\"Arbitrage transnational et droit international général\", AFDI, 2012, p. 605-652

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL LVIII – 2012 – CNRS Éditions, Paris ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2012) PATRICK JACOB FRANCK LATTY En 2012 comme depuis plusieurs années, le droit international a trouvé un terreau particulièrement fertile de « réalisation juridictionnelle » 1 dans les déci- sions arbitrales rendues par les tribunaux arbitraux compétents pour trancher les litiges entre État et investisseur étranger 2 , dans la quasi-totalité des cas sur le fondement de traités bilatéraux ou multilatéraux de protection des investissements étrangers. Ces décisions, bien que de qualité inégale, sont le signe de l’« essor nouveau » du « vieux droit des gens de Grotius » 3 qui a littéralement « investi » les relations transnationales économiques. À ce titre, rares sont, parmi la quaran- taine de décisions rendues en 2012 4 – qu’il s’agisse de sentences finales, de déci- sions intermédiaires ou d’ordonnances – celles qui ne comportent pas des éléments susceptibles d’intéresser les « internationalistes », éléments que la présente chro- nique s’efforce de restituer de manière exhaustive 5 . Elle le fera, pour le cru de 2012, à travers la question des sources du droit international (I), celle de la responsabilité internationale (II) et celle du droit applicable 6 (III). (*) Patrick JACOB, maître de conférences à l’Université Paris Sud 11. (**) Franck LATTY, professeur à l’Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité. 1. J. COMBACAU/ S. SUR, Droit international public, 10 e éd., Domat, Paris, Montchrestien, 2012, p. 575. 2. À noter qu’un contentieux interétatique sur le fondement de traités bilatéraux d’investissement a vu le jour. En 2012, deux sentences de 2005 et 2008 ont été rendues publiques dans une affaire de protec- tion diplomatique entre l’Italie et Cuba soumise à un tribunal ad hoc (comm. C. CRÉPET DAIGREMONT in Cahiers de l’arbitrage, 1 er octobre 2012, n° 4, p. 893). Une autre affaire entre l’Équateur et les États-Unis d’Amérique a abouti à une sentence arbitrale du 29 septembre 2012 (incompétence du tribunal en raison de l’absence de différend entrant dans le champ d’application du traité – CPA, aff. n° 2012-5, sentence non publique). 3. Ch. LEBEN, « La responsabilité internationale de l’État sur le fondement des traités de promotion et de protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 714. 4. Voy. les statistiques publiées in CNUCED, Latest Developments in Investor-State Dispute Settle- ment, IIA Issues note n° 1 (2013), pp. 1-2 et s. Voy. aussi la présentation de l’activité du CIRDI en 2012 par S. MANCIAUX, in JDI, 2013/2, pp. 505 et s. Les décisions arbitrales citées ci-après sont accessibles sur le site de la faculté de droit de l’Université de Victoria (Canada) « Investment Treaty Arbitration » [http:// ita.law.uvic.ca] ou sur le site du CIRDI [icsid.worldbank.org]. 5. Pour une présentation de la présente chronique, voy. cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s. 6. Les questions, autres que le droit applicable, relatives au droit du contentieux international sont traitées de manière incidente dans les développements et les notes infrapaginales relatifs aux trois thèmes abordés. TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONALLVIII – 2012 – CNRS Éditions, Paris

ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2012)

PATRICK JACOBFRANCK LATTY

En 2012 comme depuis plusieurs années, le droit international a trouvé un terreau particulièrement fertile de « réalisation juridictionnelle » 1 dans les déci-sions arbitrales rendues par les tribunaux arbitraux compétents pour trancher les litiges entre État et investisseur étranger 2, dans la quasi-totalité des cas sur le fondement de traités bilatéraux ou multilatéraux de protection des investissements étrangers. Ces décisions, bien que de qualité inégale, sont le signe de l’« essor nouveau » du « vieux droit des gens de Grotius » 3 qui a littéralement « investi » les relations transnationales économiques. À ce titre, rares sont, parmi la quaran-taine de décisions rendues en 2012 4 – qu’il s’agisse de sentences fi nales, de déci-sions intermédiaires ou d’ordonnances – celles qui ne comportent pas des éléments susceptibles d’intéresser les « internationalistes », éléments que la présente chro-nique s’efforce de restituer de manière exhaustive 5. Elle le fera, pour le cru de 2012, à travers la question des sources du droit international (I), celle de la responsabilité internationale (II) et celle du droit applicable 6 (III).

(*) Patrick JACOB, maître de conférences à l’Université Paris Sud 11.(**) Franck LATTY, professeur à l’Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité.1. J. COMBACAU/ S. SUR, Droit international public, 10e éd., Domat, Paris, Montchrestien, 2012, p. 575.2. À noter qu’un contentieux interétatique sur le fondement de traités bilatéraux d’investissement a

vu le jour. En 2012, deux sentences de 2005 et 2008 ont été rendues publiques dans une affaire de protec-tion diplomatique entre l’Italie et Cuba soumise à un tribunal ad hoc (comm. C. CRÉPET DAIGREMONT in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2012, n° 4, p. 893). Une autre affaire entre l’Équateur et les États-Unis d’Amérique a abouti à une sentence arbitrale du 29 septembre 2012 (incompétence du tribunal en raison de l’absence de différend entrant dans le champ d’application du traité – CPA, aff. n° 2012-5, sentence non publique).

3. Ch. LEBEN, « La responsabilité internationale de l’État sur le fondement des traités de promotion et de protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 714.

4. Voy. les statistiques publiées in CNUCED, Latest Developments in Investor-State Dispute Settle-ment, IIA Issues note n° 1 (2013), pp. 1-2 et s. Voy. aussi la présentation de l’activité du CIRDI en 2012 par S. MANCIAUX, in JDI, 2013/2, pp. 505 et s. Les décisions arbitrales citées ci-après sont accessibles sur le site de la faculté de droit de l’Université de Victoria (Canada) « Investment Treaty Arbitration » [http://ita.law.uvic.ca] ou sur le site du CIRDI [icsid.worldbank.org].

5. Pour une présentation de la présente chronique, voy. cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s.6. Les questions, autres que le droit applicable, relatives au droit du contentieux international sont

traitées de manière incidente dans les développements et les notes infrapaginales relatifs aux trois thèmes abordés.

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I. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL

A. Traités

1. Interprétation des traités

Dans presque toutes les affaires soumises aux tribunaux arbitraux compé-tents en matière d’investissement se posent des problèmes d’interprétation des conventions applicables (en premier lieu, le traité de protection des investisse-ments invoqué ; le cas échéant, la convention de Washington sur le CIRDI 7 ; dans certaines affaires, il peut même s’agir d’instruments extérieurs 8).

En schématisant, deux options se présentent alors : ou bien le tribunal s’en remet à la jurisprudence, voire, lorsqu’elle est divisée comme c’est souvent le cas en matière de droit des investissements, au courant jurisprudentiel qu’il estime le plus convaincant sur la question à interpréter, sans même faire semblant de mener sa propre analyse 9 ; ou bien le tribunal procède lui-même à une opération d’interprétation – laquelle n’exclut pas, au reste, la prise en compte de décisions arbitrales préalables 10. L’alternative est manifeste dans la décision sur les objec-tions à la compétence de l’affaire Pac Rim Cayman 11. Le tribunal était le premier à être confronté à la clause de refus des avantages (« denial of benefi ts ») contenue dans l’accord de libre-échange d’Amérique centrale (ALEAC/CAFTA) 12. Comme les décisions arbitrales préalablement rendues sur des clauses de ce type concernaient d’autres traités (notamment le traité sur la charte de l’énergie) à la rédaction, au contexte et aux effets différents, le tribunal les a écartées. Il a considéré qu’il devait ainsi « interpret the relevant text of CAFTA by itself, in accordance with the relevant principles for treaty interpretation under international law as codifi ed in the Vienna Convention on the Law of Treaties » (§ 4.5).

Pour les tribunaux qui prennent la peine de s’engager dans une opération d’inter-prétation détaillée, la référence aux articles 31 et suivants de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 est en effet un passage obligé 13, au point que le sigle

7. Voy. par ex. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 329 et s.

8. Voy. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit appli-cable et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 6.76 et s. et infra III.

9. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, §§ 2110 et s. (défi nition de l’investissement au sens de la convention de Washington) ; CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 246 et s. et CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, §§ 151 et s (standard du traitement juste et équitable).

10. Voy. à cet égard CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, 14 décembre 2012, décision sur la responsabilité, §§ 221 et s. Sur la place de la jurisprudence dans le contentieux transna-tional, voy. infra E.

11. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 4.3 et s.

12. L’article 10.12.2 de l’ALEAC permet à un État partie de refuser les avantages du traité à l’investisseur d’un autre État partie « that is an enterprise of such other Party and to investments of that investor if the enterprise has no substantial business activities in the territory of any Party, other than the denying Party and persons of a non-Party, or of the denying Party, own or control the enterprise ». Il s’agit d’éviter que des investisseurs créent des coquilles vides dont le seul objet est de fournir à l’investisseur un traitement et une protection auxquelles il n’a normalement pas droit dès lors que son État de ratta-chement n’est pas partie au traité. Voy. le comm. de A. DE NANTEUIL sous les sentences Pac Rim Cayman et Libananco Holdings, in Cahiers de l’arbitrage, 1er octobre 2012, p. 893.

13. L’hommage rendu est parfois expéditif, voy. par ex. CIRDI, SGS Société générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012 , § 90, note 82 ; CIRDI, Marion Unglaube

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« VCLT » (pour « Vienna Convention on the law of treaties ») a acquis droit de cité dans de nombreuses décisions arbitrales 14. Si l’État défendeur ou l’État de nationalité de l’investisseur n’y est pas partie – et même parfois s’il l’est 15 –, la valeur coutumière des techniques interprétatives consacrées dans ces articles est alors rappelée par le tribunal 16. Les décisions arbitrales rendues au cours de l’année 2012 montrent tout particulièrement que la référence aux articles 31 et suivants intervient dans une optique de légitimation du choix interprétatif (1). Pour autant, les arbitres n’hésitent pas à dépasser le « consensus » 17 de la convention de Vienne en recourant à des principes d’interprétation qui n’y sont pas offi ciellement répertoriées (2).

a) La légitimation par la convention de Vienne

Les parties adverses à un arbitrage s’appuient fréquemment sur les techniques interprétatives de la convention de 1969 pour proposer au tribunal l’interprétation du traité applicable qui correspond le mieux à leurs intérêts. Pour une question donnée, c’est donc un choix entre deux constructions interprétatives qui est proposé au tribunal, lequel est lui-même susceptible de forger sa propre interprétation de la norme. La référence au « guide de l’interprétation » de la convention de Vienne lui permet de s’appuyer sur une méthode « homologuée ». Elle tend aussi à présenter l’interprétation comme une activité objective. Au plus le tribunal « colle » au déroulé des articles 31 et suivants de la convention de Vienne, au plus son interprétation paraîtra dégagée des scories subjectives.

La démarche concerne des questions ponctuelles, par exemple l’interprétation de la préposition « of » dans la clause de règlement des différends relatifs à « an investment of [a UK company] » selon l’article 8 du traité Royaume-Uni/Tanzanie 18. Sur ce point, le tribunal de l’affaire Standard Chartered Bank a très consciencieuse-ment suivi la méthodologie de la convention de Vienne : tout d’abord en procédant à une interprétation grammaticale du mot, envisagée dans le contexte du traité, où est par ailleurs employé le terme « by » 19 ; ensuite en envisageant l’interprétation de la préposition au regard de l’objet et du but du traité, exprimés notamment dans son préambule 20. Le tribunal a ensuite recours aux moyens complémentaires

c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 31. Pour une étude générale de la question, voy. F. LATTY, « Les techniques interprétatives du CIRDI », RGDIP, 2011/2, pp. 459-480.

14. Voy. par ex. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 67 (et la table des sigles) ; CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, § 174.

15. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012 , § 140 ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 47 ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, § 169.

16. CIRDI, Kılıç İnşaat İthalat İhracat Sanayi ve Ticaret Anonim Şirketi c. Turkménistan, aff. n° ARB/10/1, décision sur l’article VII.2 du traité bilatéral d’investissement Turquie-Turkménistan, 7 mai 2012, § 6.3 (application des règles coutumières de la convention de Vienne à la Turquie qui n’y est pas partie).

17. J.-M. SOREL, « Article 31 » in O. CORTEN/ P. KLEIN (dir.), Les conventions de Vienne sur le droit des traités. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 1291.

18. Voy. aussi l’interprétation du terme « obligation » dans la clause de respect des engagements du TBI Équateur/États-Unis, in CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, 14 décembre 2012, décision sur la responsabilité, §§ 211 et s.

19. CIRDI, Standard Chartered Bank c. Tanzanie, n° ARB/10/12, sentence du 2 novembre 2012, §§ 214 et s.

20. Id., §§ 226 et s. Se référant au préambule du traité Pays-Bas/Slovaquie pour insister sur l’impor-tance du traitement juste et équitable, voy. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Lauren-tius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 230. Estimant, inversement, que les objectifs fi xés dans le préambule sont sans effet sur la compétence du tribunal, voy. CIRDI, Iberdrola Energía SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, sentence du 17 août 2012, § 307.

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d’interprétation conformément à l’article 32 de la convention de Vienne, non pas pour confi rmer sa déduction première selon laquelle la préposition « of » requiert « an active relation between the investor and the investment » et non une simple possession passive d’actions 21, moins encore parce que son interprétation selon l’article 31 aurait « conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou dérai-sonnable », mais plutôt dans la mesure où elle « laisse[rait] le sens ambigu ou obscur » 22. Comme les arguments des parties étaient fondés sur des traités entre des États distincts, contenant des dispositions différentes de celle du traité appli-cable, et sur des sentences arbitrales interprétant ces instruments étrangers, le tribunal a jugé que ces modes complémentaires d’interprétation manquaient en l’espèce de pertinence et a maintenu sa déduction initiale 23.

Un arbitre dissident désireux de convaincre que la majorité du tribunal a donné un sens erroné à une disposition conventionnelle trouvera également dans les techniques interprétatives de la convention de Vienne un support lui permettant de développer une argumentation alternative 24. Mais la démarche est surtout celle qui anime des tribunaux arbitraux confrontés à des questions controversées du droit des investissement (comme la défi nition même de l’investissement 25, ou la portée des clauses de la nation la plus favorisée 26), auxquelles ils veulent apporter des réponses d’autorité. Concernant le traitement de la nation la plus favorisée invo-quée par les requérants des affaires ICS et Daimler pour bénéfi cier d’une stipula-tion sur le règlement des différends contenue dans un autre traité d’investissement, il n’est pas anodin que les deux tribunaux présidés par P.-M. Dupuy aient repris « à zéro » la question de l’interprétation de la clause, quand certaines formations arbitrales concentrent leur analyse sur la jurisprudence existante 27. Appliquant méticuleusement les techniques de la convention de Vienne, ils ont conclu à l’issue d’un raisonnement plaqué sur ses articles 31 et 32 que la clause de la nation la plus favorisée ne pouvait produire les effets escomptés par les entreprises. L’application ostentatoire des techniques de la convention de Vienne n’a pas pour seule fonction d’expliquer la solution apportée au cas d’espèce : elle est destinée à montrer la rigoureuse justesse du raisonnement interprétatif, avec la volonté décelable de marquer l’évolution de la jurisprudence en la matière.

Cela étant, loin d’être une science dure, la mise en œuvre de techniques inter-prétatives n’échappe pas elle-même à l’interprétation des arbitres. Par exemple, au sujet du « sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la

21. Sentence Standard Chartered Bank, § 230.22. Id., § 235. Jugeant inutile de recourir aux techniques de l’article 32, voy. CIRDI, Mobil Investments

Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, §§ 229 et s.

23. Sentence Standard Chartered Bank, § 256. Concernant la mise en œuvre de l’article 33 de la convention de Vienne (Interprétation de traités authentifi és en deux ou plusieurs langues), voy. CIRDI, Kılıç İnşaat İthalat İhracat Sanayi ve Ticaret Anonim Şirketi c. Turkménistan, aff. n° ARB/10/1, décision sur l’article VII.2 du traité bilatéral d’investissement Turquie-Turkménistan, 7 mai 2012, §§ 7.1 et s. Sur la différence entre deux versions linguistiques, voy. aussi CIRDI, ConocoPhillips Company et al. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la demande de récusation de l’arbitre Yves Fortier, 27 février 2012, § 54.

24. Voy. par ex. op. diss. Ph. Sands dans l’affaire Mobil Investments, §§ 30 et s. (« In my view, the Majority’s approach is not consistent with the requirements applicable to the interpretation of treaties »).

25. Voy. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 344 et s.

26. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 283 et s. ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, aff. n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 205 et s.

27. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine, n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, §§ 167 et s. Les arbitres s’appuient sur l’étude de la CNUCED intitulée « Traitement de la nation la plus favorisée » (Collection de la CNUCED consacrée aux problèmes relatifs aux accords internationaux d’investissement II), 2010.

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lumière de son objet et de son but » (art. 31 de la convention de Vienne), le tribunal de l’affaire Daimler a estimé que l’interprétation ne devait pas résulter d’une analyse en trois temps distincts (1er temps : sens ordinaire ; 2e temps : contexte ; 3e temps : objet et but du traité) – alors même que de nombreuses décisions arbi-trales retiennent cette séquence 28. Pour le tribunal « the Vienna convention posits these as interrelated elements of a holistic approach to treaty interpretation rather than as a set of discrete and sequential steps » 29. La part d’interprétation dans l’application des techniques interprétatives se manifeste encore lorsque l’accent est mis sur le « contexte interne » plutôt que sur le sens littéral des termes, ou sur le « contexte externe » plutôt que sur l’objectif du traité. Le tribunal de l’affaire ICS a par exemple insisté sur la prise en compte des principes et règles du droit international applicables aux relations entre les États parties au traité d’inves-tissement (contexte externe), « particularly those of a systemic nature such as, for example, the rules regarding the State’s consent to jurisdiction » 30. L’exemple fourni par le tribunal en l’occurrence n’a rien de fortuit puisque les règles sur le consentement de l’État à la juridiction vont précisément conduire les arbitres à retenir une interprétation stricte de la clause de la nation la plus favorisée examinée 31. Or, l’accent mis sur une autre technique d’interprétation (par exemple le contexte relatif à la protection juridique des investisseurs 32) aurait pu aboutir à un résultat inverse. Face à des normes fl oues, privilégier une technique, c’est privilégier une interprétation. L’interprétation est donc moins un savoir qu’un art aux milles nuances 33, dont les techniques sont révélées par touches dans les décisions arbitrales.

b) Le dépassement de la convention de Vienne

Une série de principes à vocation interprétative tirés plus ou moins directement des règles générales de la convention de Vienne émerge de la livraison 2012 des décisions arbitrales en matière d’investissement.

i) Dans l’affaire ICS, le tribunal s’est référé à un « principe de contempora-néité » pour interpréter le sens du terme « traitement » dans le cadre du traitement de la nation la plus favorisée. En application du principe, le sens et l’étendue du terme litigieux devaient être déterminés au sens qui avait cours à l’époque des négociations entre les États parties 34. Dans ce cadre, les travaux de la Commission du droit international des Nations Unies sur la clause de la nation la plus favorisée aboutis en 1978 ainsi que la jurisprudence de la Cour internationale de Justice devaient être pris en considération « not only as legal authorities on the proper

28. Voy. par ex. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, §§ 216 et s.

29. CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, § 254.30. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff.

n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 279. Voy. aussi sentence Daimler, §§ 172 et s. ; CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, § 137 où le tribunal envisage l’existence d’un consentement à sa compétence comme une question d’ordre public. Adde CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai 2012, §§ 107 et s. (clarté du consentement).

31. Voy. infra E.32. Ex. : CIRDI, Emilio Agustin Maffezini c. Espagne, aff. n° ARB/97/7, décision sur la compétence,

25 janvier 2000, § 55.33. Cf. Projet d’articles de la Commission sur le droit des traités, commentaire du projet des articles 27

et 28, in Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa dix-huitième session, A/6309/Rev.1, Ann. CDI, 1966, vol. II, p. 238, § 4.

34. Sentence ICS Inspection, § 189. Voy. aussi sentence Daimler, § 263. Contra voy. CIRDI, Wintershall c. Argentine, aff. n° ARB/04/14, sentence du 8 décembre 2008, § 129.

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interpretation of MFN clauses, but also as precedent that informed subsequent treaty drafting » 35. Au titre du principe de contemporanéité, les directives de la Banque mondiale de 1992, instrument de soft law légèrement postérieur à la conclusion du traité, ont également été prises en compte 36.

ii) En revanche, le tribunal de l’affaire ICS a estimé que pas plus la convention de Vienne que le droit coutumier n’autorisaient la mise en œuvre d’un principe d’interprétation restrictive – en l’occurrence pour l’interprétation des clauses de la nation la plus favorisée 37. La précision est digne d’intérêt tant l’adage volontariste selon lequel « les limitations à la souveraineté ne se présument pas » a marqué les esprits 38. Pour autant, la mise en œuvre d’autres méthodes, notamment l’interpré-tation « systémique » peut aboutir à l’interprétation in fi ne restrictive de la norme conventionnelle 39.

iii) Le principe d’effet utile trouve régulièrement grâce aux yeux des tribunaux arbitraux 40. Ainsi, pour le tribunal de l’affaire Urbaser, l’interprétation fondée sur l’objet du traité ou de l’une de ses dispositions doit être conciliée avec « the equally important principle of effectiveness (or principle of effet utile) » expliqué de la sorte : « Any treaty rule is to be interpreted in respect of its purpose as a rule with an effective meaning rather than as a rule having no meaning and effect » 41. Le principe est lié, selon les arbitres, à l’article 31 de la convention de Vienne qui requiert que l’interprétation se fasse de bonne foi 42.

iv) Le tribunal de l’affaire ICS a exprimé une certaine méfi ance à l’égard de l’interprétation téléologique mise en œuvre par les arbitres majoritaires de l’affaire Abaclat 43 dont l’interprétation contra legem de la clause de règlement des diffé-rends du traité applicable avait été guidée par le souci de ne pas laisser sans recours la masse des investisseurs spoliés 44. Loin d’encourager la fabrication prétorienne d’exceptions au texte conventionnel applicable, le tribunal a estimé que les consi-dérations politiques (« policy matters ») ne devaient guider l’interprétation des arbitres que dans le cadre balisé de l’article 31 de la convention de Vienne, ou encore « in order to provide context in the reasoning of a decision, as well as to provide some insight for future drafting exercises » 45. Le tribunal ajoute qu’en présence d’un résultat interprétatif « manifestement absurde ou déraisonnable », il revient aux arbitres non pas de façonner une interprétation à partir de considérations politiques aussi désirables soient-elles, mais de recourir aux moyens complémen-taires d’interprétation fournis par l’article 32 de la convention de Vienne 46. Il en va du respect du principe pacta sunt servanda et de l’état de droit 47. Bien que se référant à plusieurs reprises à la sentence ICS, les arbitres de l’affaire Urbaser ont assumé une conception plus extensive de l’interprétation. Ainsi ont-ils estimé que

35. Sentence ICS Inspection, § 291.36. Sentence ICS Inspection, §§ 294-295 (Directives de la Banque mondiale de 1992 sur le traitement

de l’investissement direct étranger).37. Id., § 282.38. J.-M. SOREL, « Article 31 » op. cit. note 17, p. 1331.39. Sentence ICS Inspection, § 282.40. En 2012, voy. les affaires Daimler (§§ 263 et s.), ICS Inspection (§§ 316-317). Voy. aussi CIRDI,

Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité, § 7.83.

