à la lisière
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Lisière
On était en juin…Il pleuvait. Peut-être une princesse qui se lamentait
quelque part dans une galaxie très éloignée de la planète terre. Ou une fuite
d’eau sur la lune, ou un fou rire aux larmes d’un apothicaire – j’aime ce mot –
ou…
Je lisais La Fontaine, tout à fait par hasard. A la recherche de son actualité,
histoire de comprendre le présent. Nous étions nombreux à être perdus.
Je me tenais à la lisière du texte, toujours à la limite de l’étonnement devant la
force des mots qui a raison de l’usure, et le risque de s’y enliser.
Une baie
L’eau la noie en si peu de temps
Parfois le peu d’attention perd celui qui erre en rêvant sur le sable, contemplant
son regard se reflétant dans la mer, juste attaché à sa propre histoire.
Il se noie sans aucune étoile à l’horizon dévoilé
Aucune voile pour le sauver, que son aveuglement.
La Fontaine peut sembler désuet avec son bestiaire, sa morale…
La lisière, être à la lisière, c’est être ni dedans, ni dehors, juste sur le seuil.
Le seuil, est rencontre, ni fusion, ni confusion, une mise à distance mais une
ouverture sur un monde….
Je rencontrais La Fontaine.
Nous étions en juin, il pleuvait.
Schéhérazade me revint en mémoire. Ses mots tramaient sa vie, chaque soir elle
courait le risque de se perdre
L’heure de se coucher étant enfin venue, le grand vizir conduisit Schéhérazade au palais, et se retira après l’avoir introduite dans l’appartement du sultan. Ce prince ne se vit pas plus tôt avec elle, qu’il lui ordonna de se découvrir le visage. Il la trouva si belle, qu’il en fut charmé ; mais s’apercevant qu’elle était en pleurs, il lui en demanda le sujet. « Sire, répondit Schéhérazade, j’ai une sœur que j’aime aussi tendrement que j’en suis aimée. Je souhaiterais qu’elle passât la nuit dans cette chambre, pour la voir et lui dire adieu encore une fois. Voulez-vous bien que j’aie la consolation de lui donner ce dernier témoignage de mon amitié ? » Schahriar y ayant consenti, on alla chercher Dinarzade, qui vint en diligence. Le sultan se coucha avec Scheherazade, sur une estrade fort élevée, à la manière des monarques de l’Orient, et Dinarzade dans un lit qu’on lui avait préparé au bas de l’estrade.
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Une heure avant le jour, Dinarzade s’étant réveillée, ne manqua pas de faire ce que sa sœur lui avait recommandé. « Ma chère sœur, s’écria-t-elle, si vous ne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour qui paraîtra bientôt, de me raconter un de ces contes agréables que vous savez. Hélas ! ce sera peut-être la dernière fois que j’aurai ce plaisir. » Schéhérazade, au lieu de répondre à sa sœur, s’adressa au sultan : « Sire, dit-elle, Votre Majesté veut-elle bien me permettre de donner cette satisfaction à ma sœur ? — Très volontiers », répondit le sultan. Les Mille et une Nuits
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Loup, loup, y es-tu ?
M’entends-tu ?
Que fais-tu ?
Où est mon plumeau ? disait Blanche Neige
.
..
Les pachydermes montent dans le bus…
Rantanplan où es-tu ?
………….Et de tous ces éclats de mots surgit le fil de
l’histoire.
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La toile apparut dans son ébauche hésitante,
Une sorte d’esquisse surgie des taches de peinture éparpillées.
S’y enlaçaient les mots des souvenirs de l’enfance,
Ces mots faits de nos habitudes paresseuses.
Les risques de perdre ce fil dans la séduction du jeu étaient
grands.
Le passé filochait le présent, dans un entrelacs solide et souple
Le tissage parfois se délitait
En quête d’une nouvelle ébauche à venir. Elle tissait et
détissait et l’étole s’étoffait.
Il s’y blottit à la lisière
Y trouvant la chaleur nue et caressante de ses désirs,
A l’abri du vide
De l’insigne.
Le jour se mêlait à la nuit,
Son regard apaisé débordait de plaisir.
L’histoire pouvait commencer.
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En ces périodes où il faut faire original, et se complaire
dans les modes du moment, et de toutes sortes, mes
histoires peuvent déplaire. Eh bien qu’elles
déplaisent…j’en suis fort aise !
De jouer il s’agit, avec les interstices des mots, avec les
histoires méconnues d’être trop décortiquées au scalpel de
l’analyse.
Jouer ce n’est pas se divertir. C’est s’écarter, se mettre à
la lisière, comme ces acteurs qui jouent à l’écart de la
scène, loin et proches du spectacle, complices du spectateur
interpelé. Scapin y excelle.
Nous nous tenons tous à la lisière du texte. Nous attendons
un inconnu familier. Nous nous séparons du passé pour y
revenir. Mes histoires ont le ton du monologue de Scapin,
au bord de la culbute.
Mais là est la liberté, dans cet écart au risque de la
chute…
Il y a beaucoup de chutes dans la littérature si on y fait
attention. Au début de mon histoire il y a un coléoptère en
colère de chuter, et il ne chuchote pas. Il le crie !
Alors j’ai écrit comme Schéhérazade, pour sauver sa vie,
continue chaque soir les histoires…Nous sommes tous à la
lisière des mots et de nous-mêmes. La chute de la Maison
Tellier, La chute de Camus,
Don Quichotte se battait contre des moulins à vent, moi je
vois un autre monde, à la lisière d’un monde incertain et
triste…je vois un monde capable de faire reculer la
barbarie. Mais nous sommes toujours à la lisière, un peu
comme Don Quichotte.
Ecrire, c’est construire. Ecrire c’est prendre le risque de
voir ses châteaux s’effondrer, écrire c’est renoncer au
silence, même si c’est beaucoup de bruit pour rien.
Ecrire, c’est exister.
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HISTOIRE DU COLEOPTERE EN COLERE…ou pour commencer
Il était une fois, dans un pays quelque part sur cette planète…
A une époque lointaine
A une époque où l’école n’existait pas
Où les enfants chantaient tous les matins
la guerre, la faim, la tristesse n’existaient pas
Alors, imaginez…c’était il y a très longtemps…
Vos parents n’étaient pas nés
Vos grands-parents non plus
Leurs parents non plus
Noé n’avait pas encore construit son arche…
C’était il y a très très longtemps
C’était l’époque où les animaux parlaient…
L’époque où les poules avaient des dents
Les sirènes draguaient les marins égarés
Les cyclopes avaient encore deux yeux
La guerre de Troie n’avait pas encore eu lieu…
Hélène aimait son mari et ne jouait pas aux Feux de l’amour
Il n’y avait pas de docteur Folamour
Les enfants obéissaient aux parents et ne portaient pas d’appareil dentaire pour redresser les
dents
L’orthopédie orthographique ne redressait personne
La fumée remplaçait les SMS
Une époque donc…formidable
Sauf…eh oui sauf…pour le coléoptère.
Coléoptère comme hélicoptère
Collé à son père
Ou à sa mère
Car il n’y voit pas clair
Presbyte et myope il tombe souvent par terre
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Comment faire se disait-il en colère
je passe souvent pour une taupe qui vole et se prend un arbre de face
le dindon de la farce…c’est moi
Bref le coléoptère n’y voit rien.
Mais il doit accomplir des prouesses s’il veut ne plus tomber à terre
C’est toujours ainsi dans les contes et les fables
Le héros a des épreuves…
Il s’en sort toujours bien en général
Cependant où trouver encore des farfadets, sorcières, géants et autres princes et princesses
quand on vit ici ?
Il pense soudain qu’il est l’heure d’aller au travail.
Mais il arriva à dix heures et quart au lieu de dix heures moins dix.
Un gros embouteillage l’avait mis en retard.
Un géant était sorti d’un livre et jouait du pipeau dans un camping car
Gulliver il s’appelait
Des lilliputiens, plus d’une centaine, sont venus l’attacher
Tant il était fou à lier
Et ils ont tiré, tiré, tiré…
Bref ils ont libéré la route, qui les en a remerciés
Seul le coléoptère pestait contre les imprévus et les mammifères.
Le coléoptère est tellement en colère qu’il heurte un pachyderme qui d’en allait on ne sait où.
Il se relève et sent une énorme bosse qui bouleverse sa pensée.
D’un seul coup il voit des chiffres partout, lui qui n’aime pas les mathématiques…
Il se relève difficilement et en titubant il prend son élan pour décoller.
Mais il lui faut tant de place qu’il recule trop et ….
C’est la chute.
Toujours par terre le coléoptère
Lui qui se croit le roi des airs…mais ses ailes ne sont pas faites pour voler…il a oublié de
consulter wikipedia.
Comme il est obstiné il se relève et reprend son démarrage.
Cette fois il est parti…mais une fois en route il se rend compte que ses ailes ne font pas de lui
un papillon, ni un oiseau…juste un coléoptère.
Alors il s’assoit, et…
« Il était une fois….murmure une voix
Je suis là, à tenir la barre, lutter avec le vent qui bouscule ma route,
Eviter les écueils à l’affût des embarcations fragiles
Je cueille sur ma route des personnages en quête d’histoires. Je les conte aux passants qui
marchent dans ce paysage désolé.
Le coléoptère n’est plus seul…il écoute la voix
Il devient histoire et se sent exister enfin.
Les mots le rattrapent et l’enlacent. Il y voit enfin.
Il voit ce havre, la mer, lève l’ancre, quelques taches sur la page blanche
La voix continue
Elle l’invite à prendre le large aux côtés de la marge
Il s’installe
Il est le coléoptère en colère.
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La voix glisse sur la marge, des mots naissent, la page noircit
Il devient ce qu’il est, contemplant les étoiles dansantes, ses ailes déployées. Maintenant il
peut voler, l’impossible devient possible.
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Elle
« …Ces longues nuits passées à me réjouir des mots à la verve volubile
Nous étreindre de la lascivité des sons dans un corps à corps terrible
abandonnés au sextant de notre ivresse
Epuisés au matin par la crue de nos semences
Gisant au fond de la lie à l’amertume écumante
S’abandonnant au ban de la tendresse dans une solitude sans nom
Sauvés par le chant du volatile au surgissement de l’aurore,
Puis, à nouveau, puisant dans les mugissements de l’oubli, l’histoire à venir. »
Je raconte
Ecoute..
Lui
A la première histoire il s’étend sur un sofa satiné
Il écoute la voix qui raconte
Douce et forte
Cette voix qui invite à l’oubli de soi par son souffle puissant
Il ferme les yeux le visage tourné vers ce vent versatile
La voix le berce et l’émeut
Elle parcourt de ses sonorités la lisière de son corps
Il frissonne dans la chaleur moite des coussins
Il est toute-ouï
Porté par cette voix lascive et voluptueuse
Il se fond dans la joueuse mélopée
Et disparaît dans la vaporeuse étole des mots
Pour un voyage dans la nuit étoilée…
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LE HOMARD SOLITAIRE
Il y avait très longtemps un grand espace salé qu’on appelait la mer
A cette époque la mer n’avait qu’un habitant, un homard solitaire.
Il ne supportait personne
Personne ne le supportait non plus.
