Untitled - ZOO

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Zoo est édité parArcadia Media45 rue Saint-Denis75001 Paris

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Directeur de la publication& rédacteur en chef :Olivier Thierry

Rédacteur en chef adjoint :Olivier Pisella, [email protected]

Directeur commercial et marketing :Jean-Philippe Guignon, [email protected]

Conseillers artistiques :Kamil Plejwaltzsky, Howard LeDucRédaction de ce numéro :Olivier Pisella, Louisa Amara, JulienFoussereau, Jérôme Briot, Kamil Plejwaltzsky,Olivier Thierry, Thierry Lemaire, Jean-Philippe Renoux, Wayne, Camilla Patruno,Michel Dartay, Boris Jeanne, PhilippeCordier, Alix de Yelst, Audrey Retou, ThomasHajdukowicz, Jean-Laurent Truc, John Young,Vladimir Lecointre, Gersende Bollut, YannickLejeunePublicité : [email protected]• Jean-Philippe Guignon, 01.64.21.96.44

[email protected]• Marion Girard, 06.34.16.23.58

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[email protected] : © Mathieu Lauffray

Collaborateurs : Yannick Bonnant et Audrey Retou

Dépôt légal à parution.Imprimé en Italie par TIBER S.P.A.

Les documents reçus ne pourront être retournés.Tous droits de reproduction réservés.

www.zoolemag.com

V ous pouvez de nouveau lire Zoosans prendre de gants (compren-dront ceux qui ont lu le précé-

dent numéro).

La moisson de bandes dessinées de ce débutde printemps est de qualité, mais faible enquantité. La saisonnalité du marché de labande dessinée tendrait-elle à s'accroître ?En concentrant leurs sorties sur la fin del'année, les éditeurs – et les auteurs, puis-qu'ils poussent également vers ceci – ris-quent des déconvenues. Avec tout d'abord,l'engorgement bien connu des rayonsquand vient la rentrée de septembre. Celaveut dire que bien des albums de qualitépasseront inaperçus dans la masse et reste-ront sur le carreau, même des best-sellerssupposés.

C'est ensuite la fragilisation entière de l'in-dustrie, qui tend à transformer la productionde bandes dessinées en un marché identiqueà celui des décorations de Noël. Prophétieauto-prémonitoire (ÿ self-fullfilling prophecy Ÿ,comme disent les Anglo-saxons) : s'il y apeu d'acheteurs en librairies, en cettepériode de début d'année, est-ce parce queles gens n'achètent qu'en fin d'année, ouest-ce parce qu'on ne leur donne que peu debonnes raisons de se rendre chez leurlibraire, actuellement... ? Nous avons notreopinion. Les éditeurs et auteurs en ont uneautre. Dommage.

RUBRIQUES06 - ÉDITEUR : 10 ans de boîte ! (à bulles)30 - PORTRAIT : Riff RebÊs32 - REDÉCOUVERTE : intégrale Don Rosa34 - MANGAS & ASIE : Cesare, Parapal, Pepita40 - JEUNESSE : Game Over: The Origins, Cflur de pierre43 - ART & BD : Axis Mundi44 - COMICS : DMZ, Iron Man

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numéro 47 - avril-mai 2013

OLIVIER THIERRY

Retrouvez quelques planches de certainsalbums cités par Zoo à lÊadressewww.zoolemag.com/preview/Le logo ci-contre indique ceux dont lesplanches figurent sur le site.

Prochain numéro de Zoo : le 20 mai 2013

CINÉ & DVD48 - IRON MAN 3 : preview

JEUX VIDÉO50 - INJUSTICE : DC Comics, roi de la mornifle

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Le logo ÿ coup de cflur Zoo Ÿ distingue lesalbums, films ou jeux vidéo que certainsde nos rédacteurs ont beaucoup appréciés.

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ACTU BD10 - APR˚S-GUERRE : avant de faire le mur12 - ALIX : LA DERNI˚RE CONQU¯TE : Alix et la madeleine14 - TEA FOR TWO : amour, passion et pâtisseries16 - LÊENTREVUE : rencontre du premier type18 - TONY CORSO : le privé de Saint-Tropez19 - GALKIDDEK : cflur de pierre20 - UNE PETITE TENTATION : méfiez-vous de la baby-sitter !22 - IMPOSTURES : bas les masques24 - TERRA AUSTRALIS : le principe de Saint Thomas26 - CELLULE POISON : trafic dÊêtres humains et vendetta28 - YAXIN : la naissance dÊun rêve

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ALIX T.32 : PAGE 12

BONUS (VERSION NUMÉRIQUE)CLANDESTINO : traficant dÊâmesARDALEN : travail de mémoireLA FILLE : born to be wildTANGOMANGO : Wakfu décline son univers incroyableLA FILLE : born to be wildNUITS DE NOCES : 24 heures (et un an) dans la vie dÊune femmeTHE GRANDMASTER : la vie fascinante dÊIp ManBIOSHOCK INFINITE : du sang dans les nuagesrendez-vous sur www.zoolemag.com

É d i t e u r

M ordu de bande dessinée depuis toujours,Vincent Henry avait monté le Festivaldes Grandes Écoles pendant ses années

dÊétudes en école de gestion. Son diplôme en poche,il mène une carrière classique jusquÊen 1999. Puis, pro-fitant dÊun congé parental, il commence à prendre deschemins de traverse. Il se frotte au théâtre et se lancedans le journalisme BD, sur les sites qui fleurissent aumoment de la bulle Internet, puis pour différentesrevues dont Calliope, Pavillon rouge ou La Lettre deDargaud. Mais ce qui le tente vraiment, cÊest la pro-duction artistique. Au cours dÊun festival, il proposeà José Roosevelt (auteur de LÊHorloge, Derfal le magnifique,La Table de Vénus⁄) et à Vanyda, jeune auteur dont ilapprécie le fanzine LÊImmeuble dÊen face, de les éditer.Tous deux acceptent. CÊest la naissance de La Boîteà bulles, en avril 2003.

RECRUTEMENTSLe troisième auteur sera Nancy Peña, venue propo-ser les premières planches de son Cabinet chinois pourune prépublication sur Internet⁄ et qui repartiraavec un contrat dÊédition. DÊautres jeunes auteurssont recrutés dans les écoles de bande dessinée : àAngoulême, la génération de Clément Baloup et deson collectif La Maison qui pue ; et à Strasbourg, lesmembres de lÊInstitut Pacôme, notamment SylvainMoizie et Simon Hureau. La première année sedéroule bien, portée par les bonnes ventes des livresde Vanyda et de Nancy Peña. La bande dessinéeindépendante est en plein essor, sur un marché pasencore trop disputé. ÿ JÊimaginais une ligne éditoriale entreCasterman et Ego comme x, avec principalement de la BD indé,mais aussi de la bonne BD classique ; du roman graphique avec

une bonne lisibilité, et des livres autour de lÊintimisme et du témoi-gnage Ÿ, explique Vincent Henry.

COLLECTIONSSi La Boîte à bulles publie différents types de bandesdessinées, elle se fait une sorte de spécialité dans lesrécits ÿ non-fiction Ÿ, regroupés dans la collectionContre-cflur : Quitter Saigon, de Clément Baloup,Kaboul Disco de Nicolas Wild, Dans la Secte de PierreHenri et Louis Alloing, (A)Mère de Raphaël Terrier,sont des récits et témoignages renforcés par leurancrage dans le réel. En matière de fiction, la collec-tion Contre-pied fédère les récits humoristiques oudécalés (y compris la version initiale, formidable etdérangeante, de Hautes fluvres de Simon Hureau, quidécrit lÊauthentique supplice de Damiens, condamnépour tentative de régicide contre Louis XV), lesromans graphiques portent le label Contre-jour, tan-dis que la collection La Malle aux images réunit destitres jeunesse (voir Zoo n°46). Le catalogue sÊestrécemment enrichi dÊune collection de carnets des-sinés, et une collection Hors Champ accueille lesouvrages inclassables (par exemple, les BD expéri-mentales du tandem Enfin Libre).

RÉJOUISSANCESForte dÊun catalogue dÊenviron 160 livres publiésdepuis 2003, La Boîte à bulles célèbre son dixièmeanniversaire avec quelques opérations spéciales. Dixtitres emblématiques de la maison, qui représententchacun grosso modo une des dix années passées ouune des collections du catalogue, sont remis à lÊhon-neur et présentés sous une jaquette promotionnelle.ÿ Rassemblées, les dix jaquettes forment un poster avec 100 per-sonnages issus de 80 livres dessinés par 60 auteurs. Ÿ, préciseVincent Henry. Dans lÊordre chronologique des res-

sorties, vous trouverez Le Cabinet chinois de NancyPeña, (A)mère de Raphaël Terrier, Ainsi Danse de Michel-Yves Schmitt, Fille perdue de Nabiel Kanan, Les Cheminsde traverse de Maximilien Le Roy, Missy de BenoîtRivière et Hallain Paluku, LÊÉté de Luca de MalikDeshors, Cécile T.1, Charmante de Benoît Springer etSéverine Lambour, LÊEmpire des Hauts murs de SimonHureau et enfin Théocrite de Philippe et Jean-LucCoudray. ¤ ces livres sÊajoutent deux ouvrages pro-motionnels gratuits ou presque (1 euro !), Les Métierssecrets de la BD par J-L Coudray et Emmanuel Reuzé(voir page 26), dont les 3500 exemplaires parus en jan-vier se sont épuisés très rapidement. Un autre titreprévu pour la fin 2013 racontera lÊhistoire de la Boîteà bulles en gags scénarisés par lÊéditeur et dessinés parles auteurs-maison. Et une exposition autour du pos-ter des dix ans est envisagée dans le cadre de la Foiredu Livre de Brive-la-Gaillarde. Un retour aux sourcespour Vincent Henry, qui est un enfant du pays.

PERSPECTIVESParallèlement à ce programme festif, La Boîte à bullessÊengage en 2013 dans une grande opération avecAmnesty International. Des rencontres sont orga-nisées entre des dessinateurs et des enquêteurs delÊONG, pour évoquer des situations dÊurgence dansdifférents pays. Aucune consigne nÊest donnée auxauteurs, les livres qui en résulteront auront donc desformes hétéroclites. Premier sur la liste, un carnet devoyage au Nigéria, par Simon Hureau et EmmanuelProst, a de bonnes chances de paraître en novembre.Les autres projets verront plus probablement le jouren 2014⁄ nous en reparlerons ! Dix bougies souf-flées, une bougie entourée de barbelés sÊallume ; toutun symbole.

En dix ans d’existence, la Boîte à bulles s’est modelée à l’image de son créateur : passionnée par le médium bande dessinée,férue de belles histoires et témoin engagé de son époque.

JÉRłME BRIOT

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VINCENT HENRY, CRÉATEUR DE LA BO˝TE ¤ BULLES

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D Êaprès lÊavertissement qui figure en préfacede chaque tome, Long John Silver neserait pas une suite, mais un hommage à

LÊ˝le au trésor de Stevenson ? Mathieu Lauffray : Le genre Pirates est fait de nom-breux sous-genres. Par cet avertissement, XavierDorison voulait prévenir les lecteurs quÊon nÊallait pasêtre dans un album historique-réaliste, ni dans unrécit picaresque rigolo à la manière de Pirates desCaraïbes, mais dans un réglage ÿ aventure Ÿ tel quÊila été développé au XIXe siècle par des auteurs commeJack London, Charles Dickens ou Robert LouisStevenson. Voilà pour le côté hommage. En mêmetemps, ce nÊest pas exactement une suite de LÊ˝le au tré-sor. Nous avons pris dÊénormes libertés par rapportaux personnages, en imaginant ce que Long JohnSilver aurait pu devenir 20 ans après la fin du romande Stevenson. Après tout ce temps, il ne peut plusêtre le pirate fourbe, manipulateur, qui agit danslÊombre ; on en a fait un guerrier, un tribun qui agitde manière frontale, mais qui reste victime de sontempérament. CÊest dÊailleurs ce qui marque la diffé-rence entre un aventurier et un pirate. LÊaventurier setient à son projet, alors que le pirate vit vraiment danslÊinstant. Le pirate commence la journée avec uneidée, il peut en changer une heure après. On a misça en exergue dans le tome 2 : Long John prépare samutinerie très soigneusement, mais comme le capi-taine Hastings le provoque, il va être capable demettre le bateau en péril et de sacrifier tous sesplans, en jetant Hastings et sa carte au trésor danslÊOcéan, sous les yeux médusés de ses compagnons.

Pourquoi le scénario de Xavier Dorison est-ildevenu un coscénario ?JÊaime profondément Xavier, cÊest un ami. Mais jÊaibesoin de ressentir intimement la valeur de chaquescène, son sens profond. Sinon je la traduirais mal enimages. Donc jÊai besoin de mÊapproprier le scénario,de faire miennes les paraboles, les itinéraires humains,les émotions qui y figurent. On sÊest mis dÊaccord surce mode de fonctionnement dès le début. CÊestcomme cela que nous travaillions déjà sur Prophet. Jepréfère les histoires dans lesquelles les péripéties sur-viennent par la confrontation entre les caractèresdes personnages, plutôt que du fait dÊun calcul rai-sonné de leur intérêt. CÊest ce qui nous a fait passerdÊun récit classique de pirates et dÊaventure, à un récitinterpersonnel où des tempéraments hors-normessÊopposent. Le navire est un huis-clos où un dramepassionnel survient à cause de deux égos surdimen-sionnés qui sÊaffrontent. Je tenais beaucoup à utilisercette situation du tome 2. Mais du coup, toute lÊin-

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Recrutés par Lady Vivian Hastings, Long John Silver et ses pirates ont traversé un océan et une jungle, en quête non plus de L’Île, maisde la Ville au trésor : Guyanacapac. C’est l’heure du dernier assaut pour le dernier pirate. La dernière occasion d’entrer dans la légende…

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trigue a basculé, et nous avons dûréécrire toute la suite.

QuÊavez-vous changé à la tramedÊorigine ?Dans le premier scénario de Xavier,Lord Byron Hastings était lÊéqui-valent du Ben Gunn de LÊ˝le au trésor,un personnage devenu fou par lÊiso-lement. JÊen ai fait une sorte deRaspoutine halluciné, on a doncperdu le clin dÊflil. Globalement,lÊéloignement que nous avons duroman dÊorigine de Stevenson vientde moi. Ainsi que la prédominancedu pulsionnel dans lÊintrigue.LÊhistoire dÊorigine était plus dans latradition des histoires de gangsters.Guyanacapac nÊétait pas une citélovecraftienne perdue au milieu dela jungle. CÊétait une cité aban-donnée, et Lord Byron y attendaitses opposants de pied ferme, pourune bataille rangée. Mais finale-ment, la même bataille aurait puavoir lieu sur le port de Bristol.Quitte à emmener un équipage àlÊautre bout du monde, jÊavais besoindÊaller plus loin dans lÊinattendu.CÊest un domaine sur lequel je pou-vais apporter quelque chose aurécit ; et cÊest tout lÊenjeu de notrecollaboration. On essaie de tirerpartie de nos qualités respectives, etdÊen faire une fluvre commune.

Le dernier album flirte avec le fan-tastique, sans jamais y basculer.On reste toujours sur le fil de laréalité⁄Oui, les images fantasmagoriquespeuvent être justifiées par lesdrogues infligées aux marins. FabienNury mÊa un jour donné ce conseil :ÿ NÊoublie pas de nourrir le cartésien Ÿ. EnlÊoccurrence, cÊest cohérent quÊunchaman sud-américain qui maîtriseles substances hallucinogènes enbalance à qui mieux mieux à tout lÊé-quipage. Pour ma part, jÊaime queles images ne soient pas le résultatde la réalité objective, mais de lÊétatémotionnel du protagoniste qui lavit. On ne dessine jamais la vérité,uniquement des états émotionnels.JÊaime lÊidée que la nuance entreréalité avérée et perception mys-tique soit difficile à définir. JÊirais

volontiers vers des narrations à laDavid Lynch, mais je comprendsque le public ait besoin dÊexplica-tions plus rationnelles.

Après le dernier tome de LongJohn Silver et lÊArtbook AxisMundi [voir par ailleurs lÊarticlepage 43, NDLR], vous allez aussisortir le dernier tome de Propheten 2013. CÊest donc une annéecharnière ? Il me reste une vingtaine de pagesde Prophet à terminer. Dans six mois,le dernier tome pourra paraître, etjÊaurai bouclé lÊintégralité de ce quejÊai entamé depuis 15 ans. Ce quÊily aura après, je ne mÊy projette pasencore. Quant à Axis Mundi, cÊest unlivre à petit tirage, mais très impor-tant pour moi. CÊest un livre danslequel jÊessaie de transmettre tout ceque je peux de mon expérience, demes influences, de trucs pour lesapprentis illustrateurs ou concept-artists qui vont se confronter à laréalité professionnelle du métier. Jesuis convaincu quÊil faut un maxi-mum de pratiquants performantset inspirés pour que ces métierssoient en forme et perdurent.JÊappelle les auteurs français àprendre lÊhabitude de transmettreleur savoir. Dans la bande dessinéefrançaise actuelle, la transmissiondes connaissances à la générationsuivante est totalement sinistrée.

Vraiment ? La bande dessinéedonne pourtant lÊimpression dÊêtreun milieu dans lequel de jeunesdessinateurs peuvent présenterleurs planches à des auteurs aguer-ris et obtenir des conseils, desremarques pour sÊaméliorer, parfoismême des contacts⁄ ?

Moi je trouve ça très rare. Je peuxvous citer 15 illustrateurs améri-cains que jÊadmire et dont je res-pecte le travail. Tous donnent descours, animent des workshops, desworking class ou des stages dÊété. Toustransmettent. ¤ lÊinverse, je nÊaijamais vu de cours donné parMflbius, par Bilal, par Loisel ou parTardi. CÊest tragique, parce que çasignifie que la seule façon pour unjeune artiste de progresser, cÊest deprendre un livre et dÊessayer derefaire ÿ à la manière de Ÿ. Si onveut que ce métier perdure dans laqualité, il faut transmettre ses tech-niques. Nous avons tous intérêt à ceque les livres soient de plus en plusaboutis, de plus en plus intéressants.Nous avons besoin que des scéna-ristes de talent comme Alan Mooreapparaissent en France. Et il fautque des auteurs compétents les for-ment pour leur faire gagner dutemps et de lÊefficacité. Mflbius /Jean Giraud a été formé par Jijé. Jene lÊai pas vu faire le même effortpour la génération suivante.Quelque chose qui a été perdu, quÊilfaut retrouver. CÊest important demaîtriser, cÊest tout aussi importantde transmettre son savoir-faire. AxisMundi est fait dans cet état dÊesprit.

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LONG JOHN SILVER, T.4GUYANACAPAC

de Xavier Dorisonet Mathieu Lauffray,

Dargaud, 62 p. coul., 13,99 €

PROPOS RECUEILLIS PARJÉRłME BRIOT

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Le Client, de Zidrou et Man¤ chaque foisquÊil quitte sonélève Ducobu,Zidrou fait desmerveilles. Dela sensibilitéqui frôle parmoment lasensiblerie,sans sombrer.Il sÊentoure

toujours de la crème desdessinateurs. Pas dÊexception aveccet flil témoin / compatissant surle monde de la prostitution, enrobédans un polar sec non dénué dÊespoir.Le tarif de lÊamour au milieu delÊamour tarifé. LÊEspagnol Man dopece one-shot dÊun trait chaleureuxmais clinique dans les ambiances. Undessin chaud pour un monde froid.Si ce Client nÊatteint pas forcémentle niveau du sublime Folies Bergères dumême scénariste, il vaut le détour, entant quÊexercice de style détourné àla sauce Zidrou.Dargaud, 56 p. couleurs, 14,99 €

PHILIPPE CORDIER

Pablo, T.3, Matisse,de Birmant et Oubrerie

On avait quittéPablo etFernande en1906 partantpour lÊEspagne.Un retour auxsources pourPicasso, qui seretire près deBarcelone dansla montagne

et jette les bases de lÊart quÊil vanommer moderne. Sous le regardimpatient de Fernande, Picasso veutÿ vaincre lÊinstant et être un promeneurdans le temps Ÿ. Retour à Paris pourle couple qui découvre Matisse,Apollinaire et Van Dongen. Fernandeperd lÊenfant quÊelle porte. Pabloachète des têtes de statues volées auLouvre. Il a décidé que Dieu jouaitavec lui. Julie Birmant, avec le talentdÊécriture quÊon lui connaît, continuesa brillante mise en images desmémoires de Fernande. On est dansle vif du sujet. Pablo est devenuPicasso. Oubrerie lui apporte toutesa sensualité artistique.Dargaud, 82 p. couleurs, 16,95 €

JEAN-LAURENT TRUC

Sylvaine, de Stan SilasSylvaine estune petite fillepauvre. NÊayantjamais vu lamer, elle décidede partir deson village avecson gros chatPompon pourles vacances,direction : leVerdon !

Cependant, le Verdon, cÊest loin, et levoyage se fait à pied. Entre RaymondlÊarrogant saltimbanque, la féeClaudette et ses champignonsmagiques, Monsieur Guy et ses filsVictor, Sylvaine fait des rencontresplus ou moins opportunes... LÊhistoiredÊune petite fille qui partage sescroquettes avec son chat. Une petitefille qui a un rêve et dont la conditionnÊentre pas en ligne de compte pourle réaliser. Une histoire très décalée,où lÊincongru le dispute à lÊémotion,où rires et larmes se bousculentallègrement.Makaka, 64 p. couleurs, 13,90 €

ALIX DE YELST

A c t u B dzoom

L ÊHistoire le montre, lespériodes dÊaprès-guerre sontsouvent bien plus complexes

que la résolution militaire des conflits.LÊespoir suscité par la libération dÊunpays sÊévanouit parfois dans des luttesde pouvoir intestines. Les intentionsdes vainqueurs ne sont pas toujoursaussi louables que les causes quÊilsdéfendaient. Les règlements decompte sont légion. Un nouvel équi-libre, plus ou moins précaire, se meten place. Le cas de lÊEurope après laSeconde Guerre mondiale illustre bienle fait quÊune fois lÊarmistice et la capi-tulation signés, un long chemin estencore à parcourir. LÊennemi nazi ter-rassé, cÊest en effet un nouveau com-bat qui voit le jour entre les deuxsuper-puissances américaine et sovié-tique. Le rideau de fer dont parleWinston Churchill en 1946 sépare lecontinent européen en deux. Le statut particulier de Berlin,ancienne capitale du Reich, fait de lacité brandebourgeoise un enjeu detaille. Découpée en quatre zones dÊoc-cupation (URSS, États-Unis, Royau-me-Uni et France) et enclavée danslÊAllemagne de lÊEst, elle joue le rôle de

vitrine du mode de vie occidental enplein cflur du bloc soviétique. ÿ Berlina été le premier endroit où sÊest cristallisée lafracture entre lÊEst et lÊOuest avant de devenirle lieu emblématique de la Guerre froide Ÿ,précise Éric Warnauts. La préoccupa-tion du Kremlin tient alors dans lÊé-tanchéité de ses frontières. Pas facilelorsque la proximité entre les quatresecteurs est aussi forte. Dans une villeen totale reconstruction, où la vietente de reprendre un cours normal,fleurissent passages à lÊOuest, traficsen tout genre, actes dÊhéroïsme etpetites lâchetés quotidiennes. Un phé-noménal vivier dÊinspiration pour lesscénaristes.

BERLIN, CARREFOUR DES ESPOIRS

Raives et Warnauts auraient pu opterpour une histoire dÊespionnage. DeJohn Le Carré (LÊEspion qui venait du froid)à Alain Robe-Grillet (La Reprise), enpassant par Joseph Kanon (LÊAmi alle-mand), les exemples abondent. BienquÊà lÊaube dÊune ère nouvelle, lÊam-biance crépusculaire de lÊimmédiataprès-guerre berlinois convient par-faitement à ses périlleux jeux de cache-

cache. Eh bien non. Plutôt que decéder aux archétypes, les deux auteurs,qui scénarisent et dessinent à quatremains depuis 25 ans, ont choisi desuivre leur ligne de conduite habi-tuelle : baser le développement de leurhistoire sur la psychologie de leurspersonnages. ÿ Nous avons toujours préférérester proches de la vie réelle où les choses impor-tantes sÊinscrivent en général dans la duréedavantage que dans lÊinstant, revendiqueÉric Warnauts. Pour faire bref et imagé,nous sommes plus proches du cinéma américaindes années 70 qui prenait le temps dÊinstaller uneintrigue, de poser les choses, que du cinéma

Berlin et la Guerre froide ont toujours inspiré les scénaristes. Avec Après-guerre, Guy Raives etÉric Warnauts plantent leur décor dans l’ex-capitale allemande dévastée. Des ruines surgirapeut-être la délivrance.

