Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

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    Les plaisirs de la ville: Masculinité, sexualité et féminité à Dakar (1997-2000)Author(s): Tshikala Kayembe BiayaSource: African Studies Review, Vol. 44, No. 2, Ways of Seeing: Beyond the New Nativism

    (Sep., 2001), pp. 71-85Published by: African Studies AssociationStable URL: http://www.jstor.org/stable/525575

    Accessed: 23/04/2010 16:47

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    Lesplaisirsde la ville:Masculinite,

    sexualite

    et feminite

    a

    Dakar

    (1997-2000)

    Tshikala

    Kayembe

    Biaya

    Resume: Cette etude

    analyse

    les transformations

    dans les

    rapports

    entre masculin-

    ite,

    sexualite et feminite

    des

    jeunes

    nes

    apres l'independance,

    a

    Dakar

    (Senegal),

    ou la constitution

    des

    lieux

    de loisirs et de

    lajouissance

    a

    toujours

    ete controlee

    par

    la

    politique

    de l'etat et

    l'islam

    maraboutique.

    Suite a

    la crise

    multiforme,

    lesjeunes,

    garcons

    et

    filles,

    ont

    innove

    des

    formes nouvelles de la

    sexualite

    en

    deconstruisant

    les formes anciennes et en s'ouvrant sur

    le

    cosmopolitanisme.

    Abstract: This study analyzes the transformations in the relations among masculin-

    ity,

    sexuality,

    and

    femininity

    for the

    youth

    born after

    independence

    in

    Dakar

    (Senegal),

    where

    the constitution of recreational sites and

    of

    play

    have

    always

    been

    controlled

    by

    the state and maraboutic Islam.

    Following

    the

    multiform

    crisis,

    the

    youth-boys

    and

    girls-have

    innovated new

    forms of

    sexuality,

    while deconstruct-

    ing

    the old forms and

    opening

    themselves to

    cosmopolitan

    ones

    Cette

    etude voudrait decrire le

    processus

    a la fois

    complexe

    et

    dynamique

    de

    formation de la

    masculinite

    des

    jeunes

    nes

    apres

    les

    independances

    en

    Afrique.

    Plus

    precisement, j'analyse

    les

    transformations dans les

    rapports

    entre

    masculinitd,

    sexualite et feminite dans la ville de Dakar

    (Senegal)

    ou

    j'ai

    mene

    des

    enquetes

    et

    pratique

    l'observation

    participante

    de 1997 a

    2000.

    Dans la mesure

    ofu,

    au

    Senegal,

    la constitution des

    lieux de loisirs et

    lajouissance

    des

    plaisirs

    ont,

    longtemps

    ete etroitement

    liees aux

    politiques

    African

    Studies

    Review,

    Volume

    44,

    Number

    2

    (September

    2001),

    pp.

    71-85

    Tshikala

    Kayembe

    Biaya

    est chercheur

    associe au CODESRIA

    (Conseil

    pour

    le

    Developpement

    de

    la Recherche en Sciences

    Sociales en

    Afrique),

    Dakar.

    II

    vit

    et travaille

    a

    Addis-Abeba

    (Ethiopie).

    II

    est

    l'auteur

    de

    l'ouvrage

    Acteurset medi-

    ations

    dans la

    resolution et la

    prevention

    des

    conflits

    en

    Afrique

    de l'Ouest

    (1999)

    ainsi

    que

    de nombreux

    articles dans des

    revues

    academiques specialisees.

    71

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    African Studies Review

    de

    l'Etat

    et aux contraintes

    de

    l'autorit6

    religieuse

    (dans

    ce

    cas

    l'Islam),j'ex-

    aminerai d'abord la

    competition

    autour du controle des

    jeunes

    par

    les

    forces

    politiques

    et

    religieuses

    au lendemain

    de

    l'independance.

    J'abor-

    derai ensuite

    les

    mouvements

    culturels de la

    periode

    de la

    crise

    economique

    et les

    politiques

    du

    plaisir

    et des loisirs

    qui

    font leur

    apparition

    dans la ville de Dakar au cours des

    annees

    quatre-vingt

    dix.Je

    terminerai

    par

    une

    analyse

    des formes

    nouvelles

    de

    la

    sexualite

    parmi

    les

    jeunes

    citadins.

    Discipline politique

    et

    discipline religieuse

    Des son

    independance,

    le

    S6negal

    met

    en

    marche

    le

    projet senghorien

    de

    construction

    de

    l'Etat moderne.

    Prolongeant

    la

    politique

    coloniale de col-

    laboration entre le

    pouvoir

    s6culier et le

    pouvoir maraboutique,

    la classe

    dirigeante

    s'allie les elites musulmanes. Celles-ci

    controlent,

    par

    le

    biais de

    l'Islam,

    de son

    ideologie

    et de ses diverses oeuvres

    caritatives et

    6conomiques, pres

    de

    90%

    de la

    population. Cependant,

    a

    l'instar de

    plusieurs

    autres

    pays

    africains,

    et dans le but de realiser son

    projet hege-

    monique,

    l'Etat s'efforce

    tres

    t6t de controler

    lajeunesse,

    a

    travers ses relais

    propres

    (Mbembe 1986). Au

    S6engal,

    ce contr6le revet initialement trois

    formes

    compl6mentaires.

    D'abord,

    le

    Parti

    socialiste au

    pouvoir

    met en

    place

    ses

    propres

    struc-

    tures d'encadrement de

    lajeunesse.

    Ensuite,

    celles-ci sont

    contre-balancees

    par

    un

    mouvement etudiant

    qui,

    politiquement,

    ira se

    fractionnant sans

    cesse

    (Diop

    &

    Diouf,

    1994).

    Peu

    a

    peu,

    cet

    6miettement

    politique

    conduira

    a un

    retrecissement de la nature des

    revendications

    etudiantes. De

    poli-

    tique,

    celles-ci deviendront

    chaque

    fois

    plus corporatistes,

    se limitant

    a

    des

    soucis materiels tels

    que

    l'octroi des bourses

    ou la

    qualite

    des

    repas.

    La

    forme d'action privilegiee sera, elle aussi, de plus en plus, l'emeute. Cette

    culture de

    l'emeute

    ira

    s'amplifiant

    et

    constituera,

    vers la fin

    du

    XXe sie-

    cle,

    l'un des traits

    caracteristiques

    de

    la force

    etudiante.

    Enfin,

    a c6te du

    Parti

    socialiste et des

    mouvements

    etudiants,

    un

    troisieme vecteur

    de la

    mobilisation

    desjeunes

    est la

    religion

    islamique.

    La

    mouvance

    islamique

    opere

    sur

    deux axes

    complementaires,

    celui

    des

    etudiants et

    universitaires et celui

    des

    jeunes

    desoeuvres.

    Les

    milieux

    6tudiants et

    universitaires se

    divisent en

    deux

    sous-groupes.

    Le

    sous-groupe

    mouride

    (Izbout

    Tarqya)repose

    sur une

    lecture

    fondamentaliste

    des ecrits

    d'Amadou Bamba, le fondateur de la confrerie. Il depend de Touba, cen-

    tre

    spirituel

    et ville sainte

    des mourides. Le

    sous-groupe

    dit

    de l'Islam

    uni-

    versel

    jouit,

    quant

    a

    lui,

    de

    l'appui

    financier et

    materiel des

    pays

    du

    Golfe

    Persique.

    C'est

    ainsi

    qu'il parvient

    a

    conserver une

    relative

    ind6pendance

    par

    rapport

    a

    l'islam et

    au

    pouvoir

    s6engalais, puis

    a se

    constituer un

    capi-

    tal identitaire

    distinct.

    Tout au

    long

    de la

    p6riode

    postcoloniale,

    ces

    diff6rentes

    forces

    peseront

    de tout

    leur

    poids

    dans la

    formation de

    la culture

    des

    jeunes.