Un jour il avait tenté de se marier mais cela avait été une catastrophe
Alors il était resté seul et ne parlait même pas tout seul tant le bruit le dérangeait…
Mais il ne resta pas longtemps seul…
Eh oui une bande de crevettes en vacances passait par là…
Grises les crevettes
Normal c’était le début des vacances…
Pas encore grillées les crevettes
Juste guillerettes les demoiselles crevettes
Surtout quand elles voient le homard dans son hamac
Elles sortent leur appareil Pocket numérique qui tenait dans un sac autour de leur cou de
crevettes
Et clic clac
Clac clic
Mais tout cela se termine par une colère noire du homard qui vraiment en avait assez de ces
crevettes en goguette qui ne sont pas assez discrètes
A tors
Car quand on dérange un homard
Rouge de surcroît
Et qu’il en devient cramoisi
Il faut se méfier
Il se lève de son hamac
Et s’approche des jeunes donzelles
Et sans même un couac
Il se jette sur elles
Les met sur le sable chaud
Il prend un réchaud
Et…
Elles sont dégrisées les dames crevettes
Vue la situation elles rougissent très vite
Elles parlent un peu moins
Un ban de harengs qui passait par là
Se dépêche de poster une dépêche
Ma mère est contente
Dans mon épuisette il y a des crevettes
Quant au homard il retourne dans son hamac
Et sirote au calme une menthe à l’eau
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OSCAR LA TAUPE
S’il y a bien quelque chose qu’Oscar la Taupe déteste ce sont les topinambours.
A chaque fois qu’il creuse un tunnel il se heurte à cette tubercule et cela le gêne dans son goût
de la ligne droite. Du coup il dévie de sa trajectoire et son sens de la géométrie s’en voit
affecté.
Cette semaine il y en avait tellement qu’il s’est trouvé encerclé de topinambours tapinant
dans ses tunnels. Etre là passe encore mais tapiner pas loin de son terrier….quelle honte !
Il se prend une Kronembourg et réfléchit. La bière l’aide toujours à sortir des impasses et les
topinambours en sont une terrible !
Ne cessant de fulminer il a décidé de passer à l’action.
Il prend du fil de fer, du nylon, du tissu, une paire de ciseaux, et se met à confectionner une
besace. Sa voisine la limace l’observe tout en grimace.
Pendant ce temps les topinambours dansent au rythme des tambourins. Ces troubadours ne se
doutent de rien…tapant dans leurs mains et attentifs au rythme plus qu’au cliquetis des
aiguilles de la taupe.
Oscar boit sa bière. La besace prend forme.
La limace s’étire.
Il se lève et entre dans les tunnels.
Ce qui s’y passe est impossible à voir. On entend des piaillements puis plus rien…
Grand silence. Oscar sort du tunnel avec sa besace. Il prend la limace et en fait un nœud qu’il
serre. Elle en perd sa grimace et bavasse pas jouasse.
Quand les autres taupes arrivent dans le champs, c’est la surprise. Plus de topinambours. C’est
la joie. On célèbre Oscar. On le fête, on se congratule. La liesse dure si longtemps qu’on en
oublie le jour et la nuit, on boit, on danse, on se câline et on ne voit pas revenir la limace.
Il n’y a plus de topinambours, mais depuis quelques jours il y a des rutabagas qui ont élu
domicile dans les méandres des monticules de terre que fait sans relâche Oscar la Taupe.
Maligne la limace qui s’y connaît en bagatelle. Elle a ramené quelques rutabagas en rut et la
nature a fait le reste. « Ca leur servira de leçon de m’avoir pris comme nœud à besace… » se
dit-elle.
Oscar la Taupe a déménagé. Il y avait trop de monde près de chez lui. On dit qu’il est parti
dans un pays où il ne pousse rien…quelque part sur la lune…sauf que de temps en temps de
drôles d’oiseaux arrivent…pour planter des drapeaux…
Quant à la limace, elle se prélasse à la lisière des monticules abandonnés par Oscar.
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Lui
Il se délecte de ce voyage immobile
Il se prélasse, limace à la lisière du temps qui passe, se laisse pénétrer par les mots, confondu
dans ses coussins soyeux, à la saveur délicieuse. On lui pose des mets sucrés sur sa table :
raisins, cerises et melons. Le jus coule sur son menton, descend sur ses épaules…
Il aime cette douceur collante imprégnant sa peau.
Il attend, ouvert au désir de quitter son ennui ensablé
Il retrouve le goût du jardin, celui de jadis, celui d’avant, celui du temps ancien.
Le souvenir du plaisir de voir s’ouvrir les tulipes, clôtures colorées de l’hiver, à son réveil
guidé par une voix songeuse, réveille ses sens.
Ses yeux se ferment pour mieux retrouver l’intonation perdue, le souffle lent du saule incliné,
le lilas mauve enivré de la balade des abeilles, butineuses sans répit, et cette voix si profonde
et si loin…une mésange se pose.
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WALTER LE HANNETON GEEK
On l’appelle le Geek, à prononcer à la française, s’il vous plaît, depuis la loi qui interdit les
mots « anglicisés » comme on dit
Il aime l’informatique le Geek
Son vrai nom c’est Walter le hanneton
Il y passe ses journées et ses nuits
Il est capturé par l’écran lui qui joue à capturer des monstres, des elfes ou d’étranges
créatures…est pris qui croyait prendre
Il n’est pourtant pas un thon mais il se fond dans cet aquarium profond qui l’emporte loin de
son quotidien monotone
Il vit dans ce monde comme un poisson au milieu du plancton
Seulement, les poissons finissent souvent au bout d’un hameçon…
Un hanneton au bout d’un hameçon, plutôt hoquetant comme chute pour mon histoire.
Mais le Geek a plus d’un tour dans son sac les jours de ressac.
Il voit le pêcheur et son panier
Il attrape le ver attaché au hameçon et lui attache un thon breton
Il retourne à sa fiction pour y affronter le roi du béton …
Bizarre oui mais cela rime…et il faut du rythme dans ce genre d’histoire.
Mais soudain tout se mélange
Le thon breton se réfugie dans un immeuble en béton et le ver qui n’avait rien demandé
cherche un vers pour continuer d’exister, car un ver vert qui boit dans un verre cela n’existe
pas, sauf…dans un vers
Il est addict le Geek, il est accroc, il s’invente son monde, son monde virtuel dit-on
Au moins là tout est magique …
Pas de panique
On embarque pour une destination inconnue
Walter le hanneton est un solitaire
Il ne vit ni sur terre ni dans les airs
Il fuit loin du quotidien
Il vit dans son univers…celui qu’il a créé…
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NINA, LA VIPERE, VOULAIT DES AMIS
Une vipère dans le champ de grand-père vociférait contre la terre entière.
Elle était en colère. Pourquoi ? Tout simplement parce que les marchands d’histoires en
avaient fait une criminelle alors même qu’elle n’était pas encore née.
Nina, c’était son nom, voulait les faire taire mais trop difficile était cette affaire, surtout quand
elle est monétaire. Dès qu’on la rencontrait c’était hurlements et évanouissements
De quoi lui faire peur à elle qui ne savait même pas ce qui la rendait si inquiétante.
Au début elle avait tenté de discuter et ce fut pire. Certains sortaient des bâtons et la
pourchassaient. D’autres l’insultaient. Rien n’y faisait.
Au village elle avait sale réputation. Les honnêtes gens la montraient du doigt.
Que faire pour que cela change se dit-elle ?
En désespoir de cause elle s’allonge sur la route prête à en finir mais la voiture qui passait
hâtivement par-là fit un écart pour l’éviter et c’est elle qui finit dans le décor.
Alors la vipère désespère encore plus…
Quand arrive clopin-clopant une autre vipère qui lui demande ce qu’elle fait là.
« Je cherche un ami, lui répond-elle
- et moi une épouse attentionnée
… silence de la vipère.
- Tu te tais ?
- Oui, je ne suis pas à la recherche d’un mari
- Alors bonne route, lui répondit son rapide prétendant »
Elle se retrouve à nouveau seule. Un enfant passe.
« Dessine-moi une vipère, lui demande-t-il.
- je ne sais pas dessiner
- pas grave. Fais ce que tu veux.
- D’accord, répondit la vipère en se demandant ce qu’elle allait pouvoir faire. »
Une idée lui vient soudain. Elle crache un peu de venin et trace un trait dans le sable.
L’enfant est ravi. A son tour il trace un trait. Ca lui dit-il, c’est un mouton.
La vipère a l’impression de connaître cette histoire. La fin surtout…une mauvaise fin pour
elle qui cherche un ami.
« Tu n’es pas un Prince j’espère…
- non, tu confonds avec mon cousin
- ouf répond la vipère
- ne t’inquiète pas, je ne te demanderai pas de m’endormir avec ton venin. Je cherche
juste une amie qui dessine.
- Je viens de découvrir que je savais…
- C’est cela un ami, celui qui découvre les souvenirs enfouis…
- Alors tu n’as pas peur…
- Non. Partageons nos passés.
- Continuons à dessiner alors…
- Je connais une rose…essaie de la dessiner ».
Et la vipère dessine, dessine…et l’enfant sourit…
Puis c’est son tour. Il dessine l’oubli, le temps, la solitude guerrière, les mains qui enserrent et
étouffent.
Vipère aux poings.
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Non, ce n’était pas le radeau de la Méduse, juste une barque qui leur permet de partir loin du
cadre serré de la toile, loin de l’ignorance et de l’ingérence.
Rares sont ceux capables de se noyer dans un tableau se souvient l’enfant.
Et ils rament, jusqu’à disparaître de l’horizon.
17
LA MOUETTE RIEUSE QUI N’AVAIT PAS DE NOM
La mouette rieuse ne riait plus car elle n’avait plus de nom.
Un jour, subitement, elle avait perdu son nom et ne savait plus où. Elle l’avait égaré et se
tournait de tous les côtés à la fois, mais elle ne trouvait rien. Elle en perdit sa voix et ne pas
rire pour une mouette rieuse c’est terrible. Les touristes l’ignoraient, les autres mouettes s’en
moquaient.
La mouette était triste. Elle ne parlait plus. Les mots lui échappaient. Il fallait l’admettre, elle
était devenue muette. Elle en pleurait de rage.
Elle ne cessait de chercher, chercher...se demandant où elle avait pu ainsi s’égarer.
Un jour où elle cherchait comme les autres jours, triste et désabusée, elle vit un drôle de
paquet sur la falaise qu’elle connaissait bien. C’est là que ses sœurs les autres mouettes se
réunissaient régulièrement pour discuter éducation des enfants, fidélité des maris, et autres
potins.
Ce jour là il n’y avait personne sauf elle car la perte de son nom l’avait rendue suspecte aux
autres et rares étaient les mouettes qui lui adressaient la parole.
Elle vit le paquet et sur le moment pensa à un colis suspect qu’il faudrait peut-être signaler
aux autorités compétentes. Qui était l’expéditeur? Le paquet traînait abandonné de tous.
La mouette sans nom s’approcha doucement car la prudence semblait toutefois nécessaire.
Même les mouettes connaissaient le plan Vigipirate. Elle contourna longtemps le paquet avant
de se risquer à s’en approcher de plus près.
Pour Goélette le Goéland. C’était le nom qui figurait sur le paquet. Mais la mouette ne savait
pas lire. A côté du paquet un autre objet semblait l’attendre. Quand on le prenait et le tenait
droit en l’appliquant sur le paquet de drôles de signes apparaissaient. Elle se mit alors à tracer
des signes pendant plusieurs heures sur le paquet et retrouvait au fil du temps une énergie
qu’elle croyait avoir perdue. Elle venait tout simplement de découvrir l’écriture. Elle continua
pendant plusieurs jours à tracer des lignes et eut peu à peu le sentiment d’exister pour les
autres. En effet, intriguées par son occupation, les autres mouettes s’étaient rapprochées et
tentaient de déchiffrer ces étranges signes. On la regardait intriguée et on finit par lui donner
le nom d’écrivain. Elle avait retrouvé un nom.
Elle retrouva la parole et les autres ne l’ignoraient plus. Elle se mit à rire à nouveau.
C’est aussi pour cela que tous les humains ont un nom…
Pour éviter qu’on les ignore.
Pour leur permettre de rire aussi…Et de ne pas rester sans voix
Tu veux tes bottes ? Les voici.
Tiens, ton chapeau et ta canne,
Et ta pipe, si tu boucanes.
Viens vite, filons d'ici.
