Post on 16-May-2023
L’invention de la philosophie américaine comme invention
de soi : Ralph Waldo Emerson
Par Isabelle Alfandary
Philosophe, Directrice de programme au Collège international de philosophie,
professeur de littérature américaine à l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
L’une des raisons pour lesquelles l’œuvre emersonienne est peu reconnue comme
philosophique tient à ce que celle-ci ne fait pas d’effort particulier pour se dégager
de la littérature, ni même pour la tenir en respect. A la différence de la tradition
métaphysique occidentale fondée par Platon, la tradition de pensée dont Emerson
est le chef de file ne fait pas de la séparation avec les lettres son acte fondateur. Le
transcendantalisme appelle tout au contraire la littérature américaine de ses vœux
en même temps que la philosophie américaine, dans une convocation et un espace-
temps communs.
Dans l’expérience de vie et de pensée qu’inaugure Emerson, l’écriture de la
littérature ne se distingue pas de l’écriture de la philosophie. Le genre du discours
n’est pas conçu de manière apriorique ; c’est l’expérience de la pensée dans la
langue qui façonne le texte à-venir et semble en déterminer le genre pratiquement
dans l’après-coup de sa rédaction. Les sermons laïcs qu’il délivre échappent à tout
classement générique, relèvent d’un genre sans nom à mi-chemin entre parole et
écriture, littérature et philosophie. La nature du discours n’y est pas définie; le mot
de « philosophie » même, dans sa bouche, sous sa plume, est rare et presque
incongru. La philosophie américaine telle que la fonde, — l’in-fonde, l’invente au
sens étymologique du terme — Emerson entend demeurer dans des limbes pré-
philosophiques, à mi-chemin entre poésie et discours de l’entendement.
La philosophie emersonienne procède d’un geste paradoxal d’appropriation et de
co-(n)naissance de la philosophie et de la littérature, d’une philosophie travaillée
par l’expérience de l’écriture et de la lecture. Poète et penseur américain de la
première moitié du XIXème siècle, comme disent pudiquement les dictionnaires,
Emerson fut le fondateur d’une tradition dont la singularité était d’être nationale
avant même que d’être disciplinaire.
Fondation sans fondement
En rupture avec la tradition européenne et sa philosophie, le projet emersonien est
d’inventer une tradition sans fondement susceptible d’épouser la surface immense
et d’ailleurs non encore complètement explorée du continent américain.
L’Amérique s’en trouve hypostasiée comme territoire vierge, douée d’une langue
sans archive. Elle se conçoit comme pure surface, sans profondeur, dénuée de
sédiment, de soubassements, sol dont le sous-sol est foulé pour être mieux refoulé.
La question du territoire américain d’avant les Etats-Unis, qui semble éclipsée au
passage, n’est d’ailleurs pas sans poser certains problèmes historiographiques
considérables.
Le philosophe péripatéticien (« O circular philosopher » dit Emerson dans
« Circles », 235) invente l’Amérique dans ses pérégrinations, lui donne lieu sous
l’effet même de ses va-et-vient. Philosophe de la « circonférence »
(« circumference »), pour l’appeler d’une image chère à sa contemporaine Emily
Dickinson, il donnait plusieurs centaines de « lectures » par ans dans tous les lieux
du commun américain, de l’église, à l’école en passant par la maison commune. La
tradition de la philosophie américaine qui s’inaugure avec lui se veut philosophie
de la déambulation, et ce dans tous les sens du terme, philosophie en mouvement
aussi bien que philosophie insituable et intenable. Il y va du territoire comme de la
langue américaine. Variation de l’anglais, celle-ci relève d’une inflexion assez
difficilement identifiable, version mineure de l’anglais britannique, paradigme de
langue coloniale, langue dont l’autonomie est, sinon inextricable, du moins sans
cesse à regagner sur l’anglais. L’œuvre emersonienne peut d’ailleurs être dite
mineure à plus d’un titre: n’étant pas pleinement reconnue comme œuvre
philosophique, elle est relativement méconnue comme œuvre littéraire, située à mi-
chemin entre le dit et l’écrit.
Politique et éthique, le geste emersonien, réitéré au point de confiner presque en
une geste, consiste à proclamer la rupture du lien avec l’Europe, y compris avec les
divisions disciplinaires et les genres littéraires de la tradition européenne, du
cordon ombilical qui empêche l’Amérique de naître à soi. Se défaire de l’Europe
est un geste de désappropriation, un geste qui récuse la propriété en tant qu’elle
nous lie/lit. Cette conscience aigüe de la violence aliénante qui nous constitue est
l’une pierres angulaires de la philosophie emersonienne. La question qui se pose à
l’Américain est de savoir comment se défaire de cette part de lui-même, de cette
part européenne héritée, cette part qui lui est propre donc, mais qu’il récuse au
motif qu’elle recèle une étrangereté qui le limite et l’empêche, une étrangèreté de
surcroît qu’il n’a pas choisie. Le propre se conçoit paradoxalement chez Emerson
comme une étrangèreté interne, comme la part de l’autre en nous qui empêche le
moi, c’est-à-dire l’Américain, le génie, d’advenir. Un conflit de nationalité intime,
d’appropriation nationale de l’incorporel, d’une appropriation de soi par soi que n’a
pas résolu la Guerre d’indépendance, est en jeu dans la position énonciative et le
projet philosophique emersoniens.