    Un

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    4/16

    Les

    plaisirs

    de la ville

    73

    relatif

    changement

    s'opere

    cependant

    en 1980. En

    effet,

    cette

    annee-la,

    le

    multipartisme,

    d'abord limite a trois

    partis

    en 1976, devient integral.

    L'elargissement

    du

    champ politique

    a

    pour

    effet d'accentuer la

    fragmen-

    tation

    du mouvement etudiant.

    Auxjeunesses

    du Parti socialiste

    s'ajoutent

    desormais

    les

    jeunesses

    des

    partis

    liberaux

    et de la

    gauche

    marxiste ou

    maoiste.

    L'on

    assistera,

    des

    lors,

    a

    deux

    formes de mobilisation

    : d'abord

    les

    mobilisations

    laiques

    et

    partisanes

    qui,

    a

    partir

    du milieu des ann6es

    1980,

    mettront a

    profit

    le

    ch6mage

    desjeunes

    pour

    faire avancer des

    objec-

    tifs notamment

    electoraux;

    ensuite les mobilisations

    permanentes

    et

    dev6tes

    que

    de

    jeunes

    marabouts lancent

    a

    la

    veille

    des

    elections

    legisla-

    tives de 1998.

    Revenons

    aux

    formes de contr6le

    desjeunes

    mises en

    place par

    les for-

    mations

    politiques

    et

    par

    les formations

    religieuses,

    aux

    types

    de

    disciplines

    qui

    sous-tendent

    chacune,

    et

    a

    la relation

    qu'elles

    entretiennent avec le

    monde des loisirs

    et de

    lajouissance.

    A

    partir

    des

    ann6es

    1990,

    le

    mod&le

    politique

    de la

    discipline,

    jusque-la

    relativement

    subtil,

    connait une derive

    de

    type quasi-mobutiste.

    Le Parti

    socialiste,

    qui

    domine

    par

    ailleurs

    l'Etat

    et le

    gouvernement,

    s'efforce d'exclure les mouvements

    d'opposition

    de la

    competition pour

    le

    controle

    de

    lajeunesse.

    Dans une

    premiere phase,

    Le

    Parti socialiste cherche a coopter le champ des loisirs et a l'annexer a ses

    activites

    dans le but de s'attacher les faveurs electorales

    des

    jeunes.

    C'est

    ainsi

    qu'il

    tente de se servir du

    chanteur-compositeur

    Youssou N'Dour

    comme du

    griot

    officiel du

    regime.

    Ce

    dernier,

    ainsi

    que

    des

    groupes

    de

    musique rap,

    sont invites a lancer et a cloturer

    les

    activit6s

    de

    vacances

    ini-

    tiees

    par

    le

    parti.

    Ces

    activites,

    organisees

    sous la houlette du

    parti,

    se

    deroulent

    dans les stades de football. Tr&s

    vite,

    la television en

    tant

    que

    media

    d'Etat est

    a

    son tour

    assujetti.

    Le

    sport

    dans son ensemble ne tarde

    pas

    a

    faire

    l'objet

    de la

    meme

    instrumentalisation.

    Des

    lors,

    les tournois de

    lutte avec frappe qui opposent les ecuries des differentes communes

    urbaines

    b6enficient

    du

    financement des hauts cadres du

    parti.

    Petit

    a

    petit, sports

    et mobilisation

    politique

    deviennent

    lies,

    l'epouse

    du Chef de

    l'Etat

    agissant,

    en bien

    des

    cas,

    en

    mecene,

    par

    le biais de sa Fondation

    (Solidarite

    et

    Partage).

    Quant

    au

    controle

    religieux,

    il

    prend

    forme au

    travers

    des

    rapports

    complexes

    etablis entre le

    prince

    et les

    autorites musulmanes.

    S'inscrivant,

    a

    bien des

    6gards,

    en droite

    ligne

    de la

    politique

    coloniale

    envers

    l'Islam,

    les

    dirigeants postcoloniaux

    manipulent,

    selon les

    circonstances,

    la classe

    des marabouts. Ils opposent, de facon subtile, les diff6rentes confreries, par

    le biais de dons

    fonciers,

    de visites

    hautement m6diatisees de

    dignitaires

    politiques

    aupres

    des

    dignitaires

    religieux

    et l'octroi de

    genereux

    credits

    bancaires. La

    coupure

    entre

    l'ecole

    coranique

    et l'ecole

    moderne,

    puis

    entre ces structures

    et celles des

    partis

    politiques disparait quand

    il

    en

    vient

    a

    la

    mobilisation electorale. En

    effet,

    lors

    des

    elections,

    les marabouts

    mobilisent les

    fideles

    (talibes)

    derriere leurs

    candidats,

    payant

    ainsi

    avec

    leurs

    votes

    les

    bienfaits,

    cadeaux et

    services

    dispenses par

    le

    pouvoir poli-

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    74

    African

    Studies

    Review

    tique.

    C'est ainsi

    qu'en

    1983,

    Abdou Diouf et le Parti socialiste ne

    durent

    leur victoire sur les

    partis

    liberaux et de

    gauche

    que

    grace

    au

    ndiguel

    du

    khalife

    general

    des

    mourides.

    Un mouvement

    d'autonomisation relative

    s'esquisse cependant

    en

    1998,

    lorsque Serigne

    Modou Kara

    Mbacke

    et Cheikh

    Tidjane

    Sy

    Junior

    entreprennent

    de

    redynamiser

    la

    foi

    desjeunes

    musulmans.

    En

    recourant

    notamment a

    l'ideologie

    du

    travail,

    ils tentent de mettre en

    place

    une

    ten-

    dance

    oecum6nique

    regroupant

    les mourides

    Baye

    Fall

    et les

    Tidjanes.

    Ces

    deux marabouts

    r6cuperent

    des

    delinquants

    et

    des

    d6soeuvres

    de

    Dakar,

    les reconvertissent a

    l'ideologie

    maraboutique

    et les

    assignent

    aux

    travaux

    champetres

    dans les

    campagnes.

    Au meme

    moment,

    ils

    expriment

    leur

    ambition de

    creer

    des

    partis politiques

    islamiques

    en

    vue

    des

    elections de

    1999.

    Sphere

    des

    loisirs

    et

    politiques

    de

    jouissance

    Pour

    comprendre

    la nature

    politique

    de

    l'investissement

    de

    l'Etat

    dans

    la

    sphere

    des

    loisirs,

    il

    faut

    remonter a

    l'epoque

    coloniale.

    En

    effet,

    en

    depit

    des tentatives visant a

    6radiquer,

    au nom de la civilisation , es

    pratiques

    indigenes

    de la

    fete,

    de

    lajouissance

    et de

    l'exhibition,

    le

    regime

    colonial

    n'etait

    guere parvenu

    a

    ses fins.

    L'espace

    des

    loisirs

    indigenes

    avait

    contin-

    ue

    de

    fonctionner aussi bien dans les

    villages

    que

    dans les

    villes,

    grace

    a

    quoi

    la

    sexualit6

    islamique

    etait,

    par exemple, endiguee

    dans les cites

    africaines. Les cites

    europeennes

    promouvaient, quant

    a

    elle,

    la

    pratique

    de

    loisirs dits modernes. La

    figure

    centrale dans ces

    espaces

    modernes etait

    le

    sassouman,

    igure

    par

    excellence de l'assimile. Celui-ci tirait son nom de

    zazzou,

    le

    jeune

    a la mode et friand de

    jazz

    d'apres

    la

    seconde

    guerre

    en

    Europe.

    Menant sa vie a l'ecart de la cit6 musulmane, il s'adonnait a l'al-

    cool,

    a la danse moderne

    et a

    une

    vie de

    debauche.

