Approvisionnement céramique et mode d’alimentation dans les communautés religieuses sous...

25
Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19 301 Introduction L es établissements monastiques ont depuis longtemps fait l’objet d’étu- des, tant historiques qu’archéologiques, fondées essentiellement sur l’évolution ar- chitecturale des bâtiments. Mais ces com- munautés étaient le lieu où des hommes vivaient. Les archéologues et historiens de la culture matérielle se penchent désormais sur les sources qui permettent de mettre en évidence les témoignages de leur vie quo- tidienne : les comptabilités, les inventaires après décès et les dépôts archéologiques. C’est sur la poterie de terre, objet de faible valeur marchande que portera notre inter- vention dans le but de mettre en évidence les sources d’approvisionnement et la fonction des objets. C’est dans les poubelles des abbayes, des dépotoirs occasionnels ou non, que les écofacts (relief de repas ou de pratiques culinaires) et les artefacts (vaisselle, matériaux de construction, objets divers) sont retrouvés. Parmi ces derniers, la poterie de terre occupe une très grande place, témoignant à la fois d’une utilisation notable et d’un nombre important d’utilisateurs. Ce sont près de 800 récipients qui proviennent du remplissage de dépotoirs découverts à l’occasion des fouilles archéologiques 1 Chargée d’opération et de recherche à l’I.N.R.A.P., chercheur à l’UMR 5594, Dijon 9, rue du faubourg de la Croix 89 330 Saint- Julien-du-Sault. de l’abbaye royale de Chelles 2 (Seine-et- Marne) et du couvent des Feuillantines à Paris 3 . Cette masse d’objets est quatre à cinq fois supérieure à celle habituellement comptabilisée dans les dépotoirs d’habitats urbains contemporains. Dans les coutumiers d’établissements monastiques ainsi que dans des inventaires établis à leur fermeture, au moment de la Révolution, des pots de terre sont parfois mentionnés mais, contrairement à la vais- selle en métal, la notion de quantité n’est pas évoquée et l’on ne sait pas ce que ces récipients représentent réellement dans l’équipement quotidien. Dans les comp- tabilités pourtant extrêmement précises de l’hôpital des Quinze-vingts à Paris, pour les XVI e et XVII e siècles, la vaisselle en terre cuite n’est pas clairement attestée. Il est en effet question de « grandes jattes de bois pour servir à laver les écuelles » 4 Fabienne Ravoire 1 « Approvisionnement céramique et mode d’alimentation dans les communautés religieuses sous l’Ancien régime. L’exemple de l’abbaye de Chelles (Seine-et-Marne) et du couvent des Feuillantines à Paris » 2 D. Coxall, Ch. Charamond, E. Séthian, Chelles – Fouilles sur le site de l’ancienne abbaye royale 1991-1992, Chelles : ville de Chelles, 1994, p. 181-209, ill. 3 Paul Celly, 64, rue Gay-Lussac/ 3, rue des Ursulines, ParisV e . Rapport de fouilles archéologiques, 2001, Service Régional de l’Archéologie d’Île-de-France (Saint-Denis), Inrap Centre-Île-de-France (Pantin). 4 C. Beutler, « Étude de la consommation dans une communauté parisienne entre 1500 et 1640 d’après les registres de comptabilité de l’hostel des quinze-vingts », Mémoire des Sociétés Historiques et archéologiques de Paris et d’Île-de-France, Tome 26-27 (1975- 1976), 1978, p. 73-122.

Transcript of Approvisionnement céramique et mode d’alimentation dans les communautés religieuses sous...

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

301

Introduction

Les établissements monastiques ont depuis longtemps fait l’objet d’étu-

des, tant historiques qu’archéologiques, fondées essentiellement sur l’évolution ar-chitecturale des bâtiments. Mais ces com-munautés étaient le lieu où des hommes vivaient. Les archéologues et historiens de la culture matérielle se penchent désormais sur les sources qui permettent de mettre en évidence les témoignages de leur vie quo-tidienne : les comptabilités, les inventaires après décès et les dépôts archéologiques. C’est sur la poterie de terre, objet de faible valeur marchande que portera notre inter-vention dans le but de mettre en évidence les sources d’approvisionnement et la fonction des objets.

C’est dans les poubelles des abbayes, des dépotoirs occasionnels ou non, que les écofacts (relief de repas ou de pratiques culinaires) et les artefacts (vaisselle, matériaux de construction, objets divers) sont retrouvés. Parmi ces derniers, la poterie de terre occupe une très grande place, témoignant à la fois d’une utilisation notable et d’un nombre important d’utilisateurs. Ce sont près de 800 récipients qui proviennent du remplissage de dépotoirs découverts à l’occasion des fouilles archéologiques

1 Chargée d’opération et de recherche à l’I.N.R.A.P., chercheur à l’UMR 5594, Dijon 9, rue du faubourg de la Croix 89 330 Saint-Julien-du-Sault.

de l’abbaye royale de Chelles2 (Seine-et-Marne) et du couvent des Feuillantines à Paris3. Cette masse d’objets est quatre à cinq fois supérieure à celle habituellement comptabilisée dans les dépotoirs d’habitats urbains contemporains.

Dans les coutumiers d’établissements monastiques ainsi que dans des inventaires établis à leur fermeture, au moment de la Révolution, des pots de terre sont parfois mentionnés mais, contrairement à la vais-selle en métal, la notion de quantité n’est pas évoquée et l’on ne sait pas ce que ces récipients représentent réellement dans l’équipement quotidien. Dans les comp-tabilités pourtant extrêmement précises de l’hôpital des Quinze-vingts à Paris, pour les XVIe et XVIIe siècles, la vaisselle en terre cuite n’est pas clairement attestée. Il est en effet question de « grandes jattes de bois pour servir à laver les écuelles »4

Fabienne Ravoire1

« Approvisionnement céramique et mode d’alimentation dans les communautés religieuses sous l’Ancien régime.

L’exemple de l’abbaye de Chelles (Seine-et-Marne) et du couvent des Feuillantines à Paris »

2 D. Coxall, Ch. Charamond, E. Séthian, Chelles – Fouilles sur le site de l’ancienne abbaye royale 1991-1992, Chelles : ville de Chelles, 1994, p. 181-209, ill.3 Paul Celly, 64, rue Gay-Lussac/ 3, rue des Ursulines, ParisVe. Rapport de fouilles archéologiques, 2001, Service Régional de l’Archéologie d’Île-de-France (Saint-Denis), Inrap Centre-Île-de-France (Pantin). 4 C. Beutler, « Étude de la consommation dans une communauté parisienne entre 1500 et 1640 d’après les registres de comptabilité de l’hostel des quinze-vingts », Mémoire des Sociétés Historiques et archéologiques de Paris et d’Île-de-France, Tome 26-27 (1975-1976), 1978, p. 73-122.

Fabienne Ravoire

302

et l’on ne sait pas si ces dernières sont de terre ou d’étain.

L’étude des dépotoirs apparaît donc comme une source de première importance pour appréhender les modes de vie dans les établissements religieux. Le dépotoir procède soit d’une accumulation régulière, il s’agit en général de rejet de vidange de foyer dans lequel on trouvera pêle-mêle des cendres, des fragments de céramiques cassées, des rejets de nourriture, soit d’une accumulation brutale qui correspond à la mise au rebut de mobilier usé, cassé, jeté à la suite d’un déménagement ou de travaux.

Le but de cet article est de comprendre le rôle du mobilier céramique dans l’équipement domestique de deux établissements religieux de nature très différente, d’une part une grande abbaye bénédictine de fondation royale, dont les règles de vie sont proches de celles de l’aristocratie et, d’autre part, un couvent né de la contre-réforme, aux mœurs austères. Notre propos portera plus spécifi quement sur la céramique liée à l’alimentation des sœurs car la vaisselle de cuisine et surtout la vaisselle de table constituent les trois-quarts des céramiques qui ont été rejetées. Comme nous allons le voir, ce mobilier révèle à la fois la multiplicité des approvisionnements dont nous examinerons plus loin l’origine, la fréquence et la spécifi cité des fonctions, conditionnée par les modes d’alimentation des religieuses.

Présentation des contextes

L’abbaye royale de Chelles se situe sur la rive droite de la Marne, à 30

km en aval de Meaux et 20 km à l’est de Paris. Fondée par la reine Bathilde à la fi n du VIIe siècle, suivant la règle bénédictine, elle jouit à partir du XIIe siècle d’un grand prestige et, attire jusqu’à 120 religieuses

mais ce nombre sera ensuite limité à 805. Au XIVe et XVe siècles, elle subit les contrecoups de la guerre de Cent ans (1337-1453) et des grandes épidémies, le nombre des religieuses diminue alors fortement6. Au début du XVIe siècle, l’embellie économique et la contre-réforme font que l’abbaye est de nouveau prospère. En 1590 cependant, les armées espagnoles la détruisent en partie7. Reconstruite quelques années plus tard, elle bénéfi cie aux XVIIe et XVIIIe siècles de nombreuses campagnes de travaux (Fig. 1). En 1792, l’abbaye est vendue comme bien national et ses bâtiments disparaissent progressivement. Les fouilles menées de 1991 à 1992 par le service d’archéologie municipal de la ville de Chelles ont porté essentiellement sur l’emprise du logis abbatial et sur une partie de la grande cour du XVIIIe siècle. Parmi les nombreux vestiges médiévaux et modernes mis au jour, on retiendra ici la découverte d’un immense dépotoir comblé dans la deuxième moitié du XVIe siècle et deux latrines du XVIIIe siècle.

