Post on 24-Apr-2023
Analyse critique du « traitement de la récidive
des infractions pénales »
De l’étude de loi du 12 décembre 2005, à la nécessaire réflexion sur l’univers carcéral
Faculté de Droit Université Montpellier I
Mémoire de politique criminelle, présenté en vue de l’obtention du diplôme de
Master 2 Recherche Droit privé, sciences criminelles et justice, mention droit pénal fondamental
sous la direction de Madame le Professeur Anne d’Hauteville
Année universitaire 2005 – 2006
Cédric HAUTION
Sous la direction de Monsieur le Professeur Didier Thomas
REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier mon directeur de mémoire, Monsieur le Professeur
Didier Thomas, pour m’avoir permis de réaliser cette étude, et pour m’avoir justement conseillé
tout au long de ce travail.
Je voudrais également remercier Madame le Professeur Anne d’Hauteville pour son
soutien constant depuis plusieurs années tant dans les cadres universitaire qu’associatif, et pour
son aide précieuse pour la réalisation de ce mémoire.
Madame Maryse Edouard se doit d’être aussi vivement remerciée pour sa disponibilité et
son soutien moral durant toute cette année universitaire.
Un grand merci aux membres de l’Association régionale de Criminologie Languedoc-
Roussillon qui m’ont très gentiment accueilli, et fait participer activement aux travaux de
réflexion et de terrain. Merci tout spécialement à Tony Chavard pour son aide importante et son
encadrement amical lors de l’étude menée au sein de la Maison d’arrêt de Villeneuve Les
Maguelonne, ainsi qu’à Christine Lazerges pour son aide à la préparation de ce mémoire.
Mes remerciements vont aussi à mes différents camarades qui m’auront soutenu dans
l’aventure qu’aura été cette étude, notamment Johanna et Michaël, qui auront su trouver les mots
dans les moments difficiles ; mais aussi à tous mes amis et proches sans qui ce travail aurait été
bien plus difficile, et principalement Marc pour son aide et son soutien important pendant ces
quelques années.
Je tiens particulièrement à remercier mes parents, pour leur patience et leur soutien
inconditionnel tout au long de cette étude.
Enfin, rien n’aurait été possible sans l’aide irremplaçable et le très important soutien de
Fanny. Je tiens donc à véritablement remercier celle qui partage une si grande partie de ma vie.
PRINCIPALES ABREVIATIONS
ACP ……………………….............. Ancien code pénal
AJ Pénal ……………………………Actualité juridique pénal
Art. …………………………........... Article
APC ……………………………….. Archives de Politique criminelle
Bull. crim. ………………………… Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de
cassation
Cass. crim. ………………………… Cour de cassation, chambre criminelle
CEDH ……………………………... Convention européenne des droits de l’homme
Chron. …………………………….. Chronique
Circ. ……………………………….. Circulaire
Cf. ………………………………… Confer, se référer à
Comm. ……………………………. Commentaire
Cour EDH ………………………… Cour européenne des droits de l’homme
Coll. ………………………………. Collection
Civ ………………………………… Code civil
CP …………………………………. Code pénal
CPP ……………………………….. Code de procédure pénale
DDSP ………………………………Directeur départemental de la sécurité publique
Dev. et soc. ………………………... Revue déviance et société
Dir. ………………………………... Sous la direction de
Dr. pén. …………………………… Revue Droit pénal
Ed. ………………………………… Edition
G. …………………………………..Général
Gaz. Pal. …………………………... Gazette du Palais
Ibidem …………………………….. Même référence
In ………………………………….. Dans
JAP ………………………………... Juge de l’application des peines
JCP ………………………………... Jurisclasseur
J. O. ……………………………….. Journal officiel
Jsp ………………………………… Jurisprudence
Mél. ……………………………….. Mélanges
NCP ……………………………….. Nouveau code pénal
Obs. ……………………………….. Observations
Op. cit. …………………………….. Opere citato, ouvrage, article… déjà cité
OIP ………………………………... Observatoire internationale des prisons
Ord. ……………………………….. Ordonnance
P. ………………………………….. Page
Pénit. ……………………………… Pénitentiaire
PUF ……………………………….. Presses universitaires de France
Rev. ……………………………….. Revue
RSC ………………………………. Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé
SPIP ………………………………. Service pénitentiaire d’insertion et de probation
T. ………………………………….. Tome
TIG ……………………………….. Travail d’intérêt général
SOMMAIRE
INTRODUCTION 1
Première partie : Une tentative de traitement du récidivisme 22
Chapitre 1er : Chronologie d'une loi d'opinion 23
Section 1ère : De l'actualité au débat politique 24
Section 2nde : Des difficultés dans l'élaboration de la loi du 12 décembre 2005 34
Chapitre 2nd : L'objectif d'un traitement rapide et efficace des
récidivistes et réitérants 47
Section 1ère : Pour une meilleure identification du phénomène 47
Section 2nde : Pour un « meilleur » traitement du récidiviste 61
Seconde partie : Le choix réitéré de la répression dans le
traitement du récidivisme 77
Chapitre 1er : Un spectre sécuritaire omniprésent 78
Section 1ère : L'obsession « pénalocentrique » 78
Section 2nde : La philosophie du « carcéralisme » 85
Chapitre 2nd : Un objectif d'insertion à repenser 98
Section 1ère : Redonner une dignité perdue 99
Section 2nde : Redonner un sens à la peine 110
CONCLURE , VERS L’AVENIR 124
Annexe 127
Bibliographie générale 144
Table des matières 159
1
INTRODUCTION
« Il n’y a aujourd’hui de crise, de problème aigu, brûlant, que par l’intervention de la
propagande jouant dans l’univers mental et exhaussant au rang de problème un ensemble
d’évènements par la création d’une opinion publique à ce sujet »1. La récidive serait-elle en elle-
même un problème comme la multitude d’articles et de reportages des divers médias le laisse
penser ? Ou au contraire, serait-elle la conséquence d’autres difficultés, voire d’un échec, celui
du système pénal dans son ensemble ? L’histoire démontre – et un aperçu historique le
rapportera – et le législateur suit cette idée, que la récidive est envisagée principalement comme
un mal à part entière, au-delà même des dysfonctionnements administratifs et judiciaires. Ce
faisant, le 12 décembre 2005, la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales
était promulguée.2 Celle-ci prend donc « pour cible le récidiviste »3, et doit être réinscrite dans la
longue et tumultueuse histoire du droit de la récidive, logiquement très liée à l’évolution de la
sanction pénale, particulièrement de la peine privative de liberté, notamment de la peine
d’emprisonnement pour l’histoire la plus récente4. Cependant, avant de parcourir l’histoire de la
récidive, il est nécessaire de bien s’accorder sur les termes de notre étude (I). Ensuite, il
conviendra d’explorer brièvement le monde médical dans lequel le concept de récidive est à
rechercher sous le terme de « rechute » (II). Puis, on prendra soin de réfléchir et on tentera
d’expliquer pourquoi l’état de récidive engendre presque systématiquement dans tous les pays
une aggravation des sanctions pénales (III). Et seulement ensuite, il sera question de faire un bref
aperçu historique de l’évolution du droit de la récidive et de la sanction pénale (IV). Enfin, avant
d’entrer dans l’analyse de la loi du 12 décembre 2005 et des réflexions s’y attachant, il
conviendra de décrire sommairement la dérive de ce début des années 2000 (V), qui est
également à l’origine de la proposition de loi de Pascal Clément.
I. Les mots en débat
Le droit, objet de confrontation idéologique et politique, est inévitablement soumis aux
mots employés par le législateur. Pourtant, loin d’être un spécialiste, ni de la langue française, ni
du raisonnement juridique, certains concepts sont parfois galvaudés au détriment de la lisibilité
1 ELLUL (J.), L’illusion politique, 1965, cité par ROETS (D.), « A propos de l’article 4 de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales », Dalloz, 2006, n° 3, p. 169 2 Loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, J. O. du 13 décembre 2005, texte n° 1 sur 113 3 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives à la récidive dans la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 », Dalloz, 2006, n°3, doctrine, p. 182 4 Pour un historique synthétique mais assez complet de l’histoire de la prison : http://prisons.free.fr et http://www.prison.eu.org
2
et la cohérence du texte légal. La loi du 12 décembre 2005 ne fait pas exception en la matière. Et
c’est pourquoi, dans un premier temps, il paraît nécessaire de revenir sur la notion de traitement
(A), pour plus tard s’attacher aux définitions des termes de récidive, récidiviste, récidivisme ou
encore réitération (B).
A. Discussion sur la notion de traitement
Le phénomène du récidivisme, véritable « plaie sociale »5, va permettre de mettre en
lumière et de confronter deux visions de politique pénale antagoniste. L’une, préférant
l’expiation qui se réduirait à punir sévèrement le récidiviste pour faire peur ou pour l’éliminer
faute de parvenir à l’intimider. L’autre, se fondant sur l’idée de régénération des délinquants, ces
« handicapés sociaux »6 qu’il conviendrait de réinsérer par un « traitement »7 cher à Marc Ancel,
que l’on peut qualifier de traitement social, voire de « métapeine »8. « Le traitement
criminologique, c’est la transformation de la personnalité du délinquant par des moyens adéquats
dans le but de l’insérer dans la société des gens libres » nous rappelle Stanilas Plawski,
cependant, « la liaison du traitement et de la peine constitue un phénomène paradoxal […], [fruit
d’un] conflit entre un système rétributif de châtiment et un système curatif de traitement ».9 Par
ailleurs, pour le professeur Gassin, agir sur le délinquant et non sur son acte constituerait en
revanche un « malentendu » qui expliquerait entre autre l’échec dudit traitement. On oppose
alors le « récidiviste professionnel, faisant métier de la délinquance […] au récidiviste de
circonstances, passif, à la traîne des évènements ; et l’on peut envisager, pour le premier, un droit
pénal de rigueur, pour le second, un droit pénal d’humanité »10. La loi que nous étudions est
donc relative au « traitement » de la récidive des infractions pénales, et ce d’une manière
générale, sans opérer ce type de distinction. La notion de traitement possède indéniablement une
idée de nécessité de soins, en définitive ce serait une question médicale. Le traitement est
« l’action, la manière de soigner un malade »11, déjà Gramatica parlait de « traitement
thérapeutique », l’ancien Président de la Société Internationale de Défense Sociale, Marc Ancel
préférant quant à lui parler de traitement social ou « traitement de resocialisation »12. La
politique de traitement aurait été pleinement dégagée au lendemain de la Seconde guerre 5 PRADEL (J.), « L’expérience française : tâtonnements et enseignements », in Le récidivisme, XXIe congrès de l’Association française de criminologie, Paris : PUF, Publications de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, 1983, p. 219 6 SCHNAPPER (B.), « La récidive, une obsession créatrice au XIXe siècle », in Le récidivisme,op. cit., p. 25 7 ANCEL (M.), La défense sociale nouvelle, Paris, Cujas, 1981, 2nde éd., p. 262 8 CASADAMONT (G.), PONCELA (P.), Il n’y a pas de peine juste, éd. Odile Jacob, Paris 2004, p. 53 9 PLAWSKI (S.), « La notion de traitement pénitentiaire », in SOCIETE INTERNATIONALE DE CRIMINOLOGIE, La criminologie : bilan et perspective : mélanges offerts à Jean Pinatel, éd. Pédone, Paris, 1980, 272 p., p. 176 10 PRADEL (J.), art. préc. 11 REY (A.) (dir.), Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert, Paris, 2005, T. 4, p. 1520 12 ANCEL (M.), op. cit., p. 121
3
mondiale, elle correspondrait à « l’orientation pénitentiaire destinée à redonner au condamné une
chance véritable de redevenir un citoyen libre »13. Emprunte de justice sociale et d’humanisme, il
s’agit d’aider à la réadaptation plutôt que de simplement punir par la rétribution de la peine. Il
serait donc de bonne augure que ce terme tienne une bonne place dans l’intitulé de la loi. Nous
verrons pourtant que la loi du 12 décembre 2005, si elle paraît conserver l’idée médicale, semble
s’éloigner des impératifs de justice sociale, favorisant une approche pour le moins
« sécuritaire »14 fondée sur « la peur »15 et l’intimidation plutôt que sur un espoir d’amélioration
et de resocialisation du délinquant récidiviste.
B. Récidivisme : de la récidive à la réitération
Dans le sens commun, le « récidiviste » est « une personne qui retombe dans la même
erreur »16. Avant même le terme de récidive, existait le verbe « récidiver » (1478), du latin
médiéval recidivare : « recommencer un délit »17. Le mot « récidive », apparu aux environs de
1561, emprunte lui aussi au latin médiéval recidiva, provenant de l’adjectif latin recidivus, « qui
retombe, qui revient », et dérivé de recidere (littéralement : re- « tomber ») et caedere :
« frapper » 18. Il signifie dès 1593 dans le langage juridique « le fait de commettre une nouvelle
infraction après avoir encouru antérieurement une condamnation définitive pour une infraction
de même nature » et constitue « une cause d’aggravation de la peine prononcée par le
tribunal ».19 Mais si la notion de récidive est juridiquement précise, elle est également « souvent
dépourvue de signification criminologique »20. Et parce que « criminologues, sociologues,
psychologues, juristes, administrateurs, médecins, etc. […] [utilisent] aussi le mot de récidive,
mais dans des acceptions différentes »21, sera proposé le terme de « récidivisme »22 puisqu’il a
une connotation plus large que l’étroit sens juridique. En effet, pour le juriste, la récidive
correspondra à la récidive légale23, c’est-à-dire le « fait, pour une personne, physique ou morale,
13 ANCEL (M.), op. cit., p. 258 14 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle à propose de certains aspects de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales », in Mélanges Bernard BOULOC, à paraître 15 PORTELLI (S.), La récidive, mobiliser l’intelligence, non la peur, http://www.prison.eu.org/article.php3?id_article=7225 16 REY (A.), op. cit., p. 33 17 Ibidem, p. 33 18 Ibidem, p. 29 19 Ibidem, p. 29 20 PICCA (G.), VENGEON (P.), « Caractéristiques et importance de la réitération d’infraction après l’exécution d’une peine privative de liberté », RSC, 1971, chron. pénit., p. 712 21 COUVRAT (P.), « Le récidivisme », in Le récidivisme, op. cit., Rapport introductif, p. 18 22 Pour une définition plus complète : BOULOC (B.), « Le récidivisme », in Le récidivisme, op. cit., p. 251, également publié à la RSC, 1982, p. 199 23 Même si le Rapport Clément (CLEMENT (P.), LEONARD (G.), Rapport d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales, Assemblée nationale, n° 1718, 2004, 87 p.) notamment utilise souvent le terme récidive pour parler de réitération. D’ailleurs la réitération ne devrait entrer dans le sens juridique de la récidive,
4
déjà condamnée24 pour une infraction spécifiée par une norme, de commettre une nouvelle
infraction, d’un type et dans un délai, déterminés par le système répressif »25. La récidive est dite
générale ou spéciale selon qu'elle existe pour deux infractions différentes ou seulement pour
deux infractions semblables ; elle est dite perpétuelle ou temporaire selon qu'elle existe quel que
soit le délai qui sépare les deux infractions, ou seulement si la seconde infraction est commise
dans un certain délai qui court à compter de l'expiration de la première peine.26 Pour Michèle-
Laure Rassat, « on pourrait parfaitement concevoir, en effet, une récidive qui soit générale et
permanente (l’intéressé étant exposé toute sa vie à se trouver en état de récidive, dès qu’il a été
une première fois condamné) »27. Mais l’absurdité criminologique pourrait être grande si les
deux infractions, encore plus si elles sont séparées d’un temps très long, sont d’une nature
totalement différente, même si le régime actuel est lui aussi générateur de conséquence
criminologiquement contestable28.
S’agissant justement du régime juridique de la récidive29, sous l’ancien code pénal, on
distinguait les récidives criminelles, correctionnelles et contraventionnelle. Pour les deux
premières, il existait une grande et une petite récidive. La grande récidive criminelle30, générale
et perpétuelle, correspondait alors à une récidive de crime à crime, plus précisément d’une
infraction sanctionnée (en peine prononcée) d’une peine afflictive et/ou infamante à crime.
Tandis que la petite récidive criminelle31 était prévue pour une récidive de crime puni d’une
peine supérieure à un an à crime ou délit, et était générale mais temporaire (délai de 5 ans).
Quant aux récidives correctionnelles, la grande récidive32 renvoyait à une récidive de délit ayant
fait l’objet d’une sanction de plus d’une année d’emprisonnement à délit ou crime puni
d’emprisonnement et était temporaire (délai de 5 ans) et spéciale lorsque le second terme (la
seconde infraction) était un délit). La petite récidive correctionnelle33 correspondait à une
récidive de délit (pour les deux termes) ayant fait l’objet d’une peine moindre que pour la grande
récidive correctionnelle. Celle-ci était également temporaire (délai de 5 ans), et totalement
spéciale puisque les deux délits devaient être de même nature… Enfin, la récidive
pourtant c’est bien la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales qui définit, au-delà du sens qu’il lui était donné, la réitération. 24 On pourrait légitimement s’interroger sur le fait qu’il pourrait être nécessaire que la peine soit exécutée, parce qu’il en va de la responsabilité de l’institution judiciaire. En outre, la condamnation doit être définitive. 25 HERZOG-EVANS (M.), « Récidive », Répertoire pénal, Dalloz, octobre 2003, p. 3 26 Art. 133-8 CP 27 RASSAT (M.-L.), Droit pénal général, éd. Ellipses, coll. Cours magistral, Paris, 2004, n° 484, p. 549 28 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), Droit pénal général, 12e éd., Economica, coll. Corpus droit privé, Paris, 2005, n° 223, p. 868 : récidive d’un trafic de stupéfiant à un accident mortel de la circulation. 29 HERZOG-EVANS (M.), « Récidive », art. cit., p. 4 30 Art. 56 ACP 31 Art. 57 ACP 32 Art. 58, al 1er ACP 33 Art. 58, al 2 ACP
5
contraventionnelle était prévue pour toutes les contraventions, mais répondait à une double
condition : de temps (délai de douze mois) et de lieu (dans le ressort du même tribunal, sauf si la
contravention emportait une peine d’emprisonnement supérieure à dix jours ou une amende
supérieure à 3000 euros34). Le nouveau code pénal, entré en vigueur en 1994, a apporté de très
nombreux changements au droit de la récidive dans un souci premier de simplification mais
également d’aggravation. Dès lors, les notions de grandes ou petites récidives vont disparaître au
profit de la règle générale du doublement de la peine encourue (pour la seconde infraction), et
vont apparaître des règles spécifiques quant aux personnes morales35. Toute une sous-section du
code pénal est maintenant réservée au régime juridique de la récidive36. Pour une récidive de
crime ou délit puni de dix ans d’emprisonnement à crime37, aucune identité ou similitude n’est
exigée entre les deux infractions (récidive générale) du fait de la gravite présumée des
infractions. Egalement, aucune limite temporelle n’est fixée (récidive perpétuelle). Si la peine
encourue était de vingt ou trente ans de réclusion ou détention, celle-ci passerait alors à
perpétuité ; si elle était de quinze ans, elle passerait à trente ans selon la règle du doublement. La
récidive est également générale pour une récidive de crime ou délit puni de dix ans
d’emprisonnement à délit38, mais elle est en revanche temporaire. Les délais peuvent par contre
être différents en fonction de la gravité de la première infraction (délai de dix ans, ou cinq ans si
le délit constituant le second terme est puni d’une peine d’emprisonnement inférieure à dix ans
mais supérieure à un an). La règle du doublement de la peine encourue s’applique ensuite de
manière classique, ainsi que pour les autres catégories que sont la récidive de délit à délit ou la
récidive contraventionnelle. Concernant la récidive de délit à délit, celle-ci est à la fois spéciale,
puisque le second terme doit être le même délit ou alors un délit dit assimilé39 étant donné la
proximité de ces infractions, mais aussi temporaire, la durée séparant l’expiration ou la
prescription de la première infraction ne pouvant être supérieure à cinq ans. S’agissant de la
récidive contraventionnelle40, le nouveau code pénal ne l’a conservé que pour les contraventions
de cinquième classe. Celle-ci est alors totalement spéciale (ne joue que pour la même
contravention), et temporaire, le délai étant fixé à un an. L’amende sera alors portée à 3 000
euros.
34 Art. 474 ACP 35 Nous ne pourrons étudier le régime de la récidive des personnes morales, d’une part parce que la loi du 12 décembre 2005 la laisse inchangée, mais aussi parce qu’il nous faut nous concentrer sur celle sur laquelle le débat public se penche principalement, celle des individus. 36 Art. 132-8 à 132-16-2 CP et même jusqu’à 132-16-6 depuis la loi du 12 décembre 2005, une sous-section a également été spécialement créée pour la réitération d’infractions : art. 132-16-7 CP 37 Art. 132-8 CP 38 Art. 132-9 et 132-10 CP 39 Art. 132-6 à 132-6-2 CP, et même 132-6- 4 CP après la loi du 12 décembre 2005 40 Art. 132-11 CP
6
Nous retiendrons donc ces derniers éléments de définition concernant la récidive, alors
que le récidivisme englobera largement « l’action de retomber dans la même faute » à la
condition qu’une sanction suivie de son exécution ait été prononcée.41 Il faut dès lors exclure du
champ du récidivisme le cumul réel d’infraction pour lequel aucune sanction n’a été prononcée
entre deux infractions. En revanche, la notion de réitération, d’origine doctrinale42 – que Pascal
Clément a désiré définir dans la loi – répond à la situation où une personne déjà condamnée
définitivement commet une nouvelle infraction mais dans des conditions (nature et délais) ne
correspondant pas à la récidive légale43, et entre donc dans le champ du récidivisme, puisqu’elle
s’apparente à une récidive totalement perpétuelle et générale même si elle ne répond pas à un
régime juridique identique. Nous verrons que le réitérant, qui n’encourrait pas un doublement de
la peine encourue comme le récidiviste, pourrait se trouver dans des situations juridiquement et
criminologiquement grotesques, risquant une peine supérieure à celle d’un prévenu des mêmes
infractions qui lui bénéficie du cumul plafonné et du bénéfice possible d’une confusion des
peines44. Une extension du champ d’application du récidivisme (et non de la simple récidive) qui
devrait permettre le traitement de toutes les « rechutes »…
II. La rechute ou la récidive dans le champ médical
Le terme de rechute est employé à dessein, puisque sur le plan médical, il sera préféré au
terme de récidive. En effet, sur le terrain médical, la « rechute » désigne le « déterminisme des
phénomènes naturels » alors que sur le plan pénal, « on serait confronté au libre arbitre d’un
citoyen incorrigible ou à la provocation d’une volonté rebelle ».45 Si en droit, c’est bien le
délinquant qui récidive, en médecine, au contraire, lorsque le malade rechute, « ce qui récidive,
c’est la maladie, comme pour exonérer le malade de toute faute »46. Enrico Ferri distinguait déjà
en son temps les criminels de tempérament ou pathologiques des criminels d’habitude que l’on
pourrait qualifier de plus classiques. Il a montré qu’ils commettent souvent leur premier délit
(presque exclusivement contre la propriété) dans leur jeunesse, « moins d’ailleurs par des
tendances innées ou anormales que par une faiblesse morale plus ou moins accentuée »47. Divers
facteurs tendraient à enfoncer le délinquant dans une forme d’habitude : « l’impulsion des
circonstances, un milieu corrompu, l’impunité des premières fautes […], la détention,
41 COUVRAT (P.), « Le récidivisme », art. préc., p. 17 42 HERZOG-EVANS (M.), « Récidive : surveiller et punir plus plutôt que prévenir et guérir », AJ Pénal, sept. 2005, n° 9, dossier « Récidive : quelles réponses judiciaires ? », p. 305 43 Nouvel art. 132-16-7 CP ; Art. 3, Loi du 12 décembre 2005 ; CLEMENT (P.), LEONARD (G.), Rapport d’information , op.cit., p. 12 44 Cf. L’obsession pénalocentrique, p. 78 45 COLIN (M.), « La clinique criminologique face à la récidive », in Le récidivisme,op. cit., p. 137 46 BUFFARD (S.), « Récidive et répétition », in Le récidivisme,op. cit., p.143 47 PINATEL (J.), « Existe-t-il une étiologie spécifique du récidivisme ? », in Le récidivisme,op. cit., p.111
7
l’alcoolisme, l’absence d’aide sociale à la libération, le domicile forcé et la surveillance »48. Jean
Pinatel, Président honoraire de la Société internationale de criminologie a tenté de définir une
étiologie du récidivisme, repartant des trois conceptions les plus répandues. Si pour certains, il
n’existe pas de causes précises tendant à la construction d’un récidiviste, Ferri pensait que
« l’ordre socio institutionnel »49 joue un rôle très important. Il insistait particulièrement sur le
rôle du système pénal dans la mesure où il dispense au délinquant primaire un traitement
inadéquat, la récidive serait notamment significative de « l’échec de l’effet dissuasif de la
peine »50, mais aussi l’influence de l’opinion publique qui a trop tendance à considérer le
condamné comme une personne à mettre au banc de la société, méritant méfiance et mépris.
D’une manière générale, le courant positiviste expliquait le phénomène de la récidive par la
personnalité du délinquant, son égocentrisme, son agressivité ou encore son indifférence
affective. En cette personnalité sommeillait alors le risque d’une « explosion psychologique
analogue à une réaction chimique intense » 51 qui faisait entrer la personne dans la délinquance.
Mais on doit l’expression « d’état dangereux chronique » 52 à Garofalo qui considérait, comme
Ferri, que la personnalité du délinquant n’avait qu’une influence très relative sur la délinquance
d’habitude, il fallait alors aller chercher du côté des conséquences de la sanction pénale. En effet,
puisque la sanction pénale ne paraissait pas améliorer la personnalité du délinquant, qu’il soit
primaire ou récidiviste, « conformément à leur déterminisme propre, certains sujets se dirigeaient
vers la réinsertion sociale et les autres vers le récidivisme »53. Pinatel explique que le phénomène
de la récidive résulterait finalement de deux facteurs : d’une part le processus de réaction sociale
(les systèmes judiciaire et pénitentiaire) ne correspond pas aux rythmes des récidives, et d’autre
part le milieu familial peut s’avérer être un héritage important dans la construction du récidiviste.
En effet, l’histoire du récidiviste peut avoir une importance cruciale dans l’entrée et la
« continuité » délinquante, notamment du fait des différentes « injustices infligées ou subies ».54
La sanction pénale n’aura alors que peu d’effet sur sa personnalité puisque « dès lors qu’il
légitime à l’avance ses forfaits (du fait de son histoire), il est hors de question pour lui
d’admettre la justesse des peines dont on le frappe. Celles-ci n’ont alors d’autre effet que de
nourrir son sentiment d’injustice et de révolte »55. La délinquance « d’habitude »56 s’inscrit en
48 Ibidem, p.111 49 Ibidem, p.111 50 BARTE (H. N.), OSTAPTZEFF (G.), Criminologie clinique, éd. Masson, coll. Abrégés, Paris, 1992, p. 123 51 PINATEL (J.), art. préc., p.114 52 Ibidem, p.117 53 Ibidem, p.118 54 CUSSON (M.), « La récidive expliquée par la continuité des interactions injustes », Rev. pénit. et de droit pénal, 2005, n° 2, doctrine, p. 285 55 Ibidem 56 Ne s’agit-il pas d’une « présomption » que de parler « d’habitude », puisque sur le plan psychologique, « l’habitude, au lieu d’épanouir la volonté, l’annihile ou l’affaiblit ; de sorte qu’en logique absolue le premier acte
8
réalité dans des cycles, plus ou moins longs, entre lesquels une personne peut très bien vivre de
manière tout à fait normale, c’est-à-dire hors de toute délinquance. Malheureusement, les
systèmes judiciaire et pénitentiaire s’inscrivent dans une perspective strictement déterministe,
dès lors le « degré de liberté » (psychologique), voire de lucidité, qui permettrait au condamné de
sortir de son cycle infernal est « neutralisé par le système de réaction sociale, […], c’est donc
dans ce système que réside l’étiologie spécifique du récidivisme ». 57 Pour le professeur Louk
Hulsman, « il faut abolir le système pénal […], un tel système est un mal social »58. En effet,
compte tenu des délais trop longs entre le temps de l’infraction, celui du jugement et celui de
l’incarcération, le sujet est bien souvent sorti de la phase psychologique dans laquelle il
conviendrait que la sanction intervienne. Le milieu familial a également une forte importance du
fait de l’héritage parental et en particulier paternel. Lorsque la famille fait ou a fait l’objet d’une
dévalorisation de la part des institutions et de la société en général, celle-ci va perturber la
personne condamnée rendant les repères nécessaires absents. Cette dévalorisation joue un rôle
fondamental puisqu’il devient dès lors beaucoup plus difficile de faire sortir le sujet de son cycle
délinquant alors que cela est plus simple « grâce à une forte identification au père »59. Le chemin
de la réflexion a été très long avant d’arriver jusqu’à ces considérations scientifiques, le
législateur n’y étant pas encore arrivé… Pour comprendre l’enjeu du débat sur la récidive, ainsi
que les positions scientifiques d’aujourd’hui, il est nécessaire de revenir sur le principe même de
l’aggravation des sanctions en cas de récidive ainsi que d’opérer un profond examen historique
du droit de la récidive en général, mais également de l’évolution de la réaction sociale. Mais tout
d’abord, il doit être recherché et expliquer pourquoi la récidive entraîne systématiquement, et
dans des nombreux pays, une aggravation des sanctions.
III. Sur le principe général de l’aggravation des peines en cas de récidive
« Le principe même d’une sanction plus importante pour un récidiviste n’est pas compris,
même s’il peut apparaître assez logique pour l’opinion, notamment parce qu’ils n’ont pas
toujours conscience d’être délinquants »60 disions-nous dans une étude menée auprès de détenus
de la Maison d’arrêt de Villeneuve-les-Maguelonne. Pourtant telle est la règle en vigueur en
France, mais également dans de nombreux autres Etats, d’Europe et d’ailleurs, même si les
est plus coupable que le troisième » font remarquer les professeurs Merle et Vitu dans leur traité. (MERLE (R.), VITU (A.), Traité de droit criminel : problèmes généraux de la science criminelle, T. 1, Droit pénal Général, 7e éd., Cujas, Paris, 1997, p. 983-984) 57 PINATEL (J.), art. préc., p.120 58 HULSMAN (L.), BERNAT DE CELIS ( J.), Peines perdues, le système pénal en question, éd. du Centurion, coll. Droits de l’Homme et Solidarité, Paris, 1982, p. 104-105 59 Ibidem, p.120 60 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), « Regards de la personne détenue en situation de récidive », Association régionale de criminologie Languedoc-Roussillon (ARCLR), 2005, en annexe p. 127
9
dispositions peuvent s’avérer être très variables61. Pour tous ces législateurs, parce que le
récidiviste ne s'est pas contenté de transgresser l'interdiction générale et abstraite posée par les
lois pénales, il est allé plus loin en passant outre la sentence que le tribunal a personnellement
rendue à son compte »62, sa prétendue habitude de délinquer (« consuetudo delinquendi »)
manifesterait de façon évidente son incorrigibilité, son inaptitude au repentir et à l’amélioration,
sa « perversité inguérissable »63. Cette sévérité accrue est-elle légitime, mais surtout est-elle
utile ? Le professeur Rossi ne disait-il pas qu’il était nécessaire de « punir pas plus qu’il n’est
juste, pas plus qu’il n’est utile », pour que la peine soit à la fois utile à la société et juste dans son
objet rétributif. Bien que pour certains, « le délinquant, par sa légèreté (puisqu’il a rechuté),
mérite donc une aggravation de peine pour sa seconde infraction et plus encore pour celles qui
suivront »64, le doute est apparu et des esprits assez nombreux estiment que la récidive ne saurait
constituer en législation une circonstance aggravante. Quelques uns rejoindront alors les idées de
Joseph Carnot, conseiller à la Cour de cassation et l’un des premiers commentateurs du code
pénal, qui pensait qu’une quelconque aggravation de la sanction pénale basée sur la récidive de
l’acte, revenait, d’un point de vue juridique, à punir deux fois une même infraction, et était donc
contraire au principe révolutionnaire non bis in idem65. Sur le plan criminologique, « le libre
arbitre décroît avec l’habitude criminelle et […] psychologiquement, le sentiment de culpabilité
est plus fort chez un délinquant primaire que chez un récidiviste »66 nous rappelle le professeur
Rassat. Selon celle-ci, « la raison, inconsciente à l’origine et consciente aujourd’hui, du fait des
progrès de la criminologie, réside dans le plus grand danger social du récidiviste qui, parce que
son passé laisse mal augurer de son avenir, paraît plus exposé qu’un autre à récidiver encore »67.
Il s’agit donc d’une prévention à travers la répression du récidivisme, bien que les détenus
« estiment avoir payé leur dette », leur sentiment d’être jugé sur leur passé est donc une réalité.
Mais le Garde des Sceaux d’aujourd’hui, député à l’origine de la proposition de loi d’hier,
conserve l’idée qu’ « un récidiviste a prouvé par ses actes qu’il était la source d’un trouble grave
pour la société et qu’il fallait donc le sanctionner plus sévèrement »68, la répression de la récidive
d’aujourd’hui, comme d’hier, serait donc bien une forme de prévention par la neutralisation, du
fait de la dangerosité de l’intéressé.
61 PRADEL (J.), Droit pénal général, 14e éd., Cujas, coll. Manuel, Paris, 2002, n° 600, p. 752 62 THOMAS (D.), art. préc. 63 CARBASSE (J-M), Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 2nd éd., P.U.F., coll. Droit fondamental, Paris, 2006, p. 281 64 PRADEL (J.), art. préc., p. 219 65 SCHNAPPER (B.), art. préc., p. 25 66 RASSAT (M.-L.), op. cit. p. 550 67 RASSAT (M.-L.), op. cit. p. 550 68 CLEMENT (P.), « Mieux prévenir la récidive », AJ Pénal, oct. 2005, n° 10, dossier « Récidive : quelles réponses judiciaires ? », p. 345
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IV. Aperçu historique de l’évolution du droit de la récidive et de la sanction
pénale
Le droit de la récidive est vraiment né, durant le XIX e siècle, de la répression des
délinquants d’habitude. Le droit romain puis les différentes législations jusqu’à l’ancien droit ne
reconnaissaient pas véritablement de régime spécifique pour le phénomène récidiviste. Mais déjà
sous l’Ancien Régime (A), la question de la sanction du récidiviste se posait. Puis, avec le droit
révolutionnaire (B) on comprit que « l’orientation du régime politique est capitale dans une
branche du droit que seuls des libéraux impénitents ou aveugles rattachent au droit privé »69. Et
c’est pourquoi on peut d’une manière générale dégager trois périodes de 1790 à la Première
Guerre mondiale : des idéaux révolutionnaires au réalisme napoléonien, puis le débat sur
l’emprisonnement du milieu du XIXe siècle (C), et enfin la controverse autour de la nécessaire
pédagogie face à l’élimination des récidivistes jusqu’à la Grande Guerre. Il faudra tour à tour
traverser ces époques afin de mieux cerner l’évolution du traitement de la récidive en France, et
donc de permettre – nous l’espérons – une meilleure compréhension de l’évolution du régime du
droit de la récidive au XXe siècle (D), puis au XXIe avec la loi du 12 décembre 2005.
A. L’Ancien régime
Même si l’esprit de l’ancien droit pénal ne favorise pas l’élaboration d’une doctrine – du
fait de la dispersion et du nombre élevé de textes notamment – qui ciblerait précisément ce que
l’on nomme juridiquement aujourd’hui la récidive, la réflexion va véritablement commencer à se
mener, au XVIe siècle, autour de la notion de « consuetudo deliquendi (accoutumance à mal
s’employer) »70, proche de notre concept contemporain de dangerosité, tournant donc autour du
délinquant d’habitude. Dès lors, la question de l’aggravation de la sanction pénale ne se posera
plus – seulement – eu égard à la gravité de l’infraction, mais bien du fait d’avoir répété un acte
prohibé ou de n’avoir pas tenu compte de la condamnation précédente. En effet, la responsabilité
de juger les récidivistes va être confiée, sous Charles IX, aux prévôts, ceux qui, jusque là, étaient
principalement chargés de la justice militaire, c’est-à-dire des soldats, déserteurs, mais aussi
vagabonds. En 1536, François Ier va étendre leurs compétences, et c’est véritablement Charles IX
qui va ensuite élargir leur juridiction en donnant la première liste des « cas prévôtaux », avec
notamment les récidivistes « bannis et essorillés ».71 Même si la grande ordonnance de 1670 fait
contrôler leurs pratiques, à une époque où l’arbitraire judiciaire régnait, la justice prévôtale
69 SCHNAPPER (B.), art. préc., p. 27 70 RENAULT (M.-H.), « Une technique juridique appliquée à un problème de société, la récidive. De la notion de consuetudo delinquendi au concept de dangerosité », RSC, 2000, Chron., p. 319 71 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 154
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restait expéditive, sans appel, et particulièrement sévère72. Néanmoins, on peut considérer que
c’est avec la question du traitement du récidiviste, notamment par l’arbitraire du juge, qu’est
apparu l’idée d’individualisation de la peine, le souci de réformer un délinquant, une personne,
plutôt que de simplement réprimer un acte prohibé73.
De temps à autre, une sorte de présomption de récidive pouvait être portée à l'égard de
certains prévenus. Même si au cours du XVIe siècle, la pratique des mutilations recule, la
« marque » reste encore à l'époque le meilleur, voire le seul moyen de connaître de la récidive.
En effet, l'ablation de l'oreille (mais aussi parfois l’amputation d'une main, d'un pied voire du
nez, et même l’énucléation) laisse place à la marque au fer rouge. Si dans les cours royales, une
fleur de lys était marquée sur l’épaule droite du condamné, la déclaration royale du 4 mars
172474 prescrira de marquer les galériens des lettres « GAL » (à la première récidive de vol), de
flétrir les voleurs d’un « V », et les récidivistes d’un « VV » (principalement les femmes puisque
les hommes étaient envoyé aux galères). 75 Au troisième vol, ou à la troisième infraction, le
condamné, alors considéré comme « incorrigible » 76 et donc intraitable, était pendu, car il ne
pouvait « mériter ni excuse ni compensation » 77. Une époque, où c’est moins l’infraction que
l’on punit que le délinquant dont on apprécie la dangerosité et qui s’obstine à ne pas se
soumettre, dont on décide la neutralisation à la première récidive, puis l’élimination dès la
seconde.
Sous l’Ancien Régime, la vertu dissuasive du spectacle pénal visait à « satisfaire
l’exigence rétributive profondément ressentie après chaque crime par le corps social, et à
prévenir les éventuels imitateurs » 78, explique le Professeur Carbasse. Néanmoins, le peine
pouvait également avoir un objet de prévention spéciale, c’est-à-dire mettre le délinquant hors
d’état de nuire, ou lui ôter l’envie de réitérer (par le bannissement à vie, la mise aux galères…).
L’amendement du criminel est encore très peu envisagé par le droit laïc, alors qu’il occupe à la
même époque le « cœur du droit pénal ecclésiastique »79. L’adage « semel malus, semper
malus » (mauvais une fois, mauvais toujours) reste encore très présent dans l’inconscient
collectif, alors qu’il est issu d’une règle canonique déjà ancienne puisque datant de la fin du
72 Les peines les plus prononcées étaient les sentences de mort et la condamnation aux galères 73 FOUCAULT (M.), Surveiller et punir, Gallimard, coll. Tel, Paris, 1975, p. 102-103 74 ISAMBERT (F.-A.), Recueil général des anciennes lois françaises : depuis l'an 420 jusqu'à la révolution de 1789..., 1822 à 1833, Paris, 1999, XXI, p. 260, n° 299, ordonnance du 4 mars 1724 75 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 295 76 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 257 77 ISAMBERT, op. cit. 78 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 281 79 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 281
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XIII e siècle.80 Même au XVIIIe, les Lumières et Beccaria « n’accordent aucun intérêt à
l’éventuelle régénération du coupable ».81
B. Le droit révolutionnaire
Avec l’introduction des peines fixes (par le code pénal de 1791 pour lutter contre
l’arbitraire) et l’apparition de la peine privative de liberté, l’emprisonnement82, comme « reine
des peines » ou « peine par excellence des sociétés civilisés » selon Rossi83, en hommage aux
Lumières et principalement à Beccaria, les Constituants, qui croient à l’expiation mais surtout à
« l’amendement par le travail »84 percevaient la récidive comme une circonstance aggravante.
C’est pourquoi le législateur reprendra la solution de l’Ancien Régime – dans une application
nettement différente – avec l’aggravation systématique de la peine encourue. Généralement, il
s’agissait de doubler le maximum de la peine encourue, ce qui avait pour effet de parfois changer
la nature de la peine, de correctionnelle à criminelle. S’agissant d’un crime répété, cela
n’entraînait pas une aggravation de la peine légale, le condamné devait exécuter sa seconde
peine, puis il était déporté à vie dans un territoire à coloniser (la future relégation), une peine
qu’il sera très difficile à mettre en œuvre dont le but était « d’améliorer l’homme par la terre et la
terre par l’homme »85. Le régime révolutionnaire du traitement de la récidive souffre en revanche
de lourdes imperfections. D’une part, les marques ayant disparu86, il n’y a aucun moyen (à part
de profondes et fastidieuses recherches) de reconnaître les récidivistes. Et d’autre part, la loi ne
définit ni la notion de récidive, ni le délai dans lequel la réitération entraîne une aggravation de la
peine. Les premiers délais sont fixés par le code du 3 brumaire an IV (25 septembre 1795),
notamment pour les contraventions de police (délai d’un an, dans le ressort du même tribunal),
puis par la loi du 25 frimaire an VIII, en matière de vol, abus de confiance, dans un délai de trois
ans. Enfin, la loi du 23 floréal an X (13 mai 1801) ré-institue la flétrissure de la marque avec un
« R » sur l’épaule gauche cette fois-ci pour les condamnées récidivistes de crime à crime.
C. Le XIX e siècle
Au XIX e siècle, du fait d’une inquiétante évolution de la criminalité et de la récidive en
particulier, on se met à raisonner à partir de la peine légale, ne voyant la récidive que comme une
« technique aggravante de la peine » et non comme une circonstance aggravante de nouvelle
80 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 281-282 81 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 398 82 Le code pénal de 1791 prévoit alors trois degrés de privation de liberté : les fers, la gêne (qui correspond au départ à la question, la torture, puis plus tard au simple isolement) et enfin la simple détention 83 ROSSI (P.), Traité de droit pénal, 1829, cité par DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), op. cit., n° 801, p. 762 84 SCHNAPPER (B.), art. préc. 85 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 450 86 La marque au fer a par exemple été supprimée par le décret du 27 décembre – 30 décembre 1791
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infraction.87 Un changement radical de philosophie, la question de l’amendement
particulièrement mise de côté au profit des idées d’élimination et d’intimidation comme
l’expliquait Target, commissaire du Gouvernement pour rédiger le code criminel en l’an XI :
« l’efficacité des peines se mesure moins sur sa rigueur que sur sa crainte qu’elle inspire »88, une
philosophie en opposition radicale à celle de Beccaria, préférant une peine moins lourde mais
certaine, il l’explique notamment dans sa critique de la peine de mort89, de moins en moins
utilisée à l’époque et donc ne permettant plus vraiment de prévenir quelconque crimes ou délits.
Si le code pénal de 1810, fondamentalement ancré sur l’idée de défense de la société, va
réintroduire l’arbitrium judicis : l’arbitraire judiciaire, établissant des minima et maxima de
peines pour certaines infractions, il privera les tribunaux de cette faculté en matière de récidive
tout en élargissant le système révolutionnaire relatif à cette dernière. S’agissant des récidives
criminelle et correctionnelle, elles seront perpétuelles, alors que la récidive contraventionnelle ne
sera que temporaire. Il s’agit d’une récidive générale, qui, quelque soit la nature de l’infraction
ou sa date (pour les crimes et délits) placera le coupable dans le régime de la récidive. La peine
sera obligatoirement fixée au maximum, le code pénal de 1810 ordonnant même la mort contre
le récidiviste dont la peine aurait dû être les travaux forcés à perpétuité. Par ailleurs, le code
d’instruction criminelle de 1808 interdit la réhabilitation du criminel condamné une seconde fois
à une peine afflictive ou infamante (art. 634).
Le système rigoureux du début du XIXe siècle sera par la suite adouci. En effet, après une
période de sévérité importante, va se développer une réflexion, notamment sur l’humanité des
sanctions et particulièrement sur l’emprisonnement. Certains comme le duc La Rochefoucault-
Liancourt, et la Société Royale des prisons qu’il fonde en 1819 s’inquiète de l’organisation et des
conditions de vie en prison. Mais c’est plus particulièrement aux libéraux que l’on doit les plus
importantes avancées et notamment par la loi du 28 avril 1832, époque à laquelle Alexis de
Tocqueville, juge suppléant près le tribunal de Versailles, et de Gustave de Beaumont, substitut
du procureur du Roi près le tribunal de la Seine, sont en Amérique pour y étudier le système
carcéral90. Tocqueville, élu député de la Manche en 1839 présentera son projet de réforme des
prisons dans un rapport de juillet 1843 en tant que président de la commission chargée
d'examiner le projet de loi sur les prisons. Bien qu’elle fût adoptée le 18 mai 1844, cette réforme
sera très vite suspendue par le ministre de l’Intérieur quelques années plus tard.
87 RENAULT (M.-H.), art. préc. 88 SCHNAPPER (B.), art. préc. 89 BECCARIA (C.), Des délits et des peines, 1e éd. 1765, rééd. 1991, Flammarion, Paris, 1991, p. 126 90 Le système pennsylvanien de Philadelphie que proposera La Rochefoucault-Liancourt est en opposition à l’architecture de la panoptique proposée par Bentham basée sur la nécessité de voir tous les détenus pour mieux les surveiller et à celui que préfèrera Tocqueville, le système auburnien de New York, dans lequel les détenus étaient individuellement enfermés dans une cellule la nuit et travaillaient en commun le jour.
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La loi du 28 avril 1832 aura également généralisé le bénéfice des circonstances
atténuantes (créées par une loi de 1824, et fondées sur le principe de l’arbitraire, mais on
préfèrera alors parler de personnalisation voire plus tard d’individualisation…) aux récidivistes,
grâce notamment au soutien de Louis-Philippe. Cette généralisation des circonstances
atténuantes, rendant donc l’aggravation facultative, venait en réalité en réaction à la pratique des
« acquittements scandaleux »91 qui étaient en effet courant afin de réduire au maximum les
condamnations à mort ou à perpétuité (notamment pour les « petits » récidivistes). Cependant,
même si les juges n’hésitaient pas, dès la fin du Moyen-Age, à faire rechercher dans les archives
si le prévenu avait déjà fait l’objet d’une ou plusieurs condamnations, y compris dans d’autres
juridictions,92 de très nombreuses difficultés subsistaient pour relever la récidive. C’est pourquoi,
l’idée du casier judiciaire apparaîtra au XIXe siècle, après l’engouement pour les sommiers
judiciaires, proposé par le Procureur de la République de Versailles, Bonneville de Marsanguy,
en 1848, dans le but justement de retrouver les condamnations pénales passées93. Grâce à ce
nouvel outil, la connaissance de la récidive devient plus exacte, ce qui amène Napoléon III, en
1851, à réagir par une nouvelle politique de rigueur importante face à la progression de la
récidive qui trouble l’opinion publique. Tout d’abord, son ministre de l’Intérieur, Persigny, met
fin à la réforme pénitentiaire initiée en 1830 (emprisonnement cellulaire) afin de rétablir le
régime de la vie en commun. L’intimidation va à nouveau être privilégiée face à l’amendement,
notamment avec la loi du 30 mai 1854 qui prescrira une peine de travaux forcés dans une colonie
française d’outre-mer. Enfin, le code pénal sera révisé en 1863 dans le but d’assimiler la récidive
de délit à crime à celle de crime à crime puni de peines correctionnelles, et le récidive de délit à
délit à celle de délit à crime puni de peines correctionnelles94. Après une répression accrue, qui
s’avèrera inefficace, s’en suivra une véritable « politique du débarras » selon les mots de
l’inspecteur général des services pénitentiaires, Charles Lucas, fondateur de la Société générale
des prisons en 1877 et auteur de la « théorie générale de l’emprisonnement » dès 1836. En effet,
l’époque est sujette à une forte « obsession »95 de la récidive, les magistrats de la Cour de
cassation souhaitant la mise en place de la relégation (loi du 27 mai 1885), et soulignant que le
mécanisme légal de la récidive fonctionnait de plus en plus mal, d’où la loi du 26 mars 1891
créant la petite récidive pour sanctionner la petite délinquance d’habitude qui n’était que peu
réprimée au vu des peines démesurées. Si la loi de 1832 permettait au juge d’éviter les peines
91 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 452 92 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 257 93 L’idée du casier judiciaire sera donc reprise dans une circulaire du ministre de la Justice Eugène Rouher du 6 novembre 1850, mise en application au 1er janvier 1851 ; pour aller plus loin : PRADEL (J.), op. cit., n° 667, p. 599-600 94 En réalité, le but premier de cette réforme n’était pas tant une aggravation des peines à l’égard des récidivistes plutôt qu’une suppression des difficultés inhérentes à l’ancien système. 95 SCHNAPPER (B.), art. préc.
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d’élimination par le jeu des circonstances atténuantes, la loi de 1854, en fermant les bagnes en
France, prescrit la relégation en Nouvelle Calédonie (Guyanne), après avoir purgé sa peine
d’emprisonnement, rendue obligatoire par la loi de 1885 et cela jusqu’en 1954 ! A l’initiative du
sénateur Bérenger, la loi du 26 mars 1891 modifie à nouveau le régime de la récidive. Elle rend
la récidive correctionnelle à la fois temporaire et spéciale, et institue donc la petite récidive
correctionnelle. Par contre, est conservée la récidive générale et perpétuelle de crime à crime
punis de peines afflictives et infamantes. Il reprend en fait la distinction des positivistes entre
délinquants primaires et délinquants d’habitude, s’attachant quant à lui à la prévention de la
récidive : les primaires se voyaient octroyés un sursis à l’exécution de leur peine,
automatiquement révoqué en cas de récidive. Cette loi eu un fort succès dès son entrée en
vigueur, puisque seulement 5,4 % des sursis furent révoqués entre 1891 et 189796. « Les lois de
bonté réveillent dans les cœurs non encore pervertis les bons sentiments que renferme toute
conscience humaine » disait Bérenger97. Mais le début du XXe siècle voyait alors une nouvelle
très forte progression de la récidive et surtout de la multirécidive…
En fait, les diverses modifications du régime de la récidive au XIXe siècle se sont avérées
inefficaces étant donné que le doublement de la peine encourue était tout simplement inutile
puisque la pratique se tenait particulièrement éloignée de ce plafond. De la même manière
l’élévation du minimum était lui aussi sans intérêt en matière correctionnelle puisque le juge
avait des possibilités d’indulgence très importantes grâce aux circonstances atténuantes, y
compris à l’égard des récidivistes.
D. Le XXe siècle
Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la législation relative à la récidive est restée
pratiquement inchangée. C’est en 1938, que la relégation a cessé, compte tenu des tensions
internationales. Après la défaite de 1940, il était tout simplement impossible d’assurer la
transportation des condamnées, c’est pourquoi une « loi » de 1942 du gouvernement de Vichy, a
prévu un régime provisoire de relégation en métropole. Après la fin de la Seconde Guerre
mondiale, – et après la réforme Amor qui améliorera grandement les conditions de détention et
placera réellement l’amendement et le reclassement social du condamné au centre de la peine
privative de liberté – il a quand même fallu attendre 1954 pour que cesse quasi définitivement la
relégation.98 Puis vint la loi du 17 juillet 1970 instaurant la tutelle pénale et le sursis pour les
récidivistes (art. 734-1 al. 1 CPP) et la loi du 11 juillet 1975 élargissant encore les possibilités
d’obtention d’un sursis pour le récidiviste. La tutelle pénale, facultative et d’une durée maximum 96 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 451 97 Ibidem 98 La loi du 3 juillet 1954 a en fait bouleversé l’esprit de la loi de 1885, rendant la relégation facultative.
