Sur le terme yóga , le verbe yuj - et quelques-uns de leurs dérivés dans les hymnes védiques

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BORIS OGUIBENINE LE VERBE SUR LE TERME YOGA, YUJ- ET QUELQUES-UNS DE LEURS DI~.RIVt~S DANS LES HYMNES Vt~DIQUES Cet essai est destin6 h reexaminer le sens du terme yoga et/t restituer/l ce termc sa place propre darts le syst~me de la pens~e v~dique spOculative et religieuse. Les pages qu'a consacr~es L. Renou h l'examen des occurences de ce mot dans le t~(g)V(eda) et l'A(tharva)V(eda) I restent d~terminantes et serviront de guide, mais il convient de pr~ciser qu'on peut essayer d'aller plus loin, notamment dans la recherche des motivations ultimes des acceptions du terme. On sait que v+d. yoga est un dOriv6 de la racine verbale yuj-"atteler, mettre sous le j oug; unir, j oindre, assembler, apparier, assortir; mettre en marche, mettre en activit6 qqch. (le char, la charrue, plus gOn~ralement, le vOhicule)"; ~ la voix moyenne, "s~atteler (au char), s'apprOter au combat" (sont cities les significations les plus fr~quentes dans les hymnes vOdiques, v. pour les d~tails H. Grassmann, WOrterbuch z. Rigveda, Sp. 1115). I1 est instructif de voir les modifications qu'a dti subir le sens initial "atteler", car c'est bien ~ partir de lui que semblent s'Otre dOvelopp~s tousles autres, et surtout de constater comment ces modifications ont servi la riche spOculation des auteurs vOdiques sur la parole. I1 n'est pas sans interOt 6galement que l'idOe m~me d'attelage ne soit pas immotivOe au sein de cette spOcu- lation, mais qu'elle y regoive sa justification. Bien qu'on note aisOment que les emplois du terme yoga et des dOriv~s de yu]- ne concernent pas, dans la plupart des cas, une expOrience personnelle (il est plutOt question de l'attelage du char des dieux surpris au moment du d~part ou bien de l'attelage des animaux de trait tels que l'fine ou le cheval), l'usage vOdique glisse vite vers la personne du porte officiant. Cet usage passe par l'Ovocation du sacrifice appr~hend~ dans un mouvement: on ~voquera ~ ce titre lesxOga d'Agni, ses attelages, c'est-h-dire ses dOplacements entre l'aire sacrificielle et le ciel (RV. : 2.8.1. v~]ayilnn ira nu rilth~n yOgd~ agn~r ~pa stuhi "Tel celui qui cherche (~ obtenir) un prix-de-victoire (et exalte par la louange) les chars (dans une course de compOtition), chante la louange des attelages d'Agni!"). Or le voyage d'un dieu lors du sacrifice est d'autant plus susceptible d'etre l'objet d'une louange et d'une exhortation du chantre, qu'on le compte parmi les acres liturgiques dirig+s, tendus, ordonnOs (Renou, p. 179), tout comme sont dirigOs et tendus la louange elle-mOme, le soma ou la cuiller sacrificielle offerts aux dieux et comme sont tendus le sacrifice et l'offrande (RV. 6. 11.5 agndv gtydmi srgtg ghrt&vatf suvr.kti 0 "est tendue Agni la curlier oblatoire, remplie de beurre ainsi que (l'hymne) bien composO"; RV. 7.54.5 es~ stOmo varu.na mitra tf~bhyam sOma h... ngt vffygtve 'yffrni "Cette lndo-Iranian Journal 27 (1984) 85-101. 0019-7246/84/0272-0085 $01.70. 1984 by D. Reidel Publishing Company.

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BORIS OGUIBENINE

LE V E R B E

S U R LE T E R M E Y O G A ,

Y U J - ET Q U E L Q U E S - U N S DE L E U R S DI~.RIVt~S

D A N S L E S H Y M N E S V t ~ D I Q U E S

Cet essai est destin6 h reexaminer le sens du terme yoga et / t rest i tuer/ l ce termc sa place propre darts le syst~me de la pens~e v~dique spOculative et religieuse. Les pages qu 'a consacr~es L. Renou h l 'examen des occurences de ce mot dans le t~(g)V(eda) et l 'A( tharva)V(eda) I restent d~terminantes et serviront de guide, mais il convient de pr~ciser qu 'on peut essayer d'aller plus loin, notamment dans la recherche des motivations ultimes des acceptions du terme.

On sait que v+d. yoga est un dOriv6 de la racine verbale yuj-"atteler, mettre sous le j oug; unir, j oindre, assembler, apparier, assortir; met t re en marche, mettre en

activit6 qqch. (le char, la charrue, plus gOn~ralement, le vOhicule)"; ~ la voix

moyenne, "s~atteler (au char), s'apprOter au combat" (sont ci t ies les significations les plus fr~quentes dans les hymnes vOdiques, v. pour les d~tails H. Grassmann,

WOrterbuch z. Rigveda, Sp. 1115). I1 est instructif de voir les modifications qu'a dti subir le sens initial "at te ler" , car c 'est bien ~ partir de lui que semblent s'Otre dOvelopp~s tous les autres, et surtout de constater comment ces modifications ont

servi la riche spOculation des auteurs vOdiques sur la parole. I1 n 'est pas sans interOt 6galement que l'idOe m~me d'attelage ne soit pas immotivOe au sein de cette spOcu- lation, mais qu'elle y regoive sa justification.

Bien qu 'on note aisOment que les emplois du terme yoga et des dOriv~s de yu]- ne concernent pas, dans la plupart des cas, une expOrience personnelle (il est plutOt question de l 'attelage du char des dieux surpris au moment du d~part

ou bien de l 'attelage des animaux de trait tels que l'fine ou le cheval), l 'usage vOdique glisse vite vers la personne du por te officiant. Cet usage passe par l'Ovocation du sacrifice appr~hend~ dans un mouvement: on ~voquera ~ ce titre lesxOga d'Agni,

ses attelages, c'est-h-dire ses dOplacements entre l 'aire sacrificielle et le ciel (RV. : 2 .8 .1 . v~]ayilnn ira nu rilth~n yOgd~ agn~r ~pa stuhi "Tel celui qui cherche (~ obtenir) un prix-de-victoire (et exalte par la louange) les chars (dans une course

de compOtition), chante la louange des attelages d 'Agni!") . Or le voyage d 'un dieu lors du sacrifice est d 'autant plus susceptible d 'etre l 'objet d 'une louange et d 'une exhortat ion du chantre, qu 'on le compte parmi les acres liturgiques dirig+s, tendus,

ordonnOs (Renou, p. 179), tout comme sont dirigOs et tendus la louange elle-mOme, le soma ou la cuiller sacrificielle offerts aux dieux et comme sont tendus le sacrifice et l 'offrande (RV. 6. 11.5 agndv gtydmi srgtg ghrt&vatf suvr.kti 0 "est tendue Agni la curlier oblatoire, remplie de beurre ainsi que ( l 'hymne) bien composO"; RV. 7 . 5 4 . 5 es~ stOmo varu.na mitra tf~bhyam sOma h . . . ngt vffygtve 'yffrni "Cette

lndo-Iranian Journal 27 (1984) 85-101. 0019-7246/84/0272-0085 $01.70. �9 1984 by D. Reidel Publishing Company.

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louange, 6 Varuna, 6 Mitra, comme le soma h V~yu, t'est tendue"; RV 10. 130.1. y6 yajfi6.. , t[mtubhis tat~ "Ce sacrifice est tendu par les fils"). On en vient ensuite h l'id6e de la pens~e dirig~e et tendue, pens6e qui est elle m6me une

offrande et un sacrifice, et qui est aussi attel6e: ainsi les pens~es des po6tes officiants sont ilkvayogdh. "attel6es par les chevaux" (RV. 1. 186.6 a . . . fndrah.., na ihd gamydh, et 1 .186.7. utd na Tm matdyd '~vayogd.h gigum nd gavas tdrun, am rihanti "Que vienne vers nous ici-m~me Indra" et "nos pens~es po6tiques attel6es par les chevaux l~chent (Indra) comme les vaches leur petit nouvellement n6"). On en vient enfin h concevoir l'attelage mental, la pri~re attel6e: RV. 5 .81 .1

yuajdte mdna utdyu~jate dhfyo viprd "les po6tes inspires attellent leur esprit, attellent leurs pens6es po6tiques"; RV. 7 .27 .1 fndram ndro nemddhitd havante ydt parydyund/ate dhiyas tah. "les hommes (les guerriers) invoquent Indra lors d'un combat (qui les oppose aux adversaires), pour qu'il attelle les pens6es po~tiques puissantes", etc. (outre les observations de Renou dans l'article cit6, v. ses Et. v~d. et pdn. XV, p. 47). Renou concluait que "atteler son esprit ou sa pensbe" revient h les "diriger", h les "maintenir", c'est-h-dire h leur imprimer h la fois l'61an et la discipline", c'est, dit-il aussi, "le sens des expressions nombreuses en mdnoyuj, brahmayti] et analogues, qui condensent le secret de l'inspiration "dirig6e" propre au porte du Veda" (art. cit6 pp. 177-178). Mais il semble possible d'envisager une interpr6tation quelque peu diff6rente et s'appuyant sur les 61~ments de l'6difice de la pens6e v6dique que la conclusion de Renou n'61imine pas d'embl6e.