Supplément d’Amérique
L’incipit de Nature, introduction au seul livre de philosophie jamais écrit par
Emerson et publié en tant que tel (1836), pose les termes du conflit :
Our age is retrospective. It builds the sepulchres of the fathers. It writes
biographies, histories, and criticism. The foregoing generations beheld God and
nature face to face; we through their eyes. Why should we not also enjoy an
original relation to the universe? Why should we not have a poetry and a
philosophy of insight and of tradition, and a religion by revelation to us, and not
the history of theirs? Embosomed for a season in nature, whose floods of life
stream around and through us, and invite us, by the powers they supply, to action
proportioned to nature, why should we grope among the dry bones of the past, or
put the living generation into masquerade out of its faded wardrobe? The sun
shines to-day also. There is more wool and flax in the fields. There are new lands,
new men, new thoughts. (Nature, 35)
L’adverbe autour duquel tourne ce passage si souvent commenté est l’adverbe qui
exprime le supplément en anglais : also (aussi). La philosophie américaine naît de
la possibilité du surplus, de la possibilité qu’offre littéralement la survenue du jour.
C’est de ce que le soleil brille aussi, encore, toujours aujourd’hui que l’Amérique
en tant qu’œuvre tire sa raison d’être. Une raison d’être qui, contre toute attente
théologico-politique, n’engage pas l’intervention d’une quelconque nécessité
téléologique, ne manifeste pas même la réalisation d’une volonté eschatologique.
Le présent, cette temporalité de l’actuel, est par surcroît. C’est ce surcroît qui suffit
à justifier l’Amérique et sa revendication d’autonomie. « The sun shines to-day
also » : le surcroît dont il s’agit n’était pas nécessairement prévu, ni même
prévisible, mais il a lieu, il existe et son existence ne peut être déniée. L’existence
américaine sous le soleil conçue comme surcroît phénoménologique et historique
appelle et justifie conjointement une poésie et une philosophie américaines: « Why
should we not enjoy also an original relation to the universe ? Why should not we
have a poetry and a philosophy of insight and not of tradition, and a religion by
revelation to us, and not the history of theirs?”
“The sun shines today also”: cet énoncé dont l’intertexte biblique affleure fait écho
à la métaphore du soleil de la Vérité platonicienne. Le soleil n’est pas une allégorie
philosophique comme les autres et Emerson le sait parfaitement qui traite du soleil
de la Vérité comme d’un actuel, hic et nunc. Le soleil emersonien qui n’a rien à
envier au soleil héllenique est l’allégorie de l’expérience du propre et non le
symbole de la Vérité idéelle sub specie aeternitatis aux rayons duquel le
philosophe platonicien, tiré malgré lui de sa caverne où il coulait des jours obscurs
et heureux, se brûle les yeux[1]. Le soleil est pour Emerson l’astre du jour présent
plutôt que l’astre de la vérité intemporelle, l’astre de la présence à soi comme
condition de possibilité de toute expérience, d’une actualité dont nul ne peut faire
l’économie.
Expérience américaine
Le traité de métaphysique qui s’introduit par la métaphore du soleil ainsi
revendique son originalité, l’originalité d’une expérience inséparable de l’existence
américaine. Cependant l’Amérique y acquiert d’emblée une dimension
paradigmatique qui excède les confins d’un territoire, pour devenir le nom d’une
expérience souveraine et nouvelle : l’expérience du pur présent. Le plus frappant
dans une telle revendication d’originalité est que celle-ci se postule comme an-
originaire, comme oublieuse de son origine. Pour se constituer en expérience du
monde singulière, la philosophie américaine doit rompre les amarres de l’histoire
de la métaphysique. Sans coupure épistémologique, aucune expérience originale
n’est possible. Qu’est-ce à dire ? Qu’un lieu originaire inhibe, empêche au point de
persécuter, travestit l’expérience, la surdétermine. L’Europe est le nom de ce lieu
réel qui exerce ainsi que se la représente Emerson une emprise imaginaire bien au-
delà de ses frontières et de ses discours. L’Amérique a conquis par un speech act
retentissant son indépendance en 1776. Mais la Déclaration d’indépendance n’a pas
suffi à affranchir les esprits d’une dépendance morale et idéologique persistante
dans l’histoire des idées et de la littérature américaines.