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actuel qui semble devoir multiplier les effets spé-ciaux pour tenir en haleine son public⁄ ŸLÊintrigue dÊAprès-guerre nÊa en effet riende très spectaculaire. Thomas est Belgeet profite de la présence de lÊarméeaméricaine dans son pays pour fairevivre un fructueux petit commerce.De mèche avec certains militaires bienplacés, il alimente le marché noir et seconstitue un joli magot. ¤ premièrevue, le jeune homme nÊa rien de sym-pathique. Toutefois, son portrait estbeaucoup plus complexe quÊil nÊyparaît. ÿ Nous ne le voyons pas comme unpersonnage antipathique. Il est vrai quÊil sÊagitdÊun être velléitaire (comme beaucoupdÊhommes), quelquÊun qui se laisse plutôt por-ter par les événements, les gens qui lÊentourent ;qui a de la peine à sÊengager car il doute, nÊaguère de certitudes. En cela, il nÊa rien dÊun hérostraditionnel. DÊautre part, cÊest quelquÊun qui,lorsquÊil décide dÊagir, va jusquÊau bout de sonaction. Tout cela fait quÊil reste imprévisible etest, de ce fait, intéressant comme personnageromanesque. Ÿ

UNE LIBÉRATIONAPRÈS LA LIBÉRATION

Avec lÊargent quÊil amasse, Thomascompte graisser la patte de lÊofficiersoviétique commandant le camp dÊin-ternement où se trouve Assunta Lorca,son amour de jeunesse. Une républi-caine espagnole, résistante, déportée àAuschwitz, désormais – un comble ! –

dans les geôles de Staline. ÿ Cela démontreque les totalitarismes quels quÊils soient finissenttoujours par se rejoindre quant à leur finalité :lÊenfermement de lÊhomme, lÊaliénation de la librepensée. Ÿ La périlleuse opération pourlibérer la jeune prisonnière passe parBerlin, où se trouve Lucie, une vieilleamie de Thomas. LÊinquiétante ex-capi-tale allemande est bien loin, au senspropre comme au sens figuré, de la pai-sible Belgique (et des caves survoltéesde Saint-Germain des Prés). Lecontraste amplifie lÊimpression dÊécra-sement des personnages face à la granderoue de lÊHistoire. Mais Thomas et sesproches tentent de tirer leur épingledu jeu. LÊalbum, foisonnant et parfaite-ment documenté (ÿ Cette documentation,nous la trouvons un peu partout. Dans deslivres, sur le net, avec lÊaide dÊun ami documen-taliste qui nous fournit des infos très précises,pointues. On se base aussi sur des récits fami-liaux et locaux, le témoignage de gens qui ontvécu cette époque. Ÿ), envisage lÊaprès-guerre par le petit bout de la lorgnette.Et cÊest ce qui fait tout le sel du récit.

APR˚S-GUERRE, T.1LÊESPOIR

de Guy Raiveset Éric Warnauts,

Le Lombard, coll. Signé,64 p. couleurs, 14,99 €

THIERRY LEMAIRE

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L a tentation, lorsquÊune sériemythique est reprise après lamort de son créateur, est de

comparer les nouvelles versions avecles albums originels. La tentation estdÊautant plus grande lorsque ladite sériea bercé une jeunesse et a le même goûtquÊun petit morceau de madeleinetrempé dans une infusion de thé ou detilleul un dimanche matin à Combray.La série Alix fait évidemment partie decette catégorie de classiques dont onattend au tournant les repreneurs. Etpour les aventures du jeune Gallo-romain, ils ont été assez nombreux, scé-naristes comme dessinateurs, depuis lepassage de relais de Jacques Martin etson décès en 2010. Attardons-nousdonc sur La Dernière Conquête, avecGéraldine Ranouil et Marc Jailloux à labaguette, ce dernier déjà remarqué surla série Orion, elle aussi créée par Martin.Contrairement à Alix senator, dernièreextension éditoriale en date (voir Zoon°42), le mimétisme graphique desrepreneurs dÊAlix – série principale –est très fortement recherché. Le traitdu nouveau dessinateur rappelle à sÊyméprendre celui du maître, malgréquelques erreurs de proportion récur-rentes. Les bulles sont repoussées enhaut des cases, comme à la grandeépoque de Jacques Martin. On sent

toutefois une volonté de moderniserle dessin de la série. Le nombre decases par page a diminué de deux outrois. Certains cadrages sont plus ambi-tieux. Et surtout, lÊeffort a été porté surla lisibilité. Moins de détails dans lesvignettes, moins de traits, moinsdÊombres, pour une lecture plus fluide.Mais ce qui est gagné dÊun côté, faitperdre beaucoup de lÊautre. En effet,la grande qualité des premières aven-tures dÊAlix est cette ambiance inquié-tante qui suinte à chaque page. Et le

nombre élevé de cases (entre 10 et 12)donne un curieux sentiment dÊoppres-sion, comme si les personnages étaientcoincés dans leurs vignettes. Cettelégère angoisse nÊapparaît plus aujour-dÊhui. Elle donnait pourtant toute saforce au scénario.

RESTE L’ÉPAISSEUR HISTORIQUE¤ lÊâge dÊor des albums dÊAlix, le cflurde lÊhistoire repose en effet sur uneenquête du jeune héros, infiltré dans unenvironnement parfois très hostile. Unmélange dÊinsécurité permanente et deparanoïa vaporeuse plane sur le récit.AujourdÊhui, quoique lÊévolution étaitdéjà perceptible du vivant de JacquesMartin, ce sentiment a disparu. Ladiminution progressive du nombre deplanches (62 jusquÊau tome 8, puis 54,puis 48 ou 46) nÊa pas aidé. Moins depages, moins de cases, donc moins dÊes-pace pour développer une intriguecomplexe. Fort heureusement, lÊépais-seur historique, autre pilier dÊAlix, a étépréservée. La Dernière Conquête prendplace au moment du passage duRubicon par César (49 av. JC) et envoieAlix vers lÊOrient lointain pour retrou-ver lÊanneau dÊAlexandre le Grand (lecadavre du conquérant est pourtantattesté à Alexandrie à cette époque). Les auteurs parsèment le récit des atten-dus rêves prémonitoires, animaux mes-sagers et morts tragiques dans les rangsamis. Et même de clins dÊflil auxalbums référence, comme ce strip duvoyage en bateau page 15, qui rappelleagréablement celui de la page 31 de LaGriffe noire. La Dernière Conquête ne manque

pas de charme, et notamment la pre-mière partie qui détaille lÊorganisationdÊun voyage de Brindisi (Italie) enBactriane (actuel Nord de lÊAfghanis-tan). La vie grouillante dans les ports,le temple de Baal, les détails des décors,lÊordonnancement dÊune caravane sontfort bien évoqués et auraient mérité untraitement plus long. Car le reste durécit est plus anecdotique, déroulantune intrigue un peu molle, bien loin dela puissance de La Tiare dÊOribal, au scé-nario comparable. Bon sang, mais où ai-je bien pu mettre cette madeleine ?

ALIX, T.32LA DERNI˚RE CONQU¯TE

de Géraldine Ranouilet Marc Jailloux, dÊaprès

Jacques Martin,Casterman,

48 p. couleurs, 10,95 €

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THIERRY LEMAIRE

La Dernière Conquête, de Géraldine Ranouil et Marc Jailloux, se définit comme le tout nouvel opus des aventures d’Alix à l’aunedes albums de l’âge d’or de la série. Qu’en est-il de ce 32e tome ?

Alix et la madeleine

JACQUES MARTIN AUX CłTÉS DE SON SUCCESSEUR MARC JAILLOUX

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A c t u B dzoom

L ucile Gomez en signe la miseen scène, la musique, lesdécors et les personnages.

Deux albums, le premier réédité, for-ment une chronique au quotidiendÊune génération qui rêve de grandamour. Sans avoir souvent le couragedÊaller jusquÊau bout pour sÊéviter lestraumatismes du coeur.Bretzelle, la jolie blonde délurée, etBaba, la brune romantique un peuronde et introvertie, ne sont pas desinconnues. ÿ Le tome 1 avait déjà paru sousle titre Bretzelle et Baba - Vous désirez ?au Lombard. Pour la réédition, le titre Tea forTwo pour un salon de thé sÊest imposé Ÿ, nousexplique Lucile Gomez, qui vient dumonde du webzine. La premièreplanche de Bretzelle est une com-mande qui paraît dans le magazine deBD féminin Kramix, au Lombard, une

expérience collective. Bretzelle etBaba sont lancées. Le but avoué de lasérie, cÊest une publication dans unhebdo féminin. ÿ CÊest la raison de montravail sur des histoires au format planche-gag. Mon modèle ? Gaston Lagaffe. Ÿ Unaveu souriant de Lucile. Pas encoredÊhebdo, mais deux albums. ÿ Je ne suispas contre non plus une histoire longue. Maisla planche-gag permet de savoir de suite qui estqui sans avoir lu ce qui se passe avant ouaprès. Ÿ

LA POURSUITE DE L’AMOURTrouver lÊâme sflur, pas facile si lÊon encroit la vie sentimentale mouvementéede Bretzelle et Baba. ÿ On est une géné-ration assez individualiste. On nous a rabâ-chés depuis la sixième que, si on nÊavait pas lesmeilleures notes, on finirait chômeurs. Carrièreet boulot dÊabord. Avec parfois la peur au

ventre et une bonne dose dÊangoisse. LÊamourensuite, mais cÊest un besoin évidemment Ÿ,assure Lucile. Rien de vraiment auto-biographique dans les personnages.ÿ DÊaccord, je suis un peu un mélange deBretzelle et de Baba. Ce sont des personnagesde mon âge. Les répliques, je les ai entenduesautour de moi et jÊai picoré pour mes dialogues

Amour, passionGriffe blanche, T.1,de Le Tendre et Taduc

De lÊheroicfantasy à la saucechinoise, unscénario deSerge Le Tendre,des dessins(et de superbescouleurs)dÊOlivier Taduc.Franchement,que demander

de mieux pour une histoire oùcombats, magie et dragons font bonménage ? Certes, le récit, assezclassique, met quelques pages àtrouver son rythme. Certes, ce nÊestpas vraiment le personnage de Griffeblanche qui est mis en avant dans cetalbum. Mais une fois pris par le savoir-faire de Le Tendre, on ne décrocheplus dÊun premier tome introductif,qui bien évidemment laisse le lecteuren attente fébrile. De la belleouvrage, comme on dit.Dargaud, 48 p. couleurs, 13,99 €

THIERRY LEMAIRE

Adopte un thon.com,de Lynda Corazza

Lola estcélibataire.Récemmentséparée de sonpetit ami, elledéprime et sesamis la poussentà s'inscrire surun site derencontres, oùelle se retrouve

accidentellement affublée du pseudoÿ Grosthon Ÿ. Obsédés, poseurs delapins, illettrés notoires ousimplement gros lourds : enchaînantdéconvenue sur déconvenue, Lola serend compte que chercher l'amourdans un monde virtuel est loin d'êtreune mince affaire. Le Lombard nousédite une bande dessinée sans grandesurprise, qui fait sourire sans êtreréellement divertissante, le scénariomanquant grandement de fantaisie,les situations exposées ayant déjàété resservies trop souvent à lasauce humoristique.Le Lombard, 48 p. couleurs, 12 €

ALIX DE YELST

Boulard, T.1,dÊErroc et Mauricet

Tout fout lecamp. Si on nepeut même plussÊaccrocher àlÊidée que lesdjeunÊsdÊaujourdÊhui,ÿ cÊest pluscomme avant Ÿ,où va-t-on ?Drague pourrie,

parents, jeux video, apathie, copainslourdingues⁄ Les auteurs nousprouvent, par le gag, que la jeunesseactuelle est bien proche de celledÊantan. Boulard, le cancre de lasérie à succès Les Profs (big movieactuellement) est un parfait exempledes tares mais aussi des côtésattachants de ceux qui formerontlÊÿ élite Ÿ de demain. Pour ce ÿ spin-off Ÿ, le protéiforme Mauricet truffeses planches de clins dÊflils. Tâchezau moins de trouver le poster deMignola et de ne pas rater lÊadorableJojo du regretté André Geerts.Bamboo, 48 p. couleurs, 10,60 €

PHILIPPE CORDIER

Un salon de thé, deux jeunes femmes aussi différentes et opposées que l’eau et le feu, deshommes, amants possibles ou copains, c’est le petit théâtre drôle et tendre de Tea for Two.

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sur lesquels je travaille beaucoup. Ÿ Du vécu. Ce quidonne à Bretzelle, Baba et leurs copains, Darjeeling,Sorgho ou Mescal, tout leur relief. ÿ Plus je fréquentemes personnages, plus ils mÊapportent des idées. LÊangoisse de lÊé-criture est avant. Pas quand jÊai plongé dans lÊhistoire. Ÿ

ÿ Mes filles sont en recherche perpétuelle et jamais satisfaites. Leprince charmant existe-t-il ? LÊamour durera-t-il toute la vie ? ŸDifficile de répondre. Bretzelle et Baba pourtant per-sistent et signent avec états dÊâme à la clef. Baba sur-tout, une fragile qui campe sur ses positions et attendlÊarme au pied que le gentil Sorgho, pâtissier roi dela pâte à choux, se déclare. Pas pressé le Sorgho,aussi coincé que Baba. Bretzelle va-t-elle assumerson attirance pour les deux genres ? Une bonnequestion traitée par Lucile avec tendresse et réa-lisme. On ne tombe pas dans le larmoyant avecBretzelle, qui assure. Enfin presque.

Une pièce de théâtre Tea for Two. Un huis-clos sou-vent dans le salon de thé avec portes qui sÊouvrentou qui claquent, personnages secondaires, MonsieurQuignon, le poète, et Madame Rancie, vieille fille,clients qui relancent lÊaction. Dans le tome 2 arriveMescal, un beau ténébreux mexicain. ÿ Alors lui il existevraiment, tel quel. CÊest vrai que je pense souvent au théâtre. Toutaurait pu se passer en un seul décor. Ÿ Lucile a une autreidée : ÿ Le sujet se prêterait bien à une mini-série télé. Ÿ MaisLucile est dessinatrice avant tout. Son trait a évoluéentre les deux tomes. ÿ Je me sens plus à lÊaise en dessin.Je progresse. Ÿ Vrai car Bretzelle, Baba et la bande deTea for Two ont besoin dÊavoir de la gueule pour accro-cher le regard, supporter lÊaction très concentrée etcolorée au fil des cases.

Lucile, depuis la côte basque où elle réside, reven-dique son statut dÊauteur complet. ÿ Je ne veux pas quelÊon ne parle de moi que parce que je suis une femme qui fait dela BD. On ne fait jamais cette réflexion à un homme. Je ne suispas non plus vraiment une bloggeuse, ni une accro du jeuvidéo. Ÿ Elle rit souvent Lucile. Avec sa part de fragi-lité, comme ses personnages attachants, complexes,qui subissent le diktat de la représentation féminineidéale. Jeune, jolie, dans une société anxiogène. AlorsBretzelle ou Baba, laquelle vous séduira ? Tea for Twoand Two for You, les deux à coup sûr.

c TEA FOR TWO, T.1LES FILLES FACILES SONT COMPLIQUÉESde Lucile Gomez,Le Lombard, 56 p. couleurs, 12 €

c TEA FOR TWO, T.2LES HOMMES LÉGERS SONT PARFOIS LOURDSde Lucile Gomez,Le Lombard, 56 p. couleurs, 12 €

JEAN-LAURENT TRUC

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Georges Clooney,une histoire vrai,de Philippe Valette

Une BDsommairementdessinée au feutre,des décorsgénéralementinexistants, un super-héros – Georges –en collants rouges,une tortue ninja, des

flics un peu cons, un trisomique quitraite tout le monde de pédé, desdialogues truffés de verlan, dÊanglaiset de langage Internet, des fautesdÊorthographe (volontaires) commesÊil en pleuvait, des histoires decolombins, dÊonanisme, et pas mal dedouble cheese burgers. Voilà qui ferafuir bon nombre de lecteurs quirisquent de crier à lÊarnaque artyavant de lÊavoir lu. Dommage poureux, car cette histoire, inventive etsans doute pas mal improvisée,procure un grand moment dÊhilarité,notamment grâce à ses répliques biensenties. Une vraie gâterie pour lesamateurs dÊhumour absurde et trash.Quant au rapport avec GeorgesClooney, vous lÊaviez deviné, il est ténu.Delcourt, coll. Tapas,112 p. couleurs, 14,30 €

OLIVIER PISELLA

Cutting Edge, T.1,de Dimitri et Alberti

Une énormeentreprise proposeaux meilleursreprésentants delÊhumanité danstous les domaines– sciences, business,art, etc. – unecompétition à la

récompense fantastique. Voilà leshéros du ÿ Cutting-Edge Ÿ (lÊAvant-Garde en français) embarqués dansun défi international qui mettra leurvie en danger et leurs certitudes àrude épreuve. Sorte de Pékin Expresspour surdoués ultra compétitifsmâtiné des 12 travaux dÊHercule,lÊaventure de Francesco Dimitri estprenante et ne dévoile son envergurequÊen cours de route. Les dessins deMario Alberti sont toujours trèsbeaux et collent parfaitement à ladynamique du récit, dont on attend lasuite. Cela tombe bien, le deuxièmetome sortira dans quatre mois.Delcourt, 48 p. couleurs, 13,95 €

JOHN YOUNG

Elfes, T.1, de Jean-LucIstin et Duarte

Avec sa nouvellesérie-concept,Elfes, SoleilsÊempare dÊune desmythologies lesplus importantesde lÊheroic fantasy.Chaque albumsÊempare de lÊundes peuples qui

forment cette nation en fonction desa couleur (bleu pour les Elfes delÊeau, vert pour les Elfes sylvestres,blancs pour les grands anciens⁄).Conflits entre races, malédictions etmagie de lÊeau, Jean-Luc Istin ÿ nage Ÿen territoire connu et le fait trèsbien. Les amateurs du genre serontravis, ceux de Magic The Gathering oude Donjon & Dragons aux anges,même les néophytes sÊy retrouveront.Notons au passage lÊexcellent travaildu coloriste Saïto qui sublime lesplanches du dessinateur. Une saga àsuivre avec plaisir !Soleil, 56 p. couleurs, 14,30 €

YANNICK LEJEUNE

A c t u B dzoom

M anuele Fior appartient àcette nouvelle générationdÊauteurs italiens apparue il

y a quelques années dans le paysageéditorial français. On peut ajouter sanstrop se tromper quÊil en est lÊun desreprésentants au graphisme le plus vir-tuose. Et le moins que lÊon puisse éga-lement dire à son sujet, cÊest quÊilpossède une capacité hors pair à serenouveler. Les Gens le dimanche (2004)font penser à Craig Thompson(Blankets) et son noir et blanc, Icarus(2006) passe à une stylisation en rougeet noir, Mademoiselle Else (2009) sÊinspiredes dessinateurs des journaux satiriquesdu XIXe siècle avec une palette pastel,et enfin Cinq mille kilomètres par seconde(2010 – Fauve dÊor 2011) retrouve undessin plus simplifié dans des tons aci-dulés. Bien malin qui aurait pu devinerla teneur graphique de ce nouvel

album. Retour au noir et blanc, cettefois charbonneux, à un trait plus souple,parfois presque esquissé, et à desvisages un peu plus caricaturés que ceuxde Mademoiselle Else. Un style quiconvient bien à lÊintrigue de LÊEntrevue,histoire à clefs focalisée sur les appa-rences et les vérités cachées.

RENDEZ-VOUS EN 2048

En 2048, à part quelques innovationstechnologiques, la société nÊa paschangé outre mesure. Les adultes necomprennent pas mieux les jeunesgénérations, surtout quand celles-ciappartiennent à la Nouvelle Conven-tion, qui se base sur le principe de lanon-exclusivité émotive et sexuelle.Raniero, homme dÊâge mûr et psycho-logue dans un hôpital, peut railler lÊab-surdité du concept, il nÊen est pas moins

perdu dans sa vie sentimentale, en ins-tance de séparation dÊavec sa femmeNadia. Perdu tout comme son amiValter, chirurgien caressé par le démonde midi. Curieusement, cÊest un acci-dent de la route nocturne qui varemettre Raniero dans le droit chemin.Les formes triangulaires quÊil croit voirdans le ciel en sortant de son véhiculesont-elles vraiment des hallucinations ?Ne seraient-elles pas plutôt les éclai-reurs dÊune épiphanie qui va changerradicalement la nature des rapportshumains ? CÊest Dora, une jeune femmeinternée par ses parents et prise encharge par Raniero, qui sera le témoinprivilégié des prodiges à venir. Desétoiles viendra la lumière.

Avec L’Entrevue, Manuele Fior délivre un récit étrange et existentiel plongé dans une science-fiction centrée sur l’humain. À lire en écoutant la bande originale de 2001, l’odyssée de l’espace.

LÊENTREVUE

de Manuele Fior,Futuropolis,

176 p. n&b, 24 €

THIERRY LEMAIRE

RENCONTRE DU 1er TYPE©

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Olivier Berlion est un auteur à l’œuvre abondante et disparate (plus de trente albums environ, dont une vingtaine sur des textesde son ami Éric Corbeyran). Il dispose pourtant de sa propre série, qu’il réalise en solo au gré de ses envies et de son emploi dutemps.

LE PRIVÉ DE SAINT-TROPEZTony Corso :

I l sÊagit des enquêtes de TonyCorso, dont le sixième tomevient de paraître chez Dargaud,

après un certain hiatus lié à la parutiondu diptyque Garrigue chez le mêmeéditeur. Tony Corso exerce la profes-sion de détective privé à Saint-Tropez,lieu privilégié de villégiature de la jet-set mondiale. Porté par le charme deses ruelles et de ses plages de sable fin,lÊancien port de pêcheurs est devenu lelieu de rencontre de tout ce que lasociété peut compter de personnesriches et célèbres, même si les pour-voyeurs attachés à leur maintien devie factice (cocaïne, alcool ou prosti-tuées) rôdent également dans leursillage. Sans parler du désagrémentque peuvent représenter des paparaz-zis à lÊaffût de clichés volés et desparasites en tout genre.

UN PRIVÉ NON DÉNUÉDE RESSOURCES

Tony Corso a donc choisi de sÊy établir.Pas vraiment par fascination pour cemilieu, mais plutôt parce quÊil sait pou-voir en retirer de lÊargent facilement. Ila eu une enfance éprouvante : membredes Brigades rouges, sa mère a été assas-sinée à Rome. Après quelques annéesdÊerrance et de débrouille qui lui ontpermis de connaître le dur mode devie de la prison (au quartier pourmineurs de Fresnes, où il rencontrera unnouvel ami bien utile !), il sÊest rangédes voitures. CÊest un beau gosse mus-clé qui met les choses au poing lorsquecÊest nécessaire, ou juste quand on le

titille un peu, notamment sur sa viesentimentale.Il facture cher ses enquêtes (50 000euros plus les frais !), mais il sÊavèredÊune efficacité redoutable. Les clientslui sont amenés par son amie Anémonede Courville, familière des plus hautsmilieux. Les premiers rendez-vous sontparfois difficiles, car les clients fortunéssont souvent arrogants et susceptibles,mais Tony Corso ne peut sÊempêcherde leur répondre avec cynisme ou inso-lence, ce qui ne les empêche pas detravailler ensemble. Tony Corso fré-quente le bar du caïd local, carbure augin-tonic et porte en permanence desuperbes chemises hawaïennes, plus

adaptées au climat de la côte dÊazurque les impers dÊHumphrey Bogart.Son look décontracté lui sert à endor-mir la méfiance de ses adversaires.

Dans ce dernier album (rappelons quechaque tome de cette série peut se lirede façon isolée), Tony Corso rencontreun célèbre acteur indien de Bollywoodet son attaché de presse. ¤ nouveau, ildevra affronter son ennemi intime, lÊen-combrant et très beauf inspecteurLazare, toujours persuadé de lÊimplica-tion de Corso dans des affaires louches.Comme dÊhabitude, lÊalbum commencepar une sorte de séquence pré-géné-rique, exactement comme dans lesfameux films de James Bond. Puis cÊestlÊimmersion totale du lecteur dans uneintrigue pleine de rebondissements har-dis et de péripéties improbables, le toutagrémenté de cinglantes réparties. Ladialectique de la langue de bois et lÊhy-pocrisie sociale ne figurent pas dans lesdialogues des albums de Tony Corso,pour le plus grand plaisir du lecteurfriand dÊhumour.

Porté par les magnifiques paysages dela région, idéaux pour se sortir des froi-deurs hivernales, le trait dÊOlivierBerlion est une puissante invitation à lÊé-

vasion par la lecture. Vous recherchezun divertissement de qualité (attention,il y a toujours en arrière-plan une formede critique sociale dans ces albums, icisur lÊhomophobie), il pourra aussi vousconvenir. Une mention particulière àlÊagréable travail sur les couleurs fournipar Christian Favrelle, qui contribuebeaucoup à lÊambiance de la série !