Le dépotoir d’une surface de 150 m2, était constitué d’une accumulation de couches de cendres et de détritus d’origine organique atteignant par endroits 2 mètres d’épaisseur, le tout surmonté de deux couches de tuiles8. Il était situé près des cuisines qui se trouvaient au-dessus du logis abbatial, près du réfectoire et de l’infi rmerie. Les nombreux restes alimentaires, qui s’apparentent plus à des préparations culinaires qu’à des rejets de la

5 D. Coxall, op. cit., p. 113.6 Ibidem, p. 141.7 Ibid., p. 169-170.8 Sa fouille n’a pu être exhaustive, puisqu’une partie du bassin se trouve sous la maçonnerie actuelle de la mairie installée dans les restes des bâtiments conventuels. D. Coxall, op. cit., p. 170.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

303

table, confi rment cette proximité spatiale avec la cuisine9. Outre la céramique (748 récipients)10, une quantité importante de verrerie a été découverte (verres à boire et carafes), ainsi qu’un peu de mobilier métallique dont une cuillère en alliage de plomb ou d’étain et deux monnaies du dernier quart du XVIe siècle11 .

Les deux latrines étaient situées de part et d’autre d’une petite cour du logis abbatial. Comblées simultanément, elles ont livré au total un mobilier céramique nettement moins abondant (160 récipients) mais toutefois intéressant car il se rapporte à la table des abbesses12. La verrerie y est également très bien représentée par une trentaine de verres à boire, 8 bouteilles, 10 carafes, 3 fi oles et 2 assiettes et plats.

Quelques objets en os et en métal, dont 1 couteau pliant, complètent cet ensemble13.

Le couvent des religieuses Feuillantines a été créé à la demande de la reine Anne d’Autriche vers le milieu du XVIIe siècle dans le faubourg Saint-Jacques, à Paris où d’autres maisons religieuses étaient également installées. Elles achetèrent aux Feuillants un terrain de 3 hectares qui comportait 4 logis14 et à partir de 1626, font construire l’église, le cloître, les dortoirs et les réfectoires (l’un pour la communauté, le second lié à l’infi rmerie)15. Une autre infi rmerie ainsi qu’un réfectoire et une cuisine particulière étaient par ailleurs destinés à l’usage des malades16. Au XVIIIe siècle, des travaux vinrent agrandir et embellir l’abbaye que l’on voit représentée sur un plan de

9 D. Coxall, op. cit., p. 171, 210-217.10 Cet ensemble a fait l’objet d’une première étude : F. Ravoire 1994, «Vaisselle et petit mobilier en terre cuite provenant du dépotoir F110 «, in D. Coxall, op. cit., p. 181-209. Il a été repris dans un travail universitaire : F. Ravoire 1997, « La vaisselle de terre cuite en Île-de-France entre la fi n du XVe et la pre-mière moitié du XVIIe siècle. Défi nition d’un faciès régional ». Thèse de l’université Paris I, 4 volumes, p. 930. On se référera à ces tra-vaux pour de plus amples précisions.11 La monnaie la plus récente est un denier tournois frappé par la ligue entre 1590 et 1594, une autre est un liard de Charles IX émis à Grenoble en 1574. Il y a également deux jetons, l’un de 1562 et un autre frappé entre 1553 et 1584 et une monnaie qui date de la première moitié du XVIe siècle : Voir D. Coxall, op. cit., p. 210.12 Cet ensemble a été étudié dans la publica-tion du site : D. Coxall, p. 220 et 230 sq. Elle a également fait l’objet d’un autre article : D. Coxall, Ch. Charamond 1995, « Faïen-ces et verres du XVIIIe siècle provenant de fouilles sur le site de l’abbaye de Chelles »,

in Sèvres, Revue de la Société des Amis du Musée national de Céramique, n° 4, p. 30-76, ill. Une datation dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle a été proposée par les auteurs en raison de la présence de cachets de cire de l’abbesse Anne de Clermont-Gessan (ab-besse de 1734 à 1789) et de productions cé-ramiques qui ne peuvent être antérieures au milieu du XVIIIe siècle (assiette en faïence de Sinceny, faïence fi ne anglaise). Toutefois, la majorité du mobilier et surtout les assiet-tes aux armes de Louise-Adélaïde d’Orléans, date de la première moitié de ce siècle.13 D. Coxall, op.cit., p. 231.14 M.-Cl. Leclercq, « Le cadre de vie des religieuses dans le quartier de Saint-Ger-main-des-Près », in Abbayes et prieurés, communautés religieuses en Île-de-France, Mémoires de la fédération des sociétés histo-riques et archéologiques de Paris et de l’Île-de-France, tome 48, Paris, 1997, p. 386-393. 15 M.-Cl. Leclercq, op.cit., p. 387.16 Ibidem, p. 391.

Fabienne Ravoire

304

la collection Gaignières daté vers 1710 (Fig. 2) ainsi que sur le plan de Turgot de 173917. Cette congrégation religieuse était un ordre contemplatif et fermé qui était réputé pour la rigueur de sa règle et dont la seule fonction était la prière. « À chaque salle du couvent est attribuée une fonction matérielle ou spirituelle, qui elle-même correspond à une offi cière ou obédience, c’est-à-dire qu’une religieuse exerce devant la communauté la responsabilité de la fonction qui lui est confi ée »18.

Les fouilles menées par l’Inrap sous la direction de Paul Celly ont mis en évidence une partie du mur du couvent ainsi qu’un bâtiment situé à une cinquantaine de mètres des cuisines et du réfectoire de l’abbaye19.

C’est dans le comblement d’une fosse creusée en pleine terre, sans doute au moment des travaux de reconstruction d’une maison acquise en 1682 par les Feuillantines20, que furent découverts une grande quantité de rejets domestiques : de la vaisselle en céramique21 (environ 800

17 P. Celly, op. cit., p. 61.18 M.-Cl. Leclercq, op. cit., p. 391.19 P. Celly, op. cit.

20 Dans la tranchée de fondation d’un des murs du nouveau bâtiment qui recoupait cette fosse, fut retrouvé un jeton de Nuremberg de Lazarre Lauffers reproduisant un jeton français à l’effigie de Louis XIV (1643-1675) et daté postérieurement à 1675.21 Pour une connaissance plus précise du mobilier voir F. Ravoire 2004, « Un ensemble céramique provenant du couvent des Feuillantines (Paris) de la fi n XVIIe et du début XVIIIe siècle », in : Céramiques domestiques et terres cuites architecturales au Moyen Âge, Revue archéologique de Picardie, n° 3/4 2004, p. 175-197.

Fig. 1 : Vue de l’abbaye de Chelles vers le Nord dans le Monasticon Gallicanum (1688).

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

305

récipients) et des restes de faunes22. Ce dépotoir peut être daté assez précisément, entre 1682 et le début du XVIIIe siècle, le nouveau bâtiment étant visible sur les plans du monastère de 1710 et de 1739.

N a t u r e e t d i v e r s i t é d e s approvisionnements

La répartition des céramiques en fonction de leur aire géographique

de fabrication met en évidence les réseaux d’approvisionnement de ces deux établissements religieux (Fig. 3).

La première source d’approvisionne-ment est d’abord Paris et sa région. Du XVIe au XVIIIe siècle, la part de la céra-mique régionale augmente régulièrement puisqu’elle représente 69 % au XVIe siè-

cle, 73 % au début du XVIIIe siècle et 83 % à la fi n du XVIIIe siècle. Jusqu’au XVIIe siècle cette vaisselle régionale est issue des ateliers traditionnels produisant des céramiques avec un revêtement de glaçure plombifère (coloré en vert essen-tiellement). La vaisselle en faïence ne re-présente pas 2 % dans l’ensemble du XVIe siècle de Chelles et seulement 8 % du total dans le dépotoir parisien à la fi n du XVIIe siècle23. Dans des dépotoirs contemporains de celui des feuillantines tel que celui des Capucins de Belfort, elle est également faible24. Mais dans celui des Clarisses de

22 B. Clavel, « Approvisionnement en viande et poissons dans un établissement religieux du XVIIe siècle (Les Feuillantines de Paris) », dans ce volume.

23 F. Ravoire, 2004, op. cit., p. 195.24 Ch. Cousin, M. Rilliot, « Faïences et ter-res glaçurées chez les Capucins à la fi n du XVIIe et au début du XVIIIe siècle », in Ex pots… céramiques médiévales et modernes en Franche-Comté 1995 : catalogue de l’ex-position. Monbéliard : Musées des Ducs de Wurtemberg, 1995, p. 163-168.

Fig. 2 : Vue cavalière du couvent des Feuillantines à Paris au XVIIIe siècle (vers 1710 ?), B. N., (collection Gaignières, V A 285b, fol. 3).

Fabienne Ravoire

306

Besançon, le taux est plus élevé et atteint 16 % et 19 %25.

À partir du XVIIIe siècle, seuls les récipients ordinaires destinés à la cuisine sont encore en céramique glaçurée. À Chelles, elle représente 83 % du mobilier et n’est plus seulement destinée à la table mais à tous les domaines de la vie quotidienne, supplantant également le grès pour la conservation et le service des liquides. Cette céramique est désormais produite dans les manufactures régionales, principalement Saint-Cloud et celles du faubourg Saint-Antoine à Paris.

L’origine des productions régionales de poterie glaçurée dans les ensembles du XVIe siècle de Chelles et de la fi n du XVIIe siècle de Paris, met en évidence plusieurs zones de production, situées assez près des abbayes. Pour Chelles, on distingue 3 groupes, tous situés à une vingtaine de kilomètres de l’abbaye. Le plus important

(40 % des apports) est le groupe des céra-miques à pâte blanche situé à Meaux ou dans ses environs26. Essentiellement desti-nées à la vaisselle de table et de prépara-tion, ces céramiques imitent les formes des productions glaçurées vertes du Beauvai-sis. Le second groupe est constitué par les céramiques à pâte sableuse parisienne (34 % des effectifs). Ce sont essentiellement des céramiques destinées à la cuisine (pré-paration et cuisson). Le troisième groupe a pour origine le sud de la Seine-et-Marne27

(26 % des apports). Ce sont des cérami-ques à pâte rouge destinées également à un usage culinaire et dont les formes sont très semblables à celles de Paris. À Paris, deux groupes de production représentant plus de 80 % de l’apport régional ont comme origine Paris ou sa proche région. Un troi-sième groupe a pour origine le Sud de la Seine-et-Marne (14 % des apports). Il est remarquable cependant que dans les trois

Fig. 3 : Histogramme de répartition du mobilier en fonction de sa provenance.

