Sur quelques particularités des pratiques de lecture attendues en début de formation universitaire

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1 Sur quelques particularités des pratiques de lecture attendues en début de formation universitaire Marielle Crahay CRIPEDIS – Université catholique de Louvain Publié dans Goigoux R. et Pollet M.-Chr. (dir.) (2011). Aspects didactiques de la lecture, de la maternelle à l’université. Namur : Presses universitaires de Namur, 225-244 « La compréhension du tout de l’énoncé et du rapport dialogique qu’il instaure est nécessairement dialogique (et c’est aussi le cas pour le chercheur dans les sciences humaines) ; celui qui fait acte de compréhension (et c’est le cas, aussi, du chercheur) devient lui-même participant du dialogue, quand bien même ce serait à un niveau particulier (qui dépend de l’orientation d’une compréhension ou d’une recherche). Analogie avec l’inclusion de l’expérimentateur dans un système expérimental (en tant que partie de ce système) ou de l’observateur inclus dans le monde observé en microphysique (théorie des quanta). L’observateur ne se situe nulle part hors du monde observé, et son observation fait partie intégrante de l’objet observé. » M. Bakhtine (1979/1984 : 336) I. Objet et cadre de la recherche Cet article se propose d'approcher les pratiques de lecture attendues de la part d'étudiants entrant à l'université, à partir d'une activité d'évaluation de lecture déployée dans le cadre d'un cours spécifiquement dédié à l'enseignement-apprentissage des littéracies universitaires 1 . L'objectif assigné à cette recherche est ainsi de saisir, au sein d'un dispositif de formation particulier, quelques-unes des spécificités propres aux lectures réalisées en début de formation universitaire. Quelles sont ces spécificités ? À quoi tiennent-elles ? En quoi sont-elles révélatrices de manières de lire et d'écrire attendues de la part des étudiants entrant à l’université ? La prise en considération de ces questions revêt un aspect singulièrement important lorsque, comme c’est le cas en Belgique francophone, des cours intégrés aux programmes d’études se proposent de prendre en charge une acculturation aux discours scientifiques. Dans ce cadre, la connaissance des normes et des usages qui sous-tendent les pratiques discursives de formation scientifique apparait comme un préalable à la formulation de compétences s’y rapportant. Pour envisager les questions décrites, deux postulats sont avancés. Selon le premier, les activités de lecture soumises aux étudiants s'actualisent à partir d’un ensemble précis de genres du discours 2 , qui seront décrits plus précisément par la suite. Étroitement articulés entre eux au sein de relations et d’interactions complexes (Reuter, 1995), ces genres du discours instituent des pratiques de lecture et d’écriture spécifiques. La mise au jour de la spécificité de ces pratiques conduit à la formulation d’un second postulat, celui d'une communauté discursive scientifique de type pédagogique. Cette communauté discursive (Bernié, 2002) est définie à la fois par ses outils sémiotiques, c’est-à-dire les genres du discours qu’elle utilise (Schneuwly, 1998), et par ses manières de penser, de parler et d'agir avec du discours, au sein de discours. Ces manières de penser, de parler et d’agir éclairent par ailleurs l’espace des normes 3 (Rastier, 2007) des discours 1 Analyse et pratique du discours universitaire, FLTR 1540, M. Crahay, S. Marlair & Fr. Thyrion (coord.). 2 Genre du discours scientifique spécialisé (DSS), genres du discours scientifiques pédagogiques d’enseignement et d’apprentissage (respectivement DSPE et DSPA) – voir infra. 3 L'espace de normes peut être comparé à un système de règles ; il régit, au sein d’un genre donné du discours, les manières d'être et d'agir avec et au sein de celui-ci. L'espace des normes est étroitement articulé à la finalité du genre du discours considéré et à la communauté discursive qui y est attachée.

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Sur quelques particularités des pratiques de lecture attendues en début de formation universitaire Marielle Crahay

CRIPEDIS – Université catholique de Louvain

Publié dans Goigoux R. et Pollet M.-Chr. (dir.) (2011). Aspects didactiques de la lecture, de la maternelle à l’université. Namur : Presses universitaires de Namur, 225-244

« La compréhension du tout de l’énoncé et du rapport dialogique qu’il instaure est nécessairement dialogique (et c’est aussi le cas pour le chercheur dans les sciences humaines) ; celui qui fait acte de compréhension (et c’est le cas, aussi, du chercheur) devient lui-même participant du dialogue, quand bien même ce serait à un niveau particulier (qui dépend de l’orientation d’une compréhension ou d’une recherche). Analogie avec l’inclusion de l’expérimentateur dans un système expérimental (en tant que partie de ce système) ou de l’observateur inclus dans le monde observé en microphysique (théorie des quanta). L’observateur ne se situe nulle part hors du monde observé, et son observation fait partie intégrante de l’objet observé. »