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de dix ans, ne pouvait être prononcée qu’après qu’aient été ordonnées une enquête de
personnalité et une expertise médico-psychologique. De la même manière que la relégation, la
tutelle pénale débutait au jour de la fin de la peine d’emprisonnement. Très peu employée99, elle
est rapidement tombée en désuétude, et fut donc supprimée par la loi dite « sécurité et liberté »
du 2 février 1981. La fin des années 1970 va être marquée par un débat nouveau, celui de
l’abolition de la prison, suite à la publication de l’ouvrage « Surveiller et punir » de Michel
Foucault en 1975. Cependant, « les années 1980 et 1990 devaient être plus pauvres en réflexion
et plus riches… en construction de prison », critique Jean Danet.100
Jusqu’au nouveau code pénal entré en vigueur en 1994, aucune nouvelle disposition n’a
été créée au sujet de la récidive, même si les réflexions n’ont bien entendu pas cessé. Le code
pénal, en abolissant la peine de mort, a fait de la peine d’emprisonnement – et contrairement à la
volonté affichée101 – une véritable « clef de voûte de tout l’édifice pénal »102, les peines
minimales ont été supprimées, restant le seul maximum dans l’échelle des peines. Quant au
régime de la récidive, le nouveau code pénal instaurait un système général de doublement des
peines encourues, qui consiste à « objectiver le premier terme de la récidive puisque la clémence
éventuelle des premiers juges […] n’a plus aucune incidence sur la détermination de la
récidive »103, et constitue donc un élargissement très important du champ d’application des
différentes récidives. Une mesure d’apparence répressive, puisque le juge pouvait donc être
beaucoup plus sévère, mais qui restait quand même dans un certain équilibre, étant donné les
pouvoirs d’individualisation dévolus aux juges. Néanmoins, cela aurait pu être autrement,
puisque l’avant-projet de 1976 remplaçait la notion de récidive par celle de réitération, et que
l’avant-projet de 1978 abandonnait tout simplement ces deux concepts puisque le nouveau code
pénal comportait des peines suffisamment sévères y compris pour les comportements les plus
dangereux.104 Lors de la discussion de la loi du 2 février 1981, on repris cette dernière
proposition, assimilant alors la récidive et le concours réel d’infraction, conformément aux
résultats de la criminologie qui assimilent tous les délinquants réitérants, mais l’Assemblée
nationale a ensuite abandonné cette solution au motif qu’elle allait à l’encontre du principe du
99 500 personnes environ y avaient été soumises selon le magistrat PORTELLI (S.), op. cit. 100 DANET (J.), Défendre, pour une défense pénale critique, Dalloz, 2e éd., Paris 2004, p. 231 101 Exposé des motifs du NCP : « l’emprisonnement, en l’état de notre société, ne saurait disparaître de notre système de peine (…). Mais la prison ne doit point demeurer le fondement principal sinon exclusif du système des peines correctionnelles. Toujours nécessaire à la répression des délits les plus graves, l’emprisonnement ne doit pas apparaître comme une peine inévitable et usuelle », cité par DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), op. cit., n° 801, p. 763 102 PORTELLI (S.), op. cit. 103 THOMAS (D.), « Observations sur la récidive », in LAZERGES (C.)(dir.), Réflexion sur le nouveau code pénal, Equipe de recherche sur la politique criminelle (ERPC), éd. Pédone, Paris, 1995, 169 p., p. 91 104 THOMAS (D.), « Observations sur la récidive », art. préc.
17
non-cumul des peines105. Quant aux avant-projets de 1983 et 1985, ils prévoyaient à nouveau une
aggravation de la peine en cas de récidive106, « plus par immobilisme que par conviction »107.
Après l’alternance politique de mars 1993, le ministre de la Justice, Pierre Méhaignerie
avait mis en place une commission sur la lutte contre la récidive en matière criminelle108,
présidée par Mme le Professeur Cartier qui déposa son rapport109 en octobre 1994. Celle-ci
proposait – déjà – de transformer les réductions de peines ordinaires en réductions de peines
assorties d’un suivi post-pénal d’une durée identique au temps de réduction, et de recréer une
peine complémentaire de suivi post-pénal (assistance, tutelle ou contrôle) applicable à toutes les
infractions punies de peines criminelles. Cette mesure, rappelant trop l’ancienne tutelle pénale,
n’a pas été adoptée. Un peu avant l’élection présidentielle de 1995, le Premier ministre Edouard
Balladur chargeait le sénateur Guy Cabanel d’une mission auprès du Garde des Sceaux dans le
but de permettre « une meilleure prévention de la récidive »110. Il est relativement intéressant
d’observer que ce gouvernement s’attache à une véritable réflexion quant à la seule prévention
de la récidive. D’autant plus avec le recul d’une dizaine d’années, étant donné que le même bord
politique111 opère une grande réforme du droit de la récidive pour son seul « traitement »112,
c’est-à-dire principalement post-infraction et donc répressif. Le Sénateur Cabanel apportait une
vision plus progressiste que ne le fera Pascal Clément. En effet, se basant principalement sur
l’idée de prévention de la récidive, il proposera de revoir véritablement les conditions de
placement en détention afin de limiter le recours à l’emprisonnement, et même de l’interdire
pour les peines courtes, d’utiliser de manière beaucoup plus importantes les diverses alternatives
à la prison, en incitant les magistrats à y recourir (il proposait déjà un accroissement du rôle des
juges de l’application des peines, et la judiciarisation de l’application des peines…). En outre, il
jugeait anormal – comme beaucoup d’ailleurs – l’inefficacité de la peine dans son objectif de
réinsertion sociale, et c’est pourquoi il se voulait très propositionnel pour assurer une meilleure
prise en charge des délinquants en fin de peine. Enfin, le rapport Cabanel se distinguera par une
proposition nouvelle qui a depuis beaucoup fait parler d’elle : le placement sous surveillance
105 ROBERT (J.-H.), Droit pénal général, P.U.F., Coll. Thémis, Paris, 1999, 4e éd., p. 401 106 THOMAS (D.), « Observations sur la récidive », art. préc. 107 ROBERT (J.-H.), op. cit., p. 401 108 Déclaration de Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur la réforme des soins en milieu pénitentiaire, le 22 mars 1994, http://www.vie-publique.fr/documents-vp/decl_mehaignerie_220394.shtml 109 CARTIER (M.-E.), « Rapport de la Commission d’études pour la prévention de la récidive des criminels », RSC, 1995, p. 159 110 CABANEL (G.-P.), Pour une meilleure prévention de la récidive, Rapport au Premier ministre, La documentation Française, Coll. des rapports officiels, Paris, 1996, 133 p. 111 Plus ou moins la même formation politique, puisqu’en 1995, il s’agit encore du RPR (Rassemblement Pour la République), alors qu’aujourd’hui, une grande partie des formations politiques de « droite » se retrouvent rassemblées dans l’UMP (Union pour un Mouvement Populaire). 112 Loi du 12 décembre 2005 précitée
18
électronique, comme alternative à l’emprisonnement (et même à la détention provisoire) ou en
fin de peine.
Quelques années plus tard, en septembre 1999, alors que la « gauche plurielle » occupait
le gouvernement de Lionel Jospin, le Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou mettait en place une
commission sur la libération conditionnelle – mesure qui concerne au combien la question de la
récidive – présidée par le conseiller à la cour de cassation Daniel Farge. Son rapport113
préconisait alors la juridictionnalisation de l’application des peines cher au mouvement de
défense sociale nouvelle et à l’Union internationale de droit pénal114, la suppression de la
compétence du Garde des Sceaux en la matière, ainsi que l’introduction du placement sous
surveillance électronique, puisqu’il apparaît nécessaire de suivre la voie ouverte par le rapport
Cabanel. Quelques mois plus tard, – et après le tollé soulevé par le livre du docteur Vasseur115 –
la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes116 était
votée à l’unanimité. Au-delà du rôle fondamental que devra avoir le nouvel (et premier) article
préliminaire du code de procédure pénal, la loi du 15 juin 2000 juridictionnalise enfin
l’application des peines. Le but est très simple : éloigner la décision de la libération
conditionnelle de l’autorité politique, trop sujette aux sollicitations de l’opinion publique, pour
en faire un véritable débat judiciaire. En fait, c’est un vrai changement de culture que devait
annoncer la loi du 15 juin 2000. Au lieu de s’attacher aux règles du code pénal, le débat sur la
récidive et les futures réformes la concernant se devaient d’être portés sur le code de procédure
pénale dans la phase d’exécution et de l’aménagement des peines. C’est pourquoi l’article 729 du
code de procédure pénale dispose que « la libération conditionnelle tend à la réinsertion des
condamnés et à la prévention de la récidive », cela devant être rendu possible par la création
d’une juridiction régionale de la libération conditionnelle.
V. Le contexte sécuritaire
« Le choix d’une politique pénale centrée autour du droit à la sécurité remet bientôt
totalement en cause la politique qui avait été engagée »117, compte tenu notamment du contexte
post attentats du 11 septembre 2001. La prise de conscience des difficiles conditions de
113 FARGE (D.), La Libération conditionnelle, Rapport à madame le garde des sceaux, ministre de la justice, Paris, Ministère de la Justice , 2000, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/ 114 ANCEL (M.), op. cit., p. 223 115 VASSEUR (V.), Médecin-chef à la prison de la santé, éd. Le Cherche midi, Paris, 2000, 217 p. ; cet ouvrage engendrera une médiatisation importante des conditions de détentions ainsi qu’un débat parlementaire qui ouvrira la voie à une future loi pénitentiaire qui n’a toujours pas vu le jour, ainsi que la mise en place par chacune des deux chambres d’une commission d’enquête parlementaire ; la loi du 15 juin 2000 donnera ensuite compétence aux parlementaires pour visiter les prisons sans besoin d’autorisation ministérielle ou autre. 116 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, J.O. n° 138 du 16 Juin 2000 117 DANET (J.), op. cit. p. 231
19
détention, et le débat tant attendu sur la justesse des peines, a en effet pris fin ce 11 septembre, et
certains s’en sont saisis – de bonne ou mauvaise foi – pour amorcer une dérive sécuritaire dans
toute la matière pénale, tant au niveau des incriminations que des peines elles-mêmes. La grande
loi pénitentiaire promise est remise à plus tard, et les élections présidentielles de 2002 n’auront
qu’un seul et unique thème : la sécurité. Donc, tout à fait logiquement, l’opinion publique est
demandeuse de sécurité118. Tout ou presque peut être justifié lorsque les citoyens ont peur, et
l’on assiste alors à une véritable surenchère populiste à travers les médias, les propositions de loi,
adoptées119 ou non, et la loi de 2005 relative à la récidive ne fait pas exception tant dans son
origine, que dans son élaboration au fil des débats parlementaires. Pendant ce temps, le nombre
d’incarcération et le temps de la peine augmentent, ainsi que le recours à la détention provisoire,
alors que d’autres pointent continuellement l’état de délabrement des établissements, les
conditions intolérables de détention, et l’excessif recours à l’incarcération.120
« D’inspiration grossièrement sécuritaire »121, ou « comme d’habitude, mollement assise
entre deux chaises », entre la volonté populaire demandeuse de sécurité et « une idéologie
prégnante selon laquelle « tout le monde il est bon, tout le monde il est gentil », « comme toutes
les lois pénales depuis 1986, [la loi du 12 décembre 2005 serait donc] médiocre »122. Pourtant, la
question de la récidive, est un, sinon le principal, « enjeux de politique pénale pour le pouvoir
politique »123, puisque réside autour de cette question une bataille idéologique et culturelle entre
ceux désireux d’une sanction plus sévère et d’autres relevant dans la récidive l'échec du
traitement pénitentiaire, voire du système pénal dans sa globalité. « Sans paraître guidée par une
approche criminologique permettant d’appréhender cette difficulté à sa racine »124, le texte vise
essentiellement les petits délinquants, là où il était question, suite à l’actualité, de réagir
spécifiquement à la dangerosité des grands criminels. Finalement, le but ultime de cette nouvelle
loi pénale est de « rendre les sanctions plus dissuasives et adresser aux délinquants un signal
fort » comme l’explique son auteur125, bref « il faut inspirer la crainte »126. Pascal Clément fait
118 LAGRANGE (H.), Demandes de sécurité, éd. du Seuil et La République des idées, Paris, 2003, 109 p. 119 On citera principalement la loi dite « Sarkozy » n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure 120 OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP), Les conditions de détention en France, éd. La Découverte, Paris, 2005, 285 p.; GIL-ROBLES (A.), Rapport 2006 sur le respect effectif des Droits de l’Homme en France, Conseil de l’Europe, éd. des Equateurs, Strasbourg 2006, p. 41-79 121 ROETS (D.), art. préc. 122 RASSAT (M.-L.), ROUJOU DE BOUBEE (G.), « A propos de l’article 4 de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 », Dalloz, 2006, n° 9, tribune, p. 593 123 PONCELA (P.), « La question de la récidive », RSC, 2005, p. 613 124 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives à la récidive dans la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 », art. préc. 125 CLEMENT (P.), art. préc. 126 CLEMENT (P.), « Il faut inspirer la crainte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 7 au 13 juillet 2005, p. 60
20
donc le « pari »127 de la dissuasion, fondant l’utilité de la peine à l’égard d’un récidiviste sur
l’effet dissuasif qu’elle devrait engendrer chez ce dernier mais aussi pour l’ensemble des futures
sortants de prison ou ancien condamnés. Chaque récidiviste doit constituer en lui-même une
sorte d’exemple à ne pas suivre, oubliant alors que « la peine [serait] juste dans la mesure où les
droits de l’infracteur ne [seraient] pas sacrifiés pour le bénéfice du plus grand nombre […], une
stricte proportionnalité entre la sévérité de la peine et la gravité de l’infraction »128, afin que le
passé délinquant ne pèse pas aussi lourd dans la sentence pénale. Même si « pour Hegel, la peine
comme équivalence du crime n’est pensable que dans la sphère du droit abstrait », et que Poncela
explique que finalement « la rétribution ne serait rien d’autre que la réciprocité violente », la
vengeance rationalisée par le système pénal.129 Rétribution, dissuasion, faut-il préférer l’un par
rapport à l’autre ? Le législateur l’a fait au bénéfice de la dissuasion.
Pourtant, lorsque l'on s'attaque aux problèmes de la récidive, comme nous l'avons vu
précédemment sous les aspects historiques, plusieurs possibilités s'offrent au législateur voire
aux acteurs sociaux. Il y a plusieurs années, le gouvernement Balladur avait commandé au
sénateur Guy Cabanel un rapport sur la prévention de la récidive, on peut s'étonner que la
commission présidée par le futur Garde des Sceaux Clément ainsi que la loi sortie de leurs
réflexions ne s'enferme dans une seule logique répressive. L'histoire nous a, en effet, démontré
que l'aggravation des sanctions, ainsi que le recours systématique à la prison, n’avaient que peu
d'effets positifs sur l'évolution de la criminalité et plus particulièrement de la récidive, voire
n'entraînait que des conséquences véritablement néfastes. Par ailleurs, cette loi, qualifiée parfois
de « fourre-tout »130, a également été l’occasion de corriger un certain nombre de scories ou
d’erreurs créées par la loi du 9 septembre 2004, notons tout de même que seulement douze des
quarante-deux articles ont pour objet direct le traitement de la récidive.
La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales
va-t-elle véritablement permettre d’enrayer la prétendue augmentation de la récidive ? La
répression accrue et le choix permanent de la sanction prison vont-ils permettre de rassurer
l’opinion publique et d’obtenir les résultats attendus ? La lutte contre la récidive ne devrait-elle
pas être insérée au sein d’une politique criminelle plus globale, mais également appuyée par une
politique sociale et une politique de la ville plus ambitieuse ? Nous prétendons mener une
analyse critique de la loi du 12 décembre 2005 parce qu’il semble nécessaire, dans toute étude
127 PONCELA (P.), « Par la peine, dissuader ou rétribuer », in L’utile et le juste, Archives de philosophie du droit, T. 26, éd. Sirey, 1981, p. 59 128 PONCELA (P.), « Par la peine, dissuader ou rétribuer », art. préc. 129 PONCELA (P.), « Par la peine, dissuader ou rétribuer », art. préc. 130 RASSAT (M.-L.), ROUJOU DE BOUBEE (G.), art. préc.
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scientifique, de ne rien regarder comme une évidence. Encore moins lorsque une loi – comme
celle-ci – déchaîne les passions (parce que la sanction pénale, si proche de la liberté, ne peut
laisser ni victimes, ni prévenus, ni politiques et encore moins l’opinion publique indifférents) et
qu’elle a pour élément, non pas déclencheur mais renforçant encore la volonté répressive à
l’égard des récidivistes un énième fait divers131, en l’espèce, le meurtre de Nelly Crémel132 le 2
juin 2005. Il nous faudra donc poser un regard de juriste sur les dispositions de la loi du nouveau
Garde des Sceaux Pascal Clément, également celui d’un politologue au vu de sa longue et
délicate élaboration, de philosophe et d’historien également. En définitive, c’est un regard
humain qui sera nécessaire, se voulant le plus rationnel possible mais aussi réflexif et
propositionnel au vu de l’état du monde carcéral en France aujourd’hui. Autant de questions
auxquelles cette étude à vocation à apporter des éléments de réponse, à travers l’analyse de la loi
dite Clément, qui semble n’être finalement qu’une tentative de traitement du récidivisme (Partie
1) – seul l’avenir nous dira ce qu’il en est vraiment – puis par l’observation du choix réitéré de la
répression dans le traitement du récidivisme (Partie 2).
131 Cf. Chronologie d’une loi d’opinion, p. 23 132 « Nicolas Sarkozy veut rouvrir le débat sur la récidive », Le Monde, 16 Juin 2005 ; « Terribles histoire de rechutes », Le Figaro, 25 juin 2005 ; « Avec Nelly Crémel, l’assassin présumé a-t-il récidivé ? », Libération, 30 juin 2005
22
Première partie :
Une tentative de traitement du récidivisme
La question du récidivisme a, depuis longtemps, fait l’objet de débats houleux car elle
met en confrontation de grands modèles de politique criminelle antagonistes. En effet, au-delà du
seul type d’infraction en cause, la sanction en elle-même et les conditions de son exécution
semblaient important. Cependant, il ne semble pas que le droit de la récidive est fait en lui-même
l’objet d’étude véritablement sérieuse pour arriver aux différentes réformes constatées. « Nous
n’avançons pas car nous sommes dans une démocratie d’opinion »133 estime Robert Badinter, qui
encore aujourd’hui tente par tous moyens de convaincre opinion publique et responsables
politiques de la nécessité de réfléchir à d’autres modes de sanction pénale que la prison.
Malheureusement, « les élus doivent satisfaire aux demandes de leur électorat » et leurs discours
sont donc « liés, voire contraints ».134 Face au « populisme pénal »135, il est très difficile de lutter
sans faire preuve de démagogie à son tour. Pourtant, se poser la question de la récidive semble
important du point de vue notamment de l’état de la justice en général, mais aussi et surtout de
l’état de la réflexion pénale et de l’exécution des sanctions, et principalement la peine
d’emprisonnement. Et dans l’ambiance politico-sociale post attentats du World Trade Center,
suite à la campagne électorale de 2002 et les différentes réformes intervenues dans la matière
pénale, il devenait évident que la question de la récidive allait resurgir, pour occuper un temps,
« une place centrale dans les discours de politique pénale »136. Suite à divers évènements dès
l’année 2003, le thème de la récidive des infractions pénales va commencer à prendre une place
importante sur la scène politico-médiatique. Une proposition de loi sera déposée fin 2004, elle
tentera, ou en tout cas, se donnera pour objectif de traiter plus efficacement et plus rapidement
133 BADINTER (R.), « Avec Badinter, la présidentielle n’échappera pas à la prison », Libération, 8 mars 2006 134 CASADAMONT (G.), PONCELA (P.), op. cit., p. 52 135 SALAS (D.), La volonté de punir, Essai sur le populisme pénal, éd. Hachette, Coll. Littératures, Paris, 2005, p. 287 136 CASADAMONT (G.), PONCELA (P.), op. cit., p. 52
23
les récidivistes, mais aussi les réitérants (Chapitre 2). Mais durant près de deux ans, depuis les
premières déclarations sur le sujet, jusqu’au vote de la promulgation de la loi le 12 décembre
2005, de nombreuses difficultés vont nuire aux travaux parlementaires, s’agissant notamment
d’une instrumentalisation du débat par certains responsables politiques pour singulièrement
durcir la législation pénale. Il importe donc de commencer par faire le récit critique et
chronologique de cette loi d’opinion (Chapitre 1).
Chapitre 1er : Chronologie d'une loi d'opinion
Le compositeur, mais également responsable de la « commission prison » de la Ligue des
droits de l’Homme, Nicolas Frize, affirmait que « l’opinion publique est un concept de
propagande », qu’elle « ne s’encombre pas de vérité ni de réalité, elle est un point de vue, un état
d’âme, un présupposé issu de l’habitude, de la répétition, du confort de la nostalgie ou de la
sécurité du connu, de l’éducation ou de l’usage social, à l’opposé de la connaissance »137. Pour
lui, le fait que l’opinion soit aujourd’hui en demande de sécurité et laisse porte ouverte à une
surenchère sécuritaire inquiétante serait la conséquence d’un travail démagogique porté par
certains responsables politiques dans le but de pouvoir ensuite rassurer par de nouvelles
dispositions plus répressives. Pourtant lorsqu’on reprend les travaux de Roberts, on s’aperçoit
que « les mesures de la peur du crime sont parallèles à celles des politiques de sur-répression
pénale en direction notamment des auteurs de crimes sexuels ou des auteurs de crimes
récidivants »138. Suite aux attentats du 11 septembre 2001 et à la campagne électorale pour les
présidentielles de 2002 marquée par l’insécurité, certains ont tenté d’exploiter cette période de
peur pour durcir la législation pénale. La loi de 2005 relative à la récidive ne fait pas exception,
au contraire… En effet, celle-ci a pour origine un fait divers malheureux et la procédure
législative sera maillée de drames du même genre engendrant une dérive sécuritaire du texte au
fur et à mesure de son élaboration. Dans un premier temps, il faudra étudier la genèse de la loi du
12 décembre 2005 depuis les premières déclarations demandant une répression accrue des
récidivistes jusqu’au dépôt de la proposition de loi le 1er décembre 2004 sur le bureau de 137 FRIZE (N.), Le sens de la peine : état de l’idéologie carcérale, éd. L. Scheer, coll. Lignes, 2004, p. 32 138 ROBERTS (J. V.), « La peur du crime et les attitudes à l’égard de la justice pénale au Canada : Bilan des dernières tendances », Rapport pour le ministre Solliciteur Général du Canada. Canada : Travaux publics et Services gouvernementaux, 2001, cité par SENON (J.-L.), MANZANERA (C.), « Psychiatrie et justice pénale : à la difficile recherche d’un équilibre entre soigner et punir », AJ Pénal, oct. 2005, n° 10, dossier « Récidive : quelles réponses judiciaires ? », p. 353
24
l’Assemblée nationale (Section 1ère). Ensuite, il conviendra de se pencher sur son élaboration, les
difficultés qui ont dû être surmontées par les parlementaires pour arriver, au bout de la
commission mixte paritaire, à un texte sensiblement différent de la proposition initiale, texte qui
sera plus tard soumis au contrôle du Conseil constitutionnel (Section 2nde).
Section 1ère : De l'actualité au débat politique
Selon Pascal Clément, la loi sur la récidive « n’est pas dictée par des considérations liées
à l’actualité ni avancée dans l’urgence et la précipitation »139, mais « procède d’une analyse
rigoureuse » 140, néanmoins basée, de son propre aveu, sur des chiffres relativement flous
puisque « la récidive [est] une notion juridique trop étroite que les données statistiques ne
peuvent mesurer avec précision »141. Pourtant, il semble bien que le débat sur la récidive s’est
engagé et a rebondit à la suite de plusieurs faits divers aussi malheureux les uns que les autres,
avec l’aide de certains personnages politiques qui ne pourront s’empêcher d’utiliser de manière
perverse, voire « populiste »142, ces évènements troublants. Il se trouve en effet, que l’opinion
s’intéresse à ces évènements, alors que l’absence de récidive et la réinsertion d’un ancien
délinquant ennuient et restent finalement silencieux. Dans un premier temps, une partie de la
majorité parlementaire va proposer de réinstaurer des peines minimales (§ 1), puis le président de
la commission des lois de l’Assemblée nationale, Pascal Clément mettra en place une mission
d’information relative au traitement de la récidive des infractions pénales (§ 2) pour que des
propositions plus concrètes et inscrites dans la globalité du phénomène soient proposées aux
parlementaires.
§ 1 : La proposition des « peines plancher »
Imaginée par le Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, cette « proposition venue
d’ailleurs »143 ne pouvait laisser Dominique Perben, alors Garde des Sceaux, très longtemps
indifférent. Celui-ci décidé à ne pas accepter une ingérence manifeste du ministre de l’Intérieur
dans les affaires de la Justice, encore plus du fait qu’il s’opposait sur le fond à cette proposition,
va entrer en conflit ouvert avec Nicolas Sarkozy (A). Ce qui aura son importance sur l’évolution
du dossier, puisque entre temps, Pascal Clément, président de la commission des lois de 139 CLEMENT (P.), art. préc.140 Ibidem 141 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 24 142 BOUMEDIENE-THIERY (A.), intervention de Mme la sénatrice (Les verts) en séance publique le 25 octobre 2005, http://lesverts.fr/article.php3?id_article=2460 143 PONCELA (P.), « La question de la récidive », RSC, 2005, p. 613
25
l’Assemblée nationale, deviendra à son tour Garde des Sceaux et défendra « sa » proposition de
loi devant les parlementaires. Néanmoins, au-delà l’affrontement entre ministres, il nous faut
étudier cette « proposition de loi tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive
» (B), afin de comprendre de quoi il s’agit et pourquoi, plus tard, la mission Clément y
renoncera.
A. L’opposition entre le ministre de l’Intérieur et le Garde des Sceaux
Proposée « par l'aile la plus sécuritaire de la majorité gouvernementale »144, le retour des
peines minimales dans le débat politique a pour origine un tragique fait divers. En effet, le 6
novembre 2003, Franck Lelong, gardien de la paix de Paris, est tué alors qu’il n’était même pas
en service145. Quelques jours plus tard, le 12 novembre 2003 à l’Assemblée nationale, le ministre
de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, aborde le sujet de la récidive, soulignant que le meurtrier
présumé du gardien de la paix « avait déjà été interpellé à cinquante-trois reprises et condamné
vingt et une fois »146. Celui-ci propose alors que l’on instaure des peines de prison minimales
automatiques pour les délinquants récidivistes parce que « les Français ne supportent plus de voir
une infime minorité se comporter en situation de quasi-totale impunité »147. Une proposition qui
ne satisfait pas, au contraire, le ministre de la Justice, Dominique Perben, qui veut que soit
conservé le pouvoir d’appréciation, d’individualisation, du juge pour « tenir compte de la
personnalité du délinquant »148. S’installe alors une opposition très importante entre les deux
ministres de la République dans laquelle le Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, n’interviendra
pas. Le 20 novembre 2003, lors d’une émission sur France 2, le ministre de l’Intérieur va faire
état de sa proposition avant de récidiver lors d’une visite mouvementée à l’Ecole Nationale de la
Magistrature (ENM) à Bordeaux le 12 décembre 2003. Le 16 décembre, il continuait en
présentant son projet de loi sur la prévention de la délinquance, expliquant que « le risque qu’ils
prennent n’en vaut pas la chandelle »149.
Dès la fin janvier 2004, une proposition de loi150 sera rédigée et discutée au sein du
groupe UMP à l’Assemblée. Elle est l’œuvre de deux « proches » de Nicolas Sarkozy : Christian
Estrosi et Gérard Léonard. Le ministre de l’Intérieur, insatisfait des dispositions de la future loi
144 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle … », op. cit.145 « Un gardien de la paix tué avec son arme à Paris, alors qu'il n'était pas en service », Le Monde, 8 novembre 2003 146 « Délinquance : Déclaration de Nicolas Sarkozy sur les multirécidivistes », Le Monde, 14 novembre 203147 « M. Sarkozy et M. Perben s'affrontent sur la répression des récidivistes », Le Monde, 15 décembre 2003 148 Ibidem ; « Controverse sur les sanctions à l’encontre des délinquants multirécidivistes », Le Figaro, 26 décembre 2003 149 PORTELLI (S.), op. cit., p. 48 150 « Proposition de loi tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive », n° 1399, déposée le 29 janvier et enregistrée le 4 février à la Présidence de l’Assemblée nationale, http://assemblee-nationale.fr
26
dite Perben II, « loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité », va engager
un véritable bras de fer avec le Garde des Sceaux, en faisant également envoyer, le 4 février
2004, une circulaire aux directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) intitulée
« mise en œuvre d’un traitement procédural adapté aux délinquants d’habitude » 151. Il s’agit en
réalité d’une injonction faite aux magistrats puisque, afin d’ « isoler le noyau dur de la
délinquance […] il vous (aux DDSP) appartiendra […] de signaler systématiquement au
magistrat présent les affaires dans lesquelles les suites judiciaires vous apparaissent insuffisantes
ou mal appropriées », un véritable « scandale » pour Dominique Barella, président de l’Union
syndicale des magistrats.152 La Chancellerie s’y opposera également vigoureusement expliquant
que « cette note répond à côté du problème compliqué de la multirécidive » et que « les
magistrats n’ont pas à justifier, même à un DDSP, un jugement » 153. Par ailleurs, s’agissant de la
proposition sur les peines plancher, Dominique Perben n’hésitera pas à évoquer « la possible
inconstitutionnalité d’une telle réforme »154. Cependant, il convient également d’observer sur le
fond cette proposition que la mission Clément rejettera.
B. Sur la « Proposition de loi tendant à instaurer des peines minimales en matière de
récidive »
Le 29 janvier 2004, cent cinquante députés UMP, proches du ministre de l'Intérieur, ont
déposé une proposition de loi155 qui prévoit, par exemple, que les crimes commis en situation de
récidive soient punis automatiquement de peines minimum de trois à cinq ans de prison ferme ;
de rendre les règles relatives au non-cumul et à la confusion des peines inapplicables en cas de
récidive ; d’exclure les intéressés de l’application de la surveillance électronique ; et d’écarter les
récidivistes du bénéfice des aménagements de peine prononcés par le JAP, c’est-à-dire les
soumettre à une période de sûreté automatique et égale à la durée de la peine prononcée. Les
syndicats de magistrats avec, une fois n'est pas coutume, Dominique Perben, se sont déclarés
fermement opposés à ce projet. Ils s'appuient surtout sur les principes actuels du code pénal et la
tradition judiciaire française qui privilégient l'individualisation de la peine. Une sanction qui
condamnerait automatiquement heurterait le pouvoir d'appréciation des magistrats sur la
personnalité du délinquant. Cette proposition s’appuie sur l’étude rendue publique par le bulletin
d’information du ministère de la Justice Infostats en juillet 2003, faisant état d’un taux de
151 « Délinquance : Sarkozy récidive sur les terres de Perben », Libération, 20 février 2004 ; « M. Sarkozy insiste auprès des députés de l'UMP pour durcir les peines contre les multirécidivistes », Le Monde, 26 février 2004 ; « Multirécidivistes », La Croix, 26 février 2004 152 « M. Sarkozy insiste auprès des députés de l'UMP pour durcir les peines contre les multirécidivistes », Le Monde, 26 février 2004 153 Ibidem 154 « Délinquance : Sarkozy récidive sur les terres de Perben », Libération, 20 février 2004 155 « Proposition de loi tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive » précitée
27
récidive pour l’année 2001 de 31,3 %.156 Une proposition qui, si elle avait été adoptée, aurait
incarcéré un nombre très important de condamnés alors que le choc psychologique de
l’incarcération ne les aurait peut-être pas aidé à retrouver le chemin de la réinsertion, au
contraire. Cette stricte automaticité, rendant impuissant le juge du siège dans son pouvoir
d’individualisation, a, par la suite, été condamnée par la mission d’information mise en place par
la commission des lois de l’Assemblée nationale, présidée par le futur Garde des Sceaux Pascal
Clément157.
§ 2 : La mission d’information de l’Assemblée nationale
Suite à la proposition des députés Estrosi et Léonard, le président de la commission des
lois Pascal Clément va s’approprier le sujet de la récidive, en lançant une mission d’information
suite à une réunion de ladite commission158. Celle-ci va se mettre en place presque dans
l’anonymat, mais pas sans faire état des rivalités sur le sujet entre le ministre de l’Intérieur et le
Garde des Sceaux Dominique Perben.159 Rendant son rapport160 au Premier Ministre – au milieu
de nouveaux faits divers malheureux161 – Jean-Pierre Raffarin va en profiter pour entrer dans le
débat, en mettant en place une nouvelle commission162. Interministérielle cette fois-ci, et
présidée par le procureur général près la Cour de cassation, Jean-François Burgelin, elle aura
pour mission d' « étudier l'amélioration de la prise en charge et du traitement psychiatrique des
délinquants sexuels à l'issue de leur peine », le Premier Ministre se déclarant quant à lui
favorable à l’ouverture « d’hôpitaux psychiatriques-prison » pour les délinquants sexuels.163
L’observatoire international des prisons condamnera le rapport remis par M. Burgelin, qui
« exploitant l’émotion de l’opinion publique » prévoit un placement d’après peine dans un
« centre fermé de protection sociale », et dénoncera « un enfermement à vie qui ne dit pas son
nom et qui va concerner une immense majorité de personnes qui ne présentent pas de risque ».164
156 « Les condamnées de 2001 en état de récidive », Infostats Justice, n° 68, juillet 2003, http://www.justice.gouv.fr/ publicat/Infostat68.pdf 157 Compte rendu n° 26 de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, http://assemblee-nationale.fr/12/cr-cloi/03-04/c0304026.asp 158 Ibidem159 « Multirécidive, des députés se penchent sur la question », Le Figaro, 5 mars 2004 ; « L’Assemblée crée une mission d’information sur la récidive », Les Echos, 5 mars 2004 ; http://assemblee-nationale.fr/12/dossiers/infractions_penales.asp#mission 160 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit.161 « Une manifestation à Colmar pour dire « halte à la récidive » », La Croix, 12 juillet 2004 ; « 5 000 personnes contre la récidive », Le Figaro, 12 juillet 2004 162 « Une commission santé-justice bientôt à pied d’oeuvre », Le Figaro, 7 juillet 2004 ; « Une commission santé-justice », Le Monde, 8 juillet 2004 163 « Raffarin propose un HP-prison », Libération, 10 juillet 2004 ; « Un hôpital psychiatrique-prison pour les délinquants sexuels », Le Figaro, 10 juillet 2004 ; 164 « Rapport Burgelin : des propositions dangereuses et des perspectives inquiétantes », Section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), 1er juillet 2005, http://www.monde-solidaire.org/spip/article.php3?id_article=2237
28
La mission Clément, qui ne se sera pas vraiment concentrer uniquement sur la délinquance
sexuelle, sera tout même propositionnelle sur le sujet.165 Elle va cependant conclure d’une part
en faveur du Garde des Sceaux Dominique Perben en rejetant le principe des peines plancher
(A), mais elle formulera d’autres propositions relatives au traitement de la récidive qu’il nous
appartiendra de commenter brièvement (B).
A. Le rejet des peines plancher
En explorant les systèmes des pays étrangers et en s’appuyant sur les principes
constitutionnels de nécessité des peines et de séparation des pouvoirs, la mission Clément va
rejeter l’idée des peines plancher. Prenant pour contre exemple les pays de common law et
critiquant leurs peines plancher automatiques qui ne conservent que la pure fonction rétributive
de la sanction pénale, la mission Clément va comparer l’incomparable afin, pourrait-on croire, de
justifier l’aggravation des sanctions qu’elle proposera. Car en effet, comment comparer le droit
de la récidive français ou globalement européen avec le système californien du « three strikes
and you’re out » qui « oblige le juge à prononcer une peine s’échelonnant de 25 années
d’emprisonnement à la réclusion à perpétuité lorsqu’une personne est condamnée pour la
troisième fois sans que la nature des infractions ou la prescription des faits ne soient prises en
considération »166. Le pouvoir d’individualisation est extrêmement faible puisque les juges
doivent suivre des « recommandations » qui déterminent pour chaque infraction le peine
applicable selon deux paramètres : la gravité du délit et le passé judiciaire du prévenu. Selon un
système de points, enfermé dans un tableau dans lequel la peine « recommandée » se situe à
l’intersection des deux paramètres précités, la marge d’appréciation du juge n’est que de six mois
d’emprisonnement, même s’il est possible de modifier le niveau de gravité des faits par le jeu des
circonstances aggravantes ou atténuantes. La Grande Bretagne a adopté une législation moins
rigide mais réduisant également incroyablement le pouvoir d’individualisation du juge. Ce
dernier est obligé de prononcer une peine de réclusion à perpétuité lorsqu’une personne
condamnée une fois – et quelque soit la nature de l’infraction – commet une tentative de meurtre,
des coups ayant entraîné la mort, un viol ou une tentative de viol. Cependant, par décision
motivée et lorsque des « circonstances exceptionnelles » le justifient, le juge peut renoncer à
prononcer ce type de sanction. Le fondement de ce système est bien sûr le principe d’égalité des
citoyens devant la loi pénale, alors que c’est au contraire l’individualisation qui permet de mettre
ce principe en œuvre rétablissant une égalité face aux inégalités de personnalités, de force
morale, etc. En réalité, ce mécanisme permet de mettre en place un système de justice négociée,
165 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 58 166 Ibidem, p. 14
29
grâce à la peur de la lourde peine, puisque le ministère public dispose d’une grande marge
d’appréciation quant à la qualification pénale des faits. Cela témoigne sans aucun doute d’une
méfiance importante à l’égard du juge que l’Europe continentale connaît très peu.
En effet, l’Europe a principalement (outre la Grande Bretagne) mis en place un système
reconnaissant la récidive comme une circonstance aggravante, et permettant l’individualisation
par le juge. L’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit la tenue
d’un débat contradictoire entre l’accusation et la défense sous l’autorité du juge qui ne doit pas
être contraint de prononcer une peine déterminée dès lors que la culpabilité du prévenu est
établie. Ce système est un contre-pied parfait aux mécanismes anglo-saxons. Loin d’être fondé
sur la seule fonction rétributive de la sanction, il tire son origine dans le principe même
d’individualisation des peines, prenant par conséquent en considération à la fois la nature de
l’infraction et la personnalité du prévenu. Le but n’est pas une élimination ou neutralisation d’un
individu dangereux, mais au contraire d’un jour lui faire retrouver la liberté. Néanmoins, cela
passe par des mesures d’aménagement en cours et en fin de peine encore trop peu utilisées pour
permettre une resocialisation réellement réussie. Même si certains pays167 connaissent les peines
plancher pour chaque infraction, elles ne conduisent nullement au prononcé de peines
automatiques, au sens anglo-saxon, afin de laisser une vraie marge de manœuvre au juge. Par
ailleurs, comme l’a expliqué le professeur Pierrette Poncela à la mission Clément168, une peine
même perpétuelle « doit pouvoir être révisée de façon périodique afin de tenir compte des
évolutions du condamné et de sa dangerosité », une philosophie qui est loin de plaider en faveur
des peines plancher.
Le rejet final se fondera sur les principes constitutionnels, principalement sur les
principes de nécessité des peines169 et de séparation des pouvoirs170. Même si le Conseil
constitutionnel peut sembler quelque peu « frileux » quant à l’application du principe de
nécessité des peines171, il en a déjà tiré l’interdiction des peines « automatiques »172. En
revanche, il ne fait aucun doute que le Conseil reste très attaché au pouvoir d’appréciation du
juge, il lui a par exemple laissé la possibilité de prononcer des peines inférieures aux peines
167 L’Allemagne, la Belgique, l’Italie, la Suède…168 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 19 169 Art. 8, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 26 août 1789, in Constitution française du 4 octobre 1958, éd. La documentation française, coll. Documents d’études, n° 1. 04, 2000, p. 4 170 Art. 16, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, in Constitution française du 4 octobre 1958, éd. La documentation française, coll. Documents d’études, n° 1. 04, 2000, 35 p.171 Décision 127 DC des 19 et 20 janvier 1981 : « l’article 61 ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique au Parlement » sous réserve d’une disposition qu’il considère « manifestement contraire au principe posé à l’article 8 de la déclaration de 1789 » 172 Pour exemple : Décision 94-410 DC du 15 mars 1999 sur l’inconstitutionnalité du caractère automatique de la déchéance des droits civils et politiques consécutive à une déclaration de faillite par le juge commercial.
30
prévues par la loi dans un décision de 1996173, une réserve d’interprétation rendant conforme une
disposition qui, à défaut, aurait été déclarée contraire à la Constitution. A partir de cette réserve,
des peines plancher seraient donc conforme à la Constitution à la condition que le juge puisse
prononcer une peine inférieure eu égard à la personnalité du prévenu ou si les circonstances
l’exigent. On voit mal à quoi servirait vraiment de telles peines plancher s’il est possible de
passer outre. C’est d’ailleurs ce qui a guidé les rédacteurs du projet de loi relatif au nouveau code
pénal lorsqu’ils ont désiré supprimer ces peines minimales en même temps que les circonstances
atténuantes puisque le mécanisme semblait devenir inutile tant le pouvoir d’appréciation du juge
était important. Aujourd’hui, avec le seul plafond, le juge a donc « tout loisir » pour
individualiser au mieux la peine et favoriser la future resocialisation du condamné. Enfin, selon
le professeur Guy Carcassonne, « l’adoption par le législateur de peines automatiques
méconnaîtrait le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs […], en particulier l’article
66 de la Constitution »174. En effet, puisque l’autorité judiciaire est « gardienne de la liberté
individuelle » et qu’elle assure le respect de ce principe « dans les conditions prévues par la
loi »175, si la loi fixe les modalités d’application de ce principe constitutionnel, elle ne devrait en
revanche priver l’autorité judiciaire de toute appréciation en la contraignant par une forme
d’automaticité des peines. Si le rejet des peines plancher par la mission Clément semble
important au vu des débats houleux qui ont pu mettre en scène deux ministres de la République,
d’autres propositions relatives au traitement de la récidive se doivent d’être brièvement
commentées.
B. Les autres propositions relatives au traitement de la récidive
Alors même que le rapport de la mission dresse un constat accablant sur les conditions de
détention dans les prisons françaises, celle-ci ne fait aucune proposition pour y remédier.
Finalement, pour le futur Garde des Sceaux, « avant de parler de statut du détenu, d’humanisme
des prisons, il faut construire des places et fermer celles qui sont indignes de notre république.
C’est précisément notre politique depuis 2002 » a-t-il déclaré le 24 mai 2006. « Dans une loi
d’orientation et de programmation de la justice, le gouvernement a lancé depuis 2002 un
programme de 13.200 places de prison qui seront inaugurées de 2007 à 2010 » a-t-il rajouté.176
Vu les dispositions de plus en plus répressives prises par son gouvernement – et les précédents –,
173 Décision 06-377 du 16 juillet 1996 174 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 23 175 Art. 66, Constitution française du 4 octobre 1958, op. cit., p. 11 176 « Clément annonce 13.200 places en plus », 24.05.06, http://permanent.nouvelobs.com/societe/20060517.OBS8018.html
31
favorisant toujours plus la sanction prison, et vu le taux de surpopulation carcérale177, il est
permis de douter de la réalité d’une telle proposition. Quand bien même de nouvelles prisons
pourraient voir le jour, il est peu probable qu’une majorité des plus indignes ne ferment leurs
portes.
Un bref aperçu des vingt propositions de la mission s’impose.178 Tout d’abord, il est
question de « prévoir l’incarcération immédiate des récidivistes sexuels ou violents », à la
manière de la politique pénale menée à Douai.179 La mission souhaite donc que l’exécution
provisoire soit de droit lorsqu’une peine est prononcée à l’encontre d’un récidiviste en matière
sexuelle, pour des faits de violence volontaire ou commis avec la circonstance aggravante de
violence, sauf décision contraire « spécialement motivée »180 de la juridiction. Le principe est
donc tout simplement renversé, et l’utilisation peut s’avérer dangereuse sauf à l’utiliser de
manière intelligente comme à Douai, où un processus précis d’éloignement du domicile,
lorsqu’il s’agit de violence familiale, est mis en place, avec dans un premier temps non pas une
incarcération mais une prise en charge par un foyer comme « les compagnons de l’espoir », foyer
qui d’habitude accueille des personnes sans domicile fixe. En cas de récidive, si le choc
psychologique attendu n’est pas intervenu, l’incarcération devrait donc être automatique sauf
décision motivée contraire. La sanction de la prison devrait, en théorie, jouer un rôle préventif,
les résultats du TGI de Douai semblent être concluants. La mission voudrait également « limiter
à deux le nombre de condamnations assorties du sursis avec mise à l’épreuve (SME) » pour
éviter les « dérives » permettant à certains « multiréitérants » de cumuler des SME « sans subir
de véritable contrôle en raison de la faiblesse des effectifs des services pénitentiaires d’insertion
et de probation (SPIP) ».181 S’il est juste de pointer du doigt le manque de moyens humains et
matériels des SPIP, il ne semble en revanche pas judicieux d’instaurer une telle automaticité sans
prendre en compte l’évolution du parcours du prévenu, qu’il soit réitérant ou récidiviste. En
effet, une forme d’automaticité a été décriée par la même mission s’agissant des peines plancher,
pourtant elle propose une telle disposition qui, en plus, se couple d’une assimilation plus
importante des infractions au regard de la récidive, étendant le champ d’application de ces
dispositions répressives. Par ailleurs, la loi du 9 mars 2004 a instauré un nouveau système
concernant les réductions de peine : le crédit de peine. Avant celle-ci, le système apparaissait
177 En excluant les 1 388 condamnés placés sous surveillance électronique et les 335 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement, on obtient une densité carcérale de 59 035 détenus pour 50 396 places opérationnelles, soit 117 détenus pour 100 places. Direction de l’Administration Pénitentiaire, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, Situation au 1er mai 2006, in Informations Criminologiques Hebdo, Agence d’Information Indépendante et Interactive sur les Politiques Pénales et Pénitentiaires, n°140, 15 mai 2006, pierre-victor.tournier@wanadoo.fr 178 Une étude plus approfondie sera menée sur les dispositions finalement retenues. 179 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 40 s. et 58 s. 180 Ibidem, p. 59 181 Ibidem, p. 39 s. et 59
32
comme un moyen de récompenser la bonne conduite du condamné. Ces réductions de peine
étaient fonction du nombre d'années puis de mois de condamnation d’emprisonnement.
Aujourd'hui ce mécanisme apparaît comme un moyen de sanction de la mauvaise conduite
puisque le détenu part avec un crédit de réduction de peine, qu'on peut perdre, alors qu'avant on
partait de zéro pour gagner les réductions.182 La mission propose à ce sujet de « limiter les
réductions de peines pour les récidivistes »183, enfermant ces derniers dans leur statut de
récidiviste, niant presque les possibles efforts en vu d’une réinsertion sociale que pourrait faire le
détenu, efforts qui pourraient s’avérer être plus importants qu’un « primaire », et qui seraient
pourtant moins récompensés. La mission voudrait également « appliquer la récidive à toute
réitération de faits commis avec violence »184, une extension du champ d’application du droit de
la récidive qui semble pernicieuse sur laquelle il conviendra de revenir.185 Pascal Clément entend
aussi « autoriser le tribunal correctionnel à relever d’initiative la récidive », une proposition dans
le sens de la position nouvelle de la chambre criminelle186 alors que celle-ci l’interdisait sans
l’accord exprès du prévenu187. En effet, les juges correctionnels ne pouvaient ajouter de
nouvelles circonstances aggravantes aux faits dont ils sont saisis par le Procureur de la
République. Il s’agit, en réalité, d’un déplacement du problème puisque les procureurs ne
peuvent pas toujours savoir si le prévenu est récidiviste ou non puisque les casiers judiciaires
mettent beaucoup de temps pour être à jour188. Dès que ce dernier sera mis à jour, le juge
correctionnel pourra donc rajouter la circonstance aggravante de récidive. Si cette proposition
semble de bon sens, elle ne s’attaque pas aux causes du problème. En tout cas, un tel pouvoir au
profit du juge correctionnel ne pourrait être envisagé de manière perpétuelle, il empêcherait la
réforme nécessaire du casier judiciaire qui, selon Pascal Clément, devrait « moderniser […] en
recourant aux nouvelles technologies », outre le nécessaire plan d’urgence « afin de combler le
retard dans la saisie et le traitement des jugements ».189 Il conviendrait également de mettre en
place un « accès direct […] réservé à certains magistrats habilités et que la traçabilité des
consultations soit garantie »190. Le futur Garde des Sceaux voudrait aussi, que le ministre de la
Justice soit plus présent, en appelant « par voie de circulaire, les procureurs de la République à
relever de façon systématique la récidive »191 pour assurer une égalité sur tout le territoire, et que
182 Art. 721 CPP 183 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 43 s. et 59 s. 184 Ibidem, p. 13 s. et 60 185 Cf. L’obsession pénalocentrique p. 78 186 Cass. crim. 2 septembre 2004, Jurisdata n° 2004-025153 187 Cass. crim. 20 février 1979, Bull. crim. n° 74 ; Cass. crim., 26 octobre 1987, Gaz. Pal. 1988, 1, 230, note Doucet 188 Cf. Shéma des différentes étapes entre le prononcé d’une condamnation et son enregistrement au casier judiciaire, CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 36 189 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 61 190 Ibidem, p. 37 191 Ibidem, p. 62
33
ces derniers lui remettent chaque année un rapport détaillant le nombre d’affaires pénales dans
lesquelles le prévenu est en situation de récidive ou de réitération, terme qu’il entend bien définir
dans la loi. Puis viennent les propositions qu’on espèrerait tant qu’elles s’appliquent : « offrir 20
% des postes à l’issue de l’ENM au profit des juges de l’application des peines pendant cinq
ans »192, alors que le taux n’est en moyenne que de 6 % depuis 1992. « Revaloriser et renforcer
les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) »193, « conforter les
moyens dédiés aux associations de réinsertion et d’hébergement »194. Mais encore, « augmenter
le nombre de médecins psychiatres en pourvoyant les postes vacants dans le secteur public »195,
« introduire une formation spécifique obligatoire des médecins psychiatres sur la délinquance
sexuelle »196, et « associer les psychologues cliniciens à la mise en œuvre du suivi socio-
judiciaire »197. La question des moyens devra inévitablement se poser lors de l’élaboration du
budget et de la discussion pour la prochaine loi de finance. Plus sérieusement, la mission propose
d’ « évaluer la dangerosité et les risques de la récidive au cours de la détention »198, peu
d’éléments explicatifs sur cette proposition à laquelle on aurait pu préférer une évaluation de la
capacité de resocialisation. Le choix des mots est évocateur de l’esprit. Pascal Clément voudrait
également « engager le débat sur le placement sous surveillance électronique des criminels les
plus dangereux ayant purgé leur peine »199, le Conseil constitutionnel, nous le verrons, ne
laissera complètement passé une telle proposition qui peut sembler en opposition avec les
principes constitutionnels tels que les principes de proportionnalité et de nécessité des peines200.
Par ailleurs, une proposition de bon sens est à mettre au crédit de la mission, c’est de « transférer
au juge la compétence pour prononcer l’hospitalisation d’office des prévenus ayant bénéficier
d’un non-lieu ou d’une relaxe en raison de l’abolition de leur discernement au moment des
faits »201. Jusque là, le préfet était compétent en la matière et il n’existait « aucune forme de suivi
par les autorités judiciaires »202. Mais au-delà du nécessaire suivi à mettre en place, pour lequel
seul le juge doit être compétent, la mission désirerait « mettre en place un fichier recensant les
personnes ayant bénéficié d’un non-lieu ou d’une relaxe en raison de l’abolition de leur
discernement au moment des faits »203. Une proposition qui semble être difficile à mettre en
192 Ibidem, p. 54 et 62 193 Ibidem, p. 54 s. et 63 194 Ibidem, p. 55 s. et 63 195 Ibidem, p. 50 s. et 65 196 Ibidem, p. 58 s et 65 197 Ibidem, p. 65 198 Ibidem, p. 45 s. et 63 199 Ibidem, p. 21 s. et 64 200 Cf. Une décision du Conseil constitutionnel laconique p. 39 201 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 66 202 Ibidem 203 Ibidem, p. 66
34
place, étant donné que la personne n’est pas reconnue coupable des faits pour lesquels elle était
poursuivie, alors que cette inscription dans ce fichier pourrait être considérée comme attentatoire
aux libertés individuelles.
Globalement, le premier reproche que l’on peut faire à la mission mise en place par le
président de la commission des lois est qu’elle ne porte que sur « l’après infraction » en récidive,
puis sur la prévention par la répression plus que sur l’amélioration des condamnés. Le
phénomène de la récidive est, comme cela a déjà été observé, très lié aux conditions de
détentions et de manière générale aux conditions dans lesquelles la justice est rendue. La mission
aborde des points clefs comme la réinsertion ou la formation des magistrats, sans pour autant
aborder ceux de la formation ou du nombre de personnels pénitentiaires, de l’éducation en
prison… Malheureusement, il faudra – comme toujours – que les moyens suivent, espérons que
la société de demain ne paiera pas – encore – les choix budgétaires d’aujourd’hui. Pour l’heure,
Pascal Clément, à la suite de son rapport remis dans une atmosphère de lynchage au vu des
derniers évènements comme il en a déjà été rendu compte, promet une proposition de loi qui ne
sera déposée que le 1er décembre 2004204, mais dénoncée avant même sa discussion devant les
parlementaires205.
