Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1

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Revue Française de Civilisation Britannique French Journal of British Studies XVIII-1 | 2013 Orthodoxie et hérésie dans les îles Britanniques Numéro spécial en hommage à Christiane d’Haussy Heresy and Orthodoxy in the British Isles Yannick Deschamps et Suzy Halimi (dir.) Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/rfcb/3520 DOI : 10.4000/rfcb.3520 ISSN : 2429-4373 Éditeur CRECIB - Centre de recherche et d'études en civilisation britannique Édition imprimée Date de publication : 1 mars 2013 ISBN : 2-911580-37-0 ISSN : 0248-9015 Référence électronique Yannick Deschamps et Suzy Halimi (dir.), Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013, « Orthodoxie et hérésie dans les îles Britanniques » [En ligne], mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le 02 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/rfcb/3520 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfcb. 3520 Ce document a été généré automatiquement le 2 juillet 2021. Revue française de civilisation britannique est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International.

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Revue Française de Civilisation BritanniqueFrench Journal of British Studies 

XVIII-1 | 2013Orthodoxie et hérésie dans les îles BritanniquesNuméro spécial en hommage à Christiane d’HaussyHeresy and Orthodoxy in the British Isles

Yannick Deschamps et Suzy Halimi (dir.)

Édition électroniqueURL : https://journals.openedition.org/rfcb/3520DOI : 10.4000/rfcb.3520ISSN : 2429-4373

ÉditeurCRECIB - Centre de recherche et d'études en civilisation britannique

Édition impriméeDate de publication : 1 mars 2013ISBN : 2-911580-37-0ISSN : 0248-9015

Référence électroniqueYannick Deschamps et Suzy Halimi (dir.), Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013,« Orthodoxie et hérésie dans les îles Britanniques » [En ligne], mis en ligne le 01 mars 2013, consulté le02 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/rfcb/3520 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rfcb.3520

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NOTE DE LA RÉDACTION

Ce numéro a bénéficié de subventions de la part de l’Université Paris-Est Créteil, du

CRPA (Culture et Religion dans les Pays Anglophones) et du CRECIB.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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SOMMAIRE

Avant-proposYannick Deschamps et Suzy Halimi

HommagesSimone Lavabre et Yves-Marie Hilaire

« Que l’ordre soit maintenu et que de bons exemples soient donnés » : le retour à l’orthodoxiecatholique durant le règne de Marie Ire (1553-1558)Isabelle Fernandes

Orthodoxy, Heresy and Treason in Elizabethan EnglandClaire Cross

Richard Hooker, l’hérésie papiste et un protestantisme anglais de la continuitéRémy Bethmont

La vie de Gregorio Lòpez par Thomas White (1592-1676), ou la sanctification d’un ermitehétérodoxe par un catholique hérétiqueThérèse-Marie Jallais

The Irish Catholic Church under Charles II: the ‘Popish Plot’ and the Martyrdom of OliverPlunkettMarie-Claire Considère-Charon

La face cachée de Newton : antitrinitarien et alchimisteJean Rivière

De l’hétérodoxie à l’orthodoxie : les espaces religieux de George KeithLouisiane Ferlier

Daniel Defoe, un dissident au service de l’orthodoxie protestanteYannick Deschamps

Defining Heresy: the Controversy between James Foster and Henry Stebbing (1735- 1737)Nicolas Bourgès

Conformisme et non-conformisme dans les Académies dissidentes, 1660-1860Françoise Deconinck-Brossard

Les évangéliques, l’Honorable Compagnie des Indes Orientales et la christianisation du sous-continent indien au tournant du XIXe siècleEvelyne Hanquart-Turner

Otium, re-création, conversion : les vacances peu orthodoxes de Henry Edward Manning,archidiacre de Chichester (1838-1848)Jacqueline Clais-Girard

Sir Moses Montefiore (1784-1885), défenseur de la foiSuzy Halimi

Thomas De Quincey et la « vraie religion » Frédéric Slaby

F. H. Bradley entre orthodoxie et hérésie : le sens des ‘Concluding Remarks’ de EthicalStudiesJean-Paul Rosaye

La représentation du père Brown et du mal dans les nouvelles policières de G. K. Chesterton : The Innocence of Father Brown (1911), entre orthodoxie et hétérodoxieFrançoise Dupeyron-Lafay

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Avant-proposForeword

Yannick Deschamps et Suzy Halimi

1 Orthodoxie, hérésie, les deux termes choisis pour servir de titre à ce volume

d’hommage à la mémoire de Christiane d’Haussy sont ceux-là mêmes qu’elle a utilisés

pour un ouvrage publié sous sa direction en 1993, chez Didier-Érudition. Elle a fait de

l’histoire des idées religieuses en Grande-Bretagne son champ de recherche d’élection.

Dès 1970 – elle est alors maître-assistante à l’université de Lille 3 –, elle publie Le

Catholicisme en Angleterre (Paris : Armand Colin, coll. U2), en collaboration avec Solange

Dayras, collègue et amie de toujours, que nous avons plaisir à associer ici à la mémoire

de Christiane. Ensemble, elles ont aussi produit aux Éditions du Cerf, en 1989, une

traduction du Newman d’Owen Chadwick (OUP, 1983), avec qui elles ont tissé des liens

d’amitié durables. Ensemble, elles ont été membres actifs et estimés de l’Association

Française des Amis de Newman.

2 C’est en 1977 que Christiane soutient son doctorat d’État intitulé « La vision du monde

chez G. K. Chesterton », thèse publiée quatre ans plus tard chez Didier-Érudition. Elle

fonde alors le Groupe de Recherches sur l’Histoire et la Pensée Religieuses Anglaises,

qui devient vite membre du GRECO no 2 du CNRS, où elle a passé auparavant deux ans

en détachement, de 1974 à 1976. Chesterton est, tout naturellement, au cœur de son

activité de chercheuse. Elle en explore toutes les facettes au fil des communications et

des articles qu’elle présente, en France comme à l’étranger. Ne pouvant prétendre ici à

l'exhaustivité, nous mentionnerons, à titre d’exemples, l’entrée consacrée à son auteur

dans l’Encyclopædia  Universalis, ‘Chesterton in France’, dans John Sullivan (ed.), G.  K.

Chesterton :  A  Centenary  Appraisal (London : Elek, 1974), « L’image de la femme dans

l’œuvre de G. K. Chesterton » (Caliban, 1980), « Le symbole de la clé dans l’œuvre de G.

K. Chesterton », au congrès de la SAES à Lyon en 1981 – texte publié en 1983 en version

anglaise dans la revue Seven –, ou encore « Le puritanisme selon G. K. Chesterton »,

dans Ténèbres et lumières, ouvrage à la mémoire d’Élisabeth Bourcier, en 1987. Et ce n’est

là qu’un aperçu des travaux qu’elle consacre à son auteur de thèse.

3 Mais les activités de son centre de recherche, qui, en 1993, fusionne avec le Groupe de

Recherche Littérature et Religion dans les Pays de Langue Anglaise (Paris 13) pour

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donner naissance au CRPA (Culture et Religion dans les Pays Anglophones), aujourd’hui

présidé par Rémy Bethmont, s’étendent bien au-delà. Elle organise de nombreux

colloques et en publie régulièrement les actes : Pluralisme  religieux  en  Grande-Bretagne(1982), Le Sermon anglais (1982) L’Influence de la patristique sur la pensée religieuse anglaise(1983), Évangélisation  et  missions  en  Grande-Bretagne (1986), Vie  ecclésiale:  communauté  etcommunautés (1989), Saints et sainteté hier et aujourd’hui (1991). Elle prépare un ouvrage

d’envergure sur Gladstone, dont elle aime à nous parler, quand la maladie lui ôte la

plume des mains.

4 Chercheuse féconde et reconnue, Christiane d’Haussy a aussi été une enseignante

appréciée, qui a gravi tous les échelons de la carrière : maître auxiliaire, professeur

certifié, lectrice à l’université de Leeds, professeur agrégé après avoir passé le concours

de l’agrégation en 1961. C’est alors que l’université de Lille 3 l’accueille comme

assistante, puis maître-assistante, et c’est enfin l’université de Paris 12 - Val de Marne

(aujourd’hui Paris-Est Créteil), qu’elle rejoint jusqu’à la fin de sa carrière. Elle y assure

des cours à tous les niveaux, du DEUG au CAPES, des enseignements de littérature et de

civilisation anglaises des XIXe et XXe siècles.

5 Sa recherche, son enseignement ne l’empêchent pas d’assurer des responsabilités

administratives, dont elle s’acquitte avec la même compétence, le même dévouement :

directrice du département d’anglais à plusieurs reprises (1972-1974, 1976-1981),

membre du Conseil des Lettres (1974-1976, 1976-1981, 1988-1992). C’est donc une

chercheuse, une enseignante, une responsable administrative accomplies, qui obtient

l’éméritat en 1992, ce qui lui permet de poursuivre sa recherche jusqu’au bout d’une

carrière exemplaire.

6 Orthodoxie, hérésie … mais par rapport à quelle doxa, à quelle vérité religieuse? Poser la

question, c’est déjà admettre que la réponse, quelle qu’elle soit, peut comporter un

certain degré de relativité, de subjectivité : chacun de nous n’est-il pas l’hérétique de

quelqu’un qui se considère comme plus fidèle à la norme? N’avons-nous pas parfois la

même attitude vis-à-vis d’autrui?

7 En Angleterre, l’événement capital est la Réforme d’Henri VIII, qui, au XVIe siècle,

s’affranchit de la tutelle de Rome, rejette l’infaillibilité pontificale, crée une Église

autonome ayant désormais pour chef le souverain, et fait des Saintes Écritures la base

de la foi chrétienne. Viennent s’y ajouter quelques textes canoniques auxquels doit

souscrire tout anglican orthodoxe : la loi de Suprématie (1534), qui déclare le roi chef

suprême de l’Église d’Angleterre, les Trente-Neuf Articles (1571), qui définissent les

fondamentaux du dogme, etc. La Version autorisée de la Bible (1611), sous Jacques Ier,

vient compléter le dispositif.

8 Par rapport au cadre ainsi défini, est « hérétique » quiconque s’en écarte à des degrés

divers : les catholiques, bien sûr, qui restent fidèles au pape, à l’Église romaine, mais

aussi les dissidents, qui trouvent, eux, que la réforme n’est pas allée assez loin en

maintenant, par exemple, la hiérarchie épiscopale. Telles sont les trois grandes familles

chrétiennes qui se partagent l’héritage du Christ, chacune à sa façon, et que Swift met

en scène dans la parabole du Conte du Tonneau (1704) : trois frères reçoivent chacun un

manteau en legs de leur père (la foi chrétienne) ; Peter (le catholicisme) se hâte d’y

ajouter des ornements inutiles (papauté, transsubstantiation, etc.) ; Jack (le dissident),

au contraire, déchire son vêtement dans un excès d’austérité ; seul Martin (l’anglican)

se conduit avec sagesse et modération.

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9 Mais les dissidents eux-mêmes ne forment pas une famille unie : les sectes y

prolifèrent, des courants divergents s’y dessinent sur des points de doctrine ou sur des

pratiques du culte (presbytériens, indépendants, baptistes, quakers, etc.). De là une

grande souplesse dans l’interprétation de la notion d’orthodoxie ; de là aussi de

multiples candidats à l’étiquette d’hérésie, sans parler des deux autres grandes

religions monothéistes, le judaïsme et l’islam, qui ont leur propre conception de la foi

et de la meilleure manière de la servir. C’est cette diversité, cette richesse – souvent

source de conflits – qu’illustre le présent ouvrage, à travers les contributions qui le

composent.

10 Les seize articles de ces mélanges d’hommage à Christiane d’Haussy sont placés sous le

signe de la pluridisciplinarité. Les thèmes de l’hérésie et de l’orthodoxie y sont abordés

sous l’angle de l’histoire religieuse, politique et intellectuelle, de la philosophie et de la

littérature. Le champ chronologique couvert par cet ouvrage est vaste, puisqu’il s’ouvre

au milieu du XVIe siècle, alors que flambent les bûchers de Marie Tudor (1553-1558), et

se clôt au début du XXe siècle, avec G. K. Chesterton, auquel Christiane d’Haussy avait

consacré sa thèse de doctorat. Le volume retrace ainsi l’évolution des notions

d’orthodoxie et d’hérésie à travers plus de quatre siècles d’histoire des îles

Britanniques, qui voient se succéder la Réforme (et ses prolongements), les Lumières, et

les ères victorienne et édouardienne, projetant un éclairage nouveau sur la vie

religieuse, culturelle et intellectuelle de ces différentes périodes. La première est

dominée par l’affrontement entre catholiques et protestants, qui s’accusent

mutuellement d’hérésie et se réclament, les uns et les autres, de l’orthodoxie afin

d’asseoir leur légitimité et leur pouvoir. La deuxième période, marquée par les progrès

de l’antitrinitarisme, met notamment aux prises protestants orthodoxes et

hétérodoxes. Enfin, lors de la troisième période, la foi, qu’il s’agisse du catholicisme, du

protestantisme ou du judaïsme, doit faire face à la diversité des croyances, au

relativisme et à l’agnosticisme.

11 Dans le premier article, Isabelle Fernandes évoque le retour à l’orthodoxie catholique

sous Marie Tudor après les Réformes henricienne et édouardienne. Les bûchers qui,

pendant son règne, font périr par le feu plus de 250 protestants convaincus d’hérésie

sont bien sûr mentionnés. Mais I. Fernandez dépoussière l’image de « Marie la

Sanguinaire » façonnée par plusieurs générations d’historiens protestants. Afin de

ramener les hérétiques dans le giron de l’Église, Marie Ire n’a pas seulement recours aux

persécutions, qui la voient exhumer des lois contre l’hérésie tombées en désuétude ;

elle tente également de persuader ses sujets égarés du bien-fondé du catholicisme,

notamment à travers la publication d’ouvrages adaptés à leurs différentes conditions.

En outre, bien que Marie, en bonne catholique, œuvre ardemment à réunir l’Église

d’Angleterre avec Rome, elle ne manifeste aucune servilité à l’égard du pape, et refuse

même de lui obéir lorsque ce dernier lui demande de renvoyer le cardinal Pole,

soupçonné d’hétérodoxie par l’Inquisition. En dépit de sa profonde foi catholique,

Marie, à sa manière, s’inscrit dans une tradition Tudor d’indépendance par rapport à la

papauté.

12 À sa mort, en 1558, c’est sa demi-sœur protestante Élisabeth qui lui succède. Cette

dernière impose sa foi, qui devient la foi officielle de l’Église d’Angleterre. L’orthodoxie

a changé de camp : elle est désormais protestante. Comme l’observe Claire Cross,

Élisabeth Ire se montre tout d’abord conciliante avec ses sujets catholiques, mais après

son excommunication par le pape (1570), qui les délie de leur allégeance à la Couronne,

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et la découverte de différents complots visant à la supprimer pour la remplacer par

Marie Stuart, elle prend des mesures répressives à leur égard. Toutefois, comme le note

C. Cross, la politique menée à l’encontre de ceux qui n’embrassent pas la foi orthodoxe

diffère de celle qui avait été mise en place sous Marie Tudor. Alors que, pendant le

règne précédent, les protestants avaient été persécutés en raison de leur hérésie, sous

Élisabeth, les catholiques ne sont pas condamnés pour des motifs religieux, mais parce

qu’ils ont été convaincus de trahison envers leur souveraine et l’État.

13 Il est toutefois un point sur lequel Marie et Élisabeth se rejoignent : aucune d’entre elles

ne parvient à imposer une réelle uniformité religieuse, même si Richard Hooker

(1554-1600) prétend à la fin du règne d’Élisabeth que tous les Anglais sont membres de

l’Église d’Angleterre. C’est à ce théologien que Rémy Bethmont consacre son article.

Hooker, explique-t-il, ne saurait être considéré comme le porte-parole officiel de

l’orthodoxie nationale élisabéthaine ; celui-ci frappe surtout ses contemporains par

l’originalité de sa pensée. S’il tient l’Église catholique pour hérétique, Hooker estime, à

l’inverse de nombreux théologiens protestants, que tous les catholiques nés avant la

Réforme ne sont pas voués à la damnation. Ceux d’entre eux qui, d’origine modeste,

sont peu férus de théologie, et qui, bien qu’appartenant à l’Église catholique, ne

souscrivent pas explicitement à ses dogmes, peuvent prétendre au salut. Loin de rejeter

en bloc l’Église médiévale, dont il apprécie certaines cérémonies et pratiques, Hooker

défend un protestantisme de la continuité plutôt que de la rupture, et refuse de laisser

à l’Église romaine le monopole de la catholicité.

14 L’indulgence exprimée par Hooker à l’égard des fidèles d’extraction modeste, peu au

fait des subtilités doctrinales, se retrouve dans les écrits du théologien catholique

anglais Thomas White (1593-1676). Thérèse-Marie Jallais souligne que, pour ce dernier,

l’hérésie ne peut être imputable qu’à de savants théologiens, et que les hérétiques sont

nécessairement des hérésiarques. Le peuple qui écoute la parole de Dieu peut, sans le

vouloir, mal la comprendre et la déformer sans pour autant être taxé d’hérésie. L’étude

de T.-M. Jallais se concentre sur la traduction anglaise réalisée par Thomas White d’une

biographie de Gregorio Lòpez (1542-1596), ermite catholique espagnol d’une grande

piété. Elle montre que la traduction de White est très libre, et s’apparente à une

adaptation qui lui permet de faire l’apologie d’une certaine forme de spiritualité. Mis au

ban de l’Église romaine, White appartient au groupe des Blackloists, dont les idées sont

proches de celles des jansénistes. À travers la figure de Gregorio Lòpez, il défend une

spiritualité hétérodoxe influencée par la mystique rhéno-flamande dans laquelle le

chrétien entre en contact direct avec l’essence divine, transcendant la réalité du Christ

pour s’anéantir en Dieu.

15 Marie-Claire Considère-Charon évoque une autre figure controversée de sainteté : celle

d’Oliver Plunkett (1629-1681), archevêque catholique d’Armagh et primat d’Irlande,

qui, le 1er juillet 1681, est exécuté à Tyburn après avoir été jugé coupable de haute

trahison en tant qu’instigateur d’un « complot papiste » contre la monarchie

protestante britannique, dont il apparaîtra qu’il n’a jamais existé. Lors de son procès,

qui se déroule en Angleterre, Plunkett est présenté à ses jurés comme un hérétique

séditieux, arrogant et obstiné. Condamné, il meurt en martyr plutôt que d’abjurer sa foi

catholique. Selon M.-C. Considère-Charon, le destin d’Oliver Plunkett est emblématique

de l’histoire de l’Irlande, marquée par la volonté des autorités britanniques d’éliminer,

plus encore que l’hérétique Autre en tant que personne, l’Église à laquelle cet hérétique

Autre appartient.

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16 Si Plunkett choisit de mourir pour sa foi, d’autres s’appliquent à éviter les foudres de

l’Église et de l’État et, suivant l’exemple de Nicodème, taisent leurs convictions

religieuses. Tel est le cas de Sir Isaac Newton (1642-1727), dont Jean Rivière dévoile la

face cachée. Comme un certain nombre d’intellectuels anglais à la charnière des XVIIe

et XVIIIe siècles, Newton est arien : il considère, en s’appuyant notamment sur la

lecture des évangiles, que le Christ n’est pas l’égal de Dieu, que le Fils n’est pas de même

nature que le Père. Les passages de la Bible qui affirment explicitement le dogme de la

Trinité ne sont que des interpolations. Newton consigne ses vues dans un manuscrit,

mais ne le publie pas de crainte de perdre sa chaire de mathématique à Cambridge et

d’être mis au ban de la bonne société anglaise. Hétérodoxe dans ses convictions

religieuses, Newton l’est également dans son rapport à la science, puisque, en marge de

ses recherches scientifiques et de ses activités officielles au sein de la Royal Society, il

s’adonne à l’alchimie. J. Rivière voit dans cette démarche une révolte du savant contre

les restrictions que le mécanisme cartésien fait alors peser sur la philosophie naturelle.

17 Si, en dépit de ses opinions hétérodoxes, Newton se refuse à rompre officiellement avec

la foi dans laquelle il a été élevé, tel n’est pas le cas du missionnaire écossais George

Keith (1638-1716), dont Louisiane Ferlier retrace et analyse le cheminement intellectuel

et spirituel. Keith songe d’abord à devenir ministre de l’Église presbytérienne d’Écosse,

mais lorsque celle-ci se dote d’une structure épiscopale, il s’interroge sur sa foi, et

rejoint les quakers. Son quakerisme, influencé par les théories du platonicien de

Cambridge Henry More, est toutefois fortement teinté de rationalisme. Keith considère

qu’il ne suffit pas de croire en la « Lumière Intérieure » pour devenir un vrai chrétien ;

il importe également de souscrire à certains fondements doctrinaux. Ce souci de

l’orthodoxie finit par éloigner Keith des quakers et par le pousser dans le giron de

l’Église anglicane, qu’il servira avec zèle en tant que ministre et que missionnaire. Le

parcours intellectuel et spirituel de Keith est le prolongement d’un parcours spatial, au

cours duquel il investit différents « espaces divins ». Ce parcours commence en Écosse,

alors qu’il est membre de l’Église presbytérienne, se poursuit en Amérique, notamment

en Pennsylvanie, où s’épanouit son quakerisme dans le cadre de « l’expérience sainte »

menée par William Penn, et s’achève à Londres, où il embrasse l’anglicanisme, dont il

loue la conformité à l’orthodoxie chrétienne. Keith parvient alors à la conclusion que la

diffusion de la vérité religieuse ne passe pas par l’édification d’une communauté

utopique en Amérique, mais par la correction des erreurs doctrinales qui prévalent au

sein de la chrétienté anglaise et écossaise.

18 Daniel Defoe (1661-1732) est également déterminé à combattre les croyances

hétérodoxes qui minent le protestantisme en Angleterre. Celles-ci se propagent au sein

de l’Église établie comme des Églises dissidentes. Ainsi, après avoir été pendant de

longues années le porte-parole officieux de ses coreligionnaires dissidents, Defoe, dans

The Family Instructor (1715, 1718) et dans The New Family Instructor (1727), s’exprime au

nom de tous les protestants. Il s’agit de défendre l’orthodoxie protestante contestée

non seulement, comme elle l’était naguère, par le catholicisme et le judaïsme, mais

surtout par des doctrines hétérodoxes telles que le déisme, le socinianisme et

l’arianisme, qui ont le vent en poupe au cours des premières décennies du XVIIIe siècle.

Pour les discréditer, Defoe emprunte des arguments aux polémistes anglicans comme

aux propagandistes dissidents. Son propos se veut pédagogique, à la portée de tous les

lecteurs. Dans son plaidoyer en faveur de l’orthodoxie protestante, Defoe défend avec

une vigueur particulière les doctrines de la Trinité et de la prédestination, alors que

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nombre de ses coreligionnaires presbytériens inclinent à l’arminianisme et à

l’arianisme, qui, par la suite, les conduiront souvent à l’unitarisme. Yannick Deschamps

montre que l’attachement de Defoe à ces dogmes peut s’expliquer par son

appartenance à l’aile la plus stricte du presbytérianisme jadis incarnée par Samuel

Annesley (1620-1696).

19 Alors que, pour Defoe, les doctrines hérétiques s’insinuent au sein de l’Église établie

comme des Églises dissidentes, le ministre anglican Henry Stebbing (1687-1763)

considère que ces dernières ont le monopole de l’hérésie. Au milieu des années 1730,

Stebbing s’oppose au pasteur baptiste James Foster (1697-1753) sur la définition de ce

terme dans une controverse analysée par Nicolas Bourgès. Les deux clercs défendent

des points de vue radicalement différents. Foster, se fondant sur le sens étymologique

du terme « hérésie », à savoir « choix », considère qu’il renvoie à l’idée d’appartenance

à un groupe, et n’est en aucun cas négatif. En revanche, Stebbing souligne que, dans le

contexte de l’Écriture, en particulier dans celui des épîtres de saint Paul, le mot

« hérésie » est doté d’un sens péjoratif. Les deux auteurs ferraillent avec virulence et

ont recours à de nombreuses attaques ad  hominem. Aucun des deux polémistes ne

parvient vraiment à l’emporter sur son adversaire dans cette bataille d’arguments qui

illustre les tensions entre l’Église anglicane et les Églises dissidentes au XVIIIe siècle.

20 Anglicans et dissidents ne fréquentent d’ailleurs pas les mêmes établissements

d’enseignement supérieur au cours de cette période ni, plus largement, entre 1660 et

1860 – même si cette règle souffre certaines exceptions. Renouvelant l’historiographie

des Académies dissidentes, Françoise Deconinck-Brossard nuance l’idée selon laquelle

les Académies auraient joué un rôle déterminant dans la propagation des croyances

hétérodoxes et fortement contribué à faire évoluer les dissidents vers l’arianisme, le

socinianisme et l’unitarisme. Sans doute certaines Académies, à l’instar de

Northampton, de Daventry ou de Hackney, étaient-elles relativement ouvertes à ces

croyances. La pédagogie « libérale » encourageant le libre examen et le débat

contradictoire mise en œuvre dans ces établissements a en outre pu favoriser l’éclosion

d’idées hétérodoxes. Mais ces tendances ne doivent pas être surestimées. F. Deconinck-

Brossard souligne la détermination du Coward Trust à faire en sorte que les Académies

dont il assurait la gestion ne s’écartent pas de l’orthodoxie calviniste, et note que

nombre d’Académies, notamment celles qui étaient d’obédience congrégationaliste à

orientation évangélique, dispensaient un enseignement strictement orthodoxe. Pour

finir, F. Deconinck-Brossard met en évidence la diversité des parcours des étudiants

fréquentant les Académies dissidentes.

21 Les déviances par rapport à l’orthodoxie chrétienne constatées dans certaines

Académies dissidentes sont bien anodines en regard de celles que relèvent les

missionnaires britanniques qui se rendent aux Indes. Évelyne Hanquart-Turner étudie

les efforts que déploient les évangéliques pour christianiser le sous-continent indien au

tournant du XIXe siècle. Alors que leur influence s’accroit au sein du Parlement

britannique et de la Compagnie des Indes Orientales, ils s’efforcent de faire triompher

les valeurs chrétiennes dans ses territoires en les ouvrant aux missionnaires chargés de

convertir les hindous et les musulmans hérétiques à la foi protestante. Cette politique

est dénoncée par ceux qui, à l’instar de Thomas Twining (1776-1861), estiment que ce

prosélytisme met en danger la paix civile des Indes et risque d’y provoquer la chute du

pouvoir britannique. Toutefois, la charte de la Compagnie votée en 1813 fait obligation

à cette dernière d’œuvrer à l’édification morale et religieuse des Indiens. Le

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prosélytisme religieux des missionnaires se double d’une lutte contre différentes

coutumes hindoues telles que le sati. En fait, selon É. Hanquart-Turner, le rôle joué par

les évangéliques au sein de la Compagnie contribuera davantage à l’occidentalisation

des Indes qu’à leur christianisation.

22 Avec l’article de Jacqueline Clais-Girard, nous quittons les évangéliques pour les

milieux anglo-catholiques et catholiques romains. Le thème de la conversion y est

également présent. Toutefois, ce n’est plus de celle de populations entières qu’il s’agit,

comme dans l’étude d’É. Hanquart-Turner, mais de celle d’un homme, Henry Edward

Manning (1808-1892). J. Clais-Girard nous montre comment, au cours de ses voyages sur

le continent, notamment en France et à Rome, Manning, alors archidiacre de

Chichester et fer-de-lance, avec John Henry Newman, de la frange anglo-catholique de

l’Église anglicane, s’est peu à peu rapproché du catholicisme, pour finalement s’y

convertir en 1851. Ses voyages en terre catholique sont décrits par le menu, de même

que ses états d’âme et ses doutes avant d’embrasser une foi qui, aux yeux de ses

coreligionnaires protestants, reste frappée du sceau de l’hétérodoxie. J. Clais-Girard

s’interroge sur la nature des voyages romains de Manning : ostensiblement effectués

pour des raisons médicales, ne sont-ils pas au fond dictés par l’aspiration de

l’archidiacre à une autre forme de spiritualité ?

23 Suzy Halimi évoque dans son article un autre voyageur : Sir Moses Montefiore

(1784-1885), qui sillonne le monde afin de défendre ses coreligionnaires juifs persécutés

et de diffuser un message de paix et de tolérance. L’Italie, la Roumanie, la Russie font

partie de ses destinations, de même que l’Égypte, la Syrie et la Terre Sainte, où il se

rend à sept reprises entre 1827 et 1875. À domicile comme lors de ses déplacements, sir

Moses observe scrupuleusement les commandements de sa foi, et notamment la

pratique de la tsedaka (la charité). Il fut un philanthrope respecté, aidant ses semblables

sans distinction d’appartenance religieuse. Partisan farouche de l’orthodoxie, il

s’oppose fermement, en tant que président du Board of Deputies of British Jews, à ceux qui,

dans les années 1830 et 1840, souhaitent réformer le rituel afin de le rendre plus

« confortable » et plus proche du culte anglican. Pour Sir Moses, l’Émancipation des

juifs – qui sera finalement accordée en 1858 – ne saurait être obtenue au prix d’un

renoncement aux pratiques ancestrales du judaïsme.

24 Cette religion est dénigrée par Thomas de Quincey (1785-1859), qui se montre

notamment très critique à l’égard de l’historien juif Flavius Josèphe. Toutefois, comme

l’observe Frédéric Slaby, De Quincey n’est pas mieux disposé à l’égard de l’islam,

qualifié de « fausse religion », ni du catholicisme, dont les partisans sont taxés

d’idolâtrie. Seul le protestantisme, dans sa version anglicane, trouve grâce à ses yeux. F.

Slaby note que l’orthodoxie religieuse de De Quincey lui confère une place à part parmi

ses contemporains romantiques, dont la perception idiosyncrasique du divin est

souvent éloignée des dogmes de l’Église d’Angleterre.

25 Le philosophe idéaliste Francis Herbert Bradley (1846-1924) donne lui aussi de

nombreux gages de conformité à l’orthodoxie anglicane. Dans les ‘Concluding Remarks’

de Ethical  Studies (1876), il affirme l’importance de la religion face à la montée de

l’agnosticisme, et souscrit au dogme protestant de la justification par la foi seule.

Comme saint Paul, il considère que l’homme doit renoncer à sa propre volonté pour se

fondre dans la volonté divine. Toutefois, comme le montre Jean-Paul Rosaye, Bradley

prend certaines distances vis-à-vis de l’orthodoxie. Il manifeste peu d’intérêt pour

l’Ancien Testament, estimant que la religion chrétienne ne saurait être régentée par

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

9

des pratiques hébraïques anciennes. Il n’évoque guère le dogme de la Trinité. Le

mystère de l’Incarnation et l’Esprit-Saint sont passés sous silence, et la notion de grâce

est reléguée à la périphérie de son discours. En tout état de cause, la lutte entre le

péché et la grâce n’est pas évoquée. J.-P. Rosaye souligne ce manquement à

l’orthodoxie, même s’il ne va pas jusqu’à taxer Bradley de pélagianisme. Selon lui, la

pensée bradleyenne, représentative de l’idéalisme britannique, s’inscrit dans la

tradition mystique du platonisme chrétien.

26 À l’instar de Bradley, G. K. Chesterton (1874-1936), dont la « vision du monde » a été

finement analysée par Christiane d’Haussy, défend le bien-fondé de la foi et de la

spiritualité chrétiennes face à l’agnosticisme. Il s’y emploie notamment dans ses essais

Heretics (1905) et Orthodoxy (1908). Dans son article, Françoise Dupeyron-Lafay évoque la

représentation du père Brown et du mal dans les nouvelles policières de Chesterton. Le

père Brown a un comportement, des opinions religieuses et une conception de

l’existence qui sont globalement orthodoxes – du moins si l’on se place du point de vue

de l’Église catholique romaine, que rejoint Chesterton en 1922. Mais ce n’est pas un

détective « orthodoxe » si on le compare, par exemple, à Sherlock Holmes, dont il est

loin d’avoir la stature héroïque. F. Dupeyron-Lafay relève en outre la présence d’une

« hétérodoxie insidieuse » dans la manière dont Chesterton représente le bien et le mal

dans ses nouvelles policières. Les criminels manifestent certaines qualités qui les

rachètent. Le mal, esthétisé, exerce en outre un attrait inavouable sur le lecteur. F.

Dupeyron-Lafay souligne ainsi « l’ambiguïté tonale et idéologique des Father  Brown

stories, et leur hésitation troublante aux frontières de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie ».

27 Les contributions de cet ouvrage d’hommage à Christiane d’Haussy montrent à quel

point les concepts d’orthodoxie et d’hérésie sont mouvants et fluctuants, et combien la

ligne qui les sépare est ténue et instable dans les îles Britanniques de la Réforme au

début du XXe siècle. Une croyance jugée orthodoxe à une période devient hérétique ou

hétérodoxe lors de la période suivante. Une forme de dévotion louée pour son

orthodoxie par les uns se voit souvent reprocher son hétérodoxie par les autres. De

même, sur le plan individuel, il n’est pas rare qu’un homme adopte à un moment de sa

vie une foi, des dogmes et des rituels qu’il a tenus pour hétérodoxes à un autre moment

de son existence. En Grande-Bretagne, comme ailleurs, on peut dire, en paraphrasant

les propos de Shakespeare sur la beauté – comme le fait l’un des auteurs de ce volume –

que l’orthodoxie et l’hérésie se trouvent avant tout dans l’œil de celui qui les observe.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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HommagesIn Memoriam

Simone Lavabre et Yves-Marie Hilaire

Christiane d’Haussy, sept ans à l’université de Lille(1965-1972)

1 Christiane d’Haussy, professeur de littérature et de civilisation anglaises des deux

derniers siècles, a enseigné à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Lille de

1965 à 1972 comme assistante (1965-1969), maître assistante (janvier 1969-1972) et

chargée d’enseignement (octobre 1969-1972). Le doyen Reboul loue, le 18 septembre

1968, « ses qualités d’intelligence, de dévouement, de finesse, d’art des

communications » en vue de son inscription sur la liste des maîtres-assistants. Le 1er

février 1970, Françoise Moreux, directrice de l’UER Angellier, précise qu’elle ne recule

jamais devant une tâche supplémentaire et qu’elle a su se faire apprécier de ses

collègues comme de ses étudiants, constate qu’elle a rédigé 140 pages de thèse et écrit 6

chapitres d’un ouvrage sur le Catholicisme en Angleterre, et souhaite qu’elle soit inscrite

sur la liste d’aptitude à l’enseignement supérieur « afin d’être habilitée à remplir

officiellement des fonctions qu’elle assume déjà dans les faits et dont elle est, en tous

points, digne ».

