Simon Claude Mimouni, Le judaïsme ancien. Des prêtres aux rabbins. Paris, PUF, 2012.

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RB. 2013 - T. 120-2 (pp. 277-303). RECENSION Le judaïsme ancien, du VI e siècle avant notre ère au III e siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins (Coll. Nouvelle Clio ; l’histoire et ses problèmes), par Simon Claude MIMOUNI. 15 x 22 ; IX-960 p. Paris, Presses universitaires de France, 2012. — Br. 49 / (ISBN 978-2-13-056396-9). Dans la même collection était paru en 1968 Le judaïsme et le christianisme antiques, sous la direction de M. Simon et A. Benoît. Des études récentes ont nécessité diverses mises au point, en particulier une meilleure prise en compte de la complexité de la culture antique. La partie relative au christianisme 1 a été refondue en 2006, et voici la partie relative au judaïsme, qui s’étend du retour d’exil à l’établissement et à la domination du judaïsme rabbinique ; l’A. a pré- paré la synthèse qu’il présente par de nombreuses études de détail. Le domaine couvert est énorme, et s’étend même au-delà du III e siècle ; il est réparti en quatre parties principales, suivies de bibliographies et d’index. On commence ici par présenter l’ensemble, avec de légères réorganisations, avant de proposer une discussion de différents points. L’A. commence par une ouverture sur le judaïsme sacerdotal : pendant des siècles après l’exil, la monarchie avait disparu, et le judaïsme a été dominé par une caste sacerdotale héréditaire, elle-même soumise à la Tora, et le tout gravitant autour du temple de Jérusalem. Mais il y aurait eu rivalité entre les sadocides, promus au temps de David et les aaronides, sans même parler de mouvements dissidents, et ce d’autant plus que la Tora, n’étant pas uniforme, exige de l’interprétation. I – Prolégomènes (139 p.) L’A. s’attache d’abord à des précisions terminologiques sur « Juif/Judéen », « Judée », « Palestine », « diaspora », « judaïsme/hellénisme », « Israël », « Hébreu », « peuples/païens ». Il présente ensuite la documentation principale : littérature juive, biblique ou non, en hébreu, araméen ou grec ; historiens de langue grecque ou latine ; archéologie, monnaies et papyrus. Un chapitre est consacré à la for- mation de la Bible canonique et à ses traductions anciennes (Septante, targum) ; 1 Simon Claude MIMOUNI et Pierre MARAVAL, Le christianisme des origines à Con- stantin (Coll. Nouvelle Clio), Paris, P. U. F., 2006 ; cf. RB 117 (2010), p. 306. 96390_RevBiblique_2013/2_06_Recension.indd 277 15/04/13 11:00

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RB. 2013 - T. 120-2 (pp. 277-303).

RECENSION

Le judaïsme ancien, du VIe siècle avant notre ère au IIIe siècle de notre ère. Des prêtres aux rabbins (Coll. Nouvelle Clio ; l’histoire et ses problèmes), par Simon Claude MIMOUNI. 15 x 22 ; IX-960 p. Paris, Presses universitaires de France, 2012. — Br. 49 / (ISBN 978-2-13-056396-9).

Dans la même collection était paru en 1968 Le judaïsme et le christianisme antiques, sous la direction de M. Simon et A. Benoît. Des études récentes ont nécessité diverses mises au point, en particulier une meilleure prise en compte de la complexité de la culture antique. La partie relative au christianisme1 a été refondue en 2006, et voici la partie relative au judaïsme, qui s’étend du retour d’exil à l’établissement et à la domination du judaïsme rabbinique ; l’A. a pré-paré la synthèse qu’il présente par de nombreuses études de détail. Le domaine couvert est énorme, et s’étend même au-delà du IIIe siècle ; il est réparti en quatre parties principales, suivies de bibliographies et d’index. On commence ici par présenter l’ensemble, avec de légères réorganisations, avant de proposer une discussion de différents points.

L’A. commence par une ouverture sur le judaïsme sacerdotal : pendant des siècles après l’exil, la monarchie avait disparu, et le judaïsme a été dominé par une caste sacerdotale héréditaire, elle-même soumise à la Tora, et le tout gravitant autour du temple de Jérusalem. Mais il y aurait eu rivalité entre les sadocides, promus au temps de David et les aaronides, sans même parler de mouvements dissidents, et ce d’autant plus que la Tora, n’étant pas uniforme, exige de l’interprétation.

I – Prolégomènes (139 p.)L’A. s’attache d’abord à des précisions terminologiques sur « Juif/Judéen »,

« Judée », « Palestine », « diaspora », « judaïsme/hellénisme », « Israël », « Hébreu », « peuples/païens ». Il présente ensuite la documentation principale : littérature juive, biblique ou non, en hébreu, araméen ou grec ; historiens de langue grecque ou latine ; archéologie, monnaies et papyrus. Un chapitre est consacré à la for-mation de la Bible canonique et à ses traductions anciennes (Septante, targum) ;

1 Simon Claude MIMOUNI et Pierre MARAVAL, Le christianisme des origines à Con-stantin (Coll. Nouvelle Clio), Paris, P. U. F., 2006 ; cf. RB 117 (2010), p. 306.

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d’autre présentent les corpus les plus importants : Philon, Josèphe, recueils rab-biniques fondateurs, autour de la Mishna.

II – Introductions (47 p.)

Il s’agit d’une vue d’ensemble des cultures au sein desquels le judaïsme s’est formé, ce qui inclut les systèmes politiques et les circuits économiques. Cette genèse s’étend sur trois périodes principales, qualifiées traditionnellement de perse (559-333), hellénistique (jusqu’en 63), et enfin romaine. La première, dominée par les grandes figures de Cyrus et de Darius Ier, est surtout connue par les historiens grecs ; l’immense empire de la dynastie achéménide, mosaïque de peuples et de coutumes, s’affaiblit par querelles intestines, et finalement tombe devant Alexandre le Grand (356-323).

Celui-ci, héritier des philosophes, juge nécessaire d’helléniser le monde pour l’unifier. Il n’ose s’en prendre à Rome, et s’élance en 334 vers l’Asie Mineure, bat Darius III à Issos, près d’Antioche, puis prend soin de conquérir la côte méditerranéenne jusqu’à l’Égypte, où il fonde Alexandrie en 331. Ses arrières assurés, il s’enfonce à l’est jusqu’aux Indes ; il meurt en 323, avant d’avoir sta-bilisé ses conquêtes, mais la langue grecque s’est répandue pour longtemps : c’est le début de la période hellénistique, héritière des Grecs, mais aussi des civilisations égyptienne, araméenne et iranienne. La tradition rabbinique vénère Alexandre, à cause de son hommage (supposé) au grand prêtre de Jérusalem, mais 1 M 1,1 rappelle que ce maître du monde n’était qu’un simple mortel. Ses généraux se disputent l’héritage, et finalement trois royaumes émergent en 301, après plusieurs guerres : le plus modeste est la Macédoine, avec Antigone, mais elle sera conquise en 168 par Rome, qui va s’imposer de plus en plus en Méditer-ranée orientale. Le plus vaste, de l’Anatolie à la Mésopotamie, revient à Séleu-cos Ier, fondateur de la dynastie séleucide. Enfin l’ensemble formé par la Cyré-naïque, l’Égypte et la Syrie Palestine devient le royaume de Ptolémée Ier Lagos, fondateur de la riche dynastie lagide ; Ptolémée II fonde vers 285 la bibliothèque d’Alexandrie, avec un propos de science universelle. Après plusieurs guerres, la Palestine tombe durablement dans l’orbite séleucide en 200, conquise par Antio-chos III. Cependant, les dynasties lagide et séleucide, toujours rivales, s’affai-blissent par querelles intestines.