Pourquoi les hymnes v6dique ont-ils recours h l'id6e d'attelage de la pens6e

et de l'inspiration? On peut d6celer les origines de ces images et ne pas les accepter que comme un fruit de l'imagination po6tique dont l'arbitraire seul choisit telle ou telle comparaison. Le succ~s du sacrifice, dit RV. 1 .18.7 , d~pend du concours d'un dieu, Sadasaspati, "maitre du si~ge (rituel)" qui est, selon toute vraisemblance, le double de Brahmanaspati ou Brhaspati, "maitre du brahman, de la pri~re formul6e", parce qu'il favorise l'attelage des pens6es po6tiques (y:tsmdd rtk ndsidhyatiyaj~d vipakcftak cand sd dh mdm ydgam invati "Lui, sans qui le sacrifice ne s'accomplit pas, m6me s'il est fait par un homme 6clair6; il favorise l'attelage des pens6es po6tiques"). Comme le sacrifice, le discours po6tique et la parole sont fr6quem- ment compar6s et m6me identifi6s au char attel6; les hymnes exploitent abondam-

ment les images cr~6es autour de l'attelage; "si l'on nous parle d'attelage . . . . c'est souvent du discours qu'il est question".2 Soit, mais encore une fois, pourquoi reprend-on constamment la comparaison de l'attelage et du discours? Pourquoi compare-t-on le po~me faqonn6 et le char fabriqu~? a (A noter que hombre d'6tudes parmi celles qu'on vient de signaler omettent la r6f6rence ~ RV. 10. 39.14 etdm. yam st6mam aYvindv akarmdtak.sdma bh(gavo nd rdtham "Nous avons fabriqu6 pour vous ce chant de louange, 6 A~vin, nous l'avons charpent6 comme les Bhrgu (ont charpent6) le char"). Pourquoi un hymne (RV. 2.31)

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exaltant le char du porte conclut-il par une 6vocation du po6me visiblement assimil~

au char? Les m6mes interrogations sont suscitbes en constatant que le char des

A~vin rempli de dons accumul6s et distribu6s est compar6 ~ un homme dou6

de parole, parole qu'il emploiera h composer des po~mes (RV. 1 .112.2 yuv6r ddndya subh~r~ asa~cato r?ltham a tasthur vacas?tm, n?t m~ntave "Vers votre char

sont venues les (richesses) inbpuisables (elles qui sont) un support agrbable pour (servir) de dons, comme (la pens6e vient) vers (l 'homme) dou6-de-parole pour qu'il

cr~e par la pens6e"); en constatant 6galement qu'on dit aux A~vin (RV. 1 .46 .7)

a no n~vd matTndm, y~titm p~rdya gizntave yuajathdm a~vind r~tham "Venez vers

notre navire de la pens6e pour que nous puissions atteindre l'autre rive. Attelez

le char, 6 A~vin!".

I1 y a lh incontestablement de tr~s nettes traces d'une seule et m6me conception

de la parole qui traverse un espace, qui sert h le franchir pour en r6unir les extr6-

mit6s et h cr6er un lien entre elles. C'est le m6me caract~re que l'on connaft au

r61e du porte officiant dans le rituel sacrificiel archaique v6dique: poser des cor-

r61ations et des identifications explicatives en ~tablissant des liens corr~latifs entre

les ph6nom~nes de divers ordres, notamment entre le microcosme et le macrocosme

entre le monde rituel et le monde mythique, entre l'ordre humain et divin (L.

Renou a souvent insist6 sur cet aspect de l'activit6 du porte v6dique). L'6noncia-

tion d'un lien corr61atif, outre qu'elle fait partie de l'exercice du m6tier du porte

officiant, car il est soumis aux contraintes du processus sacrificiel l'obligeant

h l'incitation de son patron du sacrifice h sacrifier, comporte encore une contrainte

de plus: 6noncer un lien corr61atif h port~e cognitive, indiquer les connexions et

les 6quations correlatives des phbnom~nes, c'est s'attreindre h cr6er un moyen

de r~duire l'intervalle s6parant ces ph~nom~nes, h effectuer un d~placement dans

cet intervalle. Ceci nous rem~ne h l'id6e de "expbdition", de "d6part" et de

"voyage" qu'a d6gag6e Renou dans le concept de ydga (pp. 177-178). En effet,

cette idle tient une place exceptionnelle dans l'6ventail des sens du terme ydga: si l 'on admet avec Renou, bien que des difficult6s d'ordre grammatical subsistent, 4

que le po6te de RV. 7 .67 .1 appelle les dieux A~vin avec le char qui les a 6veill6s (prd[i vdm rdtham farddhyai y d vgm . . . d]Tgar "je vous appelle avec le char qui

vous a eveill6s" selon Renou, Et. vgd. et pd.n., I. p. 15, mais une autre traduction est possible: 'je voudrais invoquer votre char h vous d e u x . . . "), on admettra

6galement que l'assistance aux pens6es po6tiques demand6e aux A~vin (RV. 7 .67 .6 ) est en rapport avec ce que dit RV. 7 .67 .8 gkasmin y d g e . . , samffng pari vgm sapti~ sravdto rdtho g~t "d'un seul et m~me attelage votre char (faut-il comprendre "le char de la pensbe po6tique adress6e aux A~vin?) a fait le tour des Sept Fleuves". On peut s'imaginer que le char de la pens6e po~tique dirig6e vers les A~vin a effectu6 un voyage de reconnaissance, d'intelligibilit6 autour des Sept Fleuves afin de cerner leur phbnom~ne. C'est encore un voyage semblable

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que doit sous-entendre RV. 10.39.12 lorsque le porte s'adresse aux m~mes Agvin: "venez ici avec le (char) plus rapide que la pens6e (l'esprit), char que les l~bhu ont faqonn~ pour vous, 6 Agvin, c'est durant (le parcours) de (cet) attelage qu'est

n6e la FiUe (du ciel) l'Aurore)" (a t~na ygtam mimaso ]itvryasg rittham yitm. vdm rbhitva~ cakrftr a~vindy(tsya y6ge duhitajdyate). On a 1~ une explication de la naissance de l'Aurore telle que l'envisage le porte; les conventions de la sp6culation v6dique n6cessitent rimage du char compar6e explicitement ~t la pens6e, alors qu'on sait que les pontes les confondent volontiers ou, plus pr6cis6ment, qu'ils ont besoin

de l'image du char parce qu'il leur faut exprimer l'id6e de voyage, de y6ga. On comprend alors pourquoi les hymnes associent souvent le brdhman, la

pens6e h 6nigme posant une corr61ation, une identification corr61ative selon la dbfinition qu'en ont donn6e L. Renou et L. Silburn, s et la vole: le porte est cens6 ouvrir une issue au br(thman, il cherche une ouverture et la sollicite des dieux, car la vole ouverte favorisera le parcours, le cheminement n6cessaires pour 6tablir

une connexion: RV. 4. 4 .6 dit s(t te jdngti sumatfm yavis.tha y~ tvate bKthmane gdttim afrat "Celui qui a cr6+ une voie hun brithman, comme celui (qui suit), connaft ta faveur, 6 dieu le plus vigoureux"; 6 la formule qui vient apr~s cet