Section 2nde : Des difficultés dans l'élaboration de la loi du 12 décembre 2005
Il ne serait question d’être exhaustif et de résumer près d’un an de débats parlementaires
et de travaux de commission des lois tant de l’Assemblée nationale que du Sénat, et de la
commission mixte paritaire. Seuls quelques exemples pourront être traités afin de mettre en
lumière les difficultés qu’ont eu les parlementaires à élaborer la loi du 12 décembre 2005. C’est
pourquoi dans un premier temps, nous reviendrons sur ces travaux (§1), puis il faudra analyser
brièvement la décision du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2005206 (§2) qui vient mettre un
terme aux débats politiques, mais qui est loin de faire l’unanimité, notamment parmi la doctrine.
204 Proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, n° 1961, 1er décembre 2004, http://www.assemblee-nationale.fr/12/dossiers/infractions_penales.asp#proposition ; « Proposition de loi pour un renforcement des peines » Le Figaro, 7 juillet 2004 ; « Les propositions de la mission Clément », « Le camp du « tout-carcéral » récidive », Libération, 8 juillet 2004 ; « Des parlementaires proposent de durcir la loi sur les récidives », « M. Debré ne veut pas « réagir à chaud » », Le Monde, 8 juillet 2004 205 « Pugilat en vue sur la lutte contre la récidive », Le Figaro, 30 novembre 2004 ; « Un «boulet» pour les délinquants sexuels », Libération, 3 décembre 2004 ; « Récidive : la loi au ban des accusés. Une dizaine d'associations brocarde la proposition de loi antirécidive », L’Humanité, 3 décembre 2004 206 Décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005 : loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, Gazette du Palais, 20 décembre 2005, n° 354, p. 9, note de SCHOETTL (J.-E.)
35
§ 1 : Des débats parlementaires207 passionnés
Afin de rendre compte des difficultés rencontrées par les parlementaires, il sera
nécessaire de revenir sur quelques dispositions de la proposition de loi déposée le 1er décembre
2004, au fur et à mesure des lectures des deux chambres puis avec les travaux de la commission
mixte paritaire. Il sera tout d’abord question de quelques « dispositions relatives à la récidive, à
la réitération et au sursis » (A), puis des « dispositions relatives au placement sous surveillance
électronique mobile » (PSEM) (B).
A. Les « dispositions relatives à la récidive, à la réitération et au sursis »
Il nous faudra tout d’abord revenir sur la notion de réitération, qui devait être clarifiée.
Nous verrons que le travail parlementaire a peut-être au contraire rendu plus complexe la
sanction de la réitération d’infraction. Avant de l’aborder au sein d’un débat constitutionnel, il
sera également question de la possibilité conférée aux juges de décerner, dès l’audience, mandat
d’arrêt ou de dépôt à l’encontre d’un prévenu récidiviste sous certaines conditions.
Si la notion de réitération208 n’a en elle-même pas trop fait débat, sa sanction, et
notamment l’interdiction d’ordonner la confusion des peines et le possible cumul sans limite de
quantum avaient été rejetés en première lecture par le Sénat, en raison « de la crainte d’instaurer
dans le droit français une dérive à l’américaine »209. En effet, non seulement la commission des
lois du Sénat considérait que ce texte prêtait « à des interprétations ambiguës »210, mais en plus
un réitérant commettant non pas une seule mais plusieurs nouvelles infractions après une
première condamnation définitive se trouvait dans une situation qui pouvait l’amener à être
condamné à plusieurs peines importantes, sans que celles-ci puissent se cumuler. Une situation
proche de celle d’un prévenu ayant commis plusieurs infractions sans avoir déjà fait l’objet
d’une condamnation définitive, mais qui serait pourtant sanctionnée de manière extrêmement
plus sévère. C’est pourquoi le Sénat rejeta le second alinéa du nouvel article 132-16-7 du code
pénal. Mais l’Assemblée nationale, ne l’entendant pas ainsi, a revu sa rédaction et proposé, à peu
de chose près, le texte qui sera définitivement adopté, tendant à ce que « les peines prononcées
pour l’infraction commise en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans
possibilité de confusion avec les peines définitivement prononcées lors de la condamnation 207 Cf. tableaux comparatifs : LEONARD (G.), Traitement de la récidive des infractions pénales. Rapport, Première lecture, Assemblée nationale, Commission des Lois, n° 1979, décembre 2004, p. 77. et Rapport, Deuxième lecture, Assemblée nationale, Commission des Lois, n° 2452, juillet 2005, p. 59 ; ZOCCHETTO (F.), Traitement de la récidive des infractions pénales. Rapport, Première lecture, Sénat, Commission des Lois, n° 151, 2004-2005, p. 77 et Rapport, Deuxième lecture, Sénat, Commission des Lois, n° 30, 2005-2006, p. 83 ; LEONARD (G.), ZOCCHETTO (F.), Traitement de la récidive des infractions pénales. Commission mixte paritaire, Assemblée nationale, n° 2664, 9 novembre 2005 ; Sénat, n° 72, 2005-2006, p. 21 208 Art. 3, Loi du 12 décembre 2005 précitée 209 HERZOG-EVANS (M.), « Récidive : surveiller et punir plus plutôt que prévenir et guérir », art. préc. 210 ZOCCHETTO (F.), op. cit., 1e lecture, p. 43
36
précédente »211. La question principale de ce nouvel alinéa est d’en comprendre son application
en cas de multiples infractions nouvelles n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation définitive.
En effet, si le premier texte présenté par l’Assemblée utilisait la formule « les peines prononcées
pour des infractions… », le texte finalement adopté retient non plus le pluriel mais le singulier
comme cité précédemment. Va-t-on alors additionner les peines prononcées pour chacune de ces
infractions ou seront-elles soumises aux règles du non-cumul et de la confusion des peines ?
Mais encore, qu’en serait-il si ces diverses infractions faisaient l’objet de poursuites séparées de
juridictions différentes ? L’interprétation des magistrats risquent bien d’être décisive. Car, en cas
de réitération d’infractions, le prévenu pourrait voir prononcer à son encontre des peines pour le
moins exorbitantes. Par exemple, pour dix vols simples, une condamnation de trente ans pourrait
alors être envisagée alors qu’en cas de récidive, le prévenu ne risquerait qu’un doublement de la
peine encourue soit six années d’emprisonnement. Bien que la mission Clément ait rejeté le
principe de l’automaticité des peines plancher, il semble bien que cette disposition nouvelle ait
un caractère elle aussi automatique, qui criminologiquement ne semble pas se justifier au-delà
des aberrations juridiques ainsi énoncées. Celle-ci semble donc être contraire à l’échelle des
peines ainsi qu’au principe d’individualisation des peines, sans oublier l’inégalité de traitement
entre justiciables selon que le prévenu aura fait l’objet de plusieurs procès ou qu’il sera jugé en
une seule fois. Sur ce point, le professeur Thomas, entendu par le rapporteur Zocchetto,
proposait une lecture considérant deux ensembles distincts : le premier constitué par la première
condamnation définitive et le second des infractions ultérieurement commises. Le cumul sans
plafond et sans possibilité de confusion ne s’appliquerait alors seulement qu’entre les deux
ensembles et non pas à l’intérieur de ceux-ci. Une telle lecture semble toujours d’actualité avec
la rédaction issue de la commission mixte paritaire, mais rien ne permet d’affirmer que la
jurisprudence en prendra la voie. Pour terminer sur la question de la réitération, il est à noter que
le Sénat a également supprimé un alinéa tendant à obliger le juge à prendre en considération la
réitération, afin que ce dernier conserve cette faculté mais n’en soit pas obligé conformément au
principe de personnalisation des peines.
Par ailleurs, un « profond désaccord »212 a également opposé les deux assemblées sur
l’opportunité d’inverser les règles en matière de mandat de dépôt à l’audience en cas de récidive
légale pour les délits d’agressions sexuelles ou de violences volontaires ou commis avec la
circonstance aggravante de violence213, sauf si le juge en décide autrement par décision
spécialement motivée. Cette disposition renverse le principe général de l’article 465 du code de
procédure pénale qui permet au tribunal de décerner à l’audience un mandat de dépôt ou d’arrêt à 211 Nouvel art. 132-16-7 al. 2 CP 212 LEONARD (G.), ZOCCHETTO (F.), op. cit., p. 6 213 Art. 132-16-1 et 132-16-4 CP
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l’encontre du condamné. Si les récidivistes doivent bien entendu être sanctionnés, on peut
légitimement s’interroger sur l’opportunité de créer à leur égard une nouvelle dérogation de ce
type. Cette nouvelle disposition semble plutôt émaner d’une méfiance à l’égard du juge
judiciaire, ainsi que d’une volonté affichée d’incarcérer les individus les plus réfractaires au
traitement pénal. Cependant, l’essentiel des débats, et surtout des difficultés qu’il a fallu
surmonter concernent le placement sous surveillance électronique mobile, notamment sous
surveillance judiciaire, encadrement nouveau et distinct du suivi socio-judiciaire, ce dernier ne
permettant pas une application immédiate.
B. Les « dispositions relatives au placement sous surveillance électronique mobile »
L’Assemblée nationale, désireuse d’employer tous les moyens nouveaux pour enrayer la
récidive, prévoyait de mettre en place le placement sous surveillance électronique mobile, sorte
de « prison à domicile »214, qui peut s’avérer moins coûteuse que la prison elle-même215.
L’Assemblée a dès lors qualifié cet outil de mesure de sûreté, prévoyant son application
immédiate aux sortants de prisons, pour une durée maximum de vingt ans en matière délictuelle
et trente ans en matière criminelle. Ces nouvelles dispositions vont alors engendrer un véritable
« tollé de protestations »216 et seront largement amendées par le Sénat, « défenseur des libertés
fondamentales et plus simplement le défenseur du travail parlementaire bien fait »217. Ce dernier
va limiter son utilisation qui pourra avoir lieu que dans le cadre de la libération conditionnelle
d’un condamné soumis aux obligations du suivi socio-judiciaire, et pour une condamnation à au
moins sept ans d’emprisonnement en cas de crime, et au moins dix ans en cas de délit. Toutefois,
le Sénat ne s’est pas contenté de limiter, il a également beaucoup supprimé mais aussi proposé.
En effet, sur les 18 articles que comprenait la proposition de loi, seuls quatre ont été adoptés sans
modifications par le Sénat en première lecture, onze ont été supprimés dont les articles 7 et 8 sur
le PSEM, et six nouveaux articles sont apparus. En fait, ces lourdes difficultés parlementaires
résulteraient d’une profonde « impréparation de l’introduction du PSEM »218, et c’est pourquoi le
Premier Ministre, par lettre de mission en date du 5 janvier 2005, lancera la mission « Fenech ».
A la suite d’un remaniement gouvernemental, Pascal Clément deviendra Garde des Sceaux entre
les deux lectures, la future loi sera alors encore plus âprement défendu par le gouvernement,
214 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), op. cit., p. 971 215 Selon le professeur Poncela, une journée d’emprisonnement coûte environ 60 euros par jours, alors que le PSEM coûterait entre 150 et 8 euros par jours, mais il est probable que la solution au moindre coût (du moins par rapport au coût de la prison) soit privilégiée. (PONCELA (P.), « La question de la récidive », art. préc.) 216 PONCELA (P.), « La question de la récidive », art. préc.217 LAZERGES (C.), « L’électronique au service de la politique criminelle : du placement sous surveillance électronique statique (PSE) au placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) », RSC, 2006, p. 183 218 Ibidem
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celui-ci se déclarant même prêt à risquer l’inconstitutionnalité pour combattre la récidive.219
Mais c’est bien l’Assemblée nationale qui contre-attaqua le plus vigoureusement suite aux
diverses modifications des sénateurs. Fort des conclusions du rapport « Fenech »220, le rapporteur
Léonard était alors déterminé à rétablir la majeure partie des dispositions adoptées par
l’Assemblée nationale en première lecture221. Il proposa d’intégrer le PSEM au suivi socio-
judiciaire au lieu d’en faire une mesure de sûreté autonome tendant à renforcer le contrôle des
condamnés sexuels les plus dangereux à leur sortie de prison. Cela bien que le député Fenech
parla de peine à propos du PSEM au cours de la séance du 12 octobre 2005 à l’Assemblée
nationale, le rapporteur Léonard ne manquant d’ailleurs pas de le tancer, ce dernier assimilant le
PSEM à une mesure de sûreté voire une « mesure de police, à laquelle le principe de non-
rétroactivité de la loi n’est pas opposable ».222 Adoptée le 13 octobre 2005 en deuxième lecture
par l’Assemblée nationale, la proposition de loi revenait donc au Sénat les 25 et 26 octobre pour
à nouveau être profondément modifiée. Les sénateurs admirent le PSEM dans le cadre du suivi
socio-judiciaire, ce qui interdisait l’application rétroactive de la mesure à des personnes n’ayant
pas été condamné à ce suivi. Mais pour les sénateurs, il était hors de question que le PSEM soit
applicable sans le consentement du condamné, conformément aux conclusions du rapport
Fenech. Outre la question du consentement, le Sénat précisa que le PSEM ne pourrait s’appliquer
qu’aux condamnés à dix ans d’emprisonnement et plus, contre cinq ans dans le texte adopté par
l’Assemblée nationale, et que la durée du placement serait également limitée à deux ans
renouvelable une fois. Les difficultés étaient loin de s’être envolées, et toutes les solutions
n’avaient, après ces deux lectures, pas été levées. Ce règlement revenait donc à la commission
mixte paritaire, qui trouva un accord le 9 novembre 2005. Le contexte politique et surtout social
vint tout de même aider les députés et sénateurs de la commission mixte paritaire, puisque les
« violences urbaines », comme on a eu coutume de les résumer, ont contribué à trouver un point
d’accord, malheureusement, au profit des députés qui « imposèrent les points durs de la loi aux
sénateurs »223. En définitive, le PSEM pourra être imposé aux condamnés à sept ans
d’emprisonnement et pour une durée de deux ans renouvelable une fois en matière délictuelle et
deux fois en matière criminelle. Par ailleurs, le bracelet, dans le cadre de la surveillance
judiciaire, pourra s’appliquer aux sortants de prison pour les personnes condamnées à au moins
dix ans de réclusion, pour une période qui ne pourra dépasser celle des réductions de peines
219 « Bracelet électronique : la question du respect de la Constitution soulève une vive polémique », Le Monde, 27 septembre 2005 220 FENECH (G.), Rapport au Premier ministre sur le placement sous surveillance électronique mobile, Assemblée nationale, 2005, 79 p. 221 LEONARD (G.), op. cit., 2e lecture, Assemblée nationale, p. 13 222 Assemblée nationale, Compte rendu analytique officiel, 1e séance du 12 octobre 2005, p. 13, http://www.assemblee-nationale.fr/12/cra/2005-2006/016.asp 223 LAZERGES (C.), art. préc.
39
obtenues. Enfin sortis de la commission mixte paritaire, députés et sénateurs adoptaient le
compromis le 22 novembre 2005, ne restait alors que le Conseil constitutionnel, qui, dans une
« décision très critiquable et bien peu motivée »224, avalisait la proposition de loi le 8 décembre
2005.
§ 2 : Une décision du Conseil constitutionnel laconique
Conscient qu’un risque d’inconstitutionnalité planait sur sa proposition de loi, le Garde
des Sceaux Pascal Clément déclarait que « cette réforme se doit de respecter les principes
fondamentaux de notre droit pénal »225. Pourtant il n’hésitât pas à demander aux députés de
prendre le risque de l’inconstitutionnalité, poussé disait-il par des évènements récents.226 Et
Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, ne se privât pas de lui rappeler que « le
respect de la Constitution n’était pas un risque, mais un devoir ». D’autres vives réactions suite à
de telles déclarations eurent lieues : Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel,
jugeant ces propos « indignes », les syndicats de magistrats se disant « choqués », l’Union
syndicale des magistrats voyait même là « un exemple catastrophique donné aux délinquants de
mépris de la loi », tandis que le Syndicat de la magistrature estimait « inadmissible » un tel
chantage à l’opinion publique.227
Enregistrée le 29 novembre 2005 au secrétariat général du Conseil constitutionnel à
l’initiative seulement de soixante-sept sénateurs, les requérants mettaient en cause la
compatibilité de la proposition de loi avec les articles 4, 8 et 9 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen de 1789, notamment concernant la question du mandat de dépôt à
l’audience et le placement sous surveillance électronique mobile. Le conseiller d’Etat Jean-Eric
Schoettl228 considère qu’un autre problème de constitutionnalité aurait pu être relevé, celui de la
procédure législative, étant donné le triplement du volume de loi en deuxième lecture, il s’agit de
la question de la compatibilité de cette proposition de loi avec le principe de l’économie générale
de l’article 45 de la Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel a déjà censuré des
dispositions entièrement nouvelles introduites en commissions mixte paritaire ou même après
celle-ci. On pourrait dès lors imaginer une extension de cette jurisprudence à la deuxième
lecture, ce qui « préviendrait une dérive qui, non seulement déjoue la discipline de la navette
224 Ibidem 225 CLEMENT (P.), art. préc. 226 « Bracelet électronique : la question du respect de la Constitution soulève une vive polémique », Le Monde, 27 septembre 2005 ; « Bracelet : le président du Conseil constitutionnel tance Clément », Libération, 28 septembre 2005 227 Ibidem 228 SCHOETTL (E.), art. préc.
40
[…] mais encore affecte la qualité de la loi et menace la sécurité juridique »229. Interrogé sur la
compatibilité avec la Constitution des articles 7 sur le mandat de dépôt à l’audience, l’article 41
combiné aux articles 13 et 42 régissant l’application dans le temps du placement sous
surveillance électronique, le Conseil constitutionnel rendait sa décision le 8 décembre 2005. Il
convient dès lors d’étudier suivant cette décision le raisonnement du Conseil, il sera donc tout
d’abord question du mandat de dépôt à l’audience (A), puis nous nous pencherons sur la
constitutionnalité de l’application immédiate du placement sous surveillance électronique mobile
dans le cadre de la surveillance judiciaire des personnes dangereuses (B).
A. Le décernement du mandat de dépôt à l’audience, une relative automaticité validée
L’article 7 de la loi de 2005 insère un article 465-1 dans le code de procédure pénale
énonçant dans son premier alinéa que « lorsque les faits sont commis en état de récidive légale,
le Tribunal peut, par décision spéciale et motivée, décerner mandat de dépôt ou d’arrêt contre le
prévenu, quelle que soit la durée de la peine d’emprisonnement prononcée. » Cette nouvelle
disposition ne fit l’objet d’aucune critique sérieuse, cependant il n’en fut pas de même pour le
second alinéa qui dispose que « s’il s’agit d’une récidive légale au sens des articles 132-16-1 et
132-16-4 du Code pénal, le Tribunal délivre mandat de dépôt à l’audience, quel que soit le
quantum de la peine prononcée, sauf s’il en décide autrement par une décision spécialement
motivée ». Rappelons que l’article 132-16-1, issu de la loi du 17 juin 1998, considère au regard
de la récidive, comme une même infraction « les délits d’agressions sexuelles et d’atteintes
sexuelles », mais surtout que le nouvel article 132-16-4 issu de la loi étudiée assimile « les délits
de violences volontaires aux personnes, ainsi que tout délit commis avec circonstance aggravante
de violence ». Une extension du domaine de la récidive d’une particulière importance, qui ne
semble pas tout à fait pertinent d’un point de vue criminologique230, mais qui peut également
sembler d’une rigueur excessive dans sa sanction au vu de l’inversion du principe selon lequel la
liberté était la règle et la détention l’exception. Pourtant, pour le Conseil constitutionnel, « ne
porte atteinte ni à l’indépendance de l’autorité judiciaire, ni à la présomption d’innocence, ni à
aucune autre exigence constitutionnelle la délivrance du mandat de dépôt à l’audience par le
Tribunal correctionnel, sauf décision motivée contraire de ce dernier, en cas de récidive de
« délits d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles » ou de « délits de violences volontaires
aux personnes, ainsi que tout délit commis avec circonstance aggravante de violence » ».
S’agissant de la présomption d’innocence, le quatrième considérant de la décision du 8 décembre
229 SCHOETTL (E.), art. préc.230 Cf. L’obsession pénalocentrique p. 78
41
2005 affirme que cette nouvelle règle n’est pas incompatible avec les articles 9231 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 66232 de la Constitution de 1958 relatif à la
détention arbitraire « dès lors qu’elle s’attache à une peine d’emprisonnement ferme prononcée
par la juridiction répressive après que celle-ci a décidé que la culpabilité du prévenu est
légalement établie ». La liberté devient l’exception et la détention la règle, y compris si le
prévenu fait appel. Mais celui-ci pourra demander sa mise en liberté immédiate auprès de la cour
d’appel en application des « piètres garanties »233 du deuxième alinéa de l’article 148-1 du code
de procédure pénale. Pour Jean-Eric Schoettl, le principe de la présomption d’innocence « ne
peut être considéré comme revêtant la même force pour une personne qui, quoique non
définitivement condamnée, a été tout de même reconnue coupable et condamnée à une peine
d’emprisonnement ferme par le Tribunal correctionnel que pour une personne qui n’a pas encore
comparu devant une juridiction de jugement ». Le même raisonnement est par ailleurs suivi par
la Cour de cassation pour laquelle l’exécution provisoire d’un jugement de condamnation n’est
pas incompatible avec le principe de la présomption d’innocence dès lors que cette mesure
s’attache à une peine prononcée par la juridiction répressive après que celle-ci a décidé que la
culpabilité du prévenu est légalement établie234. Par ailleurs, le caractère automatique de la
mesure était lui aussi dénoncé au motif qu’il aliènerait l’appréciation des magistrats, les laissant
recourir et même les enjoignant à recourir à la prison ferme, sauf décision spécialement motivée,
peut-être parce que l’auteur de la proposition de loi estimait que les juges étaient trop clément
avec les récidivistes. Dans tous les cas, pour le Conseil, puisque les magistrats ont la « faculté
d’écarter l’exécution immédiate […] le moyen tiré de l’atteinte à l’indépendance de l’autorité
judiciaire manque en fait ; […] l’obligation qui est faite au Tribunal de motiver sa décision de ne
pas délivrer mandat de dépôt ne se heurte à aucune exigence constitutionnelle ». Si la peine avait
un caractère pleinement automatique et obligatoire, nul doute que le Conseil l’aurait censuré au
vu d’une jurisprudence récente. En effet, dans sa décision du 15 mars 1999235, le Conseil a jugé
qu’une peine imposée directement par le législateur et qui ne ferait l’objet d’aucune appréciation
de la part du juge serait contraire au principe de nécessité des peines énoncé à l’article 8 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Si, en l’espèce, il ne s’agit que d’une obligation
de motivation en cas de maintien en liberté, on peut légitimement penser au vu des difficultés
actuelles de l’institution judiciaire et de la charge de travail très – voire trop – importante des
231 « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » 232 « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » 233 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives … », art. préc. 234 Crim., 10 janvier 1996, Bull. crim. 1996, n° 15 235 Décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, cons. 40 à 42
42
magistrats, que, de fait, il n’y aura que peu souvent une réelle appréciation tendant à ne pas
incarcérer le prévenu. D’ailleurs, le renversement du principe engendre non plus une
appréciation sur la nécessité d’incarcérer mais il s’agit dès lors d’apprécier la capacité à la liberté
pour une personne coupable des infractions en question. Il n’est pas simplement question de
sémantique mais bel et bien d’un état d’esprit dans lequel est plongé le magistrat qui devait
auparavant se poser la question de la nécessité de l’incarcération tant pour le prévenu, que pour
la victime ou plus généralement la protection de la société. Aujourd’hui, la question qu’il se
posera risquerait d’être celle de la nécessité de laisser libre ledit prévenu et si tel est le cas de
justifier cette liberté. Pourtant le Conseil ne semble pas marqué par une telle inversion et
n’estime apparemment pas que le principe d’individualisation serait bafoué par une telle mesure.
De même l’indépendance de l’autorité judiciaire – bien qu’enjointe à incarcérer – ne saurait être
remise en cause, il en va de même pour les droits de la défense et les garanties du procès
équitable qui pourtant pourraient sembler quelque peu malmenés par une telle mesure puisque
les magistrats n’auront à motiver leur décision qu’en cas de non incarcération. Enfin, l’obligation
de motiver le maintien en liberté ne se heurte en elle-même à aucune exigence
constitutionnelle236. Il est à noter que la loi impose déjà une telle obligation mais dans un sens
favorable à la personne poursuivie : le Tribunal correctionnel doit motiver le refus de révoquer
un sursis simple237. Cependant, c’est bien le désormais fameux « bracelet électronique » et
surtout son applicabilité immédiate qui entretenait le plus grand risque d’inconstitutionnalité.
B. Le PSEM dans la surveillance judiciaire des personnes dangereuses, une « modalité
d’exécution » immédiatement applicable
Parmi les mesures suggérées dans la proposition de loi déposée le 1er décembre 2004 sur
le bureau de l’Assemblée nationale figurait le placement sous surveillance électronique mobile
(PSEM) des auteurs d’infractions sexuelles les plus graves à titre de mesure de sûreté, après
l’accomplissement de la peine. Si l’Assemblée nationale l’adopta en première lecture, le Sénat ne
fit pas de même et des divergences profondes sur la question apparaîtront entre les deux
assemblées. En effet, l’Assemblée nationale en avait fait une mesure de sûreté autonome avec
application immédiate aux personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la loi, alors que le
Sénat, réservé sur la constitutionnalité d’un tel régime juridique, avait préféré attendre les
conclusions du rapport du député Fenech pour se prononcer sur la question. Au final,
l’application immédiate – tant désirée – pourra s’effectuer dans le cadre de la nouvelle
surveillance judiciaire des personnes dangereuses (SJPD), pour laquelle le législateur aura pris
236 Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, cons. 65 237 Art. 132-38 CP
43
soin de préciser qu’il ne s’agissait que d’une mesure de sûreté et non d’une peine, car pour cette
dernière il aurait fallu respecter le principe de non rétroactivité de la loi pénale issu de l’article 8
de la Déclaration de 1789. Trois articles de la proposition de loi vont donc être soumis au
contrôle du Conseil constitutionnel sur la question du PSEM. Ce sont l’article 13 instituant un
régime de surveillance judiciaire des personnes dangereuses (SJPD)238 ; l’article 42 qui prévoit
l’application de la SJPD aux personnes condamnées à une peine privative de liberté pour des
faits commis antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi et pour lesquels il existe un risque de
récidive important ; et le quatrième alinéa de l’article 41 qui permet le PSEM, dans le cadre de la
SJPD, de personnes condamnées à une peine privative de liberté, assortie d’un suivi socio-
judiciaire, pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. Pour les sénateurs requérants,
il ne fait aucun doute que le PSEM est une peine, une sanction, et qu’à ce titre le législateur ne
pouvait prévoir une telle application immédiate sans aller à l’encontre de l’article 8 de la
Déclaration des droits de l’homme. Pour le Conseil constitutionnel, « en raison de sa finalité
préventive et non punitive, du fait qu’elle est prononcée par la juridiction de l’application des
peines et non par la juridiction de jugement et du fait que sa durée ne peut aller au-delà de celle
de la peine initialement prononcée, la surveillance judiciaire avec port du bracelet électronique
s’analyse comme une modalité d’exécution de la peine de caractère non punitif et peut donc être
rendue applicable aux personnes déjà condamnées sans contrevenir au principe de non
rétroactivité des peines et des sanctions résultant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ».
Afin de mieux comprendre cette décision, il nous faut revenir sur la distinction
traditionnelle entre mesure de sûreté et peine puisque, comme le rappelle le Conseil dans son
considérant 12, « le principe de non rétroactivité de la loi répressive ne s’applique qu’aux peines
et aux sanctions ayant le caractère d’une punition ». Dans le cadre légalement défini, le PSEM
dans la SJPD n’aurait donc pas de caractère punitif. Pourtant, la mesure qui fait débat est bien le
PSEM en lui-même, qui peut faire l’objet tantôt d’une peine, tantôt d’une modalité d’exécution
de peine lorsqu’il est prononcé par le juge de l’application des peines. D’ailleurs, il convient de
rappeler que le PSEM est placé dans le chapitre I du titre III « De la nature des peines » la suite
de l’interdiction de séjour, de l’affichage des condamnations et du suivi socio-judiciaire. Selon
les requérants, pour une même mesure, on ne saurait lui attribuer deux natures différentes
d’autant que le PSEM fait peser une contrainte importante sur l’individu dans sa vie quotidienne
et au vu du matériel (un bracelet) il pourrait stigmatiser la personne concernée au yeux de la
société. Pourtant il existe un autre exemple : la confiscation peut tantôt être une peine
complémentaire, tantôt une mesure de sûreté affectant les choses dangereuses et tantôt une peine
238 Les personnes dites dangereuses ne pourront être que celles condamnées à une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à 10 ans pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru (nouvel art. 723-29 CPP) et après le constat de cette dangerosité par une expertise médicale.
44
de substitution. Face à ces difficultés, certains commentateurs239 ont donc tenté de construire un
modèle fondé sur trois critères cumulatifs qui permettrait de déterminer s’il s’agit d’une
« modalité d’exécution » échappant donc au principe de non rétroactivité. Le premier critère
tiendrait à la finalité de la mesure, en l’espèce préventive selon le législateur, ne reposant donc
pas sur la simple culpabilité de l’individu mais plutôt sur sa prétendue dangerosité. Empruntant
au rapport Burgelin précité, le Conseil se fonde donc sur la dangerosité de l’individu et non sur
sa culpabilité pour autoriser le juge de l’application des peines à disposer du PSEM dans le cadre
de la SJPD. Cette mesure de sûreté, imposée par un magistrat dans un but de défense sociale,
serait donc dépourvue de tout but répressif, et ne serait destinée qu’à prévenir le risque de
réitération ou récidive grâce à une meilleure resocialisation ; le premier signe serait d’ailleurs,
l’acceptation par le condamné de ce traitement qui ne pourrait être mis en œuvre sans son
consentement (bien qu’en cas de refus, tout ou partie de ses réductions de peine pourrait lui être
retiré). Le second critère serait matériel : la mesure ne constitue pas en elle-même une contrainte
supplémentaire par rapport à celles infligées par la juridiction de jugement puisqu’elle serait
limitée à la durée des réductions de peines et donc se fonde sur la durée de la peine initialement
prononcée, c’est en cela qu’elle ne serait pas une peine mais une simple modalité d’exécution.
Enfin, le troisième critère est organique, puisque la mesure serait ordonnée par le JAP et non par
une juridiction de jugement, seule susceptible d’infliger des peines. Par ailleurs, le professeur
Luchaire nous rappelle que si une modalité d’exécution comme le PSEM venait à être
déterminée par une juridiction de jugement, elle devrait en revanche être assimilée à une peine
puisqu’elle dépendrait dès lors du degré de culpabilité.240 Néanmoins, une telle démonstration
peine à satisfaire l’ensemble de la doctrine pénaliste. Cela tient notamment au fait que la notion
de mesure de sûreté est pratiquement tombée en désuétude comme catégorie juridique de droit
pénal, une évolution par ailleurs entérinée par le code pénal de 1992.241 Pour le professeur
Poncela242, la distinction semble « intenable » tant les fonctions des mesures de sûreté ou des
peines semblent intriquées. La question de la fonction est en effet importante. Martine Herzog-
Evans affirme que seules les peines ont une fonction resocialisante et c’est pour cela que le
PSEM aurait dû être qualifié de peine puisque personne ne met en doute sa fonction
resocialisante par la possibilité de travailler et de vivre à l’extérieur d’un établissement
pénitentiaire.243 Pourtant, comme le rappelle fort justement le professeur Bouloc, la libération
239 ROUVILLOIS (F.), « La notion de dangerosité devant le Conseil constitutionnel », Dalloz, 2006, n° 14, jsp, p. 966
240 LUCHAIRE (F.), La protection constitutionnelle des droits et libertés, Economica, 1987, p. 401 241 BOULOC (B.), Pénologie, Dalloz, coll. Précis, 2e éd., Paris, 1998, p. 40 et s. 242 PONCELA (P.), Droit de la peine, P.U.F., Coll. Thémis, Paris, 2001, 2e éd., p. 94 et s. 243 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives … », art. préc., p. 182
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conditionnelle apparaît de plus en plus nettement comme une modalité d’exécution de la peine
tendant à la réinsertion sociale du condamné et à la lutte contre la récidive.244 Pourtant personne
ne songe à qualifier la libération conditionnelle de peine… En s’appuyant sur la jurisprudence de
la Cour européenne des droits de l’homme, la distinction semble encore plus se dissiper. La Cour
de Strasbourg s’est clairement prononcée à l’occasion des controverses suscitées par
l’instauration du permis à point par la loi du 10 juillet 1989 entrée en vigueur le 1er juillet
1992.245 Si le permis à point présente bien un caractère préventif, de par sa sévérité, il possède
également un caractère punitif et dissuasif et relève donc de la matière pénale. Le Conseil
constitutionnel avait lui aussi estimé que même si le législateur avait cru bon de laisser le soin de
prononcer une sanction – en l’espèce de nature fiscale – à une autorité de nature non judiciaire,
le caractère punitif de ladite sanction impliquait le nécessaire respect du principe posé par
l’article 8 de la Déclaration de 1789.246 Pour le professeur Christine Lazerges247, la décision du 8
décembre 2005 rompt avec la jurisprudence antérieure, y compris avec celle de la Cour de
cassation, qui dans un arrêt du 2 décembre 2004 relatif au suivi socio-judiciaire, adoptait une
position identique à celle du Conseil avant la décision étudiée. Cela est d’autant plus
« stupéfiant » qu’elle rappelle que même le rapport du député Fenech qualifiait « sans
hésitation » le PSEM de peine. Toutefois, la réelle justification semble relativement simple. Vu
les infractions et les condamnations des personnes pouvant faire l’objet d’une telle mesure,
l’objectif de prévention de la récidive permettrait une telle « torsion » des principes. Mais
surtout, le Conseil a estimé que des garanties suffisantes avaient été apportées par le législateur
puisqu’une expertise (et une contre-expertise de droit) et un débat contradictoire (avec présence
de l’avocat obligatoire) devront avoir lieu ; le consentement du condamné sera nécessaire pour
une telle mesure ; qu’en cas d’application rétroactive, ce ne sera pas au JAP mais au Tribunal de
l’application des peines de se prononcer ; et que la durée ne pourra excéder celle de la durée
initialement prévue par la juridiction de jugement. Se pose alors la question du sens que le
récidiviste va pouvoir donner à sa peine, sachant que bien qu’il ait une conduite irréprochable,
ses réductions de peine pourront faire l’objet d’une conversion en temps de PSEM parce que l’on
veut éviter les sorties dites sèches des détenus les plus dangereux. N’aurait-il pas été préférable
de laisser ce temps « gagné » et d’ordonner le port d’un bracelet électronique, pourquoi pas
même sans le consentement de l’intéressé, pour justement éviter ces sorties sèches ?
Une autre question tenant à l’application de la loi nouvelle s’agissant de la récidive se
pose : le premier terme doit-il être intervenu après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ? S’il a
244 BOULOC (B.), Pénologie, op. cit., p. 293 245 CEDH 23 septembre 1998, Malige c/ France, RSC 1999, p. 145, comm. MASSIAS (F.) 246 N° 82-155, DC 30 décembre 1982 247 LAZERGES (C.), art. préc.
46
été observé que le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation ne semblaient pas exactement
en accord avec la position de la Cour EDH, cette question semble à nouveau poser problème. En
effet, une décision des juges de Strasbourg du 10 novembre 2004248 vient ajouter à la confusion
déjà existante. Pour la Cour de cassation, « lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la
récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction constitutive du
second terme, qu’il dépend de l’agent de ne pas commettre, soit postérieure à son entrée en
vigueur »249. Cette solution est partiellement remise en cause par la Cour EDH. Lorsque la loi
prévoit que l’état de récidive est constitué si la commission de la nouvelle infraction intervient
dans un certain délai suivant la condamnation prononcée pour la première infraction, les juges de
Strasbourg estiment qu’après l’expiration de ce délai, le « principe de sécurité juridique » exclut
qu’en application d’un loi nouvelle, la condamnation puisse à nouveau être prise en compte
comme premier terme de la récidive. Ainsi, ces derniers ont jugé contraire à l’article 7 de la
CEDH la solution de la chambre criminelle du 29 février 2000 précitée, qui approuvait les juges
du fond, ces derniers ayant retenu la circonstance aggravante de récidive à l’encontre d’un
prévenu qui avait commis la seconde infraction après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et
dans un délai prévu par cette loi, mais également après l’expiration du délai prévu par la loi
ancienne.
Une décision qui, sur bien des points, peut paraître contestable, cependant, la loi du 12
décembre 2005 est aujourd’hui réalité, elle se donne clairement pour objectif de traiter
rapidement et efficacement les récidivistes et les réitérants.
248 CEDH 10 novembre 2004, Achour c/ France, Dalloz mai 2005, n° 18, p. 1203, note ROETS (D.) ; et Dalloz, janvier 2006, p. 53, note ZEROUKI-COTTIN (D.) 249 Crim. 11 février et 23 mars 1981, Bull. crim. N° 56 et 103, plus récemment : Crim. 29 février 2000, Bull. crim. N° 95
47
Chapitre 2nd : L'objectif d'un traitement rapide et efficace
des récidivistes et réitérants
Parce que le phénomène du récidivisme fait l’objet d’un savoir très relatif, la mission
Clément a voulu mettre en place des outils permettant à la fois aux professionnels de la justice,
aux chercheurs, et nécessairement aux responsables politiques, de mieux appréhender la
question. Mais au-delà cette connaissance scientifique, il apparaît également une évolution des
notions et de leur domaine, qu’il conviendra de mettre en lumière. Cependant, cette analyse
serait inutile si elle ne servait pas de base à un meilleur traitement du récidivisme. C’est bien
entendu l’objectif de la loi Clément que d’améliorer ce traitement, tant pour les récidivistes que
les réitérants. Il convient donc, tout d’abord de se pencher sur la question de l’identification du
phénomène récidivisme (Section 1ère), avant d’analyser le « meilleur » traitement proposé par la
loi Clément (Section 2nde).
Section 1ère : Pour une meilleure identification du phénomène
Non seulement il est nécessaire d’étudier des données chiffrées afin de prendre
connaissance de l’ampleur du récidivisme, mais une meilleure identification renferme également
la question de la détermination du domaine, et plus particulièrement de domaines nouveaux.
Dans un premier temps, nous observerons comment et pourquoi le champ d’investigation en
matière de récidive a été étendu (§ 1). Puis, une évaluation chiffrée (§ 2) viendra compléter
l’identification du phénomène, bien qu’elle soit relativement souvent qualifiée d’incertaine.
§ 1 : Un champ d’investigation étendu
Dans une époque majeure de construction européenne, il paraît nécessaire de construire
également le droit à cette échelle continentale. Si cette construction est en bonne marche, les
décisions des différentes juridictions de l’Union Européenne n’ont pas force de décisions de
justice nationales sur le territoire de la République. Et même au-delà l’Union Européenne, la
question de la reconnaissance des décisions des juridictions étrangères dans le cadre de la
récidive (A) mérite d’être posée, puisque l’aspect criminologique et dangereux d’un individu, si
ce dernier peut parfois se poser la question des frontières, dépasse la notion de territoire national.
Par ailleurs, l’identification de la récidive, si elle doit passer outre les frontières, paraît nécessiter
48
des outils nouveaux, ou du moins une amélioration des outils déjà existants (B) comme le
proposera sur de nombreux points la mission Clément.
A. Vers la reconnaissance des décisions des juridictions étrangères
Si une récente loi250 prenait en compte les décisions des juridictions européennes quant
aux infractions en matière de fausse monnaie, les juridictions françaises ne pouvaient considérer
comme premier terme de récidive une telle décision d’une manière générale. Cette règle se
fondait sur le principe de territorialité de la loi pénale251 et c’est au gouvernement, dans un
amendement ajouté à l’occasion de la seconde lecture à l’Assemblée nationale252, que l’on doit
l’initiative d’une telle réforme – même si la question avait déjà été abordé dès 1938253 – parce
qu’il est admis qu’« une condamnation étrangère est l'indice d'un État dangereux qui devrait
attirer l'attention »254. L’article 2 de la loi du 12 décembre 2005255 dispose donc que « les
condamnations prononcées par les juridictions pénales d’un Etat membre de l’Union européenne
sont prises en compte au titre de la récidive […] », et abroge logiquement l’article relatif à la
fausse monnaie (art. 442-16 CP). Cependant, sans une mise en œuvre complète du casier
judiciaire à l’échelle européenne, cette prise en compte restera très difficile.256 Par ailleurs, on
peut également se demander comment sera prise en compte l’état de récidive alors que les règles
en la matière et la nature même des infractions diffèrent réellement entre les pays membres. Mais
déjà, la Communauté Européenne avait institué une coopération dans le domaine de la justice et
des affaires intérieures257, l'Union Européenne était ensuite allée plus loin à travers la
coopération policière et judiciaire en matière pénale258. Il paraissait donc nécessaire que les
justiciables soient hissés au niveau de l'Union européenne et de reconnaître les décisions des
juridictions européennes dans le cadre de la récidive, même si cela a pour effet d'encore étendre
son champ d'application. Toutefois, on pourra remarquer que cette initiative (ajoutée en juillet
2005) va dans le sens de la proposition de décision-cadre datant du 17 mai 2005 présentée par la
Commission européenne « relative à la prise en compte des décisions de condamnations entre les
Etats membres de l’Union Européenne à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale ». En effet,
250 Loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice, J.O. n°156 du 6 juillet 2005251 Art. 3 civ, et 113-2 CP ; Crim. 27 nov. 1928, Bull. crim. N° 313; Crim. 7 novembre 1968, Bull. crim. N° 290 252 LEONARD (G.), op. cit., 2e lecture, p. 59 253 DAVID (F.), « De la reconnaissance des sentences pénales étrangères en France au point de vue de la récidive et du sursis », Revue internationale de droit pénal, n° 4, 1938, p. 21 254 BOULOC (B.), Droit pénal général, 19e éd., Dalloz, coll. Précis, Paris, 2005, n° 662 255 Art. 132-16-6 CP 256 On peut déjà se réjouir de l'interconnexion des casiers judiciaires français, allemand, espagnol et belge. www.justice.gouv.fr/cjn/actual.htm 257 Art. 293 du traité instituant la Communauté Européenne du 25 mars 1957, entrée en vigueur le 1er janvier 1958 258 Art. 40 du traité sur l'Union Européenne du 7 février 1992
49
son article 3-1 prévoit que « tout Etat membre accorde aux condamnations prononcées dans les
autres Etats membres, selon les règles qu’il détermine, des effets juridiques équivalents aux
condamnations nationales, à l’occasion d’une nouvelle procédure pénale pour des faits
différents ».
En revanche, quelques questions ne trouvent pas encore de réponses claires. Par exemple,
les réitérants jugés en France après une première infraction à l’étranger pourront-ils bénéficier de
la règle du non-cumul des peines ? Rien n’est moins sûr. En effet, la Cour de cassation a
récemment estimé259 qu’ « en cas de poursuites successives devant une juridiction étrangère et
devant une juridiction française, il n’y a pas lieu d’appliquer le principe du non-cumul des peines
à défaut de dispositions spéciales, lesquelles, en l’espèce, ne sont pas prévues par la Convention
de voisinage entre la France et la principauté de Monaco ». La référence à des « dispositions
spéciales » renvoie aux conventions signées par la France, comme la Convention du Conseil de
l’Europe sur le transfèrement des personnes condamnées, signée à Strasbourg le 21 mars 1983.
Ainsi, l’article 9-1 b) de ladite convention fait obligation aux Etats membres de « convertir la
condamnation en une décision de cet Etat, substituant à la sanction infligée dans l’Etat de
condamnation une sanction prévue par la législation d’exécution ». Toutefois, la France a exclu
l’application de cet article lors de sa signature et donc empêche la confusion entre des peines
prononcées par un juge français et un juge étranger. Mais si une telle reconnaissance peut
paraître relativement normale d’un point de vue criminologique, le phénomène global du
récidivisme reste encore trop peu identifié. C’est pourquoi des outils nouveaux – ou du moins
une amélioration de l’existant – semblent nécessaires afin de mieux l’appréhender, pour mieux le
comprendre et savoir réellement l’enrayer.
B. Vers l’amélioration des outils d’identification du récidivisme
La dernière proposition de la mission Clément demandait la mise en place d’un « fichier
recensant les personnes ayant bénéficié d’un non-lieu ou d’une relaxe en raison de l’abolition de
leur discernement au moments de faits ».260 Depuis la loi du 9 mars 2004, les irresponsables
pénaux, auteurs d’infractions sexuelles, figurent sur le fichier judiciaire des auteurs d’infractions
sexuelles. Cependant, les autres irresponsables pénaux n’apparaissent sur aucun fichier, et leur
casier judiciaire ne mentionne pas une telle décision puisqu’il ne recense que les condamnations,
comme le prévoit l’article 768 du code de procédure pénale. Une pareille extension pourrait,
d’un côté, faciliter le travail des enquêteurs, mais (et de la même manière pour les auteurs
d’infractions sexuelles) il peut tout de même constituer une atteinte aux droits des intéressés
259 Crim. 26 octobre 2005, AJ Pénal, 2006, n° 1, jsp, note ROYER (G.), p. 42 260 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 20, p. 66
50
puisqu’ils n’ont été reconnu coupable d’aucune infraction. Par ailleurs, cette extension aurait
pour effet de rendre « suspect », puisque les services de police se tourne en premier lieu vers ce
type de fichier, une nouvelle catégorie de personnes. Il convient dès lors de faire attention à ne
pas les rendre « coupables » trop vite du fait d’une certaine « facilité » compte tenu qu’elles ne
pourront théoriquement pas être incarcérées. Néanmoins, la mission Clément justifie une pareille
mesure par la dangerosité que représente ces individus, relevant qu’ils ne sont pas à l’abri d’une
éventuelle réitération. Si cela peut faciliter le travail des enquêteurs, si la justice n’est pas
expéditive en la matière et que des mesures cohérentes sont prises à leur encontre, cette
proposition peut sembler pertinente. Malheureusement, il est permis de douter de toutes ces
suppositions, d’autant plus dans le contexte sécuritaire actuel. Toutefois la mission Clément a
également pensé que certains outils d’identification du phénomène récidivisme devraient être
améliorés. C’est pourquoi un certain nombre de mesures devraient être prises pour moderniser le
fonctionnement du casier judiciaire (1), depuis le jugement jusqu’à l’inscription en elle-même et
l’information à donner en cas d’éventuelle récidive. Aussi, la mission Clément a proposé, suite à
un lobbying important d’éminents spécialistes, de créer une commission d’analyse et de suivi de
la récidive (2), afin d’améliorer la connaissance du phénomène et de déterminer d’éventuelles
solutions à apporter.
1. La nécessaire modernisation du casier judiciaire
Le casier judicaire, issu des anciens sommiers judiciaires (dépendant du ministère de
l’Intérieur) institués par le code d’instruction criminelle de 1808, a été proposé par la Procureur
de la République de Versailles, Bonneville de Marsanguy, en 1848. Il sera officiellement mis en
place par le ministre de la Justice Eugène Rouher le 6 novembre 1850 et effectivement en
application le 1er janvier 1851. Auparavant sur support papier, c’est par la loi du 4 janvier 1980
que le casier judiciaire national est devenu informatisé afin d’optimiser le service. S’il est un
élément indispensable pour connaître l’état de récidive, il est rigoureusement protégé afin
notamment de respecter la vie privée des personnes concernées. C’est pourquoi la même loi de
1980 a indiqué que ce casier automatisé, sous la responsabilité du Garde des Sceaux, ne pouvait
donner lieu ni à rapprochement, ni à connexion, avec tout autre fichier ou recueil de données
nominatives détenu par une personne ou un service ne dépendant pas du ministère de la
justice.261 Seules les condamnations pénales intéressent évidemment la récidive. Mais il peut
comporter également des mentions complémentaires comme les dispenses de peine, grâces,
commutations ou réductions de peines, décisions de libérations conditionnelles, etc.262 Toutefois,
261 Cf. art. 777-3 CPP 262 Cf. art. 769 CPP
51
cet outil « nie implicitement toute transformation ou, du moins réintroduit dans le présent le
fantôme du passé », il établit de plus un « dangereux raccourci entre passé et avenir, entre réel et
potentiel ».263 Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le casier judiciaire ne
constitue pas une preuve absolue de l’état de récidive. Les bulletins ne sont que des copies de
copies et on sait d’ailleurs que le code civil ne reconnaît à ces « copies de copies » qu’une valeur
de « simples renseignements »264. Cela parce que ces « recopiages » successifs peuvent être
source d’erreur au delà de la perte de temps majeure qu’ils impliquent. En effet, un premier
document est effectué par la juridiction de condamnation pour envoi aux services du casier, puis
copié par ces services dans le casier de l’intéressé, et à nouveau copié par les services du casier
pour envoi à la juridiction requérante. Il y a donc là une triple source d’erreur possible, qui fait
que le contenu n’est pas opposable à celui qui le conteste comme le rappelle le professeur Rassat
dans son manuel de droit pénal général.265 Dans ce cas, le ministère public de la juridiction
devant se prononcer devra requérir des greffes de chacune des autres juridictions ayant
condamné – en théorie – le prévenu, une copie de toutes leurs décisions, seuls actes authentiques
faisant preuve mais allongeant remarquablement la procédure. En revanche, s’il en reconnaît
l’exactitude, une ancienne jurisprudence266 indique qu’il fera preuve de condamnation. En cas de
silence du prévenu, la chambre criminelle267 décidait que le casier judiciaire faisait preuve s’il
encourait une peine aggravée sauf en cas de relégation. Celle-ci n’existant plus, on peut tout de
même penser que cette dernière jurisprudence reste valable. Il faut noter que la Cour de
cassation se montre très stricte sur la justification de la décision aggravant une peine pour cause
de récidive. Elle exige que celle-ci ait relevé « la date, l’origine, la nature et le caractère définitif
de la condamnation antérieure » et éventuellement les délais si ceux-ci sont requis. A défaut, elle
casse toutes les décisions.268
La mission Clément a relevé que les délais d’inscription au casier judiciaire étaient
« préoccupants » et que les modalités d’accès aux informations, notamment pour les magistrats –
étaient quant à elles « inadaptées ».269 En effet, M. Jean-Claude Martin, directeur des affaires
criminelles et des grâces du ministère de la justice, a informé les parlementaires que le délai
moyen entre le prononcé du jugement et son enregistrement au casier était, en 2002, de 6,4 mois.