    Cette

    derniere

    pouvait

    aller

    jusqu'a

    la

    pratique

    de

    l'homosexualite

    v6nale dans

    le

    quartier

    de

    Rebbeuss

    qui regroupait

    alors les

    blancs de seconde

    zone

    (Libanais,

    Por-

    tuguais,

    Grecs...)

    exercant

    le commerce et

    tenant les

    bars-restaurants et

    dancings.

    Ce

    quartier

    servait de zone

    tampon

    entre la

    ville

    europeenne

    et

    la

    Medina

    (commune

    noire et

    islamisee

    peuplee

    de

    fonctionnaires,

    enseignants,

    travailleurs)

    ou

    l'alcool

    et le commerce du

    sexe

    etaient

    pro-

    hib6s.

    L'ind6pendance elargira l'espace moderne du plaisir, ou le blanc et le

    sassoumanse

    rencontrent.

    Sous

    Senghor,

    la

    politique

    culturelle du

    Senegal

    reposait

    sur le

    m6cenat d'Etat. L'Etat

    subventionnait une

    gamme

    d'institu-

    tions de

    formation dans

    divers domaines de

    l'art,

    tandis

    que

    les

    produc-

    tions

    culturelles faisaient une

    large

    place

    a une forme

    d'esthetique negro-

    africaine

    supposee

    tendre

    vers l'universel

    par

    le biais

    de

    l'ouverture

    au

    monde

    (Ethiopiques

    997).

    La

    legislation

    senghorienne

    prolongeait

    et ren-

    forcait

    la

    legislation

    coloniale. Les

    spectacles

    festifs

    oiu

    les

    danses

    erotiques

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    6/16

    Les

    plaisirs

    de la ville

    75

    des Lawbes

    se deroulent

    etaient

    d6sormais

    r6gis par

    de nouvelles lois

    limi-

    tant les

    depenses

    ostentatoires. Les depenses au titre des fetes seront d6sor-

    mais reduites

    aux

    chapitres

    importants

    du

    mariage,

    du

    pelerinage

    a

    la

    Mecque

    et des

    rencontres

    de la

    gent

    f6minine. Les danses

    des

    rues

    africaines

    (a

    l'exemple

    du sabar

    et des

    soirees de

    tam-tam),

    jugees

    impudiques,

    seront

    interdites dans

    l'espace

    civilise .

    A

    partir

    du milieu

    des

    annees

    quatre-vingt,

    Dakar connait une crise

    d'urbanisation.

    Celle-ci se caracterise

    par

    une

    migration

    rurale

    et interur-

    baine

    desjeunes qui

    entraine un

    taux

    global

    d'urbanisation

    de

    42%

    dans

    l'ensemble

    du

    pays.

    Certes,

    une

    stagnation

    demographique

    s'observe

    depuis 1990 (Antoine et al. 1998). Mais au debut des annees quatre-vingt

    dix,

    la

    population

    de Dakar

    depasse

    d6sormais

    les

    2

    millions d'habitants.

    Les

    espaces p6ri-urbains,

    insalubres et non

    lotis,

    ceinturent

    l'espace

    central

    moderne,

    le

    Plateau,

    sa

    Corniche et ses

    plages.

    L'ancienne

    downtown

    dont

    les

    espaces

    vides

    et

    plats

    conduisent a

    l'a6roport

    est

    occupee par

    les habi-

    tations

    luxueuses de

    la

    nouvelle

    bourgeoisie politique

    et commercante.

    A

    l'oppose

    de ce mouvement

    ascensionnel

    se dessine

    la lente contraction

    des

    classes

    moyennes.

    Professeurs,

    lettr6s et

    petits

    fonctionnaires

    sont refoules

    a

    la

    peripherie

    de la

    ville,

    indication

    de la

    pauperisation

    massive,

    de

    l'am-

    pleur de la crise de la famille et de la mise a rude 6preuve des solidarites

    claniques

    naguere

    vantees

    comme

    des

    specificit6s

    de

    l'Afrique

    tradition-

    nelle.

    Cette transformation

    dans

    l'occupation

    de

    l'espace

    urbain a un

    impact

    sur la

    geographie

    des lieux de loisirs.

    Lajonction

    entre

    Dakar et Pikine

    (la

    banlieue 6tablie en 1951

    pour

    deverser le

    trop-plein

    de citadins noirs de la

    Medina)

    a fait

    doubler la

    population

    urbaine. Par

    contre,

    la

    ville deserte

    s'etendantjusqu'aux

    Almadies devient

    de

    plus

    en

    plus

    un lieu central

    oiu

    les

    loisirs lies

    aux flux de la

    globalisation

    (restaurants

    huppes,

    casinos

    et

    night-clubs) s'implantent resolumment au service des classes riches. La

    mobilisation

    religieuse

    et

    sociale dans les communes

    populaires

    et les

    zones

    peripheriques s'accompagne

    de

    plus

    en

    plus

    de

    l'6mergence

    de

    mouvements

    culturels souvent

    spontanes,

    dont les

    points

    nodaux sont les

    sports,

    la

    musique

    et la sexualite.

    A

    partir

    du milieu des annees

    quatre-

    vingt,

    la

    plupart

    de ces

    mouvements

    se

    politisent

    en

    partie

    en reaction a la

    disparition

    de

    l'Etat-Providence

    et a

    l'

    thos des

    nouvelles

    bourgeoisies

    politiques

    et affairistes.

    Cette mutation

    marque egalement

    la

    rupture

    avec

    les

    dynamiques

    cul-

    turelles impulsees par Senghor. En effet, sous le regne d'Abdou Diouf

    ouvre les

    vannes

    aux

    pratiques

    culturelles

    populaires

    et au

    developpement

    des lieux de

    plaisir.

    Le

    nouveau

    processus

    entame sous son

    regime

    se car-

    act6rise

    par

    une

    s6cularisation de la

    sexualite,

    la

    prolif6ration

    des

    dibiter-

    ies

    (6tablissements

    commerciaux

    jouant

    le r6le de

    fast food sp6cialises

    en

    grillades

    de

    mouton),

    l'apparition

    de

    casinos,

    le

    d6veloppement

    acc6eler

    du

    tourisme,

    et

    un

    relachement

    des

    severes

    normes

    regissant

    les

    domaines

    de

    l'ethique

    et de

    lajouissance.

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    7/16

    76 African Studies

    Review

    La haute

    classe

    (hommes

    politiques,

    hommes

    d'affaires)

    abandonne la

    quete

    intellectuelle et

    artistique qui

    faisait la

    specificite

    du

    projet

    seng-

    horien et

    permettait

    d'instaurer

    une distinction

    entre

    l'elite

    et

    la

    pietaille.

    Desormais,

    l'elite elle-meme se livre a

    la mode de

    vie

    du sassouman.Pro-

    gressivement

    s'installe,

    dans les hautes

    sphires

    de

    la

    societe

    senegalaise,

    une

    culture baudelairienne de

    la

    flanerie.

    Les nouvelles

    pratiques

    culturelles des

    elites deviennent nettemment

    bohemiennes,

    tout en alliant

    le

    culte

    du

    plaisir

    a

    la

    depense

    ostentatoire

    et

    a

    l'adhesion

    pharisaique

    au code

    religieux

    islamique.

    Elles

    emergent

    et s'institutionalisent au moment meme

    ou

    la

    crise

    frappe,

    de

    plein

    fouet,

    le

    commun des

    gens.

    A la

    culture intel-

    lectualiste et

    ascetique

    des annees

    senghoriennes

    succide un mode de vie

    debonnaire

    que,

    dans

    un

    rapport

    de

    complicite

    et de

    connivence,

    les mass-

    es elles-memes

    recopient

    et

    amplifient

    aussi bien

    sur le

    plan

    de

    l'imaginaire

    que

    dans leurs conduites

    quotidiennes

    (Mbembe, 1992).