41. CIRDI, Urbaser SA and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c. Argentine, n° ARB/07/26, décision sur la compétence, 19 décembre 2012, § 52 (voy. aussi § 135).

42. Id., § 52.43. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2011, pp. 568 et s.44. Sentence ICS Inspection, § 264.45. Id., § 265. Voy. aussi le § 277 de la sentence.46. Id., § 267.47. Id., § 268. Voy. aussi CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence

du 22 août 2012, §§ 165 et s.

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l’interprétation du traité bilatéral d’investissement à la lumière de son objet et de son but devait se faire en rapport avec la convention de Washington sur le CIRDI, qualifi é de « convention mère » pour la plupart des TBI, dont l’objectif de promotion des investissements devait être mis en perspective avec la nécessité d’équilibrer les intérêts des investisseurs et ceux des États hôtes 48. Le contexte externe du traité à interpréter permet ainsi au tribunal de faire jouer des « policy matters » 49.

v) L’interprétation évolutive, absente de la convention de Vienne, a également fait l’objet de développements dans la sentence Daimler, au sujet de l’expression « traitement sur son territoire » contenue dans la clause de la nation la plus favo-risée du traité Argentine/Allemagne. Pour les arbitres majoritaires, une interpré-tation évolutive est permise « in the face of convincing evidence, refl ected by state practice, doctrinal analysis and international case law, that a coherent and generally accepted new meaning of the phrase has since been accepted by states, and in parti-cular Argentina and Germany » 50. En l’espèce, le tribunal a relevé qu’en l’absence de consensus, avant tout des États, sur la question, le fait que certains tribunaux arbitraux aient retenu une interprétation évolutive de l’expression ne suffi sait pas à lui donner un sens nouveau 51. La place de la jurisprudence dans l’interprétation d’un traité est d’ailleurs également minorée par le tribunal de l’affaire Caratube : ni élément de la « règle générale d’interprétation » de l’article 31, ni « mode complé-mentaire » au sens de l’article 32, les décisions arbitrales préalables ne sont prises en considération que dans la mesure où le tribunal a jugé qu’elles étaient suscep-tibles de jeter une lumière utile sur l’affaire 52.

vi) Dans l’affaire Electrabel, la Hongrie soutenait qu’un principe d’interpréta-tion harmonieuse des traités découlait de l’article 32 de la convention de Vienne, qui prévoit le recours à des moyens complémentaires d’interprétation lorsque l’in-terprétation d’un traité « conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable » 53. Présenterait un tel caractère une interprétation du traité sur la charte de l’énergie ayant pour effet de placer la Hongrie en situation d’infraction par rapport au droit de l’Union européenne 54. Tout en notant le caractère souhai-table de l’objectif, le tribunal a estimé qu’un « general principle of international law compelling the harmonious interpretation of different treaties » n’existait pas. Eu égard à l’implication particulière de l’UE et de ses États membres dans le traité sur la charte de l’énergie, le tribunal a néanmoins jugé que « the ECT should be interpreted, if possible, in harmony with EU law » 55 – en l’espèce, le tribunal n’a pas relevé d’incohérences entre les deux traités 56. À défaut d’un principe général d’interprétation harmonieuse, la solution laisse imaginer qu’un tel principe existe lorsque l’interprétation concerne des conventions « en réseau ». Au niveau de l’OMC,

48. CIRDI, Urbaser SA and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c. Argentine, n° ARB/07/26, décision sur la compétence, 19 décembre 2012, § 53.

49. Voy. aussi CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 264 où le tribunal se prononce, au vu des objectifs du TBI applicable et « within the limits set by the applicable treaty interprétation rules », en faveur d’une interprétation équilibrée qui prenne en compte le besoin de protection des investissements étrangers et les responsabilités de l’État dans des domaines autres.

50. CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, § 267.51. Id., §§ 267-268. Contra voy. l’opinion dissidente de Ch. N. Bower.52. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du

5 juin 2012, §§231-235. Sur le rôle de la jurisprudence, voy. infra E.53. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence,

le droit applicable et la responsabilité, §§ 4.82. La Commission européenne, dans son mémoire d’amicus curiae, estimait pour sa part que le principe reposait sur les principes coutumiers d’interprétation codifi és à l’article 31 (§ 4.144).

54. Id., § 4.83.55. Id., §§ 4.130 et s.56. Id., §§ 4.146 et s. Voy. infra III.

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il peut être déduit de la tendance du « juge » à minimiser les éventuelles contra-riétés entre accords commerciaux 57. En droit des investissements, il pourrait être invoqué au sujet des rapports entre les traités d’investissement et la convention de Washington sur le CIRDI 58, par exemple en ce qui concerne le point controversé de la défi nition de l’investissement.

vi) Enfi n l’arbitre dissident de l’affaire Mobil Investments a semblé déduire un « principe d’extrapolation » de l’arrêt de la Cour internationale de Justice dans l’affaire de l’Application de l’Accord Intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-Répu-blique yougoslave de Macédoine c. Grèce) 59. La majorité du tribunal arbitral ayant refusé d’examiner les conséquences éventuelles que son interprétation d’une mesure prise par le Canada aurait dans d’autres cas de fi gure 60, Ph. Sands a considéré à l’inverse que « [t]here is ample international authority to support the principle that it is indeed appropriate and useful to consider the ‘result’ of a particular interpreta-tion for the implementation of an international agreement more generally, including before the International Court of Justice » 61.

La prolifération de principes non explicitement reconnus par les articles 31 et suivants de la convention de Vienne montre que les techniques d’interprétation qu’elle fournit ne sont pas de nature à brider l’imagination des interprètes que sont les tribunaux arbitraux, sollicités en ce sens par les conseils des parties. Il n’y a là rien de propre au droit des investissements. De manière générale, la pratique de l’interprétation « fait fi » des « silences et lacunes » du traité des traités « pour inté-grer certains [principes] comme s’ils se trouvaient mentionnés dans l’article 31 » 62. Les affaires citées en portent témoignage.

2. Autres aspects du droit des traités

i) Non rétroactivité. Le principe de non rétroactivité des traités est rappelé occasionnellement par les tribunaux arbitraux, de manière plus ou moins exten-sive ; les discussions à son sujet demeurent limitées, dès lors que les parties n’en contestent pas l’existence, à plus forte raison lorsque le traité applicable en reprend textuellement la teneur 63.

ii) Traités prévoyant des droits pour les tiers. Dans le cadre de l’interprétation de la clause de règlement des différends entre État et investisseur de l’autre partie contenue dans le traité d’investissement entre le Royaume-Uni et l’Argentine, le tribunal de l’affaire ICS a insisté sur le fait que dans le contentieux transna-tional, l’investisseur requérant est un tiers par rapport aux deux États parties au traité – différence notable par rapport au contentieux interétatique fondé sur une clause conventionnelle réunissant le consentement des deux États. En prenant appui sur l’article 36, § 2, de la convention de Vienne qui prévoit que l’État tiers auquel un droit est reconnu « est tenu de respecter, pour l’exercice de ce droit, les

57. Voy. J. BURDA, « Les fonctions de la démarche interprétative dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce », RQDI, 2008, vol. 21.2, pp. 13 et s.

58. Voy. CIRDI, Urbaser SA and Consorcio de Aguas Bilbao Bizkaia, Bilbao Biskaia Ur Partzuergoa c. Argentine, n° ARB/07/26, décision sur la compétence, 19 décembre 2012, § 53, où la convention de Washington est qualifi ée de « convention mère ».

59. Arrêt du 5 décembre 2011, § 36.60. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4,

décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, § 342.61. Op. diss. jointe à la décision Mobil Investments, § 38.62. J.-M. SOREL, « Article 31 » op. cit. note 17, p. 1326.63. Voy. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections

à la compétence, 1er juin 2012, § 2.103 ; CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, § 58.

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conditions prévues dans le traité ou établies conformément à ses dispositions », le tribunal a déduit que l’investisseur ne pouvait moduler les termes de la clause de règlement des différends, même s’il estimait que certaines conditions procédurales étaient vaines : « the investment treaty presents a ‘take it or leave it’ situation » 64. Le rapporteur spécial de la CDI H. Waldock avait envisagé que le projet d’articles à l’origine de la convention de Vienne inclue une disposition sur l’application des traités aux tiers personnes privées. Faute de consensus au sein de la Commission, la proposition avait été retirée 65. Il est intéressant de constater que l’article 36, § 2, de la convention de Vienne étendu aux tiers non étatiques permet d’une certaine manière au tribunal de faire revivre la proposition qui prévoyait que

« [l]orsqu’un traité crée des obligations ou des droits qui doivent être remplis ou exercés par des personnes physiques, des personnes morales ou des groupements de personnes physiques, ces obligations ou ces droits sont applicables aux personnes physiques, personnes morales ou groupements en question, […]

« b) Par le truchement des procédures et organes internationaux institués à cet effet, le cas échéant, par le traité en question ou par tous autres traités ou instruments en vigueur ».

iii) Réserves. Le tribunal de l’affaire Mobil Investments a mis en évidence les enjeux considérables qui entourent l’article 1108 de l’ALENA sur les réserves susceptibles d’être émises par les États parties en matière d’investissement 66. Conformément à l’article 1128 du traité, les États-Unis d’Amérique et le Mexique, tiers au différend, avaient d’ailleurs présenté au tribunal des conclusions sur l’inter-prétation de la disposition 67. Parmi les problèmes soulevés, se posait la question de l’interprétation des réserves (actes unilatéraux), que les parties comme le tribunal ont spontanément résolue en appliquant les règles d’interprétation des traités de la convention de Vienne. Pour le tribunal,

« the reservations are an integral part of the NAFTA. The task of ascertaining the meaning of a reservation, like the task of interpreting any other treaty text, involves understanding the intention of the NAFTA Parties, and it is to be achieved by following the customary rules of interpretation of public international law, as refl ected in Articles 31 and 32 of the VCLT » 68.

L’application aux réserves des règles d’interprétation des traités n’a rien d’inédit 69. La CDI, dans les commentaires du Guide de la pratique des réserves aux traités, a toutefois estimé que

« si ces règles fournissent des indications utiles, elles ne peuvent pas être transpo-sées purement et simplement aux réserves et déclarations interprétatives du fait de leur nature particulière : on ne peut appliquer sans précaution à des instruments unilatéraux les règles applicables à des instruments conventionnels » 70.

64. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 270 et s.

65. Voy. Ann. CDI, 1964, II, pp. 45 et 184.66. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4,

décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, §§ 247 et s.67. Voy. infra III.68. Décision Mobil Investments, § 254.69. Voy. Cour interaméricaine des droits de l’homme, avis consultatif du 8 septembre 1983, OC-3/83,

Restrictions à la peine de mort (art. 4, 2) et 4, 4) de la Convention interaméricaine des droits de l’homme), § 62, p. 84, cité in Rapport de la CDI, 63e Session, A/66/10/Add.1, Supplément n° 10, p. 84, note 197.

70. Commentaire sous la directive 1.3.1, in Rapport de la CDI, 63e Session, A/66/10/Add.1, Supplément n° 10, p. 84, § 5 (it. dans le texte).

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Pour cette raison, la CDI a adopté une directive 4.2.6 spécifi quement consacrée à l’interprétation des réserves, laquelle dispose :

« Une réserve doit être interprétée de bonne foi, en tenant compte de l’intention de son auteur telle qu’elle est refl étée en priorité par le texte de la réserve, ainsi que de l’objet et du but du traité et des circonstances dans lesquelles la réserve a été formulée ».

À vrai dire, la méthode dégagée par le tribunal de l’affaire Mobil Investments qui insiste sur l’intention des États réservataires tout en renvoyant aux règles classiques d’interprétation de la convention de Vienne ne diverge pas de l’approche retenue par la CDI, même si le tribunal n’en avait visiblement pas connaissance.

B. Coutume

i) La question des rapports entre les traités et la coutume est l’une des plus classiques du droit international, qui n’échappe pas au champ de l’arbitrage trans-national en raison du pullulement des traités de protection des investissements. De lege ferenda, la répétition de clauses conventionnelles pourrait faire naître de nouvelles normes coutumières 71, ce malgré l’éconduite sur ce point de la Guinée par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Diallo 72. Une réponse compa-rable a été fournie par le tribunal de l’affaire Mobil Investments, où les parties se disputaient bien la question de savoir si le standard coutumier de traitement minimum des étrangers incluait à l’instar du standard conventionnel la protection des attentes légitimes des investisseurs 73. En l’occurrence, le tribunal a jugé que le traitement prévu à l’article 1105 de l’ALENA renvoyait au standard coutumier, lequel interdit les comportements arbitraires ou manifestement injustes ou discri-minatoires sans pour autant imposer à l’État de maintenir un environnement juridique et d’affaires stable pour les investissements 74. Si certains tribunaux estiment sans plus de précision qu’« avec le temps » le « niveau minimal coutumier a dû évoluer et se perfectionner » 75, le tribunal de l’affaire Mobil Investments a pour sa part considéré que

« [i]t is not the function of an arbitral tribunal established under NAFTA to legislate a new standard which is not refl ected in the existing rules of customary international law. The Tribunal has not been provided with any material to support the conclusion that the rules of customary international law require a legal and business environment to be maintained or set in concrete » 76.

De lege lata, les arbitres sont surtout confrontés à la question de l’« absorp-tion » 77 des normes coutumières de protection des étrangers par le droit conven-tionnel des investissements. La question de l’identité de contenu matériel des

71. Voy. O. DANIC, L’émergence d’un droit international des investissements. Contribution des traités bilatéraux d’investissement et de la jurisprudence du CIRDI, thèse (dir. : A. Pellet), Paris Ouest Nanterre La Défense, 2012, pp. 525 et s. Concernant le consentement à l’arbitrage, voy. M. AUDIT/ M. FORTEAU, Investment Arbitration without BIT : Toward a Foreign Investment Customary Based Arbitration ? », Journal of International Arbitration, 2012, n° 5, pp. 581-604.

72. CIJ, Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée contre République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt du 24 mai 2007, CIJ Rec. 2007, p. 615, § 90.

73. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum, 22 mai 2012, § 136.

74. Id. Cf. l’approche différente in CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 247-248.

75. Décision SAUR International, § 494.76. Décision Mobil Investment. § 153.77. Cf. D. CARREAU/ P. JUILLARD, Droit international économique, 5e édition, Précis Dalloz, Paris,

Dalloz, 2012, p. 440, n° 1171.

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standards conventionnels et des standards coutumiers (l’interprétation de ces derniers pouvant guider celle des premiers) revient en effet régulièrement devant les tribunaux arbitraux 78 – même si certains parviennent à contourner l’obstacle 79. Dans l’affaire Deutsche Bank, le tribunal a considéré que la différence des termes employés entre le « standard minimum de traitement » coutumier et le standard de « traitement juste et équitable » conventionnel était le signe de l’autonomie du second par rapport au premier 80. Il a aussitôt ajouté, néanmoins, que « the actual content of the Treaty standard of fair and equitable treatment is not materially different from the content of the minimum standard of treatment in customary inter-national law, as recognised by numerous arbitral tribunals and commentators » 81. Dans le même sens, les arbitres de l’affaire SAUR ont vu dans la distinction « une discussion plutôt dogmatique et conceptualiste » 82, sans doute parce que le recours à la notion d’attentes légitimes des investisseurs – généralement au cœur de la distinction 83 – était sans objet dans le présent litige 84.

ii) Dans un autre registre, le tribunal de l’affaire Burlington s’est référé aux limites coutumières qui bornent le pouvoir fi scal souverain de l’État, selon lesquelles l’impôt ne doit être ni discriminatoire ni confi scatoire 85. La coutume est ici appelée à titre interprétatif, en tant que pourvoyeuse de « règles pertinentes de droit international applicable dans les relations entre les parties » au sens de l’article 31 de la convention de Vienne, alors que le traité applicable demeurait silencieux sur les liens entre taxation et expropriation 86. Toutefois, la preuve par le tribunal de l’existence de la règle coutumière a reposé avant tout sur des sources de « seconde main » (références doctrinales confi rmées par la jurisprudence arbi-trale). S’agissant de normes coutumières fermement établies (mais est-ce le cas en l’espèce ?), on ne s’attend pas à ce que le tribunal déroule la méthodologie fi xée par la Cour internationale de Justice dans l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord (recherche d’une pratique généralisée et d’une opinio juris), qui correspond, au reste, « à une formalisation largement artifi cielle du processus coutumier tel qu’il est constaté ou parfois recréé par le juge » 87. Il n’en demeure pas moins que la motivation de la décision Burlington paraît quelque peu expéditive sur ce point.

78. Voy. O. DANIC, op. cit. note 71, pp. 547-548.79. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c.

Argentine, n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, § 999 (« The Tribunal need not decide whether Article 3 establishes an autonomous and independent standard of fairness or simply coincides with customary international minimum standard. In either event, failure to abide by express commitments without re-estab-lishing economic balance in a reasonable period of time constitutes inequitable conduct »).

80. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 418.81. Id., § 419.82. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la

responsabilité, 6 juin 2012, § 491.83. Voy. O. DANIC, op. cit. note 71, pp. 572 et s.84. Décision SAUR International, § 498.85. CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité,

14 décembre 2012, §§ 392 et s. Concernant les droits souverains de l’État, voy. Décision SAUR Interna-tional, § 398 (droit coutumier de l’État d’exercer ses pouvoirs de police de manière légitime) ; Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, § 179 et s. (pouvoir discrétionnaire important de l’État en matière fi scale de sorte que l’on doit présumer que ses mesures sont bien des mesures fi scales et non des saisies ; limitation de ce pouvoir par l’interdiction de l’expropriation, sous peine de remettre en cause l’effectivité du droit international) ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 223-224 (droit de l’État de modifi er le cadre juridique et l’environnement des affaires) ; CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, § 242 et s. (droit de l’État de modifi er sa législation) ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 100 et s. (droit souverain de l’État de réguler son économie dans le respect de ses engagements internationaux).

86. Décision Burlington, § 392.87. P.-M. DUPUY/ Y. KERBRAT, Droit international public, Précis Dalloz, Paris, Dalloz, 2012, p. 371,

n° 329.

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C. Principes généraux de/du droit

Les arbitres cèdent sans cesse à la « tentation du principe ». Pêle-mêle, les tribunaux arbitraux ont eu recours en 2012, en sus des principes d’interprétation évoqués supra, aux principes : res judicata 88, jura novit curia 89, actori incumbat probatio 90, nemo auditur propriam turpitudinem allegans 91, compétence-compé-tence 92 (principe par ailleurs codifi é à l’article 41 de la convention de Washington) 93, principe d’équité de la procédure 94, de bonne foi 95, de proportionnalité 96 etc., sans même insister sur les standards substantiels de droit des investissements aussi qualifi és parfois de « principes » 97.

88. CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 277.

89. Sentence Bosh, § 30 ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012 , § 141.

90. Sentence Oostergetel, § 147.91. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company

c. Équateur, n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 545-546, 657.92. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,

décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 63 ; CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 255 – on notera avec intérêt les développements consacrés à l’étendue variable des pouvoirs inhérents d’un tribunal arbitral selon les questions traitées : pouvoir discrétionnaire très large pour les questions de procédure ; pouvoir limité au principe compétence-compétence pour les questions de compétence ; entre ces deux extrêmes, le tribunal dispose d’une marge de pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation des conditions de recevabilité d’une requête, §§ 253 et s. Concernant les pouvoirs inhérents des tribu-naux arbitraux, voy. CPA (CNUDCI), Philip Morris Asia Limited c. Australie, n° 2012-12, 30 novembre 2012, ordonnance procédurale n° 5, § 5 (pouvoir de se prononcer sur la confi dentialité de la procédure) ; CPA (CNUDCI), William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel Clayton and Bilcon of Delaware Inc. c. Canada, aff. n° 2009-04, ordonnance procédurale du 2 mai 2012, § 19 (déter-mination des standards relatifs aux « privilege claims ») ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, §§ 64, 67 (préservation de la procédure une fois la compétence établie) ; CIRDI, Abaclat e.a. c. Argentine, n° ARB/07/5, ordonnance n° 12 du 7 juillet 2012 (détermination de la procédure à suivre afi n de vérifi er que les 6 000 demandeurs restant entrent bien dans le champ de la compétence ratione personae du tribunal telle qu’elle a été défi nie dans la décision sur la compétence et la recevabilité) ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012 , §§ 27-28 (consolidation de deux affaires par « judicial economy ») ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, § 206 et s. (pouvoir d’ordonner la production de documents) ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 108-110 et CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 30, 97, 137-138 (pouvoir de prendre en considération des arguments tardifs) ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 267 et s. (audition de témoins) ; CIRDI, Flughafen Zürich AG and Gestión e Ingenería IDC SA c. Venezuela, n° ARB/10/19, décision sur la disqualifi cation d’un expert et l’exclusion de preuves, 29 août 2012 (pouvoir d’appréciation de la recevabilité des preuves). S’agissant des pouvoirs inhérents des comités ad hoc, voy. Comité ad hoc CIRDI, Libananco Holdings Co. Ltd c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, décision sur la requête du demandeur concernant la prolongation de la suspension de l’exécution de la sentence, 7 mai 2012, §§ 43 et s., 55 ; Comité ad hoc CIRDI, Commerce Group Corp. and San Sebastian Gold Mines, Inc. c. El Salvador, n° ARB/09/17, décision sur la demande d’El Salvador sur la sécurisation des coûts, 20 septembre 2012, § 45.

93. Voy. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, § 5.30 ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, § 309.

94. Sentence Bosh, § 139.95. Sentence Oostergetel, § 227.96. Sentence Occidental Petroleum, §§ 402 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Libananco Holdings Co.