Ce temps, jugé trop long, est dû à la conjonction de deux délais distincts : celui du traitement et
de la saisie du jugement par les services des juridictions, et celui du traitement des informations
263 FRIZE (N.), op. cit., p. 80 264 Art. 1335 4° civ 265 RASSAT (M.-L.), op. cit., n° 495, p. 550 266 Crim. 5 mai 1887, S., 1888, I. 348, cité par PRADEL (J.), op. cit., n° 673, p. 603 267 Crim. 22 mars 1933, S., 1935, I. 39, cité par PRADEL op. cit. 268 Crim. 8 juillet 1981, Bull. crim. n° 228 269 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit.,, p. 35
52
par les services du casier. Si le délai de traitement par les services du casier s’avère relativement
rapide (7 semaines), par contre, il faut en moyenne plus de 22 semaines après le jugement pour
que la fiche soit envoyée aux services du casier. Néanmoins, la mission relève qu’il existe de
fortes disparités entre les juridictions puisque les délais de transmission s’échelonnent de 13 à
699 jours. Compte tenu de la situation, la mission propose270 de recruter temporairement des
contractuels afin de combler les importants retards des juridictions les plus en difficultés. Cette
proposition ne semble pourtant que provisoire. Il semble donc qu’un nombre non négligeable de
ces contractuels devraient peut-être bénéficier d’un emploi plus stable pour le bien de la
juridiction et des services du casier. Par ailleurs, si ces délais doivent être raccourcis, un travail
peut également être fait sur les modalités de consultation du casier judicaire. Jean-Luc
Warsmann dénonçait dans son rapport au ministre de la Justice en avril 2003271, une « justice
devenue aveugle » et soulignait « son incapacité [à] être renseignée en temps réel sur l’existence
des condamnations qu’elle a elle-même prononcées », ce qui avait pour conséquence que l’état
de récidive n’étant pas connu, l’aggravation attendue ne pouvait donc être appliquée. C’est
pourquoi la mission Clément proposait qu’une « dématérialisation de la consultation des
informations du Casier soit engagée afin de permettre son accès à tout moment »272, ce qui est
déjà le cas s’agissant du bulletin n° 1 depuis 2004, disponible sur internet mais bien entendu
réservé aux autorités judiciaires. Bien sûr, afin d’éviter d’éventuels abus, cet accès devra être
encadré et réservé à certains magistrats habilités. Une traçabilité des consultations devrait
également voir le jour à l’instar de ce qui existe pour le fichier STIC mis en œuvre par les
services de la police nationale. En outre, la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003 a
prévu de mettre à disposition des juges les fichiers de police et gendarmerie afin qu’ils puissent
actualiser et compléter leurs informations et, le cas échéant, leur permettre de prendre en
considération le caractère réitérant du prévenu. Toutefois, l’entrée en vigueur de ces dispositions
est subordonnée juridiquement à l’adoption d’un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la
CNIL, qui n’est toujours pas paru, alors que la mission Clément déclarait que les juridictions
étaient fin prête en terme de connexions informatiques pour permettre cet accès. Enfin, pendant
que les parlementaires discutaient et travaillaient sur le texte de la future loi, d’autres
demandaient, par voie directe auprès du Garde des Sceaux, ou par voie de presse273, la création
270 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 8, p. 61 271 WARSMANN (J.-L.), Les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison, Rapport de la mission parlementaire auprès de Dominique PERBEN, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, avril 2003, 76 p. 272 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 7, p. 61 et 37 273 BLANC (A.), POTTIER (P.), SENON (J.-L.), SOULEZ-LARIVIERE (D.), TOURNIER (P.-V.), « Il faut créer un observatoire de la récidive », Le Monde, 10 septembre 2005
53
d’un observatoire de la récidive qui permettrait une meilleure connaissance du phénomène mais
surtout aurait l’avantage de créer un lien entre la sphère politique et la sphère scientifique.
2. L’institution d'une commission d'analyse et de suivi de la récidive
C’est donc à l’initiative de divers « praticiens et chercheurs de renom »274 qu’une telle
commission d’analyse et de suivi de la récidive verra le jour. Ces derniers demandaient un
observatoire qui permettrait d’éviter que les parlementaires, lorsqu’ils ont à traiter de questions
spécifiques tenant à la récidive, « d’oublier » d’auditionner les scientifiques des diverses
disciplines exerçant dans ce champ. Placée auprès du ministère de la justice sur le modèle de la
commission de suivi de la détention provisoire275, cet observatoire aurait disposé d’un secrétariat
scientifique permanent et son premier objectif aurait été de « centraliser les données existantes
sur le sujet, de mettre ces informations à dispositions, de les actualiser en permanence, de
développer des outils pédagogiques synthétisants ces connaissances acquises pour les rendre
lisibles par les politiques, les acteurs de la justice comme par l’ensemble de nos concitoyens »276.
L’observatoire aurait assuré une fonction de veille sur les cas de récidive qui justifierait une
information de part leur gravité ou leur raisonnement médiatique, afin « de rendre illégitimes les
approches démagogiques et stériles qui, soit nient la gravité de questions liées à la récidive, soit,
au contraire, les dénaturent à travers un discours sécuritaire, dont le principal inconvénient, pour
les victimes potentielles, est d’être inopérant »277. A plus long terme, un tel outil aurait pu
permettre d’ « aider à la construction de programmes de formation dans les écoles relevant du
ministère », de « participer à l’élaboration de nouveaux instruments statistiques performants » et
de mobiliser la communauté scientifique afin qu’elle « apporte sa contribution à l’élaboration de
nouveaux programmes de recherches pluridisciplinaires ».278 Enfin, cet observatoire aurait pu
faciliter la coopération européenne pour une meilleure connaissance des pratiques des Etats
membres, pour faciliter la réalisation d’enquête à l’échelle continentale reposant sur des
méthodologies identiques. Il aurait par ailleurs du élaborer, chaque année, un rapport d’activité et
de proposition afin de faire avancer la lutte contre la récidive. Si une commission a bien été
créée, il ne s’agit pas d’un tel observatoire. En effet, afin de « déterminer des outils fiables de 274 REMILLEUX (P.), « Pour clarifier le débat : un Observatoire de la récidive ? », AJ Pénal, 2005, n° 9, Editorial, p. 299 ; les spécialistes à l’initiative d’une telle demande : Alain Blanc, président de la cour d’assises de Paris ; Philippe Pottier, fonctionnaire pénitentiaire et président de l’Association française de criminologie ; Jean-Louis Senon, professeur de psychiatrie légale à l’Université de Poitiers ; Daniel Soulez-Larivière, avocat au barreau de Paris ; et Pierre-Victor Tournier, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions pénales et enseignant à l’Université Paris-I 275 Créée dans le cadre de la loi du 15 juin 2000, celle-ci est constituée de deux représentants du Parlement, d’un magistrat de la Cour de cassation, d’un membre du Conseil d’Etat, d’un professeur de droit, d’un avocat et d’un représentant d’un organisme de recherche judiciaire. 276 BLANC (A.), POTTIER (P.), SENON (J.-L.), SOULEZ-LARIVIERE (D.), TOURNIER (P.-V.), op. cit. 277 Ibidem278 Ibidem
54
mesures de la récidive, d'analyser ce phénomène et de proposer toutes les mesures (...)
pertinentes pour prévenir le renouvellement des infractions »279, le ministre de la justice, Pascal
Clément, a installé, le 6 décembre 2005, une commission d’analyse et de suivi de la récidive,
présidée par le professeur Jacques Henri Robert. Malgré tout, cette commission démontre la
volonté de poursuivre les recherches dans le domaine de la récidive au vu de la complexité du
phénomène. Il est à préciser d’ailleurs que le Garde des Sceaux pourra également saisir ladite
commission de manière ponctuelle et disposera donc d’informations qui ne devraient souffrir
d’aucune contestation, ce qui n’a pas véritablement été le cas à la suite du rapport remis par la
mission Clément. En effet, si celle-ci affirmait que la récidive était « un phénomène à la mesure
incertaine »280, elle ne se privât tout de même pas d’utiliser nombre de statistiques, parfois
imprécises (confusion entre récidive et réitération), pour fonder et justifier ses propositions.
C’est pourquoi certains ont tenté de « dénoncer le trucage des chiffres »281, expliquant – chiffres
à l’appui… – que la récidive était en réalité en baisse.
Cependant, comme le revendique le juge de l’application des peines Michaël Janas, au-
delà des importants moyens qui pourraient être utilement engagés pour permettre une meilleure
évaluation statistique de la récidive, la question financière pourrait s’avérer importante « pour
susciter des recherches pluridisciplinaires sur l’évaluation des dangerosités ».282 Car en effet, si
une identification globale du phénomène récidive est évidemment nécessaire, une évaluation
personnelle de la dangerosité semble également indispensable. C’est pourquoi la mission
Clément propose une telle évaluation en cours de détention afin de prévenir au maximum les
risques de récidive.283 On aurait pu préférer – même si certains objecteront qu’il ne s’agit que de
sémantique – une évaluation de la capacité à se resocialiser. En effet, les mots expriment parfois
plus qu’on ne le pense l’idée qu’on se fait d’une situation, en l’espèce un postulat semble posé :
un détenu risque effectivement de récidiver et c’est cela qui nous intéresse, pour l’éviter, tout
devrait être mis en œuvre pour que celui-ci se resocialise. Il peut donc paraître important
d’évaluer cette capacité à la resocialisation. Parce qu’au fond, il pourrait s’agir en réalité de tout
autre chose. En effet, entre l’évaluation de la dangerosité d’un individu et celle de sa capacité à
se resocialiser, il y avoir beaucoup d’autre type d’individu. On peut très bien ne pas être
réellement dangereux mais incapable de se resocialiser… Il suffit de déterminer ce que l’on
recherche, Pascal Clément n’a pas tergiversé, il veut lutter contre la récidive par la neutralisation
et non réellement par la resocialisation. Enfin, tout dépend des « instruments spécifiques tendant
279 ROBERTS (J.-H.), JCP, G., 2005, n° 708 280 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit. p. 24 281 PORTELLI (S.), op. cit., p. 3 282 JANAS (M.), « Le juge de l’application des peines : un acteur essentiel pour lutter contre la récidive », AJ Pénal, oct. 2005, n° 10, dossier « Récidive : quelles réponses judiciaires ? », p. 347 283 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 14, p. 63
55
à mesurer [cette] dangerosité des détenus, et en particulier, leur risque de récidive, notamment en
matière sexuelle », qui – espérons le – sera le travail de la nouvelle commission d’analyse et de
suivi de la récidive, puisqu’il s’agit de « mettre en place une méthodologie pluridisciplinaire
associant expertises psychiatriques, médico-psychologiques et comportementales du condamné »284, à l’instar de ce qui existe au Canada285. Il s’agit maintenant de revenir sur les chiffres qui ont
pu être avancé ici ou là et d’explorer les méthodes ainsi que les difficultés d’analyse pour tenter
de mettre en exergue certains profils de délinquants récidivistes.
§ 2 : Une évaluation chiffrée incertaine
Pour le professeur Poncela, « en elle-même, l’expression « taux de récidive » n’a pas de
sens »286 parce qu’il existe trop de divergences, tant sur la définition même de la récidive, que
sur le type de population et la période à étudier. Cependant, de telles données restent quand
même relativement importantes pour pouvoir se faire une idée de l’évolution du phénomène.
Mais il est vrai qu’il est nécessaire de s’accorder sur une méthodologie ainsi que sur les chiffres
de base afin d’éviter toute polémique inutile et stérile comme cela a pu être le cas suite aux
diverses statistiques émises par la mission Clément. C’est pourquoi, dans un premier temps, il
sera donc question des difficultés que l’on rencontre pour de telles études en terme d’analyse,
mais aussi des différences méthodologiques que l’on peut relever entre celles-ci, et enfin de
dénoncer la polémique stérile qui a entouré les statistiques mises en avant par la mission Clément
(A). Ensuite, il conviendra de se pencher sur une autre controverse, celle du critère déterminant
de la récidive, puisque la mission de l’Assemblée nationale estime qu’il s’agit de l’infraction
initiale alors que d’autres chercheurs pensent qu’il s’agirait plutôt du type de sanction infligée
également influencé par le contexte social en général (B).
A. Les chiffres, entre difficultés d’analyse, différences méthodologiques et polémiques
stériles
Il convient tout d’abord de relever et commenter les difficultés rencontrées par la mission
Clément sur la question de la mesure du récidivisme. Bien que le rapport de la mission
commence par « 31 % de récidivistes »287, la mission avoue connaître des « difficultés d’ordre
méthodologique »288 et qualifie la mesure actuelle de « ni satisfaisante ni incontestable »289.
284 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 64 285 Cf. « Un exemple de mesure de la dangerosité : les programmes correctionnels canadiens », CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 46 et s. 286 PONCELA (P.), op. cit.,, p. 208 287 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 7 288 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 24 289 Ibidem
56
Reprenant alors les termes de Pierre Tournier, la mission confie qu’il n’existe pas actuellement
d’outil de mesure permettant l’évaluation de la récidive au sens légal du code pénal. 290 En effet,
très souvent, il ne s’agit seulement que d’une évaluation de la réitération sur une période
préalablement définie, mais bien loin de la rigoureuse définition juridique de la récidive. Par
exemple, l’étude Infostats Justice291, sur laquelle se fonde globalement la mission Clément,
précise qu’est considéré comme récidiviste un condamné si l’infraction commise en 2001
constitue un second terme après une première condamnation, « qu’elle soit définitive ou
non ».292 Alors qu’il est connu qu’il existe nombre de situations pour lesquelles le caractère
définitif de la condamnation n’est pas acquis. Il en est ainsi lorsque le prévenu ne comparait pas
à l’audience et qu’aucun avocat ne se présente pour sa défense parce qu’il en ignore la date et
que le jugement ne lui a pas été signifié directement. Qualifié de « défaut », l’opposition à un tel
jugement n’a pas à être formé dans les dix jours mais demeure recevable jusqu’à l’expiration des
délais de prescription de la peine293, soit cinq ans en matière correctionnelle. A cela, il convient
de préciser qu’en 2001, 24 468 jugements devant les tribunaux correctionnels ont été rendu par
défaut et que plus de 32 400 condamnations ont été signifiées « à parquet », ce qui signifie que
l’intéressé était sans domicile ou résidence connue.294 L’étude sur laquelle s’est donc fondée la
mission ne mesurait en aucun cas la récidive légale mais seulement la réitération. De plus, cette
étude suit une démarche rétrospective sur une période de cinq années, et donc ne mesure en fait
que l’évolution du phénomène. A l’inverse, l’étude menée par les chercheurs Kensey-Tournier295
essaie de voir ce que sont devenues des personnes libérées entre le 1er mai 1996 et le 30 avril
1997, en prenant en compte toutes les condamnations inscrites au casier judiciaire, que ce soit
une dispense de peine ou une réclusion criminelle à perpétuité, lorsque celles-ci sont définitives.
Néanmoins, cela n’a pas empêché le magistrat Serge Portelli de s’attaquer vigoureusement aux
présupposés de la mission Clément et plus directement aux chiffres que celle-ci exposait. Celui-
ci, sur la base des chiffres de la Sous direction de la statistique, des études et de la documentation
du ministère de la justice donnant une évolution de 1996 à 2003, affirmait – à l’inverse de
l’ensemble du rapport Clément – « que les chiffres ne traduisent pas une évolution inquiétante »
et qu’il n’y aurait donc « pas d’urgence particulière qui découlerait d’une aggravation
quelconque du phénomène »296. On constate, selon lui, un recul de 4,4 % de 1996 à 2003 du
nombre de condamnations avec antécédents, bien que les chiffres de base de calcul diffèrent avec
290 Ibidem291 Infostats Justice, n° 68, août 2003, http://www.justice.gouv.fr/publicat/infostat68.htm 292 Infostats Justice, n° 68 précité 293 Art. 492 CPP 294 Annuaire statistique de la justice, année 2003, cité par CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 24 295 KENSEY (A.), TOURNIER (P.-V.), « Sortants de prison : variabilité des risques de retour », AJ Pénal, oct. 2005, n° 10, données chiffrées, p. 379 296 PORTELLI (S.), op. cit., p. 25
57
ceux de la mission Clément.297 A l’inverse, cette dernière affirme que le taux de récidive a
augmenté de 1,5 points entre 1996 et 2001, parce qu’elle rapporte le nombre de condamnés avec
antécédents au nombre global de condamnés pour établir un pourcentage, bien qu’il apparaisse
également une baisse réelle du nombre de condamnés avec antécédents. Selon la mission, 52 %
des condamnés sortants de prison en 2001 ont commis une nouvelle infraction dans les cinq ans.
Mais cela ne veut pas nécessairement dire un retour en prison car pour 47 % d’entre eux, leur
nouvelle peine d’emprisonnement sera assortie d’un sursis, alors que pour 41 %, une nouvelle
peine de prison ferme sera prononcée. C’est pourquoi, bien que le taux de réitération semble en
progression, le « taux de retour en prison » semble quant à lui relativement stable. Il sera plus
tard observé que de fortes disparités existent selon la nature de l’infraction commise, et qu’une
corrélation – aussi « délicate » soit-elle – semble bien réelle entre les modalités de libération et le
taux de réitération.298
Par ailleurs, la mission Clément relève une seconde difficulté tenant à l’effacement
automatique du casier judiciaire des fiches concernant les mineurs devenus majeurs. Cependant,
le « problème » est en passe d’être réglé puisque la loi du 9 mars 2004 empêche désormais cet
effacement automatique des fiches relatives aux mesures et aux sanctions éducatives à la date
d’expiration de la peine ou en tous cas lorsque le mineur atteint sa majorité (de même pour les
peines d’emprisonnement n’excédant pas deux mois). Désormais, ces fiches ne seront retirées
qu’à l’expiration d’un délai de trois ans à compter du jour où elles ont été prononcées, ce qui
permet d’aller au-delà de l’âge de la majorité. Un tel changement est intervenu parce qu’il
semblait insupportable aux yeux de certains qu’un mineur condamné à un placement à l’âge de
15 ou 16 ans et qui commettait un second délit identique à l’âge de 18 ans révolus, soit considéré
comme non récidiviste au sens de la loi. Pourtant, il reste admis que des dispositions plus
favorables aux mineurs sont nécessaires et que tout doit être évité pour qu’ils ne supportent pas
leurs « erreurs de jeunesse » toute leur vie ou pire s’inscrivent dans un cercle vicieux de
délinquance d’habitude.
Pour répondre à ces différentes difficultés, la mission Clément entend, au-delà de la
commission de suivi et d’analyse de la récidive, « mettre en place un outil statistique permettant
une mesure précise de la récidive et de la réitération »299. Néanmoins, il s’agit en réalité d’une
nouvelle charge pesant sur les procureurs généraux qui devraient établir chaque année un rapport
qu’il remettrait au Garde des Sceaux, qui détaillerait le nombre d’affaires pénales mettant en
cause un récidiviste ou un réitérant ainsi que la nature de la mesure ou de la condamnation
prononcée à son encontre. Nul doute qu’un tel document sera très intéressant en terme de 297 Comparer les tableaux p. 25 de l’ouvrage de S. PORTELLI et p. 26 du rapport CLEMENT (voir année 2001)298 Cf. Le critère récidivant, entre nature de l’infraction initiale, type de sanction pénale et contexte social p. 58 299 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 10, p. 62
58
politique criminelle à la fois globale et locale, mais revient encore l’inévitable question du temps
et donc des moyens conférés aux services de l’Autorité judiciaire, puisqu’il faudrait pour cela
assurément créer un service de statistique spécifique pour pouvoir mener à bien annuellement
une telle mission. Enfin, si les statistiques revêtent une importance particulière, c’est pour être
raisonnablement utilisées, notamment pour établir des profils généraux de récidivistes ou
réitérants, c’est-à-dire pour avoir à connaître des différents types de récidives entendus
largement.
B. Le critère récidivant, entre nature de l’infraction initiale, type de sanction pénale et
contexte social
A la suite des résultats de l’étude Infostats Justice précitée, la mission Clément estimait
qu’ « un tel phénomène n’en demeure pas moins décourageant pour les personnels pénitentiaires
qui voient revenir en détention les mêmes personnes en dépit des actions de réinsertion
précédemment menées »300. Pourtant, beaucoup dénoncent le manque de moyens physique et
matériel des services d’insertion et de probation, la mission Clément le reconnaissant par ailleurs
et proposant une revalorisation et un renforcement de leurs effectifs.301 Il y a peut-être là une des
réponses à un taux aussi important de retour en prison, c’est-à-dire un suivi mal assuré, voire pas
assuré du tout.302 Peu d’études ont été menées sur la question de l’éventuel retour sous écrou
d’anciens détenus. Toutefois, on peut constater que déjà, sur une étude menée par le professeur
et avocat général à la Cour de cassation, Georges Picca, et M. Vengeon sur la période 1961-1971
que « la fréquence des rechutes […] est liée à certaines variables individuelles telles que la durée
ou la nature de la peine, l’âge à la sortie de prison et les antécédents judiciaires » 303. Des chiffres
analogues aux relevés en Grande-Bretagne, en Belgique ou aux Etats-Unis, qui indiquaient que
pour une peine inférieure ou égale à 5 ans, le taux de réitération était de 52,8 %, alors qu’il
n’était que 20 % pour une peine supérieure à 5 ans. Pour ces auteurs, cette importante différence
tiendrait au fait que « les délinquants purgeant de lourdes peines sont libérés à un âge qui
correspond à un déclin de l’activité criminelle »304, plutôt qu’à un choix de raison ou à un réel
amendement. De même, ils constataient que plus le nombre de condamnations antérieures était
élevé, plus le taux de réitération était important305. Cela pourrait s’expliquer par une certaine
habitude criminelle et un « choix » de vie qui engendre de très lourdes difficultés rendant
300 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 27 301 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 12, p. 63 302 Sur la question du suivi et de la réinsertion, cf. Pour un « meilleur » traitement du récidiviste p. 61 (pour les propositions de la mission Clément), et Un objectif d'insertion à repenser p. 98 303 PICCA (G.), VENGEON (P.), art. préc. 304 Ibidem305 Pour une condamnation antérieure, le taux de réitération était de 59 % ; pour deux ou trois condamnations, il était de 64 % ; pour quatre ou cinq, de 81 % ; et pour six et plus, de 82 %.
59
presque impossible une resocialisation avec des moyens classiques et un suivi si peu présent.
Une autre raison serait l’incapacité du système judiciaire à véritablement s’adapter aux cycles
délinquants, ce qui au contraire pourrait permettre d’avoir un impact plus important sur
l’individu en cause et augmenter ses chances d’amendement et donc de resocialisation.306
L’étude Infostats Justice, sur laquelle s’appuie la mission Clément, qui ne mesure quant à
elle que la proportion de condamnés avec antécédents, dans les cinq ans qui précèdent la
condamnation de référence, est donc loin de mesurer un véritable taux ou encore risque de
récidive, comme l’indique le professeur Tournier.307 Ce dernier adopta par contre une approche
quelque peu différente qu’il qualifie d’ « approche dite de l’observation suivie » où il examine le
devenir des condamnés, prenant en compte trois variables (apparues dans des travaux antérieurs
comme les plus discriminantes) : le passé judiciaire (l’existence ou non d’une condamnation
antérieure), l’âge à la libération ou au prononcé de la condamnation non carcérale (distinction
entre les moins et les plus de 25 ans) et l’existence d’une profession déclarée. Une « démarche
dynamique, tournée vers le futur […], la seule qui permette d’évaluer des « risques » » de
récidive, en prenant en compte le choix de la peine et d’en mesurer les conséquences (et pas
seulement les causes), et surtout « d’étudier l’influence des conditions d’exécution des peines en
milieu fermé comme en milieu ouvert », afin d’évaluer le rôle des libérations conditionnelles et
des aménagements de peine. Mais la mission Clément s’est également appuyée sur les études
précédentes du professeur Tournier pour constater que, lorsqu’un détenu a effectué 70 %
« seulement » de sa peine en détention, le taux de réitération n’est que de 28 % contre 60 % pour
ceux qui ont effectué 90 % de leur peine en détention (étude de 1973). Cette étude a, par la suite,
été confirmée, lorsqu’en 1982, on constatait que le taux de retour en prison suite à une libération
conditionnelle n’était que de 23 % contre 40 % pour les détenus libérés en fin de peine. Cet écart
important doit être interprété avec prudence du fait de la nécessaire sélection des détenus en
fonction de leur profil pour qu’ils soit éligibles ou non à la libération conditionnelle, mais
également selon leur capacité à réellement tirer profit de celle-ci. En effet, pour la mission
Clément, « le critère déterminant en matière de récidive semble davantage être la nature de
l’infraction initiale commise que les modalités de la libération du condamné »308. Cependant des
peines alternatives à la prison font relever un taux de récidive encore plus faible… En effet, sur
plus de 5 000 dossiers, Tournier constate que le taux de condamnation à l’emprisonnement
ferme, pour un délit309, dans les 5 ans est globalement de 31 %. Il est en revanche de 61 % pour
306 PINATEL (J.), art. préc. 307 TOURNIER (P.-V.), « Peines d’emprisonnement ou peines alternatives : quelle récidive ? », AJ Pénal, sept 2005, n° 9, dossier « Récidive : quelles réponses judiciaires ? », p. 315 308 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 27 309 Car la récidive pour crime est relativement faible et pas très significative comme le rappelle Serge Portelli, elle est de 2,6 % en 2002, et est sujette à une baisse de 57 % entre 1996 et 2003. (PORTELLI (S.), op. cit., p. 25)
60
les sortants de prison dans les 5 années suivant leur libération et est nettement plus faible pour
des condamnations non carcérales : 41 % à la suite d’une SME-TIG ; 34 % après un TIG en
peine principale ; 32 % pour un SME ; et 19 % à la suite d’un sursis simple. Néanmoins il
importe à nouveau de relativiser ce genre de statistiques puisque le choix de la peine par les
tribunaux, s’il a une influence apparemment directe sur le devenir des intéressés, a assurément
été guidé par les caractéristiques spécifiques de chaque individu.
Même si aucune étude précédente n’est venu affirmer que des taux de récidive importants
étaient nécessairement liés à la nature de l’infraction initiale, la mission Clément, s’appuyant
toujours sur l’étude Infostats Justice, conclue que, s’agissant par exemple des violences
volontaires sur adulte, 61 % des détenus libérés en 1996-1997 ont récidivé dans les cinq années
suivantes, et 44 % avec emprisonnement ferme. Pourtant, l’étude Kensey-Tournier310, reprenant
la même nature d’infraction initiale, et se basant toujours sur les trois mêmes critères jugés les
plus discriminants, relève un taux global de retour de 44 % seulement avec des disparités très
importantes en fonction justement desdits critères. Par exemple, les condamnés auteurs de
violences volontaires sur adulte ont 81 % de « chance » de revenir en prison s’ils ont déjà un
passé judiciaire, s’ils sont sans profession et s’ils ont moins de 30 ans à leur libération. Ils n’ont
qu’une chance sur deux de revenir en prison avec un passé judiciaire, moins de 30 ans mais une
profession. Et le risque est pratiquement nul s’ils n’ont pas de passé judiciaire antérieur, s’ils ont
une profession et s’ils sont plus âgés. Cela n’empêchera nullement la mission de faire ses
propositions et, même si le débat sur la récidive a pour origine des crimes (meurtre, viol…) dont
les taux de récidive sont très faibles, la loi du 12 décembre 2005 se concentrera sur les « plus
petits délinquants », relevant un taux de « vraie » récidive plus important pour les vols et recels
(59,7 %), la conduite en état alcoolique (53,2 %) ou encore pour la police des étrangers (44,4
%).311 En estimant nécessaire d’aggraver la répression contre les réitérants, la mission entend
lutter contre cette petite délinquance, bien que les délais moyens de récidives soient très
variables : 15,7 mois en moyenne pour les délits (7,2 ans pour les crimes). Pourtant il ne semble
pas véritablement nécessaire d’incarcérer une personne ayant à nouveau conduit en état
alcoolique (sachant que le délai entre deux infractions est encore plus importants, soit 22 mois),
l’immobilisation du véhicule, le recours au TIG semble avoir des vertus pédagogiques et
préventives plus convaincantes que la prison, comme le rappelait à la mission, Mme Geneviève
Jurgensen, présidente de la Ligue contre la violence routière. En effet, un meilleur traitement des
récidivistes doit être envisagé, comme ce fut également l’objet de la mission Clément et des
propositions qui devaient en découler.
310 KENSEY (A.), TOURNIER (P.-V.), art. préc. 311 Cf. tableau des taux de réitération par nature de délit, CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 28
61
Section 2nde : Pour un « meilleur » traitement du récidiviste
Au-delà l’aggravation des sanctions préconisée par la mission Clément, accentuée par les
parlementaires, il importait d’améliorer le traitement à l’égard des récidivistes, notamment
s’agissant des plus dangereux. C’est d’ailleurs cet « état dangereux », notamment pour les
délinquants sexuels, qui a alimenté les débats parlementaires, députés et sénateurs s’accordant
sur la nécessité d’évaluer cette dangerosité qu’il faut prendre en compte pour mieux défendre la
société comme l’a martelé le Garde des Sceaux.312 Cette « dangerosité, innée ou acquise, c’est
selon, en tous les cas « naturelle », donnée comme un état immuable »313, est une notion
« ambiguë », qui doit être distinguée de la dangerosité psychiatrique selon les psychiatres Barte
et Ostaptzeff. L’expert, loin d’être un criminologue – puisqu’il n’existe à ce jour aucun diplôme,
aucune formation de ce type – se voit confier l’appréciation de cette dangerosité, qui « ne peut
que l’embarrasser, car ce volet n’est pas le sien ».314 Cette dangerosité criminologique est d’une
importante relativité « tant au niveau de sa détermination que de sa prédiction, dépendant de
l’histoire d’un individu, du moment de son existence », et revêt un caractère « ni permanent ou
durable mais en création ».315 Le juge de l’application des peines, assurément lié à la parole de
l’expert en un tel domaine, ne peut être confronté qu’à une obligation de moyens. En effet,
comme l’exprime Michaël Janas, JAP et président de l’ANJAP 316, « il n’est pas plus possible de
certifier l’absence de récidive que de prédire l’avenir »317, mais cette évaluation pourra tout de
même être grandement améliorée. Ce dernier propose que « des équipes pluridisciplinaires
départementales ou régionales regroupant des criminologues, des psychologues, des psychiatres,
des sociologues… » voient le jour. Elles pourraient « éclairer le juge de l’application des peines
dans sa complexe prise de décision ».318 Par ailleurs, il convient de noter qu’il a été proposé que
« lors des gardes à vue, l’expert se limite à fournir un avis médico-psychologique sur la nécessité
de soins immédiats et d’une hospitalisations d’office et l’opportunité d’ordonner ultérieurement
une réelle expertise ».319 Mais à l’inverse, certains auteurs considèrent que « la suppression des
expertises de dangerosité du procès pénal et de l’exécution des peines ne rendrait pas pour autant
312 CLEMENT (P.), art. préc. 313 FRIZE (N.), op. cit., p. 50 314 BARTE (H. N.), OSTAPTZEFF (G.), op. cit., p. 21 315 BARTE (H. N.), OSTAPTZEFF (G.), op. cit., p. 21 316 Association Nationale des Juges d’Application des Peines 317 JANAS (M.), art. préc. 318 JANAS (M.), art. préc.319 NADJAR (E.), LEMOUSSU (P.), « Rapport Burgelin : des propositions en vue d’une meilleure prévention de la récidive », AJ Pénal, sept. 2005, n° 9, dossier « Récidive : quelles réponses judiciaires ? », p. 319
62
impossible toute évaluation par le juge du risque de récidive »320, une position que, à l’image de
son président, l’ANJAP ne paraît pourtant pas partager.
En terme de traitement, la mission Clément a donné un exemple non répressif qui semble
relativement intéressant. Il s’agit de la réponse donnée aux violences conjugales, comme
pouvaient le réclamer notamment les associations de défense des femmes battues. Dans les faits,
il est question d’imposer au conjoint ou concubin violent contre son épouse (ou époux) ou ses
enfants de résider hors du domicile ou de la résidence conjugale, voire de s’abstenir d’y paraître,
y compris, le cas échéant, aux abords de ceux-ci. Une obligation de charge sanitaire, sociale ou
psychologique pourra également être imposée, dans le cadre de poursuite321, à l’occasion de la
composition pénale322 ou d’un contrôle judiciaire323, mais aussi dans le cadre des obligations
particulières prévues pour le sursis avec mise à l’épreuve (SME) et toutes les mesures renvoyant
à l’article 132-45 du code pénal.324 La mission s’était en réalité inspirée d’une politique mise en
œuvre par le parquet de Douai qui avait demandé la suppression de la pratique des mains
courantes pour tout fait de violences conjugales et avait mis en place un processus particulier et
assez convaincant. L’auteur des faits, sera immédiatement soustrait du foyer familial pour être
placé en garde à vue, tandis que la victime demeurera dans son foyer et disposera d’une
assistance psychologique et juridique. En fonction de la gravité des violences, une peine de
prison pourra être requise dans le cadre d’une comparution immédiate, mais pour les cas les plus
légers, en application des dispositions de l’article 137-2 du code de procédure pénale, le parquet
requiert le placement sous contrôle judiciaire de l’auteur des faits par le juge des libertés et de la
détention. Et dans ce cadre, l’auteur devra quitter son domicile conjugal, et sera placé pendant
quinze jours dans un foyer, « les compagnons de l’espoir », qui habituellement accueille des
personnes sans domicile fixe. Il devra dormir sur place et partager les activités du foyer, et sera
suivi psychologiquement. A l’issue de ce séjour, s’il a suivi ses obligations, la procédure pourra
être classée, et il lui sera possible de rentrer à son domicile si sa conjointe le désire. Dès ce
retour, l’association qui avait pris en charge la victime, aura pour mission de s’assurer que celui-
ci n’exerce aucune pression sur la victime. Le but est évidemment de provoquer une prise de
conscience, et d’éviter l’incarcération, afin de donner un maximum de chance à un nouveau
départ pour la famille. Débutée en mai 2003, cette politique a eu de très bons résultats, et c’est ce
320 COCHE (A.), La détermination de la dangerosité des délinquants en droit pénal, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2005, p. 336 321 Art. 41-1 CPP 322 Art. 41-2 CPP 323 Art. 138 CPP 324 La loi du 12 décembre 2005 a inséré un 19° dans l’article 132-45 permettant, en cas de violences conjugales ou contre les enfants, d’interdire au conjoint violent de s’approcher du domicile, d’enter en relation avec ses habitants et de lui imposer de se faire soigner.
63
qui a amené la mission à s’y intéresser et à inviter les autres parquets à suivre cet exemple.325
Bien sûr – et malheureusement –, il n’est pas toujours possible d’éviter une incarcération, qu’il
s’agisse de faits de violences ou d’autres infractions. Cependant, si l’on veut éviter les récidives,
au-delà des conditions et de la durée même de détention, il paraît rigoureusement nécessaire
d’éviter les sorties dite « sèches » et donc qu’une certaine priorité soit donnée à l’application des
peines (§ 1). Enfin, il ne faut pas oublier que « la prévention de la récidive implique davantage
de volonté et de moyens pour le suivi de tous les condamnés »326, comme le précisait M. Boulay
de l’association d’aide des parents d’enfants victimes (APEV), c’est pourquoi la mission
Clément a entendu améliorer le suivi post incarcération afin que celui-ci apparaisse comme
nécessaire (§ 2) et qu’il soit systématiquement mis en œuvre.
§ 1 : Faire de l’application des peines une priorité
D’une part, il paraît nécessaire de revenir sur la réforme opérée par la loi du 9 mars 2004
sur les réductions de peines (A), parce que la loi du 12 décembre 2005 est venue apporter de
nouvelles dispositions singulières à l’égard des récidivistes. D’autre part, la mission Clément et
surtout le rapport Burgelin s’étaient donné pour mission d’améliorer le traitement des
« malades », notamment par un encadrement plus rigoureux (B), ces malades qui, trop nombreux
en établissement pénitentiaires et n’y trouvant pas de soins adaptés, sont souvent l’objet d’une
stigmatisation de la part de l’opinion publique du fait de leur possible irresponsabilité mais
peuvent également être sujet à récidive.
A. Des réductions aux crédits de peine
« Le plaisir et la douleur sont les deux moteurs des êtres sensibles »327 écrivait Cesare
Beccaria. C’était un peu sur une telle idée que reposait l’ancien système des réductions de peine.
C’est la loi du 19 décembre 1972 qui avait donné au JAP la possibilité d’accorder aux
condamnés – après avis de la commission de l’application des peines – des réductions de peines
ordinaires « afin d’alléger la charge imposée au chef de l’Etat par l’exercice du droit de
grâce »328. Ces mesures pouvaient par ailleurs servir « d’instrument [pour] la discipline en
établissement »329 puisqu’elles servaient à « récompenser » la bonne conduite des détenus. A
celles-ci sont venues s’ajouter, à partir de 1975, des réductions de peines supplémentaires
325 Cf. CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 40 et s. 326 BOULAY (M.-J.), « Quelle place de la victime dans le processus de libération conditionnelle ? Contribution de l’APEV au débat sur la récidive », AJ Pénal, sept. 2005, n° 9, dossier « Récidive : quelles réponses judiciaires ? », p. 318 327 BECCARIA (C.), op. cit., chapitre XXIII328 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), op. cit., n° 1051, p. 961 329 PONCELA (P.), op. cit., p. 351
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récompensant des efforts particuliers de « réadaptation sociale », liées à la réussite à un examen
ou encore sanctionnant des gages exceptionnels de réinsertion. La loi du 9 mars 2004 a
totalement refondu la matière à compter du 1er janvier 2005, en inversant le principe, par la
création du mécanisme du crédit de peine. Véritable « révolution »330 dans l’exécution des
peines, désormais, le détenu « bénéficie d’un crédit de réduction calculé sur la durée de la
condamnation prononcée à hauteur de trois mois pour la première année, de deux mois pour les
années suivantes et de sept jours par mois »331, avec la possibilité pour le JAP de les retirer en
cas de mauvaises conduites de l’intéressé (sur saisine du chef d’établissement ou du procureur de
la République et dans la limite de trois mois maximum par an et de sept jours par mois). Cette
évolution est intervenue pour pallier à un système qui ne réservait plus ces réductions aux plus
méritants, accordées systématiquement à tous les détenus sauf si leur conduite s’avérait
inacceptable. « La réforme a ainsi mis le droit en harmonie avec la pratique » reprenant un
mécanisme existant dans de nombreux pays européens. L’avantage du système est que le détenu
– et l’administration également – peut connaître à l’avance – c’est-à-dire dès son entrée en prison
– la remise dont il bénéficiera sauf s’il se conduit mal. D’une certaine manière, on a instauré par
ce système une sorte de sursis pour la fin de peine… Le but était en réalité de créer ce que l’on a
appelé un « sas de sortie » pour les fins de peine, et ainsi éviter les sorties sèches facteurs de
récidive. Cependant, une forte hostilité des JAP exista au moment des discussions sur le texte,
puisqu’il appartenait désormais au directeur des SPIP de proposer un aménagement de peine au
JAP, s’agissant seulement des condamnés à des peines allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement ou
pour ceux à qui il reste moins de 6 mois à subir. Une ingérence mal supportée par les JAP à qui
on reprochait finalement de ne pas suffisamment ordonner de mesures d’aménagement, ceux-ci
dénonçant de leur côté un problème de moyens physique et financier et non de volonté.332
Malgré tout, les réticences des JAP et le manque d’effectifs criant des SPIP font qu’aujourd’hui
la procédure de sas de sortie ne semble que peu utilisée en pratique. Néanmoins, on peut ici
reconnaître l’effort de la part de l’ancien Garde des Sceaux, Dominique Perben, d’avoir essayé
de trouver des solutions pour lutter contre la récidive, reconnaissant au moins que la prison et la
sortie de celle-ci constituait une épreuve si difficile qu’elle pouvait en devenir génératrice de
récidive. Mais la loi du 12 décembre 2005 est venue apporter une nouvelle modification à ce
récent régime, instaurant un calcul spécifique pour les récidivistes. En effet, ceux-ci ne
disposeront que de réduction calculée « à hauteur de deux mois la première année, d’un mois
pour les années suivantes et, pour une peine de moins d’un an ou pour la partie inférieure à une
330 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives … », art. préc. 331 Art. 721 CPP 332 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), op. cit., n° 1051, p. 983-984
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année pleine, de cinq jours par mois »333. Qu’ils se comportent aussi bien ou même mieux que
ses co-détenus, le récidiviste en sera quand même moins récompensé. Cela peut tout de même
sembler paradoxal. Car ce système a été instauré parce qu’on estimait qu’il était nécessaire
d’avoir une sortie d’une manière progressive mais de garder une possibilité de réincarcération si
l’intéressé ne jouait pas son rôle. Le récidiviste a besoin plus qu’un autre d’un rapport de
confiance afin de retrouver goût à la vie sociale, et une sortie encore plus progressive devrait lui
être proposée – voire imposée – et non un sas se sortie plus restreint. Cependant, en réformant le
système des réductions de peine, le législateur a commis quelques erreurs qui ont entraînées
nombre d’incompréhensions, et qui ont demandées une nouvelle modification que la loi de 2005
apportera. En effet, la rédaction de l’article 721 du code de procédure pénale portait à confusion,
et cela a eu pour conséquence l’envoi de très nombreuses correspondances auprès des greffes
judiciaires et JAP de condamnés revendiquant le bénéfice de cette interprétation extensive.
Avant la loi du 9 mars 2004, l’article 721 prévoyaient que des réductions de peine ordinaires
pouvaient être accordées aux condamnés donnant des preuves suffisantes de bonne conduite. Le
quantum de cette réduction ne pouvait alors « excéder trois mois par année d’incarcération et
sept jours par mois pour une incarcération moindre ». La seconde loi Perben avait fait un oubli
de taille lors de la réécriture du texte puisque l’Assemblée nationale désirait baisser les
possibilités de ces réductions… En effet, à la réécriture, la formule « pour une incarcération
moindre » à propos des sept jours par mois avait disparu, mais la conjonction « et » avait quant à
elle subsisté. Ce qui avait pour conséquence une difficulté juridique certaine puisqu’en
interprétant strictement comme le veut le principe de légalité, sept jours pouvaient être déduits de
la peine chaque mois pour la durée de la peine. Le « bug »334 devait être corrigé et c’est la loi
Clément qui allait s’en charger. Toutefois, si la volonté du rapporteur Zochetto fit que le droit
antérieur fut maintenu (trois mois de crédit et non deux), les débats entre l’Assemblée et le Sénat
sur la question et les diverses modifications du texte vont à nouveau engendrer une erreur dans le
texte. Puisque dans la rédaction finale, on peut observer la modification dans le premier alinéa
mais pas dans le second, qui est devenu le quatrième de l’article 721 relatif aux récidivistes.
Donc « lorsque le condamné est en état de récidive légale, le retrait […] est alors de deux mois
maximum par an et de cinq jours par mois »… en théorie pour une durée d’incarcération
moindre, mais pas nécessairement en pratique.
Enfin, si les JAP avaient dénoncé un manque de moyens, ils auront apparemment été
entendu par Pascal Clément, puisqu’il fait un constat clair et objectif dans le rapport de sa
333 Art. 721 CPP 334 « Quantum du crédit de réduction de peine et « bug » juridique : après l’alinéa 1er de l’article 721… l’alinéa 2 ? », AJ Pénal, décembre 2005, n° 12, p. 448
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mission335, allant même jusqu’à écrire que « les services de l’application des peines [sont] les
oubliés de la justice » et qu’il existe une véritable « misère de l’application des peines ». Pour y
remédier, il propose de recruter 20 % de JAP sur l’effectif de chaque promotion sortant de
l’Ecole Nationale de la Magistrature, et de créer un corps de catégorie A pour les directeurs de
SPIP, ainsi que de réévaluer le statut des conseillers des mêmes services, au-delà d’un
recrutement plus important.336 Par ailleurs, il entend également « conforter les moyens dédiés au
associations de réinsertion et d’hébergement »…337 Mais si la question des réductions de peine
semble effectivement importante dans le cadre de la lutte contre la récidive, le traitement des
malades fait, du moins aux yeux de l’opinion publique, figure de priorité.
B. Du traitement à l’encadrement de protection sociale des malades
« Le développement du sentiment d’insécurité dans tous les pays occidentaux est à
l’origine d’une stigmatisation des malades mentaux, vieil adage qui assimile depuis le Moyen-
Age crime et folie »338 et face aux personnalités pathologiques, le monde judiciaire comme
sanitaire ne trouvent pas les réponses adaptées, qu’elles soient sociales, éducatives ou même
pénitentiaires. Face à la récidive des malades, il convient de trouver des solutions pour enrayer
ces cycles. Cela est d’autant plus important que la prison est loin de leur apporter les soins et le
cadre nécessaires, alors que leur nombre devient plus que préoccupant.339 Ainsi certains
commencent à sérieusement évoquer la possibilité de soigner par obligation, désirant parfois
même l’instauration – comme aux Etats-Unis – de « Tribunaux de Santé Mentale ».340 Le
professeur Cartier avait désiré – sans véritablement succès jusque là - engager un débat sur la
question. Elle estimait qu’un tel « débat devrait être ouvert sur le point de savoir si une libération
conditionnelle peut être monnayée par l’obligation de suivre un traitement médical »341. Cela
répond – à l’avance – à la question que posait Mme Boulay, présidente de l’APEV qui désirait
savoir « quels moyens mettra-t-on en œuvre pour faire respecter les conditions des libérations
anticipées ? »342. Pourtant certains estiment tout de même que « les psychothérapies supposent,
pour être efficaces, que les délinquants veuillent changer »343. Or ce n’est pas toujours le cas,
rappelle Raymond Gassin. « On trouve bon nombre de détenus qui restent attachés à un mode de
335 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 51-55 336 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 11 et 12, p. 62 et 63 337 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 13, p. 63 338 SENON (J.-L.), MANZANERA (C.), art. préc. 339 « Huit hommes détenus sur dix et plus de sept femmes sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité cumulant plusieurs troubles » rappelle l’OIP dans Les conditions de détention en France, op. cit., p. 139 340 NADJAR (E.), LEMOUSSU (P.), art. préc. 341 CARTIER (M.-E.), art. préc.342 BOULAY (M.-J.), art. préc.343 GASSIN (R.), Criminologie, Dalloz, Coll. Précis, Paris, 1998, n° 737, p. 551
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vie, qui quoi qu’on en dise, ne comporte pas que des inconvénients (argent facile, satisfaction de
tendance à l’oisiveté, plaisirs douteux, etc.) »344. Une partie de réponse avait été apporté par la
mission Clément qui avait proposé que soit transférée au juge la compétence pour prononcer
l’hospitalisation d’office des prévenus ayant bénéficié d’un non-lieu ou d’une relaxe en raison de
l’abolition de leur discernement au moments des faits.345 De plus, le rapport Burgelin proposait
un placement dans des centres fermés de protection sociale, à titre exceptionnel, qui ne serait ni
des hôpitaux, ni des prisons, mais des lieux fermés et sécurisés d’hébergement spécialisé dans la
prise en charge d’individus particulièrement dangereux et ayant commis des faits criminels d’une
gravité singulière, parce que, comme l’a rappelé le Garde des Sceaux, le « suivi doit être
également adapté, en particulier, aux personnes souffrant de pathologies mentales »346. Mais si
une obligation de soins est envisagée, il existe également une « invitation thérapeutique » pour
les personnes condamnées au suivi socio-judiciaire, afin qu’ils puissent commencer une thérapie
dès la prison.347 La loi Clément a étendu cette disposition aux individus reconnus coupables
d’une infraction faisant encourir le suivi socio-judiciaire mais qui n’y ont pas été condamné.348
On ne leur applique alors que les règles relatives au traitement en prison…349 L’avantage qu’en
tire alors l’intéressé est de pouvoir prétendre aux réductions de peines supplémentaires de
l’article 721-1 modifié par cette loi. De plus, son refus n’est pas punissable, mais peut en
revanche être retenu contre lui au motif qu’il ne manifeste pas des efforts sérieux de réinsertion
sociale.
D’autres changements ont eu lieu suite à la loi du 12 décembre 2005. La mission
réclamait qu’une formation spécifique obligatoire sur la délinquance sexuelle soit mise en place
pour les futurs médecins psychiatres.350 Par ailleurs, depuis cette loi, des psychologues cliniciens
(titulaire d’un Master 2 professionnel de psychologie) pourront être associés à la mise en œuvre
d’un suivi socio-judiciaire. Cette décision a été prise suite au constat accablant que beaucoup des
difficultés liées à la mise en œuvre d’un suivi socio-judiciaire relevaient d’un manque de
psychiatres dans le secteur public. C’est pour la même raison que la loi Clément a autorisé le
médecin traitant du patient à prescrire certains médicaments (notamment anti libido) y compris
s’ils ne font pas l’objet d’une autorisation de mise sur le marché, mais à condition que le
condamné ait faire part de son consentement par écrit, et même qu’il l’ait renouvelé au moins
344Ibidem ; voir par ailleurs, pour un développement proche : CUSSON (M.), Criminologie actuelle, PUF, Paris, 1998, p. 88 345 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 19, p. 66 346 CLEMENT (P.), art. cit. 347 Art. 763-7 CPP 348 Art. 717-1 al. 3 et 4 CPP 349 Art. L. 3711-1 à L. 3711-3 du code de santé publique 350 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 17, p. 65
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une fois dans l’année.351 Enfin, dans le cadre d’un suivi post incarcération, se pose
inévitablement la question d’éventuels soins dont la personne aurait besoin. C’est pourquoi la
question du traitement des malades sera à nouveau en partie traitée lors de l’examen des
obligations relevant du suivi socio-judiciaire ou de la surveillance judiciaire des personnes
dangereuses.
§ 2 : Faire du suivi post incarcération une nécessité
Personne aujourd’hui ne conteste l’utilité certaine et véritable d’un suivi post carcéral. A
tel point que la loi du 9 mars 2004 a inséré un nouvel article significatif dans le code de
procédure pénale. Il s’agit de l’article 707 qui dispose que « sur décision ou sous le contrôle des
autorités judiciaires, les peines prononcées par les juridictions pénales sont, sauf circonstances
insurmontables, mises à exécution de façon effective et dans les meilleurs délais. [Que]
l'exécution des peines favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des
victimes, l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive. [Et
surtout qu’] à cette fin, les peines peuvent être aménagées en cours d'exécution pour tenir compte
de l'évolution de la personnalité et de la situation du condamné. L'individualisation des peines
doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et
éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. » Cela est désormais clair et
inscrit dans la loi. Il faut éviter les sorties sans suivi. Mais de quel suivi s’agit-il ? En octobre
1994, le professeur Cartier remettait au Garde des Sceaux un rapport sur la prévention de la
récidive des criminels. Parmi les douze propositions contenues dans ce rapport figurait
l'instauration d' « un suivi des condamnés libérés à la fin de leur peine, par les solutions
alternatives suivantes : - soit introduire dans le nouveau code pénal une peine complémentaire de
suivi (assistance, tutelle ou contrôle) post-pénal applicable à toutes les infractions punies de
peines criminelles, - soit transformer les réductions de peine ordinaires en réductions de peine
assorties d'un suivi post-pénal, - soit transformer les réductions de peine ordinaires en crédit de
peine légalement accordé au jour de la condamnation, mais affecté d'un suivi post-pénal
équivalent à la durée de la peine créditée. »352 On peut constater qu’un peu plus de dix années
plus tard, ces propositions sont devenues réalité ; ce rapport aura grandement influencé la
politique criminelle relative à la récidive pour ce gouvernement.
Cependant, les avancées technologiques, notamment le PSE et le PSEM, sont venues
faire évoluer la réflexion. En effet, de nombreuses dispositions de la loi du 12 décembre 2005
ont pour objet le PSEM, qui peut revêtir plusieurs natures (peine, mesure de sûreté, modalité
351 Art. 3711-3 du code de santé publique 352 Ibidem
69
d’exécution). Il sera donc important de revenir sur ce dispositif tant dans le cadre du suivi socio-
judiciaire que s’agissant de la surveillance judiciaire des personnes dangereuses. D’ailleurs, on
peut à nouveau s’attarder sur le choix des mots. Il est donc question de « surveillance » et non
d’un simple suivi. Cela semble à nouveau renverser un principe : un suivi semblerait davantage
tourner vers une forme de réussite, celle de la réinsertion sociale ; alors que la surveillance a
pour objet de contrôler que l’individu respecte bien ses obligations. Peut-être qu’une telle forme
de surveillance a été rendue nécessaire par les difficultés que rencontraient parfois, après la
libération de l’agresseur ou meurtrier, les victimes : rencontre fortuite causant un nouveau
traumatisme, peur des représailles, insultes ou menaces, dégradations matérielles…353 Dans tous
les cas, il convient désormais de se pencher sur les dispositions relatives au suivi socio-judiciaire
relativement modifié par la loi étudiée (A), puis d’étudier la surveillance judiciaire des personnes
dangereuses (B), cette mesure, « sorte de suivi socio-judiciaire virtuel », comme la nomme le
professeur Robert354.
A. La peine de suivi socio-judiciaire
Le suivi socio-judiciaire, « peine après la peine » selon les mots du professeur Couvrat355,
mis en place par la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention des atteintes sexuelles et de la
protection des mineurs, emporte obligation de se soumettre, sous le contrôle du JAP et pendant
une durée déterminée par la juridiction de jugement, à des mesures de surveillance et
d’assistance destinée à prévenir les risques de récidive. « Une telle disposition, tout en
participant au mouvement d’individualisation de la peine, laisse poindre la volonté de préserver
l’ordre social au détriment des droits de l’individu »356 et semble donc plus guidée par une
nécessité sécuritaire que de réinsertion sociale, bien que la prévention ait été placée au centre du
dispositif. Pour le professeur Lazerges, « la loi du 17 juin 1998 embrasse les idées du
mouvement de défense sociale nouvelle en ce qu’elle démontre une prise en compte grandissante
de la victime et de ses droits indissociables de l’objectif de réinsertion du délinquant »357.