Standing on the bare ground, — my head bathed by the blithe air and uplifted into
infinite space, — all mean egotism vanishes. I become a transparent eyeball; I am
nothing; I see all; the currents of the Universal Being circulate through me; I am
part or parcel of God. The name of the nearest friend sounds then foreign and
accidental: to be brothers, to be acquaintances, master or servant, is then a trifle
and a disturbance. I am the lover of uncontained and immortal beauty. In the
wilderness, I something more dear and connate than in streets or villages. In the
tranquil landscape, and especially in the distant line of the horizon, man beholds
somewhat as beautiful as his own nature. (Nature, 39)
Le propre est à gagner sur soi : ce dont le moi doit se dégager pour advenir à son
ipséité se rencontre dans la nature américaine (« In the wilderness »). L’expérience
de réunion avec le divin, divin qu’il est difficile de démêler de la nature, est une
expérience paradoxale de dépossession du familier comme condition d’assomption
du moi. La défamiliarisation qui marque l’expérience de l’extase est perte des
repères, perte des noms des êtres chers et familiers, des membres de la famille. Le
moi emersonien est sans commune mesure avec le domestique ou le familial : il se
rencontre au bout du pré, dans l’espace du « bare common », mais cet espace est le
lieu d’une expérience de défamiliarisation radicale et littérale.
Soustraction du monde et suspension de l’Alliance
Les autres sont une source d’interférence dans la rencontre avec le divin : ils
m’empêchent dans la communion avec moi-même, me dérangent dans mon
commerce interne. L’appropriation de soi passe singulièrement par un rejet, un
oubli, une négligence, une révocation de tous les liens, fussent-ils les liens les plus
naturels, les plus sacrés. Il faut pouvoir s’affranchir de toutes nos attaches pour
advenir à soi-même.
Pasteur défroqué, Emerson n’hésite pas à prôner la rupture des alliances même
consacrées par l’Eglise. Aucune forme d’appartenance ne doit faire obstacle à
l’expérience de soi. C’est ce qui justifie de s’autoriser à s’abstraire de tout lien, à
révoquer toute forme d’alliance: « I shun father and mother and wife and brother
when my genius calls me. I would write on the lintels of the door-post, Whim. I
hope it is somewhat better than whim at last, but we cannot spend the day in
explanation » (Self-Reliance, 179). C’est le manque de temps (“but we cannot
spend the day in explanation”), l’urgence dans laquelle se trouve le moi qui oblige
l’individu à rompre dans un geste souverain et sans appel tous les engagements.
Notons au passage que le motif jour (« the day ») qui insiste semble se proposer
comme unité de mesure de la réalité américaine et fait écho à l’aujourd’hui (to-day)
supplémentaire de l’introduction à Nature.
Le génie dont parle Emerson se manifeste sous les auspices d’une figure de
rhétorique, celle de la prosoposée[2]. Le génie est la voix qui appelle de l’intérieur,
qui convoque le moi au rendez-vous avec lui-même. Emerson fait parler une
abstraction, celle du « self », que l’on ne traduit qu’imparfaitement en français par
« moi » où il tend à prendre une connotation psychologique. Le moi dont il s’agit
s’entend comme individu, instance séparée, issue d’une division qui laisse indivis.
En droit latin, l’indivision est une notion juridique consubstantielle au concept de
propriété. Elle est la qualification juridique d’un bien qui appartient à un ensemble
de personnes, sans que l’on puisse le répartir en lots entre elles, ni qu’elles puissent
en vendre leurs parts sans l’accord des autres. L’indivision peut se penser comme
critère de la propriété. Elle s’entend comme ce qui ne peut être divisé plus avant.
Est dit indivis, ce qui ne peut être séparé de soi. C’est de ce type d’indivision dont
relève l’individu emersonien.
What I must do is all that concerns me, not what people think. This rule, equally
arduous in actual and intellectual life, may serve for the whole distinction between
greatness and meanness. It is the harder because you will always find those who
think they know what is your duty better than you know. It is easy in the world to
live after the world’s opinion; it is easy in solitude to live after our own; but the
great man is he who in the midst of the crowd keeps with perfect sweetness the
independence of solitude. (Self-Reliance, 181)
La solitude n’est pas un état de fait, mais une condition vers laquelle il s’agit de
tendre, dont il faut susciter la condition de possibilité en soi. Elle est tout sauf
donnée : quand même l’on se croit seul, l’on est encore hanté par des forces que
l’on peut méconnaître, manquer de percevoir ou de reconnaître : « To go into
solitude, a man needs to retire as much from his chamber as from society. I am not
solitary whilst I read and write, though nobody is with me. But if a man would be
alone, let him look at the stars. The rays that come from those heavenly worlds will
separate between him and what he touches” (Nature, 37).