18
Lui
Loin de ses terres il voyage
Il est parti vers des terres inconnues
Il a quitté ce monde familier prêt à aborder un nouveau rivage
Devenu étranger désormais en sa demeure il attend d’arriver vers ce lointain pays,
la voile qui flotte au vent le couvre d’écume et de sel
bateau sans drapeau
bateau sans gouvernail
bateau qui s’oriente dans la brume matinale
Il s’éloigne des bans de sable
Evite l’enlisement
Traverse les mers mortes
Et accoste enfin sur le rivage
A la lisière de son monde si ordinaire
Nouveau Sultan il attend cet émerveillement qui suspend le vide…
20
REMI LE PIGEON ROCKEUR
il n’est plus tout jeune Rémi le Pigeon.
Toute la journée il swingue
Il se trémousse le Pigeon…
Avant il jouait à pigeon vole.
Maintenant il reste au sol
Pour faire ses gammes.
Il a perdu la clé du pigeonnier
Et a parfois mal au dos
A force de chanter
Mais il ne rentrera pas chez lui ce soir
Même pas pour manger un bout
Car il se satisfait de mie
De pain bien sûr
Et surtout il a perdu sa clé
Imbé si le lui a dit sa femme qui s’est envolée pour l’île de Ré
Facile la rime…
Pas grave dit le Pigeon
Il se gave de rimes et de gammes
Et opte pour une hutte
Il swinguera ce soir
La clé de la hutte, son nouveau domicile, attachée à un ruban doré.
21
L’ESCARGOT QUI AIMAIT VOYAGER
Il rêvait de partir sur un cargo découvrir le vaste monde, histoire de quitter le cageot humide
qui lui servait de demeure. Ce matin encore il avait glissé sur un savon, et avait décidé de
passer l’éponge sur l’écume de ces derniers maux.
Il était aventureux et vaillant, de taille à endurer les coups du sort, qualités suffisantes pour
décider de s’embarquer sur n’importe quel rafiot. Tout est question d’effort et de volonté
répétait-il.
Il y avait cependant un problème, et pas des moindres. Comment rejoindre un cargo quand on
traine sa maison sur le dos et que votre lenteur est un fardeau ?
A défaut de rapidité, il avait quelques neurones. Le tout était d’en faire bon usage.
Alors il se mit à réfléchir.
Mais réfléchir prend du temps et pendant ce temps il n’avançait pas.
Il ne cessait de caresser voluptueusement de son pugnace désir ces horizons lointains à la
lisière d’une indicible et néanmoins réelle présence.
Il calculait mathématiquement la distance qui le séparait du plus proche cargo.
Malheureusement il lui faudrait plusieurs siècles pour y parvenir et sa vie était trop courte.
Bref tout ceci était insensé pour la raison raisonnable.
Il en était là de sa réflexion quand à sa grande surprise il entrevit le cargo…
Quelle surprise !
Il était à côté de lui. Et dire qu’il ne l’avait pas vu tout de suite…comme quoi souvent nous
sommes aveugles aux évidences, médita-t-il. Il s’empressa autant qu’il le pouvait, mais dans
un effort volontaire et poussé par son désir il atteignit le cargo.
La mer était bleue et un peu d’écume éclaboussait la coque. Des mouettes l’escortaient
Il avança un peu plus…
Soudain il se sentit propulsé dans les airs et cela lui donna quelque vertige…cela doit être la
conséquence de mon plaisir, pensa-t-il…Une montée au septième ciel comme on dit.
Mais la chute fut brutale. Il retomba loin du cargo. Ce n’était peut-être qu’une illusion, pensa-
t-il douloureusement.
Il se ressaisit cependant et tenta à nouveau de rejoindre le cargo, si proche et si lointain…
Il y avait une île qu’il n’avait pas vue avant. On en apercevait les rives, en lisière de la mer.
Il décida de s’y rendre…mais pour cela il lui fallait traverser la mer au risque de s’y noyer ou
d’y voguer dans une éternité immobile.
C’est alors que le ciel lui tomba sur la tête…
Mais moi, je me rappelle Tegumai Bopsulai, et Taffimai Metallumai et Teshumai
Tewindrow, sa Maman chérie, et tous les jours des Temps Anciens et Reculés. Et c'était
ainsi — juste ainsi — il y a un peu de temps — sur les rives de la grande rivière Wagai !
23
Lui
Ses yeux s’attachent à la vague. Ils voient le mouvement de l’eau au rythme rapide et
répétitif, ils s’y fixent, se ferment…
Il voyage. Les danseuses sont arrivées. Les musiciens s’installent. Les premières notes résonnent. Une
danseuse à la force gracile ébauche quelques pas. Il est envoûté. Ses voiles s’enroulent autour
de sa taille, puis s’en détachent dans un glissement léger et doux. Elle joue avec les voiles,
tantôt montrant, tantôt cachant. Il se glisse au fond du sofa, le regard fixe, le désir en saillis.
Il sent au plus profond de lui monter ce désir qu’il ne saurait ni voudrait éteindre.
Il fait un signe à la danseuse. Elle approche et se dévoile dans la douceur de la lenteur.
Il lui saisit le bras, elle laisse faire et glisse dans le sofa.
Il disparaît dans les voiles du plaisir.
Danse étoilée des mots, danse de la vague, les yeux s’en détachent…les danseuses sont
parties.
La nuit sera longue.
24
LE GARCON QUI N’AIMAIT PAS LES …
Il était une fois un jeune garçon qui n’aimait pas les … On avait tenté de lui expliquer leur
utilité mais il n’aimait pas. C’était ainsi, impossible de lui faire entendre raison. Il avait des
certitudes indéracinables.
Un jour qu’il se promenait dans les bois attenants aux champs de son grand-père, il vit une
mare qu’il n’avait jusqu’alors pas remarquée. Des nénuphars y flottaient. L’eau était lisse et
sans aucune ride à la surface. Les libellules l‘effleuraient à peine.
Au bord était assise une vieille femme qui n’avait plus d’âge. Elle écrivait et sa feuille était
emplie de …. Le jeune garçon s’approcha doucement pour ne pas la brusquer. Il était surtout
intrigué par tant de …
La vieille femme se taisait concentrée sur son travail.
Il n’osait la déranger. C’est elle qui prit la parole.
- Que fais-tu ici mon garçon ?
- Je me promène dans les bois, voir si le loup n’y est pas, répondit-il non sans quelque
malice.
- C’est la première fois que je te vois ; d’où viens-tu ?
- Je me suis sauvé de la maison parce que Grand-Mère voulait me faire manger une tarte
aux épinards et moi je préfère la galette et le petit pot de beurre.
- Tes paroles me vont droit au cœur, je sais ce que tu ressens. J’adore aussi les galettes
et le petit pot de beurre qui les accompagne. Ma petite fille m’en apporte
régulièrement.
Elle reprit :
- Nous sommes tous les deux à la lisière…
- Que veux-tu dire ?
- Ni dehors ni dedans, nous effleurons les lieux sans jamais les habiter tout à fait.
………………………………………………………………………………
Tous ces points nous suspendent dans le vide, l’inconfort, la douceur du déséquilibre, le
risque de la chute…c’est cela la lisière.
Près de cette mare je peux subitement basculer et disparaître dans ces eaux troubles. Habiter
un lieu c’est se perdre, se rendre visible. Je préfère la quête à la lisière de la forêt. Chercher
sans cesse, trouver parfois, mais ne pas en rester à la satisfaction de soi, tel un paon paradant.
Tout à l’heure tu m’as remarquée parce que j’étais dans ce non lieu, cet espace si infime
qu’on n’y peut demeurer bien longtemps. Une sorte de seuil. On attend que vous entriez ou
sortiez. Mais, demeurer là, gêne.
Moi j’y reste cependant à la lisière. Lieu de passage, des passants, des passagers, lieu du désir,
quand tout est encore possible…Peu de gens habitent ce lieu vacillant…
Elle continua ainsi longtemps sans s’apercevoir que le jeune garçon était parti. Heureusement,
car cela aurait pu se terminer ainsi :
Holà ! Grethel, cria-t-elle, dépêche-toi d'apporter de l'eau. Que Hansel soit gras ou maigre,
c'est demain que je le tuerai et le mangerai.
Ah, comme elle pleurait, la pauvre petite, en charriant ses seaux d'eau, comme les larmes
coulaient le long de ses joues !
- Dieu bon, aide-nous donc ! s'écria-t-elle. Si seulement les bêtes de la forêt nous avaient
dévorés ! Au moins serions-nous morts ensemble !
- Cesse de te lamenter ! dit la vieille ; ça ne te servira à rien !
De bon matin, Grethel fut chargée de remplir la grande marmite d'eau et d'allumer le feu.
25
- Nous allons d'abord faire la pâte, dit la sorcière. J'ai déjà fait chauffer le four et préparé ce
qu'il faut. Elle poussa la pauvre Grethel vers le four, d'où sortaient de grandes flammes.
- Faufile-toi dedans ! ordonna-t-elle, et vois s'il est assez chaud pour la cuisson. Elle avait
l'intention de fermer le four quand la petite y serait pour la faire rôtir. Elle voulait la manger,
elle aussi. Mais Grethel devina son projet et dit :
- Je ne sais comment faire , comment entre-t-on dans ce four ?
- Petite oie, dit la sorcière, l'ouverture est assez grande, vois, je pourrais y entrer moi-même.
Et elle y passa la tête. Alors Grethel la poussa vivement dans le four, claqua la porte et mit le
verrou. La sorcière se mit à hurler épouvantablement. Mais Grethel s'en alla et cette
épouvantable sorcière n'eut plus qu'à rôtir.
Grethel, elle, courut aussi vite qu'elle le pouvait chez Hansel. Elle ouvrit la petite étable et dit
:
- Hansel, nous sommes libres ! La vieille sorcière est morte !
Hansel bondit hors de sa prison, aussi rapide qu'un oiseau dont on vient d'ouvrir la cage.
Comme ils étaient heureux ! Comme ils se prirent par le cou, dansèrent et s'embrassèrent !
N'ayant plus rien à craindre, ils pénétrèrent dans la maison de la sorcière. Dans tous les
coins, il y avait des caisses pleines de perles et de diamants.
On ne sait jamais avec les grands-mères à la lisière !
26
Elle
Elle rêvait de voyages
Peu importe la destination
N’être ni là-bas, ni ici
Dans un entre-deux, à la lisière…ne pas décider, attendre dans le désir
Elle était une voix ancienne, lointaine et si présente en même temps….cette voix racontait des
histoires au creux de la nuit.
Elle l’avait choisi pour entendre ces mots entrelacés
Elle racontait et l’histoire n’en finissait pas.
Une nouvelle Shéhérazade
« Scheherazade, en cet endroit s’apercevant qu’il était jour, et sachant que le sultan se
levait de grand matin pour faire sa prière et tenir son conseil, cessa de parler. « Bon Dieu !
ma sœur, dit alors Dinarzade, que votre conte est merveilleux ! — La suite est encore plus
surprenante, répondit Scheherazade, et vous en tomberiez d’accord, si le sultan voulait me
laisser vivre encore aujourd’hui et me donner la permission de vous la raconter la nuit
prochaine. » Schahriar, qui avait écouté Scheherazade avec plaisir, dit en lui-même :
« J’attendrai jusqu’à demain ; je la ferai toujours bien mourir quand j’aurai entendu la fin
de son conte. » Ayant donc pris la résolution de ne pas faire ôter la vie à Scheherazade ce
jour-là, il se leva pour faire sa prière et aller au conseil. »
Mais elle n’était pas menacée, seulement soucieuse de dire la suite, cheminant en suivant le
creux des vagues que son récit engendrait. Il était à bord. Ils étaient seuls, amants des mots et
du voyage.
« … Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste ;
J'ai quelquefois aimé ! je n'aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les bois, changé les lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et jeune Bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas ! quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon coeur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête ?
Ai-je passé le temps d'aimer ? » La Fontaine Les deux pigeons
27
DES BLAIREAUX A N’EN PLUS SAVOIR QU’EN FAIRE
Vous savez tous ce qu’est un blaireau, je n’en doute pas.