Pourtant ce suivi peut être envisagé comme une mesure de sûreté en ce qu’il « s’apparente à un
moyen de protection du corps social contre le risque de récidive »358, fondé sur l’état dangereux
de l’individu, et donc semble se rapprocher plus d’une mesure de simple surveillance que de
353 BOULAY (M.-J.), art. préc. 354 ROBERT (J.-H.), « Les murailles de silicium, Commentaire de la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales », Droit pénal, études, février 2006, p.4 355 COUVRAT (P.), « Le suivi socio-judicaire, une peine pas comme les autres », RSC, 1999, p. 381 356 VAISSIERE (A .), « « Une peine après la peine », bilan de la gestion de l’état dangereux par l’instauration du suivi socio-judiciaire », in Le nouveau code pénal dix ans après, THOMAS (D.) dir., ERPC, éd. Pédone, Paris, 2005, 214 p., p. 75 357 LAZERGES (C.), Introduction à la politique criminelle, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 19 358 VAISSIERE (A .), art. préc.
70
réinsertion sociale de l’intéressé. D’ailleurs, ce suivi est, la plupart du temps, envisagé au titre
d’une peine complémentaire accompagnant une peine privative de liberté, et sa durée peut
s’avérer excessivement longue, encore plus d’ailleurs depuis la loi du 9 mars 2004.359
Cependant, la loi du 12 décembre 2005 a encore élargi son champ d’application, en allongeant la
liste des infractions qui font encourir ce suivi socio-judiciaire. Cette extension concerne toutes
les atteintes criminelles contre la vie360, tous les enlèvements et séquestrations361, les actes de
torture et de barbarie362 mais aussi la destruction volontaire de biens par explosif ou incendie363.
On est donc relativement loin des seuls délinquants sexuels comme cela avait été envisagé à sa
création. La liste devient tellement longue et criminologiquement hétéroclite que même sa
désignation est nouvelle : « personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi
socio-judiciaire est encouru », comme par exemple dans l’article 717-1 du code de procédure
pénale qui recommande d’affecter ces délinquants « dans des établissements pénitentiaires
permettant d’assurer un suivi médical et psychologique adapté », ou encore dans le nouvel article
723-29 du même code qui les désigne pour subir cette nouvelle « non-peine »364 qu’est la
surveillance judiciaire des personnes dangereuses. Le suivi socio-judiciaire, préalablement créé
pour des délinquants sexuels, prévoit qu’une injonction de soins puisse être ordonnée par le JAP
afin de tenter de réguler la libido de l’intéressé et prévenir au maximum tous les risques de
récidive. Sa décision devra s’appuyer sur une expertise médicale mais en aucun cas un tel
traitement ne pourra intervenir si le condamné ne s’y résout pas.365 En revanche, en cas de refus,
pourra être mis à exécution l’emprisonnement prononcé en application du troisième aliéna de
l’article 131-36-1 du code pénal, c’est-à-dire la durée qu’aura fixé la juridiction de jugement qui
doit normalement intervenir en cas d’inobservation des obligation de ce suivi. Le traitement n’est
donc en théorie pas obligatoire – même si on parle d’injonction – puisqu’il n’est pas possible
sans le consentement du condamné. Mais le « chantage » entre le traitement et un retour en
prison implique qu’un refus – qui lui est normalement autorisé – équivaudra à une inobservation
de ses obligations…
Les rédacteurs de la loi étudiée ont par ailleurs, voulu que le suivi socio-judiciaire puisse
être accompagné d’un placement sous surveillance électronique mobile afin de mieux surveiller
l’ancien détenu. En tant que composante du suivi socio-judiciaire, en aucun cas il ne pouvait
s’appliquer rétroactivement puisqu’il s’agit juridiquement d’une peine complémentaire. Il peut
359 Jusqu’à vingt ans en matière correctionnelle, et trente ans en matière criminelle. Cf. art. 131-36-1 CP 360 Art. 221-9-1 CP 361 Art. 224-1 à 225-2 CP 362 Art. 222-48-1 CP 363 Art. 322-18 CP 364 ROBERT (J.-H.), « Les murailles de silicium… », art. préc. 365 Art. 763-3 al. 3 CPP
71
être prononcé que si la condamnation principale est supérieure à sept années d’emprisonnement
assorti d’un suivi socio-judiciaire. La loi ne prévoit pas l’hypothèse d’une condamnation assortie
du sursis avec mise à l’épreuve dont on sait qu’il peut être infligé aux récidivistes pour des
condamnations égales ou supérieures à dix ans, mais elle exclut implicitement le sursis intégral
puisque cette surveillance doit nécessairement suivre une sortie de prison366. Donc, rien ne
semble interdire qu’un récidiviste qui a bénéficié d’un sursis partiel avec mise à l’épreuve soit
soumis à ce dispositif. Il peut être prononcé par la juridiction de jugement, mais aussi par le JAP
au titre des modifications des épreuves du suivi socio-judiciaire. La juridiction de jugement, pour
rendre sa décision concernant l’éventuel PSEM, statue au vu d’une expertise médicale déclarant
le condamné dangereux367, et doit motiver spécialement sa sentence en constatant que la mesure
« apparaît indispensable pour prévenir la récidive du jour où la privation de liberté prend fin ».
Pour la Cour d’assises, c’est la même procédure, c’est-à-dire que le jury doit délibérer sur cette
question précise et le cas échéant prononcer la future mise en place de cette mesure de la même
manière que pour prononcer le maximum de la peine, soit huit voix sur douze en premier ressort
et dix sur quinze en second ressort. Aussitôt, le président de la juridiction doit annoncer au
condamné que le PSEM ne pourra être mis en œuvre sans son consentement, mais en cas de
refus il ne retrouverait pas la liberté et resterait en prison pour une durée fixée par ladite
juridiction (trois ans pour un délit, sept ans pour un crime). Bien que prononcée par la juridiction
de jugement, la mise en œuvre effective de la mesure dépend de la décision du JAP qui devra
procéder, au moins un an avant la sortie de prison, aux « examens, auditions, enquêtes,
expertises »368 et en recueillant l’avis de la future commission pluridisciplinaire des mesures de
sûreté. Il statue en forme de jugement, donc après débat contradictoire, sa décision est bien sûr
susceptible d’appel. Encore une fois, le condamné sera avisé que le PSEM ne pourra être mis en
œuvre sans son consentement, mais qu’il s’expose à un ré-emprisonnement. Le JAP peut
également prononcer un PSEM dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire même si la juridiction de
jugement ne l’avait pas prononcé. En effet, au titre des modifications des épreuves auxquelles est
soumis le condamné, il procède aux mêmes examens préparatoires et nécessite toujours le
consentement du condamné. Cependant, si l’on s’en tient à la lettre de l’article 712-8 du code de
procédure pénale, la décision est cette fois-ci prise sous forme d’ordonnance car elle modifie des
mesures prises par un jugement. Mais selon le professeur Robert, « il serait assez extraordinaire
que le PSEM ne soit pas décidé par jugement, après débat contradictoire, comme elle doit l’être
lorsque le JAP statue en exécution d’une décision de condamnation »369, et sa décision est donc
366 Art. 131-36-10 CP et 763-10 CPP 367 Art. 131-36-10 et 11 CP 368 Art. 763-10 CPP renvoyant à l’art. 712-16 CPP 369 ROBERT (J.-H.), « Les murailles de silicium… », art. préc.
72
entourée des mêmes garanties que dans ce dernier cas. Néanmoins, comme cela a déjà été relevé,
les articles 41 et 42 de la loi du 12 décembre 2005, relatifs aux règles immédiatement applicables
ne visent pas l’article 763-3 du code de procédure pénale. Il n’est donc pas applicable aux
personnes condamnées pour des infractions antérieures à l’entrée en vigueur de cette loi. En
revanche, l’application immédiate du PSEM apparaissant pour certains comme une nécessité, a
été créée la surveillance judiciaire des personnes dangereuses, qui quant à elle, définit le PSEM
comme une modalité d’exécution, et permet donc une application immédiate.
B. La mesure de surveillance judiciaire des personnes dangereuses
Comme cela a déjà été dit, la loi de 2005 a créé une nouvelle catégorie d’infractions
caractérisées par le fait qu’elles « font encourir le suivi socio-judiciaire ». Cette qualification a
pour effet de déclencher certaines mesures de sûreté qui ressemblent aux composantes de cette
peine complémentaire, alors même qu’elle n’a pas été prononcée contre le condamné qui
l’encourait. La principale nouveauté de cette loi est donc la surveillance judiciaire des personnes
dangereuses qui, définit comme une mesure de sûreté, n’est donc pas une peine, et ne trouve pas
sa place dans le code pénal. Sa réglementation est placée dans une nouvelle section du code de
procédure pénale, des articles 723-29 à 723-37. Sorte d’ « ersatz du suivi socio judiciaire »370,
cette mesure renvoie en grande partie aux articles définissant les obligations de ce suivi.371 Sa
ressemblance avec le suivi socio-judiciaire laisse penser que cette surveillance judiciaire n’aura
qu’une existence temporaire, elle aurait été créée que pour pouvoir être infligée immédiatement
aux condamnés auxquels le suivi socio-judiciaire n’était pas applicable en raison du principe de
non rétroactivité. Elle est donc applicable immédiatement aux condamnés avant l’entrée en
vigueur de la loi de 2005 mais aussi pour ceux condamnés avant la loi relative au suivi socio-
judiciaire du 17 juin 1998. D’ailleurs l’article 42 de la loi du 12 décembre 2005 énonce que cette
surveillance est immédiatement applicable à ces condamnés « dont le risque de récidive est
constaté après l’entrée en vigueur » de la loi de 2005.
Si proche du suivi socio-judiciaire, la surveillance judiciaire ne pourra se cumuler avec
lui372, mais ce cumul est possible si le condamné est coupable d’une infraction commise avant
l’entrée en vigueur de la loi de 2005373. Cette disposition particulière s’explique par le fait que le
PSEM ne compose le suivi socio-judiciaire que depuis cette dernière loi, et on ne veut pas
interdire aux juridictions de jugement de réunir la rigueur des deux sanctions, quand bien même
elles seraient si proches. Mais cette surveillance judiciaire est logiquement amenée à disparaître,
370 ROBERT (J.-H.), « Les murailles de silicium… », art. préc. 371 L’article 723-30 CPP la décrit en renvoyant aux articles 131-36-2 et 131-36-4 CPP. 372 Art. 723-36 CPP 373 Art. 41 al. 4 de la loi du 12 décembre 2005
73
quand toutes les peines infligées pour des crimes et délits antérieurs à la loi auront été purgés.
Elle sera alors supplantée par un suivi socio-judiciaire modifié et comprenant le PSEM. Malgré
tout, elle pourra garder une utilité : surveiller, avec ou sans PSEM, les condamnés auxquels les
juridictions auront épargné le suivi socio-judiciaire mais dont l’Administration pénitentiaire puis
le JAP redouteront la récidive. Car cette surveillance est décidée par le JAP, « aux seules fins de
prévenir une récidive dont le risque paraît avéré »374. Elle n’est possible que si a été prononcée à
l’encontre du condamné une peine privative de liberté d’une durée égale ou supérieure à dix ans
pour un crime ou un délit faisant encourir le suivi socio-judiciaire. Cette dernière condition doit
être appréciée au regard du droit en vigueur au moment ou la décision de placement est prise,
même si la condamnation est prononcée pour des faits commis sous l’empire de l’ancien code
pénal.375 Le risque de récidive est vérifié par une expertise médicale selon les règles de l’article
712-16 du code de procédure pénale et dont la « conclusion fait apparaître la dangerosité du
condamné ». Si le JAP veut qu’il soit en plus soumis au PSEM, alors il devra recueillir son
consentement – « consentement toutefois extorqué, puisqu’à défaut lui seraient retirées tout ou
partie de ses réductions de peine »376 – et l’avis de la commission pluridisciplinaire des mesures
de sûreté. Dans la forme, il s’agit d’un jugement du JAP pris après débat contradictoire au cours
duquel le condamné doit nécessairement être assisté d’un avocat. Par ailleurs, il est à noter que
ce JAP ne peut se saisir d’office, qu’il doit attendre d’être requis par le procureur de la
République377, et qu’il doit en outre se prononcer avant la sortie du condamné378. Des mesures
transitoires ont également été prévues pour les personnes condamnées pour des faits commis
avant l’entrée en vigueur de la loi : ce ne sera pas le JAP mais le tribunal de l’application des
peines (TAP) qui sera compétent pour prononcer cette surveillance judiciaire, et l’expertise de
dangerosité du condamné devra faire l’objet d’une contre-expertise s’il en fait la demande.379
Si cette surveillance judiciaire ressemble comme une jumelle au suivi socio-judiciaire, les
quelques différences tiennent à la liste des obligations et interdictions pouvant être imposées à
l’intéressé. Alors que le suivi socio-judiciaire permet de mettre en œuvre toutes les mesures
facultatives énumérées à l’article 132-45 du code pénal relatif au sursis avec mise à l’épreuve,
l’article 723-30, 1° atténue cette longue liste. En effet, on n’y retrouve pas l’obligation d’exercer
un métier380, ni celle de payer des dettes et de remplir ses devoirs familiaux381, ni de faire des
374 Art. 723-29 CPP 375 Art. 42 al. 4 de la loi du 12 décembre 2005 376 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives à la récidive… », art. préc. 377 Art. 723-79 CPP 378 Art. 723-32 CPP 379 Art. 42 al. 2 de la loi du 12 décembre 2005 380 Art. 132-45 1° CP 381 Art. 132-45 4°, 6°, 17 ° et 19° CP
74
stages382, ni l’interdiction de conduire383, ou d’écrire des livres pour raconter ses propres
crimes384. Cependant, le principal est conservé, il réside dans l’obligation de subir un
traitement385 et dans la surveillance électronique mobile386. La surveillance commence dès la
mise en liberté du condamné et s’étend sur une durée maximale égale à ses crédits de peine387,
additionnée à celle des réductions de peine supplémentaire388. Ce temps ne comprend pas celui
des réductions de peine dites « exceptionnelles » accordées aux délateurs ou repentis en
application de l’article 721-2 du code de procédure pénale. Néanmoins, la surveillance
électronique, si elle est prononcée, ne peut pas dépasser le délai de deux ans éventuellement
renouvelable. En effet, la surveillance judiciaire ne se confond pas nécessairement avec la
surveillance électronique. Enfin, il convient de rappeler que toutes ces épreuves peuvent être
modifiées par ordonnance du JAP voire interrompues par jugement de ce même magistrat.389 Et,
en cas d’inexécution des obligations par le condamné, celui-ci n’encourt pas l’emprisonnement
prévu par l’article 131-36-1 du code de procédure pénale, mais seulement la révocation totale ou
partielle des réductions de peine sur la durée desquelles la mesure aurait dû s’imputer. Cette
sanction s’applique même lorsque le condamné refuse une injonction de soins ou un PSEM. La
précision est importante puisque si l’on suppose une condamnation à dix ans de réclusion
criminelle – hypothèse la plus basse – l’intéressé perd vingt et un mois de liberté compte tenu
d’une libération conditionnelle sous condition d’accepter les épreuves de ce suivi. Toutefois,
« cette quête de l’insertion ne sera pas, comme on peut parfois le percevoir, une fin en soi mais
un moyen performant pour éviter la réitération des infractions »390, et par ailleurs, une question
de moyen se posera inévitablement, chaque année, au moment de la discussion du budget.
Pascal Clément a donc tenté d’apporter une réponse au problème récurrent du
récidivisme. Toutefois, la proposition de loi qu’il déposa le 1er décembre 2004 fut très
lourdement modifiée à la suite des différentes lectures devant les deux chambres, émaillées de
nombreux drames et de confrontations politiques stériles. Un accord trouvé en commission mixte
paritaire, et ce fut au Conseil constitutionnel de se prononcer. Une décision très critiquable mais
peu critiquée qui n’eu que peu de conséquences sur le texte final. Malgré tout, la loi Clément
aura tenté d’apporter quelques nouvelles réponses à un phénomène séculaire, par la recherche de
382 Art. 132-45 15° et 18° CP 383 Art. 132-45 7° CP 384 Art. 132-45 16° CP 385 Art. 723-30 2° CPP 386 Art. 723-30 3° CPP 387 Art. 721 CPP 388 Art. 721-1 CPP 389 Art. 723-34 CPP 390 JANAS (M.), art. préc.
75
nouveaux outils d’identification, par la nécessaire évolution en relation avec la construction de
l’Union Européenne. Cependant, les chiffres avancés par les différents acteurs et commentateurs
de l’élaboration de la loi du 12 décembre 2005 mettront en difficulté ses rédacteurs puisque
basée sur des chiffres peu convaincants, la loi en elle-même et le traitement invoqué auront
autant de mal à s’imposer. D’autant plus de mal, que si le PSEM semble avoir un avenir
important, il ne semblait pas à tous opportun de créer la surveillance judiciaire des personnes
dangereuses afin que cette « modalité d’exécution » puisse s’appliquer rétroactivement. Par
ailleurs, sur la question constitutionnelle, pour l’USM, le fait que Pascal Clément demande aux
députés et sénateurs de ne pas saisir le Conseil constitutionnel, au-delà de « l’exemple
catastrophique donné aux délinquants de mépris de la loi », il s’agirait « d’une communication
purement démagogique visant à masquer la mise en place par Pascal Clément d’un budget
notoirement insuffisant et d’un rationnement des frais d’enquête »391. Par exemple, « le suivi
socio-judiciaire est trop souvent une illusion faute de moyens »392 soulignait l’ancien Garde des
Sceaux Robert Badinter. Cela serait une conséquence de la mise en application de la loi
organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 et de la mise en œuvre de crédits
limitatifs. En effet, les frais de justice, s’ils devaient selon la Chancellerie atteindre les 600
millions d’euros en 2006, sont en réalité évalués à 350 millions d’euros selon Jean-Luc
Warsmann.393 Il serait nécessaire « de faire des économies » et d’opérer une véritable
« négociation des prix ».394 Alexis de Tocqueville expliquait pourtant que « la grande question
est de savoir non pas quel est le système d'emprisonnement le moins coûteux, mais quel est celui
qui réprime le mieux les crimes et assure le plus la vie et la fortune du citoyen ».395 Toutefois,
l’application des peines semble bien se retrouver dans une profonde « misère »396, avec 295
postes de JAP prévus à la fin 2004, soit 3,5 % de l’ensemble du corps des magistrats, et plusieurs
centaines de personnes sous leur responsabilité. Il est donc « illusoire de prétendre mettre en
œuvre un suivi personnalisé des condamnés »397 avec de tels moyens, d’autant que les greffes
sont également en nombre insuffisants, comme le relève la mission Clément. D’autant que la loi
du 9 mars 2004 et la loi du 12 décembre 2005 ont élargi les missions des JAP… Il en est de
même pour les travailleurs sociaux au sein des SPIP, une « augmentation des moyens » semble
391 « Bracelet électronique : la question du respect de la Constitution soulève une vive polémique », Le Monde, 27 septembre 2005 392 BADINTER (R.), « Une cause nationale », Le Nouvel Observateur, dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 14 393 DUFOUR (O.), « Gérer les moyens, calmer les esprits », Petites Affiches, 7 juillet 2005, n° 134, p. 3394 DUFOUR (O.), art. préc. 395 TOCQUEVILLE (A.), Oeuvres complètes, Tome IV, « Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l'étranger », 2e vol. Gallimard, Paris, 1984, p. 139 396 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 51 397 WARSAMANN (J.-L.), Application de la loi du 9 mars 2004 dite « Perben II », rapport d'information n° 2378, Assemblée nationale, juin 2004, cité par DUFOUR (O.), art. préc.
76
plus que nécessaire comme le rappelait un nouveau rapport, celui de la commission « santé,
justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive » présidée par l’ancien
procureur général près la Cour de cassation, M. Burgelin.398
Il s’agit donc de créer « des postes plutôt que construire des prisons ! »399, plus qu’une énième
réforme des sanctions pénales, notamment s’agissant du récidivisme. Pourtant, le Garde des
Sceaux, défenseur d’un système répressif plus que préventif, comme l’illustre la présente loi dont
il est l’auteur, a maintenu son choix d’axer sa loi principalement sur le volet de la répression
dans ce qu’il appelle le « traitement » de la récidive.
398 BURGELIN (J.-F.), Pour une meilleure prévention de la récidive, Rapport de la commission Santé-Justice, juillet 2005, 87 p 399 MONTEBOURG (A.), « Développer les peines alternatives », Le Nouvel Observateur, dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 28
77
Seconde partie :
Le choix réitéré de la répression dans
le traitement du récidivisme
« Face à ce phénomène, le législateur a toujours répondu par l'aggravation de la
répression »400, même le nouveau code pénal s'est laissé convaincre par cette logique répressive
en élargissant le domaine de la récidive, et en créant de récidive pour les personnes morales. En
effet, le nouveau code pénal, « sous prétexte de simplifier un mécanisme inutile et compliqué
»401 a finalement aggravé la répression de la récidive puisque le premier terme ne se réfère plus
aux peines effectivement prononcées mais prend désormais en considération les peines
encourues pour l'infraction qui a motivé la condamnation. Il s'agit en fait d'une objectivation du
premier terme de la récidive puisque la décision du premier juge n'aura plus aucune incidence sur
la détermination des cas de récidive. La loi du 12 décembre 2005 n’y échappe pas, et même au
contraire, une véritable « volonté de punir »402 émane de ce texte, comme d’une grande part des
réformes de ces dernières années au sein de la matière pénale. Pascal Clément et l’ensemble de la
majorité gouvernementale ont donc décidé d’à nouveau faire le choix de la répression dans le
traitement du récidivisme. Pourtant, même la mission Clément semble quelquefois avouer qu’il
est nécessaire de repenser l’objectif d’insertion (Chapitre 2) pour réellement lutter contre la
récidive, c’est-à-dire faire preuve de prévention. Pourtant, parce qu’un spectre sécuritaire
(Chapitre 1) semble planer depuis plusieurs années sur la politique criminelle en France, le choix
se résout à n’être qu’une prévention par la répression, faisant encore plus de la prison la peine de
principe, et élargissant encore le champ d’application de la répression du récidivisme.
400 THOMAS (D.), « Quelques réflexions… », art. préc. 401 Ibidem 402 SALAS (D.), op. cit.
78
Chapitre 1er : Un spectre sécuritaire omniprésent
Pour beaucoup, « la nouvelle loi […] affiche une politique criminelle résolument
sécuritaire »,403 et le responsable de la « commission prison » de la Ligue des droits de l’homme
affirme même qu’aujourd’hui « la répression s’est imposée comme seule forme de dialogue avec
le délinquant »404. Cette « représentation réactionnaire »405 renvoie à l’image de Michel Foucault
que résume bien Nicolas Frize, selon laquelle « c’est par la pliure qu’on apprend à se tenir droit,
que la contrainte par corps donne le goût des lois, que l’effort imposé fait aimer le travail, qu’un
bon citoyen est un être obéissant ».406 C’est pourquoi, la loi « anti récidive » semble comme
obsédée par la seule pénalisation du délinquant (Section 1e) en rejetant presque toutes références
à l’histoire personnelle de l’intéressé et aux raisons subjectives de son acte, et ne donne –
presque exclusivement – pour réponse que la privation de liberté par l’emprisonnement (Section
2nde).
Section 1ère : L'obsession « pénalocentrique »
« Faire du pénalocentrisme, c’est se dispenser d’une mise en contexte sociale,
économique et culturelle de la délinquance […], c’est aussi et surtout, ne pas considérer les
histoires et les parcours de chacun »407, explique le professeur Poncela. En l’espèce, ne compte
que la nature de l’infraction initiale qui devrait théoriquement déterminer le parcours récidiviste
ou non de l’intéressé. Pourtant, s’il n’est question de justifier ou d’excuser un acte criminel, il est
possible de le comprendre par le contexte dans lequel a grandi ou vécu la personne condamnée,
mais aussi par un ensemble d’« interactions injustes »408 qui construisent une personnalité. D’une
part, sera étudié la réitération (§ 1), que l’on peut qualifier au vu de sa définition et surtout de sa
sanction de « récidive totale », qui a pour but de sanctionner sévèrement des réitérants qui ne
réunissent pas les conditions légales de la récidive. D’autre part, il sera question du champ
d’application de la récidive légale, qui a été particulièrement étendu par la loi du 12 décembre
2005 (§ 2).
403 THOMAS (D.), « Quelques réflexions… », art. préc404 FRIZE (N.), op. cit., p. 49 405 Ibidem, p. 49 406 Ibidem, p. 14 407 PONCELA (P.), « La question de la récidive », art. préc.408 CUSSON (M.), art. préc.
79
§ 1 : Une légalisation démesurée de la réitération
Si auparavant, les magistrats tenaient compte du casier judiciaire d’un prévenu pour
prononcer une sanction, aucune obligation tenant à l’aggravation de celle-ci du fait du profil
réitérant de l’individu ne pesait sur eux. La loi Clément a désiré qu’il en soit autrement et,
estimant que les conditions de la récidive légale ne prenaient pas en compte l’ensemble du
phénomène du récidivisme, a voulu définir la réitération (A) dans un premier temps pour ensuite
en organiser la sanction (B).
A. La réitération ou une « récidive totale »
Pour la mission Clément, la réitération est une notion judiciaire définie dans le silence de
la loi et une réalité empirique policière évaluée à partir des signalement au STIC »409. Son
absence de définition légale serait « source de malentendus », et il conviendrait donc de définir
« à droit constant » la notion – c’est-à-dire telle qu’elle était déjà entendue en jurisprudence et en
doctrine – pour simplement « clarifier le débat public ».410 Pourtant, lors des débats
parlementaires, le Sénat avait reproché à l’Assemblée nationale « de vouloir définir une notion
déjà connue au seul prétexte de s’assurer que les sanctions seraient plus sévères »411. Certains
craignaient alors que cela ne conduise à une « dérive à l’américaine », c’est-à-dire que les peines
puissent être additionnées sans limite. Le texte finalement adopté ne fait pas disparaître ce risque
comme cela a déjà été relevé, puisque le Sénat n’a pas réussi à imposer la suppression du second
alinéa de l’article 132-16-7 du code pénal.412 Ce nouvel article dispose donc, s’agissant de la
définition de la réitération, qu’« il y a réitération d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà
été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui
ne répond pas aux conditions de la récidive légale ». Une disposition claire dont l’opportunité
pose question dans le fait qu’elle devrait obliger les magistrats à tenir compte du casier judiciaire
de la personne alors que jusque là il n’en n’avait nullement l’obligation conformément à leur
pouvoir d’individualisation. Cela également parce que le casier judiciaire ne donne pas une
véritable lecture du passé judiciaire de la personne. Il ne donne que les condamnations et autres
mesures d’individualisation, et, tout ce qui entoure les faits ainsi que sa personnalité au moment
de ces faits est éludé. Il est clair que « l’avantage de la notion est de susciter ou d’autoriser une
plus grande sévérité quand les conditions nécessaires au constat d’une récidive légale ne sont pas
réunies »413, c’est-à-dire de créer une sorte de « récidive totale », au caractère perpétuel.
409 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 62 410 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 9, p. 62 411 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives… », art. préc. 412 Cf. Les « dispositions relatives à la récidive, à la réitération et au sursis » p. 35 413 PONCELA (P.), « La question de la récidive », art. préc.
80
Néanmoins, si cette nouvelle disposition paraît critiquable, il est bon de rappeler que la
commission de réforme du code pénal avait déjà envisagé de faire de la réitération une cause
d'aggravation de la peine avant d'y renoncer…414 Cependant, il s’agissait de supprimer le régime
de la récidive – et donc les étroites conditions s’y attachant – pour ne conserver qu’une
aggravation au titre de la réitération d’infractions, disposition qui aurait eu un caractère répressif
bien plus important que celui finalement retenu.
B. La sanction de la réitération
Le nouvel article 132-16-7 du code pénal prévoit dans son premier alinéa, la définition de
la réitération, puis dans son second alinéa que « les peines prononcées pour l'infraction commise
en réitération se cumulent sans limitation de quantum et sans possibilité de confusion avec les
peines définitivement prononcées lors de la condamnation précédente ». Lorsqu'un prévenu qui a
déjà été condamné définitivement commet une nouvelle infraction, ce mécanisme conduit à
additionner tout simplement et sans possibilité confusion, la peine prononcée pour la nouvelle
infraction avec la première condamnation, et cela peu importe le quantum résultant de l'addition.
On s'aperçoit alors rapidement que la situation du réitérant est moins favorable que celle du
prévenu classique, ce dernier bénéficiant d'un cumul plafonné et du bénéfice possible de
confusion des peines. Un problème important résulte pourtant de la rédaction de cet article :
lorsque le réitérant a commis, après sa première condamnation plusieurs infractions nouvelles
(en effet le texte redevenu entre deux lectures au singulier fait donc l'impasse sur l'éventualité de
plusieurs infractions donnant lieu à des poursuites séparées), qu'elle doit être la démarche à
suivre étant donné que la confusion des peines est impossible ? Le professeur Didier Thomas
prend pour exemple dix vols simples : avec ces nouvelles dispositions, le réitérant pourrait être
condamné à 30 ans d'emprisonnement alors que le récidiviste n'encourrait au maximum que six
années d'emprisonnement. Le législateur semble avoir manqué de vision pratique lors de la
rédaction de cette disposition. Le professeur Thomas y voit une « inégalité de traitement entre les
justiciables selon qu'ils feront l'objet de plusieurs procès ou, au contraire, seront jugés en une
seule fois, car, dans cette hypothèse-là, les seconds juges prononceront une peine unique pour
l'ensemble des nouvelles infractions et c'est cette peine là qui s'ajoutera à la première
condamnation devenue définitive »415. Il semble donc que la règle de confusion des peines après
une peine définitive soit définitivement rejetée pour le réitérant. Didier Thomas proposait
pourtant une solution alternative, et même médiane au rapporteur Zochetto : que, quelles que
soient les modalités de poursuite, les infractions nouvelles commises après la première
414 BOULOC (B.), op. cit., n° 657 415 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc.
81
condamnation devenue définitive, soient traitées selon les règles du concours réel et ensuite, le
résultat obtenu devrait – à la rigueur – s’ajouter à la première condamnation. Toutefois, si la loi
Clément a entendu étendre la répression du récidivisme dans son ensemble, notamment par la
consécration de la définition de la réitération et la sanction rigoureuse qui lui est attachée, elle
n’en a pas moins étendu le champ d’application de la récidive légale également.
§ 2 : Une extension considérable du champ d’application de la récidive
Dans un premier temps, le législateur a tenu à étendre la liste des délits assimilés au
regard de la récidive, afin de rendre – selon lui – plus cohérent son champ d’application (A).
Ensuite, il lui est apparu nécessaire de renforcer le contrôle des anciens détenus récidivistes,
ainsi que de rendre quasi-obligatoire la sanction de ceux-ci selon leur « statut » de récidiviste
(B).
A. De nouvelles assimilations au regard de la récidive
La loi étend le champ d’application de la récidive à travers ses deux premiers termes.
S’agissant du premier, pourront désormais être prises en compte les condamnations prononcées
par les juridictions européennes416. Comme cela a déjà été remarqué, ce système sera pleinement
applicable seulement lorsque sera mise en œuvre une interconnexion des casiers judiciaires,
système qui n’est qu’à l’aube de son réalisation.417 Une telle évolution semble bien entendue
nécessaire, à la fois dans le contexte de la construction européenne, mais aussi d’un point de vue
criminologique, puisque le lieu de l’infraction importe peu, la volonté criminelle reste la même
et se doit donc d’être sanctionnée.
La loi du 12 décembre étend également le domaine de la récidive quant à son second
terme, en opérant une « quasi généralisation de la récidive correctionnelle »418. En effet, deux
nouvelles séries d’assimilation d’infractions au regard de la récidive ont été créées par la loi
Clément. L’article 132-16-3 assimile tout d’abord les infractions de traite des êtres humains et de
proxénétismes419, ce qui semble tout à fait opportun. En revanche, une assimilation «
particulièrement dangereuse »420 réside dans le nouvel article 132-16-4 du code pénal qui dispose
que « les délits de violences volontaires aux personnes ainsi que tout délit commis avec la
circonstance aggravante de violences sont considérés, au regard de la récidive, comme une même
416 Art. 132-16-6 CP 417 On peut déjà se réjouir de l'interconnexion des casiers judiciaires français, allemand, espagnol et belge. www.justice.gouv.fr/cjn/actual.htm 418 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc. 419 Art. 225-4-1, 225-4-2, 225-5 à 225-7 et 225-10 du code pénal 420 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc.
82
infraction ». Dangereuse car il s’agit d’une « extension considérable »421 et pas véritablement
cohérente puisque la circonstance aggravante de violence ne figure pas parmi les causes
d'aggravation de la peine définie aux articles 132-71 et suivants du code pénal. Mais dangereuse
encore car la notion même de violence n’est pas légalement définie, y compris dans les articles
222-7 à 222-16 du code pénal qui prévoient diverses infractions sous le titre « des violences ».
Selon la jurisprudence, la violence comprend bien sûr tous les coups, infligés avec ou sans
l’usage d’une arme ou d’un objet quelconque mais aussi des voies causées par un choc émotif
même sans contact direct avec le corps de la victime. La portée de ce nouvel article semble
excessive, même si l’on trouve une limite dans le fait que la violence visée par 132-16-4 est
dépourvue d’effet juridique quand, quoique employée par le prévenu, elle n’est pas spécialement
prévue par la loi comme circonstance aggravante. Par exemple, une escroquerie peut, dans les
faits, s’accompagner de violence, mais faute de texte, elle ne s’en trouvera pas aggravée, de sorte
que ce délit ne pourra pas entrer dans le cadre de ce nouvel article. Une telle assimilation peut
par ailleurs paraître « inopportune au plan de la politique criminelle […] mêlant dans ce
mécanisme d'aggravation de la peine des types de délinquance trop éloignées pour obéir aux
mêmes causes et justifier les mêmes remèdes »422. Pourtant pour Pascal Clément, « cette erreur »
devait être réparée puisqu’il ne lui paraissait pas normal que l’on puisse « agresser un passant en
lui infligeant des coups et blessures, puis quelques années après en voler un autre en le rouant de
coups sans que ce ne soit une récidive ».423 Enfin, peut-être que le législateur a tenté d’atteindre
les comportements les plus visibles – mais les moins médiatiques pour une fois, puisqu’ « il ne
répond pas à la demande populaire » étant donné que le prétexte pour réformer était « la récidive
de crime particulièrement odieux »424 – cependant il vide par la même occasion le principe de
spécialité qui régissait jusque là la récidive correctionnelle.
B. Un statut spécifique à l’égard du récidiviste
Il était admis que la circonstance aggravante de récidive pouvait être relevée d’office par
la juridiction de jugement, même si elle n’était pas visée dans l’acte de poursuite, si le prévenu
acceptait d’être jugé sur ce point425, ou au moins s’il avait été mis en mesure de s’expliquer sur le
sujet426. Mais dans un droit plus ancien, il était convenu que le prévenu ne pouvait se plaindre
421 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives à la récidive… », art. préc. 422 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc. 423 CLEMENT (P.), art. préc.424 HERZOG-EVANS (M.), « Récidive : surveiller et punir plus plutôt que prévenir et guérir », art. préc. 425 Crim. 26 octobre 1987, Gaz. Pal. 1988, I, p. 230 426 Crim. 2 juillet 1991, Bull. crim. 1991, n° 290, et plus récemment, Crim. 20 septembre et 21 novembre 2000, Dr. pén. 2001, chron. 14, obs. C. Marsat
83
d’une saisine d’office même si elle n’était pas suivie d’une discussion.427 La loi du 12 décembre
2005 est venu dissiper les incertitudes et consacrer la jurisprudence la plus récente en ajoutant un
article 132-16-5 dans le code pénal – bien qu’il s’agisse d’une règle de procédure – afin
d’affirmer son applicabilité devant toute juridiction et quelle que soit la gravité de l’infraction.
En effet, ce nouvel article dispose que « l'état de récidive légale peut être relevé d'office par la
juridiction de jugement même lorsqu'il n'est pas mentionné dans l'acte de poursuites, dès lors
qu'au cours de l'audience la personne poursuivie en a été informée et qu'elle a été mise en mesure
d'être assistée d'un avocat et de faire valoir ses observations ». La volonté du législateur est
claire. Il veut que l’état de récidive soit relevé et que celle-ci soit sanctionnée même s’il est
parfois difficile pour les services des juridictions et du casier judiciaire d’accomplir leur travail
dans les temps pour que cet état soit relevé. Toutefois, cette nouvelle disposition participe
également de l’élan répressif de la loi du 12 décembre 2005 afin que l’individu en cause ne soit
pas simplement sanctionné, mais que les règles spécifiques tenant à la récidive légale puissent lui
être appliquées, et de la même manière pendant l’exécution de sa peine comme cela a été exposé
précédemment. Cependant on peut noter que cette disposition est plus répressive que celle
proposée par la mission Clément puisque celle-ci se bornait à proposer que seul le tribunal
correctionnel puisse relever d’initiative cet état de récidive.428 Une extension notable qui semble
être intervenue avant même le dépôt de la proposition de loi sur le bureau de l’Assemblée
nationale. Par ailleurs, on peut regretter que le Sénat n’ait pas voulu adopter, comme il y était
invité au cours des débats, l’amendement qui souhaitait voir écarter l’application de cette
nouvelle disposition en cas de comparution immédiate. Après une garde à vue, suivie d’une telle
procédure expresse – voire expéditive – il est à craindre que les droits de la défense, comme le
relève Martine Herzog-Evans, « ne [soient] privés de toute substance ». Malheureusement, cela
fait quelques années déjà que le législateur semble souhaiter accroître le recours aux procédures
accélérées. D’ailleurs, le rapporteur de l’Assemblée nationale Gérard Léonard avait réussi à faire
adopter à la commission des lois de ladite assemblée un nouvel alinéa à l’article 40-1 du code de
procédure pénale qui aurait énoncé – s’il n’avait pas été rejeté par les députés – que « si la
personne a déjà été condamnée pour un même délit ou pour un délit assimilé au sens de la
récidive, le procureur de la République recourt par priorité aux procédures prévues aux articles
393 à 397-6 ou aux articles 495-7 à 495-16, sauf circonstances particulières »429, soit à la citation
à comparaître, à la comparution immédiate ou à la comparution préalable sur reconnaissance de
culpabilité. Si une sanction doit intervenir rapidement afin d’être au mieux assimilée par un
délinquant, il ne pourrait en être au détriment de ses droits. Mais cet exemple illustre « la foi 427 Crim. 13 novembre 1980, Bull. crim. 1980, n° 299 428 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 5, p. 60 429 LEONARD (G.), op. cit., 2e lecture, p. 22
84
persistante du législateur dans l’idée qu’une justice expéditive est nécessairement meilleure se
double en outre d’une naïve illusion que la privation de liberté, de préférence immédiate, est une
panacée »430. Enfin, il est clair que le gouvernement actuel ne saurait tolérer qu’un récidiviste ne
soit pas condamné sévèrement et en tant que tel. Pour cela, Pascal Clément, avant qu’il ne soit
Garde des Sceaux, proposait que le ministre de la justice appelle par voie de circulaire les
procureurs de la République « à relever de façon systématique la récidive »431. Il ne semble pas
avoir précisément émis un tel document. En effet, la seule circulaire émise par le Garde des
Sceaux actuel, et relative à la récidive, semble n’être qu’une « circulaire aux procureurs
généraux afin d’appeler leur attention sur la nécessité d’assurer un suivi efficace des différentes
peines prononcées à l’encontre des personnes condamnées à la suite des violences urbaines, afin
de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion des condamnés »432. S’il s’agit notamment de
la question d’assurer un suivi efficace, on peut par ailleurs se demander si, au-delà la solution
pénitentiaire, le ministre actuel ne cherche pas à mettre en place un système de contrôle
véritable. En effet, si le PSEM est principalement – et officiellement – utilisé comme moyen de
retour progressif à la vie sociale, son introduction semble plus « révolutionnaire » qu’elle n’y
parait.
D’invention américaine (home incarceration), la surveillance électronique existe depuis
plus de quinze ans aux Etats-Unis, « c’est la peine « deleuzienne » par excellence, celle qui
marquerait le passage des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle »433. Le PSEM
correspond à un « nouveau paradigme punitif »434 : « au paradigme du milieu clos, se substitue
progressivement le paradigme du contrôle continu et de la communication instantanée », il ne
s’agit plus d’imposer une stabilité par la neutralisation mais de « s’assurer de la traçabilité de
l’individu ».435 Un dispositif qui – aurait pu-t-on penser – devrait faire reculer le nombre de
condamnation à la prison ferme, à la fois dans la politique criminelle gouvernementale mais
aussi s’agissant de la volonté des juges au sein même des juridictions. Mais le législateur « ne
parvient pas à dépasser l’idée que des peines toujours plus lourdes et des procédures toujours
plus coercitives délivreront [nos contemporains] du problème criminel »436, et c’est pourquoi il
pense nécessaire des « sanctions plus dissuasives »437, même si « la répression accrue des
récidivistes n’est qu’un élément d’ensemble de la lutte contre la récidive ». Néanmoins le Garde
430 HERZOG-EVANS (M.), « Récidive : surveiller et punir plus plutôt que prévenir et guérir », art. préc. 431 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 6, p. 61 432 Communiqué de presse, Ministère de la justice, 8 décembre 2005, http://www.justice.gouv.fr/presse/com081205b.htm 433 CASADAMONT (G.), PONCELA (P.), op. cit., p. 159 434 PONCELA (P.), « La question de la récidive », RSC, 2005, p. 613 435 GARAPON (A.), cité dans FENECH (G.), op. cit., p. 15 436 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives… », art. préc. 437 CLEMENT (P.), art. préc.
85
des Sceaux oublie peut-être que « la menace de répression suppose de la part du sujet un état de
conscience permanente, une capacité à prendre du recul et analyser la situation »438. Or c’est loin
d’être la démarche d’un délinquant dans la majorité des crimes, viols, ou délits, notamment ceux
liés aux addictions (alcool, drogue…). Il s’agit très souvent d’une prise de décision relativement
floue et inconsciente, voire tout simplement impulsive. Un acte s’explique également par
l’entourage de la personne, ses capacités émotionnelles, souvent son égocentrisme et son
inculture ainsi qu’une difficulté singulière à la vie en société en général engendrant ce repli
conduisant bien souvent aux addictions précitées. « Croire que la menace de la peine sera
dissuasive est une utopie de la part des plus moralistes et un mensonge ou un égarement
intellectuel de la part des plus répressifs : c’est nier la raison profonde et la circonstance de la
transgression »439. Pourtant, le raisonnement actuel relatif aux sanctions pénales, et notamment à
l’égard des récidivistes, semble plutôt s’approcher d’une philosophie du « carcéralisme » que
d’une approche sociale et culturelle à partir de laquelle pourrait se construire une démarche
radicalement différente en termes de politique criminelle.
Section 2nde : La philosophie du « carcéralisme »
Le terme de « carcéralisme » semble être un néologisme caractérisant relativement bien la
philosophie actuelle du gouvernement, et plus particulièrement celle de la loi du 12 décembre
2005. En effet, s’il est besoin de le définir, le carcéralisme serait synonyme du « tout carcéral »,
dans le sens où l’univers carcéral se retrouve excessivement au centre de la réflexion, et surtout
dans le sens où la prison est reconnue – même implicitement voire inconsciemment – comme la
peine de référence, la reine des peines (§ 1). Pourtant, de nombreuses alternatives à
l’incarcération existent, et un effort budgétaire, appuyé sur une volonté politique importante,
pourrait un jour sonner le glas de la prison en tant que peine de principe, à l’image de « la leçon
suédoise »440. Malheureusement, la loi du 12 décembre 2005 tente par de nombreux moyens
d’amoindrir l’influence du principe d’individualisation dans la pratique quotidienne de la justice
pénale, créant un fossé entre le principe en lui-même et son application effective (§ 2). Ce
438 FRIZE (N.), op. cit., p. 52 439 FRIZE (N.), op. cit., p. 53 440 « La leçon suédoise », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 34 : la prison y est choisie en dernier recours et pour des peines d’une durée singulièrement courte (6 mois en moyenne). De plus, près des deux tiers des condamnés font l’objet d’une mesure alternative à l’emprisonnement, soit 5 000 détenus pour 13 000 hors établissement (travaux d’intérêt général, périodes de probations ou bracelet électronique…)
86
premier constat, puis cette dernière évolution, devront donc être étudiés afin de comprendre la
philosophie carcéraliste dans laquelle la société française est peut-être en train de se fourvoyer.
§ 1 : La prison, reine des peines
Reconnue de fait comme peine de principe, la prison est peut-être aujourd’hui en train de
connaître ses limites. En effet, le contexte international ainsi que l’état de la société française
face à la criminalité ne peut indéfiniment se contenter du « tout-carcéral » sachant qu’il n’enraye
en rien la récidive, bien au contraire. De plus, l’opinion publique devra bien un jour regarder en
face la réalité des conditions en milieu carcéral, et enfin exercer cette pression nécessaire sur les
pouvoirs publics pour que le système pénal, s’il doit être très rigoureux, ne soit pas
excessivement voire exclusivement assis sur l’emprisonnement. Dans un premier temps, il paraît
utile de revenir brièvement sur l’historique de la sanction prison et de la réflexion sous-jacente
sur le sujet (A). Par la suite, sera posé un état des lieux sur l’inflation carcérale (B), qui démontre
les limites de ce système et la nécessité de réfléchir, mais surtout de transformer le système de
réaction sociale.
A. Brève réflexion historique et critique du système carcéral
Selon une idée très répandue, « la prison pénale est née d’un projet utopiste » 441. C’est
dans les cahiers de doléances des révolutionnaires de 1789 que la prison a été inventée, pensée et
requise pour éviter les peines en vigueur au XVIIe siècle. Pourtant, pour le sociologue Philippe
Combessie, il s’agit d’un « mythe »442 (p. 9), puisque les Lumières y objectaient les effets de
contagion et la dureté des conditions de détention, ils préféraient en effet le travail au grand air.
La prison devrait donc son origine à l’idée de travail forcé443, mais le système carcéral serait
également advenu afin de supprimer les peines d’élimination. En ce sens, les Lumières y étaient
globalement favorables, la prison ayant pour but de corriger le délinquant, de l’amener à
s’amender. Un homme comme Charles Lucas, inspecteur général des prisons, voyait en elles le
moyen de supprimer la peine de mort. Pour d’autres, comme Alphonse Bérenger, membre de la
Cour de cassation, « la prison est l’hôpital de l’âme »444. Seul finalement, le professeur Rossi
manifeste très tôt sa perplexité face à ce système445, mais il est à l’époque à contre courant. Une
grande réflexion sur la question carcérale et principalement sur son organisation s’est alors
développée. Deux systèmes vont se dégager, il s’agit des systèmes dits « auburnien » et
441 DANIEL (J.), « Nos écoles du crime », Editorial, Le Nouvel Observateur, 3-9 novembre 2005, p. 55 442 COMBESSIE (Ph.), Sociologie de la prison, éd. La Découverte, coll. Repères, Paris, 2004, p. 9 443 COMBESSIE (Ph.), op. cit., p. 13 444 SCHNAPPER (B.), art. préc.445 ROSSI (P.), Traité de droit pénal, T. 3, p. 89-90, cité par SCHNAPPER (B.), art. préc.
87
« pennsylvanien ». Une autre forme d’organisation retiendra l’attention, celle du panoptique,
imaginé par le philosophe Jérémy Bentham. L'objectif de la structure panoptique est de permettre
à un individu de surveiller tous les prisonniers sans que ceux-ci ne puissent savoir s'ils sont
observés, créant ainsi un sentiment d'omniscience invisible chez les détenus. Ce type de structure
sera très rapidement abandonné, notamment compte tenu du fait qu’il semblait nécessaire, pour
des détenus également, qu’une certaine forme d’intimité, voire de vie privée – s’il est possible de
s’exprimer ainsi – leur soit aussi réservé. Le système dit pennsylvanien ou philadelphien impose
quant à lui la réclusion totale du prisonnier, dans une cellule individuelle. L'isolement absolu se
fait de jour comme de nuit, le prisonnier ne sort que rarement de sa cellule et n'aperçoit jamais
ses compagnons de captivité. On pensait imposer ainsi au détenu une introspection morale d'où
devait jaillir la rédemption et par là, lui permettre de s'amender de sa faute. D'une influence
morale toute religieuse, ce type de structure, à défaut d'amendement, se caractérisait par une forte
propension à la folie. Quant au système auburnien, du nom de la prison d’Auburn à New York,
construite en 1816-1825, il est constituée de deux bâtiments de cinq étages aux cellules adossées,
séparés des ateliers par des cours. Les prisonniers y vivent en commun, mais en silence, dans les
réfectoires, les ateliers, à l’école, à la chapelle, puis passent la nuit dans des cellules
individuelles. Le gouvernement choisira de porter son choix sur le système pennsylvanien qui lui
semble éviter la corruption entre les détenus, encourager la réflexion sur soi-même et donner aux
prisonniers de nouvelles habitudes de vie qui faciliteront leur réinsertion. Cependant,
l’Administration mit en place un tel système parce qu’elle crut que les réformes opérées
auparavant avaient rendu les prisons trop peu intimidantes, et qu’il était nécessaire d’y
réintroduire de la rigueur pour limiter la récidive. C’est pourquoi elle décida d’y interdire le
tabac et les boissons alcoolisées, instaura le travail en silence en 1841446 et créa en 1842 le
prétoire de justice disciplinaire447. C’est avant de comprendre que l’application du travail en
silence en commun était extrêmement difficile, et de se rendre compte que les taux de récidive ne
révélaient aucune diminution, au contraire. Après la réforme de 1837 favorable au système
pennsylvanien, pour laquelle peu de crédits furent octroyés, plus de 2 700 cellules dans 60
prisons virent le jour entre 1848 et 1852, ce qui pouvait sembler négligeable au vu des 387
établissements existants. Le gouvernement décida pourtant de stopper cette évolution en 1853
par une circulaire adressée aux préfets par le ministre de l’Intérieur Persigny. L’histoire de la
prison n’a depuis cessé de se répéter. Allant de constructions de nouveaux établissements en
élaboration de projets alternatifs pas véritablement mis en œuvre, il semble que l’imagination ait
quelque peu manqué. En effet, « une seule réponse : la prison, la prison pour tous ceux qui nous
446 Arrêté ministériel du 10 mai 1839 et règlement général du 30 octobre 1841 447 Instruction du 8 juin 1842
88
dérangent, pour exclure de la société ceux dont on ne sait pas quoi faire… »448. Pourtant, celle-ci
se donnait pour but l’amendement du condamné au-delà la question de la rétribution. La
réinsertion sociale se devait d’être l’objectif, à la fois pour l’intéressé lui-même, mais pour la
société dans son ensemble surtout, car s’il se réinsérait, on repoussait voire éliminait les risques
de récidive. Mais paradoxalement, « la réaction sociale broie la personnalité des sujets, elle les
prive de leurs chance de réussite […], c’est en elle que réside l’étiologie spécifique du
récidivisme » 449. Pour le professeur abolitionniste Hulsman, « la « réinsertion sociale du
condamné » est un vœu pieux […], la prison ne signifie jamais autre chose qu’un châtiment, et le
stigmate qu’elle imprime sur ceux qu’elle touche se manifeste, contrairement au principe
proclamée, par la marginalisation sociale plus ou moins définitive du sortant de prison »450. Le
professeur Marc Ancel rajoute même qu’« il y a loin en effet entre ce qu’elle (la prison) est et ce
qu’elle prétend être, entre sa fonction théorique de rétribution et de rééducation, d’ailleurs
contradictoire en elle-même, et la pratique de la vie carcérale, qui en fait un véritable châtiment
corporel antisocial et aliénateur de la personnalité du condamné »451. La prison semble donc être
un véritable facteur de récidive, et de fait, elle développe ce sentiment y compris chez certains
détenus récidivistes qui témoignent que « lorsqu’on entre en prison une fois, on y revient »452.
Finalement, « justice pénale et prison n’aboutissent en fin de compte qu’à multiplier les asociaux
et les récidivistes »453, c’est une des raisons qui pourrait à la fois expliquer l’augmentation du
nombre de récidivistes en général, mais aussi l’inflation carcérale exponentielle que l’on constate
depuis déjà des plusieurs décennies.
