Un humanisme de l'au-delà : sens commun et puissance spéculative chez Thomas De Koninck, in...

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Un humanisme de l’au-delà : sens commun et puissance spéculative chez Thomas De Koninck Pierre-Alexandre Fradet 1 Études supérieures, ENS de Lyon / Université Laval Résumé : L’objectif poursuivi ici est d’expliquer dans quelle mesure un dialogue est permis entre l’œuvre du philosophe canadien Thomas De Koninck et la pensée spéculative contemporaine (notamment Quentin Meillassoux et Graham Harman), laquelle a pour ambition de remettre sur le devant de la scène la question de la chose en soi, sans pour autant renouer avec le dogmatisme prékantien. Nous tâchons de montrer, d’une part, que l’œuvre de De Koninck se distingue de la pensée spéculative en affirmant que le sens commun est en mesure d’unir intimement l’être humain au réel lui-même et, d’autre part, qu’elle préfigure de manière étonnante divers aspects de cette pensée en mettant en relief un certain accès à l’absolu. Abstract : Our aim is to explain to what extent a dialogue may be established between the work of the Canadian philosopher Thomas De Koninck and contemporary speculative thinking as practised, for instance, by Quentin Meillassoux and Graham Harman, whose ambition is to bring to the fore once again the thing-in-itself without however renewing with pre-Kantian’s dogmatism. We attempt to show, on the one hand, that De Koninck’s work differs from such speculative thinking by affirming that common sense is able to unite human beings intimately with the real itself, and, on the other hand, that his work surprisingly prefigures diverse aspects of that thinking by emphasising a certain access to the absolute. 1 L’auteur reconnaît l’appui financier du CRSH pour ses recherches doctorales, effectuées à l’ENS de Lyon et à l’Université Laval.

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Un humanisme de l’au-delà : sens commun etpuissance spéculative chez Thomas De

Koninck

Pierre-Alexandre Fradet1

Études supérieures, ENS de Lyon / Université Laval

Résumé : L’objectif poursuivi ici est d’expliquer dans quellemesure un dialogue est permis entre l’œuvre du philosophecanadien Thomas De Koninck et la pensée spéculativecontemporaine (notamment Quentin Meillassoux et Graham Harman),laquelle a pour ambition de remettre sur le devant de la scènela question de la chose en soi, sans pour autant renouer avecle dogmatisme prékantien. Nous tâchons de montrer, d’une part,que l’œuvre de De Koninck se distingue de la pensée spéculativeen affirmant que le sens commun est en mesure d’unir intimementl’être humain au réel lui-même et, d’autre part, qu’ellepréfigure de manière étonnante divers aspects de cette penséeen mettant en relief un certain accès à l’absolu.

Abstract : Our aim is to explain to what extent a dialogue maybe established between the work of the Canadian philosopherThomas De Koninck and contemporary speculative thinking aspractised, for instance, by Quentin Meillassoux and GrahamHarman, whose ambition is to bring to the fore once again thething-in-itself without however renewing with pre-Kantian’sdogmatism. We attempt to show, on the one hand, that DeKoninck’s work differs from such speculative thinking byaffirming that common sense is able to unite human beingsintimately with the real itself, and, on the other hand, thathis work surprisingly prefigures diverse aspects of thatthinking by emphasising a certain access to the absolute.

1 L’auteur reconnaît l’appui financier du CRSH pour ses recherchesdoctorales, effectuées à l’ENS de Lyon et à l’Université Laval.

On ferait violence à la pensée de Thomas De Koninck en la

subsumant sous l’une ou l’autre des catégories officielles que

la philosophie a fait naître dans l’histoire : le rationalisme,

l’empirisme, la phénoménologie, l’herméneutique, le

personnalisme... Préférant avoir les coudées franches, De

Koninck ne se solidarise avec aucun courant assignable, si ce

n’est avec une forme nuancée d’humanisme2, et prend à tâche de

penser par lui-même plutôt que d’adhérer à la dernière mode

philosophique. Cette constante autonomie intellectuelle ne

l’empêche pas pour autant de convoquer dans ses raisonnements

les travaux d’un champ remarquablement vaste de philosophes,

d’écrivains et de savants, dont il a une connaissance de

première main et ne renie jamais l’héritage3. Plus que tout

autre philosophe peut-être, Thomas De Koninck prend acte en

effet d’un extraordinaire nombre de réflexions historiques

2 Son humanisme ressort tout particulièrement bien des travaux suivants :Thomas DE KONINCK, « Ethics, the Humanities, and the Formation ofPersons », in The Bases of Ethics, W. SWEET (ed.), Marquette University Press,2001 ; Thomas DE KONINCK, De la dignité humaine, Paris, Quadrige/PUF, 2002 ;Thomas DE KONINCK et Gilbert LAROCHELLE (dir.), La dignité humaine. Philosophie,droit, politique, économie, médecine, Paris, PUF, 2005 ; Mireille LAVOIE, DanielleBLONDEAU and Thomas DE KONINCK, « The Dying Person: An Existential BeingUntil the End of Life », Nursing Philosophy, vol. 9, no 2, 2008 ; Thomas DEKONINCK, « Protecting Human Dignity in Research Involving Humans », Journal ofAcademic Ethics, vol. 7, no 1-2, 2009. Nous expliquerons plus loin en quel sensprécis il faut comprendre l’humanisme de Thomas De Koninck.3 Sur le rôle de transmetteur de Thomas De Koninck, voir en particulierThierry BISSONNETTE, Thomas De Koninck, attiseur de consciences, Montréal, Varia,2007.

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susceptibles d’alimenter son jugement, de l’Antiquité à nos

jours, et se montre toujours soucieux de penser dynamiquement

avec et contre l’histoire4.

Avec pour plus fidèles alliés Platon, Aristote, saint

Augustin, Shakespeare, Hegel, Whitehead, St-Exupéry, Einstein,

Wodehouse, Fernand Dumont et Jean-Luc Marion, cet auteur, né en

Belgique et devenu professeur à l’Université Notre Dame avant

d’être embauché à l’Université Laval, démontre bien par la

diversité des sources auxquelles il se réfère que certaines

préoccupations universelles traversent tous les horizons et

demeurent tout à fait dignes d’intérêt pour notre époque. Il

prend ainsi le contrepied d’un certain « discontinuisme

épistémologique » en vogue, selon lequel tous les champs du

savoir et toutes les époques présentent des traits

incommensurables et ne peuvent dès lors, sous aucun angle, être

mis en rapport pour éclaircir le présent5. Par son désir

4 Voir notamment Thomas DE KONINCK, Philosophie de l’éducation. Essai sur le devenirhumain, Paris, PUF, 2004, p. 93.5 On peut mettre en parallèle dans une certaine mesure ce « discontinuismeépistémologique », selon lequel chaque époque doit être étudiée pour elle-même plutôt qu’en relation avec d’autres époques, et le « présentisme »,selon lequel « une connaissance absolue du passé étant impossible, toutereconstruction historique n’est en fait que le reflet des préoccupations duprésent, qui devient par là même le seul objet d’intérêt digne de ce nom,car lui seul nous est accessible. » Voir Jean-Christophe MAYER,« Modernité, représentation de l’histoire et présentisme dans le théâtreshakespearien », in Modernités shakespeariennes, J. AVNER (dir.), Paris,L’Harmattan, 2010, p. 108.