Les Romains, après la chute de Carthage en 145, ont les mains libres pour neutraliser toute velléité de restauration d’une puissance hellénistique sur la Méditerranée ; en 142, ils reconnaissent officiellement et soutiennent Simon, le grand prêtre de Jérusalem, car la Judée peut former un barrage efficace entre Syrie et Égypte. Plus tard, à la suite d’une campagne énergique de Pom-pée, ils créeront en 64 une province de Syrie incluant la Palestine ; enfin, Octave devenu Auguste s’emparera de l’Égypte en 30, après la défaite d’An-toine et Cléopâtre à Actium. En 40, à la suite d’une guerre civile qui a permis à l’ennemi parthe de contrôler Jérusalem, Hérode le Grand obtient du Sénat la royauté sur une Judée agrandie jusqu’à la Galilée. Après un règne brillant jusqu’en -4, ses héritiers font pâle figure, sous domination romaine. Les catas-trophes de 70 et 135 ôtent pour longtemps tout espoir d’autonomie territoriale judéenne.

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III – Le judaïsme en Palestine (381 p.)

Le cadre d’ensemble est évidemment l’histoire de la Syrie Palestine pendant les trois périodes indiquées, avec les divers mouvements de population. Cepen-dant, l’enquête est malaisée, car les sources sont maigres : en dehors de la Bible et de Josèphe, les historiens grecs en ignorent tout jusqu’au règne d’Antiochos IV vers 175, c’est-à-dire largement après les débuts de la période hellénistique.

Les éléments fondamentaux du judaïsme, à partir du retour d’exil, tiennent à la doctrine et à l’organisation. Il y a d’abord, à côté de la Loi, du Temple et d’un monothéisme strict, la permanence d’une espérance eschatologique, qui prend un tour aigu après le règne d’Hérode, à travers un drame final : c’est ce qu’envisagent Dn et Hénoch, le monde futur pouvant être terrestre ou céleste. Les prophètes l’annoncent aussi, mais leur tâche reste de rappeler l’Alliance et de dire le droit ; Moïse a annoncé un futur prophète comme lui (Dt 18,15). Le messianisme est analogue, mais centré sur la figure d’un nouveau David ou d’un « fils de l’homme ».

Différents mouvements se sont développés. Josèphe signale à plusieurs reprises trois écoles anciennes qu’il fait remonter vers 150, au temps de Jonathan, le premier grand prêtre asmonéen. Ce sont les pharisiens, les sadducéens et les esséniens. Il y rajoute la constellation zélote, issue des pharisiens de Galilée, qui apparaît dès la domination romaine en 63 et prône l’indépendance politique même par les armes ; il s’agit de mouvements messianisants, très religieux et suscités par des chefs charismatiques. Ils sont qualifiés de « brigands », car ils confisquent les taxes religieuses (dîme, prémices, etc.) qui devraient être ache-minées à Jérusalem. Barabbas était l’un d’eux.

Les sadducéens, dont le nom dérive de Sadoq, grand prêtre au temps de David, passent pour dériver des milieux sacerdotaux antérieurs à la crise macca-béenne (oniades) ; conservateurs, ils n’admettent que la Loi écrite – qui ignore la résurrection –, et refusent toute providence. Vers 100, le roi Alexandre Jannée a cru pouvoir s’appuyer sur eux pour s’affranchir de l’adversité des pharisiens. Bien plus tard, au VIIIe siècle, une dissidence juive s’est développée à partir de l’Égypte, prônant un retour à l’Écriture (d’où leur nom de qaraïtes), apparem-ment à la suite des sadducéens.

Les pharisiens tirent leur nom d’une racine qui signifie « expliquer » ou « sépa-rer ». Ils ont développé des « traditions ancestrales » indépendantes de l’Écriture, et croient à la résurrection comme à la Providence. On les rattache aux assidéens (pieux) qui ont résisté à l’hellénisation lors de la crise maccabéenne (167-164), sous Antiochos IV Épiphane, et qui ont appuyé les grands prêtres asmonéens, après les victoires de Judas Maccabée. La tradition rabbinique ultérieure, où la « Tora orale » est de première importance, en a largement hérité.

Les esséniens sont longuement décrits par Philon et Josèphe ; les découvertes de la mer Morte, à partir de 1947, ont permis de préciser leurs doctrines, en rattachant leur origine à un Maître de Justice, peut-être un grand prêtre légitime destitué en 152 au profit de Jonathan, le premier grand prêtre asmonéen. Leur nom dérive peut-être d’un équivalent araméen de assidéens. On suppose qu’ils sont d’ori-gine judéenne. Restant éloignés des sphères du pouvoir à Jérusalem, ils avaient un mode de vie austère et professaient une intense espérance eschatologique.

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En marge de ces mouvements, il faut signaler les « nazoréens », ou « chré-tiens » en grec, qui ont eu une attitude ambiguë à l’égard de l’admission des non-judéens.

Pour donner un contexte au judaïsme d’époques hellénistiques et romaines, l’A. remonte au retour d’exil. À la chute de l’empire babylonien en 539, Cyrus inaugure une nouvelle politique, restaurant les identités locales. On distingue deux retours de rapatriés, sous Cyrus puis sous Darius Ier, et le Temple restauré est inauguré pour la Pâque de 515, mais les Israélites locaux ne sont pas accueil-lis. À partir de 445, Néhémie accomplit deux missions : nommé gouverneur de Judée, il restaure les murs de Jérusalem et repeuple la ville, non sans s’attaquer aux injustices sociales ; plus tard, il revient en réformateur, exigeant la pureté du sacerdoce, le respect du sabbat hebdomadaire – une nouveauté – et le renvoi des épouses étrangères. Par la suite, le prêtre Esdras arrive en Judée en 398 avec d’autres rapatriés : il est chargé par le roi Artaxerxès de pourvoir au culte et de faire régner la Loi, qu’il proclame solennellement à Jérusalem ; il est lui aussi soucieux de pureté généalogique et s’attache à éliminer les épouses étran-gères. Il n’y a plus de dynastie davidique, et les grands prêtres sont dominés par les réformateurs. De plus, la mise au net du Pentateuque met en place la notion de « communauté d’Israël », entièrement recréée à partir des déportés.