    Dans

    la

    sphere

    des

    loisirs,

    petits

    et

    grands ,

    sans se

    confondre,

    jouissent

    desormais

    ensem-

    ble. Seul le

    pouvoir

    d'achat

    vient

    marquer

    une frontiere

    qui

    ne tient

    plus

    qu'a

    des facteurs

    economiques.

    A

    la

    fin

    des

    annees

    quatre-vingt,

    une

    atmo-

    sphere

    de decadence culturelle et sociale

    prevaut

    a Dakar.

    C'est

    dans

    ce

    contexte

    que desjeunes

    sans

    emploi

    s'adonnent au

    plaisir

    du

    lynchage

    des

    Mauritaniens, suite a un differend frontalier

    opposant

    les deux

    pays.

    A la

    suite de ces

    pogroms,

    un

    mouvement

    spontane

    dont

    l'objet

    est

    l 'embellissement

    de la

    ville

    est

    d6clenche.

    Dans un

    geste

    d'ablution col-

    lective

    qui participe

    en

    meme

    temps

    d'un

    rite

    expiatoire,

    des

    jeunes

    net-

    toient la

    ville,

    repeignent

    les facades et

    produisent,

    au

    passage,

    un art

    mural ou les

    grandes figures

    de

    l'histoire

    nationale

    reapparaissent

    (Diouf

    1992:41-54).

    Cet exercice de

    re-ecriture

    de la

    memoire

    (Set

    Setal) est en

    partie recupere par

    le

    parti

    au

    pouvoir

    (Diop

    1994).

    En

    effet,

    en

    pro-

    duisant la chanson du

    meme

    nom

    (Set Setal),

    Youssou N'Dour fait de cet

    evenement une renaissance du

    jeune

    affilie au Parti socialiste. Dans la

    foulee,

    le

    regime

    au

    pouvoir

    met en

    route des

    programmes

    d'emploi

    des

    jeunes

    finances

    par

    l'Etat.

    Mais cet

    espoir

    s'eteint

    cinq

    annees

    plus

    tard,

    et

    les

    emeutes

    d'etudiants

    se

    multiplient.

    La

    devaluation

    du Franc CFA en

    1994 accelere la

    fragmentation

    sociale,

    tandis

    qu'au

    meme

    moment,

    la

    bourgeoisie

    politique

    et

    marchande se consolide. Les

    migrations

    individu-

    elles vers

    Dakar,

    puis

    vers l'Occident s'accentuent. Dakar

    est envahie

    par

    une

    nouvelle

    vague

    de

    jeunes

    migrants

    venus de la

    brousse,

    et de

    jeunes

    immigres,

    fils et filles

    a

    papa,

    revenant

    episodiquement

    en

    vacances d'Eu-

    rope et d'Amerique du Nord. Ils gerent, durant cette courte duree de

    l'hivernage,

    l'espace

    dujouir

    nocturne et

    oppriment par

    leur luxe les nat-

    ifs

    restes

    au

    pays

    sans

    moyens.

    En fin

    d'annee

    1996,

    le meme Youssou

    N'Dour

    compose

    une

    chanson,

    Birima.

    Elle encense le

    retour de la culture

    du sassoumanet

    depeint

    la

    decadence de la societe

    dakaroise devenue fon-

    cierementjouisseuse

    et,

    aux

    yeux

    des

    musulmans

    ze1es,

    paienne.

    En

    effet,

    la chanson

    celebre la subversion des

    valeurs a

    travers

    un

    per-

    sonnage

    historique,

    Birima,

    veritable anti-these non

    seulement de l'ethos

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    8/16

    Les

    plaisirs

    de

    la

    ville

    77

    senghorien,

    mais

    aussi de

    l'image

    de Lat Dior

    (heros

    idealise

    d'un

    passe

    et

    d'un

    pouvoir

    musulman lui-meme sublime). Birima

    passe

    son

    temps

    a

    boire,

    a flaner et a

    copuler.

    Ce lion

    lubrique qui

    delaisse

    les affaires

    publiques

    et

    religieuses

    et

    depense

    ostentatoirement est

    le

    symbole

    de

    la

    bourgeoisie

    politique

    et

    de

    sa

    politique

    du

    plaisir.

    Ce

    pouvoir

    paien,

    lubrique

    et

    kleptocratique

    est

    l'antithese

    du

    pouvoir

    islamique

    africain

    de

    Lat Dior

    (Coulon

    1987),

    voire de

    l'ascetisme

    senghorien.

    Mais

    ce

    modele

    attire

    6galement

    une

    partie

    de la

    jeunesse

    desabusee

    et

    condamnee

    a

    des

    pratiques

    de survie.

    Sexualites et masculinites

    de

    crise

    Voyons

    maintenant

    comment,

    dans cette

    geographie

    du

    plaisir,

    masculinite,

    feminit6 et

    sexualite

    se

    conjuguent.

    Rappelons,

    pour

    commencer,

    que

    la

    postcolonie

    et son

    6pisteme

    du commandement

    reposent

    sur le

    tryptique

    bouche,

    ventre et

    penis

    (Mbembe

    1992:1-37).

    En

    postcolonie,

    la mas-

    culinite se d6finit

    essentiellement

    par

    une sexualit6

    luxurieuse,

    aux fron-

    tieres

    de

    l'orgiaque.

    La

    consommation de

    l'alcool

    va de

    pair

    avec

    celle

    des

    femmes. Cette situation n'est pas nouvelle. On saitdesormais comment, dans

    les annees

    post-ind6pendance,

    aussi bien

    les discours

    officiels

    sur

    l'emanci-

    pation

    de la

    femme

    que

    les

    politiques

    de

    l'authenticit6

    servirent

    de

    paravent

    aux

    bourgeoisies

    africaines

    en

    quete

    d'h6donisme

    (Toulabor

    1986).

    On a

    vu

    comment,

    au

    Togo,

    au

    Zaire ou au

    Cameroun,

    les

    pratiques

    culturelles

    furent

    d6tournes en

    strategies

    de

    conquete

    feminine,

    la

    formation des bal-

    lets et

    des

    groupes

    de

    majorettes

    dansant et

    chantant

    pour

    la

    'revolution'

    venant

    s'ajouter

    a

    la

    cartographie

    des

    plaisirs

    laissee

    par

    la

    colonisation. Les

    danseuses ou les

    'animatrices'

    etaient

    recrutees

    en

    fonction de

    leur beaute

    et de leur savoir-faireerotique. Trest6t, a la formation de ces groupes vinrent

    s'ajouter

    des

    concours

    periodiques

    de beaut6.

    Des

    expressions

    tardives telles

    que

    Miss

    Djongoma

    e Dakar ou Miss

    Awoulaba

    Abidjan

    temoignent

    de

    cette

    fixation

    des

    elites

    africaines sur

    la

    consommation des

    femmes

    en

    tant

    qu'at-

    tribut

    privilegi6

    de la

    domination

    phallique.

    Dans le

    contexte

    dakarois de

    la

    fin

    des ann6es

    quatre-vingt

    dix,

    sexual-

    ite,

    masculinite

    et

    feminite se

    d6clinent

    d'abord sur le

    registre

    de

    la

    crise.

    L'age

    d'entr6e

    dans

    la

    vie

    adulte-qui

    se

    caract6rise,

    du

    moins chez

    les

    garcons,

    par

    l'autonomie

    financiere,

    la

    sortie du

    toit

    parental

    et

    l'entree

    dans l'univers de l'emploi-recule. Ce recul entraine une grande part d'an-

    goisse

    sexuelle

    et

    est

    a

    l'origine

    de conduites

    neuves

    que

    j'examine

    plus-

    loin.

    Depuis

    le

    milieu des

    annees

    quatre-vingt,

    la condition

    de

    celibat

    tend,

    par consequent,

    a se

    generaliser.