M. Bakhtine (1979/1984 : 336) I. Objet et cadre de la recherche Cet article se propose d'approcher les pratiques de lecture attendues de la part d'étudiants entrant à l'université, à partir d'une activité d'évaluation de lecture déployée dans le cadre d'un cours spécifiquement dédié à l'enseignement-apprentissage des littéracies universitaires1. L'objectif assigné à cette recherche est ainsi de saisir, au sein d'un dispositif de formation particulier, quelques-unes des spécificités propres aux lectures réalisées en début de formation universitaire. Quelles sont ces spécificités ? À quoi tiennent-elles ? En quoi sont-elles révélatrices de manières de lire et d'écrire attendues de la part des étudiants entrant à l’université ? La prise en considération de ces questions revêt un aspect singulièrement important lorsque, comme c’est le cas en Belgique francophone, des cours intégrés aux programmes d’études se proposent de prendre en charge une acculturation aux discours scientifiques. Dans ce cadre, la connaissance des normes et des usages qui sous-tendent les pratiques discursives de formation scientifique apparait comme un préalable à la formulation de compétences s’y rapportant. Pour envisager les questions décrites, deux postulats sont avancés. Selon le premier, les activités de lecture soumises aux étudiants s'actualisent à partir d’un ensemble précis de genres du discours2, qui seront décrits plus précisément par la suite. Étroitement articulés entre eux au sein de relations et d’interactions complexes (Reuter, 1995), ces genres du discours instituent des pratiques de lecture et d’écriture spécifiques. La mise au jour de la spécificité de ces pratiques conduit à la formulation d’un second postulat, celui d'une communauté discursive scientifique de type pédagogique. Cette communauté discursive (Bernié, 2002) est définie à la fois par ses outils sémiotiques, c’est-à-dire les genres du discours qu’elle utilise (Schneuwly, 1998), et par ses manières de penser, de parler et d'agir avec du discours, au sein de discours. Ces manières de penser, de parler et d’agir éclairent par ailleurs l’espace des normes3 (Rastier, 2007) des discours !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!1 Analyse et pratique du discours universitaire, FLTR 1540, M. Crahay, S. Marlair & Fr. Thyrion (coord.). 2 Genre du discours scientifique spécialisé (DSS), genres du discours scientifiques pédagogiques d’enseignement et d’apprentissage (respectivement DSPE et DSPA) – voir infra. 3 L'espace de normes peut être comparé à un système de règles ; il régit, au sein d’un genre donné du discours, les manières d'être et d'agir avec et au sein de celui-ci. L'espace des normes est étroitement articulé à la finalité du genre du discours considéré et à la communauté discursive qui y est attachée.

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scientifiques d’apprentissage. Ce sont ces normes, ces manières de lire définies par l’interaction d’outils sémiotiques spécifiques, que cette étude vise à approcher, via l’observation particulière des pratiques de lectures attendues au sein du cours d'Analyse et pratique du discours universitaire (FLTR 1540). II. Contexte de l’observation 2.1. Une formation aux discours scientifiques en début de parcours universitaire En Belgique francophone, certaines universités, comme l’Université libre de Bruxelles (ULB) ou l’Université catholique de Louvain (UCL), proposent dans leur programme d’études des formations visant à initier les étudiants au fonctionnement des discours académiques4 - une telle acculturation aux discours scientifiques n’est évidemment pas étrangère à l’essor de la didactique du français dans l’enseignement supérieur, dans le courant des années quatre-vingt-dix. Ces formations, proposées principalement au sein des Facultés de lettres5, visent ainsi à développer auprès des étudiants des pratiques de lecture et d’écriture adaptées aux discours scientifiques circulant dans le premier cycle de formation universitaire6. C’est dans ce contexte que le cours d’Analyse et pratique du discours universitaire (FLTR 1540), intitulé jusqu’en 2008 Pratiques du français à l’université, a été mis en place par la Faculté de philosophie et lettres7, dans le cadre de la réforme du premier cycle universitaire opérée à l’UCL en 20028. Obligatoire, ce cours est organisé au sein d’un quadrimestre commun et est suivi par une majorité des étudiants de Bac 1 (le nombre d’inscrits oscille entre 350 et 450). En 2009-2010, les étudiants qui ont suivi cette formation étaient issus de huit orientations disciplinaires de la Faculté9. Structurellement, la formation est dotée de 5 ECTS10 correspondant, en plus du travail à fournir par les étudiants pour atteindre les objectifs assignés à la formation, à 15 heures de cours théorique en grand auditoire et à 15 heures de travaux pratiques organisés en groupes d’une vingtaine d’étudiants, tous les quinze jours. En 2009-2010, une équipe pédagogique composée de

