LEÇON 15 :

NAISSANCE DES « INTELLECTUELS »

Une vieille histoire?• La crise littéraire à l’époque du

naturalisme (1979)• Les élites de la République (1987)• Naissance des « intellectuels » (1990)• La République des universitaires (1994)• Les intellectuels en Europe au XIXe siècle (1996)

• Paris fin de siècle (1998)

Quelques lectures d’époque

• J. Jaurès, les preuves, 1898• A. France, M. Bergeret à Paris, 1901• E. Zola, la vérité en marche, l’affaire

Dreyfus, 1901• M. Barrès,  Scènes et doctrines du

nationalisme 1902• P. Bourget, l’Etape 1902

PLAN• I. LA VULGATE SUR L’AFFAIRE DREYFUS

• II. DES CHANGEMENTS STRUCTURAUX• III. DES CHANGEMENTS SYMBOLIQUES

• IV. DES CHANGEMENTS IDEOLOGIQUES ET POLITIQUES

I.LA VULGATE SUR L’AFFAIRE DREYFUS

• Acte 1: condamnation et dégradation de Dreyfus pour trahison janvier 1895.

• Acte 2: début de la campagne de révision animée par ses proches: Bernard-Lazare Une erreur judiciaire (novembre 1896) .

Bernard-Lazare, La vérité sur l’affaire Dreyfus : une erreur judiciaire, 2è

édition révisée, Paris, Stock, 1897, p. 90

« Le capitaine Dreyfus est un Innocent et on a obtenu sa condamnation par des moyens illégaux. Il faut que son procès soit révisé. »

La mise en pièce de l’accusation

• Acte 3: découverte parallèle par le Lieut col Picquart d’un autre coupable possible (1er semestre 1897); ses supérieurs rejettent sa thèse et l’éloignent de France.

• Acte 4 : Mathieu Dreyfus et d’autres révisionnistes parviennent à des conclusions similaires et engagent une campagne publique; début des articles de Zola dans le Figaro (automne 1897).

• Acte 5: tous ces efforts sont bloqués en haut lieu par les dirigeants en place dans l’armée ou au pouvoir: acquittement du nouveau suspect, Esterhazy, le 11 janvier 1898.

De l’affaire judiciaire à l’Affaire politique

• Acte 6: une fraction des révisionnistes décide d’utiliser l’arme du scandale et de la mobilisation de l’opinion publique:

• Publication dans l’Aurore de la « Lettre ouverte au président de la République ( J’accuse) de Zola 13 janvier 1898 et des pétitions dite « manifeste des intellectuels » à partir du 14 janvier. Le combat pour la révision est lancé pour 2 ans

L’enjeu• Passer d’une histoire narrative à une histoire sociale, structurale et intellectuelle.

• L’affaire Dreyfus doit être prise comme un révélateur des tensions, évolutions et débats de la société française après vingt ans de république « opportuniste » et dans un moment de tension internationale avec l’Allemagne et l’Angleterre.

II. DES CHANGEMENTS STRUCTURAUX

• 1) Evolutions positives: croissance et prospérité des catégories intellectuelles

• 2) Evolutions négatives: différenciations et tensions générationnelles ou catégorielles

Evolution des effectifs de quelques catégories

intellectuelles (source C. Charle, Naissance des « intellectuels », p. 237).Hommes de

lettres, publicistes

Professeurs secondaire

Enseignement supérieur

1876 4173 7396 <500

1881 7372 503

1886 6376 9751 775

1891 7125

1896 6354 8988 >1000

1901 7342 c.9000

Poids de la presse• Tirage global des journaux: 1870: 1 070 000ex

• 1900: 4 millions  ex• 1 exemplaire pour 6,5 habitants• 1866: 1637 périodiques• 1900: 6736 périodiques• 1 quarantaine de quotidiens à Paris• Plus de 200 en province

2) Evolutions négatives• « prolétaires intellectuels »?• Course au scoop entre les journaux et désinformation

• Écarts des générations• Crise des élites

Perceptions pessimistes des contemporains

Maupassant, Bel Ami (1885) • Drumont: la France juive 1886• la fin d’un monde, 1889