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d’aller puiser partout, en tout temps et en tout lieu, De

Koninck nous permet de redécouvrir le véritable sens du mot

« classique », qui ne consiste pas en un dépôt figé de formules

à répéter ad vitam aeternam, mais en une ressource vivante dont

on doit se servir pour penser les problèmes de son temps –

voire pour défier ce temps lui-même. Sa capacité à mettre à

profit l’histoire dans toute sa longueur est observable bien

sûr dans ses prises de position éthiques, mais aussi, comme

nous tenterons d’en faire la démonstration ici, dans les

réflexions stimulantes que son œuvre laisse entrevoir autour

des questions que soulève le courant contemporain du réalisme

spéculatif6.

Ce courant est né de la rencontre entre quatre philosophes

aux affinités semblables mais irréductibles dans le cadre d’un

colloque tenu à Londres en 2007. Il vise pour l’essentiel à

remettre sur le devant de la scène le problème de la chose en

soi, à une époque où bon nombre de philosophes insistent

volontiers sur l’aspect médiatisé et construit du savoir. Le

réalisme spéculatif attire de plus en plus l’attention dans le

6 Pour une perspective d’ensemble sur ce courant, qui ne cesse de setransformer de jour en jour, voir par exemple Levi BRYANT, Nick SRNICEK etGraham HARMAN (ed.), The Speculative Turn: Continental Materialism and Realism,Melbourne, Re.press, 2011.

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milieu anglophone7, qui repère en lui la marque d’un « tournant

spéculatif » repoussant le « tournant linguistique » en vigueur

au XXe siècle, mais tarde encore à s’imposer comme un objet

d’étude dans le monde francophone. Il va sans dire que les

réalistes spéculatifs ne se réclament pas ouvertement de Thomas

De Koninck et que, en retour, ce dernier ne fraternise pas haut

et fort avec la pensée spéculative, dont il se distingue sans

l’ombre d’un doute à maints égards8. Il n’en demeure pas moins

que certains parallèles nous semblent pouvoir être établis

entre eux, comme nous nous efforcerons de le faire voir ici.

Tirer au clair ces parallèles n’aura pas pour effet de créer

une alliance forcée, mais bien plutôt d’expliquer dans quelle

mesure un dialogue est permis entre l’œuvre de Thomas De

Koninck et la pensée spéculative, d’une part, parce que cette

œuvre se distingue de ce courant en soutenant que le sens

7 Parmi de nombreux travaux, dont certains sont cités ici, voir notammentPeter GRATTON et Paul J. ENNIS (ed.), The Meillassoux Dictionary, EdinburghUniversity Press, à paraître en 2014.8 Que nous relevions ici quelques rapprochements entre les réalistesspéculatifs et Thomas De Koninck ne signifie donc pas, évidemment, que tousse rejoignent sur la totalité des plans. Ainsi, par exemple, il estindéniable que le philosophe québécois s’oppose à Quentin Meillassoux surla question de l’ordre cosmique : alors que Meillassoux voit dans le mondeune absence d’ordre fondamental, ou tout au moins un ordre apparent quipeut être rompu à tout moment, De Koninck y repère un ordre manifeste et lerapporte à un être transcendant qui lui donne tout son sens. Voir Thomas DEKONINCK, La foi est-elle irrationnelle ?, avec L. ROY (deux textes autonomes),Montréal, Fides, 2013, p. 29 ; Thomas DE KONINCK, Philosophie de l’éducation. Essaisur le devenir humain, Paris, PUF, 2004, p. 216-219.

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commun est capable d’unir intimement l’être humain au réel lui-

même, d’autre part, et corrélativement, parce qu’elle préfigure

de manière étonnante l’esprit du réalisme spéculatif en mettant

en relief un certain accès à l’absolu. Notre étude prolongera

du même coup les divers travaux portant sur l’enseignement et

la pratique de la philosophie au Québec9 à travers un

commentaire de l’œuvre de l’un de ses représentants – dont les

écrits proprement dits demeurent à ce jour, hélas, trop peu

commentés, si l’on excepte quelques figures notables telles que

Jacques Lavigne et Charles Taylor10.

La pensée spéculative : un regard sur la chose en soi9 Yvan LAMONDE, Historiographie de la philosophie au Québec (1853-1970), Montréal,Hurtubise, 1972 ; Yvan LAMONDE, La philosophie et son enseignement au Québec (1665-1920), Montréal, Hurtubise, 1980 ; Josiane BOULAD-AYOUB et Raymond KLIBANSKY(dir.), La pensée philosophique d’expression française au Canada. Le rayonnement du Québec,Paris/Québec, Vrin/Les Presses de l’Université Laval, 1998.10 Parmi les nombreuses études portant sur les pensées de ces auteursquébécois, on se reportera, notamment, à Georges LEROUX, « Jacques Lavigne,L’inquiétude humaine, 1953 », in Monuments intellectuelsquébécois du XXe siècle. Grands livresd’érudition, de science et de sagesse, C. CORBO (dir.), Québec,Septentrion, 2006 ;Jacques BEAUDRY, Autour de Jacques Lavigne, philosophe. Histoire de la vie intellectuelle d’unphilosophe québécois de 1935 à aujourd’hui accompagnée d’un choix de textes de Jacques Lavigne,Trois-Rivières, Éditions du Bien Public, 1985 ; Ruth ABBEY, Charles Taylor,Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2000 ; Jean GRONDIN,« Charles Taylor a-t-il des raisons de croire à proposer ? Grandeur etlimites d’une justification de l’option métaphysique de la croyance par desenjeux éthiques », Science et Esprit, 64, 2012, p. 245-262. Voir égalementPierre-Alexandre FRADET, « Méthode et objet chez Jacques Lavigne. Un examende L’inquiétude humaine », Encyclopédie de L’Agora, 2012, en ligne :http://agora.qc.ca/documents/methode_et_objet_chez_jacques_lavigne_un_examen_de_linquietude_humaine (consulté le 24 juin 2014) ; Pierre-AlexandreFRADET, « Comment trouver un équilibre entre l’historicisme etl’universalisme ? Réflexions à partir de l’œuvre de Charles Taylor », LePhilosophoire, Vrin, vol. 1, no 41, 2014, p. 257-285.

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Tantôt hostiles à l’expression « réalisme spéculatif »,

tantôt favorables à son usage, les principaux représentants du

courant spéculatif contemporain sont le quatuor formé par

Quentin Meillassoux, Graham Harman, Iain Hamilton Grant et Ray

Brassier. Chacun d’entre eux défend des thèses singulières et

uniques, mais tous se rejoignent en ceci qu’ils s’inscrivent en

faux contre une idée répandue depuis Kant : celle selon

laquelle la réalité ne peut être envisagée que d’après son

rapport à un sujet constituant – position qui définit le

« corrélationisme »11. Afin de rouvrir le chemin vers la chose

en soi et rendre justice au réel tel qu’il est en lui-même, en

dehors de toute relativité et de tout conditionnement

subjectif, les réalistes spéculatifs tentent de faire signe

vers un espace irréductible à toute forme de médiation : les

conditions de possibilité transcendantales (relevées en

phénoménologie), les horizons d’attente et de précompréhension

(étudiés en herméneutique), les contextes sociaux (examinés en

philosophie sociale), le langage (le linguistic turn), l’esprit (le

mind turn), le sens commun (les philosophies de l’expérience

11 Quentin MEILLASSOUX, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Seuil, 2006, p. 18.

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ordinaire12). Au socle du réalisme spéculatif se trouve donc le

présupposé selon lequel l’unique manière de faire droit au réel

lui-même consiste à prendre le contrepied des pensées

développées depuis Kant et à s’arracher à tout type de

médiation, le sens commun y inclus.