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!4 Ces initiatives prennent également d’autres formes dans l’enseignement supérieur non universitaire. Pour une synthèse des dispositifs d’accompagnement pédagogiques proposés aux étudiants de première année d’enseignement supérieur en Belgique francophone, voir Salmon et alii, 2004. 5 Mais pas exclusivement : par exemple à l’UCL, depuis peu, une formation au discours universitaire est également proposée de manière facultative aux étudiants de la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO). 6 Cycle de deux ans d’études, correspondant à la formation de bachelier ; la première année d’université en Belgique est ainsi plus couramment désignée sous l’appellation de « Bac 1 ». 7 Dénommée, depuis la rentrée académique 2009-2010, Faculté de philosophie, arts et lettres. 8 La création de ce cours doit beaucoup à la Professeure Francine Thyrion qui s’est attachée, tout au long de sa carrière académique, à mettre en place des lieux de formation dans lesquels les étudiants pouvaient s’exercer aux pratiques discursives exigées aux différents niveaux de leur formation. 9 Histoire, Histoire de l’art et Archéologie, Langues et littératures françaises et romanes, Langues et Littératures modernes et anciennes, Langues et littératures modernes, Langues et littératures anciennes (orientation classiques), Langues et littératures anciennes (orientation orientales), Philosophie. 10Acronyme pour « European Credit Transfer and Accumulation System » ou système de crédits capitalisables et transférables. Les ECTS ont été mis en place dans le cadre du processus de Bologne, notamment afin de faciliter l’internationalisation des études supérieures en Europe par leur organisation commune. Un ECTS correspond à 24 à 30 heures de travail étudiant.

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cinq personnes, dont l’auteure de cet article, a assuré l’encadrement de cette formation, sous la coordination de la Professeure Fr. Thyrion. 2.2. Des pratiques de lecture et d’écriture déployées à partir de trois genres du discours Afin d’entrainer les pratiques de lecture et d’écriture des étudiants, la formation Analyse et pratique du discours universitaire (FLTR 1540), qui s’ancre dans l’analyse du discours, se fonde sur l’identification de trois genres du discours scientifique. Ces trois genres rendent compte de pratiques sociales spécifiques au sein de la sphère scientifique, qu’ils contribuent par ailleurs à instituer (Charaudeau & Maingueneau, 2002 ; Maingueneau, 2004). Le premier de ces genres, le discours scientifique spécialisé (DSS), rend compte du « discours produit dans le cadre de l’activité de recherche à des fins de construction et de diffusion du savoir » (Rinck, 2010 : 428). Bien que ce discours relève a priori d’une communauté de spécialistes, il circule également dans les espaces de formation scientifique11, comme en témoignent les lectures que doivent effectuer les étudiants dans les formations disciplinaires de leur programme dès la première année de Bac 1 à l’UCL. Au sein du cours FLTR 1540, le discours scientifique spécialisé (DSS) fait ainsi l’objet d’un enseignement centré sur les stratégies de lecture à acquérir pour mieux saisir à la fois le sens et l’orientation globale du raisonnement formulé, et le positionnement énonciatif à partir duquel ce raisonnement se construit. Les deux autres genres du discours travaillés au sein du cours FLTR 1540 cherchent à rendre compte de la dynamique interactionnelle constitutive des situations de formation au savoir scientifique. Ainsi, le genre du discours scientifique pédagogique d’enseignement (DSPE) cherche à faire connaitre de telle manière que celui qui cherche à connaitre (l’étudiant) puisse, dans l’acte de lecture ou d’écoute, connaitre effectivement. Le genre du discours scientifique pédagogique d’apprentissage (DSPA) constitue en quelque sorte une réponse (asymétrique) au discours pédagogique d’enseignement reçu — dans le sens où le discours d’apprentissage cherche à communiquer la connaissance apprise pour la légitimer et la crédibiliser, afin de la valider (M. Crahay & S. Marlair, 2008 ; voir aussi les travaux de Beacco et Moirand, 1995, et ceux de Delamotte-Legrand , 2002). Le contexte de la situation d’examen écrit qui sera étudiée dans la suite du propos rend bien compte de cette interaction sociale à l’œuvre dans l’activité d’évaluation : la question d’examen énoncée par l’enseignant constitue ainsi le DSPE, qui trouvera sa justification dans la réponse qui lui sera apportée par l’étudiant dans le DSPA. L’interaction constitutive des discours scientifiques pédagogiques d’enseignement-apprentissage peut aussi couvrir un contexte plus large que celui de la situation d’examen et articuler, par exemple, différentes temporalités d’une situation de formation12. Néanmoins, l’identification de ces deux genres du discours, étroitement imbriqués entre eux au sein d’une relation d’enseignement–apprentissage d’un savoir scientifique, est, à ce stade, plus fonctionnelle que théoriquement fondée. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!11 Sur la perméabilité des genres du discours scientifique, voir également Rinck, 2010 : 429.!12 L’équipe pédagogique dont je relève anime par exemple - en Faculté de sciences économiques, sociales, politiques et de communication (ESPO) - une formation au discours universitaire qui repose sur une contextualisation plus large des discours scientifiques pédagogiques d’enseignement-apprentissage. Cette formation s’articule en effet autour d’un scénario déployé en quatre temps : « 1. Écouter un cours pour en garder la trace ; 2. Lire un cours pour se l’approprier ; 3. Lire une question pour y répondre ; 4. Répondre à une question/une consigne d’examen pour valider ses connaissances ». Ainsi que la dénomination de ces différents temps le souligne, les dimensions cognitives inhérentes aux apprentissages sont appréhendées à partir de leur inscription discursive. !