Ltd c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, décision sur la requête du demandeur concernant la prolongation de la suspension de l’exécution de la sentence, 7 mai 2012, § 61.

97. Cf. R. DOLZER/ Ch. SCHREUER, Principles of International Investment Law, 2nd Ed., Oxford, Oxford UP, 2012, 456 p.

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Rares sont les décisions arbitrales qui s’embarrassent d’explications détaillées sur la source du principe 98. Par exemple, la sentence Bosh, s’agissant des prin-cipes res judicata et jura novit curia, se contente d’un renvoi en note de bas de page vers l’ouvrage de Bin Cheng General Principles of Law as Applied by Inter-national Courts and Tribunals. Dans la sentence Ooestergetel, l’on apprend que c’est en vertu du droit du siège de l’arbitrage, le droit suisse, que le principe jura novit curia a eu vocation à s’appliquer 99. De fait, les deux décisions renseignent moins sur les origines du principe que sur ses effets : le principe jura novit curia autorise le tribunal arbitral à prendre en compte des éléments de droit qui n’ont pas été invoqués par les parties 100, ou qui l’ont été hors délais 101. Si dans l’affaire Ooestergetel, il a permis au tribunal de pallier a minima la piètre qualité de l’argu-mentation du requérant, force est de constater que certains tribunaux n’en font pas application. Ainsi le tribunal de l’affaire H&H a-t-il considéré qu’il revenait à la partie invoquant une règle de droit – en l’occurrence l’existence d’une règle de prescription 102 – d’en apporter la preuve 103. Au regard du principe jura novit curia, la solution est erronée : le droit, contrairement aux faits, est censé être connu des arbitres 104.

Lorsqu’un principe juridique repose au cœur de la décision arbitrale, à plus forte raison quand le montant de la réparation accordée in fi ne avoisine les deux milliards de dollars, les efforts de motivation sont plus prononcés. Ainsi s’ex-pliquent les passages de la sentence Occidental Petroleum sur le principe de proportionnalité qui précèdent la conclusion du tribunal selon laquelle le compor-

98. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, pp. 541 et s.99. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril

2012, § 141.100. Id., 177.101. CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff.

n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 30.102. Concernant les questions de prescription extinctive de l’action, voy. aussi CIRDI, SGS Société

générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012, § 166 (absence dans le TBI de limitation dans le temps du droit d’action) ; CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 201 et s., 215 et s., 327 (arguments des parties non examinés en raison de l’incompétence du tribunal).

103. CIRDI, H&H Enterprises Investments, Inc. c. Égypte, aff. n° ARB 09/15, décision sur les objections à la compétence, 5 juin 2012, § 87. Parmi les décisions de 2012 abordant des questions de preuve, voy. CIRDI, SGS Société générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012, §§ 79 et s. (le requérant doit prouver les éléments alimentant sa requête, le défendeur ceux relatifs à sa défense ; et dans le même sens : CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 33 et s. ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 268 et s.) ; CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom) c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, § 280 (en l’absence de présomption de consentement étatique au juge, il revient au demandeur de prouver le consentement de l’État défendeur à l’arbitrage) ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 2.2 (application aux deux parties du « higher standard of proof » dès le stade préliminaire ; le demandeur doit prouver les faits néces-saires à l’établissement de la compétence, le défendeur doit prouver le bien-fondé de ses objections) ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 363 et s., 407 (absence de présomption du contrôle étranger dans le contexte des traités d’investissement) ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 295 et s. (absence de présomption de corruption générale de l’État) ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, §§ 65 et s. (admissibilité de la preuve émanant de procédures pénales internes) ; CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 327 (expertise en tant que moyen de preuve) ; CPA (CNUDCI), William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel Clayton and Bilcon of Delaware Inc. c. Canada, aff. n° 2009-04, ordonnances procédurales de 2012 relatives à la protection de certains documents confi dentiels.

104. Cf. CIJ, Compétence en matière de pêcheries, arrêt du 24 juillet 1974, CIJ Rec. 1974, p. 9, § 17 : « le droit ressortit au domaine de la connaissance judiciaire de la Cour ».

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tement de la société américaine n’ayant pas causé de dommage à l’Équateur, la résiliation du contrat pétrolier par ce dernier constituait une sanction dispro-portionnée, à l’origine d’une violation du traité d’investissement 105. Après avoir constaté que le principe de proportionnalité était reconnu par la constitution équatorienne 106, la sentence mobilise diverses sources pour établir la positivité de la norme dans le contexte international : jurisprudence de groupes spéciaux de l’OMC (sans référence correspondante), droits nationaux, en premier lieu ceux des États européens (« It is very well-established law in a number of European countries that there is a principle of proportionality which requires that admi-nistrative measures must not be any more drastic than is necessary for achieving the desired end ») 107, jurisprudence des cours européennes de Luxembourg et de Strasbourg 108, jurisprudence du CIRDI 109. Si la référence aux droits étatiques, voire à la jurisprudence européenne, paraît montrer que le tribunal puise à la source des « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » au sens de l’article 38 du statut de la CIJ, les autres éléments de l’argumentation attestent plutôt que le principe a été digéré par le droit international économique. Partant, le principe aurait acquis valeur coutumière, ce qui témoigne des passe-relles entre principes généraux de droit international, par nature transitoires 110, et principes généraux du droit international.

D. Actes unilatéraux

Le consentement de l’État à l’arbitrage CIRDI est susceptible de résider dans les dispositions d’une loi nationale 111, ce qui soulève des problèmes d’interpréta-tion déjà évoqués dans cette chronique 112. Les décisions arbitrales de l’année 2012 s’inscrivent dans ce débat sur le « dédoublement fonctionnel » de la loi nationale, à la fois acte de droit interne et acte unilatéral au regard de l’ordre international.

Pour le tribunal de l’affaire Brandes, la disposition sur le règlement des diffé-rends contenue dans la loi vénézuélienne sur les investissements devait être inter-prétée en fonction du droit national concerné. Pour autant, dès lors que le résultat de cette interprétation aurait des effets directs sur la compétence du tribunal CIRDI au sens de l’article 25 de la convention de Washington, « the conclusions resulting from that initial analysis must be read in accordance with the principles of international law » 113. Par la suite, le tribunal a écarté l’analyse grammaticale du texte, jugée vaine tant sa formulation est confuse, pour se concentrer sur le contexte, les circonstances et le but de la disposition, sans toutefois préciser s’il l’a

105. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 442 et s. (Comm. S. MANCIAUX, chronique précitée note 4, pp. 546 et s.).

106. Id., §§ 396 et s.107. Id., § 403.108. Ibid.109. Id., §§ 404 et s.110. D. CARREAU/ F. MARRELLA, Droit international public, 11e éd., Paris, Pedone, 2012, p. 345.111. S’agissant du code guinéen des investissements, voy. CIRDI, Getma International e.a. c. Guinée,

n° ARB/11/29, décision sur la compétence, 29 décembre 2012, spéc. § 108, où le tribunal, visiblement inspiré par la distinction treaty claims/contract claims devenue classique en droit des investissements, estime que la clause compromissoire incluse dans le contrat et qui réserve le contentieux contractuel à un tribunal OHADA n’empêche pas un tribunal CIRDI de connaître des réclamations fondées sur le code des investissements.

112. Voy. cet Annuaire, 2010, pp. 618-620 ; 2011, p. 544.113. CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai

2012, § 36 (voy. aussi § 81).

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fait en appliquant les méthodes d’interprétation vénézuéliennes ou internationales – sans doute parce qu’elles coïncident.

Tout autre est la position du tribunal de l’affaire Pac Rim Cayman. S’alignant sur les décisions rendues dans les affaires Mobil et Cemex qui avaient, non sans artifi ce, fait abstraction totale de l’instrumentum législatif 114, les arbitres ont consi-déré que la loi par laquelle un État consent à la compétence du CIRDI doit être considérée comme offre permanente d’arbitrage « under the ICSID Convention and interpreted according to the ICSID Convention and under the rules of inter-national law governing unilateral declarations of States » 115. Contrairement aux actes unilatéraux formulés par les États dans l’exercice de leur liberté d’agir au niveau international 116 qui doivent faire, selon la CIJ, l’objet d’une interprétation restrictive, les déclarations formulées dans le cadre d’un traité

« must be interpreted as they stand, having regard to the words actually used and taking into account ‘the intention of the government at the time it made the decla-ration’. Such intention can be inferred from the text, but also from the context, the circumstances of its preparation and the purposes intended to be served by the declaration. In doing so, the relevant words should be interpreted in a natural and reasonable way » 117.

En présence d’une disposition claire et sans ambiguïté, dont le sens était confi rmé par le contexte, les circonstances d’élaboration et l’objectif poursuivi eu égard à la convention de Washington, le tribunal a considéré que le consentement à l’arbitrage était établi 118.

E. Jurisprudence

1. Jurisprudence et valeur du précédent

Le débat sur la valeur du précédent dans l’arbitrage en matière d’investis-sement est une question désormais classique qui agite non pas seulement la doctrine 119 mais fait également débat parmi les arbitres eux-mêmes 120. Si, de fait, la référence aux décisions arbitrales antérieures est toujours abondante – en partie parce qu’elles irriguent systématiquement les arguments présentés par les parties aux litiges « either to conclude that the same solution should be adopted […], or in an effort to explain why t[he] Tribunal should depart from that solution » 121 – certains antagonismes sont nés au sein du corps arbitral, qui font parfois l’objet d’une formulation à part entière dans leur décision.

La position restrictive a été défendue par Brigitte Stern dans plusieurs arbi-trages, qui considère qu’il est du devoir de l’arbitre de « to decide each case on its

114. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 618-620.115. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la

compétence, 1er juin 2012, § 5.33.116. Cf. CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles

de créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176.117. Décision Pac Rim Cayman, § 5.35.118. Id., §§ 5.37 et s.119. Voy. dernièrement I. M. TEN CATE, « The Costs of Consistency : Precedent in Investment Treaty

Arbitration », Colum. J. Transn’l L., 2013, vol 51., pp. 418 et s.120. Voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s. ; 2010, pp. 628 et s. ; 2011, pp. 544

et s.121. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2,

décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 45.

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own merits, independently of any jurisprudential trend » 122. En d’autres termes, aucun objectif de cohérence jurisprudentielle ne doit infl uencer l’arbitre dans sa mission de résoudre le différend qui lui est soumis. Il n’en demeure pas moins que les tribunaux d’investissement « d[o] not adjudicate in a vacuum » 123 : les décisions arbitrales préalables, sans être « decisive » 124, peuvent être prises en considération dans la mesure où elles fournissent un éclairage utile sur les questions à examiner (« shed any [useful] light on the issues that arise for decision » 125), quitte à insister sur l’importance qu’il y a à prendre en compte la différence de contextes entre les cas antérieurs et celui de l’espèce 126.

Certains tribunaux arbitraux retiennent une conception diffi cilement conci-liable avec cette approche. Sans pour autant consacrer la « règle du précédent » 127, ils estiment devoir tenir compte des décisions antérieures et ne pas prendre des distances « from an existing series of consistent decisions save for compelling reasons » 128. À cet égard, la sentence Daimler distingue trois facteurs devant être pris en considération : le degré de similitude des affaires ; la mesure dans laquelle « a clear jurisprudence constante has emerged in respect of a particular legal issue » ; et « the Tribunal’s independent estimation of the persuasivenesss of prior tribunals’ reasoning » 129. Mettant en application ces critères au sujet du droit d’action des détenteurs de parts sociales, le tribunal n’a trouvé aucune raison, ni dans le traité applicable, ni dans le droit international général, de se départir « from the overwhelming jurisprudence constante that has emerged around this legal ques-tion » 130. En revanche, sur la question de l’application de la clause de la nation la plus favorisée aux clauses de règlement des différends, il n’a pu que constater le désordre jurisprudentiel 131, contre lequel la CDI a d’ailleurs entrepris de lutter

122. Id. , § 46 ; CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsa-bilité, 14 décembre 2012, § 187. L’arbitre semble s’être appliqué la règle dans les affaires AES Summit et Electrabel, les deux tribunaux arbitraux au sein desquels elle siégeait ayant donné des solutions différentes sur la question de l’application du droit de l’Union européenne (voy. infra III, B.). Voy. aussi l’opinion indivi-duelle de l’arbitre D. Bello Janeiro jointe à la sentence Daimler, dans laquelle il explique son changement de position, par rapport à la sentence Siemens, concernant l’extension de la clause de la nation la plus favorisée aux procédures de règlement des différends.

123. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine, n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, § 167.

124. CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai 2012, § 31.

125. CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, § 235 ; sentence Brandes, § 31. Cf. supra A, la place de la jurisprudence en matière d’inter-prétation des traités.

126. Sentence Caratube, § 359 (différence de contexte entre la notion d’investissement aux fi ns d’éta-blir si le requérant est un ressortissant de l’autre État partie au sens du TBI, et la notion d’investissement aux fi ns d’établir la compétence matérielle du tribunal CIRDI conformément à l’article 25 de la convention de Washington) ; CIRDI, ConocoPhillips Company et al. c. Venezuela, aff. n° ARB/07/30, décision sur la demande de récusation de l’arbitre Yves Fortier, 27 février 2012, § 53 (contexte différent de la jurispru-dence nationale et internationale invoquée relativement à l’indépendance et l’impartialité des juges et des arbitres).

127. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 46 (« The Tribunal considers that it is not bound by previous decisions ») ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, § 52 (« there is no system of precedent in investor-State arbitration, nor indeed could there be, given the large and diverse set of treaties presently applicable to various investor-State claims »).

128. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité, 30 novembre 2012, § 4.15. Voy. aussi CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 210 ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 145.

129. Sentence Daimler, § 52.130. Id., § 91. Voy. aussi §§ 141 et s.131. Sentence Daimler, § 268. Voy. à cet égard la taxinomie réalisée par la CNUCED sur le traitement

de la nation la plus favorisée, citée in CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses

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à travers les travaux d’un groupe d’étude dont l’ambition est de « contribuer à accroître la sécurité et la stabilité du droit des investissements » 132.

Cette seconde conception est le signe d’une approche systémique assumée qui semble faire de chaque tribunal arbitral l’agent de la « communauté des États et des investisseurs » dont les attentes légitimes en matière de sécurité juridique devraient conduire les arbitres à contribuer au développement harmonieux du droit des investissements et à promouvoir « a predictable legal order » en suivant les solutions antérieures 133. Dans cette perspective, le tribunal de l’affaire Burlington a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’opérer une distinction entre les déterminations principales et les obiter dicta : « Whether peripheral or central to the decision, the statements of an international investment tribunal may provide guidance to inves-tors and host States alike, and may serve to predict the decisions of future tribu-nals » 134. Le même tribunal n’a pas non plus été dérangé par l’absence de « series of consistent cases » sur une question donnée, dès lors que « the majority of the ICSID case law » venait au soutien de sa solution 135.

Tous les tribunaux arbitraux n’affi chent pas la couleur de manière aussi expli-cite, mais la trace plus ou moins marquée de l’une de ces deux positions se retrouve assez aisément dans les décisions rendues. La seconde approche est par exemple celle qui est implicitement retenue par le tribunal de l’affaire Clayton qui, prenant acte de l’accord des parties sur l’existence d’une « evolving jurisprudence constante by prior NAFTA tribunals » en matière de production de documents sensibles, a passé en revue les décisions antérieures dont il a déduit les conditions auxquelles un document détenu par une partie pouvait faire l’objet d’une protection 136. Inver-sement, la conception restrictive se manifeste lorsque les arbitres s’interdisent de faire des obiter dicta afi n de ne pas infl uencer des décisions futures, moins par économie de moyens 137 que pour prévenir les confl its d’intérêts, si l’on en croit la sentence Standard Chartered Bank 138.

Urbanos del Sur SA c. Argentine, n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, §§ 168 et s. Voy. aussi, au sujet des clauses parapluie CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 248.

132. Rapport de la CDI, 2012, A/67/10, p. 130, § 246.133. CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité,

14 décembre 2012, §§ 187 et 221. Dans le même sens, voy. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 46 ; CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, § 897 ; sur l’idée d’un « ordre juridique international des investissements », discutable eu égard à son absence d’autonomie à l’égard de l’ordre juridique inter-national, voy. O. DANIC, op. cit. note 71, pp. 923 et s.

134. Décision Burlington, § 221.135. Id., § 233.136. CPA (CNUDCI), William Ralph Clayton, William Richard Clayton, Douglas Clayton, Daniel

Clayton and Bilcon of Delaware Inc. c. Canada, n° 2009-04, 11 juillet 2012, ordonnance n° 13, §§ 22 et s. Opérant aussi un passage en revue détaillé des précédents relatifs à la distinction entre les comportements contractuels ordinaires et les actes de puissance publique, sans craindre de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, voy. CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Para-guay, n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité, 9 octobre 2012, 254 et s. Voy. infra, II, A.

137. Parmi les rares sentences pratiquant l’économie de moyens, voy. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, spéc. § 259. À l’opposé de cette conception, la « courtoisie » envers les parties – ou peut-être l’envie dissimulée de faire jurispru-dence, voire le seul plaisir du droit – conduit de nombreux tribunaux à examiner des questions superfé-tatoires pour la résolution du différend. Voy. notamment CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 2.1, 3.44 ; CNUDCI, Carl A. Sax e.a. c. Ville de Saint-Pétersbourg, sentence fi nale du 30 mars 2012, § 776 ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, 30 novembre 2012, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsa-bilité, §§ 4.172 et s., 7.58 et s.

138. CIRDI, Standard Chartered Bank c. Tanzanie, n° ARB/10/12, sentence du 2 novembre 2012, § 274 (« Gratuitous resolution of unnecessary issues might present an appearance of impropriety, suggesting

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622 ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL

Bien souvent toutefois, la question des précédents relève d’une approche purement casuistique. Dans l’affaire Kilic, non seulement les précédents invoqués concernant l’interprétation d’une clause conventionnelle n’étaient qu’au nombre de deux, mais le tribunal a encore considéré qu’ils n’étaient pas suffi samment convaincants 139. Un précédent unique mais suffi samment convaincant aux yeux du tribunal sera néanmoins dûment pris en considération 140.

2. Jurisprudence et hiérarchie juridictionnelle

Dans les systèmes de droit interne, la cohérence de la jurisprudence repose sur l’existence de juridictions suprêmes dont la position hiérarchique assure l’autorité des solutions qu’elles dégagent. En matière d’arbitrage transnational, un succé-dané d’organisation juridictionnelle hiérarchisée pourrait résider dans le système d’annulation des sentences arbitrales prévu par la convention de Washington. La limitation des cas d’ouverture par l’article 52 de la convention tout comme la pratique généralement autorestrictive des comités ad hoc 141 ne permettent pas d’assurer l’unité jurisprudentielle au sein de l’arbitrage CIRDI. Le poids supérieur des décisions rendues par les comités d’annulation a toutefois été reconnu dans l’affaire Burlington. Au requérant qui argumentait que « [a]d hoc committees are not inherently superior to [a]rbitral [t]ribunals, whether in their composition or in their entitlement to create jurisprudence » pour privilégier la solution donnée par un tribunal CIRDI plutôt que celle du comité ad hoc qui avait annulé la sentence, les arbitres ont rétorqué que « one cannot disregard that the ICSID Convention entrusts ad hoc committees with the power to annul awards » et que le comité en question avait annulé la sentence sur le point précisément invoqué par le requérant 142.

3. Jurisprudence de la Cour internationale de Justice

Même s’il n’y a aucun lien hiérarchique subordonnant à la Cour internationale de Justice les tribunaux transnationaux, force est de constater que sa jurisprudence est couramment exploitée pour trancher les litiges en matière d’investissement. La présence assez fréquente parmi ces instances d’anciens membres de la Cour (plus rarement de juges en activité) ou de professeurs de droit international constitue à cet égard un facteur sociologique non négligeable permettant d’expliquer cette infl uence 143. Surtout, la Cour a tranché avec l’autorité morale qui s’attache à ses décisions nombre de questions substantielles mais surtout procédurales qui se

(rightly or wrongly) that members of a tribunal succumbed to the temptation of making needless decisions simply to create dictum persuasive in other cases in which they have a role »).

139. CIRDI, Kılıç İnşaat İthalat İhracat Sanayi ve Ticaret Anonim Şirketi c. Turkménistan, aff. n° ARB/10/1, décision sur l’article VII.2 du traité bilatéral d’investissement Turquie-Turkménistan, 7 mai 2012, §§ 9.9 et s. Voy. aussi CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 3.39 et s.

140. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 288 et s. au sujet des critères à appliquer pour déterminer l’existence d’un lien territorial entre l’investissement fi nancier et l’État défendeur (application du « précédent » de l’affaire Abaclat).

141. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 725-726 ; 2011, pp. 594-595. En 2012, voy. Comité ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President Allende Foundation c. Chili, n° ARB/98/2, 18 décembre 2012, spéc. §§ 129, 148, 172

142. CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité, 14 décembre 2012, § 230.

143. Parmi les anciens juges ayant siégé dans des tribunaux ayant rendu des décisions rendues en 2012, on relève ainsi la présence de Th. Buergenthal (aff. Teinver), G. Guillaume (aff. Goetz, Swisslion), S. Schwebel (aff. Toto Costruzioni), B. Simma (aff. Clayton). Parmi les professeurs de droit international, on notera la présence de P.-M. Dupuy (aff. Daimler, ICS Inspection), H. van Houtte (aff. Mobil Invest-ments, Toto Costruzioni, Getma), D. McRae (aff. Bosh, Clayton, Bureau Veritas), Ph. Sands (aff. Mobil

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posent aussi de manière classique ou renouvelée dans le contentieux en matière d’investissement.

La transposition de la jurisprudence interétatique au contentieux transnational intervient sans diffi culté majeure dans de nombreux cas, par exemple lorsqu’il s’agit de défi nir le différend 144, d’identifi er la date de sa « cristallisation » 145, de dispenser le demandeur de notifi er formellement à la partie adverse qu’il entend mener des négociations sur le fondement d’un traité identifi é 146, de vérifi er que les négociations entamées 147 et le litige soumis aux juridictions internes 148 portaient sur le même objet que le différend soumis au tribunal, de dispenser le demandeur d’introduire une nouvelle requête dès lors que la condition de délai, non respectée au moment de la requête initiale, l’est par la suite 149, d’apprécier la compétence du tribunal à la date de l’introduction de la requête 150 etc.