6nonc6 est donc tr~s probablement h la fois le brithman lui-m6me et le fruit de son ~nonciation (vfgvdny asmai sudfndni rdyd i . . vi dtiro abhi dyaut "que tous

les jours soient de beaux jours pour lui, que (soient h lui) les richesses! Ouvre lui la porte en luisant!"), car r6ussir son brithman personnel et arriver h pratiquer une voie pour lui promet au porte routes sortes de richesses 7 et de faveurs parmi lesquelles figurera bien entendu l'acc~s h une porte, porte qu'il convient de com- prendre comme le point off aboutit le parcours heureux. C'est sans doute parce que la pens6e, la parole et l'hymne de louange comme leur expression la plus achev6e sent destin6s h effectuer un cheminement permettant de faire la jonction

entre les termes d'une connexion explicative que la louange elle-m6me est pr6-

sent6e comme prityukti "attelage (de l'esprit)", "impulsion" (R V. 1 .153.2 pr{tstutir vdm . . . pr{tyuktir {tyami mitr~varu.nd suvrkti.h "la louange vous a 6t~ offerte, 6 Mitra-Varuna, elle est l'attelage (de notre pens6e), elle est un bel hymne

(r6cit6)" et c'est peut-~tre parce qu'il emprunte le m6me concept de chemin parcourir que le porte se dit coursier connaissant son but et charge de la m6me qualit6 intellectuelle le timon de son char (ou son char): RV. 5.46.1 h~yo n{l v idv~ ayuji svayitm, dhurf t~m. vahdmi prat{tmnTm avasydvam nasyd vagmi vimu'cam. pfmar vidvtin path{t.h pumet~ rid ne.sati "Comme un coursier, moi qui sais, je me suis attel6 au timon (du char) par ma propre volont6; je le tire (ce timon) qui va puissamment de l'avant, qui assure les faveurs (des dieux). Je ne veux pas qu'il d6telle, ni qu'il rebrousse chemin. Puisse-t-il, lui qui connait le chemin, qui va en t~te, me conduire tout droit!" Au bout du parcours, le bKthman du porte se volt r~compenser par le dieu qu'il a chant6 ou par son patron du sacrifice, la r6compense lui est remise

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sous la forme d'une vache (forme frOquente de la daksi.nd et qui a fini par devenir

son symbole), mais il dira que c'est la divinit~ qui lui a rendu possible la dOcouverte

de la vache (RV. 10.112.8 suvedandm akrnor brdhmane grim "tu as fait en sorte

(6 Indra) que la vache ftit facile h trOuver pour le brilhman" que l'on comparera, suivant la suggestion d'Oldenberg, Pdgveda. Textkritische u. exegetische Noten, p. 334, avec RV. 5 .29 .3 tild dh( havydtm m[znu.se ga avindad "car cette oblation

a trouv6 le bOtail pour l 'homme".

Les explications de Renou et de Silburn donnbes au sujet du dbnouement

que les divinitbs sont censbes trouver pour le br~hman rbservent une grande part

la notion d'issue que l'on doit comprendre comme l'expression mOtaphorique

de la position et de la solution d'une bquation (ou d'une connexion) rituelle; s

mais il est vrai aussi que la notion de chemin menant h la dbcouverte d'une issue

a requ la m~me attention dans les hymnes, et cela dans son aspect duratif et bien

concret. Le concret, le tangible et l'abstrait sous la forme des expressions figurbes

s'entremOlent: le porte et sa parole cheminent vers la solution des paradoxes

bnoncbs: or leur 6nonciation aussi bien que leur blucidation sont prOsentbes h

la fois dans leur dur~e, d'ofl l'idOe de l'attelage parcourant un chemin, et dans

leur accomplissement couronnb par la remise de la daksind. Si les hymnes disent

que l'offrande aux dieux, que ce soit la parole (le brdlhman) ou l'oblation, se

termine par l'attribution d'une rbcompense matbrielle, c'est toujours le concept

du lien corrblatif qu'on exploite. Lorsqu'on porte l'accent sur le ydga, c'est son

6tendue que est en jeu; lorsqu'on dbplace son attention vers la perception de la

daksin, d, il s'agit de la valeur du lien bnoncb, valeur que j'ai essayb d'expliquer

dans le cadre des conceptions linguistiques des auteurs vbdiques comme l'expression

concrete du sens de la parole proclamant des corrblations. I1 n'est pas btonnant

que la parole soit bgalement corrblbe h sa valeur. 9

L'aspect guerrier du ydga est lui aussi lib au dbpart, au voyage, h l'expbdition

(cf. Renou, J.As. 1953, p. 178): RV. 5 43.5 ~sdvi tejujusd.naya sdmah.. , hdr~ ritthe sudh'ffrdydge.., fndrapriya kr.nuhi" le soma a 6tb pressb pour toi, (toi)

qui t 'en rbjouis . . . . fais en sorte, 6 Indra, que soient attelbs deux alezans au char,

(chevaux) aimbs propres h l'attelage, pour que (se fasse) l'expOdition" (v. aussi

Et. v~d. et pdn. V, p. 24); RV. 4 . 2 4 . 4 kratOy~nti ksit&yo y6ga ugrdgu.sd.ndso mith6 drnasdtau sdm y~d vii6 'vav.rtranta yudhrrd gd in n~ma indrayante abh {Ice "Les peuples songent h la guerre, 6 (dieu) fort, ils s'excitent les uns face aux autres

(pour se livrer) bataille autour des (richesses mouvantes comme) les eaux. Quand

les tribus guerroyantes se sont trouvOes les unes devant les autres, quelques-unes d'entre elles se sont tournbes immOdiatement vers Indra". I1 se peut que le verbe

yuf- ~ lui seul renvoie ~ cette acception guerribre duydga: "RV. 6 .25 .3 indra /dmdya uta y~'jdmayo 'rvdc~nd-so van~.so yuyujr~ (Les ennemis) jaloux, 6 Indra, les parents et les non-parents se sont attelbs (h l'esprit guerrier) contre nous".

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On saisit bien ici la nuance guerri~re des exp6ditions v~diques faites dans le pre- sentiment des affrontements des partis adverses et comprenant les razzias dont on sait par ailleurs qu'elles ont 6t6 conceptualis6es par les auteurs v6diques en sorte qu'ils y avaient vule moyen pour les guerriers de s'emparer du b~tail converti en la valeur de la parole po6tique et sacrificielle attribu6e au porte officiant en

tant que dak.sindl 1~ Si tel paraft 6tre le sens primitif du terme y6ga, on se rend compte sans difficult6

comment a pu se r6aliser la nuance s~mantique de contrainte d6terminante pour sa teneur dans la litt~rature sanskrite. Le caract~re imp6ratif des pratiques con- nectives des pontes officiants v6diques ressort aussitSt qu'on consid~re leur place

et leur fonction darts le culte sacrificiel. Ce culte connait une r~partition rigoureuse

des r61es socio-religieux: celui de porte officiant, celui de patron du sacrifice devenant guerrier au moment d'effectuer une razzia, enfin, le r61e de divinit6s r6pondant n6cessairement aux appels des hommes. Le sacrifice v~dique est la mise en marche de cet ensemble triparti de r61es o/l tout se tient de telle mani~re qu'une premiere interaction de deux rSles est imp6rativement suivie de l'interaction de

deux autres r61es (on a ainsi d'abord une s6rie d'interactions (1) pontes officiants: dieux, (2) dieux: patrons du sacrifice et (3) patrons du sacrifice: pontes officiants,

puis la reprise de la s6rie en commen~ant par le r61e de porte officiant). L'efficacit~ du sacrifice n'est acquise qu'h condition que les interactions soient continues et renouve16es.ll Les pontes officiants exer~ant les yogyd, les pratiques d'"attelage (de la pens6e et de la parole)", r6pondent donc h la contrainte de l'efficacit6 du sacrifice menac6e de nullit~ au cas of 1 l'alternance et la solidarit~ des rSles socio- religieux ne seraient pas maintenues. N'est-ce pas lh la source lointaine de la valeur

de "contrainte magique" que prendra le terme ydga plus tard, comme l'estime Renou (J. As, 1953 p. 180), de ce "renoncement h la libert~ obscure, d'essence instinctive, de l'individu", de la "soumission de l'individu hun ordre absolu (Veda)",

comme le dit fort justement Eliade? 12 On serait tent~ de r~6valuer la nature des yogya que Renou interpr~te comme des "entrafnements" ou "exercices" qui font l'objet des c6nacles po6tiques" (p. 180, n. 1): ce seraient plut6t et plus pr6-

cis6ment ces activit~s proprement sacrificielles du pobte officiant qui sont sensible- ment teint~es de rivalit~, de competition, partie int6grante et essentielle de ses oeuvres spirituelles (c'est bien ce dernier terme qui sert ~ Renou h expliquer les yogya v. Etudes v~diques et pdnin~ennes, XVI, 1967, p. 49-50).