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Les fonctionnements et les interactions de ces trois genres du discours sont envisagés en lecture seule pour le discours scientifique spécialisé et, de façon relativement évidente, en lecture pour les discours scientifiques pédagogiques d’enseignement, et en écriture, pour les discours scientifiques pédagogiques d’apprentissage. 3. Éléments de méthodologie 3.1. Nature des données empiriques Les données empiriques convoquées pour approcher les pratiques de lecture attendues au sein du cours FLTR 1540 sont issues de l’examen de ce cours, qui s’est déroulé en janvier 2010, à l’issue du quadrimestre commun de cours que suivent les étudiants de première Bac en Faculté de philosophie, arts et lettres à l’UCL. Cet examen, entrainé par deux évaluations formatives (l’une en début de cours, l’autre à la mi-parcours de celui-ci), est composé de deux parties. La première a trait à la compréhension d’un discours scientifique spécialisé (DSS) ; cette compréhension est vérifiée au travers de plusieurs questions (DSPE), et ne peut être attestée que via la production de reformulations compréhensives du texte lu (DSPA). Les pratiques de lecture sont ainsi nécessairement évaluées via la production de discours, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes, comme la suite du propos le démontrera. La seconde partie de l’examen du cours FLTR1540 porte sur la reformulation (DSPA), à partir d’une question précise (DSPE), d’un discours extrait d’un manuel universitaire (DSPE). Ainsi, en janvier 2010, les étudiants avaient à répondre à la question de reformulation suivante :

À partir du texte de Ph. Breton [« Introduction » extraite de L’argumentation dans la communication, La Découverte, 2003, pp. 3-9], montrez en quoi l’argumentation s’oppose à d’autres moyens de convaincre et pourquoi. Soulignez ensuite la complexité de ces distinctions et l’autonomie de l’argumentation. Vous illustrerez votre propos d’exemples du texte chaque fois que nécessaire, dans les limites imposées (environ 250 mots).

Ces deux tâches de compréhension et de reformulation sont encadrées par des consignes qui correspondent, dans la logique du cours FLTR 1540, à des discours scientifiques pédagogiques d’enseignement, de type évaluatif (DSPE) ; de manière corollaire, les réponses formulées par les étudiants aux questions posées sont évaluées suivant les normes attendues pour un discours scientifique pédagogique d’apprentissage (DSPA), avec une marge d’appréciation plus souple pour l’évaluation de la première partie de l’examen, puisque celle-ci vise surtout à évaluer la compréhension d’un discours scientifique spécialisé (et non la production d’un discours scientifique pédagogique d’apprentissage). Trois cents vingt-sept étudiants sur trois cents soixante-dix officiellement inscrits en septembre 2009 ont présenté cette épreuve, d’une durée de quatre heures ; la moyenne générale obtenue pour le cours est de 11,71/20, la moyenne pour la partie « Compréhension d’un discours scientifique spécialisé » s’élève à 6,06/10, et celle pour la partie « Reformulation d’un discours scientifique pédagogique d’enseignement », à 5,65/10. Trois ensembles de données ont été confectionnés à partir de cette activité évaluative, en prenant uniquement en compte la tâche de compréhension (1ère partie de l’examen). Le premier ensemble de données comporte les quatre questions de la partie « Compréhension d’un discours scientifique spécialisé », accompagnées du corrigé formulé pour chacune de celles-ci par l’équipe pédagogique du cours. Ce premier ensemble comprend ainsi essentiellement des DSPE. Le deuxième « ensemble » est réduit à une seule donnée empirique, à savoir le discours scientifique spécialisé (DSS) qui outillait la tâche évaluative de « Compréhension d’un discours scientifique spécialisé » (R. Bouvet, « La lecture et ses troubles : analyse d’un conte fantastique », voir l’annexe