La référence s’impose d’elle-même lorsque les textes applicables (convention de Washington ou règlement d’arbitrage du CIRDI) sont directement inspirés des textes régissant la Cour : ainsi la jurisprudence de la CIJ a-t-elle été mobilisée pour rappeler le caractère obligatoire et les conditions d’indication des mesures conservatoires 151 ; ou encore pour établir le critère de connexité directe qui condi-tionne la recevabilité d’une demande reconventionnelle 152 – on notera en passant que les sentences Goetz et Inmaris sont parmi les très rares décisions arbitrales transnationales à admettre ce type de demande 153, même si sur le fond elles n’ont pas prospéré 154. Les tribunaux arbitraux transnationaux ont même façonné une jurisprudence quelque peu chaotique à partir de l’opinion individuelle du juge R. Higgins jointe à l’arrêt de la CIJ du 12 décembre 1996 dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (« Higgins Test » ou « Platform Test ») 155 en vertu de laquelle un tribunal retiendra sa compétence au stade préliminaire si les faits invoqués sont prima facie de nature à constituer une violation du traité invoqué 156.

Investments, Bosh, Kılıç), B. Stern (aff. Brandes, Pac Rim Cayman, Burlington, Electrabel, Occidental Petroleum, Quiborax, Ulysseas), Ch. Tomuschat (aff. SAUR International) etc.

144. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argen-tine, n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, § 110 (référence à l’arrêt Concessions Mavrommatis en Palestine).

145. Id., § 119 (référence aux arrêts Concessions Mavrommatis en Palestine, Sud-Ouest africain, Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002)).

146. Id., § 115 (référence aux affaires Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci et Application de la convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale).

147. Id., § 123 (référence à l’affaire de l’Application de la convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale).

148. Id., §§ 132-133 (référence à l’arrêt ELSI).149. Id., § 135 (référence aux affaires sur l’Application de la convention pour la prévention et la

répression du crime de génocide).150. Id., § 255 (référence aux affaire du Mandat d’arrêt et Lockerbie).151. CIRDI, Tethyan Copper Company Pty Ltd c. Pakistan, n° ARB/12/1, décision sur les mesures

conservatoires, 13 décembre 2012, §§ 119-120. Sur cette question, voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 712 et s. ; 2011, pp. 582-583. En 2012, voy. aussi Comité ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President Allende Foundation c. Chili, n° ARB/98/2, 18 décembre 2012 (absence de contradiction entre la décision sur les mesures conservatoires et la sentence du tribunal) ; Comité ad hoc CIRDI, Libananco Holdings Co. Ltd c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, décision la demande de mesures conservatoires, 7 mai 2012, §§ 15 et s.

152. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, §§ 267 et s.

153. Sur cette question, voy. W. BEN HAMIDA, « Les demandes reconventionnelles », Cahiers de l’arbi-trage, 2012, p. 893 et cette chronique in cet Annuaire, 2011, pp. 584-585.

154. Sentence Goetz, § 287 ; CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, § 432. Voy. aussi CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, n° ARB/06/11, 5 octobre 2012, §§ 297 et s.

155. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 707 et s. ; 2011, p. 565 et s.156. En 2012, sur cette question, voy. CPA (CNUDCI), Chevron Corp. and Texaco Petroleum Corp.

c. Équateur, aff. n° 2009-23, Troisième sentence intérimaire (compétence et recevabilité), 27 février 2012,

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Alors qu’il a été souvent reproché aux tribunaux d’investissement de négliger les droits de l’État souverain au profi t de ceux des investisseurs étrangers, la diffusion dans l’arbitrage transnational de la jurisprudence de la Cour, laquelle se caractérise par une déférence doucement conservatrice à l’égard de ses souverains usagers, est de nature à opérer un certain rééquilibrage en faveur des États 157. Ainsi peut être interprétée la sentence Daimler sur la question controversée du champ d’application de la clause de la nation la plus favorisée 158. Comme le membre français de la CDI l’a clairement expliqué, deux tendances jurisprudentielles coexistent en la matière :

« l’une insiste sur l’aspect ‘traitement’ (deux États accordent à leurs nationaux respectifs un traitement privilégié) pour fonder plus facilement l’application de la clause NPF à la clause de règlement des différends ; l’autre insiste sur l’aspect ‘règlement des différends’ (la clause de règlement des différends constitue le fonde-ment du consentement de l’État à l’arbitrage) en mettant en avant la nécessité de respecter le principe du consentement de l’État à l’arbitrage » 159.

L’approche ostensiblement « publiciste » 160 (aspect « règlement des différends ») retenue par la sentence Daimler se manifeste à travers la place importante réservée aux arrêts de la Cour mondiale dans la motivation déployée. La sentence insiste en particulier sur la jurisprudence de la Cour relative à l’existence nécessaire et non présumée d’un consentement de l’État pour que les différends le concernant soient soumis à un tribunal international 161. Plus loin, elle prend appui sur l’affaire de l’Application de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimina-tion raciale (Géorgie c. Russie) pour considérer que la stipulation conventionnelle imposant un délai de 18 mois de litige devant les juridictions nationales ne peut être traitée comme une simple question procédurale ou de recevabilité, mais qu’elle

§§ 4.3 et s. (critère de l’affaire « décemment plaidable » plutôt que celui de la balance des probabilités ; preuve défi nitive des faits relatifs à la compétence qui ne seront pas abordés au fond) ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 54 (recherche de l’équilibre entre un standard qui aboutirait à examiner les questions de fond dès le stade de la compétence et un standard qui conférerait un poids excessif à la qualifi cation opérée par le demandeur) ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 135, 150, 137 (distinction entre le caractère défi nitif des conclusions sur la compétence et le caractère préliminaire des conclusions sur la violation prima facie du traité ; rejet, au stade du fond, d’un argument sur la compétence) ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, §§ 2.5 et s. (le standard prima facie, ne porte pas sur l’existence des faits, qui doivent être prouvés dès le stade de la compétence, mais revient à « tester » le fond de l’affaire au stade préliminaire). Sur la distinction entre la compétence et le fond, voy. aussi CIRDI, H&H Enterprises Investments, Inc. c. Égypte, aff. n° ARB 09/15, décision sur les objections à la compétence, 5 juin 2012, § 87 et CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Paraguay, n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité, 9 octobre 2012, passim (décision supplémentaire sur des questions préliminaires alors que le fond est largement entamé ; voy. comm. S. MANCIAUX in JDI, 2013, n° 2, pp. 526 et s.). À noter que l’opinion de R. Higgins a fait l’objet d’une référence sur une autre question (le traitement juste et équitable envers les ressortissants et les sociétés, et les mesures déraisonnables et discriminatoires) , in CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 246.

157. Sur le rééquilibrage du droit international des investissements, voy. O. DANIC, op. cit. note 71, pp. 805 et s. Insistant sur l’équilibre des intérêts État-investisseur voy. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 264.

158. Sur cette question, voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 710 et s. ; 2011, pp. 573 et s.159. Résumé du document de travail présenté par M. Forteau sur l’effet de la nature mixte de

l’arbitrage en matière d’investissements sur l’application de la clause de la nation la plus favorisée aux dispositions procédurales, in Rapport de la CDI, 2012, A/67/10, p. 133, § 256.

160. Id.161. Sentence Daimler, §§ 174 et s. (référence aux arrêts des affaires Statut de la Carélie orientale,

Ambatielos, Or monétaire pris à Rome en 1943, Droits des minorités en Haute-Silésie polonaise, Lotus, Timor oriental etc.).

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constitue une pré-condition conventionnelle du consentement étatique à la juri-diction 162. Quelques paragraphes après, la sentence se réfère au raisonnement de la CIJ dans l’affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company selon lequel l’État doit avoir consenti au mode de règlement des différends avant que le requérant puisse soulever une clause de la nation la plus favorisée devant le forum désigné 163. Loin de se perdre au milieu des nombreux autres arguments avancés par le tribunal pour se déclarer incompétent sur le fondement d’un traité invoqué via le jeu de la clause de la nation la plus favorisée, les références à la jurisprudence de la Cour, qui ancrent les litiges transnationaux dans l’ordre juridique international, apparaissent comme l’ossature du raisonnement déployé 164.

Dans d’autres cas de fi gure, la greffe de la jurisprudence de la CIJ connaît des risques de rejet, en raison du caractère transnational du contentieux arbitral. La question s’est posée au sujet de l’applicabilité à un litige État-investisseur du « principe de l’Or monétaire », selon lequel un tribunal compétent pour tran-cher un différend ne doit pas exercer sa juridiction si l’objet même de sa décision concerne les intérêts juridiques d’un État tiers 165. Si la transposition du prin-cipe à l’arbitrage transnational ne soulève guère d’interrogations métaphysiques lorsque la tierce partie est un État 166, l’analogie peut-elle jouer lorsqu’il s’agit de personnes privées ? Le principe de l’Or monétaire repose en effet sur un « principe de droit international bien établi et incorporé dans le Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un État si ce n’est avec le consentement de ce dernier » 167. Si le droit international public ne fournit aucune règle générale analogue concernant les personnes privées, force est de constater que l’arbitrage transnational repose aussi sur le principe du consentement 168, ce qui pourrait permettre l’application par analogie du principe. Alors que les parties en litige dans l’affaire Chevron se disputaient sur cette question 169, le tribunal a préféré contourner l’obstacle, en estimant que même si le principe était applicable, il ne lui interdirait pas d’exercer sa juridiction dans le cas d’espèce 170. On notera au

162. Sentence Daimler, § 194.163. § 2010. Voy. aussi CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited (United Kingdom)

c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 291 et s.164. Cf. l’approche radicalement différente in CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and

Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine, n° ARB/09/1, 21 décembre 2012, décision sur la compétence, §§ 168 et s.

165. CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France e.a.), question préliminaire, arrêt du 15 juin 1954, CIJ Rec. 1954, p. 32. Concernant les autres questions de recevabilité abordées en 2012, voy. CIRDI, Iberdrola Energía SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, sentence du 17 août 2012, §§ 347, 408 (nouvelle demande dans sa réplique ; irrecevabilité des modifi cations des demandes initiales au moment du dépôt de ses conclusions) ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 133 et s. (éléments de la réclamation non contenus dans la requête introductive d’instance). Sur la distinction entre compétence et recevabilité, voy. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence, 1er juin 2012, § 2.107 ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §192 et s. ; CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 136 ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012 , § 293. Voy. aussi cette chronique in cet Annuaire, 2011, pp. 568 et s.

166. En ce sens, voy. CPA (CNUDCI), Larsen c. Royaume d’Hawaï, sentence du 5 février 2001, § 11.17 167. CIJ, Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France e.a.), question préliminaire, arrêt du

15 juin 1954, CIJ Rec. 1954, p. 32.168. Voy. notamment l’article 25 de la convention de Washington, inapplicable en l’espèce.169. CPA (CNUDCI), Chevron Corp. and Texaco Petroleum Corp. c. Équateur, aff. n° 2009-23, Troi-

sième sentence intérimaire (compétence et recevabilité), 27 février 2012, §§ 3.83 et s. 170. Sentence Chevron, §§ 4.60 et s. L’Équateur soutenait en effet que le tribunal arbitral ne pouvait

se prononcer sur sa responsabilité pour violation du traité d’investissement (à raison du non respect d’un accord de règlement amiable par lequel la société s’était engagée à réparer les dommages environnemen-taux qu’elle avait causés en échange d’une exonération de responsabilité) sans se prononcer sur les droits des plaignants de l’affaire Lago Agrio, lesquels demandent aux juridictions équatoriennes de condamner

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passage que le tribunal a considéré que le principe de l’Or monétaire dérivait de, et mettait en œuvre, trois principes distincts : celui du consentement à la compé-tence, celui de la tierce partie indispensable (auquel le principe de l’Or monétaire est pourtant généralement assimilé), et le principe de « due process », relatif aux droits procéduraux de la partie absente 171.

F. Doctrine

Les réticences qu’ont les cours internationales – à l’inverse des parties, ou des juges dans leurs opinions séparées – à se référer à la doctrine dans leurs décisions et, plus encore, à citer des auteurs particuliers 172, est considérablement atténuée dans l’arbitrage transnational en matière d’investissement, où la confi ance en la parole doctrinale est grande. Sans doute la jeunesse de la discipline laisse-t-elle aux arbitres une « soif de droit » que le recours aux auteurs permet d’étancher. Il faut dire aussi que dans le « petit monde » de l’arbitrage transnational, les cas sont nombreux de membres de la doctrine qui offi cient par ailleurs en tant qu’ar-bitre, conseil ou expert sollicité par les parties pour délivrer des opinions 173. Il y a sans doute là une explication sociologique à l’importance de la doctrine dans l’arbitrage transnational, alors qu’en droit international général la plupart de ses membres ne représentent « pas grand chose dans un contexte normatif dominé par la prééminence étatique » 174.

Certains ouvrages, émanant de la « doctrine établie » (« established doctrine » 175), s’apparentent même à des codifi cations du droit positif des inves-tissements si l’on en croit la propension des arbitres à s’y référer les yeux fermés. Tel est le cas du « leading treatise » 176 Principles of International Investment Law de R. Dolzer et Ch. Schreuer, de l’« authoritative » 177 commentaire de la convention de Washington du même Ch. Schreuer 178 et al. 179, de l’ouvrage du « leading commen-tator » 180 (par ailleurs arbitre, avocat et expert) Jan Paulsson Denial of Justice in International Law, ou encore de la monographie de Z. Douglas The International

l’entreprise pétrolière américaine à indemniser les dommages environnementaux subis. Le tribunal a considéré que les conclusions qu’il ferait sur l’accord de règlement amiable n’auraient pas pour effet de trancher le litige de l’affaire Lago Agrio ; qu’ainsi les plaignants n’avaient pas qualité de tierces parties indispensables (§ 4.67).

171. Sentence Chevron, § 4.61.172. D. CARREAU/ F. MARRELLA, op. cit. note 110, p. 351.173. En 2012, l’affaire interétatique CPA, Équateur c. États-Unis d’Amérique, n° 2012-5 (voy. supra

note 2), déclenchée sur le fondement du TBI entre les deux États, a été le cadre d’une profusion d’opinions d’experts, sollicitées par l’une ou l’autre partie (opinions de Ch. Tomuschat, M. Reisman, C.F. Amerasinghe, S. McCaffrey, A. Pellet etc.). Évoquant les risques de confl its d’intérêts des arbitres « multi-casquettes » bien que ne mentionnant pas (à tort) celle de commentateur de la jurisprudence, voy. CIRDI, Standard Chartered Bank c. Tanzanie, n° ARB/10/12, sentence du 2 novembre 2012, § 274.

174. P.-M. DUPUY/ Y. KERBRAT, op. cit. note 87, p. 394, n° 360.175. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril

2012, § 272 (référence à l’ouvrage de R. Dolzer et Ch. Schreuer, Principles of International Investment Law).176. CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 203.177. CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine,

n° ARB/09/1, décision sur la compétence, 21 décembre 2012, § 223.178. Auteur dont les articles sont aussi fréquemment cités (ex. : CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri

Lanka, n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 418).179. Décision Teinver, §§ 223, 255-256 ; Comité ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President Allende

Foundation c. Chili, n° ARB/98/2, 18 décembre 2012, §§ 268, 348-350 ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 365-366.

180. CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 273, 277.

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Law of Investment Claims 181. On relèvera au passage que la doctrine francophone est absente des ouvrages de référence du droit des investissements.

Une doctrine plus vaste peut être néanmoins mobilisée pour indiquer quel est le droit sur des questions autres que le droit des investissements, par exemple les confl its entre traités dans le cadre de l’Union européenne 182 ou les règles du droit de la responsabilité internationale concernant le lien de causalité 183 ou le calcul de l’indemnisation 184.

II. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE

L’arbitrage transnational reste l’un des principaux champs dans lesquels les Articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite 185 s’épanouissent. C’est le cas s’agissant non seulement de l’engagement de la responsabilité mais aussi de son contenu, malgré la réserve de la CDI qui avait pris le soin d’indiquer que la seconde partie de son texte était « sans préjudice de tout droit que la responsabilité internationale de l’État peut faire naître directement au profi t d’une personne ou d’une entité autre qu’un État » 186. Loin donc de se démarquer des solutions retenues dans un contexte interétatique, la pratique des organes transnationaux pourrait même tendre à les irriguer. La CIJ elle-même s’y est référée dans l’affaire Diallo, même si elle s’est davantage inspirée de la pratique des juridictions régionales des droits de l’homme que de celle des tribunaux arbitraux transnationaux 187. Ces croisements ne garantissent toutefois pas la mise en place d’un droit général de la responsa-bilité internationale. L’irruption dans le contentieux arbitral de la question de la répartition de la responsabilité entre l’Union européenne et ses membres tendrait plutôt à faire douter d’une unifi cation prochaine.

181. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence, 27 septembre 2012, § 260 (au sujet de la preuve de l’illégalité de l’investisse-ment) ; CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Paraguay, n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité, 9 octobre 2012, § 93 (treaty shopping et forum shopping). Voy. aussi CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, § 33 (référence à l’ouvrage Law and Practice of International Commercial Arbitration de A. Redfern/ M. Hunter).

182. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité, 30 novembre 2012, §§ 4.184 et 4.187 (référence à l’ouvrage de J. Klabbers, Treaty Confl ict and the European Union).

183. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 674 et s. (références extensives des parties à la thèse de B. Stern, par ailleurs membre du tribunal arbitral, dont le chapitre II intitulé « Application nuancée des règles normales de la causalité », jugé très instructif par le tribunal, « informs its decision on this issue »).

184. Sentence Occidental Petroleum, § 794 (référence à l’ouvrage de I. Marboe, Calculation of Compen-sation and Damages in International Investment Law).

185. Dont le texte et le commentaire sont reproduits in ACDI, 2001, vol. 2, partie 1, pp. 26 et s.186. Deuxième partie, « Contenu de la responsabilité », article 33, § 2. Sur ce point, voy. M. PAPARIN-

SKIS, « Investment Treaty Arbitration and the (New) Law of State Responsibility », EJIL, 2013, pp. 635 et s.187. CIJ, Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo),

indemnisation due par la RDC à la Guinée, arrêt du 19 juin 2012, notamment § 18.

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A. Engagement de la responsabilité

1. L’attribution

Les questions d’attribution ont encore largement occupé les tribunaux arbi-traux en 2012. Elles peuvent être soulevées au stade de l’examen par le tribunal de sa compétence ou au stade du fond. En effet, tout en considérant que l’attribution à l’État des comportements en cause est une condition de leur compétence ratione personae, les arbitres tendent à aborder cette question au stade du fond dès lors, d’une part, que son traitement nécessite une analyse détaillée étroitement liée aux questions de licéité et, d’autre part, que leur compétence est quoi qu’il en soit établie à l’égard de certains des agissements en cause 188. Pour la traiter, ils s’appuient largement sur les Articles, qu’ils considèrent sur ce point comme l’expression du droit international coutumier 189.

La force d’attraction de ces règles est d’ailleurs telle qu’elles sont parfois utili-sées dans un contexte fort différent de celui pour lequel elles ont été forgées. C’est ainsi que les tribunaux des affaires EDF International et Bosh se sont appuyés sur les règles d’attribution d’un fait à l’État aux fi ns de la responsabilité internationale afi n de déterminer s’il avait pris un engagement au sens des clauses « parapluie » qui fi guraient dans les TBI en cause ou y avaient été importées par le truchement de la clause de la nation la plus favorisée 190. Cela a conduit le premier à juger, sans s’en expliquer, que des engagements de l’Argentine étaient nés du contrat de concession conclu par l’investisseur avec la province argentine de Mendoza 191, tandis que le second a estimé que le contrat qui liait l’investisseur à l’Université de Kiev n’avait pu faire naître d’engagements de l’État ukrainien dès lors que le comportement de cette entité ne pouvait être attribué à cet État aux fi ns de la responsabilité 192. Cette dernière solution est classique, mais le raisonnement qui y conduit est discutable. Les arbitres tendent en effet à considérer que les engage-ments pris par les démembrements de l’État à l’égard des investisseurs ne sauraient être considérés comme des engagements de l’État au sens des clauses de respect des engagements. Mais si tel est le cas, ce n’est pas parce que leur comportement n’est pas attribuable à l’État aux fi ns de la responsabilité, mais parce que les règles d’attribution d’un fait aux fi ns de la responsabilité diffèrent des règles d’attribution d’un engagement au sens des clauses « parapluie ». Il est donc tout à fait envisa-geable que les agissements d’une collectivité territoriale, telle que la province de

188. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 7.61 ; CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine, aff. n° ARB/09/1, décision sur la compétence du 21 décembre 2012, §§ 270-276.

189. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit appli-cable et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 7.60 ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 150.

190. Tel était le cas dans l’affaire EDF, où le tribunal a admis d’étendre le bénéfi ce des clauses « para-pluie », également appelées clauses de respect des engagements, contenues dans les TBI Argentine/Luxem-bourg et Argentine/Allemagne aux investisseurs français. Ces clauses se lisaient comme suit : « Each of the Contracting Parties shall respect at all times the commitments it has undertaken with respect to investors of the other Party » (TBI Argentine/Luxembourg) ; « Each Contracting Party shall comply with any other commitment undertaken in connection with the investments made by nationals or companies from the other Contracting Party in the former’s territory » (TBI Argentine/Allemagne). CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 821 et s.

191. Id., § 938.192. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff.

n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 241-246.

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Mendoza, puissent engager la responsabilité de l’État sans pour autant que les engagements qu’elle prend soient considérés comme des engagements de l’État 193.

S’agissant de l’attribution aux fi ns de la responsabilité, la référence aux règles codifi ées par la CDI conduit les arbitres à attribuer sans diffi culté à l’État les comportements de ses organes exécutifs 194, de ses autorités juridictionnelles 195, mais aussi de ses provinces 196. À l’inverse, elle leur permet d’écarter aisément les agissements de personnes privées, dont ceux de liquidateurs judiciaires ou d’une prétendue « mafi a fi nancière » 197. Les sentences rendues en 2012 confi rment toute-fois que toutes les diffi cultés ne sont pas réglées. Plusieurs tribunaux ont ainsi été confrontés à la question récurrente du sort qui doit être réservé aux agissements des entités paraétatiques (a), tandis que les arbitres de l’affaire Electrabel ont examiné le problème complexe dans le contentieux arbitral transnational de l’attribution des actes nationaux de mise en œuvre du droit de l’Union européenne (b).

a) Les agissements des entités paraétatiques

Les tribunaux arbitraux sont régulièrement confrontés aux agissements d’en-tités paraétatiques, qui entrent bien souvent en relation directe avec les investis-seurs. Ils les appréhendent alors soit comme des organes de l’État, dont tous les comportements doivent lui être rapportés (article 4 des Articles), soit comme des entités habilitées à l’exercice de prérogatives de puissance publique, dont seuls les comportements accomplis dans l’exercice de telles prérogatives lui sont attribuables (article 5), soit encore comme des entités non étatiques mais dont les comporte-ments accomplis sur les instructions ou les directives ou sous le contrôle de l’État peuvent être mis à sa charge (article 8).