La solitude comme condition de l’individu au sens où l’entend Emerson est le
produit d’une soustraction, d’un retrait, d’une retraite, d’une rupture des liens qui
nous lient immédiatement, symboliquement au monde, d’un oubli des lois qui nous
ont été transmises, des alliances qu’on a pu contracter. Fuir la famille, suspendre
l’Alliance relèvent d’impératifs dont on comprend qu’ils sont hyperboliques.
L’hyperbole n’en donne pas moins le ton de la relation de l’individu au monde. La
désappropriation du monde conçu comme complexe d’intersubjectivité aussi bien
que comme espace-temps phénoménologique est un double impératif proclamé tout
au long de l’essai : « No law can be sacred to me but that of my nature » (Self-
Reliance, 179). Dans « Self-Reliance », Emerson envisage noir sur blanc la
suspension sacrilège entre toutes : « I shun father and mother » entre en conflit avec
le premier commandement du Décalogue. Suit la mention de l’alliance
matrimoniale (« wife ») consacrée devant Dieu.
Il semble qu’Emerson aille plus loin encore dans la mention des linteaux de la porte
d’entrée. L’ex-pasteur unitarien fait alors référence au commandement divin relatif
à la mezouzah (qui signifie en hébreu « poteau de porte ») qui consiste en un
rouleau de parchemin comportant deux passages bibliques, emboîté dans un
réceptacle, et fixé au linteau (ou aux poteaux) des portes d’un lieu d’habitation
permanente[3]. En lieu et place du commandement divin, du commandement des
commandements, Emerson substitue rien moins que le caprice (« whim »).
Le caractère d’arbitrarité dont relève ce caprice signe la souveraineté
incommensurable du moi. Par la reconnaissance d’une telle motion intime, et
provisoirement mise à la place de la Loi mosaïque, le moi fait l’expérience de lui-
même comme instance indivise, non négociable, non justifiable au-delà de sa
déclaration. L’hyperbole dont l’ancien pasteur mesure la charge blasphématoire
répond à la nécessité impérieuse développée dans les pages qui ont précédé de faire
entendre la primauté de la Loi interne, une loi aussi sacrée qu’injustifiable. Tout
comme la réalité américaine, le moi est sans fondement : il ne se fonde qu’à se
déclarer, et se reconnaitre pour ce qu’il est. Il s’invente au sens littéral du terme: se
découvre à lui-même en s’énonçant. Emerson s’empresse toutefois d’ajouter
comme pour limiter la portée du blasphème: « I hope it is somewhat better than
whim at last, but we cannot spend the day in explanation ». Dans ce mouvement
bien humain, trop humain, d’exaspération et d’urgence devant ce qui ne peut se
justifier se trouve la clé de lecture du whim. Ce qui peut passer pour une motion
arbitraire se justifie pleinement du point de vue de la relation de l’individu à lui-
même. Or cette loi qui a sa légitimité propre, cette légitimité qui vient du propre, ne
veut pas, ne peut pas se justifier. Le risque auquel s’expose alors l’individu n’est
rien moins que l’hubris, l’un des sept péchés capitaux. La Loi qui gouverne le moi
ne peut être un sujet de conversation, d’explication, encore moins l’objet d’une
justification.
Conversion à soi
Le texte de l’essai reprend en plusieurs occasions la séquence familiale,
domestique, la séquence des figures du prochain selon différentes déclinaisons :
« But your isolation must not be mechanical, but spiritual, that is must be elevation.
At times the whole world seems to be in conspiracy to importune you with
emphatic trifles. Friend, client, child, sickness, feat, want, charity, all knock at once
at thy closet door and say –‘Come out onto us.’ But keep thy state, come not into
confusion” (Self-Reliance, 192). L’énumération qui signe le style émersonien
s’étoffe pour faire la place à tous les visages de l’altérité qui redéfinissent le mode
d’assujettissement du moi.
Il y a dans ces lignes une proposition de subjectivation qui consonne comme par
anticipation avec la notion foucaldienne du « souci de soi ». Ce sur quoi Emerson
met l’accent dans une liste qui frise la dissociation subjective n’est pas étranger à la
lecture que propose Michel Foucault dans L’usage des plaisirs. L’enjeu de la
confiance en soi est la relation que l’individu instaure à l’égard de lui-même, à
travers des modes de subjectivation neufs et spécifiques. Le souci de soi est l’autre,
le double de la confiance en soi. Dans la notion de « self-reliance », ce qui s’énonce
n’est pas tant le fait de s’accorder une confiance que de se reposer sur soi-même.