Moi, je ne sais pas.
Je crois que je confonds avec une autre bestiole.
Mais faisons comme si de rien n’était.
Le conteur donne vie à des êtres de papier…alors donnons vie…
Il était donc une fois un blaireau, qui se croyait au-dessus des autres, incapable de modestie.
Je dis bien un blaireau, et non une blaireaute, car je ne connais pas le féminin de blaireau.
Et on nous parle de parité ! Quand on voit comment on bricole le féminin des mots, il y a de
quoi sourire.
Revenons-en à notre blaireau, qui s’autoproclama roi des blaireaux.
Tous les matins il étalait la crème à raser avec son blaireau en évitant d’en mettre dans son
blaireau.
Je ne suis pas un blaireau… se répétait-il toute la journée, aux moments où on l’éprouvait le
plus…
Qui était ce blaireau ? Difficile à cerner…une identité multiple, limite schizophrène.
Quel blaireau cet auteur, pensera un lecteur courroucé de tant de facilité.
Et le blaireau s’interroge sur sa propre célébrité.
28
Lui
Il fait nuit. Les courtisanes sont parties. La mer est plate. Il regarde la voile éclairée par le
reflet des bougeoirs abandonnés. Les textes résonnent encore. Le sofa est habité d’une
invisible présence. Il est encore plein de cette parole ivre, de ce désir vorace, vif instant
suspendu à l’attente, au vertige du nageur transporté par la puissance de la vague soulevant le
sable vers d’autres horizons.
Le désir traverse la pièce vide. Le vent se lève, la mer s’agite, on hisse la voile…le sofa
glisse sur les vagues, on entend les mouettes battre des ailes…l’eau recouvre tout et atteint
les fondations. La bateau quitte le sol et devient une île flottant dans le ciel.
29
LA CIGALE SE VENGE
La cigale ayant chanté tout l’été
Ne se trouva pas dépourvue quand l’hiver fut venu.
Un petit pécule elle avait de côté.
Près de la cheminée, elle tricotait des mitaines.
La fourmi sa voisine n’était pas aussi bien lotie.
Elle aimait trop le soleil des tropiques pour se faire aux neiges et aux stalactites.
Elle qui prévoyait tout
Fut fort déconvenue
Quand la bise fut venue.
Son poêle à mazout était know-out/
Elle ne s’en était pas souciée à force d’accumuler des provisions soumises en plus aux dates
de péremption.
Chez la cigale, d’un pas alerte, elle se rendit.
« Au clair de la lune
Mon amie Pierrette
Prête-moi du feu
C’est pas pour écrire,
J’suis analphabète,
C’est pour me chauffer
Les chevillettes »
« Tu as perdu ton chat,
La mère Michèle ? »
« Il est chez Lustucru…
Il ne peut plus me réchauffer
Et il refuse de rentrer »
« C’est bien fait pour toi,
Fourmi économe,
Dans l’autre histoire tu t’es moquée de moi
A mon tour de rire, maintenant »
A la claire fontaine,
S’en retournant chez elle,
La fourmi regretta
Que son ami Jean
Inventât une cigale
Aux propos si habiles.
30
PROSPER L’ORNITHORYNQUE
Prosper portait bien son nom
Il aimait que tout prospère
Il avait beaucoup d’économies
Mais ne savait pas quoi en faire
Alors il les contemplait avec la satisfaction de celui qui n’a que cela à faire.
Un vrai homme d’affaires ce Prosper
Tous les jours, toujours plus, il accumulait…en travaillant plus, s’enorgueillissait-il.
Un jour qu’il jouait à « La Bourse ou la Vie », il faillit perdre cette dernière au profit de la
première. Mais il se ressaisit vite car sans la Vie point de Bourse et encore moins de
prospérité.
« Rantanplan vient ici ! »
Cela ne l’empêcha pas de se faire voler, un jour son porte-monnaie qui contenait des
pachydermes, dénomination courante des billets délivrés par la Bourse.
Que faire pour le retrouver ?
On vient de nous signaler qu’un intrus s’est glissé dans ce texte. Il n’y a pas sa place. Aidez-
nous à le retrouver ! C’est peut-être lui le coupable.
Et signale-le à Charlie.
Les coupables, cela fait vendre ! Mais je me tais. Je sors le lecteur du plaisir de la fiction,
même si parfois, le réel rattrape la fiction, car sans cesse l’impossible recule.
8 août 2002
La honte à Bordeaux, une étudiante reçoit une amende de 60 euros pour avoir parlé à des SDF
Mais il manque le plaisir.
Notre ornithorynque voit alors passer un convoi de pachydermes qui se tenaient droits
comme des i voutés, ce qui donne un y. Ils rentraient de vacances, un peu grisés, un peu
fatigués, un peu malmenés par les dos d’âne. Plus fatigants que les bosses des chameaux, les
dos d’âne.
Prosper tente d’attraper un pachyderme pour remplacer celui qu’il a perdu
M
A
I
S
T
R
E
B
31
U
C
H
E …..
…SUR LE BUS DES PACHYDERMES
Sur le bus il y a Prosper
Dans le bus il y a les Pachydermes endormis
Ils ont trop voyagé
Ils ont trop crapahuté
Ils ont trop mangé
Ils sont aveuglés par le soleil levant
Ils ne voient pas Prosper à la recherche de son porte-pachyderme.
Celui-ci descend du toit sans faire de bruit
Ce qui est difficile pour un ornithorynque
Mais il se fait tout petit Tout petit Et bondit sur sa proie endormie S’en saisit rapidement
Eeeeeeeeeeeeeeet……..
C’est fait.
Le pachyderme est mis dans le porte-pachydermes
Maintenant il faut remonter sur le toit du bus
Avec un pachyderme c’est difficile
Mais un dos d’âne fait sauter Prosper en hauteur et le sauve de sa lenteur.
Pendant ce temps les Pachydermes endormis rêvent de leurs vacances
Et de Pachydermes volants
De moulins à vent
De brosses à dents
De l’intrus Rantanplan
Du loup absent
Et en oublient l’un d’entre eux
Celui que Prosper a embarqué en silence dans les entrailles de son antre
Loin du bus
Ils dorment les Pachydermes
Charlie a retrouvé Rantanplan
32
LE PAPILLON QUI CHERCHAIT SES MOTS
Un papillon volant de fleurs en fleurs, se reposait ensuite sur un buddleia,
vulgairement appelé arbre à papillons. C’est un botaniste anglais du XVIIe siècle, le
révérend Adam Buddle qui lui valut ce nom. Je papillonne sur le Net. C’est pour cela
que j’ai l’air si intelligent avec un semblant d’érudition Ce papillon était cependant un
fin lettré qui volait et virevoltait au gré du vent des mots. Il mettait sur le buddleia le
souvenir de ses mots du moment. Puis il se laissait porter vers d’autres chemins.
Jamais toutefois il ne perdait le sens de sa course. Les mots ne s’égarent que s’il n’y a
personne pour s’y intéresser. Et sur le buddleia il les déposait après les avoir glanés au
hasard de ses rencontres. L’arbre était lourd de cette féconde cueillette. Ils étaient tous
accueillis avec joie. A leur arrivée on les fêtait. Les plus jeunes se faisaient tout petits
quand arrivait un ancien marqué par le temps. Le papillon sauvait ainsi les mots de
l’oubli.
Vent du matin prend le papillon au dépourvu. Il croyait que le soleil se
maintiendrait. Mais le soleil s’est envolé. On n’est jamais sûr de rien. Ou si on
l’est c’est faute d’être un papillon volatile qui vole et dérobe des mots en
passant par les chemins sinueux des sombres toiles de l’araignée au fil agile.
Mais ce matin il a trop musardé dans le buddleia
Il en a perdu ses mots, n’a pas vu l’araignée mutine et habile à la toile.
C’est elle qui a pris ses mots et les tisse dans sa toile.
Le papillon vole et batifole mais il ne trouve plus ses mots.
Le vent du matin redouble d’énergie. Il lui vole ses ailes.
Le papi..on perd un peu pi-ed
Le pa….on est devenu un paon.
Un paon fier et orgueilleux…
Il ne vole plus de mots en mots
Il fait la roue
On l’admire
Il sourit béatement…
C’est un paon
Qui sourit bêtement.
C’est un pon
C’est un on
C’est un o
Il est devenu
Rien
L’araignée a grignoté les lettres…mais elle reste sur sa faim.
33
LE CACHALOT NOSTALGIQUE
Le cachalot regrettait le jour où il avait appris à jouer à cache-cache. Ce
jour était loin et depuis il ne cessait de regretter ce moment assez unique. Lui
qui vivait seul sur la banquise avait rencontré des amis et ils avaient passé
ensemble un après-midi agréable.
Mais depuis ce fameux jour il ne les avait pas revus et errait seul
comme un pauvre hère. Ses cousins les phoques l’ignoraient et les orques
étaient vraiment trop brutaux pour être de vrais partenaires de jeux.
Il n’avait pas revu ses amis et se demandait pourquoi. Il leur avait peut-
être fait peur avec ses dents carnassières…sa taille aussi les avait probablement
impressionnés. Bref il ne savait pas ce qui s’était passé pour que ces derniers
ne se montrent pas.
Il en était là de ses pensées quand il lui sembla apercevoir dans le
lointain un de ses amis de jeu. Il s’approcha heureux de le voir. Mais à sa
stupéfaction ce dernier prit un air paniqué. C’était un gros poisson des
tropiques. En le voyant ainsi apeuré le cachalot se sentit atteint d’une profonde
tristesse. Il ne comprenait pas et tenta de discuter avec celui qui avait été son
ami la veille encore.
Cependant le poisson tremblait de tous ses membres et ses yeux
tournaient dans tous les sens.
« que se passe-t-il mon ami ? demanda le cachalot
- ne m’approche pas, je ne t’ai rien fait
- tu ne te rappelles pas, mon ami ? nous avons joué ensemble à cache-cache…
- je ne m’en rappelle que trop bien
- comment cela ?
- tu as oublié ?
- je ne sais pas pourquoi vous avez disparu surtout ; nous nous amusions si bien…
- tu ne te souviens pas ?
- je me souviens que j’ai bien aimé jouer avec vous….
- Tu ne pourras plus dorénavant.
- Pourquoi ?
- Tu les as tous avalés…je suis le seul survivant…. »
34
- LA POULE POETE
Il était une poule qui rêvait. Toute la journée elle professait auprès de
ses congénères. Elle leur montrait le soleil et leur disait avec assurance qu’il se
lèverait demain. Mais qui a déjà vu le soleil se lever ? Aurait-il des jambes ?
ainsi lui répondaient ses consœurs. Dépitée, elle haussait des ailes.
Elle leur montrait la lune et y voyait une danseuse suspendue à un fil.
Dans le ciel elle observait des ours et cherchait Boucle d’Or dans les
nébuleuses dorées…
Elle retenait son souffle quand elle croisait une étoile filante.
Elle apaisait l’oie grincheuse en lui parlant d’envolée et de voyages.
Elle dessinait les moutons.
Un jour elle avait ouvert l’enclos des ânes pour qu’ils découvrissent le
monde.
Un autre jour c’était le cochon qu’elle avait promené dans le champ
pour qu’il voie le lilas en fleur ;
Le jour de l’éclipse du soleil elle s’installa dans un transat avec des
lunettes noires et contempla ce phénomène qu’elle ne reverrait certainement
jamais.
Le matin elle tenait compagnie à la fermière et lui faisait des
compliments sur son nouveau tablier.
Parfois elle pondait des œufs colorés parce qu’elle avait regardé
longuement une fleur du jardin.
Un jour qu’elle rêvait de voler en regardant les canards elle ne vit pas
arriver le fermier. C’était dimanche… Au repas, on avait prévu une poule au
pot…
Merci Russell
35
Il est sur le sofa encore imprégné des désirs de la veille. Il caresse la forêt
du texte enfouie dans sa mémoire. Le corps des mots s’embrase du feu des
yeux de l’aimant. Le moment d’éternité brûle et consume ce temps du
quotidien stérile pour enfanter l’immobile instant de ce cantique des amants
enfouis l’un dans l’autre.
