Vous avez dit "barricade" ?

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BARRICADE 371 RUE DES PYRENEES 75020 PARIS - 01 43 66 08 85 NOV 11 Mensuel Surface approx. (cm²) : 2457 Page 1/7 HISTOIRE3 7154010300506/GNN/OTO/2 Eléments de recherche : Toutes citations : - MUSEE DE L'HISTOIRE DE FRANCE : uniquement celui à Paris 3ème - HÔTEL DE SOUBISE, à Paris 3ème - ARCHIVES NATIONALES : à Paris 3ème, Fontainebleau (77) et Pierrefitte-sur-Seine (93) Vous avez dit « barricade » ? La barricade, c'est d'abord un paradoxe ! Matériellement, c'est une « construction éphémère, qui se dresse (souvent dans l'improvisation), puis s'efface comme un songe »V Son destin est toujours d'être prise, évacuée, puis rasée et balayée dans la hâte comme amas de débris, jamais de durer. Elle est vouée à la disparition immédiate dès la fin des événements qui en sont à l'origine, et personne n'a jamais visité une barricade « historique » comme on peut visiter un monument « historique », église ou château. P ourtant, elle est un symbole fort de résistance(s) et de révolution(s). La barricade fait et défait les régimes politiques, elle est une composante importante de notre culture politique. Éphémère sur le terrain, magnifiée par l'art, elle est un espace révolutionnaire profondément inscrit dans l'imaginaire collectif. Mais que savons- nous réellement d'elle, de son histoire, des images et des symboles qui s'y rattachent ? Christiane Demeulenaere-Douyère est Conservatrice générale du patrimoine au Centre historique des Archives nationales renforcer en sortant des caves des tonneaux (barriques) que l'on remplit de terre pour se protéger, puis en ajoutant tom- bereaux, chariots et charrettes... bref, tout ce que nous connaissons pour faire une bonne barricade. Les « Journées des barricades » de 1588 pérennisent le mot et son emploi et le popularisent en Europe, notamment en anglais et en allemand. Mais c'est avec Victor Hugo qu'il connaît la gloire littéraire : le mot barricades et le verbe barricader apparaissent 338 fois dans "Les Misérables". Les origines d'un mot D'abord, le mot interroge. La barricade, c'est un amon- cellement d'objets divers derrière lesquels on s'abrite, on se protège. Alors pourquoi ne pas dire retranchement ou for- tification ? Son but est de barrer la rue, d'interrompre la cir- culation, on aurait pu la dénommer barrage ou barrière... Pourquoi « barricade » ? Dorigine du mot est discutée. Il a une double parenté, avec le substantif barrique (tonneau ou baril) et avec le verbe barrer. Pour certains, il serait dérivé de barrique, ancien mot d'Aquitaine emprunté par le français, avec l'ajout du suffixe ade, pour d'autres, il vien- drait de barriquer, mot influence lui-même par le proven- çal barricada (« fermé avec une barre »). Il appartient d'abord au vocabulaire militaire et est uti- lisé dans un contexte de guerre de siège, au XV? siècle, aussi bien par Biaise de Montluc que par Ambroise Paré pour désigner un « retranchement formé de l'amoncellement de divers objets ». Au siècle suivant, le mot barricades désigne des « chaînes qu'on tend aux avenues des rues des villes, barriques, ou autres choses qu'on met aux avenues des rues pour se défendre et arrêter l'effort des ennemis 2 ». Ces chaî- nes que l'on tend au travers des rues, rien n'interdit de les Petite histoire des barricades Les barricades font leur entrée en politique, et dans l'Histoire, en Bohême au XIV siècle, au cours des guerres hussites. Mais ce sont les journées de mai 1588, dites « Journées des barricades », qui les introduisent en France et plus particulièrement à Paris. On est alors en pleines guerres de religion, la Ligue et le duc de Guise disputent le pouvoir au roi Henri III. Le 12 mai 1588, 4 000 hommes d'armes, Suisses et gardes françaises, appelés en renfort par le roi, entrent dans Paris et prennent position aux endroits stratégiques et autour du Louvre. Les Parisiens s'inquiètent et prennent les armes, aussitôt la ville se hérisse de barrica- des. Un mot d'ordre se répand : « Allons barricader ce bougre de Roi dans son Louvre ». De défensive, la barricade devient menaçante pour le roi et, le 13 mai, en fm de journée, Henri III doit quitter Paris. C'est le divorce entre le roi et sa capitale, un divorce auquel Henri IV mettra fm au prix d'une messe. Puis ce sont les barricades de 1648. Cette fois, la France est en proie à une autre guerre civile, la Fronde. Louis XIV est mineur, Anne d'Autriche et Mazarin gouvernent la France, et le Parlement de Paris refuse les mesures financières souhaitées