B. Etat des lieux de l’inflation carcérale
Au sortir de la Seconde guerre mondiale, le nombre de détenus était très légèrement
supérieur à celui d’aujourd’hui. En effet, si aujourd’hui, nous comptons, au 1er juillet 2006,
quelques 61 413 personnes écrouées454, en 1946, ce chiffre atteignait les 62 633 détenus455. Bien
sûr cette importante population écrouée était une conséquence de la guerre et du régime alors en
place sur le territoire français. D’ailleurs, de nombreuses personnalités politiques furent
enfermées à cette époque, ce qui finalement permis une certaine prise de conscience politique de
la réalité pénitentiaire, pour que la population sous écrou n’atteignent plus que 19 540 personnes
448 VASSEUR (V.), op. cit., p. 208 449 PINATEL (J.), art. préc. 450 HULSMAN (L.), BERNAT DE CELIS ( J.), op. cit., p. 108 451 ANCEL (M.), postface I à l’ouvrage : HULSMAN (L.), BERNAT DE CELIS ( J.), op. cit., p. 170452 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc. 453 ANCEL (M.), postface I à l’ouvrage : HULSMAN (L.), BERNAT DE CELIS ( J.), op. cit., p. 170454 Direction de l’Administration pénitentiaire, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, in Arpenter le champ pénal / Les comptes du Lundi 17/07/06, Pierre-Victor.Tournier@wanadoo.fr 455 BARRE (M.-D.), « 130 années de statistiques pénitentiaires en France », Dev. et Sté, 1986, X, 2, p. 107
89
en 1956456. Cependant, une hausse significative devait s’imposer puisque, entre le 1er janvier
1956 et le 1er janvier 1978, c’est à une augmentation de près de 65 % à laquelle les pouvoirs
publics ont dû faire face.457 On peut par ailleurs constater une hausse continue jusqu’en 1981,
année à laquelle une baisse très significative intervint grâce à la loi d’amnistie et aux grâces
collectives du gouvernement de François Mitterrand (- 22 %).458 Malheureusement, la hausse
reprit son cours. Par ailleurs, on constate que de 1969 à 1988, celle-ci est principalement due à
un accroissement de la durée de détention (+ 39 %) que l’on peut estimer être une conséquence
de l’abolition de la peine de mort, alors que le taux de détention a quant à lui baissé de 8 %.459
Une nouvelle baisse du nombre de détenu interviendra avec l’arrivée au pouvoir de Lionel Jospin
en 1997. Une baisse continue d’environ 1% par an fera passer le nombre de détenu de 51 640 en
1997 à 44 618 en 2001. Celle-ci est due à une baisse des flux d’entrée, à une politique criminelle
tendant à réduire le nombre de prévenu en détention provisoire depuis 1994, également à une
baisse des condamnations à la prison ferme de 1992 à 1998 (-14 %), et enfin à un recours plus
régulier aux peines alternatives à la prison.460 Mais les attentats de 2001 et le contexte
géopolitique international vont faire vaciller ces avancées puisqu’un nouvel accroissement du
nombre de détenus va débuter, pour que celui-ci revienne en 2003 à son niveau de 1996, avec
près de 80 000 incarcérations par an.461 Si les durées de peine sont aujourd’hui plus stables, c’est
pour l’essentiel les flux d’entrées qui ont pris le relais comme moteur de l’inflation carcérale.
Début juillet 2004, on pouvait compter 63 650 détenus en France pour 49 600 places !462
Logiquement, un décret de grâce collective (pour le 14 juillet) plus généreux qu’à l’habitude est
intervenu pour faire sortir quelques 5 344 personnes, contre 1 794 en 2003.463 La situation du
surpeuplement dans les prisons est aujourd’hui critique, et ces « grâces collectives paraissent
aujourd’hui indispensables pour réguler le nombre de détenus et éviter les incidents dus à la
surpopulation carcérale pendant les mois d’été »464. Mais il convient de rappeler que beaucoup
sont exclus de ces grâces, comme les condamnés pour infractions liées au terrorisme, celles
contre mineur de quinze ans, ou les infractions de violence contre des personnes dépositaires de
l’autorité publique. Par ailleurs, le décret du 14 juillet 2005 comportait une exclusion
supplémentaire : les récidivistes. Le taux d'occupation au 1er juillet 2006 est de près de 118 %,
456 Ibidem 457 Ibidem 458 CASADAMONT (G.), PONCELA (P.), op. cit., p. 162 459 Ibidem, p. 163 460 CASADAMONT (G.), PONCELA (P.), op. cit., p. 166 461 DANET (J.), op. cit., p. 236 462 Ibidem 463 Ibidem 464 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), op. cit., n° 1114, p. 1031
90
avec une densité carcérale de 59 488 détenus465 pour 50 332 places opérationnelles466 ; 13
établissements ou quartiers ont une densité égale ou supérieure à 200 %, 51 ont une densité
comprise entre 150 et 200 %, 74 entre 100 et 150 % et 96 ont une densité inférieure à 100 %. La
seule réponse du Garde des Sceaux – et malheureusement toujours la même – est qu’il est
nécessaire de construire de nouveaux établissements, mais aussi d’opérer de très nombreux
travaux de réfection dans ceux déjà existant. En effet, un « programme 4 000 » places avait déjà
été lancé en 1994 par Pierre Méhaignerie, et finalisé par Elizabeth Guigou en 1997.467
Dominique Perben avait quant à lui initié un « programme 13 200 » places avec sa loi
d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, que Pascal Clément
essaie aujourd’hui de mettre effectivement en place.468 Entre ces deux initiatives, le Comité des
ministres du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation sur le surpeuplement des prisons
et l’inflation carcérale le 30 septembre 1999, il ne semble pas avoir été réellement entendu.
Aujourd’hui, il semble nécessaire de décréter un moratoire en ce qui concerne la construction des
prisons, de façon à contraindre la société à rechercher des manières alternatives de traiter la
délinquance, sans nécessairement perdre totalement sa liberté. Un précédent existe en la matière,
même s’il est dans un pays où le nombre de détenu par habitant est incroyablement plus élevé
qu’en France. En effet, aux Etats-Unis, « la Commission Paterson adopta une politique décidant
qu’il n’y aurait plus de construction de prisons pendant dix ans, à moins que la planification
totale du système ne révèle qu’il n’existait pas d’alternatives »469. Ravisés dès 1978 suite à une
flambée de la criminalité, la population carcérale allait doubler et de nouveaux bâtiments
devaient donc voir le jour. Cependant, ces derniers bâtiments devaient nécessairement « prévoir
les standards élevés maintenant attendus pour le détenu »470. Pourtant, nous savons aujourd’hui
que des alternatives à l’emprisonnement existent. Vu le panel et leur flexibilité, il est d’ailleurs
plus simple d’adapter la sanction à l’individu, et donc de mettre en œuvre le principe de
l’individualisation des peines.
465 Ce chiffre est logiquement inférieur aux 61 413 cité précédemment étant donné qu’en ont été exclu les 568 condamnés placés sous surveillance électronique et les 357 condamnés placés à l’extérieur sans hébergement. 466 Direction de l’Administration pénitentiaire, Statistique mensuelle de la population écrouée et détenue en France, in Arpenter le champ pénal, art. préc.467 OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP), op. cit., p. 49 468 Ibidem 469 HALL WILLIAMS (J. E.), art. Préc.470 Ibidem
91
§ 2 : L’individualisation, entre le principe et l’amoindrissement de son
application
Le principe de l’individualisation des peines, ou comme il était auparavant dénommé, le
principe de personnalisation, s’est forgé à partir de l’arbitraire judiciaire qui donnait la
possibilité au juge de fixer la peine avec une très importante marge de manœuvre. Déjà au XIIe
siècle, la responsabilité collective (et surtout familiale) commençait à disparaître pour laisser la
place à des peines personnelles qui, lorsque les contradictions bibliques seront dépassées,
permettront ensuite de véritablement rendre le traitement pénal « adéquat à la personnalité du
délinquant »471. En effet, la Bible aurait pu empêcher l’application du principe de
personnalisation des peines, puisque pour le dénigrer, au XIIe siècle, Pierre Lombard s’appuyait
sur l’Exode, 20, 5, qui fait porter la faute des parents sur les enfants « jusqu’à la troisième et
quatrième génération ». Alors que Gratien se fondant quant à lui sur le Deutéronome, 24, 16,
écrivait qu’« on ne fera pas mourir les pères pour les fils, ni les fils pour les pères, mais chacun
sera mis à mort pour son propre pêché ».472 Lorsque la peine est devenue personnelle, il a plus
tard été question de l’adapter au mieux à la personnalité, à l’histoire de l’intéressé, ainsi qu’aux
circonstances des faits. Pour cela, on introduisit dans un premier temps le système des
circonstances atténuantes par la loi du 25 juin 1824 qui permettait aux cinq juges de la Cour
d’assises, mais pas au jury et avec une marge de manœuvre extrêmement faible, de réduire la
peine en matière criminelle. La loi du 28 avril 1832 a par la suite étendu le jeu des circonstances
atténuantes à l’ensemble des infractions, avant que le nouveau code pénal ne supprime toutes les
circonstances atténuantes, car les possibilités d’individualisation du juge les rendaient inutiles
puisque aucun plancher n’était fixé, seulement une peine maximale. Pendant très longtemps, le
principe d’individualisation était presque exclusivement appliqué commr un instrument de
réduction des peines. Alors que si, comme l’affirmait Raymond Saleilles dans son ouvrage sur
l’individualisation de la peine, « la responsabilité est le fondement de la peine et
l’individualisation est le critérium de son application », pour une personnalité le nécessitant, il
pourrait s’avérer essentiel de durcir la peine par rapport à celle couramment appliquée pour des
mêmes faits. S’agissant du récidiviste, on peut considérer que l’aggravation de la peine constitue
une forme d’individualisation. D’un autre côté, Jean Pradel rappelle que plusieurs systèmes ont
été proposés, dans le but ultime d’aggraver la répression à l’égard des récidivistes.473 Le premier
se fondant sur une peine complémentaire obligatoire en cas de récidive ; le second prévoyant une
aggravation progressive, avec un minimum et un maximum qui s’élèveraient à chaque nouvelle
471 PLAWSKI (S.), art. préc.472 CARBASSE (J-M), op. cit., p. 283 473 PRADEL (J.), art. préc.
92
infraction. Le troisième enfin consisterait dans au choix du juge, soit en une peine aggravée dans
son taux et sa durée déterminée, soit en une « sorte d’internement de sûreté à durée relativement
déterminée », parce que « la société, sans nul doute, doit se défendre. Mais elle doit aussi se
montrer humaine à l’égard de tous ses enfants » et c’est pourquoi cet internement, s’il apparaît
comme une peine d’élimination dans un premier temps, constitue également « une fenêtre
ouverte vers une resocialisation qui, même embryonnaire, a des chances de se produire à partir
d’un certain âge ».474 La réflexion au sujet de l’individualisation, très marquée par les idées de
Saleilles, a engendré une légalisation du principe dans le code pénal. Cependant, la loi de 2005
en a modifié la teneur par l’ajout d’un alinéa à l’article 132-24 dudit code (A), et a également
entendu réduire les possibilités d’individualisation des peines à l’égard des récidivistes (B).
A. Sur le second alinéa de l’article 132-24 du code pénal
Depuis le nouveau code pénal, le principe d’individualisation des peines réside dans
l’article 132-24 du code pénal qui dispose que « dans les limites fixées par la loi, la juridiction
prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la
personnalité de son auteur. Lorsque la juridiction prononce une peine d'amende, elle détermine
son montant en tenant compte également des ressources et des charges de l'auteur de
l'infraction. » Cet article est venu, avec la loi du 12 décembre 2005, « s’alourdir »475 d'un nouvel
alinéa disposant que « la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de
manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts
de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de
prévenir la commission de nouvelles infractions ». Si pour certains, il convient de « saluer le seul
article à peu près équilibré […] rédigé par le Conseil constitutionnel »476, on peut également
estimer que ce nouvel alinéa vient finalement encadrer la liberté du juge, surtout dans le but de
limiter son éventuelle clémence. Car en effet, puisque le code pénal ne fixe que la peine
encourue, il était d’usage que le principe d'individualisation s'applique dans un but de réduction
de la peine, et c'est exactement cela que le législateur a tenu à limiter, pour « répondre aux
attentes prétendues du corps social »477. Cependant, il est vrai qu’il est clair pour tout le monde
que la peine tend, entres autres fins, à l’amendement et à la resocialisation du condamné, le code
pénal avait oublié de le dire, et c’est dans le code de procédure pénale478 et dans l’article 1er de la
loi du 22 juin 1987 « relative au service public pénitentiaire » qu’il fallait aller chercher
474 Ibidem 475 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc. 476 RASSAT (M.-L.), ROUJOU DE BOUBEE (G.), art. préc. 477 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc. 478 Art. 707 CPP
93
l’affirmation de tels objectifs. C’est pourquoi la loi de 2005 « répare l’oubli des rédacteurs du
code pénal de 1994 »479, mais sa place aurait peut-être dû être, comme le proposait alors le
sénateur Badinter, dans un article préliminaire au code pénal, devant par ailleurs s’inscrire dans
une révision plus générale dudit code.480 En effet, ce nouvel alinéa tend à définir la fonction de la
peine, il en donne par ailleurs un ordre évocateur, énumérant les différents intérêts en cause
« dans cet ordre-là qui est le bon » pour Michelle-Laure Rassat et Gabriel Roujou de Boubée.481
Si, pour ces derniers, cette nouvelle disposition ne concerne pas le juge mais le législateur, la
question qui se pose est alors de savoir à quoi va servir l’article 132-24 alinéa 2 du code pénal. Il
vise donc à réaffirmer le principe de personnalisation des peines, et à définir les fonctions de la
peine. Pourquoi alors ne figure-t-il pas en tête du titre III du livre Ier intitulé « Des peines » ?
Pour Damien Roets, il s’agit d’une « message quasi subliminal » visant à inciter le juge pénal à
ne pas trop personnaliser les peines afin de répondre aux « attentes prétendues du corps social et
des victimes ».482 Cet alinéa, que l’on doit à un amendement de Philippe Houillon en
commission des lois de l’Assemblée nationale à l’occasion de la seconde lecture du texte,
comportait également deux différences d’importance avec le texte du code de procédure pénale
précité qui dispose quant à lui – pour ce qui nous intéresse – que « l'exécution des peines
favorise, dans le respect des intérêts de la société et des droits des victimes, l'insertion ou la
réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive »483. D’une part, la notion de
« punition » avait été ajoutée dans le code pénal traduisant l’obsession pénalocentrique du
législateur, et l’idée de resocialisation du condamné en était au départ totalement absente.484 Pour
Martine Herzog-Evans, « le législateur rompt avec l’équilibre » de l’article 132-24 en instaurant
un tel alinéa.485 En effet, si ce nouvel alinéa se borne à déterminer la fonction de la peine en
énumérant toute une série d’impératif – qui sont pour une large part repris de la décision n° 93-
334 du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1994 – il ne fait pas mention de la notion
d’amendement. Et puis, « alors que le Conseil proposait un juste équilibre entre impératifs, ici
l’emphase est presque uniquement mise sur la sécurité publique ».486 En fait, cet alinéa 2 de
l’article 132-24 du code pénal vient mettre l’accent sur le passé pénal, puisque le critère essentiel
– de ce qui ressort des travaux parlementaires et de la mission Clément – est le contenu du casier
judiciaire et la nature de l’infraction initiale. Si le premier alinéa mettait au centre la personne du
délinquant, et plus précisément sa personnalité conformément au principe, ce second alinéa ne
479 ROBERT (J.-H.), « Les murailles de silicium… », art. préc. 480 LEONARD (G.), ZOCCHETTO (F.), op. cit., Commission mixte paritaire, p. 5 481 RASSAT (M.-L.), ROUJOU DE BOUBEE (G.), art. préc.482 ROETS (D.), art. préc.483 Art. 707 CPP 484 LEONARD (G.), op. cit., 2e lecture, p. 60 485 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives à la récidive… », art. préc. 486 Ibidem
94
renvoie cette question qu’au quatrième rang de ses préoccupations, loin derrière la protection de
la société, la sanction en elle-même, et les intérêts des victimes. Par ailleurs, à nouveau le choix
des mots laisse transparaître le poids que l’on veut faire peser, puisque dans le premier alinéa, la
personne délinquante est nommée par les termes « auteur d’infraction », alors que dans le
second, elle passe au statut de « condamné ».487 En somme, « avec l’article 4 de la loi relative au
traitement de la récidive des infractions pénales, le législateur se donne l’illusion de pouvoir
mieux contrôler le juge répressif, supposé trop laxiste »488 par une exigence de motivation
compte tenu des fonctions de la peine, alors même que cette exigence n’est pas consacrée par le
texte. D’ailleurs, en modifiant l’article 132-19 du code pénal, le législateur fait disparaître la
nécessité de motiver les peines fermes en matière correctionnelle dès lors qu’elles sont infligées
aux récidivistes, « la récidive [étant] réputée être, à elle seule, un motif suffisant
d’incarcération »489. En effet, l'alinéa 2 de l'article 132-9 du code pénal inverse – à nouveau – le
principe à l'égard du récidiviste, exigeant une décision spécialement motivée dans le cas d'une
peine d'emprisonnement sans sursis (alors que normalement une motivation spéciale et
nécessaire pour condamner à une peine d'emprisonnement ferme). Pourtant, « il est difficile de
croire que la récidive sera plus sûrement prévenue ou même sanctionnée du fait que le juge
n’aura pas expliqué, et au premier chef, au récidiviste lui-même, pourquoi la peine retenue lui a
été infligée ».490 Toutefois l’objectif n’est pas en la matière d’être pédagogique, mais de
sanctionner, voire d’incarcérer tout simplement, en prétendant désirer une forme de
resocialisation grâce à la prison. Cette sanction de principe, qui, selon la volonté du législateur,
devrait encore être plus utilisée, tant par une augmentation du nombre d’incarcérations, que par
un amoindrissement des mesures d’individualisation alternatives à la détention, notamment au
moment de l’exécution de la peine.
B. Des autres nouvelles dispositions tenant à l’amoindrissement de l’individualisation des
peines
La volonté de Pascal Clément est claire. S’il prétend développer un minimum le recours
au PSEM, la sanction prison reste pour lui la peine phare et de principe. Cependant certains
semblent y être encore plus attachés, puisque dans un élan sécuritaire, Georges Fenech, « avec
l’avis de sagesse du gouvernement »491, proposait en seconde lecture à la commission des lois de
l’Assemblée nationale que le maximum de la période de sûreté soit porté à 25 ans pour les
487 DREAN-RIVETTE (I.), « L’article 132-34 alinéa 2 : une perte d’intelligibilité de la loi pénale ? », AJ Pénal, mars 2006, n° 3, p. 117 488 Ibidem 489 ROBERT (J.-H.), « Les murailles de silicium… », art. préc. 490 HERZOG-EVANS (M.), « Les dispositions relatives à la récidive… », art. préc. 491 ZOCCHETTO (F.), op. cit., 2e lecture, p. 53
95
personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Il lui semblait en effet anormal que
la période de sûreté puisse être appliquée à la totalité de la peine si la Cour d’assises prononce la
réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre ou l’assassinat d’un mineur de quinze ans,
précédé ou accompagné de viol ou de tortures et d’actes de barbarie492 alors que le récidiviste,
pouvant voir sa peine doubler et donc dans certains cas être condamné à cette prison –
théoriquement – à vie, ne pouvait être soumis à une période de sûreté d’au maximum 22 ans. Un
déséquilibre qu’il entendait rétablir, mais que le Sénat, une fois de plus, ne laissa pas passer.493
D’un autre côté, la mission Clément voulait que les récidivistes sexuels ou violents
puissent être immédiatement incarcérés. C’est pour cela qu’elle a proposé494 l’insertion d’un
nouvel article 465-1 du code de procédure pénal afin qu’il prévoit l'incarcération dès le prononcé
de la peine des condamnés en situation de récidive légale pour bon nombre d'infractions (en
matière sexuelle, violences volontaire, faits commis avec la circonstance aggravante de
violence). Auparavant, le tribunal correctionnel pouvait délivrer un mandat de dépôt à l’audience
que s’il prononçait une peine d’au moins une année d’emprisonnement sans sursis. Elle devait
cependant motiver spécialement sa décision conformément aux dispositions de l’article 464 du
même code. Initialement, l’Assemblée nationale avait proposé, avec son nouvel article 465-1, de
contraindre la juridiction correctionnelle à délivrer un mandat de dépôt à l’audience, dès lors
qu’une peine d’emprisonnement – quel qu’en soit le quantum – était prononcée contre une
personne en état de récidive légale, y compris dans les cas de répétition d’infractions
« assimilées ». Le tribunal correctionnel pouvait ordonner autrement, seulement par décision
spécialement motivée. Fort heureusement, le Sénat avait une fois de plus supprimé ce caractère
automatique, lequel a tout de même été maintenu… En effet, la commission des lois de
l’Assemblée nationale a proposé un nouvel article 465-1 reprenant sa philosophie d’origine.
Celui-ci dispose donc que « lorsque les faits sont commis en état de récidive légale, le tribunal
peut, par décision spéciale et motivée, décerner mandat de dépôt ou d’arrêt contre le prévenu,
quelle que soit la durée de la peine d’emprisonnement prononcée. S’il s’agit d’une récidive
légale au sens des articles 132-16-1 et 132-16-4 (et non plus la totalité des délits assimilés), le
tribunal délivre mandat de dépôt, quel que soit le quantum de la peine prononcée, sauf s’il en
décide autrement par une décision spéciale et motivée ». Le législateur considère « à tort qu’un
récidiviste est a priori moins à même de se réinsérer dans le cadre d’un contrôle social et
juridique strict, qu’en se retrouvant dans une cellule surpeuplée de maison d’arrêt »495. Cette
mesure, en faveur du « tout carcéral », renverse – une fois de plus – le principe général posé par
492 Art. 221-3 et 4 du code pénal 493 Cf. LEONARD (G.), op. cit., 2e lecture, p. 27 ; et ZOCCHETTO (F.), op. cit., 2e lecture, p. 53 494 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 58 495 HERZOG-EVANS (M.), « Récidive : surveiller et punir plus plutôt que prévenir et guérir », art. préc.
96
l’article 165 du code de procédure pénale qui prévoyait la possibilité d'incarcération immédiate
sur décision spécialement motivée. Par ailleurs, il semble que celle-ci témoigne également de la
« méfiance non dissimulée à l'égard du judiciaire » comme le soulignait le professeur Thomas496,
les magistrats déjà surchargés de travail qui ne prendront pas forcément toujours le temps de
motiver leurs décisions et donc laisseront la responsabilité au législateur d’enfermer si
rapidement.
Si le nouvel article 465-1 du code de procédure pénale crée une véritable automaticité en
matière d’incarcération des récidivistes devant le tribunal correctionnel, le législateur a
également entendu renforcer la menace d’incarcération en allongeant par exemple le temps
d’épreuve de la libération conditionnelle.497 Cela alors même qu’« il est amplement prouvé que
c’est dans les toutes premières semaines ou les tous premiers mois de l’expérience de détention
que les « peines de prison » sont le plus vivement ressenties »498. Les peines courtes étant donc
tout « aussi efficace que les longues et il n’y a pas de bénéfice à attendre à garder les gens en
prison plus longtemps ».499 Pourtant la loi de 2005 étend le délai d’épreuve de quinze années à
vingt ans pour les récidivistes (lorsqu’ils ne leur restent qu’un tiers de leur peine à subir) et de
vingt-deux ans au lieu de dix-huit ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à
perpétuité.
Mais la loi Clément ne s’arrête pas là et vient également limiter les attributions du sursis
avec mise à l’épreuve. Cela parce qu’aucune limite n’était auparavant prévue et que la mission
Clément considère que « cette situation permet des dérives au profit de multiréitérants qui
cumulent les SME sans subir de véritable contrôle en raison de la faiblesse des effectifs des
SPIP ».500 En effet, la mission dénonce des condamnations perçues comme « virtuelles par les
délinquants d’habitude »501 et qui les inciteraient alors à poursuivre leurs actions délictuelles.
Formellement, un nouvel alinéa ajouté à l'article 132-41 du code pénal prévoit l’impossibilité de
prononcer un sursis avec mise à l'épreuve total après deux SME voire dès la première récidive
lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit avec violences volontaires, délits d'agressions d'atteintes
sexuelles ou délit commis avec la circonstance aggravante de violence. Le législateur a
également modifié le régime même du SME en intervenant tout d’abord sur sa durée maximale,
passée de trois à cinq ans pour les récidivistes et même à sept ans pour la seconde récidive502.
Alors justement, que la peine d'emprisonnement ferme, sûrement déjà purgée par le néo
496 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc. 497 Art. 729 CPP modifié par l’article 14 de la loi du 12 décembre 2005 498 PLAWSKI (S.), art. préc. 499 Ibidem 500 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 2, p. 59 501 Ibidem 502 Art. 132-42 al. 1er modifié par la loi du 12 décembre 2005
97
récidiviste, n'a pas donné l'effet escompté, c'est-à-dire de socialiser le délinquant, le législateur
choisit pourtant d'empêcher l'application d'une nouvelle mesure d'assistance qui serait, si elle
était appliquée avec un réel suivi post pénal, assurément plus efficace qu'une nouvelle peine
d'emprisonnement ferme. Pour le professeur Thomas, il s'agit là d'une « confusion sur le rôle du
sursis avec mise à l'épreuve qui n'est pas une simple adaptation du sursis simple – lequel
donnerait une faveur réservée aux délinquants primaires –»503, en effet le sursis mis à l'épreuve a
pour but principal de favoriser au maximum la réinsertion du condamné.
La mission Clément proposait enfin de limiter les réductions de peines pour les détenus
récidivistes504, une nouvelle mesure qui participe encore à « une politique criminelle donnant
priorité à l'incarcération et avant tout soucieuse d'éviter l'érosion des peines »505. Après
l'importante réforme opérée par la loi du 9 mars 2004506, créant les crédits de réduction de peine,
la loi du 12 décembre 2005 modifie l'article 721 du code de procédure pénale, et réduit ce crédit
pour les récidivistes à deux mois pour la première année (au lieu de trois), à un mois pour les
années suivantes (au lieu de deux) et à cinq jours par mois (au lieu de sept). Toujours plus de
prison, toujours plus longtemps, et toujours aussi peu d’utilité à la peine en elle-même, ainsi que
de moyens s’agissant du suivi post carcéral. Pourtant, les détenus eux-mêmes estiment que, au-
delà des fautes qu’ils ont pu commettre, il semblerait opportun de donner priorité à l’éducation
voire même d’instaurer des « peines d’utilité publique » (déforestation préventive avant l’été
pour éviter la propagation des feux, aide au moment d’inondations, etc.) afin qu’ils puissent se
sentir non seulement utiles, mais l’être tout simplement pour la société.507 Cela aurait aussi
l’avantage de redonner confiance à une opinion publique tellement convaincue de l’inutilité de
ces personnes et même de la nécessité de les neutraliser par l’enfermement en établissement
pénitentiaire. Et peut-être pouvons-nous espérer que les mesures d’individualisation issues
principalement des années 1970 et du début de années 1980, pourront significativement être
augmentées508 et que l’objectif de réinsertion sera repensé, sur la base d’une dignité et d’un sens
conféré à la peine à retrouver.
503 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc. 504 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., proposition n° 3, p. 59 505 THOMAS (D.), « Quelques réflexions de politique criminelle… », art. préc. 506 Cf. Un objectif d'insertion à repenser p. 98 507 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.508 Cf. Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, décembre 2005, http://www.justice.gouv.fr/minister/DAP/chiffresclesAPdec05.pdf, et Redonner un sens à la peine p. 110
98
Chapitre 2nd : Un objectif d'insertion à repenser
Même si les récidivistes ne peuvent prétendre au même traitement que les autres détenus,
la condition même du détenu dans sa globalité peut être à l’origine de beaucoup de récidive.
C’est pourquoi, sous le gouvernement Jospin, le recours à la prison a été amoindri, au profit de
l’utilisation notamment du sursis avec mise à l’épreuve (96 532 au 1er janvier 1997, 119 753 au
1er janvier 2002) qui constitue quand même aujourd’hui 78,1% des mesures suivies par les SPIP,
et dans un moindre mesure, les travaux d’intérêt général (22 812 au 1er janvier 1997, 25 411 au
1er janvier 2001, et 23 488 au 1er janvier 2002).509 D’une manière concomitante, on peut
constater en revanche une nette baisse de mesures de libération conditionnelle sur une partie de
la même période avant une nouvelle augmentation (5 356 au 1er janvier 1997, 4 685 au 1er janvier
1999, 5 904 au 1er janvier 2002). 510 Cependant, le respect de la « summa divisio entre les prisons
pour prévenus et celles pour les condamnés »511 reste très relatif avec encore au 1er juillet 2006,
environ 34 % (soit 20 999 personnes) de prévenus incarcérés. Ceux-ci devraient pourtant «
former une catégorie absolument séparée » car « il s'agit de garder les prisonniers sous la main
de la justice nom de les « effrayer » ou de les « moraliser ».512 Cette détention provisoire, « peine
avant le procès […] paroxysme d’anti-sens »513 doit absolument faire l’objet de réflexion pour
éviter une incarcération, le recours au PSEM ou au simple contrôle judiciaire doit être étendu.
Cela parce qu’il commence à être admis que l’univers carcéral ne favorise en rien l’amendement
et la future resocialisation, au contraire, pour beaucoup il constitue « nos écoles du crime »514.
C’est pourquoi, « lutter contre la délinquance et prévenir la récidive commandent que les prisons
cessent d’être des foyers du crime, d’où nombre de détenus, notamment les plus jeunes, sortent
bien plus dangereux qu’ils n’y sont entrés »515 parce que « la prison, ça ne le dissuade pas de
recommencer, ça lui donne envie de changer d’étage. De prendre du grade. »516 Et ce n’est pas
en considérant que « le délit serait la marque d’un esprit perturbé, rebelle ou mal intentionné,
d’un manque de droiture d’esprit […, et qu’] on y remédierait en anéantissant la pensée » [en
installant] « le délinquant détenu dans la répétition et le fonctionnement mécanique, afin que
509 Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, décembre 2005, document précité 510 Ibidem511 VIELFAURE (P.), « Quelques remarques à propos de Tocqueville et le projet de réforme des prisons 1843-1844 », in La pensée juridique d'Alexis de Tocqueville, coll. Droit et Sciences économiques, Artois Presses Université, 2005, p. 77 512 TOCQUEVILLE (A.), op. cit., p. 120 513 FRIZE (N.), op. cit., p. 18 514 DANIEL (J.), « Nos écoles du crime », art. préc. 515 BADINTER (R.), « Une cause nationale », Le Nouvel Observateur, art. préc. 516 TAPIE (B.), « L’école du banditisme », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 20
99
toute réflexion s’évanouisse »517 que le phénomène du récidivisme sera enrayé. Les récidivistes
en devenir y sont donc nombreux et logiquement l’évolution ne peut être qu’exponentielle. Il
faut donc se poser les questions relatives à la prison, tant sur les conditions de détention en elle-
même que sur le sens que la société entend donner à la peine, dans un véritablement but de
resocialisation, mais également dans le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme en
général. La loi du 18 janvier 1994 a rattaché la population carcérale au régime hospitalier de
droit commun, et a rendu obligatoire leur affiliation à la sécurité sociale. Néanmoins, « si l’accès
aux soins est devenu « normal », le reste n’a pas évolué (de 1992 à 1999) : conditions d’hygiène
précaires voire insalubres, locaux vétustes, oisiveté, enfermement sans projet, travaux
occupationnels non valorisants, absence d’intimité, promiscuité, absence de vie affective, attente
interminable, espoirs sans cesse déçus, colère et désespoirs, violence, automutilation, tentatives
de suicides et suicides, mais aussi sécurité… », selon le réquisitoire du Docteur Vasseur.518 Si
l’on veut vraiment lutter contre la récidive, il convient dans un premier temps de redonner une
dignité perdue (Section 1ère) à tous les détenus qu’ils soient récidivistes ou non, mais également
dans un second temps de redonner un sens à la peine (Section 2nde) pour que celle-ci soit non
seulement comprise par l’intéressé mais aussi et surtout utile pour lui et pour la société dans son
ensemble.
Section 1ère : Redonner une dignité perdue
« Les hauts murs des prisons sont aussi faits pour que la société ne regarde pas à
l’intérieur », confiant le professeur d’Hauteville lors d’une conférence en 2003 à Montpellier.
Pourtant le regard de la société – ou du moins de ses représentants qui depuis la loi du 15 juin
2000 peuvent visiter les prisons de leur propre initiative – sera évidemment nécessaire pour
qu’une prise de conscience intervienne et qu’une transformation du système carcéral voire pénal
s’amorce. Parce qu’il s’agit d’une véritable urgence sociale. Il est bon d’ailleurs de rappeler que
le risque de la sanction prison est particulièrement important en France, et que même un
sentiment égoïste pourrait appuyer une pression nécessaire à mener sur les pouvoirs publics. Une
situation d’urgence parce que, au-delà la question du sens de la peine, les conditions de détention
sont déplorables, tant sur les plans psychologique et médical (§ 1), que s’agissant des conditions
physiques et matérielles des condamnés (§2).
517 FRIZE (N.), op. cit., p. 15 518 VASSEUR (V.), op. cit., p. 208-209
100
§ 1 : Sur les conditions psychologiques et médicales en détention
En prison, une forte proportion des détenus est marquée par la pauvreté et l’indigence519,
et près d’un détenu sur cinq est illettré.520 « Cette misère a pour corollaire le mauvais état de
santé de cette population […]. La prison, plus que jamais gère l’exclusion et remplit une fonction
asilaire » rappelle le professeur Jean Danet.521 Elle « apparaît désormais comme le seul lieu
d’enfermement, elle est redevenu l’hôpital général d’antan où l’on retrouve pêle-mêle tous les
exclus de la société » déplore le directeur régional des services pénitentiaires de Paris.522 Mais il
s’agit d’un cercle vicieux. Puisque, avec des difficultés psychologiques et bien souvent
financières, comment un sortant peut-il se reconstruire s’il n’est pas rigoureusement suivi ? De
plus, « la pensée judéo-chrétienne qui prône la rédemption par la souffrance a oublié une
évidence psychologique : la souffrance et l’humiliation rendent haineux, vengeur et poussent à la
répétition. Ce n’est pas dans un rapport de violence et de force que l’on peut se reconstruire,
s’amender et faire un pas vers la société »523, pourtant tel est encore aujourd’hui le pari des
pouvoirs publics et des idéologues de la prison qui refusent de voir la cruelle réalité du monde
dans lequel sont enfermés plusieurs dizaines de milliers d’individus chaque année. Ce regard doit
donc être porté, comme le font singulièrement le Conseil de l’Europe524 ou l’Observatoire
international des prisons525, notamment en s’attachant tout d’abord aux questions d’hygiène et de
prise en charge médicale (A), et ensuite aux difficultés psychologiques relativement souvent
liées à la solitude, l’isolement ou même les différentes addictions (B).
A. Hygiène et prise en charge médicale, une obligation morale et sociale
Le rapport Clément rappelait que « 40 % des nouveaux détenus n’ont aucun contact avec
le système de soins dans les 12 mois précédant leur incarcération »526, une situation complexe
qui laisse bien souvent aux médecins interne aux établissements découvrir des infections ou
maladies qui ne sont même pas connu de leurs patients. Au-delà ce constat, on peut noter un
« manque d’éducation générale des détenus par rapport à l’hygiène »527, d’ailleurs, la principale
519 65 % des entrants sont sans activité à l’extérieur, 28 % en situation de chômage non indemnisé (DANET (J.), op. cit., p. 236) 520 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 43 521 DANET (J.), op. cit., p. 236 522 Ibidem523 VASSEUR (V.), op. cit., p. 214 524 GIL-ROBLES (A.), Rapport 2006 sur le respect effectif des Droits de l’Homme en France, Conseil de l’Europe, éd. des Equateurs, Strasbourg 2006, 270 p. 525 OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP), Les conditions de détention en France, éd. La Découverte, Paris, 2005, 285 p. 526 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 43 527 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.
101
organisation syndicale de personnels a fait part des résultats d’une enquête réalisée « pour se
faire une idée de la pénibilité des tâches » dévolues aux surveillants : 76 % évoquent le manque
d’aération, 72% la fumée et les odeurs, 59% la poussière, 18% pour le contacts avec les
animaux…528 Le rapport de l’OIP pointe les odeurs remontant des canalisation, les douches «
pour la plupart insalubres, sans aération et couvertes de moisissures », pour des détenus qui ne
peuvent que très rarement se laver quotidiennement.529 De plus, l’organisation fait état de
manquements réels en terme de conservation des produits alimentaires, et note, sur la base de
visites de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), « un risque
réel pour la survenue de toxi-infections alimentaires » à la maison d’arrêt de Dijon, mais cela
n’est qu’un exemple…530
Par ailleurs, et malheureusement, trop peu d’établissement assurant une permanence des
soins na nuit et le week-end, pour la plupart, la journée se termine à 17 heures. Avec la loi de
1994, des unités de consultations et soins déambulatoires (UCSA) ont été crées dans les prisons
avec des équipes médicales fournies par les hôpitaux publics. Les détenus nécessitant des
examens médicaux ou une intervention chirurgicale sont transférés par les forces de l’ordre dans
un hôpital public. Ceux qui doivent être hospitalisés sur la longue durée sont incarcérés à
l’hôpital pénitentiaire de Fresnes. Globalement, ces UCSA semblent « bien tenues » note Alvaro
Gil-Robles.531 Il reste qu’il est difficile de pouvoir être autorisé à consulter un spécialiste dans la
grande majorité des établissements.532 Les délais d’attente, qui peuvent déjà être relativement
long en extérieur, sont généralement de plus de trois mois, et il devient de plus en plus rare que
les médecins acceptent de se déplacer.533 Dans ces conditions, des extractions médicales sont
nécessaires, comme pour les interventions chirurgicales, et la France se distinguent par la
circulaire du 18 novembre 2004 qui autorise le directeur de l’établissement pénitentiaire à
imposer le port de menottes et la présence de surveillants pénitentiaires même pendant
l’intervention elle-même, afin de minimiser les risques d’évasion. Pourtant, comme le relève le
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, les évasions en cette situation
restent relativement rare, on en a noter quatre en 2004 sur près de 55 000 escortes.534 D’ailleurs,
il est étonnant que la France conserve de telles dispositions – et puisse même les conserver –
puisqu’elle a déjà été condamné à deux reprises, en 2002 et 2003 (et l’arrêt définitif en 2004),
par la Cour européenne des droits de l’homme pour utilisation abusive de menottes et d’entraves
528 UFAP, L’univers pénitentiaire, juin-juillet-août 2004, in OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP), op. cit., p. 118 529 OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP), op. cit., p. 119 530 Ibidem, p. 120 531 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 140 et s., p. 65 et s. 532 Ibidem, p. 23 533 Ibidem, p. 124 534 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 147, p. 68
102
lors de transports à l’hôpital.535 On peut tout de même se satisfaire qu’une femme enceinte, en
train d’accoucher, n’ait plus besoin de telles menottes pendant une mise au monde.
Heureusement, le code de procédure pénale prévoit la possibilité de suspendre ou de
fractionner l’exécution d’une peine d’emprisonnement « pour motif grave d’ordre médical,
familial, professionnel ou social »536, mais il reste relativement peu utilisé. Egalement, depuis la
loi dite Kouchner du 4 mars 2002, il est possible de bénéficier d’une autre mesure permettant de
suspendre les peines privatives de liberté au profit des « condamnés dont il est établi qu’ils sont
atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement
incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues
en établissement de santé pour troubles mentaux »537. Ces dispositions répondent à la nécessité
de mettre notre législation en conformité avec les exigences de l’article 3 de la Convention
européenne des droits de l’homme prohibant les traitements inhumains ou dégradants. Sont
notamment concernés les détenus grabataires ou atteints de maladies comme le Sida ou le cancer.
Selon l’article 720-1-1, la nature correctionnelle ou criminelle, la durée de la peine restant à
subir, n’importent pas. Mais la décision qui accorde une telle suspension, n’a pas à en fixer le
terme, celui-ci dépendant de l’évolution de l’état de santé du condamné. Des avancées notables,
qui restent encore trop peu utilisées au vu du nombre de décès recensé chaque année538, de la
même manière l’offre de soins psychologique reste très insuffisante, surtout compte tenu de
l’isolement, la solitude et bien souvent des addictions.
B. Solitude, isolement, addictions, des difficultés psychologiques quotidiennes en détention
En 1986, ont été créés au sein des établissements pénitentiaires, des services médico-
psychologiques régionaux (SMPR), chargés de dépister les maladies mentales, d’œuvrer à la
prévention des suicides et prodiguer des soins, avec le consentement obligatoire et nécessaire des
détenus. Malheureusement, ces services, s’ils bénéficient de moyens importants, sont
généralement installés dans des « locaux vétustes et non adaptés aux soins, […] de telles
conditions nuisent grandement à la qualité des soins et décuplent les difficultés des personnels
soignants ».539 La situation est encore plus difficile pour les femmes, car il n’existe que deux
SMPR sur tout le territoire français (dix places à Fleury-Mérogis, et à Strasbourg où elles
535 CEDH, Mouisel contre France, 14 novembre 2002, et CEDH Hénaf contre France, 27 février 2004 536 Art. 720-1 CPP 537 Art. 720-1-1 CPP 538 Sans pouvoir connaître la raison du décès : 233 en 2004, 250 en 2003, 247en 2002, 236 en 2001 (OBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP), op. cit., p. 273) 539 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 158, p. 73
103
peuvent consulter les médecins mais plus bénéficier d’un suivi en raison des risques de la
cohabitation hommes-femmes).540
Aujourd’hui, 33 % des entrants en détention cumulent des consommations à risque (alcool,
tabac, drogue, psychotrope) et 27 % des mineurs déclarent avoir une consommation habituelle de
drogue.541 Egalement, « un détenu sur deux entrant en détention souffre de troubles de la santé
mentale » relève la mission Clément, et le nombre de suicide est en nette augmentation depuis
plus de dix ans.542 Près de 10 % des nouveaux détenus déclarent avoir fait l’objet d’un suivi
psychiatrique régulier dans les 12 derniers mois précédant l’incarcération, mais s’il est admis que
l’offre de soins psychiatrique est insuffisante543 puisque près de 800 poste de psychiatres sont
vacants dans le secteur public, il faudra du temps pour que ceux-ci soient pourvus. Par ailleurs
on peut aussi se poser la question pourquoi « il n’existe pas encore de structures spécifiques
dédiées à l’accueil et au traitement de longue durée des délinquants souffrant de troubles
psychiatriques graves »544, cependant le rôle des pouvoirs publics est plus justement d’apporter
des réponses et des solutions… Parce qu’aujourd’hui, on peut noter une augmentation
préoccupante dans les établissements pénitentiaires du pourcentage des détenus présentant des
troubles mentaux et pathologies psychiatriques avérées545, puisqu’il y aura environ « huit
hommes sur dix et plus de sept femmes sur dix qui présentent au moins un trouble psychiatrique,
la grande majorité cumulant plusieurs troubles » selon une étude épidémiologique sur la santé
mentale des détenus.546 Parmi les affections repérées, l’étude évoque 40% de dépressions, 33%
d’anxiétés généralisées, 20% de névroses traumatiques, 17% d’agoraphobies, 7% de
schizophrénies et 7% de paranoïas ou psychoses hallucinatoires chroniques.547 Une des raisons
principales de leur présence en prison tiendrait au fait que « le malade mental est plus que tout
autre citoyen exposé à la précarisation ou à une marginalisation qui ne peuvent que l’exposer à
une petite délinquance acquisitive ou à des violences en cas de prise de drogues ou d’alcool »
nous explique les professeur Senon et docteur Manzanera.548 Très souvent les troubles mentaux
ne sont pas reconnus par la juridiction de jugement, beaucoup d’affaires étant traités dans des
540 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 160, p. 73 541 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 43 542 Selon les chiffres de l’Administration pénitentiaire, le nombre de suicide en détention est passé de 59 en 1990 à 122 en 2002 ; pour 2004, elle relève 115 suicides en 2004 et 757 tentatives (CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 44) 543 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 44 et 50 544 Ibidem, p. 65 545 SENON (J.-L.), MANZANERA (C.), art. préc. 546 Ministère des Solidarités, de la Santé et de la Famille / ministère de la Justice, colloque « Santé en prison : dix ans après la loi : quelle évolution dans la prise en charge des personnes détenus ? », 7 décembre 2004, inOBSERVATOIRE INTERNATIONAL DES PRISONS (OIP), op. cit., p. 139 547 Ibidem, étude menée auprès de 800 détenus par les professeurs B. Falissard et F. Rouillon à la demande conjointe des ministères de la Justice et de la Santé 548 SENON (J.-L.), MANZANERA (C.), art. préc.
104
procédures accélérées, telles que la comparution immédiate où aucune évaluation d’expert n’est
en règle présente, sauf dans les rares cas de réquisition, qui ne peuvent proposer qu’une
évaluation limitée. Ces cas sont sûrement une autre explication du pourcentage élevé de malades
mentaux dans les établissements pénitentiaires.
Bien sûr, les conditions de détention, si elles n’arrangent rien, peuvent également être à
l’origine de troubles psychologiques voire psychiatriques. D’ailleurs, certains détenus mangent
de tout : « lames de rasoirs, clés, couteaux, fourchettes, lunettes… »549, et au-delà ces
ingurgitations, les médecins constatent de très nombreuses mutilations, ce qui devrait être
considéré comme des appels au secours. Mais si beaucoup de médecins le considèrent comme
tel, ils n’ont malheureusement aucun moyen à leur disposition pour les traiter sur le long terme,
puisqu’ils ont déjà en emploi du temps surchargé, et qu’il n’existe pas de lieu adapté pour les
recevoir compte tenu de leur dangerosité. La solitude et l’ennui, le non-sens de la peine, et
l’inutilité personnelle que l’on peut ressentir, sont bien entendu tant de facteurs qui peuvent
donner naissance à ce genre de troubles, puisque, comme l’exprime très bien Nicolas Frize,
« purger une peine de prison, c’est d’abord être ramené à rien, réduit à la passivité,
l’autodestruction, l’inutilité, la solitude gratuite, inefficace et éternellement froide ».550 Pourtant,
si la promiscuité en cellule est – à juste titre – vivement critiquée, la question de l’encellulement
individuel continue à poser débat. Un tel système a au moins l'avantage d'empêcher les « détenus
de devenir pire qu'ils n'étaient » disait Tocqueville551 qui défendant un système carcéral dans
lequel le silence serait rigoureusement obligatoire. Pour la député européenne Roseline Bachelot,
il est nécessaire d’appliquer le principe « un être humain - une cellule » afin de leur garantir une
intimité.552 Le responsable de la commission prison de la Ligue des droits de l’homme, estime
quant à lui, que si l’intimité doit pouvoir être préservée, « on se répand en idées reçues sur le
temps d’isolement de l’incarcération, occasion idéale de se pencher sur soi et ses actes », alors
que la réflexion y est elle-même « carcéralisée » et où la personne détenue « n’en finit plus de
ressasser, avec une paranoïa croissante […] [parce que] personne ne peut se suffire à soi-même
»553. Pour lutter contre la solitude, et garantir une intimité – qui ne se veut pas que personnelle –
la priorité semble devoir surtout être donnée à la création dans tous les établissements d’unités de
vie familiale pour permettre à chaque détenu de conserver ses liens si précieux et indispensables
à toute resocialisation. Toutefois, au-delà la question du bien-être psychologique en lui-même, il
semble qu’un travail très important doive être mené s’agissant des conditions physiques et
549 VASSEUR (V.), op. cit., p. 33 550 FRIZE (N.), op. cit., p. 22 551 TOCQUEVILLE (A.), op. cit., p. 135 552 BACHELOT (R.), « Garantir l’intimité et la dignité », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 16 553 FRIZE (N.), op. cit., p. 65
105
matérielles de détention, conditions qui par ailleurs ont un lien direct avec la santé mentale des
personnes détenues.
§ 2 : Sur les conditions physiques et matérielles de détention
Le docteur Vasseur livrait en 2000, le constat accablant à l’opinion publique de l’état des
conditions de détention à la prison de La Santé. Elle écrivait : « les cellules font dix mètres carrés
et demi et accueillent trois ou quatre détenus. […] La fenêtre est minuscule et aucun air ne
circule. Les carreaux cassés ne sont pas changés, le W-C collectifs n’a même pas de paravent et
on s’étonne qu’ils soient tous constipés. Essayer de déféquer devant trois inconnus ! La vermine
envahit les matelas ».554 Quel citoyen, dans l’utopie du Contrat social, aurait pu livrer une partie
de sa liberté de vivre dignement en raison d’infraction, d’irrespect envers la Société ? Personne
bien entendu, et c’est parce que ces conditions sont indignes d’un être humain qu’elles doivent
cesser au plus vite afin de permettre une réelle sanction s’il en est besoin mais dans le respect
effectif des droits de l’homme. Ces conditions de détention déplorables entraînent bien sûr des
tensions internes aux établissements, tant entre détenus qu’avec le personnel ou l’administration.
C’est pourquoi s’exerce parfois une véritable pression sécuritaire au-delà la discipline bien
entendu nécessaire (A) à ce type d’établissement. D’un autre côte, si l’Administration
pénitentiaire manque elle aussi cruellement de moyen pour mener à bien sa mission de service
public, la condition financière d’une large part des détenus témoignent d’une situation
particulière difficile et c’est pour cela qu’il convient de poser la question de l’argent et des liens
entre crise économique – y compris personnelle – et détention (B).
A. Pression sécuritaire et discipline nécessaire
Les témoignages de certains détenus font apparaître un sentiment de trop grande sévérité
à leur égard de la part du personnel surveillant et de l’administration en général. Néanmoins, ces
mêmes détenus conviennent pour beaucoup qu’« il faut apprendre la discipline, le travail, là on
fabrique de la délinquance ».555 De l’autre côté, la mission Clément fait remarquer que le nombre
des agressions subies par les personnels pénitentiaires a très fortement augmenté ces dix
dernières années (de 127 en 1996 à 580 en 2002).556 Se pose alors la question de l’équilibre à
découvrir entre la nécessaire discipline qui doit régner et être inculquer aux détenus à la fois pour
des questions de sécurité (des détenus et du personnel) et d’apprentissage de certaines règles de
vie, et l’excès dans lequel il ne faut pas tomber du recours abusif à l’isolement, aux bagarres
554 VASSEUR (V.), op. cit., p. 48 555 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.556 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 44
106
entre détenus qu’on laisse se terminer pour donner une leçon… Par ailleurs, la situation des
« pointeurs », les criminels sexuels, devrait être reconsidérée. En effet, ceux-ci vivent en
permanence sous la menace, ils sont « les têtes du Turcs des autres détenus […] moins
considérés que des tueurs »557. Certains témoignent : « dans la douches on nous enferme, et les
coups pleuvent pour les gens comme nous. Et il n’y a personne pour arrêter ça. Certains sont
sortis de là en sang, mais ils ont fermé leur gueule ».558 Pourtant, il est un devoir pour
l’administration, et il devrait être enseigné aux détenus, de « respecter l’homme, même le
pire »559 car rien n’est possible sans le sentiment d’être respecté. Et ce sentiment est d’une
absence remarquable en prison. Des « mesures de gestion se transforme trop facilement en
mesure disciplinaire »560 remarque Alvaro Gil-Roblès à propos de la mise à ce que l’on nomme
couramment le « mitard ». Pour aider à se faire une image, le docteur Vasseur explique que « le
mitard, pour chaque détenu qui y séjourne, c’est une cellule nue et sale, sans aération. […] On ne
voit presque rien […], un chiotte à la turque dont on a du mal à imaginer qu’un jour il fut blanc.