2 En 1972, au moment où Christiane d’Haussy est nommée chargée d’enseignement à

l’université de Paris 12 - Val de Marne, Patrick Rafroidi, directeur de l’UER Angellier,

donne un avis très favorable à une promotion dans le cadre des maîtres-assistants, et

Pierre Deyon, président de l’université de Lille 3, confirme cet avis et ajoute que

Christiane d’Haussy « donne depuis plusieurs années dans notre université un

enseignement de qualité ». Son directeur de recherches, Raymond Las Vargnas,

professeur à la Sorbonne, déclare : « J’ai une très grande estime pour les qualités de

chercheur de Mademoiselle d’Haussy dont le travail témoigne et de rigueur dans

l’information et de finesse dans la perception des problèmes. Je donne un avis très

favorable à sa promotion ».

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

11

3 À Paris 12, Christiane d’Haussy crée un groupe de recherches sur l’Histoire et la pensée

religieuses anglaises, qui adhère à partir de 1983 au groupe de recherches coordonnées

no 2 du CNRS Histoire religieuse moderne et contemporaine, dont j’étais responsable à

cette époque. Christiane s’intéresse alors plus particulièrement au XIXe siècle : elle

donne à l’Histoire religieuse de la Grande-Bretagne (Paris, Cerf, 1997) un chapitre sur

« l’essor religieux à l’apogée de l’ère victorienne (1850-1880) » dans lequel elle éclaire

une histoire complexe marquée par l’expansion du catholicisme, la crise de

l’anglicanisme, le triomphe apparent d’un non conformisme diversifié et la montée de

l’agnosticisme. Elle commence également des recherches sur un grand homme d’État,

croyant et intègre, Gladstone (1809-1898).

4 Christiane, éprouvée dans sa jeunesse par la maladie, laisse à ceux qui l’ont connue le

souvenir d’une amie fidèle, courageuse et généreuse. Durant les dernières années de sa

vie qu’elle a passées à Lille, ses amis lillois ont été heureux de la revoir et d’évoquer le

temps des grandes mutations de l’université pendant lequel elle avait enseigné chez

nous. Ils l’ont retrouvée, faisant de leur mieux et pour la distraire et pour la sortir de sa

maison de retraite tant que cela fut possible.

Yves-Marie HILAIRE

Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Lille 3

Chère Christiane

5 Des années durant, j'ai eu le privilège et la joie de l’amitié de Christiane. Nous étions

toutes deux spécialistes de l'époque victorienne et nous aimions Cambridge, où nous

faisions l'été des séjours studieux, occasions de rencontres agréables. Ces rencontres se

poursuivaient à Paris en compagnie d'une autre amie, Suzy Halimi, qui nous

transformait en trio. De ce temps, auquel la maladie vint peu à peu mettre fin, je garde

un souvenir heureux dont je veux remercier Christiane.

Simone LAVABRE

Professeur honoraire de littérature anglaise à l’université Paris-Sorbonne

AUTEURS

SIMONE LAVABRE

Professeur honoraire de littérature anglaise à l’université Paris-Sorbonne

YVES-MARIE HILAIRE

Professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université de Lille 3

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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« Que l’ordre soit maintenu et quede bons exemples soient donnés » :le retour à l’orthodoxie catholiquedurant le règne de Marie Ire

(1553-1558)‘Good Order to Be Kept and Good Example to Be Geuen’: the Return to Orthodoxy

During Mary Tudor’s Reign (1553-1558)

Isabelle Fernandes

1 La crise matrimoniale que traversa Henri VIII dans les années 1530 entraîna

l’Angleterre loin de la papauté. Bien que le roi rejetât les articles de Wittenberg, leur

influence se fit sentir dans la Confession de foi en Dix Articles que produisit, en 1536, la

Convocation ecclésiastique, et qui réduisait à trois les sacrements dorénavant

administrés – baptême, sainte Cène et pénitence. Étaient en revanche maintenues les

notions de purgatoire et de présence réelle, la justification par la foi et les œuvres, les

prières pour les morts et la dévotion aux saints. Toujours en 1536, les Injonctions de

Thomas Cromwell œuvrèrent toutefois en un sens plus réformateur par leur

réquisitoire contre les pèlerinages et les images, sources de toutes les superstitions.

L’année suivante, The Institution of a Christian Man, plus connu sous le titre de Bishops’

Book, tenta de concilier conservateurs et radicaux, mais il demeura lettre morte, car le

roi refusait de cautionner un document jugé par trop réformateur. Henri VIII mit

d’ailleurs un terme à toute innovation religieuse en 1539 avec la loi des Six Articles, qui

abolissait la diversité d’opinions et vouait au bûcher les sacramentaires, ces négateurs

de la présence réelle du Christ dans les espèces1. Sir Thomas More, dans A  Dialogue

Concerning Heresies (1528), appuyait cette lutte contre les hérétiques : il était nécessaire

« pour   les  princes  et   les  peuples » de « punir   l’hérésie  par  une   terrible  mort », car, « par

[l’hérésie], un chrétien dev[enait] traître, perfide devant Dieu », commettant « un aussi grandcrime que la trahison perpétrée contre un homme de ce monde »2.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

13

2 Parce que la déviance doctrinale était sanctionnée par le bûcher durant le règne

d’Henri VIII, l’Angleterre fut considérée comme schismatique, mais non comme

hérétique aux yeux de la papauté. En revanche, lorsque son fils Édouard VI accéda au

pouvoir en 1547, il tira profit de la suprématie royale sur l’Église nationale pour

introduire une forme de protestantisme modéré dans le royaume grâce à une première

loi d’Uniformité votée en janvier 1549. Dès le mois de novembre, l’année suivante, les

traditionnels autels de pierre furent remplacés par des tables en bois3. En avril 1552,

une seconde loi d’Uniformité infléchit la politique religieuse dans un sens plus radical :

la nouvelle version du Livre de la Prière Commune omettait le terme « messe » et rejetait

explicitement la transsubstantiation. Afin d’éviter toute tentation idolâtre, l’hostie fut

remplacée par un simple morceau de pain4. Certains catholiques, dont Stephen

Gardiner et Edmund Bonner, anciens conseillers d’Henri VIII, refusèrent de se plier à

ces injonctions et furent incarcérés. La demi-sœur du roi, Marie Tudor, dont

l’attachement au catholicisme était connu de tous, méprisa ouvertement les

mandements royaux. Le dimanche de Pentecôte 1549, date d’entrée en vigueur du Livre

de la Prière Commune, elle fit célébrer dans ses quartiers une messe en latin « de façon trèsostentatoire »5. En mars 1551, elle traversa Londres accompagnée d’une centaine de

partisans : tous arboraient des rosaires, que le Gouvernement avait proscrits6. Marie

était toutefois certaine qu’« un retour à l’ancienne religion était impossible tant les gens dupeuple étaient infectés »7. À l’article de la mort, Édouard VI prit des dispositions destinées

à éviter l’accession au trône d’un(e) catholique. En vain. La fille aînée d’Henri VIII,

soutenue par le peuple, parvint au pouvoir le 13 juillet 1553. Cette accession

providentielle conforta la reine dans l’idée que ses sujets avaient été dévoyés par une

poignée d’hérétiques. Sa mission consistait à ramener les Anglais, « une race de barbareset d’hérétiques, qui ne craignait ni Dieu ni Ses saints », dans le droit chemin8.

3 L’introduction du protestantisme durant le règne d’Édouard VI fut certes limitée, mais

suffisante pour que l’hérésie prenne racine dans des terres labourées, depuis le

XIVe siècle, par les partisans du Luther anglais, John Wycliffe. Nous montrerons ainsi

comment Marie Ire a, en cinq ans, tenté de ramener son pays sur la voie de l’orthodoxie

catholique. Nous nous pencherons tout d’abord sur la dimension légale de cette Contre-

Réforme en détaillant les lois qui réintroduisirent la vraie foi, selon Rome, dans le

royaume. Ce faisant, nous constaterons qu’après un début de règne relativement

clément, le Gouvernement tenta de supprimer l’hérésie par le feu. Avant d’être

conduits au bûcher, les suspects devaient répondre de leur foi durant les

interrogatoires, dont les minutes nous permettront de voir quels étaient les principaux

points doctrinaux défendus par le Gouvernement qui permettaient de définir l’hérésie.

Les persécutions durant trois ans des protestants ont retenu l’attention des historiens

et valu à la première reine d’Angleterre le sobriquet infamant de « Marie la

Sanguinaire ». Il convient toutefois d’admettre que le retour à l’orthodoxie se fit aussi

grâce à la pédagogie. Nous verrons enfin que l’hérésie se trouve finalement dans l’œil

de celui qui regarde : la reine, longtemps dépeinte comme le cruel parangon d’un

catholicisme rigide, se trouva en délicatesse avec Rome ; Reginald Pole, légat papal, fut

quant à lui inquiété par l’Inquisition.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

14

Grâce et clémence

4 Dès août 1553, Stephen Gardiner fut élargi et nommé Grand chancelier d’Angleterre ;

Edmund Bonner devint quant à lui évêque de Londres. La situation religieuse était pour

le moins tendue dans la capitale, qui comptait un grand nombre de réformés. Afin de ne

pas semer davantage le trouble, Édouard VI fut inhumé à Westminster selon la liturgie

anglicane, tandis que des messes de requiem furent célébrées à la Tour. Une semaine

plus tard, le 13, un des chapelains de la reine, Gilbert Bourne, termina son prêche à la

croix de Saint-Paul par une prière adressée à l’âme des disparus : « Il y eut moult cris ettumulte durant son sermon, comme si l’assemblée était prise de démence, les jeunes hommes etles jeunes femmes s’agitaient et jetaient leur couvre-chef ». Le 20 août, le prédicateur qui lui

succéda, Thomas Watson, apparut entouré des autorités municipales et de deux cents

gardes9. Le rétablissement de la vieille religion se faisait pourtant par ailleurs sans

qu’aucun ordre ne fût donné. L’office en latin réapparut spontanément dans plusieurs

églises de Londres et du reste du royaume10. De sa geôle, le protestant John Hooper

dressait, quelques jours plus tard, un bilan assez sombre pour ses coreligionnaires :

« Dans tout le royaume, les autels sont à nouveau érigés. Dans de nombreux endroits, on célèbredes messes privées. On s’est détourné du véritable culte rendu à Dieu […] les sacrements ne sontplus administrés comme il se doit. Les choses divines sont foulées aux pieds tandis que les choseshumaines priment. »11 Une majorité d’Anglais estimait qu’il s’agissait là d’un retour à la

normale : la messe en anglais n’avait duré que cinq ans, le culte réformé à peine

quelques mois. Comme le soulignait l’historien P. Williams, l’interdiction des doctrines

et des symboles du catholicisme ne signifiait nullement que les Anglais étaient devenus

protestants12. De nombreuses analyses démontrent que l’Angleterre n’eut pas le temps

d’être entièrement convertie au protestantisme ; de nombreuses régions (le Nord, le

Sud-Ouest, la vallée de la Tamise) « demeurèrent   attachées   à   l’ancienne   religion,   seconformant en apparence mais, on peut le supposer, pas en réalité. »13 En dehors de Londres,

du Sud-Est et des universités, il y eut peu de conversions.

5 Craignant néanmoins les conséquences de la division, Marie Ire publia une proclamation

en date du 18 août, dans laquelle elle affirmait le souhait de réunir et de pacifier son

peuple. Nombreux avaient été par le passé les désagréments dus à « la   diversitéd’opinions  en  matière  religieuse. » Or, depuis son arrivée au pouvoir, la reine constatait

que « les  mêmes  querelles  semblaient  repartir  de  plus  belle. » Comme « Dieu  seul,  dans  Sabonté, [l’]a[vait] confortée dans sa légitime possession de la Couronne de ce royaume […], elle nep[ouvai]t davantage dissimuler cette religion que Dieu et le monde lui connaiss[ai]ent depuis saplus  tendre  enfance. » Elle espérait que ses sujets embrasseraient « dans   le  calme  et   lacharité » cette même créance, « nonobstant, dans sa grâce et sa clémence, [elle] n’avait nulleintention de contraindre quiconque et ce, jusqu’à ce qu’il en [fût] décidé d’un commun accord. »Tous d’ici là devaient vivre « ensemble, dans le calme et dans la charité chrétienne, en évitantces   termes   nouveaux   et   diaboliques   de   papistes,   d’hérétiques   et   autres. » Les rumeurs

insidieuses pouvant faire le lit des révoltes, étaient en outre interdits les assemblées

illicites, ainsi que les prêches et les exégèses, en public ou en privé, qui seraient « les

pures inventions issues de certaines cervelles » dépourvues de connaissances. Étaient aussi

proscrits les interludes théâtraux, ballades et « autres […] traités en anglais touchant à ladoctrine […] et aux grands mystères de la religion chrétienne. » Nul ne devait enfin s’arroger

le droit de rendre justice à l’encontre des coupables, qu’ils enfreignissent les lois de

l’Église ou de l’État14.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

15

6 La relative clémence ainsi affichée dura jusqu’en octobre 1553, lorsque se réunit la

Convocation qui allait débattre de l’orthodoxie défendue par le Gouvernement. À

l’exception de six ecclésiastiques, l’assemblée se prononça en faveur de la présence

corporelle de Jésus-Christ dans les espèces. Les opposants réclamèrent un débat, et on

accéda à leur demande : le 23 octobre, devant une foule nombreuse, eut lieu la première

controverse eucharistique entre les partisans de la tradition et les défenseurs de la

Réforme15. Le rejet de la présence réelle et de la transsubstantiation par les protestants

sapait les fondements mêmes de la doctrine catholique, car il impliquait de facto une

attaque de la messe dès lors vidée de sa raison d’être, mais aussi un rejet du pouvoir de

l’Église, dont les prêtres se voyaient privés du monopole du miracle. Il était ainsi

essentiel de commencer par réaffirmer avec force ces dogmes. Dans le même temps, le

premier Parlement du règne vota une loi d’Abrogation (Statute  of  Repeal) qui effaçait

près de sept années de travail parlementaire et rétablissait la religion en vigueur

en 1547, sans toutefois aller jusqu’au retour des Six Articles. Étaient abrogés, entre

autres, les statuts permettant la communion sous les deux espèces pour les laïcs,

l’utilisation des deux Livres de la Prière Commune, la disparition de certains festivals et

jeûnes, et le mariage des prêtres. La loi prescrivit des pénalités (allant jusqu’à

l’emprisonnement) visant à sanctionner tout manque de respect à l’égard de la religion

catholique et de ses symboles. Il fut aussi interdit d’officier selon les rites réformés

après le 20 décembre 1553. Étaient autorisés jusqu’à la date fatidique les anciens offices

comme les nouveaux. Le premier Parlement fut dissout par la reine le 6 décembre après

avoir consenti à trente et une mesures16. Ce jour-là, Marie découvrit dans sa chambre

de présence un chien mort tonsuré, les oreilles lacérées, portant autour du cou une

corde et un message qui réclamait la mort de tous les ecclésiastiques catholiques. Fort

contrariée, la reine « déclara au Parlement que de pareils actes étaient susceptibles de lui faireadopter une justice plus éloignée de la clémence qu’elle ne le souhaitait. »17

7 Les protestants étrangers reçurent l’ordre de partir18. Les réformateurs anglais qui le

pouvaient suivirent le mouvement, et un exode de quelque huit cents insulaires

commença dès janvier 1554. Deux mois plus tard, des Injonctions royales supprimèrent

le serment d’allégeance prêté à la reine en tant que chef suprême de l’Église, et

proclamèrent la nécessité de voir les évêques veiller à la suppression d’« ouvragesnuisibles » et à la restauration de la discipline ecclésiastique traditionnelle grâce à

« toutes les sortes de processions de l’Église » et autres « cérémonies honnêtes et admirables. »

Les prêtres mariés devaient être privés de leur bénéfice. Les sacramentaires étaient

pointés du doigt : « infectés et damnés » par l’hérésie, ils engendraient haine et discorde

tout en menaçant la bonne santé du royaume. La traque de la déviance commençait19.

Après que Reginald Pole, légat papal et futur archevêque de Cantorbéry, eut déclaré

l’absolution du royaume se tint le Parlement de la réconciliation (novembre 1554 à

janvier 1555), qui donna son assentiment à la seconde loi d’Abrogation. Également

appelé loi de Réunion, le texte abrogeait tous les statuts allant à l’encontre du Saint-

Siège entérinés après 1529, mettant ainsi un terme à la suprématie royale qui prévalait

depuis 1534. Furent alors remises en vigueur les lois médiévales, dont le De hereticocomburendo, qui condamnaient les hérétiques au bûcher20. Votées entre 1382 et 1414,

ces dispositions fournissaient au Gouvernement un attirail juridique efficace pour

assurer l’uniformité religieuse du pays. S’il est fait mention d’inquisition dès le

12 avril 155421, elle ne devint effective que le 20 janvier 1555. Ces flambées

purificatrices allaient raviver la lumière de la véritable religion du Christ : les ténèbres

de l’hérésie semblaient enfin vaincues dans le royaume d’Angleterre.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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La foi en question(s)

8 Edmund Bonner adressa à tous les prêtres et les vicaires de son diocèse une monition

leur intimant de lui fournir la liste des personnes qui ne viendraient pas à confesse

pendant le Carême ou à la communion à Pâques :

For as much as by the order of the Ecclesiasticall lawes and constitutions of thysRealme, and the lawdable vsage & custome of the whole Catholicke Church, bymany hundreth yeares agone, duely and deuoutly obserued and kept, all faithfullpeople beeing of lawfull age and discretion, are bounde once in the yeare at least(except reasonable cause excuse them) to be confessed to theyr owne properCurate, and to receaue the Sacrament of the aultar, with due preparation anddeuotion: and for as much also as we be credibly enformed, that sundry euilldisposed and vndeuout persons, geuen to sensuall pleasures and carnall appetites,following the lusts of their body, and neglecting vtterly the health of their soules,do forbeare to come to confession according to the sayd vsage, and to receaue theSacrament of the aulter accordingly, geuing therby pernicious and euill example tothe yonger sort, to neglect and contemne the same: we minding the reformationheereof for our owne discharge, and desirous of good order to be kept, and goodexample to be geuen.22

9 Était agité le spectre de l’hérétique débauché. Selon le droit canonique, l’hérésie

consiste pour un baptisé à « nier ou mettre en doute avec opiniâtreté quelqu’une des véritésqu’il faut croire comme étant de foi divine et catholique »23. À l’erreur doctrinale s’ajoutait la

notion d’entêtement. Lors des interrogatoires menés durant le règne de Marie Ire,

examinateurs et accusés s’accordaient sur ces points24. Les catholiques n’avaient pas le

monopole de la répression par la force et tous, d’une même voix, proclamaient que

l’hérésie était une maladie du corps social qu’il fallait absolument éradiquer par le feu :

pour preuve, les procès menés durant le règne d’Édouard VI contre deux anabaptistes,

ou la réflexion de Jean Calvin, pour qui « un bon hérétique [était] un hérétique mort »25. La

question était de savoir qui était hérétique et ce qu’était la « foi véritable ». Durant les

interrogatoires menés par les cours consistoriales, les inculpés qui comparaissaient

étaient systématiquement soumis à un test d’orthodoxie sous forme d’articles qui

donnaient aux suspects et à leurs interrogateurs la possibilité de définir les contours de

la foi, qu’elle fût jugée pure ou corrompue. John Foxe, l’auteur qui s’appuya sur les

registres épiscopaux et les minutes des procès afin de consigner la géhenne de ses

coreligionnaires, fournit un résumé des trois articles fréquemment proposés aux

inculpés :

All these articles I thought good here to place together, that as often as hereafterrehearsal shall be of any of them, the reader may have recourse hither, and perusethe same ; and not to trouble the story with several repetitions thereof […] We doobject to thee, Nicholas Ridley, and to thee, Hugh Latimer […] [ for having] affirmed,and openly defended and maintained […] that the true and natural body of Christ,after the consecration of the priest, is not really present in the sacrament of thealtar […] [for having] publicly affirmed and defended, that in the Sacrament of thealtar remaineth still the substance of bread and wine, [and] openly affirmed, andobstinately maintained, that in the mass is no propitiatory sacrifice for the quickand the dead.26

10 D’autres pratiques déviantes furent mises à jour. Thomas Spicer, John Denny et

Edmund Poole eurent à répondre à des questions portant sur le libre arbitre ; Ralph

Allerton se vit condamné, car il estimait, entre autres, que le Livre de la Prière Commune

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était un ouvrage respectable ; d’autres, parce qu’ils avaient refusé de se rendre à

l’église, avaient rejeté la confession auriculaire ou les processions. On reprocha à

Patrick Pathingham de s’être rendu à la messe avec son couvre-chef et à John Warne

d’avoir tondu la tête de son épagneul pour le faire ressembler à un prêtre. L’hérésie

était aussi avérée lorsque le suspect se référait à Martin Luther ou à John Wycliffe

(comme ce fut le cas avec Thomas Benbridge et Thomas Wats), voire à des condamnés

bien plus récents, comme John Hooper, Hugh Latimer, Nicholas Ridley, Thomas

Cranmer ou John Cardmaker27. Si l’on analyse une source catholique, en l’occurrence les

articles soumis lors de la visite pastorale conduite en 1557 par l’archidiacre de

Cantorbéry, Nicholas Harpsfield, on constate également que les comportements plus

que les croyances servaient à démasquer l’hérétique : étaient inquiétés ceux qui ne

portaient pas de rosaire, qui refusaient l’hostie, n’assistaient pas à la messe, ou se

détournaient lors de l’élévation28.

11 La traque de la déviance fut efficace, car l’État mit sa machine judiciaire au service de

l’Église afin d’œuvrer à la purification du royaume. Lors d’une dénonciation, l’identité

du supposé hérétique était communiquée au juge de paix. Un mandat d’arrêt était alors

émis, et le suspect arrêté par le shérif, qui envoyait ensuite une notification à l’évêque

du diocèse, ou à l’un de ses suffragants, pour qu’il procédât à l’interrogatoire. Si

l’individu montrait des signes de repentir, il faisait pénitence29. Si l’hérésie était avérée,

ou s’il s’agissait d’un relaps, l’individu était condamné, excommunié et livré au bras

séculier. Le premier protestant mourut au bûcher le 4 février 1555. En trois ans et demi,

de février 1555 à novembre 1558, quelque deux cent quatre-vingts réformés anglais

furent mis à mort pour hérésie.

De bons exemples

12 Avant le retour des lois punissant les hérétiques, Marie Tudor épousa, en juillet 1554, le

prince Philippe, fils de l’empereur Charles Quint, qui plaçait tous ses espoirs dans

l’éradication du mal du siècle par le feu grâce au Saint-Office de l’Inquisition : « Je [suis]certain, écrivait-il, que le roi mon fils et [la princesse] ma fille, ainsi que les ministres concernésauront fait, et feront, tout ce qui est en leur pouvoir pour extirper et châtier un aussi grand mal

avec l’éclat et la rapidité qu’exige la gravité de la situation. » Et l’empereur de former le vœu

que  « les   hérétiques   soient   punis   et   châtiés   avec   la   plus   grande   et   manifeste   rigueur,conformément   à   leurs   fautes,   et   ce   sans   exception   de   personne,   sans   admettre   aucunesupplication, sans égards particuliers pour personne […] Il faut absolument couper le mal à laracine, avec la plus grande rigueur, en appliquant le châtiment le plus dur. »30 En Europe, le

corps de l’hérétique était utilisé pour enseigner une leçon sur l’anatomie de

l’obéissance, avec naturellement dans le rôle du grand maître le pouvoir monarchique

ou impérial qui pouvait briser les rebelles à loisir. De l’écrasement du sujet émergeait la

pédagogie du supplice, qui visait à effrayer les foules afin de les dissuader de s’écarter

de l’orthodoxie.

13 Probablement en décembre 1554, la reine d’Angleterre rédigea une note exposant des

directives quant au châtiment des hérétiques. « Il me semble, affirmait-elle, qu’il doit sefaire sans brutalité, sans pour autant omettre de juger ceux qui paraissent abuser les simples

d’esprit  par   leur   érudition.  Au   sujet  des  autres,   il   faut   statuer  de  manière  à   ce  que   tousconstatent   distinctement   qu’ils   sont   à   juste   titre   condamnés,   afin   de   leur   permettre   decomprendre la vérité et de les inciter à ne point agir de la sorte ». Avant de poursuivre : « Et

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j’aimerais qu’à Londres, en particulier, aucun bûcher ne soit allumé sans la présence de quelquesmembres  du  Conseil  privé,  et  à  Londres,  comme  dans   le  reste  du  pays,  qu’un  prône  édifiantaccompagne   l’événement. »31 On constate la proximité qui existait dans l’esprit de la

souveraine entre punition, pédagogie et prêche. Si la propagande protestante inversa la

grille de lecture pour faire de l’hérétique un martyr32, elle ne doit pas faire oublier que

le Gouvernement marial était pleinement conscient du besoin pressant qu’avait l’Église

d’appliquer un programme d’instruction doctrinale qui servirait à combattre les

hérésies, à restaurer des pratiques catholiques saines, à encourager le respect de la

tradition et à renforcer le sentiment d’appartenance à une même religion.

14 Reginald Pole entreprit la réforme tridentine qui lui était chère33 : en novembre 1555, il

réunit un concile national dont la réflexion, interrompue par le décès de Gardiner,

aboutit à la rédaction de douze décrets connus sous le nom de Reformatio  Angliae.

Nommé à la tête des universités à la mort du Grand chancelier, il mit tout en œuvre

dans le but de replacer la prédication au cœur de l’effort de reconquête doctrinale

fourni par l’Église de Marie Tudor. Les sermons représentaient un moyen efficace de

promouvoir la foi grâce à une parole qui conjuguait enseignement de la véritable

doctrine du Christ, apologétique et souci d’entraîner l’adhésion, voire la conversion. Et

ce, conformément à ce que la 5e session du Concile de Trente avait rappelé en juin 1546,

à savoir le nécessaire devoir de donner de saines nourritures aux brebis du Christ34. Le

premier décret de la Reformatio  Angliae institua un symbole fort sous la forme d’une

célébration conjuguant procession, messe et sermon à la date anniversaire de la

réconciliation avec Rome, chaque 30 novembre. Le quatrième décret rappelait que « le

devoir  pastoral   […]   consist[ait]  principalement  à  prêcher   la  parole  divine. » Pole montra

l’exemple en novembre 1557 en faisant un prêche à Whitehall35.

15 Face aux multiples incuries du clergé, la solution des homélies toutes faites destinées à

être lues en chaire les dimanches et jours de fête s’imposa. Le projet fut confié à

Edmund Bonner, qui publia, en 1555, A Profitable and Necessarye Doctryne, dont le format

est assez proche de celui que Cranmer avait adopté pour le Book  of  Homilies de 1547.

Bonner s’efforça en outre de différencier la pédagogie selon l’auditoire concerné,

préparant un ouvrage spécifique destiné aux enfants et à leurs instructeurs (An Honest

Godlye Intruction and Information for the Tradynge, and Bringinge yp of Children), ainsi que

treize sermons (Homilies) à l’adresse des laïcs peu instruits. Ces sermons rappelaient les

bases de l’orthodoxie catholique et étaient organisés en quatre séries : la première

traitait de l’eucharistie, de la pénitence, de la confession auriculaire, du libre arbitre, de

la justification, des œuvres et de l’autorité de l’Église ; la seconde abordait le Credo, le

Pater, l’Ave, les commandements et les sacrements ; la troisième considérait la fonction

des saints ; tandis que la dernière revenait sur les cérémonies, les vertus cardinales et

les péchés capitaux36. Étaient en outre prévues la mise en route d’une nouvelle

traduction en anglais du Nouveau Testament, la rédaction d’un catéchisme en langue

vernaculaire et en latin, la publication de manuels pour la confession et la visite des

malades, la simplification des bréviaires et des missels, ainsi que l’unification du

cérémonial dans tous les diocèses, car selon Pole, « le respect des cérémonies […] fourniraplus  de   lumière  que   la   lecture  des  Écritures. » Ces éléments constituaient à ses yeux les

fondements mêmes de l’éducation des enfants de Dieu ; aussi les hérétiques s’étaient-ils

empressés de « détruire   l’unité  de   l’Église  en  méprisant  ou  en  modifiant   les  cérémonies. »37

Pole établit enfin un programme de formation intellectuelle efficace : au sein de chaque

paroisse, une partie des revenus devait être consacrée à l’enseignement de la

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grammaire aux futurs clercs, enseignement qui se déroulerait dans le cadre de ces

séminaires que la 5e session du Concile de Trente avait institués38.

« La paille qui est dans l’œil de ton frère »

16 Pole avait, en 1546, prononcé le discours d’ouverture du Concile de Trente et souligné

les objectifs à atteindre, en l’occurrence l’extirpation des hérésies, la réforme de la

discipline et des mœurs ecclésiastiques, ainsi que le retour de la paix au sein de l’Église.

Élu pape par acclamation trois ans plus tard, Pole refusa la tiare qui lui était offerte39.

Les circonstances politiques allaient toutefois entacher sa réputation. En juin 1557, afin

d’apporter son soutien à l’Espagne de Philippe II, l’Angleterre se retrouvait en guerre

contre la France, l’Écosse et la papauté. L’intransigeant Paul IV multiplia les camouflets.

Non content de destituer Pole de sa légation pontificale pour le remplacer par William

Peto, il informa l’ambassadeur anglais, Edward Carne, que l’Inquisition ouvrait une

enquête sur l’archevêque de Cantorbéry, dont l’errance doctrinale allait être prouvée40.

De quoi était-il question ? Lorsqu’il était gouverneur de Viterbe, Pole s’était retrouvé à

la tête d’un cercle d’intellectuels, les Spirituali, qui regroupait, entre autres, la poète

Vittoria Colonna et le cardinal Giovanni Morone. En lieu et place de l’attitude rigide

affichée face aux réformés, ces modérés prônaient « un  dialogue  et   la  recherche  d’unaccord  sur   les  bases  dogmatiques   les  plus   larges ». Si le pape Paul III avait partagé cette

ouverture, leur confiant en 1542 la direction du Concile qui devait s’ouvrir à Trente, son

successeur entreprit un grand nettoyage de la curie romaine, et Morone fut

emprisonné au château de Saint-Ange le 31 mai 1557. Pole, dont les vues sur la

justification paraissaient peu orthodoxes, se trouvait à son tour dans l’œil du cyclone41.

17 Marie adressa à Rome un plaidoyer en faveur du maintien de l’archevêque de

Cantorbéry, mais le pape n’en eut cure. Suivant l’exemple de son père, Marie réaffirma

alors avec force son indépendance et la primauté de l’État sur l’autorité pontificale,

s’opposant à l’arrivée du nonce chargé de confirmer la nomination de Peto, interdisant

à Pole d’obéir au pape qui le rappelait à lui, et demandant à Carne d’avertir Paul IV que

« la  reine,  son  Conseil  et   toute   l’Angleterre   [allaient]  pour  un  certain   temps  être  obligés  dedésobéir » à la papauté. On murmura à la curie que l’ombre du schisme planait à

nouveau sur l’Angleterre. Marie ne fut pas excommuniée, mais à sa mort, en novembre

1558, Paul IV se déclara soulagé42. La blanche Albion avait décidément une

interprétation très libre des dogmes de la foi catholique romaine.

Conclusion

18 Le protestantisme fut-il combattu avec efficacité ? Les mises au bûcher s’étaient

intensifiées en 1556 et 1557, avant de décroître à cause des épidémies de grippe et de la

guerre. Certains historiens avancèrent comme autre explication la lassitudedu

Gouvernement qui s’était rendu compte de l’inutilité des persécutions43 ; selon Eamon

Duffy, ce ralentissement serait en fait un signe que « l’hydre protestante   avait   étédécapitée. »44 Les Anglais, même s’ils acclamèrent leur nouvelle reine Élisabeth,

demeuraient attachés au catholicisme, et il faudra attendre les années 1580 pour que

les doctrines réformées s’enracinent. La traque se poursuivit, mais la déviance

doctrinale fut, sous Élisabeth, considérée comme un crime contre l’État et punie par la

décapitation ou par la pendaison. En Angleterre, le dernier bûcher pour hérésie fut

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érigé en 1612, sous Jacques Ier45. La tolérance n’existait pas au XVIe siècle, « bien plus, elleapparaît  comme   impie   […]  Calqués   sur   le   latin,   les  mots   français   ‘tolérer’  et   ‘tolérance’  nes’appliquent  pas  au  départ  à   la  dissidence  religieuse.  Ils  désignent  une  mesure  provisoire  deconciliation, plus pragmatique que philosophique. Tolérer, c’est souffrir et permettre, à la limite,

ce qu’on n’arrive pas à extirper. En bref, la tolérance est un moindre mal, elle ne jouit d’aucunevaleur positive. »46 En une époque pétrie par l’angoisse obsessionnelle de la mort et du

châtiment divin, catholiques et réformés tentaient désespérément d’obtenir le pardon

de Dieu grâce à un recours à la violence purificatrice dirigée contre le déviant, violence

qui, selon Denis Crouzet, prenait deux formes distinctes : la « violence conquérante »

des catholiques ordonnait la mise à mort de ceux qui s’étaient détournés de Dieu, tandis

que la « violence désacralisatrice » des réformés s’efforçait d’extirper les signes (autels,

statues, images, etc.) de l’Antéchrist romain. Dans les deux cas, exterminer l’hérétique,

l’Autre, l’ennemi de Dieu cause de rupture, permettait de restaurer l’ordre initial voulu

par le Tout-Puissant en lui montrant une humanité qui se purifiait de la souillure47.

Pourtant, comme le soulignait Foxe, l’hérésie était indissociable de l’orthodoxie,

comme l’ombre est intimement liée au corps48. Se renvoyant l’anathème à l’infini,

chacun voyait en l’œil de l’autre la paille de l’hérésie malgré les nombreuses

similitudes. « Pour  exister   les  unes   face  aux  autres », a magistralement souligné Pierre

Chaunu en 1975 dans Le  Temps  des  Réformes, « les  Églises  rivales  ont  dû   faire  passer  àl’arrière-plan   leurs  points  communs  –   très  nombreux   :  elles  étaient   toutes   issues  du  même

christianisme occidental – et accentuer à longueur de controverses leurs différences »49.