Alexandre met fin à l’époque perse. Il réprime une rébellion à Samarie, et selon Josèphe il serait venu à Jérusalem et aurait autorisé l’érection d’un temple au Garizim, mais il s’agit probablement de légendes à la gloire de la Judée. Au terme des querelles entre ses héritiers (Diadoques), la Palestine se trouve d’abord rattachée à l’Égypte, et soumise à un impôt sévère ; de nombreux Judéens vont rejoindre les rives du Nil. Antiochos III, vers 200, conquiert définitivement la Judée puis octroie des privilèges à Jérusalem et au Temple ; il reconnaît les Judéens comme un ethnos de son royaume. Les grands prêtres sont dénommés Oniades, mais ils se rattachent difficilement à ceux de l’époque perse. Lors de la poussée de l’hellénisme à Jérusalem, le dernier grand prêtre Onias est arrêté et sa postérité va établir un temple en Égypte, qui durera jusqu’au temps de Vespasien.

Cette arrivée de l’hellénisme commence par un problème fiscal : Antio-chos IV à court d’argent cherche à s’emparer des trésors de Jérusalem. Onias, arrêté, est remplacé en 175 par son frère Jason, qui offre une forte somme et obtient l’autorisation d’installer des institutions grecques à Jérusalem, avec un large appui populaire. Mais une résistance se développe, et en 168 Antiochos, qui a été empêché par les Romains de conquérir l’Égypte, pille le Temple à son retour, installe une garnison, et finalement lance une persécution : interdiction de la pratique du judaïsme et profanation du Temple en 167. Le prêtre Matta-thias lance une insurrection armée, suivi par Judas Maccabée. Celui-ci recon-quiert Jérusalem et purifie le sanctuaire le 25 Kislev 164, au moment de la mort d’Antiochos. Il cherche l’appui de Rome, mais les combats se poursuivent dans tout le pays jusqu’à sa mort en 160. Le grand prêtre Alkime, nommé par le pouvoir séleucide en 162, reprend de l’autorité, mais meurt en 159. La charge sera vacante jusqu’en 152, lorsque par un coup de chance Jonathan fils de Mat-tathias est institué grand prêtre par Alexandre Balas, qui est revenu d’exil en

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affirmant être l’héritier légitime d’Antiochos IV, contre Démétrios Ier, le roi séleucide en place. En 150, Démétrios meurt et Alexandre se réconcilie avec Ptolémée VI d’Égypte, ce qui consolide la fortune de Jonathan. Cependant, une part de Jérusalem reste hellénisée, les séleucides connaissent des divisions internes, et les tensions continuent. Jonathan est finalement capturé et assas-siné.

Son frère Simon, qui lui succède, manœuvre habilement : à partir de 142, il parvient à libérer entièrement Jérusalem et à être formellement reconnu par Rome. La Judée, théoriquement vassale séleucide est alors pratiquement indé-pendante, malgré quelques soubresauts. Jean Hyrcan, qui succède à son père en 134, mène une politique d’expansion qui vise à restaurer l’ancien Israël du temps de Salomon ; en particulier, il supprime vers 110 le temple samaritain du Garizim, pour marquer la suprématie de Jérusalem. Son fils Aristobule (104-103) prend le titre de roi, qui sera conservé par ses successeurs, son frère Alexandre Jannée (103-76), puis l’épouse de celui-ci, Salomé (76-67). La suc-cession déclenche alors une guerre civile, d’où en 63 l’intervention de Pompée, qui supprime la dignité royale. Les rivalités se poursuivent, mais en 40 les Parthes s’emparent de l’Orient romain et profitent de rivalités locales pour conquérir Jérusalem, avec un ultime asmonéen à leur dévotion.

C’est alors qu’Hérode comprend que les Romains ne peuvent accepter que l’ennemi ait un libre accès à la Méditerranée ; il se précipite à Rome et se fait habilement nommer roi de Judée par le Sénat, mais ce n’est qu’en 37 qu’il parvient à reconquérir Jérusalem. Ami des esséniens et méfiant à l’égard des pharisiens, il consolide le territoire ; vivant somptueusement, il se veut un grand bâtisseur, reconstruit le Temple. Mort en -4, sa succession, confuse, est définie à Rome. Auguste divise le royaume entre ses trois fils survivants, et le titre de roi est suspendu : Hérode Antipas (de -4 à +39) obtient la Galilée et la Transjordanie ; Philippe (de -4 à +34), un territoire important à l’est du Lac ; Archélaüs, la Judée stricte, l’Idumée et la Samarie. Ce dernier est déposé en +6 au profit d’un préfet romain doté de tous les pouvoirs ; sauf peut-être pour le culte du Temple, la juridiction juive est abolie. Plus gravement, les notable juifs sont coincés entre les mouvements messianisants et les Romains ; c’est pour-quoi le grand prêtre Caïphe, face à l’importance du mouvement suscité par Jésus, préfère le dénoncer plutôt que de risquer des représailles.

Tibère meurt en 37, et Agrippa Ier, petit-fils d’Hérode bien en cour à Rome auprès de son successeur Caligula, se voit attribuer peu à peu les territoires de son grand-père et devient finalement roi de toute la Judée hérodienne en 41. Les institutions juives sont rétablies, mais à sa mort en 44, son fils Agrippa II est jugé trop jeune ou trop faible pour régner, et Rome envoie des procurateurs aux pouvoirs limités. La pression et l’incurie romaines croissantes ainsi que l’agitation zélote permanente aboutissent aux ruines de 67-74 ; Agrippa, allié des Romains, garde pourtant son titre jusqu’à sa mort vers 100, mais il ne règne plus que sur quelques territoires hors Judée.

La documentation devient faible pour la période qui suit la guerre. Les nazo-réens ont fui au-delà du Jourdain, et en Judée stricte émerge un mouvement de rabbins, qui se déclare héritier du grand Sanhédrin de Jérusalem et se rattache

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à des pharisiens du temps d’Hérode, mais le titre « rabbin » n’est guère visible avant 70. En 115-117, sous Trajan, se développa une vaste révolte juive, sévè-rement réprimée. Elle s’étendit de la Cyrénaïque à la Mésopotamie, y compris Chypre ; il n’est pas certain que la Judée y ait participé, mais en tout cas elle fut alors transformée en province consulaire, avec un doublement de la garni-son romaine. Tout un messianisme zélote ne cessait de couver ; il se réveilla en force en 132, peut-être en lien avec la refondation de Jérusalem par Hadrien en Ælia Capitolina, ville impériale. Le chef des révoltés, Simon b. Kosba, fut reconnu comme messie par certains, et surnommé Bar Kokhba « fils de l’Étoile » (cf. Nb 24,17) ; il ébaucha un état et frappa monnaie. Ce mouvement, entière-ment rejeté par la tradition rabbinique, fut écrasé en 135, et les circoncis furent bannis de Judée.

Le mouvement rabbinique se transporta alors en Galilée, minoritaire au début, mais se considérant comme représentatif, avec patriarcat et Sanhédrin. Au IIIe siècle sont publiées les traditions des diverses écoles, qui apparem-ment sont immédiatement reçues en Babylonie, mais rien n’en transpire dans le monde de langue grecque ; il en résultera deux commentaires jumeaux et massifs, les talmuds « de Jérusalem » (en fait de Galilée) et « de Babylone », édités plusieurs siècles plus tard. Des synagogues vont se multiplier jusqu’au IVe siècle, plus ou moins fidèles aux préceptes rabbiniques. Quant à la constel-lation issue de Jésus, elle se scinde entre le monde méditerranéen autour du Nouveau Testament, et un ensemble de petits groupes dits improprement « judéo-chrétiens » (nazoréens, ébionites, etc.) ; on en retrouvera des traces dans le Coran.

