

télévision américaine. La Stahl House, ou CSH#22 (Figure 5), une des maisons la plus connue du CSH,

construite en 1960, est devenue la vedette du style maison en verre et un des symboles de Los

Angeles. La circulation dans les médias des photos du célèbre photographe Julius Schulman a

beaucoup contribué à sa réputation ; la maison a été aussi utilisée pour de nombreuses

photographies de mode, pour des campagnes publicitaires et par Hollywood dans au moins 10 films .

On peut constater que l’influence est mutuelle : la TV en changeant la culture du regard a influencé

les altérations esthétiques dans l’architecture moderne et vice versa. La métaphore de la TV comme

la plus grand fenêtre du monde était fréquemment utilisée, ainsi que la description des murs en

verre comme une ouverture au spectacle extérieur.

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Fig.6 : Photo de l’article « Did 1950s women watch daytime TV? » Photographie de Nina Leen. Source : Getty Images/Time & Life Picture, www.theguardian.com/education/2011/sep/05/fifties-women-daytime-tv Fig.7 : The Stahl House. Photographie de Julius Schulman

2. La psychologie de la transparence et de l’écran.

La présence des appareils de TV à l’intérieur des foyers - ces « fenêtres pour le monde » - n’ont pas

seulement changé le rapport entre public-privé, mais a aussi rajouté encore une autre dimension

psychique plus subtile : celle de l’exhibitionnisme et du voyeurisme. Le désir de voir ce qui se passe

dans un foyer et comment l’espace privé y est organisé a été toujours une pulsion très naturelle, bien

que signe d’indiscrétion. Si, à partir des années 1950-1960, cette invasion du regard devient – à

travers la transparence dans l’architecture – graduellement admise, voire même désirée (du côté de

l’exhibitionniste), la télévision a joué un rôle principal.

Cette culture du regard (voyeuriste et exhibitionniste) se produit de deux façons : le premier met

l’espace privé en scène à travers la présence consciente de la caméra, le deuxième met l’architecture

moderne comme élément qui permet la pénétration du regard à travers son structure physique. Ce

jeu double du regard peut être mieux saisi à partir de l’exemple de l’Empire Playboy. Le mot empire

n’est démesuré pour décrire tout le complexe multimédia créé par Hugh Hefner, dont la revue n’était

qu’une des médias. La grande innovation du projet Hefner a été la redéfinition entre l’espace public

et espace privé à travers une « pornographie comme une architecture multimédia ». Entre 1950 et

1960, il a créé plusieurs maisons et Playboy clubs qui ont été, elles aussi, fréquemment exposé dans

les médias. Ces maisons étaient à la fois les résidences de Hefner, son bureau de président de

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l’entreprise Playboy, mais aussi le «headquarters » et set de filmages et photographie des femmes

qui faisaient partie de sa pornothopie. (Preciado, 2004)

La pornographie Playboy est définie par Beatriz Preciado comme une architecture multimédia par

deux raisons : d’abord parce que les maisons étaient complétement équipées par des dispositifs

permettant le regard voyeur : les caméras et l’architecture comme le montrent bien le figure

Fig.8 : Playboy Penthouse, 1966. Source : Preciado, in Colomina,2004

Après la création de la revue et de la construction de la Playboy Penthouse, Hefner part directement

à la télévision avec les TV shows Playboy Penthouse (1959) et Playboy After Dark (1969) comme

stratégie pour élargir son public. Dans son TV show, l’érotisme n’était pas très présent, Hefner

attirait son public plutôt par l’appel au bon goût où la musique jazz, la décoration et l’architecture

moderne composaient le savoir-vivre du Playboy.

Les TV shows étaient présentés, ou plutôt performés, par Hefner comme s’ils étaient des cocktails

dans le propre appartement penthouse de Hefner, avec les « Playmates », les bunnies (femmes

dressées en lapin-playboy), des célébrités et des groupes musicaux parmi les invités qui

performaient, eux aussi, le rôle d’assister à une vraie fête.

Dans toutes les maisons et appartements Playboy il y avait toujours l’ambivalence d’être observateur

et observé ; sujet et objet du regard ; voyeuriste et exhibitionniste. Cette possibilité existe car le privé

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est rendu public tantôt par la médiatisation de l’espace tantôt par son architecture, comme dans

l’exemple cité ci-dessus, où la vitrine que permet voir les gens qui sont dans la piscine.

Fig.9 : Hefner dans son lit rond à Playpoy Mansion East,1964

La « pornotopie » du Playboy n’avait pas comme seul objectif l’exhibition de la nudité féminine.