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Eléments de recherche : Toutes citations : - MUSEE DE L'HISTOIRE DE FRANCE : uniquement celui à Paris 3ème - HÔTEL DE SOUBISE, à Paris3ème - ARCHIVES NATIONALES : à Paris 3ème, Fontainebleau (77) et Pierrefitte-sur-Seine (93)

Vous avez dit

« barricade » ?La barricade, c'est d'abord un paradoxe ! Matériellement, c'est une « constructionéphémère, qui se dresse (souvent dans l'improvisation), puis s'efface comme un songe »V Sondestin est toujours d'être prise, évacuée, puis rasée et balayée dans la hâte comme amas dedébris, jamais de durer. Elle est vouée à la disparition immédiate dès la fin des événementsqui en sont à l'origine, et personne n'a jamais visité une barricade « historique » comme onpeut visiter un monument « historique », église ou château.

Pourtant, elle est un symbole fort de résistance(s)et de révolution(s). La barricade fait et défait lesrégimes politiques, elle est unecomposante importante de notreculture politique. Éphémère sur

le terrain, magnifiée par l'art, elle est unespace révolutionnaire profondément inscritdans l'imaginaire collectif. Mais que savons-nous réellement d'elle, de son histoire, desimages et des symboles qui s'y rattachent ?

ChristianeDemeulenaere-Douyère

estConservatrice générale

du patrimoine auCentre historique desArchives nationales

renforcer en sortant des caves des tonneaux (barriques) quel'on remplit de terre pour se protéger, puis en ajoutant tom-

bereaux, chariots et charrettes... bref, tout ceque nous connaissons pour faire une bonnebarricade. Les « Journées des barricades » de1588 pérennisent le mot et son emploi et lepopularisent en Europe, notamment enanglais et en allemand. Mais c'est avec VictorHugo qu'il connaît la gloire littéraire : le motbarricades et le verbe barricader apparaissent338 fois dans "Les Misérables".

Les origines d'un mot

D'abord, le mot interroge. La barricade, c'est un amon-cellement d'objets divers derrière lesquels on s'abrite, on seprotège. Alors pourquoi ne pas dire retranchement ou for-tification ? Son but est de barrer la rue, d'interrompre la cir-culation, on aurait pu la dénommer barrage ou barrière...Pourquoi « barricade » ? Dorigine du mot est discutée. Il aune double parenté, avec le substantif barrique (tonneauou baril) et avec le verbe barrer. Pour certains, il seraitdérivé de barrique, ancien mot d'Aquitaine emprunté par lefrançais, avec l'ajout du suffixe ade, pour d'autres, il vien-drait de barriquer, mot influence lui-même par le proven-çal barricada (« fermé avec une barre »).

Il appartient d'abord au vocabulaire militaire et est uti-lisé dans un contexte de guerre de siège, au XV? siècle, aussibien par Biaise de Montluc que par Ambroise Paré pourdésigner un « retranchement formé de l'amoncellement dedivers objets ». Au siècle suivant, le mot barricades désignedes « chaînes qu'on tend aux avenues des rues des villes,barriques, ou autres choses qu'on met aux avenues des ruespour se défendre et arrêter l'effort des ennemis2 ». Ces chaî-nes que l'on tend au travers des rues, rien n'interdit de les

Petite histoire des barricades

Les barricades font leur entrée en politique, et dansl'Histoire, en Bohême au XIV siècle, au cours des guerreshussites. Mais ce sont les journées de mai 1588, dites« Journées des barricades », qui les introduisent en Franceet plus particulièrement à Paris. On est alors en pleinesguerres de religion, la Ligue et le duc de Guise disputent lepouvoir au roi Henri III. Le 12 mai 1588, 4 000 hommesd'armes, Suisses et gardes françaises, appelés en renfort parle roi, entrent dans Paris et prennent position aux endroitsstratégiques et autour du Louvre. Les Parisiens s'inquiètentet prennent les armes, aussitôt la ville se hérisse de barrica-des. Un mot d'ordre se répand : « Allons barricader ce bougrede Roi dans son Louvre ». De défensive, la barricade devientmenaçante pour le roi et, le 13 mai, en fm de journée, Henri IIIdoit quitter Paris. C'est le divorce entre le roi et sa capitale, undivorce auquel Henri IV mettra fm au prix d'une messe.