NOTES

1. Jean-Pierre MOREAU, L’Angleterre des Tudors, 1485-1603, Paris : Ophrys-Ploton, 2000, pp. 76-78.

2. Cité dans Thierry WANEGFFELEN, L’Édit de Nantes. Une histoire européenne de la tolérance du XVIe

au XXe siècle, Paris : Librairie générale française (Le Livre de poche), 1998, p. 84.

3. Eamon DUFFY, The Stripping of Altars: Traditional Religion in England, c. 1400-c. 1580 [1992], New

Haven & London: Yale University Press, 2005, p. 472.

4. The First and Second Prayer Books of Edward VI [1910], London: J. M. Dent & Sons Ltd., 1920, pp.

377, 392-393.

5. G. A. BERGENROTH et  al. (eds.), Calendar  of  Letters,  Despatches,  and  State  Papers,  relating  to  theNegotiations between England and Spain, preserved in the archives at Vienna, Simancas, Besançon, andBrussels, 13 vols., London: HMSO, 1862-1954, (abrévié ci-après en CSP, Spain), vol. 9, ‘16 June 1549’

et ‘19 July 1549’. Sauf mention contraire, c’est nous qui traduisons.

6. John Gough NICHOLS (ed.), The Diary of Henry Machyn, Citizen and Merchant-Taylor of London, fromA.D. 1550 to A.D. 1563, London: Camden Society, 1848, pp. 4-5 ; Isabelle FERNANDES, Marie Tudor. Lasouffrance du pouvoir, Paris : Tallandier, 2012, pp. 119-167.

7. CSP, Spain, vol. 9, ‘7 November 1549’.

8. David M. LOADES (ed.), The Chronicles of the Tudor Queens, Stroud: Sutton, 2002, p. 46.

9. NICHOLS, op. cit., p. 41.

10. DUFFY, Stripping  of  Altars, pp. 526, 528 ; Christopher HAIGH, English  Reformations.  Religion,Politics and Society under the Tudors, Oxford: Clarendon Press, 1993, pp. 206-209.

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11. H. ROBINSON (ed.),  Original   Letters   relative   to   the   English   Reformation,   1531-1558 , 2 vols.,

Cambridge: Parker Society, 1846-1847, vol. 1, p. 100.

12. Penry WILLIAMS, The Later Tudors: England 1547-1603, Oxford: Oxford University Press, 1995, p.

78.

13. Jennifer LOACH, Edward VI, New Haven & London: Yale University Press, 1999, p. 182.

14. ‘Offering freedom of conscience’, in H. GEE & W. J. HARDY (eds.), Documents Illustrative of theHistory of the English Church Compiled from Original Sources, London: Macmillan & Co. Ltd, 1896, pp.

373-376.

15. James GAIRDNER, Lollardy and the Reformation in England, 4 vols., London: Macmillan & Co. Ltd,

1908, vol. 1, p. 133.

16. James GAIRDNER, The English Church in the Sixteenth Century from the Accession of Henry VIII tothe Death of Mary [1902], London: Macmillan & Co. Ltd, 1904, p. 324.

17. CSP, Spain, vol. 11, ‘8 December 1553’.

18. Paul L. HUGHES & James Francis LARKIN, Tudor Royal Proclamations: The Early Tudors, 1485-1553,

New Haven & London: Yale University Press, 1964, p. 31.

19. Walter H. FRERE & William M. KENNEDY (eds.), Visitation Articles and Injunctions of the Period ofthe Reformation, 1536-1558, 3 vols., London: Longmans, Green & Co., 1910, vol. 2, pp. 324-329.

20. GEE & HARDY, op. cit., p. 384.

21. CSP, Spain, vol. 12, ‘12 April 1554’ ; vol. 13, ‘13 October 1554’.

22. John FOXE, Acts and Monuments [1563], London, 1583, p. 1447.

23. Canon 1325. Voir article « Hérésie » dans R. NAZ (ed.), Dictionnaire de droit canonique, 7 vols.,

Paris : Letouzey & Ané, 1953, vol. 5, p. 1105.

24. FOXE, op. cit., p. 1450.

25. Bernard COTTRET, Calvin.   Biographie   [1995], Paris : Éditions Payot & Rivages (Petite

Bibliothèque Payot), 1998, p. 230 ; Brad S. GREGORY, Salvation at Stake. Christian Martyrdom in EarlyModern Europe [1999], Cambridge: Harvard University Press, 2001, pp. 78-90.

26. John FOXE, Acts and Monuments [1563], 8 vols., New York: AMS Press, 1965, vol.7, p. 526.

27. Ibid., vol. 7, pp. 80, 120, 324, 332, 381, 394; vol. 8, pp. 146, 148, 313, 378, 411, 434, 491.

28. L. E. WHATMORE (ed.), Archdeacon  Harpsfield’s  Visitation , London: Catholic Record Society,

1950, passim ; E. DUFFY, Fires of Faith. Catholic England under Mary Tudor, New Haven & London: Yale

University Press, 2009, pp. 322, 16, 62.

29. NICHOLS, op. cit., p. 73.

30. Pierre CHAUNU & Michèle ESCAMILLA, Charles Quint, Paris : Fayard, 2000, pp. 604-605.

31. BL Harleian MS 444, f. 27.

32. Le supplicié protestant avait besoin de recevoir des autorités qui le jugeaient le titre

d’« hérétique », qui équivalait paradoxalement à une reconnaissance de son authenticité. Voir

Frank LESTRINGANT,  La   Cause   des  martyrs   dans   ‘Les  Tragiques’   d’Agrippa   d’Aubigné , Mont-de-

Marsan : Éditions Interuniversitaires, 1991, p. 16.

33. Voir les aspirations de la réforme tridentine dans Jean DELUMEAU & Monique COTTRET, Le

Catholicisme entre Luther et Voltaire [1971], Paris : P.U.F. (Nouvelle Clio), 1996, pp. 74-91.

34. Decretum   super   lectione   et   praedicatione, 2e décret. Voir G. ALBERIGO (ed.), Les   Concilesœcuméniques, 2 tomes, Paris : Éditions du Cerf, 1994, t. 2, vol. 2, chap. 11, p. 669.

35. DUFFY, Fires of Faith, p. 51.

36. Ibid., pp. 64-70.

37. Cité dans J. STRYPE, Ecclesiastical Memorials, 3 vols., Oxford: Clarendon Press, 1822, vol. 3, part

2, pp. 502-503.

38. HAIGH, op. cit., p. 225.

39. DUFFY, Fires of Faith, pp. 9, 22-23, 25.

40. CSP, Venice, vol. 6, no 932, ‘12 June’ ; no 938, ‘18 June’.

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41. Alain TALLON, « L’évangélisme italien de la Renaissance à la Réforme catholique », in Arlette

Jouanna (ed.), La  Renaissance.  Actes  du  colloque  de  2002 , Paris : Presses de l’Université de Paris-

Sorbonne, 2003, pp. 125-128, citation p. 131.

42. CSP, Venice, vol. 6, nos 991, 1248 ; DUFFY, Fires of Faith, pp. 19-25.

43. Frank HANSFORD-MILLER, Heresy  and  Marian  Catholicism, Canterbury: Abcado Publishers,

1992, pp. 68, 75-76, 78, 80- 85, 90-91.

44. DUFFY, Fires of Faith, pp. 7, 168-170.

45. Diarmaid MACCULLOCH, Thomas Cranmer, New Haven & London: Yale University Press, 1996,

p. 476.

46. COTTRET, op. cit., pp. 216-217.

47. Denis CROUZET, Les Guerriers de Dieu: la violence au temps des troubles de religion vers 1525- vers1610, Seyssel : Champ Vallon, 1990, p. 78.

48. ‘Neither is there any Article [of religion] which hath not his heresy annexed unto him, as the shadow

unto the body […] it were better that there were fewer Articles in the world, [and] then heresies would

cease   of   their   owne   accord’ (John FOXE, Acts   and  Monuments , 1570, p. 1654). C’est nous qui

soulignons.

49. WANEGFFELEN, op. cit., p. 64.

RÉSUMÉS

L’Angleterre connut un bouleversement sans précédent durant la Réforme henricienne : la loi de

Suprématie divisait les allégeances des sujets du roi entre Rome et Londres. L’introduction du

protestantisme fut certes limitée, mais suffisante pour que l’hérésie prenne racine dans des

terres déjà labourées par Wycliffe et ses partisans, les lollards. Pendant six ans, le règne

d’Edouard VI favorisa l’implantation des idées réformées. En 1549, Marie Tudor estimait qu’un

retour à l’ancienne religion était impossible tant les Anglais étaient infectés. Pourtant, dès son

accession en juillet 1553, la messe revit spontanément le jour. Comment ramena-t-elle l’Église

d’Angleterre dans le giron catholique ? L’histoire a retenu d’elle sa politique de sang et de feu en

lui léguant le sobriquet de « Marie la Sanguinaire », mais la répression ne fut pas la seule voie

adoptée par son Gouvernement pour donner de bons exemples : Reginald Pole et la reine

croyaient aussi au pouvoir de la pédagogie.

England knew unheard-of changes during the Henrician Reformation as the Act of Supremacy

divided the subjects’ allegiance between Rome and London. The introduction of Protestantism

was limited but sufficient for heresy to take root in a country where the plough of religious

deviance had already been driven by Wycliffe and the Lollards. During his six-year reign, Edward

VI favoured Protestant tenets and in 1549 Mary Tudor believed that the return to the old faith

was impossible, the English being badly infected. And yet when she came to power in July 1553,

mass spontaneously reappeared. How did Mary Tudor bring the English Church back to the

Catholic fold? The queen has gone down in history as ‘Bloody Mary’, but the ‘fire and blood’

policy was not the only solution adopted by the Marian Government to give good examples:

Reginald Pole and Mary also believed in the power of pedagogy.

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AUTEUR

ISABELLE FERNANDES

Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand 2

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Orthodoxy, Heresy and Treason inElizabethan EnglandOrthodoxie, hérésie et trahison dans l’Angleterre élisabéthaine

Claire Cross

1 Despite the severe penalties laid down in the Acts of Supremacy and Uniformity of

1559, the Elizabethan Government initially displayed great unwillingness to proceed

against Catholics for their religious beliefs, but changed its stance on the promulgation

of the papal bull of 1570 which excommunicated the queen and released her subjects

from their allegiance. At the beginning of the reign, Protestant and Catholic

controversialists in their publications concentrated upon whether the English Church

could be considered to be a true Church; after the State began prosecuting seminary

priests and their lay protectors for treason, the debate moved on to whether Catholics

were being put to death exclusively for a political crime or sacrificing their lives solely

for their faith. The irreconcilable positions of the two sides concerning orthodoxy,

heresy, and treason form the subject of this essay.

Prosecuting for heresy

2 Unlike France where the Albigensians had presented a very serious danger to the

Catholic Church in the High Middle Ages, England had not experienced a major

outbreak of heresy before the emergence of Lollardy in the second half of the

fourteenth century. To counter this threat, in 1401, the Government had found it

necessary to devise a new law, De heretico comburendo, under which heretics condemned

by the Church could be handed over for execution to the secular power, and burnings

of relapsed heretics had occurred with some regularity from this date. Lollardy seems

to have revived at the beginning of the sixteenth century and Lollards were still being

put to death under the provisions of the act in the first part of the reign of Henry VIII.

When, therefore, heretical ideas began penetrating England from the continent after

1517, the king’s ministers automatically employed this legislation against those

attracted to the new learning, and clerics like Thomas Bilney, a Catholic reformer, who

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seems to have held entirely orthodox views on the sacrament of the altar, and out-and-

out Lutheran converts such as Richard Bayfield and John Frith all perished at the stake

in the early 1530s. After something of a respite during the Cromwellian regime, six

religious deviants died on a single day in July 1540, the Government, in a distinction

which foreshadowed that drawn in subsequent reigns, sentencing the three

Evangelicals, Robert Barnes, Thomas Garrard and William Jerome, who had offended

against the current religious orthodoxy, to be burnt for heresy, and the three Catholics,

Thomas Abell, Edward Powell and Richard Fetherstone, who had refused to

acknowledge the royal supremacy, to be executed for treason.1

3 The religious conservatives, who had seemed to be gaining the upper hand in the last

years of Henry VIII, suffered an abrupt change of fortune on the accession of the boy

king Edward VI on 28 January 1547. Almost immediately the reformers seized control of

the Council, and the first Parliament of the reign repealed all the heresy laws. The

government imprisoned its most implacable Catholic opponents like Stephen Gardiner

and deprived them of their offices in both Church and State, but for five and a half

years, with the sole exception of the Anabaptist, Joan Butcher, deemed as much a social

as a religious radical, no one went to the stake on account of religion.

4 After the failure of Edward VI to secure the future of Protestantism by diverting the

succession to Lady Jane Grey, the accession of Mary Tudor in July 1553 brought the lull

in persecution to an end. Having herself never deviated from Catholic orthodoxy, the

new queen saw the restoration of the old religion and the reconciliation of the nation

to Rome as her main mission in life. By Christmas 1553, the Latin mass and all the other

Catholic offices had replaced the English services from the second Edwardian Book  ofCommon Prayer, which in any case had been in use for less than a year. While apparently

ready to accept the change in worship, the laity proved much more resistant to the

Government’s determination to bring back the old heresy laws, and it was not until the

third Parliament of the reign that the Lords and the Commons finally agreed to their

revival. The laws came into operation at the end of January 1555, and on 4 February,

John Rogers, a London minister and biblical scholar, was burnt at Smithfield. In the

three and a half years between February 1555 and the queen’s death on 17 November

1558, in a concerted campaign to eliminate heresy by force, which the most recent

historian of the Marian Church has described as ‘the most intense religious persecution ofits  kind  anywhere   in  sixteenth-century  Europe’, around 283 Protestants perished at the

stake and some thirty more died in prison. At first, with the intention of driving home

the consequences of heresy, the authorities held the burnings in public in London and

other major towns, but later, because of popular disturbances, particularly at

Smithfield, the bishop of London, Edmund Bonner, arranged for them to take place at

unsocial hours in less populous locations. In addition to the majority of the leaders of

the Edwardian Church who had remained in the country, the ranks of the martyrs also

included a contingent of quite humble lay men and women. More influential members

of the laity, who had supported Protestantism in the previous reign, seem to have used

their social connections to evade detection.2

5 From the very beginning of Mary’s reign, her councillors had encouraged the departure

of the foreign theologians and their students whom Cranmer had attracted to the two

English universities, and in the following months and years, more and more English

Protestants followed in their wake. Between the summer of 1553 and the autumn of

1558, approaching 800 English Protestants, men, women, children and servants fled to

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26

the continent: of this total, a quarter were clergy or university students preparing to

enter the ministry, and another quarter, gentlemen, merchants and members of the

professions. The exiles kept in close touch with their brethren in England, and John

Foxe in particular took it upon himself to collect first-hand reports of their sufferings.

He published his Latin account of the heresy trials and burnings, Rerum   in  ecclesiagestarum [...] commentarii, in August 1559, and a much augmented English version, the

immensely influential Actes and Monuments, popularly known as The Book of Martyrs, in

the spring of 1563.3

Defining the true Church

6 In many respects, the existence of an English Protestant Church in embryo on the

continent together with the persuasive nature of English Protestant propaganda

determined the future of religion in England after Mary’s death. Resolved to avoid the

cruelty of the previous regime, Elizabeth’s advisors seem at first to have hoped that

Mary’s leading ecclesiastics would behave as their Henrician predecessors had done

and submit to the superior might of the State. Events, however, played very differently

the second time round. On the calling of the first Parliament of the reign in January

1559, the Marian bishops mounted a spirited defence of the mass and the papacy, but

failed to prevent the passage just after Easter of bills restoring the royal supremacy and

re-imposing a Protestant form of worship. The Act of Supremacy, which required all

ecclesiastical and secular officeholders to acknowledge the Crown as the Supreme

Governor of the English Church, provided that any person who rejected the oath for the

third time could be judged guilty of high treason. In contrast to the 1530s, when all but

one of the bishops, John Fisher, had abandoned the pope and recognised the king as the

Head of the English Church, the entire Marian episcopate, with only one exception,

together with a substantial number of the higher clergy, refused to swear the oath and

lost their offices. Since so many of the Edwardian bishops had perished in the Marian

burnings, the Crown had little alternative but to turn to the newly returned Protestant

exiles to fill the vacant positions.4

7 With the intention of preventing any future persecution of Protestants, the Act of

Supremacy had limited heresy to that considered ‘to  be  heresy  by  the  authority  of  thecanonical  scriptures,  or  by  the  first  four  general  councils’. This definition lay behind the

challenge made in November 1559 by John Jewel, the bishop elect of Salisbury, to his

Catholic adversaries that if any of them were able ‘to bring any one sufficient sentence outof any old doctor or father, or out of any general council, or out of the holy scripture, or any oneexample out of the primitive Church for the space of six hundred years after Christ’ in support

of the current teachings and practices of the Roman Church, he then ‘would give overand subscribe to them.’ The ensuing literary controversy led directly to Jewel’s celebrated

defence of the Church of England against charges of heresy, Apologia   pro   ecclesiaAnglicana, published first in Latin in January 1562, and then in an English translation

two years later. In his Apology, Jewel attempted both to uphold the reformed doctrine of

the English Church, and to refute accusations that it had departed from the true

Church by asserting that, on the contrary, it had returned to ‘the primitive Church of theancient fathers and apostles’.5

8 In a mirror image of the previous reign, the Elizabethan religious settlement

precipitated an exodus to the continent of Catholic intellectuals from the two English

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universities, most particularly from Oxford. A group of these scholars established an

alternative English college at Douai in the Low Countries, and from there, in 1564,

Thomas Harding produced An  Answere  to  Maister  Juelles  Chalenge, which he followed a

year later with a paragraph by paragraph Confutation of a booke intituled ‘An apologie ofthe Church of England’. Both antagonists attracted an army of literary supporters trying

to prove that their Church was the true heir of the early Church, and the debate raged

on until Jewel’s death in 1571, by which time the Catholic exiles had switched their

attention to even more pressing concerns.6

Prosecuting for treason or religion

9 After they had been deprived of their livings, the Elizabethan Government had treated

Catholic clergy relatively leniently. By deliberately not posing the oath of supremacy

for a third time, it had avoided trying recusants for treason, and the worst penalty they

had had to face in the first decade of the reign was imprisonment and house arrest.

This state of affairs came to an end in May 1568 when the deposed Mary Queen of Scots

fled across the Scottish border into Cumberland, and for the first time in a decade,

English Catholics had a plausible Catholic claimant to the throne around whom to rally.

At almost exactly the same date, William Allen began transforming Douai into a

seminary for the training of a new generation of English Catholic priests for the

mission to England. Financed by subsidies from Spain and the papacy, the college

expanded rapidly and, by 1577, had over a hundred English students preparing for the

priesthood.7

10 While the causes of the rebellion which erupted in the north of England in the autumn

of 1569 seem to have been as much political as religious, the earls of Northumberland,

Cumberland and Westmorland certainly made use of religion to justify their

insurrection, restoring the mass in Durham cathedral at the height of the revolt. They

soon dispersed when faced with superior Government forces, but before the news of

their defeat reached Rome, Pius V intervened on behalf of the rebels. Having first

declared in his bull of January 1570 how ‘the servant of vice, Elizabeth, pretended queen ofEngland’ had ‘acquired the kingdom, and outrageously usurped for herself the place of supreme

head of the Church in all England’, he went on to pronounce ‘the aforesaid Elizabeth to beheretic  and  an  abetter  of  heretics’, and ‘to  have  incurred  the  sentence  of  excommunication’,

before depriving her ‘of  her  pretended  claim  to  the  aforesaid  kingdom  and  of  all   lordship,dignity and privilege whatsoever’ and absolving her subjects from their allegiance. Until

the revolt of the earls, most English Catholics had professed their loyalty to the pope in

spiritual matters and to their secular sovereign in matters of state, but now, though

many still attempted to maintain this distinction, the papal bull made this logically

impossible, and for Protestants set in stone the connection between Catholicism and

treason.8

11 Only four years after Elizabeth’s excommunication, the first four seminary priests left

Douai on the mission to return England to the Catholic faith. In contrast to the Marian

authorities who had burnt Protestants as heretics under the provisions of the statute of

De  heretico  comburendo, because of the papal bull, the Elizabethan Government could

with some justification claim that these priests had entered the country to seduce the

queen’s subjects from their allegiance, and on their prosecution and conviction for

treason in the common law courts insisted upon their enduring the death reserved for

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28

traitors. Between 1577 and the end of the reign, just over 200 Catholics, largely though

not exclusively priests, were hung, drawn and quartered.9

12 As soon as he had taken control of the college at Douai, if not before, William Allen had

concluded that the reconversion of England could only be achieved by Elizabeth’s

removal, and for the next two decades, he masterminded a succession of plots for the

invasion of the country by France or Spain. He took pains, however, to conceal all

knowledge of his plans from the priests in training, who were forbidden from

discussing politics and commanded to concentrate exclusively on the winning of souls

while on the English mission. Consequently, during the trial of Edmund Campion in

1581, the Government found it extremely difficult to prove that by ministering to the

spiritual needs of English Catholics, he had committed treason as defined under the

statute of 1352. To close this loophole, Parliament in 1581 passed a new act ‘to retain thequeen’s  majesty’s  subjects   in   their  due  obedience’ making it treasonable for a priest to

persuade an English subject to profess allegiance to the pope. A further law of 1584,

which banished all seminary priests and Jesuits from the country within forty days,

provided that those who defied the order or entered the country in the future should

also be deemed guilty of high treason.10

13 Within months of Campion’s death, the Catholic publisher Richard Verstegan brought

out a description of his martyrdom, following it in successive years with further

accounts of the English heretics’ cruelty towards priests. In an attempt to counter these

charges and convince continental powers that, faced with the same threat to their

national security, they would have acted in exactly the same way as the English

Government had done, in December 1583, the queen’s chief minister William Cecil, Lord

Burghley, produced The Execution of Justice in England. He began by stating that the pope

had outrageously intervened in English internal affairs not only by proclaiming ‘her

majesty, being the lawful queen and God’s anointed servant, not to be the queen of the realm’

and commanding ‘upon pains of excommunication, [...] all her subjects to depart from theirnatural allegiances’, but also by allowing the establishment of seminaries with the sole

purpose of training for the priesthood ‘persons disposed naturally to sedition [...] secretly topersuade   the  people   to  allow  of   the  pope’s   foresaid  bulls  and  warrants  and  of  his  absoluteauthority over all princes and countries.’ Yet none of ‘these seditious seedmen and sowers ofrebellion’, he maintained, had been ‘dealt  withal  upon  questions  of  religion,  but   justly  byorder of laws, openly condemned as traitors.’11

14 Again and again, Cecil hammered home the argument that his Government had not

embarked on a religious persecution:

And though there are many subjects known in the realm that differ in someopinions of religion from the Church of England and that do also not forbear toprofess the same, yet in that they do also profess loyalty and obedience to hermajesty and offer readily in her majesty’s defense to impugn and resist any foreignforce, though it should come or be procured from the pope himself, none of thesesort are for their contrary opinions in religion prosecuted or charged with anycrimes or pains of treason, nor yet willingly searched in their consciences for theircontrary opinions that savor not of treason.12

15 He furthermore compared the rebellious seminary priests with the loyal Marian

Protestants, most of whom ‘had  never  by   the  sacrament  of  baptism  or  by  confirmation,

professed, or [were] ever taught or instructed, or ever had heard of any other kind of religion,but  only  of  that  which  by  their  blood  and  death  in  the  fire  they  did  as  true  martyrs  testify.’Despite all their tribulations, ‘yet they never at their death denied their lawful queen, nor

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maintained any of her open and foreign enemies, nor procured any rebellion or civil war, nor didsow  any  sedition  in  secret  corners,  nor  withdrew  any  subjects  from  their  obedience,  as  thesesworn servants of the pope have continually done.’13

16 These so called ‘unarmed  scholars  and  priests’, therefore, should be seen as what they

really were, wolves in sheep’s clothing. ‘Their secret teachings and reconciliations’ have no

other purpose but ‘by rebellion to shed the blood of all her faithful subjects. The rewards of theinvaders (if they could prevail) should be the disinheriting of all the nobility, the clergy, and thewhole  commonalty  that  would  [...]  defend  their  natural  gracious  queen,  their  native  country,their wives, their children, their family and their houses.’14

17 Within months of the appearance of Cecil’s treatise, William Allen responded with A

True,  Sincere,  and  Modest  Defense  of  English Catholics. While spending much of his time

denying Cecil’s assertions and contending that the sole object of the mission to England

had been to win back the nation to the Catholic faith, and that the state had been

persecuting the seminary priests exclusively on account of their religious beliefs, he did

not shy away from confronting the issues of orthodoxy and heresy, which Cecil had

been eager to avoid. Allen considered states were answerable to God for their subjects’

souls as well as their bodies. The Marian Government had fully recognised this

responsibility, and striven to inculcate right belief. The present Government, in

contrast, by not defining heresy correctly and by not prosecuting religious deviants,

had scandalously failed to fulfill its obligations:

You profess to put none to death for religion. You have no laws to put any man todeath for his faith. You have purposely repealed by a special statute made in thefirst year and parliament of this queen’s reign all former laws of the realm forburning heretics, which smelleth of something that I need not here express. Youhave provided at the same time that nothing shall be deemed or adjudged heresybut by your parliament and convocation. You have not yet set down by any new lawwhat is heresy or who is an heretic. Therefore you can neither adjudge of ourdoctrine as of heresy nor of us as of heretics. Nor have you any law left whereby toexecute us. And so, to put any of us to death for religion is against justice, law, andyour own profession and doctrine.15

18 The situation had been entirely different in the previous reign, when the Government

had rightfully prosecuted for heresy:

Queen Mary against the Protestants executed only the old laws of our country andof all Christendom made for punishment of heretics, by the canons anddetermination of all popes, councils, Churches and ecclesiastical tribunals of theworld, allowed also and authorised by the civil and imperial laws and received by allkingdoms Christian besides. And who then hath any cause justly to be grieved? Whyshould any man complain or think strange for executing the laws which are asancient, as general and as godly against heretics as they are for the punishment oftraitors, murderers or thieves?16

19 In his Defense of English Catholics, Allen was battling for the very lives of the seminary

priests and prepared to use every available weapon in his armory on their behalf, but in

asserting that no priests had been involved in secular politics, as his most recent

biographer has conceded, he was being somewhat ‘economical  with   the   truth’. While

prohibited from discussing matters of state under the present dispensation, had a

Catholic power succeeded in invading the kingdom, the priests would have become the

prime instruments in effecting a counter-reformation. Even at this stage, when he was

still concealing his own involvement with England’s enemies, Allen made no attempt to

hide his support of the imposition of orthodoxy by force:

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

30

There is no war in the world so just or honorable, be it civil or foreign, as thatwhich is waged for religion; we say for the true, ancient, catholic, Roman religion;which by the laws of Holy Church and all Christian nations is adjudged to be theonly true worship of God and unto the obedience of which all princes and peoplehave yielded themselves, either by oath, vow, or sacraments, or every of theseways.

20 He similarly would tolerate no questioning of ‘the pope’s spiritual rod of excommunication

and  all  ecclesiastical  admonition  and  censure,  which   is  the  high  priest’s  and  Church’s  most

proper weapon and is more to be feared of all faithful persons (as holy St Augustine saith) “thanto be hewed in pieces with the sword, burned with the fire, or torn in sunder of wild beasts.”’17

21 As in the earlier controversy between Jewel and Harding, there could be no squaring of

the circle, and neither Cecil nor Allen emerged as more than polemicists in this most

acrimonious of literary battles. They wrote at a time when England was drifting into a

war with Spain, the country was gripped with anti-Catholic hysteria, and Protestants

were flocking to join the bond of association to ensure no Catholic candidate could

profit from any accident befalling Elizabeth. In 1587, the very year in which Mary

Queen of Scots was executed for treason for conspiring against the English Crown, Allen

revealed his true colours by publicly defending Sir William Stanley’s surrender of

Deventer to the army of Philip II. A few months later in his Admonition to the Nobility andPeople of England, published to coincide with the sailing of the Spanish Armada, he gave

English Catholics the signal to rise up and overthrow the queen.18

22 Despite the failure of the Armada in 1588 and subsequent invasion attempts in the

following decade, Elizabethan Protestants never lost their fear that the nation might be

re-converted to Catholicism by force and continued to regard Jesuits and seminary

priests as emissaries of Spain. Although there was no obvious Catholic candidate for the

English throne after the execution of Mary Queen of Scots, Allen and then, after his

death in 1594, the Jesuit Robert Persons gave substance to these concerns by advancing

the claims of a Spanish princess. In the event, the Protestant James VI of Scotland

succeeded Elizabeth with remarkably little resistance in March 1603, continental

Catholic powers made no attempt to interfere in English internal affairs, and the new

century might well have seen some sort of accommodation between the English

Catholic community and the rest of the political nation, had not a little band of Catholic

terrorists tried to bring about the restoration of Catholicism by blowing up the

Protestant monarch, lords and commons assembled in Westminster for the opening of

Parliament on 5 November 1605.

Conclusion

23 Although Richard Hooker could still assert at the end of Elizabeth’s reign that ‘there isnot any man of the Church of England but the same is also a member of the commonwealth; norany member of  the commonwealth,  which  is  not  also  of the Church  of  England’, the English

Church and State had never in fact been coterminous since Henry VIII’s break with

Rome. While Mary I and her ministers had gone to the ultimate extreme of burning

Protestants for heresy and their Elizabethan counterparts had retaliated by executing

Catholics for treason, neither had succeeded in reducing the country to a uniformity in

religion. Yet despite, or perhaps because of, the unpalatable political reality, the

arguments put forward by Tudor Protestant and Catholic polemicists continued for

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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centuries to attract those who still dreamt the impossible dream of recreating in

England a Church which once more comprehended all the subjects of state.19

NOTES

1. Lucien CARRIVE, « Le Statut pénal de l’hérésie en Angleterre au dix-septième siècle », in

Christiane d’HAUSSY (ed.), Orthodoxie et hérésie, Paris : Didier-Érudition, 1993, pp. 25-37.

2. Eamon DUFFY, Fires  of  Faith:  Catholic  England  under  Mary  Tudor, New Haven & London: Yale

University Press, 2009, pp. 7, 79, 89, 160.

3. Ibid., pp. 1-28;   Christina H. GARRET, The  Marian  Exiles:  A  Study   in   the  Origins  of  ElizabethanPuritanism, Cambridge [1938]: Cambridge University Press, 1966, pp. 32, 41; Thomas S. FREEMAN,

‘Foxe, John (1516/17-1587), martyrologist’, in H. C. G. MATTHEW & Brian HARRISON (eds.), Oxford

Dictionary   of  National Biography, Oxford: Oxford University Press, 2004, vol. 20, pp. 695-709

[subsequently ODNB].

4. J. E. NEALE, Elizabeth I and her Parliaments, 1559-1581, London: Jonathan Cape, 1953, pp. 33-84.

5. Statutes of the Realm, London: George Eyre & Andrew Strahan, 1810-1828, IV, part I, pp. 350-355;

John CRAIG, ‘Jewel, John (1522-1571), bishop of Salisbury’, in ODNB, vol. 30, pp. 108-113.

6. CRAIG,  Ibid. ; L. E. C. WOODING, ‘Harding, Thomas (1516-1572), theologian and religious

controversialist’, in ODNB, vol. 25 pp. 172-173.

7. Arnold O. MEYER, England and the Catholic Church under Queen Elizabeth [1916], London: Kegan

Paul, 1967, pp. 9-50; Eamon DUFFY, ‘Allen, William (1532-1594), cardinal’, in ODNB, vol.1, pp.

824-831.

8. Ginevra CROSIGNANI, Thomas M. McCOOG, Michael QUESTIER (eds.), Recusancy and Conformity

in Early Modern England: Manuscript and Printed Sources in Translation, Toronto: Pontifical Institute

of Medieval Studies, 2010, pp. 88-89.

9. DUFFY, Fires of Faith, p. 82; MEYER, op. cit., pp. 145-188.

10. DUFFY, ‘Allen, William’; Claire CROSS, The Royal Supremacy in the Elizabethan Church, London:

George Allen and Unwin, 1969, p. 41.

11. Robert M. KINGDON (ed.), The Execution of Justice in England by William Cecil, and A True, Sincereand Modest Defense of English Catholics by William Allen, Ithaca, New York: Cornell University Press,

1965, pp. 5-7.

12. Ibid., pp. 9-10.

13. Ibid., pp. 20-21.

14. Ibid., p. 37.

15. Ibid., p. 94.

16. Ibid., pp. 94-95.

17. DUFFY, ‘Allen, William’; KINGDON, op. cit, pp. xxxiii - xxxvii, 160, 190.

18. DUFFY, Ibid.

19. The Works of Mr Richard Hooker [...] in eight books of ecclesiastical polity [...], London:

Thomas Newcomb for Andrew Crook, 1666, Book VIII, p. 448.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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ABSTRACTS

Between 1558 and 1570, Protestant and Catholic propagandists debated the claim of the English

Church to be a true Church; after the excommunication of Elizabeth, the dispute moved on to

whether Catholics were being executed for a political crime or sacrificing their lives for their

faith. The irreconcilable positions of the two sides concerning orthodoxy, heresy, and treason

form the subject of this essay.

Entre 1558 et 1570, la polémique entre catholiques et protestants portait sur la prétention de

l’Église anglaise au statut de véritable Église. Les termes du débat changèrent après

l’excommunication d’Élisabeth Ire : il s’agissait désormais de savoir si les catholiques se faisaient

exécuter pour un crime politique ou bien si c’est pour leur religion qu’ils donnaient leur vie. Le

présent essai expose les positions irréconciliables des deux camps au sujet de l’orthodoxie, de

l’hérésie et de la trahison dans l’Angleterre élisabéthaine.