Entre la Judée et la Galilée figure la Samarie, du nom de la capitale du royaume du nord (Israël), fondée par Omri (1 R 16,24), mais les Samaritains traditionnels sont les descendants des anciens Israélites du nord, centrés sur Sichem et le mont Garizim, lieu de leur temple yahwiste. À partir du retour d’exil, leurs relations avec Judéens puis Galiléens sont houleuses, jusqu’à un divorce définitif lors de la destruction de leur temple par Jean Hyrcan.

IV – Le judaïsme en Diaspora (255 p.)

Après l’exil de 587, peu de Judéens sont revenus de Babylonie. (Philon et Josèphe attestent que de leur temps encore c’était le principal centre de la Diaspora, donc chez l’ennemi des Romains, d’où leur méfiance.) Par la suite, de nombreux Judéens ont été déportés ou transplantés par les rois hellénis-tiques, en Égypte, Syrie, Anatolie. À l’époque romaine, beaucoup ont émigré ou ont été vendus comme esclaves, et dès le premier siècle on en rencontre dans toutes les villes, le plus souvent avec statuts et privilèges ; une évaluation a suggéré que sous Claude l’Empire comprenait environ 10% de Juifs, ce qui n’allait pas sans tensions. Le philosophe Philon d’Alexandrie attachait du prix à cette diffusion, tout en insistant sur l’importance des pèlerinages à Jérusalem, la métropole. Il tient à ce que la loi de Moïse se diffuse, mais il ne s’attache pas à la conversion formelle ; pour lui, le « prosélyte » reste un sympathisant incir-concis. C’est ainsi que la prédication chrétienne primitive a touché des commu-nautés où se mêlaient Juifs et craignant-Dieu.

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La présence judéenne en Égypte et Cyrénaïque est ancienne : il y eut des déportés sous Josias (2 R 23,29) et on a retrouvé les restes d’une colonie à Éléphantine (Assouan), de langue araméenne et remontant au Ve siècle, mais faiblement monothéiste. À l’époque hellénistique, les colons ou déportés étaient assimilés aux Grecs, et non aux Égyptiens, mais les tensions furent permanentes, incluant même des agitations messianisantes. C’est à Alexandrie que la Bible a été traduite en grec, puis prolongée par divers écrits ; l’existence de synago-gues (dites « maisons de prière ») est bien attestée, non moins que celle de groupes très structurés, comme les thérapeutes. Au IIe siècle, le temple d’Onias, à Léontoplis-Héliopolis, est une autre singularité. En 30 av. J.-C. la domination romaine entraîne des réformes : le statut des minorités est supprimé. Les Juifs sont alors assimilés aux Égyptiens ; pourtant, il n’y a pas d’indice qu’ils aient utilisé la langue démotique locale traditionnelle. Plus tard, après le IIIe siècle, ils sont revenus à l’hébreu et à l’araméen, et ce sont les chrétiens « coptes » qui ont maintenu vivante la langue égyptienne, mais leur lien avec le christianisme pri-mitif de langue grecque (d’Apollos à Clément d’Alexandrie) n’est pas clair.

Selon Josèphe, c’est en Syrie que le peuple judéen est le mieux représenté au Ier siècle, surtout à Damas et dans la capitale Antioche ; c’est d’ailleurs là que les « disciples » furent qualifiés de « chrétiens ». Plus à l’est, dans le monde araméen jusqu’à la Mésopotamie, les descendants des exilés étaient nombreux, et le mouvement issu de Jésus fut lent à pénétrer.

En Italie, en Afrique et en Gaule, la présence judéenne s’est développée progressivement dès que Rome eut maîtrisé l’ensemble de la Méditerranée, au IIe siècle. Auparavant, vers 200, Antiochos III avait envoyé des Juifs de Baby-lonie s’établir comme colons civils en Asie Mineure, pour contrer une poussée romaine ; de là ils atteignirent plus tard la Grèce.

V – Ouverture sur le judaïsme rabbinique (12 p.)

Celui-ci n’est certainement pas la suite immédiate et définitive de la ruine de 70 ; si l’on en juge par la documentation disponible région par région, on voit de grandes variations de coutumes, ce que Philon avait déjà noté ; le terme halakha, d’origine araméenne, désigne une manière de faire, tirée de la Bible ou non. Cherchant cependant un dénominateur commun, l’A. le trouve dans l’ensemble des règles de pureté, déjà très présentes dans l’Écriture, selon un principe de séparation. Elles opèrent à divers niveaux : diététique, corporel, éthique, cultuel ; les rites de purification sont variés et complexes, mais la constante est que l’im-pureté est contagieuse, à la différence de la pureté. Le système rabbinique, illustré par la Mishna, s’est formé au IIe siècle grâce à un petit nombre de sages, avec de fortes connexions babyloniennes ; plutôt sectaire à l’origine, il n’est devenu que lentement la norme générale, suivie ou non. Il n’est certainement pas la matrice du christianisme, dont le courant principal, avec le Nouveau Testament, s’est fixé à la même époque ; c’est à partir de Constantin que celui-ci est devenu une reli-gion proprement dite, alors même que le judaïsme s’y refusait.

Grâce à ses vastes enquêtes, la plupart portant sur les périodes commençant avec l’Empire romain, l’A. montre bien que le judaïsme rabbinique, d’origine

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marginale, ne s’est imposé que lentement comme référence2. Cependant, il est plus à l’aise dans la collecte de faits (archéologie, épigraphie, monnaies) que dans l’analyse et l’évaluation des documents anciens, surtout si ceux-ci sont le produit de longues traditions. La discussion qui suit envisage successivement le sacerdoce, les Samaritains, les écoles ou « philosophies », le judaïsme rab-binique, le christianisme, la synagogue ; l’ordre choisi est plus logique que chronologique3.

1. Sacerdoce. Bien que ce soient les prêtres et les lévites qui sont chargés en principe d’instruire le peuple et de régler le culte (Dt 17,8-11 ; 2 Ch 35,2), la situation réelle sous la monarchie n’est pas claire. Par la suite, Esdras le réfor-mateur est bien un prêtre-scribe, mais sa généalogie en fait un frère du grand prêtre exilé en 587 (Esd 7,2 et 1 Ch 5,41), et oncle du grand prêtre de retour d’exil, Josué fils de Yahoçadaq, collègue de Zorobabel (Esd 3,2). Littérairement, il est donc en position d’autorité pour réformer tout le peuple, avec l’affaire des épouses étrangères (Esd 10,18) et la proclamation de la Loi (Ne 8,13-9,3). Néhémie, constructeur et réformateur, est un laïc qui apparemment prend aussi autorité sur la famille du grand prêtre (Ne 13,28). Ces deux réformateurs venus de Babylonie introduisent des coutumes non bibliques, mais les effets rédaction-nels suggèrent une homogénéité avec les époques antérieures et avec la loi de Moïse. De plus, la succession des grands prêtres à l’époque perse est très impré-cise4 (cf. Ne 12,10.22-23). Après Alexandre, elle commence dans les brumes, et l’A. admet qu’il y a une discontinuité ; c’est d’autant plus probable que les grands prêtres ont un nouveau nom, Onias, qui est d’origine égyptienne (« Ôn » est rendu « Héliopolis » en Ex 1,11 LXX), ce qui correspond au fait que la Judée fut d’abord sous domination lagide. La succession des grands prêtres chez les Samaritains du Garizim est beaucoup moins précaire.