On voit en effet, dans RV. 7 .70 .4 , les dieux Agvin invites h trouver plaisir aux herbes et aux eaux (au sacrifice s6mique?) au moment de venir vers les les "attelages des pontes voyants" (cani.s.t/tm devd d.sadh ~.sv apsti y~d yogya ai- n~vaithe (sTndrn), attelages que le m~me hymne glose par les br~hmdnL les 6noncia-

tions des brahman que les pontes voyants actuels adressent, h l'exemple des pontes des ages pass6s, aux Agvin (RV. 7 .70 .5 ~u~ruvam. sd cid agvind purd.ny abhi

SUR LE TERME YOGA DANS LES HYMNES VI~.DIQUES 91

brdhmdni caksdthe r.'.s~ndm . . . vdm astu sumatfg canis.thd .... Vous avez, 6 A~vin,

en effet, entendu bon nombre de (chants pieux et louangeurs), soyez bienveillants h ceux des pontes voyants (maintenant) . . . . que soit pour vous (l'expression) de la pens6e pieuse! "), alors que RV. 7.70. 6 pr6cise l'ambiance de violence autour des offrandes par oblation et par parole que le porte Vasi.s.tha est soucieux de faire accepter par les A~vin: y d vdm yaj~dndsatyd havf.smdn krt~brahmd samaryO bh{lvdti tipa pr& ydtam v~ram a vitsi.s.tham ima br~hmdny rcyante yuvabhyam "Quel que soit le sacrifice qu'on vous offre, 6 N~satya, (que ce soit) une oblation ou que soit ~nonc6e la parole (apte) h combattre, venez selon votre d6sir vers

Vasi.st.ha; ces paroles (ces brahman) sont chant6es pour vous deux". I1 est alors

bien normal de retrouver l'association des yogya et des images du discours pobtique qui l'assimilent h l'attelage dans RV. 10.53.7 et 11 ; le premier de ces vers d+crit un attelage 13 qui ne peut 6tre qu'un v6hicule bien special. I1 ne correspond que peu aux chars connus du ~,gveda: il a huit sibges, fair remarquer Edgerton, alors que le char commun n'en a qu'un, exception faite du char des A~vin et du dieu Soma qui en ont trois; 14 puisque c'est aux officiants (qui. ont toutefois un rapport au soma) qu'on demande de l'appr~ter, il est licite de supposer qu'il est question non du char, mais du po~me attel6, et cela d'autant que l'hymne rapprochera la fabrication des coupes, le fendage du bois et l'afftitage des outils par lesquels les pontes fagonnent la parole (on suivra volontiers Edgerton notant que la seule raison de faire des pontes des charpentiers est de faire ressortir la ressemblance du char et de l'oeuvre po~tique), v. h cet effet le vers 9 tvils.td.., gig~te nahum parag~m svdyasdm ybna vrgcdd ktago br~hmanas p~ti.h "Tvas.tar.. . affftte main- tenant la hache au bon m~tal avec laquelle le Maitre de la Parole, (le dieu) bigarr6, fendra (le bois)" et le vers 10 sat6 nandm, kavayah, sam gtg~ta vd~[bhirydbhir... tdlks.atha vidvamsah, padd gtihydni kartana ydna devaso amrtatv~m dna~d.h "Main- tenant, 6 pontes, afffttez tous 6galement les hachettes par lesquelles vous fagonnez (les paroles). Vous qui savez, faites les roots secrets, grfice ~ quoi les dieux ont atteint l'immortalit6" (Renou, Etudes vkdiques et pd.ninkennes, XIV, p. 17). Le dernier vers de l'hymne suit significativement l'exhortation aux pontes h cr6er un discours secret car il formule une v~ritable 6nigme v6dique dont on peut dire

qu'elle est insoluble ~s mais qu'elle est construite comme une s6rie de connexions paradoxales (RV. 10.53.11 g~rbhe yo'.sdm adadhur vatsfm 8s~ny apTcy&namdn- asot~ jihvdyd "(Les pontes officiants) ont plac6 la jeune femme dans la matrice, le veau dans la bouche (de la vache); (car ils se manifestent) par (leur) esprit secret et (leur) langage (abscons)"; 16 une fois les connexions formul~es, il termine par une sentence h l'usage des pontes qui doivent faire face ~ une comp6tition: s~ vi~vahd sum~nd yogyd abhf si.sds~nir vanate kdr~ fj ]ftim "Celui qui a toujours un esprit courageux, que d~sire vaincre dans les comp+titions (des po&es), gagne toujours dans le vrai combat"). On peut penser que le vrai combat (ou, selon la

92 BORIS OGUIBENINE

traduction de Renou, Etudes v~diques et pd.nindennes, XIV, p. 17, "l'instant d6cisif") est une reprise des yogyd, de ces pratiques po6tiques o~le sujet s'attele

pour suivre un chemin en m~me temps qu'il met en 6vidence les connexions ex-

plicatives dont les membres sont egalement "attel6s" les uns aux autres: tout comme la pens6e sacrificielle elle-m6me est tendue et dirig6e, sont "attel6s ~' le

porte et connect6s entre eux les objets que vise sa pens6e quand le porte prend

soin de les d6nombrer un par un. Pareils transferts d'une id6e qui prend une im- portance 6vidente dans le sacrifice v6dique ne sauraient ~tre dissoci6s des inversions

dans les d6marches sp6culatives dont on vient de voir des exemples. C'est pro-

bablement la m6me tendance qui ajou6 lorsque l'auteur de RV. 10. 114. 9 inter-

roge: "Quel sage connalt l'attelage des m~tres (po6tiques)? qui a compris de mani~re ad6quate la parole du foyer rituel?" (kit~ ehitndasdm, y6garn d veda dh{rah, kddhi.snydm pritti vacam papdda) et lorsqu'il continue en faisant r6f6rence

aux chevaux d'Indra (hilr~ indrasya ni eikdya k~.h svit "qui donc s'est v6ritablement

rendu compte (de la vraie nature) des deux alezans d'Indra?"), qu'il s'agit de com-

prendre comme les v6hicules du voyage des pontes mis en correspondance connective

avec les m~tres attel6s. L'hymne entier finit d'aiUeurs par abandonner les allusions

pour en venir directement aux pontes attel6s, debout sur les timons du char et

effectuant le voyage de reconnaissance autour des limites de la terre (RV. 10.114.

10 bhumyd {mtam pitry dke earanti rflthasya dh~rsti yuktaso asthuh. ). Ainsi le terme v6dique ydga d6signe une partie essentielle du sacrifice dans le

Rgveda: c'est, si l 'on suit Geldner (DerRig-Veda inAuswahl, II, p. 235), un "In-

t~tigkeitsetzen", une mise en marche (des pierres qui pressent le soma par exemple

v. RV. 10.35.9) , mals une mise en marche qui a une finalit6 bien d6termin6e: elle consiste ~ atteler, ~ mettre ensemble, h conjuguer les entit~s dont on veut ~tablir

la correspondance, qu'on veut qualifier comme identiques ou proches sur le plan

sp~culatif: le sacrifice v6dique sur lequel ont abondamment r6fl6chi les auteurs

des hymnes est en fait un puissant dispositif explicatif, un ensemble de gestes

et d'intentions qui condense toute une experience sp6culative. On ne peut donc

se m6prendre quant au caract~re hautement sp~cifique des objets que les hymnes

disent "attel6s". Ce sont les v~hicules, toutes sortes d'animaux, bref, tout ce qui

a une aptitude h effectuer un parcours, et, on l'a vu, les paroles du discours po6tique, les pens~es dirig6es vers les dieux, mais aussi tout naturellement 1' hom- mage au dieu Agni (RV. 1 .65 .1) et l'oeuvre sacr6e (RV. 1. 151.4 rtitm dgho.satho br.hdt. . . gain. nd dhury ~pa yufifdthe apit.h "vous (Mitra et Varuna) ~noncez haut

la V6ri t6 , . . . vous attelez l'oeuvre (sacr6e), comme (on attelle) la vache au joug"). Les auteurs n'ont visiblement pas h6sit6 ~ donner une acception large non seule- ment aux objets attel6s, mais aussi g Faction d'atteler; car il est difficile de ne pas voir que dans RV. 10. 101 (hymne exhortant les officiants au sacrifice), s'il est question des charrues et des jougs (3a yun(tkta sird vfyugd tanudhvam, 4 s{rd