L’existence d’une certaine autonomie vis-à-vis du pouvoir exécutif n’est pas un obstacle à la qualifi cation d’organe au sens de l’article 4. La Banque centrale du Sri Lanka a ainsi été considérée comme un organe de cet État 198, tandis que plusieurs tribunaux ont qualifi é comme tels des entités dont le statut est proche de celui d’autorités administratives indépendantes 199. L’existence d’une personnalité morale distincte de celle de l’État dans l’ordre interne n’est pas non plus rédhibi-toire. C’est ainsi que, pour les arbitres de l’affaire Deutsche Bank, une entreprise publique en charge du secteur pétrolier pourrait être considérée comme un organe du Sri Lanka car, bien qu’elle dispose d’une personnalité juridique propre, elle est

193. Voy. Y. NOUVEL, « Les entités paraétatiques dans la jurisprudence du CIRDI », in Ch. LEBEN (dir.), Le droit international des investissements. Nouveaux développements, Paris, Anthémis/LGDJ, 2006, pp. 41 et s.

194. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, 235 et s.

195. CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, § 261.

196. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la responsabilité, 6 juin 2012, § 384 ; CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, § 4.

197. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 150 et s.

198. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 402.199. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine,

aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 145, s’agissant du Control and revision offi ce, entité indépendante chargée du contrôle fi nancier et rattachée au ministère des Finances ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 7.62, s’agissant de l’Hungarian Energy Offi ce, autorité en charge de la régulation du secteur de l’énergie.

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étroitement contrôlée par cet État 200. Une telle personnalité fait toutefois naître une forte présomption contre la qualifi cation d’organe. Elle a conduit des tribunaux à écarter cette qualifi cation s’agissant non seulement d’entreprises publiques 201, mais aussi de régulateurs nationaux du secteur de l’énergie 202 ou encore d’une université 203.

Cette conception des organes de l’État apparaît restrictive, notamment au regard de la pratique suivie dans d’autres domaines, y compris en droit écono-mique 204. Toutefois, outre qu’elle peut s’expliquer par la position retenue en première lecture par la CDI 205, elle traduit le souci des arbitres de se concentrer sur les comportements spécifi quement étatiques, à l’exclusion de ceux qu’un contractant ordinaire pourrait adopter. Ce souci se manifeste également à d’autres niveaux. C’est ainsi que lorsque l’interprétation des règles d’attribution qu’ils retiennent ne suffi t pas à éviter cet écueil, les arbitres peuvent encore considérer que les obligations primaires qui pèsent sur l’État ne peuvent être violées que lorsqu’il exerce des prérogatives de puissance publique. Tel fut une nouvelle fois le cas dans l’affaire Bureau Veritas, où, saisis du refus de l’État de payer ses dettes contrac-tuelles, les arbitres ont recherché si ce comportement s’inscrivait dans l’exercice de prérogatives de puissance publique. Ce n’est en effet selon eux qu’à cette condition qu’il pourrait dépasser le cadre contractuel et violer le standard de traitement juste et équitable 206. La distinction entre réclamations contractuelles et réclama-tions conventionnelles ainsi opérée peut toutefois être remise en cause lorsque le traité contient une clause de respect des engagements : en ce cas, il arrive que les arbitres jugent que toute violation du contrat, qu’elle résulte ou non de l’exercice d’une « governmental authority », emporte violation du traité 207. Hors de ces cas particuliers, deux fi ltres, celui de l’attribution et celui de l’interprétation des obliga-tions primaires, peuvent donc être utilisés par les arbitres afi n de restreindre leur examen aux comportements accomplis par l’État dans l’exercice de prérogatives de puissance publique. Car l’approche stricte de la notion d’organe qu’ils retiennent les conduit à poursuivre leur examen en vérifi ant si les entités en cause n’ont pas agi dans l’exercice de telles prérogatives ou sur les instructions, les directives ou le contrôle de l’État.

200. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 407, même s’il s’agit là d’un obiter dictum, le tribunal n’ayant pas jugé nécessaire de trancher défi nitivement cette question.

201. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 124 et s., s’agissant de Petroecuador et Petrocommercial, deux entreprises publiques en charge du secteur pétrolier en Équateur ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 7.95 et s., s’agissant de MVM, l’entreprise publique en charge de la distribution d’électricité en Hongrie.

202. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 124 et s., s’agissant de CONELEC et de CENACE, deux entités chargées de la régulation du secteur de l’électricité en Équateur.

203. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, § 163.

204. Pour une approche plus large, incluant dans la notion d’« organisme public » au sens du droit de l’OMC toute « entité qui possède ou exerce un pouvoir gouvernemental, ou en est investi », voy. ORD, États-Unis – Droits antidumping et droits compensateurs défi nitifs visant certains produits en provenance de Chine, WT/DS379/AB/R, rapport de l’organe d’appel, 11 mars 2011, §§ 282 et s. Sur ce point, voy. P. JACOB, « OMC et imputation. Les organes de l’État : de deux apparences trompeuses », in V. TOMKIEWICZ (dir.), OMC et responsabilité, Paris, Pedone, à paraître.

205. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2011, p. 550.206. CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Paraguay,

aff. n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité du 9 octobre 2012, §§ 239 et s., sp. § 246 ; voy. aussi CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, §§ 273, 282, 300.

207. CIRDI, SGS Société générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012, §§ 89-95.

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Sur le premier point, certains TBI contiennent des dispositions spécifi ques relatives aux entreprises d’État, qui prévoient généralement que « each Party shall ensure that any State enterprise that it maintains or establishes acts in a manner that is not inconsistent with the Party’s obligations under this Treaty wherever such enterprise exercises any regulatory, administrative or other governmental authority that the Party has delegated to it, such as the power to expropriate, grant licenses, approve commercial transactions, or impose quotas, fees or other charges ». Les arbitres de l’affaire Ulysseas ont estimé qu’il s’agissait là d’une autre manière d’exprimer l’idée selon laquelle les comportements adoptés dans l’exercice de prérogatives de puissance publique par des entités qui y sont habilitées doivent être rapportés à l’État 208. Le tribunal de l’affaire Bosh n’y a toutefois pas vu une règle d’attribution. Tout au contraire, il a estimé que cette disposition distinguait nettement les Parties des entreprises d’État et ne prévoyait l’engagement de la responsabilité des premières que si elles manquent à leur obligation de s’assurer que les secondes ne violent pas les dispositions du traité 209. Cette position surprend d’autant plus qu’elle n’est pas accompagnée d’une mise à l’écart de l’article 5 des Articles. Le tribunal n’a abordé la question qu’après avoir constaté que l’université en cause n’avait pas exercé en l’espèce de prérogatives de puissance publique. Or, on voit mal comment les agissements pris dans l’exercice de telles prérogatives par une entreprise d’État pourraient être attribuables à l’État en vertu de l’article 5 puis ne plus l’être en vertu du TBI. À défaut d’être pleinement convaincante, la position adoptée par le tribunal de l’affaire UPS en 2007 avait le mérité d’être plus cohérente : il avait vu dans la disposition du TBI relative aux entreprises d’État une lex specialis qui avait pour effet d’écarter de telles entreprises de la catégorie des organes pour ne rapporter leurs comportements à l’État que lorsqu’elles agissent dans l’exercice de prérogatives de puissance publique 210.

Les tribunaux qui retiennent une conception restrictive de la notion d’organe doivent encore rechercher si l’entité en cause n’a pas agi dans l’exercice de préroga-tives de puissance publique (sovereign ou governmental authority). Ils doivent alors, au même titre que ceux qui considèrent que les standards de protection ne peuvent être violés qu’au cours de l’exercice de telles prérogatives, délimiter la notion. Pour les uns, tout est alors question de moyens : les arbitres de l’affaire Ulysseas ont ainsi rappelé la position déjà adoptée par certains d’entre eux (B. Stern) dans l’affaire Jan de Nul selon laquelle « what matters is not the ‘service public’ element but the use of ‘prérogatives de puissance publique’ or governmental authority », avant de juger que la plupart des comportements reprochés aux entités en cause s’inscrivaient dans un cadre contractuel et ne pouvaient donc être attribués à l’État 211. Cherchant quant à lui à déterminer si les organes de l’État au sens du droit interne avaient exercé de telles prérogatives, le tribunal de l’affaire Bureau Veritas a dans le même sens refusé de tenir compte du but de la mesure pour se concentrer sur sa nature au stade de l’attribution 212. Il a toutefois reconnu que la pratique arbitrale n’était pas constante. D’autres tribunaux retiennent en effet une approche plus large tenant compte des fi ns poursuivies : au terme d’une analyse

208. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, § 135.209. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff.

n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 179 et s.210. Trib. ad hoc CNUDCI, United Parcel Service c. Canada, sentence du 24 mai 2007, § 59, pt. 4

et §§ 72-79.211. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, § 138.212. CIRDI, Bureau Veritas, Inspection, Valuation, Assessment and Control, BIVAC BV c. Paraguay,

aff. n° ARB/07/9, décision supplémentaire sur la recevabilité du 9 octobre 2012, §§ 254 et s., sp. § 270. Voy. aussi CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, §§ 273 et 282, considérant que l’interdiction de quitter le port imposé au navire en cause traduisait l’exercice de prérogatives de puissance publique.

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mettant l’accent sur les liens institutionnels qui existent entre l’État et l’université de Kiev, les arbitres de l’affaire Bosh ont ainsi considéré que cette dernière était bien habilitée à l’exercice de prérogatives de puissance publique puisqu’elle est en charge de l’enseignement supérieur et gère à cette fi n les biens de l’État qui lui sont affectés. Le contrat passé avec l’investisseur ne traduisait toutefois pas l’exercice de cette « governmental activity » (sic) puisqu’il visait à obtenir des bénéfi ces purement commerciaux 213. Les frontières de la sphère publique restent donc mouvantes du point de vue du droit international des investissements.

Lorsque le tribunal conclut que l’entité en cause n’est pas un organe ni n’a exercé de prérogatives de puissance publique, il doit encore vérifi er qu’elle n’a pas agi sur les instructions, les directives ou sous le contrôle de l’État (article 8 des Articles). La question est délicate. Les arbitres de l’affaire Electrabel ont tenté une nouvelle fois d’en préciser les contours s’agissant d’entreprises publiques, en rappelant le commentaire de la CDI selon lequel le comportement d’une telle entre-prise n’est pas attribuable à l’État à moins qu’il puisse être établi que ce dernier « utilisait sa position de propriétaire ou de contrôle de la société spécialement pour parvenir à un résultat particulier » 214. Ce rappel faisait suite à une analyse factuelle détaillée tenant compte notamment des lettres adressées par le régulateur hongrois à l’entreprise publique ou de la présence de représentants du gouver-nement lors de négociations tenues avec l’investisseur avant de conclure, par de subtiles nuances, que si les organes hongrois avaient incité l’entreprise publique en cause à agir d’une certaine manière, s’ils l’avaient infl uencée, ils ne lui avaient pas adressé d’instructions 215. Cette approche a le mérite de remettre en lumière le critère des instructions, qu’avaient fi ni par faire oublier les débats abondants sur le critère alternatif du contrôle. En n’accordant toutefois qu’une valeur limitée aux preuves indirectes de ces instructions, le tribunal n’en a pas moins maintenu une approche très stricte de l’attribution du comportement d’entreprises publiques à l’État, dont on peut douter qu’elle soit applicable en dehors de ce contentieux spécifi que 216.

b) Les actes nationaux de mise en œuvre du droit de l’Union européenne

Après avoir été abordée par l’Organe de règlement des différends de l’OMC puis par la Cour européenne des droits de l’homme et avoir largement occupé la CDI lors des travaux qu’elle a consacrés à la responsabilité des organisations internationales, la question de l’attribution des actes étatiques pris pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne a pénétré de manière explicite le contentieux investisseur-État en 2012 217.

Les arbitres de l’affaire Electrabel ont en effet été saisis de la conformité au traité sur la charte de l’énergie, et notamment au standard de traitement juste et

213. CIRDI, Bosh International, Inc and B&P Ltd Foreign Investments Enterprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 164-178.

214. Commentaire de l’article 8, § 6.215. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable

et la responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 7.60 et s., sp. § 7.137.216. Voy. P. JACOB, L’imputation d’un fait à l’État en droit international de la responsabilité, thèse,

Rennes 1, 2010, pp. 103 et s.217. Plusieurs tribunaux avaient déjà été confrontés à des actes dont les États prétendaient qu’ils

visaient à mettre en œuvre le droit de l’Union européenne, sans que la question soit véritablement posée en termes d’attribution. Voy. CIRDI, ADC Affi liate Limited and ADC & ADMC Management Limited c. Hongrie, aff. n° ARB/03/16, sentence du 2 octobre 2006 ; Chambre de commerce de Stockholm, Eastern Sugar BV c. République tchèque, aff. n° 088/2004, sentence partielle du 27 mars 2007 ; CPA/CNUDCI, Eureko BV c. Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010 ; CIRDI, AES Summit Generation c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010.

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équitable, de la décision des autorités hongroises de mettre un terme au contrat qui les liait à l’investisseur, décision prise pour se conformer aux constatations de la Commission européenne qui avait estimé que ce contrat était contraire au régime européen des aides d’État. La question a été abordée en deux temps, au stade de la compétence puis au stade du fond. Dans un premier temps, les arbitres ont jugé, contre l’avis de la Commission européenne intervenue en tant qu’amicus curiae, qu’ils étaient compétents ratione personae car le demandeur mettait bien en cause la responsabilité de la Hongrie pour son propre comportement, sans chercher à mettre en cause ni la validité de la décision de la Commission, ni la responsabilité de l’Union, ni même celle de la Hongrie du fait des actes de l’Union 218. Mais ils ont ensuite considéré, au stade du fond, que le fait pour la Hongrie d’avoir mis un terme au contrat qui la liait à l’investisseur afi n de se conformer à une décision obligatoire de la Commission européenne ne saurait engager sa responsabilité en vertu du traité sur la charte de l’énergie, d’une part parce que ce traité admet lui-même que les organisations économiques d’intégration puissent prendre des décisions obligatoires pour leurs membres, d’autre part parce qu’il est possible de considérer que les autorités hongroises se trouvaient alors à la disposition de l’Union européenne au sens de l’article 6 des Articles de sorte que leurs comporte-ments devraient lui être attribués 219. Deux lignes argumentatives se mêlent ainsi et brouillent le raisonnement.

La seconde est la moins convaincante, et il n’est d’ailleurs pas certain qu’elle ait véritablement motivé la décision des arbitres 220. En effet, si les autorités hongroises se trouvent à la disposition de l’Union européenne au sens de l’article 6 des Articles 221 lorsqu’elles exécutent une décision obligatoire de la Commission, alors leurs comportements devraient-ils cesser d’être attribuables à leur État d’ori-gine. Le tribunal devrait donc se déclarer incompétent pour en connaître, sauf à engager la responsabilité de l’État pour les actes de l’Union, ce qu’il se refuse à faire. En outre, si elle peut se prévaloir de la position adoptée par l’ORD, qui accepte de canaliser la responsabilité vers l’Union européenne en considérant que les autorités de ses États membres agissent comme ses organes lorsqu’ils mettent en œuvre son droit dans un domaine relevant de sa compétence exclusive 222, cette solution ne trouve qu’un soutien fragile dans les travaux de la CDI. Celle-ci n’a pas abordé la question au cours des travaux qu’elle a consacrés à la responsabilité des États et ce n’est que par analogie que le tribunal propose d’appliquer ce texte aux relations États/Union européenne. Elle a en revanche réservé un accueil très mitigé à la thèse du fédéralisme exécutif au cours des discussions relatives à l’article 7 du texte consacré à la responsabilité des organisations internationales 223, que le tribunal ignore. Le rapporteur spécial s’y est en effet régulièrement opposé 224 et

218. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 5.32-5.38.

219. Ibid., §§ 6.70-6.76.220. On remarquera toutefois que les arbitres se réfèrent (§ 6.75) à un article en ce sens d’un membre

du service juridique de la Commission, F. HOFFMEISTER, « Litigating against the European Union and its Member States – Who Responds under the ILC’s Draft Articles on International Responsibility of Inter-national Organizations ? », EJIL, 2010, pp. 723-747.

221. Dont on rappelle qu’il prévoit que « le comportement d’un organe mis à la disposition de l’État par un autre État, pour autant que cet organe agisse dans l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’État à la disposition duquel il se trouve, est considéré comme un fait du premier État d’après le droit international ».

222. ORD, Communautés européennes – Certaines questions douanières, WT/DS315/R, 16 juin 2006, § 7.556.

223. Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa 63e session, A/66/10 (2011), pp. 68 et s.

224. Voy. la position exprimée par le rapporteur spécial G. GAJA, notamment in « Septième rapport sur la responsabilité des organisations internationales », A/CN.4/510 (2009), §§ 31-33.

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le texte adopté en seconde lecture ne traite pas cette situation dans le chapitre consacré à l’attribution mais dans celui portant sur la responsabilité du fait d’au-trui, envisageant alors d’engager la responsabilité de l’organisation sans préjudice de celle de l’État qui se conforme à ses décisions 225. Les revendications de l’Union ont seulement conduit la CDI à admettre, à l’article 64 de son texte, la possibilité qu’une lex specialis conduise à attribuer à cette organisation les comportements adoptés par ses membres pour donner effet à ses décisions obligatoires 226. La source potentielle de cette règle spéciale reste toutefois ambigüe, la CDI affi rmant qu’elle pourrait puiser aux « règles de l’organisation qui sont applicables aux relations entre l’organisation et ses membres » 227 alors même que ces règles pourraient être perçues comme internes à l’organisation et donc inopposables aux tiers 228. La solution ici retenue pourrait toutefois l’alimenter, d’autant que l’Union continue de son côté d’affi rmer l’existence d’une telle règle. Une proposition de règlement s’appuie d’ailleurs sur l’article 64 pour soutenir d’abord que « l’Union aura, en prin-cipe, la charge de la défense en cas de réclamation fondée sur la violation de règles inscrites dans un accord relevant de sa compétence exclusive, indépendamment de la question de savoir si le traitement en question est accordé par l’Union elle-même ou par un État membre », ensuite, s’agissant cette fois de la répartition interne de la responsabilité entre l’Union et ses membres, que « dans le cas où l’État membre agit d’une manière prescrite par le droit de l’Union (…) l’Union devrait assumer la responsabilité fi nancière dans la mesure où le traitement en cause est requis par le droit de l’Union » 229. Il n’est toutefois pas certain que la sentence Electrabel renforce cette position car elle use également d’une autre ligne argumentative, pourtant peu compatible avec celle qui vient d’être présentée.

Celle-ci paraît plus cohérente. Elle consiste à retenir que les décisions prises par les États membres pour mettre en œuvre les décisions obligatoires de l’Union restent des actes de l’État, ce qui justifi e la compétence du tribunal pour en connaître 230. Ces actes seraient alors susceptibles d’engager la responsabilité de l’État pour violation des obligations qui pèsent sur lui en vertu du traité sur la charte de l’énergie. Mais puisque ce traité admet lui-même que les organisations économiques d’intégration peuvent prendre des décisions obligatoires pour leurs membres dans les domaines qu’il entend régir 231, alors « it would be absurd if Hungary could be liable under the Energy Charter Treaty (ECT) for doing precisely that which it was ordered to do by a supranational authority whose decisions the ECT itself recognizes as legally binding on Hungary » 232. L’État ne serait ainsi pas pris dans un confl it d’obligations puisque le traité sur la charte de l’énergie l’autoriserait

225. Voy. articles 17 et 19 des Articles sur la responsabilité des organisations internationales.226. Commentaire de l’article 64 des Articles sur la responsabilité des organisations internationales,

§§ 2-6.227. Article 64.228. En ce sens, J. D’ASPREMONT, « A European Law of International Responsibility ? The Articles on

the Responsibility of International Organizations and the European Union », in V. KOSTA/ N. SKOUTARIS/ V. TZEVELEKOS, The EU accession to the ECHR, à paraître (accessible depuis <papers.ssrn.com>).

229. Commission européenne, Proposition de règlement établissant un cadre pour la gestion de la responsabilité fi nancière liée aux tribunaux de règlement des différends investisseur-État mis en place par les accords internationaux auxquels l’Union européenne est partie, COM(2012) 335, 21 juin 2012.

230. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du 30 novembre 2012, §§ 5.32-5.38 ; voy. aussi § 4.169, « in the tribunal’s view, the acts of the Respondent implementing [legally binding decisions under UE law] have to be taken into account in the evaluation of its conduct under the energy charter treaty ».

231. Le tribunal déduit cela de l’article 1, § 3 du traité, qui défi nit les organisations d’intégration économique régionale comme « toute organisation constituée par des États à laquelle ils ont transféré des compétences dans des domaines déterminés, dont certains sont régis par le présent traité, y compris le pouvoir de prendre des décisions qui les lient dans ces domaines » (nous soulignons).

232. Décision Electrabel, § 6.72.

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en toute hypothèse à se conformer aux décisions de l’Union européenne qui ne lui laissent aucune marge d’appréciation 233. En pareil cas, l’Union, qui est également partie au traité, pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de violation 234. En revanche, lorsque l’État dispose d’une marge d’appréciation dans l’exécution du droit de l’Union, il devrait en répondre s’il en use en violation des obligations qui pèsent sur lui en vertu du droit international des investissements 235. Il semble que ce soit là le raisonnement privilégié par le tribunal, qui a consacré d’amples développements à démontrer qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre le traité sur la charte de l’énergie et le droit de l’Union européenne de sorte que la Hongrie n’était pas confrontée à un confl it d’obligations 236. Si tel est bien le raisonnement des arbitres, il se rapproche de la position retenue par la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère que les actes de mise en œuvre des dispositions inconditionnelles et précises du droit de l’Union européenne restent étatiques, de sorte qu’elle est compétente pour en connaître, mais qu’ils sont compatibles avec la convention aussi longtemps que les droits qu’elle garantit reçoivent une protection équivalente dans l’ordre de l’Union 237. Les arbitres de l’affaire Electrabel vont certes plus loin encore puisqu’ils considèrent que l’exécution du droit de l’Union est toujours compatible avec le traité sur la charte de l’énergie. Mais leur raison-nement ne diffère guère : il consiste à admettre le contrôle de ces actes, tenus pour étatiques, mais à considérer que les obligations primaires qui pèsent sur les États les autorise à se conformer au droit de l’Union européenne.