    Le

    mariage

    est

    devenu un

    v6ritable

    reve

    d'enfants

    de

    families

    riches. Des

    etudes

    men6es

    r6cemment

    indiquent

    que

    la

    proportion

    des

    c6libataires

    est

    de

    35%

    dans la

    tranche

    d'age

    de

    25-29

    ans

    (DHS

    S6engal

    1987).

    Ce chiffre

    aurait

    augmente

    au

    debut des

    annees

    qua-

    tre-vingt

    dix,

    atteignant,

    a

    l'epoque,

    50%

    (Marcoux

    1991:350-368).

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    9/16

    78 African

    Studies Review

    Dans les classes

    moyennes

    et

    pauvres,

    quelque

    soit

    le

    type

    d'habitat-

    concession ou parcelle-deux, voire trois generations d'une meme famille

    vivent

    dans la

    maison,

    privant

    lejeune

    homme d'une

    vie

    intime.

    II

    ne

    peut

    s'autoriser une vie amoureuse faite de

    jeux,

    de caresses ou conduisant

    a

    l'acte sexuel sans

    que

    n'eclate

    un conflit

    6thique

    avec

    son

    environnement

    immediat.

    D'ailleurs,

    les

    jeunes

    ne

    peuvent

    souvent

    se

    reposer qu'au prix

    d'une

    gymnastique compliqu6e:

    ils

    se relaient dans

    le

    lit

    au

    rythme

    de

    quelques

    heures de sommeil chacun.

    Les

    jeunes

    travailleurs

    du secteur

    informel

    ou formel ne

    peuvent

    souvent

    entreprendre

    une

    activite

    sexuelle

    avec une

    jeune

    fille

    qu'au

    d6triment de

    la

    subsistance de

    la

    famille.

    Ils

    ne

    disposent pas de suffisamment d'argent pour entretenir une relation qui

    repose

    sur des cadeaux et des

    bijoux

    tout en contribuant

    mensuellement a

    la fourniture du

    pain

    journalier.

    L'on

    voit ainsi

    de

    plus

    en

    plus

    de

    jeunes

    filles

    (soeur

    cadette)

    ou de meres

    occuper,

    de

    facto,

    la

    position

    du

    chef de

    famille

    lorsque

    le

    pere

    est

    decede,

    retraite ou

    licenci6.

    Ces formes

    nou-

    velles d'emasculation

    de

    la

    virilit6 des

    jeunes

    males

    ont des

    repercussions

    sur

    la formation de la masculinite.

    Le

    terme local

    goorgoorlou

    etre

    pour-

    voyeur,

    ou encore faire comme un

    homme)

    exprime

    bien

    la valeur

    prag-

    matique

    de ces nouvelles relations de

    genre

    et rend

    compte

    de cette

    sub-

    stitution des roles au foyer. C'est donc a une crise de la virilite (et de la mas-

    culinite)

    que

    l'on assiste. Cette crise est renforcee

    par

    l'erosion des soli-

    darites

    familiales.

    L'angoisse

    de

    ne

    pas

    etre male

    entraine

    chez les

    jeunes

    citadins des conduites

    que

    nous examinerons

    plus

    loin.

    Mais

    qu'en

    est-il

    desjeunes

    filles?

    Dans

    les societes urbaines du

    Sahel,

    les relations entre

    femmes ont tou-

    jours

    ete caracterisees

    par

    la

    rivalite et la

    complicite.

    Le

    point

    d'articulation

    privil6gie

    de

    ces deux

    passions

    est la

    polygamie.

    La

    rivalite

    touche

    des

    domaines aussi

    divers

    que

    le

    vetement et la

    parure,

    les

    formes de

    l'expres-

    sion corporelle, les prouesses culinaires, la maitrise des techniques de la

    danse,

    et la

    capacite

    de

    retention des amants

    par

    le

    biais

    des

    prouesses

    6ro-

    tiques

    et

    sexuelles. De

    l'orchestration de ces

    differentes ressources nait le

    pouvoir

    f6minin

    de seduction

    du

    male.

    A

    partir

    du

    milieu des annees

    qua-

    tre-vingt,

    les filles

    rivalisent de charme entre

    elles,

    et

    rentrent dans une

    brutale

    competition

    pour

    l'acces aux

    elitesjouisseuses.

    Ces dernieres rede-

    ploient

    la

    polygamie

    sous de nouvelles

    formes,

    ajoutant

    au

    harem

    deja

    exis-

    tant

    une

    nouvelle

    ceinture

    situee

    a

    l'exterieur

    du

    foyer.

    Les

    pratiques

    de la

    jouissance

    sexuelle

    prennent

    des

    contours

    inedits,

    et les

    filles

    revendiquent

    de plus en plus le droit d'occupation de l'espace public, la mosqu6e y com-

    pris

    (Le

    Temoin

    2000).

    Mais

    l'art

    de

    la

    jouissance

    dans la

    societe

    islamique

    s6engalaise

    n'est

    pas

    le

    meme

    que

    les

    campagnes

    de

    d6pravation

    des moeurs

    et la

    sexualite

    grossiere

    des

    caporaux

    du

    Togo

    et du

    Congo

    a

    l'epoque

    de

    Mobutu. Dans

    les

    societes

    islamiques

    du

    Senegal,

    la consommation de

    l'alcool

    est

    theoriquement

    reprimee.

    Les

    exigences

    de

    priere

    et de

    puret6

    constituent

    des

    cadres

    symboliques contraignants.

    Mais

    entre

    la

    theorie et la

    pratique,

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    10/16

    Les

    plaisirs

    de la ville

    79

    l'ecart est souvent

    enorme.

    Par

    ailleurs,

    dans sa subtilite et son

    raffinement,

    le savoir

    erotique islamique

    sait

    compenser

    le caractere

    contraignant

    de la

    religion

    et celui

    6ph6emre

    de la nuit

    grace

    a

    maints artifices

    mis en

    place

    par

    les

    jeunes

    femmes

    dans

    le

    but de conduire

    leurs amants vers la

    max-

    imisation de la

    jouissance.

    Ainsi,

    soumettent-elles

    les

    elites

    bourgeoises

    a

    des nuits

    passees

    dans une

    orgie

    de

    parfums,

    de

    ripailles,

    de boissons.

    Ainsi,

    au cours

    des ann6es

    quatre-vingt

    dix,

    de nouvelles

    regles

    dans

    l'art

    de

    s6duire font

    leur

    apparition.

    La

    capture

    du

    desir

    masculin,

    sa domesti-

    cation,

    son

    entretien,

    sa satisfaction

    et son renouvellement

    font d6sormais

    partie

    de

    l'arsenal

    feminin

    de la s6duction.

    L'ensemble

    repose

    cependant

    sur un pillier central : une savante utilisation de la nuit. Progressivement,

    les femmes cherchent a

    sortir du statut

    d'objet

    dans

    lequel

    les avaient con-

    fine

    les hommes.

    Elles effectuent des

    choix

    strat6giques

    en

    se muant en

    partenaires

    consentantes

    de la

    sexualite.

    Elles

    p&sent,

    de ce

    fait,

    sur

    les

    nouvelles definitions

    de la masculinite.

    Une

    chose caract6rise ce

    glissement.

    Les

    nouveaux

    acteurs des

    plaisirs

    urbains sont surtout les

    jeunes

    filles

    et les

    elites

    nationales. Les

    jeunes

    males

    sont,

    dans la

    pratique,

    exclus de ce nouvel univers

    de la

    jouissance.

    En

    effet,

    la crise urbaine et la crise

    6conomique

    d6savantagent

    ces

    derniers. Du coup, lesjeunes citadins males exprimeront leur frustration a

    travers

    des

    pratiques

    culturelles

    qui, partant

    de la contestation

    pacifique,

    deboucheront

    de

    temps

    en

    temps

    sur des

    violences

    episodiques.