Flavius Josèphe, qui tient à la légitimité dynastique, dispose de sources com-plétant la Bible : il détaille la postérité des deux fils d’Aaron, Éléazar et Itamar, celui-ci étant l’ancêtre du prêtre Éli de Silo (AJ 5:361-362 ; 8:12) ; il donne pour l’époque royale une liste de dix-huit grands prêtres (AJ 10:152-153), plus complète et moins invraisemblable que celle de 1 Ch 6,35-36. Pourtant, au

2 Cela représente un gain considérable sur la perspective de la somme documentaire d’Emil SCHÜRER, Geschiche des jüdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, Helsingfors, Hinrichs, 41901-1909, qui en présentant le judaïsme rabbinique jugeait implicitement qu’étant le mieux documenté il représentait adéquatement les réalités du temps de Jésus ; cette source d’erreurs s’est maintenue dans la remarquable version anglaise moderne, pourtant largement mise à jour, de Geza VERMES et al. (eds.), The History of the Jewish People in the Age of Jesus Christ (175 B.C. – A.D. 135), Edinburgh, T. & T. Clark, 1974-1987.

3 Suivant une coutume récente, l’A. préfère « Judéen » à « Juif » pour les époques anciennes, mais il n’est pas sûr que cela clarifie les choses, cf. David M. MILLER, « The Meaning of Ioudaios and its Relationship to Other Group Labels in Ancient ‘Judaism’ », CBR 9 (2011), p. 98-126.

4 Cf. les efforts infructueux de James C. VANDERKAM, From Jeshua to Caiaphas. High Priests after the Exile, Minneapolis, Fortress Press, 2004, qui s’efforce de tirer le maximum de Josèphe.

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moment de la crise maccabéenne, il rapporte qu’après la mort d’Alkime, le dernier grand prêtre aaronide (159), le pontificat de Jérusalem connut une lacune de sept ans jusqu’à l’élévation de Jonathan, le premier grand prêtre asmonéen (153). Auparavant, un neveu du dernier Onias d’avant la crise avait fui en Égypte, où il avait obtenu du roi Ptolémée VI Philomètor (181-146) le titre de grand prêtre, ainsi que l’autorisation de bâtir dans le nome d’Héliopolis un temple semblable à celui de Jérusalem ; la politique avait sa part, car à ce moment la Judée était sous domination séleucide (AJ 20:233-238). Donc, le centre de gravité du judaïsme était passé pour un temps en Égypte, et il n’y a aucune raison de supposer qu’il y eut à ce moment un grand prêtre de légi-timité aaronide ou sadocide, dont le nom aurait été effacé des sources. En tout cas, selon la lettre aux Juifs d’Égypte citée en 2 M 1,1-10, ceux-ci persistaient encore en 124 à ne pas reconnaître la légitimité du temple de Jérusalem et de la dynastie asmonéenne associée. C’était sous Jean Hyrcan (134-104), fils du grand prêtre Simon, lequel avait pourtant obtenu en 142 la protection expli-cite des Romains (1 M 15,16-21). Il est remarquable qu’après la disparition de la dynastie asmonéenne (sous Hérode, AJ 20:249), de nombreux grands prêtres étaient d’origine égyptienne ; les plus notables furent de la famille de Boéthos, beau-père d’Hérode. La tradition rabbinique ultérieure rejettera les « boéthu-siens » comme les sadducéens, largement pour des questions de calendrier (cf. m.Men 10:3).

2. Samaritains de Sichem. Ce sont certainement les descendants des anciens Israélites du Nord, malgré les traditions rapportées par Josèphe : il veut en faire une secte juive abâtardie qui serait apparue peu avant Alexandre5. Des fouilles récentes ont dégagé au Garizim un sanctuaire au culte yahwiste anico-nique, remontant au moins au Ve siècle6. Un phénomène notable est le refus des rapatriés d’exil – ou au moins de leurs chefs, de Zorobabel à Néhémie –, de considérer les Israélites locaux comme légitime7. Ces ancêtres du judaïsme ultérieur se considèrent comme le véritable Israël, alors qu’ils ne sont qu’une minorité, que la tradition ultérieure qualifiera comme « les Hommes de la grande Assemblée8 » (cf. Ne 10,1-25). Comme malgré lui, Josèphe les identifie à des « anciens » qui sont venus troubler une harmonie traditionnelle entre les deux temples, de Jérusalem et du Garizim, et leurs adhérents respectifs (AJ 11:312). En réalité, cette coexistence était encore sensible lors de la crise maccabéenne, car 2 M 5,22 rapporte qu’en 168 Antiochos Épiphane, revenant d’un échec à conquérir l’Égypte, persécutait « la nation », profanant ses deux temples. Cependant, par la suite, Judas Maccabée puis les asmonéens furent les héritiers

5 Cf. Étienne NODET, Samaritains, Juifs, Temples, Gabalda, 2010. 6 Cf. Yitzak MAGEN, « The Dating of the First Phase of the Samaritan Temple on

Mount Gerizim in Light of the Archaeological Evidence », dans : Oded LIPSCHITS, Gary N. KNOPPERS & Rainer ALBERTZ (eds.), Judah and the Judeans in the Fourth Century B. C. E., Winona Lake, Eisenbrauns, 2007, p. 157-212.

7 L’importance des Samaritains reste sous-estimée dans les synthèses les plus récentes, par exemple Peter SCHÄFER, Geschichte der Juden in der Antike, Tübingen, Mohr-Siebeck, 22010, p. 3-10.

8 Cf. Élie J. BIKERMAN, « Viri magnae congregationis », RB 55 (1948), p. 397-402.

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de Néhémie, parti exclusif devenu dominant, d’où le refus des Juifs d’Égypte, indiqué plus haut, ainsi qu’une grande méfiance des Samaritains (AJ 12:258-261).

Ce n’est que plus tard, vers 150, que la rupture fut consommée. Josèphe rapporte un procès à Alexandrie, sous le même Ptolémée VI (AJ 13:74-79). C’était une attaque des Samaritains contre les Juifs. Ils demandaient au roi d’arbitrer un conflit : Qui avait le véritable temple selon le Pentateuque ? Les Juifs gagnèrent, mais les arguments invoqués – succession des grands prêtres et réputation du temple de Jérusalem – n’étaient nullement bibliques9. La décision du roi fut politique, ce qui sauva le temple de Jérusalem, car sa position était très précaire. De fait, Dt 11,29 prescrit aux Israélites, dès leur entrée en Terre promise, de placer la bénédiction sur le Garizim et la malédiction sur l’Ébal, les deux montagnes encadrant Sichem, et c’est réalisé en Jos 8,30-35. Cependant, malgré cette précision topographique, le « lieu que YHWH a choisi pour y éta-blir son nom10 », du code deutéronomique qui suit (Dt 12,5), n’est pas nommé, ce qui suggère une certaine flexibilité11, voire le refus de trancher entre deux temples parallèles. Ces circonstances expliquent pourquoi Jean Hyrcan, s’effor-çant d’agrandir la Judée au nord et au sud, prit soin de détruire le temple du Garizim dès qu’il le put, peu après 129 selon Josèphe, mais plutôt vers 112-111 selon l’interprétation de monnaies recueillies sur divers sites12 ; on voit bien pourquoi il n’a pas cherché à ramener les Samaritains dans le giron juif. Cela confirme qu’en 124, date de la lettre aux Juifs d’Égypte citée plus haut, la posi-tion de Jérusalem était encore précaire, ce que 1-2 Maccabées puis Josèphe s’efforcent de dissimuler.