SUR LE TERME YOGA DANS LES HYMNES V~;DIQUES 93

yuajanti kav{lyo yuga vi tanvate p(thak "attelez les charrues, tendez les jougs!" et "les po6tes officiants attellent les charrues, ils tendent les jougs un par un"), l'accent porte de toute evidence sur les actions plus que sur les objets, et que,

moins de trouver un moyen d'interpr6ter ceux-ci, l'intention des vers cit6s est de d6gager le caract~re pour ainsi dire abstrait des actions d'atteler et de tendre (le jeu des racines employees y contribue: tan yugti "tendre les jougs" glose en quelque sorte yu] s{rd "atteler les charrues").17 Cependant, et peut-Otre pr~cis~ment

cause de l'attention port6e h l'acte lui-m6me, ce qui est "conjugu~" au terme de l'acte a une importance certaine. On tiendra compte des tours assez fr6quents

6voquant l'attelage par la parole et par la pens6e (c'est le sens des mots brahmayti/, vacoy@ manoyti] et r. tayd] et des formules bdthmand yu]-, saktdna, V{lCaSd yu]-, m{masdyu]- sur lesquels v. LiJders, Varu.na, pp. 450-454), ce qui ne peut

surprendre vu l'association de la monture, du v6hicule et de la parole, mais pr6te toutefois h une remarque. C'est que les hymnes confondent d~lib~r~ment l'objet et l'instrument de l'attelage, comme ils ne cherchent pas h distinguer le sujet et l'objet de Faction d'atteler quand il s'agit du porte. 18

La conclusion qui s'impose est que l'action d'atteler devait 6tre congue comme un acte autonome, ayant une signification propre et plut6t abstraite, m~me si les objets qu'il affecte ont le plus souvent une nature bien concrete. Ceci revient dire que, 6tant donn~ cette valeur abstraite du verbe yu]- les emplois de celui-ci peuvent raisonnablement 6tre orient6s de mani~re ~ insister sur l'aspect du yoga qui s'exprime par les pratiques connectives des pontes v6diques. En effet, attribuer h la parole et h la pens6e l'aptitude h servir de moyen d'attelage ou de s'atteler pour r6aliser une connexion, c'est donner du relief h l'opbration m6me de la connexion, c'est insister sur la valeur explicative du lien 6tabli entre les 616merits connect~s ou, pour 6tre plus pr6cis, les 616merits joints l'un h l'autre en les appareillant. I1 n'est pas fortuit que l'hymne RV. 10.101 ayant pour r6f6rence g6n6rale l'inspira- tion po6tique (comme l'a bien vu Renou, Hymnes spdculatifs, p. 250), 6voque l'acte d'atteler les charrues et les jougs que manipulent les pontes: les outils sont ces moyens de d6placement qui permettront aux pontes de voyager, comme

le permettront 6galement les pens6es po6tiques qu'ils doivent tendre (10. 101.2 dht'ya d tanudhvam) et le vaisseau qui traversera les mers (m6me vers: ndvam aritrapltra.n[m kr.nudhvam "faites un vaisseau qui traverse (les reefs) h la rame", cf. la fin de la strophe 2: pra~cam yaja{tm pra .nayatd "conduisez le sacrifice en avant!'). Les strophes 2 et 3 (v. ci-dessus) s'expliquent l'une par rautre et rendent particuli~rement claires les intentions de l'hymne de presenter les modes de sacrifice propres aux divers officiants parmi lesquels trouve sa place ce mode sp6cial de sacrifier: tendre les pens6es pour soi-m6me, fabriquer un v6hicule, ~galement pour soi-m6me, car les verbes tan- et kr- sont h la voix moyenne (comme d'ailleurs les verbes budh- "s'6veiller" et idh- "allumer" dans la premiere strophe et encore

94 BORIS OGUIBENINE

le verbe k.r- au d~but de la seconde strophe: rnandra k.rn. udhvam, dhfyah. "rendez (vos) pens6es (po~tiques) plaisantes!"). Les deux premieres strophes pr6parent ce que diront la troisibme et la quatri~me d'une fagon diff6rente: celles-ci incitent les pontes officiants h parcourir le chemin de la cr6ation po6tique et du sacrifice, h faire faire du chemin au sacrifice. Le vocabulaire de ces strophes est h la fois suffisamment direct et allusif. Comme l'a bien vu Renou (v. n. 17), rhymne entier doit ~tre lu comme une prbsentation de l'inspiration po~tique, alors m6me que les termes qu'il emploie nous entrainent vers un autre plan. Les deux strophes

6voquant l'attelage des charrues et des jougs ont des indices suffisamment clairs pour qu'on puisse comprendre que c'est bien l'activit6 po~tique qui est vis6e: en 3, apr~s avoir incitb h atteler des outils de labour, on exprime la foi en la puissance de la parole (gira ca ~rus.tih. sltbhard itsan no ndd~ya ft ~rnyit.h pakv[Tm (ydt "si l'6coute bienveillante (accord6e h notre parole) a la m6me pes6e que la parole (eUe-m6me), le fruit mflr viendra plus pros des f a u c i l l e s " ; 19 en 4, on l'a vu

plus haut, ce sont les po6tes officiants qui sont cens6s atteler les m~me outils.

Ainsi, atteler la parole ou par la parole, atteler un objet/L la parole, enfin mettre en rapport un objet et le po6te 6nongant la parole: tous ces actes, s'ils sont exprim6s par le verbe yu]- ou ses d6riv6s, ayant une port6e toute sp6ciale traduisent

le r61e de la parole. Quand il est dit d'Indra d~sirant la (re)conqu6te des vaches qu'il est rtaytig

"attel6 au .rt~, la V6rit6 (6nonc6e)", il y a lieu de voir dans la glose qu'ajoute RV. 6 .39 .2a ~ cette expression Crt~dhTtibhir rtayftgyujdn~.h "attel6 au .rt~, il s'attelle

ceux qui pensent par le rt~") une des explications de la nature du dieu: il n'est pas, certes, identique h parole, mais il est mis en correspondance avec l'acte de son 6nonciation, il lui est juxtapos6, comme il est juxtapos6 aux Afigiras d6sign6s ici par rtitdhTtibhir pour faire corps avec eux et pour pouvoir d~truire la cachette des Pa.ni d6tenant les vaches. Comme les Arigiras, pontes officiants h son service, il peut ~tre dit celui qui l'a emport6 sur les Pa.ni par la parole (RV. 6 .39 .2d pant~Wnr vitcobhir abhz'yodhad z'ndra.h), alors qu'on sait par ailleurs qu'il combat essentieUement avec des armes proprement guerri~res. C'est parce qu'il a confi6 le sacrifice de la parole aux Aflgiras, sacrifice rev~tant l'aspect des armes et d6- truisant la cachette, qu'on dit de lui qu'il voyage avec les chevaux attelbs h la parole du rtd (RV. 6 . 39 .4 ayitm ~yata r. tay~gbhir &kvai.h); il n'est pas impossible que cette phrase doive son origine plus ~ l'association d'Indra avec les effets du rtfi qu'avec les chevaux au sens propre; de routes mani~res on peut soutenir que les chevaux du rtit sont plut6t une figure de style off les chevaux renvoient h la rapidit~ de la parole sacrificielle qu'h des animaux au sens concret.