25 20 000 m3 d’Histoire. Les Fouilles du parking de la mairie à Besançon, 23 mai-5 octobre 1992, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, 1992, « Par les corridors du couvent des Clarisses », p. 342-345.

26 F. Ravoire, A. Bouquillon, « La poterie de terre Renaissance en Île-de-France (XVe-XVIe siècle) : production et diffusion », Terres cuites de la Renaissance, TECHNÈ, n° 20, 2004, Paris, RMN, p. 53-60. 27 Ibidem.

80

60

40

20

0

Paris XVIIe

Chelles XVIe

Chelles XVIIIe

Paris / IDF Beauvaisis Normandie Nivernais Etranger

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

307

Fig. 4 : Tableau de quantifi cation du mobilier par catégories fonctionnelles (en nmi) dans les différents contextes.

cas, ce sont les mêmes formes de récipient qui ont été fabriquées : 95 % pour les be-soins de la table (556 vases) contre seule-ment 5 % pour la cuisine (26 vases).

Situées de 50 à 200 kilomètres de la capitale, d’autres régions ont produit des céramiques qui ont été utilisées à Chel-les et à Paris. Le Beauvaisis constitue la principale de ces régions puisque depuis le XIVe siècle et jusqu’au XIXe siècle une grande partie de sa production était vendue sur le marché parisien. De fait, à Chelles au XVIe siècle la vaisselle du Beauvaisis représente 20 % de la céramique, seule-ment 2,5 % au XVIIIe siècle. À Paris, à la fi n du XVIIe siècle, le poids des cérami-ques du Beauvaisis est comparable à celui de Chelles au XVIe siècle. Du Beauvaisis proviennent des récipients en grès, desti-nés au service des boissons (pichet et cru-che, gourde) ainsi qu’au conditionnement et à la conservation des denrées, mais

également des récipients glaçurés sur une pâte fi ne blanche, destinés à la table. De la région Centre proviennent quelques grès de la Puisaye destinés à la laiterie mais surtout des écuelles et assiettes en faïence de Nevers. Tous ces récipients sont attestés à Paris qui constitue, au XVIIe siècle, l’un des principaux débouchés de ce très impor-tant commerce de la faïence Nivernaise28.

Les céramiques étrangères sont peu nombreuses dans les dépotoirs des religieuses. Il s’agit essentiellement de vaisselle de luxe à usage de la table.

28 R. Plainval de Guillebon, « Les céramistes du faubourg Saint-Antoine avant 1750. Fabrication et commerce. Le point sur la recherche en 2002, Bulletin de la Société de Paris et de l’Île-de-France, 129e année, Paris, 2002, p. 1-68.

Prép

/ la

iterie

Con

serv

atio

n

Cui

sson

Acc

. cui

s./ ta

b

Tabl

e

Tota

l

Chelles XVIe siècle 17 11 23 15 34 100

Paris XVIIe siècle 1 3 2 0 94 100

Chelles XVIIIe siècle 0 1 1 0 98 100

Prép

/ la

iterie

Con

serv

atio

n

Cui

sson

Acc

. cui

s./ ta

b

Tabl

e

Tot.

Cér

. Alim

.

Aut

res

Tota

l

Chelles XVIe siècle 104 71 145 93 210 623 125 748

Paris XVIIe siècle 6 25 15 1 719 766 29 795

Chelles XVIIIe siècle 0 1 1 0 133 135 25 160

Fabienne Ravoire

308

29 La partie concernant l’alimentation du coutumier des Clarisses daté de 1703, a été publiée par C. Goy. C. Goy 1995, « Le coutumier des clarisses ou de l’alimentation dans un couvent au début du XVIIIe siècle », in Ex pots… céramiques médiévales et modernes en Franche-Comté 1995 : catalogue de l’exposition, Monbéliard : Musées des Ducs de Wurtemberg, 1995, p. 173-175.30 Le coutumier des Visitandines de Cha-lon-sur-Saône établi en 1628 a été en partie publié dans le catalogue de l’exposition Les Saintes Maries, les Visitandines à Chalon-sur-Saône aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ex-position présentée à partir du 5 novembre à l’Espace des Arts, ville de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), 1993, p. 273.31 20 000 m3 d’Histoire, op.cit.

Au XVIe siècle, majolique et vaisselle fi ne, essentiellement d’origine italienne, grès rhénan représentent environ 3 % du mobilier. À la fi n du XVIIe siècle chez les Feuillantines, cette vaisselle n’est illustrée que par un fragment de porcelaine chinoise tandis que chez les Bénédictines, au XVIIIe siècle, porcelaine chinoise et faïence fi ne anglaise, avec 14 % du mobilier, témoignent du luxe de la table des abbesses.

Fonction et diversité du vaisselier

La majeure partie du vaisselier mo-nastique étudié relève du domaine

de l’alimentation (Fig. 4). Il représente 84 % des effectifs de l’ensemble de Chelles du XVIe siècle, 96 % de celui des Feuillan-tines au XVIIe siècle et 85 % pour les lots de Chelles au XVIIIe siècle Les autres céramiques, non culinaires, étaient desti-nées aux soins (pots d’apothicairerie), à la toilette, aux travaux de jardinage, aux luminaires, aux objets de piété. Les réci-pients alimentaires peuvent être classés en 5 groupes fonctionnels (Fig. 5) :- les récipients de préparation, notamment des laitages ;- les récipients de conservation ;- les pots de cuisson qui comprennent les pots à cuire ;- les accessoires de la cuisson et de la table que sont les réchauffoirs ;- les céramiques de table qui comprennent les récipients de consommation des aliments et des boissons, les plats et éventuellement les accessoires de la table comme les salières (absentes des contextes présentés mais attestées dans les coutumiers). Pour comprendre comment les sœurs utilisaient cette vaisselle de table et de cuisine, un éclairage indispensable nous est fourni par les coutumiers de deux ordres contemporains des Feuillantines,

celui des Clarisses de Besançon29 et celui des Visitandines de Chalon-sur-Saône30.

Les récipients destinés à la préparation de laitages et de mets (Fig. 6)

La part des récipients destinés à la préparation des repas comme

les jattes (Fig. 6, n °1) et terrines à anse mais surtout les tèles à lait, destinées à la fabrication de laitages (Fig. 6, n °2-3) est importante chez les Bénédictines : 104 récipients soit 17 % de la vaisselle destinée à l’alimentation de cet ensemble, dont près d’un tiers est en pâte francilienne blanche. Ils sont absents du logis de l’abbesse au XVIIIe siècle et sont très faiblement représentés chez les Feuillantines (6 récipients). Dans les 2 dépotoirs des Clarisses de Besançon, contemporains de celui des Feuillantines, cette catégorie de récipients est plus importante (respectivement 7 et 30 récipients)31. Chez ces dernières, les travaux de préparation culinaire se faisaient dans la salle

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

309

communautaire qui occupait tout le rez-de-chaussée de l’établissement32. Ces terrines, bassins, saladiers, récipients avec glaçure, servaient en fait à des usages multiples : un tableau de Chardin daté de 1731, en présente un servant à laver les légumes33.

Au XVIe siècle, tous ces récipients sont glaçurés intérieurement, tout comme d’ailleurs toute la vaisselle alimentaire, alors qu’aux XVIIe et XVIIIe siècle, ils sont le plus souvent en grès (du Beauvaisis ou de la Puisaye), comme c’est ici le cas. À la fi n du XVIIIe siècle, les préoccupations hygiénistes d’un Parmentier34 à propos des récipients de laiterie semblent avoir eu gain de cause sur l’usage des productions locales. En effet, ce dernier préconise

l’usage de récipients en grès ou en terre non glaçurée car les récipients avec glaçure occasionnent « des coliques affreuses dans l’économie animale et laissent subsistantes des impressions douloureuses toute la vie ». Ces considérations sur la haute toxicité du plomb dans les glaçures paraissent par ailleurs fondées à la lumière des récentes analyses effectuées sur les squelettes des religieuses de l’abbaye de Maubuisson qui indiquent clairement que ces dernières ont été intoxiquées, en consommant des aliments et des boissons dans des récipients glaçurés35.

Si les tèles à lait (Fig. 7) sont nombreuses, en revanche les faisselles, égouttoirs à fromage sont absents chez les Bénédictines comme chez les Feuillantines. Pourtant le fromage intervient dans l’alimentation des sœurs, aussi bien chez les Visitandines de Chalon que chez les Clarisses de Besançon ou chez les abbesses

32 M.-Cl. Leclercq, op. cit., p. 390.33 Tableau La ratisseuse, Catalogue de l’ex-position « Chardin », Galerie nationales du Grand palais, Paris, RMN, 1999, n° 57-58, p. 238-239.34 A. Parmentier, Économie rurale et domes-tique, bibliothèque universelle des dames. Paris, vol. 1, « Les ustensiles de la laiterie », 1788, p. 109-110.

Fig. 5 : Histogramme de quantifi cation par catégorie fonctionnelle (en % sur le nombre total de céramique alimentaire).

35 Ch. Toupet, « Céramiques très décorées et pollution au plomb : le cas de l’abbaye de Maubuisson (Saint-Ouen-l’Aumône, Val d’Oise) », dans ce volume.