« Trust thyself » (Self-Reliance, 177) : la relation qui s’instaure sous l’effet d’un
speech act ou la réponse à une injonction est celle par laquelle le sujet se soutient
de lui-même. La confiance en soi est une opération performative, un acte qui
effectue le sujet, le soi, lui donne lieu à l’occasion d’une expérience inaugurale. La
« conversion à soi »[4] dont parle l’auteur l’Usage des plaisirs n’est pas étrangère
au geste emersonien. Le reniement du monde, la révocation du lien, le déni de
l’autre, fût-il en soi, est la condition de l’assomption du sujet. La confiance en soi
comme soutien de soi relève d’une praxis subjective inséparable d’un speech act
auto-fondateur. Les nombreux impératifs qui parsèment l’essai ne se lisent pas
simplement comme des injonctions morales répétées, mais également comme les
énoncés auto-réalisant d’une subjectivité inséparable de sa performance réitérée.
Car cette subjectivité n’est jamais gagnée à elle-même une fois pour toutes, elle est
sans cesse aux prises avec les empêchements, les interférences qui la guettent, et la
font sombrer dans l’oubli de soi. Le passage dans lequel Emerson enjoint le lecteur
se déprendre de ses besoins est édifiant: « Friend, client, child, sickness, feat, want,
charity, all knock at once at thy closet door and say –‘Come out onto us.’ But keep
thy state, come not into confusion ». Il ne s’agit plus tant ici de fuir mais de se
retrancher à l’intérieur du cabinet du moi (« thy closet door »).
A cette séquence dont on comprend qu’elle écrase toute distinction hiérarchique
(« Friend, client, child »), qui semble dénier à la réalité de l’expérience sa force
(sickness, want), fait suite la glose suivante :
Say to them, ‘O father, O mother, O wife, O brother, O friend, I have lived with you
after appearances hitherto. Henceforward I am the truth’s. Be it known unto you
that henceforward I obey no law less than eternal law. I will have no covenants but
proximities. I shall endeavor to nourish my parents, to support my family, to be the
chaste husband of one wife – but these relations I must fill after a new and
unprecedented way. I appeal from your customs. I must be myself. I cannot break
myself any longer for you, or you. (Self-Reliance, 193)
Cette nouvelle alliance (« a new and unprecedented way ») qui n’est pas sans
certains échos abrahamiques et se renégocie dans ces pages s’inaugure par une
révocation des liens antérieurs qui unissaient le moi au monde. C’est du proche, du
prochain, du propinquus qu’il s’agit. Ces liens qu’Emerson veut bien honorer, ces
obligations qu’il se reconnaît mais sans qu’elles relèvent d’un contrat,
(« convenant » est le vocable qui désigne également l’Alliance avec Dieu) ces
obligations que le sujet se reconnaît sont des obligations de voisinage, des relations
métonymiques. L’autre dans la philosophie emersonienne semble toujours
réductible à la figure par ailleurs ancrée dans le territoire, dans l’ethos de la Jeune
Amérique, celle du voisin. La raison de cet engagement paradoxal, presque
contrarié, est criante : « I must be myself. I cannot break myself any longer for you,
or you”.
Impératif catégorique
Le propre est donc l’objet constant d’un partage, d’un départ, d’une séparation. Ce
que le moi sait de lui-même, il ne peut ni doit le taire quelles que soient les
idiosyncrasies, les inconsistances toutes apparentes que cela emporte :
To believe your own thought, to believe that what is true for you in your private
heart is true for all men, — that is genius. Speak your latent conviction, and it shall
be the universal sense; for the inmost in due time becomes the outmost, and our
first thought is rendered back to us by the trumpets of the Last Judgment. Familiar
as the voice of the mind is to each, the highest merit we ascribe to Moses, Plato and
Milton is that they set at naught books and traditions, and spoke not what men, but
what they thought. A man should learn to detect and watch that gleam of light
which flashes across his mind from within, more than the luster of the firmament of
bards and sages. Yet he dismisses without notice his thought, because it is his.
(Self-Reliance, 176)
Plus qu’une vertu, l’affirmation de soi acquiert le statut d’impératif catégorique qui
ne contredit d’ailleurs pas la maxime kantienne mais s’avère de facto compatible
avec elle : « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux aussi vouloir
que cette maxime devienne une loi universelle ». Le moi emersonien n’a d’autre
visée que de transformer la conviction intime en sens universel, de faire partager le
plus grand secret. L’infidélité s’en trouve élevée au rang de vertu : la vie de l’esprit,
l’histoire intellectuelle est à ce prix. Emerson a le souci de rappeler son lecteur aux
conditions de genèse des œuvres canoniques. Alors qu’il défend son auditoire
d’imiter les génies, il martèle que ce qui fait la singularité de toute œuvre, fût-elle
l’œuvre de Shakespeare, est qu’elle ne procède que d’elle-même, ne se doit, ne
répond qu’à elle-même.
L’individu doit constamment lutter pour ne pas écarter le moi mais l’autre, y
compris l’autre que recèle le moi, pour préférer renoncer aux liens plutôt qu’aux
bénéfices à sa constitution propre. La dévaluation systématique de la pensée du
moi, la dévalorisation de ce qui lui vient, ce qui lui revient est une tendance lourde
qui inspira Friedrich Nietzsche, grand lecteur d’Emerson, dans sa Généalogie de la
morale. La question de savoir pourquoi la pensée de l’autre a plus de majesté que la
sienne propre reste entière : « No law can be sacred to me but that of my nature.