Un souvenir du dieu Indra corr~l~ aux chevaux v~hiculant la parole redoutable flotte dans l'invocation h Indra d~jh cit6e plus haut (RV. 7 .27.1 indram n~ro nem[tdhit~ havante y~tt pdry~yun~t]ate dhiyas td.h): on fait appel h ce dieu pour

SUR LE TERME YtgGA DANS LES HYMNES VI~DIQUES 95

qu'il fasse agir les (ou: ses) pens6es po~tiques attelables, pour qu'il soit pr6sent

travers les pens6es qu'on attelle comme des chevaux, et cela lorsque les hommes sont en plein combat qui les oppose aux adversaires (nitro nemitdhitd). C'est cette

interp6n6tration de l'objet li6 h la parole et de la parole elle-m6me que visent

RV. 9.7.3 prit yujd vdcd agriyo v(.sava calcradad et RV. 1 .46.8 dhiyd yuyuffa indava.h. Dans le premier vers, "le taureau [qui] a mugi, lui qui marche en avant

pr6c6dant la parole qui est son alli6e (h laquelle il s'est joint)" est la boisson

s6mique offerte aux dieux, mais les vicissitudes du sacrifice v6dique font que la

boisson et la parole, deux offrandes principales, sont conceptualis6es de telle fagon qu'elles ne se distinguent vraiment pas l'une de l'autre. "Alli6e" (nora-racine

yuj- "associ6, alli6, compagnon"), la boisson tend ~ s'identifier & la parole, du

moins ~ partager avec elle quelques caract~res essentiels ce que levers cit6 exprime

par le recours ~ la notion d'alli6, d'etre "corr~l~" de mani6re h faire corps unique

avec cette parole. 2~ Le second vers ("les gouttes de soma se sont attel~es h la

pens6e po6tique") semble insister sur le mouvement imprim6 au soma apparent6

la pens6e, mais il ne fait que poursuivre ce qu'en dit 1 .46 .7 (vers pr6c6dent)

o~ apparaissent le navire des pens6es qui doit effectuer la travers6e et l'incitation aux A~vin ~ rejoindre ce v6hicule (a no ndva mat~nam yt~titm pdraya gitntave yufija-'thdm a~vird rittham). On comprendra cette phrase autrement que Geldner:

"venez avec le navire de nos pens6es pour effectuer la travers6e, 2a associez-vous au

char (qu'est notre po~me), 6 A~vin!" (au lieu de "kommt auf dem Schiff unserer

Gedanken, um arts andere Ufer zu gelangen, scliirret euren Wagen an, ihr A,~vin! "): les dieux invoqu6s se soumettent ainsi h la mSme op6ration d'alliance avec les

pens6es et le po~me que le soma au vers 8, au point de se voir attribuer ce caract~re

commun de la pens6e et du poOme qui est d'avancer sur une vole.

I1 est fort probable que m6me en dehors de l'attelage par ou avec la parole

l'usage du verbe yu]- ait gard~ une nuance rappelant un acte dont la finalit6 est

d'indiquer une ressemblance, voire l'identit6 que l 'on 6tablit au moment de

l'6noncer: RV. 5 .80 .3 donne cette d~finition de la d~esse U.sas: e.sagObhirarun~- bhir yujanit "Elle est celle qui s'associe les vaches roses" qui est ~ comprendre

comme une pr6sentation de l'identification de la dbesse Aurore et des vaches. On sait par ailleurs que les liens de ce personnage avec les vaches sont tr~s com-

plexes, la dbesse n'est pas h vrai dire semblable en tous points aux vaches quoi qu'en disent souvent les hymnes, mais elle leur est effectivement et momentan6-

ment associ6e dans la conception des pontes v6diques que cherchent h exploiter leurs liens ~ des fins sp6culatives. 22

Mais c'est l 'emploi de svityukta, svityukti, svayftj qui jette une lumi~re sur la valeur de yuj-. Ces termes traduits le plus souvent comme "s'attelant de lui-m6me, de son propre gr6" devaient en fait d6signer l'aboutissement de l'acte d'identification

un sv& RV. 1. 168.4 pr6cise la nature des dieux Marut: {tva svityuktd divit a v(thd

96 BORIS OGUIBENINE

yayur "attel~s d'eux-m6mes, (les Marut) sont arrives du ciel selon leur propre volontU' et ajoute une glose: izmartygh, kitgdya codate tmimd "mettez-vous en

mouvement par vous-m~mes, 6 (dieux) immortels (en vous incitant) avec le fouet!"

(cf. RV. 1. 168.2 y~ svaldh, svatavasah. "eux qui ont pris-naissance d'eux-m6mes,

qui (puisent) leur force en eux-m~mes" et RV. 5 .52 .8 tO... nitra.h prit. . , yu]ata tm~ina "ces seigneurs s'attellent d'eux-m6mes"). La valeur d'attelage spontanb dans

svdyukta bien que justifi~ par l'image des Marut semble s'amenuiser d~s qu'on voit

employer la locution yu]- trnimd oia le sens transitif du verbe tend ~ s'estomper

par le quasi-pronom tmimd, 23 mais que cette valeur a deji ~t6 sensiblement amorc~e

est clairement d6montr~ en RV. 1 .50 .9 ilyukta saptil gundhy~iva.h sffro ritthasya naptyilh, tdbhir ygti svityuktibhi.h "(le Soleil) a attel~ les sept splendides Filles

du char du soleil; il part (mis en mouvement) par ces (filles) qui s'attellent d'elles-

m6mes". Svityukti est visiblement de trop, s'il ne signifie, surtout parce que pr6c6d~

de l'emploi transitif de yu]-, qu'il convient d'entendre que les Filles du char du

soleil sont en rapport d'identit6 avec le svit qui est ici le soleil prenant la forme

du char. Le mot svgtyukti renvoie-t-il ~ l'attelage propre du dieu soleil (c'est ainsi

que le proposait Roth, v. apud Geldner ad RV. 1 .50 .9) ou aux attelages figur6s

comme filles du char du soleil? On peut penser que le terme napti d~signe ici

moins une filiation naturelle qu'il n'est un terme de parent6, indiquant, comme

c'est le sort de nombre de pareils termes v+diques, une relation parentale qui sert

de moyen d'identification ou de corr61ation. ~ C'est donc encore une sorte de

glose pour sv{tyukti. L'emploi de ce terme qui semble ~ premiere vue ne devoir

son sens qu'au contexte mythologique a contribu~ selon toute 6vidence ~ produire

les adverbes sv&yuktya (de fair, forme de l'instrumental de sv(tyukti) et sv&yuktitas tous deux signifiant "naturellement, qui s'entend de soi-m~me", c'est-h-dire "joint

soi-m6me de fa~on naturelle".

On a aussi l'impression que l'emploi de certaines formations nominales du verbe

yu]- a tendance h les d~lexicaliser. Certes RV. 7 .70 .2 {ttdpi gharmd.. , y d . . . ~tagvd cin n~ suydjdyu/dnith. "l'offrande est chauff~e, . . . (elle) attel~e comme (on attelle) deux coursiers ais~s h atteler" a d'ab0rd un premier sens concret: on met en

route une offrande cens6e faire traverser les mers et les cours d'eau (y6 vdm samudrdt saritah, piparti), on la juxtapose aux coursiers comme si elle btait aussi aisle atteler; l'offrande est comme ce qui permet les travers~es (le rt~, le bffthman, la gdthg dit Liiders, Varu.na, p. 452, n. 4). C'est un fait de style plus que de gram- maire encore que Renou fasse remarquer que dans cette phrase tin n{t n'ont pas

leur fonction de particules strictement comparatives et que cid prend le sens de "comme". En revanche, Liiders pense que les coursiers et l'offrande sont plut6t coordonn6sy on dirait ~ sa suite, connect6s. Les termes dbriv~s de yuj- bien qu'en gardant leur sens propre surd6terminent la valeur conjonctive et m6me assimilative de la double particule ein n~t, valeur qu'a cid seul dans les exemples citbs par Renou,

SUR LE TERME Y(JGA DANS LES HYMNES VI~DIQUES 97

Grammaire de la langue vddique, p. 381 : RV. 1 .41 .9 cat,rag cid d(tdamdndd bibMyad anidhdto.h "Celui qui tient en main les quatre, qu'on le redoute jusqu'au

moment o~l il jette (ses d6s)" 26: cid porte sur nidhdtoh et fonctionne comme

ira (Renou) ce qui donne, en paraphrase fibre, "qu'on redoute celui qui peut

(grfice h son art de jeter les d~s) s'assimiler au meilleur joueur"; 2 .33 .12 kumdrM cit pit(tram, v(tndamdnam "Comme un garqon qui s'incline devant le p~re"; 3.31.