La sentence Electrabel oscille ainsi entre la volonté de maintenir un regard sur les actes en cause afi n de ne pas faire disparaître totalement la protection dont bénéfi cient les investisseurs et le souci de ne pas faire obstacle à la construction européenne en mettant les États membres de l’Union face à des obligations euro-péennes et internationales contradictoires 238. Elle confi rme que la réponse à la question de l’attribution de tels comportements dépend pour partie du contexte juridique dans lequel elle se pose. En effet, en admettant la thèse du fédéralisme exécutif, l’ORD ne réduit pas la portée des obligations qui résultent des accords OMC puisqu’il est en mesure d’engager indistinctement la responsabilité de l’Union et celle de ses membres. Réciproquement, son rejet par la CEDH permet à cette juridiction de maintenir un certain regard sur les actes en cause alors même que l’Union n’est pas (encore) partie à la convention qu’elle a la charge d’appliquer. La position intermédiaire ici retenue par les arbitres peut également s’expliquer par le contexte dans lequel ils interviennent. L’Union étant partie au traité sur la charte de l’énergie mais ne pouvant être attraite devant un tribunal CIRDI faute d’être partie à la convention de Washington, les arbitres affi rment pouvoir connaître des actes étatiques de mise en œuvre du droit européen mais leur confèrent un brevet de conventionnalité, compensé par le rappel des obligations pesant sur l’Union en

233. Ibid., §§ 4.130 et s., sp. § 4.133, voy. aussi infra, III, B.234. Ibid., § 4.171.235. Ibid., §§ 6.78 et s., où le tribunal consacre de substantiels développements à démontrer que la

Hongrie était tenue de mettre un terme au contrat qui la liait à l’investisseur pour appliquer la décision de la Commission européenne, et §§ 6.94 et s., où il retient que cet État disposait en revanche d’une marge d’appréciation concernant le calcul des coûts échoués nets, c’est-à-dire de la différence entre le coût initial de l’investissement et les aides à récupérer.

236. Ibid., §§ 4.130 et s., sp. § 4.133, voy. aussi infra, III, B.237. CEDH, Bosphorus Airlines c. Turquie, req. n° 45036/98, arrêt du 30 juin 2005, §§ 153 et s.238. La manière dont le tribunal pose la diffi culté mérite d’être citée : « Two important and potentially

competing values are here at stake : the substantive and procedural protections of the rights of a foreign investor and the economic integration of EU Member States into the European Union operating under the rule of law. The task of this Tribunal is to ascertain the correct legal balance between these values, as required by the ECT, the ICSID Convention and the applicable rules and principles of international law » (décision Electrabel, § 4.113).

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vertu du traité, lorsque l’État ne dispose d’aucune marge d’appréciation. Ainsi, le demandeur, qui n’avait pas consulté au préalable l’Union et ses membres comme il en avait la possibilité 239, se serait seulement partiellement trompé de défendeur s’il entendait mettre en cause la décision de mettre un terme à son contrat. Il reste toutefois que cette solution le prive d’accès au CIRDI pour contester cette décision et, surtout, le contraint à engager des procédures parallèles selon que la violation résulte de cette décision elle-même ou de la marge de manœuvre que conserve l’État dans sa mise en œuvre.

2. Violation d’une obligation internationale

La responsabilité de l’État naît de la violation d’une obligation internationale qui pèse sur lui. Cette responsabilité pour fait internationalement illicite ne doit pas être confondue avec l’obligation, primaire, d’offrir à l’investisseur une juste et préalable indemnité en cas d’expropriation justifi ée par un motif d’utilité publique. En effet, les tribunaux rappellent régulièrement « qu’un État souverain, pour cause d’utilité publique et agissant en défense de ce qu’il estime être l’intérêt général, peut décider à tout moment de nationaliser un service public essentiel » 240. Il n’est alors tenu d’indemniser l’investisseur étranger que parce qu’il s’y est engagé par traité, obligation dont le tribunal de l’affaire Renta 4 a tenté d’expliquer la ratio en affi r-mant qu’un investisseur étranger ne doit pas supporter la charge de décisions prises pour le bénéfi ce d’une communauté nationale à laquelle il n’appartient pas 241. En ce cas, l’État n’engage donc sa responsabilité pour fait internationalement illicite que s’il manque à son obligation primaire d’indemniser les investisseurs qui subissent une expropriation justifi ée 242.

Pour le reste, le fait internationalement illicite de l’État peut résulter de la violation du droit interne mais toute violation du droit interne n’emporte pas viola-tion du droit international 243 tandis qu’un comportement dont la conformité au droit interne a été constatée par les juridictions suprêmes de l’État peut fort bien être contraire au droit international 244. Il peut se traduire par une action comme par une omission. Certains tribunaux s’emploient d’ailleurs, à la suite de celui de l’affaire El Paso 245, à démontrer que le standard de protection et de sécurité pleines et entières vise spécifi quement à faire peser sur l’État une obligation de vigilance et de due diligence qui ne serait violée que lorsqu’il échoue à prévenir ou réprimer les

239. En vertu d’une déclaration de l’UE relative à l’arbitrage investisseur-État dans le cadre du traité sur la charte de l’énergie aux termes de laquelle « les Communautés européennes, d’une part, et leurs États membres, d’autre part, ont signé le traité sur la Charte de l’énergie et doivent donc répondre au niveau international de l’exécution des obligations qui y fi gurent, selon leurs compétences respectives. Si nécessaire, les Communautés et les États membres concernés détermineront lequel d’entre eux est la partie défenderesse dans une procédure d’arbitrage engagée par un investisseur ou par une autre Partie contractante ».

240. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la responsabilité du 6 juin 2012, § 413 ; voy. aussi CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 166, 304.

241. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, § 23.

242. Sur les conséquences de cette illégalité particulière en termes d’indemnisation, voy. infra, B, 2.243. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril

2012, § 228. Voy. aussi infra, III, A.244. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA

c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 904-907.245. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du

31 octobre 2011, §§ 522-523. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, pp. 547 et s.

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agissements hostiles aux investisseurs d’entités non-étatiques 246. Seule cette inter-prétation du standard lui donnerait un effet utile, en permettant de le distinguer de celui de traitement juste et équitable. Ces tribunaux n’ont toutefois pas poussé plus loin l’analyse, et n’ont notamment pas précisé le niveau de vigilance attendu de l’État, le standard ainsi interprété n’étant pas en cause dans les affaires qui leur étaient soumises. Les notions de fait illicite continu et composite ont en revanche continué de connaître une certaine fortune dans la pratique arbitrale en 2012.

Elles peuvent être utilisées, comme la CDI l’avait envisagé en codifi ant les articles 14 et 15 des Articles, afi n de traiter certaines diffi cultés temporelles en relation avec l’engagement de la responsabilité. La sentence rendue en l’affaire Pac Rim Cayman offre un nouvel exemple de cet usage 247. L’investisseur se plaignait du refus systématique des autorités salvadoriennes de lui octroyer les permis miniers nécessaires à son développement. Mais puisqu’il avait changé de nationalité entre les premiers refus essuyés et la saisine du tribunal, ce dernier devait identifi er le tempus commissi delicti afi n d’établir si les agissements en cause entraient dans le champ de sa compétence ratione temporis. La question était d’autant plus complexe qu’elle se doublait de celle de savoir si le demandeur n’avait pas commis un abus de procédure en changeant de nationalité dans le but de soumettre un différend déjà né à arbitrage 248. Au terme d’une reconstruction de l’argumentation du demandeur, le tribunal estima que ce dernier ne se plaignait pas de faits illicites instantanés, constitués par chacun des refus réitérés que lui opposaient les autorités salvado-riennes 249, qu’il ne pouvait invoquer une pratique constitutive d’un fait illicite composite, la multiplication de refus de même nature ne produisant pas un fait illicite composite distinct 250, mais qu’il pouvait se plaindre d’un fait illicite continu. En effet, l’investisseur se plaignait d’une pratique des autorités salvadoriennes qui avait certes débuté avant son changement de nationalité mais qui avait perduré au-delà alors que les négociations continuaient 251. En conséquence, le tribunal pouvait s’estimer compétent ratione temporis pour connaître de la portion de cette pratique postérieure au changement de nationalité 252. Cela ne réglait toutefois pas le problème de l’abus de procédure. Le tribunal l’écarta en jugeant que la date décisive pour apprécier l’abus de procédure n’était pas celle de naissance du fait illicite mais celle à partir de laquelle le demandeur savait ou pouvait savoir qu’un différend l’opposerait au défendeur. Or, bien que le fait illicite allégué soit né avant le changement de nationalité du demandeur (avec les premiers refus), le différend ne s’est cristallisé qu’après, lorsque le président salvadorien a mis un terme défi nitif aux espoirs du premier d’obtenir un renversement de la situa-tion 253. Le raisonnement est pour le moins complexe. Il mêle différentes notions (fait illicite instantané, composite, continu ; différend) à différentes fi ns (limites ratione temporis à l’application du traité ou à la compétence du tribunal, abus de procédure). Du moins utilise-t-il la taxinomie des violations établies par la CDI dans un contexte proche de celui pour lequel elle a été forgée.

246. CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 271-274 ; CIRDI, Elec-trabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité 30 novembre 2012, § 7.83.

247. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, pp. 548-549.248. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la

compétence du 1er juin 2012, §§ 2.52 et 2.66.249. Ibid., §§ 2.79-2.85.250. Ibid., §§ 2.87-2.88.251. Ibid., §§ 2.89-2.94.252. Ibid., § 2.104.253. Ibid., §§ 2.107-2.109.

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Tel n’est pas le cas lorsque la notion de fait illicite composite est utilisée non dans le but d’identifi er précisément le tempus commissi delicti mais pour déter-miner si une obligation a été violée. On le sait, régulièrement employée afi n d’iden-tifi er une expropriation indirecte 254, la notion l’est également désormais s’agissant de mettre en évidence une atteinte au standard de traitement juste et équitable 255. Les arbitres considèrent alors que, quand bien même chacune des mesures prises par l’État à l’encontre de l’investisseur serait licite, leur succession ou leur accu-mulation conduirait ici à une expropriation indirecte, là à une violation, parfois qualifi ée de rampante, du standard de traitement juste et équitable. Même si les tribunaux ne s’y réfèrent pas nécessairement, cette approche holiste est proche de celle de la CDI, qui défi nit le fait illicite composite comme « la violation d’une obli-gation internationale par l’État à raison d’une série d’actions ou d’omissions défi nie dans son ensemble comme illicite » 256. Mais elle est utilisée par les arbitres dans une autre perspective. Celle-ci peut d’abord être quantitative. Cette approche leur permet alors de déterminer si l’atteinte portée à un investissement est à ce point substantielle qu’elle constitue une expropriation ou que le cadre juridique qui lui est appliqué a été bouleversé dans une mesure telle que le standard de traitement juste et équitable s’en trouve affecté. Mais elle peut également s’inscrire dans une perspective qualitative. L’examen des sentences qui s’appuient sur la notion de fait illicite composite tend en effet à indiquer que les arbitres s’en servent également afi n de mettre au jour l’intention de l’État. Cela ressort nettement de la sentence Renta 4. Les faits de l’espèce avaient déjà fait l’objet d’analyses divergentes de la part de la CEDH et d’un tribunal arbitral, la première ayant conclu qu’il n’était pas établi que les différentes mesures prises par les autorités russes contre l’entre-prise Yukos visaient à détruire l’entreprise et se saisir de ses actifs 257 alors que le premier y avait vu une expropriation indirecte 258. Le tribunal arbitral de l’affaire Renta 4 s’est rangé aux conclusions de la sentence RosInvest, justifi ant la différence d’appréciation par une différence d’approche. Alors que la Cour a raisonné mesure par mesure, l’approche globale retenue par les arbitres permettrait selon eux de conclure que la procédure fi scale qui avait frappé Yukos n’était qu’un prétexte pour se saisir de ses actifs et les transférer à une autre entreprise 259. La prise en compte de l’ensemble des mesures en cause est alors utilisée par les arbitres afi n d’en inférer l’intention de l’État, son but réel 260. Elle présente alors des vertus essentiellement probatoires 261, l’usage de ce moyen de preuve indirect étant justifi é,

254. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, aff. n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, §§ 42-45 ; CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité du 14 décembre 2012, § 348.

255. Voy., à la suite de la sentence El Paso (CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argen-tine, aff. n° ARB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, § 518, cette chronique, in cet Annuaire, 2011, p. 548), CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, § 275 et, mais avec une certaine réserve, Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, § 304.

256. Article 15 des Articles.257. CEDH, Yukos c. Russie, n° 14902/04, arrêt du 20 septembre 2011, §§ 663-666.258. Chambre de commerce de Stockholm, RosInvestCo UK c. Russie, aff. n° V079/2005, sentence

fi nale du 12 septembre 2010, cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 638.259. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, aff. n° 24/2007, sentence

du 20 juillet 2012, §§ 42-45 puis 158-177.260. Ibid., § 177 ; voy. aussi CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de

Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 291 et s. Soulignant cette fonction de la notion de fait composite, voy. G. DISTEFANO, « Fait continu, fait composé et fait complexe dans le droit de la responsabilité », cet Annuaire, 2006, pp. 14-15 ; J. SALMON, « Duration of the Breach », in J. CRAWFORD/ A. PELLET/ S. OLLESON, The Law of International Responsibility, Oxford, OUP, 2010, p. 391.

261. Voy. commentaire de l’article 15 des Articles, § 6, qui invite à distinguer, exemple de la discri-mination raciale à l’appui, les éléments nécessaires d’un fait illicite et les preuves de l’existence d’un tel fait, ces dernières pouvant passer par la mise en évidence d’une série de faits.

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de l’avis des arbitres, par la protection accrue octroyée aux investisseurs étrangers en vertu des TBI par rapport à celle dont bénéfi cie tout un chacun en vertu des instruments relatifs aux droits de l’homme 262.

3. Circonstances excluant l’illicéité

L’état de nécessité continue de constituer la principale circonstance excluant l’illicéité envisagée dans le contentieux investisseur-État. Mais le fl ot des sentences qui l’abordent tend à se tarir à mesure que les affaires argentines parviennent à leur dénouement. Deux tribunaux l’ont toutefois encore abordé en 2012, l’un comme l’autre pour le rejeter. Le premier l’a aisément écarté, en retenant que les mesures contestées étaient en tout état de cause largement postérieures à la situation de nécessité invoquée par l’Argentine et n’avaient donc pas été adoptées pour y répondre 263. Le second a à peine consacré davantage de développements pour juger, d’abord que l’article 5, § 3 du TBI Argentine/France 264 ne constitue pas une clause de sauvegarde analogue à celle qui fi gure à l’article 11 du TBI Argentine/États-Unis 265 mais uniquement une clause de non-discrimination qui ne saurait exonérer l’État de sa responsabilité 266 ; ensuite que l’Argentine ne saurait se prévaloir de l’état de nécessité tel que codifi é à l’article 25 des Articles dès lors qu’elle n’a pu démontrer qu’elle n’a pas contribué à la survenance de la situation, que les mesures qu’elle a prises constituaient le seul moyen de préserver l’un de ses intérêts essentiels, ni qu’elle a mis fi n à ces mesures aussitôt la situation de nécessité passée 267 ; enfi n qu’en tout état de cause l’Argentine devait indemniser l’investisseur des pertes subies du fait des mesures prises pour répondre à la situa-tion de nécessité 268.

La solution n’étonne guère. La motivation synthétique retenue par les arbitres surprend davantage, compte tenu des controverses juridiques et factuelles qui ont entouré jusqu’ici l’appréciation par les tribunaux arbitraux de l’excuse de nécessité dans le contexte argentin. Une seule déclaration de l’ancien président argentin relayée par le Washington Post semble par exemple emporter la conviction du tribunal de l’affaire EDF International quant à la contribution de l’Argentine à la crise qui l’a frappée à partir de 2001 269. Cette économie de motivation peut s’expli-quer par le fait que la solution retenue s’inscrit dans le droit fi l de précédents qui, malgré des motivations distinctes et parfois divergentes, ont tous rejeté l’excuse de nécessité lorsqu’elle était invoquée par l’Argentine sur la base du droit international coutumier 270. À moins qu’il ne s’agisse, ce qui serait plus gênant, d’une certaine

262. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, aff. n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, § 22.

263. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la responsabilité du 6 juin 2012, §§ 458-463.

264. Aux termes duquel « les investisseurs de l’une des Parties contractantes dont les investissements auront subi des pertes dues à la guerre ou à tout autre confl it armé, révolution, état d’urgence national ou révolte survenu sur le territoire ou dans la zone maritime de l’autre Partie contractante, bénéfi cieront, de la part de cette dernière, d’un traitement non moins favorable que celui accordé à ses propres investisseurs ou à ceux de la nation la plus favorisée ».

265. Aux termes duquel « this Treaty shall not preclude the application by either Party of measures necessary for the maintenance of public order, the fulfi lment of its obligations with respect to the maintenance or restoration of international peace or security, or the protection of its own essential interests ».

266. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 1153-1162.

267. Ibid., §§ 1171-1177.268. Ibid, §§ 1178-1179.269. Ibid., § 1173.270. Les sentences qui l’ont accueillie s’appuyaient en effet sur la lex specialis fi gurant à l’article XI

du TBI Argentine/États-Unis. Voy. cette chronique in cet Annuaire 2008, pp. 490 et s. ; 2010, pp. 644 et

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lassitude des arbitres confrontés depuis 2005 aux mêmes circonstances factuelles. L’affl ux d’affaires mettant en cause les mesures adoptées par différents États dans le contexte de la crise économique mondiale qui sévit depuis 2008 pourrait conduire à un renouvellement de l’analyse 271.

B. Le contenu de la responsabilité

1. Le principe de la réparation

a) Les dommages susceptibles d’être réparés

La réparation étant la principale obligation secondaire mise à la charge de l’État responsable et celui-ci étant tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite, le contenu de la responsabilité dépend large-ment de l’existence d’un dommage, notion que la CDI assimile à celle de préju-dice 272. Celle-ci doit toujours être démontrée à ce stade, alors même qu’il ne serait pas nécessaire de l’établir pour engager la responsabilité de l’État. Ainsi, tandis que certains arbitres tendent, à rebours de la CDI, à faire du dommage une condition d’engagement de la responsabilité 273, le tribunal de l’affaire Deutsche Bank a tenu à préciser qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’un dommage pour constater une expropriation illicite. La seule démonstration d’une privation substantielle de droits suffi t alors et ce n’est que pour statuer sur la réparation qu’il est nécessaire d’établir que cette privation a causé au demandeur un dommage 274. Autrement dit, les mesures étatiques doivent être reliées par un premier lien de causalité à la perte de l’investissement pour pouvoir constater l’existence d’une expropriation et engager la responsabilité de l’État, puis par un second lien de causalité au dommage qui peut résulter de cette perte afi n de statuer sur la réparation.

Ce dommage peut être matériel ou moral, même si les arbitres n’acceptent de constater l’existence du second type de dommage que dans les cas les plus graves 275. Il peut être actuel ou futur. À ce titre, si les tribunaux sont régulièrement conduits à indemniser le manque à gagner résultant de la perte par le demandeur de son investissement 276, celui de l’affaire Mobil Investments a été saisi d’une diffi culté particulière. Ayant vu un fait illicite continu dans l’édiction puis l’application d’une directive canadienne imposant aux investisseurs des charges accrues en matière de recherche et de développement, le tribunal était confronté aux prétentions du demandeur tendant à obtenir l’indemnisation non seulement de son préjudice actuel mais également de son préjudice futur. La directive en cause étant toujours en vigueur et l’activité du demandeur n’ayant pas cessé, celle-ci allait en effet être grevée de la charge supplémentaire induite par celle-là jusqu’en 2036, date prévisionnelle d’épuisement du gisement en cause. Le tribunal a alors estimé que l’article 1116 de l’ALENA, qui fonde sa compétence pour indemniser toutes « pertes ou (…) dommages en raison ou par suite » d’un manquement à ses dispositions,

s. ; 2011, pp. 553 et s.271. Voy. S. MANCIAUX, chronique précitée note 4, pp. 522 et s.272. Article 31 des Articles.273. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2010, p. 635 ; 2011, p. 557.274. CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, §§ 504-505.275. Pour un nouveau rejet de prétentions en ce sens, voy. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Mari-

time Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, § 428. Voy, cette chronique, in cet Annuaire, 2009, p. 705 ; 2011, p. 559.

276. Voy. infra, 2.

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incluait ces dommages futurs 277. Il a toutefois considéré que leur évaluation était « extremely hazardous » et ne passait en tout état de cause pas le test de « reasonable certainty » requis 278. Ce constat n’est toutefois pas irrémédiable dès lors qu’à la différence du manque à gagner qui résulte d’une expropriation, ce dommage futur n’a pas vocation à rester virtuel. Le tribunal s’est donc contenté de renvoyer les parties à la négociation, tout en indiquant au demandeur qu’il pourrait toujours entamer une nouvelle procédure lorsque son dommage se serait réalisé 279. La frustration éprouvée à la lecture de cette sentence qui ne vide donc pas le différend résulte moins de la prudence du tribunal dans l’évaluation de ce préjudice futur que des limites mises à son pouvoir par l’article 1135 de l’ALENA. Celui-ci ne lui recon-naissant que le pouvoir d’octroyer des « dommages pécuniaires » ou « la restitution de biens », il s’est gardé de demander le retrait ou l’abrogation de la directive illicite. Si l’on conçoit que les États aient souhaité canaliser le pouvoir des arbitres en les empêchant d’ordonner une restitution juridique, du moins devraient-ils conserver en tout état de cause la possibilité de demander la cessation de l’illicite, première des conséquences normalement attachée au constat de l’existence d’un fait illicite continu 280. En la leur déniant, les États contribuent à mettre en exergue, sans doute de manière excessive, la logique indemnitaire de ce type de contentieux 281.

b) Le lien de causalité

On l’a dit, pour donner lieu à réparation, le fait illicite doit être uni au dommage par un lien de causalité. Conséquence de sa volonté d’objectiver la responsabilité internationale notamment en purgeant son engagement de toute référence au dommage, cette question centrale a été largement négligée par la CDI. Cela n’em-pêche pas les arbitres de se référer aux quelques commentaires qui accompagnent l’article 31 de ses Articles pour la traiter. C’est par exemple sur cette base que le tribunal de l’affaire Inmaris a jugé que la liquidation des entreprises du deman-deur était une conséquence suffi samment proche et prévisible du refus illicite de l’Ukraine de laisser le navire qu’elles exploitaient quitter les eaux territoriales de ce pays pendant toute la saison de navigation 282 ou que le tribunal de l’affaire Occidental Petroleum a accepté d’indemniser les dommages indirects subis par cette entreprise en raison de son incapacité à honorer ses propres contrats après son expropriation 283. Mais c’est la contribution de la victime au préjudice qui a donné lieu aux débats les plus nourris en 2012. La prise en compte du fait de la victime dans l’appréciation du lien de causalité peut en effet conduire à limiter la réparation due par l’État responsable à deux égards, selon que le comportement de la victime se situe en amont ou en aval du fait internationalement illicite.