3. Pharisiens, sadducéens, esséniens. Les trois maillons faibles des explica-tion usuelles, que reprend l’A., sont liés : d’abord, l’idée que les sadducéens, fidèles à l’Écriture stricte, seraient un parti sacerdotal resté fidèle à la dynastie prémaccabéenne, supposée sadocide ; ensuite, la thèse que les pharisiens auraient développé après eux des traditions orales prolongeant l’écrit ; enfin, une opinion

9 Pour plus de détails, cf. Étienne NODET, « Alexandrie, Ben Sira, Prophètes, Écrits », RB 119 (2012), p. 110-118.

10 Ainsi Adrian SCHENKER, « Le Seigneur choisira-t-il le lieu de son nom ou l’a-t-il choisi ? L’apport de la Bible grecque ancienne à l’histoire du texte samaritain et mas-sorétique », dans : Anssi VOITILA & Jutta M. JOKIRANTA (éds.), Scripture in Transition : Essays on Septuagint, Hebrew Bible, and Dead Sea Scrolls in Honour of Raija Sollamo (JSJ Supplements, 126), Leiden, Brill, 2008, p. 339-351, qui conclut par la critique tex-tuelle que la forme au futur est judéenne, de manière à aboutir à Jérusalem, comme le montre la révélation de Dieu à Salomon (1 R 8,16). La forme au passé est attestée en Ne 1,9.

11 Cette indétermination du lieu est reconnue par Josèphe (AJ 4:203), ainsi que par la tradition rabbinique, qui affirme que le lieu du culte peut être changé « si un prophète le décide » (Sifré Num. §70 sur Dt 12,13-14) ; mais ni l’un ni l’autre n’envisagent le Garizim.

12 Ce qui correspond à un affaiblissement majeur de la tutelle séleucide, dû à une guerre civile entre Antiochos VIII et Antiochos IX, vers 113-112, cf. Reinhard PUMMER, The Samaritans in Flavius Josephus (Texts and Studies in Ancient Judaism, 129), Tübingen, Mohr-Siebeck, 2009, p. 281-320.

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issue des découvertes de Qumrân, que les esséniens seraient issus de Jérusalem, par suite d’une dissidence sadocide, promue par un Maître de Justice s’exilant de Jérusalem après y avoir été grand prêtre pendant la lacune de sept ans entre Alkime et Jonathan (159-152).

Pour les sadducéens, il faut exclure une continuité dynastique « sadocide », que les textes dénient. De plus, Ac 5,17 laisse entendre que les sadducéens sont le milieu entourant le grand prêtre, mais le passage est complexe, et on ne peut l’extrapoler indûment ; le seul grand prêtre sadducéen identifié est Ananos, qui fit lapider légalement Jacques, frère de Jésus (AJ 20:201). Josèphe place une notice sur les trois écoles du judaïsme (pharisiens, sadducéens, esséniens) au temps du grand prêtre Jonathan (AJ 13:171-173), mais il a été montré13 que c’est un anachronisme destiné à atténuer une discontinuité dynastique entre Jean Hyrcan et Alexandre Jannée (103-76). C’est ce dernier et lui seul qui a voulu s’appuyer sur les sadducéens, car l’opinion publique pharisienne ne l’acceptait pas comme grand prêtre. C’était un parti de réformateurs par retour à l’Écriture. En effet, les observations faites sur Esdras et Néhémie indiquent qu’ils ont importé de Babylonie des traditions non bibliques, en particulier sur la pureté généalogique et sur l’observance du sabbat. Ce sont les ancêtres des phari-siens, relayés ensuite par Judas Maccabée et les assidéens du désert (« pieux »), d’observance stricte (cf. 1 M 2,42 ; 2 M 14,16), puis par les asmonéens, sans compter une vaste expansion dans l’empire romain. Dans les diverses notices de Josèphe présentant les écoles du judaïsme, les sadducéens sont toujours opposés aux traditions des pharisiens, et il n’est jamais dit que les pharisiens ont ajouté quelque chose à l’enseignement des sadducéens.

Quant aux esséniens, ils ont aussi été rattachés aux assidéens au nom de considérations étymologiques, mais cela ne peut convenir, car ils sont profon-dément différents des pharisiens. L’admission d’un candidat est individuelle, ignorant toute généalogie et dévalorisant la circoncision au profit d’un système de baptêmes. Leur forme de vie n’est nullement biblique, mais un examen des groupes ou associations dans le monde grec et autour a montré que les parallèles les plus remarquables se trouvent effectivement dans les traditions pythagori-ciennes, comme l’indique Josèphe14 : cooptation sans souci de généalogie, avec étapes d’admission ; partage des biens total ou partiel ; impureté générale des non-membres ; pénalité spéciale (écrite) pouvant aboutir à l’expulsion ; interdic-tion des serments ; immersion avant les repas ; vêtements blancs ; vénération du soleil. Il y a toutefois des différences notables : contrairement aux esséniens, qui cultivent le sol selon la meilleure tradition biblique (cf. Dt 26,1-11), les pytha-goriciens sont des « philosophes ». Philon connaît et apprécie les esséniens, alors qu’il ignore tout des autres écoles (pharisiens, sadducéens). Il sait qu’ils

13 Cf. Joseph SIEVERS, « Josephus, First Maccabees, Sparta, the Three Haireseis – and Cicero », JSJ 32 (2001), p. 241-251.

14 Justin TAYLOR, Pythagoreans and Essenes. Structural Parallels (Coll. REJ, 32), Paris – Louvain, Peeters, 2004. Sur les différentes formes sociales des esséniens, cf. John J. COLLINS, Beyond the Qumran Community : The Sectarian Movement of the Dead Sea Scrolls, Grand Rapids, Eerdmans, 2009.

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résident en Syrie-Palestine (Quod omnis probus, §75). Il les définit comme d’excellents adorateurs de Dieu, en utilisant le terme therapeutai. Ailleurs (De vita contemplativa, §78), Philon décrit longuement d’autres groupes appelés justement « thérapeutes », qui ont une branche féminine. Ils vivent en commu-nautés dans le désert, spécialement autour d’Alexandrie, mais aussi ailleurs dans le monde ; ce sont des « philosophes », qui évitent le travail manuel, ce qui les rapproche encore des pythagoriciens. Dans ces conditions, une meilleure interprétation du terme « essénien » peut se faire d’après une autre racine ara-méenne, qui signifie justement « guérir », ce qui suppose sagesse et connais-sance. Il y a donc lieu de supposer qu’esséniens et thérapeutes sont à l’origine deux branches d’une même réalité, qu’il faut certainement rattacher à l’Égypte15.