TONY CORSO, T.6BOLLYWOOD CONNECTION

dÊOlivier Berlion,Dargaud, 48 p. coul., 11,99 €

JEAN-PHILIPPE RENOUX

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C ette nouvelle série chezDelcourt porte sobrement lenom de son anti-héros :

Galkiddek. Aidé du mage Alcantor,sorte de Raspoutine aux sombres pro-jets, le furieux comte découvre uneénigmatique sculpture représentant sadéfunte épouse Eloée. Il écume villeset campagnes à la recherche du sculp-teur Jabath qui a réalisé lÊfluvre. Celui-ci est protégé par Enoch, lÊennemi juréde Galohan. Le comte tue ce dernieret capture sa fille Lillewyn afin de laretenir prisonnière. CÊest sur ce per-sonnage que se concentrera ladeuxième moitié du récit, dans unhuis-clos au cflur des mystères etrecoins dÊun château où la joie a dis-paru. Tandis quÊAlcantor mijote deramener Eloée parmi les vivants grâceaux talents de Jabath⁄

Le très expérimenté scénariste FrankGiroud (Le Décalogue) sÊessaie à un nou-veau type dÊambiance : le médiévalfantastique. Pour ce nouveau champdÊaction, il sÊadjoint le dessinateur ita-lien Paolo Grella, qui sÊest déjà faitremarquer dans la BD ésotérique avecLe Manuscrit interdit. On renoue ici avecune lecture classique mais bienciselée ; de la belle ouvrage à coups degrandes cases, de scènes de batailles,

de pages foisonnant de détails et deflashbacks en bichromie, le tout encouleurs directes. Un dessin sublime,empreint de baroque, qui sied bien àlÊambivalence de lÊhistoire. Amour etvengeance sÊentremêlent et frôlent lefantastique dans ce tome introductifqui annonce une trilogie qui sera sansdoute loin dÊêtre manichéenne.

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GALKIDDEK, T.1LA PRISONNI˚RE

de Frank Giroudet Paolo Grella,

Delcourt, 48 p. coul., 13,95 €

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Dans un moyen âge fictionnel, le fou et sanguinaire comteGalohan Galkiddek terrorise ses gens et fait trembler ses enne-mis. Mais derrière cette fureur se cache une blessure quidemande vengeance…

CŒUR DE PIERREG

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Il est toujours difficile de savoir ce que les gens ont derrière la tête. Cette belle et encore inno-cente jeune femme que vous avez engagée pour garder vos enfants, que savez-vous réellementd’elle, de ses désirs ou bien même de ses ambitions ?

Méfiez-vous

A u travers du récit dÊUne petitetentation, Jim exploite toutesles faiblesses et les désirs

inavoués qui tentent chaque êtrehumain sans quÊils en aient conscience.Tout commence par une simple soiréede baby-sitting comme il en existetant dÊautres pour Calista. On couchela môme après une histoire de cacavraiment passionnante et hop, onattend que ça se passe en matant latélé. Rien de bien extraordinaire ensoi, mais il suffit dÊune personne pourchanger un quotidien banal en vraidéfi. Et son amie, la belle et extrava-gante Anna, est là pour ça. Débar-quant à lÊimproviste dans lÊapparte-ment des ÿ patrons Ÿ de Calista,celle-ci est éblouie par le niveau de viede cette famille. Et de là lui vient uneidée à la fois folle et excitante : séduirele mari, virer la femme et gagner 20ans de leurs vies. Le pari est lancé,laquelle des deux remportera le cfluret lÊargent du beau Jean ?

UN TRAIT INSPIRÉ DU MANGAUne petite tentation nÊest pas seulement lÊhis-toire de deux jeunes filles délurées qui sejettent corps et âme dans un pari déli-rant, cÊest aussi une belle rencontre entredeux auteurs de générations différentes.Jim est un auteur complet à la fois des-sinateur et scénariste, travaillant sur desséries dont le succès commercial estindéniable comme Tous les défauts des mecsou encore Le Dernier Socialiste.Cependant, pour ce one-shot, il a trouvé

en lÊauteur Grelin le parfait collaborateurpour illustrer au mieux ces propos.Ce jeune dessinateur de la génération2.0 est inspiré à la fois par les grandsauteurs japonais comme Toriyama ouencore par les auteurs français commeJanry. Il a su créer un style qui lui estpropre et identifiable parmi la nouvellevague dÊauteurs. La sensualité quÊil metdans le dessin de ses personnages fémi-nins avec leurs courbes généreuses, ouencore lÊinfluence manga qui se fait légè-rement ressentir, sont sa marque defabrique. Belle rencontre, nous disionsdonc, puisque lÊhistoire colle parfaite-ment au trait et se lit avec une grandefacilité. Malgré tout, le thème peut par-fois mettre mal à lÊaise.

LE PLUS COURT CHEMINN’EST PAS TOUJOURS LE MEILLEURUne nouvelle génération de femmesarrive, et ça le scénariste lÊa bien compris.Totalement décomplexées physique-ment et sexuellement, nos protagonistessont ambitieuses et sans état dÊâme. Ellesfoncent dans leur défi sans se soucier dumal quÊelles feront autour dÊelles. Annaet Calista ont cette idée farfelue quipourrait leur faire gagner 20 ans dansleur vie en détruisant égoïstement la viede cette famille. Mais est-ce aussi facile ?Oui, détruire un mariage ça lÊest, surtoutquand il y a des failles. Mais gagner 20ans de leurs vies, cÊest aussi passer à côtéde certains moments importants commerencontrer lÊamour, la joie dÊavoir sonpropre enfant ou bien sÊaccomplir dans

son travail – et nous le savons en tantque femmes, ce nÊest pas toujours simple.Il est vrai que toutes ne veulent pas pas-ser par certaines de ces étapes. Nosÿ héroïnes Ÿ croient avoir choisi la faci-lité, mais est-ce vraiment le cas ? Seulevotre conscience et vos ambitions peu-vent vous aider à le déterminer.Un album que lÊon appréciera donc tantpour le scénario de Jim qui donne àréfléchir que pour le dessin sensuel deGrelin.

UNE PETITE TENTATION

de Jim et Grelin,Vents dÊOuest,

160 p. couleurs, 23,45 €

Vivre vieux et gros :les clés du succès,de Michel Plée

Ce guide est rédigépar un chat –Michel Plée – etsÊadresse auxchats. On sedemande dÊailleursbien comment celivre a pu atterrirdans nos mains.QuÊà cela ne

tienne, il permet dÊen apprendre longsur les stratégies de manipulationmentale quÊils déploient pour régneren maître dans le foyer. Regardsimplorants, miaulements savammentmodulés, mictions intempestives oudestruction tous azimuts de tout cequi peut lÊêtre, les astuces divulguéespar Michel sont nombreuses etredoutables. On aurait pu craindrede lÊouvrage de Michel Plée (qui a lemême dessin minimaliste que LesliePlée, sa mère adoptive qui signe lapréface) quÊil soit un peu concon. Ehbien pas du tout, cÊest franchementdrôle. Si vous nÊaviez pas encorecompris que la vraie menace ce sontles chats, ce guide vous permettra devous en convaincre.Delcourt, coll. Tapas,80 p. bichromie, 12,50 €

OLIVIER PISELLA

Les Voleurs de Carthage, T.1,dÊAppollo et Tanquerelle

Voilà la premièrepartie dÊunpéplum à intriguede cambriolage :deux mercenairesaffamés etmalchanceux,un Numide etun Gaulois,rencontrent au

cours dÊune embuscade ratée unevestale. Ils aimeraient bien la violerun peu et la vendre ensuite commeesclave, mais elle leur propose dedevenir leur associée. Le tandemdÊAppollo au scénario et deTanquerelle au dessin est nouveau etdétonant. Beaucoup dÊhumour dansles dialogues parfois empreints dÊunecertaine gravité. La tentative decambriolage est interrompue parlÊinvasion de Carthage par lesRomains, et lÊalbum se termine parune chute spectaculaire !Dargaud, 64 p. couleurs, 13,99 €

MICHEL DARTAY

Wayne Shelton, T.11, deVan Hamme et Denayer

Shelton est unséduisantmillionnaire auxtempes argentées.En escale dans leport de BuenosAires, il se voitaccusé dÊun violréalisé quaranteans plus tôt.

Consentante à lÊépoque, sa prétenduevictime nÊa trouvé que ce moyenpour lÊobliger à remplir une missionpour elle. Le curé de la paroisse arécupéré le ticket gagnant de loterie,Shelton va devoir le rejoindre à dosdÊâne, vêtu dÊune soutane, pourlÊamadouer. Amen ! La messe sera vitedite, grâce à lÊemploi musclé dÊuncrucifix. Une lecture distrayante etefficace, sans temps morts niséquence lesbienne, pour une fois !Dargaud, 48 p. couleurs, 11,99 €

MICHEL DARTAY

de la baby-sitter !

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La première partie dÊUne petite tentation aété publiée chez Soleil sous le titre LeSourire de la baby-sitter. Pour ce qui est de laparution Vents dÊOuest, elle a été entiè-rement réécrite.

AUDREY RETOU

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Les Schtroumpfs, T.31,Les Schtroumpfs à Pilulit,de Peyo

Le talent duSchtroumpfpoète nÊest pasreconnu à sajuste valeur.Drame ! Ildécide donc dese rabaisser auniveau de sonauditoire bleu,et dÊécrire une

histoire pour eux. Il fallait oser, carcette histoire écrite par dépit, cÊestcelle qui nous est racontée. Serions-nous les gogos à qui il faut plaire ennivelant par le bas le talent dunarrateur ? QuÊimporte, ça marche.Le public visé, enfant donc, va serégaler. Le charme de ces petitspersonnages (grands dans ce récit)est intact, avec même quelquesallusions amusantes pour les parents.Le fils Peyo veille au grain, etentretien lÊhéritage, avec maliceet intelligence (loin de lÊogrehollywoodien).Le Lombard, 48 p. couleurs, 10,60 €

PHILIPPE CORDIER

Casanova, T.1, Luxuria,de Fraction, Moon et Bà

Après unepremière annéeentièrementconsacrée àlÊexploitation dela licence DC,Urban Comicsse diversifie enlançant lacollection UrbanIndies. Casanova

est proposé par une équipe réputée :le scénariste Matt Fraction sÊestrécemment fait remarquer auxÉtats-Unis pour son travail sur dessuper-héros mainstream Marvel, tandisque les Brésiliens Moon et Bà ontdéjà livré le remarqué Daytripper,nominé dans la dernière sélectiondu FIBD. Ayant bénéficié de la plusgrande liberté créatrice, les auteursproposent une lecture ambitieuse,mais assez exigeante, en reprenantde façon décalée et psychédéliquequelques grands thèmes de la pop-culture.Urban Comics, 168 p. couleurs, 15 €

MICHAL DARTAY

Raoul et Glouglou, T.2,¤ fond la caisse,de Lopez et Thome

La suite desaventures deRaoul, enfantplutôt sage, et desa bestiole verte,Glouglou,trouvée dans unecagette de chouxdans le T.1.Chaque histoire

tient sur une planche ou deux, sans filconducteur particulier à part leshéros. Donc on peut découvrir cettesérie au T.2 sans être perdu. CommeBoule et Bill, Raoul et Glouglou sontinséparables et font plein de bêtises,surtout Glouglou. On retrouvedÊailleurs la rondeur des traits, larousseur du petit héros. Un universludique qui peut plaire aux garçonsjusquÊà 6-7 ans. Au-delà, ces aventuressympathiques mais naïves ne ferontpas le poids face à Titeuf et sonhumour plus moderne.BD Kids, 64 p. couleurs, 9,95 €

LOUISA AMARA

A c t u B dzoom

A près sÊêtre attaqué à lamusique dans AllegrettoDeprimoso (dans la sélection

officielle du FIBD dÊAngoulême 2010),le prometteur Romain Dutreixconfirme son talent en raillant de sonhumour noir et rentre-dedans lÊuni-vers de la BD. Dans une interactionlecteur / personnages, nous glissonsdans une revisite piquante pouradultes des classiques de lÊâge dÊor du9e art. Ou quand la crise et la dépres-sion touchent aussi les héros ! Ainsi,dÊhilarantes variantes dÊun gag de Titeufoù se mêlent allusions sexuelles,blagues sur le handicap et violencegratuite, côtoient un Schtroumpfayant des problèmes de communica-tion, un Agent 212 cyborg tueur devieilles, ou un village dÊAstérix peupléde... cannibales mangeurs dePortugais !

IL A SOUILLÉ MON HÉROS !Dans ce bestiaire impertinent et mes-quin (prépublié dans Fluide Glacial),cÊest une version trash de la BD grandpublic de notre enfance qui estdépeinte, où les héros sont confrontésà une crasse réalité faite de misèresociale et intellectuelle, et de rapportsÿ humains Ÿ dérangés. On brise icides règles désuètes du média tellesque le personnage intemporel qui nevieillit pas ou les alter-ego animaliersdoués de parole. LÊauteur pousse lÊexer-cice stylistique jusquÊà créer un inter-lude présentant ÿ Super Bourbon Ÿ,une fausse BD de super-héros roya-liste parue en 1848, et même des

publicités pour de faux albums ! Ildécortique également les codes nar-ratifs, en dehors de la case, commedans ce récit où Spirou et Fantasiovisitent la BD de Blake et Mortimer,comme on visiterait un appartement,et la jugent bien mal fichue. Ce déca-lage entre des héros populaires imma-culés et leurs doubles anxiogènes etpathétiques imaginés par Dutreix,donne un goût acerbe à ces pastiches

que lÊon dévore avec la satisfactionperverse et honteuse dÊune gentilledestruction en règle. Trash et sanstabou, ce détournement crétin etassumé réussit le pari de rendre hom-mage à sa manière à tout un monu-ment de la BD. Un trip méchammentdrôle !

IMPOSTURES

de Romain Dutreix,Fluide Glacial,

56 p. couleurs, 14 €

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Quand Spirou et Fantasio changent d’auteur au rythme des contraintes éditoriales, quand LuckyLuke est interné dans un asile psychiatrique ou quand Boule le boloss traîne en banlieue avecce boulet de Bill, c’est tous les travers des personnages de BD qui remontent à la surface.Plongez dans les parodies psychotiques drolatiques des héros de papier.

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La colonisation – sujet épineux s’il en est – ne fut pas toujours un prétexte à enrichir les grandes nations européennes. Pourl’Angleterre, ce fut aussi un moyen formidable pour se débarrasser de ses éléments perturbateurs. Bollée et Nicloux retracentdans une longue saga l’histoire de ces vauriens qui devinrent les premiers colons de l’Australie.

LE PRINCIPE DE SAINT THOMAS

L es bouleversements du XVIIIe siècle ne sem-blent pas avoir atteint lÊAngleterre, dumoins pas directement. Il y a bien eu les

révoltes américaines et irlandaises, mais aucuntrouble notable ne vint véritablement inquiéter lacouronne. Même la ferveur de la révolution de1789, qui réussit pourtant à allumer quelques tisonsdans le reste de lÊEurope, nÊarriva pas à franchir lesquelques kilomètres qui séparent lÊAngleterre ducontinent.On a souvent et systématiquement tendance à avan-cer que lÊAlbion est une île et que de fait, elle a tou-jours été préservée de toutes formes dÊinvasion, etnotamment des courants de pensée révolutionnaires.¤ cela on rétorquera que lÊIrlande sÊembrasa sansgrand mal en 1798 et que ses liens avec le reste desnations européennes ne furent jamais aussi intensesquÊà ce moment précis.DÊaucuns mettront en exergue la puissance coloniale,militaire et économique du royaume britannique, enoccultant les conséquences financières désastreusesde la guerre de sept ans pour tous les belligérants(quels quÊils furent) et le grand revers que constitualÊindépendance des colonies américaines.Ajoutons à cela que lÊAngleterre fut plus quÊà nÊim-porte quelle époque un régime inique basé sur unsystème répressif dÊune cruauté inouïe. Commentpeut-on sÊexpliquer dès lors que les sujets anglais nese soient pas transformés en citoyens et que le roiGeorges ait pu préserver sa couronne et sa tête surles épaules ?

HORS-CHAMP¤ de rares exceptions près, la colonisation britan-nique est fondée sur un principe simple qui consisteà éliminer les sources de mécontentement, de pro-blèmes ou de dangers en les éloignant du théâtre dela société.Des puritains et des nostalgiques dÊOliver Cromwellà lÊempereur Napoléon Bonaparte lui-même, tousfurent contraints de sÊen aller par delà les océanspour ne plus nuire à lÊAngleterre. En plein milieu du XVIIIe siècle, les prisons anglaises

et la potence de Tyburn tournent à plein régime. Onemprisonne, on pend pour tout et nÊimporte quoisans tenir compte ni des circonstances, ni de lÊâge– les condamnés à mort ont parfois à peine plus desix ans. La terreur judiciaire, espère-t-on, pourraéteindre les velléités de révolte et maintenir lÊauto-rité dÊun roi en proie à dÊinquiétants signes dedémence. Très rapidement, les prisons, dont celle deNorwich, sont surpeuplées. Elles deviennent devéritables lupanars où le crime siège et sÊorganise.

Par habitude du sordide, les pendaisons de Tyburnse transforment en réunions politiques où lÊonapplaudit le supplicié et où on jure que bientôt lesbourreaux eux-mêmes auront à rendre des comptes.Aussi, quand le gouvernement britannique estinformé des découvertes de Cook et des possibilitésdÊexpansion de lÊempire, plusieurs projets se mettentà fleurir parmi lÊélite de la nation. Lord Nepeanconvainc ainsi Thomas Townshend, vicomte deSydney, de tout lÊintérêt que pourrait revêtir unecolonisation des terres australes. Outre les possibi-lités dÊexploitation du lin et des bois rares, elle pour-rait résoudre en partie le manque de crédibilité dontsouffre lÊautorité anglaise.La menace représentée par lÊexil put ainsi désen-gorger sensiblement les geôles et dissuader un peuplus ceux qui étaient tentés par la sédition ou lecrime. Même si cette nouvelle peine nÊexplique paslÊexception britannique face à la poussée des idéesrévolutionnaires, elle apporte un éclairage intéres-sant sur la question.

LA FIN DES ORIGINESLa fresque historique conçue et mise en images parBollée et Nicloux raconte lÊexpédition conduite parArthur Phillip et le destin de certains de ces parias quifurent répartis dans les 11 navires en partance pour

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Botany Bay. Elle sÊattarde aussi sur lesportraits dÊautres aventuriers contem-porains à cette aventure.

Dans lÊensemble, le scénario évite deprendre parti ou de succomber à la ten-tation du manichéisme. Tous les acteursde ce drame se présentent au lecteuravec leurs paradoxes sans être idéalisésou discriminés. Pour les auteurs de TerraAustralis, lÊidée est de délivrer une visionsingulière de lÊHistoire humaine quimalmène les stéréotypes en vigueur àpropos de la colonisation. Ces pion-niers involontaires qui furent traitéscomme un cheptel de bêtes malodo-rantes nÊont en effet rien de communavec la vision traditionnelle du conqué-rant imbu de sa supériorité. Ceux-làont en effet plus de proximité avec lespeuples qui demain cèderont face àleur nombre. Si les autochtones aus-traliens sont presque absents du récit,cÊest dÊailleurs et avant tout pour unequestion de place, mais cÊest aussi poursignifier la fin anticipée dÊun monde.Les aborigènes – littéralement ÿ ceuxdes origines Ÿ – se retrouvent ainsi sup-plantés par ceux qui seront considérésplus tard comme étant à lÊorigine dÊunenouvelle nation. Une société sÊeffacedevant une autre ; ceux qui serontamenés à la peupler entameront unenouvelle vie, loin de celle quÊils aurontlaissée derrière eux à des milliers dekilomètres de là.

Côté dessin, Terra Australis fait preuve debelles ressources pour mettre en imageslÊaventure de ces premiers pionniers.Si la composition est parfois un peuhésitante ou statique, le dessinateurparvient néanmoins à se libérer en élar-gissant de temps en temps sa techniqueou en abolissant les limites de la case.Nul doute que cette aventure sera pourPhilippe Nicloux une expérience pré-cieuse pour la suite de son parcours.Laurent-Frédéric Bollée, plus habitué àscénariser des séries de pur divertisse-

ment, sÊen sort avec les honneurs enparvenant à élaborer une narrationfluide qui demeure riche en anecdoteset en détails. Pour lui aussi lÊaventure deTerra Australis symbolise lÊexplorationdÊun continent narratif vierge ou tout aumoins dÊun nouveau champ du pos-sible. LÊauteur, qui avoue avoir un lienquasi viscéral avec lÊAustralie, reconnaîtégalement quÊil y aura pour lui commepour son acolyte un avant et un aprèsTerra Australis.

Force est de constater que Glénat aété séduit par le potentiel et les inten-tions de ces deux auteurs. LÊéditeur nesÊéconomise pas pour promouvoir cetalbum ambitieux qui pourra rebuterpar son prix, sa rigueur et son absencede couleurs. Reste les qualitésintrinsèques de lÊalbum et de soncontenu didactique, qui à eux seul jus-tifient les 45 euros quÊil faudra débour-ser pour accompagner les forçats duÿ Charlotte Ÿ jusquÊaux antipodes.

TERRA AUSTRALIS

de Laurent-Frédéric Bolléeet Philippe Nicloux,

Glénat, coll. 1000 feuilles,512 p. n&b, 45 €

KAMIL PLEJWALTZSKY

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C laire Guillot, jeune diplôméede lÊécole de police, a étérecrutée par une cellule

secrète européenne de démantèlementdes réseaux de prostitution. Sa mission :lÊinfiltration. Déposée sur le trottoir,elle va devoir se faire passer pour uneprostituée afin de remonter des filières,jusquÊen Albanie. Elle et ses équipiersnÊhésitent pas à braver plusieurs interditspour la réalisation de leurs objectifs àlong terme. Un combat épuisant dontle lecteur sait dès la deuxième séquencedu tome 1 quÊil ne va pas se déroulersans accroc.La recette de lÊauteur repose sur unebonne maîtrise des contraintes dÊuneproduction rapide (dynamisme du trait,économie de détails, utilisation detrames et gamme réduite de couleurs) etun solide travail de documentation etdÊimmersion afin dÊasseoir la vraisem-blance de son récit. Le résultat est unehistoire amère qui entraîne ses lecteursaux confins de la cruauté humaine sansnégliger le contexte historique et social.

ENTRETIEN AVEC LAURENT ASTIER

Pourquoi vous êtes-vous lancé sur cesujet ?Au départ, jÊavais travaillé sur un pro-jet de triptyque sur les violences faitesaux femmes aux trois âges de la vie.Un thème déjà assez rude que je nÊavais

pas simplifié en imaginant chaquealbum sur 120 à 200 pages en noir etblanc⁄ Le projet nÊayant pas trouvépreneur, jÊai donc voulu garder cettethématique, mais lÊenrober dans ungenre pour quÊelle soit plus facile à fairepasser auprès des éditeurs et des lec-teurs. JÊai donc choisi le polar et optépour les extrémités de cette violence :le trafic dÊêtres humains et la prostitu-tion forcée. JÊai fait des recherches surles mafias européennes et suis tombésur la mafia albanaise. Elle avait le pro-fil parfait et lÊhistoire de cette régionmÊintriguait depuis lÊépoque où, ado-lescent, jÊavais vu les images du conflitdes Balkans à la télévision.

Comment vous êtes-vous docu-menté ?JÊai commencé par me nourrir le pluspossible dÊinformations, dÊimages. JÊai lubeaucoup dÊarticles sur ces sujets (lameilleure source étant Le Courrier desBalkans), des livres, des témoignages, vudes films, des séries (comme la belgeMatrioshki, ou lÊanglaise Sex Traffic). PuisjÊai laissé mûrir, imaginé les person-nages, développé leur background, leurcaractère, jusquÊà les sentir devenirautonomes.Je suis parti une semaine dans le sud dela Croatie car cÊest la région touris-tique la plus proche, mais ce nÊétait passuffisant. JÊai donc poussé jusquÊà

Mostar en Bosnie, pour deviner leconflit yougoslave à travers les stig-mates quÊil avait laissés, même aprèsde si longues années. La guide qui mÊafait visiter mÊa donné de précieusesclefs. Ensuite, je suis allé voir un cher-cheur en géopolitique à Paris Sorbonnequi avait travaillé sur le seul livre trai-tant de la mafia albanaise. Il mÊa ouvertles archives et surtout raconté des tré-sors dÊanecdotes sur le sujet.

CELLULE POISON, T.5COMPTINES

de Laurent Astier,Dargaud, 100 p. coul., 11,90 €

PROPOS RECUEILLIS PARVLADIMIR LECOINTRE

Les amateurs de polar auront un premier frisson printanier : l’efficace Laurent Astier livreComptines, le cinquième et ultime tome de Cellule Poison, série commencée en 2005 et qui s’é-tend sur 378 planches.