Extase des sexes pris dans la toile du texte.
Le bateau est une île à la lisière du bruit du monde.
Il tente l’approche de l’étoile qui danse.
36
LE PIVERT QUI AVAIT UN EPI
Un pivert limait son bec sur un arbre, un arbre de la forêt. C’était son activité favorite.
Il ne comptait pas les arbres comme Delphine et Marinette pour faire plaisir à la maîtresse.
Non. Il limait son bec. Mais à force de balancer la tête d’avant en arrière et d’arrière en avant,
il attrapa un drôle d’épi. Il tentait de le supprimer mais c’était impossible. Il arrêta de limer
son bec et se mit à réfléchir à la façon dont il pourrait se débarrasser de cet épi.
Un épicier passait par là. Il était seul et semblait épier quelqu’un, quelque chose, et
évitait de se faire repérer. Il se cachait en avançant au milieu des arbres. Le pivert le regardait
avec intérêt, se demandant ce que pouvait bien manigancer le roi des épices.
C’est alors que passa un laboureur avec son tracteur. Il venait chercher des épis de blé
dans son champ pour les vendre au meunier. L’épicier était toujours caché et l’observait avec
grand intérêt.
Arriva ensuite une jeune fille avec un bouquet de roses auxquelles elle avait retiré les
épines. Elle avançait en chantonnant. Elle se rendait de l’autre côté de la forêt au village
voisin. Elle ne voyait ni le laboureur, ni l’épicier, et encore moins le pivert.
Il y a vraiment beaucoup de monde ici, pensa le pivert.
Soudain, tout le monde dressa l’oreille. Un bruit inhabituel avait retenti. C’était le
sifflet d’un agent en képi. Il courait après une vache qui s’était enfuie d’un gîte rural classé
trois épis. Sans la vache le gîte perdait un épi. La vache était devant lui et bien décidée à ne
pas se laisser attraper…l’agent suait à grosses gouttes. Mais il n’arriva pas à l’épingler. Il s’en
retourna un peu dépité.
Le soleil déclinait et les couleurs tournaient au sépia. Dans la forêt il y avait encore la
vache et l’épicier qui guettait on ne sait trop quoi. Le pivert était là aussi et il n’avait toujours
pas compris comment se débarrasser de son épi.
Le prochain épisode, si épisode il y a, épiloguera sur de nouvelles pistes pour se défaire d’un
épi persistant. Laissons pour l’instant le pivert retourner à son arbre.
37
LA SOURIS N’AIME PAS LES COULEURS
Ils voulaient la tremper dans la peinture à l’huile pour la peindre en vert mais elle ne voyait
pas cela d’un bon œil.
Elle courait dans l’herbe et ils voulaient l’attraper. C’était loin d’être appréciable et plutôt
inconfortable.
Elle ne voulait pas qu’on la rince dans l’eau.
Elle était grise la souris et cela lui plaisait ainsi.
Cette manie de tout colorer l’indisposait.
Elle avait tenté de leur dire
Comme cela sans se mettre en colère
Mais rien n’y faisait.
Ils la voulaient en technicolor
Ils la voulaient à la mode
Comme les choux que l’on cuisine
A la mode de chez nous…
Ils essayèrent de l’attraper
Ils la tirèrent à hue et à dia
Mais sans cesse elle leur échappait
Elle était grise et entendait le rester
Un plus malin que les autres s’approcha doucement en esquivant un coup de griffe
Il faillit l’attraper
Mais ce fut le chat qui sauva la souris
Il aimait la souris grise
Ne voulait pas courir après une souris verte
Sa réputation en aurait souffert
Alors il sauva la souris en la saisissant entre les dents
Il la mit à l’abri
Puis le chat prit un pinceau
De la peinture
Les montra à ces messieurs
Ces messieurs lui dirent
Que nous voulez-vous ?
Mais ils n’entendirent pas la réponse…
On raconte que le chat les poursuit encore
La souris attend son retour
En attendant les messieurs font grise mine.
38
LA FORET ENCHANTEE
C’était un Prince Charmant. Il aimait la musique et son plaisir était d’entendre le son de la
flûte quand elle joue seule au milieu du silence des autres instruments. Mais ce jour là il
venait d’apprendre l’enlèvement d’une Princesse pour qui il avait eu quelques attentions. Pour
retrouver la princesse il était prêt à tout. Ce n’était pas tant par amour que parce que sa
réputation de Prince Charmant était en jeu. Il faut dire aussi qu’il était observé par tant de
jeunes Princesses qu’il lui fallait jouer les héros sous peine de perdre de son crédit. Il savait
qu’elle logeait dans un château perdu aux confins de la forêt.
Ah oui…j’ai oublié de vous dire ce qui c’était passé avant pour que ce jeune Prince décide
ainsi de partir au secours de la Princesse. Je vais vous raconter.
Tout commença le jour où le Prince fêta ses dix huit ans et son permis de conduire un cheval
de l’écurie royale. Il était tellement heureux de son autonomie qu’il invita toutes les
princesses de la région. Toutes ? Non, il en oublia une, tant il était pressé et peu attentif. Cette
dernière, plus vraiment très jeune, mais à la recherche de l’élixir de jouvence, prit cela très
mal et jura de se venger. Quand il se rendit compte de son oubli, il était trop tard. La
vengeance était en marche. La vieille Princesse tendit un piège à la Princesse qu’elle avait
repérée comme étant l’élue du Prince. Elle l’attira dehors et lui fit l’éloge de sa jeunesse er de
sa beauté. Ne se sentant plus de joie, la jeune fille perdit toute vigilance et suivit la vieille
femme jusqu’à une forêt où il y avait, paraît-il, des plantes donnant la jeunesse éternelle.
La jeune Princesse arriva ravie dans la forêt, heureuse d’échapper à la ride véloce. Elle se
voyait déjà en haut de l’affiche, jalousée par toutes les Princesses de la terre. Mais la plante
qu’elle goûta la figea immédiatement en statue de sel. La sorcière, car vous avez compris que
la vieille Princesse était en fait une sorcière, transporta la statue jusqu’à un château au sommet
d’un mont inaccessible. Puis elle s’en retourna à la fête dire au Prince ce que la jeune
Princesse était devenue. Vu le nombre de jeunes Princesses à sa disposition, ne croyez pas que
le Prince fut vraiment affecté. Il parut même tout à fait indifférent. Mais il en allait de sa
gloire et de sa réputation. Il n’avait donc pas le choix. Il lui fallait partir sauver la jeune
imprudente.
Il avait son permis de conduire depuis peu mais cela ne l’empêchait pas de galoper à vive
allure. Le cheval en était même à la limite de repasser au trot tant il ne contrôlait plus sa
propre vitesse. Enfin il arriva, avec sa monture à bout de souffle, dans la forêt enchantée. On y
entendait des airs d’opéra. Il trouvait cela si grisant qu’il n’eut pas le courage d’aller plus loin
et écouta avec un certain plaisir. Il finit même par tout oublier quand il reconnut la Flûte
Enchantée. La sorcière était mélomane, eh oui ! Le cheval était ravi de cette halte qu’il
n’espérait plus. Les heures s’écoulaient et le Prince avait tout à fait oublié sa mission. Il était
tombé amoureux de toutes ces voix au milieu de la forêt. Des voix chaudes et veloutées,
parfois cristallines, parfois profondes comme les entrailles de la forêt. Il en abandonna sa
quête. Il était habité par cette musique et rien d’autre ne pouvait s’interposer entre elle et lui…
C’est la princesse transformée en statue de sel qui eut à le regretter car on n’entendit plus
jamais parler d’elle.
Quant au Prince, on dit qu’il vit heureux auprès de la sorcière mélomane.
39
LES SEPT NAINS RECHERCHENT UN AUTRE CONTRAT
Ils étaient sept nains
Menus comme ma main
On les avait engagés dans l’histoire de Blanche Neige mais ils avaient trouvé cette princesse
si peu intéressante qu’ils étaient passés à autre chose ; la voir faire le ménage toute la journée
les déprimait.
Ils ne comprenaient pas pourquoi on en avait fait un personnage de conte de fée car la
regarder faire la vaisselle n’était pas ce qu’il y avait de plus exaltant.
Et en plus elle n’était pas futée, prête à tout pour un morceau de pomme. Se coincer la pomme
dans le gosier était tout à fait stupide. C’est vrai qu’ainsi elle avait trouvé son prince, mais
combien de temps dura leur histoire…ça c’est une autre histoire.
Eux, les nains, avaient accepté le contrat sans faire d’histoire…cela les changeait de la mine
mais ils faisaient triste mine et pitié en réalité. Leur rôle n’était pas des meilleurs. C’est ainsi
qu’on les vit chercher un autre contrat. Mais ils étaient sept et ce n’étaient pas évident. Ils
postulèrent pour Les Sept Samouraï on les refusa. Ils n’avaient pas une attitude assez tragique.
Ils se replièrent alors sur Star War mais là aussi il y avait une difficulté. Ils étaient trop
nombreux et pas assez androïdes. Les Sept travaux d’Hercule leur échappaient car ils avaient
eu peur dès la première prise de vue. Ils désespéraient de trouver un contrat et en avaient
assez de siffler toute la journée qu’ils étaient heureux d’aller travailler à la mine. A leur retour
voir Blanche Neige le chiffon à la main les déprimait de plus en plus.
C’est alors que le destin joua enfin en leur faveur.
Vous vous demandez comme moi ce qu’ils trouvèrent ?
Eh bien si vous êtes attentifs à ces histoires, dans l’une d’entre elles se cache la réponse…
Vous ne croyez pas que je vais tout vous dire…alors à la fin de mes récits, celui qui a trouvé
me le dira et en cadeau il aura un contrat avec Blanche Neige, car depuis le départ des sept
nains elle est toute seule et se lamente.
Alors soyez attentifs…
40
LA TORTUE QUI VOULAIT UN CADEAU
Elle avait décidé qu’elle l’aurait ce cadeau
Peu importe lequel
Elle voulait un cadeau tout simplement
Un cadeau comme un radeau perdu sur la mer
Ou un couteau à la recherche de la tranche de pain
Un marteau son maître
Un manteau son cintre
La tortue sa carapace
Elle voulait un cadeau
Mais pour qu’il y ait cadeau il faut quelqu’un pour l’offrir
Et elle était seule la tortue
Seule à en être souvent triste
Mais voilà
On ne décide pas toujours de sa solitude
Elle avait beau chercher
Et rechercher
Il n’y avait personne pour lui répondre
Comment faire quand on veut un cadeau et qu’on est seule ?
Seule comme la vague qui s’échoue
L’algue abandonnée par la vague
L’écume blanche et aigre
Le coquillage sans âge…
On se confond avec le paysage
On se confond mais on ne s’oublie pas
On se fond au fond de sa carapace
Et on attend celui qui la soulèvera
Celui qui prendra le risque
De voir ce qui se cache
Celui qui osera
Celui-là aura compris.
C’est pourquoi pour le moment elle se terre en silence et attend…
41
LE CRAPAUD PREND SA RETRAITE
Il y a des personnages de contes qui sont fatigués de jouer toujours le même rôle.
C’était le cas pour le crapaud. Il avait été embrassé tant de fois qu’il ne se rappelait même
plus combien de fois et par qui.
Et à chaque fois c’était la même histoire. On lui demandait de se transformer en Prince,
Charmant de surcroît, même s’il n’en avait aucune envie. Des siècles qu’il se prêtait à ce jeu.
Alors un jour il décida de prendre sa retraite et de rester près des nénuphars de la mare.
Au début il en fut ravi et tenait compagnie aux autres batraciens ou aux peintres égarés qui
peignaient des impressions du soleil levant sur les nénuphars.