12 pitrd cic cakru.h s(tdanam s(tm asmai "ils lui ont fabriqu6 un si~ge comme (s'fl 6tait leur) p~re"; 3 .53 .22 para~f~m, cid vi tapati "il brfile (l'ennemi) comme (on

chauffe) une hache". Et, h la limite entre la valeur lexicale et la valeur d'outil

formel de l'assimilation on trouve un emploi en sbrie de trois dbriv6s de yuj- dans

une phrase difficile pour l'interpr6tation: RV. 8 .4 1 . 6 vrajd gavo n(t sam. yujd yujk a~vdn ayuksata "comme des vaches dans l'enclos, (les po6tes officiants en con- currence les uns avec les autres) ont attel~ les chevaux en attelage commun pour

qu'ils se joignent & eux". 27 On y lit le souci permanent des pobtes de s'assimiler aux

coursiers, mais il est exprim6 par la recherche d'une alliance qu'on souhaite voir

se transformer en une identit6. D~s Mrs, une fois comprises de cette mani~re les

possibilit~s des d~riv6s de yuj-, il y a lieu d'amender la traduction, sinon l'inter-

prbtation, des locutions mat(ty6 'gvayogd.h (RV. 1. 186.7, cf. plus haut), rMha- h(triyoga- (RV. 1.56.1) : il s'agit d'un second plan de lecture qui n'en est pas

moins important que le premier, car pour les auteurs v6diques, les pens~es po6tiques

ou le char attel6s aux chevaux sont autant de reprbsentations familibres off inter-

viennent les chevaux que le moyen de dire que les pensbes ou le char sont d'un

certain point de vue eomme les chevaux. C'est done ce proc~d~ d'identifieation

ou d'6quation explicative que vise le dernier membre des compos~s en -yoga. On r~pondrait ainsi h l'h6sitation qu'exprimait L0ders: "il serait difficile de dire

ce que doivent ~tre les "chants attel~s des chevaux" (Varuna, p. 452). La com-

paraison implicite s'accompagne d'une identification explicite quand apparaft

l'image du porte coursier, v. plus haut et surtout RV. 3 .38 .1 o~l le porte se dit coursier gagnant un prix de victoire et pourvu d'un joug bien adapt~ (abhi Ms.teva dfdhayd man~.sdm (ttyo nit vdj{ sudh~ro "Comme le charpentier, j 'ai imagin~ ce po~me, comme un coursier gagnant son prix, pourvu d'un beau joug"). C'est

peut-~tre parce qu'on dit que les vents s'attellent d'eux-m6mes (RV. 10.78.2 vgtdso n(t svayzija.h) et que cependant Indra se servira des chevaux du dieu Vent

(RV. 10.22.5 tya cid vatasydgvdga.., trn(tnd v(thadhyai "tu es venu pour conduire m~me ces chevaux du (dieu) V~ta, en ta propre personne") que l'on ose cette

figure du porte, autrement inexplicable, qui consiste h dire qu'il emm~ne chez lui, telle une jeune femme, la parole, alors que celle-ci a rejoint le pobte d'elle- m~me (RV. 5 .44 .8 ydd.~min dhdyi t(tm apasy(tyd vidad y~ u svay(tm, v(thate). Pour qu'il soit possible de comparer la parole h une femme qu'on emm~ne (cf. aussi RV. 5 .37 .3 et 10.27.11), il faUait disposer de l'image pour ainsi dire

98 BORIS OGUIBENINE

permanente du porte voyageant grfice h l'attelage d'o6 l'emploi du verbe vah- "conduire", souvent en voisinage du verbe yu]-.

On voit que cet emploi de yu]- et de ses d~riv~s a remarquablement gard6 l'6quilibre entre un sens concret 06 se distingue la notion d'attelage et un sens plus abstrait, sinon plus pr6cis, qui oriente aussi bien le verbe que ses d6riv6s vers l'expression d'une connexion qui ne peut avoir lieu qu'entre ce qui a des caract~res communs ou bien sera dot+ de ces caract~res une fois la connexion 6tablie. On ne peut douter que c'est bien ce d~veloppement s~mantique qui a ~t~ d~cisif pour que se forment, tant en v~dique qu'en sanskrit ult6rieur, nombre de mots ayant pour dominante l'id6e d'association par paires, d'assortiment par couples, vraisemb- labement ~gales, et en tous cas par des couples dont les membres individuels se

correspondent. Tel est v6d. y~jya, d'un sens complexe, gravitant cependant autour de l'id6e de commensurabilit~ puis autour de ceUe de ressemblance, provoqu6e par la premiere: c'est autant 'Talliance" tout court (RV. 4. 25.2) que l'~tat qui r~sulte de l'alliance des semblables, que ce soient des ~tres anim6s ou des choses pour lesquels on ~tablit l'6galit6 de rang ou de nature (si on alloue une richesse, elle doit ~tre ytijya, de rang correspondant, RV. 7 .36 .7 ; la personne qui 6noncera la naissance d'un grand dieu sera sup~rieure par sa renomm~e h quelqu'un qui est yti]ya, 6gal des dieux, RV. 1. 156.2, le dieu Agni s'avance avec les flammes, ses semblables, yu]y~bhih., RV. 1. 145.4; les dieux se r6jouissent h l'offrande du lait qui est leur yti]ya, leur paire, RV. 6.52.10) . Si, d'un c6t6, le ~,gVeda a yug&, n. "joug, attelage d'animaux mis sous le m6me joug" mais aussi "g~n~ration" et "age, s~quence temporelle", on comprendra mieux ces significations en les rap-

prochant de ayuja "sans compagnons" ou encore de ayuga "fille unique, qui n'a

ni fr~re ni soeur "(Gobhila Ggh. St]. 3 .5 .4 ) , yugma, yugmant, yugman "paire, semblable" (sur leur morphologie, v. Wackernagel-Debrunner, Altind. Gr. II, 2. p. 750) contrastant avec ayujinL ayugma "in6gal, impair, qui n'est pas droit", ayogya "impropre, qui n'est bon h rien", ayogatva "qualit6 d'inaptitude ~ qqch." C'est que la notion de g6n6ration et, par extension, d'fige a dO se constituer h partir de celle d'assemblage de paires, d'individus associ6s en raison de leur fige

commun.

SUMMARY

The term ydga must have designed an essential part of the sacrificial cult as known in the Rgveda: the putting in motion ("Int~tigkeitsetzen", following Geldner), the launching of a specific activity with the ultimate goal to yoke, to join together or to pair the objects and the entities which match or can match each other or which can be viewed as comparable and even identical according to Vedic archaic speculative thought. Vedic sacrifice is in fact a powerful explicatory device, a set

SUR LE TERME YOGA DANS LES HYMNES Vt~DIQUES 99

of gestures and of designs condensing a speculative experience. The verb yu]- and its

derivates translate thus one of the central themes of the Vedic religion where the

poet officiating in the sacrifice has to proclaim the connec t ions and the ident if icat ions

be tween the phenomena to be correlated ("yoked, harnessed"). The hippological

vocabulary in the Rgveda as applied to the representa t ion of the speculative practice

is less an accidental me taphor than a true and meaningful t ransla t ion of one of the

basic principles this practice.

Centre National de la Recherche Scientifique,

Ecole Pratique des Hautes Etudes - V~ Section,

Paris

NOTES

1 L. Renou, 'Etudes v6diques, 3. Quelques termes du .Rgveda, d. y6ga,' Journal asiatique, 1953, pp. 177-180. 2 L. Renou, Etudes vkdiques etp~ninbennes, I, 1955, p. 15. 3 Cette comparaison, source d'une m6taphore v6dique des plus constantes, est 6tudi6e dans un essai d6j~ ancien mais dont on a un peu oubli6 les conclusions int6ressantes, de F. Edgerton, 'The Metaphor of the Car in the Rigvedic Ritual', American Journal o f Philology, 40, 1919, pp. 175-189. L'id6e de l'auteur est que si, dans un premier temps, la comparaison du char l'hymne est facilit6e parce que l 'un et l'autre sont charpent6s (Faction est tak.s-), elle r~pond en effet ~ la pr6occupatinn majeure et ~ la finalit6 essentieUe de la liturgie v~dique: redresser une situation p6rilleuse qu'il s'agit de d6passer, en termes v6diques "traverser, franchir" (les verbes tar- et par-), ce qui vaut pour tout obstacle, de nature mat~rielle ou spirituelle, encore que la repr6sentation figur6e d6notant les difficult6s et les dangers dans le .Rgveda soit ceUe de cours d'eau. V. aussi L. Renou, Etudes v~diques et pdnindennes, I, 1955, p. 15 et M. Durante, Epea pteroenta. Die Rede als 'Weg' in griechischen und vedischen Bildern, in: R. Schmitt, Indoger- manische Dichtersprache, Darmstadt, 1968, p. 252; M. Durante, Sulla preistoira della tradizione poetica greca, II, Roma, 1976, p. 130; V. V. Ivanov, 'EstetiSeskoje nasledije drevnej i srednevekovoj Indii', in: Literatura i kultura drevne] i srednevekovo] lndii, Moscou, 1979, p. 13. 4 V. la discussion: J. Haudry, L'emploi des cas en vedique, Lyon, 1977, p. 337. s 'Sur la notion de brdhman', Journal asiatique, 1949, p. 13. 6 La traduction de yilvi.st.ha par "le plus vigoureux" ou "le plus (grandement) dou~ de force vitale" est pr61eerable ~ celle qu'on en donne par tradition: "le plus jeune" (Geldner, Renou � 9 ); les arguments comparatifs visant les aspects s6mantiques, morphologiques et relevant la fonction de cet adjectff du vieux fonds de la langue po6tique indo-europ6enne sont donn6s par C. Watkins, 'Latin iouiste et le vocabulaire religieux indo-europ6en', Mklanges linguistiques offerts ?l Emile Benveniste, Paris, 1975, p. 527-534. 7 Sur le br~hman et la vole: L. Renou, Etudes v~diques et pdnindennes, XVI, p. 83. s Journalasiatique, 1949, p. 13-14. 9 'B~ndhu et ddk.sind. Deux termes v6diques illustrant le rapport entre le signifiant et le signifi~'. Journalasiatique, 1983, p. 33-45. lO V. mon essai 'Le symbolisme de la razzia d'apr~s les hymnes v6diques', Etudes indo- europ~ennes, 5, 1983, p. 1-17. 11 Une argumentation plus d6velopp6e est donn6e dans mon essai "La daksio~ dans le .Rgveda et le transfert de m6rite darts le bouddhisme", Indological and Buddhist Studies. Volume