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1). Le troisième et dernier ensemble de données consiste en une collection de quatre-vingt-dix copies d’étudiants (DSPA) présentant chacune quatre réponses ; ces copies ont été sélectionnées sur la base de la seule note obtenue pour la partie « Compréhension d’un discours scientifique spécialisé », indépendamment donc de la note totale attribuée à la copie. Les données de ce dernier ensemble présentent ainsi une note comprise entre 5 et 6 sur 10, soit un peu moins d’un tiers des évaluations remplies (au nombre, pour rappel, de 327). Ce critère de sélection des copies a été motivé par la « construction de dysfonctionnements agis » par les pratiques évaluatives observées, en vue de l’analyse des données (cf. le point 3.2.) : dans la perspective décrite ci-après, les notes situées entre 5 et 6 sur 10 pourraient peut-être, parce qu’elles témoignent d’une acquisition en cours ou juste établie des pratiques de lectures entrainées, renseigner sur ces dysfonctionnements. Ce dernier ensemble a fait l’objet d’une lecture cursive, et non d’une analyse systématique ; à cet égard, la suite du propos formule des premières tendances qui devront être réfléchies et ajustées ultérieurement. 3.2. Construction de dysfonctionnements agis par les pratiques évaluatives « Un dysfonctionnement « à valeur didactique » est une partie ou la totalité d’un produit, situé dans (ou référé à) l’espace de l’enseignement et des apprentissages de contenus, jugé problématique (inadéquat/inadapté) en fonction de cadres de référence didactiques » (Reuter, 2005 : 215). Comme le précise Reuter dans la suite de son propos, cette définition implique « de distinguer le dysfonctionnement produit dans l’espace des pratiques didactiques, pris comme objet pré-constitué par le chercheur » et le dysfonctionnement que le chercheur « constitue lui-même, soit en observant le champ des pratiques, soit en y intervenant, soit en sollicitant des productions censées y référer ». Seul ce second type de dysfonctionnement est envisagé ici ; dans le cadre de cette recherche, il est par ailleurs considéré comme un effet agi13 par les pratiques évaluatives observées et reconstruit par l'analyse. Afin de dégager de l’observation des données empiriques un matériel suffisamment intéressant pour informer, de manière interprétative, l’objet de cette recherche, une analyse de la tâche évaluative « Compréhension d’un discours scientifique spécialisé » a en effet été menée, sur la base des deux premiers ensembles distingués au point 3.1. (i.e. questions posées par l’équipe du cours et discours donné en lecture). Uniquement centrée sur la tâche, cette analyse a permis de construire trois dysfonctionnements agis par les pratiques évaluatives14 :

Construction des dysfonctionnements agis dans les pratiques évaluatives du cours FLTR 1540

Comment les réponses des étudiants (ensemble de données empiriques n°3) gèrent-elles, dans leur reformulation compréhensive …

• Le conflit apparent entre le degré d’interprétation que semble demander la compréhension de la question et le degré d’interprétation, sensiblement plus fin, exigé par la compréhension du DSS et par ailleurs également requis par le corrigé de la question (Dysfonctionnement n°1)

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!13 Agi dans la mesure où le dysfonctionnement est lié à la mise en oeuvre, au fonctionnement même du dispositif de formation observé. 14 Dans le cadre de cet article, seuls trois dysfonctionnements seront analysés ; ils ont été choisis, parmi d’autres, en fonction d’un double critère : leur représentativité dans les données empiriques constituées par la collection construite à partir des copies étudiantes et l’éclairage qu’ils apportaient sur l’objet visé par cette recherche (voir infra).

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• Le point de vue interprétatif introduit par les questions posées, qui exige une nouvelle construction interprétative du DSS (Dysfonctionnement n°2)

• Les pratiques de lecture suggérées par la formulation de la question pour reformuler la compréhension attendue du DSS (Dysfonctionnement n°3)

À la suite de Reuter (2005), les dysfonctionnements construits ci-dessus sont envisagés comme des effets liés à la mise en œuvre du dispositif d’évaluation observé ; appréhendés et reconstruits par la recherche, ces dysfonctionnement renseignent aussi sur le fonctionnement implicite des pratiques de lecture attendues au sein du cours FLTR1540 (dont témoignent, sous une autre forme, les difficultés rencontrées par les étudiants). Les dysfonctionnements construits par cette recherche sont ainsi chargés d’une double valeur : descriptive, d’abord, au sens où ils permettent d’identifier de manière plus précise les spécificités de pratiques de lectures attachées à un dispositif de formation particulier ; heuristique, ensuite, parce que ces dysfonctionnements éclairent la complexité du fonctionnement des pratiques de lecture exigées en début de formation universitaire. D’un point de vue méthodologique, l’objet visé par cette recherche est ainsi abordé par différentes entrées : données empiriques construites dans un dispositif de formation ; dysfonctionnements agis dans les pratiques évaluatives observées et reconstruits par l’analyse ; et étayage interprétatif des relations entretenues par ces différentes données pré- ou reconstruites. Si la description des pratiques de lecture attendues est spécifique au dispositif observé et circonscrite à lui seul, tout comme l’analyse qui en sera proposée, cette première approche de la question semble autoriser, dans un second temps, un questionnement plus large sur le fonctionnement des pratiques de lecture à l’œuvre dans les espaces de formation universitaire. IV. Analyse et premières interprétations 4.1. Des pratiques de lecture situées et distribuées Les pratiques de lecture évaluées dans le cadre du cours FLTR 1540 reposent sur des genres du discours différenciés qui impliquent des contextes d’interprétation et de production également distincts. Ainsi, la réponse à apporter à chacune des quatre questions posées dans la partie « Compréhension d’un discours scientifique » relève d’une situation propre aux genres scientifiques pédagogiques d’enseignement et d’apprentissage, abordée sous un double pôle, interprétatif (la lecture de la question, envisagée comme un DSPE) et productif (l’écriture de la réponse, contraintes par les normes discursives d’un DSPA), alors que la lecture et l’utilisation de l’outil sémiotique impliqué par l’activité évaluative (l’extrait de l’article de R. Bouvet) génère un contexte d’interprétation et de reformulation propre au discours scientifique spécialisé (DSS). L’identification des différents genres du discours en présence met en évidence le caractère éminemment situé et distribué des pratiques de lecture attendues dans la tâche d’évaluation observée. L’analyse du dysfonctionnement n°1, menée à partir de la première question de l’examen, révèle ce phénomène complexe.