Paris XVIIe

Chelles XVIe

Chelles XVIIIe

100

80

60

40

20

0

Prép./laiterie Conservation Cuisson Acc. cui./tab. Table

Fabienne Ravoire

310

de Rouen36. Cette absence s’explique par le fait que le fromage n’était pas produit sur place et venait de l’extérieur, tout comme les huiles et même le poisson, qui sont des denrées exceptionnelles. En carême, chez les Clarisses, le fromage est remplacé par des noix, fi gues et pommes et il faut l’autorisation de la Mère Abbesse pour que la mère portière puisse les acheter. Ces denrées sont ensuite gérées par les sœurs vicaires et dépensières37.

36 P. Rambourg, « L’abbaye de Saint-Amand de Rouen (1551-1552) : de la différenciation sociale des consommateurs, au travers des aliments, à la pratique culinaire », dans ce volume.37 C. Goy, op. cit.

Fig. 8 : Céramiques culinaires en grès (XVIe et XVIIe siècle) : pot à beurre (n°1), saloir (n°4). Céramique de table en grès : pichets (n°2-3).

1

2

3

4

Fig. 6 : Céramiques régionales destinées à la préparation des laitages (XVIe siècle).

1

2

3

Les récipients destinés à la conserva-tion (Fig. 8)

Des pots en grès gris du Beauvaisis, saloirs (Fig. 8, n° 4) et boyau, petit

pot verseur, présents aussi bien à Chelles au XVIe siècle et XVIIIe siècle38. Que chez les Feuillantines à la fi n du XVIIe siècle servaient à la conservation des salaisons et de certaines denrées. Parmentier au XVIIIe siècle précise que l’on y conservait la graisse et les fruits confi ts à l’huile ou au vinaigre39. 600 pots ont été achetés par les Feuillantines en août 1771 pour faire des

38 Notons que l’exemplaire retrouvé dans une des latrines du logis de l’abbesse avait été utilisé comme pot de chambre !39 A. Parmentier, op. cit.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

311

pas moins de 67 pots ont été retrouvés (Fig. 8, n° 1). Ce grand nombre de pots est particulièrement révélateur du niveau social du monastère. En effet, s’il est vrai que le beurre, dans de nombreuses régions dont l’Île-de-France reste, jusqu’à la fi n du Moyen Âge, la graisse des pauvres42, en revanche à partir du XVIe et surtout du XVIIe siècle, en se généralisant dans les préparations culinaires43, devient une graisse relativement chère44. Du beurre est ainsi régulièrement acheté par la riche abbaye bénédictine de Saint-Amand de Rouen, entre le mois de juin et le mois d’octobre 1552, le printemps et l’automne étant d’après Olivier de Serre, la période où le beurre est le meilleur et le plus abondant45.

À Paris, on ne compte que 9 pots. Il faut

41 F. Ravoire, « Le voyage des pots de beurre », in J.-L. Flandrin, C. Lambert (dir.), Fêtes gourmandes au Moyen Âge. Paris, Imprimerie nationale, 1998, p. 140.42 Dans les comptes de l’Hôtel-Dieu de Meaux (année 1527), le beurre était distribué plusieurs fois par semaine aux pauvres pour le mettre dans leur potage en lieu et place de la viande. J.-L. Flandrin, Chroniques de Platine. Pour une gastronome historique. O. Jacob, Paris, 1992, p. 237 sq. 43 Il était utilisé pour la confection des sauces et, à partir du XVIe siècle, était fréquemment associé aux poissons. J.-L. Flandrin, Chroniques de Platine. Pour une gastronome historique. O. Jacob, Paris, 1992, p. 237 sq. 44 Jusqu’à la Réforme, il fallait une dispense de l’église pour le consommer en temps de Carême, mais à partir des années 1520-1530, les réglementations ecclésiastiques sur les abstinences alimentaires ont été abolies, ce qui a eu pour conséquence une plus large utilisation de cet aliment. J.-L. Flandrin, « Et le beurre conquit la France », La cuisine et la table, 5 000 ans de gastronomie, L’histoire, Seuil, 1986, p. 108-111. 45 P. Rambourg, op. cit., dans ce volume.

Fig. 9 : Céramiques culinaires régionales (XVIe et XVIIe siècle) : pots à cuire « coquemar » (n°1-2) et pot tripode (n°5), marmite (n°4). réchauffoir de table (n°3).

4

1

3

2

confi tures « parce que la récolte d’abricots du jardin s’annonce excellente»40. Ces pots n’ont pas été retrouvés dans le dépotoir, mais le « boyau », forme qui possède un bord débordant facilitant l’obturation, a pu tout à fait être utilisé à cet usage.

D’autres grands pots, en grès brun foncé, ont également été retrouvés. Ces pots, fabriqués en Basse-Normandie, étaient utilisés depuis la fi n du XVe siècle, pour contenir et transporter le beurre de Bretagne destiné à être commercialisé dans tout le quart nord-ouest de la France, Paris constituant une place commerciale privilégiée41. À Chelles au XVIe siècle,

40 M.-Cl. Leclercq, op. cit., p. 390.

Fabienne Ravoire

312

dire qu’à partir du XVIIe siècle, et plus encore du XVIIIe siècle, on consomme dans cette ville du beurre provenant non plus seulement de Bretagne, mais également de la région parisienne en particulier celui de Vanves, au sud de la capitale, qui est plus réputé et d’un coût moindre par rapport au beurre importé46. D’Isigny, en Normandie, était importé du beurre salé réputé, également vendu sur la place de Paris47. Un petit pot en grès normand, à paroi extrêmement fi ne retrouvé en un exemplaire chez les Feuillantines a pu servir à cet usage. La présence de beurre chez les Feuillantines pourrait surprendre. Toutefois, le coutumier des Clarisses de Besançon nous apprend que le beurre, qui était acheté avec d’autres aliments à l’extérieur du couvent, était donné à la cuisinière pour qu’elle l’incorpore dans les potages48.

Les récipients de cuisson et accessoires de cuisson (Fig. 9-11)

Les récipients de cuisson

La vaisselle de cuisine en terre cuite est très importante à Chelles au

XVIe siècle avec plus de 55 % des effectifs (145 pots), faible dans l’ensemble du XVIIe siècle (15 pots) et quasi-absent dans celui du XVIIIe siècle (1 couvercle de pot

à cuire). Les pots les plus nombreux sont munis d’une anse (coquemar)49 ou de deux anses (marmite)50. Ils étaient destinés à des cuissons bouillies ou mijotées car des couvercles permettaient de les couvrir51 (Fig. 9, n° 1-2 ; Fig. 10). Ils présentent tous des traces de cuisson externe, sur une face car ils étaient posés devant les braises, sur des trépieds métalliques. Parfois des dépôts carbonatés sont visibles à l’intérieur. Le volume de ces pots varie de 1 à 3 litres. À partir du XVIIe siècle, la présence de pieds rajoutés sous le fond des pots permet d’éviter le trépied. Les marmites ont un volume supérieur (3 à 5 litres) (Fig. 9, n° 4). Dans un cadre non religieux, on pouvait y faire cuire à l’eau des pièces de viande de porc ou de bœuf, des soupes ou des sauces52. Mais dans un monastère comme celui des Feuillantines à Paris, la consommation de viande est

46 Un voyageur anglais du milieu du XVIIIe

siècle, Tobias Smolet, témoigne du fait que les paysans de Vanves venaient vendre leurs petites mottes de beurre au meilleur prix à des marchands parisiens spécialisés dans le commerce du beurre de Bretagne, Normandie et d’ailleurs. Voir B. Ketcham Wheaton, L’offi ce et la bouche, Histoire des mœurs de la table en France 1300-1789, p. 109.47 B. Ketcham Wheaton, op. cit.48 C. Goy, op. cit.

49 L’usage de ce nom, identifi é clairement dans les inventaires après décès de potier de terre (coquemart) dès le XVIe siècle a été associé à cette forme de pot en terre répandu dès le XIIIe siècle dans tout le nord-ouest de la France. Voir F. Ravoire 1997, op. cit. Le coquemar est désigné dans de nombreux textes modernes comme étant un pot à bouillir en métal (voir note 74) mais également en terre cuite. Il est ainsi recommandé dans un recueil culinaire édité à la fi n du XVIIe siècle, « Le Cuisinier françois, pour la confection d’un potage sans eau dénommé restaurant (bouillon de viandes), d’utiliser un alambic ou un « coquemart de terre bien net, plombé dedans & dehors ». B. Ketcham Wheaton, op.cit., note 20, p. 334.50 Dans les inventaires de potier du XVIe

siècle, il est fait mention de « chauderons ». F. Ravoire, 1997, op. cit.51 B. Laurioux, Manger au Moyen Âge. Hachette, Paris, 1982, p. 256. 52 Ibidem.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

313

particulièrement contrôlée. Chez les Clarisses comme chez les Feuillantines, les études des faunes indiquent cependant une forte consommation de caprinés53. Les Bénédictines de Chelles au XVIe siècle semblent avoir eu un des choix plus diversifi és. Elles consommaient des volailles, des porcs, et surtout des bœufs et moutons54. De plus, des nourritures plus aristocratiques comme du cerf et des huîtres sont également attestées.

Au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle, les pots ouverts à manche et fond plat (poêlon ou caquelon) sont nombreux chez les Visitandines tandis qu’ils sont rares chez les Feuillantines55. Ils servaient à la cuisson ainsi que quelques fonds noircis l’attestent, ce qui n’était pas le cas ou exceptionnellement des poêlons médiévaux, utilisés plus comme récipients à manger qu’à cuire. Sans soute y cuisait-on des poissons, dont les restes sont particulièrement abondants dans les dépotoirs56.