En amont, il peut être pris en compte en tant qu’il a contribué, aux côtés du fait illicite de l’État, à la réalisation du dommage. Les tribunaux des affaires Goetz et Occidental Petroleum ont ainsi réduit respectivement d’un tiers et d’un quart

277. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum du 22 mai 2012, §§ 427-430.

278. Ibid., §§ 473-478.279. Ibid., § 478.280. Article 30 des Articles : « L’État responsable du fait internationalement illicite a l’obligation : a)

d’y mettre fi n si ce fait continue (…) ».281. Voy. Th. W. WÄLDE/ B. SABAHI, « Compensation, Damages, and Valuation » in P. MUCHLINSKI/

F. ORTINO/ Ch. SCHREUER, The Oxford Handbook of International Investment Law, Oxford, OUP, 2008, p. 1058.

282. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, § 381.

283. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 790 et s.

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l’indemnisation octroyée aux demandeurs car le dommage qu’ils avaient subi était pour partie dû à des « fautes » commises par les entreprises dans lesquelles ils avaient investi 284. Si le premier n’a guère justifi é sa position, le second a tenté de s’en expliquer. La victime avait commis une négligence fautive en négociant avec un tiers la cession d’une partie de sa concession sans en avertir l’État comme le lui imposait les termes de son contrat. Pour le tribunal, cette négligence ne saurait justifi er que l’Équateur ait mis un terme à ce contrat, cette sanction pourtant prévue contractuellement étant disproportionnée et constituant donc une expropriation indirecte. Mais le tribunal, affi rmant appliquer les articles 31 et 39 des Articles, a jugé que cette négligence avait contribué de façon matérielle et signifi cative au dommage puisque, sans elle, le contrat de concession n’aurait pas été résilié. Cela justifi ait donc un partage de responsabilité. Usant de sa « wide discretion » dans la tâche diffi cile consistant à apprécier le poids respectif des différentes causes ayant contribué au dommage, la majorité jugea alors qu’elle était due pour 25 % à la faute de la victime 285. L’opinion dissidente de B. Stern, pour qui le dommage aurait dû être partagé à parts égales entre l’investisseur et l’État, ne fait que confi rmer la grande subjectivité qui s’attache à ce type d’évaluation 286. L’importance des sommes en jeu la rend vertigineuse puisqu’il en résulte une différence de 700 millions de dollars dans le montant fi nalement dû par l’Équateur au demandeur 287. Mais il est vrai que l’article 39 du texte de la CDI n’apporte guère de précision sur ce point, indiquant seulement qu’« il est tenu compte de la contribution au préjudice due à l’action ou à l’omission, intentionnelle ou par négligence, de l’État lésé ou de toute personne ou entité au titre de laquelle réparation est demandée ». Du moins voit-on que les arbitres mobilisent encore une fois le texte de la Commission, alors même que la disposition en cause s’inscrit dans un contexte interétatique en se référant tout au plus à la personne « au titre de laquelle réparation est demandée ». Cela tend à indiquer qu’ils perçoivent les règles qu’il contient comme des principes généraux du droit de la responsabilité 288.

En aval, on peut également considérer que « la victime totalement innocente d’un comportement illicite est censée agir raisonnablement face au préjudice » en s’efforçant de l’atténuer 289. C’est la position des tribunaux arbitraux, qui perçoivent comme « a well-established principle in investment arbitration » celui selon lequel une victime ne doit pas obtenir réparation d’un dommage qu’elle aurait pu éviter en prenant des mesures raisonnables 290. Leur pratique pourrait contribuer à renforcer cette obligation d’atténuer le dommage dont l’assise est pour le moins fragile, la CDI ne l’ayant exprimé dans son commentaire de l’article 31 que sur la base d’un obiter dictum ambigü de la CIJ 291.

284. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, §§ 258 et 299 ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 662 et s.

285. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, § 687.

286. Op. diss. Stern, §§ 7-8.287. Voy. infra, 2.288. Pour une discussion sur ce point, voy. M. PAPARINSKIS, op. cit. note 186, p. 638.289. Commentaire de l’article 31 des Articles, § 11.290. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA

c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 1301 et s.291. CIJ, Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997, § 80, Rec.,

p. 55, retenant seulement que « si ledit principe pourrait ainsi fournir une base pour le calcul de dommages et intérêts, en revanche, il ne saurait justifi er ce qui constitue par ailleurs un fait illicite ».

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2. Les modalités de la réparation

a) L’indemnisation

1,7 milliards de dollars. C’est la somme record octroyée à Occidental Petroleum par un tribunal CIRDI dans un différend qui opposait depuis fort longtemps cette compagnie pétrolière à l’Équateur et qui avait conduit à la résiliation anticipée de la concession dont elle bénéfi ciait 292. Rapportée à l’illégalité constatée (un usage disproportionné du pouvoir de sanction contractuellement reconnu) et au produit intérieur brut de l’Équateur (qui avoisine les 70 milliards de dollars 293), cette somme devrait faire débat, d’autant que la décision de la majorité est accompa-gnée d’une opinion fortement dissidente de B. Stern, pour qui le calcul de la majo-rité repose sur de « grossly incorrect legal bases » 294. Selon l’arbitre française, non seulement l’évaluation opérée aurait eu le tort d’écarter des taxes exceptionnelles dont la mise en œuvre aurait affecté les revenus tirés de l’investissement, mais elle aurait insuffi samment tenu compte de la contribution de la victime à son préjudice et, surtout, fait fi du contrat conclu entre le demandeur et un tiers en vertu duquel le premier avait cédé au second 40 % des revenus tirés de la concession expropriée et, donc, de l’indemnisation 295.

Au-delà de ces particularités de l’espèce, c’est le débat autour du principe de réparation intégrale, qui conduit les arbitres à tenter de replacer l’investisseur dans la situation où il se serait trouvé en l’absence de fait internationalement illicite, qui pourrait se trouver relancé. L’opinion individuelle de I. Brownlie en l’affaire CME revient ainsi à l’esprit. Celui-ci contestait vivement la méthode d’évaluation privilégiée dans le contentieux arbitral transnational notamment parce que, en sus d’un aspect spéculatif marqué, elle ne tient pas suffi samment compte de la nature particulière du débiteur 296. Bien qu’héritée de l’arbitrage commercial, cette méthode d’évaluation trouve certes un soutien fort, que les arbitres ne manquent jamais de rappeler, dans les principes posés par la CPJI dès l’affaire de l’Usine de Chorzów 297 et repris à l’article 36 des Articles de la CDI 298. Elle prévient en outre le risque que les États ne tirent profi t de leurs faits illicites. Mais elle peut conduire à faire peser sur eux une charge excessive. « It would be strange indeed, concluait ainsi I. Brownlie, if the outcome of acceptance of a bilateral investment treaty took the forms of liabilities ‘likely to entails catastrophic repercussions for the livelihood and economic well-being of the population’ » 299. Ces conséquences seraient d’autant plus gênantes que les efforts de pédagogie déployés par les arbitres pour tenter de justifi er leurs calculs ne masquent pas la large marge d’appréciation dont ils disposent, et qu’ils admettent parfois 300, à ce stade. Cette marge pourrait être employée afi n d’opérer une nouvelle balance entre les intérêts des investisseurs

292. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012.

293. <www.coface.fr>.294. Op. diss. Stern, § 1.295. Ibid., passim.296. Voy. op. ind. Brownlie sur Trib. ad hoc CNUDCI, CME c. République tchèque, sentence du

14 mars 2003, sp. §§ 74 et s..297. CPJI, Usine de Chorzów, fond, arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 47.298. Aux termes duquel « l’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation fi nancière, y

compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi ».299. Loc. cit., § 78, citation omise.300. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence

du 21 juin 2012, § 298 ; Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, § 215.

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et ceux des États au stade de l’indemnisation 301, pendant de celle qui s’opère lors de l’établissement de la responsabilité 302. Cette piste semble d’autant plus fructueuse que l’évaluation de l’indemnisation permet davantage de nuances que l’établissement de la responsabilité.

Par comparaison, les quelque trois millions de dollars octroyés à Marion Unglaube paraissent bien modestes. Mais la sentence qui en a décidé contient d’intéressants développements. Ayant estimé que le Costa Rica avait exproprié, dans le but légitime de créer un parc naturel, les terrains qu’elle avait acquis dans le cadre d’un projet écotouristique, il devait se prononcer sur le standard applicable à l’indemnisation du préjudice subi du fait d’une expropriation qui n’est illicite que parce qu’elle ne s’est pas accompagnée d’une juste et préalable indemnité. Les arbitres ont alors jugé que la valeur de l’investissement exproprié à laquelle se référait le TBI s’agissant des expropriations licites ne constituait pas l’étalon pertinent car l’expropriation illicite doit faire l’objet d’une réparation intégrale. Ils ont toutefois estimé que, « fortunately », les deux méthodes se rejoignaient autour du standard de juste valeur du marché puisque le terrain en cause ne générait pas de revenus 303. La seule diffi culté tenait alors à la date à prendre en compte pour l’évaluation du préjudice. La date exacte de l’expropriation étant diffi cile à établir et le marché ayant évolué au cours de la période, les arbitres fi xèrent une date qu’ils jugèrent raisonnable, compte tenu de la situation de la demanderesse, du droit du défendeur de l’exproprier et de l’illicéité commise en ne l’indemnisant pas 304. Ceci tend à confi rmer qu’une balance des intérêts reste envisageable au stade de la réparation.

Lorsqu’ils octroient une indemnité au demandeur, les arbitres l’assortissent d’intérêts dont le cru 2012 confi rme qu’ils sont le plus souvent composés, l’essentiel des discussions s’étant alors reporté sur leur taux 305. À ces sommes dues au titre de l’indemnisation, peuvent encore s’ajouter les coûts de l’arbitrage. Ceux-ci peuvent être mis à la charge de la partie défaite en application de l’idée selon laquelle « the costs follow the event ». Mais il est souvent tenu compte de l’équilibre global de la décision, du sérieux des prétentions des parties et de leur attitude au cours de la

301. Voy. Th. W. WÄLDE/ B. SABAHI, op. cit. note 281, passim ; I. MARBOE, « State Responsibility and Comparative State Liability for Administrative and Legislative Harm to Economic Interests », in S. W. SCHILL, International Investment Law and Comparative public Law, Oxford, OUP, 2010, p. 722 ; M. B. DEVANEY, « Leave it to the Valuation Experts ? The Remedies Stage of Investment Treaty Arbitra-tion and the Balancing of Public and Private Interests », Society of International Economic Law, working paper, 2012 n° 6.

302. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence du 27 septembre 2012, § 264.

303. CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 304-308.304. Ibid., §§ 317-318.305. CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8,

sentence du 1er mars 2012, §§ 393, 399, 410, 429 ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 319 et s. ; CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 1324 et s. ; CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, §§ 300 et s. (refusant d’appliquer des intérêts pour une période au cours de laquelle les demandeurs ont retardé la procédure) ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. FYROM, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juillet 2012, §§ 358 et s. ; Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, § 226 ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 834 et s. ; CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 575.

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procédure, voire de l’origine de leurs ressources 306, pour partager ou, au contraire, concentrer la charge qu’elles doivent supporter à ce titre 307.

b) Les autres formes de réparation

L’indemnisation est, et de loin, la principale forme de réparation recherchée et octroyée dans le contentieux investisseur-État. On a déjà souligné les limites que peut revêtir, même en ce domaine, la conception patrimoniale de la responsabilité lorsqu’elle est exclusive 308. Tel n’est toutefois pas toujours le cas. En effet, d’autres formes de réparation sont parfois envisagées, dont la restitution 309 ou la satisfac-tion. Cette dernière peut prendre plusieurs formes, au rang desquelles « la décla-ration d’illicéité faite par une cour ou un tribunal compétent » 310. Certains arbitres en sont conscients, qui rechignent davantage à indemniser le préjudice moral qu’à le réparer sous forme de satisfaction 311. Cette idée se retrouve dans quelques déci-sions rendues en 2012, qui montrent que les investisseurs voient parfois dans la sentence déclaratoire elle-même une forme de réparation 312. Certains tribunaux l’admettent, au point de poursuivre pour ce motif l’examen des violations invoquées alors même que l’issue de cette analyse serait sans conséquence indemnitaire dès lors qu’un premier fait internationalement illicite a déjà été constaté 313.

306. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, § 224, où le tribunal décide de faire « supporter » les coûts de l’arbitrage par le demandeur victorieux au motif qu’il est en réalité fi nancé par un tiers, qui n’a pas accès à l’arbitrage et qui est qualifi é par le tribunal de « bon samaritain ».

307. CPA (CNUDCI), ICS Inspection and Control Services Limited c. Argentine, aff. n° 2010-9, sentence sur la compétence du 10 février 2012, §§ 328 et s. ; CIRDI, SGS Société générale de surveillance SA c. Paraguay, aff. n° ARB/07/29, sentence du 10 février 2012, §§ 189 et s. ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 327 et s. ; Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 336 et s. ; CIRDI, Swisslion DOO Skopje c. Ancienne République yougoslave de Macédoine, aff. n° ARB/09/16, sentence du 6 juin 2012, §§ 351 et s. ; CPA (CNUDCI), Ulysseas c. Équateur, sentence du 12 juin 2012, §§ 362 et s. ; CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012 ; §§ 1342 et s. ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 870 et s. ; CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, §§ 583 et s. ; CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 287 et s. ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 472 et s. ; CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, §§ 304 s. ; CIRDI, Inmaris Perestroika Sailing Maritime Services GmbH e.a. c. Ukraine, aff. n° ARB/08/8, sentence du 1er mars 2012, § 437 ; CNUDCI, Carl A. Sax e.a. c. Ville de Saint-Pétersbourg, sentence fi nale du 30 mars 2012, §§ 794 et s. ; CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3, sentence du 14 mai 2012, §§ 119 et s. ; CIRDI, Iberdrola Energía SA c. Guatemala, aff. n° ARB/09/5, sentence du 17 août 2012, §§ 512 et s. ; CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, §§ 256 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Victor Pey Casado and President Allende Foundation c. Chili, aff. n° ARB/98/2, décision du 18 décembre 2012, §§ 352 et s. ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, aff. n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 283 et s.

308. Voy. supra, nos commentaires sur la sentence Mobil Investments Canada.309. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2010, p. 653.310. Commentaire de l’article 37 des Articles, § 6.311. Voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2011, p. 564 ; P. DUMBERRY, « Satisfaction as a Form of

Reparation for Moral Damages Suffered by Investors and Respondent States in Investor-State Arbitra-tion Disputes », Journal of International Dispute Settlement, 2012, pp. 1-38, qui conteste cette forme de réparation lorsque c’est l’investisseur, non l’État, qui subit le dommage moral.

312. CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence du 27 septembre 2012, §§ 299 et s.

313. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la responsabilité, sentence du 6 juin 2012, § 465. Sur ces questions, voy. aussi l’opinion (sollicitée par Chevron) de Jan Paulsson, dans l’affaire CPA (CNUDCI), Chevron Corp. et Texaco Petroleum Corp. c. Équateur, aff. n° 2009-23, 12 mars 2012, §§ 83 et s.

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III. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL ET DROIT APPLICABLE

L’identifi cation par les arbitres du droit applicable au différend qui leur est soumis constitue un élément clef du contentieux arbitral transnational. Elle dépend d’une part du texte qui fonde l’existence du tribunal 314, d’autre part de l’accord des parties tel qu’il se manifeste dans la convention d’arbitrage 315. Les tribunaux arbitraux sont ainsi conduits à préciser la manière dont le droit international des investissements s’articule non seulement avec le droit interne (A) mais aussi avec d’autres règles de droit international (B).

A. Le droit interne

L’autonomie des parties peut conduire les tribunaux arbitraux à être alterna-tivement juges du droit interne, du droit international ou des deux. Les arbitrages rendus en 2012 traduisent de manière assez classique la façon dont ces droits s’articulent dans ce contentieux hybride 316. Deux d’entre eux méritent toutefois d’être signalés, en ce qu’ils montrent que les tribunaux peuvent parfois être à la fois juge interne et juge international.

Tel était clairement le cas du tribunal de l’affaire Goetz. Saisi de réclama-tions conventionnelles mais aussi contractuelles sur le fondement d’un TBI qui prévoyait l’application cumulative du droit burundais et du droit international, il a pu s’appuyer sur cette clause de droit applicable largement rédigée pour admettre la recevabilité de demandes reconventionnelles formulées par le Burundi contre l’investisseur pour violation de ses obligations contractuelles 317.

Quant à la sentence Occidental Petroleum, elle met en lumière « la manière même de procéder du juge CIRDI qui, de plus en plus fréquemment et en raison de la dualité de son offi ce, appréhende les relations entre droit interne et droit international moins comme des relations d’ordre juridique à ordre juridique que comme des relations de normes applicables à normes applicables à l’intérieur d’une seule et même sphère normative » 318. En effet, droit interne et droit international

314. À titre d’exemple, l’article 42, § 1er, de la convention de Washington indique à cet égard que « [l]e tribunal statue sur le différend conformément aux règles de droit adoptées par les parties. Faute d’accord entre les parties, le tribunal applique le droit de l’État contractant partie au différend – y compris les règles relatives aux confl its de lois – ainsi que les principes de droit international en la matière ».

315. Y. BANIFATEMI, « The Law Applicable in Investment Treaty Arbitration », in K. YANNACA-SMALL, Arbi-tration Under International Investment Agreements. A Guide to the Key Issues, Oxford, OUP, 2010, pp. 193-195.

316. Trib. ad hoc CNUDCI, Jan Oostergetel et Theodora Laurentius c. Slovaquie, sentence du 23 avril 2012, §§ 138 et s. ; CIRDI, Marion Unglaube c. Costa Rica, aff. n° ARB/08/1, sentence du 16 mai 2012, §§ 29 et s. ; CIRDI, Caratube International Oil Company LLP c. Kazakhstan, aff. n° ARB/08/12, sentence du 5 juin 2012, §§ 227-230 ; CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la responsabilité du 6 juin 2012, §§ 324 et s. ; CIRDI, Toto Costruzioni Generali SpA c. Liban, aff. n° ARB/07/12, sentence du 7 juin 2012, §§ 55-57 ; CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, aff. n° ARB/05/1, sentence du 22 août 2012, §§ 45 et s., 136 et s., 146, 169 s. ; CIRDI, Quiborax SA, Non Metallic Minerals SA et Allan Fosh Kaplùn c. Bolivie, aff. n° ARB/06/2, décision sur la compétence du 27 septembre 2012, §§ 47 et s., 115 et s., 226 ; CIRDI, Bosh International, Inc. et B&P Ltd Foreign Investments Entreprise c. Ukraine, aff. n° ARB/08/11, sentence du 25 octobre 2012, §§ 110 et s., 280 ; CIRDI, Deutsche Bank AG c. Sri Lanka, aff. n° ARB/09/2, sentence du 31 octobre 2012, § 313 ; CIRDI, Burlington Resources Inc. c. Équateur, aff. n° ARB/08/5, décision sur la responsabilité du 14 décembre 2012, §§ 179 et s., 214-215, 276 et s., 410, 510 ; CIRDI, Teinver SA, Transportes de Cercanías SA and Autobuses Urbanos del Sur SA c. Argentine, aff. n° ARB/09/1, décision sur la compétence du 21 décembre 2012, §§ 226-228.

317. CIRDI, Antoine Goetz e.a. et SA Affi nage des métaux c. Burundi, aff. n° ARB/01/2, sentence du 21 juin 2012, §§ 141-147 pour le droit applicable, §§ 276-280 pour la demande reconventionnelle. Voy. W. BEN HAMIDA, loc. cit. note 153, 2012, p. 893 et supra I, E.

318. M. FORTEAU, « Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son offi ce : juge interne, juge interna-tional, ou l’un et l’autre à la fois ? », in Liber Amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 113.

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s’entrelacent à ce point dans le raisonnement des arbitres qu’il en devient diffi cile de distinguer si c’est la responsabilité contractuelle de l’État ou sa responsabilité internationale qui a été engagée 319.

B. Les autres règles de droit international

Dans un « monde (…) irrémédiablement pluraliste » 320, le développement exponentiel du contentieux investisseur-État ne pouvait manquer de mettre en lumière les relations parfois tumultueuses que peuvent entretenir le droit inter-national des investissements et les autres branches du droit international. Sans doute ces relations devraient-elles être désormais davantage prises en compte par les États au moment de négocier de nouveaux accords 321. Mais en attendant, les arbitres doivent s’y confronter régulièrement, notamment lorsqu’ils déterminent le droit applicable au différend qui leur est soumis. Les parties peuvent en effet leur demander de mobiliser d’autres règles de droit international à titre principal ou, plus souvent, de manière incidente ; ils peuvent s’en servir directement en les appliquant ou indirectement, notamment en les prenant en compte au cours du processus interprétatif. Si le cru 2012 n’apporte guère d’enseignements sur le front des relations entre droit des investissements et droit de l’environnement 322, celles qu’entretient le premier avec le droit international des droits de l’homme et, surtout, le droit de l’Union européenne ont connu d’intéressants développements.

1. Le droit international des droits de l’homme

Initialement perçus comme deux ensembles hermétiquement séparés, le droit international des investissements et le droit international des droits de l’homme entrent désormais régulièrement en contact 323. Les sentences rendues en 2012 confi rment ainsi que ce dernier peut être invoqué par les parties ou utilisé par les arbitres de diverses manières.

Aucun demandeur ne s’est certes appuyé à titre principal sur des dispositions relevant de cette branche du droit, comme avait pu le faire Spyridon Roussalis en tentant, sans succès, de faire reconnaître par un tribunal arbitral la violation par la Roumanie de dispositions de la convention européenne des droits de l’homme

319. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, passim. Au terme d’un raisonnement au cours duquel il s’est régulièrement mis dans la peau d’un juge équatorien, le tribunal constate une violation aussi bien du droit équatorien que du droit coutumier et du TBI (§ 452). La violation du TBI semble toutefois dominer, puisqu’elle le conduit à privilégier les règles du droit international en matière de réparation (§ 791) tout en prenant le soin de constater qu’elles ne diffèrent pas de celles du droit équatorien (§ 798).