100 BORIS O G U I B E N I N E

in Honour o f Professor J. W. de Jong on his Sixtieth Birthday, ed. by L. A. Hercus, F. B. J. Kuiper, T. Rajapatirana, E. R. Skrzypczak, Canberra, 1982, pp. 393-414. 12 M. Eliade, Yoga, Paris-Bucarest, 1936, p. 104. 13 RV. 10 .53 .7 ak.s@nhho nahyatanot~ somyd t.skr.nudhvam ragan~ 6t& pim. ~ata/a.stdvandhu- ram vahatdbhito rdttham... "Attachez les attaches de l'essieu, 6 (officiants) s6miques, mettez en &at les fils (conducteurs du discours) et d6corez (ce) char ~ huit si~ges, amenezqe icit . . . ". 14 F. Edgerton, 'The Metaphor of the Car in the Rigvedic Ritual', p. 178. 15 H. Oldenberg, .Rgveda. Textkritische u. exegetische Noten, 1912, p. 256: " . . . die viel- deutigen R~/tsel zu 16sen versuche ich nicht". 16 K. F. Geldner a not~ la nature paradoxale de cet 6nonc6 (Der Rig- Veda, III, p. 217) et en a indiqu6 d'autres o~ la connaissance semble proc6der par inversion des liens normaux entre les choses: le fils se souvient de la naissance de ses parents, l'6pouse m~ne l'6poux grace son 61oquence (RV. 10.32. 3), le ills est n6 avant ses parents (RV. 10.31.10) , le taureau, la forme du dieu m~le Agni, donne le lair (4.3. 10). Les paradoxes v6diques sont souvent issus de la pr6somption de r~ciprocit~ de rapports qui tout natureltement favorise les inversions et, comme cas particulier, la transformation de l'objet qui subit une action en sujet de ract ion (v. plus loin). V. les observations int6ressantes sur le paradoxe du f'fls engendrant le p~re (cleui- ci n'est p~re que parce qu'il a un ills) et les dieux engendrant le feu et engendr~s par le feu: R. Ambrosini, 'I1 primo inno del .Rg-Veda et rapparente ambiguit~ delia poesia', Linguistica e letteratura, V, 1, 1980, Pisa, p. 16, 19.

A noter la confusion voulue en RV. 10. 53. 11 de la langue organe et du langage (sur cette confusion, Renou, Etudes v@diques et pdnin@ennes, XIV, pp. 81-82). 17 L. Renou, Hymnes spdculatifs du Vdda, 1956, p. 109 et 250 sur l'arri~re-fond de rhymne visant la technique po6tique, et J. Gonda, The Vision o f the VedicPoets, 1963, p. 114. la W. Wrist, Von indogermaniseherDichtersprache, Miinchen, 1969, p. 57 -58 , pr6Fere dis- tinguer trois degr6s dans la formation des m~taphores r~sultant des glissements indiqu6s ci- dessus. On aurait selon lui: (1) l'acte d'atteler par la parole, les objets 6tant les animaux, les v~hicules~ le breuvage s6mique; c'est un niveau o~t ce qui a lieu dans la vie quotidienne est ~t peine d6pass6 par la r6f6rence ~ un moyen d'attelage, la parole; (2) un degr~ plus ~lev6; les dieux (ou les hommes) attellent la parole; (3) on redescend au banal, c'est le porte ~t qui on attribue la connaissance et la mMtrise de rattelage des m~tres po~tiques. C'est, ~ mon avis, m6connMtre les intentions des auteurs v6diques qui devaient viser, par les passages du sujet

robjet, les liens profonds qui unissent ceux-ci et qu'ils mettent continfiment en ~vidence dans leurs r~flexions sur la parole. 19 En outre, levers 3, apr~s les roots reproduits ci-dessus "attelez les charrues, tendez les jougs", a krt@ y6nau vapatehdI b~fam "darts le siUon (ainsi) fait semez la graine!" ce qui appelle aussi un commentaire: y6ni "chemin (trac6)" selon Renou, Etudes v@diques et pdninbennes, XVI~ p. 157, est un mot form6 sur le verhe yu- "mettre en mouvement". Cette valeur principale a subi, dans la langue du RgVeda, des acceptions telles que "attribuer, donner, impartir", mais aussi "unit" , si bien que la notion de chemin est celle de chemin parcouru (v. L. Renou, 'L'acception premiere du mot sanskrit yoni-', Bulletin de la Soci@t@ de Linguistique, 40, 2, 1939, pp. 18-24). S'il est difficile de dire ce qu'implique l'image de la graine stir le plan de la parole po~tique, l'6vocation du chemin des pontes, eUe, est bien ~ sa place: c'est un chemin qu'ils font dans l ' intention d'aceomplir leur ydga, oeuvre d'union. 2o V. encore "Bdndhu et daTc.si.~. Deux termes v6diques illustrant le rapport entre le signifiant et le signifi6': le premier terme d6signant le lien corr~latif et le lien parental traduit 6galement, tout comme la notion d'alli6, cetre fa~on sp6cifique v6dique d'appr6hender les rapports parti- culi~rement 6troits entre les choses ou les 616ments engag6s. V6dique priyh r6unit d'une faqon similaire l'affectivit6 et la notion renvoyant h ce qui est propre h l 'objet affectiorm6, v. la discussion chez M. Scheller, Vediseh priy~- und die Wortsippe frei, freien, Freund, G6ttingen, 1959.

SUR LE T E R M E YOGA DANS LES HYMNES V]~DIQUES 101

21 V. Sur cette lecture de pdrayag6ntave: J. Haudry, L'emploides cas en vddique, p. 106, n. 2 . 3 . 1 . 2 . (2). 22 Ce th~me est d6velopp6 dans un ouvrage en preparation: "La ddesse Usas. Recherches sur le sacrifice de la parole dans le .Rgveda". 23 Sur les rapports entre sv~, adjectif possessif h valeur r6fl6chie, et tmhn, fonctionnant comme substantif r6fl6chi, v. L. Renou, Grammaire de la langue vbdique, Lyon-Paris, 1952 p. 230-231. Cf. L. Renou, Etudes vbdiques et panindennes, XIII p. 124. 24 L. Renou, 'Etudes v6diques, 3. Quelques termes du oRgveda, b. bhndhu ', Journal asiatique, 1953, pp. 171-175 6tudie pr6cis6ment le sens pris par une s6rie de ces termes. 2s L. Renou, Etudes vddiques etpdnindennes, XVI, p. 49. et XV, p. 160; Grammaire de la langue vgdique, p. 381, H. Ltiders, Varuna, p. 452, n. 4. 26 Pour cette traduction, v. les suggestions de L. Renou, Etudes vgdiques et pdningennes, v. p. 110 et surtout, VII, p. 99. 27 La traduction de Renou, Etudes vddiques etpdnindennes, V. p. 73 est quelque peu diff6rente. Cf. ses commentaires : Etudes vgdiques et pdnindennes, VII, p. 30.