L’exposition de l’intimité mise en scène était aussi une façon de s’opposer à la domesticité

conventionnelle (Preciado, 2004). L’organisation conservatrice de la vie sociale, des genres et de

l’espace privé sont mises en question à travers l’esthétique de l’exhibitionnisme et du voyeurisme et

cette esthétique était liée à la représentation de l’espace privé (la maison) devenu public (diffusion).

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Figures 10-13. Projets de maisons et appartements Playboy en pendend leu contruction. Souce : (Preciado in Colomina, 2004)

L’entreprise de Hefner est en effet la représentation d’une autre domesticité mis en évidence par le

design moderne du mobilier et de l’architecture, par la transparence et surtout par la médiatisation

de l’espace, vu que les maisons que Hefner a créées pour faire circuler dans ses revues étaient elles

aussi diffusées dans la TV. C’est les fantasmes qu’il faisait vivre avec sa pornotopie, l’architecture

exhibitionniste en verre et la TV rendent réelle (Preciado, 2004).

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3. Du rêve à la fantaisie : les maisons futuristes

L’architecture moderne a souvent cité directe ou indirectement le progrès technologique et la

mentalité du temps dans ses formes. Si le changement de petites fenêtres verticales aux fenêtres

larges à l’horizontal sont un signe de l’apparition du cinéma (Colomina, 1994), on peut constater

qu’il y a d’autres éléments architectoniques qui sont aussi des références indirectes à d’autres

technologies et enjeux culturels de leur temps. Aux États-Unis, dans le contexte d’une architecture

de plus en plus raffinée qui se développait, il y avait aussi un type d’architecture que faisait l’éloge à

la l’esprit du temps et à technologie qui parfois a assumé des formes assez extravagantes.

Les versions des maisons futuristes dans l’imaginaire populaire américain ont été souvent associées à

la science-fiction et à la frénésie de la conquête de l’espace. C’est surtout à partir des années 50 avec

la popularisation de la TV et la création de la NASA que ces traits culturels présents dans l’imaginaire

populaire et éveillés par le média de masse ont influencé l’architecture à plus grande échelle.

A mesure que l’imaginaire culturel se transformait, l’idée de maison prenait elle aussi d’autres

formes en référence à ce que j’appelle « space age ». Des versions populaires dans le style Fantasy2

avec des dessins trop futuristes et même en forme d’OVNI sont construites partout aux des Etats

Unis ; ainsi comme des versions plus nanties comme Chemosphere de John Lautner en 1960 et la

Carousel House de Richard T. Foster en 1967 – des vrais « machines à habiter ».

Fig.14 : Chemosphere Fig.15 : Carousel House

Dans ces deux exemples nous pouvons percevoir comment la question du regard est fondamentale.

La position stratégique de la Chemosphère juste au-dessus de la fameuse Mulholland Drive permet

une vision privilégiée de Los Angeles de même que la plus part de mansions en verre de la région.

Egalement dans la Caroussel House, la vision était la raison principale du format rond de la maison et

aussi de son dispositif qui la faisait tourner 360 dégrées. L’importance du regard et l’influence de la

2 Fantasy architecture

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télévision sont absolument présente dans cette maison, comme le prouvent les mots de l’architecte :

« we can change our view as easily as we change the channel of our TV set » (Spigel, 2001). Ces deux

maisons sont au carrefour entre l’architecture en verre dont la fonction majeur était voit et

l’architecture futuriste du type fantasy.

Depuis 1964, la Chemosphère a été utilisée plusieurs fois par le cinéma et par de séries de TV. Deux

ans après la construction de la maison, la série télévisée d’animation The Jetsons présentait une

famille américaine du futur où les maisons avaient la même forme de la Chemosphère, mais les

valeurs présentées dans la série étaient plus conservateurs (Spigel, 2001). En effet, la domesticité des

Jetsons était caractérisée plutôt par leurs relations avec la technologie de la maison qu’avec la

maison en soi ; le paysage extérieur n’avait aucune importance, de même que la forme ou la beauté

de l’architecture. On peut dire que ce cartoon est d’une certaine manière une allégorie d’une

transformation importante dans la notion de la maison moderne. La notion de modernité n’est plus

seulement présente dans la forme architecturale, mais surtout dans l’attirail électronique et les

dispositifs automatiques intégrés à la domesticité. Également, le Carrousel of Progress de General

Eletrics inauguré en 1967 dans la partie Tomorrow Land de la Disneyland est allégorique; cet espace

thématique montre l’évolution du progrès technologique à travers des décors de cuisines, jusqu’à la

représentation d’une famille du futur dans leur cuisine. Mais cette maison ne représente pas l’avenir

par l’architecture, mais par la technologie, non plus par la relation avec le monde extérieur, mais

para la relation hommes-machines à l’intérieur du foyer.