Du plomb dans la tête,de Matz et Wilson

Le film deWalter Hill avecStallone sÊestbien planté ensalles, maisCastermana profité delÊopportunitépour rassemblerles trois tomesde la série dans

une belle intégrale. Un sénateur estdescendu alors quÊil sÊenvoie en lÊairavec une escort mineure, les deuxgangsters en charge du contratrappellent les deux losers interprétéspar Travolta et Jackson dans lemagnifique Pulp Fiction de Tarantino ;lÊun deux pousse lÊélégance à porterdes chaussures italiennes à 2000dollars la paire, mais il marche dansune déjection canine, ce qui vapermettre aux fins limiers du FBI deremonter jusquÊà lui. La BD reste plusforte que son interprétation aucinéma.Casterman, 172 p. couleurs, 22 €

MICHEL DARTAY

Intégrale Haggarth,de Victor de la Fuente

La bandedessinéehispanique est,en termes dereconnaissance,le parent pauvredu neuvième art.Nous voilà doncavec uneintégrale deHaggarth sortie

il y a peu dans un anonymatgénéralisé. De la Fuente, qui fut lÊundes précurseurs de lÊheroic fantasymoderne et un auteur phare desannées 70-80, fait encore référencechez les amateurs éclairés. Son travaildu noir et blanc fascine, tout commeses atmosphères teintées dÊonirismeet de psychédélisme (au sensétymologique du terme). LÊintégralepubliée par Casterman permet de seplonger dans un univers baroque, trèsdifférent de celui que lÊon associegénéralement au genre. Soulignonsenfin lÊexcellente présentation denotre confrère Nicolas Finet.Casterman, 232 p. n&b, 28 €

KAMIL PLEJWALTZSKY

Les Métiers secretsde la bande dessinée,de J-L Coudray et Reuzé

Le lecteurmoyen saitcomment separtagent lestâches entre lescénariste, ledessinateur,lÊencreur et lecoloriste. Nosauteurs ontimaginé denombreux

emplois moins connus : placeur debulles, monteur, bruiteur, fabricant demonstres, collecteur des idées entrop, souffleur, testeur de gags,complexificateur de scénarios⁄Voilà des intitulés de postes que lÊontrouve rarement chez Pôle Emploi, etpourtant Jean-Luc Coudray se faitfort dÊen démontrer la nécessité. Dequoi donner des dizaines dÊidéesdÊalbums à Marc-Antoine Mathieu,pour un euro symbolique !La Boîte à Bulles, 64 p. n&b, 1 €

JEAN-PHILIPPE RENOUX

Trafic d’êtreshumains et vendetta

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Une vie à écrire, T.1 et 2,de Félix et Liman

Le tome 1 de cettesérie était sortisous le nomHollywoodBoulevard, voicimaintenant les104 pages delÊhistoire complètecollectées sous laforme dÊune

intégrale. Dans les années 30, BillyBob, un jeune Redneck, et Scarlett,une danseuse de saloon, décident detenter leur chance dans la cité desanges. La carrière de chacun évolue,jusquÊà ce quÊun jour, on demande aujeune homme dÊécrire la fin tragiquede plusieurs actrices dont Scarlett.LÊintrigue mêle agréablementhommage au cinéma, romantisme etdrame. Au niveau du dessin, on noterala progression visible du trait de ladessinatrice entre les premières et lesdernières pages avec une constante,la grande beauté des personnagesféminins.Bamboo, coll. grand Angle,104 p. couleurs, 18,90 €

YANNICK LEJEUNE

Carnets de mariage,de Romain Ronzeau

Dans cet albumdrôle et moderne,Romain Ronzeau(Love is in the airGuitar) racontelÊorganisation deson mariage.Préparatifs,questionnements,moment

dÊimmenses joies et de galères,lÊauteur liste les affres des préparatifsde la cérémonie. Proche de la réalité,le récit rappellera des souvenirs auxuns et donnera peut-être envie deconvoler en justes noces aux autres.CÊest tendre, souriant, réussi. AdrianTomine avait publié le très joli ScènedÊun mariage imminent chez le mêmeéditeur, ce carnet de Ronzeau ajouteà lÊémotion et à lÊhumour présentschez son confrère, une loufoquerie etune sensibilité qui font toute ladifférence. Delcourt, 136 p. couleurs, 14,95 €

JOHN YOUNG

Deux mangakas àAngoulême, de G. Terada

Drôle de titre pourun ouvrage quirelate assez peule temps passé aufestival. Il relatehuit jours au pasde course que TôruTerada (dessinateurpour Le Petit Mondescénarisé par J.D.

Morvan) et son épouse Garu Okadaont passé pour les exigences de lapromotion entre Bruxelles, Paris etAngoulême, en 2006. On assiste aussiau passage de Français de la maisondÊédition au Japon : bien que Morvanconnaisse les habitudes puisquÊil y vit,pour dÊautres, le choc des culturesest réel. Côté japonais, la timidité ajoué des tours à Tôru au festival,surtout au moment des interviews.Garu est aux côtés de son mari et ledépeint avec tendresse et sans pitié :elle est fière de lui, mais elle ne cachepas quÊil est désastreux en public(tout en se croquant elle-même defaçon ironique).Kana, 126 p. n&b, 12,70 €

CAMILLA PATRUNO

A c t u B dzoom

L e Canto I de Yaxin, sorti en2010, nous avait déjà trans-portés sur de duveteux et oni-

riques nuages de poésie quÊon deman-dait à revoir au plus vite. Ainsi, le 15mars 2013, ces vflux furent exaucéspar le talentueux Man Arenas, quiavant de nous délivrer son deuxièmeépisode trompe lÊattente avec unepetite histoire à part, mettant en scèneGabriel, le malicieux petit faune, etune licorne à la crinière fleurie,laquelle sÊavère attendre un heureuxévénement.¤ la fois carnet de croquis thématiqueet très joli poème graphique, commelÊappelle fort adéquatement son auteur,Yaxin : le jour de la Licorne court à traversce monde merveilleux, fait de natureépanouie, de faunes et de nymphes.Un monde où il fait bon oublier laréalité, parfois lourde, parfois éprou-vante, pour se lover contre le flancdÊun animal légendaire et rire de boncflur en voyant son nouveau-né

sÊemmêler les pattes en faisant ses pre-miers pas.

UNE BOUFFÉE D’AIR PUROn sent définitivement lÊinfluence inno-cente et enfantine du monde de Disneydans le travail de Man Arenas, mais leDisney dÊavant, qui était propice au rêve,à lÊimagination et à la douceur. En effet,lÊauteur et illustrateur travaille pour lÊim-mense usine à magie que sont les StudiosDisney depuis quelques temps déjà.Mais on y trouve également une matu-rité, une réflexion et une sérénité qui

tiennent quasiment du mode de vie, quidonnent envie de tout arrêter pourprendre une grande inspiration.Une fois lÊambiance installée, on sÊat-tarde avec délices sur la composition.Certaines planches sont à peine cro-quées, dÊautres très travaillées, particu-lièrement féériques. Un trait rond, douxet foisonnant de détails, qui dépeint lanature avec un amour et une justesseimmodérés, ainsi quÊune colorisationpastel et pourtant contrastée, consti-tuent le parfait pendant graphique decette prose enlevée qui flirte avec lehaiku japonais.

ÿ Tant que le monde connaîtra les pluies de roses,les mânes de fleurs, les licornes vivront paisible-ment et nous, nous ne nous sentirons pas vieillir,accrochés à leurs cflurs. Ÿ

En tout cas, cet ouvrage et son auteurnous rappellent en ce début de prin-temps parfois surprenant que les beauxjours reviennent toujours, au proprecomme au figuré. CÊest à nouveau unetrès belle surprise que nous aura réservéela collection Métamorphose de Soleil, etsans nul doute une fluvre à avoir chezsoi pour pouvoir sÊévader à tout momentdÊun quotidien bien trop terre à terre.Après tout, on nÊassiste pas à la nais-sance dÊune licorne tous les jours⁄

YAXIN :LE JOUR DE LA LICORNE

de Man Arenas,Soleil, coll.Métamorphose,

40 p. couleurs, 14,95 €

ALIX DE YELST

Une nouveauté de toute beauté dans la collection Métamorphose de Soleil en ce début deprintemps : Le Jour de la licorne nous replonge dans le monde merveilleux et féérique de ManArenas en attendant le Canto II de Yaxin.

YAXIN :LA NAISSANCE D’UN RÊVE

« … Sur le lac endormi je me dis que, parfois, le ciel n’est pas chez lui. »

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Si les lecteurs et une bonne partie de la critique ont depuis longtemps plébiscité le virage effectué par Riff Reb’s à travers son adap-tation de À bord de l’étoile Matutine, il manquait les honneurs d’un prix pour saluer un travail empli d’intelligence et de puissance.

La Fnac récompense

P our cette première édition, le prix de laBD Fnac consacre Riff RebÊs pour son adap-tation du Loup des mers de Jack London. Le

jury composé de libraires et dÊadhérents de lÊen-seigne commerciale avaient à choisir parmi 30 titres,puis cinq finalistes dont le sixième tome dÊIl étaitune fois en France de Fabien Nury et Sylvain Vallée, LesFolies Bergère de Francis Porcel et Zidrou, Le Singe deHartlepool de Jérémie Moreau et Wilfrid Lupano, etMoi René Tardi prisonnier au Stalag 2B de Jacques Tardi.

Riff RebÊs voit ainsi son travail dÊadaptation un peumieux reconnu. Il faut aussi admettre que depuis samise en images du roman de Pierre Mac Orlan ¤ bordde lÊétoile Matutine, Riff RebÊs a démontré toute sonhabileté et son aisance dans lÊexercice de style queconstitue lÊadaptation. Loin de se contenter dÊuneinterprétation formelle de textes dÊauteurs, Riff RebÊsglisse à chaque fois sa propre vision et notammentson pessimisme forcené.LÊauteur a longtemps été associé à dÊautres artistescomme Arthur Qwak, Gonnort, Edith, Ralph ouencore Joe Ruffner et à un style post-punk énergique

quoique profondément désenchanté. Au début desannées 90, il se lance dans lÊécriture de la sérieMyrtille Fauvette qui, en dépit de ses qualités réelles,nÊobtient quÊun succès dÊestime. Plus tard, Riff RebÊsfinalise le dernier tome du Bal de la sueur, sérieentamée dès 1985 avec Cromwell. Dès ce troisièmeopus, on constate les prémices dÊun changementimportant dans lÊévolution du dessinateur. Le stylegagne en précision et en efficacité. LÊencrage devientun élément fort dÊune narration devenu beaucoupplus fluide que par le passé. Il faudra cependantattendre la fin des années 2000 pour que Riff RebÊsse lance dans un projet en solitaire et que son stylearrive à maturité.

DES ADAPTATIONS HAUTES EN COULEUR…

¤ bord de lÊétoile Matutine est lÊadaptation éponymedÊun roman de Pierre Mac Orlan qui démystifiequelque peu lÊimage du pirate aventurier pétridÊidéaux anarchistes. La représentation des diffé-rents protagonistes par Riff RebÊs accentue cet aspectet ajoute une touche grotesque et même pathétique

à ces bandits de haute mer. Cette question des idéauxmalmenés par les lois implacables de la réalité se poseune nouvelle fois dans les pages du Loup des mers. Leroman de Jack London, lui aussi, oppose la nature auxintentions humaines. LÊécrivain prétexte de lÊenvi-ronnement hostile de lÊocéan pour mettre en scènedeux esprits contradictoires : lÊun purement cyniqueet lÊautre qui érige les valeurs sociales comme élémentessentiel à la survie de lÊhumanité. Riff RebÊs choisitde donner une issue beaucoup plus sceptique à cetteconfrontation en écrivant un tout autre dénouementà lÊhistoire.

Les facéties, le caractère et la théâtralité des per-sonnages dessinés par Riff RebÊs transforment le fondde chacun de ces récits qui en deviennent presquesatiriques. Soulignons enfin lÊimportance des mises encouleur en bichromie. Ce choix audacieux apporteune intensité particulière à la lecture de ces deuxalbums et joue parfaitement avec les différentesambiances dépeintes par London ou Mac Orlan.

« LE LOUP DES MERS »

KAMIL PLEJWALTZSKY

EXTRAIT DU LOUP DES MERS PAR RIFF REBÊS, LAURÉAT DU PREMIER PRIX BD FNAC

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WW 2.2, T.4, ÉliminerVassili Zaïtsev, de RamonRosanas et Herik Hanna

Rien ne va plusdans cetteretranscriptiondécalée de laSeconde Guerremondiale :Russes etAllemands ontpu sÊétablir auNord delÊAngleterre.

Avec 200 victimes (dont plusieursgénéraux !) à son tableau de chasse,le sniper Zaïtsev fait lÊobjet de toutesles attentions, mais un curieux accordentre des responsables britanniqueset allemands va mettre un terme à sacarrière. LÊhistoire que dessine avecune remarquable ligne claire réalistelÊEspagnol Rosanas, est signée par lescénariste du remarqué Bad Ass.Malgré une trame chronologique,chaque album peut se lire de façonisolée, en raison de lÊalternancedÊauteurs, de lieux et deprotagonistes.Dargaud, 56 p. couleurs, 13,99 €

JEAN-PHILIPPE RENOUX

Ainsi soient-ils,de Lénaïc Vilain

Depuis quelquestemps déjà, lestravaux de LénaïcVilain suscitentnotre intérêt.SÊadonnant au gagau format courtdans Ainsi soient-ils – une plancheou un strip –,il trouve

régulièrement la bonne formule, cellequi donne au lecteur réceptif à cegenre dÊhumour – cynique, désabuséet absurde –, le plaisir dÊêtreconfronté à un esprit sagace. ToutnÊest pas du même niveau, mais danslÊensemble cet ouvrage sÊavèregénéralement drôle et fin. Parmises personnages, celui du cadredynamique blond est une francheréussite. Il pourrait même sÊappelerJean-Philippe.Makaka, 96 p. couleurs, 15 €

OLIVIER PISELLA

Le Monde de Milo, T.1,de Marazano et Ferreira

Il n'a riendemandé Milo. Ilva à la pêche etse débrouillecomme ungrand. Un beaujour, il ramèneun fluf. Il ensort un poissontout doré qui necesse de

grandir. Soudain, un type à tête decrapaud débarque chez lui avec sonacolyte qui siffle comme un serpent.Son seul espoir de sÊen tirer, cÊest unejeune fille, Valia, qui allait servir dedéjeuner au crapaud. Le poisson d'orentraîne Milo de l'autre côté du lacdans un univers magique et parallèleoù vivent des nains rigolos et deméchants personnagesencapuchonnés. Un petit côté mangapour le personnage de Milo. C'estjoliment dessiné, poétique. Bellenarration, bien écrite et construite deMarazano prévue en deux tomes.Dargaud, 56 p. couleurs, 13,99 €

JEAN-LAURENT TRUC

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T rop longtemps resté danslÊombre de lÊécrasante figuretutélaire quÊétait Carl Barks,

Don Rosa a pourtant signé quelques-uns des plus grands fleurons des décli-naisons BD de lÊunivers Disney. Parmiceux-ci, la mémorable Jeunesse de Picsouchère à tous les aficionados des habi-tants de Donaldville, qui inaugure unecollection à prétention exhaustive.Produites au début des années 90 etrévélées dans Picsou Magazine entremars 1994 et février 1996, les quelques200 planches relatent la vie rocam-bolesque de Balthazar Picsou, inter-rogé par ses petits-neveux Riri, Fifi etLoulou quant à lÊorigine de son légen-daire sou fétiche. Voici le pingredevant lÊÉternel plonger avec une infi-nie délectation – et une pointe dÊé-motion – dans les souvenirs embrumésde sa vie de famille à Glasgow, en1877, jusquÊà la rencontre chaotiquede son neveu Donald à lÊaune de 1950.Récompensé par un Will Eisner Awarden 1995, lÊéquivalent pour la BD desOscars pour le cinéma, ce biopic déli-cieux par son impressionnante galerie

de personnages et son action trépi-dante, regorge de multiples référenceséminemment respectueuses de lÊuni-vers couché sur papier par Carl Barks.Don Rosa, admirateur sans bornes delÊfluvre du mentor, explique dans lajolie préface qui ouvre le premier tomedÊune intégrale prévue en sept, com-bien lÊopportunité était belle dÊimagi-ner le passé tumultueux de Picsou, etavec quel soin maniaque il sÊemployaà truffer ses cases de détails puisésdans lÊun ou lÊautre des nombreux épi-sodes signés Barks. Signe qui netrompe pas : à destination des lecteursattentifs, Don Rosa cache dans chaquepremière case dÊépisode un malicieuxÿ D.U.C.K. Ÿ signifiant ÿ Dedicated toUnca Carl from Keno Ÿ (tout cela estrécapitulé en fin dÊouvrage, pour lesparesseux). Replonger dans la jeunessedu plus puissant et redouté citoyende Donaldville revient à retrouver unepart de sa propre enfance, tant lÊaven-ture fait office de madeleine de Proustpour bien des passionnés de la mytho-logie Disney. Mieux : les récits seredécouvrent avec un plaisir intact, et

fascineront sans peine une nouvellegénération de lecteurs, trop jeune pourles avoir lus dans lÊillustre mensuel.

ENCORE UNE VICTOIRE DE CANARD

Accompagné dÊun poster de lÊarbregénéalogique de la glorieuse famillecanard, bien utile pour sÊy retrouverdans la foisonnante lignée dÊaïeuls par-fois obscurs, le premier tome constitueune aubaine pour les collectionneursdÊintégrales, à la fête depuis que les édi-teurs ont flairé le potentiel commer-cial, pardon nostalgique, du filon. Lacouverture souple et la qualité de repro-duction parfois hasardeuse des planchesne permet certes pas de classer lÊobjetdans la catégorie des beaux-livres, àlÊinverse de lÊintégrale FloydGottfredson consacrée à lÊâge dÊor deMickey, mais lÊintérêt souverain delÊfluvre de Don Rosa en fait un ouvragechaudement recommandé qui se par-court avec dÊautant plus de plaisir quechaque histoire est introduite par troisà quatre pages dÊanalyse par lÊauteur enpersonne, à la manière de ces making-of

R e d é c o u v e r t e

Pan sur le bec !Alors que les anthologies Carl Barks et Floyd Gottfredson poursuivent vaillamment leur route,les éditions Glénat ont entamé en début d’année une troisième collection consacrée à un autreauteur Disney non moins illustre : Keno Don Hugo Rosa, dit Don Rosa.

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dont raffolent DVD et Blu-ray. Le des-sin fouillé et expressif de Don Rosa, lapropension de lÊartiste à invoquer degrandes figures historiques commeGeronimo ou Roosevelt, le sous-texteécolo ou le background étoffé des habi-tants de Donaldville : autant de bonnesraisons de replonger dans les aventuresdÊun canard définitivement pas boîteux.

TROIS QUESTIONS À DON ROSA

Quel effet cela fait-il à lÊadmirateurde Carl Barks de voir son fluvre sefaire ÿ coffrer Ÿ par Glénat avec lesmêmes honneurs que le maître ?Don Rosa : Lorsque je travaillais dansune compagnie de construction, si onmÊavait dit que je vivrais cela 30 ansplus tard, voyager en Europe et auxÉtats-Unis comme Barks⁄ CÊestirréel, il faut que je me pince pourréaliser. Selon les éditeurs, je devraisdire haut et fort combien je trouvemon nouveau livre sensationnel, maisce nÊest pas ma nature. Je mets moncflur et mon âme dans mes BD dansle seul but de divertir les fans. Et jereste moi-même un fan de WaltDisney, qui nÊétait pas un conteur maissÊentourait des bonnes personnes pourraconter des histoires. Je dis souventquÊentre producteur et éditeur, je nÊai-merais pas être éditeur car cÊest beau-coup de travail. CÊest plus simpledÊêtre assis et de créer des histoires.Dieu merci quÊil y ait des gens commeeux pour moi⁄ et réciproquement.

Vous vous êtes impliqué dans lÊéla-boration de lÊouvrage en introdui-sant chaque récit avec une petiteanalyse. Vous êtes-vous spontané-ment proposé à lÊéditeur ?Ces textes ont été rédigés en 1993, etmis sur Internet par un de mes amis.Cinq ans plus tard, lorsque lÊéditeurEgmont a souhaité réunir mon fluvresous forme de livre, il mÊa demandélÊautorisation dÊutiliser ces textes, ceque jÊai bien sûr accepté. Les lecteurspensent que jÊinvente mes histoires,mais en réalité tout est basé sur desfaits réels. JÊai vraiment mené des

recherches. CÊest ce que je trouvaisintéressant dans les histoires de Barks,et jÊespère que les gens apprécientaussi cela dans les miennes. Je neconsidère pas mes histoires commeÿ des canards qui parlent Ÿ, il sÊagitpour moi de récits sérieux.

LÊintégrale est donc inaugurée parvotre pièce maîtresse, La Jeunessede Picsou. Quelles ont été vossources dÊinspiration pour étoffer lamythologie de ce héros ?Pour les faits en relation avec Picsou,je me suis uniquement basé sur lesfluvres de Carl Barks. Il y a cependantdeux ou trois histoires pour lesquellesjÊai puisé dans dÊautres récits qui par-laient de la jeunesse du personnage,comme celle de Denis Strobel aveclÊidée dÊun Picsou jeune, cireur dechaussures. Je me suis permis de lÊuti-liser car, en tant que fan, je ne pensepas que mes idées suffisent. Donc siquelquÊun a eu une bonne idée avantmoi, je lÊutilise. Cela dit, il y en a peu,parce que personne nÊavait pensé àraconter la jeunesse de Picsou !

R e d é c o u v e r t e

GERSENDE BOLLUT

LA GRANDE ÉPOPÉEDE PICSOU, T.1

de Don Rosa,Glénat, 288 p. coul., 29,50 €

T.2 à paraître en juin 2013

33

DON ROSA AU FESTIVAL DÊANGOUL¯ME 2005

DR

M a n g a s & A s i e

L e manga historique sort dÊha-bitude assez peu du Japonou de la Chine, comment

avez-vous connu ce personnage de laRenaissance européenne, CesareBorgia ?Fuyumi Soryo : CÊétait il y a long-temps déjà, à travers un film italienconsacré à la vie de Léonard de Vinci,jÊavais seulement 13 ans, et Léonardavait été engagé comme stratège parquelquÊun qui sÊappelait Cesare Borgia.Les peintures de Vinci sont restéesune référence pour moi, et jÊaurais bien

aimé faire un manga sur lui, mais ilest beaucoup trop connu, et je me suissouvenu de Cesare.

Le thème des Borgia a été énormé-ment traité, de Lucas Cranach auxséries TV récentes, en passant parMilo Manara et Jodorowsky, vousvous êtes intéressée à tout cela ?Fuyumi Soryo : Non pas du tout, aucontraire même car tout le mondedécrit cette famille comme sangui-naire et je voulais mÊéloigner de cetteimage de mal absolu.

Vous en avez dÊailleurs fait quelquechose de très conforme à lÊesprit dumanga shônen dans la structure durécit, et peut-être que Cesare estinvesti du nekketsu, ce sang bouillantdes héros comme Naruto ou dÊautres ?Fuyumi Soryo : Bien sûr Cesare étaittrès jeune et très doué au combatcomme à lÊéquitation, ce sont des élé-ments shônen. Et pour commencer lasérie, il fallait que les premiers tomessoient spectaculaires et impressionnants,au moins jusquÊau cinquième tome pouraccrocher les lecteurs.

¤ quel moment devient-il nécessaire defaire appel à un spécialiste de cetteépoque comme le professeur MotoakiHara ?Fuyumi Soryo : Dès le début ! Il fallaitbien comprendre le système dÊéquilibredes États italiens de lÊépoque, et ça mÊapris cinq tomes pour mÊimprégner detoutes les informations ! Les éditeurs nevoulaient pas que je collabore avec unhistorien au début, et les lecteurs ont étéun peu déboussolés par ce style demanga très documenté, mais ils ontappris à lire différemment.

Cesare Borgia est mort très jeune, à 31ans, vous nÊallez pas pouvoir en faire 30ou 50 tomes⁄Fuyumi Soryo : Il ne vivra pas pluslongtemps dans le manga ! Mais il a unevie tellement dense que 31 ans de la viede Cesare en valent facilement 70 dÊunevie dÊaujourdÊhui.

Quel effet cela fait-il pour un univer-sitaire de voir son travail transformé enmanga ?Motoaki Hara : JÊai toujours été trèsattaché aux livres et aux archives, maisje crois aussi avoir toujours été trèsouvert, et passionné de manga. Je pré-cise également que la biographie deCesare par Gustavo Sacerdote présentede nombreux documents qui nous mon-trent bien son intelligence, à reboursde son image violente.

Il reste pourtant quelques erreurs his-toriques⁄Fuyumi Soryo : On nous en a signaléquelques unes, mais elles étaient néces-saires pour mieux illustrer lÊhistoire. Parexemple, les Espagnols ne portaient pasencore le vêtement noir à lÊépoque maiscÊétait pratique pour les distinguer desItaliens à Pise. Je veux être fidèle à lavérité historique, mais jÊai imaginé queCesare était très en avance sur sontemps, y compris dans la mode !

LE SANG BOUILLANT DES BORGIAAlors que Canal+ et HBO sortent en même temps leurs séries sur les Borgia, un manga très soigneusement édité par Ki-oon pro-pose de prendre le contre-pied des clichés sur cette famille à la réputation odieuse pour se centrer sur le personnage de CesareBorgia, présenté comme un jeune génie politique, à l’aide d’un conseiller historique très impliqué dans la genèse du manga.