Puis ce sont les barricades de 1648. Cette fois, la France esten proie à une autre guerre civile, la Fronde. Louis XIV estmineur, Anne d'Autriche et Mazarin gouvernent la France, etle Parlement de Paris refuse les mesures financières souhaitées

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ANATOMIE DELA BARRICADE

A quoi ressemble une barricade ?Existe-t-il d'ailleurs une barricadestandard ? ['iconographie apportedes précieux renseignementsà cet égard3. À l'origine de toutebarricade, il y a un bricolage,car la barricade est faite d'objetshétéroclites, récupérés dans sonenvironnement immédiat etdétournés de leur usage quotidienet banal : des barriques et desfutailles tirées des caves, souventremplies de pavés ou de terre,pour les renforcer contre lesboulets, des pavés pris à lachaussée, dont la taille et larégularité sont importantes dansla construction de l'édifice, destables, des charrettes ou des rouesde charrette, du mobilier urbain,des véhicules (omnibus, tramways,wagons...), du matériel dechantier (planches et poutres,éléments d'échafaudage, sacs desable). On y trouve aussi desportes arrachées de leurs gonds,des tuiles, des meubles lancés parles fenêtres des maisons voisines,des bottes de paille... Cet amassans fondations sera ensuiteconsolidé (y compris à labétonneuse, comme à Alger,en 1960). Les dimensions dela barricade sont extrêmementvariables, selon le site choisi pourles construire et selon qu'il s'agitde barrer l'entrée d'une rue, faceà un carrefour ou à une place,ou de défendre un boyau plusétroit. Sa hauteur varie de 0,50à 1,80 mètre, atteignant mêmeparfois 3 à 5 mètres et constituantalors de véritables forteresses.Mais la barricade peut être aussiune oeuvre d'architecture élaborée.Avec les événements de 1870-1871et les deux Commissions desbarricades (celle du gouvernementde défense nationale et celle dela Commune), on assiste àl'apparition d'un type scientifiquede barricade.

par le gouvernement. Le 26 août 1648,on annonce l'arrestation des conseil-lers Broussel et Blancmesnil, meneursde l'opposition parlementaire. Aussitôt,des chaînes sont tendues à travers lesrues, dans la partie occidentale de l'île dela Cité, peuplée essentiellement d'offi-ciers, de marchands et d'artisans aisés.Le lendemain, l'émeute se propage dansParis qui à nouveau se hérisse de barri-cades - entre 600 et I 200. Le pouvoir estcontraint de céder; il fait libérer lesconseillers et les barricades disparais-sent. À la suite de cette Fronde parle-mentaire, la Cour doit se réfugier àSaint-Germain-en-Laye et l'on sait larancune de Louis XIV en gardera contre

la capitale. Ensuite, l'histoire des barri-cades parisiennes s'interrompt et il fautattendre la Révolution et, particulière-ment, les journées de prairial an III (20-22 mai 1795) pour les voir refleurir -assez timidement - dans les faubourgsSaint-Antoine et Saint-Marceau.

On le sait, le XIX1 siècle est le siècledes révolutions et, dès lors, la barri-cade devient un acteur important de lavie politique. On peut affirmer que leXIXe siècle est l'âge d'or de la barri-cade, en France et particulièrementdans la rue parisienne. En 1814, l'an-nonce de l'invasion par les Alliés coali-sés contre Napoléon Ier et la menace

BARRICADE DU PANTHÉON

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BARRICADE DU BOULEVARD DE BELLEVILLE

d'un siège de Paris font ressurgir les barricades, non pascomme un mode d'expression du mécontentement populaireou de la contestation révolutionnaire, cette fois, mais commeun moyen d'autodéfense de la capitale. Le 30 mars 1814, lesCosaques sont arrêtés par une barricade à la hauteur deMontfaucon. En 1815, on observe le même phénomène:quèlques barricades se construisent, sans plan d'ensemble,notamment à la barrière de Clichy.