Ces représentations sont symptomatiques. Après que la télévision, dès les années de 50, est devenue

le centre de la relation familiale, habiter dans un foyer moderne ne trouve plus dans l’architecture

son objet de désir, mais dans les électroménagers – avec leur pouvoir de rendre n’importe quelle

maison du vieux style romantique américain absolument moderne. Peu à peu encombré de

technologie, « l’architecture s’est progressivement introvertie, devenant une sorte de gallérie des

machines, le hall d’exposition des sciences et techniques ».3

Dans son livre Make a Room for TV, Spigel fait la critique d’une stratégie qu’elle a nommé the

corporatization of everyday life selon laquelle les compagnies cherchent à vendre les nouvelles

technologies au public en les associant avec le vieux concept de maison de l’avenir et un certain style

de vie, mais toujours dans l’appel de traditionnelle famille américaine. Cette stratégie a changé la

3 Notre traduction : Spigel, p.389

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notion de la « dream house » car « Americans did not want machines to live in, they want machines

to live with » 4 Plus d’appareil électroniques a une maison, plus elle est moderne.

Cette vision présente une nouvelle idylle américain, ce de la maison hi-Tech ou le mot maison

n’évoquait pas forcement le mot architecture. La diffusion de la technologie dans la vie quotidienne

a attiré le désir du public à cette idéologie de la technologie et a reformulé la notion de maison

moderne et cela provoque naturellement une réduction du rôle de l’architecture dans la télévision et

dans la vie quotidienne.

Conclusion

Décrire la relation entre télévision, architecture moderne et espace privé n’est pas facile car,

d’abord, chaque une de ces notions porte dans leur propre étymologie un univers d’autres notions. Il

faut s’approfondir dans l’histoire de la communication audio-visuelle, il faut faire une étude sur la

« géographie et la psychanalyse » de l’espace privé et en plus une étude sur la division de genres

dans la domesticité pour achever la compréhension de cette relation.

L’effort d’avoir une vision plus globale sur l’influence de la télévision dans l’architecture moderne des

années 50 et 60 a fini par conduire ce travail à analyser plusieurs aspects matériels, culturels et

psychologiques autour du thème. Cela m’a permis de constater que l’architecture moderne au Etats-

Unis ne s’est pas constitué en tant que tel seulement parce qu’elle utilisait des principes inspirés par

le Corbusier et l’International Style ou parce qu’elle était une conséquence spontanée du climat

d’une partie du pays. Elle est aussi, et surtout, le résultat de l’influence des moyens de

communication visuelle de masse (photographie, cinéma et TV), étant la télévision l’élément le plus

provocateur de changements dans l’architecture de l’espace privé.

Cette transformation se fait sentir à plusieurs niveaux notamment dans ce que j’ai appelé de culture

du regard. L’aspect matériel de cette culture du regard peut être synthétisé les métaphores qui

définissent la télévision en tant que fenêtre et la fenêtre en tant que télévision. L’autre aspect,

disons, psychologique, concerne les codes relatifs à ce qu’on peut voir et ce qu’on ne voit pas ;

jusqu’à où nous sommes censés d’exposer et d’observer l’espace intime, ou plutôt privé : l’aspect

voyeurisme/exhibitionnisme de la télévision et de l’architecture. L’architecture multi-média de

l’empire Playboy est un chapitre très emblématique de la relation TV, architecture moderne et

espace privé.

4 Brian Horrigan (apude : Spigel, p.382)

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Parallèlement, le phénomène de l’architecture exotique et futuriste aussi apparait comme un effet

symptomatique de la énorme commotion médiatique autour des programmes spéciaux de la NASA

qui a déclenché le fantasme de la conquête de l’espace. Au fur et à mesure que l’idée de maison est

de plus en plus identifiée avec le progrès technologique, l’importance de l’architecture dans les

maisons de rêves de la classe moyenne américaine semble affaiblir.

Ainsi, il peut être constaté que la télévision dès les années 50 a beaucoup influencé l’architecture

américaine dans les années 50 et 60 tantôt par le contenu comme par le changement culturel dans la

manière de concevoir l’espace public et le privé.

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Bibliographie

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