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CESARE, T.1

de Fuyumi Soryo, supervisépar Motoaki Hara,

Ki-oon,236 p. n&b, 7,90 €

PROPOS RECUEILLIS PARBORIS JEANNE

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FUYUMI SORYO

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M a n g a s & A s i e

L Êadolescence. Le sexe. Le sexeet lÊadolescence. ÿ Vaste pro-gramme Ÿ aurait dit un géné-

ral président français. Pas forcémentfacile, en tout cas, dÊaborder le sujet demanière intelligente, un tantinet péda-gogique et sans tomber dans la vulga-rité, dÊautant plus lorsquÊil sÊagit dÊunshôjo, un manga destiné aux filles. Pourdécrire cet éveil des sens, ce sentimentnouveau qui habite lÊadolescent(e), lamangaka Takumi Ishida a choisi detraiter le sujet par la bande. Certes,

lÊhéroïne de Parapal est une jeune fillede 16 ans prénommée Komaki. Et lerécit se déroule dans son quotidien,qui va de la maison de ses parents oùelle vit jusquÊà son lycée, en passant parson petit ami Takayama. Certesencore, dès les premières pages,Komaki entend sa copine Gucchan luidemander, en parlant dudit garçon :ÿ Est-ce que tu aimerais le faire⁄ avec lui ? Ÿ.Mais lÊhistoire ne se contente pas dÊêtreune romance rebattue, pimentée parquelques allusions à ÿ la chose Ÿ, que

dÊailleurs bien peu des personnagesadolescents de la série ont déjà faite.

Takumi Ishida sÊingénie plutôt àbrouiller consciencieusement les pistes,pour lancer la lectrice sur des leurres.En commençant la lecture de ce pre-mier tome, on a en effet presque lÊim-pression de découvrir un manga culi-naire. Un matin, Komaki se réveilleet son odorat est assailli par les effluvesde la cuisine familiale. Avec une acuitéjusque là inconnue, la jeune fille recon-naît les plats dont les odeurs lui par-viennent. Le moindre arôme est captépar ses narines, que ce soit dans la rue,où Komaki est capable dÊidentifier lesmets qui se préparent dans chaqueappartement quÊelle longe, ou mêmesur les gens quÊelle croise, dont ellepeut deviner le dernier repas. Maisnon, tout cela nÊest pas le cflur deParapal. Pas plus que lÊintrigue fantas-tique qui se greffe sur le récit.

PASSAGERS CLANDESTINS EN SÉRIE

Dès les premières pages également, lesurnaturel débarque sous la formedÊune voix qui résonne et raisonne dansla tête de Komaki. Un hôte extrater-restre a en effet récemment pénétréson cerveau et communique avec elleen ligne directe. Quel rapport aveclÊamélioration de lÊodorat de la jeunefille ? ÿ Il sÊagit en fait dÊune sorte dÊeffetsecondaire qui se manifeste lorsque nous nousassimilons au cerveau dÊêtres vivants tels que leshumains, lui révèle lÊalien passager clan-destin. Notre présence augmente considéra-blement lÊun des sens de lÊindividu. Ÿ Bingo,les morceaux du puzzle sÊemboîtent etTakumi Ishida peut passer la vitessesupérieure question ÿ affres de la sen-sualité Ÿ. Car Komaki ne sent pas queles odeurs de cuisine, elle distingueaussi des effluves bien plus fins, commeceux des phéromones par exemple, sivous voyez ce que je veux dire. Pourune jeune fille qui est aux portes de sonéveil sexuel, la découverte a de quoiintriguer, voire inquiéter.

Là où lÊhistoire sÊaccélère sérieuse-ment, cÊest au moment où Komaki serend compte quÊelle nÊest pas la seuleà abriter une créature venue de lÊes-

pace dans sa boite crânienne. Tsurumi,un camarade de classe un peu sombreet renfermé, et Rika, une troisièmeannée dont le tableau de chasse com-prend tous les beaux mâles du lycée,sont eux aussi des humains augmentés.Ça y est, le lecteur est tenu en haleine.Trois sens ont été dévoilés, on attendavec impatience les deux suivants(peut-être un sixième ?) et surtoutquels autres questionnements sur lasexualité vont être abordés (demanière tout de même plutôt directe).Les neuf tomes de Parapal (abrévia-tion des mots anglais Parasite et Pal –ami) ne seront pas de trop.

Ni histoire de science-fiction ni récit culinaire, Parapal est bien une série sur le désir adolescent. Takumi Ishida creuse le sujetavec délicatesse et intelligence, et répond à bien des questions juvéniles.

PARAPAL :

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PARAPAL, T.1

de Takumi Ishida,Delcourt, 224 p. n&b, 6,99 €

THIERRY LEMAIRE

LE DÉSIR DANS TOUS LES SENS

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M a n g a s & A s i e

V ous alternezlongues sériescomme Slam

Dunk et Vagabond, et destravaux ponctuels commeReal ou Pepita. Commentorganisez-vous votre tra-vail ?Inoué : ¤ vrai dire, je nÊaiaucune organisation, et çame peine beaucoup ! CÊestVagabond qui occupe la

majeure partie de mon temps, et de temps en temps ily a Real ou autre chose, mais souvent je me rendscompte que je nÊai pas le temps de faire dÊautres projetset jÊaimerais bien que vous me disiez comment faire pourmÊorganiser !

Mais pour Real par exemple, quÊest-ce qui déclenchevotre mise au travail ?CÊest mon responsable éditorial de Shueisha qui me rap-pelle et me convainc de faire un nouveau tome ! ¤ labase, Real devait être une histoire en un volume, et aufinal ça a continué⁄ ce qui prouve à quel point monresponsable est bon !

Pourtant, vous êtes venu seul à Paris, sans éditeur, cequi est rare pour un mangaka et surtout pour quel-quÊun dÊaussi important que vous, économiquement.Vous jouissez dÊune grande liberté⁄Je nÊaime pas être avec un responsable éditorial, et làpour ce voyage, je n'en ai parlé à personne et ce, jus-qu'au dernier moment. JÊai vraiment envie dÊêtre libre.JÊessaie de ne pas prendre conscience de ma valeur

économique et, quand je viens à lÊétranger, personne nemÊassaille dans la rue.

Vagabond met en scène la figure très connue auJapon du samouraï Miyamoto Musashi. Quel regardparticulier avez-vous voulu lui apporter ?Quelque chose dÊactuel, que le lecteur puisse se retrou-ver dans ces personnages alors que les mflurs sont trèsdifférentes. Sans que je mÊen rende compte, il y a mêmedes personnages de Slam Dunk qui réapparaissent dansVagabond, tant jÊai voulu les rendre contemporains.

Quel est votre point de vue sur la violence nécessairede Vagabond, manga de samouraï ?Il faut que ce soit violent et que les gens ressentent cetteviolence. CÊest un choix assumé quÊil y ait des scènes trèsexplicites où le lecteur tourne de lÊflil, car il faut que lamort interpelle le lecteur pour que ce ne soit pas desscènes anodines.

Comment avez-vous fait évoluer votre dessin à lÊé-chelle des 34 tomes de Vagabond ?JÊai fini par ressentir la dureté du travail au crayon et jÊaivoulu aller vers un style de dessin plus souple, et le pin-ceau me lÊa amené : cÊest vraiment vers cette souplessedu dessin que je voulais aller. JÊai assez peu dÊintérêt auscénario, ce nÊest pas ce qui me passionne le plus, jepréfère raconter des histoires avec des dessins.

Comment sÊest passée votre rencontre avec Gaudí etBarcelone, racontée dans Pepita ?JÊai toujours été fasciné par ce personnage qui faisait desarchitectures particulièrement originales, et qui sÊestlancé dans un bâtiment qui ne sera toujours pas terminé

dans 100 ou 200 ans. JÊai lÊimpression que Gaudí sÊins-pire de la nature pour créer des bâtiments : au Japon toutest rapide, on veut toujours construire des bâtiments leplus vite possible, alors que lui a pris son temps pour sescréations, comme la nature prend son temps.

Vous avez fait partie des mangakas particulièrementmobilisés au lendemain des catastrophes de mars2011 au Japon. Est-ce que votre travail a été affectépar ces événements ?Oui, désormais jÊessaie de donner plus de sens auxbatailles de Vagabond, plus que le simple fait de savoirqui est le plus fort. QuÊest-ce que cette victoire leur

apporte humainement ? JÊessaie demontrer quÊil y a une autre forceque celle du sabre.

c PEPITASUR LES TRACES DE ANTONI GAUD¸artbook de Takehiko Inoué,Kaze, 108 p. couleurs, 29,99 €

c VAGABONDde Takehiko Inoué,Tonkam, 34 tomes parus, série en cours

c SLAM DUNKde Takehiko Inoué,Kana, 31 tomes parus, série terminée

c REALde Takehiko Inoué,Kana, 11 tomes parus, série en cours

100 millions de volumes de Slam Dunk vendus, 34 volumes de Vagabond en cours –avec une ressortie en couverture rigide à venir en France –, un tome de Real par-cipar-là, et cet extraordinaire autant qu’inclassable album Pepita issu de sa rencontreavec Gaudí à Barcelone : voici Takehiko Inoué à Paris.

PROPOS RECUEILLIS PARBORIS JEANNE

L’INOUÏ INOUÉ

EXTRAIT DE VAGABOND T.34

EXTRAIT DE PEPITA

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J e u n e s s ezoom

M ode passagère ou tendancede fond ? Si notre proposnÊest pas de trancher la

question, le constat est sans appel :faute de sang neuf, le 7

eart capitalise

avec plus (La Planète des Singes : les origines)ou moins (Prometheus) de succès surlÊaura de franchises culte pour enchaî-ner remakes, préquelles et reboots quirégalent (ou pas) les cinéphiles et fontla joie (ou pas) des investisseurs. Unconcept assez peu répandu dans lÊuni-vers de la BD, mais qui suscite lÊintérêtquand il touche lÊune des séries les plusdrôles et réussies de ces dernièresannées : Game Over, dont nous avonsdéjà dit le plus grand bien dans cescolonnes. Problème : alors que le titreÿ The Origins Ÿ porte en lui la promessede révélations sur les sources de lÊuni-vers (qui a créé ce héros solitaire ? DÊoùlui vient cet entêtement désespéré ? Etpourquoi diantre sÊaccroche-t-il à sau-ver cette princesse écervelée ?), Midamse contente de rafraîchir la mémoire deses jeunes lecteurs en dépoussiérant les

numéros de lÊhebdo Spirou périodeTinlot, ou les divers tomes de KidPaddle dans lesquels est apparu lÊavatarnumérique du garçon à la casquette,invariablement réduit en miettes auterme de chaque planche – ou sa dul-cinée, au choix.

INSERT A COINForte dÊun graphisme expressif et dechutes imparables qui ont à lÊévidenceinfluencé la jeune génération dÊauteurs(voir lÊirrésistible recueil Le Jeu vidéo deBastien Vivès, paru chez Delcourt dansla collection Shampooing), la série sertdÊexutoire à des générations de gamerstraumatisés par les jeux à la difficultédélirante des consoles de la ÿ grandeépoque Ÿ (Master System et SuperNintendo en tête) ou des bornes dessalles dÊarcade, sÊacharnant plus que deraison sur des boss de fin de niveau par-ticulièrement retors, et des énigmestarabiscotées qui nécessitaient le secoursbienveillant dÊune hotline. Une époquerévolue qui ne manquera pas de faire

écarquiller les yeux des joueurs actuels,plus enclins au casual gaming et aux jeuxsur smartphones. Le tout forme certesun joli album où le trait caractéristiquede Midam sÊaffirme et sÊaffine peu à peu,mais on ne peut sÊempêcher de trouverla démarche un brin opportuniste, voireparesseuse. Les amateurs des séries KidPaddle et Game Over, fréquemment trans-versales, peuvent donc passer leur che-min et patienter jusquÊà lÊarrivée dÊal-bums inédits. Quant aux néophytes,ils trouveront là une sympathiqueporte dÊaccès vers lÊhumour ultra-réfé-rencé de lÊauteur.

MÊME LECTEUR LIT ENCORE

GAME OVERTHE ORIGINS

de Midam,MAD Fabrik,

48 p. couleurs, 10,40 €

Que celui qui n’a jamais lancé sa manette de jeu après avoir sué sang et eau pour parvenir àl’instant fatidique de son jeu fétiche, lorsque survient inopinément une panne de courant, melance la première pierre. Afin de calmer les nerfs, Midam propose un retour aux sources.

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Le Petit Guili,de Mario Ramos

Leon est roi desanimaux. Leonfait doncbeaucoup depromesses à sessujets, mais n'entient aucune etles tyrannise.Jusqu'au jour oùarrive le petitGuili, qui vient

chambouler cet ordre bien mal établien ridiculisant ce roi de pacotille. Caren effet, tout le monde n'est pas faitpour être roi, et les individus peuventparfois être fort égoïstes... Une bellefaçon d'apprendre aux plus petits lestravers des adultes, sans pour autantleur faire perdre leur candeur. Ennous laissant en héritage cetteadorablement moralisatrice histoiredu Petit Guili, Mario Ramos,malheureusement disparu endécembre dernier, nous auraquitté en beauté.L'École des Loisirs, collection Pastel,40 p. couleurs, 12,20 €

ALIX DE YELST

Quelle chance !, de Lenaet Olof Landström

Quellechance !est unecharmantehistoirecourte deLena et OlofLandström,écrite pourles tout-petits, nous

venant tout droit de Suède et narrantles mignonnes péripéties de Pom etsa peluche Pim. Le tandem enchaîneles petits bonheurs et les petitsmalheurs les uns derrière les autreset ce, dans une même journée, voiremême en lÊespace dÊune heure ! Unmoyen adorable et désarmant desimplicité, dans le trait comme dansl'écrit, de leur apprendre toutes lesnuances de la vie, et de leur montrersans dramatiser ni moraliser quoi quece soit, que ÿ pour chaque haut il y aun bas, mais que pour chaque bas il y aun haut Ÿ.L'École des Loisirs, 36 p. coul., 12,20 €

ALIX DE YELST

Lika aux cheveux longs,de Kanno et Matayoshi

Lika, mignonnepetite fille auxoreillespointues et àla somptueusechevelureblonde vit avecsa grand-mèredans un villagede montagne.Tous les jours,pour ramener

un peu dÊargent à la maison, elle sÊenva vendre aux habitants des pots-pourris confectionnés par sa mamie.Tous sont gentils avec elle, mais lecoiffeur-perruquier, telle une menacelatente, lui répète inlassablement quÊillui offrirait un très bon prix si elleconsentait à lui vendre sa chevelure...De très belle confection, cet ouvrageaux dessins enchanteurs sÊadresseaux plus jeunes, qui seront emportéspar la magie qui plane délicatementsur ce récit, et interpellés par lesecret que décide de garder Lika.Nobi Nobi !, 40 p. couleurs, 11,90 €

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J e u n e s s e

P eut-on encore, au XXIe siècle,écrire un conte pour lesenfants, sans bulles et en

alexandrins ? Après avoir lu Cflur depierre, vous répondrez forcément parlÊaffirmative. Le secret, dans une telledémarche, est de parvenir à alléger lerécitatif, donner de lÊépaisseur au des-sin et faire sautiller lÊhistoire. Le texte,sÊil ne respecte pas toujours les règlesclassiques (parfois épuisantes decontraintes, nÊest-ce pas messieursBaudelaire et Rimbaud ?), adopte unesimplicité de bon aloi. Le vocabulaireest choisi mais pas pédant, et lesquelques libéralités avec la métriquedonne un petit côté emprunté quiconvient bien aux personnages. Ledessin de Jérémie Almanza ajoute unetouche de gourmandise à lÊalbum. Letrait est souple, fin, pas forcément trèsappuyé. Les branches dÊarbres res-semblent à des volutes, les têtes à desballons. Les corps sont minuscules etfragiles. Pas de doute, nous sommes làencore en terre de poésie.

LES CONTRAIRES S‘ATTIRENT ?Poésie accentuée par des couleurs auxtextures affirmées, puisées dans deuxpalettes homogènes et contradictoires.Rouges, orangés et violacés sÊopposenten effet aux teintes grises, noires etverdâtres. Choix arbitraire de lÊartiste ?Sûrement pas. Car le scénario deSéverine Gauthier confronte justementdeux enfants au cflur antinomique. DÊuncôté, un garçon au cflur de pierre (litté-ralement). De lÊautre, une jeune fille aucflur dÊartichaut (littéralement). Queva-t-il advenir de leur rencontre ? Hum,je nÊai pas le cflur de vous le dire. Sachezseulement que lÊalbum regorge de déli-catesse et de saveurs douces-amères desrécits édifiants dÊantan. LÊamour nÊa pasfini dÊinspirer les conteur(se)s dÊhistoires.Qui sÊen plaindra ?

Séverine Gauthier et Jérémie Almanza explorent les mystèresde l’amour avec ce Cœur de pierre qui n’a jamais battu. Unconte tout en douceur.

La pierre

THIERRY LEMAIRE

et l’artichaut

CfiUR DE PIERRE

de Séverine Gauthieret Jérémie Almanza,

Delcourt, Coll. jeunesse,32 p. couleurs, 9,95 €

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A r t & B d zoom

Mathieu Lauffray :

V oilà un gars qui depuis sonSerment de lÊAmbre (sans oublierses incursions chez Scarce et

autres petits tirages) a acquis un niveautel quÊil sidère tout le monde. Desadeptes dÊun réalisme brut (façonFrazetta) aux acharnés de narrationlimpide. Et ce gars, de lÊor en barre aubout des pinceaux (réels ou numé-riques), délaisse régulièrement labande dessinée, quitte même souventlÊillustration alors quÊil lÊadore et quÊily excelle. Et pour faire quoi ? Pourdisparaître à nos yeux de fans, et sefondre dans des projets de cinéma oude jeux vidéo⁄ En voilà un plaisirégoïste ! Il sÊéclate, épanche sa soif decréation dÊunivers et dÊambiance, maisque fait-il de nous, pauvres fans sans

livres ? AujourdÊhui, on lui en veutmoins parce que, grâce à cet artbook,on les voit un peu, un bref instant,ces travaux magnifiques de design, deconcept artist et storyboards de luxe. Etsurtout, il devient évident que cetteboulimie visuelle le nourrit, fait de luice que lÊon va aimer trouver dans sesBD. Lauffray produit assez peu detomes, et les suites se font attendre,mais quelle claque quand les livressortent ! Dans un monde BD idéal, ilne ferait quÊun tome, de 500 pages,pour un plaisir total, et sans attente.

L’ART DANS L’ÉPATE…ET LA RETENUEEn toute logique, celui qui achète celivre est déjà fan de lÊauteur, inutile

donc de rappeler à quel point Prophète,et encore plus Long John Silver (voirpage 8) sont des prouesses graphiques,étalage de lÊamour de Lauffray pourlÊaventure et lÊépique. LÊintérêt de celivre est surtout de montrer ce qui nese voit pas. Les coulisses. En tant quedessinateur-illustrateur-designer⁄ ilexpose, étale parfois, mais suggèreégalement. Il fait la différence entredes illustrations et les cases dÊune BD,partie vitale mais partielle, dÊun toutplus important.Sa finition est excellente. ¤ lÊinstardÊun Kubert ou Buscema, il en laisse aulecteur. Virtuose de lÊencrage, il sait àquel point cet art, trop peu connu, estessentiel dans le plaisir du dessinateurcertes, mais surtout dans le ressentidu lecteur.SÊil faut chercher des bémols, ce seraitdu côté des échanges et des interven-tions dÊinvités parfois trop policés etplein dÊadmiration, mais on touche auxlimites de lÊexercice de style. Les pro-pos de Lauffray sont intéressants carréfléchis. SÊil flirte avec un dialogueintérieur qui pourrait sembler abscons,quelque chose (la passion ?) nous ren-voie toujours une lumière et nouspousse à creuser, tant dans lÊfluvre delÊauteur que dans la BD en général,sans frontières.

Plein les yeux ! Sensation dominante une fois ce livre terminé. Et puis on les ferme, ces yeux, eton réfléchit. Parce que l’auteur l’a fait aussi, réfléchir. Beaucoup même. Mais nous, pourquoiavons-nous tant aimé ? Et pourquoi on ne lui en veut plus ? Parce qu’on était en droit de lui envouloir à Mathieu Lauffray. Parfaitement.

DU GRAND SPECTACLELes 10 ans du Festival dÊAix

Dix ans, cÊest déjà un bel âge pour unfestival de bande dessinée. Et peut-être encore plus pour celuidÊAix-en-Provence, dont lÊorganisationse démarque singulièrement de laconcurrence. CÊest en effet toute uneville qui est mise à contribution surplusieurs semaines (un peu plus deneuf cette année !) pour présenterdes expositions qui oscillent entrebande dessinée et illustration, avec lavolonté de montrer au plus grandnombre (lÊentrée des expos estgratuite) des auteurs ayant un proposet / ou un style personnel(s).

LÊévénement nesÊappelle pasÿ Lesrencontres du9e art Ÿ pourrien. Des 19accrochages de2013, on pourrapeut-êtremettre plusparticulière-ment en avantBlexbolex au

Musée des tapisseries, la collectionMétamorphose au Museum dÊHistoireNaturelle, Raymond Poïvet à lÊOfficedu tourisme et Herr Seele à la Citédu Livre. Un parcours à travers la villequi passera également par diversesgaleries et le haut du cours Mirabeauoù se tiendra le manège du RoyalDeluxe. Sans oublier le week-enddu 13-14 avril, où 50 auteursinternationaux viendront dédicacerleurs ouvrages. Le tout dans le cadrede Marseille-Provence 2013 et sous lesoleil, évidemment. 50 000 personnessont attendues.Les Rencontres du 9e art, Aix-en-Provence, du 16 mars au 25 mai

THIERRY LEMAIRE

Tintin à travers les âgesLe titre esttrompeur carla lettre enquestion(pour autantdrôle,intelligente etémouvante)nÊest quelÊavant-proposdu livre. Non,le sujet delÊouvrage estune étude sur

les différentes époques de Tintin parun prisme à chaque fois pertinent (lesinfluences, les lecteurs des années 30et 40, les lecteurs de lÊaprès-guerre, lemythe Tintin et le Tintin du présentautant que du futur). Comme pourtout livre de ce genre, certaines idéessont très intéressantes, dÊautres plusdiscutables, mais lÊensemble incite à laréflexion tintinesque et cÊest bien làlÊessentiel pour le lecteur. Lettre à Hergé, de Jean-MarieApostolidès, Les ImpressionsNouvelles, 176 pages., 15 €

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AXIS MUNDI

de Mathieu Lauffray,Ankama, CFSL Ink,

240 p. couleurs, 35,90 €

PHILIPPE CORDIER

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N ew York, futur proche. Matty Roth est unphoto-journaliste qui pénètre dans la DMZ(zone démilitarisée) de Manhattan en

pleine guerre civile. La série, démarrée aux États-Unis sous le label de DC, Vertigo, en novembre2005, est terminée au bout de 72 épisodes (réunis en12 ÿ trade paperback Ÿ) en décembre 2011. En France,après une première traduction chez Panini dès 2007,la série est aujourdÊhui reprise par Urban Comics.

Nominé sept fois en sept ans aux Eisner Awards, lescénariste américain Brian Wood fonde son succès surdes personnages réalistes qui se cherchent, sur uneréflexion socio-politique profonde et sur des scènesboostées à lÊadrénaline. Si pour lui DMZ est un titrede plus dans dÊune longue carrière, pour RiccardoBurchielli, le dessinateur, cette série marque le débutde la reconnaissance internationale de son talent.Nous avons interviewé les deux auteurs.

ENTRETIEN AVEC BRIAN WOOD

Bien que travaillant aussi avec les majors, vous res-tez un inconditionnel du creator-owned [lÊauteurdétient les droits de son travail, NDLR]. Quelssont les pour et les contre ? Brian Wood : En ce qui me concerne, les pour dépas-sent largement les contre. Le seul problème avec untravail en creator-owned, cÊest quÊil est parfois difficilede gagner de lÊargent à court terme. Si comme moion travaille aussi pour des gros éditeurs qui payent àlÊavance, les côtés positifs sont énormes : plus dÊargentau fil du temps, propriété du copyright et, avec un peude chance, la liberté dÊadaptation dans dÊautresmédias, sans compter la liberté de raconter une his-toire à sa façon, indépendamment des caprices ducomité dÊédition. Et à la fin, on aura amené quelquechose de nouveau et personnel dans ce monde.Quand on travaille sur des franchises, tout ce quÊonfait est écrire, pour une période, le livre de quelquÊundÊautre, on nÊest quÊun parmi tant dÊautres.

The Independent a défini DMZ, démarré en 2005et traitant dÊune guerre civile au sein des États-Unisnée dÊune rébellion contre la rude politique de pré-vention du gouvernement, comme ÿ un exemple dela mode des graphic novels inspirés de la guerredÊIrak. ŸJe pense que DMZ est plus que ça. Quand il est sorti,cÊétait inévitable quÊon le résume de cette façon, cequi arrangeait – du moins, en partie – le label. JÊai moiaussi pensé pendant un moment que cÊétait dans lÊairdu temps, pas du tout dans le sens de ÿ à la mode Ÿ,non, mais la guerre en Irak avait tellement marqué lesesprits que ça ne pouvait que turlupiner la tête des

artistes. DMZ néanmoins a duré plus longtemps, a étéet est capable de renvoyer à son temps même si lestemps ont changé. DMZ tient debout tout seul,contrairement à dÊautres comics sur la guerre dÊIrak quiont mal vieilli.