Good and bad are names but readily transferable to that or this; this only right is
what is after my constitution; the only wrong what is against it” (Self-Reliance,
179).
Pourquoi avancer le concept de « self-reliance » ? Ce qui fait pivot dans l’essai et
dans la philosophie emersoniennes ne se résout pas tout entier dans une
interprétation de type pragmatique ou psychologique. Nous voudrions tenter de
prendre la self-reliance au sérieux, sinon à la lettre philosophique qui la sous-tend.
Principe de contradiction
Après sa critique radicale du conformisme, Emerson envisage dans un second
temps de l’essai une situation hyperbolique qui intéresse le moi dans son rapport à
lui-même :
The other terror that scares us from self-trust is our consistency; a reverence for
our past tact or word because the eyes of others have no other data for computing
our orbit than our past acts, and we are loth to disappoint them.
But why should you keep your head over your shoulder? Why drag about this
corpse of your memory, lest you contradict somewhat what you have stated in this
or that public place? Suppose you should contradict yourself; what then? It seems
to be a rule of wisdom never to rely on your memory alone, scarcely even in acts of
pure memory, but to bring the past for judgment into the thousand-eyed present,
and live ever in a new day. In your metaphysics you have denied personality to the
Deity, yet the devout motions of the soul come, yield to hem heart and life, though
they should clothe God with shape and color. Leave your theory, as Joseph his coat
in the hand of the harlot, and flee.
A foolish consistency is he hobgoblin of little minds, adored by little statesmen and
philosophers and divines. With consistency a great soul has simply nothing to do.
He may as well contradict himself with his shadow on the wall. Speak what you
think now in hard words and to-morrow speak what to-morrow thinks in hard
words again, though it contradict every thing you said to-day. –‘Ah, so you shall be
sure to be misunderstood’.—Is it so bad then to be misunderstood? Pythagoras was
misunderstood, and Socrates, and Jesus, and Luther, and Copernicus, and Galileo,
and Newton, and every pure and wise spirit that ever took flesh. To be great is to be
misunderstood. (Self-Reliance, 183)
L’obligation dans laquelle chacun croit se trouver de se tenir à sa parole n’est pas
d’ordre logique (« consistency ») mais intersubjective. Le moi tient sa parole contre
vents et marées, y compris dans le secret de l’entretien avec soi, sous l’effet de
l’injonction de l’autre. En m’obligeant à ne pas me contredire, je réponds sans le
savoir à la demande de l’autre en tant que je la reprends à mon compte, en tant que
je l’ai intériorisée. La désappropriation de l’autre en moi va jusqu’à cette extrémité
qui consiste le cas échéant à renier ma parole propre, à revenir sur l’engagement
que ma parole constitue. Le moi emersonien ne tolère ni alliance, ni engagement
qui ne soit suspensif, révisable : toute ob-ligation y compris interne doit être
susceptible d’être dénoncée sans autre forme de procès. Le moi n’a à répondre de
lui-même devant aucune instance transcendante, fût-elle le moi.
L’on pourrait objecter à l’apparente contradiction qu’une telle proposition semble
recéler. Cependant ce n’est pas la loi de ma nature qui m’oblige à la cohérence
interne. Ce que je tiens pour une règle d’identité logique et que je crois devoir
m’appliquer à moi-même procède de l’intériorisation de la tyrannie intersubjective
qui me fait passer à mes propres yeux pour une instance constante et responsable.
Ce à quoi l’essai engage sa propre personne et partant son lecteur est la
fuite comme forme de désappropriation radicale: fuyez père et mère, frère et
femme, fuyez la théorie, y compris et surtout la vôtre propre. Le moi n’est pas tenu
par le principe de non-contradiction de la logique aristotélicienne dont on découvre
au passage une dimension moralisante impensée. Le mouvement d’abandon de
l’autre sous toutes ses formes, quelles que soient les modalités d’obligations qui
nous lient est la condition de possibilité de la confiance en soi. « Deviens qui tu
es » : cet impératif que Nietzsche disait avoir lu dans l’Ode Pythique de Pindare[5]
pourrait bien lui avoir été tout droit inspiré d’Emerson.
Le présent, temporalité américaine
« It seems to be a rule of wisdom never to rely on your memory alone, scarcely
even in acts of pure memory, but to bring the past for judgment into the thousand-
eyed present, and live ever in a new day » : la temporalité du jour nouveau, qui fait
écho au surcroît de présent de l’introduction de Nature, lie ensemble l’assomption
d’un moi et d’une philosophie américaine, d’un sujet américain inséparables de ses
œuvres aussi supplémentaires qu’indéniables.