Rappel du dysfonctionnement n°1 : « Comment les réponses des étudiants gèrent-elles le conflit apparent entre le degré d’interprétation que semble demander la compréhension de la question et le degré d’interprétation, sensiblement plus fin, exigé par la compréhension du DSS et par ailleurs également requis par le corrigé de la question ? »

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Question n°1 de l’examen FLTR 1540 : « Quelle est la principale raison qui rend insuffisantes, aux yeux de Rachel Bouvet, les approchées de Todorov, Lovecraft ou encore Caillois, et comment cela s’explique-t-il selon elle ? »

Exemple de réponse apportée à cette question 15: « Les approches de ces trois auteurs pour définir le genre du récit fantastique mettent seulement en exergue le caractère singulier du récit procurant au lecteur des sentiments d’hésitation, de trouble, de peur… Cependant, ils en oublient de définir les aspects essentiels du récit, ce qui provoque ces différents sentiments chez le lecteur, par exemple le suspense, qui procure l’effet fantastique. Cet aspect n’est propre qu’au lecteur et non aux spécialistes du sujet, dont l’objectif est la définition du genre. » (0/2)

Corrigé de la question rédigé par l’équipe enseignante : « Selon Rachel Bouvet, les approches formulées par Todorov, Lovecraft et Caillois négligent, au sein des effets de lecture qu’ils envisagent pour le récit fantastique, l’effet de suspense, qui est pourtant l’une des composantes essentielles de la lecture de ce genre de récit (1pt). Cette négligence provient essentiellement du fait que ces approches s’attachent surtout à définir le genre du récit, plutôt que d’approfondir la lecture que celui-ci implique (1 pt). »

Comme le souligne la comparaison entre le corrigé apporté à la réponse par l’équipe enseignante et la réponse formulée par un étudiant, deux pratiques de lecture entrent ici en concurrence : la première, située dans un contexte de formation, peut légitimement faire penser que l’opposition établie entre « lecture ou effets de lecture » et « typologie ou genre de récit » suffit pour répondre à la question posée. Or le contexte propre au DSS, réactivé par ailleurs dans le corrigé de la réponse, ne peut se satisfaire de cette réponse qui va à l’encontre d’une distinction fine entre effets de lecture du récit fantastique envisagés par les auteurs évoqués et manque de considération de certains de ces effets de lecture, comme le suspense, par centration sur une typologie des genres (au détriment du parcours de lecture que le récit fantastique implique – cf. à cet égard l’annexe 1). La copie est ainsi évaluée sur la base d’une pratique de lecture implicitement normée par l’utilisation d’un outil sémiotique de type DSS. 4.2. Une compréhension interprétative On vient de le voir, les pratiques de lecture demandées par la tâche évaluative sont spécifiées par un double ancrage situationnel et discursif, et distribuées au sein des contextes activés par les outils sémiotiques en présence (DSPE, DSS, DSPA). Cette spécificité des pratiques de lecture a également une incidence sur la reformulation compréhensive attendue, comme le mettent en évidence les exemples suivants qui illustrent le dysfonctionnement n°2 :

Rappel du dysfonctionnement n°2 : « Comment les réponses des étudiants gèrent-elles le point de vue interprétatif introduit par les questions posées, qui exige une nouvelle construction interprétative du DSS ? ».

Question n°2 : « Quels sont les arguments avancés par Rachel Bouvet au début de son texte pour montrer que la lecture a un rôle spécifiquement important dans le cas du récit fantastique ? Par ailleurs, pourquoi ces arguments ne valent-ils pas pour l’activité du spectateur d’un film fantastique ? »

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!15 L’ensemble des exemples renseignés dans les pages qui suivent reprennent telles quelles les réponses apportées par les étudiants.

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Premier exemple de réponse apportée à cette question : « La lecture a un rôle spécifiquement important pour le récit fantastique car lors de son déroulement, le lecteur ressent un trouble, des sensations de peur et d’angoisse mais aussi une fascination pour le récit et c’est ce qui rend le genre fantastique particulier. Or lors de projection de films fantastique, le spectateur ne ressent plus tout cela, il ne ressent plus qu’un sentiment d’attente angoissé car c’est la lecture qui fait naitre le trouble, l’angoisse, … et non la vision d’un film. » (0,5/2)

Second exemple de réponse apportée à cette question : « Si la lecture a un rôle spécifiquement important dans le cas du récit fantastique, c’est parce que la lecture permet une approche différente du suspens. Le lecteur aura, à la rencontre du suspens, une tendance à progresser de plus en plus vite dans le récit, ceci afin de se défaire de son angoisse le plus rapidement possible. Cette accélération du rythme du récit est spécifique à la lecture, puisqu’un spectateur de film fantastique, n’aura lui, aucun contrôle sur la vitesse de défillement des actions.» (1/2)