AUTHOR

CLAIRE CROSS

University of York

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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Richard Hooker, l’hérésie papiste etun protestantisme anglais de lacontinuitéRichard Hooker, Papist Heresy and the Catholic Continuity of EnglishProtestantism

Rémy Bethmont

1 La vie de Richard Hooker (1554-1600) que publie Isaac Walton en 1662 fait de ce

théologien élisabéthain, assez peu lu de son vivant, le grand défenseur de l’orthodoxie

anglicane, c’est-à-dire d’une Réforme modérée entre les « erreurs » de Rome et les

« excès » genevois. Hooker devient dès lors le champion de la via media anglicane et son

magnum opus, Of the Laws of Ecclesiastical Polity1, est depuis considéré par les anglicans

comme une somme théologique de référence pour comprendre et définir leur

conception de l’Église.

2 Les recherches récentes ont néanmoins montré que cette vision de Hooker comme

défenseur d’une orthodoxie anglicane à mi-chemin entre Rome et Genève est bien plus

le produit de la réécriture de l’histoire effectuée à la Restauration par les épiscopaliens

triomphants que le reflet de ce que représente la position de Hooker dans le contexte

du XVIe siècle finissant2. Loin d’être le porte-parole autorisé et reconnu de l’orthodoxie

nationale élisabéthaine, il frappe surtout ses contemporains par son originalité. Sa voix

n’est qu’une composante parmi d’autres dans une conversation théologique et

ecclésiologique à laquelle contribuent divers courants puritains et conformistes dont

les lignes de séparation sont mouvantes et complexes. Le conformisme de Hooker n’est

ainsi pas celui de l’archevêque Whitgift qui, sur la prédestination ou sur la question de

l’autorité des Écritures, est plus proche des puritains3. Mais pour les anglicans du

dernier tiers du XVIIe siècle et leur postérité, Hooker constitue le maillon qui les

rattache aux origines de la Réforme anglaise ; on se soucie peu du fait que ce maillon

n’ait pas été, à la fin du XVIe siècle, la seule manière (ni même la manière majoritaire)

de concevoir et de défendre le dispositif ecclésial élisabéthain. L’importance de Hooker

pour l’anglicanisme (concept pourtant inconnu à son époque !) doit se chercher dans la

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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manière qu’il a de défendre un mode d’être protestant, qui refuse la radicalisation de

l’opposition entre les deux grands blocs religieux de l’Europe, « catholique » et

« protestant », dans les décennies qui suivent le Concile de Trente.

3 Les formes de la religion élisabéthaine reflètent un état de la Réforme qui est celui des

années 1540, mais qui, dans les années 1580, est déjà fort dépassé et en porte-à-faux

avec les avancées de la Réforme protestante sur le continent à la fin du XVIe siècle4.

Hooker ressent le besoin, pour défendre ce qui, pour les puritains, apparaît comme un

anachronisme incompréhensible, de recourir à une argumentation novatrice qui puisse

parler à sa génération. Autant dans sa méthode5 que dans le contenu de son discours, il

vante les avantages d’une Réforme qui a gardé tout ce qu’elle pouvait de l’Église

médiévale, inaugurant un discours protestant de la continuité6 contre un

protestantisme de la rupture. Il s’appuie sur une compréhension assez originale, dans le

contexte réformé, de l’hérésie papiste, à laquelle il n’attribue qu’une capacité limitée à

détruire la continuité historique de la véritable Église catholique et apostolique. Ce

faisant, il théorise un protestantisme à l’imagination ecclésiale sensiblement différente

de celle qui se développe dans les Églises Réformées de Suisse et de France et à laquelle

les puritains souscrivent avec enthousiasme. C’est cet autre protestantisme hookérien

dans lequel, plus tard, les anglicans puiseront pour définir une via media qui donne à

l’anglicanisme un caractère œcuménique, inclassable dans le paysage religieux

occidental depuis le XVIe siècle.

L’hérésie de Rome et le salut des papistes

4 La définition que donne Hooker de l’hérésie romaine est centrale dans la construction,

chez lui, d’un discours protestant de la continuité. La controverse qui accompagne sa

production et oppose Hooker au puritain Walter Travers en 1586 met en relief le

caractère marginal, décalé de ce discours dans le protestantisme anglais de l’époque.

Dans les dernières décennies du XVIe siècle, la vigueur des attaques romaines contre

l’Église d’Angleterre se fait sentir, à un moment où la réforme tridentine a donné de

nouvelles forces à la cause de Rome. Un des arguments de la propagande papiste contre

la Réforme est que celle-ci condamne à la damnation toutes les générations antérieures,

faisant ainsi de la doctrine réformée une religion contraire à tout sentiment de piété

filiale. Maints théologiens protestants se sentent poussés à contre-attaquer, et Hooker

se joint à l’entreprise dans une série de sermons sur le livre d’Habakuk qui visent à

réfuter les critiques papistes. Quelle que soit l’originalité argumentative de ces

sermons, leur conclusion reflète le consensus réformé : tous les ancêtres papistes des

protestants anglais n’ont pas été empêchés de trouver le salut, malgré l’erreur dans

laquelle l’Église médiévale hérétique les induisait7.

5 Au départ, dans le premier sermon, rien ne laisse supposer que Hooker s’écarte du

discours réformé ambiant. Mais alors qu’il est attaqué par Travers sur ce qui est

probablement un écart involontaire de langage8, il est conduit à préciser sa pensée et à

examiner plus avant la question du salut des papistes dans les deux sermons de la série

qui nous sont restés dans leur intégralité9. C’est là qu’apparaît l’originalité de Hooker.

Au lieu d’en rester à invoquer le mystère de la grâce divine qui a pu, d’une manière ou

d’une autre, sauver certains membres des générations papistes antérieures à la

Réforme, comme le fait Oliver Carter10, Hooker cherche à expliquer comment il est

théologiquement possible que Dieu ait pu sauver des hérétiques11. Plutôt que de

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suspendre son jugement sur les papistes du passé, Hooker cherche à démontrer la

possibilité de leur salut12. Cette originalité argumentative, nous le verrons, est à

l’origine d’une conception de l’Église en décalage avec l’opinion réformée majoritaire,

dans laquelle se reconnaissent les anglicans de la Restauration et leur postérité.

6 L’argument de Hooker relatif au salut des papistes repose tout en entier sur la

distinction entre rejet direct et indirect du fondement de la foi qu’est le salut par le

Christ seul13. Les papistes affirment ce fondement même si, dit Hooker, ils le

pervertissent en prêchant la nécessité des œuvres pour que le salut soit appliqué à

l’individu, obscurcissant ainsi chez lui le fait que c’est la seule œuvre du Christ qui

sauve. Le résultat est que les papistes, par  effet  de  conséquence (et non directement),

renversent le fondement de la foi (‘they   overthrow   the   very   foundation   of   faith   byconsequent’14). Hooker cherche alors à démontrer que l’Église médiévale, malgré ses

corruptions, avait gardé le fondement de la foi de manière suffisante pour qu’il ne soit

pas impossible de trouver le salut.

7 Hooker revient sur le concept d’hérésie, qu’il divise en plusieurs catégories. La

première est une négation explicite et consciente d’un article du Credo :

We make a difference of heresies; accounting them in the next degree to infidelity,which directly deny any one thing to be which is expressly acknowledged in thearticles of our belief [...] As for example; if a man should say, ‘There is no catholicChurch,’ it followeth immediately hereupon, that this Jesus, whom we call theSaviour, is not the Saviour of the world, because [...] the true Messias should [...]gather such a Church as is catholic, not restrained any longer unto one circumcisednation.

8 La deuxième est une négation plus indirecte mais vraisemblablement tout aussi

consciente des articles de foi :

In a second rank we place them, out of whose positions the denial of any of theforesaid articles may be with like facility concluded; such are they which havedenied, either the divinity of Christ, with Hebion, or with Marcion, his humanity.

9 La troisième, dans laquelle Hooker place l’hérésie papiste, est une négation plus

indirecte encore et, dans bien des cas au Moyen Âge, inconsciente :

Heresies there are of a third sort, such as the church of Rome maintaineth, whichbeing removed by a greater distance from the foundation, although indeed theyoverthrow it; yet because of that weakness, which the philosopher noteth in men’scapacities when he saith, that the common sort cannot see things which follow inreason, when they follow, as it were afar off by many deductions; therefore therepugnancy between such heresy and the foundation is not so quickly nor so easilyfound, but that an heretic of this, sooner than of the former kind, may directlygrant, and consequently nevertheless deny, the foundation of faith.15

10 Bien que l’erreur de Rome ne soit pas mise dans la même catégorie (la deuxième) que

les grandes hérésies combattues par les Pères de l’Église, cela ne veut pas dire qu’elle

est moins grave, puisqu’elle renverse, tout autant que la deuxième, le fondement de la

foi. Hooker ne cesse d’ailleurs d’affirmer tout au long de son sermon que la doctrine

romaine conduit à la damnation. Mais son propos est de montrer que l’erreur de Rome

est configurée de telle manière qu’elle n’apparaît pas aussi facilement que les autres

comme hérétique, en particulier aux yeux du commun dont la puissance de réflexion ne

lui permet pas de déduire par un long raisonnement qu’il y a négation des articles du

Credo. Si bien que le papiste du peuple, peu versé dans les subtilités théologiques, peut

très bien croire affirmer le fondement de la foi en adhérant à une doctrine qui pourtant

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le renverse. C’est cette ignorance innocente de la pure doctrine que Dieu pardonne

pour les générations passées, nées trop tôt pour bénéficier des lumières de la Réforme.

L’Église papiste médiévale, passeur de la foiapostolique

11 Si Hooker, dans aucun de ses écrits, ne va jamais jusqu’à étendre à la Rome de son

temps la possibilité du salut, un pas a bien été franchi, qui informe sa compréhension

de l’Église dans Of the Laws of Ecclesiastical Polity. Comme le montre fort bien Deborah

Shuger, Hooker, dans son sermon sur la justification, a étendu le champ d’application

de la doctrine réformée de la persévérance des élus. À l’idée que les péchés de ces

derniers ne les coupent jamais définitivement de la grâce, on ajoute celle de

l’impossibilité pour l’erreur doctrinale de constituer un obstacle définitif au salut.

Quels que soient non seulement les péchés mais aussi les erreurs de ses élus, Dieu les

ramènera toujours, en fin de compte, au salut. L’hérésie, en d’autres termes, n’est pas

nécessairement signe d’une absence d’élection de la part de Dieu, à partir du moment

où il n’y a pas reniement intérieur du Christ de la part de l’individu. C’est dire que la

notion de foi justifiante chez Hooker est « radicalement minimaliste »16, puisque

l’hérésie du troisième type caractérisant le papisme, hérésie objective mais sans

intention de se séparer du fondement de la foi, n’est pas en soi un obstacle à la

justification. La Rome médiévale était donc bien toujours l’Église du Christ, malgré son

hérésie.

12 La différence qui sépare Hooker de la tradition argumentative calviniste est nette. Pour

celle-ci, en effet, si Rome peut encore être qualifiée d’Église, c’est pour une raison toute

négative :

Daniel et sainct Paul ont prédit que l’Antéchrist seroit assis au temple de Dieu (Dan.9:27 ; 2 Thess. 2:4) : nous disons que le Pape est le capitaine de ce règne maudit etexécrable, pour le moins en l’Eglise occidentale. Puisqu’il est dit que le siège del’Antéchrist sera au temple de Dieu, par cela il est signifié que son règne sera tel,qu’il n’abolira point le nom de Christ ne de son Eglise. De là il appert que nous nenions point que les Eglises sur lesquelles il domine par sa tyrannie, ne demeurentEglise.17

13 Le discours de Hooker, qui qualifie lui aussi le pape d’antéchrist, n’est pas absolument

incompatible avec celui de Calvin, mais le théologien anglais a une manière bien

différente de discerner en Rome l’Église du Christ. En distinguant l’hérésie objective du

papisme de l’intention innocente qui a pu la soutenir, Hooker donne moins

d’importance à la notion de pureté doctrinale dans la définition de la vraie Église que

dans la pensée réformée classique.

14 On en voit la conséquence dans le livre IV des Lois. Hooker défend les cérémonies dont

l’Église d’Angleterre perpétue l’usage, en commun avec Rome, contre les puritains qui

veulent au contraire purger l’Église de tout ce qui peut rappeler le papisme hérétique.

Les puritains ne conçoivent la nécessaire réforme de l’Église que comme une rupture.

Leur argument se résume ainsi : ‘Evils must be cured by their contraries ; and therefore thecure of the Church infected with the poison of Antichristianity must be done by that which isthereunto as contrary as may be’18. Hooker, au contraire, tient un discours où Réforme et

continuité avec un passé corrompu ne sont pas entièrement antithétiques.

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15 Cela lui permet de considérer, dans une mesure plus grande que les réformés n’avaient

l’habitude de le concevoir, que l’Église romaine médiévale a été un passeur de la foi et

de la pratique apostoliques. Il déclare : ‘We have received from them nothing, but that which

they did themselves receive from such, as we cannot deny to have been the people of God, yeasuch, as either we must acknowledge for our own forefathers or else disdain the race of Christ’19

et, un peu plus loin :

The ceremonies which we have taken from such as were before us, are not thingsthat belong to this or that sect, but they are the ancient rites and customs of theChurch of Christ, whereof ourselves being a part, we have the selfsame interest inthem which our fathers before us had, from whom the same are descended unto us.20

16 Ainsi, le discours de retour à la pureté de l’Église primitive, habituel dans tout le

protestantisme, se superpose, partiellement certes mais avec une réelle insistance, à

celui de l’héritage dans la continuité. À l’insistance puritaine sur l’unité des Églises

réformées (qui se traduit par la demande que l’Église d’Angleterre cesse de s’isoler en

refusant d’imiter les formes de culte genevoises)21, Hooker ajoute une unité historique

avec tout ce que le passé de l’Église a transmis de la doctrine et de la pratique

apostoliques, y compris dans les périodes les plus corrompues.

Un protestantisme dans la continuité historiquecatholique

17 L’orthodoxie nationale que défend Hooker se situe donc dans une continuité maximale

avec le passé médiéval en tout ce qui participe des adiaphora (les choses indifférentes au

salut) ; on n’a réformé que ce qui renversait le fondement de la foi par conséquence, à

savoir tout ce qui obscurcissait, dans la doctrine et la pratique chrétiennes, la

justification par la foi en Christ sans les œuvres. La continuité avec le passé est d’autant

plus importante qu’elle est porteuse d’une autorité pour ainsi dire « naturelle » qui

peut guider le commun dans la droiture et la piété. Trop de réforme peut finir par tuer

tout véritable esprit de religion dans le peuple22 :

The Church of England being to alter her received laws concerning such orders,rites, and ceremonies, as had been in former times an hindrance unto piety andreligious service of God, was to enter into consideration first, that the change oflaws, especially concerning matter of religion, must be warily proceeded in [...] Thewisdom which is learned by tract of time, findeth the laws that have been in formerages established, needful in later to be abrogated [...] But true withal it is, thatalteration though it be from worse to better hath in it inconveniences, and thoseweighty [ ...] if it be a law which the custom and continual practice of many ages oryears hath confirmed in the minds of men, to alter it must needs be troublesomeand scandalous. It amazeth them, it causeth them to stand in doubt whether anything be in itself by nature either good or evil [...] when they behold even thosethings disproved, disannulled, rejected, which use had made in a manner natural.What have we to induce men unto the willing obedience and observation of laws,but [...] the weight of that long experience, which the world hath had thereof withconsent and good liking? So that to change any such law must needs with thecommon sort impair and weaken the force of those grounds, whereby all laws aremade effectual.23

18 Au-delà du conservatisme politique évident de Hooker, pour qui les réformes

religieuses répétées pourraient encourager la désobéissance, voire la rébellion, contre

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l’autorité de la Couronne, qui assure la stabilité à la fois politique et religieuse du

royaume24, Hooker démontre sa préoccupation pour l’Église visible en tant que société,

et plus particulièrement ici, que société anglaise25. La nécessaire recherche de la pureté

doctrinale doit parfois conduire à réformer les rites et les pratiques de l’Église, mais les

réformes (même nécessaires) constituent toujours un certain danger pour la société

ecclésiale. Celle-ci, en effet, à l’instar des papistes des générations passées, apprend la

vie de foi authentique autant par l’enseignement prodigué par les pasteurs que, de

façon plus osmotique, en se laissant modeler par les pratiques cultuelles transmises

d’une génération à l’autre.

19 Rowan Williams, dans un article sur la théologie de Hooker, attire l’attention sur le fait

que la liturgie a chez lui une valeur propre, distincte de celle de l’instruction

rationnelle, telle qu’un sermon, par exemple, peut la dispenser : ‘Public  worship  dealswith  the  whole  of  that  humanity  assumed  by  Christ,  its  frailty  and  physicality.  We  are  to  beconcerned about something more than ideas in worship because the act of God in Christ is more

than the conveying of information to us’26. Les pratiques cultuelles, pour Hooker, ont une

capacité propre à être lieu de l’action divine rédemptrice, constituante de la vraie

Église. Il ne faudrait donc pas, en les réformant trop radicalement, priver le peuple d’un

élément important dans la transmission et l’édification de sa foi, quelles que soient par

ailleurs les corruptions dont ces pratiques ont pu être entachées dans le passé. Du fait

de leur enracinement traditionnel, elles jouissent, chez le commun, d’une autorité

(supérieure peut-être à celle d’une doctrine dont il ne saisit pas nécessairement toute la

substance) qui fait d’elles des passeurs de la foi catholique et apostolique. À tort ou à

raison, Hooker voit le puritanisme de ses adversaires comme une religion de

l’abstraction qui semble ignorer que l’Église est une réalité concrète, faite de chair et de

sang.

20 Le sacramentalisme très fort de Hooker, évident au livre V des Lois, va de pair avec son

insistance sur l’Église visible. Dans la section christologique préliminaire à son

exposition des sacrements, il déclare : ‘Our being in Christ by eternal foreknowledge savethus not without our actual and real adoption in to the fellowship of his saints in this present world

[...] We are therefore adopted sons of God to eternal life by participation of the only-begotten sonof  God’27. Or, cette participation au Fils unique de Dieu, pour Hooker, se fait par les

sacrements28. En restant parfaitement protestant, quelles que soient par ailleurs les

critiques qu’il nourrit à l’encontre du prédestinarisme inspiré de Théodore de Bèze,

Hooker rappelle quelque chose que n’aurait vraisemblablement pas contredit Calvin : le

décret éternel de prédestination ne doit pas mener à être tellement obnubilé par

l’appartenance à l’Église invisible qu’on en oublie que cette appartenance, dans le

concret, passe par une participation pleine et entière à la vie sacramentelle de l’Église

visible et que, en un sens, l’Église invisible, quelle que soit son origine dans le décret

éternel de Dieu, n’a pas d’existence sans l’Église visible et ses cérémonies les plus

concrètes. Or, celles-ci ont une histoire, histoire de corruptions sans doute, le plus

souvent, mais qui n’empêchent pas Dieu d’y opérer le salut.

21 Comme le suggère Rowan Williams, Hooker affirme quelque chose qui détonne peut-

être avec le discours protestant habituel, mais qui est néanmoins ancré dans les

principes les plus fondamentaux de la Réforme, à savoir la priorité de l’action de Dieu

sur celle des hommes dans l’économie du salut. La manière dont celui-ci s’opère dans le

concret de la vie de l’Église est quelque peu brouillonne, et c’est la raison pour laquelle

Hooker est en mesure de voir plus de continuité entre l’Église médiévale et l’Église

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élisabéthaine que d’autres théologiens réformés29. Il demeure, ce faisant, dans une

conversation constructive avec l’orthodoxie protestante : il en élargit peut-être les

termes, mais il n’en sort pas véritablement.

Conclusion

22 C’est une Réforme dans la continuité historique contre une Réforme de la rupture que

défend Hooker dans le cadre d’une théologie qui ne doit rien au Concile de Trente. C’est

de ce protestantisme-là que se réclame ce qu’on peut commencer à appeler, à partir de

la Restauration, l’anglicanisme. Il représente une tradition religieuse anglaise qui

occupe un autre espace que celui de l’opposition continentale entre protestantisme et

catholicisme, entre tradition religieuse de la rupture et tradition religieuse de la

continuité. Pour Hooker, l’hérésie justifie la rupture, mais ne doit pas détruire le

sentiment d’appartenance des réformés à la continuité historique de l’Église visible,

sans laquelle il n’y aurait pas d’Église invisible.

23 Ce protestantisme qui revendique sa catholicité historique, et non pas seulement

doctrinale30, est responsable d’un autre usage des notions de protestantisme et de

catholicisme que celui dont on est familier de ce côté-ci de la Manche. Sur le continent,

le discours protestant de la rupture, en refusant autant qu’il lui était possible, l’héritage

de l’Église médiévale – identifié tout entier à l’hérésie de la Rome tridentine – a permis,

la propagande romaine aidant, de présenter l’Église du pape comme seule héritière

d’une histoire continue du catholicisme depuis les apôtres. Évoquant les défenseurs de la

cause romaine, Hooker écrit: ‘They ask us where our Church did lurk, in what cave of theearth it slept for so many hundreds of years together before the birth of Martin Luther?’31 La

possibilité même de poser cette question, génération après génération depuis la fin du

XVIe siècle, a indubitablement participé de la confessionnalisation du concept de

catholicisme : celui-ci est devenu propriété de l’Église de Rome contre un

protestantisme réformé continental qui avait oublié ses liens avec l’Église médiévale. La

tradition hookerienne, très forte au sein de l’anglicanisme, refusant d’opposer en tout

l’Église catholique médiévale à l’Église d’Angleterre réformée, a permis à celle-ci de se

comprendre comme à la fois protestante et catholique. Non pas parce que son

protestantisme serait moins protestant que les autres, mais parce que son discours et sa

pratique ont su garder vivante l’idée que le protestantisme est catholicisme dans la

continuité de l’histoire de l’Église d’Occident.

NOTES

1. Nous désignerons cet ouvrage sous le titre abrégé de Laws (ou de Lois, en français). Toutes les

citations de Hooker renvoient à W. Speed HILL (ed.), The  Folger  Library  Edition  of  the  Works  ofRichard Hooker, 7 vols., Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1977-1998. Nous référerons à

cette édition de l’œuvre de Hooker par le titre abrégé de Works. Nous avons néanmoins modernisé

l’orthographe, dans les citations, pour faciliter la lecture.

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2. Voir notamment Peter LAKE, Anglicans  and  Puritans?:  Presbyterianism  and  English  Conformist

Thought   from  Whitgift  to  Hooker, London: Unwin Hyman, 1988; Nigel VOAK, Richard  Hooker  andReformed  Theology:  A   Study   of  Reason,  Will,   and  Grace, Oxford: Oxford University Press, 2003;

Torrance KIRBY (ed.), A Companion to Richard Hooker, Leiden: Brill, 2008.

3. Rémy BETHMONT, L’Anglicanisme :  un  modèle  pour   le  christianisme  à  venir ? Genève : Labor et

Fides, 2010, pp. 74-76, 133.

4. Ibid., pp. 26-28.

5. En particulier, son utilisation fréquente non seulement des Pères de l’Église, mais aussi des

théologiens médiévaux, notamment saint Thomas d’Aquin. Voir A. S. McGRADE, ‘Classical,

Patristic and Medieval Sources’, in KIRBY, op. cit., pp. 51-87.

6. J’adapte ici une formule de Bernard Cottret, prononcée lors d’un échange sur l’anglicanisme en

mai 2012.

7. Voir notamment William FULKE, An  Answer  of  a  True  Christian, reproduit dans Two  Treatiseswritten against the Papistes, London, 1577; Oliver CARTER, An Answere unto certaine Popish Quesstions

and Demaundes, London, 1579.

8. Richard BAUCKHAM, ‘Hooker, Travers and the Church of Rome in the 1580s’, Journal   ofEcclesiastical History, vol. 29, no 1, January 1978, pp. 44-47.

9. Regroupés et publiés en 1612 sous le titre de A Learned Discourse of Justification, Works, and howthe Foundation of Faith is Overthrown.

10. ‘We will not judge those, which have died in ignorance for want of knowledge, but refer all to God’ssecret judgment, who knoweth whom he hath chosen’ (CARTER, op. cit., p. 41).

11. ‘How then was it possible for so many of our fathers to be saved, sinth they were so far from departingout of Babylon, that they took her for their mother, and in her bosom yielded up the ghost?’ (A LearnedDiscourse of Justification, § 10 [Works, vol. 5, p. 119]).

12. BAUCKHAM, op. cit., pp. 45-48.

13. A Learned Discourse of Justification, § 19 (Works, vol. 5, pp. 126-127).

14. A Learned Discourse of Justification, § 17 (Works, vol. 5, p. 125).

15. A Learned Discourse of Justification, § 32 (Works, vol. 5, pp. 155-156).

16. Deborah K. SHUGER, ‘Faith and Assurance’, in KIRBY, op.cit., p. 246.

17. Jean CALVIN, Institution de la religion chrestienne, 2 vols., Paris : Ch. Meyrueis, 1859 (livre IV,

chap. 2, §12), vol. 2, p. 325.

18. Laws, IV. 8. 1 (Works, vol. 1, p. 298).

19. Laws, IV. 5. 1 (Works, vol. 1, p. 288).

20. Laws, IV. 9. 1 (Works, vol. 1, p. 302). Une étude comparative de cette vision hookerienne et de

la Réforme luthérienne serait sans doute bienvenue. Si la distinction avec le monde réformé et

puritain est assez nette, elle l’est sans doute beaucoup moins avec le monde luthérien. En 1629,

John Donne insiste sur ce point dans un de ses sermons : ‘That in all such things [i.e. ceremonies], we

always inform ourselves, of the right use of those things in their first institution, of their abuse with which

they have been depraved in the Roman Church, and of the good use which is made of them in ours. Thatbecause pictures have been adored, we do not abhor a picture; Nor sit at the Sacrament, because idolatryhath  been  committed   in  kneeling.  That  Church,  which  they  call  Lutheran,  hath  retained  more  of  theseceremonies than ours hath done; And ours more than that which they call Calvinist; But both Lutheran,and ours, [are] without danger, because, in both places, we are diligent to preach to the people the right useof these indifferent things’ (George POTTER & Evelyn SIMPSON (eds.), The Sermons of John Donne, 10

vols., Berkeley: University of California Press, 1953-1962, vol. 8 [1956], p. 331).

21. Laws IV. 13.1 (Works, vol. 1, pp. 327-328).

22. S’opposant à l’argument puritain qui veut qu’on guérisse la corruption romaine par son

contraire, imposant le bannissement de tout ce qui peut rappeler le papisme, Hooker répond : ‘He

that will take away extreme heat by setting the body in extremity of cold, shall undoubtedly remove thedisease, but together with it the diseased too’ (Laws IV. 8. 1 [Works, vol. 1, p. 298]).

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23. Laws IV. 14.1 (Works, vol. 1, pp. 336-337).

24. Hooker se place ici franchement du côté de l’ordre établi et apporte des arguments

supplémentaires à la reine, qui considère les demandes puritaines comme une forme de

résistance à son autorité.

25. On rappelle que, pour Hooker, l’Église, communauté religieuse, est coextensive à la

communauté politique : ‘There is not any man of the Church of England, but the same man is also amember of the Commonwealth; nor any man a member of the Commonwealth, which is not also of theChurch of   England  [   ...]  properties  and  actions  of  one  kind  do  cause   the  name  of  a  Commonwealth,

qualities and functions of another sort, the name of a Church to be given unto a multitude; yet one and theself same multitude may in such sort be both’ (Laws, VIII. 1. 2 [Works, vol. 3, p. 319]).

26. Rowan WILLIAMS, ‘Hooker the Theologian’, Journal of Anglican Studies, vol. 1, no 1, 2003, p. 109.

27. Laws V. 56. 7 (Works, vol. 2, pp. 238-239).

28. Voir en particulier Laws, V. 67. 5-6 (Works, vol. 2, pp. 334-335).

29. WILLIAMS, art. cit., pp. 104-106.

30. Hooker emploie souvent le terme de « catholique », qu’il oppose en général à celui de

« hérétique ». Son « catholicisme » est donc d’abord doctrinal, comme chez les autres théologiens

réformés. Mais, contrairement à eux, parce qu’il reconnaît une continuité catholique depuis les

Pères jusqu’à lui (c’est-à-dire que l’Église n’a jamais été rongée par l’hérésie au point d’en perdre

toute catholicité), on peut dire que sa conception de la catholicité est aussi historique.

31. Laws, III. 1. 10 (Works, vol. 1, p. 201).

RÉSUMÉS

En définissant de manière particulièrement étroite les termes de l’hérésie papiste, quelle que soit

par ailleurs sa gravité, Richard Hooker (1554-1600) est amené à voir l’Eglise médiévale d’une

manière plus positive que ne la considère la tradition argumentative calviniste. L’hérésie de

l’Eglise du pape ne l’a pas totalement empêché d’être, pendant la période médiévale, un passeur

de la foi catholique et apostolique. Sans renier les intuitions fondamentales de l’orthodoxie

protestante, Hooker inaugure ainsi un protestantisme anglais de la continuité, posant les bases

d’une compréhension anglicane de la Réforme comme étant dans la continuité historique du

catholicisme occidental.

By closely circumscribing what papist heresy consisted in, however grievous it might be, Richard

Hooker (1554-1600) was able to see the medieval Church in a more positive light than was

customary in Calvinist discourse. Papist heresy did not constitute a definitive obstacle for the

catholic and apostolic faith to be handed down from the apostolic age to the Reformation era.

Without overthrowing the fundamentals of Protestant orthodoxy, Hooker started a brand of

English Protestantism emphasising continuity with the past, at the basis of the Anglican

understanding of the Reformation as being in the historic continuity of Western Catholicism.

AUTEUR

RÉMY BETHMONT

Université de Picardie Jules-Verne

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La vie de Gregorio Lòpez par ThomasWhite (1592-1676), ou lasanctification d’un ermitehétérodoxe par un catholiquehérétiqueThe Life Of Gregorio Lòpez by Thomas White (1592-1676), or the Sanctificationof a Heterodox Hermit by a Heretical Catholic

Thérèse-Marie Jallais

1 Notre propos n’est pas ici de déterminer ce qu’est un saint, mais d’expliquer

l’engouement éditorial suscité en terre anglaise par un modèle de piété catholique :

Gregorio López (1542-1596). L’homme ne fut jamais canonisé. Et pourtant ! Ce laïc

espagnol devint un parangon de vertu, et les biographies qui lui furent consacrées

rencontrèrent un vif succès, dépassant très largement le cadre du milieu où il vécut : le

désert mexicain. La Vida que hizo el siervo de Dios Gregorio Lopez (1613) connut, en effet, de

nombreuses traductions en Europe1. Ce catholique aurait pu demeurer un exemple de

piété vénéré localement, comme il était fréquent à l’époque baroque2. Comment, alors,

rendre compte de cette renommée? Peut-on y voir la force de la dévotion populaire,

qui, contre le choix des instances de l’Église catholique, aurait réussi à imposer ses

propres idéaux en matière d’incarnation de la perfection, idéaux parfois fort distants

de ceux des théologiens experts en orthodoxie de la congrégation des rites, qui, seule,

pouvait sanctifier ? En partie peut-être. Mais le rayonnement de cette figure en Europe,

dans des cercles ou des groupes de théologiens chevronnés, pourrait indiquer d’autres

pistes. Pourquoi cette figure fut-elle si bien accueillie dans les milieux protestants ?

Pourquoi son succès se confirma-t-il, en Angleterre, jusqu’au milieu du XVIIe siècle ? Ce

saint non estampillé y fut-il l’objet, dans le contexte de la Contre-Réforme, de ce que

l’on pourrait appeler une récupération théologique ? Si tel était le cas, quels pouvaient

en être les enjeux ? Sinon, d’où vient ce succès d’édition?

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2 Deux précisions s’imposent en préambule : l’histoire de la spiritualité ne constitue en

rien un monde clos. Dans la relation entre la représentation sociale du saint et la

doctrine catholique se font jour, au XVIIe siècle, des changements visant à redéfinir la

pratique hagiographique à l’intérieur d’une dynamique théologique très tendue. À l’âge

baroque, en effet, ces vies de saints étaient l’une des manifestations les plus visibles des

divergences entre catholiques et protestants, le saint canonisé représentant pour les

réformés une métaphore, sinon la métaphore privilégiée du corps des controverses et,

en particulier, des désaccords qui opposaient les deux confessions chrétiennes sur la

conception même de la Tradition de l’Église3. Rappelons simplement que, pour Luther,

nul n’était besoin d’intercesseur, hormis le Christ : la foi seule justifiait, au point que le

culte des saints participait de l’idolâtrie et mettait en danger le monothéisme. Jean

Calvin (1509-1564) consomma définitivement la rupture avec la conception catholique

du saint en posant que le culte des reliques et des images attribuait à Dieu une

apparence visible, ce qui était inacceptable sur le plan du dogme4. L’idée que des

chrétiens puissent être des modèles sur la voie de la perfection n’est, certes, pas

absente de la culture protestante, mais ils ne sauraient avoir le statut d’intermédiaire.

En second lieu, il convient de rappeler que la théologie fut, comme tous les domaines

du savoir au XVIIe siècle, l’objet de divergences épistémologiques, de redécoupages de

ses propres champs de connaissance. La science religieuse se transforma : à l’instar des

autres disciplines, elle subit l’influence du rationalisme ambiant, qui se traduisit par un

souci de soumettre ses textes à l’épreuve des preuves historiques et par une soif de

vérification érudite que formalisa l’exégèse5. Ces deux niveaux d’analyse – théologique

et scientifique – ne s’emboîtent pas à la manière de poupées gigognes, pas plus qu’ils ne

se trouvent liés par des relations de cause à effet. Les temps ne sont pas parfaitement

synchroniques, les espaces mêmes ne se recoupent pas harmonieusement. Ni temps de

l’étale, ni temps du reflux, la spiritualité des saints est source de vives controverses

entre 1560 et 1680.

Du peuple politique au peuple de la Tradition del’Église

3 La première traduction anglaise de La  Vida  que  hizo  el  siervo  de  Dios  Gregorio  López  enalgunos lugares de esta nueva Espana, intitulée The Life of Gregorio López fut publiée à Paris,

en 16386. Elle était signée ‘N.  N.’, le traducteur ayant préféré garder l’anonymat.

Derrière ces fausses initiales se cache Thomas White (1592/3-1676), prêtre catholique

anglais lié à Port-Royal, et détenteur de multiples pseudonymes parmi lesquels

« Albius », « Blacklow » et « Blacklaw »7. Jusqu’aux années 1990, l’homme restait mal

connu. Mais les travaux de Bruno Neveu, de Beverley Southgate et, plus récemment,

ceux de Stefania Tutino ont éclairé la personnalité et le rôle intellectuel de Thomas

White, tant dans le domaine de la pensée politique et scientifique que dans celui de la

théologie8.