Matty, le protagoniste de DMZ, bien que nul par-fois, est un journaliste. QuÊest devenue cette pro-fession à lÊère de Twitter et dÊInternet ?Je me suis rendu compte que le journalisme me man-quait, vous savez lÊinvestigation, lÊimpartialité, pas lefait de râler et de diffuser des sarcasmes. Je croisquÊInternet a contribué à tuer tout ça : les gens ontimmédiatement accès à trop dÊinformations. Pensezà combien dÊAméricains croient quÊObama est né auKenya, ou que Saddam a aidé à planifier le 11 sep-tembre. Il y a des millions de preuves contre ça, etpourtant des millions de gens y croient, parce quÊonleur a présenté ça comme crédible. Le net a rendutrop facile la propagation des mensonges. Autant jechéris lÊidée dÊune société ouverte et de médias libres,

autant je préférerais quÊon ait moins de sources dÊin-formations, mais plus crédibles.

Avec votre série Northlanders, vous êtes allé là oùlÊon ne vous attendait pas, en abordant le genre his-torique et les Vikings. Northlanders peut être lu, en partie, comme un miroirde notre temps, mais jÊai essayé dÊen faire un comicsur les gens avant tout, sur leurs déchirements inté-rieurs dans un monde dur et violent. Il sÊagit dÊuneexpérience universelle, cÊest peut-être pour ça queNorthlanders a du succès. Le thème de lÊidentité est trèsfort dans mon travail, même si souvent je le réaliseaprès coup⁄ CÊest le travail de mon subconscient, ilest partout : dans DMZ comme dans Northlanders,même dans mes comics de super-héros.

Depuis votre première série, le succès nÊa jamaisarrêté de vous sourire. Vous nÊavez jamais peur ? Je serais effrayé par le manque de succès commercialseulement si cela mÊempêchait de démarrer de nouveaux

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Nominations aux Eisner Awards, presse unanime, succès au box office, huit années après sa première parution aux États-Unis,la série DMZ cartonne encore. Nous avons pu interroger Brian Wood et Riccardo Burchielli, respectivement scénariste et dessi-nateur de ce récit d’anticipation.

Bienvenue dans

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LA « DEMILITARIZED ZONE »

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projets ou me faisait arrêter une série àcause dÊun marché défaillant. Je ne suispas intéressé par les chiffres de ventes, oudÊêtre le numéro 1. Je veux être respecté,plutôt quÊêtre célèbre. JÊai plein dÊidées⁄trop, et si peu de temps⁄

ENTRETIEN AVECRICCARDO BURCHIELLI

Riccardo, quand vous avez été repérépar lÊéditeur Will Dennis, vous enétiez à vos débuts. Riccardo Burchielli : Vous pouvezmême dire que jÊétais le dernier desderniers, oui ! ¤ lÊâge de 20 ans, je vou-lais faire de la BD, mais je me suis faitrecaler de partout. Et quand je dis par-tout, cÊest vraiment partout, hein !Pendant huit ans, jÊai donc travailléailleurs, dans la pub. Quand le scéna-riste italien Roberto Recchioni mÊaappelé pour John Doe, je suis tombé demon siège. Au début, je nÊai pas quittémon boulot, sait-on jamais⁄ mais àla fin, jÊai voulu me donner une chanceet jÊai décidé de me mettre à la BD àtemps plein. Je me suis donné deuxans, si au bout de cette période je nÊyarrivais pas⁄ Mère, père et le reste dela famille dans la panique. Six moisplus tard, Will Dennis me contactait.

Vous avez dû ressentir un sentimentde revanche, et être très excité. Ah non, jÊétais terrorisé ! Je me suis ditÿ ils vont me démasquer, découvrir queje ne sais rien faire Ÿ. Je dois avouer queje ne connaissais pas le travail de BrianWood, mais quand même, Vertigo,DC⁄ ¤ la fin, tout sÊest bien passé. Lacollaboration avec Brian a été idéale, ilmÊa laissé libre de lui proposer depetites corrections dans le storytelling, onéchangeait, il ne me muselait jamais.

Ensuite, vous avez retrouvé BrianWood sur Northlanders.Là-dessus, je nÊai fait que des ÿ run Ÿ,comme jÊavais demandé de prendre unepetite pause de DMZ.

Quels ont été vos contacts avec lesartistes des ÿ fill-in Ÿ de DMZ ?Chacun travaillait de façon indépen-dante. Aux États-Unis cÊest normal, il ya le travail déjà fait qui sert dÊexemple,ce nÊest pas nécessaire de consulter lÊau-

teur, etc. Et il faut souligner que chezVertigo, chacun sÊapproprie le person-nage à sa façon, on ne te demande pasun plagiat.

DMZ met en évidence tout lÊintérêtque Brian Wood, originaire duVermont, a pour New York. Ville quevous avez dessinée pendant un an etdemi avant de vous y rendre enfin.La toute première impression, à forcede voir cette ville dans les films, lesBD, etc., est un sentiment de familia-rité. Mais ma deuxième pensée a étéque je nÊavais rien saisi ! Les espaces, lesdistances, tu ne les ressens pas dans ladocumentation Internet, il faut y aller.Une fois là-bas, tu te rends compteque New York est vivante, comme unvéritable personnage en soi.

Pour DMZ, vous avez reçu un délugede compliments. Lequel vous a fait leplus plaisir ? On mÊa dit que mon style ne pouvaitpas être reconduit à celui dÊun autreartiste précisément. Avoir son proprestyle, cÊest cool !

DMZ, T.12LE SOUL˚VEMENTDES ÉTATS LIBRES

de Brian Wood, RiccardoBurchielli et Shawn

Martinbrough,Urban Comics,

168 p. couleurs, 17,50 €

PROPOS RECUEILLIS PARCAMILLA PATRUNO

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P armi les parutions récentesconsacrées au personnage, nosdeux préférées sont sans

conteste le Iron Man Omnibus par DavidMichelinie, Bob Layton et John RomitaJunior, ainsi que le Best of Marvel : IronMan – Iron Monger. Dans la chronologie,les deux sagas, qui datent du début desannées 80, se suivent et sont lÊantithèselÊune de lÊautre, tant au niveau graphiqueque scénaristique.

Le Invicible Iron Man Omnibus est unénorme pavé luxueux de 944 pages,format livre dÊart, et qui nÊest malheu-reusement pour lÊinstant disponiblequÊen anglais. (Donc : auprès de vosrevendeurs de comics habituels, surcommande, ou en vente par corres-pondance.) Il comporte 43 épisodes dela série principale, considérés commeles meilleurs qui aient été réalisés. Lescénariste David Michelinie arrive surla série en même temps que le dessina-teur John Romita Jr et lÊencreur BobLayton en 1978. Ils formeront un triomémorable qui emmènera Tony Starkvers des sommets. Les intrigues sontfoisonnantes et spectaculaires, les super-vilains sont hauts en couleurs. Quantitéde personnages secondaires importantssont introduits lors de cette période,notamment Rhodey, le pilote et amiafro-américain de Tony Stark, qui seraamené à prendre la relève quelquesannées plus tard. Iron Man est alors au faîte de sa gloire,son armure est rutilante grâce à lÊen-crage impeccable de Bob Layton,auquel il convient de rendre tout le cré-dit qui lui est dû : multi-talents, Laytonest non seulement un encreur hors pair,mais aussi un très bon dessinateur, scé-nariste, et sera même par la suite rédac-teur en chef dÊune maison dÊédition decomics (Valiant). Avec son compèreDavid Michelinie, il est le véritable arti-san des intrigues et du ÿ look Ÿ de lÊIronMan de cette période1. Tony Stark estlui aussi au sommet de son charisme : unvéritable ÿ winner Ÿ à qui tout réussit etqui ferait pâlir un Montebourg.Nonobstant deux épisodes dramatiqueset forts remarqués dans lesquels TonyStark lutte avec ses problèmes dÊalcoo-lisme (n°127-128 : Demon in a Bottle).

Bref, cette série dÊépisodes constituerapour ainsi dire la saga ÿ séminale ŸdÊIron Man, version moderne : un soclesur lequel toutes les prochaines annéesseront construites.

IRON MAN – IRON MONGERSuccéderont à ce trio virevoltant le scé-nariste Denny OÊNeil, le dessinateurLuke McDonnell et lÊencreur SteveMitchell2, qui prendront le contre-piedde tout ce qui a été fait durant les annéesprécédentes, suscitant à lÊépoquemaintes récriminations. Le dessin et

lÊencrage, dÊabord, deviennent beau-coup plus approximatifs, faits de traitsÿ jetés Ÿ et dÊà-plats de noir, là où toutnÊétait auparavant que finesse et détails.LÊarmure, autrefois étincelante et léchée,devient terne. Le scénario, enfin, voitTony Stark descendre aux enfers, effetde la machination dÊun nouvel ennemiqui nÊest cette fois-ci plus un super-vilain, mais un adversaire du mondedes affaires : Obadiah Stane. (Le pre-mier film dÊIron Man sÊinspira dÊailleurstrès librement de ce personnage.) Ayantfait subir à Stark un certain nombre de

Le troisième film consacré au vengeur rouge et or arrivant bientôt sur nos écrans, les éditeursen profitent pour rééditer de beaux albums lui étant consacrés. Petit tour d’horizon.

IRON MAN, L’ÉTERNEL ICARE

Intégrale Photonik,de Ciro Tota et JY Mitton

Quiconque a lu des revues Lug (lespremiers à nous avoir apporté enFrance Spider-Man et ses amis) a lule supÊhéros de Ciro Tota : Photonik !Avec son alter ego Taddeus et sesdeux acolytes Doc Ziegel et TomPouce, ils ont fait rêver plusieursgénérations de lecteurs. Ils reviennentcette année dans une intégrale ennoir et blanc. De 1980 à 86, Mustang, puis Spidey,ont abrité les aventures trépidantesde ce héros pas ordinaire, confrontéà une galerie de vilains à se damner.Artiste relativement lent, et exigeant,Ciro – ÿ Cyrus Ÿ – Tota fut remplacé,sur certains épisodes, par lÊautreMonsieur super-héros Lug, Jean YvesMitton. LÊensemble de leurs pagesforme une fluvre cohérente etpassionnante. Les moyens techniquesde lÊépoque font que la couleur estaujourdÊhui⁄ datée, pour le moins.Des rééditions très partielles,recolorisées, existent, mais rien decomplet. LÊintégrale qui vous estproposée cette année est lÊoccasiondÊavoir enfin la totalité de la saga, etde retrouver le trait fin et détailléde lÊartiste dans son noir et blancoriginel. Deux volumes dÊenviron 600pages chacun reprendront les 52épisodes made in Tota (et Mitton).Ces deux gros pavés au formatsouple offrent, en plus des épisodesreproduits à partir des planchesoriginales, et en collaboration étroiteavec lÊauteur, des bonus, recherches,croquis, commentaires⁄ Cerise surle gâteau pour le volume 2 : lÊépisodefinal, inédit. Ciro Tota se charge enoutre, pour chaque tome, de réaliserla couverture. K&K éditions, 600 p. n&b, 49 € +fdpinfos et réservations :[email protected]

PHILIPPE CORDIER

Les Apatrides, T.1,de Patrice Lesparreet Christophe Malgrain

Parue à lÊoriginedans Pif-Gadgeten 2005, la sérieLes Apatridesmarque larencontre entrele romancierPatriceLesparre, auteurdes Hauts-Conteurs etégalement

bédéaste, et du dessinateurChristophe Malgrain. Ensemble, ilsracontent les aventures cosmiquesde Laura 96, Victor 31, Jello 17 et delÊextraterrestre Zarkan contre le Reiximpérial, un tentaculaire empireterrien maléfique. Nourris de comicbooks, les deux auteurs donnent àleurs jeunes héros spatiaux desallures de super-héros de lÊespace,mais des super-héros souriants etoptimistes : ça change !Indeez, 48 p. couleurs, 10 €

JEAN-MARC LAINÉ

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IRON MAN CHANGE DE COULEUR POUR SON NUMÉRO 200

Miss Deeplane, de LouisTout le mondeest saisi par levirus du super-héros. Louis, ledessinateur deTessa et dÊEscobar,est atteint depuislongtemps. Fan deJohn Byrne et desX-Men, il a déjàdessiné une

aventure de Darkness écrite par Nickÿ Nankin Ÿ Meylaender. Avec MissDeeplane, son personnage fétichemascotte de dessin de presse, il livre,en un album, deux épisodes de comicbook remplis dÊaction et dÊhumour(et dÊun zeste dÊérotisme), adoptantle fond qui convient à la forme.Combats dans une grande ville etmystère dans une base militaire, toutpour séduire les amateurs dejusticiers masqués.Clair de Lune, 48 p. couleurs, 13,95 €

JEAN-MARC LAINÉ

Superman les origines,de Mark Waidet Leinil francis Yu

Cet ouvragesregroupe desÿ arcs Ÿ dÊhistoiresde 2003 à 2004.Pour une fois, ClarkKent y est toutaussi important queSuperman : on leretrouve en Afrique,très jeune reporterfreelance couvrant

un conflit ethnique. Cette expériencelui donne ÿ pour la première foislÊoccasion de se donner à fond et de sesentir relié au monde, aux autres Ÿ⁄CÊest donc pour faire partie de cemonde humain auquel jusquÊici il étaitétranger à cause de la particularité deses origines quÊil devient un super-héros. Un Clark intime quirapprochera le lecteur de lÊHommedÊAcier.Urban Comics, 352 p. couleurs, 25 €

CAMILLA PATRUNO

Fables, T.18,de B. Willinghamet M. Buckingham

Les amateurs decette sériedevraient enfintrouver la paix.Après quelquesépisodes traduitspar Semic, Paniniavait repris leflambeau, et cÊestUrban Comics qui arecommencé à zéro

la traduction et qui a presquerattrapé lÊédition américaine. Uneoccasion pour se (re)mettre à Fables,qui a reçu, notamment, 14 EisnerAward ! Le nombre de spin-off et lefait que Willingham ne semble pasvouloir sÊarrêter pourraient fairepeur aux lecteurs, mais la complexitéde la saga, le foisonnement despersonnages, les interprétationséthiques et politiques, font de Fablesun indispensable pour tout amateurde comics. Après des histoires decross-over qui avaient ennuyé lesfans, depuis le tome 17 (et dans cenouveau 18) on a un nouveau vilain,Mister Dark, avec de sombres plansqui ne laissent pressentir rien debon⁄ à part une bonne histoire àlire, bien sûr ! Urban Comics, 526 p. couleurs, 26 €

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revers, Stane assène le coup de grâcelorsquÊil intime lÊordre à la petite amiedÊalors de Tony Stark – petite amie quinÊétait autre quÊun agent de Stane – derompre avec lui et de le détruire psy-chologiquement. Dialogues succulents :ÿ [Tony Stark] - Je croyais que vous mÊai-miez.[Sa petite amie] - Vous aimer ? Mais cÊestimpossible. Où est votre style, votre goût ? Dansvotre compte en banque, peut-être. Vous nÊêtesquÊune enveloppe dorée, un poseur qui cache saplatitude derrière sa carte de crédit. Un gaminun peu doué et à lÊego surdimensionné. Maisvous aimer ? Comment avez-vous pu être aussistupide ! ŸCÊest autant Denny OÊNeil lui-mêmequi parle, que son personnage. CarOÊNeil estime que le côté ÿ winner Ÿ deStark a été poussé trop loin par sesprédécesseurs, et il entend y apporter unsérieux contrepoids.Et Tony Stark de comprendre : ÿ Unearmure vide, voilà ce que je suis. ŸStark replongera dans lÊalcoolisme, per-dra sa société et toute sa fortune, et seretrouvera à la rue, clochard barbu ethirsute, littéralement dans le caniveau,cependant quÊun autre personnagereprendra le flambeau : il sÊagira deRhodey, lÊancien ami afro-américain deTony Stark, qui deviendra le secondpersonnage à revêtir lÊarmure et lÊiden-tité dÊIron Man3. Denny OÊNeil est un vieux routier desthèmes sociaux et tangents (il avaitabordé le thème tabou de la droguechez les adolescents dans de précédentscomics). Il va alors faire évoluer noshéros dans un univers plus humaniste etva faire subir à Tony Stark une longue,très longue descente aux enfers puis unpassage au purgatoire, avant quÊil ne sesorte de son alcoolisme, se reprenneen main et ne recrée une petite sociétédans la Silicon Valley, ce qui lui remet-tra le pied à lÊétrier. Après trois ans dÊab-sence, Tony Stark revêtira de nouveaulÊarmure dÊIron Man – une armure audesign modifié – dans le magnifiqueépisode n°200, pour combattreObadiah Stane, lui-même ayant revêtuune armure de sa création : lÊIron

Monger. Le combat se soldera par ladéfaite de Stane et son suicide, et parun nouveau départ pour Tony Stark /Iron Man.

Considérés à lÊépoque par beaucoupcomme un véritable ÿ travail de sape Ÿ,ces épisodes sont pourtant excellentspar lÊhumanité et le pathos qui sÊendégagent, créant un attachement trèsfort au personnage, là où la distancia-tion était auparavant de mise. Le dessinsÊest curieusement bonifié avec le temps,et la lecture de ces épisodes est donc unpendant indispensable à la lecture dupremier opus cité plus haut. Il est

dÊailleurs assez remarquable de consta-ter que, bien que nÊayant fait quÊuneseule apparition dans les quelques 500épisodes dÊIron Man, Iron Monger estun personnage qui a véritablement mar-qué, allant jusquÊà générer la productionde bustes et de statuettes. Il sÊagit aussidÊun des rares super-vilains à nÊavoirjamais été ressuscité, peut-être parceque les scénaristes qui suivirentéprouvèrent trop de respect pour lasaga et se refusèrent à en amoindrir lecaractère dramatique en ressuscitant lepersonnage. Panini réédite les huit der-niers épisodes de la saga (sur 39 autotal). Dommage que ce ne soit pasdavantage, mais on sÊen contentera, etce dÊautant plus que ce sont ceux dontle dessin est le meilleur.

Rééditions récentes :Marvel Deluxe : Invincible Iron Man, par Matt Fraction et Salvador Larrocca, qui reprend

les épisodes les plus récents de la série, aux visuels impeccables. (Trop, diront certains.)Best of Comics : Iron Man 3, épisodes de Kurt Busiek et Sean Chen, lors du relancement de la série en 1997. (Même si on

préférera les volumes 1 et 2.) Kurt Busiek prit dÊailleurs pour modèle les épisodes de Michelinie et Layton cités plus haut.LÊIntégrale Iron Man, 1963-64, et surtout 1970-71, ces derniers précédant de seulement quelques années les épisodes

Michelinie-Layton. Un très bon divertissement.

Nouveautés :Iron Man – Au commencement était le Mandarin. Une très bonne relecture des origines et de la période Stan Lee / Don

Heck, avec un dessin vivant, incroyablement nerveux et énergique, mais très différent de ce à quoi nous sommes habitués.

Iron Man – Saison 1. Une réinterprétation des origines dÊIron Man (encore une !), plus moderne, et focalisée sur Tony Stark,avec de belles ÿ couleurs directes Ÿ (i.e. peinture).

À lire également :

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IRON MAN VU PAR MATHIEU LAUFFRAY POUR LE MAGAZINE SCARCE - 1994

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OLIVIER THIERRY ET LA RÉDACTION

1 Voir le site de Bob Layton, pour desuperbes dessins de commande, récents,représentant Iron Man. http://www.boblayton.com/2 ¤ partir du numéro 161, pour DennyOÊNeil, les autres le rejoignant peu après.3 Numéro 170. Un événement majeur, àlÊépoque. (Un autre personnage avait déjàrevêtu, des années auparavant, lÊarmuredÊIron Man : OÊBrien, un ami de TonyStark, mais cela ne fut quÊanecdotique.)

c Pour davantage dÊarticles sur le sujet,voir aussi : Zoo 13 et Zoo 25, disponiblessur Internet. Voir aussi notre article pre-view sur le film Iron Man 3 en page 48.

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Mudde Jeff Nichols

Après Take Shelter et son sens delÊabstraction et de la métaphore lerendant un brin inachevé, Jeff Nicholslaisse éclater toute la mesure de sontalent avec Mud. Deux gamins delÊArkansas profond prêtent assistanceà un fugitif pour quÊil échappe auxchasseurs de primes lancés à sestrousses. Derrière cette trame dethriller, Nichols convoque leHuckleberry Finn de Mark Twain etLa Balade sauvage de Terrence Malicket livre une fable brillante sur lesdésillusions adolescentes. Porté parlÊinterprétation toute en finesse deMatthew McConaughey, cettechronique cruelle labellisée DeepSouth est appelée à devenir unclassique.Sortie le 1er mai

JULIEN FOUSSEREAU

LÊÉcume des jours de Michel Gondry

La rencontreentre le romanculte de BorisVian et lÊuniversvisuel atypiquede MichelGondry étaitappelée à fairedes étincellestant lesprécédents filmsdu cinéaste

tournaient autour de la questionsurréaliste. Au final, Gondry signe uneadaptation fidèle et éblouit dÊentréede jeu avec ses milliers de trouvaillesvisuelles. Mais, sÊil estparticulièrement à lÊaise dans lamoitié joyeusement absurde delÊhistoire dÊamour entre Colin etChloé, il patine dès quÊil sÊagitdÊentrer dans la partie tragique durécit. LÊémotion peine alors à sefrayer un chemin dans les dernièresminutes.Sortie le 24 avril

JF

Les Croods de Sanders et De Micco

LÊévolution delÊHomme deNeandertal verscelui de Cro-Magnon au pasde charge, cÊestun peu leprogramme desCroods, nouveaufilm dÊanimationde Dreamworks.

¤ travers la fuite dÊune famille face àun monde préhistorique fantaisiste eten pleine mutation, Les Croods délivre,certes, son message convenu (lechangement peut apporter du bon).Mais il remplit haut la main soncontrat de divertissement grâce à sonpersonnage de patriarche, pantin basdu front à la fois comique dans lessévices cartoonesques quÊil subit, etémouvant lorsque la lumière delÊintelligence daigne enfin le frapper.Sortie le 10 avril

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C i n é & D V Dzoom

P remière incursion de MarvelStudios qui finança entière-ment le projet, Iron Man prit de

court en 2008 la critique comme lepublic grâce à son humour mordant etla prestation décapante de RobertDowney Jr. dans la peau du milliardairecynique Tony Stark. Le succès colossaldu film, lançant de facto la voie royalevers le feu dÊartifice Avengers, éclipsa untournage pour le moins orthodoxe :ÿ Ils nÊavaient pas de script, mec ! Un synop-sis avait été écrit. Mais on ne connaissait pas nosrépliques lorsquÊon se pointait sur le plateau.On appelait les scénaristes pour leur demandersÊils avaient des idées pendant que lÊéquipe tech-nique sÊimpatientait... Ÿ, confiait Jeff Bridgesau site InContention.com. LÊacteurincarnant Obadiah Stane soulignaitensuite ÿ [quÊ] ils avaient eu une date de sor-tie avant dÊobtenir un scénario et quÊils ont ététotalement dépassés... Ÿ. Le réalisateur JonFavreau, lui-même comédien de for-mation, eut massivement recours à lÊim-provisation, étroitement contrôlée parles gardiens du temple Marvel. Cettedonnée prise en compte, on réaliseassez vite que la force dÊIron Man résidaitmoins dans son spectaculaire expéditifque dans le jaillissement de parties deping-pong verbal entre Tony Stark, JimRhodes et Pepper Potts.

ÊTRE (OU NE PAS ÊTRE) À LA HAUTEURLes choses se gâtèrent dans Iron Man 2,dans la mesure où il plaçait Jon Favreaudevant ses limites de filmmaker. En effet,au lieu de creuser pleinement le parti-cularisme de Tony Stark comme show-man embrassant sa vocation de super-héros à assembler soi-même sans lepoids du destin ou du pouvoir inné /hérité, cette suite se contentait de lou-cher sur le film précédent et dÊopter

pour la voie de la surcharge à tousniveaux. Ladite surcharge en venait àparalyser une intrigue brouillonne, par-tant dans tous les sens pour arriver in finenulle part tandis que Favreau enoubliait lÊexercice dÊintensificationquÊappelle un second volet.

LE CHANGEMENT,C’EST MAINTENANT ?Non encore présenté à la presse aumoment de boucler ce numéro de Zoo,les premières images, dévoilant briè-vement lÊarmée dÊIron Men, laissent àpenser que ces carences ont été prisesen compte. Cela augure du meilleurpour un divertissement explosif.Surtout, Shane Black, nouveau com-mandant de bord, a synthétisé classi-cisme et modernité de la mythologieIron Man en sÊinspirant en partie delÊexcellent Extremis de Warren Ellis (avecses super-soldats génétiquement modi-fiés) pour y inclure un arc avec leMandarin, la Némésis absolue de Tony

Stark. Si Shane Black a encore beau-coup à prouver après Kiss Kiss BangBang, son premier long-métrage, sesannées de scénariste à succès pour lesfilms dÊaction carrés des années 80 par-lent pour lui. Malgré la pression res-pectable, on lui souhaite de parvenir àun juste équilibre entre caractérisationintrospective et morceaux de bravoureaussi débridés que maîtrisés. AfinquÊIron Man soit enfin le héros dÊunfilm à la hauteur de son mythe.