Le présent est la temporalité américaine par excellence, un temps dont Emerson
regrette aussi bien dans Nature que dans « Self-Reliance » qu’il soit délibérément
manqué :
Man is timid and apologetic; he is no longer upright; he dares not say ‘I think,’ ‘I
am,’ but quotes some saint or sage. He is ashamed before the blade of grass or the
blowing rose. The roses under my window make no reference to former roses or to
better ones; they are for what they are; they exist with God today. There is no time
with them. There is simply the rose; it is perfect in every moment of its existence.
Before a leaf-bud has burst, its whole life acts; in the full-blown flower there is no
more; in the leafless root there is no less. Its nature is satisfied and it satisfies
nature in all moments alike. But man postpones or remembers; he does not live in
the present, but with reverted eyes laments the past, or, heedless of the riches that
surround him, stands on tiptoe to foresee the future. He cannot be happy and
strong until he too lives with nature in the present, above time (Self-Reliance, 189)
La métaphore de la rose renvoie à celle du soleil et figure le temps présent, le temps
de la pure présence insouciante, inconsciente ; le présent devient le temps de
l’abolition du temps dans l’instantanéité reconduite de ce qu’Emerson nomme
« Spontaneity or Instinct » (Self-Reliance, 187). Cette métaphore est curieusement
introduite par une référence intertextuelle à un texte canonique de l’histoire de la
métaphysique dont Emerson ne mentionne pas la source. Le philosophe américain
semble faire de facto le contraire de ce qu’il recommande : « I think » « I am » est
une citation d’un penseur dont Emerson tait le nom et tronque l’énoncé (en
l’absence de « therefore »). A moins que l’on ne considère qu’en ne rendant pas à
Descartes ce qui lui appartient (« some saint or sage »), Emerson se réapproprie
subrepticement l’expérience inaliénable que sous-tend ces énoncés. Comme les
roses sous sa fenêtre, les propositions de la langue et de la pensée sont libres de
droits : elles ne font pas référence à d’autres roses, d’autres propositions, elles
existent par elles-mêmes, pour elles-mêmes dans une indifférence souveraine. La
philosophie américaine qui s’inaugure est celle de l’hic et nunc de la rose, de la
réitération de propositions déchaînées de toute autorité, celle du soleil qui se lève
aujourd’hui aussi, qui pose la philosophie comme exercice et expérience du
présent. L’actualité inespérée mais réelle et insistante que représente l’Amérique
est sa faille aussi bien que sa chance. Le cri emersonien comme affirmation
d’existence et d’indépendance d’un sujet libre et souverain est inséparable de la
condition américaine.
Politique de la citation
Comment expliquer que « Self-Reliance » soit par ailleurs parsemé de noms
d’hommes illustres ? Il arrive à Emerson, qui ne cite guère en toutes lettres, de
nommer des penseurs:
There is no more deviation in the moral standard than in the standard of height or
bulk. No greater men are now than ever were. A singular equality may be observed
between the great men of the first and of the last ages; nor can all science, art,
religion, and philosophy of the nineteenth century avail to educate greater men
than Plutarch’s heroes, three or four and twenty centuries ago. Not in time is the
race progressive. Phocion, Socrates, Anaxagoras, Diogenes, are great men, but
they leave no class. He who is really of their class will not be called by their name,
but will be his own man, and in his turn the founder of a sect. (Self-Reliance, 201)
La liste des grands hommes a pour fonction de peupler d’une foule démocratique
l’histoire de la pensée européenne. La multiplicité des noms semble venir éclipser
la figure du grand homme. La rhétorique emersonienne de la confiance en soi vise à
réduire le spectre des différences remarquables, pour ne retenir que la possibilité
des devenirs singuliers. Comme la séquence des figures du prochain, la séquence
des figures de philosophes de l’Antiquité mérite d’être passée au crible. Au-delà de
l’effet de dilution démocratique que produit l’énumération, on ne peut manquer de
constater que la figure de Socrate se trouve flanquée de philosophes dont les noms
sont notoirement moins illustres que le sien (ainsi Photius auteur de la
Bibliothèque), et classés selon un ordre qui n’est pas respectueux de la chronologie
(Anaxagore étant ainsi qu’Emerson, classiciste hors pair, ne l’ignorait pas, le
prédécesseur de Socrate et non son successeur). Le nom de Photius peut intriguer :
l’homme était connu principalement pour être un lecteur de Platon, un lecteur
superficiel précise la tradition, dont le nom métonymiquement attaché à celui de
Socrate refait surface par la bande. Quant à Diogène, Emerson se garde d’élucider
son identité (Diogène Laërce ou Diogène le Cynique ?). Postérieur à Socrate,
Diogène (le Cynique) lui est intimement lié par la figure médiatrice d’Antisthène,
fondateur de l’Ecole cynique, élève de Gorgias et disciple de Socrate. Du fait de sa
pratique de la doxographie, le nom de Diogène (Laërce), auteur du célèbre Vies,
doctrines et sentences des philosophes illustres, n’est pas moins attaché au père de
la tradition européenne. A décrypter la liste, il apparaît que la figure socratique
réverbérée dans les figures connexes insiste métonymiquement et ce en dépit de
l’effet apparemment recherché par l’auteur. La phrase par laquelle se conclut ce
passage se lit comme un commentaire métatextuel à peine dissimulé, Emerson se
donnant à lire entre les lignes comme le Socrate de son temps, fondateur réticent,
ambigu d’une tradition américaine de philosophie.