Une plaque de mousse pour dormir, le jour, un drap pour la nuit ; aucun meuble. Quelques jours
dans cet enfers, et on transforme le plus gentil des garçons en bête féroce »561. Comment rendre
plus dangereux qu’en enfermant dans un telle cellule par un procédure ne respectant que si peu
les garanties du procès équitable et donc le nécessaire respect dévolu à chacun des détenus ? Le
régime disciplinaire est un ensemble de règles mettant en place des sanctions suites à la violation
des règles de détention et impliquant un placement dans des cellules spécifiques situées dans un
quartier isolé appelé « quartier disciplinaire ». Actuellement, un individu est placé dans un tel
quartier qu’après décision d’une commission de discipline de l’établissement, organe compétent
pour se prononcer sur les fautes disciplinaires des détenus, présidée par le chef d’établissement
qui détient seul le pouvoir de décision, ses deux assesseurs – qu’il désigne parmi le personnel de
surveillance, et qui lui sont hiérarchiquement soumis – n’ayant qu’une voix consultative. En
revanche, toute décision doit être prise en audience après audition de l’intéressé. Cependant, il
pourrait être de bon augure de faire participer le JAP à cette commission de discipline… Depuis
l’arrêt Marie du Conseil d’Etat en date du 27 février 1995, les détenus peuvent néanmoins
soumettre la décision de la commission, en fait du chef d’établissement, au contrôle du juge
administratif. Par ailleurs, un décret du 2 avril 1996 est venu encadrer cette procédure,
notamment en énumérant les fautes pouvant donner lieu à ce type de sanction. Enfin, la loi du 12
557 « La loi du plus fort… ou du plus fou », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 28 558 Ibidem 559 « Respecter l’homme, même le pire », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 32 560 GIL-ROBLES (A.), « Contrôler l’isolement », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 22 561 VASSEUR (V.), op. cit., p. 49
107
avril 2000 a modifiée la procédure, permettant à toutes personnes détenues et passant devant la
commission de discipline, d’être assisté par un avocat (mais l’audience peut avoir lieu en son
absence) et d’avoir accès au dossier. De toute façon, toute les évolutions qui vont dans le sens
d’une meilleure garantie des droits du détenu, mais également dans le sens d’une plus grande
pédagogie avec l’aide de l’avocat, ne peuvent que concourir à réduire les tensions internes aux
établissements pénitentiaires, et ainsi améliorer le travail de projection sereine dans l’avenir des
détenus. Malgré tout, les garanties du procès équitable manquent encore même après les
réformes précitées. En effet, le détenu ne peut faire citer de témoins, le temps de préparation de
l’audience reste très limité, et les avocats sont bien peu formés en droit pénitentiaire.562 En outre,
la durée maximale de maintien en cellule disciplinaire est de 45 jours, et paraît, notamment pour
le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, « tout à fait excessive au regard
de l’exigence de proportionnalité des peines ».563 Il faut d’ailleurs noter que cette durée fait du
quartier disciplinaire français l’un des plus sévères d’Europe.564 A proximité des quartiers
disciplinaires, on peut souvent apercevoir des quartiers d’isolement, dans lesquels sont placés les
détenus qui en font la demande, ou d’autres par mesure de précaution ou de sécurité, mais ne
constitue pas une mesure disciplinaire.565 Mais il s’agit d’une procédure « entièrement opaque »
et qui peut être utilisée « par des chefs d’établissements pour écarter du reste de la détention des
détenus gênants, suspects, meneurs, sans qu’ils n’aient commis de faute disciplinaire ».566
D’autres, considérés comme particulièrement dangereux du fait de leur appartenance au grand
banditisme, à une mouvance terroriste, ou en raison de leur passé judiciaire ou pénitentiaire
important, peuvent faire l’objet de mesures de sécurité particulières et être soumis à un régime
d’isolement renforcé, notamment en étant transféré tous les six mois environs d’une prison à une
autre.567 Si cet isolement peut être ordonné par le juge d’instruction à l’encontre d’un prévenu
dans le cadre d’une enquête, il peut également l’être par le chef d’établissement, et cette
procédure « présente un certain nombre de problèmes de nature à remettre en question le respect
des droits fondamentaux » de ces personnes.568 Si la question disciplinaire pose un sérieux
problème à l’administration pénitentiaire, au-delà les conditions physiques et psychologiques
difficiles en détention, un lien peut être également fait avec la question financière personnelle
des personnes détenues.
562 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 121, p. 59 563 Ibidem564 Les maxima de l’isolement punitif sont de 3 jours en Ecosse et Irlande, 9 jours en Berlgique, 14 jours en Angleterre, 15 jours en Italie et Pays-Bas, et enfin 28 jours en Allemagne. (GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 121, p. 59) 565 Cf. art. D. 283-1 et 2 CPP 566 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 123 et 124, p. 60 567 Ibidem, n° 126, p. 60 et 61 568 Ibidem, n° 127 et s, p. 61 et s.
108
B. Crise économique et détention
Georg Rusche, théoricien d’influence marxiste de l’Ecole de Franfort, s’est efforcer
d’étudier les rapports entre l’histoire économique et l’histoire du régimes des peines voire de
l’inflation carcérale. Il démontre que l’Etat a découvert qu’une recherche du profit était possible
à partir de l’ensemble du système pénal.569 Puis d’autres études sont venues confronter nombre
de détenus et taux de chômage, crise économique et criminalité, démontrant que le nombre de
personnes incarcérées s’accroît en période de récession économique.570 Logiquement, les
personnes entrant en prison ne sont pas issues des classes possédantes, et sont bien souvent
nécessiteuses. Si aujourd’hui, on peut toujours parler de crise économique d’un point de vue
global, il est également possible de parler de crise et d’urgence économique à un niveau
personnel s’agissant des personnes détenues. En effet, « 16 % sont indigents, ce qui signifie
qu’ils disposent d’un compte nominatif dont le solde est inférieur à 45 euros » et « 20 % des
détenus sortants de détention avaient moins de 8 euros sur leur pécule de sortie selon un
diagnostic établi en 1997 ».571 La vie carcérale a un coût non négligeable pour le détenu, estimé
entre 150 et 200 euros par mois572, parce qu’en prison, tout s’achète et tout est cher. « Le prix
des cantines est à peu près celui des supérettes des sports d’hivers… »573, selon une comparaison
assez osée mais évocatrice du docteur Vasseur. Pourtant, certains pensent encore que privé de sa
liberté, le détenu ne saurait être rémunéré comme le serait une personne libre car contrairement à
cette dernière, il n’a pas à engager des dépenses liées à son alimentation et à son logement,
pourtant, pour beaucoup d’entre eux, reste également une partie ou même la totalité des
indemnités à verser aux victimes. Les prix importants pratiqués à l’intérieur des prisons
s’expliquent selon certains détenus par que la gestion appartient à une société privée.574 Le
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe se dit lui aussi « surpris de constater
que bien qu’il s’agisse d’un service public général, l’administration pénitentiaire a été assez
décentralisée pour que les prix des services offerts aux prisonniers dans les différents
établissements varient d’une manière considérable. »575 Les exemples sont multiples mais deux
seront ici retenus. Tout d’abord, le prix d’un kilogramme de sucre coûte environ 0,90 euros à
l’extérieur, mais 1,27 euros à la Santé, 1,48 euros à Fleury-Mérogis, ou encore 1,45 euros à 569 RUSCHE (G.), « Marché du travail et régime des peines, contributions à la sociologie de la justice pénale », 1933, traduction de LEVY (R.), Dév. et Sté, 1980, IV, 2, p. 125 570 GODEFROY (Th.), LAFFARGUE (B.), « Crise économique et criminalité. Criminalité de la misère ou misère de la criminalité ? », Dév. et Sté, 1984, VIII, 1, p. 73 571 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 43 572 MOUESCA (G.), « Etat des lieux du cercle vicieux liant pauvreté, exclusions et milieu carcéral », n° 186, mars/avril 2006, p. 61 573 VASSEUR (V.), op. cit., p. 61 574 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.575 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 95, p. 50
109
Strasbourg, cela parce que « les prix sont fixés par le directeur d’établissement après
concertation avec des prestataires de services extérieurs choisis à la suite d’appels d’offres
publics »576. Un autre exemple illustre une incohérence particulière pour un service public, celle
de faire du profit au détriment de la santé financière de ses usagers. Il s’agit du prix de la
télévision, qui au-delà d’être très variable entre établissements, est généralement « amorti en cinq
ou six mois, et à partir de là, l’établissement pénitentiaire commence à en tirer profit ».577
D’autre part, pour prendre l’exemple de la maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelonne, la
location d’une télévision coûte 31 euros par mois. On pourrait penser qu’il serait possible de se
cotiser à l’intérieur de la cellule pour se partager ce prix. Il n’en est rien. Pour une seule
télévision, chaque personne qui en aura fait la demande paiera le même prix. On pourrait alors
expliquer ce fait par un souci de justice sociale, pour que chacun paie la même chose. Pourtant la
prison ne semble pas d’être un exemple en terme de justice sociale, bien au contraire par le
fonctionnement des mandats (argent que l’on reçoit de l’extérieur), les inégalités sociales et les
difficultés financières individuelles sont reproduites à l’intérieur de l’établissement.
La question de l’emploi des détenus pourrait venir solutionner en partie ces problèmes
d’ordre financier. Mais il n’en est rien compte tenu que « la paye est misérable, je suis maçon, je
travaille pour eux toute la semaine et je touche que 130 euros par mois »578. Les salaires sont de
fait largement inférieur au SMIC, et même si l’Administration pénitentiaire a institué un salaire
horaire minimum (2,76 euros en maison d’arrêt et 2,99 euros en établissement pour peines), il
semble qu’il ne soit pas très souvent respecté. Ainsi, par exemple, à la maison d’arrêt de Rouen,
l’examen des bulletins de paie a montré que le salaire horaire était compris entre 0,85 et 1,35
euros.579 De plus, moins de la moitié des détenus disposent d’une activité rémunérée en 2002, et
le niveau moyen de rémunération du travail ou de la formation professionnelle ne dépassait pas
162 euros.580 Dans cette situation, certains proposent de créer un « revenu minimum pour les
détenus […] parce qu’il n’y a pas de raison que les prisonniers n’en bénéficient pas, et parce que
l’opinion doit savoir que rien n’est gratuit en prison ».581 D’autres pensent qu’il faudrait instaurer
une gratuité pour les produits de première nécessité » comme le savon par exemple qui
permettrait de faire reculer un peu le trafic (puisque le savon peut constituer une monnaie
d’échange) et ferait aussi gagner du terrain sur les maladies dues au manque d’hygiène. En fait,
toutes ses propositions pourraient être mises en œuvre pour un meilleur traitement des détenus et
576 Ibidem, n° 96, p. 51 577 Ibidem, n° 99, p. 52 578 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.579 MOUESCA (G.), art. préc..580 Ibidem581 BOUTIN (C.), « Un revenu minimum pour les détenus », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 26
110
donc de la récidive. Mais la réalité est que « bien loin d’être la réponse pénale réservée aux
infractions les plus graves, l’emprisonnement n’est rien d’autre que la peine du pauvre, […] la
négation même de toute individualisation de la sanction, elle encourage plus qu’elle ne limite la
récidive »582. On peut par ailleurs s’étonner qu’à la sortie de prison, l’individu, qui bénéficiait
initialement des minima sociaux, perd ses droits aux allocations et aides sociales, de sorte qu’un
grand nombre de personnes libérées se retrouvent complètement démunies et privées de
ressources.583 Dans ce contexte, il devient donc difficile de parler de politique de réinsertion.
Pourtant, nombreux sont les rapports d’activité des maisons d’arrêt montrant que, faute de
personnels en nombre suffisant, les SPIP sont contraints de concentrer leurs efforts sur l’aide
sociale d’urgence, notamment pour lutter contre l’indigence à la sortie par la distribution de
« kits sortants »584. Le rapport Warsmann a par ailleurs montré que, bien que les SPIP soient
censé accompagner les détenus lors de leur libération, en règle générale, ils n’interviennent qu’à
leur demande laissant ainsi les plus démunis sans aucun soutien. La réinsertion dépend donc
principalement de la volonté du détenu et de l’investissement des différentes associations
gravitant autour de l’univers pénal. Toutefois, on se demande comment, avec simplement
quelques euros en poche, une haine des pouvoirs publics, aucun logement, un lien familial
rompu, et une fragilité psychologique, certains détenus, et notamment des récidivistes, vont
pouvoir se fondre dans la société, en toute légalité. Il devient donc urgent de transformer notre
mode de réaction sociale, et principalement la sanction pénale qui lui est attachée, pur qu’enfin
un sens lui soit redonné.
Section 2nde : Redonner un sens à la peine
L’étude menée à Villeneuve-Les-Maguelonne585 laissait lire que 53,1 % des personnes
détenues récidivistes pensaient que la prison était une « réponse particulièrement inadaptée à
leurs actes », si une sanction leur semblait logique, ils préféraient que celle-ci puisse être utile, à
eux comme à la société (pour une majorité des interrogés), en fait, qu’elle est du sens. Parce qu’il
semble pour beaucoup évident, qu’aujourd’hui le sens de la peine doit « être dirigé vers son
issue : prend sens ce qui donne espoir, conduit, aboutit ! »586 La prison donne-t-elle espoir ?
Aboutit-elle à quelque chose ? Pour le professeur Hulsman, « la prison […] n’est pas seulement
582 MOUESCA (G.), art. préc.583 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 104, p. 53 584 MOUESCA (G.), art. préc. 585 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.586 FRIZE (N.), op. cit., p. 80
111
le retrait du monde normal de l’activité et de l’affection, elle est aussi et surtout une entrée dans
un univers artificiel ou tout est négatif. Voilà ce qui fait de la prison un mal social spécifique :
elle est une souffrance stérile […], souffrance non créatrice […], cette souffrance-là est un non-
sens. »587 Pourtant, tant l’administration que les détenus doivent nécessairement ce poser cette
question du sens (§ 1) pour pouvoir vivre la peine du mieux possible, avec un projet en sortie, et
un avenir qui puisse se dessiner. Simplement se poser la question ne résoudrait rien bien sûr, et
c’est pourquoi au-delà le sens à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, la responsabilité
sociale est de vraiment donner du sens à cette peine (§ 2), en pensant la sortie, en travaillant à
cette idéale resocialisation.
§ 1 : Se poser la question du sens
« La justice prononce la sanction, la concrétise dans la prison, puis somme le condamné
(et elle se sauve ventre à terre) d’y mettre le contenu ! »588 alors que dès le jugement, la
responsabilité du magistrat investi du pouvoir de juger par la société devrait – s’il en avait
notamment le temps – expliquer, justifier la nécessité réelle de la peine prononcée, encore plus
en cas d’emprisonnement. Certains diront que cela est fait. D’autres objecteront l’illisibilité de la
justice, tant de ses lois que des décisions rendues que ce soit dans leur méthode de rédaction
décalée du langage commun, ou dans la singularité de l’argumentation judiciaire syllogistique.
« Pourtant, la réinsertion […] est directement liée à l’intégration dans un système de classes, de
normes, de culture ou de droits »589 et ne pas permettre au délinquant d’aborder la sanction dans
un esprit clair du fait d’une culpabilité jugée – selon eux – incertaine, ne peut en rien les préparer
à assumer leur condamnation. Lorsque la Justice est à côté des délinquants ou que ceux-ci sont à
côté de la Justice, la vision et surtout la compréhension – ou l’incompréhension –, depuis leur
catégorie sociale respective, de « la soumission à un tel système hiérarchique (familial, social,
moral) et économique (libéral) tout puissant et fortement policé provoque des exclusions. »590
Pourtant, et le sens du jugement (A), et le sens de la sanction pénale en elle-même (B) doivent
être posé, et surtout recherché, pour chaque individu, afin qu’il puisse se repositionner dans la
société et engager, dès le début de sa peine, un vrai processus de resocialisation.
587 HULSMAN (L.), BERNAT DE CELIS ( J.), op. cit., p. 65-66 588 FRIZE (N.), op. cit., p. 63 589 Ibidem590 Ibidem
112
A. Le sens du jugement
Le jugement, « mélange de faits et de psychologie […] ne relève que du passé […] et
revendique d’être en soi l’acte qui octroie le sens. »591 Le sens de la peine, ce serait « d’être
prononcée ! »592 Il est pourtant si difficile, pour la victime comme pour le délinquant – mais à
des degrés différents bien sûr – de, dès lors se tourner vers l’avenir pour reprendre sa vie, en
s’adaptant aux épreuves. Cela parce que, pour les deux protagonistes principaux du procès,
« tout le travail de la justice est à rebours du temps, invariablement tourné vers le délit ou le
crime, l’alimentant, le nommant, étudiant ses diverses représentations, réactivant sa présence »593
à chaque instant de la procédure. Même si certains parlent de « deuil » à faire pour la victime, il
faut sans cesse rappeler que l’intérêt social – qui doit être privilégié – est que la récidive
n’intervienne pas et que la paix sociale soit assurée. Au-delà la nécessaire réparation de la
victime, la sanction pénale ne saurait traduire l’idée ni de vengeance privée de cette dernière, ni
celle de vengeance sociale. Le jugement, et la peine qui lui est attachée, doivent être le début
d’une phase de reconstruction pour l’un et pour l’autre. La prison qui n’opère qu’une destruction,
ne permet pas d’aboutir convenablement à la réinsertion en fin de peine. Des alternatives doivent
enfin, effectivement, et en masse, être développées pour le bien de tout le corps social. Il est
demandé aux détenus de s’analyser, réfléchir sur leurs actes, et d’assumer leur responsabilité.
Cela est d’une part difficile quand la justice devient expéditive, et encore plus quand on passe
beaucoup de temps en détention provisoire alors qu’on est présumé innocent. Nicolas Frize
rappelle aussi que « répondre de ses actes et les assumer présuppose de reconnaître l’autorité qui
l’exige. Sans cette liaison tacite et politique entre la société et soi, pas de règlement du passé, pas
de présent possible, pas de projet. Or il est difficile d’exiger des personnes condamnées qu’elles
reconnaissent cette autorité, corps protecteur de la société, si celle-ci se comporte de façon
indigne », notamment du fait de certains procès qui ne convainquent pas (Outreau est sans doute
le meilleur exemple, même s’il y eu Dreyfus et beaucoup d’autres), mais aussi du fait des
conditions de vie déplorables en détention, et plus largement, c’est l’Etat qui est visé, dépositaire
de la violence gratuite mais « légitime ». S’agissant des récidivistes, on a pu observer que le
sentiment en faveur d’une durée de la peine estimé juste décroissait sensiblement avec
l’augmentation du nombre de condamnations, compte tenu d’une très forte impression d’être
jugé sur leur passé.594 Bien sûr, trouver un sens, à un jugement et donc une peine qui ne vous
apparaît qu’être le reflet de votre casier judiciaire et non des faits que vous invoquez, paraît
relever d’une épreuve de conscience redoutable. Cependant, même lorsqu’ils sont conscients de
591 Ibidem, p. 26 592 Ibidem593 Ibidem, p. 58 594 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.
113
leur faute, beaucoup considèrent que la durée de la peine prononcée est excessive, et arguent
qu’ils ne font donc plus confiance à la justice, et dans une attitude braquée s’enfonce dans un
délinquance d’habitude, déclarant avoir désormais pour seule volonté d’être plus « prudents »
dans leurs futures activités.595 De plus, « une idée s’est peu à peu installée dans l’esprit des juges
d’instruction : de confier le sens de la peine non plus à l’institution, mais au condamné lui-
même ! Qu’il fasse sa peine, qu’il l’invente, l’habite, la vide ou la comble, la refuse (suicide ou
évasion) ou y succombe, il lui appartient de s’y adapter, de s’accommoder de sa perplexité, de sa
souffrance, de sa nouvelle impuissance ! »596 Le condamné est livré à lui-même ou presque, il
pourra bénéficier du maigre soutien – mais au combien déjà important – de sa famille, de ses
proches, certaines associations, parfois certains membres du personnel pénitentiaire ou plus
généralement des intervenants en prison, avec toute la relativité de leurs moyens. Plus tard, à sa
sortie, « la casserole du délit ou du crime que le condamné traîne à grand bruit derrière lui va
l’empoisonner pour toujours. C’est la plus grande des peines […], faire du condamné un
coupable éternel »597, alors que, comme on le dit généralement, cet ex-détenu a payé sa dette.
Malheureusement, « cette stigmatisation perdure chez de nombreux détenus qui se pensent et se
présentent comme ex-détenus après leur sortie de prison, inventant ainsi la « triple peine ». »598
B. Le sens de la sanction pénale
« La prison provoque un enfermement sensoriel ; tous les sens sont distordus, sauf l’ouïe.
Le détenu trouve ses repères en entendant les bruits de clés, les repas, les relèves, le bruit des
surveillants… L’enfermement engendre des troubles de l’espace et du temps »599 relatait le
docteur Vasseur. Alors certes, quelques promenades peuvent occuper, quelques activités
sportives ou culturelles vont être prévues. Mais il n’en est rien, « le temps détruit toute causalité,
tout rapport au passé, tout dispositif de projet ; il avance dehors et reste figé dedans. »600 Il faut
donc chercher à occuper utilement son temps, afin de reprendre confiance en l’avenir, de prendre
confiance en un projet de vie en société. Cela est extrêmement difficile à réaliser en cas de
longue et très longue peine, car « une longue peine exige du détenu qu’il mette en place un
dispositif de survie indolore qui passe par un profond enterrement psychique, afin d’optimiser
son étanchéité à toutes les agressions à venir, qu’elles soient psychiques, mentales, affectives ou
imaginaires » 601. Et cela s’avère tout simplement presque impossible lorsque la condamnation
595 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.596 FRIZE (N.), op. cit., p. 27 597 Ibidem, p. 57 598 Ibidem, p. 51 599 VASSEUR (V.), op. cit., p. 59 600 FRIZE (N.), op. cit., p. 64 601 Ibidem, p. 76
114
est une peine à perpétuité. Pourtant, ce détenu sortira, un jour. Mais la confiance en l’avenir, la
construction d’un projet stable, sain et réalisable revêt un tel poids que la conscience peine le à
supporter. La perpétuité, comme les périodes de sûreté presque interminables doivent
aujourd’hui savoir être dépassées, et leur suppression se doit d’être dans un futur très proche.
« Tout homme longuement incarcéré vit dans une boucle, finit par s’égarer et ne plus rien
discerner, faute d’accès à la contradiction, à l’extériorité et à l’encouragement »602, c’est
pourquoi il paraît nécessaire de travailler à la reconstruction au sein de groupe, en recréant un
collectif, entre détenus, mais aussi à travers l’enseignement ou la formation professionnelle pour
aussi matériellement préparer sa sortie. La mission Clément rapportait que « 60 % des détenus
ont un niveau scolaire n’excédant pas celui correspondant à la fin des études primaires, […] 30
% sont en difficultés de lecture et 20 % sont illettrés. »603 Un taux de personnes en difficultés
face à l’écrit qui seraient don trois fois plus élevé en détention qu’à l’extérieur.604 Pourtant la
mission parlementaire estime que « de nombreuses initiatives sont menées afin de mettre à profit
le « temps captifs » en matière d’accès aux soins, à l’enseignement, à la formation
professionnelle ou au travail pénitentiaire », grâce au travail de « près de 380 enseignants » pour
plusieurs dizaine de milliers de détenus…605 Il est malheureusement évident toutefois que l’accès
à l’enseignement ainsi qu’à un certain éveil culturel est encore très insuffisant. « Le travail
culturel est la base du travail politique, l’art fait d’ailleurs partout reculer les religions […] »,
mais « comme par l’effet d’une immense bêtise, les biens intellectuels et artistiques s’arrêtent
aux portes des prisons, les œuvres de pensée et esthétiques s’absentent, tournent le dos, font
mine d’avoir mieux à faire »606 rappelle celui qui aussi compositeur, Nicolas Frize. « Il n’y a pas
de conquête professionnelle sans conquête culturelle […] » nous rappelle-t-il.607 Car, quand on
propose à certains travailleurs de conclure un contrat de travail et que leur premier réflexe est de
penser qu’il va les contraindre, il faut alors leur expliquer qu’il sert au contraire à protéger les de
l’arbitraire, lui comme l’employeur. « Expliquer à un travailleur détenu que le droit anticipe le
règlement des conflits, garantit la priorité de la loi sur les rapports de force ou les volontés
régaliennes, c’est lui faire découvrir un visage du droit souvent inconnu de lui et auquel il a
rarement eu accès par le passé. »608 Malheureusement, l’article 717-3 du code de procédure
pénale dispose dans son troisième alinéa que « les relations de travail des personnes incarcérées
ne font pas l’objet d’un contrat de travail », l’alinéa quatre du même article apporte une
602 Ibidem, p. 65 603 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 43 604 Ibidem605 Ibidem, p. 44 606 FRIZE (N.), op. cit., p. 81 607 Ibidem, p. 82 608 Ibidem, p. 82
115
dérogation à cette disposition pour les activités exercées à l’extérieur des établissements
pénitentiaires. « Cette conception traditionnelle repose sur l’idée selon laquelle le travail était
l’accessoire obligatoire de la peine ».609 Le Conseil économique et social a par ailleurs, dans un
avis du 9 décembre 1987, décrit cette situation comme une « zone de non-droit dont les
conséquences apparaissent toutes négatives : ni contrôle, ni sanctions des modalités de rupture,
ni possibilité de recours contentieux individuel »610, on pourrait rajouter ni pédagogie aux règles
de vie en société. D’ailleurs, les juridictions prud’homales se sont aussi déclarées incompétentes
en la matière. Le projet de loi sur la peine et le service public pénitentiaire prévoyait
l’instauration d’un contrat en détention qui ne modifiait pas véritablement les différentes formes
de travail des détenus, mais il prévoyait tout de même, « outre la formalisation des conditions
d’emploi, l’introduction de congés, de rupture ou de suspension de contrat, voire l’expression
des détenus en milieu de travail ».611 Cependant, il ne prévoyait pas pour autant l’application du
Code du travail, les contrats de détention ou de mobilisation relevant alors du droit public.
L’éveil culturel, l’échange, l’enseignement en général doit donc permettre le retour dans une vie
sociale mieux comprise. On en est très loin. Pour preuve, en 1995, suite aux conclusions de
l’Observatoire national de l’illettrisme en milieu pénitentiaire, indiquant que 39 % au total des
entrants se situent au-dessous du niveau de lecture fonctionnelle, plusieurs programmes
d’alphabétisation a été mis en place. En 2002, une nouvelle circulaire quasi identique était
produite par les ministères de la justice et de l’Eduction nationale. Malgré une légère croissance
du nombre d’enseignants, le taux d’encadrement est depuis quelques années en régression. Ainsi,
en 2002, on comptait en moyenne à peine 20,8 heures d’enseignement pour 100 détenus contre
23 heures en 2001. Une baisse concerne également le taux de scolarisation : en 2004, plus de
36,7 % des personnes scolarisées l’étaient avec moins de six heures de cours par semaines.
Encore une fois, il semble important de mobiliser des moyens importants pour que soit dispensé
un enseignement de base, mais de qualité, à la plus grande partie – l’idéal serait la totalité – des
personnes détenues. Un minimum d’acquis semble en effet nécessaire pour pouvoir
effectivement et avec des chances sérieuses tenter l’audace resocialisation. Mais cela passe
également par une meilleure et surtout plus importante formation professionnelle, en terme
d’heures et de nombre de détenus y participant. En 2002, seulement 5,4 % de la population
carcérale était concernée par la formation professionnelle, contre 6,2 % en 2003. En fait,
609 TEA (C.), « Le travail et la détention », in dossier « Une loi pénitentiaire : pourquoi ? Pour qui ? », Actes du colloque organisé par le Centre de Droit pénal de la Faculté de Droit de l’Université Jean Moulin-Lyon 3, (14 & 15 octobre 1994), Revue pénit. et de droit pénal, n° 1, 2005, p. 75 610 Ibidem611 CRASTES (G.), « Le travail en établissements pénitentiaires et le droit commun », in dossier « Une loi pénitentiaire : pourquoi ? Pour qui ? », Actes du colloque organisé par le Centre de Droit pénal de la Faculté de Droit de l’Université Jean Moulin-Lyon 3, (14 & 15 octobre 1994), Revue pénit. et de droit pénal, n° 1, 2005, p. 85
116
l’administration pénitentiaire ne dispose pas de crédits propres en cette matière, et elle doit donc
constamment faire appel à des financements extérieurs. Une situation de dépendance qui a
profondément aggravé la situation puisque le nombre de détenus en formation professionnelle a
connu une nette diminution en dix ans (3 177 en 1993, 2 400 en 2003).612 Il faut bien
comprendre que le but recherché en ce cas n’est pas de simplement de préparer, mais bien de
« mettre en œuvre des modes d’organisation que le détenu fera fonctionner »613 une fois ressorti,
une fois réinséré dans une entreprise qui lui aura fait confiance, notamment grâce au sens social
qu’il aura su retrouver.
§ 2 : Retrouver le sens social
Arriver à donner du sens à sa peine, si cela est une condition indispensable pour mieux
vivre ce temps captif, ne permet pas nécessairement aux personnes détenues de retrouver un sens
social, l’habitude des règles de vie en société, la gestion des responsabilités et de leurs émotions
personnelles. Il importe donc tout d’abord d’éviter au maximum de laisser se déliter les liens
entre le détenu et sa famille, plus largement avec tous ses proches, et même encore plus
simplement avec l’extérieur. Il est primordial de rappeler aux prisonniers qu’ils sortiront, de leur
rappeler par des rencontres avec des gens libres, pour qu’ils aient eux-mêmes la volonté de se
reconstruire, de bâtir un projet professionnel, familial et social. Cela ne sera possible qu’à la
condition qu’ils ressentent et désirent une certaine forme d’utilité sociale, qu’ils aient envie de
prendre pleinement place dans la société – si les moyens leur sont effectivement donnés
également – sinon, une fois dehors, le risque de retour à la délinquance sera plus important, les
risques de récidive n’auront en aucun cas été minimisés par la sanction. Afin d’appréhender ces
questions, il convient tout d’abord de revenir sur la nécessaire protection, ou parfois même
construction, des liens sociaux et familiaux (A). Enfin, il faudra se pencher sur les liens entre
utilité sociale – notamment par le travail – et réinsertion (B).
A. Liens sociaux et familiaux
Il convient de faire le maximum pour favoriser la détention de personnes – et notamment
celles définitivement condamnées – à proximité du lieu de domicile de leurs proches afin de
faciliter le maintien de liens. Hélas, il semble que cela ne soit pas toujours l’un des objectifs
principaux de l’administration pénitentiaire. En effet, au-delà la « politique de placement »
qualifiée parfois « d’arbitraire »614 mise en œuvre pour les détenus les plus dangereux et bien
612 MOUESCA (G.), art. préc.613 FRIZE (N.), op. cit., p. 80 614 GIL-ROBLES (A.), op. cit., n° 108, p. 55
117
souvent condamnés à de longues peines, les liens avec la famille et les proches ne sont pas assez
privilégiés. Par exemple, s’agissant de la maison d’arrêt de Villeneuve Les Maguelonne,
seulement 45 minutes de parloirs sont autorisées par semaine pour entretenir les relations avec
l’extérieur lorsque ceux-ci ne sont pas annulés en dernier minute, malgré le déplacement parfois
des visiteurs. Rapporté sur une année, on obtient moins de deux jours complets par an…
D’autres possibilités existent pourtant aujourd’hui, comme ces unités de vie familiale, qui à
l’heure actuelle, ne sont que deux ou trois en France, mais en plus qu’à simple titre
expérimental.615 Ces unités de vie familiale sont des chambres, qui ressemblent à des chambres
d’hôtels, qui permettent au détenu et à sa famille de se retrouver pour des périodes d’un ou
plusieurs jours, en fonction de sa bonne conduite à l’intérieur de l’établissement. Elles ont
l’incroyable avantage de préserver une certaine forme de vie privée, de permettre des rapports
sexuels dans l’intimité (et ainsi éviter de devoir faire l’amour derrière un drap au parloir), de voir
ses enfants dans un cadre plus approprié à leur regard, etc. et donc de ne pas perdre les réflexes
de la vie en famille, en société.
Car si « 65 % sont sans activité professionnelle et 15 % déclarent avoir un domicile
précaire ou être sans abri »616, il paraît nécessaire, pour enrayer un cycle de délinquance
d’habitude, de permettre aux détenus d’avoir une véritable chance d’insertion dans la vie en
société. Pour cela, un lien doit être tissé entre la personne et l’extérieur, la société. « Le
traitement du détenu doit donc être conforme aux principes fondamentaux d’un Etat régi par la
prééminence du droit et l’objectif primordial de la garantie des droits de l’homme… On ne peut
réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen. »617 Se pose alors la
question de l’apprentissage des règles de vie sociale, notamment par l’expérience de la
démocratie, des regroupements collectifs etc. Parce qu’il convient de rappeler que même
incarcéré, le détenu demeure un citoyen comme un autre.618 Evidemment, la question du droit de
vote se pose, notamment du fait des difficultés matérielles que cela peut poser. En vertu de
l’article L. 71 9° du code électoral, « les personnes placées en détention provisoire et les détenus
purgeant une peine n’entraînant pas une incapacité électorale votent par procuration ». Cela
implique le choix d’un mandataire, qui doit, outre jouir de ses droits électoraux, être inscrit dans
la même commune que la personne détenue. Cependant, l’établissement de la procuration ne
peut se faire qu’auprès des autorités compétentes, et face à cet obstacle, il est prévu que des
615Ibidem, n° 110, p. 56 616 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 43 617 CANIVET (G.), Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires : rapport au garde des Sceaux, ministre de la justice, La Documentation française, coll. Rapports officiels, Paris, 2000, p. 13 618 EXPOSITO (W.), « La citoyenneté du détenu », in dossier « Une loi pénitentiaire : pourquoi ? Pour qui ? », Actes du colloque organisé par le Centre de Droit pénal de la Faculté de Droit de l’Université Jean Moulin-Lyon 3, (14 & 15 octobre 1994), Revue pénit. et de droit pénal, n° 1, 2005, p. 87
118
officiers de police judicaire ou leurs délégués, préalablement agrées par le juge d’instance, se
déplacent, pour les personnes qui ne peuvent comparaître devant elles, aux domiciles des
électeurs et donc en établissements pénitentiaires. La Commission consultative des droits de
l’homme a pourtant souligné l’ineffectivité du droit de vote des détenus au sein d’une étude sur
les droits de l’homme en prison.619 Elle rappelle également que pèse sur le chef d’établissement
une obligation d’information des détenus sur ces possibilités de vote par procuration. Des efforts
sont à faire, car il paraît relativement évident que « concourir à rendre effective la citoyenneté du
détenu, c’est assurément contribuer à l’œuvre de resocialisation ».620 Pour ceux qui ne peuvent
sortir, des bureaux de vote pourraient être ouvert dans l’enceinte même de l’établissement afin
que ceux qui le souhaitent puissent s’exprimer, notamment par un passage dans l’isoloir. Pour les
autres, on pourrait imaginer qu’une permission de sortir leur soit accordée les jours de vote. Un
vote personnel et direct semblerait préférable au vote par procuration, afin de toujours tenter de
développer la conscience citoyenne des détenus. La commission nationale consultative des droits
de l’homme a également abordé la question des droits sociaux des détenus, et plus précisément
l’exercice de la liberté syndicale et du droit de grève. Même si cela peut surprendre puisqu’il
existe bien entendu d’importants impératifs de sécurité, le droit syndical, reconnu par le
préambule de la Constitution du 26 octobre 1946 au même titre que le droit de grève, pourrait
être organisé à l’intérieur des établissements. En effet, comment mieux permettre l’apprentissage
de la démocratie et des règles sociales qu’en accordant ces droits fondamentaux aux détenus ?
L’exemple suédois est encore une fois une vraie leçon que la France devrait écouter. Dans une
large partie de leurs établissements, les « clients » suédois élisent leurs délégués et organisent la
vie collective.621 De la cuisine au ménage, de la cafétéria à l’entretien des bâtiments, on peut
ainsi retrouver un chef d’entreprise balayeur ou un avocat éplucheur de pomme de terres… Les
surveillants pourraient eux aussi jouer un rôle, qui ne serait pas simplement de sécurité. En effet,
« il devrait y avoir une reconnaissance du rôle des personnels comme étant des personnes aptes à
communiquer avec les détenus de façon spécifique, »622 une formation pourrait leur être
dispensée, et leur fonction serait ainsi revalorisée aux yeux de tous, et pour leur confort
personnel également. Etre « porte-clés en proie aux violences quotidiennes »623, ce n’est pas
franchement l’emploi rêvé, encore moins avec les odeurs du lieu. Les « matons » pourraient
619 EXPOSITO (W.), art. préc. ; Référence de l’étude : Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Etude sur les droits de l’homme dans la prison », Propositions, Adoptée par l’Assemblée plénière du 11 mars 2004, http://www.commission-droits-homme.fr/travauxCncdh/droitsprison.html 620 EXPOSITO (W.), art. préc. 621 « La leçon suédoise », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 34 622 HALL WILLIAMS (J. E.), art. préc.623 BUFFET (M.-G.), « Revaloriser le métier de surveillant », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 24
119
pourtant « discuter, apprendre à connaître les gars, sentir ce qui se trame, ce qui dérape »
exprime un ancien gardien.624 Il regrette par ailleurs que « l’administration ne [leur] demande pas
[leurs] avis pour l’aménagement des peines ou la libération conditionnelle. C’est dommage ».625
Avoir une telle vocation, c’est difficile, mais utiliser tout le potentiel et le contact humain est un
devoir du service public.
Une personne restée longtemps détenue, complètement assistée, peut par ailleurs
logiquement perdre sa capacité à prendre des décisions seules, même les plus minimes, mais
aussi à affronter des émotions ou des responsabilités pourtant ordinaires. Il est donc
indispensable de préparer longtemps à l’avance une sortie de prison. Notamment pour la
recherche d’un lieu de vie (« un sortant sur huit n’est pas sûr de disposer d’un hébergement au
moment de sa levée d’écrou »626), et corrélativement pour obtenir des papiers d’identité, avoir un
compte bancaire… Les permissions de sortie devraient donc être obligatoire dans une période
d’au moins une année précédant la sortie « définitive », afin de favoriser cette autonomie mais
aussi d’anticiper les éventuels chocs émotionnels, puisque « sortir de prison, c’est se retrouver
étranger chez soi ! »627 Et parce que le rôle de la prison n’est pas de fabriquer des sans-papiers,
des médiateurs pourraient aider à résoudre des situations parfois inextricables avec une
préfecture. Celles-ci exigent en effet que pour obtenir des papiers d’identité, le requérant se
présente en personne. Les médiateurs, indépendants et de l’administration et des établissements
pénitentiaires, pourraient aussi aider à résoudre des litiges dans le calcul de réduction de peine,
d’accès à la formation, d’effets personnels égarés par l’administration…628
Mais au-delà ces difficultés, on peut parfois observer un phénomène dit de suradaptation.
Le détenu va refuser de quitter sa cellule pour accéder à un régime de détention plus favorable,
refuser de changer d’atelier de travail puisqu’il y a pris ses habitudes, même refuser parfois un
changement d’établissement qui pourrait pourtant lui permettre de se rapprocher de sa famille,
par crainte des conditions inconnues dans lesquelles il sera installé. Cette suradaptation est en
fait la matérialisation en apparence d’une profonde désadaptation. La sortie, comme tout
changement d’une importance qui peut s’avérer très relative, peut constituer une véritable
épreuve, et c’est pourquoi certains détenus succombent à une crise cardiaque ou se suicident peu
avant ces changements, ou d’autres ne supportant pas la vie à l’extérieur ressentent la nécessité
de revenir en prison. Si l’on veut vraiment éviter ce genre de situation, ces liens sociaux et
624 « Fernand, gardien, vingt-huit ans de cellules », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 24 625 Ibidem626 MOUESCA (G.), art. préc. 627 FRIZE (N.), op. cit., p. 90 628 DELEVOYE (J.-P.), « Des médiateurs dans toutes les prisons », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 26
120
familiaux doivent être protégés et renforcés. Et pour favoriser la réinsertion, le sentiment de
vouloir être utile socialement doit être un but à atteindre dans le travail quotidien auprès des
personnes détenues.
B. Utilité sociale et réinsertion
L’emprisonnement, « illogique, irrationnel, incompréhensible, c’est un monde à part,
coupé de la vie. Comment peut-on imaginer une quelconque réinsertion ? Que peut-on espérer
d’une personne déjà fragile psychologiquement qui passe plusieurs années entre son lit et la télé,
dont la seule distraction est de se regarder le nombril, et dont la seule vision se réduit à la crasse
de sa cellule, à sortir dans une petite cour où ne pousse pas un brin d’herbe ? La seule pensée de
sortir de ce cauchemar le fait paniquer […], c’est plus qu’une punition, c’est l’impasse totale
[…], la plupart d’entre eux font de courts séjours dehors et se retrouvent vite ici. C’est notre
ghetto, notre honte »629 dénonçait le docteur Vasseur en 2000, un ouvrage qui aura des
conséquences, et qui aura entretenu un espoir, vainement. L’enfermement est-il utile ? Si une
peine doit exister en réaction à la commission d’une infraction, pourquoi le principe est-il
aujourd’hui la privation de liberté ? Longtemps, à travers les bagnes, les peines les plus
importantes étaient les travaux forcés. Les philosophes des Lumières qui dénonçaient l’exil
nécessaire, les conditions de travail déplorables, l’arbitraire des décisions de justice, n’en étaient
pas moins défavorables à une prison où la promiscuité est la règle et l’oisiveté l’activité
principale. En effet, ceux-ci pensaient que le travail pouvait servir les intérêts à la fois des
prisonniers, mais aussi de la société dans son ensemble, fut-ce-t-il forcé. Et il faut rappeler que
c’est à des fins d’ordre et de discipline que l’on a introduit le travail en prison. « Forcez les
hommes au travail et vous les rendrez honnêtes » disait Voltaire.630 Dans sa rédaction de 1959,
l’article 720 du code de procédure pénale décidait que « les condamnés à des peines privatives
de liberté pour des faits qualifiés crimes ou délits de droit commun [étaient] astreints au travail ».
Le travail était donc obligatoire et considéré comme un moyen permettant de contraindre et
d’occuper les individus dangereux pour la sécurité publique. Il était une sanction complémentaire
à la perte de la liberté et sa rigueur était proportionnelle à la gravité de la peine.631 Aujourd’hui,
la conception purement afflictive du travail a été abandonnée, et la France a ratifiée la
convention n° 29 du Bureau International du Travail interdisant le travail forcé. Il est désormais
considéré comme un « moyen permettant au condamné de développer son assiduité et de le
soumettre à une certaine discipline ».632 La loi du 22 juin 1987 a réécrit l’article 720 du code de
629 VASSEUR (V.), op. cit., p. 62 630 TEA (C.), art. préc. 631 LORVELLEC (S.), « Travail et peine », Revue pénit. et de droit pénal, 1997, p. 207 632 TEA (C.), art. préc.
121
procédure pénale633, il dispose alors que « les activités de travail et de formation professionnelle
sont prise en compte pour l’appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des
condamnés. Au sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer
une activité professionnelle aux personnes incarcérées qui le souhaitent ». En principe, tous les
détenus sont autorisés à travailler, mais en pratique, on constate de profondes inégalités selon les
régimes de détention. Passé de 46,5 % en 2000 à 43,1 % au premier semestre 2002, le taux
d’activité des détenus s’est établi, pour 2003 à 39,1 %.634 Le rapport du Sénateur Loridant réalisé
au nom de la Commission des finances du Sénat estimait en 2002 à 10 000 le nombre d’emplois
manquants.635 Au-delà les inégalités entre les établissements, les entreprises, cherchant bien sûr
la stabilité, préfèrent s’installer dans les établissements pour peine (taux d’activité de 60 %),
plutôt que dans les maisons d’arrêt (taux d’activité de 35 %),636 « d’où le caractère quasi
utopique des perspectives de réinsertion par le travail en maison d’arrêt » 637. Le travail doit
permettre de construire, il est un lieu de reconnaissance sociale. Le salaire fait partie des
symboles de cette reconnaissance, et c’est pourquoi « les traitements misérables et insultants
pratiqués en prison par la racaille des concessionnaires qui y sévissent sont un signe fort de
l’humiliation, de l’indignité et de la malveillance auxquels l’institution pénitentiaire consent à
s’associer, par impuissance pense-t-elle. »638 Par ailleurs, les fonctions d’apprentissage sont
également utilisées par le détenu pour améliorer son image auprès de l’administration, mais peut-
être aussi pour « tenter d’échapper à « lui-même » ».639 Seul le travail, l’occupation de l’esprit
pour une certaine utilité personnelle mais aussi et surtout collective, est « capable de transformer,
d’élever et de rassembler ceux qui y participent, en bénéficient, y réfléchissent, le réalisent
concrètement ».640 Il s'agit « n'ont pas de les mettre en état d'exercer ce métier en dehors, mais de
leur donner des habitudes réglées et laborieuses, et de leur faire sentir l'utilité du travail et son
prix » écrivait Alexis de Tocqueville.641 Pascal Clément le sait en déclarant que « la sortie
définitive de la délinquance n’est possible que par une réinsertion sociale et professionnelle »642,
pourtant les suivis jusque là mis en place s’apparentent plus à une surveillance qu’à une véritable
aide ou assistance à la réinsertion des plus en difficultés. « Seul le projet permet de se sauver,
sinon le retour est inévitable »643, mais même l’Etat ne joue pas son rôle d’employeur citoyen, lui
633 L’article 720 est depuis le 1er janvier 2005 l’article 717-3 en vertu de la loi du 9 mars 2004 634 MOUESCA (G.), art. préc.635 Ibidem636 Ibidem637 Ibidem638 FRIZE (N.), op. cit., p. 83 639 Ibidem, p. 61 640 Ibidem, p. 83 641 TOCQUEVILLE (A.), op. cit., p. 137 642 CLEMENT (P.), art. préc. 643 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc.
122
qui « bien placé pour savoir que l’individu concerné a « payé sa dette » ferme pourtant aux
anciens détenus les emplois de la fonction publique »644. Toutefois, il est vrai que certains ne
voudraient pas de ces emplois, trop mal rémunéré en comparaison à leurs activités illégales.
Certains témoignent donc que « la prison m’a mis en prison, car on m’a vite fait comprendre que
je pourrai gagner plus en un jour dans l’illégalité qu’en un mois en étant ingénieur comme je le
voulais », « on va apprendre aux jeunes qu’il vaut mieux tomber une fois lourde que cinquante
fois pour de petites choses ».645 Mais cette « désincitation au travail légal » soulignée notamment
à la mission par MM. Michel Duvette, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, et
Pierre-Jean Delhomme, directeur de la maison centrale d’Arles646, doit naturellement être
combattue, et la reconnaissance de la légitimité de la loi est un travail culturel d’une importance
primordiale.
Néanmoins, d’autres peines doivent être mise œuvre en alternative à la prison, qui
présente une somme d’inconvénients insupportables, au-delà de l’irrespect flagrant des droits de
l’homme au sein des établissements pénitentiaires et de la relative impossibilité de se réinsérer
convenablement. Introduites par la loi du 17 juillet 1970 et la loi du 11 juillet 1975 sous
l’expression « peines de substitution », ces peines alternatives avaient pour but de lutter contre
les courtes peines d’emprisonnement. L’art. 131-6 CP énumère 14 peines restrictives ou
privatives de droit à degrés variables s’agissant de peines correctionnelles. Malheureusement, le
recours à ces alternatives semble être en stagnation et même en baisse depuis plusieurs années
(52 374 en 2000, 51 279 en 2001, 49 900 en 2002, 42 381 en 2003)647. En réalité ces peines ne se
substituent pas vraiment aux peines de prison ferme ou avec sursis, « mordant » plutôt sur les
peines non privatives de liberté648, voire étant utilisée comme une modalité d’exécution de la
peine de prison. Rappelons que lorsque la juridiction de jugement prononce une peine alternative
(des interdictions particulières, comme le retrait du permis de voiture, interdiction, de paraître
dans certains lieux, interdiction d’exercer une activité professionnelle…), elle en fixe selon les
cas, le quantum, la durée et s’il y a violation des obligations par le condamné, celle-ci est
considéré comme un nouveau délit649. Mais lorsque la juridiction de jugement prononce une
mesure de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement ou suspension des peines,
de placement sous surveillance électronique ou de libération conditionnelle, le JAP a la
possibilité depuis la loi du 9 mars 2004, et selon le principe de fongibilité des peines, d’ordonner
l’exécution de tout ou partie de la peine fixée. Il peut également convertir la peine en une autre
644 COMBESSIE (Ph.), op. cit., p. 95 645 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc646 CLEMENT (P.), LEONARD (G.), op. cit., p. 44 647 DESPORTES (F.), LE GUNEHEC (F.), op. cit., n° 779, p. 742 648 Ibidem, n° 790-5, p. 753 649 Cf. art. 434-40 et 41 CP
123
afin de favoriser les chances de réinsertion de l’intéressé, et, en cas de violation de ces
obligations ou interdictions, la juridiction de jugement aura au préalable fixé la durée maximum
de l’emprisonnement ou de l’amende dont le JAP pourra ordonner la mise à exécution de tout ou
partie. 650 Une pédagogie renforcée, le condamné est informé de ce qu’il risque en cas de
violation, on lui aura également montré la sévérité de la sanction de la peine alternative avec la
durée d’emprisonnement ou le montant d’amende en cas de violation. Enfin, cela pousse aussi
les autorités à faire exécuter la sanction puisqu’il sera plus simple de sanctionner le condamné
qui ne s’exécute pas plutôt que d’engager de nouvelles poursuites (434-40 et 41 CP). En fait, on
a appliqué aux peines alternatives, la logique du sursis ou plus précisément du sursis avec mise à
l’épreuve…Par ailleurs, le retour progressif à la liberté ne semble pas non plus une priorité
aujourd’hui, avec en 2004 sur 84 759 sorties, 67 % en fin de peine, dont 5,8 % de libération
conditionnelle seulement.651 Déjà, Elisabeth Cartier, dans son rapport en 1994, préconisait la
mise en place de « quartiers de confiance » au régime assoupli qui accueilleraient les candidats à
la libération conditionnelle, tandis que les condamnés parvenant à la fin de leur peine seraient
placés dans des « quartiers de transition » relevant du régime pénitentiaire normal.652 Pourtant,
on sait que la libération conditionnelle permet de franchir la période pendant laquelle les
difficultés de réinsertion sociale sont les plus importantes, et que si elles sont franchies, les
risques de récidive sont nettement plus faibles comme cela a déjà été relevé. D’ailleurs, les taux
de révocation sont généralement faibles (en 1996, 539 décisions de révocation sur un total de
6 374 mesures ; et en 2000, elles « sont peu fréquentes » selon Bernard Bouloc).653 Enfin, il
paraît aujourd’hui incontestable que « la meilleure protection de la société, la plus efficace et en
même temps la plus humaine, consiste à favoriser la réinsertion de tous les délinquants, par tous
les moyens susceptibles d’agir sur leur dignité et leur permettant de recouvrer le sens de leur
responsabilité sociale ».654 C’est maintenant aux divers responsables politiques de se saisir de la
question, non sans courage, mais avec une détermination qui doit être sans faille.
650 Cf. art. 131-9 al. 2 CP, et 712-6 CPP 651 Les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, décembre 2005, document précité 652 CARTIER (M.-E.), art. préc. 653 BOULOC (B.), Pénologie, op. cit., n° 411, p. 303 654 MBANZOULOU (P.), La réinsertion sociale des détenus, L’Harmattan, coll. Sciences criminelles, Paris, 2000, p. 44-45
124
CONCLURE , VERS L’AVENIR
« Il ne fait guère de doute qu’une loi pénitentiaire est nécessaire »655 affirme le Secrétaire
général de l’Association française de criminologie, Pascal Rémillieux. Une loi de plus ? Non,
une loi qui permettrait de remettre à plat la question pénitentiaire, tel est le devoir des pouvoirs
publics aujourd’hui. Parce que la loi du 12 décembre 2005, à part une répression accrue et une
surveillance renforcée, risque de ne pas apporter beaucoup de changements sur les taux de
récidive ou réitération constatés sur le long terme. Si certains défauts sur le plan juridique
doivent être corrigés, pour notamment rendre conforme les applications pratiques avec les
exigences conventionnelles ou constitutionnelles, c’est bien une politique pénitentiaire et pénale
de long terme doit être envisagée. Celle-ci doit pouvoir débuter avec cette grande loi
pénitentiaire tant attendue, mais celle-ci est également nécessaire pour « marquer le coup », et
montrer à toute la société française l’horreur et l’indignité de l’univers carcéral, là convaincre
qu’il est grand temps de transformer notre vision de la sanction pénale. Dostoïevski écrivait :
« nous ne pouvons juger du degré de civilisation d’une nation qu’en visitant ses prisons ».656 La
France des droits de l’homme toucherait-elle le fond ?
Une période doit s’ouvrir – pourquoi pas avec les échéances électorales prochaines – pour
débattre et transformer le mieux possible notre système de réaction sociale. Cependant, l’opinion
publique, malléable par divers stratagèmes populistes, se doit de cesser d’« oublier que tout
détenu sort un jour de prison »657 et de prendre la question de la sanction et surtout de la
resocialisation à bras de corps. Pour cela, il faudra nécessairement faire preuve de pédagogie.
Notamment expliquer pourquoi de tels écarts existent entre la peine encourue, celle prononcée,
puis celle exécutée. La victime, aujourd’hui sacralisée et à laquelle on s’identifie, devra peut-être
reprendre la place qui est la sienne en matière pénale, c’est-à-dire derrière le ministère public qui
défend la société dans son ensemble. Il devient vraiment insupportable qu’à chaque fin de
procès, les médias ne s’attardent que sur le quantum de la peine prononcée qui est toujours de
l’avis de la victime – et donc de l’opinion – trop faible, dénonçant une justice trop clémente à
l’égard de son délinquant.