Aucun plat de cuisson à galette, pour-tant nombreux dans les ensembles cha-lonnais du XVIIIe siècle, n’a été retrouvé à Paris. Ils avaient la particularité d’avoir gardé les traces de découpes en parts57. À Chelles, les terrines du XVIe siècle ont une forme voisine bien que moins large et plus profonde. De plus, elles ne présentaient pas de traces de feu.

Cette importante vaisselle en terre cui-

te, sans doute en raison des bris fréquents, servait de complément aux récipients en métal. Chez les Feuillantines, les broches et les crémaillères sont accrochées à la cheminée58. L’inventaire du mobilier des Visitandines en novembre 1792 mentionne « une crémaillère, six grilles, et quatre tré-pieds en fer »59 sur lesquels les récipients de cuisine étaient posés au-dessus des braises. Le même inventaire mentionne également pour la cuisine : 5 « casses » jaunes (poêles en cuivre), 5 tourtières sans pied, 1 à pied, 2 bassines, le tout en cuivre, 4 « casse-fritoires » (poêles à frire) en fer, 4 chaudrons, et provenant du four, une marmite en fonte avec son chaudron60. Celui de 1790 du couvent des Capucins de Belfort fait état de 6 marmites en fonte, 4 poissonnières, 1 bassin, 3 bassines, 1 pas-soire, 1 poêlon de fonte, 2 lèchefrites, 1 tourne-broche61. Notons enfi n que dans le dépotoir du XVIe siècle de Chelles fut re-trouvée une marmite en fer62. Tous ces ré-cipients témoignent de cuisson bouillie, de cuisson frite et de cuisson rôtie, ce dernier mode étant en général réservé aux élites ou comme c’est le cas ici aux grandes com-munautés qui avaient une vaste cuisine.

Aux Feuillantines comme dans la plupart des établissements religieux, la cuisine se situe, par souci de commodité, près du réfectoire et il y a des tables pour préparer les repas63. Comme cela est préconisé dans la règle de Saint-Benoît, les sœurs devaient faire le repas à tour de rôle. C’est ce qui se faisait chez les Clarisses où chacune, pendant une semaine va préparer

53 20 000 m3 d’Histoire, op. cit., B. Clavel, op. cit., ce volume.54 D. Coxall, op. cit., p. 171, 210-217.55 F. Ravoire, 2004, op. cit., p. 183.56 20 000 m3 d’Histoire, op. cit., B. Clavel, op. cit., dans ce volume.57 Les saintes Marie, op. cit.

58 M.-Cl. Leclercq, op. cit.59 Les Saintes Marie, op. cit, p. 96.60 Ibidem.61 Ch. Cousin, M. Rilliot, op. cit., p. 164.62 D. Coxall, op. cit., p. 210.63M.-Cl. Leclercq, op. cit., p. 389.

Fabienne Ravoire

314

le repas sauf l’abbesse, la mère portière, la semainière et les infi rmières qui en sont dispensées quand elles ont des malades64.

Les pots de cuisson, placés sur le feu, étaient surveillés par la sœur qui était de permanence. Chez les Visitandines, la sœur dépensière allait « à la cuisine un peu devant que l’on sonne le premier coup du repas, pour couper la viande, et faire des portions (…) prenant garde de les faire tenir chaudes »65. Ces portions étaient prêtes sur les ais (rayons)66 pour être ensuite servie à l’heure sur la table.

Les réchauffoirs (Fig. 9, 11)

La nécessité de garder les plats chauds a rendu impératif l’usage de

chauffe-plat ou réchauffoir. Ces récipients contenaient soit de l’eau chaude soit des braises au-dessus desquelles, grâce à des supports, étaient posées les écuelles avec leur portion de nourriture (Fig. 9, n° 3)67.

Faciles à transporter, ils ont été retrouvés en grande quantité chez les Visitandines dans les dépotoirs des XVIIe et XVIIIe siècles. Chez les Bénédictines,

dans le dépotoir du XVIe siècle, ils étaient également très nombreux (93 récipients) (Fig. 11) de même qu’à la même époque à l’abbaye de Petegem en Belgique68. C’est à partir du XVIe siècle que prennent place sur les tables bourgeoises ces réchauffoirs qui témoignent un confort nouveau dans la prise des repas, dont le lieu peut désormais être éloigné de l’espace culinaire69.

Ces objets se trouvaient chez les Visitandines dans le « local des portions », petite pièce aménagée entre la cuisine et le réfectoire avec lequel elle communiquait par un passe-plat et ils appartenaient à l’espace de la cuisine car tous portent la marque gravée « CX » sauf un qui était destiné à la sacristie où il servait à contenir les braises de l’encensoir70. Chez les Feuillantines, un seul fragment de réchauffoir a été retrouvé. Cette absence peut s’expliquer par le fait qu’ils ont pu, en étant stockés à part, ne pas faire partie du lot des céramiques jetées.

La plupart des écuelles et assiettes des Feuillantines, qu’elles soient en production parisienne ou en faïence à terre réfractaire, ont été portées sur le feu, comme l’indiquent clairement les fonds extrêmement noircis sur environ 15 cm de

64 C. Goy, op. cit. 65 Les Saintes Marie, op. cit, p. 95.66 Ibidem.67 Au bas Moyen Âge des petits réchauds portatifs que l’on posait sur un petit tas de braises existaient déjà. On en a ainsi retrouvé en grande quantité dans les fouilles des fortifi cations de Paris à la fi n du XIVe siècle. Voir F. Ravoire, « La céramique », in Paul Van Ossel (dir.), Les Jardins du Carrousel (Paris). De la campagne à la ville : la formation d’un espace urbain. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1998, 379 p. ill. (Collection Archéologie préventive, D.A.F. ; 73).

68 K. de Groote, « Het afval van de Rijke Klaren. Noodonderzoek in de voormalige abdij van Beaulieu te pete gem (gem. Wortegem-Petegem, prov. Oost-Vlaanderen) ». Archeologie in Vlaanderen II, 1992, p. 335-412. 69 F. Ravoire, « Céramique importée et différenciation sociale : l’exemple de la vaisselle parisienne à la Renaissance (fi n du XVe siècle- XVIe siècle) ». Actes du colloque international de Bâle (Suisse). Septembre 2002, Bâle, 2002, p. 347-370. 70 Les Saintes Marie, op. cit., p. 95.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

315

diamètre. Notons que chez les Visitandines, les écuelles du XVIIe comme celles du XVIIIe siècle et les petites assiettes dites à desserts portaient également des traces de feu. C’est précisément au niveau du fond qu’une grande quantité de récipients de table des Feuillantines a été cassée.

L’hypothèse d’une cuisson sur un potager71, ancêtre de nos cuisinières, en usage dans les milieux privilégiés à partir du XVIIe siècle, aurait pu aisément expliquer ces stigmates mais il s’avère que dans les textes, seule une importante cheminée a été mentionné72. C’est donc à un usage quotidien et répété sur les réchauffoirs à braises qu’il faut imputer la grande casse de vaisselle de table des religieuses.

En revanche, aucune des écuelles et assiettes des Bénédictines de Chelles du XVIe siècle ne présentait de traces de feu alors que les réchauffoirs sont bien attestés (Fig. 11). Cela suppose qu’ils fonctionnaient avec de l’eau chaude, système cependant moins effi cace que les braises pour maintenir la chaleur.

Les récipients destinés à la table (Fig. 8, 12)

La quantité de vaisselle de table en terre cuite est seulement de 26

% pour le dépotoir du XVIe siècle. Ce faible taux s’explique aisément par le fait que l’usage d’assiettes en terre cuite pour manger n’était pas encore répandu à cette époque. D’autre part, compte tenu du statut social des religieuses, la

plupart des récipients pour manger étaient certainement en métal. La proportion est très élevée, aussi bien à Paris au XVIIe siècle, qu’à Chelles au XVIIIe siècle, avec respectivement 90 et 83 % de la totalité (Fig. 4-5). Le fort taux de vaisselle de table dans les dépotoirs monastiques se retrouve dans d’autres dépotoirs modernes, chez les Capucins de Belfort, les Clarisses de Besançon73, les Visitandines de Chalon74, mais également médiévaux (abbayes de Maubuisson et de Chelles).

Le service du repas est codifi é par le coutumier et la hiérarchie du couvent s’y manifeste. Le repas se prend dans le réfec-toire. Chez les Feuillantines, il comporte des tables et des bancs en bois de chêne et les murs sont recouverts de boiseries, auxquelles sont suspendus des tableaux75. Chez les Clarisses, le couvert de chaque sœur était placé sur une serviette « de toi-les grossières et rude sans ouvrage »76 qui délimite sa place. La cuisinière sert en pre-mier la mère abbesse, puis la mère vicaire, la semainière « et les autres selon leur rang, et ayant servi, elle repasse devant les tables, en tendant la main, pour voir si elle en a oublié quelqu’une, à qui elle re-portera aussi-tost une soupe »77. Les sœurs étaient tenues de manger discrètement et proprement et de ramasser avec soin les restes sur la table pour les manger78. Après le repas, la vaisselle était soigneusement lavée par la cuisinière qui doit « écurer & laver la vaisselle, & les ustensiles de Cui-sine aidée dans cette tache par les sœurs

71 Les récipients étaient posés sur des cavités aménagées dans un plan de travail au-dessous duquel on plaçait des braises.72 M.-Cl. Leclercq, op. cit., p. 389.

73 20 000 m3 d’Histoire, op. cit.74 Les Saintes Marie, op. cit.75 M.-Cl. Leclercq, op. cit., p. 389. 76 Coutumier de 1703, C. Goy, op. cit., p. 174.77 Ibidem, p. 173. 78 Ibidem, p. 173.

Fabienne Ravoire

316

du noviciat »79.