4 L’homme avait été éduqué à l’université catholique de Douai, où il fut ordonné prêtre

en 1617, puis nommé enseignant en 1622. En 1650, il en fut le vice-président. Après des

séjours nombreux à Paris, à Saint-Omer, à Séville, et à Valladolid, il devint, entre 1625

et 1629, l’agent des catholiques anglais à Rome, au moment où le mariage de Charles 1er

Stuart et Henriette-Marie de France pouvait faire espérer un retour du catholicisme en

Angleterre. À partir des années 1640, White fréquenta assidûment le cercle des

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scientifiques parisiens de Mersène, rencontra Gassendi, Descartes et des membres de la

Royal Society. Dans Peripateticall Institutions (1647), ouvrage de physique, il parvenait à

réconcilier approche aristotélicienne et philosophie moderne en acceptant

l’héliocentrisme de Copernic sans renoncer à l’idée d’un centre incluant la terre, cœur

de l’immensité cosmique9. Sa réflexion politique, d’une grande originalité et d’une

remarquable indépendance, exerça une réelle influence sur nombre de ses

contemporains, sur Thomas Hobbes, par exemple10. Celui que Descartes surnommait

« Vitus » était considéré comme « l’un des philosophes les plus subtils de son temps »11. Dans

The Grounds of Obedience and Government (1655), il avait, de manière inattendue, affirmé

que l’opposition à Charles 1er était fondée, et que les catholiques devaient accepter

l’autorité de Cromwell12. Cette position lui valut d’être rejeté par un certain nombre de

catholiques anglais, pour qui l’appartenance à l’Église catholique romaine allait de pair

avec le soutien aux Stuart13. Dans ce même ouvrage, il défendait clairement le concept

de souveraineté populaire et affirmait que tout régime politique devait se donner pour

objectif premier le bien-être du peuple, ce en quoi il différait du Leviathan de Hobbes

comme de l’Oceana de Harrington 14. L’insistance sur cette notion entendue dans son

acception moderne se retrouve dans ses traités de théologie. L’Église ne peut définir la

Tradition ; elle ne peut qu’en témoigner15. Cette Tradition inclut le peuple de Dieu, qui

participe de la réception orale des Écritures. Selon Thomas White, cette écoute peut

bien sûr faire l’objet d’erreurs, mais celles-ci ne relèvent en rien de l’hérésie,

précisément parce qu’il s’agit d’une transmission orale. L’hérésie ne peut être le fait

que des théologiens spécialistes des écrits bibliques et de leurs interprétations, ceci

tout au long de l’histoire de l’Église16. Avec subtilité, le théologien anglais fait donc

éclater la dichotomie rigide des discours savants sur les concepts d’hérésie et

d’orthodoxie en lui substituant un autre couple dialectique, celui qui oppose la Parole

reçue oralement par le peuple de Dieu à l’ensemble des traditions écrites, c’est-à-dire

exégétiques17.

5 Ces analyses politico-religieuses firent de White le porte-parole reconnu d’un groupe:

les Blackloists. Henry Holden, John Sergeant et Kenelm Digby, qui en étaient avec lui les

chefs de file, élaborèrent en 1647 un programme à la théologie révolutionnaire intitulé

le Holden  Plan : l’Église catholique, en Angleterre, devait s’engager à renoncer à tout

pouvoir temporel ; en contrepartie, le Parlement lui garantirait la liberté de culte18. La

nomination de six ou sept évêques catholiques par ce même Parlement assurerait la

reconnaissance officielle de l’Église romaine19. Cromwell soutenait le projet, mais Rome,

sans surprise, le condamna en 1655, et Thomas White fut contraint à la Restauration de

fuir aux Pays-Bas20. S’engagea alors une guerre ouverte entre les jésuites, défenseurs de

l’autorité pontificale, et les partisans du Holden  Plan. Ces derniers furent accusés de

jansénisme : accusation fondée que White ne démentit pas, tout au contraire, car les

relations entre les Blackloists et Port-Royal étaient étroites et régulières21. L’opposition à

l’ultramontanisme, la remise en cause de l’autorité pontificale, la méfiance extrême à

l’égard de la Compagnie de Jésus, dont les pratiques tendaient à nier la hiérarchie

épiscopale au profit d’un pouvoir confisqué par des réguliers, réunissaient les partisans

de White et les jansénistes français.

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La mystique rhéno-flamande du « saint »

6 Lorsque la traduction qui retient notre attention est publiée, en 1638, les relations des

Blackloists avec Rome ne sont pas rompues, et leurs positions politiques ne sont pas

encore ouvertement affichées. Un point surprend : Thomas White, écrivain prolifique,

maîtrisant couramment plusieurs langues, dont l’espagnol, le français et l’italien, ne

faisait pas de la traduction son activité principale. Parmi tous les ouvrages dont nous

savons qu’il est l’auteur – une cinquantaine environ – ne figure qu’une seule autre

traduction22. La Vida que hizo el siervo de Dios Gregorio López en algunos lugares de esta nuevaEspana présentait à ses yeux des qualités particulières, comme nous le montrerons par

la suite. Toutefois, la médiocre qualité littéraire de l’ouvrage espagnol et son absence

de réflexion théologique originale expliquent mal a priori l’intérêt du subtil théologien

pour une œuvre qui, sur ces deux plans, peut être qualifiée de parfaitement mineure.

En réalité, la traduction de Thomas White relève de l’adaptation libre, des coupes très

importantes étant opérées dans le texte de 1613. Cette pratique était très répandue à

une époque où les droits d’auteur n’existaient pas. On la retrouve au siècle suivant chez

le méthodiste John Wesley, qui, dans les ouvrages qu’il destinait à ses lecteurs

anglophones, n’hésitait pas à traduire et à adapter les écrits de catholiques français

dont il taisait le nom.23 Dans ce contexte, si la question de la fidélité à l’ouvrage originel

ne présente guère d’intérêt, la mise en lumière de la conception de la spiritualité que

Thomas White s’attache à développer pour son lectorat anglophone – catholique ou

protestant – doit permettre de mieux cerner comment s’élabore, sous la plume du

traducteur-adaptateur, une image de saint originale qui soit acceptable en terre

puritaine.

7 De Gregorio López, on ne sait presque rien, remarque Thomas White. Son enfance reste

obscure. Il aurait été élevé à la cour d’Espagne, aurait peut-être même été un fils

illégitime de Philippe II !24 On retrouve ici un lieu commun de la figure du saint véhiculé

par la tradition hagiographique médiévale : ses origines se devaient d’être nobles. De

nombreuses spéculations circulaient sur son appartenance religieuse : il aurait été juif

ou… luthérien25. Un point reste certain : son départ pour le Mexique, à 20 ans, en 1562.

Selon Thomas White, López aurait entretenu au Nouveau-Mexique des rapports tendus

avec la hiérarchie catholique acquise à une discipline cénobitique : adepte de la vie en

communauté, elle regardait d’un mauvais œil tous ceux qui chérissaient l’érémitisme.

Le problème perdura, car l’homme ne fréquentait guère les lieux de culte, préférant la

solitude pour cultiver une dévotion tout intérieure. La Cathédrale de Mexico ordonna

une enquête sur ce catholique qui semblait faire fi des sacrements et des règles d’un

ordre religieux26. López préférait, aux rituels de l’Église, les formes d’adoration

silencieuses. La contemplation et la solitude constituaient, selon lui, les seules marques

d’une vraie foi, Dieu ne pouvant être atteint que par un acte de volonté, et non par les

voies conceptuelles et discursives auxquelles l’Espagnol avait complètement renoncé.

Exercer sa volonté pour se plier à la volonté divine afin de connaître l’anéantissement

en Dieu : tel était son objectif27. Thomas White, le théologien catholique, présente donc

un parcours de l’âme dans l’ascèse qui n’est pas sans rappeler un texte contemporain de

La Vida intitulé La reigle de perfection, de Benoît de Canfeld, dont la version italienne fut

d’ailleurs condamnée par Rome28. Ces deux œuvres, en effet, prônent une spiritualité

tournée vers l’abstrait, le chrétien établissant un rapport avec l’essence divine sans

poser d’intermédiaire, dans une fusion transcendant la réalité du Christ. La spiritualité

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de l’Espagnol s’apparente également à la mystique rhéno-flamande, qui posait que

l’âme, en sa pointe extrême, appelée son essence, pouvait parvenir à cette union avec

Dieu – union souvent réservée aux mystiques, dont la position se trouvait

singulièrement sacralisée29. Il convient de noter que le rationalisme cartésien réfuta

violemment ce modèle ontologique en posant que l’être suprême restait hors du sujet

croyant. Dans cette seconde cartographie de la vie spirituelle qu’illustrait Bossuet, la foi

devait être gérée par la raison, qui transformait le sentiment d’amour par la

connaissance de la figure incontournable du Christ. Ces deux conceptions de la vie

spirituelle s’opposèrent dans la première moitié du XVIIe siècle. L’adaptation de

Thomas White appartient bien au premier courant, auquel furent particulièrement

réceptifs les milieux réformés en Europe, mais dont se détournèrent les milieux

catholiques orthodoxes.

8 Sur le plan didactique, la traduction anglaise remplit parfaitement la première fonction

attendue de toute œuvre hagiographique : celle d’enseigner les vertus, en particulier la

chasteté, l’humilité, c’est-à-dire la pauvreté, et la dévotion30. Mais, du contenu des

prières de l’ermite, nous ignorons tout ; nous savons seulement qu’elles étaient fort

nombreuses. Le théologien White insiste surtout sur l’humilité du chrétien qui, toute sa

vie, vécut dans un complet dénuement, le désert mexicain constituant clairement un

lieu idéal pour une vie sans attaches matérielles. Nu- pieds, sans chemise, un sac ceint

autour des hanches, il ne mangeait que du maïs, jamais de viande. Hormis la nature de

la graminée, toutes les composantes de la convention littéraire valorisant le nécessaire

détachement des biens matériels sont présentes31. De fait, ce topos indispensable à la

construction romanesque du vrai saint s’y déploie sur le modèle de la vie des Pères du

désert que valorisait également la tradition catholique janséniste française. Dans le cas

de The Life of Gregorio López, la vertu de pauvreté correspond au tableau idéal d’une vie

exemplaire brossé dans les textes arétologiques de référence sur la question, en

particulier le récit de la vie d’Antoine par Athanase, que le texte anglais, dans

l’ordonnancement des divers épisodes, copie parfaitement, au point que l’on pourrait

aller jusqu’à dire que, plus la vie du héros espagnol imite celle d’Antoine, plus elle

confine à la perfection32. Vivre en saint, c’est d’abord partir sur les traces de ce modèle

que la lettre du texte se doit, avec subtilité, de mettre en évidence. Enfin, force est de

constater la remarquable harmonie entre la mise en œuvre de cette vertu de pauvreté

et le milieu socio-culturel dans lequel elle se manifeste. Est ainsi posée une adéquation

non problématique entre la fidélité à un message évangélique, sa mise en œuvre, et les

valeurs de la société mexicaine.

Le respect de la tradition hagiographique médiévale

9 Au niveau narratologique, cet apprentissage de la sainteté eût été fort aride s’il avait

été présenté comme une simple liste de vertus et de vérités. Thomas White s’inscrit, sur

ce point précis, dans la plus pure tradition littéraire catholique : il convenait, en effet,

comme le rappelait le jésuite Alonso Ramos, spécialiste du genre, que le récit gardât sa

saveur, la dimension ludique et divertissante servant à maintenir l’attention du

lecteur33. En d’autres termes, ces traités de théologie sous forme narrative se devaient

d’être agrémentés d’épisodes où s’abolissait complètement la frontière entre réalité et

fiction, où se voyaient minutieusement dépeintes des anecdotes fabuleuses ou

extraordinaires, éléments qui soulignent la parenté directe entre ce type de

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construction et les récits épiques du Moyen Âge, dont il était largement inspiré. The Lifeof Gregorio López se rattache à cette ancienne tradition, tout comme le texte espagnol de

1613. Des personnages merveilleux aident l’ermite à cultiver son petit jardin, la

frontière avec le surnaturel étant abolie34. López dialogue fréquemment avec les anges

et mène des combats spirituels répétés contre des démons, entités matérielles qui

l’agressent physiquement, mais qu’il finit toujours par vaincre35. Le héros espagnol n’a

rien du fondateur ou du pasteur : c’est seulement un vaillant guerrier en lutte contre le

diable en son désert.

10 Le cadre de vie et la vie intérieure de Gregorio López sont donc peuplés de personnages

surnaturels, de monstres, d’anges et de démons. Si ces derniers renvoient clairement à

des épisodes bibliques précis, ce n’est pas le cas des premiers. Et pourtant ! Leur

inscription dans le récit autorise un flou subtil entre surnaturel et réel. En tout état de

cause, l’adaptation de Thomas White obéit parfaitement aux lois du genre, dont une des

composantes littéraires attendues et incontournables est précisément la présence du

merveilleux. L’ermite possède également un don, topos de cette même tradition

hagiographique : il est guérisseur et… auteur d’un ouvrage sur la guérison par les

plantes36. Entre charisme et science, les phénomènes de porosité sont multiples. Sur ce

point précis, probablement pour ménager la sensibilité des lecteurs de tradition

protestante, aucune référence n’est faite aux effets des charismes, c’est-à-dire aux

miracles. Le mot n’est jamais mentionné : ‘Healing’ peut être entendu au sens littéral ou

métaphorique, les deux sens se recouvrant parfaitement. Il est inutile de préciser si

l’Espagnol soigne les corps ou les âmes : il soigne, et cela suffit. Du récit reconstruit par

Thomas White se dégage une poésie qui prend sa source dans ce mélange savamment

dosé entre temps chronologique (celui du travail du héros) et temps de l’extraordinaire,

où l’imaginaire peut à loisir se déployer. Les manifestations de la puissance de Dieu

relèvent d’une vraie poétique, et expriment la jouissance festive que procurent au

lecteur le merveilleux et le surnaturel.

11 The Life of Gregorio López ne saurait être étudiée en fonction de son authenticité ou de sa

valeur historique. L’adaptation de Thomas White rattache l’œuvre anglaise à la grande

tradition des vies édifiantes dont l’objet consistait à insister sur ce qui était exemplaire,

en particulier les vertus du héros, et, ensuite, à structurer les manifestations divines

par leur mise en forme narrative. À ces deux niveaux, elle constitue bien la

cristallisation littéraire des perceptions et des attentes des lecteurs imprégnés de

tradition hagiographique médiévale. Il convient cependant de noter que, du point de

vue historiographique, la transition entre ce type de littérature pieuse cultivant

toujours le sensationnel et l’extraordinaire et les biographies savantes des modèles de

perfection eut précisément lieu entre 1613, date de la première publication de La Vida,

et le milieu du XVIIe siècle. Cette période vit se développer l’exégèse, avec sa

méthodologie proche de celle des sciences historiques : recherche, vérification et

classification des sources, attention portée aux manuscrits, analyse du texte en

fonction de critères extérieurs37. Or, Thomas White était considéré comme un éminent

spécialiste de cette nouvelle approche. En mécaniste convaincu, il avait une approche

très rationnelle des phénomènes surnaturels ou miraculeux. Il ne partageait pas du

tout le point de vue de Bacon selon lequel leur étude n’entrait pas dans le cadre de la

philosophie naturelle, et avait proposé pour le livre de la Genèse une approche fondée

sur le calcul mathématique pour évaluer la possibilité d’un déluge38. Il est donc peu

probable que ce partisan d’une exégèse ancrée dans la raison ait, sauf à renier ses

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convictions scientifiques, adhéré à l’ambiance de merveilleux de The  Life  of  GregorioLópez. Pourtant, l’adaptation anglaise garde, outre un parfum désuet et suranné de

sainteté, les traces d’une tradition littéraire tout à fait antérieure à 1638 suivant

laquelle la notion de vérité ne pouvait être que dogmatique. Il est fort possible que le

théologien anglais ait considéré que l’inscription du texte dans cette longue et familière

tradition hagiographique pouvait garantir l’intérêt des lecteurs catholiques

anglophones restés attachés à ce genre littéraire.

D’un désert à l’autre

12 Une thématique retient particulièrement l’attention : celle du sauvage. Dans The Life ofGregorio López, l’Indien mexicain occupe le rôle de l’athée, envers lequel l’Espagnol ne

faisait d’ailleurs preuve d’aucun prosélytisme, les autochtones ne constituant pas un

objet d’attention pour le catholique, dont la spiritualité, toute de contemplation,

n’incluait pas de dimension missionnaire. Ermite et sauvages cohabitaient

pacifiquement ; ces derniers, est-il précisé, acceptèrent sans difficulté aucune le nouvel

arrivé39. Le chapitre IV offre un développement plus élaboré sur cette question. La

grande tolérance des Indiens envers l’étranger y est mise en parallèle avec l’intolérance

des clercs de l’Église catholique de Mexico qui prirent des mesures disciplinaires contre

leur coreligionnaire, auquel ils reprochaient de ne guère fréquenter les lieux de culte40.

Par contraste, les sauvages, en reconnaissant d’emblée la qualité de la spiritualité de

l’Européen, manifestaient une connaissance naturelle de son vrai destin – connaissance

dont les représentants de l’Église n’étaient pas détenteurs, puisqu’ils allèrent jusqu’à

accuser l’Espagnol d’hérésie41. L’implicite du message se dévoile à travers l’opposition

établie entre les deux groupes : par le truchement des Indiens incroyants, l’auteur peut

dire la vérité que la rigidité théologique des clercs ne peut plus percevoir,

l’appartenance à une structure ecclésiale signifiant l’aveuglement de l’entendement. La

critique, de fait, s’adresse aux ordres réguliers, car ce sont bien les dominicains qui

insistaient pour que Gregorio López accepte de vivre en communauté, proposition qu’il

refusa. La hiérarchie des vocations se voit ici affirmée, la relation de l’ermite à Dieu

étant indirectement posée comme supérieure à celle qui unit le clerc régulier à son

Créateur. La relation privilégiée entre le mystique et Dieu, la relative sacralisation de

l’homme pieux qui en découlait, constituaient des thèmes récurrents du courant

mystique rhéno-flamand et une source de conflits avec le courant cartésien rationaliste

français. La figure exotique du sauvage, qui n’existe pas en soi, mais uniquement

comme fonction critique par rapport à l’institution catholique, permet de rouvrir, pour

le lecteur européen, protestant en particulier, un débat connu sur les différentes voies

vers la perfection. Non seulement les Églises issues de la Réforme ne reconnaissaient

aucune prééminence de rang à la voie monastique, mais elles la récusaient comme telle.

En clair, aborder narrativement cette question théologique essentielle à travers une

réalité du Nouveau Monde transmettait au lecteur de l’Ancien Monde le sentiment

d’une altérité très familière.

13 La figure de l’ermite en son désert offrait, elle aussi, un miroir dans lequel des

protestants anglais, mais aussi des jansénistes français pouvaient se reconnaître. Alors

que la traduction de Thomas White paraissait, en 1638, Jean Duvergier de Hauranne

(1581-1643), abbé de Saint-Cyran et chef de file du mouvement des Solitaires de Port-

Royal, était emprisonné. Cette même année mourait Jansénius. L’adaptation du

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théologien catholique anglais, ami de longue date de Port-Royal, par la caution qu’elle

apportait à une conception de la vie religieuse à l’écart des structures ecclésiales et des

ordres réguliers, constituait un acte militant de soutien à ces amis de France dont

l’isolement politique, dès lors que le groupe fut dissous, en 1661, pouvait laisser

craindre la disparition. Il n’est alors pas surprenant que, quelques lustres plus tard, en

1674, quand le jansénisme eut à nouveau le vent en poupe, La  Vida  de  López ait été

traduite par l’un des Solitaires les plus connus : Robert Arnauld d’Andilly (1589-1674)42.

Il conviendrait, bien évidemment, de mener une analyse comparée de ces deux

adaptations43  qui participaient l’une comme l’autre d’une volonté marquée de

perpétuer la promotion d’une tradition ascétique originale.

Conclusion

14 Le succès éditorial de The  Life  of  Gregorio  López ne tient pas à la qualité intrinsèque,

littéraire ou théologique de l’œuvre espagnole, mais aux adaptations nuancées du

traducteur, prenant en compte, dans tous leurs détails, les exigences religieuses et

politiques des milieux de réception anglais et français. En d’autres termes, les lectorats,

qu’ils aient été « blackloïstes », catholiques plus classiques, ou protestants,

présupposaient des critères de réceptivité qu’il convenait de respecter afin de conférer

la crédibilité requise à la figure de ce « saint » et au modèle de piété qu’il incarnait. Le

saint n’existe pas en soi ; n’existe qu’une représentation de cette figure, elle-même

remodelée par les milieux de réception qui lui donnent vie et crédibilité. Dans le cas de

la traduction de Thomas White de 1638, cette remodélisation s’éloigne des canons de

sainteté de l’orthodoxie romaine, tant par la mise en scène d’une spiritualité détachée

de la figure du Christ et ancrée dans la mystique rhénane que par le choix de

thématiques jansénistes. Toutefois, pour des lectorats peu au fait des controverses

théologiques des années 1630, la présentation neutre de la piété et l’insistance sur des

topoï médiévaux constituaient la garantie d’une position non partisane, puisque ancrée

dans une longue tradition hagiographique. Cette garantie se voyait confortée par

l’évocation d’un saint étranger, distant des polémiques du vieux continent, tant au sens

littéral qu’au sens symbolique. Pourtant, au second niveau, étant donné l’engagement

politico-religieux des traducteurs anglais et français férus de questions théologiques,

l’adaptation relève d’un acte militant. L’image recomposée du saint cautionne alors les

propres choix théologiques tant des jansénistes que des Blackloists. Il serait donc erroné

d’interpréter ces succès d’édition comme des signes précurseurs d’un œcuménisme.

Ceux qui s’étaient éloignés ou séparés de l’Église catholique, dont ils récusaient

l’opposition dualiste entre orthodoxie et hérésie, affirmaient, par leur dynamisme

éditorial, une volonté déterminée de redéfinir leur propre modèle de sainteté tout en

réussissant à ne pas se couper d’une tradition hagiographique forcément catholique.

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NOTES

1. La Vida que hizo el siervo de Dios Gregorio Lòpez en algunos lugares de esta nueva Espana, biographie

publiée à Madrid en 1613, fut rédigée par un moine, Francisco de Losa, compagnon de G. Lòpez.

L’ouvrage parut la même année à Mexico ; son original est conservé à la Biblioteca  Historica  deMadrid. Il connut cinq réimpressions : deux à Lisbonne, en 1615 et en 1625 ; une à Séville en 1618 ;

deux à Madrid en 1618 et en 1624. Plusieurs variantes virent le jour : celle de Remon, dès 1613 ;

celle de Munoz, à Madrid en 1630. Pour une liste complète des éditions en espagnol, en Nouvelle

Espagne et dans la péninsule ibérique, voir : Antonio RUBIAL GARCIA, La Santidad  Controvertida,

Mexico : Universidad de Mexico, 1999, pp. 114-116. Je tiens à remercier Christopher Pedley,

responsable de la bibliothèque de Heythrop  College, University  of  London, pour avoir mis à ma

disposition ces textes et m’avoir fait part de ses connaissances détaillées des archives catholiques

anglaises du XVIIe siècle.

La première traduction en français fut celle du jésuite Louis Conart : La Vie de Grégorio López dansla Nouvelle Espagne, Paris : chez Jean Henault, 1644. En 1674, le janséniste Robert Arnauld d’Andilly

(1589-1674) proposa une deuxième traduction : La vie du bienheureux Grégoire López, Paris : Le Petit,

1674.

Pierre Poiret (1646-1719) édita la biographie de López en 1701 à Cologne, et lui donna pour titre

Le Chrétien réel. Cette deuxième édition connut une vaste diffusion dans toute l’Europe. Poiret

préfaça également une réédition en 1717.

La première édition anglaise, objet de la présente étude, parut en 1638 : Francisco de LOSA, The

Life   of  Gregorio  Lopez,   translated  by  N.N.[Thomas  White], Paris : Chez la veuve Blageard, 1638.

Abraham Woodhead (1609-1678), un oratorien anglais, réalisa une deuxième traduction en

anglais en 1675 (rééd. 1686), sur laquelle John Wesley (1703-1791), le fondateur du méthodisme,

se basa pour sa propre adaptation. Voir Jean ORCIBAL, « Les spirituels français et espagnols chez

John Wesley et ses contemporains », Revue de l’Histoire des Religions, vol. 139, no 139-1, 1951, pp.

50-109.

2. Voir Jean-Michel SALLMAN, Naples  et   ses   saints  à   l’âge  baroque , Paris : PUF, 1994, pp. 64-68,

159-165.

3. L’ouvrage de référence sur les débats en Angleterre et en France sur ces questions demeure

Georges TAVARD, La Tradition au XVIIe siècle en France et en Angleterre, Paris : Éditions du Cerf, 1969.

4. Jean CALVIN, Traité des reliques, Genève : Pierre de La Rovière, 1599. Pour un commentaire du

sermon de 1522 de Calvin, voir Jean DELUMEAU, « Les Réformateurs et la superstition », in Actes

du colloque « l’Amiral de Coligny et son temps » (Paris, 24-28 octobre 1972), Paris : Société de l’histoire

du protestantisme français, 1974, p. 455.

5. Pierre GIBERT, L’invention critique de la Bible, XVe-XVIII e siècle, Paris : Gallimard, 2010.

6. LOSA, The Life of Gregorio López translated by N. N.[Thomas White].

7. Samuel HALKETT & John LAING (eds.), A Dictionary of Anonymous and Pseudonymous Publications in

the English Language, 1475-1640, London: Longman, 1980, 3rd ed., 1980, p. 80. En réalité, la liste non

exhaustive des pseudonymes de Thomas White incluait également : « Candido », « Vitus »,

« Leblanc », « Bianchi » ; ses surnoms n’étaient pas moins nombreux : « Backlot », « Baquelau »,

« Baguelar », « Blaqeau ». Voir Ruth CLARK, Strangers  and  Sojourners  at  Port  Royal, Cambridge:

Cambridge University Press, 1932, pp. 10-11.

8. 8 Bruno NEVEU, L’Erreur et son juge : Remarques sur les censures doctrinales à l’époque moderne, Napoli

: Bibliopolis, 1993, pp. 310-322, 371-381 ; Beverley C. SOUTHGATE, Covetous of Truth: The Life and Work

of  Thomas  White   (1593-1626),  Dordrecht: Kluwer, 1993 ; Jeffrey COLLINS, ‘Thomas White and the

Backloist Conspiracy of 1649’, The  Historical   Journal , vol.  45, no 2, 2000, pp. 305-331 ; Stefania

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

51

TUTINO, Thomas  White  and  the  Blackloists:  Between  Politics  and  Theology  during  the  English  Civil  War, Aldershot: Ashgate, 2008.

9. Thomas WHITE, Peripateticall Institutions, 1636 ; SOUTHGATE, op. cit., pp. 93-103.

10. TUTINO, op. cit, passim.

11. Adrien BAILLET, La Vie de Monsieur Descartes, 2 vols., Paris : Chez Daniel Horthemels, 1691, vol. 2

(liv. 7, chap. 3), p. 245 ; WHITE, Peripateticall Institutions ; SOUTHGATE, op. cit., pp. 93-103 ; TUTINO, op.cit, passim.

12. Thomas WHITE, The Grounds of Obedience and Government, 1655.

13. La liste des ouvrages de Thomas White censurés ou mis à l’index est donnée dans Pierre BAYLE,

Dictionnaire historique et critique, 4 vols., Amsterdam : Chez P. Brunel, 1730, article « Anglus », vol.

1, pp. 238-239.

14. SOUTHGATE, op. cit., pp. 42-53.

15. Thomas WHITE, Sonus  buccinae, sive  Tres  tractatus  de  virtutibus  fidei  et  theologiae,  de  principiisearundem et de erroribus oppositis, authore Thoma Anglo ex Albiis East-Saxonum, 1654. Voir également,

pour une analyse critique, BAYLE, op. cit. , pp. 238-239.

16. Sur cette extrême rareté des positions hérétiques selon Thomas White, voir NEVEU, op. cit., pp.

310-322, 371-381.

17. Pour une analyse détaillée des apports de Thomas White à la réflexion sur la Tradition, voir

TAVARD, op. cit., pp. 396-438.

18. ANON. (ed.), Tracts Relating to Thomas White [1657], Douai, 1660.

19. Ibid.

20. NEVEU, op. cit. , pp. 310-322, 371-381.

21. Article « Thomas White », in Jean LESAULNIER & Antony McKENNA (eds.), Dictionnaire de Port-Royal, Paris : Honoré Champion, 2004, pp.1017-1018.

22. Donald Goddard WING  (ed.), Short-Title  Catalogue  of  Books  Printed   in  England,  Scotland,  Ireland,Wales and British America and of English Books Printed in Other Countries, 1641-1700, 3 vols., 2nd ed.,

New York: Modern language Association of America, 1988, vol. 3, pp. 693-694. Voir également

HALKETT & LAING, op. cit., C 39, D 139.

23. Voir à ce sujet Thérèse-Marie JALLAIS, « L’étrange cathéchisme méthodiste », Revue d’histoire etde philosophie religieuse, vol. 90, no 3, juillet-septembre 2010, pp. 345-351.

24. LOSA, The Life of Gregorio López translated by N. N.[Thomas White], p. 4.

25. Il n’était pas rare, en pleine Contre-Réforme, que les mystiques soient suspectés d’avoir un

passé religieux, personnel ou familial peu orthodoxe. Voir Michel de CERTEAU, La Fable mystique :XVIe-XVIIe   siècle, Paris : Gallimard, 1982, p. 38. Pour ce qui est de Thérèse d’Avila, voir Julia

KRISTEVA, Thérèse mon amour, Paris : Fayard, 2008, passim.

26. LOSA, The Life of Gregorio López translated by N. N.[Thomas White], pp. 20-27, 40-44.

27. Ibid. et pp. 15-19.

28. 28 Benoît de CANFELD, Reigle de perfection, Paris : Veuve Charles Chastellain, 1621-1622.

29. William Reginald WARD, Early Evangelicalism, Cambridge: Cambridge University Press, 2006, pp.

1-5, 40-69.

30. LOSA, The Life of Gregorio López translated by N. N [Thomas White], pp. 4-13.

31. Ibid.

32. ATHANASE D’ALEXANDRIE, Vie d’Antoine, Paris : Éditions du Cerf, 1994.

33. On retrouve ces mêmes éléments dans Alonso RAMOS, op. cit., lib. 1, cap. 1, vol. 1, fol. 3.

34. LOSA, The Life of Gregorio López translated by N. N.[Thomas White], pp. 17-27.

35. Ibid. et LOSA, La  Vida  que  hizo  el  siervo  de  Dios  Gregorio  López en  algunos   lugares  de  esta  nuevaEspaña, pp. 343-345, 367, passim.

36. Ibid., cap. 8.

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37. Daniel Haperbrach et d’autres Bollandistes éditèrent, à partir des années 1643, des travaux

érudits. Voir GIBERT, op. cit., passim.

38. SOUTHGATE, op.cit., p. 133.

39. LOSA, The Life of Gregorio López translated by N. N.[Thomas White], chap. IV.

40. Ibid., p. 92.

41. Ibid., p. 44.

42. Robert Arnaud d’ANDILLY, La vie du bienheureux Grégoire López, Paris : Le Petit, 1674.

D’Andilly avait déjà traduit des ouvrages de spiritualité érémitique, dont Les Vies des Saints Pèresdes déserts (Paris : Le Petit, 1647) et une œuvre de Saint Jean Climaque, L’Échelle sainte ou les degréspour monter au ciel (Paris : Le Petit, 1658).

43. Dans l’adaptation de Robert Arnaud d’Andilly, les différentes étapes de la vie de López suivent

les temps de l’échelle spirituelle du paradis de Climaque : rupture avec le monde, recherche des

vertus fondamentales, lutte contre les passions, insistance sur le quotidien dans sa dimension

pratique.

RÉSUMÉS

La Vida de Gregorio López (1613) connut de nombreuses réécritures et rééditions dans les milieux

de la Réforme en Europe. L’étude de l’adaptation anglaise du catholique Thomas White

(1592-1676) permet d’expliquer ce surprenant succès. Ce texte de 1638 reste ancré dans la

tradition hagiographique médiévale, mais dépeint une spiritualité de type rhéno-flamand, et

insiste sur la thématique du désert. Est ainsi remodélisée une figure de sainteté peu orthodoxe,

mais acceptable dans les milieux protestants et catholiques « blackloïstes » en Angleterre comme

dans les cercles jansénistes en France.

La Vida de Gregorio Lòpez (1613) went through many different editions in Protestant countries in

Europe. The study of its 1638 English adaptation by the Catholic Thomas White (1592-1676) may

well explain this surprising success. The text is anchored in the hagiographic medieval tradition,

but it depicts a Rhino-Flemish type of spirituality and puts a strong emphasis on the theme of the

desert. The new unorthodox model of sainthood was made acceptable to Protestants and

Blackloists in England as well as to Jansenists in France.

AUTEUR

THÉRÈSE-MARIE JALLAIS

Université François Rabelais (Tours)

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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The Irish Catholic Church underCharles II: the ‘Popish Plot’ and theMartyrdom of Oliver PlunkettL’église catholique irlandaise sous Charles II : le ‘complot papiste’ et le martyre

d’Oliver Plunkett

Marie-Claire Considère-Charon

1 In 1681, Oliver Plunkett, the Roman Catholic Archbishop of Ireland accused of

instigating a papist plot against the British monarchy, was found guilty of high treason

and duly sentenced to be hung, drawn, quartered and beheaded at Tyburn. The

sentence was carried out on July 1 according to the ancient calendar, that is to say on

July 11 1681. Plunkett’s body now lies in Downside Abbey. His head is kept in Saint

Peter’s church in Drogheda where, each year, thousands of pilgrims come to pay

homage to his memory. His feast is celebrated on the first Sunday in July, the day on

which Orange Order parades take place all over Northern Ireland. Demonised by the

English Parliament, and later declared innocent of the charges laid against him, Oliver

Plunkett was beatified by Pope Benedict XV in 1920 and canonised in 1975 by Pope Paul

VI. And yet, curiously enough, for a long time the figure of this saint remained a subject

of controversy among Irish Catholics, the devotion of some being only equalled by the

somewhat hostile reserve of others.