Il n’y avait aucune Princesse à l‘horizon ce qui satisfaisait pleinement le crapaud. Il se sentait
en vacances. Se transformer en Prince cela pouvait passer, mais recevoir tous ces baisers, cela
l’avait trop fatigué. N’imaginez pas que toutes les Princesses soient charmantes. Il y en a de
toutes sortes, et pas toujours des plus agréables. Certaines ont des boutons, d’autres ont un
rhume et éternuent quand elles embrassent, d’autres sont tellement bavardes qu’elles vous
épuisent en deux minutes, d’autres au contraire sont tellement timides que vous ne savez plus
quoi dire et ce silence devient alors terrible. Bref se transformer en Prince Charmant était loin
d’être toujours exaltant.
Le crapaud en était là de ses pensées, quand il vit arriver la grenouille sa voisine, une véritable
commère qu’il n’arrivait jamais à faire taire. Son rêve ? Se métamorphoser en Princesse bien
sûr, car qui aimerait se transformer en grand-mère ? Rappelez-vous la grand-mère du Petit
Chaperon Rouge. Elle était loin d’être sage et surtout inconsciente d’ouvrir à n’importe qui.
Résultat, le loup l’avala. La grenouille voulait donc être une Princesse. Elle avait dans le
passé tenté de se mesurer à un bœuf. Mal lui en pris. Le bœuf avait gagné sans trop s’investir
du reste. Elle venait demander conseil au crapaud. Il était prêt à tout pour s’en débarrasser au
plus vite, mais l’embrasser, non, impossible. Il lui dit alors de se mettre en quête d’un Prince
Charmant prêt à l’embrasser pour que le miracle s’accomplisse. La grenouille fut fort
embarrassée par ce conseil. En effet, où trouver un Prince ? Ici il n’y avait que des nénuphars.
Le crapaud lui conseilla alors, non sans quelque ironie, de se percher sur un nénuphar et
d’attendre. On raconte encore aujourd’hui que la grenouille attend…elle ne s’ennuie pas, non.
Elle croit en ses rêves. Elle risque seulement d’attendre longtemps car les Princes aujourd’hui
ne se promènent plus au bord des mares. Mais allez expliquer cela à une grenouille des siècles
passés…
Pourquoi tendons-nous à tant de choses, nous qui vivons si peu ? Pourquoi cherchons-nous
des terres chauffées par un autre soleil ? disait Horace
42
Lui
Douce nuit du conteur qui ne compte plus les heures, arrimé au rivage de cette île du
désir.
Le bateau vole dans le ciel à la recherche de l’étoile. Son hôte goûte la saveur sucrée des
textes, habillé de l’étole abandonnée sur le sofa. La courtisane s’est retirée. Il sent encore son
parfum sur les murmures des mots que susurre le coléoptère. Le désir est là. Il en oublie le
monde qui l’entoure. Il en oublie ce quotidien si fade. Il pénètre un autre monde. Ce monde
s’ouvre à lui dans sa chair. Il désire s’en saisir, y être absorbé, disparaître dans le flanc des
mots. Il se laisse courtiser, charmer. Il a quitté ce monde du profit, ce monde du temps
mesuré, ce monde étroit à la parole efficace. Il découvre la profondeur d’un corps à corps
charnel et dansant. Il s’allonge sur le sofa, caressé par la brise du vent nocturne. Il ferme les
yeux et vibre de tous ses sens en éveil.
43
LE CRABE QUI RÊVAIT D’UN VELO
Il était un crabe qui en avait assez de marcher de travers. Il eut alors l’idée de louer un vélo
pour s’essayer à la ligne droite. Mais difficile de convaincre les loueurs de vélo. Ils étaient
des marchands et n’avaient nulle inclination pour de telles histoires « à dormir debout »
comme ils savaient si bien le dire. L’argent leur tenait lieu d’imagination. Impossible donc de
louer un vélo quand on est un crabe, surtout un crabe rêveur.
C’est pourquoi il en fut réduit à voler un vieux vélo rouillé abandonné depuis des lustres sur la
plage. Faire démarrer le vélo semblait impossible. L’eau de mer avait coincé les chaînes et
pédaler était quasiment impossible. Vous pensez en vous-mêmes qu’un crabe sur un vélo cela
n’existe pas, et vous avez raison. Mais au pays des histoires tout est possible…et un crabe sur
un vieux vélo rouillé, pourquoi pas ?
Il avait attendu toute la journée que la plage se vide, avait échappé à quelques épuisettes, et
maintenant enfin, il avait la plage et le vélo pour lui.
Monter sur le vélo fut assez simple vu le nombre de pattes à sa disposition. Là où cela se
compliqua c’est lorsqu’une de ses pinces coupa par mégarde un câble. Il en fut sur le moment
un peu agacé, mais il ne renonça pas à son rêve. L’autre difficulté qu’il avait mal envisagée
était la longueur de ses pattes. Elles étaient certes nombreuses mais bien trop courtes pour
atteindre les pédales. Il pestait contre les aléas de la vie, quand soudain, il sentit le vélo se
mettre en mouvement. Ce n’était pas de la magie. Tout simplement un employé communal
chargé de nettoyer la plage de ses vieux objets abandonnés. Comme il faisait encore nuit il
n’aperçut pas le crabe qui, tout heureux de pouvoir enfin se déplacer en ligne droite, restait
accroché au vélo. Il se sentit propulsé dans les airs puis tout aussitôt après le mouvement
s’inversa et il se retrouva au milieu d’une dizaine de vélos ressemblant au sien. Il était fou de
joie. Il pensait être au pays des vélos. C’est depuis ce jour qu’il suit l’employé communal
chargé de nettoyer les plages. Il paraît qu’il a même essayé une voiture, accroché au volant.
Son rêve maintenant ? essayer un avion…mais on n’en trouve pas tous les jours sur les plages.
Ca ne l’empêche pas de croire en ses rêves, qui sait… ? Un jour peut-être…
Et Pau Amma ? Quand tu vas à la plage, tu peux voir que tous les bébés de Pau Amma
se font des petits Pusat-Taseks sous chaque pierre et chaque touffe d'herbe dans le
sable ; tu les vois agiter leurs petits ciseaux ; et dans certaines parties du monde, ils
vivent vraiment sur la terre ferme et ils grimpent aux arbres et mangent des noix de
coco, exactement comme l'avait promis la Petite Fille Chérie. Mais une fois l'an, tous les
Pau Ammas doivent quitter leur armure solide et devenir mous, pour se rappeler ce dont
était capable le Doyen des Magiciens. Voilà pourquoi ce n'est pas bien de tuer ou de
chasser les bébés de Pau Amma uniquement parce que le vieux Pau Amma a été
bêtement impoli il y a très longtemps.
Hé oui ! Les bébés de Pau Amma détestent qu'on les extirpe de leurs petits Pusat-Taseks
pour les rapporter à la maison dans des bocaux à cornichons. Voilà pourquoi ils te
pincent avec leurs ciseaux, et c'est bien fait !
44
GRAND-MERE L’OIE TROUVE UNE GRAINE ROSE
L’oie de la ferme était toujours d’humeur égale, c'est-à-dire fort désagréable. Elle ne savait
pas sourire et personne n’osait la contrarier. Elle montait la garde à l’entrée de la ferme et les
intrus ne s’y risquaient pas deux fois. Elle surveillait les poules qu’elle trouvait stupides et les
rappelait souvent à l’ordre en pinçant leur arrière train charnu. Les canards évitaient de la
croiser. Même les vaches la redoutaient surtout quand elle ouvrait son bec.
Seule la petite fille des fermiers ne la craignait pas et la poursuivait même parfois avec une
branche de sureau. Cela agaçait l’oie mais elle ne disait rien car c’était la petite fille des
fermiers.
Un matin de très bonne heure, l’oie faisait son inspection quotidienne. Elle trouva par hasard
une drôle de graine. Elle était rose et en s’approchant de plus près, elle sentit que cette graine
était parfumée. Elle s’approcha encore plus et la gourmandise fut plus forte que toute volonté
de prudence. A peine mit-elle la graine dans son bec que celui-ci se retrouva collé. Elle était
dans l’impossibilité totale d’ouvrir le bec. Quand elle y parvenait après de nombreux efforts,
son bec était tenu par tant de fils élastiques que c’était pire.
Vous avez certainement compris que l’oie avait trouvé un chewing gum que la petite fille de
la ferme avait laissé traîner par mégarde.
De voir l’oie ainsi embarrassée fit rire tous les animaux…et la petite fille.
Pour se venger de sa mauvaise humeur on la laissa tout le jour ainsi et ce ne fut que le soir que
quelques animaux pris de pitié la délivrèrent.
Rouge de honte et de colère, l’oie partit un peu plus loin, à l’écart, et se jura qu’on ne l’y
reprendrait plus.
En tout cas, depuis cette aventure, l’oie reste devant l’entrée de la ferme à regarder passer les
vaches. On ne l’entend plus maugréer, elle délaisse les animaux de la ferme…et surtout elle
ne picore plus ce qui traîne par terre, même quand cela semble agréable au regard ou à
l’odorat. On dit même qu’elle a décidé de lire des contes pour parfaire son vocabulaire. Un
jars vient d’arriver à la ferme…
Aucun chat ne se perche pour l’entendre.
46
LE RETOUR DE L’ORNITHORINQUE
Vous l’aviez oublié avec son porte-pachydermes mais il est de retour parmi nous.
En descendant du bus il a égaré son Pachyderme et le revoilà à la case départ. Il ne se rappelle
pas comment il l’a égaré, mais c’est un fait il l’a perdu.
Que faire quand on sait seulement voler des Pachydermes ? On cherche une reconversion.
Oscar décide alors de devenir orateur. Il faut qu’il séduise son public, ce qui n’est pas chose
aisée. Alors il décide de passer chez un spécialiste de la communication pour qu’il ait la
meilleure apparence extérieure possible.
A son arrivée on l’accueille avec le sourire. On lui dit de se détendre. On lui dit aussi qu’il y a
beaucoup de travail en perspective. On lui sourit encore une fois.
C’est le pays du sourire ici, pense-t-il en lui-même. Mais son porte-pachyderme est vide.
Comment va-t-il payer tous ces soins ? Bonne question sans réponse…garderont-ils le sourire
quand ils le sauront ? Il esquiva la question se disant que la suite apporterait la réponse.
On le masse, on le frotte, on l’habille, on lui apprend à sourire pour mieux séduire son public.
Il fait tout ce qu’on lui demande. On le félicite. Soudain il voit passer dans la rue son
Pachyderme égaré. Brusquement il se lève. Il faut qu’il l’attrape. Il se presse. Il dérape. Il
court. Trébuche. Se relève. Personne n’y comprend rien.
Il est dans la rue et voit dans le lointain le bus des Pachydermes.
Il s’en approche. Il ne voit que les Pachydermes et fonce tête baissée. Il ne voit que je suis là.
J’ai ma gomme. Mauvais signe. La gomme efface toujours les mauvais personnages dans les
contes. Mais Oscar n’a rien vu, il ne pense qu’aux Pachydermes.
Il ne voit pas l’épuisette. Celle qui récupère les mauvais personnages, ceux qu’il faut gommer.
C’est lui qui est attrapé. Il n’y comprend rien. Il ne s’est jamais intéressé au règlement du pays
des histoires. Il voit la gomme. Il comprend enfin. Son désir de Pachyderme l’a perdu. Il
regarde la gomme et se voit disparaître de l’histoire…………..
Le bus redémarre.
Il fonce pour suivre l’histoire…
47
LE MARCHAND DE SABLE CHAUD
Le marchand de sable ne veut plus endormir les enfants
Il a vendu son nuage et se déplace en ULM c’est plus moderne
Il a changé de vêtements
S’est offert un jeans et un polo
Il part en voyage dans le ciel lumineux.