Non pas que toute la philosophie depuis La Critique de la raison

pure ait renoncé à parler du réel et se soit bornée à défendre

une forme ou une autre d’antiréalisme. En digne héritier de

l’herméneutique, Jean Grondin a démontré avec justesse que la

pensée gadamérienne, par exemple, élève une prétention à

l’objectivité et résiste au perspectivisme13. Mais les

réalistes spéculatifs se démarquent des philosophies

postkantiennes en ce qu’ils veulent placer au premier rang de

leurs préoccupations l’existence et la nature de la chose en

soi, là où ces philosophies axent davantage leur analyse sur

les conditions de possibilité donnant accès au réel, dans le

sillage de Kant qui, tout en reconnaissant l’existence de la

chose en soi, la présente comme inconnaissable et nous en

12 Bien que Stanley Cavell déprécie généralement le sens commun et éloignece concept de sa philosophie du langage ordinaire, nous croyons pouvoirassocier le sens commun à certaines philosophies de l’expérienceordinaire ; en effet, comme nous le verrons plus loin, le langage ordinairerejoint le sens commun entendu en une acception précise.13 Voir par exemple Jean GRONDIN, L’universalité de l’herméneutique, Paris, PUF,1993, p. 165-169.

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détourne de cette manière. Le terme « spéculatif » n’exprime

pas ici la volonté de régresser à l’époque prékantienne où tous

s’exprimaient volontiers sur les objets transcendants les plus

divers sans interroger leur mode d’accès14 ; il témoigne du

désir de se pencher en priorité sur l’objet extramental, plutôt

que sur les modes d’accès à cet objet auxquels s’attardent déjà

la phénoménologie (intéressée par les conditions de dévoilement

de l’objet dans la sphère phénoménale15) et l’herméneutique

(intéressée par l’activité interprétative et les horizons

d’attente). C’est pourquoi Graham Harman distingue sa pensée de

ce qu’il nomme les « philosophies de l’accès » et développe de

son propre chef une « ontologie-orientée-vers-l’objet » (Object-

Oriented-Philosophy)16.

14 Si le souci d’éviter de régresser au dogmatisme précritique est manifestechez des philosophes comme Quentin Meillassoux et Graham Harman, il est unpeu moins évident chez des auteurs comme Isabelle Stengers, qui à traverssa lecture de Whitehead appelle à une « libre et sauvage création deconcepts ». Voir Isabelle STENGERS, Penser avec Whitehead. Une libre et sauvage créationde concepts, Paris, Seuil, 2002.15 Certains phénoménologues ont beau adopter pour slogan « aux chosesmêmes ! », leur projet n’en demeure pas moins largement axé sur ladescription des conditions d’accès à ces choses et, par conséquent, ilporte moins sur la chose en soi que sur le rapport entre la chose et lesujet qui constitue phénoménologiquement cette chose.16 Pour prendre connaissance des premiers développements de cettephilosophie, voir Graham HARMAN, Tool-Being: Heidegger and the Metaphysics of Objects,Chicago, Open Court Publishing, 2002. Mentionnons-le : bien que Harmaninsiste sur la réalité extramentale, il ne reconnaît pas aussi ouvertementque Meillassoux la possibilité d’y accéder de manière directe etrationnelle – ce qui peut sembler réintroduire un fossé important entre lesujet connaissant et l’objet à connaître. Autre distinction entre Harman etMeillassoux : tandis que le premier se réclame de la phénoménologie deHeidegger, qu’il cherche à renouveler et à redévelopper à neuf, Meillassoux

9

De quelle façon les penseurs spéculatifs, tout en

affirmant l’importance de rouvrir la question de la chose en

soi et d’aller au-delà des philosophies de l’accès, marquent-

ils des réserves vis-à-vis du sens commun ? C’est ce que fait

Quentin Meillassoux lorsqu’il soutient que la vérité absolue à

laquelle il prétend parvenir va à l’encontre de la « croyance

commune »17, et c’est ce que suggère Tristan Garcia quand il

signale que les philosophies de l’expérience ordinaire et du

sens commun sont plus fascinées par notre mode d’accès aux

choses que par les choses elles-mêmes18. Non moins hostile au

sens commun, Ray Brassier associe ce dernier à une vision

préphilosophique naïve et inconsciente des préjugés qu’elle

plaque sur la réalité19, tandis que Graham Harman dit que c’est

une « opinion étrangement dominante »20, et répandue au sein du

sens commun depuis la modernité, que celle selon laquelle les

est assez allergique à la phénoménologie et au primat qu’elle accorde à ladonation.17 Quentin MEILLASSOUX, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris,Seuil, 2006, p. 141.18 Tristan GARCIA, Forme et objet. Un traité des choses, Paris, PUF, 2011, p. 9.19 Marcin RYCHTER, « Ray Brassier interviewed by Marcin Rychter. I am anihilist because I still believe in truth », Kronos, 1, 4 mars 2011, enligne : http://www.kronos.org.pl/index.php?23151,896 (consulté le 8 juin2014).20 Graham HARMAN, L’objet quadruple. Une métaphysique des choses après Heidegger, trad.par O. Dubouclez, Paris, PUF, 2010, p. 79.

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objets du monde n’existent pas en dehors de nos

représentations21 – opinion à laquelle Harman trouve à redire.

Au premier abord, voire peut-être aussi au second, ce

cadre de pensée du réalisme spéculatif peut sembler entrer en

conflit avec la philosophie de Thomas De Koninck. Là où la

plupart des philosophes spéculatifs adressent de vives

critiques à la phénoménologie au motif qu’elle nous rive aux

conditions d’accès au réel, De Koninck s’abreuve aux textes de

nombreux phénoménologues (Heidegger, Merleau-Ponty, Henry,

Marion...) pour dégager leurs mérites propres. Alors que les

réalistes spéculatifs sont plutôt hostiles à l’humanisme,

auquel ils reprochent d’occulter la sphère extramentale, De

Koninck s’attache à faire ressortir l’actualité du concept de

dignité humaine et se pose en défenseur de l’être humain. De

même, si les penseurs spéculatifs ont tendance à s’en prendre

21 Bien que certains auteurs depuis Kant aient continué à poser une formed’absolu, cet absolu demeure insatisfaisant pour la plupart des réalistesspéculatifs, parce qu’il ne met pas en avant la réalité extramentale tellequ’elle est en dehors du sujet constituant, ni n’implique la possibilitéd’un accès à cette réalité. Ainsi, pour l’idéaliste qu’est Hegel, l’absolului-même correspond plus ou moins à la corrélation entre le sujet etl’objet – tout objet connaissable n’étant connu qu’à travers une médiationsubjective et historique. Sur cette critique adressée autant à Hegel qu’àdes philosophes comme Bergson, Schelling et Deleuze, voir QuentinMEILLASSOUX, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Seuil,2006, p. 63. Sur le rapport entre De Koninck et Hegel, voir Thomas DEKONINCK et Guy PLANTY-BONJOUR (dir.), La question de Dieu selon Aristote et Hegel,Paris, PUF, 1991. Nous verrons plus loin en quoi De Koninck récupère etremanie un argument hégélien afin de mettre en évidence la possibilité d’uncertain accès à l’en soi.