Preview : IRON MAN 3Après le carton historique d’Avengers, Marvel Studios est décidé à en remettre une couche avecIron Man 3. Shane Black aura la lourde tâche d’ouvrir un nouveau cycle « cinématographico-sériel » Marvel et de maintenir haut les espoirs. Retour sur les forces et faiblesses de Tony Starkau cinéma.

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IRON MAN 3

de Shane Black,avec Robert Downey Jr.,

Gwyneth Paltrow,Ben Kingsley...

Durée non connueSortie le 24 avril 2013

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Persona 4 GoldenKoch Media

Considéré comme un des meilleursJapan RPG de la dernière décennie,Persona 4 connut une existenceglorieuse sur PS2 au Pays du SoleilLevant. Son remake sur la dernièrenomade de chez Sony est lÊoccasionpour les nippophiles acharnés detâter ce monument du genre. Dansune ville reculée, un jeune lycéen etses amis enquêtent pendant un an surune série de meurtres dérangeantsavant de remonter une piste sérieusedans un monde parallèle etfantasmatique, dissimulé derrière lesondes télévisuelles. Riche etultracomplet, Persona 4 Goldenpromet une soixantaine dÊheures dejeu pour boucler la quête principale.Attention, le jeu est uniquementdisponible en anglais.Disponible sur PS Vita

JULIEN FOUSSEREAU

Ninja Gaiden :Sigma 2 PlusKoch Media

Ryu Hayabusa,le ninja le pluscharismatique desjeux vidéo, est detous les bonscoups et nÊhésitepas à sÊinviter surVita. Ryu est letaulier de NinjaGaiden, franchise

redoutée autant pour sa difficultéextrême, nécessitant une certainedextérité, que pour sa gestioncapricieuse de la caméra, surtoutquand il sÊagit de trancher dans le vifune vague dÊennemis. Ninja Gaiden :Sigma 2 Plus est un hackÊnÊslash pur jusavec ses phases de découpes intenseset ses hectolitres de sang. Grâce à sesfonctions tactiles facilitant le boulot,cet épisode constitue la meilleureentrée pour les novices.Disponible sur PS Vita

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Dead or Alive 5 PlusKoch Media

Dans lemicrocosme de labaston 3D, Deador Alive a toujoursfait figure de petitjoueur face à despoids lourdscomme VirtuaFighter ou SoulCalibur. Pourtant,

Dead or Alive 5 Plus (DOA5+), ledernier né, se montre instantanémentplaisant tant pour sa facilité dÊaccèsque son sens du spectaculaire. Il fautdire que le rééquilibrage tant attenduentre attaque et défense se fait enfinsentir. Pour ce qui est du portage Vita,Team Ninja fait des merveilles enlimitant au maximum lescompromissions techniques. Beau,DOA5+ lÊest incontestablement, maiscÊest surtout sa fluidité de tous lesinstants qui en fait un des actuelssommets de la baston nomade.Disponible sur PS Vita

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N etherRealms Studios fit men-tir les oiseaux de mauvaisaugure il y a deux ans en

rebootant la licence Mortal Kombat (voirZoo n°32), laissée exsangue par la faillitede Midway, le développeur original.LÊéquipe de Chicago remet le couvertavec Injustice : les dieux sont parmi nous, jeude ÿ Vs. Fighting Ÿ dans lequel unebonne partie de la clique DC semblebien décidée à se jambonner à lÊan-cienne. Les plus sceptiques auraient tôtfait de redouter un simple décalque deMortal Kombat dissimulé sous des cos-tumes de super-héros bien connus. Ceserait sans compter Time Warner, à lafois propriétaire et de la maison dÊédi-tion et du studio de développement,veillant au grain. Surtout, les petits platsont été mis dans les grands pour lanceren grande pompe Injustice⁄, comme,par exemple, une série de comics épo-nymes relatant les événements anté-rieurs au mode histoire du jeu.

SUPERMAN, CE DESPOTETrès apocalyptique, le mode histoiredégage un parfum de mort et de désola-tion. Car, dans leur lutte éternelle contrele crime, les justiciers DC ne peuventempêcher lÊannihilation de Metropolis aumoyen dÊune arme de destruction mas-sive dégoupillée par le Joker. Parmi lesvictimes se trouvent Jimmy Olsen, LoisLane ainsi que lÊenfant à naître de sonunion avec Superman. Ce dernier perd

la raison et établit un nouvel ordre mon-dial un brin dictatorial. CÊen est troppour Batman qui décide de prendre latête de la rébellion contre lÊHommedÊAcier et sa bande⁄ NetherRealmsreprend donc les bases du mode histoirede Mortal Kombat, alternant cinématiquesléchées et phases de combats. Le soinapporté à lÊhistoire se voit tout de mêmeplus poussé et conforme à lÊunivers DC.Sur ce point, le fan-service joue à pleindans la mesure où chaque personnage,parmi la vingtaine que compte le jeu,expérimentera son propre parcours etaura son point de vue dans lÊarc principal.

LA STRATÉGIE DU BOURRE-PIFSi Injustice⁄ affiche dÊemblée une priseen main beaucoup plus immédiatequÊune licence technique comme Kingof Fighters XIII, le soft de NetherRealmsse montre aussi agréable quÊéquilibré ;au point de dévoiler rapidement ungameplay plus profond quÊil nÊy paraît,avec une fonction spéciale unique pourchacun des combattants DC modi-fiant lÊattaque. En effet, balancer anar-chiquement des taquets épars se mon-trera moins payant quÊun sens tactiquereposant sur un timing adéquat afinde jeter des éléments du décor sur latrogne de lÊadversaire et maximiser sesdégâts. De même, le rebond de lÊen-nemi sera à prendre en compte pourenchainer les combos ou une furiedévastatrice comme le crochet du droit

spatial de Superman ou le déluge deflèches de Green Arrow⁄

On lÊaura compris, Batman, GreenLantern, Wonder Woman et Cie, ontenfin un distributeur de mandalesdigne de leur rang, à savoir respec-tueux de leur historique et parfaite-ment maîtrisé pour séduire les joueurschevronnés de baston 2D.

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INJUSTICE : LES DIEUXSONT PARMI NOUS

NetherRealms / Warner BrosInteractive Entertainment

Sortie le 18 avril surXbox 360, PS3 et Wii U

JULIEN FOUSSEREAU

DC COMICS,

Dans la catégorie des super-héros emblématiques se mettant la peignée en mode « Vs.Fighting », Marvel a jusqu’à présent dominé les débats. Mais Injustice : les dieux sont parminous, jeu de baston accueillant l’écurie DC, remet sérieusement les pendules à l’heure.

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En pages suivantes, les bonus de Zoo n°47

Il s’agit d’articles n’ayant pu trouver de place dans la version papier, en raison d’une pagination réduite.

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J usquÊà lÊan 942 de lÊère duWakfu, régnaient dans lesEaux tièdes les plus grands

pirates que cet univers eût portés.Mais lÊarrivée dÊun nouveau gouver-neur du nom de Poupo changea ladonne et il anéantit chacun des navirespirates grâce à sa flotte puissante etdévastatrice. Il nÊa pourtant pas réussià détruire ce vent de liberté quÊap-porte la piraterie et nombreux sontceux qui rêvent de se relancer sur lesEaux Tièdes pour lui faire face. CÊestdÊailleurs ce que souhaitent faire lajeune et intrépide Elaine accompa-gnée par Encre noire, le poulpe auxmultiples talents. Ils se préparent doncà lancer leur bateau sur les mers maisil leur reste quelques préparatifs pourfinaliser leur grande sortie. Nos deuxhéros partent donc à lÊaventure pourrécupérer leurs derniers matériauxmanquants qui seront déterminantdans la réussite de leur expédition.Ce quÊils ne savent pas en revanchecÊest que le gouverneur Poupo est luiaussi à la recherche dÊun moyen dÊex-terminer à jamais la menace pirate.Qui attendra son but en premier, nousle découvrirons sûrement bien asseztôt.

ENTRÉE EN MATIÈRE EN DOUCEURCette histoire se passe donc avant leurpremière rencontre avec Yugo, lehéros de Wakfu. Elle nous explique demanière précise mais parfois un peulente le contexte dans lequel nos deuxprotagonistes vont partir dans cetteaventure. Adrian le dessinateur et scénariste dece spin-off rend malgré tout cet albumvraiment intéressant et garde avecbeaucoup de fidélité les traits phy-siques et les caractères respectifs

dÊEncre noire et Elaine. Il maîtrise sonsujet et son dessin arrondi évoque desinfluences manga et jeux vidéo. Tousles fans reconnaîtront le potentiel deshéros Wakfu dans ce nouvel album.Vous apprécierez également les nom-breux clins dÊflil de lÊauteur à diffé-rents films bien connus comme Piratedes Caraïbes ou encore Le Seigneur desAnneaux, mais nous ne vous en dironspas plus, à vous de les découvrir.

Pour les moins fans du genre, si vousaimez les histoires de pirates et lamagie, vous ne pourrez pas passer àcôté de cette histoire. Les personnagessont drôles et attachants. La lenteur durécit vous permettra à coup sûr derentrer plus facilement dans lÊuniversde Wakfu sans pour autant vousmélanger les pinceaux avec lÊhistoire

de Yugo. Ce premier opus annonce donccomme une épopée digne de lÊaven-ture Wakfu. Espérons quÊaprès avoiraussi bien posé la problématique delÊhistoire, Adrian se lancera sans rete-nue dans lÊaventure de nos deux per-sonnages dans le prochain tome.

Une nouvelle aventure débarque dans le monde de Wakfu, et avec le spin-off Tangomango lesfans ne risqueront pas d’être déçus.

TANGOMANGO, T.1LES PREMIERS PIRATES

dÊAdrián,Ankama, coll. Wakfu Heroes,

56 p. couleurs, 12,90 €

WAKFU DÉCLINESON UNIVERS INCROYABLE

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L a Fille, ça parle de soi : unegrande liane rousse, auxjambes interminables serties

dÊun mini shorty de cuir. Pas vulgairepour un sou, plutôt nana saine et éman-cipée, sexy en diable. De celles quichoisissent leurs mecs pour les cajolerune nuit durant, avant de reprendre laroute au petit matin. Mais quand laFille croise la route dÊun minuscule cow-boy aux moustaches démesurées, elle legarde farouchement dans son portebagage, dût-elle lÊarracher aux griffesdÊune horde dÊamazones à moto.

Quand Barbara Carlotti et ChristopheBlain confrontent leur attrait pour lamusique et les westerns seventies, ils ima-ginent de concert un conte érotiquemâtiné de grosses cylindrées. En atten-dant lÊopéra rock sur scène, La Fille seprésente comme les livres-disques denotre enfance : sur CD, la voix suave dela chanteuse donne la réplique à desinvités surprise (Blutch, Arthur H) ;neuf chansons et une quarantaine deplanches illustrées rythment la narra-tion. Un road movie graphique et musi-cal, qui emprunte tant à la pop sixties(une reprise de Lee Hazlewood), quÊàlÊunivers onirique de Russ Meyer.

RENCONTRE AVEC CHRISTOPHE BLAIN

Comment est né le projet ?Christophe Blain : JÊai découvert Barbaraen écoutant la radio. Je me suis précipitésur ses disques, jÊai immédiatementadoré. Je travaillais à ce moment-là avecBenoît Mouchard, directeur artistiquedu festival dÊAngoulême, sur desconcerts avec Arthur H, où je dessinaissur scène. Benoît connaissait Barbara, ilmÊa tout de suite proposé de me la pré-senter. Barbara cherchait un dessinateurpour lÊaffiche de son dernier spectacle.On sÊest rencontré quelques jours plustard. Je lui ai proposé ce projet, elle mÊademandé de faire lÊaffiche. On a fait lesdeux.

Quelles ont été les inspirations pour lepersonnage de la Fille ?JÊai créé le personnage de la Fille pourquatre pages dans Pilote. CÊétait unnuméro spécial mai 68. JÊai préféré faireun hommage à Pravda la survireuse dePeellaert et Thomas, bande dessinéeemblématique de 68, plutôt que de par-ler des ÿ événements Ÿ. JÊai mélangé desmorceaux de lÊhistoire de Pravda avecmon propre univers. La Fille existe déjà

dans mes albums de la série Gus : cÊestIsabella, la photographe, que jÊai réuti-lisée telle quelle. JÊai repris ce personnagelÊannée suivante, dans quatre nouvellespages, pour le Pilote spécial 69 ÿ année éro-tique Ÿ, en mÊéloignant un peu plus dePravda. Ces huit pages ont servi de baseà cet album.

Dans quelles circonstances avez-vousdessiné vos planches ?JÊai naturellement écouté la musique deBarbara en dessinant. Mais sa musique etses chansons étaient encore incom-plètes, ou sous forme de maquette, pen-dant la plus grande partie de la réalisa-tion des planches. Nous avons échangénotre travail tout au long de lÊélaborationde lÊalbum. Je lui lisais mes textes, luimontrais mes dessins, elle me faisaitécouter ses compositions. Nous nÊavons

jamais arrêté de croiser nos réalisations.Sauf à la toute fin. Barbara et Benoît deVilleneuve (lÊarrangeur-réalisateur de lamusique) ont terminé le disque avantque je ne finisse mes planches. JÊai pufinir le livre en écoutant la vraie bandemusicale de mes dessins. Pour le reste,je nÊai pas convoqué de références diffé-rentes de celles dans lesquelles je baignehabituellement. JÊai pu peut-être utili-ser ces références de façon plus directe.Par exemple, je nÊavais encore jamaisdessiné les voitures américaines plates,très longues, que je voyais dans les filmspoliciers américains quand jÊétais mômeet qui me fascinaient. JÊai pu enfin mÊins-pirer de mes Matchbox des années 70.

Pourrait-on trouver un point com-mun entre La Fille, Gus, Isaac ?Ils sont très indépendants, très indivi-

dualistes, très sentimentaux, un peumisanthropes, très débrouillards.

DÊoù vient cette fascination pour lesmoustaches ?CÊest parce quÊelles ne me vont pasdu tout et que jÊaurais bien aimé enporter de temps en temps.

HARLEY DAVID, GIRL OF A BITCHQuand le trait félin de Christophe Blain croise l’élégant timbre de Barbara Carlotti, il en émerge La Fille, un livre-disque pouradultes. Un road movie seventies, graphique et musical, à suivre à la trace dans la poussière d’une Triumph rutilante.

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LA FILLE

de Christophe Blainet Barbara Carlotti,

un livre + un CD, Gallimard,80 pages couleurs, 29,90 €

PROPOS RECUEILLIS PARJULIE BORDENAVE

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L a frontière américaine, unnavire débarque avec uncontainer rempli de clandes-

tins vénézuéliens, mais celui-ci eststoppé avant même quÊil nÊait atteint larive. Parmi eux, il y a ce jeune ado-lescent Gabriel, accompagné de sasflur. Ils se lancent désespérés par des-sus la rambarde du bateau pour échap-per aux tirs du service de lÊimmigra-tion. Arrivés sur le sol américain, ilne faut que quelques secondes pourquÊils se fassent arrêter. Emmenés àlÊhôpital pour sauver la petite Carina,Gabriel se voit proposer par Williamune collaboration quelque peu inha-bituelle pour donner la chance à sasflur dÊavoir une vraie famille. LÊaiderdans son trafic dÊarmements enAmérique Latine ne permettra pas aujeune homme de se sortir des ennuis

quÊil a voulus fuir, mais pour sauver sasflur, il vendrait son âme...

Dans ce premier tome, Marazano etEnnio Bufi démarrent leur histoire surles chapeaux de roues. Le récit est duret parfois sanglant, mais sûrementencore loin de la réalité du milieu. Ony retrouve beaucoup dÊémotion dans ledessin et le caractère du personnageprincipal Gabriel, que lÊon peut trou-ver touchant dans son besoin deprotéger sa sflur et son désir fort detrouver une famille. Il va tout mettreen place pour satisfaire les demandesde Redmond jusquÊà même lui trouverles meilleures combines pour réussir sapetite entreprise. Il connaît bien lemilieu des guérillas, non pas quÊil yait participé, mais il les a observées etsait exactement comment les mani-puler. William, cet agent de lÊimmi-gration véreux, a donc misé sur le boncheval. Mais cela ne va-t-il pas chan-ger à jamais ce jeune adolescent pleinde courage et de volonté ?

¤ la fois prenant et surprenant, lÊalbumClandestino T.1 vous entraîne dans le fra-gile et dur destin du jeune Gabriel, quiapprendra rudement ce que cÊest que de

devenir un homme dans ce monde bru-tal et sans pitié. Espérons quÊindépen-damment de William, notre jeune pro-tagoniste saura se tirer de cettemauvaise influence et changera sa des-tinée, même si pour le moment cÊestloin dÊêtre le cas.

Quand il est question de survie, l’Homme se trouve toujours face à des choix difficiles. Des millionsde clandestins tentent chaque année de passer les frontières des États-Unis pour échapper aux gué-rillas sanglantes qui font rage dans leurs pays, mais qui sait ce qu’ils trouveront de l’autre côté ?

CLANDESTINO, T.1NO˙L AU PARADIS

de Marazano et Bufi,Bamboo, coll. Grand Angle

48 p. couleurs, 13,90 €

CLANDESTINO :TRAFICANT D’ÂMES

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M iguelanxo Prado⁄ Vousvous souvenez ? Mais si, unauteur espagnol, très doué.

Porté sur lÊabsurde et le délirant,capable aussi de récits sensibles, quÊildécline en chroniques de quelquespages⁄ Occasionnellement auteur deone-shots remarqués, comme Trait decraie en 1993, ou La Demeure des Gomez en2007, son précédent livre. Entre-temps,il a participé à la série animée adaptéedes Men in Black. Et depuis trois ans,Prado planchait sur un roman gra-phique au long cours, Ardalén.

ESSAI SUR LA MÉMOIREArdalén traite de la mémoire, sous laforme dÊun récit rural teinté dÊonirisme.CÊest la rencontre entre deux person-nages : Sabela, une jeune femme à larecherche de ses origines et dÊinfor-mations sur son grand-père, un marinespagnol parti chercher fortune enAmérique du Sud, renié par son épousequi se considérait abandonnée, unhomme dont il ne reste que le nom etune vieille photo. Et Fidel, un vieillardsolitaire qui vit dans la montagne, et quiregarde les baleines flotter dans les airs,quand souffle lÊArdalén, le vent dusud⁄ Fidel ne sait plus faire la partdes choses entre ses souvenirs person-

nels, les histoires quÊon lui a racontéeset celles quÊil a lues dans les livres. Alorspeut-être a-t-il connu le grand-père deSabela. Ou peut-être préfère-t-il ima-giner quÊil lÊa connu, pour retenir lÊat-tention de cette jeune femme, la pre-mière personne qui lui témoigne delÊattention depuis longtemps.La mémoire définit ce que noussommes. Nous ne sommes pas ce quenous avons été. Nous sommes ce quenous nous souvenons avoir été.Indirectement, nous sommes aussi cedont les autres peuvent témoigner, lasomme des souvenirs des autres.Reconstruire la mémoire, cÊest se redon-ner une identité.

RÉUSSITE MÉMORABLEArdalén est le chef-dÊfluvre de Prado.Sur le plan graphique, on y trouve unequalité de trait, un savoir-faire dans lamise en couleurs, une justesse dÊex-pression et une minutie qui font dechaque vignette un tableau évocateur.La narration est patiente et appliquée,à lÊimage de Sabela qui sait quÊil fautlaisser du temps à Fidel pour ouvrir lesbons tiroirs et pour ordonner ses sou-venirs. Sur le plan formel, lÊauteur inter-cale des documents dans la bande des-sinée, qui alimentent la réflexion du

lecteur, autant quÊils ajoutent à la cré-dibilité du récit : témoignages de scien-tifiques, coupures de presse, documentsjuridiques ou administratifs⁄ On estcomme dans une enquête, avec lespièces dÊun puzzle à remettre danslÊordre, et ce jeu est formidablementcohérent avec lÊintrigue.

ARDALÉN,VENT DE MÉMOIRES

de Miguelanxo Prado,Casterman,

256 p. couleurs, 24 €

JÉRłME BRIOT

La mémoire, c’est un peu comme un océan où les souvenirs se baladent selon une logique indé-finissable. Parfois, des souvenirs enfouis depuis des années refont surface, comme une baleinequi viendrait respirer après un long moment passé dans les profondeurs…

TRAVAIL DE MÉMOIRE

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A lan Moore est unscénariste monument,

lÊun des plus influents de laseconde moitié du XXe siècle(Watchmen, V pour Vendetta,From Hell⁄). Mais AlanMoore est avant tout unmanieur de mots, unpétrisseur de syntaxe, et unmagicien (au sens propre duterme). La découverte de sacoiffe de naissance (cette finemembrane qui peutapparaître à lÊaccouchementsur la tête du nouveau-né),pieusement conservée par samère, lui donne lÊidée dÊunspectacle. Un monologuedÊune heure récité àNewcastle, en 1995. Son amiEddie Campbell,impressionné par la poésiedu texte et les images quÊilgénère, décide de lÊillustrer.LÊunique représentationdevient un album dont lerécitatif, repris tel quel,sÊarticule autour de lacondition humaine, et plusparticulièrement celle dÊunpetit prolétaire anglais desannées 60. Ce sont en effetprincipalement ses souvenirsde jeunesse qui alimentent laréflexion du scénariste.Réflexion sombre et assezdésabusée nourrie par lesfrustrations, humiliations etautres faux semblantsrencontrés dans une vie. Onpeut penser que le décès desa mère, trois mois avant lespectacle, a considérablementdéteint sur le moral dÊAlanMoore. Il nÊen reste pasmoins que cetteautobiographie dépasselargement le cadre de sonauteur. Elle ressemble plus àun pamphlet dénonçant uncertain nombre dÊattitudes etdÊétats dÊesprit dÊune époquerévolue. Mais qui trouveencore aujourdÊhui un échodéplaisant.

THIERRY LEMAIRE

L a mégalopole du GrandParis est embrasée par

le chaos après que son préfeta basculé dans la folie et ladémesure. Le Plasme, cetteforce magique quisommeillait dans les sous-solsde la Cité, est désormaispleinement en activité : lessuper-pouvoirs sont réveillés.Ainsi prend fin le premiercycle de ce qui sÊannonçaitcomme le ÿ retour Ÿ dessuper-héros européens, unretour qui nÊa de sens quepar rapport à leur départ,narré dans La Brigadechimérique. Une série oùSerge Lehman et FabriceColin avançaient le postulatséduisant que les origines desfictions super-héroïques et lascience-fiction prenaientracine dans lÊimaginaireeuropéen du ÿ merveilleuxscientifique Ÿ. DÊoù vientdonc que cette suite futuristene retrouve presque jamaisles charmes de lÊfluvreinitiale ? La partie graphique,extrêmement formatée, laissepeu dÊinterstices pour lapoésie : lÊaudace delÊintention aurait nécessitélÊappui dÊun visionnaire, etnon une équipe detechniciens choisie pour sacapacité à respecter lesdélais. Mais il est surtoutdifficile de réenchanter leréel (cf. Zoo n°37) avec desfantasmes de promoteursimmobiliers et des tactiquesde publicitaires. Ainsi ladémence du préfetBeauregard peut être luecomme lÊaveu de lÊéchec delÊutopie que portaientpersonnages et auteurs. Eneffet, ces derniers, loin derevitaliser la fictioneuropéenne, érigent lesusages étatsuniens en modèleindépassable. DÊun projetexaltant il reste undivertissement respectable.

S ortie très attendue quecelle de ce quatrième

tome de Locke & Key ; etencore une fois, le titrephare de la collection MiladyGraphics tient toutes sespromesses. La famille Lockedécouvre de nouvelles clefsmais doit subir de nouvellesattaques du maléfique LucasCaravaggio. Kinsey et Boderencontrent par hasard lÊunedes anciennes connaissancesde leur père qui semble ensavoir long sur le dramepassé. Malheureusement,celle-ci souffre dÊune formesingulière de mélancolie etdÊune phobie importante àlÊencontre de la couleurblanche. Pendant que lesdeux enfants tentent desurmonter cette difficulté,lÊesprit de Sam Lesserfomente un plan pour sevenger de la créature qui sedissimule sous les traits deCaravaggio. Pour y parvenir,il lui faut initier le jeuneRufus et le protéger de laconvoitise de son ennemi.Mais comme souvent avecJoe Hill, cÊest au moment oùlÊespoir semble renaître queles coups du sort frappentde plus belle⁄ ¤ chaquenouvel épisode de la série,le lecteur se retrouve happépar ce scénarioadmirablement bien dirigéet par toutes les trouvaillesquÊégraine la paire Hill etRodriguez. Rarement unebande dessinée fantastiquenÊa atteint pareil niveaudÊexigence et de qualité.Une lecture indispensablequi surclasse bon nombredes dernières sorties.