2 This rather puzzling situation leads one to suppose that Plunkett’s death is more than

just another tragic episode in the history of the persecution of Irish Catholics and that

it is infinitely more complex than the way it is presented in hagiographical narratives.

Without going so far as to attempt to deconstruct them1, it is necessary to account for

an exceptional destiny in given historical circumstances. The questions we are led to

ask concerning the supposed plot and the death of Oliver Plunkett can bring into play

two approaches which are different but complementary. The historical approach

enables us to understand how the prime representative of the Catholic Church in

Ireland met his destiny at a time when the history of Ireland and that of England were

inextricably interwoven. The anthropological perspective throws light on the

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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martyrdom of Oliver Plunkett by proposing an explanation grounded in the voluntary

choice of death for one’s faith. It also makes it possible to explain why the role of that

high dignitary of the Catholic Church in Ireland was contested for so long within his

own community of believers.

A dangerous mission

3 At the beginning of the reign of Charles II of England, religious life in Ireland was in a

state of chaos and conflict. The consequences of Cromwell’s years in power were felt

not only among the faithful but just as much within the clergy. The bishops had lost all

their authority and the Catholic Church of Ireland was like a ship with no-one at the

helm. Under the penal laws, masses were forbidden, and those celebrated in secret took

place in old quarries, abandoned houses, or disused hill forts.2 Religious persecution

had obliged priests to go into hiding. Many of them, fearful of being recognised, lived

among lay inhabitants and refused to comply with any form of authority. They often

took sides with the mass of peasants who had been dispossessed of their land and who

lived by plunder, engaging in a kind of guerrilla warfare against the English occupiers.

They moved around the country in groups, terrorising the population. These outlaws

were called ‘rapperees’, or even ‘tories’, derogative terms suggesting immoral behaviour

and dishonest practices.

4 After being ordained bishop in 1669, Oliver Plunkett, who had asked to remain in Rome

in order to escape the persecutions under Cromwell, was appointed Archbishop of

Armagh and Primate of Ireland, a position that he held for twelve years. The mission

entrusted to him by the papal authorities was to restore order to the Irish Catholic

Church and to set right the abuses and deviations resulting from Cromwellian

repression. However, this mission intended to ‘revive hope in the people of Ulster in thesetimes  of  trial’ was to encounter a great many difficulties and obstacles which he had

undoubtedly not foreseen. Although he was fluent in Gaelic and English, after twenty-

three years spent in Rome, Oliver Plunkett was a stranger in his own country. This

aristocrat,3 who belonged to an influential Anglo-Norman family of royalist sympathies,

had been educated by Jesuits at the Irish college in Rome and was highly cultured. In

County Louth, most members of the clergy were illiterate and found it difficult to

accept the authority of a native of County Meath, all the more so as he belonged to the

Anglo-Irish nobility and seemed to be closer to the English authorities than to the Irish-

born people.

5 As soon as he arrived in Ireland, Oliver Plunkett threw all his energy into carrying out

his mission successfully. In 1670, he convened an episcopal conference in Dublin and

organised a number of synods in his archdiocese. It is said that owing to his tireless

activity he confirmed 48,655 people during the first four years of his ministry. He

undertook to have schools built for young Catholics and for the clergy, whose lack of

theological knowledge he deplored. The school he founded in Drogheda, with the help

of two Jesuits, was to take in young Catholics and children from prominent Protestant

families. He also wished to be seen as a unifying figure, and with this aim in mind, he

applied himself to saving the souls of those of his compatriots whose lives were given

over to alcoholism and debauchery. He had also attempted to bring the tories back into

the fold by acting as an intermediary between the outlaws and the English authorities,

and succeeded in saving some of them from the death penalty on condition that they

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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left the country. His missionary zeal, however, did not make him friends only. His

forceful manner, his reforming spirit and his unbounded activity eventually aroused

discontent and anger among the friars and many priests, who accused him of simony

and of being suspiciously sympathetic towards Protestant notables. Some went as far as

to say that he was an agent working for the English. Moreover, a difference in opinion

existed between Plunkett and the Archbishop of Dublin, Peter Talbot, concerning the

precedence of the archbishopric of Armagh over that of Dublin. During the synod held

in Dublin in June 1670, a quarrel broke out between the two prelates. The question

arose as to which of them should chair the meeting. Oliver Plunkett declared that he

held his authority from the pope; Talbot retaliated that the king of England had

appointed him head of the Irish Catholic hierarchy in civil matters.4

6 In one of his letters, Oliver Plunkett expressed his surprise at the marked hostility of

the Irish clergy to all authority emanating from the pope, referred to by the Latin term

praemunire.5 This tradition of independence, consisting, as it were, in establishing the

precedence of the Church of Ireland over the Roman Catholic Church, may surprise

present-day Irish Catholics just as much as it shocked the new archbishop at the time,

but it remains dear to the hearts of Irish Anglicans. They base their conviction on the

example of Saint Patrick who apparently did not receive his evangelising mission from

Rome, but acted on his own personal initiative, free from all allegiance. P. Blanshard

gives the following account of this conviction:

Saint Patrick, they contend, was not a Roman partisan at all. They argue that in hisfamous confessions he did not make one verbal gesture of loyalty toward papalpower. He functioned in Ireland long before any great division in the early churchand he landed on Irish shores in A.D.432 before the Roman bishops had wonuniversal recognition. He was a prepapal Christian.6

7 If he appeared to be commissioned by the pope to watch over the destiny of a clergy

used to a great deal of liberty, the new archbishop moreover embodied secular power

in a country with a strong monastic tradition. Soon after his arrival in Ireland, he had

to take a stand to settle the disputes7 between the Dominicans and the Franciscans. 8

Three monasteries deserted by the Dominicans during the Cromwellian period had

been taken over by the Franciscans.9 Even if they belonged to the Dominicans by right,

the Franciscans, who had held firm during the most turbulent times under Cromwell,

did not intend to give them up and were supported by the vast majority of the people.

Oliver Plunkett took sides with the Dominicans and in doing so lost the support of the

Franciscan community, which was well-established and highly appreciated in Ireland.

The news spread to Rome, where two Franciscan seminarists broke the head off a bust

of Plunkett at Saint Isidore’s College.10

The crisis of the State in England

8 Even if religious repression arose essentially from the antagonism between the English

Protestant authorities in power and the heterodoxy embodied by the Catholic Church

of Ireland, the rhythm of repressive practices would vary according to the options open

to the sovereign and the punitive position of the English Parliament. The Cromwellian

period had been marked by a wave of unparalleled repression against Catholics. There

followed a brief period of respite at the beginning of the reign of Charles II (1660-1685),

due to the sovereign’s benevolence towards them, and consequently a relaxing in the

application of the penal laws. Oliver Plunkett, newly appointed Archbishop and Primate

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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of Ireland, would take advantage of circumstances favourable to the re-founding of his

Church. In 1672, Charles II had issued a Declaration of Indulgence suspending all penal

laws against Roman Catholics and Protestant Nonconformists. But the latter, who

considered themselves Protestants above all, were opposed to any measure that would

emancipate Catholics, and Parliament had strongly objected to Charles’s initiative.

9 During the late 1670s, as doctrinal allegiances had become more rigid and a barely

concealed rivalry was growing between the king and Parliament, a genuine crisis

occurred concerning the legitimacy of the monarch’s power in England. As Supreme

Head of the Church of England, the king was intended to bind together the Body

Religious and the Body Politic, and to unify his subjects’ bodies and souls. Through his

royal prerogative, he was the guarantor of religious orthodoxy and the safety of the

State. However, King Charles II,11 who had spent a long time in France and was married

to a Portuguese Catholic princess,12 had difficulty in concealing his sympathies for

France, where the agreement between the sovereign and the Roman Church made the

former all-powerful. The new English king, in spite of the pressures exerted on him by

his mother and his sister Henrietta, both Catholics, had been careful not to become a

convert and thus compromise his throne. The memory of his long exile and of the

Puritan passions unleashed under Cromwell obliged him to act prudently. But

Parliament was not taken in, and, through the edicts of persecution, set about

reinforcing its authority on religious matters, at the same time seeking to confound the

monarch.

10 The Chancellor, Lord Clarendon, who had arranged the king’s marriage to the Princess

of Braganza, had been replaced by a group of confidants called by their adversaries ‘the

Cabal’, incidentally a word composed of the initials of their names – Clifford, Arlington,

Buckingham, Ashley and Lauderley. Convinced as they were that religious unity was

necessary to national unity,13 they openly stood out against the king and, in 1673,

imposed the Test Act on him. This repressive law excluded from any public office all

those who did not swear an oath of loyalty to the king. It made it compulsory for all

Crown officials to declare themselves against transubstantiation and to receive the

Eucharist according to the Anglican rite. The new viceroy of Ireland, the earl of Essex,

then ordered the closing of all Catholic schools and religious institutions. The discovery

in 1673 that the king’s own brother had converted to Catholicism14 was to spark further

hostilities from Parliament, suspecting that the king himself had secretly become a

Catholic. The penal laws were re-enforced and sent the Irish Catholic clergy into exile

or clandestinity. However, those who sought proofs against the king failed to find any,

insofar as he regularly attended Anglican services.15

11 A motion passed by Parliament in 1673 ordered all the bishops and regular clergy of the

Irish Catholic Church to leave the kingdom. Oliver Plunkett refused to obey and opted

for clandestinity. He then began a life of wandering, disguising his identity under

various assumed names. In a letter16 dated December 15 1673, he explained his sense of

duty and his deep sadness at the closing of the schools for young Catholics:

We would rather die from hunger and cold than abandon our flocks. It would be ashame if spiritual soldiers reared and trained in Rome should become hirelings. Thething that has caused me the greatest sorrow is to see the destruction of the schoolsI founded, after so much hard work had gone into them. We have so many talentedyoung Catholics: what are we to do now?17

12 The King’s Privy Council, whose role since its creation by Cardinal Wolsey at the

beginning of the 16th century had been to ensure liaison between Parliament and the

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king, was in a way a State within the State.18 Composed of thirty or so members, it was

headed by Shaftesbury, Sir William Temple, Lord Russell and Halifax.19 Shaftesbury, a

sworn enemy of the king, was the instigator of the ‘Popish Plot’ which ended in the

putting to death of Oliver Plunkett. By making the king sign the prelate’s death warrant

against his inclination, Shaftesbury hoped that he might trick him into betraying his

favourable leanings towards Catholics.

The ‘Popish Plot’

13 In 1678, a former Anglican minister, Titus Oates by name, who had converted to

Catholicism more out of interest than conviction, announced that he had discovered a

Catholic plot against the king. Oates had lived for a time in a Jesuit community at Saint-

Omer, from which he had been expelled. His bitterness had led him to concoct a plan to

denounce the Jesuits, whom he accused of hatching a plot to set fire to the City,20

assassinate the king and replace him with his brother, a recent convert to Catholicism

who, once in power, would massacre Protestants. This announcement was just what

Parliament needed, and it considerably increased the Catholics’ unpopularity. It stirred

up feelings of hatred of popery and fear of France. As a wave of collective hysteria

swept over the population, eighty-four Catholics were immediately arrested and

accused of taking part in the plot. Some of them were executed before it was proved

that Titus Oates had lied. The 1679 elections were won by the Whigs (supporters of

Parliament),21 who had used the rumoured Titus Oates plot as their principal electoral

argument.

14 On December 6 1679, Oliver Plunkett, hounded by various factions, was arrested and

imprisoned in Dublin Castle for six weeks for rallying 70,000 Catholics to the cause of

re-establishing ‘Roman law’ in Ireland. His trial was first held in Ireland, at Dundalk,

where none of the Protestant jurors were willing to find him guilty on the testimony of

two defrocked Franciscans, John McMoyer and Edmund Murphy. Shaftesbury, fully

aware that Plunkett would never be sentenced in Ireland, had him transferred to

Newgate prison in London, in spite of the intervention of the earl of Essex, the king’s

viceroy in Ireland, who protested the innocence of Plunkett.22 At the first trial held in

London, no sentence could be passed. It was followed by a second one resulting in

Plunkett being sentenced to death. In the case of crimes of high treason, all the

customary judicial procedure could be circumvented by order of the king. But Charles

II, who had been unable to find any means of preventing Parliament from passing a

series of repressive edicts against Catholics, did not intervene either to save the

archbishop.

From the demonisation to the martyrdom of OliverPlunkett

15 As Michel Foucault explains, a society defines itself by what it excludes. But the

demonisation of the Other only serves to reject a possible identification with, or a

recognition of the Other which, in the words of the philosopher Emmanuel Lévinas,

‘supports   in   return   the  belonging   to  humankind’23. Parliament’s objective was to make

Oliver Plunkett appear to be an obstinate, arrogant and seditious heretic. If the scaffold

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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was deemed appropriate to punish the crime of sedition, quartering was the fate

deserved by a demonic body. The punishment was considered as a dissuasive warning,

and execution aimed to edify the public and prevent political disorder. The English

State, embodied by Shaftesbury, which based its decisions on the official Church, put to

death one of the highest representatives of another Church, thus fulfilling its mission

as a purifying authority. Even though the condemned man inevitably faced death, he

could still save his soul if he admitted his guilt during the proceedings. In the case of

the death penalty, the judge would encourage the heretic to embrace the ‘true faith’.

But, following the example of all martyrs, Oliver Plunkett preferred to suffer the pain

of death rather than deny his faith. He chose the sacrifice made by the Son of God over

submission to the State. Celtic monks usually distinguished between three kinds of

martyr: the white martyr, the one of chastity, referring not only to physical purity, but

also to the purity of the heart, as well as to the refusal to give in to the temptation of

worldly goods; the red martyr, who sheds his blood as a disciple of Christ; and the

green martyr, whose life is given over to daily struggle. In the eyes of the Irish

Catholics, the sacrifice24 of Oliver Plunkett would be the embodiment of all three, and

his reaction to the cruel tortures inflicted on him, a means of identifying the

supernatural signs of the martyr.

Martyrdom: representation and memory

16 What meaning can the martyr perceive in the ordeal he undergoes? According to Jean

Bodin’s demonology,25 Man is the noblest of God’s creations because the nature of his

being is both terrestrial and supernatural. He is thus a medial creature who can leave

aside the mortal part of his body in order to converse with the divine. He partakes of

angels. Even if the temporal authority considers the martyr as a figure of the Devil, the

pains of his torture are a sign of the unity between man and God through the figure of

Christ. During the passage from life to death, the victim is no longer aware of himself as

such. His body may be abandoned to his executioner, but his spirit is inhabited by God.

In giving himself up to God, he witnesses his adoption by Christ. The violence which has

killed the martyr obviously reduces him to a physical nonentity, but his union with

Christ places him above everything and everyone, and gives him immortality. In an

official letter to the Society for the Propagation of the Faith, Dr Brennan,26 who was

Archbishop of Cashel, then of Waterford, affirmed the deep feelings of edification and

admiration among all those who were present at Plunkett’s execution: ‘Because  hedisplayed such a serenity of countenance, such a tranquility of mind and elevation of soul, […] heseemed rather a spouse hastening to the nuptial feast, than a culprit led forth to the scaffold’.

During his imprisonment in Newgate, Oliver Plunkett had shown that he endured his

sufferings with an exemplary serenity and equanimity. According to an eye-witness,

the speech he pronounced from the scaffold was worthy of an apostle or a martyr, as if

‘the fettering of his body was the freeing of his spirit.’27

17 Martyrdom becomes a cultural representation which can only exist if it is borne and

perpetuated by the community. All cultural representation is a mental one based on the

memory of the collective imagination of a people. It is transmitted by public

representations, texts, images28 and relics. If the martyrdom embodies a political

culture of disobedience towards the authority in power, it goes beyond a mere

transgression of the rules of the State. Voluntary choice of death is an act of violence,

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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expressing the negation of one’s own body as well as that of a perverted political and

social order. But the reception of martyrdom varies according to the historical

situation and the sensibilities of the members of the community.

18 Even if this travesty of a trial seriously undermined the idea of justice in England,29

Oliver Plunkett’s ordeal did not produce the expected effect in Ireland, and the memory

of this figure and the role he was called on to play would be the subject of a great deal

of debate. Three centuries elapsed between Oliver Plunkett’s martyrdom and his

canonisation for his faith. The controversy which surrounded him until the 20th

century is a sign of the ambivalence of his personality and his religious leanings as well

as of the blurring of usual points of reference. The fact that he did not really appear to

identify with the Irish Catholic community goes some way towards explaining why part

of that community continued to reject him for so long.

Conclusion

19 The conflict marking the history of Ireland was fuelled by a determination to eradicate

not so much the heretic Other in person as the Church to which that heretic Other

belonged. The Catholic community as such was not seen as an enemy, but its Church

was perceived as a threat, an idea reinforced by the suspicion of a conspiracy between

the Catholic Church of Ireland and the great Catholic power that was France. The

religious persecution of which Oliver Plunkett was a victim became an integral part of a

power struggle between the English sovereign and a force of opposition composed of

Parliament and the King’s Privy Council. Also to be recalled in this respect is the role of

the Irish clergy who did not accept the fact that their Church should be taken in hand

by an aristocrat whom they judged to be haughty and distant. The canonisation of

Oliver Plunkett, who had been branded as a heretic by the English authorities, took on a

double symbolic meaning. As well as being the homage paid to his saintliness as a

person, it was also the recognition of the persecutions endured by the Irish people

during the 16th and 17th centuries. The aim of this decision was to clear the name of the

person by sweeping aside the reservations of part of the Catholic community towards a

prelate who, through his missionary zeal and his cultural heritage, had made enemies

of many of his compatriots and coreligionists at all levels of society. The Vatican

intended him to be perceived as a peace-maker at a time when Irish society had once

more fallen prey to its old demons, those of division and fragmentation. Oliver

Plunkett, the first Irishman to be canonised after a long period of seven centuries, was

to be the last in the line of Irish Catholic martyrs.

NOTES

1. For the hagiographical sources, see, for instance, L’Osservatore Romano, October 23 1975, no 44 ;

La Documentation catholique, December 9 1975, no 1668, p. 911; Tomás Ó FIAICH, ‘Canonisation of

St. Oliver Plunkett’, Armagh Diocesan Historical Society, vol. 8, no 1, 1975/1976, pp. 181-189.

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2. The penal laws were imposed by the British authorities on Irish Roman Catholics during the

1600’s and 1700’s in a bid to force people to accept the reformed Christian faith. One of the major

restrictions was the ban on the celebration of the Catholic Mass, which meant that Catholic

priests and worshippers had to hide in the countryside.

3. On his father’s side, he descended from the earls of Fingal, and on his mother’s, from the earls

of Roscommon. He was also related to the famous Oliver Plunkett, Baron of Louth, and a leading

dignitary of the diocese of Armagh.

4. Peter Talbot, who claimed to be very close to King Charles II, had been appointed Archbishop

of Dublin in 1669.

5. See Desmond FORRISTAL, Oliver   Plunkett   in  His  Own  Words, Dublin: Veritas, 1975, p. 22.

Praemunire, which means to forewarn or to admonish, consists in ‘summoning  to  court  a  personaccused of asserting or maintaining papal jurisdiction in England’ (The Shorter Oxford English Dictionary

on Historical Principles, Oxford: Clarendon Press, 1973).

6. Paul BLANSHARD, The Irish and Catholic Power, London: Derek Vershoyle, 1954, p. 37.

7. Cromwell had had to arbitrate the decision about which order should have the use of which

monastery.

8. Saint Dominic and Saint Francis were contemporaries; their orders quickly became rivals.

9. The monasteries of Carlingford, Guala (near Enniskillen), and Newtown (in County Down).

10. These Franciscans were John McMoyler and Hugh Duffy, who were to gain the support of a

parish priest, Edmund Murphy, who, a short time before, had been suspended from his office by

the archbishop for his part in giving credibility to the plot concocted by Titus Oates.

11. In 1670, Charles II and Louis XIV signed the Treaty of Dover (also known as the Treaty of

Madame, as it was negotiated with the help of Henrietta of England, the French king’s sister-in-

law), in which Louis XIV undertook to pay the English monarch an annual subsidy. He The French

king promised to pay Charles an extra sum of money when the latter announced to his subjects

his conversion to Catholicism. Louis XIV also pledged himself to send him 6.000 troops if the

English people revolted against him. As for Charles II, he agreed to help the French in their fight

against the Dutch. He also promised to take every possible step to bring to an end the persecution

of the Catholics. The Treaty of Dover remained secret until Charles II tried to persuade

Parliament to show more sympathy towards the French authorities. He had succeeded in rallying

a number of MPs thanks to part of the sums of money that had been allotted to him by Louis XIV.

Those MPs who supported the pro-Catholic sympathies of Charles II were called ‘Tories’ by their

adversaries in Parliament.

12. At the time there was no princess of royal blood and high enough rank who was also a

Protestant. The German principalities could offer no heiresses of sufficiently high status.

13. 90% of English people were Protestants.

14. A search carried out at the home of the Duke of York, the king’s brother, had led to the

discovery of correspondence between James II and Père La Chaise, Louis XIV’s confessor, which

was to worsen even further the disagreement between the king and Parliament.

15. Except for the recognition of a superior authority in the person of the pope, there are few

differences between the two faiths, and at the time, it would have been difficult to distinguish a

high Church Anglican service from a Catholic one.

16. FORRISTAL, op.cit., p.76

17. Quoted in FORRISTAL, op.cit., p. 55.

18. Thomas More, who was beheaded for refusing to recognise Henry VIII as Supreme Head of the

Church of England, had been sentenced to death in 1534 by the Privy Council established by

Cardinal Wolsey in the early years of the 16th century.

19. Its greatest achievement was the law of habeas corpus (1679), which allowed any imprisoned

Englishman, except in cases of treason, to appear before a court within a period not exceeding

twenty days.

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20. It is easy to understand the terrorised reaction of Londoners who had known the Gunpowder

Plot in 1605, the Great Plague which had devastated London in 1665, and the Great Fire of

London, often blamed on the Jesuits, in 1666.

21. ‘Whig’ is an abbreviation of ‘Whigamore’, a term used to designate the Puritan peasants in

western Scotland. It would first be applied to Dissenters and London merchants. As for the word

‘Tory’, it was a term of abuse used by Whigs to designate one who was attached to the sovereign

and to landed property.

22. Tomás Ó FIACH & Desmond FORRISTAL, Oliver Plunkett: His Life and Letters, Dublin: Appletree,

1975.

23. Emmanuel LÉVINAS, Autrement qu’être ou au-delà de l’essence [1974], Paris : Librairie générale

française (Le Livre de poche), 1990, p.138. For Lévinas, the encounter with another is a

phenomenon in which the other person’s proximity and distance are both strongly felt. The

Other can only reveal himself in his true essence by acknowledging, in his turn, a common sense

of belonging to the human condition.

24. To sacrifice in its etymological sense: to render sacred.

25. Jean BODIN, De la Démonomanie des sorciers, Paris : Gutenberg reprints, 1979, p.107.

26. Quoted in FORRISTAL, op.cit., p. 93.

27. Alice CURTAYNE, The Trial of Oliver Plunkett, London: Sheed & Ward, 1953.

28. Dan SPERBER, La Contagion des idées. Théorie naturelle de la culture, Paris : Éditions Odile Jacob,

1996, p. 40.

29. On the day following the execution, the plot disintegrated as rapidly as it had been formed.

Shaftesbury, the main instigator of the persecution, was imprisoned in the Tower of London, and

Titus Oates, condemned to the galleys.

ABSTRACTS

The late 1670s under Charles II were a special time in British history during which religious

controversy ran high. The rivalry between the king, who issued a Declaration of Indulgence

suspending all laws punishing Roman Catholics and other religious dissenters, and a strongly

Anglican Parliament had reached its peak. In Ireland the Catholic Church had slowly been

recovering from the Cromwellian persecution when Pope Clement IX decided to appoint Oliver

Plunkett as Archbishop of Armagh. His mission was to rebuild and reform the Catholic Church in

Ireland. Fears of a return to Catholicism in England were exacerbated by allegations by Titus

Oates of a ‘Popish Plot’ to murder Charles II and establish absolutist, Catholic government under

James, Duke of York and the king’s brother. Oliver Plunkett, after a blatant miscarriage of justice,

was executed for high treason. He was beatified in 1920 and canonized in 1975 under Pope Paul

VI. Without going so far as to deconstruct hagiographical narratives, which made Plunkett the

Irish Church’s most celebrated martyr, this article focuses on the political and religious stakes

during a troubled period when the destinies of the English and Irish nations and their Churches

were not yet clearly mapped.

La fin des années 1670, sous le règne de Charles II, fut marquée par de sérieuses controverses

politiques et confessionnelles. Une sourde rivalité opposait le roi d’Angleterre, qui avait

promulgué une Déclaration d’Indulgence suspendant les mesures à l’encontre des catholiques et

des protestants non-conformistes, et le Parlement anglais très attaché à l’anglicanisme. Au

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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moment où l’Irlande se remettait lentement des persécutions de l’époque de Cromwell, le pape

Clément IX chargeait le nouvel archevêque d’Armagh, Oliver Plunkett, de reconstruire et de

réorganiser l’Église catholique. La crainte d’un retour au catholicisme en Angleterre fut

exacerbée par les allégations d’un certain Titus Oates selon lesquelles Oliver Plunkett aurait

fomenté un ‘Complot Papiste’ contre la monarchie britannique. Condamné pour haute trahison, il

fut, selon la règle, pendu, éviscéré, écartelé et décapité en 1681. Il fallut attendre 1920 pour qu’il

soit béatifié, et 1975 pour qu’il soit canonisé par le pape Paul VI. Sans déconstruire radicalement

l’hagiographie, cet article se propose de rendre compte des enjeux politico-religieux à une

époque troublée où les destinées des nations anglaise et irlandaise, et de leurs Églises, n’étaient

pas encore clairement tracées.

AUTHOR

MARIE-CLAIRE CONSIDÈRE-CHARON

Université de Franche-Comté

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La face cachée de Newton :antitrinitarien et alchimisteThe Hidden Face of Newton: Antitrinitarian and Alchemist

Jean Rivière

1 Dans l’Europe tourmentée de la Réforme protestante et de la Contre-Réforme

catholique, les allégeances confessionnelles prennent le pas sur toutes les autres. La

paix religieuse qui s’établit après 1648 est fondée sur le principe suivant : les sujets

adoptent la religion de leur souverain, et s’ils ne peuvent s’y résoudre, ils se font plus

ou moins discrets. Telle est la solution qui prévaut en Allemagne. Dans les autres pays,

les lignes sont beaucoup plus tranchées. En Espagne, en Italie et au Portugal, la Réforme

s’effondre sous les coups de l’Inquisition. Au Nord, les réformes luthériennes se font

sous l’égide des familles princières. En France, c’est le retour au statu quo ante avec la

Révocation de l’Édit de Nantes en 1685.

2 Dans l’Angleterre des années 1660, le système épiscopal supprimé sous Cromwell est

rétabli sous Charles II, l’Église d’Angleterre redevenant l’institution religieuse officielle,

dont la doctrine, à mi-chemin entre le calvinisme et le catholicisme, est exposée dans

les Trente-Neuf Articles. Ceux qui ne s’y conforment pas acquièrent le statut officieux

de non-conformiste. S’ils veulent bénéficier des mêmes droits que les anglicans pour

accéder aux emplois publics et aux universités, ils doivent se conformer – au moins

occasionnellement – au rite anglican en communiant dans une église de cette

obédience. Cette démarche, reconnue ou tolérée, est sujette à variation.

3 La principale stratégie pour les non-conformistes, les libertins et ceux qu’on appelle en

France les « esprits forts », est de dissimuler : cette attitude prévaut dans les pays

protestants pour les catholiques, dans les pays catholiques pour les protestants et,

pendant tout le XVIe siècle, pour les juifs dans la péninsule ibérique ; elle prend le nom

de « nicodémisme » – d’après le disciple Nicodème, qui, dans l’évangile de Jean, se

conformait aux rites juifs le jour et participait aux réunions chrétiennes la nuit. On ne

saurait oublier que le dialogue est impossible entre les tenants de l’orthodoxie locale et

ceux qui la contestent : ainsi, lorsque Pascal, dans son célèbre pari, s’adresse à un

incroyant, ce dernier ne peut lui répondre sous peine de mettre en jeu sa liberté, voire

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sa vie. L’Inquisition romaine est rétablie en 1542, et ses méthodes sont tout

naturellement adoptées dans le camp de la Réforme. Ainsi, Michel Servet, ce médecin

espagnol qui a échappé à l’Inquisition dans son pays, est brûlé vif à Genève en 1553 sur

l’ordre de Calvin pour avoir nié la Trinité et le péché originel. Seules les Provinces-

Unies sont un refuge sûr pour les juifs (encore ne faut-il pas qu’ils passent les bornes

dans leurs écrits, comme Spinoza, excommunié par sa propre communauté religieuse),

les protestants et les jansénistes. Passer d’un pays à l’autre peut contribuer à se faire

oublier dans un lieu où votre « réputation » est inconnue. Ainsi, Thomas Hobbes

(1588-1679), philosophe mécaniste et matérialiste, et partisan d’un pouvoir politique

absolu dans une société où l’homme est un loup pour l’homme, séjourne en France de

1640 à 1651 pour échapper au pouvoir puritain mis en place en Angleterre. Il y

fréquente le cercle du père Marin Mersenne et entre en contact ou en correspondance

épistolaire avec des penseurs tels que Fermat, Pascal, Descartes ou encore Torricelli.

Grâce à Mersenne, il peut lire une première version des Méditations  métaphysiques  de

Descartes. À l’inverse, le Français Charles de Saint-Evremond (1614-1703), « esprit fort »

et libertin, passe les quarante-deux dernières années de sa vie en Angleterre, mis à part

un séjour de 1665 à 1670 dans les Provinces-Unies, où il rencontre Spinoza. Ses écrits,

franchement déistes, et défendant une séparation totale entre religion et pouvoir

politique, sont publiés – la plupart du temps clandestinement – à Amsterdam ou en

France. Il est le seul Français à être enterré à Westminster  Abbey et à avoir sa plaque

dans le Poets’  Corner. Ces deux esprits illustrent à merveille le proverbe selon lequel

« nul n’est prophète en son pays ». En politique, Machiavel est par excellence le tenant de

la dissimulation, stratégie obligatoire pour le prince qui veut gouverner et atteindre le

but qu’il s’est fixé. En littérature, le théâtre de Shakespeare n’est qu’une suite de

dissimulations d’identité et de desseins secrets pour mieux arriver à ses fins. Ainsi,

Hamlet dissimule pendant la plus grande partie de la pièce ce qu’il sait (que c’est son

oncle Claudius qui a assassiné son père) et son intention de tuer Claudius au moment

qu’il jugera opportun. Il feindra même la folie pour mieux mettre son plan à exécution.

Montaigne est très clair dans ses Essais: « Aux Français le mentir et se parjurer n’est pas vice[…] ce leur est à présent vertu. On s’y forme, on s’y façonne, comme à un exercice d’honneur ; carla dissimulation est des plus notables qualitez de ce siècle »1… et du suivant2.

Newton et l’antitrinitarisme

4 Newton entra comme étudiant à Cambridge , à Trinity College plus précisément, en 1661,

et y resta jusqu’en 1701, passant donc la plus grande partie d’une longue carrière dans

cette université de l’élite aristocratique et intellectuelle, où il fut tour à tour étudiant,

diplômé, fellow et professeur de plein exercice. Les différents grades qu’il obtint à

Cambridge l’obligèrent, chaque fois, à prêter un serment d’allégeance à la doctrine de

l’Église anglicane (graduate, fellow) selon l’Act of Conformity (1662). Pour certains emplois

universitaires, comme les chaires de professeur, il fallait en outre recevoir les ordres

anglicans.

5 Depuis 1672, Newton avait distrait une bonne partie de son temps de chercheur pour

s’occuper de théologie, en particulier du dogme de la Trinité. Celui-ci avait été contesté

dès les premiers siècles de l’Église par les ariens, qui ne reconnaissaient pas la divinité

du Christ, et avaient failli l’emporter au Concile de Nicée. Arius (256-336 après J.- C.)

croyait que, dans la Trinité, le Fils n’était pas parfaitement égal au Père. Le Christ était

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bien le Fils de Dieu conçu de la Vierge Marie, mais n’était pas Dieu lui-même. C’est la

controverse introduite dans toute l’Église par la doctrine et la prédication d’Arius qui

poussa l’empereur Constantin à convoquer en 325 le Concile de Nicée, qui affirma la

parfaite égalité divine entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La polémique n’en fut pas

apaisée, et c’est seulement en 381, au Concile de Constantinople, que la doctrine de

Nicée fut officiellement reconnue. Pourtant, l’arianisme survécut encore longtemps

chez les Barbares (Goths, Vandales, Burgondes) en Italie, en Gaule, en Espagne et en

Afrique, et ce n’est qu’avec la conversion des Francs à la fin du Ve siècle, et celle des

Lombards au VIIe siècle à l’orthodoxie romaine que l’arianisme disparut au sein de

l’Église.

6 Pour Newton, l’étude objective des quatre évangiles canoniques semblait corroborer

cette interprétation arienne : Jésus y est constamment désigné comme le fils de

l’Homme, ou le fils de Dieu, jamais comme Dieu lui-même. À une époque comme la

nôtre, où la pratique religieuse est confrontée à une offre pléthorique, ces distinctions

peuvent sembler dérisoires. Et pourtant, en plein XIXe siècle, en France, Renan fut

révoqué de sa chaire au Collège de France en 1864 parce que, dans sa leçon inaugurale,

il avait parlé de Jésus, « cet homme admirable ». Certes, à cette époque, la majorité de la

classe intellectuelle française ne croyait plus en la Trinité, mais le gouvernement

impérial d’alors ne pouvait se permettre de laisser bafouer ouvertement ce dogme dans

un pays encore officiellement catholique.

7 Newton était convaincu que les deux passages où il avait trouvé une référence au Dieu

en trois personnes, toutes trois pleinement divines, c'est-à-dire 1 Jean 5:73 et 1Timothée

3:164, étaient des interpolations de l’Église romaine. En 1672, il inscrit dans un carnet

les problèmes religieux qu’il compte étudier : attributs de Dieu, Dieu le Fils,

l’Incarnation. Il recense tous les passages du Nouveau Testament où le Fils est

subordonné au Père. Il a donc bien déjà des doutes sur la divinité du Christ. D’autre

part, dans son étude des Pères de l’Église, il note les très nombreux passages infirmant

la divinité du Fils, sans toutefois publier les conclusions antitrinitariennes qu’il en tire.