11

au sens commun, De Koninck mobilise cette notion pour

développer une philosophie de l’éducation et mettre en évidence

le rôle capital de la culture dans l’acquisition des

connaissances et leur transmission dans l’histoire22. Mais on

exagérerait le fossé entre les penseurs spéculatifs et Thomas

De Koninck en ne voyant entre eux que des divergences

d’opinion. Lorsqu’on y regarde de près, en effet, on constate

que l’œuvre du philosophe québécois a l’étonnante vertu

d’anticiper certaines réflexions du réalisme spéculatif sur

l’accès au réel, tout en s’en distanciant quant au rôle que

peut jouer le sens commun dans l’acquisition du savoir. Tâchons

de montrer pourquoi.

Le sens commun et l’intelligence comme voies d’accès au réel

Le soupçon que les penseurs spéculatifs font peser sur le

sens commun tient à l’acception précise dans laquelle ils

entendent ce concept. Dans l’économie de leur pensée, le sens

commun renvoie ou bien à une vision préthéorique inconsciente

22 Thomas DE KONINCK, La nouvelle ignorance et le problème de la culture, Paris, PUF,2000 ; Thomas DE KONINCK, Philosophie de l’éducation. Essai sur le devenir humain, Paris,PUF, 2004 ; Thomas DE KONINCK, La crise de l’éducation, Montréal, Fides, 2007 ;Thomas DE KONINCK, Philosophie de l’éducation pour l’avenir, Québec, Les Presses del’Université Laval, 2010 ; Thomas DE KONINCK, « Le sens de la culture »,Laval théologique et philosophique, vol. 52, no 2, 1996, p. 583-612.

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des conditions d’accès au réel, c’est-à-dire à la croyance

« naïve » selon laquelle le monde extérieur existe en lui-même

et se donne immédiatement à nous ; ou bien à un corps de

préjugés transmis par la société et qui constituent un voile

corrupteur, un miroir déformant, un écran qui dénature la

connaissance. Ces deux significations peuvent être rattachées à

1/ l’acception objective du sens commun, c’est-à-dire à un

certain réseau de croyances partagées. Mais il est possible

d’attribuer au moins deux autres acceptions au sens commun : 2/

une acception subjective, à savoir une faculté partagée par tous

les sujets connaissants (comme par exemple la raison chez

Kant), et 3/ une acception pratique, à savoir une attitude

concrètement adoptée par plusieurs ou un geste répandu en

communauté (comme par exemple l’usage du langage ordinaire chez

Wittgenstein et Cavell)23.

C’est en ayant en tête ces deux dernières acceptions

distinctes de celle, dépréciative, endossée par les réalistes

spéculatifs, que Thomas De Koninck réfléchit au problème de la

chose en soi et tente de montrer que le sens commun, loin de

n’être qu’un miroir déformant, peut constituer une voie d’accès

23 Sur ces différentes acceptions, voir notamment Vincent DESCOMBES,« Réflexions sur la pluralité des sens communs », in Normativités du senscommun, C. GAUTIER et S. LAUGIER (dir.), Paris, PUF, 2009, p. 25-49.

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au réel lui-même. À preuve, commentant un ouvrage de Danielle

Lories sur le sens commun chez Aristote24, il remarque ceci :

« Dans le sens commun on découvre une “instance intentionnelle

et active qui, par-delà la réceptivité passive des différents

sens, vise la chose en et pour elle-même, la chose dans sa

réalité indépendante de nous, le sensible dit par accident”.

Autant dire que “c’est du sens du réel qu’il y va, de l’accès

aux choses réelles du monde, de la réalité de ce que nous livre

la perception” »25. Le réel dont il est ici question n’est pas

un réel médiatisé ou constitué phénoménologiquement ; il

désigne ce qu’est l’objet en soi en dehors de toute relativité

et de toute médiation corruptrice. Cette réalité a beau être

perçue par un sujet connaissant, sa nature n’en est pas moins

accessible à ce sujet. D’où il est possible de conclure que le

sens commun peut bel et bien être conçu comme la faculté qui

nous unit à la chose même et rend possible un savoir de la

réalité extramentale, ce que réaffirme avec force Thomas De

24 Danielle LORIES, Le sens commun et le jugement du Phronimos. Aristote et les stoïciens,Louvain-la-Neuve, Peeters, 1998. Voir aussi Thomas DE KONINCK, « Lesmultiples acceptions du “sens commun” », Revue Philosophique de Louvain, vol.101, 2003, p. 707-720.25 Thomas DE KONINCK, Philosophie de l’éducation. Essai sur le devenir humain, Paris, PUF,2004, p. 37.

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Koninck lorsqu’il relie l’appréhension du réel à la création

artistique26.

Cette (re)découverte et cette (re)mise en évidence par De

Koninck de l’apport objectif du sens commun ressort de façon

tout aussi manifeste dans son récent ouvrage, Questions ultimes,

où il s’appuie sur la « sagesse du langage ordinaire »27 et la

pensée antique pour distinguer entre l’intelligence (le noûs)

et la raison (le logos) :

Chez Homère, noûs a le sens fondamental d’une réalisationsoudaine à l’occasion d’une perception, la prise deconscience d’une situation importante à grand impactémotif. Réaliser par exemple que cette personneapparaissant sous les traits d’une vieille femme est enréalité la déesse Aphrodite, où il ne s’agit évidemmentpas d’une constatation plus claire de sa figure externe,mais bien d’une saisie de sa vraie nature au-delà del’apparence. Ou encore cet homme qui semblait mon ami,voici que mon noûs me permet d’entrevoir tout à coup qu’ils’agit en réalité d’un ennemi. Von Fritz souligne qu’en detels cas « la prise de conscience de la vérité vienttoujours comme une intuition soudaine : la vérité estsoudainement “vue” »28. On aura compris, par le choix desmots qui précède, que j’invite à concentrer la réflexionsur l’intelligence (noûs) plutôt que sur la raison (logos).Pareille préférence pour l’intelligence n’implique

26 Ibid., p. 80.27 Thomas DE KONINCK, Questions ultimes, Ottawa, Les Presses de l’Universitéd’Ottawa, 2012, p. 66. Sur le fait que l’art permet de révélerl’extraordinaire inscrit dans l’expérience ordinaire, voir également ThomasDE KONINCK, La nouvelle ignorance et le problème de la culture, Paris, PUF, 2000, p.130-132.28 Kurt VON FRITZ, « Nous and Noein in the Homeric Poems », in ClassicalPhilology, 40, 1945, p. 223-242 ; 41, 1946, p. 12-34 ; repris dans ThePresocratics. A Collection of Critical Essays, Alexander P. D. MOURELATOS (ed.), NewYork, Anchor Books, Doubleday, 1974, p. 23-85 ; cf. p. 25-26.