L Êentre-deux-guerresdans une petite ville

américaine sans âme,semblable à une autre.Millington F. Millborough, ungentleman loufoque, vit dansun cottage victorien où ilboit, refait le monde etsÊinvente des histoires.LÊexcentrique ÿ MightyMillborough Ÿ est lÊobjet desrumeurs les plusextravagantes :collectionneur fou ?Ancienne gloire militaire ?Riche entrepreneur ? Pourson premier livre, ledessinateur allemandChristoph Mueller poseouvertement sa passionpour la culture US. Dans sacomposition, riche enornements et détails, cetaffichiste livre une versionold school de JimmyCorrigan. Chris Ware adÊailleurs jugé sonÿ accomplissement graphiquedéjà proprementextraordinaire Ÿ. Une audacevisuelle anglo-saxonnetotalement au service dÊunportrait atypique. En effet,son personnage solitaire,très ÿ lord anglais Ÿ, quelquepeu condescendant voiremisanthrope, est en éternelquestionnement existentiel.Cet état dÊesprit prendlittéralement corps dans destableaux décomposés où letemps est palpable. Où lamélancolie côtoielÊextravagance. Mais quelquepart, ce qui suinte de cessaynètes, cÊest simplement lanormalité dÊun être quitrompe lÊennui à coups depetits soldats et debouteilles de scotch. RobertCrumb a déclaré à proposde Mueller quÊil lui avaitÿ remis le flambeau Ÿ. Well,rien que ça, Mighty Mueller !

La Coiffe de naissancedÊAlan Moore et Eddie Campbell,Çà et Là, 56 p. n&b, 20 euros

The Mighty MillboroughÊs– Contes dÊun homme degoût, de Christoph Mueller,6 Pieds sous Terre, 48 p. n&b, 30 euros

Locke & Key, T.4de Joe Hill et Gabriel Rodriguez,Milady Graphics,160 p. couleurs, 19,90 euros

Masqué, T.4de Serge Lehman et Stéphane Créty,Delcourt, 56 p. couleurs, 14,30 euros

VLADIMIR LECOINTRE KAMIL PLEJWALTZSKY WAYNE

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L ondres. Début d'un XXe

siècle parallèle. Dans unmonde où tout ce que l'onécrit peut prendre vie, lepapier est considéré commel'arme suprême et a étéinterdit. Quand Lord BlackFowl, un machiavéliqueindividu décide d'utiliser desÿ papercuts Ÿ pour causer lechaos, la Couronne fait appelaux deux plus grandsécrivains : Jules Verne etArthur Conan Doyle. Dansce troisième et dernier tome,on retrouve notre trio (lesdeux écrivains etl'aventurière Amélia Earhart)pris entre deux feux. D'uncôté Black Fowl, tel V pourVendetta, vient d'inonder lafoule de l'ExpositionUniverselle de papier en leurrévélant le pouvoir de cettematière. De l'autre, laCouronne a réactivé ledispositif Big Eye (clin d'flil à1984), et les Verne, père etfils, sont considérés commedes ennemis. En cavale, noshéros vont tenter de vaincrele Corbeau et révéler enfinson identité... En un peumoins d'un an, le duoLapeyre-Guérin (qui avaitdéjà signé la série Explorers) aréussi le pari fou de livrer unmanga steampunk de grandequalité. Une uchronievictorienne délirante où lesréférences littéraires,cinématographiques ethistoriques nombreuses sontdétournées au profit d'unthriller d'action rondementmené. Ainsi Orwell etHoudini aident le trio, face àune Mary Shelleydémoniaque ! Cet opus estplein de rebondissements !D'ailleurs la franchise a reçuun tel succès qu'un deuxièmecycle est d'ores et déjàprévu.

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L e 12 mars 2011, Jour 1après le tsunami qui a

dévasté un partie du Japon.L'auteur Koji Yoshimoto etl'éditeur Tomoaki Iwasakadécident de partir à larencontre des survivants etde nous raconter l'histoirede la compagnie ferroviaireSantestu. Grâce à la volontéet le courage des sesemployés, cette entreprise aréussi à remettre en marchele train faisant le trajetSakari-Tanohata de la côteEst du Japon. Au fur et àmesure que les salariés de lacompagnie expliquent cequ'ils ont vécu et vu, l'auteurnous trace avec précisionl'état de dévastation decertains villages de cettepartie de lÊîle. Ce n'est passans émotion que nous nousplongeons dans ce mangadocumentaire qui àpremière vue pourraitparaître banal dans le styledu dessin, mais qui raconteavec justesse ladétermination des Japonais àreconstruire ce que lanature a détruit.On ne peutque saluer l'auteur KojiYoshimoto qui partage avecnous ces bouleversantesdécouvertes et cettevolonté de fer qui habitentles Nippons. Pour appuyerses dires, l'auteur partageavec nous à la fin de ce one-shot les témoignages qu'il arecueillis, les cartes et lesphotos de ce qu'il aréellement vu. Pour lemonde entier, les vidéos quenous avons découvertesavec stupeur sur cetévénement sonnaientcomme la fin d'une ère,alors que pour les Japonaisce n'est que le début d'unenouvelle.

U n groupe assezhétéroclite de cinq

personnes est sélectionnépar tirage au sort par legouvernement pour aider lapolice à combattre le crimependant trois mois. On leurfournit des tenues de combatspéciales et des gadgets à laJames Bond et, dès le premierjour, sans aucune préparation,on les jette dans lÊarène ducrime urbain. Premièremission – alors que leurresponsable se paie une pausedéjeuner à côté ! –, repérerdes pervers à la gare. Labande de bras cassés arrive àarrêter un satyre, mais cÊestlà que les choses secompliquent : ils sont sommésde prononcer un verdict,dÊêtre donc police et juge à lafois. Les cas que les cinqdoivent affronter se font petità petit plus complexes. Legroupe nÊest plus unanime àpropos de la sentence,interprète de façon erronéecertaines situations, parfoisexagère un peu avec lÊusagede la force. La ligne entre bienet mal, même à des niveauxplutôt ÿ bas Ÿ (bagarres, volsde petites culottes), nÊest pastoujours facile à tracer, lajustice ne peut pas toujoursêtre rendue. Preuvescirconstancielles, douteraisonnable, présomptions,délit de faciès⁄ tout enrestant toujours léger etbourré dÊhumour, voici unmanga qui pose plusieursquestions éthiques ! Et si vousaviez la possibilité dÊaidervotre prochain, en faisantrespecter la loi, même dansles gestes civiques de base, leferiez-vous ? Ce manga nousmontre quÊau contact de laréalité, intervenir, prendre desresponsabilités et défendreles autres à ses risques etpérils, ne sont pas desréactions si instinctives.

City Hall, T.3de G. Lapeyre et R. Guérin,Ankama, 192 p. n&b + coul., 7,95 euros

Kyôsei Hero, T.1de Hiroki Miyashita,Panini, 200 p. n&b, 8,99 euros

Santestsude Koji Yoshimoto,Glénat, collection Seinen,192 p. n&b, 9,15 euros

AUDREY RETOU CAMILLA PATRUNO

M a n g a s & A s i e

M a n g a s & A s i e

N anami Hatano est une ado-lescente japonaise pas tout àfait lambda. Malgré les

modestes revenus de sa famille, elleétudie dans un lycée privé (donc cher)réputé. Par ailleurs, sa mère, chan-teuse dÊopéra, voyage aux quatre coinsdu monde. Aussi a-t-elle été élevéepar son grand-père, Tokushiro, ban-quier à la retraite dépensier et anglo-phile. Cet embryon de famille vit avecpeu dÊargent, mais on sent une cer-taine chaleur humaine dans le foyer.Nous sommes en 1983.Nanami, passionnée de musique bri-tannique (et plus particulièrement depunk) se sent pourtant à lÊétroit danscette société japonaise très normative.Elle rêve de Londres, de musique,dÊindépendance, afin de se sortir de sestracas quotidiens (manque constantdÊargent, petits boulots pas troprémunérateurs, premières peines decflur⁄) Tokushiro, bien que souventinconséquent (mais globalement sage)va sÊen rendre compte et tout mettreen fluvre pour aider sa petite-filledans sa crise dÊadolescence.

AUTOFICTIONAvec PIL, on est loin de la science-fic-tion historique de Thermae Romae. Si cenÊest par le trait (toujours aussi maî-trisé), difficile dÊimaginer que lÊon a unouvrage de Mari Yamazaki entre lesmains. De fait, comme elle lÊexpliquedans la postface de lÊouvrage, la vie delÊhéroïne du manga est largement ins-pirée de la sienne. Les sentiments deNanami, ses tourments intérieurs face àce grand-père volontaire mais maladroitet ses envies dÊailleurs sonnent très jus-tement. On a affaire à une véritableadolescente un peu rebelle (punk ?) du

début des années 1980. Et toutes cescaractéristiques seraient à prendre encompte au premier degré.Aussi, on appréciera les références maî-trisées aux Buzzcocks, aux Stranglersou justement à PIL (ou Public ImageLtd), le groupe préféré de Nanami,monté par Johnny Rotten après la dis-solution des Sex Pistols. DÊautres réfé-rences typiques de la culture pop japo-naise de lÊépoque sont disséminées ça et

là, de la marque Comme des garçons auwalkman. Ces éléments sont à lire enopposition avec les goûts culturels plusdésuets et décalés de Tokushiro, ama-teur dÊéchecs et de rakugo, une forme despectacle traditionnelle japonaise.La jeunesse tumultueuse et libertaire dela mangaka la rattrape dans ce manga.Faut-il voir son introduction (une mèrede famille, ancienne amie de lycée deNanami, se remémore cette période desa vie, le reste du récit fonctionnantalors comme un flashback) comme uneconversation avec son double du passé ?Ou est-ce un hommage à sa mère qui,à lÊinstar de celle de Nanami, ne lÊa pasretenue lorsquÊà 17 ans elle a choisi dequitter un Japon étouffant pour vivre enItalie ? Peut-être⁄

GLOBETROTTEUSEOn ne peut que féliciter Casterman desortir ce nouveau titre de MariYamazaki, et espérer que lÊéditeur aurala bonne idée de continuer à publierses autres one-shots inspirée de sa vie àlÊétranger. LÊauteur, peut-être fatigué deses déboires avec les maisons dÊéditions

japonaises, nous gratifiera dÊailleurs desa présence lors de Japan Expo 2013.Une bonne nouvelle que les amateursne manqueront pas de noter.

PIL : THIS IS NOT A LOVE SONG !

PIL

de Mari Yamazaki,Casterman, coll. Écritures,

192 p. n&b, 15 €

L’amateur éclairé de manga connaît Mari Yamazaki pour son titre phare, Thermae Romae. Forte de ce succès, les éditeurs étrangerss’intéressent peu à peu aux autres titres de son œuvre. Ainsi, Casterman nous propose PIL, one-shot publié originellement en 2010.

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N uits de noces est une histoire endeux parties, avec pour filconducteur son personnage

principal, Bunnae, une femme, jeunedans la première moitié, vieille dans laseconde. Dans chaque acte de ce dip-tyque, elle va (re)découvrir les plaisirset charmes de lÊamour.Dans la première moitié, nous décou-vrons un couple de fermiers timideslors de leur nuit de noce. LÊhommecomme la femme sont inexpérimentés,maladroits et touchants dans leur can-deur. CÊest lÊapprentissage de lÊamour,les premiers pas charmants dans la vie(supposée) dÊadultes.

La deuxième moitié nous transporteplus dÊun demi-siècle plus tard. La jeunefemme rougissante a pris de lÊâge. Ellea laissé le sarcasme et la fatalité lÊem-porter sur lÊinnocence. La vie lÊa mani-festement endurcie. Cependant, lorsdÊune romance qui va mettre un an à senouer, son cflur et son corps fondrontà nouveau par amour.

LE PETIT THÉÂTRE DE LA VIEKim Dong-hwa, lÊauteur de Nuits de noces,nÊen est pas à son premier essai dans lÊex-ploration de la vie des femmes, sujet quilui tient à cflur. Malgré son contexte (lacampagne coréenne dÊune époque révo-

lue difficilement datable), ce titre, spé-cifiquement écrit et dessiné pourCasterman, parlera à tout amateur debande dessinée, par son universalité.Ces deux périodes de la vie dÊune femme,fort similaires au demeurant, sont traitésavec tout ce quÊil faut de justesse et dedramaturgie pour transporter le lecteuret bien évidemment les différencier. Làoù la découverte de lÊamour charnel sefait en une nuit chez la jeune Bunnae, laredécouverte du plaisir des sens prendraun an (chaque saison étant prétexte àune évolution) quand elle sera plus âgée.On notera par ailleurs que le manhwasÊouvre et se conclut par un mariage.

La justesse narrative de Kim Dong-hwaréside également dans la théâtralisationdes scènes quÊil nous donne à lire. Lesdialogues laissent régulièrement la placeà des tirades (introspectives ou pro-noncées à haute voix), permettant aulecteur de mieux situer lÊétat dÊâme despersonnages. Cette méthode, finalementpeu employée dans la bande dessinée,fonctionne ici à merveille. Le lecteur apleinement conscience des tourmentsqui agitent les protagonistes.Ce discours est servi par un dessin quisurprendra forcément les lecteurs peuhabitués à la bande dessinée asiatique.Certaines scènes ont un design résolu-ment cartoonesque (Kim Dong-hwa adébuté sa carrière comme illustrateurpour enfants). Cependant, on ne pourraquÊadmirer le soin tout particulierapporté aux détails du décor ainsi quela retranscription des atmosphères. Aumême titre que les personnages, parce dessin, on ressent le temps qui passe,le froid et la chaleur humaine que la viepeut apporter.Nuits de noces peut sembler sommaire(environ 80 pages avec, somme toute,peu de texte). Mais sÊarrêter sur cepoint serait passer à côté dÊun titrecontemplatif et très bien exécuté, tou-chant et juste.

24 heures (et un an)La bande dessinée coréenne (manhwa) est aussi riche et variée que les productions japonaises ou françaises. Cependant, ellebénéficie d’une exposition moindre dans nos contrées, Cependant, quelques éditeurs font l’effort de proposer des titres origi-naux, sortant des formatages japonisants. Avec Nuits de noces, Casterman va dans ce sens.

NUITS DE NOCES

de Kim Dong-hwa,Casterman,

80 p. couleurs, 15 €

dans la vie d’une femme

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F ondé par Ken Levine,Irrational Games appartientaux cercles fermés des studios

stars de lÊindustrie du jeu vidéo. ShawnRobertson, directeur de lÊanimation deBioshock Infinite résume dÊailleurs plutôtbien la philosophie de lÊentité : ÿ LÊart dela narration est le moteur dÊIrrational Games,on cherche tout le temps à repousser les limiteset éviter de tomber dans la facilité pour racon-ter une histoire originale par le prisme du jeuvidéo. Ÿ Cela donna Bioshock premier dunom en 2007, jeu de tir subjectif claus-trophobe et plongée terrifiante dansRapture, ville sous-marine des sixties àla patine Art Déco, au lendemain dÊunrêve de société utopique basée sur lascience ayant tourné au cauchemareugénique.

L’IDENTITÉ BIOSHOCKLe profane est en droit de se demanderce quÊil y a derrière Bioshock. ÿ Il sÊagitmoins dÊune signification que dÊune signature oùla cité est un personnage à part entière, avec sonhistoire intégrée au storytelling, lui-mêmeindissociable du gameplay. Quelles ont été lesorigines de sa fondation ? Dans quel but ? EtcÊest justement ce but qui définit sa hiérarchiesociale, sa topographie, etc. Développer en pro-fondeur sa richesse permet lÊimmersion et le désirréel dÊexploration. LÊautre paramètre établis-sant lÊidentité de Bioshock repose sur lesystème de combat combinant armes à feu etmagie. Ÿ, répond Robertson.

DU RIFIFI DANS LES CIEUXBioshock Infinite prend place en 1912,soit un demi-siècle avant les événe-ments de Rapture. Booker DeWitt, ex-détective Pinkerton étranglé par lesdettes, est sommé par un mystérieuxcommanditaire de pénétrer dans lÊen-ceinte de Columbia afin dÊy exfiltrerElizabeth, une jeune femme portée dis-parue depuis 15 ans et possédant, dit-on, des pouvoirs dépassant lÊentende-ment. Columbia mérite que lÊon sÊyattarde : construite en 1900 pour prou-ver la supériorité américaine tant tech-nologique que militaire, cette cité estpropulsée dans les airs grâce à lÊaideconjointe de ballons dÊhélium et deréacteurs. Désavouée par le gouverne-ment américain consécutivement à unincident diplomatique, elle a fait séces-sion depuis.

LE PARADIS PERDU AMÉRICAINSecondée par une direction artistiquebaroque dÊune beauté à couper lesouffle, la narration experte se chargepeu à peu de pousser un Booker navi-guant à vue dans lÊenvers du décor deColumbia. La vision idyllique de cesartères urbaines aussi chargées de vieque gorgées de soleil diffuse une fête duquatre juillet permanente peu à peuobscurcie par une propagande halluci-nante mêlant religion, ultranationalismeet racisme. ¤ travers le périple sanglant

de Booker et dÊElizabeth pour échapperà la folie de ce piège céleste, BioshockInfinite se révèle être in fine une allégoriebrillante de lÊExceptionnalisme améri-cain, prôné notamment par WilliamMcKinley, renfermant la conséquenceinvariable de cette quête du paradis :prétexter démocratie et liberté dans unelogique dÊexpansion avant dÊéradiquertoute altérité. Chef dÊfluvre.

Attendu de pied ferme depuis près de deux ans, Bioshock Infinite, troisième volet de la génialefranchise de Ken Levine, change complètement d’univers tout en restant fidèle à ses piliers :sidération visuelle écrasante et intelligence narrative de qualité supérieure. Monumental.

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God of War: AscensionSony ComputerEntertainment

Kratos, le boucher en gros delÊOlympe, fait de nouveau parler sesLames du Chaos avec la préquelleGod of War: Ascension (GOWA), censéeexpliquer comment le généralspartiate a damné son âme au profitdÊHadès. Santa Monica Studiosreprend la formule qui a contribué àson rayonnement avec sa réalisationcinématographique à base de pré-calcul de mouvements de caméra, sesjeux de perspectives et son déluge desang et de tripailles. Si la maniabilitéest toujours aussi bonne et prompteau défouloir, on tiquera toutefois surune histoire plus faible quÊàlÊaccoutumée. Et ce nÊest pas le modemultijoueurs inédit qui modifiera ladonne.Exclusivement sur PS3

JULIEN FOUSSEREAU

Monster Hunter 3UltimateCapcom

La sérieMonster Hunterde Capcom futun véritablephénomène desociété auJapon et unauthentique

accélérateur de ventes pour la PSP.Toute lÊessence du jeu est contenudans son titre : au joueur de se créerson profil de chasseur, accomplir desquêtes diverses et variés, traquer etcapturer des monstres dans unmonde typé heroic fantasy. Le coup degénie consiste à axer le gameplay surdu multijoueurs en coopération dansun univers avec un bestiairefaramineux. Nintendo disposeaujourdÊhui de lÊexclu et propose unmode de sauvegardes compatiblesentre la Wii U et la 3DS.Disponible sur Nintendo Wii U et 3DS

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Sly Cooper :Voleurs à travers le tempsSony ComputerEntertainment

Quatrièmeaventure duraton-laveurcambrioleurdepuis neuf ans,Sly Cooper : Voleursà travers le tempsnÊest pas àproprement

parler irradié par la modernité, quece soit dans sa facture visuelle ou sesmécanismes de jeu. Pourtant, le plaisirde se confronter à un jeu deplateformes 3D à lÊancienne estsincère avec lÊambiance cartoonchatoyante de son monde ouvert, lavariété de ses missions et labrouettée de mini-jeux. On applauditSony pour avoir implémenté un cross-play irréprochable entre la PS3 et laVita, au point de presque oublier lestemps de chargement à la limite dusupportable.Disponible sur PS3 et PS Vita

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t Bioshock Infinite :DU SANG DANS LES NUAGES

BIOSHOCK INFINITE

Irrational Games /2K Games

Disponible sur PC,Xbox 360 et PS3

JULIEN FOUSSEREAU

Le Sommeil dÊor

Emmené par Pol Pot, les Khmersrouges cambodgiens ont été àlÊorigine dÊun des plus terriblesgénocides de la deuxième moitié duXXe siècle. On sait beaucoup moinsquÊils ont détruit une industriecinématographique florissante. DavyChou est allé à la rencontre des raressurvivants. La beauté du Sommeil dÊorréside incontestablement dans sonvoyage au cflur dÊune mémoirecollective et cinéphile que la barbarienÊa pas réussi à complètementannihiler. Les films en tant quÊobjetsont disparu. Mais leur forceévocatrice et émotionnelle demeure.Il faut en cela saluer lÊinventivitéformelle de Davy Chou pour avoir sutransmettre se sentiment magnifique.Un DVD Bodega Films

JULIEN FOUSSEREAU

LooperEn 2074, lorsquela mafia veutse débarrasserdÊune cible, ellelÊenvoie 30 ansdans le passépour se faireplomber parun assassin.Un jour, Joe estbien embêté

parce que celui quÊil doit éliminernÊest autre que⁄ lui-même. Franc-tireur de la série B classieuse, RianJohnson accouche avec Looper dÊunepetite bombe. SÊil nÊinvente rien etnÊéchappe pas à quelques paradoxestemporels, Looper impressionne parsa fusion astucieuse entre lÊélégancedu film noir et lÊambition de lascience-fiction intelligente. RianJohnson brille par ses talents deconteur quand il ne bouleverse pasavec culot les enjeux dramatiques encours de récit. ¤ (re)découvrir.Un DVD M6 Vidéo

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Les Cinq légendesLa sortie envidéo des Cinqlégendes seraune occasionpour lesretardatairesde découvrirle Dreamworksqui a raflé lamise Noëldernier. Adapté

du livre jeunesse de William Joyce, LesCinq légendes se montre très malin entransformant les figures mythiquesenfantines nord-américaines ensuper-héros prêts à combattre unCroquemitaine destructeurdÊimaginaire. Sa plus grande réussiteréside dans la foi du studio en sonhistoire, délaissant lÊironie pourdéployer un souffle épique et brosserun joli portrait dÊangoissesadolescentes. On recommande sansaucune réserve ce Blu-ray renfermantun futur classique ciné de Noël.Un Blu-ray Paramount HomeEntertainment

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W ong Kar-wai pour le grandpublic, cÊest avant tout Inthe Mood for Love en 2000,

son plus grand succès critique et public.Les critiques et cinéphiles de tout bordavaient repéré le réalisateur hongkon-gais dès 1994 avec Chungking Express,chronique amoureuse légère dÊune rarebeauté. La patte de Wong Kar-wai étaitdéjà là, des plans composés comme destableaux, une attention particulière à lalumière, aux mouvements, des effets deralentis, et surtout des actricessublimées. Il avait déjà abordé le kung-fu avec Les Cendres du temps en 1996.Wong Kar-wai étant connu pour être

perfectionniste, et modifier constam-ment sur le tournage son scénario (quÊilnÊa pas forcément dès le départ), songrand projet sÊest fait attendre. Entre-temps, il nÊa pas chômé, puisquÊil a réa-lisé 2046, le pendant plus sombre de Inthe Mood for Love et My Bluberry Nightsavec Norah Jones et Jude Law, qui nÊapas vraiment convaincu. Autant direque lÊattente était forte pour TheGrandmaster. Son héros, Ip Man, maîtredu wing chun, un des divers styles dekung-fu, a vécu de 1893 à 1972. ¤ tra-vers sa vie, Wong Kar-wai montre lÊhis-toire de la Chine, de lÊEmpire à lÊoccu-pation Japonaise, jusquÊau communisme.

CHORÉGRAPHIES AU POILLe réalisateur garde ses obsessions –lÊamour, les rendez-vous manqués, lesnon-dits, tout en mettant en scène unefresque historique en filigrane, et un filconducteur : le kung-fu et ses valeurs.Visuellement, cÊest époustouflant. Lascène dÊouverture est un chef-dÊfluvre àelle seule. Un combat sous la pluie entredes dizaines dÊassaillants et Tony Leung,de plus en plus beau et talentueux avecles années. Certains y verront du manié-risme, il nÊen est rien. CÊest de lÊart pur,comme une partition de musique,chaque note compte. Les combats ontété chorégraphiés par le meilleur experten arts martiaux, Woo-Ping Yuen, àqui lÊon doit les combats dantesques deMatrix, Tigre et Dragon ou Kill Bill. Leshéros, Tony Leung et Zhang Ziyi, déjàexperts en kung-fu, se sont entraînésplus dÊun an avant le tournage. Chacunedes scènes importantes de combat anécessité un mois de tournage. Larecherche de la perfection dans cedomaine est absolue et au vu du résul-tat, cela valait les efforts, y compris lebras deux fois cassé de Tony Leung.Bien au-delà du film dÊarts martiaux,cÊest véritablement le chef-dÊfluvre detoute une vie. Tout y est, des dialogues,au jeu des comédiens, à leurs histoiresdÊamour, de haine, de souffrance inté-rieure. CÊest un concentré du génie deWong Kar-wai. Un film exceptionnelen touts points.

Il aura fallu dix longues années pour que Wong Kar-wai finisse enfin le projet de sa vie : TheGrandmaster, un film dédié à l’art du Kung Fu et à celui qui le rendit populaire : Ip Man, maîtrede Bruce Lee.

THE GRANDMASTER

de Wong Kar Wai,avec Tony Leung,

Zhang Ziyi, Chang Chen...film dÊarts martiaux, 2h02,

sortie le 17 avril 2013

LOUISA AMARA

LA VIE FASCINANTE D’IP MAN

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