    A

    partir

    des annees

    quatre vingt-dix,

    c'est ce contexte d'exclusion

    sociale,

    6conomique

    et

    politique-exclusion

    doublee

    d'une intense frustration

    sexuelle-qui

    influencera,

    de

    facon

    d6cisive,

    les modes de construction de

    la masculinit6

    dujeune

    citadin.

    Polyandrie et nouvelles formes de cession du plaisir

    La crise a

    genere

    de

    nouvelles formes de

    polyandrie

    urbaine. Celle-ci con-

    stitue

    desormais

    la forme la

    plus r6pandue

    de la sexualite. Elle est

    regie

    par

    un ensemble de

    r&gles

    et de

    pratiques

    sexuelles

    auxquelles

    les

    partenaires

    masculins et feminins se soumettent. La

    principale

    est le

    menage

    a

    trois.

    II

    pr6sente plusieurs

    variantes.

    La

    fille,

    qui

    en

    est le

    pivot

    central,

    est

    celi-

    bataire et

    vit souvent dans sa famille. Comme

    lejeune

    homme,

    elle

    doit sur-

    vivre dans la

    ville.

    Parfois,

    elle est le

    gagne-pain

    de sa

    famille,

    jouant,

    de

    fait, le role du chef de menage.

    La

    jeune

    fille a

    generalement

    pour

    amant un

    jeune

    homme de son

    age,

    avec

    qui

    elle s'affiche

    dans le

    quartier

    (son

    boyfriend).

    La meme

    fille

    entretient

    par

    ailleurs des relations

    avec

    un

    homme

    discret,

    plus

    age

    qu'elle

    (un

    sugar daddy).

    Ce dernier survient a ses

    besoins.

    En

    6change

    des

    dons,

    cadeaux et

    argent

    qu'il

    lui

    procure,

    elle lui rend

    hommage

    par

    un

    commerce sexuel

    r6gulier

    (Adisa 1997:89-136).

    Le choix de ce

    mode de

    vie ne

    constitue

    plus

    une

    humiliation

    pour

    le

    jeune

    amant.

    L'argent,

    les

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    11/16

    80

    African Studies Review

    dons et les cadeaux

    recus

    de

    l'homme

    age permettent

    en effet

    d'entretenir,

    non seulement la famille, mais aussi

    lejeune

    amant. De nombreuxjeunes

    gens

    ont

    compris

    que

    la vie n'est

    possible

    en

    ville

    que

    s'ils

    possedent

    une

    amie

    capable

    d'attirer les bienfaits

    d'un homme

    riche,

    bien

    que plus age

    et,

    tr&s

    ouvent,

    deja

    marie.

    I1

    existe

    neanmoins

    des contraintes sexuelles et

    affectives

    pour

    les

    partenaires impliqu6s

    dans

    ce

    commerce.

    Souvent,

    il

    arrive

    que

    la decouverte de

    l'existence

    du

    petit par

    le

    sugar

    daddy

    entraine

    le retrait de ce dernier de la

    relation;

    ou alors

    l'injonction

    faite

    a

    la

    fille de choisir

    entre la

    passion

    et

    l'int6ret.

    L'autre

    figure

    de la

    nouvelle

    polyandrie

    urbaine

    est

    le

    menage

    a

    quatre.

    Ce phenomene a fait son apparition dans les annees quatre-vingt sur les

    campus

    universitaires

    ou la

    proletarisation

    de

    l'6tudiant

    s'est

    accompagnee

    d'une

    d6gradation

    sans

    pr6c6dent

    des conditions de vie

    et

    d'etude.

    Les

    filles ont

    alors monte ce

    stratag&me qui

    fonctionne

    a

    la maniere d'une

    strategie

    de

    survie.

    Dans le

    vocabulaire

    courant,

    il

    est

    connu

    sous

    le nom

    des 3C

    (chic,

    choc,

    chique).

    Ce chiffre d6nombre

    les amants

    de la

    fille

    et

    explicite

    le

    mode de fonctionnement

    du

    systeme.

    Le

    chic

    est

    le

    beau

    jeune

    homme

    affecte

    pour

    les soirees dansantes

    et d'amour

    pouvant

    conduire

    au

    mariage.

    II

    a

    acces

    aux

    services

    sexuels de

    la fille sans condition. Le choc est un

    coll&gue

    de

    promotion

    a l'univer-

    site.

    II

    assure le

    role

    de

    repetiteur

    des

    lecons

    ou de

    tuteur.

    I1

    prend

    les

    notes

    pendant

    les

    cours,

    permettant

    a

    l'etudiante

    de

    disposer

    de

    larges plages

    de

    temps

    libre

    qu'elle

    utilise a sa

    guise.

    Le choc a

    episodiquement

    acces

    aux

    services

    sexuels

    de

    la fille. Mais il

    peut 6galement

    etre

    recompense grace

    aux

    dons,

    cadeaux

    et a

    l'argent

    offert

    par

    le

    cheque ,

    c'est-a-dire le riche

    amant,

    souvent

    marie,

    dont

    la

    jeune

    fille est la maitresse.

    Celle-ci

    agre-

    mente les

    plaisirs

    du lit de son fournisseur

    moyennant

    des

    especes

    son-

    nantes

    et trebuchantes ainsi

    que

    divers

    autres

    dons,

    parfums,

    colliers,

    chaussures,

    pagnes

    et

    bijoux

    en or,

    argent

    ou diamant, sorties dans des

    h6tels et restaurants

    hupp6s.

    Ces deux formes de

    polyandrie

    denotent d'une

    part

    les

    mutations

    que

    la

    sexualite

    et l'amour

    galant

    enregistrent

    et

    le

    pouvoir

    que

    detiennent

    les

    jeunes

    filles

    lorsque

    l'on en

    vient aux formes de

    cession du

    plaisir

    sexuel

    aux

    hommes. D'autre

    part,

    elles traduisent la difficulte

    qu'6prouvent

    les

    jeunes

    gens

    a atteindre

    l 'age

    d'homme dans un

    contexte

    ou,

    jusque

    recemment,

    l'id6ologie

    de

    la

    masculinit6

    associait de mani&re

    dramatique

    la

    virilite et

    la

    sexualite

    active,

    tout

    en

    conditionnant les

    deux a la

    capacite

    de d6boursement.

    Des trois

    amants,

    le

    cheque

    semble se tirer a bon

    compte

    de

    la

    rela-

    tion

    qu'il

    finance.

    A

    ses

    yeux,

    la finalit6 de la

    relation r6side aussi bien dans

    l'ecoulement libidinal

    qu'elle

    permet

    et dans l'auto-valorisation

    que

    la

    pos-

    session

    d'une

    jeune

    pour

    maitresse

    permet

    au sein de la societe. En

    effet,

    nombreux sont

    les membres de l'elite

    politico-commerciale qui

    attachent

    une

    signification

    particuliere

    a

    leur

    capacite

    a

    entretenir des

    rapports

    sex-

    uels avec

    des

    filles

    plus

    jeunes qu'eux-memes.

    La condition du choc

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    12/16

    Les

    plaisirs

    de la ville 81

    d6note la difficult6

    qu'6prouvent

    de

    nombreuxjeunes gens

    a

    se

    trouver

    un

    partenaire

    sexuel. Ils ne

    disposent,

    ni de

    l'argent

    n6cessaire a cette fin, ni

    ne

    remplissent

    les criteres de la

    s6duction

    reussie desormais

    imposes par

    les filles. Ils en sont alors r6duits

    a

    travailler

    pour

    un

    plaisir

    conc6ed

    l'e-

    space

    d'un instant. Comme

    je

    l'ai

    deja indique,

    l'amant

    reel

    est

    parfois

    le

    grand

    b6enficiaire

    des dons du

    pretendu

    oncle.

    Mais

    dans

    l'imaginaire

    des

    jeunes

    citadins,

    son

    statut

    d 'homme entier demeure

    fragile.