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nullement un mépris de la logique ; elle veut au contrairelui accorder tout son dû, qui dépend justement del’activité préalable de l’intelligence. [...] On sesouvient de l’histoire du malade mental pêchant dans unebaignoire, auquel le médecin dit : « Et si çamordait. » « Mais non, imbécile, répond le patient,puisque c’est une baignoire. » Une logique impeccable nel’empêchait pas de continuer à pêcher dans cettebaignoire. Le problème est l’absence de contact avec laréalité.29

Ici se révèle de façon imagée l’insuffisance de la raison en

regard de l’intelligence. Alors que la première permet à

l’individu de créer des concepts, des propositions à partir de

ces concepts et des raisonnements à partir de ces propositions,

la seconde – et la seconde seule – rend possible un contact

avec la réalité même. L’intelligence constitue en effet le

moyen par lequel une suite de raisonnements peut être élaborée

en considération du réel et, surtout, l’instance par laquelle

ces raisonnements peuvent être appliqués dans le concret30.

Faire preuve d’intelligence, pour De Koninck, ce n’est pas

29 Thomas DE KONINCK, Questions ultimes, Ottawa, Les Presses de l’Universitéd’Ottawa, 2012, p. 69-70. Précisons-le : si Meillassoux semble en généralassez critique à l’égard du sens commun, il pose également la possibilitéd’une « intuition intellectuelle » donnant accès à l’absolu, de sorte qu’ilsemble reconnaître indirectement, sans même employer ici l’expression« sens commun », un certain apport objectif au sens commun entendu commefaculté subjective. Voir Quentin MEILLASSOUX, Après la finitude. Essai sur la nécessitéde la contingence, Paris, Seuil, 2006, p. 123. Sur le rôle de l’intuition dansl’accès à la chose en soi, voir par ailleurs Pierre-Alexandre FRADET,Derrida-Bergson. Sur l’immédiateté, Paris, Hermann, 2014.30 Pour un complément d’information sur le sujet, voir Mark NYVLT, « TheAutonomous Activity of Nous in Aristotle’s Posteriour Analytics II.19 », Journal ofClassical Studies Matica Srpska, 11, 2009.

16

enchaîner avec une « logique impeccable » un ensemble de

démonstrations, mais se laisser imprégner de la réalité même et

rester attentif à ce qu’elle impose comme jugement ou

comportement. Aussi, parce que cette imprégnation est censée

donner lieu à un jugement objectif ou un comportement judicieux

dans le concret, on comprend sans peine que Thomas De Koninck

fait ici appel à l’acception pratique du sens commun, qui

pourrait être en l’occurrence un autre nom pour intelligence31.

D’aucuns objecteront peut-être que cette valorisation de

l’acception pratique du sens commun mène tout droit à un

dogmatisme précritique. En affirmant qu’une instance comme

l’intelligence peut nous mettre en contact avec la réalité

même, au-delà de toute activité démonstrative, Thomas De

Koninck ne passe-t-il pas sous silence les multiples médiations

que suppose un travail rationnel ? On ferait erreur en

répondant par l’affirmative, car il s’en faut de beaucoup que

le philosophe envisage naïvement le réel comme une donnée qui

viendrait s’imprimer de façon mécanique dans l’esprit du sujet

connaissant. Il est bien conscient du conditionnement

phénoménologique de la réalité par le sujet ; il insiste à31 Sur le sujet, voir également Daniel MOREAU, « L’intelligence : “dans” ou“devant” le monde ? Réflexion basée sur les thèses de Jankélévitch etd’Aristote », Laval théologique et philosophique, vol. 63, no 3, octobre 2007, p.577-596.

17

répétition, par exemple, sur l’importance de l’affectivité et

de la sensibilité32, dont il souligne à quel point leur rôle

est prégnant dans l’expérience humaine. Mais il rappelle en

même temps, à l’encontre des corrélationistes que vilipendent à

l’unisson les penseurs spéculatifs contemporains, que la réalité

tout entière ne se réduit pas à un horizon humain, relatif et conditionné

phénoménologiquement.

Ce rappel se fait entendre implicitement dans l’extrait

précité, où il souligne que la possibilité d’un contact avec le

réel se trouve démontrée par les multiples situations au cours

desquelles on se laisse illuminer par une évidence immédiate et

est appelé à revoir son jugement sur une base objective. Ainsi,

par exemple, du pêcheur dans la baignoire qui sait qu’il

n’attrapera aucun poisson, peut formuler les raisons pour

lesquelles il ne pêchera rien, mais s’entête à pêcher tout de

même ; seuls ses observateurs sont capables de constater son

égarement pour autant qu’ils demeurent, eux, en contact direct

avec la réalité même, irréductible à l’horizon logique et à la

sphère rationnelle humaine. De Koninck évoque plus

explicitement encore l’idée d’un réel extramental lorsqu’il

s’en prend, dans La nouvelle ignorance et le problème de la culture, aux32 Voir notamment Thomas DE KONINCK, La nouvelle ignorance et le problème de la culture,Paris, PUF, 2000, p. 114-118.

18

différentes formes de réductionnisme. À ses yeux comme aux yeux

de Socrate avant lui, la première tâche qui incombe au

philosophe est celle de prendre la juste mesure de son

ignorance, c’est-à-dire de démasquer les faux savoirs et de ne

tenir pour connu que ce qui est vraiment connu33. Or, les

différentes doctrines réductionnistes qu’on a vu apparaître

dans l’histoire ont l’inconvénient de négliger une part

essentielle du monde et, ainsi, de prétendre qu’elles

connaissent tout le réel, alors qu’elles ne proposent au fond

qu’une ontologie incomplète, inexacte, fautive. De là la

critique qu’adresse De Koninck au linguistic turn en général et au

déconstructionnisme derridien en particulier, qui détournent

notre attention du réel non langagier34 ; de là, par ailleurs,

les reproches qu’il formule à l’encontre du naturalisme

scientifique, qui est trop peu attentif à la réalité non

physique35. Pour le philosophe, ce n’est pas parce que

l’horizon humain va le plus souvent de pair avec le langage et

la dimension physique que le monde intégral se réduit à ce

langage et à cette dimension précise. Il y a une

33 Ibid., notamment p. 2. Voir aussi Thomas DE KONINCK, Philosophie de l’éducation.Essai sur le devenir humain, Paris, PUF, 2004, p. 183.34 Thomas DE KONINCK, La nouvelle ignorance et le problème de la culture, Paris, PUF, 2000, p. 58-64.35 Ibid., p. 50-53.

19

« résistance »36 de la réalité même, comme en attestent les

multiples occasions où les mots que nous employons ne

parviennent pas à dire ce qu’il s’agit pourtant de dire et où

notre esprit prend le large et réfléchit sur autre chose que

l’immédiateté terrestre – dans l’espoir de l’expliquer,

l’éclaircir, en saisir le principe dont on pressent

l’existence37. La réalité tout entière doit appeler une

attention sans cesse renouvelée et élargie de notre part, et

cette réalité n’est ni forcément médiatisée par le langage ni

strictement physique, encore que le langage et la dimension

physique fassent bel et bien partie du monde.

Un humanisme de l’absolu

À constater que Thomas De Koninck pointe une sphère qui

transcende l’horizon humain et ses conditions de possibilité

propres, on peut se demander pourquoi il se présente comme un

humaniste et si son humanisme demeure compatible avec une

pensée de la réalité en soi, autrement dit de l’absolu. D’un

côté, De Koninck évoque sans ambages le fait que le sens commun

36 Ibid., p. 62.37 Thomas DE KONINCK, Philosophie de l’éducation. Essai sur le devenir humain, Paris, PUF,2004, p. 234-236.