4. Judaïsme rabbinique. Il ne fait aucun doute que cette création non sacer-dotale n’est pas antérieure au IIe siècle, et qu’elle est issue d’une minorité de sages, en divers points de Galilée. Il est certain aussi que l’importance donnée à la tradition orale – d’autorité quasi mosaïque – se rattache aux pharisiens et à la Babylonie, où la Mishna trouva immédiatement un écho. Après 135, des tra-ditions relatives au temple de Jérusalem ont été recueillies, mais il y a d’autres sources. L’année même de la publication de la Règle de communauté (1QS) un talmudiste réputé a montré qu’elle se rattache étroitement à un type particulier de confréries décrit par les sources tannaïtiques, la habura, que l’on ne trouve qu’au pays d’Israël16. C’est un club très exigeant, qui n’admet comme nouveau membre que des Juifs observants. Au moment de l’admission, le candidat doit s’engager oralement devant des rabbim (j.Demaï 3:2,22). Il y a identité entre ces rabbim et la « communauté » (yahad) de 1QS 6:16.25 ; 7:16.19. Ces confréries sont vénérées, mais ne sont pas à imiter, à cause de leur sectarisme, car la tra-dition rabbinique s’est voulue accessible à tout un peuple, du moins lors de sa maturité. Il est notable que le terme « rabbi » n’apparaît qu’au Ier siècle ; il figure aussi dans les évangiles, autour de Jésus et de Jean-Baptiste, et il n’y a aucune raison de ne pas faire de rapprochement, surtout en observant l’importance du baptême de part et d’autre17.

Le judaïsme rabbinique se veut héritier du grand Sanhédrin de Jérusalem, lui-même supposé prolonger l’assemblée des 70 anciens autour de Moïse (Nb 11,16). Au temps d’Alexandre, Hécatée d’Abdère signale l’autorité légale d’une assem-blée de prêtres nommés par Moïse et gouvernés par un grand prêtre (Photius,

15 Pour plus de détails, cf. Étienne NODET, « Sadducéens, sadocides, esséniens », RB 119 (2012), p. 186-212.

16 Saul LIEBERMAN, « The Discipline in the So-Called Dead Sea Manual of Discipline », JBL 71 (1952), p. 199-206, s’appuyant sur m.Demaï 2:3 et d’autres sources associées. Il s’étonne que la tradition rabbinique soit aussi proche d’un mouvement aussi mar-ginal. Laurence L. SCHIFFMAN, « The Dead Sea Scrolls and the Early History of Jewish Liturgy », dans : Lee I. LEVINE (ed.), The Synagogue in Late Antiquity, Philadelphia, ASOR, 1987, p. 33-48, observant de fortes analogies liturgiques, veut croire que les textes de la mer Morte attestent la coutume juive ordinaire, reprise ensuite par la tradi-tion rabbinique.

17 Cf. Étienne NODET, « Rabbi », RB 118 (2011), p. 123-129 ; ID., « Le baptême des prosélytes, rite d’origine essénienne », RB 116 (2009), p. 82-110.

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Codex 244) ; cela correspond à peu près au sénat (gerousia) mentionné en 2 M 1,10 et ailleurs. C’est une assemblée de notable, institution naturelle en toute cité. La notion de « sanhédrin » est différente, car le terme grec évoque une table ronde rassemblant différentes entités de même rang. Après la création de la province romaine de Syrie, le gouverneur Gabinius créa vers 56 cinq san-hédrins en territoire juif (AJ 14:91), ce qui laisse entendre qu’après diverses guerres civiles il cherchait à faire cohabiter différentes factions ou partis pour gouverner et juger. Par la suite, il n’est plus question que du sanhédrin de Jéru-salem. Josèphe affirme dans son sommaire des grands prêtres (AJ 20:251) qu’après la disparition d’Hérode et de son fils Archélaüs « la constitution devint une aristocratie, et les grands prêtres se virent confier la présidence de la nation ». C’est trop bref, car dans ce résumé il omet la présence romaine : après la déposition d’Archélaüs, son domaine devint une quasi province, avec un préfet tout-puissant (de 6 à 39), le plus célèbre étant Pilate. C’est alors le droit romain qui est en vigueur, le Sanhédrin ayant formellement disparu ou étant réduit à un simple conseil entourant le grand prêtre pour les affaires du Temple. Selon b.Sanh 41a le grand prêtre est alors installé dans une « boutique » (hanut), ce qui est un jeu de mots méprisant sur le nom d’Ananos (hanan), qui fut le premier grand prêtre nommé par les Romains (6-15, jusqu’à la mort d’Auguste). Lorsque Agrippa Ier devint pleinement roi, la juridiction juive sur le territoire de Judée était durablement restaurée, c’est-à-dire le Sanhédrin sous la présidence du grand prêtre, avec des docteurs issus des diverses écoles, prêtres ou non. Josèphe lui-même, lorsqu’il parle de ses qualifications, explique qu’entre 53 et 57 il se forma successivement chez les pharisiens, les saddu-céens et les esséniens, et que finalement il suivit les premiers (Vie §10-12). Incidemment, on peut observer que chez les Synoptiques le procès de Jésus au Sanhédrin, assemblée sans pouvoir réunie une nuit de fête, n’est qu’un effet littéraire.

Quant à l’origine jérusalémite du judaïsme rabbinique, avec ou sans Sanhé-drin, elle reste très douteuse historiquement, malgré l’implication de la dynas-tie du pharisien Gamaliel. Au temps d’Hérode, Hillel l’Ancien était arrivé de Babylonie à Bathyra, sur le Golân (AJ 17:23-25 ; j.Pes 6:1,39a). Son ultime disciple, R. Yohanân b. Zakkaï, avait enseigné 20 ans près de Séphoris (j.Shab 16:8,15d), avant d’arriver en Judée en 68, avec Vespasien, pour fonder l’école de Yabné-Iamnia (cf. G 4:130.444). Un recueil tardif rapporte deux récits : selon l’un, il se rendit pendant la guerre à Vespasien, lui prédit en latin qu’il deviendrait empereur, et en obtint de s’installer à Yabné avec quelques docteurs ; selon l’autre, ayant tenté en vain dans Jérusalem durement assiégée de persuader ses concitoyens d’interrompre une guerre vaine, il aurait fui la ville caché dans un cercueil pour se rendre à Vespasien et en obtenir des conces-sions18. Il s’agit manifestement d’un transfert approximatif sur Yohanân, le véritable sauveteur d’Israël, de ce que Josèphe dit de lui-même : Josèphe à

18 Cf. Abot de-Rabbi Natan A, 4 ; ces récits sont transmis sous plusieurs versions, présentées et commentées par Jacob NEUSNER, A Life of Yohanan ben Zakkai, Ca. 1-80 C. E. (Studia Post-Biblica, 6), Leiden, Brill, 21970, p. 152-156.