Corrigé de la question rédigé par l’équipe enseignante : « Selon l’auteure, le récit fantastique engendre chez son lecteur plusieurs effets remarquables, comme le trouble, l’angoisse, la peur, voire même une certaine fascination (1 pt). Ces réactions ressenties par le lecteur d’un récit fantastique ne conduisent pas aux mêmes attitudes que celles déployées par un spectateur d’un film fantastique : le lecteur d’un récit fantastique peut en effet, contrairement au spectateur, changer son rythme de lecture (1 pt), par exemple en l’accélérant pour atténuer l’angoisse ressentie, voire en interrompant sa lecture. » Le dysfonctionnement pointé ici trouve son origine dans le point de vue interprétatif supporté par la question posée, qui exige, en plus de la compréhension du DSS, une nouvelle construction interprétative de celui-ci, orientée par le contexte de l’activité évaluative. Dans le DSS, les deux passages textuels pointés par la question ne sont en effet pas directement reliés entre eux (d’où la précision apportée par la question pour répondre à sa première partie : au début de son texte) et ils concernent par ailleurs des temporalités distinctes de l’orientation prise par la raisonnement (temps 1 : cadrage générique sur les effets spécifiques de lecture induits par le récit scientifique pour tous les spécialistes du genre ; temps 2 : cadrage spécifique sur l’effet du suspense appuyé par l’auteur en tant que caractéristique importante de la lecture d’un récit fantastique). La re-construction interprétative demandée par la question a de fortes implications en production et en réception. En production, cette reconstruction a des répercussions sur la référenciation16 du propos puisque celle-ci doit articuler, au sein d’une nouvelle progression de l’information, la compréhension du DSS (l’article de Bouvet) et celle du DSPE (la question posée). Le corrigé gère cette difficulté en secondarisant le propos formulé dans le contexte du discours scientifique pédagogique d’enseignement et d’apprentissage, par l’introduction de nominalisations (réactions/attitudes) fondées sur une identification fine du réseau notionnel qui structure la réponse attendue ; cette opération complexe, qui témoigne plutôt d’un savoir expert propre à une communauté scientifique spécialisée17, permet d’éviter le contresens de l’exemple 1. Le dysfonctionnement présenté par cet exemple illustre néanmoins, tout comme l’exemple 2, les effets engendrés par la reconstruction interprétative sur l’interprétation du DSS : cette reconstruction interfère vraisemblablement aussi avec l’interprétation du DSS qui doit être

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!16 Dans la perspective du cours FLTR 1540, la référenciation désigne le mode de construction du référent dans le discours (voir également Rabatel, 2007); la référenciation relève, pour l’essentiel, de phénomènes sémantiques. Cette dimension constitutive de tout discours est articulée à l’énonciation, qui l’englobe. 17 A fortiori, quand la réponse est fournie par celui qui a posé la question, pour qui les attentes implicites n’ont naturellement aucun mystère.

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menée par les étudiants, comme le laisse supposer, dans la réponse n°2, la réorganisation du propos autour des thèmes génériques de la lecture et du suspense. 4.3. Des pratiques de lecture et d’écriture en interaction Comme les observations précédentes l’ont montré, l’activité d’évaluation analysée repose sur des pratiques de lecture et d’écriture étroitement articulées entre elles. Leurs interactions produisent des effets sur la compréhension des différents genres du discours en présence ainsi que sur les reformulations interprétatives à produire (cf. supra) ; les pratiques de lecture et d’écriture impliquées par la tâche évaluative interagissent aussi directement l’une sur l’autre. Ce phénomène est particulièrement visible dans le dysfonctionnement n°2. Celui-ci permet ainsi d’examiner les effets des stratégies de lecture tacitement recommandées pour interpréter le DSS dans les questions 3 et 4 : les stratégies de lecture suggérées facilitent-elle la production de la reformulation compréhensive attendue ?

Rappel du dysfonctionnement n°3 : « Comment les réponses des étudiants gèrent-elles les stratégies de lecture suggérées par la formulation de la question pour reformuler la compréhension attendue du DSS ? ».

Question n°3 : « Dans le passage compris entre « Quel rapport peut-on établir entre suspense et effet fantastique » (p. 42, lignes 21-22) jusqu’à « La tension mise en jeu par le suspense n’est pas uniquement d’ordre affectif » (p. 43, ligne 19), l’auteure distingue l’effet de suspense de l’effet fantastique. Qu’est-ce qui distingue ces deux effets l’un de l’autre sur le plan de leurs répercussions affectives chez le lecteur et comment s’articulent-ils ? »

Exemple de réponse apportée par un étudiant à la question 3 : « L’auteure distingue, dans son texte, l’effet de suspense de l’effet fantastique tout en les liant. Pour elle, l’effet de suspense provoque l’angoisse et le fantastique la peur. Ces deux effets vont avoir des répercussions chez le lecteur et vont par la suite s’articuler. En effet, lors de la lecture, le lecteur va accélérer son rythme de lecture face au suspense. Donc, il existe bien une relation entre l’accélération du rythme de lecture et la réaction qui suit la peur, c’est-à-dire la fuite. Cette relation voudrait donc dire que l’effet de suspense accentuerait l’effet fantastique. » (3/3)