Pour Newton, le culte du Christ comme Dieu est de l’idolâtrie, et l’Église catholique, son

suppôt principal, une secte idolâtre. Newton griffonna ou rédigea des centaines de

pages sur le sujet. Pour lui, la Réforme n’était pas allée au fond du problème, puisqu’elle

avait adhéré à une doctrine trinitaire pleine et entière. Il aurait fallu, selon lui,

considérer le Père comme le Dieu suprême et unique, et le Christ comme un logos (dans

la tradition de l’apôtre Jean) par le truchement duquel parlait Dieu le Père. Entre 1672

et 1675, Newton résume ainsi sa doctrine sur le sujet : le mot « Dieu » employé seul dans

les Écritures se réfère à Dieu le Père, et la référence à un seul Dieu l’est toujours à Dieu

le Père ; le Christ appelle Dieu le Père son Dieu, et la prescience de toute chose à venir

appartient uniquement au Père ; les pouvoirs que peut détenir le Fils ne peuvent donc

être dérivés que de ceux que possède le Père. Cette doctrine, même si elle ne fut jamais

exposée officiellement, allait compliquer les relations de Newton avec le Cambridge de

son époque.

8 Cambridge était certes une institution tolérante dans le domaine de la recherche

scientifique, mais elle n’aurait admis aucune expression orale ou écrite d’une

proposition hétérodoxe. Ainsi Daniel Scargill en fut-il exclu en 1669 « pour avoir soutenudes dogmes impies et athées » et n’y fut-il réintégré qu’après une abjuration publique à la

manière de Galilée. Isaac Barrow, le prédécesseur de Newton à la chaire de

mathématique, avait jugé prudent de défendre le dogme de la Trinité dans l’un de ses

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sermons5. Et puis, en 1675, se posait une question cruciale pour Newton : si l’on ne

changeait pas les règles d’accession à la chaire de mathématique, il devrait recevoir les

ordres anglicans. Trois enseignants de Trinity  College avaient dû démissionner entre

1661 et 1666 pour avoir refusé de se soumettre à cette règle. Newton évita l’obstacle de

l’ordination grâce à l’entremise d’Isaac Barrow. Il fallait pour cela qu’il eût l’oreille des

plus hautes autorités gouvernementales. En 1675, il obtint finalement de Charles II

l’autorisation de ne pas être soumis à l’obligation d’ordination afin d’occuper la chaire

de mathématique, « à moins qu’il ne le désire ». Suivant les termes de la décision royale, la

dispense avait pour but d’ « accorder tout encouragement juste aux savants destinés à êtreélus  à   la  dite  chaire ». La dispense fut accordée à perpétuité. Newton avait donc su

naviguer au plus près pour accéder à son poste, sans lequel il aurait été privé de tout

moyen financier autonome pour poursuivre ses recherches. Certes, le contrôle

ecclésiastique sur la recherche en Angleterre n’avait rien à voir avec les foudres de

l’Inquisition romaine, mais le cas prouvait qu’il existait encore dans le monde

universitaire anglais de la fin du XVIIe siècle les moyens de faire taire, au moins en les

privant de ressources, les esprits rétifs à une orthodoxie sans faille. Il valait mieux

cacher aux autres, voire à soi-même, ses propres écarts par rapport à la doctrine

officielle.

9 Rien ne transpira donc de son vivant des déviations théologiques de Newton, qui ne

furent connues qu’en 1754 lors de la publication posthume de An Historical Account ofTwo Notable Corruptions of Scripture ! S’il avait fait connaître ses opinions hétérodoxes, il

aurait perdu son poste ; s’il les avait publiées, il aurait pu connaître la paille humide des

cachots pour une durée indéterminée. Ainsi, le plus grand savant de l’ère moderne, au

sens historique du terme, ne pouvait pas exposer une déviation – somme toute vénielle

en apparence – par rapport à l’orthodoxie traditionnelle, et ce, dans le pays le plus

libéral de l’époque avec la Suède et les Provinces-Unies. Faute vénielle en apparence

seulement, car si la Trinité n’était plus reconnue comme un dogme fondateur du

christianisme, l’Incarnation et la Rédemption disparaissaient par la même occasion.

10 Newton poursuivit ses études antitrinitariennes tout au long de sa vie et, en particulier,

dans sa correspondance avec John Locke, en ayant toutefois la prudence d’adresser ses

missives à un « ami », et non à Locke en personne. Pour Newton, il est urgent

d’expurger les textes bibliques afin qu’ils reflètent enfin une vérité qui, à ses yeux, ne

souffre pas la controverse, mais, prudent, il enjoint à Locke de ne pas divulguer ses

remarques « hérétiques » sur les vingt-sept passages qu’il soupçonne d’avoir été ajoutés

au texte originel de la Bible et aux écrits des Pères de l’Église. Il lui déclare surtout que

le grand public ignorant est friand de mystères. Ainsi, le plus prestigieux savant de son

époque, Isaac Newton, et l’un des plus grands philosophes de son temps, John Locke,

durent déployer toutes sortes de ruses pour échapper à leurs censeurs6.

L’alchimie ou le rêve secret de Newton

11 L’alchimie peut être considérée non comme une pseudoscience, mais comme une

protoscience. Pendant plusieurs millénaires, en effet, elle a rempli une sorte de vide,

alors que l’on ignorait la structure et les lois de transformation de la matière. Certes,

Démocrite, 500 ans avant notre ère, avait énoncé une théorie atomique, mais ses

particules se situaient en dehors du champ d’investigation des savants de l’époque. De

même que l’astrologie – prédiction de l’avenir d’après le mouvement des astres – avait

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précédé l’astronomie – étude objective de l’univers –, la magie, de son côté, avait

précédé la médecine d’Hippocrate et de Gallien. On trouve des traces de recherches

alchimiques dans toutes les civilisations orientales et extrême-orientales et,

naturellement, en Occident jusqu’aux découvertes pionnières du XVIIIe siècle sur la

nature de la chimie. L’alchimie reposait sur deux rêves : le premier est l’élixir de longue

vie, qui permettrait à l’homme de vivre plus longtemps, voire éternellement, et le

second est la pierre philosophale, qui nous rendrait capables de transformer tous les

métaux vils en or.

12 Dans ses Questiones, Newton avait noté dès 1666 les différentes opérations qui

recouvraient le domaine de la chimie : l’« abstraction », par exemple, consistait à faire

évaporer et à distiller une solution pour en extraire le sel. Les termes « creuset »,

« extraction » et « amalgame » figurent également dans ses cahiers. Sous la rubrique

« expérimenter », il décrit la façon de raffiner l’or et l’argent en les chauffant avec du

plomb. Newton fit partie de la très clandestine Société des Alchimistes Anglais et, par

l’intermédiaire de cette dernière, put se procurer de nombreux ouvrages, dont le

Theatrum Magicum. Il annota ces écrits pendant une trentaine d’années. Il ne s’agit donc

nullement pour lui d’une lubie passagère, mais d’une démarche continue pour mieux

cerner la nature de la matière et l’utiliser dans un but expérimental. On peut considérer

que Newton fut le plus grand alchimiste de son temps, car il apporta à ses recherches,

hors du champ scientifique proprement dit, la détermination dont il savait faire preuve

comme physicien, astronome et mathématicien.

13 Quelle pouvait être la signification de l’alchimie pour Newton ? À une époque où la

chimie n’était que balbutiante, l’alchimie avait pour avantage d’offrir quelques

perspectives de synthèse sur la nature de la matière et la façon de la transformer.

L’expérimentation chimique pouvait donc coexister avec la spéculation alchimique. Le

mercure avait ici une importance primordiale, car on le considérait comme l’élément

constitutif des autres métaux : il fallait le débarrasser de ses scories impures pour le

rendre propre aux opérations visant à sa transformation en d’autres métaux. Comme le

but de l’alchimie était la fabrication d’or, on aurait pu croire que Newton se serait

dirigé vers des tentatives expérimentales dans ce domaine. Mais le savant qu’il était

avait trouvé dans l’alchimie une nouvelle approche de la démarche scientifique. Alors

que les mécanistes séparaient le corps de l’esprit, montrant que l’univers se mouvait

suivant des lois indépendantes de l’homme, les alchimistes considéraient que la matière

était dotée d’une vie propre. Ainsi la pierre était-elle composée d’un corps (imparfait),

d’une âme (donnant vie à ce corps imparfait) et d’un esprit (l’eau). Alors que la

philosophie mécaniste insistait sur l’inertie de la matière, que seuls le mouvement et la

gravitation pouvaient mettre en branle, l’alchimie reposait sur un principe actif : la

pierre philosophale traditionnelle, dont le magnétisme constituait la qualité essentielle.

14 Ainsi Newton entra-t-il dans un corps secret : celui des alchimistes anglais. Il se forgea à

cette occasion un pseudonyme, Jeova sanctus unus, anagramme d’Isaacus Neuutonus, en

latin, et conduisit un nombre incalculable d’expériences alchimiques à Trinity  College,

dans un laboratoire de fortune : un appentis qui se trouvait dans son jardin et jouxtait

la chapelle. Cette proximité n’était pas fortuite, car, pour les alchimistes, la

transmutation des métaux signifiait une purification spirituelle. C’était Dieu qui

insufflait la vie à la matière, comme aux premiers temps de la Création. Il n’est donc pas

étonnant que les recherches alchimiques de Newton se soient poursuivies dans les

années où il se plongeait le plus intensément dans l’étude de la Bible et des Pères de

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l’Église. Plutôt que de se détourner de ce qu’il ne pouvait pas comprendre, il se

plongeait dans les observations et les expériences les plus hétéroclites pour se mettre

en rapport avec les forces végétales, vitales et sexuelles qui peuplaient notre univers.

Fourneaux et creusets devenaient ses outils privilégiés pour atteindre des secrets de

l’univers sur lesquels sa science mécaniste ne pouvait l’éclairer. À la fin du XVIIe siècle,

il s’était ainsi construit un Index chemicus, manuscrit de plus de cent pages, comprenant

plus de cinq mille références à des ouvrages alchimiques des époques antérieures. Ses

propres écrits ne furent publiés que des années après sa mort. Si l’on additionne tous

ses ouvrages imprimés et ses manuscrits sur l’alchimie, on arrive à plus d’un million de

mots !

15 Avec sa théorie de la gravitation universelle et de la mécanique qui en découlait,

Newton, en étudiant la matière, pensait que les principes mécaniques ne pouvaient

dans ce cas s’appliquer tels quels. La mécanique ne suffisait pas à rendre compte des

mouvements de la matière. Certes, Descartes avait bien énoncé une « théorie des

tourbillons » qui faisait se mouvoir la matière, mais Newton s’inscrivit très tôt en faux

contre cette thèse. L’alchimie lui offrait des perspectives élargies de compréhension et

de transformation de la matière, mais il allait falloir attendre encore près d’un siècle

pour que la chimie se dotât de ses propres critères objectifs et scientifiques, l’essentiel

étant que, dans la nature, rien ne se perd, et rien ne se crée. Pour Newton, l’alchimie ne

représente pas une démarche contraire aux lois de la mécanique, mais une pratique qui

nous permet de mieux comprendre la matière pour la transformer, sans verser dans le

rêve fou des alchimistes de pouvoir convertir toute matière en or. Newton occupe ainsi

une position intermédiaire entre des lois mécaniques trop vastes et trop générales pour

étudier ce champ particulier et des lois chimiques encore à découvrir. On peut surtout

penser que ses études alchimiques constituaient une révolte de son esprit contre les

limites que la pensée des mécanistes comme Descartes introduisait dans la philosophie

naturelle. Trente années de passions insatisfaites de 1670 à 1700 – puisque ses

expériences alchimiques ne le menèrent jamais à aucune découverte d’envergure – ne

l’empêchèrent pas de considérer que, d’une certaine manière, le jeu en valait bien la

chandelle7.

Vers une philosophie naturelle et une sciencechimique

16 Les recherches théologiques de Newton peuvent sembler aujourd’hui ne porter que sur

des détails, mais nous avons vu comment le rejet du dogme de la Trinité allait conduire

au XVIIIe siècle à une remise en cause progressive de toute la dogmatique chrétienne,

tandis que la croyance dans les miracles semblait une insulte à la pensée rationnelle. La

répudiation des prophéties allait constituer la troisième étape vers une religion déiste,

telle que l’exposait Thomas Paine à la fin du Siècle des Lumières dans The Age of Reason(1795). Philosophie naturelle et religion naturelle en viennent donc à répudier dogmes,

miracles et prophéties en bloc, ce que ne fait pas encore Newton.

17 Pour ce qui est de la chimie, cette science encore balbutiante avait eu deux précurseurs,

que Newton n’a pas suivis : le premier est le Flamand Jan Baptist Van Helmont

(1579-1644), qui fut chimiste et médecin, mais aussi alchimiste. Il créa la notion de

« gaz », et découvrit le gaz carbonique et les acides sulfhydrique et chlorhydrique. Il

reconnut le suc gastrique comme un agent actif de la digestion et créa un thermomètre

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en utilisant la dilatation de l’eau dans une enveloppe de verre. Sir Robert Boyle

(1621-1691) fut plus proche de Newton, puisqu’il fut l’un des fondateurs de la Royal

Society. Il énonça avec Mariotte la loi de la compressibilité des gaz. Dans Sceptical

Chymist (1661), il rejette la théorie des éléments d’Aristote et fait apparaître la notion

d’élément chimique. Il reconnaît le rôle de l’oxygène dans la combustion et la

respiration. Mais ce n’est qu’avec Lavoisier (1743-1794) que s’établirent les bases de la

chimie : composition de l’air et de l’eau, distinction entre corps simples et

combinaisons, mécanismes des combustions.

18 On peut donc conclure que Newton a œuvré dans le champ théologique en y pointant

des contradictions qui allaient être pleinement reconnues au XVIIIe siècle, et qu’il a

exploré avec la détermination qu’on lui connaît les champs de la chimie avec les outils

de l’alchimie, qui n’était qu’une protoscience.

NOTES

1. Michel de MONTAIGNE, Essais, Paris : Éditions Gallimard, 1950, chap. XVIII, « Du démentir », p.

752.

2. Pour toutes les questions de dissimulation, voir Perez ZAGORIN, Ways  of  Lying.  Dissimulation,

Persecution  and  Conformity   in  Early  Modern  Europe, Cambridge, Mass.: Harvard University Press,

1990. Cet ouvrage examine tous les problèmes liés à la dissimulation et à la fausse conformité

chez les catholiques, les protestants, les juifs et les incroyants. On y trouve en somme un tableau

de toutes les méthodes de survie possibles devant la persécution dans l’Europe occidentale des

XVIe et XVIIe siècles.

3. « Car il y en a trois dans le Ciel qui rendent témoignage, le Père, la Parole, et le Saint-Esprit ; et ces trois-là ne sont qu’un » (Bible David Martin, 1744).

4. « Dieu a été manifesté en chair, justifié en esprit, vu des Anges, prêché aux Gentils, cru au monde, etélevé dans la Gloire » (D. M.).

5. Prononcé en 1663, celui-ci est intitulé ‘A Defence of the Blessed Trinity’. Il sera publié de

manière posthume à Londres en 1697.

6. Voir David BERLINSKI, Newton’s Gift: How Sir Isaac Newton Unlocked the System of the World, New

York & London: The Free Press, 2000, pp. 64-69 ; James GLEICH, Isaac Newton, London & New York:

Fourth Estate, 2003, chap. 10 ‘Heresy, blasphemy and idolatry’ ; Richard WESTFALL, Never at Rest.A Biography of Isaac Newton, Cambridge: Cambridge University Press, 1993, chap. 8 ‘Rebellion’.

7. GLEICH, op.  cit, chap. 9 ‘All things are corruptible’ ; WESTFALL, op.  cit., chap. 8 ; Jean-Pierre

LUMINET, La Perruque de Newton, Paris : J.-C. Lattès, 2010, chap. intitulé « Les noces chimiques ».

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RÉSUMÉS

Le plus grand savant de son époque, Newton, passa néanmoins la plus grande partie de sa vie à

remettre en cause le dogme de la Trinité et mena des expériences dans le domaine de l’alchimie.

Il le fit toujours de façon clandestine afin d’éviter de perdre sa chaire de professeur … à Trinity

College.

Newton, considered as the greatest scientist of his time, spent a good deal of his life challenging

the dogma of the Trinity and, strangely enough, conducted experiments in the field of alchemy.

He did so in the most clandestine way in order to avoid losing his professorship … at Trinity

College.

AUTEUR

JEAN RIVIÈRE

Université Paris-Dauphine

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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De l’hétérodoxie à l’orthodoxie : lesespaces religieux de George KeithFrom Heterodoxy to Orthodoxy: George Keith’s Religious Territories

Louisiane Ferlier

1 Dans son ouvrage de 1678, The  Way   to   the  City  of  God,  l’auteur quaker George Keith

(1639-1716) décrit à ses lecteurs les différentes étapes menant vers la vérité spirituelle1.

Guide pratique à l’intention des « voyageurs spirituels »,  cet ouvrage définit les

principes fondamentaux de la doctrine quaker et propose une méthode d’introspection

permettant d’atteindre la révélation divine. Keith s’est lui-même converti au

quakerisme près de dix ans auparavant, à sa sortie du Marischal  College d’Aberdeen.

Éduqué pour devenir ministre du culte presbytérien, il achève ses études au moment de

l’instauration de l’épiscopat en Écosse. Cette transformation du système ecclésiastique

et doctrinal écossais l’amène à s’interroger sur la nature de la spiritualité protestante

en compagnie de son camarade d’études, Gilbert Burnet (1643-1715). Alors que Burnet

optera pour l’anglicanisme, Keith rejoint la Société des Amis (Society  of  Friends), la

structure officielle du quakerisme, qui compte un petit nombre d’adeptes à Aberdeen.

Dans The Way to the City of God, il définit la révélation comme le principe par lequel le

divin se manifeste directement en chaque individu. Ce guide spirituel réalise la

synthèse entre le principe quaker de « Lumière Intérieure » (Inner   Light)2, les

fondements doctrinaires des Réformateurs écossais et la religion rationnelle telle

qu’elle est définie par le platonicien de Cambridge Henry More. Comme tous les auteurs

quakers, Keith se défie des savoirs qui n’ont comme finalité qu’une connaissance

humaine. À la différence de ses coreligionnaires, cependant, il n’oppose jamais

cheminement intellectuel et voyage spirituel. La méthode d’introspection qu’il propose

réconcilie donc une définition rationnelle de la foi et l’inflexion spiritualiste – voire

mystique – du quakerisme.

2 Cette proposition doctrinaire paradoxale illustre la perméabilité des notions

d’orthodoxie et d’hétérodoxie à la fin du XVIIe siècle. Sa formulation théologique relie

des tendances contradictoires du protestantisme britannique, et mènera à sa

conversion en 1700 à l’anglicanisme. Au cœur de la pensée de Keith se trouve l’idée que

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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la vérité religieuse s’obtient au bout d’un voyage spirituel et intellectuel, au prix de la

correction des erreurs de raisonnement que l’homme commet naturellement. Cette

théorie s’incarne dans le parcours de Keith, qui passe du presbytérianisme au

quakerisme, puis à l’anglicanisme, mais également par sa mobilité spatiale. Il s’agira

dans cet essai d’examiner cette étonnante évolution théologique et ce qu’elle révèle de

son contexte religieux. Partant de la thématique du « voyage spirituel », nous

proposons également de considérer que la mobilité de Keith révèle la redéfinition de

l’espace géographique britannique de la Restauration aux premières années du XVIIIe

siècle. Des controverses religieuses londoniennes aux expériences coloniales, les

voyageurs spirituels au sein et en dehors de l’orthodoxie explorent de nouveaux

territoires spirituels et géographiques.

3 Après avoir tracé les contours de la théologie de Keith, nous verrons que son « voyage

spirituel » le conduit à critiquer la place de la tolérance dans « l’expérience sainte » des

quakers menée par William Penn. Sa doctrine paradoxale, qui fait du quakerisme une

voie vers l’orthodoxie, le mènera progressivement à se conformer au dogme anglican,

l’orthodoxie établie, et à retourner dans la métropole. La conversion de Keith devient

alors l’objet d’une âpre controverse laissant entrevoir l’incroyable variété des

interprétations protestantes qui cohabitent et s’entrechoquent à Londres entre l’Acte

de Tolérance de 1689 et le règne d’Anne. Keith achève son « voyage spirituel » dans

l’anglicanisme en tant que missionnaire pour la Société pour la Propagation de

l’Évangile (Society  for  the  Propagation  of  the  Gospel   in  Foreign  Parts), réalisant de fait la

synthèse entre son attachement à la prédication itinérante et son prosélytisme

militant.

Une théorie de l’espace divin

4 Durant l’Interrègne, le quakerisme désigne un mouvement hétérodoxe diffus et

protéiforme. Le terme est utilisé dans les controverses pour tourner en dérision les

élans mystiques de prédicateurs et d’auteurs qui s’opposent à toute doctrine

hiérarchisée. En dépit d’importantes différences théologiques, ces hommes et ces

femmes se rejoignent pour rejeter l’orthodoxie ecclésiastique. À partir de la

Restauration, le mouvement s’organise en Angleterre en une Société des Amis autour

de son fondateur George Fox (1624-1691) en réaction contre l’intensification des

persécutions légales et populaires. L’établissement d’un réseau d’assemblées locales

vient rapidement structurer cet espace quaker en extension. C’est dans ce contexte que

Keith décide de se joindre aux « Amis de la vérité » d’Aberdeen, voyant dans la doctrine

de la « Lumière Intérieure » le chemin vers la sainteté. Contrairement aux

représentations traditionnelles des quakers, il présente sa conversion comme une

décision rationnelle :

A Man doth not (nor can he) enter into the way of Holiness, but he must first havehis understanding some way opened by the Spirit of Truth, so as to receive someconvincement of certain Principles of Truth. For how can a man enter into a way,and know nothing thereof, neither more nor less? It is the usual method and orderof the Spirit of God first to convince a man of divers things, before he proceed[s]further, so as to convert him into the way of Holiness, or carry him onwardstherein.3

5 Keith considère que la trajectoire de conviction s’effectue selon une méthode

rationnelle : le converti doit apprendre et comprendre les principes d’une confession

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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avant de s’y engager spirituellement. Afin de convaincre ses lecteurs, Keith présente les

principes doctrinaux qui, selon lui, font du quakerisme le chemin vers la vérité

religieuse. Il définit les limites de cet espace de la vérité divine en empruntant un

raisonnement proche de celui de son correspondant Henry More, afin de démontrer le

bien-fondé du quakerisme4. Le discours apologétique de Keith vise à « l’éveil spirituel »

de ses lecteurs. Il s’approche en cela de l’intériorisation du religieux qui caractérise les

quakers. De même, il passe par les métaphores de la Lumière Intérieure ou de la graine

divine pour expliquer comment se diffuse le message divin, comme le font tous les

théoriciens du quakerisme. À l’inverse de Fox, de Barclay ou de Penn, cependant, il

considère que la raison, et non le cœur, est le siège de la révélation. Il opère ainsi un

basculement significatif, car il considère la croyance comme un principe rationnel, et

non comme un sentiment. Dès lors, il n’aura de cesse de s’interroger sur les moyens de

diffuser la vérité religieuse.

6 Cette interrogation se retrouve tout d’abord dans la théosophie qu’il développe dans

ses nombreux ouvrages doctrinaires5. Il y explique par exemple l’omniprésence de

l’Esprit-Saint en le définissant comme un principe unificateur : ‘The  God-head   is  notdivisible, nor discerptible into particles, being a most simple-pure, being void of all composition,

or  division,   containing   in  himself  all   creaturely  perfections   in   the  greatest   simplicity  andeminency’6.  En empruntant à More le néologisme de ‘discerptibility’7,  Keith souhaite

démontrer que le divin est une substance insécable, ce qui expliquerait sa présence

simultanée à tout endroit du monde des croyants. La définition qu’il donne du principe

révélateur divin s’inspire des avancées des nouvelles sciences sur les particules et du

discours de l’anglican More pour établir sa vision d’une transmission immédiate de la

connaissance religieuse. Ainsi, il poursuit sa démonstration en indiquant que cet esprit

divin anime tout corps naturel, mais que le croyant ne peut prendre conscience de ce

principe moteur que s’il renie la connaissance abstraite et se fie à son savoir intuitif. Ce

faisant, Keith critique les enseignements théoriques de la théologie proposés par les

Églises établies d’Angleterre et d’Écosse, puisqu’il soutient que la vérité divine

s’appréhende par l’expérience personnelle :

The Intuitive knowledge is that whereby a man knoweth things in their own properforms, qualities, properties and ideas; as […] when I know a land, by seeing it self,and all the fine Cities, fields and gardens in it, smell of the sweet smelling flowers,eat of the fruit, and drink of the Vines which grow in it.8

7 Pour le quaker, le vrai savoir s’acquiert de façon empirique. Cette définition soutient

l’idée que la révélation divine peut se comprendre par les récits bibliques, mais que

seule l’expérience spirituelle la transforme en une force vitale. S’il s’agit avant tout

pour Keith de critiquer les académies théologiques comme des lieux où la religion est

transmise de façon désincarnée, de manière « objective », regrette-t-il, on voit

également apparaître un rapprochement entre la connaissance divine et le voyage qui

révèle sa pratique de la religion. Comprendre et connaître un espace géographique

exige de le voir, de visiter ses villes, de sentir ses parfums et de goûter ses vins et ses

mets. Une telle évocation sensualiste peut surprendre au cœur d’une justification

doctrinaire du quakerisme. Et bien que la sobriété de la spiritualité quaker n’émerge

que dans la dernière décennie du XVIIe siècle sous l’influence quiétiste de William Penn,

l’attachement de Keith à une expérience sensualiste de la spiritualité et du voyage

l’isole en effet dans une littérature quaker plus préoccupée de défendre l’égalité entre

les individus que de définir la connaissance. Elle l’isole d’autant plus qu’elle se traduit

en acte par l’attachement de Keith à l’évangélisation, alors que les autres membres de

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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la Société des Amis  souhaitent renforcer l’ancrage social des communautés quakers

dans des espaces géographiques délimités.

« L’expérience sainte » controversée

8 La géographie quaker est profondément redéfinie lorsque William Penn obtient de

Charles II une charte royale en 1681 pour développer la colonie de Pennsylvanie. Les

quakers saisissent rapidement cette occasion d’étendre leur horizon géographique et

spirituel pour tenter une « expérience sainte ». Cette expression employée par Penn

semble réaliser le souhait de Keith de diffuser la spiritualité sur ces nouvelles terres

britanniques. En 1689, Keith, alors l’un des auteurs les plus influents du quakerisme,

obtient un lot de terre important près de Philadelphie ainsi que la charge de la

première école quaker de la colonie. Il voit dans cette expérience la possibilité

d’occuper un rôle essentiel dans la diffusion du message divin. À l’inverse, les autres

colons quakers perçoivent « l’expérience sainte » davantage comme la possibilité

d’établir une société en accord avec les principes sociaux et politiques du quakerisme

que comme le début d’un voyage spirituel à l’échelle d’un nouveau continent. Tandis

que les instances judiciaires et religieuses de la colonie tentent d’instaurer

politiquement la tolérance entre les différentes confessions chrétiennes, Keith s’engage

dans de vives controverses avec Cotton Mather, le fils d’une des premières dynasties de

prédicateurs puritains de Nouvelle-Angleterre9. De même, alors que les assemblées

quakers encouragent une pratique privée de la religion dans les vastes territoires de la

Pennsylvanie, Keith réclame que les colons quakers soient accompagnés dans leur

quête spirituelle afin qu’elle soit fondée sur une connaissance suffisante des principes

chrétiens. Il revient à son guide spirituel de 1678 pour rappeler à ses coreligionnaires

que la spiritualité demeure hérésie si le croyant n’adhère pas aux préceptes de base du

christianisme. Ces propos pourraient sembler mesurés dans le contexte d’une religion

protestante fondée, selon le vocabulaire luthérien, sur les principes de l’Église

primitive. De fait, les assemblées quakers de Pennsylvanie ne s’opposeront pas

formellement aux appels de Keith à réformer l’éducation théologique des colons10.

L’hétérodoxie des quakers s’est cependant établie sur leur attachement à la liberté et à

l’autonomie des croyants dans leur cheminement spirituel. Or, l’insistance farouche de

Keith sur le rôle des écrits (saints, historiques et théologiques) comme moyen

d’élévation de l’esprit va à l’encontre du rapport direct de la révélation intérieure telle

que la concevaient George Fox ou William Penn. Keith se sépare alors des assemblées

quakers pour proposer à ceux qui se rallient à sa doctrine une pratique « chrétienne »

du quakerisme. La controverse qui oppose les « quakers chrétiens » aux assemblées de

Pennsylvanie se diffuse rapidement au travers des réseaux de communication quakers.

Keith, allié à l’unique imprimeur de la colonie, publie pour la seule année 1692 quatorze

pamphlets sur le sujet. La diffusion de ses discours enflammés sur l’autoritarisme des

magistrats et des assemblées de Pennsylvanie accentue son opposition au quiétisme

quaker et précipite son retour en Angleterre. Lorsqu’il se présente en 1695 devant la

plus haute instance de décision de la Société des Amis, l’Assemblée Annuelle de

Londres, se déroule le dernier acte de son expérience quaker. Alors que Penn tente

vainement de réitérer les appels au compromis et à l’apaisement, Keith défend à

nouveau le bien-fondé de ses propositions doctrinaires. L’Assemblée désavoue l’auteur,

marquant de fait sa sortie des espaces quakers.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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9 Le schisme keithien révèle qu’en dépit de l’indépendance cultuelle inhérente au

quakerisme, le mouvement est défini et structuré par une doxa   selon laquelle les

pratiques et les croyances sont régulées. Certes, le mouvement quaker se définit en

premier lieu par son opposition aux structures ecclésiastiques de l’Église anglicane,

mais à la fin du XVIIe siècle, la Société des Amis construit son identité en mettant en

forme une doctrine religieuse et sociale sur laquelle les structures politiques de la

Pennsylvanie sont fondées. « L’expérience sainte » de la Pennsylvanie a en effet été

conçue depuis Londres par le propriétaire de la colonie comme une utopie religieuse

d’où seraient absents les problèmes rencontrés par les quakers anglais. C’est ainsi que,

dans la charte gouvernementale qu’il rédige en 1701, Penn met en place la liberté de

culte et de conscience :

Almighty God being the only Lord of conscience, Father of Lights and Spirits andthe Author as well as Object of all divine knowledge, faith and worship who only[can] Enlighten the mind and perswade and Convince the understandings of peopleI doe hereby Grant and Declare that noe person or persons Inhabiting in thisProvince or Territories who shall Confesse and Acknowledge one Almighty God theCreator upholder and Ruler of the world and professe him or themselves Obliged tolive quietly under the Civill Governement shall be in any case molested orprejudiced in his or theire person or Estate because of his or theire Conscientiousperswasion or practice.11

10 Penn précise que la liberté de conscience est une condition essentielle pour que la

tradition de liberté civique anglaise se réalise pleinement. Il promulgue la tolérance

religieuse, parce qu’il considère qu’aucune action humaine, ni aucun texte, ne peut

effectivement provoquer ou conditionner la révélation divine. C’est ce qu’il implique en

définissant Dieu comme « l’auteur […] seul à même d’illuminer l’esprit et de persuader et deconvaincre ». Ce faisant, il définit théoriquement l’espace colonial dont il a la charge

comme un territoire où toutes les interprétations du monothéisme peuvent coexister,

tant qu’elles ne perturbent pas le fonctionnement des institutions. Dès 1681, Penn

décrivait le mouvement vers les plantations et les colonies comme un élargissement

dynamique de l’espace commercial et spirituel anglais qui permettait de nouvelles

expériences12.

11 Les appels à la réforme doctrinaire formulés par Keith prennent le contrepied de cette

vision d’un espace colonial utopique. Pour lui, l’établissement d’un espace de tolérance

importe moins que la construction d’une communauté chrétienne en possession de la

vérité divine. Bien qu’il reconnaisse une diversité dans les cheminements spirituels et

dans l’expression de cette vérité, sa théosophie de la transmission est établie sur la

certitude qu’il ne peut y avoir qu’une seule vérité divine. Son opposition aux autorités

quakers découle directement de cette certitude, car elle justifie, d’une part, qu’il

souhaite corriger ceux qui se trouvent dans l’erreur théologique et, d’autre part, qu’il

voie finalement dans son éviction de la Société des Amis la preuve que les quakers

rejettent les fondements du christianisme. En refusant de considérer que la croyance

en la « Lumière Intérieure » suffit à transformer un croyant en vrai chrétien, Keith se

fait le partisan d’une interprétation littérale du principe d’orthodoxie. Il adopte

progressivement l’idée que, bien que la révélation divine immédiate demeure un

principe nécessaire à l’établissement de la vérité religieuse, un croyant ne peut

véritablement se considérer chrétien s’il s’écarte de certains fondements doctrinaux.

Au nom de ces doctrines essentielles, il rejette l’idée que l’expérience sainte doive

passer par la colonisation territoriale et promeut ouvertement l’évangélisation comme

la plus haute réalisation spirituelle : ‘I have found a Zeal raised in my heart, and a weighty

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concern upon me to point at divers gross Errors held, professed, and taught in this day, by some

called  Christians,  as  Doctrines  and  Principles  of   true  Philosophy’13. L’expérience coloniale

quaker de Keith s’achève donc sur le constat que l’expansion de la vérité religieuse ne

passe pas par la réalisation d’une communauté utopique, mais par la correction des

erreurs doctrinaires au sein de la chrétienté britannique. Il annonce également qu’il

accomplira cette tâche avec zèle et, en effet, c’est avec acharnement qu’il entreprend

tout d’abord de corriger les positions qu’il avait adoptées lors de ses trente années au

sein du quakerisme afin de se conformer à l’orthodoxie anglicane.