Lors des troubles frumentaires de 1817, on note quèl-ques barricades en province. Mais leur retour à Paris, rueSaint-Denis, les 19 et 20 novembre 1827, à l'occasion desmanifestations qui entourent les élections, est décisif. C'estalors que se construit le modèle de la barricade révolution-naire qui restera en vigueur jusqu'en 1870 et qui connaîtraune belle postérité en 1830, 1832, 1834, 1839, en février etjuin 1848, en 1849 et 1851. À chacune de ces occasions, desbarricades accompagnent l'insurrection. Elles sont mêmepartie intégrante du dispositif de mobilisation révolution-naire : on compte 4 054 barricades à Paris en juillet 1830, etI 512 en février 1848. Une des grandes figures révolution-naires de cette époque, Auguste Blanqui (1805-1881), a été

un véritable théoricien de la barricade et de sa stratégie.Dans son essai intitulé "Instructions pour une prise d'armes",il examine les causes de l'échec des journées de juin 1848.Il envisage les barricades comme des pièces stratégiques,intégrées dans un plan d'opérations arrêté à l'avance (onest loin de barricades improvisées et spontanées). Ellesdoivent être construites assez solidement pour « arrêterdes troupes, les contraindre à un siège, résister assez long-temps au canon ». Il calcule ainsi qu'il est nécessaire dedépaver 48 mètres de rue pour construire une barricade.Ses réflexions trouvent un écho chez les blanquistes et onvoit, en 1869, s'organiser des exercices de barricade dansun logement du Quartier latin ! Le Second Empires'achève dans un contexte difficile ; tandis que se déve-loppe le mouvement des « réunions publiques », les barri-cades réapparaissent dans les rues de Paris, en particulierdans les quartiers populaires, à la Bastille, au faubourg duTemple, à Popincourt, à Belleville, à l'occasion des émeu-tes de mai, juin et octobre 1869, et février et mai 1870. Àl'automne 1870, une rupture s'opère. Malgré des tensionssociales très vives, la barricade est la grande absente de laJournée du 4 septembre 1870 qui voit la proclamation de la

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LES ACTEURSDE LA BARRICADE

Qui sont ces hommes et ces femmes derrière les barricades ?Les effectifs varient : cent à deux cents hommes derrière les plusimposantes d'entre elles, à peine une poignée de quèlques dizai-nes d'individus pour les barricades de quartier. Les acteurs de labarricade sont divers : il y a ceux qui la construisent, ceux qui ladéfendent et s'abritent derrière elle, ceux qui circulent à l'inté-rieur du réseau. La littérature et l'iconographie en livrent desstéréotypes : l'étudiant enthousiaste, l'ouvrier généreux, lafemme compatissante, l'enfant gouailleur, le garde héroïque, lemeneur fanatique, la femme travestie, la prostituée... et autantde contretypes, comme les femmes de la Commune, dépeintesen harpies incendiaires.

Les travaux de Jacques Rougerie sur la Commune de 1871,basés sur les archives de la répres-sion, ont révélé des barricadiers enfait bien ordinaires : des gens relati-vement jeunes (30-35 ans), stables,pour moitié mariés ou veufs, « ins-tallés » dans la vie, pas vraiment desmarginaux, même si 20% d'entreeux ont eu déjà maille à partir avecla justice pour de petits délits. Enfait, un condensé de la populationtravailleuse adulte de la capitale, enmajorité des ouvriers du bâtiment,des journaliers, de petits employéssans qualification et, à l'opposé, dcsouvriers très qualifiés, travailleurs dumétal et du bois, et de ces ouvriers-artistes parisiens (cordonniers save-tiers, ouvriers du livre), et aussi desmarchands de vin.... Car ces derniers, tout comme les pharma-ciens, se retrouvent souvent sur les barricades parce qu'ils y ontété en quelque sorte « requis », leurs établissements servantd'appui à la barricade ou d'infirmerie.

Derrière les barricades, il existe un fort caractère d'« intercon-naissance ». On s'y retrouve en groupes de voisins, accrochés à unquartier, une rue, un bloc de maisons, si bien que certains ne seretrouvent enrôlés parmi les insurgés que parce que la barricadeest perçue par eux comme un prolongement de leur rue, de leurmaison. Ceux-là cèdent à l'entraînement, à la convivialité ; dans lecombat, ils défendront la barricade comme leur propre territoire.La barricade est une affaire de voisinage, où l'on côtoie ses voi-sins de palier, les gens que l'on croise quotidiennement dans larue, ceux avec qui l'on travaille ou l'on boit une chope. Ce quiexplique aussi qu'on trouve sur les barricades en grande majorité

BARRICADE DU CANAL SAINT-MARTIN

des artisans, des commis de boutique, des jeunes du quartier, par-fois des vagabonds, mais très peu d'étudiants. Car si la barricadeest affaire de voisinage, il n'y a pas derrière elle d'abolition desdistances sociales, peu ou pas de fraternisation sociale.