Corrigé de la question n°3 rédigé par l’équipe enseignante : « Ces deux effets affectent différemment le lecteur d’un récit fantastique : l’effet de suspense « provoque l’angoisse », qui conduit à une accélération du rythme de la lecture (1 pt) ; l’effet fantastique, lui, est davantage associé à la peur, à la fuite en avant (1 pt). Ces deux effets sont néanmoins liés : l’angoisse ressentie augmente la peur engendrée, l’accélération du rythme du lecture accentue le sentiment de fuite (1 pt). Dans la perspective décrite, l’effet de suspense renforcerait l’effet fantastique (bonus).»

Question n°4 : « Après avoir mis en évidence la dimension d’ordre affectif du suspense, qui est liée à la peur générée par la lecture d’un récit fantastique, Rachel Bouvet s’attache à souligner une seconde dimension du suspense, d’une autre nature. Quelle est cette seconde dimension du suspense, en quoi consiste-t-elle et comment s’articule-t-elle à l’effet fantastique étudié? »

Exemple de réponse apportée à la question 4 par le même étudiant : « L’auteure souligne que le suspense n’est pas que d’ordre affectif. En effet, elle explique que si il y a du suspense, c’est que l’on ne connait pas tout et cela plonge le lecteur dans une attente à la compréhension. Dans un récit fantastique, l’élément étrange ne se trouve jamais tout de suite. C’est durant tout le déroulement que des indices sur cet élément sont donnés ce qui accroit de plus en plus l’attente du lecteur. » (1/3)

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Corrigé de la question n°4 rédigé par l’équipe enseignante : « À la dimension affective du suspense, qui plonge le lecteur dans un « sentiment d’attente angoissée », est étroitement associée une dimension de nature plus cognitive (1 pt) : à la lecture d’un récit fantastique, le lecteur éprouve en effet également une certaine « attente », générée par les indices annonciateurs de l’évènement fantastique collectés au fil de sa lecture du récit ; cette attente suscite une recherche de compréhension de la part du lecteur (1pt). Cette composante cognitive du suspense est ainsi intimement liée à l’effet fantastique puisque ce dernier réside précisément dans l’étrange, dans ce qui échappe à la compréhension et qui implique donc celle-ci. (1 pt). » L’explicitation des pratiques de lecture à mettre en œuvre pour répondre à la question posée semble avoir une influence positive sur la production de la réponse n°3 (premier cas de figure), mais non sur la production de la réponse n°4 (second cas de figure); ce double phénomène est particulièrement récurrent dans les quatre-vingt-dix copies consultées. Dans le premier cas, la stratégie de lecture est calquée sur la logique argumentative développée dans le DSS ; cette congruence de la stratégie de lecture avec le discours sur lequel elle porte pourrait expliquer l’interaction favorable de la pratique de lecture sur la pratique d’écriture. Dans le second cas, les stratégies de lecture recommandées sont sans doute d’un niveau trop élevé. Elles se fondent, en effet, sur un repérage plus implicite du raisonnement construit dans le DSS (elles impliquent notamment l’identification d’une notion, celle de dimension cognitive, comme préalable à la saisie du raisonnement à appréhender). Ces secondes stratégies de lecture s’apparentent sans doute aussi à des manières d’agir propres à des communautés discursives davantage spécialisées. 5. L’espace des normes des discours d’apprentissage d’un savoir scientifique Les dysfonctionnements à valeur didactique (Reuter, 2005) construits par cette étude exploratoire éclairent certains aspects du fonctionnement des pratiques de lecture attendues en début de formation universitaire à partir du dispositif spécifique du cours Analyse et pratique du discours universitaire (FLTR 1540). Celles-ci reposent notamment sur l’articulation de différents genres du discours (discours scientifique spécialisé, discours scientifiques pédagogiques d’enseignement et d’apprentissage), qui activent des contextes d’interprétation et de production différenciés, mais néanmoins étroitement associés, comme en témoignent le caractère éminemment situé et distribué des pratiques de lectures attendues. Ces pratiques de lecture sont par ailleurs indissociablement liées aux reformulations écrites qui les attestent (DSPA). L’interprétation compréhensive posée sur les pratiques discursives étudiées autorise par ailleurs une première approche, certes encore timide, de l’espace des normes des discours scientifiques pédagogiques d’apprentissage (DSPA), c’est-à-dire des usages et des manières de faire, de penser et de parler institués par ce genre du discours, notamment au sein de ses interactions avec le discours scientifique pédagogique d’enseignement (DSPE). Ce sont les normes de ce discours scientifique pédagogique d’apprentissage qu’il s’agira de décrire davantage à l’avenir, afin de mettre au jour le fonctionnement des pratiques de lecture et d’écriture impliquées dans l’apprentissage des savoirs scientifiques en début de formation universitaire.

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