Les récipients pour la consommation des boissons (Fig. 8)

Pour boire, les religieuses de Chelles utilisaient des verres, aussi bien

au XVIe qu’au XVIIIe siècle Il en allait de même chez les Visitandines comme l’atteste le mobilier archéologique. En revanche, pour les Feuillantines et les Clarisses de Besançon, il en était autrement. Les fouilles à l’emplacement du couvent des Clarisses ont livré des écuelles en faïence comparables à celles des Feuillantines80. Ces écuelles sont en fait les tasses désignées dans le coutumier des Clarisses81. Les écuelles ou tasses en faïence des Feuillantines mesurent 6,6 cm de hauteur pour 14 cm de diamètre. Celles des Clarisses comme celles des Capucins de Belfort ont des dimensions équivalentes. Chez les Clarisses, c’est la sœur réfectorière ou crédancière qui a la charge des « (…) Bocals de terre blanche où l’on met l’eau sur les Tables, les Tasses où l’on boit, qu’elle tiendra fort nettes ». Pour la collation, « seuls les tasses et les brocs de terre blanche (faïence ?) sont posés sur la table »82. Les sœurs disposaient d’une grande tasse pour l’eau, d’une petite pour le vin et d’un broc d’eau pour deux et, en hiver, quand il faisait trop froid, la sœur dépensière était chargée de faire chauffer l’eau « dans un Coquemar

79 Ibidem, p. 174.80 20 000 m3 d’Histoire, op. cit.81 En effet, d’après le témoignage d’actuelles Clarisses, ces écuelles sont identiques à celles qu’elles utilisent encore pour boire avec leurs deux mains. Informations de Corinne Goy et de Jean-Olivier Guilhot que nous remercions.82 Coutumier de 1703, C. Goy, op. cit., p. 173.

pour mêler parmi la froide »83.

Pour le service des boissons, les Bénédictines au XVIe siècle utilisaient, outre les carafes en verre, destinées sans doute aux religieuses offi cières, des pichets en grès du Beauvaisis (Fig. 8, n° 2-3) : 34 exemplaires ont été retrouvés dont certains présentaient un caractère plus luxueux avec un décor de glaçure bleue, auxquels il faut rajouter deux pichets en grès des Flandres. Ces pichets en grès du Beauvaisis sont d’un usage courant à partir du XVIe jusqu’au XVIIIe siècle, de fait, chez les Feuillantines, on les retrouve, au nombre de 15 ainsi qu’une cruche en grès des Flandres. Au XVIIIe siècle, pichets en grès et en faïence, n’étaient sans doute pas destinés à la table de l’abbesse de Chelles mais plutôt au service.

Pour les collations, la consommation de café et/ou de chocolat est attestée chez les Feuillantines par la présence de récipients à cuire, chocolières ou cafetières84 . Chez les Visitandines, les récipients étant marqués, l’on sait que les chocolatières étaient destinées à l’infi rmerie. Le chocolat, boisson en vogue à partir de la fi n du XVIIe siècle, était diversement apprécié dans la bonne société, aussi bien comme breuvage que comme remède, chez les laïcs85

comme chez les clercs ; encore au XIXe siècle, le raffi nement dans la préparation

83Ibidem, p. 174.84 Seul le couvercle perforé des chocolatières les distingue à cette époque des cafetières.85 Ainsi en 1671, Mme de Sévigné le conseille comme remède à sa fi lle Mme de Grignan mais un peu plus tard, sans doute après en avoir trop consommé le lui déconseille en disant qu’« il est la source des vapeurs et palpitations ; il vous fl atte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup d’une fi èvre continue, qui vous conduit à la mort ».

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

317

du chocolat par la supérieure du couvent de la Visitation à Belley (Ain) témoigne du goût prononcé pour ce breuvage86. Plus raffi nées encore étaient les abbesses de Chelles qui recevaient leurs hôtes autour d’un café dans des tasses avec soucoupe en faïence fi ne anglaise (Fig. 12, n° 5-6) ou d’un thé servi dans des tasses et soucoupes en porcelaine chinoise (Fig. 12, n° 7-8).

Les récipients pour la consommation des aliments (Fig. 12-15)

Les récipients dans lesquels les sœurs mangeaient sont de deux types : les

écuelles et les assiettes, toujours glaçurés intérieurement ou émaillés pour les faïences. Il existe de très légères variantes morphologiques selon les productions et selon les périodes. Les écuelles sont d’un usage constant au XVIe et XVIIe siècles. De forme hémisphérique, en général munie de tenons opposés qui permettaient une préhension à deux mains, elles remplacent les poêlons, forme creuse munie d’un manche, que l’on retrouve dans la plupart des établissements religieux à l’époque médiévale87.

Le dépotoir du XVIe siècle a livré une quinzaine d’écuelles en production francilienne et en production du Beauvaisis, toutes de petite contenance sans tenons (Fig. 12, n° 1-2) et deux terrines à anse qui ont peut-être servi au repas. Leur diamètre d’ouverture est d’environ 15 cm. Chez les Feuillantines, à la fi n du XVIIe siècle, le nombre total d’écuelles, toutes productions confondues, est de 663, soit 92 % de la vaisselle de table. Les écuelles parisiennes sont de deux sortes : creuses à tenons et moins creuses à aile. Les premières mesurent environ 6 cm de hauteur pour 18 cm de diamètre, les secondes 4 cm de hauteur pour 19 à 20 cm de diamètre (Fig. 13). Leurs homologues en pâte fi ne du Beauvaisis mesurent 4-5 cm de hauteur pour 16 cm de diamètre. Il existe également mais en beaucoup plus faible quantité de petites écuelles à aile, qui mesurent de 3 à 4,5 cm de hauteur pour 15 cm de largeur.

À partir du XVIe siècle apparaissent les assiettes en terre cuite dont la forme existe cependant en métal depuis la fi n du Moyen Âge. Chez les Bénédictines, celles-ci sont encore très peu nombreuses. Ce sont des pièces glaçurées du Beauvaisis (Fig. 12, n° 8 ; Fig. 14) qui servaient plus L. Moulin, « Les liturgies de la table. Une

histoire culturelle du manger et du boire », Paris, 1989. Cité dans 20 000 m3 d’Histoire ; op. cit., p. 343.86 La supérieure de ce couvent avait ainsi décrit à Brillat-Savarin la préparation du chocolat : « quand vous voudrez prendre du bon chocolat, faites-le faire, dès la veille, dans une cafetière de faïence et laissez-le là. Le repos de la nuit le concentre et lui donne un velouté qui le rend bien meilleur. Le bon Dieu ne peut pas s’offenser de ce petit raffi nement, car il est lui-même tout excellence ». (Les Classiques de la table, éd. A. Charles, F. Fayot, p. 50, cité par B. Ketcham Wheaton, p. 336, note 70).

87 À Chelles même, une série de 8 récipients a été retrouvée dans un dépotoir de la première moitié du XIVe siècle, associée à une quinzaine de pichets ; voir D. Coxall, op. cit., p. 152-163. À l’abbaye de Maubuisson, un vaste dépotoir contemporain de ce dernier a livré une quarantaine de poêlons et autant de pichets ; voir V. Durey-Blary, « Céramiques du XIVe siècle trouvées dans un dépotoir de l’abbaye de Maubuisson ». Publications du SDAVO, 1993 (Archéologie en Val-d’Oise ; 4).

Fabienne Ravoire

318

à la décoration sur les dressoirs ou les buffets que sur la table même. En revanche au XVIIe siècle, chez les Feuillantines, les assiettes sont d’un usage courant. En production parisienne, elles mesurent environ 4 cm de hauteur pour 21 à 22 cm de diamètre et en pâte fi ne du Beauvaisis, entre 5 et 6 cm de hauteur pour 22 à 24 cm de diamètre. Au XVIIIe siècle, les assiettes remplacent les écuelles sans pour autant que celles-ci disparaissent totalement. Désormais, les assiettes sont essentiellement en faïence comme on peut le voir dans les ensembles de Chelles et de Chalon-sur-Saône.

Les plats sont peu nombreux au XVIIe siècle comme en témoignent les exemplaires des Feuillantines. Ceux en terre parisienne mesurent environ 7,2 cm de hauteur pour 25 à 31 cm de diamètre, ceux en faïence mesurent 26 cm d’ouverture pour 5,4 cm de hauteur. Les exemplaires de Chelles au XVIIIe siècle sont peu nombreux en comparaison des assiettes. Ce sont des modèles raffi nés en faïence à paroi godronnée.

Usages et usagers : l’exemple de la vaisselle de table

Une vaisselle personnalisée

Ces récipients en terre cuite étaient associés aux différents espaces

domestiques du monastère comme en témoigne le coutumier du couvent des Visitandines de Chalon-sur-Saône. Ainsi les lettres « CX » correspondaient à la cuisine, « F » au four, « I » à l’infi rmerie etc. Chez les Clarisses, le T indiquait l’infi rmerie. Le coutumier de cette communauté précise que si tout appartient à la communauté, il est nécessaire « …afi n d’éviter la confusion & le mélange des choses qui sont en nostre usage, l’on permet de les reconnoistre par quelque chose differente, afi n d’avoir un plus grand soin

de les reserrer & tenir propres »88. Dans le dépotoir du couvent des Feuillantines, seul un fond portant la lettre gravée P a été retrouvé : sans doute l’écuelle de la sœur portière. Sous les assiettes en faïence des Bénédictines de Chelles était gravée l’échelle, qui symbolisait l’abbaye, mais également une lettre : le « F » de four, le « I » d’infi rmerie et le « C » de cuisine. Des symboles désignaient également la fonction de la religieuse qui possédait le récipient (une crosse pour l’abbesse, une clé pour la portière) (Fig. 12, n° 11-13). Ce caractère personnel des récipients est ainsi clairement affi rmé dans la vaisselle de table.