20

peut être envisagé comme une voie d’accès au réel tel qu’il est

en dehors de la relativité humaine. De l’autre, il s’associe à

un humanisme dont on pourrait croire qu’il nous incite à nous

détourner de ce qui n’est pas proprement humain, donc de la

chose extramentale. Son intérêt marqué pour l’homme, les

conditions de possibilité et le sens commun n’entrerait-il pas

en contradiction avec l’esprit spéculatif contemporain ? Il est

vrai que les réalistes spéculatifs prennent généralement leurs

distances d’avec la sphère humaine, censée recouvrir et

occulter l’accès à l’en soi. Mais l’humanisme de Thomas De

Koninck a la particularité de se justifier par la volonté de

prévenir certaines dérives de la bioéthique contemporaine,

plutôt que par le désir de replacer l’homme au centre du monde

au détriment du reste de la nature, il s’écarte de

l’anthropocentrisme, il fait place à un absolu irréductible à

l’horizon humain et, par conséquent, du moins à cet égard, il

rejoint l’esprit des penseurs spéculatifs actuels.

Tout d’abord, à l’encontre de certains bioéthiciens, Peter

Singer et H. Tristram Engelhardt Jr. en tête38, De Koninck

cherche à montrer que l’humanité ne se laisse définir ni par

des traits stables ni par des conditions nécessaires et38 Thomas DE KONINCK, De la dignité humaine, Paris, Quadrige/PUF, 2002, entre autres p. 5-6.

21

suffisantes (la rationalité, la conscience, la locomotion,

etc.) ; de sorte que chaque individu doit être envisagé comme

un être complexe, unique et indivisible, peut légitimement

revendiquer le statut d’être humain et prétendre à une égale

considération, quelles que soient ses caractéristiques

singulières39. Cette mise en suspens de la définition de

l’homme s’accompagne chez Thomas De Koninck du rejet d’une

présumée « nature humaine » fixe40 : pour le philosophe, l’être

humain témoigne d’une vulnérabilité et de capacités propres,

développables et à développer, mais variables et évolutives

d’une personne à une autre, ainsi que d’une époque à une autre.

Ensuite, on ne peut plus sensible à la part de vérité

contenue dans les positions contraires aux siennes, et bien au

fait des dérives que pourrait occasionner une survalorisation

de l’homme, De Koninck tire leçon des philosophies de la « mort

de l’homme » et endosse une forme d’humanisme qui se garde bien

de l’« auto-idolâtrie »41. L’éthique qu’il construit accorde

certes une place de choix à la communauté humaine, mais elle ne

39 Signalons que ce que De Koninck suggère en filigrane au sujet des fœtusnous semble plutôt discutable et à nuancer en fonction des conséquencesdécoulant de l’attribution aux fœtus du statut d’êtres humains ; mais,cette remarque mise à part, nous retenons néanmoins l’essentiel de sonanalyse sur l’importance de ne pas exclure certaines personnes del’humanité.40 Ibid., p. 9 et 224. 41 Ibid., p. 41.

22

renonce pas, pour cette raison, à élargir sa sphère de

préoccupation au-delà de l’homme et à prendre en compte la

nature et les animaux, par exemple. Son orientation humaniste

se justifie par ailleurs en partie par le fait qu’elle voit

dans les philosophies de la mort de l’homme – poncif du XXe

siècle, l’un des plus meurtriers de l’histoire – une

impuissance à fonder librement un projet politique concret et

consensuel permettant aux individus et aux peuples opprimés

d’obtenir toute la considération qui leur est due42. En

l’occurrence, on le comprend, le philosophe québécois demeure

bien loin de l’auto-idolâtrie et d’une pensée qui exalterait la

mêmeté.

Enfin, et ici apparaît explicitement le lien avec la

pensée spéculative, Thomas De Koninck reconnaît à l’être humain

la capacité de transcender son propre horizon. Véritable

leitmotiv de son œuvre, cette capacité de transcendance de

l’homme par l’homme fut évoquée avec éloquence dans le titre

d’un très bel ouvrage collectif : La transcendance de l’homme. Études

en hommage à Thomas De Koninck43. L’expression « transcendance de

42 Thomas DE KONINCK, La nouvelle ignorance et le problème de la culture, Paris, PUF, 2000, p. 60.43 Jean-François MATTÉI et Jean-Marc NARBONNE (dir.), La transcendance del’homme. Études en hommage à Thomas De Koninck, Québec, Les Presses del’Université Laval, 2012.

23

l’homme » doit être comprise ici à la fois au sens du génitif

objectif et au sens du génitif subjectif. Car l’homme est aussi

bien celui qui est transcendé que celui qui se transcende lui-même

afin de voir au-delà de son propre horizon. Aussi précieuses

que soient les contributions présentes dans ce livre

d’hommages, c’est incontestablement dans l’œuvre maîtresse du

philosophe lui-même, De la dignité humaine, qui fut couronnée du

prix La Bruyère de l’Académie française et rééditée en 2002

dans la collection « Quadrige », qu’on retrouve la plus subtile

expression de son intérêt pour la transcendance et l’absolu.

Dans un chapitre qui a pour titre « Le dépassement des

contraires », De Koninck s’attarde à la question de l’absolu et

arrive à une conclusion, redevable à Aristote et à Kant :

« l’intuition intellectuelle de soi [...] ne saurait être

accessible qu’à un être divin »44. Si cette conclusion

préliminaire semble condamner la possibilité d’un accès à

l’absolu, elle se double toutefois d’un second raisonnement au

sujet de la finitude humaine qui vient très clairement

infléchir la réflexion de De Koninck dans le sens de la pensée

44 Thomas DE KONINCK, De la dignité humaine, Paris, Quadrige/PUF, 2002, p. 124.Sur la question du sens commun et du dépassement dialectique des contrairespar un travail de l’esprit, voir par ailleurs Thomas DE KONINCK, La nouvelleignorance et le problème de la culture, Paris, PUF, 2000, p. 86.

24

spéculative. Le philosophe s’autorise ici d’un mot de Hegel

qu’il convient de rapporter au long :

Quelque chose n’est su – et même ressenti – comme borne,manque, que pour autant que l’on est en même temps au-delàde lui. (...) Une borne, un manque de la connaissance nesont de même déterminés comme borne, manque, que par lacomparaison avec l’Idée présente de l’universel, d’un êtretotal et achevé. Ce n’est, par suite, que del’inconscience que de ne pas discerner que précisément ladésignation de quelque chose comme quelque chose de finiou de borné contient la preuve de la présence effective del’infini, du non-borné, que le savoir d’une limite ne peutêtre que dans la mesure où l’illimité est de ce côté-ci dansla conscience45.

À la fois pénétrant, inventif et subtil, cet argument

suggère que l’acte même de reconnaître sa finitude et d’écarter

la possibilité d’un accès à l’absolu implique une certaine

connaissance effective de cet absolu, c’est-à-dire du réel tel

qu’il est en dehors de toute relativité humaine. Car ce n’est

qu’en prenant un pas de recul devant ses propres limites que

l’homme parvient à établir qu’il connaît les limites en

question, si bien qu’il doit être en mesure de transcender sa

propre finitude au moment même où il l’entrevoit. Ici, l’absolu

en tant qu’absolu devient connaissable dans l’exacte mesure où,

pour saisir l’étendue de ses limites, l’homme doit les dépasser45 G. W. F. HEGEL, Encyclopédie des sciences philosophiques, I ; La science de la logique,p. 321 – tel que repris dans Thomas DE KONINCK, De la dignité humaine, Paris,Quadrige/PUF, 2002, p. 125.