Les formes de participation à la barricade sont aussi gra-duées, du meneur emporté par l'élan de ses convictions aux plusobscurs ou aux moins téméraires qui se cantonnent dans detâches subalternes : remplir les sacs de terre, fabriquer la pou-dre... La barricade est un univers majoritairement masculin,parce que le combat est masculin. Mais les femmes n'en sontpas absentes, loin de là ; leur participation tend même à croîtreau cours du XIXe siècle. Cantinières, ambulancières, infirmières,victimes aussi, elles y ont un rôle souvent compassionnel. Maiselles figurent aussi parmi les bâtisseurs de la barricade : pour

coudre et remplir les sacs de terre,voire même prendre la pioche,comme, en 1871, les dames de laHalle qui édifient une barricade de20 mètres de long à l'intersectionde la rue de Rivoli et du boulevardde Sébastopol. Il leur arrive aussiprendre les armes, comme à la « bar-ricade des femmes» de la placeBlanche, défendue par cent vingtfemmes. Mais la femme peut aussi yfigurer sous une autre figure, cellede la femme travestie en homme,de la femme sans sexe, de la furie,de la pétroleuse de 1871, dont on fitune arme de contre-propagande etqui frappa si fort l'opinion.

Éphémères, comme souvent les événements qui les ont susci-tées, les barricades ont néanmoins marqué profondément lesmémoires. Symboles de révolte et de résistance, elles ont acquis,par la grâce de la littérature et des beaux-arts, une place impor-tante dans notre patrimoine imaginaire. Quand on évoque les bar-ricades, qui ne pense aux "Misérables" de Victor Hugo, à "L'insurgé"de Vallès, ou à "La Liberté guidant le Peuple" de Delacroix ?

Les poètes se sont emparés du mythe de la barricade.Jean-Baptiste Clément a dédié, après coup, "Le Temps descerises" à Louise, la jeune ambulancière de la dernièrebarricade de la Commune, et Eugène Pottier, l'auteur de"L'Internationale", a souhaité « qu'on élève une barricade/ Pourmonument aux Fédérés ». Avec eux, c'est à tous les acteursanonymes de la barricade que je dédierai cet article.

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DÉFENSE DE BARRICADES DE LA PLACE VENDÔME

République, tout comme elle est absente des journées révo-lutionnaires d'octobre 1870 et de janvier 1871. Plus encore,elle déserte le centre de la capitale pour la périphérie etabandonne son caractère révolutionnaire pour reprendresa vocation militaire première : elle redevient un élémentdans la stratégie de défense de la capitale face à l'invasionétrangère, puis face aux troupes versaillaises. Paris se « bar-ricade » pour se défendre. La première Commission desbarricades, constituée le 19 septembre 1870 sous la prési-dence du journaliste Henri Rochefort, décide « qu'un sys-tème complet de barricades formerait autour de Paris uneseconde enceinte inexpugnable ». La barricade devient alorsun véritable retranchement, dont, à la différence des ancien-nes barricades élevées à la va-vite, sans plan, dans l'improvi-sation, la situation et le tracé sont soigneusement étudiés.

Le 18 mars 1871, la tentative du gouvernement pourprendre les canons de la Garde nationale (c'est l'épisode tragi-que de la mort des généraux Leconte et Thomas rue desRosiers, à Montmartre) provoque le retour à la barricade tra-ditionnelle, la barricade populaire, contestataire, improvisée,sur laquelle les Fédérés en uniformes prennent volontiers desposes martiales devant lobjectif du photographe. Mais, à côté

de ces fortifications de fortune, il existe aussi d'imposantesbarricades-citadelles, dont la construction est organisée parles autorités de la Commune : « Plus de cent ouvriers bâtis-saient, maçonnaient, pendant que les enfants brouettaient laterre du square Saint-Jacques. Cet ouvrage, de plusieursmètres de profondeur, d'une hauteur de 6 mètres, avec des fos-sés, des embrasures, une avancée, fut entièrement terminé en24 heures". » Rentrée des Versaillais dans Paris, le 21 mai, etl'investissement progressif de la capitale entraînent l'érectionspontanée d'autres barricades, particulièrement dans l'Est pari-sien. Le mot d'ordre « Chacun dans son quartier ! » les favorise.Il s'agit le plus souvent de pauvres retranchements, édifiés enpavés arrachés à la chaussée, dont l'épaisseur ne dépasse guère Imètre 50 et la hauteur celle d'un homme debout.