• Zola, l’Argent 1891, Paris 1898• Barrès, Les déracinés 1897

E. Drumont, la fin d’un monde, Paris, Savine, 1889, p. IV.

• « Nous recevons affront sur affront, l’Allemagne fait tirer sur nos officiers à la frontière, l’Italie nous donne le coup de pied de l’âne, l’Europe se partage déjà nos dépouilles, l’Invasion est à nos portes et la Banqueroute va s’asseoir à notre foyer ; nous plions sous une dette de trente milliards ; les usines se ferment, notre agriculture est ruinée, nos industriels voient peu à peu tous les marchés du monde leur échapper. »

III. DES CHANGEMENTS SYMBOLIQUES

• 1) du singulier au collectif• 2) Répétitions générales : des affaires avant l’Affaire

• 3) Rapprochement des catégories d’intellectuels

• 4) rôle des hommes doubles

Pétition pour Descaves, le Figaro 24 décembre 1889

(53 signataires)• « Des poursuites sont intentées contre un livre sur la demande du Ministère de la Guerre, à la veille d’une discussion législative sur la liberté d’écrire. Nous nous unissons pour protester.

• Depuis vingt ans nous avons pis l’habitude de la liberté. Nous avons conquis nos franchises. Au nom de l’indépendance de l’écrivain, nous nous élevons énergiquement contre toutes poursuites attentatoires à la libre expression de la pensée écrite. Solidaires lorsque l’art est en cause, nous prions le gouvernement de réfléchir. »

Pétition pour Jean Grave• 4 mars 1894, La Petite République• 124 signataires (Paul Adam, Paul Alexis, Maurice Barrès, Bernard-Lazare, Lucien Descaves, Paul Gauguin, Alfred Jarry, Octave Mirbeau, Jules Renard, Paul Signac, etc.)

• Refus de Zola : « On attaque la société: la société se défend. Avouez que c’est bien son droit. »Le Figaro, 8 mars 1894

IV.DES CHANGEMENTS IDEOLOGIQUES ET POLITIQUES

• République sur la défensive• Idéologies nouvelles: nationalisme, antisémitisme, socialismes

• L’argumentaire dreyfusiste• L’argumentaire antidreyfusiste• L’argumentaire « dreyfusien »

Méfiance de la politique: exemple Zola

• « La politique me laisse complètement indifférent. Peu m’importe que tel ministère soit renversé et remplacé par tel autre. J’ai l’horreur du député soumis docilement à la discipline des groupes et privé de toute initiative. Je plains les gens de lettres comme Maurice Barrès et de Vogüé, qui se font nommer puis, une fois élus, restent tranquillement à leur banc, se contentant de déposer leur bulletin de vote dans une urne après une discussion à laquelle ils n’ont point participé. »

• Interview de Zola par Philippe Dubois, l’Aurore 4 novembre 1897 repris in reproduite dans Dorothy E. Speirs et Dolorès A. Signon, Entretiens avec Zola, Ottawa, les presses de l’université d’Ottawa, 1990, p. 187.

Sens du combat dreyfusiste

• « dans une France rétrécie, racornie, un petit nombre d’hommes, pour une œuvre de justice, d’humanité et d’honneur, ont pu entreprendre la lutte contre la force souveraine des brutalités liguées, des intérêts syndiqués, des haines élémentaires coalisées; ce que contre la force matérielle, contre la force sociale, contre les passions séculaires, contres les hiérarchies maîtresses du monde, contre les lâchetés égoïstes et les indifférences, ces quelques hommes ont pu, dans une bataille de chaque jour, ébranler une à une les âmes, éveiller une à une les consciences (…) » L. Herr, La Volonté 27 octobre 1898

Contre-argument antidreyfusiste

• « Pas un instant on ne songe que, sans ces militaires – sans la protection « invisible et présente » qu’ils étendent jusque sur leurs ennemis – on n’aurait ni le loisir de martyriser des lapins dans les laboratoires, ni la faculté de tenir des Congrès de la Paix, ni la liberté d’insulter au bon sens et à la justice par de semblables paradoxes »

• F. Brunetière, “la nation et l’armée, conférence pour la Ligue de la patrie française, 26 avril 1899, in Discours de combat, Paris, Perrin, 1900, p. 225.