Par ailleurs, peut-être est-il temps d’aborder la politique criminelle au sein même d’une
politique sociale. En effet, la meilleure prévention des infractions et de la récidive reste encore
655 REMILLIEUX (P.), art. préc.656 VASSEUR (V.), op. cit., p. 209 657 GUIGOU (E.), « Favoriser la libération conditionnelle », dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », LE Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 30
125
l’éducation, le bien-être social et la croyance dans un avenir possible. Une grande politique
sociale doit être mise en œuvre. Pour détruire les cités, foyers de délinquance, et lieux indignes
des populations qui y vivent. Pour que priorité soit donnée à l’éducation, il paraît plus que
nécessaire de faire preuve d’audace fiscale et politique pour que l’Education nationale dans son
ensemble puisse disposer de moyens permettant de ne laisser personne sur le côté, ou au pire
d’être aider dans ce qu’on appelle l’école de la deuxième chance. Une politique sociale de
grande envergure pourrait aussi impliquer le retour de la police de proximité qui n’est pas là pour
simplement faire enfermer mais bel et bien pour être au service les populations en difficulté. Les
aides sociales se doivent de retrouver une cohérence qui n’existe plus aujourd’hui, en n’hésitant
pas à ce que la confiance de l’administration envers les citoyens soit appuyée par des contrôles
évitant ainsi à certains de biaiser le système, et le mettant par conséquent en péril. Une grande
entreprise de décriminalisation pourrait par ailleurs être envisagée. De très nombreux délits ne
nécessitent pas une peine en tant que telle, le droit civil doit pouvoir permettre de réparer les
conséquences de ces actes. Cela implique peut-être une réforme de très grande ampleur au
niveau des procédures civile et pénale, puisque la charge de la recherche des preuves en droit
civil engendre un engorgement encore supplémentaire des juridictions pénales. Cependant, cet
engorgement est également la conséquence du manque criant de personnels de justice, que ce
soit des magistrats, des greffes, des SPIP pour ce qui intéresse plus directement la réinsertion.
Même les détenus comprennent que la fonction de juger aujourd’hui est d’une complexité
redoutable et qu’il faudrait « recruter plus de juges pour alléger leur emploi du temps de fou »658.
« Des moyens matériels, humains, scientifiques sont absolument indispensables pour aller dans
le sens du progrès » disait il y a déjà plus de vingt ans le professeur Pinatel.659 Mais il ne semble
pas que la période actuelle de surenchère sécuritaire soit de bon augure pour l’avenir. Pourtant,
au XXIe siècle, la dignité ne commande-t-elle pas de rechercher une autre manière de sanctionner
que par la prison ? La question de son abolition mérite en effet d’être posée, encore plus
s’agissant des longues peines, des mesures de sûreté ou de l’emprisonnement à perpétuité. Deux
cents personnalités (responsables politiques, scientifiques, artistes, syndicalistes, médecins,
associatifs, etc.) se sont mobilisées il y a quelques mois pour attirer l’attention de l’opinion sur
cette « humiliation nationale ».660 La société doit évoluer si elle veut donner les moyens aux
délinquants de s’améliorer, « le groupe social qui veut intégrer un ancien délinquant, doit
atteindre un tel niveau moral qui puisse rendre le climat propice à l’amélioration de
658 HAUTION (C.), TOUILLIER (M.), art. préc. 659 PINATEL (J.), art. préc.660 « Prisons, pourquoi nous avons honte », Appel des 200, dossier « Prisons, pourquoi nous avons honte », Le Nouvel Observateur, n° 2139, du 3 au 9 novembre 2005, p. 12
126
l’individu »661. Peut-être que, comme l’espère Nicolas Frize, « dans cent ans, la prison nous
apparaîtra aussi obscène qu’aujourd’hui les bagnes et les galères »662. Mais si la prise de
conscience pouvait ne pas prendre un siècle… Enfin, éviter la récidive ne semble pourtant pas si
difficile, il suffirait de relire Victor Hugo : « celui qui ouvre une porte d'école, ferme une
prison » disait-il. Peut-être est-il grand temps d’ouvrir, et les portes, et les fenêtres…
661 PLAWSKI (S.), art. préc.662 FRIZE (N.), op. cit., p. 75
127
ARCLR
Association Régionale de Criminologie Languedoc Roussillon
Regards de la personne détenue en situation de
récidive
Rapport suite à 18 entretiens avec des personnes détenues récidivistes
de la Maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelonne
Etude réalisée par Cédric Haution et Marc Touillier, étudiants en Master 2 Droit privé, sciences criminelles et justice,
mention droit pénal fondamental
2005
ANNEXE
128
Après avoir distribué et analysé les 32 questionnaires exploitables, nous avons mené auprès
d’une partie des mêmes détenus des entretiens individuels. Nous avons repris la trame du
questionnaire tout en essayant de l’élargir afin de recueillir des sentiments, des témoignages, des
critiques (tant positives que négatives) sur le système de justice de la France, ses méthodes
pénales et son milieu carcéral, ainsi que sur le principe même de la récidive.
Notre rapport s’articulera, pour être à la fois concis et utilisable, sur quatre points : l’équité
dans le procès, les peines (leur durée, les conditions d’exécution, etc.), le poids du passé (de la
naissance, au milieu social et aux premières condamnations), et l’arrêt du cycle délinquant.
Nous mêlerons à la fois les statistiques et les tendances que nous pouvons en dégager pour
rapporter au mieux le contenu de ces entretiens. Il est bien sûr délicat d’apporter des statistiques
et témoignages véritablement probants et indicateurs étant donné les différences que l’on peut
observer entre les réponses aux questionnaires et celles aux entretiens, particulièrement sur le
nombre de condamnations, de peines de prison, ainsi que sur la durée elle-même des peines. En
revanche, les entretiens nous ont apporté beaucoup sur le rapport de ces détenus à la justice, et
c’est cela que nous allons tenter d’énoncer au mieux à travers ce rapport.
(à partir de 32 questionnaires) minimu
m maximu
m moyenn
e
Age 19 65 32,2
Nombre de condamnations 2 14 5,3
Durée effective des peines (en
mois)
1e peine 0,75 96 14,1 2nde peine 0,5 60 16,1
3e peine 1 72 13,9
Durée prononcée des peines
(en mois)
1e peine 1 218 26,3 2nde peine 7 72 22,3
3e peine 10 36 19,0
Temps entre incarcérations (en
mois)
1e peine 1 96 27,7 2nde peine 1 120 42,1
3e peine 3 120 40,0
129
OUI NON NSP
Crimes / délits commis
atteinte aux biens 17 53,1% 12 37,5% 3 9,4% atteinte aux personnes 9 28,1% 15 46,9% 8 25,0%
stupéfiants 10 31,3%
Sentiment d'avoir été auteur ? 22 68,8% 4 12,5% 6 18,8%
été coupable ? 23 71,9% 4 12,5% 5 15,6%
causé un dommage ? 14 43,8% 13 40,6% 5 15,6%
Sentiment d'un procès équitable
?
1e condamnation 16 50,0% 14 43,8% 2 6,3% condamnations suivantes 10 31,3% 15 46,9% 7 21,9%
Durée juste ?
1e peine 16 50,0% 13 40,6% 3 9,4% suivantes 10 31,3% 18 56,3% 4 12,5%
Sentiment de 1e condamnation
juste ? 14 43,8% 9 28,1% 9 28,1%compréhensible ? 16 50,0% 9 28,1% 7 21,9%
Pour les suivantes
condamnations
juste ? 8 25,0% 14 43,8% 10 31,3%compréhensible ? 13 40,6% 11 34,4% 8 25,0%
Soutien : Pendant la 1e peine ?
proches ? 22 68,8% 8 25,0% 2 6,3% personnels pénitentiaires ? 4 12,5% 26 81,3% 2 6,3%
SPIP ? 13 40,6% 17 53,1% 2 6,3% enseignants ? 13 40,6% 15 46,9% 4 12,5%
professionnels de santé ? 12 37,5% 17 53,1% 3 9,4% aumôniers ? 6 18,8% 23 71,9% 3 9,4%
visiteurs de prison ? 5 15,6% 23 71,9% 4 12,5%
Pendant la / les suivantes ? proches ? 24 75,0% 5 15,6% 3 9,4%
personnels pénitentiaires ? 3 9,4% 25 78,1% 4 12,5%SPIP ? 13 40,6% 16 50,0% 3 9,4%
enseignants ? 19 59,4% 7 21,9% 6 18,8%professionnels de santé ? 11 34,4% 17 53,1% 4 12,5%
aumôniers ? 5 15,6% 22 68,8% 5 15,6%visiteurs de prison ? 6 18,8% 20 62,5% 6 18,8%
Après 1e sortie ?
proches ? 25 78,1% 5 15,6% 2 6,3% personnels pénitentiaires ? 3 9,4% 26 81,3% 3 9,4%
SPIP ? 8 25,0% 21 65,6% 3 9,4%
130
enseignants ? 6 18,8% 22 68,8% 4 12,5%professionnels de santé ? 6 18,8% 23 71,9% 3 9,4%
aumôniers ? 6 18,8% 23 71,9% 3 9,4% visiteurs de prison ? 3 9,4% 25 78,1% 4 12,5%
Soutien après la / les suivantes
sorties ?
proches ? 23 71,9% 3 9,4% 6 18,8%personnels pénitentiaires ? 4 12,5% 21 65,6% 7 21,9%
SPIP ? 6 18,8% 19 59,4% 7 21,9%enseignants ? 5 15,6% 18 56,3% 9 28,1%
professionnels de santé ? 5 15,6% 20 62,5% 7 21,9%aumôniers ? 2 6,3% 21 65,6% 9 28,1%
visiteurs de prison ? 2 6,3% 21 65,6% 9 28,1%
Comptes à rendre (proches, amis, autres)
financiers ? 9 28,1% 22 68,8% 1 3,1% moraux ? 17 53,1% 14 43,8% 1 3,1%
Sentiment d'avoir appris
de la 1e peine ? 17 53,1% 12 37,5% 3 9,4% le pense toujours ? 20 62,5% 8 25,0% 4 12,5%des autres peines ? 17 53,1% 9 28,1% 6 18,8%
Sentiment d'après 2nde
condamnation :
d'avoir récidivé ? 13 40,6% 15 46,9% 4 12,5%d'être coupable ? 17 53,1% 8 25,0% 7 21,9%
de devoir revenir en prison ? 12 37,5% 16 50,0% 4 12,5%retour inévitable ? 12 37,5% 14 43,8% 6 18,8%
évitable ? 20 62,5% 8 25,0% 4 12,5%
Alternatives possibles ? TIG ? 17 53,1% 8 25,0% 7 21,9%
bracelet ? 18 56,3% 7 21,9% 7 21,9%mesures de soin ? 11 34,4% 12 37,5% 9 28,1%
La prison comme :
une sanction ? 21 65,6% 5 15,6% 6 18,8%une épreuve, un passage
obligé ?13 40,6% 11 34,4% 8 25,0%
une erreur de parcours ? 22 68,8% 4 12,5% 6 18,8%une mauvaise réponse ? 17 53,1% 8 25,0% 7 21,9%
une étape bénéfique ? 8 25,0% 16 50,0% 8 25,0%
Entretien ? 18 56,3% 8 25,0% 6 18,8%
131
§ 1 - L’équité dans le procès
Si 50 % des interrogés avouaient avoir le sentiment d’avoir été jugé équitablement lors de
leur première condamnation (43,8 % pensant le contraire), le taux descend rapidement à moins
d’un tiers d’entre eux pour la seconde condamnation (46,9 % jugeant leur procès inéquitable). A
travers les entretiens, il semble que ce sentiment n’existe finalement que très peu ; au contraire,
au fur et à mesure des condamnations, il s’effrite même réellement.
Pour beaucoup, le sentiment d’avoir été jugé sur leur passé est réel, d’autant qu’ils
soutiennent souvent qu’il n’y avait aucune preuve matérielle, qu’ils ont été condamnés sur des
« on dit », des témoignages mensongers (par exemple, un repenti qui dirait avec qui il était pour
pouvoir être moins sévèrement condamné, pour qu’en plus cette personne avec qui il avait un
différent soit fermement condamnée), ou encore sur le seul témoignage de la victime, qui en
rajouterait « beaucoup » (« je vole un truc, elle dit que j’ai tout volé »).
De toute façon, cela ne changerait rien puisque « l’avocat, le juge, et le procureur, ils
mangent ensemble en face du tribunal ; il n’y a pas besoin de procès, tout ce fait dehors ! ».
Cependant, d’autres considèrent qu’en fonction de l’avocat, l’issue du procès change
véritablement. Même s’ils estiment qu’il y a effectivement un “complot” entre l’avocat (encore
plus lorsque celui-ci défend aussi « une balance ») le juge et le procureur, le fait d’être assisté
d’un avocat commis d’office rend impossible - ou presque - toute négociation en leur faveur
(« on voit la différence avec un avocat commis d’office, il ne peut pas s’arranger avec le
juge... »). Une grande importance est donc accordée à sa qualité (avocat commis d’office ou
choisi par le détenu), car elle joue, selon beaucoup d’entre eux, tant sur le quantum de la peine
que sur le nécessaire soutien moral. Il est intéressant d’observer qu’un même détenu disait avoir
été sévèrement condamné à cause d’un tel complot, bien qu’il avait un très bon avocat et qu’il
était un ami personnel du procureur (outre un notaire, ainsi que l’ancien pdg d’Elf). Le sentiment
de négociation est très présent, et justifierait pour beaucoup l’écart entre la peine prononcée et
celle exécutée : « il faut bien donner quelque chose à négocier », faisant référence à la nécessité
de retenir les détenus pendant leur incarcération ainsi que l’illusion d’une justice clémente et
compréhensive, qui raccourcirait les peines comme si elle faisait un cadeau afin que l’individu ne
recommence pas.
En revanche, il est clair pour tous que la comparution immédiate n’est pas équitable car elle
ne permet pas de préparer sa défense, et « qu’en trois mois, on perd tout : logement, travail,
femme... C’est beaucoup trop rapide ». Alors que le temps entre l’infraction et le procès se devait
d’être court pour une question pédagogique, il s’avère en fait que cette courte durée est mal
vécue ; un sentiment d'injustice en ressort et la pédagogie souhaitée est occultée.
132
Certains ne contestent pas le principe d’une condamnation, mais reprochent à la Justice « de
ne pas prendre le temps d’écouter, de n’être pas psychologue, et au contraire, expéditive ».
Pour remédier à cela, la question que devrait poser tout juge à un accusé est la suivante :
« Qu’est-ce que vous voulez faire de votre vie ? », pour mettre fin à cette indifférence qu’ils ne
supportent pas. Et en cas de récidive, le juge devrait avoir le réflexe de se demander « pourquoi
cette personne revient ? »
On trouve donc souvent le regret qu’après la première peine, les antécédents jouent autant
dans le jugement de nouvelles infractions. A l’inverse, les efforts de réinsertion, tels que la
recherche d’emploi ou une formation, ne semblent pas pris en compte… Dans cette idée de
justice expéditive, la lecture en début d’audience du « CV de l’accusé », c'est-à-dire de son casier
judiciaire, confirme clairement pour bon nombre de détenus, dès lors qualifiés d’« habitués aux
prétoires », l’idée d’une absence d’impartialité du juge. Enfin, un détenu qui a connu la prison
dès l’âge de 14 ans, reproche à la Justice de « ne plus chercher à comprendre dès qu’on devient
majeur. Le casier devient trop lourd pour elle ».
S’agissant de la détention provisoire, elle est très mal ressentie par tous ceux avec qui nous
avons pu nous entretenir. Déjà parce qu’il est pour eux intolérable de mélanger les condamnés et
les prévenus, qui sont « censés encore être innocents ». Mais aussi parce que, hormis une
personne qui avait le sentiment d’avoir été plus sévèrement condamnée parce qu’elle n’avait pas
été placée en détention provisoire (« je paie le fait de ne pas avoir fait de préventive ! »), tous ont
le sentiment que la justice « couvre » ces périodes de détention par des condamnations
infondées, qui ne servent qu’à gagner du temps pour « pouvoir [nous] mettre quelque chose sur
le dos, c’est en contradiction avec la présomption d’innocence ». Un autre expliquait aussi qu’il
aurait préféré être condamné plus tôt puisqu’il avait avoué, au lieu d’être maintenu en détention
provisoire.
La justice ne serait qu’une « question d’argent » : « on ne met pas de cols blancs en
préventive ! (citant Alain Juppé) », si tant est que la notion même de justice existe (pour
beaucoup « la Justice, ça n’existe pas ! »). « Les lois pénales répriment les délinquants qui
seraient des démons ». Le juge ne dirait seulement, même si ce ne sont pas exactement ses mots :
« au nom de la société, je vais te faire mal ! ».
Concernant le trafic de stupéfiants, il y a le sentiment d’une équivalence de peine, qu’il
s’agisse d’un petit “dealer” ou de « vrais escrocs ». S’agissant d’ailleurs de la vente de drogue,
très peu (un détenu n’admet pas que l’on vende de la drogue), voire aucun, ont le sentiment
d’agir en dehors de toute morale, même s’ils savent que c’est illégal. « C’est un commerce
comme les autres » disent certains, reprochant au juge de les traiter de « tueur d’enfants » parce
qu’ils vendent parfois à des mineurs.
133
Egalement, il y a une forte incompréhension sur les disparités territoriales de traitement. Que
Nîmes soit moins sévère sur les vols de voitures ou de sac à main par rapport à Montpellier, ou
que Carcassonne soit plus sévère que Montpellier parce que moins habituée (apparemment) à la
délinquance.
Par ailleurs, la révocation d’un sursis est très mal vécue, celui-ci ne jouant pas, à leur sens, de
rôle préventif. Il ne devrait même pas exister, car « lorsqu’on a fait sa peine, on a payé ». Le fait
qu’en plus, après une peine purgée, ils aient réussi à retrouver un emploi, qu’ils se soient
réinsérés, et que l’on cherche à « toujours [les] faire retomber », parce qu’ « il faut bien des
coupables », donne un sentiment d’une justice malhonnête et non compréhensive des difficultés
de réinsertion.
« On apprend à voir que l’homme est fondamentalement mauvais car ce sont bien des
hommes qui font fonctionner les administrations ! ». Pour certains, la justice n’est pas capable de
s’excuser (à part pour Outreau), mais c’est un faux débat que de parler de la responsabilité des
juges ; elle n’engendrerait rien de bon et risquerait de marginaliser certains juges. Il faudrait au
contraire « recruter plus de juges pour alléger leur emploi du temps de fou. Comment voulez-
vous qu’ils jugent correctement ? ». Cependant, on reconnaît au juge « trop de pouvoir. Ils
devraient motiver leurs décisions » (jugement mais aussi de non permission, de refus de
conditionnelle parentale, etc.).
Finalement, pour qu’il y ait une véritable équité dans un procès, il faudrait simplement que
les preuves soient concrètes (et pas seulement des témoignages), et que les peines soient « plus
raisonnables, plus justes ». Certains s’interrogent d’ailleurs sur l’absence de peines planchers en
droit pénal français trouvant que c’est ici une “porte ouverte” aux différences de traitement.
§ 2 - Le déterminisme mis en évidence par le poids du passé
40,6 % pensent que la prison est un passage obligé, et que de toute façon, « lorsqu’on entre
en prison une fois, on y revient ». Mais le passé a une dimension différente que celle basée sur
un passé de condamné ou de délinquant. Pour bon nombre des détenus interrogés, une enfance
délicate, voire un traumatisme particulier, a permis la construction d’une personnalité qui les a
finalement amenés sur le “chemin du crime”.
Un des interrogés expliquait qu’il a grandit seul « dans le milieu (la cité) » après que sa mère soit
partie, séparée de son père, et que ce dernier soit décédé à la suite d’une infection (il fait
référence à l’affaire du sang contaminé).
Un autre, surnommé étant enfant « le diable » parce qu’il avait survécu à la naissance alors qu’il
était donné pour mort, raconte qu’il a été mis à l’écart par sa mère (qui avait trompé son père, et
ce dernier parti, élevait seul ses enfants) suite à une sorte de « peur spirituelle » et donc manquait
134
cruellement d’affection. Il aurait vécu dans la rue, seul à partir de l’âge de 9 ans après s’être
enfui de chez lui, et vivait déjà grâce à différents vols (soit pour se nourrir, soit pour vendre et
avoir un peu d’argent).
Un troisième a été élevé par la Ddass, en foyer ou en famille d’accueil jusqu’à 13 ans, âge auquel
il s’est lui aussi enfui, refusant les diverses humiliations et la maltraitance (dont viols) dont il
faisait l’objet.
Puis d’autres expliquent que c’est à cause de difficultés financières, « parce qu’on est payé
comme des chiens », qu’ils ont “tenté leur chance” dans l’illégalité, que ce soit des vols ou du
trafic de stupéfiants. « Tant qu’il y aura autant d’inégalités sociales, on ne pourra jamais
apprendre à vivre ensemble » conclut un détenu, pendant qu’un autre explique que de toute façon
« un jour, il y aura une révolte organisée, pas comme pour la crise des banlieues, une vraie
révolution socialiste ! ». « La création des besoins a fini par créer la délinquance ; ce n’est pas
une société saine, les gens n’ont pas d’argent mais ils vivent quand même » (« il faut avoir la
belle voiture, les belles baskets... donc il faut de l’argent »). « Je savais que j’allais y aller au
moins une fois » explique un très jeune détenu issu de ce que l’on a coutume d’appeler une
« cité ».
L’un d’entre eux a une histoire plus particulière : il a dû s’enfuir du Chili à l’arrivée de Pinochet
car son père, un journaliste, était engagé politiquement à gauche. Mais avant cela, il s’était lui
enfui de chez lui suite à de nombreuses maltraitances à l’âge de 16 ans, et quelques années plus
tard, en France, survint sa première condamnation pour vol parce qu’il avait besoin d’argent.
Pour beaucoup, il existe bel et bien une forme de déterminisme social à la délinquance. Ce serait
le manque d’éducation, la misère sociale, les difficultés psychologiques qui entraîneraient très
souvent le passage vers la délinquance. Mais c’est aussi parfois un « accident » : l’un d’entre eux
est entré en prison pour la première fois à 15 ans alors qu’il était « bon élève », mais voulant
faire peur à un autre jeune en tirant au pistolet à plomb dans une voiture, le coup serait parti et il
l’aurait abattu.
A partir de cette première incarcération, le passé délinquant va les suivre, créant parfois
« une présomption de culpabilité », mais aggravant à chaque fois leur peine. Lorsqu’on a pas ou
peu de preuves, pour trouver un coupable, c’est toujours facile de « faire tomber un ancien
détenu » nous explique-t-on souvent, quitte, pour les services de police, à provoquer « lorsqu’ils
ont rien à se mettre sous la dent, parce que Sarkozy leur demande des chiffres ».
Tous refusent le fait d’être jugés sur leur passé, parce qu’ils estiment avoir payé leur dette.
Le principe même d’une sanction plus importante pour un récidiviste n’est pas compris, même
s’il peut paraître assez logique pour l’opinion, notamment parce qu’ils n’ont pas toujours
135
conscience d’être délinquants (surtout pour le trafic de stupéfiants, qui concerne 31,3 % des
interrogés). D’autant que « la prison c’est possible pour tous le monde » vu la politique
criminelle menée et le nombre de détenus enregistrés depuis quelques années. « Ils font peut-être
exprès pour que ça devienne normal, pour faire des moutons » se demande un des détenus, alors
que « statut d’ex-tollard » ne doit pas poursuivre indéfiniment.
L’un d’entre eux estime quand même qu’il est « plus ou moins normal d’être jugé par rapport au
passé. Ce qui ne va pas c’est qu’on soit toujours suspect ». Il vise par là, lui aussi, les
provocations policières, concédant que « certains ont la vocation et veulent aider leur prochain,
mais [que] la plus grande partie sont là pour l’uniforme et se faire plaisir ». Maintenant, « on
vous met en prison et on fait en sorte que vous y restiez ou de vous y remettre ». « La
présomption d’innocence, ça n’existe pas ; plus vous êtes condamné, plus vous serez
condamné » confie un détenu, bien qu’il ait « un grand sentiment de la Justice... ». Un autre
résume la situation par une expression bien connue de tous, à savoir qu’on « on est toujours
présumé coupable, et jamais innocent ».
Pour une majorité des interrogés, lorsqu’on est passé par la prison, et qu’on a découvert des
possibilités de s’enrichir facilement, mais aussi qu’on a été humilié par l’administration et la
société, « on ne peut plus fonctionner normalement ».
§ 3 – Le vécu de la peine en prison
Si 25 % des interrogés pensent que la prison peut être une étape bénéfique (50 % sont contre
cette idée), l’un d’entre eux expliquant même que « la prison, c’est comme l’armée, on y va pour
être plus fort et pour avoir une certaine discipline » (« les conditions difficiles vont m’endurcir,
ça marche à l’envers »)., ils sont en revanche 65,6 % à estimer qu’elle n’est qu’une sanction
(seulement 15,6 % pensent que ce n’est pas une sanction), mais surtout 68,8 % à la considérer
comme une erreur de parcours (12,5 % estimant le contraire). La prison n’aurait pas dû faire
partie de leur vie et serait une réponse particulièrement inadaptée à leurs actes (selon 53,1 %
d’entre eux, contre 25 % seulement qui pensent qu’il s’agit d’une bonne réponse).
Après un certain nombre d’incarcérations, le passage en prison, s’il semble constituer chez
certains une habitude, est considéré comme une réponse insignifiante (« 6 mois c’est rien, c’est
vite fait »). Ce qui n’est en revanche pas le cas lorsque la peine est estimée trop lourde, injuste
(environ 40 % estiment leur première peine injuste, contre 50,3 % la trouvant juste ; il est
toutefois très important d’observer que le taux passe respectivement à 56,3 % contre 31,3 % pour
les peines suivantes).
136
C’est un sentiment dominant pour les peines qui suivent une première récidive, et encore plus
lorsque, pour ces individus, les preuves ne sont pas présentes.
La durée de la première peine est souvent estimée juste (pour 50 % d’entre eux, contre 40,6
% la jugeant injuste), et c’est bien à partir de la seconde - et le sentiment est le même ensuite
pour les suivantes - que la durée semble trop importante (56,3 % contre 31,3 % les jugeant juste).
Ce sentiment va de pair avec celui d’être jugé sur un passé qui devrait disparaître lorsque la
peine est purgée, lorsque la dette envers la société est payée. Cela peut parfois favoriser un
sentiment de vengeance, mais également une volonté d’être plus prudent (sans pour autant
vouloir « se ranger »). Certains vont même jusqu’à dire que « si les peines encourues sont trop
importantes, on va tuer les flics pour ne pas se faire arrêter ! ».
Pour beaucoup, « lorsqu’on entre en prison une fois, on y revient », et c’est pourquoi presque
tous les détenus interrogés estiment qu’il faut vraiment éviter de mettre des mineurs en prison,
qu’il est nécessaire de rendre l’incarcération exceptionnelle, qu’il y ait moins de détentions
provisoires et que de toute façon « ils ne soient pas mélangés avec les condamnés ». L’un d’entre
eux pensait pourtant qu’il faut « parfois commencer par une courte peine de prison pour
comprendre. Le TIG, c’est pas une peine ; à la rigueur un bracelet électronique ». Un autre
jugeait qu’il fallait « mieux [le] mettre en prison, car sinon [il] ferait trop de dégâts ». Mais pour
la plupart, « il faut remettre les choses à leurs places », l’un d’eux proposant même « des TIG
pour les petits délinquants, des établissements spécialisés pour les toxicomanes, un enfermement
psychiatrique pour les fous, des bracelets électroniques pour les petits dealers, et la prison pour
les vrais criminels : les violeurs ou meurtriers ». Si « vous croyez que de nous enfermer, ça va
nous faire réfléchir ? » nous demande-t-on parfois, on peut se dire qu’en effet, il y a une
réflexion à faire lorsqu’un détenu propose une peine différente en fonction des actes. Certains
nous confient justement que l’on réfléchit beaucoup en cellule (« c’est normal, on a que ça à
faire »), mais qu’il faudrait quand même « plus de centres ouverts ». Néanmoins, il semble assez
rare que l’on repense aux actes passés. On s’inquiète plutôt pour l’avenir, même si selon certains
« il y a forcément une introspection inconsciente ; on analyse tout aussi pour rester “éveillé” ».
D’ailleurs, du fait de l’enfermement, il y aurait beaucoup de dépressions et donc beaucoup de
médicaments distribués, certains désirant « rester conscients », pendant que d’autres « ressortent
plus shootés qu’en entrant ».
Le problème en prison, explique un détenu, c’est « la projection à court terme. Il faut donc
réapprendre aux gens à construire ». « Seul le projet permet de se sauver, sinon le retour est
inévitable ». Il faut « arriver à donner un sens à son incarcération pour pouvoir vivre avec ». De
137
plus, « faire des projets permet de s’évader » un peu de la prison pendant le temps de
l’incarcération (un autre détenu considère à cet égard que « la pratique religieuse aide à se
conserver mentalement, à être moins impulsif »). Et celui-ci conclue : « la prison doit être une
étape de construction, pas de destruction ».
Pour cela, la prison a des outils qui permettent d’arriver à se reconstruire, mais encore faut-il
qu’elle les utilise. L’absence de bonne volonté du personnel pénitentiaire est alors clairement
dénoncée, que ce soit dans le fait de ne pas pouvoir téléphoner aux familles, ne pas pouvoir
recevoir de colis, avoir un accès à la bibliothèque limité aux détenus scolarisés, ou encore ne pas
encourager les activités socioculturelles.
D’autant qu’un détenu considère que « la prison est un tabou, mais elle reste un endroit
qui rapporte », faisant ainsi allusion aux commerçants qui la fournissent.
Beaucoup aimeraient pouvoir être utiles, avoir des peines « éducatives ». Certains proposent
même des « peines d’utilités publiques » : dans le « domaine humanitaire, on aurait pu aller en
Asie après le tsunami par exemple », ou encore « aider les “vieux” à faire leurs courses, avec un
bracelet électronique... ». Ils donnent, pour beaucoup, l’impression de vouloir devenir utiles pour
la société, sûrement pour pouvoir y être considérés et enfin trouver leur place. Ils refusent le fait,
même s’ils admettent la réalité actuelle, qu’une peine soit « une perte de temps » comme l’est la
prison, encore qu’avec une « forte volonté personnelle », on peut rendre le temps d’incarcération
utile, notamment grâce au centre scolaire. Néanmoins, nombreux sont ceux qui déplorent
l’absence de « club de discussion », voire de thérapie de groupe pour discuter à plusieurs de leurs
actes notamment. « Tout est fait pour qu’on n’oublie pas qu’on est en prison ! » et les conditions
sont déplorables : on rajoute des grilles en plus des barreaux (pour éviter de jeter par la fenêtre
les détritus qui s’amoncellent au pied du mur), « on a la sensation d’être encore plus enfermé, on
ne peut rien se faire passer » ; les douches sont très sales et il n’y a pas d’obligation de se
doucher, alors en plus du « manque d’éducation générale des détenus par rapport à
l’hygiène... » ; ils n’ont droit qu’à six promenades par semaine : « la première à huit heures,
donc on a le choix entre dormir un peu plus et voir le ciel de dehors... » ; on mélange les
toxicomanes avec les autres, des rapports de domination s’instaurent rapidement entre les
détenus.
Une forte incompréhension existe sur le fait que tout soit payant en prison, d’autant qu’il
semble que « tout est plus cher parce que géré par une société privée ». Un exemple est
intéressant : une télévision dans une cellule coûte 31 euros par mois. Mais s’ils sont deux, on ne
divise pas mais on multiplie par deux, peut-être pour que chacun paie la même chose.
138
La prison ne semble pourtant pas être un exemple de justice sociale, puisqu’elle réintroduit des
inégalités en son sein. En effet, celui à qui on n’envoie pas de mandat, même s’il travaille au sein
de l’établissement (« la paye est misérable, je suis maçon, je travaille pour eux toute la semaine
et je touche que 130 euros par mois » ; d’autant que certains doivent toujours des dommages-
intérêts aux victimes), ne pourra pas “s’offrir” le matériel hi-fi que peuvent avoir les autres
détenus (qui disent finalement qu’ils laissent courir le temps, en attendant que ça passe) ou
manger autre chose que ce que propose l’administration.
Il y a un sentiment de provocation vis-à-vis de l’administration, qui ne donnerait pas suite à
des lettres au médecin (par exemple pour un détenu qui demande des médicaments pour un
ulcère), qui refuse de laisser sortir un détenu, même encadré par des forces de police, pour
assister à l’enterrement de sa femme ou aller au chevet d’un parent mourrant. Mais aussi parce
que sont trop souvent refusées les « demandes de conditionnelle » ou lorsque qu’une confusion
de peine est demandée, celle-ci est parfois accordée quelques jours après la sortie de la
personne... Pire encore, un détenu nous demande pourquoi on distribue des préservatifs en libre
service à l’infirmerie alors que les relations sexuelles (notamment au parloir) sont proscrites.
« C’est parce qu’on ferme les yeux sur les viols ou qu’on accepte les relations sexuelles
homosexuelles, mais pas les hétérosexuelles... ». Pour la quasi majorité d’entre eux, les parloirs
devraient être aménagés pour pouvoir recevoir des visites plus intimes et avoir des relations
sexuelles avec leur femmes ou copines. Du reste note l’un d’entre eux, « ça nous détendrait, et
même le personnel serait content », un autre expliquant que « ça ne fait pas partie de notre peine
que de ne pas pouvoir avoir des relations sexuelles ». Face au souci d’intimité, jugé
« inexistant », le regret qu’il n’y ait pas de « parloirs roses », comme en Espagne, est donc
vivace, d’autant que « cela permettrait de diminuer la violence dans la prison, et d’accepter sa
peine un peu mieux ».
Les surveillants sont pointés du doigt, car considérés comme trop sévères, « dépités car
beaucoup ont raté les concours publics et se sont retrouvés là ». Ainsi surviennent des situations
scandaleuses, qui découlent de provocations faites par certains envers les détenus. Pour autant,
tous ne généralisent pas le cas des surveillants, et admettent que certains ont su rester justes,
voire « sympas ». Pour les plus extrêmes, la vengeance est un passage obligé dès la sortie de
prison, et particulièrement chez les jeunes condamnés à de petites peines. Elle se traduit par des
vols chez certains surveillants, brigadiers, ou des menaces de mort.
D’ailleurs, concernant les visites, ils n’ont « droit qu’à 45 minutes de parloir par semaine. Ca
ne fait même pas deux jours complets par an ! ». Alors que beaucoup ressentent la nécessité de
pouvoir être soutenus par leur proches, expliquant pour une majorité d’entre eux qu’ils ne se
sentent pas aidés par les services d’insertion professionnelle et de probation (SPIP), les
139
professionnels de santé, encore moins par les aumôniers et visiteurs de prison, et presque pas du
tout par le personnel pénitentiaire (au contraire, « il n’y a pas de respect de la personne, les
humiliations sont courantes », « ils nous mettent la pression et certains sont racistes, il y en a un
qu’on appelle Hitler... »). Il n’y a bien que les enseignants qui donneraient un soutien, surtout à
partir de la seconde peine (seuls 21,9 % d’entre eux disent ne pas être soutenus par les
enseignants à partir de la seconde peine, alors qu’ils sont 46,9 % à le penser s’agissant de leur
première peine). La prison, cette « séquestration légale » comme l’appelle un détenu, serait alors
« une zone de non-droit parce qu’archaïque, à la différence de la Suède ou de l’Espagne ». Un
seul explique qu’il a reçu du soutien de la part d’autres détenus. Une majorité exprime plutôt le
fait que « le plus dur, c’est les rapports avec les autres, pas l’enfermement », il faut savoir « tout
bloquer pour éviter une future domination ».
Ce qui nous amène à un autre problème relevé par de nombreux détenus, et qui concerne
cette fois la population carcérale proprement dite. En effet, un changement de mentalité est
constaté par les plus âgés, et les conduit à dire qu’ « aujourd’hui, on trouve encore de la
convivialité en prison, mais pas de solidarité entre détenus, comme à l’époque. Ce qui donne
plus de pouvoir aux surveillants et à l’administration. »
« Il n’y a plus de respect chez les jeunes qui entrent » renchérit-il, d’autant qu’après un premier
passage, « certains sont traumatisés ; ils ont un désir de vengeance. D’autres sont dans leur bain ;
la prison les éduque au crime ». « Pour les personnes futées, la première chose qu’on voit en
prison, c’est comment faire de l’argent facile », nous dit un détenu. A cause des mauvaises
fréquentations explique un détenu qui est entré étant mineur, la prison sert d’ « école du crime »,
d’initiation à la drogue. C’est pour cette raison que certains détenus trouvent inacceptable la
présence de jeunes, voués à devenir de réels délinquants.
Un des détenus a vu dans son expérience carcérale de récidiviste plusieurs sentiments se
succéder : le premier sentiment fut la haine, puis vint la vengeance, et enfin la sagesse.
Dans cette idée à propos des effets de la prison, un autre considère qu’il s’agit d’un « mal
nécessaire ». S’il avait été seul, la prison l’aurait beaucoup moins servi. Il ajoute toutefois que
« la capacité d’adaptation est importante », car « la prison, pour les personnes en état de
désespoir, ne fait qu’aggraver les choses ». D’où l’importance du soutien, en plus de la force
morale et de la volonté de s’en sortir.
Un autre conclut que ce qu’il a appris c’est « la misère humaine, financière, sociale,
psychique », expliquant (paradoxalement) que « les Etats-Unis traitent la misère par la prison ; la
France, c’est la folie qu’elle traite par la prison ».
140
§ 4 - L’arrêt du cercle vicieux de la délinquance
Pour tous, le fait d’être « récidiviste » n’a aucun effet, c’est un simple constat, il n’y pas de
remarque à faire. Pour la majorité des interrogés, il est clair que la prison renforce, voire
crée l’avenir délinquant. « La prison m’a mis en prison, car on m’a vite fait comprendre que je
pourrai gagner plus en un jour dans l’illégalité qu’en un mois en étant ingénieur comme je le
voulais » explique l’un d’entre eux, à qui les autres détenus ont donné une véritable aura à ses
actes dès son incarcération, comme pour mieux lui enlever sa peur et l’amener à récidiver (« on
va apprendre aux jeunes qu’il vaut mieux tomber une fois lourde que cinquante fois pour de
petites choses »).
« La prison n’est pas adaptée ; encore moins pour les mineurs ou les récidivistes », elle va les
conduire dans un cycle infernal de délinquance et ne leur permettra de toute façon pas d’en
sortir. C’est pourquoi, il ne devrait pas y avoir de courtes peines (un détenu pense toutefois le
contraire : prison systématique car « trop bon, trop con » ; il faut être sévère, même si en même
temps, il ne tolère pas d’être enfermé pour un simple vol de voiture, et qu’il explique « qu’on y
inculque la rage »), car « l’école du crime » va faire son effet, alors que par un TIG, on aurait
peut-être pu faire prendre conscience au condamné qu’il a commis une faute, et éviter qu’il ne la
renouvelle. En plus, une incarcération fait très souvent (et très rapidement) tout perdre :
logement, emploi, parfois famille... En ressortant, beaucoup n’ont plus rien à perdre.
De manière synthétique, voici le regard que certains ont porté s’ils devaient juger des
infractions :
- pour les courtes peines, la semi-liberté ou la libération conditionnelle sont souvent réclamées
plutôt que de l’enfermement. Le TIG est demandé dans certains cas, tout comme une amende. Ce
qui est certain, c’est qu’une alternative à la prison s’impose en cas de courte peine correspondant
à un délit mineur ou ne méritant pas la prison (comme une fraude fiscale pour l’un des détenus)
- pour les infractions sexuelles, le bracelet électronique semble être la réponse la plus adaptée
aux détenus interrogés
- la présence des jurés pour les crimes les plus graves est critiquée par l’un des détenus, qui
considère qu’ils n’ont rien à faire dans un tribunal, et encore moins en cas de crime grave
- dans tous les cas, la prison devrait rester exceptionnelle.
A la sortie, certains insistent néanmoins sur la nécessité de « savoir faire table rase du
passé ». « On a perdu du temps en récidivant, mais il faut l’accepter et ne pas essayer de rattraper
le temps perdu ». Au contraire, « il faut garder en tête les expériences du passé comme un
enrichissement ».
Pour ceux qui tirent une expérience positive de la prison, l’acquisition d’une certaine sagesse
donne la volonté de transmettre ce sentiment aux plus jeunes, à travers des associations
141
notamment. D’autres disent qu’à la sortie, « on devient solidaire, bienveillant avec les proches, la
famille », mais qu’« il n’y a pas d’amis ».
La prison apprend aussi à « être plus prudent », ne pas se faire arrêter à nouveau, mais pas
vraiment à ne pas recommencer. Quitte à récidiver, mieux vaut-il que cela en vaille la peine : « je
préfère prendre 6 ans et récolter un ou deux millions d’euros en trafic de stups, que de me
prendre quelques mois pour des petits délits ».
Et même si une nouvelle incarcération survient, il faudra faire passer le temps, en attendant de se
retrouver dehors pour aussitôt reprendre ses activités illégales. Parce que pour beaucoup, ces
activités constituent un travail, il faut se lever tôt pour repérer les endroits que l’on va plus tard
voler, choisir les victimes, ou pour rencontrer de nouveaux acheteurs ou contacts pour vendre
des stupéfiants.
De toute façon, « tout le monde trafique, tout le monde en profite ; pour certains c’est presque
légal, d’autres on les met en prison ». Par là, on voit des références à certains hommes politiques
(Alain Juppé ou Jacques Chirac sont par exemple cités, mais aussi Georges W. Bush qui fait du
« business à grande échelle »), mais aussi à des chefs d’entreprises, ou à des professions comme
les chirurgiens « qui gagnent déjà beaucoup pour opérer des pauvres, mais qui en plus
demandent des rallonges sous le manteau pour prendre telle personne ou pour qu’elle soit
avancée sur la liste d’attente ». Alors « pourquoi on aurait pas droit à un petit casse-croûte dans
tout ça ? » demande un détenu. Le gouvernement opère un « terrorisme légal » mais il « faut
qu’il fasse attention à la rage qui monte dans les banlieues ». Il faut « tout changer par
l’éducation et non par la répression à la Sarkozy ! ».
Mais il semble très difficile de faire sortir bon nombre d’entre eux de ce cycle, parce que leur
sentiment face à la justice en tant qu’institution mais aussi en tant qu’idéal, est particulièrement
inexistant ou détérioré. « Une peine et un procès équitable » pourraient, selon certains, leur
redonner confiance en la société, et leur permettre ainsi de reprendre voire de prendre des
activités plus conventionnelles. Il ne s’agit pas de « resocialiser mais de socialiser ».
Un bracelet électronique, en fin de peine, pourrait les aider à reprendre leurs habitudes s’il était
utilisé de manière à éviter les sorties dites « sèches ». Un tel outil ne les empêcherait pas pour
autant de « retourner dans le milieu, mais peut-être de ne pas personnellement commettre
d’infractions ». Du moins, on peut le penser dans un premier temps, car à la vue de l’argent
facile rapporté, il sera vraisemblablement très difficile de ne pas succomber à la tentation.
Certains ne s’en cachent pas : « tôt ou tard, le diable en moi va ressortir ».
De plus, l’habitude prise de “bien vivre”, avec des revenus conséquents, sera extrêmement
difficile voire impossible à perdre puisque le suivi est pratiquement inexistant ou plus
simplement inadapté (« l’argent appelle l’argent »). Il faudrait pouvoir sortir avec un peu
142
d’argent (« un métier et un salaire décents », « qu’est-ce vous voulez que je fasse avec 1200 €
par mois ? il faut gagner plus ! »), avoir la « possibilité de louer en HLM », alors que la prison
fait finalement repartir de zéro avec pratiquement l’impossibilité de gagner sa vie en sortant.
Beaucoup expliquent qu’ils changeront d’infractions au cas où ils seraient à nouveau arrêtés,
pour éviter de tomber sous le coup de la récidive juridiquement entendue.
D’autres parlent de quitter la France parce que la vie y est trop difficile et qu’une construction et
une ascension sociale sont presque impossibles, surtout lorsque certains chefs d’entreprises
demandent un extrait de casier judiciaire, permettant au passé de les rattraper...
Beaucoup parlent de la nécessité de réformer complètement le systèmes judiciaire et carcéral
français : « c’est une machine à broyer pour la sûreté de l’Etat sinon la justice aurait des
moyens ».
Par ailleurs, les possibles provocations policières n’aident en rien non plus l’ex-détenu à ne pas
commettre de nouvelles infractions : il faudra bien à un moment « qu’on [les] laisse tranquille ».
Il leur faut assurément une peine, mais celle-ci doit effectivement « être éducative » (« il faut
apprendre la discipline, le travail, là on fabrique de la délinquance »), alors pourquoi pas d’utilité
publique. Cela aurait le double intérêt de faire mieux voir la population carcérale aux yeux de
l’opinion publique, mais aussi de donner à ces détenus le sentiment d’avoir une utilité sociale
que beaucoup recherchent.
Mais « avant de demander à quelqu’un de s’insérer, il faut lui permettre de fonctionner »
expliquent certains. Une demande d’aide psychologique plus importante est criante, en même
temps qu’une manifestation réelle d’une volonté de s’insérer pour beaucoup, mais aussi une
demande d’aide matérielle pour pouvoir se construire ou se reconstruire. La volonté de voir
améliorer la condition des prisons est manifestée par de nombreux détenus.
Certains détenus nous disent qu’ils n’ont pas connaissance de ce qu’ils vont faire en sortant.
Il y a comme une « envie de liberté, et en même temps une peur de cela », car « même la prison
peut devenir banale : à la base, c’est dur d’y rentrer, mais on finit par s’adapter et c’est la sortie
qui devient difficile. Rester dehors devient alors plus dur ».
Le refus de travailler pour l’instant est aussi rencontré chez une partie des détenus
(notamment les jeunes) : « le travail, c’est pour plus tard ». D’autres, en revanche, préfèreraient
travailler, car « déjà c’est légal », et ils pourraient « facilement lutter contre leur milieu », du fait
de ne plus avoir besoin d’activités illégales pour avoir un peu d’argent.
Certains détenus expliquent « qu’il faudrait tout changer, qu’il faut partager », que les
inégalités sociales ont une part très importante dans leur passage à l’acte. « Si je n’ai pas
construit ma maison, c’est parce que c’est pas une bonne vie, ce n’est pas une bonne société »
nous a-t-on confié.
143
« Il faut remettre les choses à leur place » nous disait-on, notamment les peines comme le
proposait un détenu, ce qui permettrait de redonner confiance en la justice, et peut-être d’éviter
certaines récidives. « De la confiance pour ouvrir l’esprit ou pouvoir ensuite éduquer ».
« Celui qui ouvre une porte d'école, ferme une prison ». Victor Hugo.
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BIBLIOGRAPHIE GENERALE
TRAITES ET MANUELS
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Partage
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http://www.prison.eu.org/article.php3?id_article=7225
Prisons (http://prisons.free.fr)
Vie publique (http://www.vie-publique.fr) :
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BOUMEDIENE-THIERY (A.), intervention de Mme la sénatrice (Les verts) en séance
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« Rapport Burgelin : des propositions dangereuses et des perspectives inquiétantes »,
Section française de l’Observatoire international des prisons (OIP), 1er juillet 2005,
http://www.monde-solidaire.org/spip/article.php3?id_article=2237
Le Nouvel Observateur (http://permanent.nouvelobs.com) :
« Clément annonce 13.200 places en plus », 24.05.06,
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www.justice.gouv.fr/cjn/actual.htm
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http://www.justice.gouv.fr/presse/com081205b.htm
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http://www.justice.gouv.fr/minister/DAP/chiffresclesAPdec05.pdf
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homme.fr) :
Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Etude sur les droits de
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2004, http://www.commission-droits-homme.fr/travauxCncdh/droitsprison.html
pierre-victor.tournier@wanadoo.fr
(documents fournis sur demande)
Informations Criminologiques Hebdo, Agence d’Information Indépendante et Interactive
sur les Politiques Pénales et Pénitentiaires, n°140, 15 mai 2006
Arpenter le champ pénal / Les comptes du Lundi 17/07/06
161
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 1
I. Les mots en débat 1
A. Discussion sur la notion de traitement 2
B. Récidivisme : de la récidive à la réitération 3
II. La rechute ou la récidive dans le champ médical 5
III. Sur le principe général de l’aggravation des peines en cas de récidive 8
IV. Aperçu historique de l’évolution du droit de la récidive et de la sanction pénale 10
A. L’Ancien régime 10
B. Le droit révolutionnaire 12
C. Le XIXe siècle 12
D. Le XXe siècle 15
V. Le contexte sécuritaire 18
Première partie : Une tentative de traitement du récidivisme 22
Chapitre 1er : Chronologie d'une loi d'opinion 23
Section 1ère : De l'actualité au débat politique 24
§ 1 : La proposition des « peines plancher » 24
A. L’opposition entre le ministre de l’Intérieur et le Garde des Sceaux 25
B. Sur la « Proposition de loi tendant à instaurer des peines minimales en
matière de récidive » 26
§ 2 : La mission d’information de l’Assemblée nationale 27
A. Le rejet des peines plancher 28
B. Les autres propositions relatives au traitement de la récidive 30
Section 2nde : Des difficultés dans l'élaboration de la loi du 12 décembre 2005 34
§ 1 : Des débats parlementaires passionnés 35
A. Les « dispositions relatives à la récidive, à la réitération et au sursis » 35
B. Les « dispositions relatives au placement sous surveillance électronique
mobile » 37
162
§ 2 : Une décision du Conseil constitutionnel laconique 39
A. Le décernement du mandat de dépôt à l’audience, une relative automaticité
validée 40
B. Le PSEM dans la surveillance judiciaire des personnes dangereuses,
une « modalité d’exécution » immédiatement applicable 42
Chapitre 2nd : L'objectif d'un traitement rapide et efficace des
récidivistes et réitérants 47
Section 1ère : Pour une meilleure identification du phénomène 47
§ 1 : Un champ d’investigation étendu 47
A. Vers la reconnaissance des décisions des juridictions étrangères 48
B. Vers l’amélioration des outils d’identification du récidivisme 49
1. La nécessaire modernisation du casier judiciaire 50
2. L’institution d'une commission d'analyse et de suivi de la récidive 53
§ 2 : Une évaluation chiffrée incertaine 55
A. Les chiffres, entre difficultés d’analyse, différences méthodologiques et
polémiques stériles 55
B. Le critère récidivant, entre nature de l’infraction initiale, type de sanction
pénale et contexte social 58
Section 2nde : Pour un « meilleur » traitement du récidiviste 61
§ 1 : Faire de l’application des peines une priorité 63
A. Des réductions aux crédits de peine 63
B. Du traitement à l’encadrement de protection sociale des malades 66
§ 2 : Faire du suivi post incarcération une nécessité 68
A. La peine de suivi socio-judiciaire 69
B. La mesure de surveillance judiciaire des personnes dangereuses 72
163
Seconde partie : Le choix réitéré de la répression dans le
traitement du récidivisme 77
Chapitre 1er : Un spectre sécuritaire omniprésent 78
Section 1ère : L'obsession « pénalocentrique » 78
§ 1 : Une légalisation démesurée de la réitération 79
A. La réitération ou une « récidive totale » 79
B. La sanction de la réitération 80
§ 2 : Une extension considérable du champ d’application de la récidive 81
A. De nouvelles assimilations au regard de la récidive 81
B. Un statut spécifique à l’égard du récidiviste 82
Section 2nde : La philosophie du « carcéralisme » 85
§ 1 : La prison, reine des peines 86
A. Brève réflexion historique et critique du système carcéral 86
B. Etat des lieux de l’inflation carcérale 88
§ 2 : L’individualisation, entre le principe et l’amoindrissement de son application 91
A. Sur le second alinéa de l’article 132-24 du code pénal 92
B. Des autres nouvelles dispositions tenant à l’amoindrissement de
l’individualisation des peines 94
Chapitre 2nd : Un objectif d'insertion à repenser 98
Section 1ère : Redonner une dignité perdue 99
§ 1 : Sur les conditions psychologiques et médicales en détention 100
A. Hygiène et prise en charge médicale, une obligation morale et sociale 100
B. Solitude, isolement, addictions, des difficultés psychologiques quotidiennes
en détention 102
§ 2 : Sur les conditions physiques et matérielles de détention 105
A. Pression sécuritaire et discipline nécessaire 105
B. Crise économique et détention 108
164
Section 2nde : Redonner un sens à la peine 110
§ 1 : Se poser la question du sens 111
A. Le sens du jugement 112
B. Le sens de la sanction pénale 113
§ 2 : Retrouver le sens social 116
A. Liens sociaux et familiaux 116
B. Utilité sociale et réinsertion 120
CONCLURE , VERS L’AVENIR 124
Annexe 127
Bibliographie générale 145
Table des matières 161