Après la Commune, la barricade connaît un nouvelle etlongue éclipse au profit de la manifestation de rue, jusqu'auxjournées parisiennes de février 1934. Encore, dans ce cas, lesbarricades se concentrent-elles plutôt dans l'Est parisien, ces« îlots stratégiquement maîtrisés », à forte tradition révolu-tionnaire, et font-elles figure d'archaïsmes.

La Seconde Guerre mondiale et la libération de Parisconfèrent à la barricade une nouvelle légitimité, pour lutter

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LA DERNIERE BARRICADE DE LA COMMUNE, AU CROISEMENT DE LA

RUE DE TOURTILLE ET DE LA RUE RAMPONNEAU, LE 28 MAI 1871.

DESSIN DE ROBIDA

contre l'armée doccupation et paralyser la circulation deses blindés

Cest la barricade résistante, qui devient un attribut dela souveraineté nationale.

Maîs cette légitimité nouvelle, issue de la Résistance,s'estompe progressivement dans le cours de l'après-guerreÀ la barricade urbaine se substitue le barrage paysan etouvrier. En mai 1952, le phénomène barncadier connaîttoutefois une brève résurgence lors de la tournée euro-péenne du général Matthiew Ridgway, successeurd'Eisenhower à la tête de l'OTAN en Europe, et surnommé

« Ridgway la peste » à cause des essais d'armes bactériologi-ques, en Corée.

tépisode de la « Semaine des barricades », à Alger, du24 janvier au I" février 1960, ruine définitivement sa légi-timité politique.

Puis arrive Mai 1968, et ses barricades... Curieuses barri-cades, sans aucune utilité stratégique, maîs à très forte chargesymbolique. Avec elles, on passe de la barricade-objet straté-gique à la barricade support d'imaginaire.

Christiane Demeulenaere-Douyère

1- Cet article doit beaucoup a l'extrême richesse de l'ouvrage dirigepar Alain Corbin et Jean Marie Mayeur, "La Barricade", Pressesde la Sorbonne, 1997, on y renvoie donc globalement, pour la citation,A Corbin, « Preface », ibid, p 82 "Dictionnaire français" de Richelet, 16803- On trouvera des photographies de certaines des barricades de 1871dans Jean Braire, "Sur les traces des Communards, guide de la Communedans le Paris d'aujourd'hui", Amis de la Commune, 1988, p 179 193

Voir aussi Jacques Rougene, "Pans insurge, la Commune de 1871",Gallimard Decouvertes, n° 263,1995 Sur l'atmosphère qui règne sur lesbarricades, Jules Valles, "L'Insurgé"4- P O Lissagaray, "Histoire de la Commune de 1871 ", Maspero, 19835 Raymond Huard, "Napoleon Gaillard, chef barncadier de la Commune,18151900", in La Barricade, op cit, p 311 -3226 Maxime Vuillaume, "Mes cahiers rouges au temps de la Commune",Actes sud, coll Babel, 1998, p 447

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Napoléon Gaillard et

« la science de la barricade »

Le nom de Napoléon Gaillard (1815-1900), pittores-que et éphémère directeur général des barricadesde la Commune entre le 30 avril et le 15 mai 1871,est étroitement lié à l'histoire de la barricade etmérite qu'on s'y attarde un peus.

Napoléon Gaillard, dit aussi Gaillard père, est cordonnier,mais il se revendique comme « artiste chaussurier » ; c'estd'ailleurs un vrai poète de la chaussure qui invente des pro-cédés de fabrication nouveaux, notamment à base de gutta-percha, et publie plusieurs textes sur l'art de la chaussure.Avec un passé politique de quarante-huitard à Nîmes, ilmonte à Paris après le Coup d'Etat de 1851. Il commence àjouer un rôle plus important dans les réunions publiques en1868, au moment de l'affaire Baudin ; il organise des mee-tings aux Folies-Belleville et à Ménilmontant, où il prendsouvent la parole, et est condamné plusieurs fois pour sesidées (il est militant ouvrier, athée et révolutionnaire).