Il ne veut plus endormir les enfants
Au contraire
Il chante, il danse, il joue au badminton
Il éclate de rire
Il aime le sable chaud du désert
Il en met dans ses poches
Puis le jette sur les passants
Il s’amuse
Le sable pique les yeux des passants
Il s’enfuit en courant
Il plonge dans la mer
Il escalade les glaciers
Il ne veut plus endormir les enfants
Il attend la nuit et joue du tambourin
Le sable brille dans ses poches
Il en jette des poignées
Il n’est plus marchand
Il n’endort plus les enfants
Il est le passant du vent
Il devient sable chaud
Il vole à côté du soleil
Il chante la nuit aux enfants ses visions du désert
Il voyage dans leurs yeux
Ils voient des immensités aventureuses
Ils rêvent du désert
Du sable chaud
Ils grandiront
Se souviendront
Du sable perdu sur leurs paupières
Ce sable qui leur faisait voir un coléoptère en colère au milieu du désert…………….
48
Lui et Elle
Il sourit et jette du sable sur le sol
Poussière de braise
Poussière dorée du désert s’envole et rejoint la mer agitée
Je cligne des yeux, devine l’étoile, l’amertume des vagues, le sable chaud soulevé.
Il trace la lisière de son monde,
Lointain et proche
Mais la lisière recule, toujours imprévisible,
Inaccessible havre, elle œuvre à la fuite de l’élan
Il ouvre les yeux
Attentif seulement au goût salé de l’eau
Larme qui perle de son regard aveugle.
49
LA SIESTE D’HERCULE
Hercule est fatigué de courir après la gloire.
Sa mère le trouve pâle et lui a préparé un lit moelleux pour se reposer.
Il prend un bain, se parfume, et écoute un CD.
Quand soudain le téléphone intergalactique sonne…
C’est Zeus qui en plus est pressé parce qu’il a un rendez-vous galant.
Il a une mission pour lui, installer le tramway aux Portes de la Capitale.
Les travaux durent depuis trop longtemps, les habitants s’agitent, c’est mauvais pour les
élections, c’est ainsi que s’exprime Zeus.
Mais Hercule en a assez.
Il ne veut plus faire de travaux de terrassiers car à force on oublie qu’il a un cerveau.
C’est vrai qu’il a des muscles
A une époque il en était fier
Mais aujourd’hui la mode a changé et on le prend toujours pour un brave type dénué d’une
véritable réflexion.
Ce tramway fait concurrence à Pégase le cheval ailé.
Il n’a pas envie du tout Hercule, alors il raccroche.
Zeus se met en colère et décide de punir Hercule.
Il réfléchit et ne trouve rien.
Il est encore plus en colère.
Une idée lui vient enfin : il va empêcher Hercule de faire sa sieste en lui envoyant des songes
maléfiques.
Mais des songes ne peuvent rien faire contre un homme, un demi-dieu, qui a commis tant
d’exploits.
Alors une autre idée surgit. Zeus se souvient que les Sept Nains ont abandonné Blanche
Neige. Blanche Neige au teint blanc comme la neige…vous vous rappelez ?
Blanche Neige, la reine du ménage…
Zeus enlève Blanche Neige qui digère ainsi la pomme, et quand elle se réveille, elle voit
Hercule en pleine sieste.
Celui-ci dort depuis quelques heures ou quelques années, je n’en sais rien…dans les contes
tout est possible.
Quand il se réveille à son tour il voit une femme avec un plumeau en train d’épousseter le peu
de meubles qu’il a.
Il est terrifié.
Il appelle Zeus et promet d’installer le tramway.
Que va devenir Blanche Neige ? A suivre…
50
LE GRELOT.
C’était un tout petit grelot
Il était goutte de grêle
Grêle de l’orage pluvieux
Grêle froide
Mais lui, le grelot il a un son chaud
Même si parfois il grelotte
Il tremblote
Il est le grêlon qui réveille le frelon
Surprend le bourdon qui folâtre
Le son qu’on reconnaît dans la nuit
Le son qu’on suit ou qu’on fuit
Le grelot trompe le silence
Un jour il croise un griot
C’est un conteur le griot
Il aime les histoires
Il en raconte aux enfants, aux adultes
Il saisit le grelot
Le met à son oreille
Il entend une voix
Une voix grelottante
Qui lui conte des histoires, des histoires de grelot
Il raconte à un conteur griot
Et ce dernier sourit
Ecoute et à son tour raconte les histoires du grelot
Les enfants sourient
Ils raconteront un jour
A leur tour
Les histoires du griot qui écoutait le vent dans le grelot
Blotti dans son oreille.
Le grelot résonne
Le griot se lève
Il y aura d’autres histoires demain.
51
Je suis tellement prise dans les histoires qu’allongée sur le sofa, dans le creux des
couffins, j’écoute un autre temps, pénètre, gorgé de désirs, un autre monde, voyage dans
l’asphalte embrumée, tour à tour téméraire conquérant et piètre fanfaron.
Il y a la mer, en lisière de forêt, aux limites de la toile. Seule la mélopée du texte traverse la
fébrilité de ma chair.
Ma peau est au plus près de l’étoffe étoilée.
A la lisière souffle la tempête. Le vent éparpille ces cris et seule une brise susurre aux portes
de mon désir.
52
LE MARIAGE DE LA GIRAFE
Elle a un long cou la girafe. Observation plutôt banale et d’une évidence à désarçonner.
Ce jour là précisément elle devait se marier et préparait sa tenue pour paraître à son avantage,
ce qui est logique le jour de son mariage…
Elle se rendit chez le coiffeur mais celui-ci eut quelques difficultés pour se mettre à sa
hauteur. Cela agaça cette dernière. Mais elle ne manifesta aucun mécontentement et évita de
le prendre de trop haut.
Elle choisit ensuite des chaussures. Elle voulait des talons aiguilles. On la perdit dans les
nuages. Elle refusa les ballerines. A force de parlementer la girafe choisit des bottes.
La robe fut le moment le plus terrible…
Mais quel est l’intérêt de cette histoire ? Tout y est prévisible, aucun talent créatif, juste
de quoi endormir les enfants, et ce n’est même pas sûr.
Je ne sais pas qui m’a interrompu dans cette histoire, mais un peu de patience s’impose. On ne
peut pas tout dire dès la première phrase. Je l’accorde, le début n’est pas glorieux. Même moi
je m’y perds.
Reprenons.
La girafe est fin prête pour son mariage. Mais voilà…il y a un hic…la girafe n’a pas de mari
en vue.
Plutôt étrange la situation. Pourquoi alors s’est-elle ainsi habillée ? Elle va ainsi sur le bas
côté de la route et semble attendre un événement.
C’est alors qu’arrive….eh oui !...le bus des Pachydermes. Mais elle n’épousera pas un
Pachyderme. Elle attend quelqu’un d’autre. C’est le moment que Rantanplan choisit pour
passer. Mais il ne fait que passer, comme à chaque fois. Il ne remarque pas la girafe.
Cette dernière attend toujours et encore.
Tournez la page et changez d’histoire…Nous retrouverons la girafe quelques pages plus bas.
53
LE COMPTEUR DE CONTES
Faisons le décompte, c’est ainsi que pensait le compteur de contes
Les adultes font leur compte
Mais ne lisent que trop peu de contes
Ils racontent des histoires qui ne sont pas des histoires
Moi je compte les contes
Et je me rends compte
Qu’il n’y a pas le compte.
J’en suis très mécontent
Mais j’ai un remontant
La machine à remonter le temps
Il y avait bien longtemps
Les premiers habitants du pays des conteurs
Les premiers occupants de ces mots étonnants
Il était une fois, il y a bien longtemps ,
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants
Ces mots je les engrange
Je les montre aux enfants
Je les protège
Je te les raconte aujourd’hui, hier, demain
Il était une fois, il y a bien longtemps ,
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants
Je compte les histoires
Je suis le passeur du temps
Je suis le bateau qui file au fil des mots
Écoute ces contes
Il était une fois, il y a bien longtemps ,
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants
Ce sera bientôt à toi de les protéger dans la grange
Fais un détour pour entendre ces étranges histoires
Ne te dérange pas
Je connais le chemin
Je m’en vais raconter la suite
A ceux que je croise sur le seuil des contes de l’enfance
Je vais me faire tout petit et disparaître dans ces mots de tous les continents
Il était une fois, il y a bien longtemps ,
Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants
54
LA GIRAFE …SUITE
Elle est toujours là à attendre. Elle semble triste et fatiguée. En tout cas elle a mal aux pieds à
force d’attendre debout. Elle croise un Pachyderme égaré. Décidément cette route n’est
empruntée que par des Pachydermes, pense-t-elle en elle-même. C’est alors qu’elle aperçoit
dans la brume un de ses meilleurs amis. C’est un des sept nains. Toujours à la recherche d’un
contrat. Ses frères sont derrière lui. Ils ne sifflent pas, ils ne sourient pas. Ils sont soucieux.
C’est alors qu’ils voient la girafe en grande tenue. Ils s’en approchent. Ils font le point sur
leurs situations réciproques. La girafe a une idée soudaine. Ils vont monter ensemble une
entreprise, une boutique de rencontres matrimoniales. Cela semble enchanter tous les nains,
enfin presque tous, puisque Grincheux est toujours pareil à lui-même.
Pratique en plus l’idée de la girafe. Cela lui évitera d’attendre son Prince au risque d’attraper
un rhume.
Sitôt dit, sitôt fait. Vous savez bien qu’au pays des Histoires rien n’est impossible et le temps
n’est pas une entrave. Voilà donc la boutique à mariages prête. Il y eut foule le jour de
l’ouverture…On raconte que la girafe renonça à se marier parce qu’il y avait trop de choix et
qu’elle ne parvenait jamais à prendre une décision.
Les nains de leur côté étaient tellement exigeants qu’ils restèrent célibataires. Je crois qu’ils
ont trop de manies pour que quelqu’un accepte de vivre avec très longtemps. Ils étaient
toutefois libérés de la présence pesante de Blanche Neige, ce qui ne pouvait que les réjouir.
Moi ? J’y suis allé…et j’ai eu le plus grand mal à en sortir. J’y ai rencontré Madame
Coléoptère … mais la vie de couple c’est tout sauf de la création…Même pas une récréation !
55
L’ENFANT QUI NE VOULAIT PAS GRANDIR
Pas loin de là, dans un village dont j’ai oublié le nom, mais charmant avec ses arbres,
ses fleurs, ses maisons…pas loin de là il y avait, dans une de ces maisons, un petit garçon qui
ne voulait pas grandir. Un matin il s’était levé comme d’habitude mais avait décidé qu’il ne
grandirait plus. Il n’était déjà pas bien grand – il avait cinq ans – cela allait être gênant pour la
suite. Il allait être vraiment petit, voire minuscule. Mais impossible de lui faire entendre
raison. D’ailleurs à cinq ans la raison est faible…et même après elle restera faible…
On lui demanda pourquoi il ne voulait pas grandir. Il répondit qu’il enviait les Sept Nains
d’être avec une aussi jolie princesse que Blanche Neige, et il ne voulait pas grandir pour être
sûr d’être à son service. Impossible dans ces conditions de lui faire entendre raison.
C’est dangereux les histoires…surtout quand on y croit. L’enfant y croyait tant, qu’il voyait
Blanche Neige en dehors de ses rêves. On ne pouvait que le laisser rêver… Mais comment le
faire grandir ? On appela l’agence de la girafe, afin de rencontrer les Sept Nains. Ils étaient
occupés, alors la girafe vint en personne. Quand il la vit si grande l’enfant prit peur.
« Voilà ce qui arrive à ceux qui arrêtent de grandir, dit-elle d’un ton sévère. »
L’enfant prit peur mais ne renonça pas à son caprice. Il trouvait même la girafe sympathique
avec son air professoral.