Par ailleurs, il semble exister une corrélation entre la forme d’un récipient du service de table, quelles que soient la production et la fonction à laquelle il était destiné. Les écuelles à tenons, les écuelles à aile et les assiettes des Feuillantines présentent globalement les mêmes proportions qu’elles soient en production parisienne ou en production glaçurée du Beauvaisis. Les fonctions de ces écuelles, de ces assiettes petites et grandes et de ces plats paraissent d’autant plus différenciées qu’on les retrouve dans la description du mobilier métallique89.

Les écuelles, hormis celles qui sont en faïence, servaient à la consommation des soupes et bouillons. Les assiettes étaient utilisées pour manger les poissons et plus rarement les viandes. Écuelles et assiettes étaient portées au feu sauf comme on l’a vu plus haut, les écuelles en faïence et la vaisselle glaçurée du Beauvaisis, non réfractaire. Celles-ci devaient être utilisées

88 Les règlements et coutumes, 1670. Cité dans 20 000 m3 d’Histoire, op. cit. p. 345.89 Voir supra.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

319

Fig. 12 : Céramique de table régionale et importée : écuelles des XVIe siècle (n° 1-2, 3), assiettes des XVIe siècle (n°4) et XVIIIe siècle (n° 10), plat du XVIIIe siècle (n°9), tasse à café avec soucoupe (n° 5-6),

bol à thé avec soucoupe (n° 7-8). Marques gravées du XVIIIe siècle (n° 11-13).

1

3

4

5

6

7

10

9

8

2

1211

13

Fabienne Ravoire

320

pour la consommation de mets froids. Enfi n, les petites écuelles à aile servaient sans doute aux desserts.

Les mets étaient partagés en cuisine en portions. Le contenu de la portion dépendait des sœurs offi cières responsables de la gestion des denrées alimentaires, et surtout de l’abbesse. Le contenu de l’écuelle ou de l’assiette correspondait à la portion consommée. Elles étaient tenues au chaud sur des réchauffoirs90 et étaient apportées ensuite sur la table. Les traces de raclement à la surface des écuelles traduisent une utilisation quotidienne de ces récipients. Ils témoignent également du fait que les sœurs devaient manger ostensiblement ce qu’elles avaient dans leur écuelle, conformément à la règle91.

L’examen de la répartition de la vaisselle de table des Feuillantines, en fonction des productions et des formes, permet d’identifi er, en particulier pour la vaisselle locale, la plus largement utilisée, le nombre d’écuelles et d’assiettes par religieuse. En effet, une certaine régularité dans les quantités autorise quelques hypothèses concernant la répartition des récipients sachant qu’en 1695, apogée du monastère, il y avait 65 religieuses professes92. En effet, l’on dispose de 133 écuelles à tenons, 269 écuelles à aile en production francilienne. Si l’on met ces chiffres au regard des 65 sœurs recensées, on obtient 2 écuelles à tenons et 4 écuelles

à aile par religieuse. Cette quantité s’explique par le fait que ces récipients étaient, comme on l’a vu plus haut, sujet au bris. Il y a également 72 assiettes dont 55 appartiennent à un même type et 13 à un type très proche93, ce qui pourrait indiquer au moins une assiette par sœur.

La répartition du service jaune tacheté brun en vaisselle du Beauvaisis est moins explicite : l’on a 34 écuelles et 52 assiettes. De même, l’on a seulement 26 écuelles (tasses à boire) et 13 assiettes en faïence. Il est possible que seuls les récipients abîmés aient été jetés. Il est possible également que toutes les sœurs ne disposaient pas d’un de ces récipients, soit qu’ils étaient partagés entre les sœurs, soit que les récipients plus luxueux, en faïence et en terre fi ne du Beauvaisis étaient réservés aux seules religieuses offi cières. Les brocs d’eau, chez les Clarisses et les Visitandines, étaient partagés. Si l’on suit ce principe, avec 11 pichets, les Feuillantines disposaient d’un pichet pour trois, ce qui paraît tout de même insuffi sant.

Chez les Bénédictines de Chelles il y a, au XVIe siècle 93 réchauffoirs et au XVIIIe siècle 96 assiettes. Or, le nombre de sœurs admises dans l’établissement depuis le XIIe siècle est limité à 80 religieuses94 et après une baisse des effectifs durant la guerre de Cent ans, elles sont bien 80 au début du XVIe siècle95. Les séries d’assiettes en faïence correspondent, comme on l’a vu

90 Voir supra.91 Selon la règle bénédictine, les religieuses avaient tout de même le droit de choisir entre deux plats cuits voire un troisième. Voir P. Rambourg, op. cit.92 À ces religieuses s’ajoutaient 25 converses et 106 pensionnaires qui étaient logées hors du monastère. Geneviève Crucifi x-Bultingaire 1961, Feuillants et Feuillantines, Paris, chez l’auteur, 10 rue des feuillantines,

MCMLXI, p. 28-38. Notons qu’en 1790, elles ne sont plus que 20 religieuses de chœur et 10 sœurs professes. Voir P. Biver, M.-L. Biver, Abbayes, monastères, couvents de femmes à Paris, Paris, PUF, 1975, p. 299-301.93 Voir F. Ravoire 2004, op. cit., p. 181, fi g. 6.94 Mais il avait atteint auparavant 120 religieuses. D. Coxall, op. cit., p. 113.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

321

plus haut, à une autre période de prospérité de l’abbaye, quand la fi lle du régent, Louise-Adélaïde d’Orléans était abbesse de 1719 à 1734 et l’on peut supposer qu’il y avait également 80 sœurs96. La quinzaine de récipients supplémentaires correspond-elle à un nombre plus élevé de sœurs professes ou s’agit-il de converses, sachant qu’en 1790, les professes n’étaient plus que 33 mais qu’il y avait 23 sœurs converses ?

Il paraît ainsi hautement probable que le mobilier céramique rejeté dans ces vastes dépotoirs collectifs n’est pas dû à des dépôts occasionnels, mais bien à un rejet massif, lié à une volonté de renouvellement total du vaisselier de table. Concernant les céramiques du couvent des Feuillantines, la décision de cette action a pu être dictée par la nécessité de se débarrasser de récipients par trop abîmés, et surtout ne répondant plus aux règles de propreté exigées par l’établissement. En ce qui concerne le mobilier du XVIe siècle de l’abbaye de Chelles, sa plus grande hétérogénéité, car il provient de plusieurs endroits : cuisine, réfectoire, infi rmerie, logis abbatial, plaide en faveur d’une origine plus complexe (apport régulier des cuisines puis rejet massif au moment de la rénovation de ce secteur de l’abbaye au début du XVIIe siècle). C’est l’inverse qui a pu se produire au XVIIIe siècle, dans un premier temps, une grande partie du mobilier des latrines a été jeté par la nouvelle abbesse puis dans un second temps, des objets ont été jetés ponctuellement.

Vaisselle de table et hiérarchie sociale

C’est dans la vaisselle de table que s’expriment le plus nettement les

distinctions sociales97, et ce qui a pu être observé pour les contextes laïcs, s’appli-que également aux milieux monastiques. En premier lieu, les matériaux utilisés pour la vaisselle de table varient selon la rigueur de la règle. Les dépôts archéolo-giques mettent au jour de la vaisselle de terre, parfois de verre, et plus rarement de métal. Pourtant, les inventaires après décès comme celui du couvent des Capucins de Belfort en 1790 indique que les moi-nes avaient 13 plats d’étain, 8 douzaines d’assiettes (d’étain ?), des écuelles de terre et des plats de faïence98, celui des Visitan-dines, en 1792, précise qu’il y avait dans le réfectoire 18 pots, 12 assiettes grandes, 24 petites, 2 plats, 24 écuelles le tout en étain99.

En fait, dans les ordres nés de la contre-réforme où la règle est stricte, la vaisselle utilisée par les sœurs est d’abord en terre cuite, parce que ce matériau est celui qui convient à la profonde humilité de la condition des sœurs. La Mère Claude-Angélique de Thiard de Bissy, quand elle entra chez les Visitandines, relata le dégoût qui la transporta car pour une per-sonne de la grande noblesse, manger dans de la vaisselle de terre était une grande mortifi cation. Elle « eut à se faire d’hé-roïques violences pour s’accommoder à la nourriture, qui était fort grossière et mal apprêtée. Son cœur se soulevait à la vue des pauvres portions et de la vaisselle de terre, qui remplaçaient les mets recherchés et la vaisselle d’argent auxquels on l’avait habituée jusqu’alors »100.

95 Ibidem.96 Ibid., p. 219.

97 F. Ravoire, 2002, op. cit.98 Ch. Cousin, M. Rilliot, op. cit., 163-168.99 Les Saintes Marie, op. cit.

Fabienne Ravoire

322

Chez les Clarisses « tous les ustensiles du Réfectoire doivent être simples et con-formes à la sainte pauvreté, les Couteaux sans ornements, les cuillères de bois, les salières encore de bois : les bocals, Ecuel-les et plats de terre ; toute sorte de meubles d’étain ou précieux en étant exclus»101. El-les disposaient d’une salière pour deux et jusqu’au concile de Latran dans les années soixante, les sœurs n’utilisaient pas de fourchette. Chez les Visitandines, aux heu-res des repas, « la sœur réfectoire mettait à chacune un couteau, une cuillère et une tassine et des salières de trois en trois et des pots de deux en deux ou à chacune le sien s’ils sont petits, aussi un petit pot de vin, et dessous chaque pot, un petit tranchoir de bois »102. Pourtant, des écarts à la règle pouvaient être tolérés, car les Visitandines disposaient pour manger d’assiettes, de plats et de pots à vin en étain et seules les écuelles et les pots à eau étaient en terre103.