C’est à l’autorité du grand homme que s’en prend Emerson car elle vient inhiber
l’autorité du moi, et empêcher que celui-ci ne s’éprouve comme auctor, comme
garant de sa propre parole. La confiance en soi qu’il faudrait se risquer à appeler le
« repos sur soi » procède de l’auctoritas. Auctoritas se définit ainsi : « en général
garantie, autorité qui impose la confiance, autorité des juges et des jurisconsuls ».
Le mécanisme par lequel l’auctor est tenu pour exemple et modèle lui vient du fait
qu’il se soutient d’une confiance de soi qui s’impose aux autres. La première
acception que retient Gaffiot désigne le garant, le répondant : l’auctor est celui qui
augmente la confiance et, à ce titre, garantit. Mais d’où lui vient la possibilité
d’augmenter la confiance ? De soi. La confiance augmente de ce que la confiance
se donne à soi sans autre forme de procès que l’acte performatif auquel engage le
philosophe américain.
La philosophie américaine qu’invente Emerson au sens où il la découvre, la
dévoile, procède de l’invention qui lui est contemporaine et consubstantielle d’une
position énonciative et subjective neuve. Cette position éthique est celle d’un moi
autonome dans la langue et dans le monde, susceptible de récuser
hyperboliquement tous les liens, toutes les dettes qui pèsent sur lui et lui incombent
pour n’appartenir qu’à lui-même et ne répondre qu’à l’appel d’une transcendance à
laquelle il consent librement. Avec Emerson, la philosophie américaine élève la
première personne du singulier à la dignité d’un principe philosophique. La
personne dont il s’agit se distingue du sujet universel de la métaphysique post-
kantienne en ce qu’elle se veut pleinement singulière et réticente à toute limitation,
subsomption de ses prérogatives, et de ses motions sous des lois générales. Ce sujet
qui s’invente ne s’autorise que de lui-même et c’est ce qui fait de lui un sujet
philosophique. La nation qu’Emerson appelle de ses vœux dans « The American
Scholar » est une nation de philosophes, qu’il faut entendre non comme une nation
de penseurs professionnels, mais d’hommes et de femmes libres.
Ouvrages cités
Emerson, Ralph Waldo. Nature and Selected Essays. New York, Penguin, 2003
Cavell, Stanley. Senses of Walden. Chicago, University of Chicago Press, 1972
Foucault, Michel. Histoire de la sexualité. L’usage des plaisirs. Paris, Gallimard,
1984
Kant, Emmanuel. Critique de la raison pratique. Trad. Jean-Pierre Fussler. Paris,
Garnier-Flammarion, 2003
Nietzsche, Friedrich. La généalogie de la morale. Trad. Isabelle Hildenbrand et
Jean. Paris, Gallimard, 1972
Nietzsche, Friedrich. Le gai savoir. Trad. Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard,
1950
Platon. La République. Œuvres complètes I, trad. Léon Robin, Paris, Gallimard,
(Bibliothèque de la Pléiade), 1950
[1] Cf allégorie de la Caverne, République, livre VII.
[2] La prosopopée vient du grec prosôpon (« la personne ») et poiô (« je fabrique »)
est une figure de style qui consiste à faire parler un mort, un animal, une chose
personnifiée, une abstraction. Elle est proche de la personnification ou du portrait.
[3] La prescription d’écrire « ces choses que je vous prescris en ce jour » aux
poteaux des portes a pour fondement deux passages du Deutéronome (versets 6:4-9
et versets 11:13-21) : « And these things that I command you today shall be on
your heart. Write them on the doorframes of your houses and on your gates ».
[4]Histoire de la sexualité. L’usage des plaisirs. Paris, Gallimard, 1984, 90.
[5] Cette formule qui se rencontre à deux reprises dans Le gai savoir (§ 270, 335),
se trouve également dans les Fragments inédits § 11 (106) : Deviens, ne cesse de
devenir qui tu es – le maître et le formateur de toi-même ! Tu n’es pas un écrivain,
tu n’écris que pour toi ! Ainsi tu maintiens la mémoire de tes heureux instants et tu
trouves leurs enchaînements, la chaîne d’or de toi-même ». (Le gai savoir. Trad.
Alexandre Vialatte, Paris, Gallimard, 1950, 215)