    Sa

    virilit6

    est

    sans cesse

    defiee

    et

    6masculee

    par

    le

    sugar

    daddy

    non seulement du fait

    de

    l'age,

    mais aussi en raison de la faiblesse

    des

    capacit6s

    de d6boursement du

    jeune

    amant. Trois

    figures

    de

    l'etre male

    se dessinent donc. Elles

    r6evlent

    la faiblesse du

    jeune

    et du

    pauvre

    dans la

    competition

    pour

    la jouissance

    que

    controle,

    en

    partie,

    la fille.

    Parallelement a cette construction se

    profile

    la

    figure dujeune

    homme

    de bonne famille. Dans le

    vocabulaire

    courant,

    ce dernier est

    designe par

    les

    filles

    en tant

    que porteur

    des 3V

    (villa,

    voiture,

    virement).

    Ce

    modele

    repose

    sur le

    pouvoir

    de

    d6penser

    de

    l'amant

    en faveur de la

    fille. Dans

    cette

    entreprise,

    l'amant

    est

    soutenu

    par

    un

    reseau

    hedoniste reunissant

    les

    jeunes

    gens

    aises,

    au sein d'un

    arrangement

    oiu

    les

    jeunes

    issus des

    quartiers pauvres

    et

    marginauxjouent

    les

    intermediaires entre

    les

    riches et

    les filles. Le riche

    paie

    la traite

    pour compenser

    les services que le

    pau-

    vre lui rend : la chasse aux

    collegiennes puberes.

    C'est au sein de ces

    reseaux h6donistes

    que

    l'on

    trouve

    par exemple

    les taux les

    plus

    eleves

    de

    consommation des

    cassettes video

    pornographiques.

    II arrive

    que

    dans ces

    reseaux,

    les

    jeunes

    gens

    riches

    regardent

    les films et

    executent

    lesjeux

    6ro-

    tiques

    observes.

    Dans les deux

    cas,

    un

    registre

    de la masculinit6 se

    dessine

    a

    partir

    de

    l'avoir

    et du

    pouvoir

    de

    d6penser.

    Mais le

    regard

    f6minin et les attentes

    des

    filles

    determinent,

    en

    retour,

    le

    poids

    d'etre

    dujeune

    male et

    l'6tendue de

    sa virilite. Cette derniere n'est plus innee. Elle est conferee et, de ce point

    de

    vue,

    forc6ment

    limit6e

    par

    l'autre.

    Homosexualites

    L'on

    assiste

    de

    plus

    en

    plus

    a

    la

    disparition

    de la

    trilogie

    'sexualit6,

    mariage

    et

    vie

    conjugale'.

    D'une

    part,

    il

    devient de

    plus

    en

    plus

    difficile

    pour

    les

    jeunes

    males de

    s'emanciper

    de

    leur

    dependance

    vis-a-vis

    de leurs

    parents.

    D'autre part, de nouvelles conduites sexuelles voient le jour, parmi

    lesquelles

    l'homosexualite. De ce dernier

    point

    de

    vue,

    deux

    figures

    du

    garcon dejoie

    sont

    venues

    s'ajouter

    aux

    figures

    prec6dentes.

    Le

    prototype

    du

    garcon

    de

    joie

    appartenait,

    jusqu'au

    milieu

    des ann6es

    quatre

    vingt,

    a

    une

    cat6gorie

    sociale

    honnie.

    Or,

    depuis

    le debut des

    annees

    quatre-vingt

    dix,

    l'homosexualite

    tend a se

    detacher de la

    venalite et a

    s'imposer

    comme une

    voie

    legitime

    de r6alisation

    sexuelle.

    Certes,

    l'homosexualite male

    est

    encore

    discrete a

    Dakar,

    tout comme

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    13/16

    82 African Studies Review

    elle l'est

    a

    Bamako

    ou

    Addis-Abeba.

    Elle

    se

    localise dans

    la

    commune

    des

    Almadies,

    et,

    de maniere

    plus

    visible

    encore,

    le

    long

    du corridor touris-

    tique

    de la Petite

    C6te

    (Joal,

    Mbour,

    Saly

    Portudal).

    Ici,

    des homosexuels

    locaux

    s'amourachent

    libement,

    au

    vu et au su du

    public.

    Ils sont connus

    du

    public

    sous

    le terme de

    goordjigen

    hommes-femmes).

    Le lesbianisme

    existe

    lui aussi. Un

    jouraliste

    local decrit

    les lesbiennes comme des

    filles

    de

    gros

    bonnets

    revenant

    passer

    des vacances

    au

    pays .

    Elles se

    promenent

    la

    main dans la

    main ,

    se

    caressent,

    s'embrassent

    et se baisent dans les

    boums . Elles

    imitent les femmes blanches

    (Le

    Temoin

    18 avril

    2000).

    L'homosexualite

    male,

    que

    denonce

    regulierement

    la

    presse

    dakaroise,

    va de

    pair

    avec un

    phenomene

    nomm6 le sex machine.Cette

    pro-

    fession

    s'est

    d6veloppee

    sur

    la

    zone c6tiere

    au cours des annees

    quatre-

    vingt

    dix. Un

    jeune

    homme

    d'origine pauvre

    se transforme en

    gar(on

    de

    joie.

    II

    se laisse

    courtiser ou courtise une touriste

    agee

    et lui offre des ser-

    vices

    sexuels en

    6change

    d'un

    peu

    d'affection

    et,

    surtout,

    de

    l'argent pour

    entretenir sa

    famille. La

    plupart

    des sex machinesmettent

    a

    cet

    egard

    a

    prof-

    it

    l'image exotique

    de

    la sexualite noire

    qui prevaut

    en Occident. Les

    artistes

    passent

    pour

    maitres

    dans ce

    jeu

    alors

    que

    les

    moins

    talentueux

    excellent dans l'homosexualit6 venale.

    L'homosexualit6 effective demeure encore une realite sexuelle diffi-

    cile

    a

    penetrer

    aux

    yeux

    des

    jeunes

    citadins.

    En

    effet,

    dans

    l'imaginaire

    sahelo-sahelien,

    toute

    quete

    de

    satisfaction

    sexuelle

    par

    la

    penetration

    du

    penis

    dans

    un

    organe

    autre

    que

    le

    vagin

    reste culturellement consideree

    comme un acte contre-nature.

    Son

    apparition

    et

    son exhibition

    publique

    indiquent

    cependant

    que

    la mutation

    en

    cours n'est

    pas

    accidentelle. Elle

    releve

    d'une

    dynamique pulsionnelle authentique, qui

    va au-dela du

    besoin

    d'argent

    ou

    de la

    simple

    curiosit6. les

    transformations concernant

    le

    rapport

    au

    corps

    l'attestent fortement.

    Du

    corps

    masculin

    Le

    corps

    est desormais travaille comme une oeuvre d'art

    que

    l'on

    embellit

    et

    que

    l'on

    expose.

    Au

    besoin,

    il

    est denude.

    Cet art de l'exhibition croit

    inversement a

    l'implication

    du

    meme

    corps

    dans la

    sexualit6

    active.

    Du

    coup,

    une dissociation

    s'esquisse

    entre la sexualit6 active et

    la

    masculinite,

    la

    oui,jusque

    tres

    recemment,

    la

    sexualite virile

    preoccupait

    les

    generations

    precedentes

    (Warnier 1993; Caldwell et al.

    1991).

    Dans cette

    quete

    plas-

    tique

    du

    corps

    male,

    les attitudes de

    retenue

    qui

    scandaient la

    preparation

    au

    plaisir

    sexuel des

    generations

    precedentes

    ont

    aussi

    disparu.

    Les

    jeunes

    gens

    passent

    le

    plus

    clair de leur

    temps

    dans

    la

    rue,

    assis sur des bancs

    ou

    a

    l'ombre

    d'un

    arbre,

    ou

    encore dans les

    jardins

    publics,

    devisant

    ou

    partageant

    du th6

    ou de

    la

    cigarette.