Il se pouvait également que la vaisselle plus luxueuse, en verre ou en métal, n’était pas directement destinée aux sœurs, mais à leurs hôtes ou aux personnes extérieures à la communauté et vivant dans l’enceinte du monastère. En effet, au XVIIIe siècle, cette pratique de loger des hôtes s’était répandue pour pallier les diffi cultés fi nan-cières de très nombreux monastères. Ainsi chez les Feuillantines de Paris, le service de table réservé aux religieuses logées au monastère était, comme en témoigne l’archéologie, constitué d’écuelles et de plats en terre. Il était clairement dissocié

de celui destiné aux personnes séculières, composé d’assiettes en étain, de verres en cristal et de couverts en argent104. Ceci étant, il est évident qu’il existe une très grande homogénéité dans le répertoire des formes, dans les matériaux utilisés et dans les usages de table entre des établis-sements contemporains et d’obédience religieuse assez proche, comme celui des Clarisses et des Capucins de Besançon.

Dans les grandes et riches abbayes bénédictines comme celle de Chelles, la question du mobilier se pose différemment. Toutes les sœurs professes sont issues de la plus haute aristocratie et le mobilier, en particulier celui de la table, est révélateur de ce statut. Cependant, des distinctions devaient exister au sein de la hiérarchie de l’abbaye comme cela a pu être clairement démontré pour la nourriture à Saint-Amand de Rouen105. Conformément à la règle bénédictine, l’abbesse et les sœurs supérieures étaient tenues de recevoir et de prendre leur repas avec les hôtes du monastère. À ce titre, l’abbesse pouvait avoir à son service un cuisinier. Ses repas n’étaient pas ceux des autres religieuses : ils étaient plus riches et plus diversifi és106.

La vaisselle de table des abbesses au XVIIIe siècle se compose de 59 % de faïence et de 15 % de céramique fi ne d’origine étrangère (porcelaine et la faïence fi ne anglaise). La faïence est beaucoup plus chère que la vaisselle glaçurée, d’autant qu’elle est décorée107 et qu’elle provient d’illustres manufactures.

100 Année sainte de la visitation Sainte-Marie, t. 1 (janvier), Annecy, 1867, p. 511. Citée dans Les Saintes Marie, op. cit., p. 95.101 C. Goy, op. cit., p. 174.102 Les Saintes Marie, op. cit. 103 Les Saintes Marie, op. cit.

104 M.-Cl. Leclercq 1997, p. 389.105 Voir l’analyse de l’alimentation des religieuses de Saint-Amand de Rouen au milieu du XVIe siècle, Patrick Rambourg, op. cit. 106 P. Rambourg, op. cit.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

323

En effet, les assiettes en faïence, produites par la manufacture royale de Saint-Cloud près de Paris, portaient les armes de la famille de l’abbesse, fi lle du Régent, une pratique que l’on retrouve dans toutes les grandes maisons d’Île-de-France à cette époque (Fig. 12, n° 10 ; Fig. 15). Enfi n, c’est dans l’utilisation de vaisselle fi ne, que se manifeste le luxe des élites qui montre ainsi « leur magnifi cence et leur capacité à suivre la mode »108.

Si pour les ensembles du XVIIIe siècle, il ne fait aucun doute que la vaisselle est directement liée au logis de l’abbesse, en revanche pour celui du XVIe siècle, la distinction entre vaisselle des offi cières et des autres religieuses est moins évidente. En effet, rappelons que ce dépotoir se trouvait au-dessus des cuisines mais que le logis de l’abbesse, à cette époque le surplombait. De fait, le mobilier est plus hétérogène associant des dépôts provenant des cuisines (pots à cuire, récipients à lait), du réfectoire (réchauffoirs et écuelles

en production locale), et de l’infi rmerie (pots d’apothicairerie en grès). Une grande partie de cette vaisselle est donc ordinaire, mais les réchauffoirs et assiettes décorées du Beauvaisis renvoient à un vaisselier de qualité très supérieure. Enfi n certains récipients provenaient certainement du logis de l’abbesse comme un plat de Bernard Palissy, un réchauffoir à décor modelé rapporté de musiciens, des albarelles en faïence italienne et lyonnaise ayant pu servir de pots de confi ture, denrée particulièrement prisée à cette époque109.

Conclusion

L’étude de la vaisselle en terre cuite des religieuses de Chelles et

de Paris met en évidence une utilisation abondante de ce mobilier, largement sous-estimée par les sources textuelles.

L’approvisionnement de ces établissements révèle une gestion des ressources locales en matière de vaisselle en terre cuite. Les Feuillantines pouvaient se procurer les céramiques dont elles avaient besoin, soit dans les offi cines des marchands potiers parisiens ou à la Halle de Paris. Les Bénédictines pouvaient s’approvisionner sur les marchés locaux où les céramiques venaient de Meaux via la Marne et de Paris via la Marne en aval ou par voie terrestre, par la route le long de la Marne. Il s’agissait comme on l’a vu plus haut pour les pots de confi ture, de commandes passées auprès de potiers ou marchands potiers. Cela explique la grande homogénéité des lots, que ce soit pour la vaisselle de table ou la vaisselle culinaire.

Le mode d’acquisition des céramiques étrangères, qui témoignent d’un luxe

107 Dans les inventaires après décès des habitants de la Place royale à Quebec, en 1732, une assiette en faïence est prisée 5 sols tandis qu’une douzaine en terre glaçurée en vaut 10. De plus, les faïences blanches à décor bleu sont d’un coût supérieur à celui des faïences blanches : en 1743, 11 plats décorés sont évalués à 11 livres et 11 plats simples dont 5 grands et 6 moyens sont évalués à 8 livres et 5 sols. Paul-Gaston L’Anglais, 1994, Les modes de vie à Québec et à Louisbourg au milieu du XVIIIe siècle à partir des collections archéologiques, tome 1 : Place Royale. Les publications du Québec, Québec 1994, 334 p., 101 fi g. (Collection patrimoines, n° 86), p. 151-152. 108 D. Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation XVIIe-XXe siècle, Paris, Fayard, 1997, p. 265. 109 F. Ravoire, 1994, op. cit.

Fabienne Ravoire

324

certain, était surtout le cadeau110 même si on pouvait se procurer des poteries étrangères chez les marchands potiers. Les poteries des « Flandres » sont ainsi régulièrement mentionnées dans les inventaires après décès de potiers parisiens au XVIIe et XVIIIe siècles. Ces poteries des « Flandres » étaient, au regard des découvertes archéologiques, des grès dont l’origine pouvait être effectivement les Flandres (Bouffi oux) mais également la Rhénanie (Siegburg, Raeren). Enfi n, les poteries en grès de Basse-normandie servant au transport du beurre, étaient achetées pour leur contenu à des marchands spécialisés.

Ces céramiques étaient associées à des utilisations précises. L’examen des lots des Feuillantines et des religieuses de Chelles permet de confi rmer la consommation de laitage, de « potages » et de plats chauds au XVIe comme au XVIIe siècle. Les assiettes plates à rebord en faïence du XVIIIe siècle évoquent plus la consommation de mets plus raffi nés que des simples potages consommés par les Bénédictines de Chelles au XVIe et les Feuillantines au XVIIe siècle Le rôle des coquemars dans la préparation culinaire semble prégnant au XVIe siècle mais moins au XVIIe siècle. Dans les ensembles laïcs contemporains, la diminution des pots de cuisson en terre cuite est également très nette. Le

recours plus important à des marmites en métal, mais également les changements existant entre les préparations à partir du XVIIe siècle, expliquent sans doute cette évolution. Si une large frange des récipients nécessaires à la table se retrouve dans le vaisselier céramique, il est à noter l’absence de salière mais aussi de coquetiers, sachant que les œufs étaient très largement consommés dans les milieux religieux.

Enfi n aussi humble que soit ce matériau, il permet clairement d’apprécier les distinctions, malgré des convergences dues aux astreintes de la règle monastique, entre les établissements riches et les établissements pauvres, sans oublier les distinctions individuelles entre l’abbesse et les autres sœurs ou entre les sœurs selon leur fonction. La vaisselle céramique témoigne ainsi de « micro hiérarchie » autrement ignorée dans les témoignages écrits.

Dessins des céramiques des Feuillantines : Julia Wilson, InrapDessins des céramiques de Chelles : Eddy Séthian (à l’époque au service municipal de Chelles)Montage des planches : Aurélie PanchoCrédit photographique pour les Feuillantines : Loïc de Cargouët, InrapCrédit photographique pour Chelles : Éric Mittard et Nicolas Georgieff.

110 Certains récipients ont également pu être apportés par le déplacement de religieuses. C’est peut-être le cas pour un pichet en grès du Beauvaisis du XVe siècle faisant partie des reliques de sainte Colette qui était originaire de Picardie, conservées au couvent des Clarisses de Besançon, Voir C. Goy 1995, « Le petit lot de sainte Colette : regard de l’archéologie sur les reliques », in Ex pots, op. cit., p. 117.

Histoire médiévale et archéologie 2006 - vol. 19

325

Fig. 7 : Tèle à lait (XVIe siècle) (photo E. Mittard et N. Georgieff).

Fig. 13 : Écuelles à aile (XVIIe siècle) (photo L. de Cargouët).

Fig. 14 : Assiette gravée sur engobe, Beauvaisis (XVIe siècle) (photo E. Mittard et N. Georgieff).

Fig. 10 : Pots à cuite dits « coquemar » et « huguenote » avec leurs couvercles (XVIe siècle)

(photo E. Mittard et N. Georgieff).

Fig. 15 : Assiettes en faïence, décor en camaïeu bleu aux armes de Louise-Adélaïde d’Orléans, abbesse de 1718 à 1734 (photo E. Mittard et N.

Georgieff).

Fig. 11: Réchauffoirs de table (XVIe siècle) (photo E. Mittard et N. Georgieff).