25

et les mettre à distance. Ce n’est que pour autant qu’il

transcende sa finitude et tâte de l’absolu lui-même qu’il

devient capable de faire la part entre ce qui est contenu dans

cette finitude et ce qui la transcende ; autrement, il n’aurait

aucun moyen d’établir où s’arrête cette finitude et de quoi

elle le sépare. On peut donc en déduire que l’absolu lui-même

possède une nature distincte des limites humaines et qu’il est

connaissable comme tel, fût-ce de manière confuse46.

L’examen approfondi que propose Thomas De Koninck de cette

thèse hégélienne et de l’aspiration humaine à échapper à son

horizon immédiat le conduit en définitive à conclure qu’« [e]n

tentant de penser Dieu [...] comme quelque chose de toujours

infiniment plus grand qu’elle, la pensée humaine entrevoit du

coup, si confusément et imparfaitement que ce soit, tout le

reste de ce qui est et n’est pas – et s’entrevoit elle-même :

ses limites, certes, mais aussi sa grandeur »47. Il en ressort

46 De Koninck laisse entrevoir la possibilité d’accéder à une autre formed’absolu, cette fois inscrite dans l’affectivité plutôt que dans la réalitéextrahumaine, à la lumière des travaux de Ferdinand Alquié et de Jean-LucMarion : l’expérience directe et certaine que nous offrent nos sentiments,« plaisir, douleur, joie ». Sur le sujet, voir Thomas DE KONINCK, Philosophiede l’éducation. Essai sur le devenir humain, Paris, PUF, 2004, p. 30-31.47 Thomas DE KONINCK, De la dignité humaine, Paris, Quadrige/PUF, 2002, p. 202.Pour un prolongement d’analyse, voir Thomas DE KONINCK, Philosophie del’éducation. Essai sur le devenir humain, Paris, PUF, 2004, p. 236-238. Sur le faitque De Koninck envisage l’être humain lui-même comme méritant uneconsidération absolue et inconditionnelle, voir par ailleurs Thomas DEKONINCK, De la dignité humaine, Paris, Quadrige/PUF, 2002, p. 1.

26

du même coup qu’une certaine acception du sens commun, associé

ici à la pensée qu’ont en partage tous les hommes, peut nous

rapprocher d’une forme d’absolu. Et voilà dès lors sous quel

angle l’humanisme de Thomas De Koninck a une pleine portée

spéculative : au contraire du dogmatisme prékantien et du

positivisme scientifique qui se contentent de prendre pour

acquise la possibilité d’un accès immédiat au réel, l’œuvre de

Thomas De Koninck suggère, argument à l’appui, que l’être

humain a la vertu de pouvoir transcender sa propre finitude et

de tendre vers un objet en soi, auquel recommencent de

s’intéresser aujourd’hui les penseurs spéculatifs48.

Spéculation, théologie et critique des mystifications

Que la philosophie de Thomas De Koninck soit marquée au

coin de la théologie, cela en incitera sans doute plus d’un à y

voir une pensée éloignée du réalisme spéculatif actuel, assez

hostile aux croyances religieuses, bien qu’intéressé par

48 On ne saurait passer sous silence le fait que cette réflexion de DeKoninck rappelle à certains égards l’argument qu’invoque Meillassoux àl’appui de la possibilité d’un accès à l’absolu. En effet, pourMeillassoux, ce sont ceux qui constatent leur finitude et cherchent àmettre en question l’accès à l’absolu qui endossent implicitement la thèsed’accès à l’en soi et, par conséquent, nous autorisent à affirmer en touterigueur la possibilité de cet accès. Voir Quentin MEILLASSOUX, Après la finitude.Essai sur la nécessité de la contingence, Paris, Seuil, 2006, p. 87-94.

27

l’absolu. Mais ce serait sous-estimer à quel point le réalisme

spéculatif contemporain est lui-même lourd de conséquences en

matière religieuse et théologique49. Ainsi, Quentin Meillassoux

a beau poser l’inexistence de Dieu dans sa thèse doctorale

(dont seuls certains extraits ont été publiés à ce jour50), il

reconnaît aussi, marquant son attachement profond au problème

de Dieu, la possibilité pour un dieu actuellement inexistant

d’advenir éventuellement, et sa pensée entretient un constant

dialogue avec les notions de foi, de croyance et de raison, ne

serait-ce que de façon critique. L’un des principaux griefs

qu’adresse Meillassoux au rationalisme kantien est celui selon

lequel il aurait légitimé toutes les croyances irrationnelles.

En effet, en prétendant démontrer rationnellement que la raison

est impuissante à accéder à la chose en soi, Kant aurait

alimenté l’idée que seules les religions et les croyances

49 Notons que la revue ThéoRèmes vient de publier un dossier qui a pour titre« Réalismes spéculatifs et religion ». Dans un des articles de ce dossier,Stéphane Vinolo se penche sur le rapport entre Quentin Meillassoux et Jean-Luc Marion et tente de montrer, entre autres, que le phénomèned’« enreligement de la raison » menace la pensée de Marion. Or, comme nousessayons de l’expliquer plus loin, ce phénomène ne peut être rattaché à lapensée de Thomas De Koninck lui-même, qui maintient une forte relationentre la foi et la raison, au lieu de suggérer que l’absolu n’estaccessible que par la foi. Voir Stéphane VINOLO, « Le réalisme spéculatif àl’épreuve de la donation », ThéoRèmes, 6, 2014, en ligne :http://theoremes.revues.org/643?lang=en (consulté le 24 juin 2014).50 Pour prendre connaissance d’extraits de la réflexion de Meillassoux surDieu, voir Graham HARMAN, Quentin Meillassoux. Philosophy in the Making, EdinburghUniversity Press, 2012.

28

irrationnelles peuvent se dire en mesure de nous faire

coïncider avec l’en soi51, ce qui aurait eu pour conséquence

malheureuse de paver la voie aux fondamentalismes et

« d’établi[r] le droit égal et exclusif de la piété quelconque

à viser la vérité dernière »52.

L’œuvre de Thomas De Koninck tomberait-elle sous le coup

de cette critique meillassouxienne ? Pas du tout, croyons-nous,

car ce grief n’affecte que les pensées incapables de conjurer

les fondamentalismes et qui affirment que la foi – et la foi

seulement – est à même de nous mettre en contact avec des

réalités absolues. La philosophie de Thomas De Koninck se

distingue en ce qu’elle reconnaît au sens commun la capacité à

nous faire accéder au réel lui-même, « si confusément et

imparfaitement que ce soit »53, et condamne le fanatisme en faisant

marcher main dans la main foi et raison. Chez lui, seules les croyances

qui concilient un sentiment de conviction immédiate et des

motifs rationnels peuvent être jugées légitimes d’un point de

vue philosophique. À titre d’exemple, si une croyance C nous

51 Sur le sujet, voir également Luc LANGLOIS, « La fin des choses et la finde la liberté : l’Idée de Dieu dans la Critique de la raison pure », in Lesphilosophes et la question de Dieu, L. LANGLOIS et Y. C. ZARKA (dir.), Paris, PUF,2006, p. 189.52 Quentin MEILLASSOUX, Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, Paris,Seuil, 2006, p. 77. 53 Voir un extrait précité.