    Le

    corps

    est

    pare

    de maniere

    a

    etre

    expose

    au

    regard

    des

    passants

    :

    la

    coupe

    de

    cheveux,

    le

    port

    des

    habits et

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    14/16

    Les

    plaisirs

    de la ville

    83

    l'attitude

    rapper

    ont

    conformes aux

    nouvelles

    vagues

    du monde.

    Autant le

    jeune

    male met de

    l'energie

    et du

    temps

    a se

    parer,

    autant il

    deconstruit l'univers

    de la masculinite ancienne

    caracterisee

    par

    la chasse

    aux filles . Le

    corps astique

    et

    expose

    est un

    corps quasi-immobile,

    inerte

    et sans erection.

    Peu,

    dans

    la

    parentele, s'inquietent

    desormais,

    comme

    dans le

    passe,

    de l'inertie sexuelle

    du

    jeune

    male. Les

    stimulations sex-

    uelles d'autrefois

    tendent a ceder la

    place

    au

    voyeurisme

    que

    comble

    l'ex-

    position

    du

    corps

    feminin

    nu.

    Aujourd'hui,

    tout le monde est

    pr6occup6

    parla

    crise ,

    raconte ce

    jeune

    homme.

    Les

    femmes,

    c'est

    quand

    on

    peut.

    La chasse

    aux

    filles,

    c'est demode .

    Le

    voyeurisme, par

    contre, ne se limite

    plus

    a la circulation

    plus

    ou

    moins clandestine des cassettes video

    pomographiques.

    Certaines boites

    de nuit

    organisent

    desormais

    des seances

    de nus.

    Ainsi,

    en

    l'an

    2000,

    la

    boite de nuit

    5/5

    organisait

    un concours

    du

    plus grand

    et

    plus propre

    sexe

    feminin

    dans la

    localite balneaire

    de

    Mboro

    situee

    a une centaine de

    kilometres de Dakar. Ce

    concours

    avait

    attir6 des

    gens

    de

    partout.

    Ils

    etaient

    venus

    admirer la

    nudite

    des

    femmes.

    Sollicitee

    par

    des

    plaignants,

    la

    justice

    a condamne

    avec

    sursis le

    tenancier non

    pour

    avoir

    organise

    le

    spectacle,

    mais

    pour

    avoir

    laisse des mineurs

    y

    assister. Des scenes

    plus

    ou

    moins similaires, bien que moins formalisees, se passent dans d'autres

    boites

    de nuit a Dakar. C'est le cas au

    Kili

    ou au

    Sahel

    ofu,

    au

    rythme

    du

    lem-

    beul,

    l'on

    peut

    voir,

    episodiquement,

    des

    hommes et

    des femmes se

    debrouiller

    dans

    des coins

    sombres,

    sous

    l'instigation

    des danseuses .

    C'est tres chaud.

    C'est connu.

    Mais

    c'est tres

    cher ,

    ajoute

    l'interviewe.

    En

    effet,

    les droits

    d'entree s'elevent

    a 3000

    francs CFA.

    L'engouement pour

    le

    voyeurisme

    se traduit

    par

    la

    proliferation

    des

    danses

    paillardes.

    Les

    principales

    sont le Ndombolo

    (Congo),

    le

    Lembeul

    (Senegal)

    et le

    Mapouka

    Serre.

    Ces

    nouvelles

    danses sont

    trans-regionales.

    Elles sont toutes ex6cutees avec un genie 6rotique particulierement per-

    vers,

    notamment

    parmi

    les

    pauvres (Biaya

    & Bahi

    1996).

    Dans les

    bars de

    Colobane

    ou

    de

    Yopougon,

    les filles

    dejoie

    entrent et sortent des d6bits

    de

    boisson,

    en attendant

    minuit

    pour

    s'envoler vers

    les

    quartiers

    riches. Mais

    les danses

    paillardes

    ne

    sont

    plus,

    comme

    autrefois,

    accompagnees

    de rec-

    its

    egrillards.

    Les concours d'6rection

    rapide

    jadis

    observes

    parmi

    les

    jeunes

    garcons,

    la mesure des dimensions

    du

    penis,

    le

    decompte

    du nom-

    bre

    d'ejaculations

    et

    du

    temps

    mis a

    copuler

    ne

    font

    plus partie

    de

    l'arse-

    nal

    verbal

    ou du

    code

    d'honneur

    de la

    masculinite

    (Ly

    1999).

    A

    cette

    forme de c6elbration de la virilite et au culte du phallus qui en est le corol-

    laire ont

    succede d'autres modalites de relation au

    corps.

    Les choses se

    passent

    desormais comme si la chaine de transmission

    des

    experiences

    de

    la

    sexualite s'etait

    brutalement

    rompue.

    Les

    nouveaux r6cits sont domines

    par l'imaginaire

    du

    voyage

    en

    Occident,

    cet Eldorado

    postcolonial.

    Une

    sexualite froide s'est

    installee,

    oiu

    le

    calcul feminin

    coexiste,

    parfois

    con-

    flictuellement et

    parfois

    en

    complicit6,

    avec l'instrumentalisme male.

  • 8/16/2019 Biaya, Les Plaisirs de La Ville (2001)

    15/16

    84 African

    Studies

    Review

    Conclusion

    A

    travers cette

    etude,

    je

    viens

    de montrer

    que

    les

    voies

    anciennes du

    devenir

    male

    sont d6sormais

    bouchees.

    Par

    contre,

    de

    nouveaux

    imagi-

    naires de la masculinite sont

    en cours de formation

    dans

    les

    metropoles

    africaines.

    Ces

    nouveaux

    imaginaires

    s'inventent a

    partir

    de tentatives

    d'ac-

    caparement

    des lieux de

    loisirs

    par

    les

    jeunes;

    et

    par

    la

    creation,

    notam-

    ment

    par

    les

    jeunes

    filles

    et les

    nouvelles

    elites,

    de

    nouveaux

    objets

    de la

    sexualite. Les nouvelles

    formes

    de

    l'economie

    de la

    sexualite

    en

    general

    et

    de

    l'economie

    libidinale en

    particulier

    se

    caracterisent

    par

    d'intenses

    negociations,

    des conflits et des

    compromissions

    entre hommes d'une

    part;

    puis

    entre hommes et femmes d'autre

    part.

    Pour

    lesjeunes gens

    en

    partic-

    ulier,

    la

    difficulte d 'etre

    homme se situe desormais

    au-dela

    des

    delices

    du

    lit. Loin

    des

    ideologies

    de la

    victimisation,

    les

    jeunes

    filles

    operent

    desor-

    mais dans

    l'espace

    urbain comme

    des

    actrices sociales

    a

    part

    entiere,

    et

    comme des

    sujets

    conscients de leur

    propre

    valeur et du

    poids

    de

    l'ero-

    tisme

    qu'elles

    contr6lent.

    Desormais,

    ce sont

    ces

    ressources

    erotiques-

    dont

    la seduction constitue

    l'une

    des armes

    decisives-plus

    que

    le

    mariage

    ou la

    maternit6,

    qui

    les aident

    a

    se

    positionner

    dans un

    champ

    social dom-

    ine

    par

    le besoin

    d'argent.

    La

    recherche en

    vue

    de

    cette etude

    a

    ete effectuee a Dakar entre

    1997

    et

    2000.

    Achille Mbembe m'a

    encourage

    a

    explorer

    ces

    questions

    et a cri-

    tique

    des versions

    successives

    de ce texte.

    J'ai egalement

    beneficie

    des

    avis

    de Momar Coumba

    Diop,

    Ousseynou Faye,

    Abdoulaye

    Thierno

    Ly,

    et des

    participants

    au seminaire sur les

    Transformations de la

    sexualite

    dans

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