Après le 4 Septembre, il entre au Comité central desvingt arrondissements où il représente, avec Jules Vallès, leComité de défense de Belleville, et y est assidu et très actif.Il n'est pas élu membre de la Commune de Paris, mais il luiapporte son soutien entier.

Le 12 avril 1871, il représente les Ier et XXe arrondisse-ments à la seconde Commission des barricades, présidée parle colonel Russel. Dans la lutte contre les Versaillais, les bar-ricades sont appelées à jouer un rôle déterminant ; aussi lacommission examine-t-elle les barricades existantes, construi-tes à la hâte et sans méthode. Les jugeant inadaptées à uneguerre moderne et même dangereuses pour ceux qui les ser-vent, elle conclut qu'il faut les remplacer par des fortifications.On envisage alors de construire deux types de barricades : lesunes pour les grandes voies de communication, et d'autrespour les petites rues. Les barricades seront pourvues de fos-sés, l'un, à l'avant, de 2 mètres de profondeur et un autre, àl'arrière, de 50 à 80 cm. On étudie aussi un procédé de blin-dage pour barricade qui ne sera jamais au point.

Ces barricades, objets detudes scientifiques, doiventêtre exécutées « révolutionnairement », c'est-à-dire avec leconcours de la population. Napoléon Gaillard est chargé decette mission dans les Ier, XVP, XVIIe et XXe arrondisse-ments et, le 30 avril, alors que Russel devient délégué géné-ral à la guerre, il est nommé délégué aux barricades ; sontitre exact est « directeur général des barricades, comman-dant le bataillon spécial des barricadiers ».

Napoléon Gaillard reçoit, avec de très larges pouvoirs, lacharge de construire un système de barricades qui doit for-mer une seconde enceinte en arrière des fortifications mili-taires, et trois enceintes fermées ou citadelles à l'intérieur deParis, au Trocadéro, aux Buttes Montmartre et au Panthéon.Il prend sa mission très au sérieux, fait créer un Bataillon desbarricadiers comprenant dix compagnies de 150 hommes,dont il prend le commandement, et se montre beaucoup surles chantiers. Maxime Vuillaume écrit de lui : « Je revois lecolonel en plein soleil de mai, dans son uniforme élégam-ment sanglé. Revers rouge à la tunique. Épée au côté.Revolver passé dans le ceinturon verni. Glands d'or de ladragonne battant sur la cuisse. Cinq galons d'or aux man-ches et au képi. Bottes étincelantes...6 ». De nombreusescaricatures le représentent ainsi, avec le tranchet du cordon-nier au côté en guise d'épée.

Le nom de Napoléon Gaillard est plus particulièrementassocié à une énorme barricade édifiée place de la Concorde,à l'angle des rues de Rivoli et Saint-Florentin : le « ChâteauGaillard ». Cest une barricade-forteresse, haute de deux éta-ges, qui comporte bastion, redan, courtine et fossé large etprofond devant le talus, et est percée de cinq embrasures. Cetédifice monumental est formé de gros blocs de moellons,surmontés de tonneaux remplis de terre et de sacs de sable.La barricade masque un chemin couvert derrière lequel setrouvent de nouvelles fortifications. Sa situation au cœur deParis a suscité bien des interrogations sur son intérêt stratégi-que. Gaillard l'a défendue au nom de l'utilité psychologique :les barricades doivent intimider l'ennemi, l'inquiéter, le dis-suader d'attaquer, et rassurer la population parisienne.

Gaillard père a sans doute plus de prestance que de réel-les compétences, du moins en matière de barricade, et il estfinalement contraint à démissionner, le 15 mai 1871. À cemoment, il existe dans Paris, outre le Château-Gaillard, unequinzaine d'autres barricades, plus ou moins achevées, dontseules celles de la place Vendôme, de la place de la Concordeet du Trocadéro sont dues à Napoléon Gaillard.

Lors de la chute de la Commune, il échappe à la répres-sion en se cachant ; il se réfugie en Suisse, ouvre un café prèsde Genève, puis revient à la cordonnerie. Rentré à Paris en1881, après l'amnistie, il reprend du service politique actifau sein du mouvement socialiste et meurt en 1900.

C.D.D.