320. Rapport du groupe d’étude de la CDI, Fragmentation du droit international : diffi cultés découlant de la diversifi cation et de l’expansion du droit international, doc. A/CN.4/L.682 (2006), § 488.

321. V. PRISLAN, « Non-Investment Obligations in Investment Treaty Arbitration - Towards a Greater Role for States ? », in F. BAETENS, Investment Law within International Law : An Integrationist Perspective, Cambridge, CUP, à paraître, disponible sur <www.ssrn.com>.

322. Voy. J. VINUALES, Foreign Investment and the Environment in International Law, Cambridge, CUP, 2012, 474 p. ; P.-M. DUPUY/ J. VINUALES, Harnessing Foreign Investment to Promote Environmental Protection : Incentives and Safeguards, Cambridge, CUP, 2013, 493 p.

323. Voy., entre autres, P.-M. DUPUY, « Unifi cation Rather than Fragmentation of International Law ? The Case of International Investment Law and Human Rights Law’, in P.-M. DUPUY/ F. FRAN-CIONI/ E.-U. PETERSMANN, Human Rights in International Investment Law and Arbitration, Oxford, OUP, 2009, pp. 45-62 ; B. SIMMA, « Foreign Investment Arbitration : a Place for Human Rights ? », ICLQ, 2011, pp. 573-596 ; E. DE BRABANDERE, « Human Rights Considerations in International Investment Arbitra-tion », in M. FITZMAURICE/ P. MERKOURIS, The Interprétation and Application of the European Convention of Human Rights : Legal and Practical Implications, Leiden, Nijhoff, 2013, pp. 183-215.

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en s’appuyant sur une clause particulière du TBI Grèce/Roumanie 324. Mais le tribunal de l’affaire Occidental Petroleum s’est inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour soumettre l’Équateur au principe de proportionnalité dans l’édiction de sanctions contractuelles 325.

Si le droit international des droits de l’homme peut ainsi contribuer indirecte-ment à renforcer la protection dont bénéfi cie l’investisseur étranger, celui-ci n’est toutefois pas un homme comme les autres. Ainsi, bien que certains tribunaux aient pu s’inspirer de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg pour affi rmer l’existence d’une marge d’appréciation au profi t des États 326, les arbitres de l’affaire Renta 4 ont tenu à s’en démarquer. Selon eux, les investisseurs étrangers bénéfi cient en effet d’une protection accrue par rapport à celle qui est offerte à tout individu en vertu des instruments de protection des droits de l’homme, d’une part parce que les accords d’investissement contiennent des engagements destinés spécifi quement à les inciter à investir, d’autre part parce qu’ils n’ont pas à supporter la charge de décisions prises éventuellement dans l’intérêt d’une communauté à laquelle ils n’appartiennent pas 327. La marge d’appréciation des États s’en trouverait réduite d’autant.

Il arrive pourtant que ceux-ci cherchent à justifi er leurs agissements par des considérations empruntées au droit international des droits de l’homme 328. C’est en particulier le cas de l’Argentine, qui soutient régulièrement que les mesures qui ont affecté les concessionnaires des services de distribution d’eau ou d’électricité étaient nécessaires pour sauvegarder les droits fondamentaux de sa population. Ceci conduit les arbitres à marquer une déférence de bon aloi à l’égard des normes invoquées. Ils acceptent au moins de les prendre en compte dans l’interprétation des obligations pesant sur l’État en vertu du droit des investissements 329, au plus de les qualifi er de normes de jus cogens susceptibles de prévaloir en cas de confl it sur les dispositions des accords d’investissement 330. Mais ils écartent systémati-quement tout confl it, affi rmant que l’État pouvait fort bien les respecter sans porter atteinte aux droits des investisseurs 331.

Le droit international des droits de l’homme ne joue donc encore qu’un rôle limité dans le contentieux investisseur-État 332. Un mouvement de résistance à sa

324. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, §§ 306-312, cette chronique in cet Annuaire, 2011, p. 581.

325. CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company c. Équateur, aff. n° ARB/06/11, sentence du 5 octobre 2012, §§ 402 et s., le tribunal mentionnant également le droit de l’OMC et le droit de l’Union européenne. Voy. supra I, C.

326. CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, sentence du 5 septembre 2008, § 18. Voy. S. MANCIAUX, chronique précitée note 4, pp. 525 et s.

327. Chambre de commerce de Stockholm, Renta 4 SVSA et al. c. Russie, n° 24/2007, sentence du 20 juillet 2012, §§ 21-23. Vou. supra II, A.

328. On remarquera qu’il a pu arriver, réciproquement, qu’un État cherche à justifi er une atteinte aux droits des populations autochtones par le souci de respecter un accord d’investissement, sans davantage de succès. Voy. Cour interaméricaine des droits de l’homme, Comunidad indigena Sawhoyamaxa c. Paraguay, série C, n° 146, arrêt du 29 mars 2006, § 140 : « Moreover, the Court considers that the enforcement of bilat-eral commercial treaties negates vindication of non-compliance with state obligations under the American Convention; their enforcement should always be compatible with the American Convention, which is a multilateral treaty on human rights that stands in a class of its own and that generates rights for individual human beings and does not depend entirely on reciprocity among States ». Voy. J. CAZALA, « Protection des droits de l’homme et contentieux international de l’investissement », Cahiers de l’arbitrage, 2012, p. 893.

329. CIRDI, SAUR International SA c. Argentine, aff. n° ARB/04/4, décision sur la compétence et la responsabilité du 6 juin 2012, §§ 328-332.

330. CIRDI, EDF International SA, SAUR International SA and León Participaciones Argentinas SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/23, sentence du 11 juin 2012, §§ 911-914.

331. Id. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 647.332. Pour certains, cette ignorance relative aurait des explications sociologiques qui tiendraient

à l’étanchéité des communautés professionnelles qui connaissent de chacune de ces branches du droit international, voy. M. HIRSCH « The Interaction between International Investment Law and Human Rights

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transformation en contentieux des droits de l’homme pourrait même se lire dans le rejet par les tribunaux des affaires Bernhard von Pezold et Border Timbers de demandes d’amici curiae aux motifs que leurs prétendus amis « provided no evidence or support for their assertion that international investment law and international human rights law are interdependent such that any decision of these Arbitral Tribu-nals which did not consider the content of international human rights norms would be legally incomplete » 333. Il faut dire que le Zimbabwe n’avait jusqu’alors avancé aucun argument tiré de la protection des peuples autochtones pour justifi er les mesures dont les demandeurs se plaignaient. D’autres tribunaux se sont d’ailleurs montrés plus ouverts vis-à-vis d’amici curiae prétendant représenter la société civile 334.

2. Le droit de l’Union européenne

La question désormais récurrente 335 des relations entre le droit des investis-sements et le droit de l’Union européenne a été abordée de manière extensive par le tribunal de l’affaire Electrabel, sans qu’il soit certain que l’exhaustivité de son raisonnement suffi se à l’éclairer pleinement.

On le sait, ces relations se développent à mesure que l’Union s’élargit à de nouveaux États préalablement liés à ses membres par des accords d’investisse-ment et que ses compétences s’approfondissent pour inclure depuis le traité de Lisbonne les investissements directs étrangers. Ces évolutions ont conduit l’Union à revendiquer la disparition des traités intra-communautaires et un monopole sur la conclusion et la modifi cation des traités conclus avec les tiers 336. Mais les rela-tions entre les traités préexistants et le droit de l’Union sont aussi à l’origine de diffi cultés contentieuses. Les arbitres ont ainsi abordé le sort des traités devenus intra-communautaires, dont l’Union et les États ont prétendu en vain que l’adhé-sion de ceux-ci à celle-là avait conduit à leur extinction 337. Ils ont en revanche contourné jusqu’ici l’argumentation des États selon laquelle leurs violations du droit des investissements seraient justifi és par la volonté de se conformer au droit de l’Union, en interprétant ici les obligations communautaires comme n’imposant

Treaties : A Sociological Perspective » in T. BROUDE / Y. SHANY, Multi-Sourced Equivalent Norms in Inter-national Law, Oxford, Hart, 2011, pp. 115-142.

333. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, aff. n° ARB/10/15, ordonnance procédurale n° 2, 26 juin 2012 et CIRDI, Border Timbers Ltd, Border Timbers International (Private) Ltd, et Hangani Develop-ment Co. (Private) Ltd c. Zimbabwe, aff. n° ARB/10/25, ordonnance procédurale n° 2, 26 juin 2012, §§ 58-59.

334. CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence du 1er juin 2012, §§ 1.31 et s. et 2.36 et s. De son côté, le tribunal de l’affaire Philip Morris a souligné, dans un autre contexte, que l’intérêt public qui s’attache aux questions soulevées dans l’arbitrage d’investissement implique que des informations sur la procédure soient fournies à la société civile (CPA (CNUDCI), Philip Morris Asia Limited c. Australie, n° 2012-12, ordonnance procédurale n° 5 (confi dentialité) du 30 novembre 2012, § 51). Sur ces questions, voy. E DE BRABANDERE, op. cit. note 323 ; L. BASTIN, « The Amicus Curiae in Investor-State Arbitration », Cambridge Journal of International and Comparative Law, 2012, pp. 208-234.

335. S. ROBERT-CUENDET, « Les investissements intracommunautaires entre droit communautaire et accords internationaux sur l’investissement : concilier l’inconciliable ? », RGDIP, 2011, pp. 853-893 ; A. GIARDINA, « La question du droit applicable : l’application directe du droit européen et son infl uence sur le droit et l’arbitrage des investissements », in C. KESSEDJIAN, Le droit européen et l’arbitrage d’inves-tissement, Paris, Panthéon-Assas, 2011, pp. 149-164 ; G. A. BERMAN, « Navigating EU Law and the Law of International Arbitration », Arbitration International, 2012, pp. 397-445.

336. S. EL BOUDOUHI, « L’avenir des traités bilatéraux d’investissement conclus par les États membres de l’Union européenne avec des États tiers », RTDE, 2011, pp. 85-115.

337. Chambre de commerce de Stockholm, Eastern Sugar BV c. République tchèque, aff. n° 088/2004, sentence partielle du 27 mars 2007, § 160 ; CPA/CNUDCI, Eureko BV c. Slovaquie, aff. n° 2008-13, sentence sur la compétence, l’arbitrabilité et la suspension, 26 octobre 2010, §§ 231 et s. Voy cette chronique, in cet Annuaire, 2010, pp. 621 et s.

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pas de telles violations 338, là les standards de protection issus du droit des investis-sements comme ne garantissant pas contre des évolutions résultant de l’adhésion programmée de l’État à l’Union 339.

La question se posait en des termes quelque peu différents au tribunal de l’af-faire Electrabel. Le demandeur, de nationalité belge, se plaignait sur le fondement du traité sur la charte de l’énergie de la terminaison anticipée de son contrat décidée par la Hongrie pour se conformer à une décision de la Commission européenne qui y avait vu une aide d’État. La place à réserver au droit de l’Union européenne pour régler ce différend né d’un investissement devenu intra-communautaire mais fondé sur un traité plurilatéral dépassant le cadre de l’Union se trouvait donc au cœur du problème. À vrai dire, la question n’était pas inédite, le tribunal de l’affaire AES ayant déjà été saisi de faits analogues. Il n’avait toutefois pas fait grand cas du droit de l’Union, jugeant que, saisi sur la base du traité sur la charte de l’énergie, il devait se prononcer sur son fondement. Il n’avait alors admis de prendre en compte le droit de l’Union européenne qu’en tant qu’élément intégré au droit interne et donc comme un fait dont il faut tenir compte pour déterminer si l’État a agi de manière raisonnable au regard des standards protecteurs du traité, mais qui ne saurait justifi er leur violation 340. Les arbitres de l’affaire Electrabel ont développé un raisonnement plus poussé qui, après bien des détours, fi nit par octroyer au droit de l’Union une place de choix dans le contentieux investisseur-État.

Leur raisonnement semble pouvoir être reconstruit en ces termes. Il exigeait d’abord une réduction de la spécifi cité du droit de l’Union européenne. Bien qu’il ait pu être qualifi é d’« ordre juridique interne d’origine internationale » 341, qu’il s’agisse d’un « body of supra-national law within the EU » 342, les arbitres ont en effet jugé que ce droit continuait de relever, dans son intégralité (qu’il soit origi-naire ou dérivé) 343, de l’ordre juridique international, le principe d’immédiateté n’en affectant pas fondamentalement la nature 344. Cela leur a permis de conclure que le droit de l’Union était applicable au différend non seulement en tant qu’il s’intègre au droit interne de l’État défendeur ou en tant que fait, mais aussi en tant qu’il fait partie des « règles et principes applicables de droit international » que mentionne l’article 26, § 6 du traité sur la charte de l’énergie 345. Le tribunal a donc sollicité le droit de l’UE pour statuer aussi bien sur sa compétence que sur le fond du différend.

Sur le premier point, les arguments avancés par la Commission à titre d’amicus curiae ont été amplement examinés mais n’ont guère porté 346. Les arbitres ont ainsi

338. CIRDI, ADC Affi liate Limited and ADC & ADMC Management Limited c. Hongrie, aff. n° ARB/03/16, sentence du 2 octobre 2006, §§ 268-272 ; Chambre de commerce de Stockholm, Eastern Sugar BV c. République tchèque, aff. n° 088/2004, sentence partielle du 27 mars 2007, §§ 155-180.

339. CPA (CNUDCI), Saluka Investments BV c. République Tchèque, sentence partielle du 17 mars 2006, §§ 357-358.

340. CIRDI, AES Summit Generation c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010, §§ 7.6.6 et 7.6.9.

341. Opinion de l’avocat général Maduro sur CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et al., aff. n° C-402/05 et C-415/05, § 21.

342. CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, aff. n° ARB/07/19, décision sur la compétence, le droit applicable et la responsabilité du 30 novembre 2012, § 4.197.

343. Id., §§ 4.122-4.124.344. Id., § 4.126 : « In the Tribunal’s view, there is no fundamental difference in nature between inter-

national law and EU law that could justify treating EU law, unlike other international rules, differently in an international arbitration requiring the application of relevant rules and principles of international law ».

345. Id., § 4.195.346. On remarquera que c’est l’intervention de la Commission qui a conduit le tribunal à examiner

si la Hongrie était bien le bon défendeur, alors même que cette dernière ne le contestait pas. Sur le rôle de la Commission dans ce cadre, voy. S. MENETREY, « La participation ‘amicale’ de la Commission euro-péenne dans les arbitrages liés aux investissements intracommunautaires », JDI, 2010, pp. 1127-1155.

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estimé qu’aucun principe de droit de l’UE ne s’opposait à ce qu’ils se déclarent compé-tents ratione materiae, le prétendu monopole d’interprétation de la Cour de Justice de l’Union européenne, qu’elle venait pourtant de réaffi rmer avec force 347, n’étant selon eux pas mis en cause par leur intervention 348. Leur compétence ratione personae ne pouvait davantage être contestée dès lors que le demandeur contestait bien des mesures étatiques sur le fondement du traité sur la charte de l’énergie 349.

Mais c’est au fond que les arbitres ont accordé une place prédominante au droit de l’Union. Ils s’en sont d’abord servis afi n d’interpréter les obligations résultant pour l’État du traité sur la charte de l’énergie. Ce traité autoriserait en effet les États membres de l’Union à mettre en œuvre ses décisions obligatoires, notam-ment parce que celle-ci avait été à l’origine de celui-là, que les objectifs des deux ensembles normatifs convergeaient vers l’élimination des pratiques anti-concur-rentielles et que le premier admettait implicitement l’existence du droit produit par la seconde 350. Un État membre ne saurait donc violer le traité sur la charte de l’énergie lorsqu’il met en œuvre une décision de la Commission européenne ne lui laissant aucune marge d’appréciation 351. Fort de ce constat, les arbitres se sont mués en juges de l’Union afi n de déterminer ce qui était requis de la Hongrie en vertu de la décision de la Commission, principes d’interprétation du droit de l’Union à l’appui 352. Cette décision ne laissant d’autre choix à la Hongrie que de mettre un terme au contrat, on ne saurait lui reprocher sur le fondement du traité sur la charte de l’énergie de s’y être conformée 353. Les arbitres n’ont donc décelé aucun confl it d’obligations entre le droit de l’Union et le traité sur la charte de l’énergie. Mieux, ils ont exclu qu’il puisse en exister.

Ils ne se sont toutefois pas arrêtés là. En effet, par égard pour l’argumenta-tion des parties, ils ont accepté de s’avancer sur la question de la résolution d’un éventuel confl it d’obligations, dans l’hypothèse où leur interprétation du traité sur la charte de l’énergie serait erronée. La solution à ce problème serait à rechercher dans les dispositions des traités en cause. L’article 16 du traité sur la charte de l’énergie n’offrirait que peu de secours, en raison de la différence d’objet entre ce dernier et le droit de l’Union 354. En revanche, alors que le tribunal de l’affaire AES 355 puis les parties elles-mêmes l’avaient rapidement écarté, les arbitres ont estimé que l’article 307 du traité sur la Communauté européenne (article 351 TFUE) pouvait offrir une solution. En prévoyant que « les droits et obligations

Son intervention en tant qu’amicus doit sans doute être distinguée matériellement de celle des ONG qui peuvent également bénéfi cier de ce statut (voy. supra, 1). Elle se distingue également formellement de la possibilité ouverte aux États parties à un traité multilatéral d’en défendre une interprétation dans le cadre d’un différend ne les mettant pas en cause (voy. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corp. c. Canada, aff. n° ARB(AF)/07/4, décision sur la responsabilité et sur les principes relatifs au quantum du 22 mai 2012, §§ 249 et s. ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12, décision sur les objections à la compétence du 1er juin 2012, §§ 1.31 et s., 2.36 et s.).

347. CJUE, avis 1/09 du 8 mars 2011, Juridiction européenne des brevets.348. Id., §§ 4.146-4.166 : « In conclusion, the Tribunal has found no legal rule or principle of EU law

that would prevent this Tribunal from exercising its functions in this arbitration under Article 26 of the ECT ».

349. Id., §§ 5.32-5.5.38. Voy. supra, II A.350. Id., §§ 4.130 et s., sp. § 4.133. En ce sens, voy. S. ROBERT-CUENDET, op. cit. note 335, p. 883.351. Id., §§ 6.72 et 6.76. Voy. supra, II A.352. Id., §§ 6.76-6.93.353. Id.354. Id., §§ 4.174-4.177. L’article 16 prévoit que les dispositions des parties III et V (investissement)

du traité sur la charte de l’énergie doivent s’effacer « [l]orsque deux ou plusieurs parties contractantes ont conclu un accord international antérieur ou concluent postérieurement un accord international dont les dispositions portent dans les deux cas sur l’objet des parties III ou V du présent traité [et] sont plus favorables pour l’investisseur ou l’investissement ».

355. CIRDI, AES Summit Generation c. Hongrie, aff. n° ARB/07/22, sentence du 23 septembre 2010, §§ 7.6.10-7.6.11.s

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résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités », cette disposition signifi erait, a contrario et en accord avec les règles de confl it fi gurant dans la convention de Vienne, que les droits et obligations résultant entre États membres des traités antérieurs à leur adhésion doivent s’effacer au profi t du droit de l’Union européenne en cas de confl it. Tel était bien le cas en l’espèce, la Hongrie étant devenue partie au traité sur la charte de l’énergie avant d’adhérer à l’Union européenne. Ni le fait que ce traité dépasse le cadre de l’Union, ni l’éventualité qu’il ait fait naître des droits au profi t non seulement des États mais des investisseurs n’affecteraient cette solution 356.

Cette sentence est riche, trop peut-être puisqu’elle contient plusieurs affi rma-tions qui n’étaient pas nécessaires à la solution du litige. Elle montre que les arbitres peuvent utiliser le droit de l’Union européenne de multiples manières. Ils en ont ainsi tenu compte, d’abord de manière indirecte pour interpréter les obligations pesant sur les États en vertu du traité sur la charte de l’énergie, ensuite en tant que fait afi n de déterminer si la Hongrie était bien tenue de mettre un terme au contrat en cause. Mais ils l’ont également appliqué en tant que tel, aussi bien pour rejeter l’exception d’incompétence tirée par la Commission du prétendu monopole d’interprétation de la CJUE que pour régler, à titre subsidiaire, les hypothétiques confl its d’obligations.

Ainsi, à la différence du tribunal de l’affaire AES qui avait considéré devoir appliquer uniquement les dispositions du traité sur la charte de l’énergie, le tribunal de l’affaire Electrabel n’a pas hésité à considérer que l’accord qui fondait sa compétence l’invitait, en se référant aux « règles et principes applicables de droit international », à le dépasser. Ces règles et principes, au rang desquels le droit de l’Union européenne, ne servent pas ici uniquement d’appui à l’application des dispositions du traité à la manière des règles secondaires du droit international auxquelles les tribunaux se réfèrent abondamment ; elles sont appliquées conjoin-tement, voire concurremment, aux dispositions procédurales et substantielles qu’il contient 357. Cette solution irritera peut-être la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne en ce qu’elle soumet le droit de l’Union européenne à un regard extérieur ; mais elle conduit à en affi rmer la primauté sur les règles applicables entre États membres en vertu des accords d’investissement. Elle permet en tous cas au contentieux arbitral transnational d’apporter une nouvelle pierre au « renouveau constant de la question de l’articulation entre droit international et droit commu-nautaire » 358. Il y a fort à parier que ce ne sera pas la dernière. L’édifi ce n’est en effet pas achevé, ne serait-ce que parce que la place du droit de l’Union européenne n’est pas réglée lorsque les investissements protégés proviennent d’États tiers.

356. Décision Electrabel, §§ 4.178-4.189.357. Le raisonnement du tribunal fait ainsi écho à celui du comité ad hoc de l’affaire Wena, qui avait

conclu que l’article 42 de la convention de Washington ne conférait pas seulement un rôle complémentaire au droit international par rapport au droit interne mais « allowed for both legal orders to have a role. The law of the host State can indeed be applied in conjunction with international law if this is justifi ed. So too international law can be applied by itself if the appropriate rule is found in this other ambit » (Comité ad hoc CIRDI, Wena Hotels c. Égypte, aff. n° ARB/98/4, décision du 5 février 2002, § 40). Voy. E. GAILLARD/ Y. BANIFATEMI, « The Meaning of ‘and’ in Article 42(1), Second Sentence, of the Washington Convention : the Role of International Law in the ICSID Choice of Law Process », ICSID Review, 2003, pp. 375-411.

358. S. ROBERT-CUENDET, op. cit. note 335, p. 893.

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