29

incite à croire que P à la fois de manière immédiate (par la

foi) et sur une base démonstrative (par la raison), alors il

est permis de qualifier cette croyance de connaissance

objective – ce qui n’implique pas, insiste De Koninck, qu’il

faille « travesti[r] [cette connaissance] en idéologie qu’on

voudrait imposer à tout le monde »54. Cette conciliation de la

foi et de la raison fait en sorte que la pensée de Thomas De

Koninck est bien en mesure d’écarter les fondamentalismes et de

disqualifier les croyances qui apparaîtraient subitement dans

l’esprit des illuminés (parfois déments et déconnectés), mais

échoueraient au test de la raison.

Bien que cette idée soit clairement avancée dans La foi est-

elle irrationnelle ?, où De Koninck propose « que le Dieu des

chrétiens est à la fois rationnel et plus que rationnel »55, on la

rencontrait déjà entre autres dans Aristote, l’intelligence et Dieu, où

la raison, dont on se rappelle qu’elle doit en tout temps

s’accompagner d’intelligence, était présentée comme un guide

capable de nous mettre en garde contre les excès possibles de

la foi :

54 Thomas DE KONINCK, La foi est-elle irrationnelle ?, avec L. ROY (deux textesautonomes), Montréal, Fides, 2013, p. 20.55 Ibid., p. 39. Nous soulignons.

30

La question de Dieu est la plus complexe et la plusexigeante de toutes les questions, présente à tous lesesprits, les plus simples comme les plus sophistiqués,urgente en tout temps et toute époque, inéluctable. Cequ’y apporte la philosophie, pour peu qu’elle soitparvenue à maturité, ne remplace en rien la théologie nila mystique, mais est décisif, on le sait depuis Xénophane deColophon et son rejet exemplaire des dieuxanthropomorphes : la force de l’esprit, de la penséehumaine, cherchant sans cesse une vérité indépendante desprojections ou sublimations de nos passions et de nosrêves, appelée à démasquer inlassablement lesmystifications, les sectarismes, les idéologies, lesidoles.56

On voit resurgir dans ce contexte l’acception pratique du sens

commun. Car la « pensée humaine cherchant sans cesse une vérité

indépendante des projets ou sublimations de nos passions et de

nos rêves » n’est autre chose qu’une instance partagée par les

hommes et mise en œuvre dans le concret. En aucun autre passage

peut-être, on ne constate mieux qu’ici en quoi cette acception

du sens commun est employée par le philosophe pour suggérer la

possibilité de connaître le réel lui-même, qu’il convient de

distinguer du rêve et des mystifications57. On mesure bien, par

conséquent, à quel point ses réflexions s’accordent avec

l’objectif des penseurs spéculatifs contemporains de remettre

56 Thomas DE KONINCK, Aristote, l’intelligence et Dieu, Paris, PUF, 2008, p. 203. Noussoulignons. Sur le rôle et l’importance de la raison à l’égard de l’absolu,voir par ailleurs Thomas DE KONINCK, De la dignité humaine, Paris, Quadrige/PUF,2002, p. 168-172.57 Pour une réflexion semblable, où la culture est associée à la voied’accès à l’absolu divin, voir Thomas DE KONINCK, La foi est-elle irrationnelle ?,avec L. ROY (deux textes autonomes), Montréal, Fides, 2013, p. 29.

31

en avant l’existence d’une réalité non médiatisée – accord

qu’on ne saurait toutefois manquer de nuancer en rappelant, une

fois de plus, que pour le philosophe québécois, à la différence

de la plupart des réalistes spéculatifs, c’est le sens commun

lui-même qui constitue une voie d’accès au réel.

Remarques finales : (ré)ouverture d’un champ de recherche

Il n’est pas indifférent de mentionner qu’un intérêt

marqué pour la question du sens commun s’était manifesté au

Canada bien avant Thomas De Koninck et dans des contextes

parfois tout autres que celui où il a personnellement développé

sa pensée. Ainsi, le père du philosophe, Charles De Koninck,

avait lui-même écrit certains textes sur la question58 et

soutenu avec conviction la primauté du bien commun sur le

concept de personne tel que l’exaltait à l’époque le

personnaliste Jacques Maritain59. Avant Charles De Koninck, un

groupe de philosophes canadiens avaient par ailleurs longuement

débattu autour de la notion de sens commun, comme l’explique

58 Voir par exemple Charles DE KONINCK, Three Sources of Philosophy, Washington,D. C., The Catholic University of America, 1964, p. 14-16.59 Charles DE KONINCK, Œuvres de Charles De Koninck. Tome II. La primauté du bien commun,Introduction de S. Luquet, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010.

32

Louise Marcil-Lacoste dans une étude précieuse60. Le souhait de

montrer en quoi la communauté et la culture n’excluent pas

forcément tout rapport à l’absolu refera surface quelques

décennies plus tard chez Leslie Armour et Suzie Johnston61, qui

affirmeront avec pertinence l’existence d’un absolu rendu

intelligible dans et par la culture, mais non totalisable.

Sans doute y aurait-il beaucoup à dire sur l’évolution du

concept de sens commun et les multiples usages qui en ont été

faits en sol canadien. Tout en appelant à entreprendre des

recherches en ce sens, nous ne pouvons qu’espérer qu’un nombre

croissant de chercheurs se penchent avec toute l’attention

méritée sur les travaux de Thomas De Koninck. Ceux qui s’y

aventureront découvriront une œuvre particulièrement fine,

nuancée, mûrie, nourrie par les références, soignée sur le plan

stylistique, et qui ne fait pas douter un seul instant par son

caractère lumineux et sa profondeur intrinsèque que son auteur

60 Louise MARCIL-LACOSTE, « Sens commun et philosophie québécoise : troisexemples », inPhilosophie au Québec, C. PANACCIO et P.-A. QUINTIN (dir.),Montréal/Paris-Tournai, Bellarmin/Desclée, 1976, p. 73-112. Pour une miseen contexte plus générale de la philosophie au Québec, voir, en plus destravaux déjà cités, Émile CHRÉTIEN, Le Québec philosophique, Montréal, McGraw-Hill, 1991.61 Leslie ARMOUR et Suzie JOHNSTON, « Logic, Community, and the Taming ofthe Absolute », Laval théologique et philosophique, vol. 51, no 3, 1995, notamment p.528. Voir par ailleurs Leslie ARMOUR, « Charles De Koninck, the CommonGood, and the Human Environment », Laval théologique et philosophique, vol. 43, no

1, février 1987, p. 67-80.

33

ait bel et bien pu inspirer dans sa jeunesse le personnage du

Petit Prince, ainsi que le suggère une rumeur savoureuse62.

62 Voir notamment Jean-François MATTÉI, « Thomas De Koninck oul’émerveillement de l’enfance », in La transcendance de l’homme. Études en hommage àThomas De Koninck, J.-F. MATTÉI et J.-M. NARBONNE (dir.), Québec, Les Pressesde l’Université Laval, 2012, p. 5.

34