On contacta alors Blanche Neige afin qu’elle arrive au plus vite. A la place ce fut une taupe
avec un topinambour qui se présenta. Il y avait manifestement une erreur de convocation. La
taupe fut renvoyée à son champ. Un pachyderme égaré passa, mais on le laissa filer pour
cause de hors-sujet. Blanche Neige n’était toujours pas arrivée. En fait elle attendait qu’on la
libère de son trognon de pomme. L’enfant commençait à s’impatienter. Le coléoptère eut
alors une idée.
« Ferme les yeux, écoute les mots qui passent, ils vont se réveiller si tu es attentif…
- …
- Tu pourras alors rencontrer n’importe quelle princesse …
- …
- Arrête toi à la lisière de ton désir…c’est là que réside la vraie grandeur…et la force
des mots
L’enfant se remit à grandir.
56
LA PETITE FILLE QUI SE TRANSFORMA EN ARBRE.
Elle avait dix ans. C’était une petite fille très attentive au chant des oiseaux. Tous les matins
elle passait en revue les chants du jardin et de la forêt voisine. Elle leur attribuait des noms
reflétant ce qu’ils évoquaient pour elle. Ainsi il y avait Mélodie, Suave, tristesse, Soleil, etc...
Elle décelait tant de variétés dans ces mélodies qu’aucun mot ne suffisait à en donner toute la
richesse. Mais chaque jour elle inventait des mots pour approcher au plus près les sentiments
qu’elle éprouvait en entendant ces chants.
Elle passait beaucoup de son temps à les épier en se cachant derrière les talus…elle les
observait vivre et aurait tant aimé voler comme eux.
Un matin comme les autres, un matin ordinaire, elle entendit la pie se quereller avec une
colombe. Cette dernière lui reprochait d’avoir dérobé les brindilles de son nid. Une fauvette
qui passait par là associa ses griefs à ceux de la colombe. D’autres oiseaux se greffèrent au
groupe et les protestations allaient en grandissant.
Les oiseaux ne cessaient de se quereller et un attroupement commençait à se former, chacun
restant attaché à ses positions …c’était une totale cacophonie. Les oiseaux étaient tellement
occupés par leur dispute, qu’ils ne virent pas arriver leur pire ennemi, le renard roux de la
forêt. Seule la petite fille s’en aperçut. Elle tenta de les alerter mais rien n’y faisait tant les
oiseaux ne voyaient que leur souci du moment. Le danger était imminent et elle se demandait
que faire, lorsque soudain, pendant qu’elle chantonnait un air de mésange pour mieux
réfléchir à la question, ses bras se mirent à grandir, grandir, ses jambes aussi grandissaient,
grandissaient…elle devenait un arbre géant. Elle installa tous les oiseaux sur ses longues
branches, sans même que ceux-ci ne le remarquassent, et déjoua ainsi les efforts du malin
renard pour apaiser sa faim.
Quand le calme fut revenu, les oiseaux constatèrent qu’ils étaient tous sur un arbre qu’ils ne
connaissaient pas. Il y avait assez de place pour eux tous et cela réglait finalement tous les
problèmes de mésentente qui les avaient rassemblés. La chouette fit une rapide conférence et
tous décidèrent que dorénavant l’arbre servirait de lieu de discussion en cas de litige…
La petite fille revint ainsi régulièrement dans la forêt pour permettre aux oiseaux de tenir
conférence quand il y avait des conflits. Les autres jours elle continuait d’écouter le chant des
oiseaux.
57
LE CYCLOPE AMOUREUX
Vous connaissez tous le cyclope ?
Il n’a qu’un œil, et ne peut pas porter de lunettes, ou alors un monocle
Il ne peut donc pas être en colère comme le coléoptère
Mais il était capricieux, le cyclope
Il voulait une longue-vue pour compenser
Et surtout pour espionner la princesse Circé, qui habitait l’île d’à côté
(parce que j’ai oublié de vous dire que le cyclope habitait une île)
Lui, gardait ses moutons ; elle, transformait les hommes en cochons
C’était un début prometteur
Il se voyait déjà à la tête d’une ferme expérimentale
Bien sûr, il manquait encore les poules et les oies
Mais la nombreuse progéniture qu’il comptait avoir avec Circé permettrait de régler le
problème
Un petit souci toutefois à ne pas négliger
Circé était loin d’être amoureuse de Polyphème
(parce que j’ai oublié de vous dire que le cyclope s’appelait Polyphème)
Elle n’était pas du tout, mais pas du tout amoureuse de lui, et l’aurait bien transformé en
cochon lui aussi.
Mais comme il lui apportait une cuisse de mouton chaque dimanche midi, elle hésitait à
passer à l’acte.
Tous les dimanches, il mettait sa cravate bleue et contait fleurette à Circé, sans perdre de vue
son cheptel qui comptait plus à son œil que toutes les fleurs du monde
C’est alors qu’Ulysse, porté par la tempête…
- Ulysse a de très mauvaises relations avec Poséidon
Le géniteur de notre cyclope
Mais ce serait long à vous expliquer
Et nous perdrions de vue l’essentiel-
Bref, Ulysse arriva pendant un des repas du dimanche
« De la chair fraîche ! » cria le cyclope
« De la chair fraîche ! » cria également Circé
« Un nouveau cochon en perspective ! »
Mais quand elle vit Ulysse face à elle, le coup de foudre fut immédiat.
Le cyclope, qui comptait ses moutons, ne remarqua pas le début de cette complication à ses
projets agricoles.
Circé fixait langoureusement les yeux d’Ulysse, qui lui n’avait d’yeux que pour l’œil du
cyclope. Sa mission, qu’il avait acceptée était d’aveugler le cyclope pour qu’il y voit encore
moins clair et surtout pour que l’Odyssée puisse commencer.
Il ne prêtait pas attention à Circé trop attaché au souvenir de sa tendre Pénélope
(Pénélope, vous savez ?
Celle qui tisse et retisse
Encore une qui attend…
(Dans mes histoires, il y en a beaucoup qui attendent :
Le pic-vert, les sept nains, la tortue, la souris…
Et puis vous, qui attendez peut-être que je ferme ces parenthèses
Et que je reprenne enfin mon histoire
(Mais peut-être que vous attendez aussi la fin de toutes ces histoires ?
58
(Et peut-être que vous avez perdu le fil ?
(Demandez à Pénélope, qu’elle en coupe un bout pour vous
(Là, c’est qui moi qui ne sait plus où j’en suis…
(On va faire un jeu,
C’est à vous d’inventer la fin
(Pendant ce temps, moi je file
J’ai un coup de fil à passer
(Non, non, je ne me défile pas
Je n’ai pas le profil de celui qui se défile
N’envoyez pas un profiler à mes trousses
))))))))))…
61
MAIS OU EST LE LOUP, DANS TOUTES CES HISTOIRES ?
Il y a toujours un loup dans les histoires pour enfants.
Loup, loup, y es-tu ?
M’entends-tu ?
Que fais-tu ?
Je dors, répond le loup
J’ai autre chose à faire
Que de perdre mon temps
Dans des histoires aussi
Ordinaires
Mon personnage
N’a pas d’âge
Et mon rôle
Est de faire peur aux enfants
Loup, loup, y es-tu ?
M’entends-tu ?
Que fais-tu ?
Encore vous !
Mais vous n’avez rien d’autre à faire
Que d’ennuyer un pauvre loup solitaire
J’enfile…
Mes sandales
Pour regarder les infos
Et j’ai autre chose à faire
Que de jouer le rôle
Du méchant
Qui mange des grands-mères
Vous avez déjà mangé une grand-mère, vous ?
Bon courage !
Loup, loup, y es-tu ?
M’entends-tu ?
Que fais-tu ?
Le loup commençait à s’énerver
Face à tant d’insistance
Quand soudain il découvrit dans le grenier
Un vieux pick-up usagé
Où tournait et retournait
Le best of des histoires de loups
Pour faire peur aux enfants
Loup, loup, y es-tu ?
M’entends-tu ?
Que fais-tu ?
Que fais-tu ?
63
J’en entends un qui dit : « Mais Shéhérazade, où est-elle ? pourquoi nous
avoir parlé d’elle ?
Lecteur peu attentif…Elle dort maintenant. Elle était enfermée dans l’histoire. Elle vit dans le
mitan du lit aux côtés d’un sultan jaloux de ne pas savoir raconter des histoires. Sa première
épouse y excellait. Elle lui en a tant raconté qu’elle a perdu la tête. Notre belle endormie ne
s’en est pas laissée contée et a enrobé le lit tout entier des voiles du texte…mon texte. Elle est
à la lisière du jour mais la toile est achevée. Pas besoin de détisser, sinon le sultan redeviendra
le barbare mis à nu quand les mots sont absents. Le texte l’a apaisé et policé. La femme au
rouet est rusée. Elle a tramé sa délivrance. Elle a noué les fils qui retiennent les gestes
désordonnés de l’homme abusé.
Il était une fois toutes ces histoires…
Je parle
Je parle
Mais je vais bientôt me taire, retourner d’où je viens, de partout et nulle part.
Oui c’est mon royaume, le royaume du Sultan, à la lisière des mots. Je vous aurais bien invité
mais c’est trop loin.
Je parle
Je parle
Il va bien falloir me taire, vos activités reprennent.
Pour cela un seul mot suffit
Et je disparaîtrai
Ce mot vous le connaissez
C’est le mot qu’on met quand une histoire se termine
Un mot qu’on écrit quand le livre est lu en entier
Un mot qui est si petit
Si menu
Un mot qui me met en colère
Mais bon je parle encore trop
Cette fois c’est la fin…..
Ce fut le silence
Elle n’était plus là.
Shéhérazade ouvrit un œil
Il faisait jour.
64
Et Rantanplan ?
Il court, il court, Rantanplan
Il est passé par ici, il repassera par là
Si vous le voyez, dites-lui bien que Charlie l’attend.
Blanche Neige a acheté un nouveau plumeau…
65
Et la femme du Sultan?
Elle voyagera de nouveau dans le monde
Elle attend le risque permanent du retour de la barbarie.
Son désir est là, les mots reviendront le jour où l’homme guerrier redeviendra.
Elle n’a pas peur.
Elle possède l’étoile qui danse.
66
Les deux Rats, le Renard, et l'Oeuf
… Qu'on m'aille soutenir après, un tel récit, Que les bêtes n'ont point d'esprit. Pour moi, si j'en étais le maître, Je leur en donnerais aussi bien qu'aux enfants. Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ? Quelqu'un peut donc penser ne se pouvant connaître. Par un exemple tout égal, J'attribuerais à l'animal Non point une raison selon notre manière, Mais beaucoup plus aussi qu'un aveugle ressort : Je subtiliserais un morceau de matière, Que l'on ne pourrait plus concevoir sans effort, Quintessence d'atome, extrait de la lumière, Je ne sais quoi plus vif et plus mobile encor Que le feu : car enfin, si le bois fait la flamme, La flamme en s'épurant peut-elle pas de l'âme Nous donner quelque idée, et sort-il pas de l'or Des entrailles du plomb ? Je rendrais mon ouvrage Capable de sentir, juger, rien davantage, Et juger imparfaitement, Sans qu'un Singe jamais fit le moindre argument. A l'égard de nous autres hommes, Je ferais notre lot infiniment plus fort : Nous aurions un double trésor ; L'un cette âme pareille en tout-tant que nous sommes, Sages, fous, enfants, idiots, Hôtes de l'univers, sous le nom d'animaux ; L'autre encore une autre âme, entre nous et les Anges Commune en un certain degré Et ce trésor à part créé Suivrait parmi les airs les célestes phalanges, Entrerait dans un point sans en être pressé, Ne finirait jamais quoique ayant commencé : Choses réelles, quoique étranges. Tant que l'enfance durerait, Cette fille du Ciel en nous ne paraîtrait Qu'une tendre et faible lumière ; L'organe étant plus fort, la raison percerait Les ténèbres de la matière, Qui toujours envelopperait L'autre âme, imparfaite et grossière.
La Fontaine, Fables, livre IX extrait
Fin
Rantanplan, viens, on rentre…c’est fini !