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Yotapata s’est rendu à Vespasien, après avoir échappé à un suicide collectif, et lui a prédit qu’il serait empereur (G 3:401) ; on a même cru qu’il était mort (G 3:432), d’où le faux cercueil. Par ailleurs, Josèphe lui-même déclare avoir longuement harangué, mais en vain, les habitants de Jérusalem assiégés par Titus (G 5:362-419). La notion de trahison est à manier avec nuances.

5. Christianisme. Ce n’est pas le sujet de l’ouvrage, mais les allusions à la postérité de Jésus, juive ou non, que l’A. est obligé de faire sont insuffisantes19. Il est apparemment victime d’une théorie moderne voulant que la séparation définitive entre christianisme et judaïsme n’ait été consacrée qu’au concile de Nicée, ce qui a pour conséquence une appréciation très floue du « mouvement de Jésus ». D’abord, l’équivalence proposée entre « chrétiens » et « nazoréens » est abusive : le premier terme, avec un suffixe latin et une nuance criminelle, est apparu à Antioche dans des conditions troubles (Ac 11,26) ; au départ, il est à rattacher à une agitation messianisante plus qu’à Jésus lui-même ; plus tard, il restera attaché aux communautés mêlant Juifs et non-Juifs, dont la prédica-tion de Paul est le symbole. C’est ce que montre déjà la notice de Josèphe, qui se fonde sur la confession de foi des chrétiens de Rome (AJ 18:63-64). Au contraire, « nazoréen » représente la famille ou le clan de Jésus, qui portait l’attente du Messie fils de David et qui n’admit pas que Jésus s’en sépare pour entrer dans le baptême de Jean. Son représentant typique était Jacques, et il est notable que son entourage, avec « les milliers de croyants, zélés partisans de la Loi » n’aient rien fait pour défendre Paul lorsqu’il a été arrêté à Jérusalem (Ac 21,20). Il y a donc trace de divisions sérieuses dès les origines, et dans la suite on voit des débats constants avec les « judaïsants ». Pour le judaïsme, la notion de séparation, liée à l’élection et à l’alliance, est essentielle, et l’épisode de Pierre chez Corneille, d’allure pourtant très limitée, représente un boulever-sement majeur (Ac 11,3). À cet égard, il faut rappeler que les Juifs ruraux de Galilée ne sont pas des peuples locaux circoncis de force par Aristobule en 104, comme on a voulu le faire dire à Josèphe20. Ils étaient issus de rapatriés de Babylonie, et largement de culture pharisienne. Ils n’ont pas accepté Hérode comme roi, car il n’était pas d’origine juive, et c’est de Galilée qu’on surgi les zélotes, le plus célèbre étant Judas le Galiléen.

On observe aussi un autre contraste : les Actes et l’ensemble des épîtres ne disent rien des activités de Jésus et de son enseignement (sauf sur le divorce et sur l’Eucharistie). Il s’agit toujours de discours sur Jésus, sa mort et sa résurrection accomplissant l’Écriture (le kérygme), avec un effet eschatologique immédiat.

19 En particulier, il aurait pu tirer meilleur profit de la vaste synthèse de Oskar SKARSAUNE & Reidar HVALVIK (eds), Jewish Believers in Jesus. The Early Centuries, Peabody, Hendrickson Publishers, 2007 ; cf. RB 118 (2011), p. 443-454. De même, les Pères apostoliques auraient pu être davantage exploités.

20 Selon AJ 13:319, citant des géographes, Aristobule annexa vers 104 « une partie du territoire des Ituréens, et les circoncit de force », et SCHÜRER-VERMES I :141 et 562, II :8, en déduit à tort qu’il s’agit des Galiléens, qui par ailleurs ne peuvent être les descendants des anciens Israélites du nord, car ils seraient alors samaritains.

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C’est d’autant plus remarquable que Lc 1,1 signale des relations écrites des événements par des témoins oculaires dignes de foi, c’est-à-dire la matière première des récits évangéliques. De fait, un enseignement de Jésus a dû se dif-fuser largement, puisque Apollos d’Alexandrie en savait tout, mais ne connaissait que le « baptême de Jean » (Ac 18,25). Cela suggère que le Nouveau Testament dans son ensemble, malgré les apparences, développe ce qui ne fut à l’origine qu’une part infime de l’héritage de Jésus ; c’est un effet de tradition assez ana-logue à ce qu’a fait le judaïsme rabbinique.

6. Synagogues. La notion de judaïsme synagogal que propose l’A. est en fait difficile à définir, car ses origines se perdent. Josèphe et le Nouveau Testa-ment attestent l’existence de synagogues au Ier siècle, en Judée et dans le monde méditerranéen, mais auparavant, on ne voit pas grand-chose, ni en Syrie-Palestine ni en Babylonie. Par contre, on en relève des traces nettes en Égypte trois siècles auparavant, avec des jonctions entre maison de prière et lieu d’étude. Pour le judaïsme rabbinique, dès la Mishna, la synagogue est un bâtiment sacré et les prières portent les noms des sacrifices au Temple ; il s’agit donc d’un substitut. Les écarts entre les préceptes des rabbins et ce qu’on a retrouvé dans diverses synagogues d’époque romaine et byzantine (images, symboles païens) ne sont peut-être pas plus grands que les différences qu’on observe entre l’enseignement des écoles et les targums, plus populaires mais dont l’usage liturgique est offi-ciellement proscrit. Un tapis de mosaïque recueilli à Rehob porte même une page de Talmud. Le fait saillant est la généralisation à partir de l’époque romaine de cette institution, dans le monde sémitique comme dans le monde de langue grecque, alors qu’ils sont par ailleurs si différents.

On peut tenter une hypothèse sur l’origine de la synagogue comme lieu sacré, à partir de l’antériorité égyptienne signalée plus haut. Philon indique que les esséniens ont des lieux sacrés qu’ils appellent spécifiquement « synagogues », où se déroulent des cérémonies le sabbat, avec prière et enseignement (Omnis probus §81) ; pour les thérapeutes, il mentionne une coutume analogue dans des lieux appelés « sanctuaires communs » (Vita contempl. §32). L’hypothèse consiste à supposer que l’utilité d’un lieu de culte et d’enseignement s’est pro-pagée en grec à partir des thérapeutes, et en hébreu à partir des esséniens, les uns et les autres soucieux de stimuler leurs coreligionnaires éloignés du Temple. Il est possible d’ailleurs que cette diffusion soit assez ancienne en Égypte, car dans sa supplique à Ptolémée VI pour bâtir un temple comme celui de Jérusa-lem, l’Onias exilé lors de la crise maccabéenne explique que presque partout où se trouvent des Juifs, ils ont des temples (hiera), ce qui provoque des querelles sur le culte ; il se propose donc d’unifier cet ensemble.

En résumé, il faut féliciter l’A. pour avoir défriché et présenté de nombreux dossiers, mais sa synthèse prête à discussion. D’ailleurs, rien n’est clos, car il reste au moins une question majeure : si le divorce définitif entre Juifs et Sama-ritains est à situer vers le milieu du IIe siècle, comment expliquer que la Bible de ces derniers soit aussi courte ?

Jérusalem, décembre 2012. Étienne NODET.

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