Intégrer les espaces de l’anglicanisme londonien

12 La conversion de Keith à l’anglicanisme s’effectue par une succession d’actes

symboliques qui confirment que l’Église établie est composée de courants

contradictoires au tournant des XVIIe et XVIII e siècles. L’adoption de la doctrine

anglicane par un auteur quaker aurait pu signifier la victoire de l’influence

latitudinaire sur l’appareil ecclésiastique anglican. Ses liens avec Burnet, l’un des

théoriciens et artisans du mouvement latitudinaire, laissent en effet présager qu’il

intègre la via  media  anglicane dans le cadre de l’élargissement de l’Église établie à

différentes interprétations de la définition cultuelle, ecclésiastique voire théologique

de l’orthodoxie. On retrouve par exemple dans les écrits de Keith et de Burnet l’idée

que certaines doctrines et certains actes cérémoniels importent peu, et qu’un croyant

peut demeurer dans l’orthodoxie tout en les ignorant. Ainsi, la conversion de Keith est

entérinée formellement en février 1699 par l’eucharistie, et non par le baptême. Il s’en

explique simplement en déclarant que le baptême presbytérien qu’il a reçu à l’enfance

lui suffit amplement14. Cependant, le rapprochement doctrinal de Keith de

l’anglicanisme s’effectue par le biais de la controverse religieuse, ce qui l’oppose au

message unificateur de Burnet. Certes, les deux auteurs écossais considèrent l’Église

établie comme la structure rédemptrice face à l’hétérodoxie, mais alors que Burnet

conçoit l’Église nationale comme le moyen de garantir l’unité du Royaume

d’Angleterre, Keith considère la via media anglicane comme l’orthodoxie salvatrice qu’il

doit imposer à tous ceux qui se trouvent dans l’erreur :

By vertue of an Evangelical Precept, it is an incumbent Duty on every Convert toendeavour the strengthening of his Brethren in the Faith of the Lord Jesus Christ,and to Reduce all those that by any indirect Offices or for want of regularInstructions have wandered out of the straight ways of Peace, Truth and Holiness,into the crooked Mazes of Sin, Schism and Heresie, to the hazard of their eternalInterests.15 

13 Ce passage est emblématique de la vision que Keith a de l’espace religieux à partir de sa

conversion à l’anglicanisme. Le cheminement spirituel vers la vérité est à présent

décrit comme une voie droite et régulière représentant directement l’orthodoxie. À

l’inverse, les dissidences et les hétérodoxies perturbent cette rectitude, et il condamne

ceux qui suivent le tracé méandreux et labyrinthique d’où il vient. De plus, cet extrait

annonce la ferveur évangélique qui découle de sa conversion. Parce qu’il a atteint la

vérité religieuse, le converti se doit de montrer à ses anciens coreligionnaires la route

vers cette félicité en investissant l’espace public.

14 En plus de publier des dizaines d’ouvrages réfutant le quakerisme, Keith tient des

conférences publiques durant lesquelles il dénonce les erreurs doctrinales des

principaux auteurs de la Société des Amis, Fox, Penn, Robert Barclay et George

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Whitehead. Ces rencontres ont lieu à Turners’  Hall,  où il prêchait depuis 1696, et

théâtralisent son opposition à l’hétérodoxie. La dimension publique de la conversion de

Keith est essentielle, car elle réalise son désir de transformer sa trajectoire personnelle

en un symbole pour mener une campagne d’évangélisation plus large. Il faut imaginer

que cette conversion s’effectue dans un tourbillon de publications. À la différence

d’autres dissidents religieux qui dépendent d’alliances éditoriales aléatoires, les

quakers disposent d’un imprimeur-éditeur-libraire établi dans la capitale londonienne

(Andrew Sowle), d’un comité éditorial qui se réunit de façon hebdomadaire (le Second

Days’ Morning Meeting), et d’un système de financement et de diffusion communautaire

efficace (désigné sous le terme de ‘Common stock’). De son côté, Keith trouve sans peine

assistance auprès d’éditeurs anglicans modérés, en particulier John Dunton et Brabazon

Aylmer, qui souhaitent mettre en lumière l’hétérodoxie des théories quakers et

ramener les autres dissidents dans le giron de l’Église établie. Loin de se résumer à une

opposition binaire entre partisans d’une orthodoxie anglicane et tenants d’une

hétérodoxie quaker, le débat suscité par la conversion de Keith donne également lieu à

des publications d’auteurs presbytériens, et met en lumière la division, au sein de

l’Église anglicane, entre « haute Église » (high  Church) et « basse Église » (low  Church).

L’attachement de Keith à l’encadrement doctrinaire des croyants le rapproche en effet

davantage des high Churchmen, défenseurs d’une structure ecclésiastique forte, que de

la souplesse latitudinaire des low   Churchmen,  tel Burnet. La position de Keith est

tellement ambiguë que le presbytérien Samuel Young se méprend sur sa confession. Il

l’identifie dans un premier temps comme un coreligionnaire, et décrit sa trajectoire

comme la réalisation des appels de Daniel Defoe à retrouver une orthodoxie

protestante16. Lorsque Young se rend compte que Keith se convertit en fait à

l’anglicanisme, il y voit le symptôme de la corruption du paysage religieux londonien

par les controverses. Il décrit la ville comme ‘a City of Contention’ et rend le climat de

polémiques continuelles responsable de la perversion de sa population : ‘Many

distemper’d  Minds  in  that  now  forsaken  City’, regrette-t-il, en prenant congé de Londres

dans son dernier pamphlet adressé à Keith17.

15 Du fait de ces affrontements théologiques constants, l’installation de Keith à Londres se

traduit par une augmentation du rythme annuel de sa production pamphlétaire et par

une inflation extraordinaire du volume de pamphlets publiés par ses adversaires, ainsi

que par l’élargissement du nombre de ces derniers. En investissant la sphère publique

londonienne, Keith se confronte aux diverses interprétations qui y sont données de la

notion d’orthodoxie et acquiert une légitimité en tant que défenseur de l’Église établie.

En dépit de sa carrière dans l’hétérodoxie, l’Église anglicane perçoit la conversion de

Keith comme un catalyseur pour sa politique de réforme spirituelle envers les

dissidents.

La conclusion du parcours d’un évangélisateur

16 Pendant le règne de Guillaume III, l’Église d’Angleterre soutient la création de

nombreuses Sociétés évangélisatrices en charge de cette réforme spirituelle. L’État et

l’épiscopat fondent ainsi en 1691 la Société pour la Réforme des Mœurs (Society for theReformation of Manners) et, en 1698, la Société pour la Propagation du Savoir Chrétien

(Society  for  Promoting  Christian  Knowledge, SPCK). Ces structures avaient pour but non

seulement de moraliser la société anglaise, mais aussi d’étendre et de consolider le

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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territoire spirituel de l’anglicanisme. Avec l’extension du territoire britannique vers les

colonies américaines, il apparaît nécessaire aux instances décisionnelles de la SPCK de

renforcer la présence anglicane dans les colonies. En 1700, une branche de la Société est

créée spécifiquement pour la « propagation   évangélique   à   l’étranger » (Society   for   thePropagation  of   the  Gospel   in  Foreign  Parts,  SPG). La SPG a pour objectif de pallier la

destitution spirituelle dans laquelle se trouveraient les colons britanniques et de

contrer l’influence néfaste de ‘divers  Romish  Priests  and  Jesuits’18. Comme souvent, ces

termes désignent autant les catholiques et les jésuites que les autres confessions

chrétiennes auxquelles l’Église anglicane est confrontée. En fait, les quakers sont la

première cible identifiée par les membres de la SPG du fait de leur mainmise sur la

Pennsylvanie et de leur présence dans les colonies du New Jersey, du Rhode Island et de

la Virginie. Dès la première réunion de la Société, son secrétaire, Thomas Bray,

présente George Keith comme le missionnaire idéal pour contrer l’influence des

quakers. Le révérend Keith se voit donc confier la première mission au nom de la SPG

dans les colonies américaines. Entre juin 1702 et mai 1704, il recense les besoins

ecclésiastiques, littéraires et immobiliers des anglicans depuis le Massachussetts

jusqu’à la Virginie. Il s’efforcera avant tout de convertir le plus grand nombre « d’âmes

égarées », réalisant ainsi la tâche évangélisatrice qu’il disait lui incomber depuis sa

conversion. Il prêche dans chacune des villes et des communautés qu’il traverse,

revient vers ses anciens partisans, et attaque à nouveau les prédicateurs puritains de

Nouvelle-Angleterre et les quakers. Keith recense dans le journal de sa mission pour la

SPG le détail de ses victoires spirituelles19.

17 La mission de Keith, dernier acte marquant de son parcours religieux, symbolise le fait

qu’il envisage la pratique religieuse comme un mouvement spirituel continu.

L’engagement religieux s’est en effet traduit à tout moment de son parcours religieux

par une mobilité géographique. Contrairement à la rectitude du voyage spirituel qu’il

décrivait dans le pamphlet où il justifiait sa conversion à l’anglicanisme, il s’illustre

dans l’orthodoxie anglicane comme un missionnaire engagé dans les méandres des

pratiques religieuses coloniales. De fait, son obtention d’une cure dans le Sussex à son

retour de mission signifie son désengagement progressif des controverses religieuses,

et cette sédentarisation marque la fin de son parcours d’évangélisateur. Keith a

toutefois considéré l’évangélisation comme le moyen le plus efficace de diffuser le

message orthodoxe de l’Église établie. En faisant entrer des livres qu’il juge essentiels

dans les bibliothèques récentes des principales métropoles coloniales, et en dressant la

cartographie des besoins ecclésiastiques des colons anglicans, Keith esquisse une

stratégie spatiale pour remédier au faible rayonnement de l’anglicanisme dans ces

nouveaux territoires britanniques20. Cette mission pour le compte de la SPG est

cependant le chant du cygne de l’action évangélisatrice de Keith. Certes, il publiera

quelques pamphlets et sermons pour contrer l’influence des quakers dans sa paroisse

du Sussex, et continuera à assister aux assemblées de la SPCK et de la SPG pendant

quelques temps, mais, comme l’écrit son fidèle éditeur Brabazon Aylmer à sa mort,

pour un homme qui vivait son « voyage spirituel » comme un mouvement continu, un

village comme Edburton était ‘a  poor  remote  place […] so  that  he  was  as   it  were  bury’dalive’21.

18 Absente des études du fait religieux britannique, la figure de Keith illustre pourtant la

fluidité du concept d’orthodoxie entre 1660 et 1700 et l’aisance de la mobilité entre des

confessions aussi antithétiques que le presbytérianisme, le quakerisme et

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l’anglicanisme. En théorisant et en incarnant l’idée que la religion est un « voyage

spirituel », le parcours de Keith permet de rendre compte des défis auxquels l’Église

établie doit faire face, car elle constitue en théorie l’orthodoxie sur un territoire en

constante redéfinition. Cet espace est morcelé géographiquement par la progression

impériale et morcelé théologiquement par les controverses et les tendances liturgiques.

Le combat de Keith pour instaurer une unité théologique sur cet espace morcelé peut

alors devenir une illusion comique, comme dans ce poème satirique rédigé par un

quaker anonyme en 1700 :

Poetick Stories Fab’lously Report,On Heav’n it self the Giants made EffortBut Keith out-does them, his proud Folly ViewThey Feign’d God attack’d, but he the True.Keith nothing Scares, into Black Hell he goes;Thence Stygian Darkness at the Light he throwsBut th’ Light hath still Triumphed over all […]Whilst Baffled Keith, who better Things once knewMay Rave ith’ Dark with his Benighted Crew.22

NOTES

1. George KEITH, The Way to the City of God, Aberdeen, 1678.

2. Pour une définition de la « Lumière Intérieure », voir Jacques TUAL, « Lumière Intérieure et

éducation au XVIIe siècle », Bulletin de la Société d’Études Anglo-Américaines des XVIIe et XVIIIe siècles,vol. 34, no 34, 1992, pp. 9-24.

3. KEITH, City of God, p. 1.

4. La correspondance entre Keith et More est publiée dans Marjorie H. NICOLSON & Sarah

HUTTON (eds.), The Conway Letters: the Correspondence of Anne, Viscountess Conway, Henry More, andtheir Friends, 1642-1684, Oxford: Oxford University Press, 1992.

5. En particulier dans George KEITH, Immediate Revelation [1668], 2nd ed., London, 1675.

6. Ibid., p. 11.

7. ‘By   actual   divisibility   I   understand   Discerptibility,   gross   tearing   or   cutting   one   part   fromanother’ (Henry MORE, Immortality of the Soul, London, 1659, pp. 11-12).

8. KEITH, Immediate Revelation, p. 13.

9. Entre 1689 et 1691, Keith et Mather s’opposent sur la révélation universelle, Mather arguant en

faveur de l’élection et de la grâce. Voir George KEITH, The Pretended Antidote Proved Poison: Or, theTrue Principles of the Christian & Protestant Religion Defended, and the Four Counterfit Defenders thereofDetected and Discovered; the Names of which are James Allen, Joshua Moodey, Samuell Willard and CottonMather, who Call themselves Ministers of the Gospel in Boston, &c., Philadelphia, 1690; Cotton MATHER,

Little Flocks Guarded against Grievous Wolves. An Address into those Parts of New-England which are most

Exposed  unto  Assaults,  from  the  Modern  Teachers  of  the  Misled  Quakers.  In  a  Letter  which  Impartially

Discovers the  Manifold  Heresies  and  Blasphemies,  and   the  Strong  Delusions  of  even   the  most  RefinedQuakerism,  and  thereupon  Demonstrates  the  Truth  of  those  Principles  and  Assertions,  which  are  most

Opposite  thereunto.  With  Just  Reflections  upon  the  Extreme  Ignorance  and  Wickedness,  of  George  Keith,

who is the Seducer that now most Ravines upon the Churches in this Wilderness, Boston, 1691.

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10. Elles condamneront cependant la christologie sur laquelle il s’appuie pour formuler ses

demandes de réforme. Keith réclame en effet que les colons prennent en compte le Christ

historique davantage qu’ils ne le font, ce qui amènera l’Assemblée de Philadelphie à examiner la

possibilité qu’il distingue deux Christ.

11. William PENN, Charter of Privileges for the Province of Pennsylvania, London, 1701, p. 1.

12. William PENN, Some Account of the Province of Pennsylvania in America, London, 1681.

13. George KEITH, The Arraignment of Wordly Philosophy, London, 1694, p. 10.

14. George KEITH, Mr. George Keith’s Reasons for Renouncing Quakerism, and Entring into Communion

with the Church of England, London & Westminster, 1700, p. 31.

15. Ibid., p. 3.

16. Samuel Young publie lors de la controverse keithienne sous les pseudonymes de ‘Trepidantium

Malleus’ et ‘Calvin Philanax’. Voir notamment Trepidantium Malleus, A Reprimand for the Author of aLibel Entitled George Keith an Apostate, Written by a Church-Man, London, 1697.

17. Trepidantium Malleus, A Sober Reply to a Serious Enquiry. Or, an Answer to a Reformed Quaker inVindication  of  Himself,  Mr.  G.  Keith  and  Others,  for  their  Conformity  to  the  Church  of  England,  againstwhat I have Written on that Subject, London, 1700, p. 1.

18. Charter of  Incorporation of the Society for the Propagation of  the Gospel in Foreign Parts, London,

1701.

19. George KEITH, A  Journal  of  Travels  from  New-Hampshire  to  Caratuck,  on  the  Continent  of  North-

America, London, 1706.

20. Voir les archives de la SPG, Rhodes House, Bodleian Library of Commonwealth and African

Studies, Oxford.

21. The Will of George Keith, London, 1716, p. 3.

22. ANON., In Georgeium Keithium Caledonium Apostatam Epigramma, London, 1700.

RÉSUMÉS

Tel G. K. Chesterton, George Keith (1639-1716) donne à voir, du fait de ses conversions, la fluidité

de la notion d’« orthodoxie » dans le monde britannique. Penseur du quakerisme dans l’Écosse de

la Restauration caractérisée par la confrontation entre presbytériens et épiscopaliens, l’auteur

définit la voie vers la révélation religieuse comme un voyage spirituel. Cet article se propose

justement d’examiner ce voyage spirituel mouvementé en analysant à la fois sa mobilité

religieuse (du quakerisme à l’anglicanisme), sa mobilité géographique (de la métropole

britannique aux colonies américaines) ainsi que sa mobilité intellectuelle qui l’amène à côtoyer

des penseurs aussi influents que William Penn, Henry More ou Gilbert Burnet. Au travers de

l’exemple de cette figure marginale, se dessine la complexité d’un monde britannique qui, à la fin

du XVIIe siècle, connaît une expansion géographique inédite tout en étant également le théâtre

d’une recomposition de son paysage religieux, aux marges comme au centre.

Not unlike G. K. Chesterton, George Keith (1639-1716)’s conversions allow us in this paper to

demonstrate how fluid the concept of ‘orthodoxy’ was in the English-speaking world. A Quaker

thinker and writer, the Scot converted to Quakerism after the Restoration, at a time when

Scotland was divided by the conflict between Presbyterians and Episcopalians. He justified this

choice by defining religious revelation as a ‘spiritual travel’. This paper examines his own

tormented spiritual travel, showing the superposition of his religious mobility (from Quakerism

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to Anglicanism) to his geographical mobility (from Britain to the American colonies and back), to

which is added his intellectual mobility, which brought him into the circles of influential

thinkers such as William Penn, Henry More or Gilbert Burnet. Keith, a marginal figure, therefore

exemplifies the complexity of the British world which underwent, at the turn of the seventeenth

century, a spatial redefinition due to its expansion in the New World and a reshaping of its

religious landscape from the centre to the margins.

AUTEUR

LOUISIANE FERLIER

Université Paris Diderot-Paris 7

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Daniel Defoe, un dissident au servicede l’orthodoxie protestanteDaniel Defoe, a Dissenter Vindicating Protestant Orthodoxy

Yannick Deschamps

1 Dans un article intitulé ‘Defoe’s Religious Sect’, John Robert More cherche à déterminer

la confession – ou la « secte », selon l’expression utilisée par Voltaire dans ses Lettres

philosophiques (1734)1 – de Daniel Defoe. Ce dernier est-il quaker, baptiste, indépendant

ou presbytérien ? Après avoir envisagé avec sérieux chacune de ces hypothèses, More

se prononce clairement en faveur de la dernière : Defoe est presbytérien, point de vue

qui fait aujourd’hui l’objet d’un consensus. More prend à juste titre pour acquis que

Defoe est un dissident protestant, en d’autres termes que, nonobstant son obédience

protestante, il se situe en marge de l’Église établie d’Angleterre2. De fait, s’il est discret

sur son presbytérianisme, Defoe, dans ses nombreux écrits, fait souvent allusion à son

statut de dissident. Il le revendique, et se fait même volontiers le porte-parole de ses

coreligionnaires3. Il remplit ce rôle avec constance jusqu’à la fin du règne d’Anne

(1702-1714), pendant lequel la « haute Église » (high Church) est très active, et constitue

une menace sérieuse pour les dissidents. Par la suite, il tend toutefois à le délaisser

pour endosser celui de défenseur de l’orthodoxie protestante. Ceci ne signifie pas que

Defoe s’éloigne de ses racines dissidentes, ni qu’il fait allégeance à l’Église établie. Celle-

ci ne possède pas à ses yeux le monopole de l’orthodoxie. Cependant, les dissidents n’en

sont pas non plus les uniques détenteurs. Si l’Église anglicane et les Églises dissidentes

comptent de nombreux fidèles dont la foi est conforme à l’orthodoxie protestante, elles

abritent chacune en leur sein des brebis égarées coupables d’hétérodoxie. Le déisme,

l’arianisme, et même l’athéisme détournent un nombre toujours plus grand de fidèles

de la foi protestante authentique. Defoe met donc le contentieux entre anglicans et

dissidents sous le boisseau. L’heure est à l’union des protestants face à la montée des

croyances hétérodoxes. C’est à l’intention de tous les protestants, et non de ses seuls

coreligionnaires dissidents, qu’il rédige ses manuels d’instruction religieuse The Family

Instructor (1715) et The New Family Instructor (1727) :

In the pursuit of this Book [The Family Instructor] care is taken to avoid Distinctionsof Opinion, as to Church of England or Dissenter, and no Offence can be taken here

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either on the one side or the other; as I hope both are Christians, so both are treatedhere as such, and the Advice is impartially directed to  both without the leastDistinction.4

2 Dans The Family   Instructor, Defoe expose sa vision du protestantisme. Dans The  New

Family   Instructor, il s’applique à discréditer les croyances qui menacent la foi

protestante : non seulement le catholicisme et le judaïsme, mais surtout le déisme,

l’arianisme et l’athéisme. Il s’attelle également à cette tâche dans son traité

démonologique, The  Political  History  of  the  Devil (1726). Même si, dans The  New  Family

Instructor, Defoe consacre davantage de pages à pourfendre l’adversaire catholique

traditionnel, sa principale cible est sans conteste l’arianisme, sur lequel se clôt

l’ouvrage. De fait, c’est parmi les dissidents et, plus encore, parmi les presbytériens – la

propre famille religieuse de Defoe – que cette hérésie connaît le plus vif succès5.

Confronté à la division grandissante de ses coreligionnaires entre orthodoxes et

antitrinitaires, ou « rationnels », Defoe se doit d’intervenir. Il le fait à une période

cruciale de l’histoire des dissidents et des presbytériens ; alors que se met en place un

processus qui, à terme, conduira leur mouvement vers l’unitarisme6. Nous verrons tout

d’abord quels sont les principaux principes protestants défendus par Defoe, et quelle

est sa conception de l’orthodoxie. Nous nous pencherons ensuite sur son réquisitoire

contre les croyances hétérodoxes. Ce faisant, nous constaterons que la ligne de

démarcation entre orthodoxie et hétérodoxie telle qu’elle est établie par Defoe ne

recoupe en aucune manière le clivage entre anglicans et dissidents. Enfin, nous

montrerons que la conception de l’orthodoxie défendue par Defoe peut s’expliquer par

son attachement à une forme de presbytérianisme associée à Samuel Annesley.

Une profession de foi protestante

3 Dans son premier manuel d’instruction religieuse, The  Family  Instructor (1715), Defoe

expose les grands principes qui guident sa foi protestante. Ceux-ci sont énoncés, entre

autres, au cours d’un dialogue entre un père, dont le nom n’est pas donné, et son jeune

fils Thomas. Le père commence par affirmer l’existence de Dieu, dont il énumère les

attributs : ‘God is ONE, infinite, eternal, incomprehensible, invisible BEING, the first Cause of allthings ;  the  Giver  of  Life  and  Being  to  all  things;  existing  prior,  and  therefore  superior  to  allthings, infinitely perfect, great, holy, just, wise, and good’7. Il insiste sur le fait que Dieu est le

créateur de toute chose et, par conséquent, de Tommy. Est ensuite traitée la question

du péché originel. Tommy, au même titre que l’ensemble de l’humanité, est responsable

de la faute commise par Adam et Ève8. Il est corrompu et naturellement enclin à faire le

mal, comme il le reconnaît d’ailleurs lui-même : ‘I begin to understand […] That I am bornwith a Wicked Heart’9. De la doctrine du péché originel, le père de Tommy passe à celle de

la rédemption. Ce faisant, il évoque les mystères de l’Incarnation et de la Résurrection,

et souligne la divinité du Christ et sa consubstantialité avec le Père : ‘Jesus Christ  isessentially God, tho’ in a second Person; he is God co-equal, co-eternal, that is, the same in Being,Nature  and  Attributes;  God manifested in the flesh,   sent from  Heaven   to   redeem  a   lostWorld’10. Il aborde ensuite le rôle de l’Esprit-Saint, ce qui le conduit naturellement à la

doctrine de la Trinité : ‘The Godhead is received and understood by us in Three Persons, theFather, the Son, and the Spirit, and these Three are one God, the Maker and Judge of all’11. Par

ailleurs, le père de Tommy accorde une place importante aux notions d’élection, de

réprobation et de grâce, et défend sans réserve le dogme de la prédestination : ‘We

cannot say all are Saved […] all those who are Saved, are so Saved […] by the Satisfaction of the

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Blessed Redeemer, being chosen from Eternity by the meer Grace and Good-will of God’12. Cette

leçon de catéchisme inclut également la doctrine de la conversion spirituelle, ou

régénération. Indispensable au salut, celle-ci est accordée par la grâce divine aux seuls

élus13.

4 En soulignant, dans sa défense de la Trinité, l’égalité et la consubstantialité entre le

Père et le Fils, Defoe dénonce en creux l’arianisme, selon lequel le Fils est subordonné

au Père, qui l’a créé. De fait, ce mouvement né au IVe siècle connaît, après une longue

éclipse, un renouveau spectaculaire en Grande-Bretagne dans la première moitié du

XVIIIe siècle. Si les convictions ariennes de Newton restent secrètes, ses amis anglicans

William Whiston et Samuel Clarke, considéré comme le plus grand philosophe anglais

du début du XVIIIe siècle après Locke, les consignent dans des traités qui donnent lieu à

de vives controverses (même si Clarke rejette l’accusation d’arianisme). Whiston et

Clarke font des émules au sein de l’Église établie, mais l’arianisme se propage

également au sein des Églises dissidentes. L’un de ses plus farouches partisans est sans

conteste le ministre presbytérien Thomas Emlyn (bien qu’il préfère se définir comme

unitarien). En revanche, cette hérésie est énergiquement combattue par le théologien

anglican Daniel Waterland et par son homologue dissident Edmund Calamy, qui la

pourfend dans treize sermons14.

5 Par ailleurs, en mettant l’accent sur le dogme de la prédestination, souvent absent des

catéchismes15, Defoe exprime son attachement au calvinisme remis en cause par les

disciples d’Arminius. Les dissidents comme les anglicans sont officiellement calvinistes,

et nombre d’entre eux le sont effectivement. Toutefois, depuis le XVIIe siècle,

l’arminianisme a gagné du terrain, non seulement au sein de l’Église anglicane, mais

également des Églises dissidentes. Introduit dans la première sous William Laud et

surtout présent, initialement, au sein de la « haute Église », il compte également des

partisans, au début du XVIIIe siècle, parmi les membres de la « basse Église » ( low

Church), à commencer par l’évêque de Bangor, Benjamin Hoadly. L’arminianisme

rencontre aussi un certain succès auprès des dissidents. Certes, les indépendants, à

l’instar de Stephen Lobb ou de John Guyse, restent le plus souvent fidèles au calvinisme.

Cependant, dans le sillage de Richard Baxter qui, le premier, avait émis des réserves à

l’égard de la doctrine calviniste de la prédestination, et dessiné une « voie moyenne »,

nombreux sont les presbytériens de la génération suivante qui se tournent vers

l’arminianisme. Tel est par exemple le cas de Daniel Williams ou de Samuel Chandler.

L’orthodoxie calviniste conserve toutefois nombre de représentants, à l’image de

l’exégète Henry Matthew ou de Daniel Wilcox qui, en 1716, se sépare de son assistant

Henry Read, coupable d’avoir embrassé les thèses arminiennes16.

Réquisitoires contre le catholicisme romain et lejudaïsme

6 Dans The  New  Family   Instructor (1727), Defoe dénonce les croyances qu’il tient pour

hétérodoxes de manière plus directe. Il commence par fustiger l’ennemi traditionnel, le

catholicisme romain. L’une des stratégies qu’il utilise pour le discréditer consiste à

remettre en cause l’autorité de son chef spirituel, le pape, et à contester sa suprématie.

L’évêque de Rome ne doit son titre d’évêque universel qu’à un arrangement scélérat

conclu en 590 entre Grégoire le Grand et le centurion romain Phocas. Ces deux hommes

ont un ennemi commun, l’empereur Maurice, qui occupe la place convoitée par Phocas,

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et refuse d’octroyer le titre d’évêque universel à Grégoire. Phocas assassine Maurice et

se proclame empereur à sa place. Grégoire reconnaît alors Phocas comme empereur

légitime, et ce dernier, en contrepartie, confère le titre d’évêque universel à l’évêque de

Rome – non pas à Grégoire lui-même, mais à son successeur, Boniface III. Le statut du

pape en tant qu’évêque universel repose donc sur un assassinat et une usurpation, qui

signent l’acte de naissance de l’Église catholique romaine au détriment de la véritable

Église chrétienne17. Il est donc vain d’invoquer une succession apostolique

ininterrompue remontant à l’apôtre Pierre. Le siège papal est parfois resté vacant. À

d’autres moments, plusieurs hommes l’ont occupé en même temps18. Par ailleurs, Defoe

raille la prétention des papes à l’infaillibilité, et accuse nombre d’entre eux

d’immoralité19. La liste de ces papes indignes est longue ; celle de leurs turpitudes l’est

davantage encore. Nous nous contenterons ici de rapporter les propos de Defoe sur

Alexandre VI (1492-1503): ‘Alexander VI […]  was  a  Poisoner,  a  Murtherer,  an  Adulterer,

insatiably   Avaritious;   and,   as   one   Author,   says   of   him,   an Universal Villain’ 20. Pour

discréditer le papisme, rien de tel que de mettre le doigt sur les errements des papes :

‘Tis enough to make any body sick not of Popes only, but of Popery too’21.

7 De même, selon Defoe, certains saints catholiques ont mené une existence peu

édifiante, à l’instar de saint Marc d’Aréthuse, coupable d’arianisme, de saint Thomas

Becket, convaincu de rébellion, ou du régicide saint Jacques Clément22. D’autres ont été

inventés de toutes pièces. Defoe se moque des saints catholiques, de leur exaltation, et

des prétendus miracles qui leur sont attribués. Ses deux cibles préférées sont saint

Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus, et saint François d’Assise, présenté comme

un exalté qui se prend pour le Christ, notamment lorsqu’à l’image de ce dernier, il

arbore cinq plaies. Seuls le Christ, ses apôtres et certains Pères de l’Église primitive ont

accompli des miracles. Les vies des saints ont été enjolivées par des moines afin de

fabriquer des légendes susceptibles d’impressionner les fidèles. Ces « légendes

romaines » sont devenues synonymes de mensonges23. Par ailleurs, les saints ne doivent

pas faire l’objet d’une quelconque vénération. Defoe dénonce leur culte, ainsi que celui

de leurs images et de leurs reliques. Les prières d’intercession aux saints sont

blasphématoires, y compris celles qui sont adressées à la Vierge Marie, puisque le seul

médiateur entre l’homme et Dieu est le Christ24.

8 Defoe condamne en outre avec force la pratique des indulgences papales. Le pape n’a

pas le pouvoir de pardonner nos péchés, et encore moins de les remettre à l’avance, ce

qui est pratiquement une incitation à les commettre. Seul Dieu peut absoudre le

pécheur25. D’après Defoe, le pape Léon X a vendu des indulgences pour subvenir aux

besoins de ses enfants illégitimes, avant que Martin Luther ne dénonce cette

supercherie26. Certains catholiques ont dépensé des sommes prodigieuses et se sont

parfois séparés de leurs domaines pour acheter ces indulgences. D’autres –

apparemment inconscients du paradoxe de leur geste – ont volé afin de pouvoir en

acquérir : ‘It made Wives rob their Husbands, and Children their Fathers; nay, it made Fathersand Mothers strip their Families, for who would not rob and steal to buy themselves out of theFlames?’27

9 À travers cette critique acerbe du catholicisme romain, Defoe rappelle certains des

principaux traits de l’identité protestante : sa condamnation de la papauté, du culte des

saints et des indulgences ne peut que rencontrer l’approbation de la grande majorité de

ses lecteurs, qu’ils soient anglicans ou dissidents. Seuls les non-jureurs et les membres

les plus intransigeants de la « haute Église », à l’image de William Law ou d’Andrew

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Snape, sont susceptibles d’y trouver un motif d’insatisfaction, à savoir la remise en

cause de la théorie de la succession apostolique ininterrompue des évêques, c’est-à-dire

du droit divin de l’épiscopat, auquel Law, Snape et leurs amis sont particulièrement

attachés28. Pour le reste, Defoe tient des propos très consensuels. Les arguments qu’il

utilise font partie de la panoplie classique des propagandistes protestants, que ceux-ci

appartiennent à l’Église établie ou aux Églises dissidentes. On les retrouve sous la plume

d’auteurs aussi différents que le dissident presbytérien John Billingsley, l’anglican

calviniste John Edwards, les anglicans modérés Isaac Barrow et William Fleetwood, ou

l’ancien catholique récemment converti au protestantisme John Barville29. Defoe

reprend nombre d’arguments utilisés par John Edwards dans The Doctrines Controvertedbetween  Papists  and  Protestants  Particularly  and  Distinctly  Consider’d:  And  Those  which  areHeld by the Former Confuted (1724), en particulier ceux qui concernent la question de la

suprématie et de l’infaillibilité papales, et celle des indulgences. Toutefois, il laisse de

côté certains points abordés par Edwards tels que la doctrine de la transsubstantiation

– qu’il ne fait que mentionner en passant –, le rôle de la messe, la confession

auriculaire, ou encore le célibat du clergé. Ceci reflète la volonté de Defoe d’éviter à ce

stade de son traité d’entrer dans des débats théologiques trop abscons, pour se

concentrer sur les fondamentaux de l’anticatholicisme, plus susceptibles de fédérer ses

lecteurs, notamment en s’attaquant à deux de leurs cibles préférées : les saints

catholiques et les papes. S’agissant de ces derniers, l’anglican William Fleetwood avait

montré l’exemple. Dans A Letter to the Reverend Dr. Snape (1718), il n’avait pas ménagé ses

sarcasmes à l’égard de la papauté, produisant une liste commentée des « vice-gérants

du Christ » depuis saint Pierre jusqu’à Léon X (1513-1521) censée prouver – non sans

ironie – leur infaillibilité et leur exemplarité. En témoigne, par exemple, ce portrait de

Jean XIII (965-972) :

John XIII […] Was accused in a Synod before the Emperor Otho, for having put outthe Eyes of some of his Cardinals, plucking out the Tongues of others, cutting offthe Hands, Feet, Fingers, Noses, and Genitals of others: for ordaining Deacons (toperpetuate our Succession) in a Stable, for making Boys Bishops for Money, forravishing both Virgins and Pilgrims, and lastly for calling upon the Devil forAssistance at Dice, and drinking to his Health.30 

10 Le pape Séverin (638-640) n’est que l’exception qui confirme la règle : ‘Severinus […] was

a pious charitable Man, but a bad Pope; for he not only did nothing to enlarge the Power of theChurch, but even sacrilegiously permitted its Treasures to be diminished’31. Le contenu de ces

vignettes est proche de celui des portraits brossés par Defoe. Mais ce dernier s’abstient

de tout humour pour mieux souligner la noirceur des papes et susciter l’indignation de

ses lecteurs. C’est également leur indignation que Defoe cherche à provoquer lorsqu’il

évoque le sordide accord entre Grégoire le Grand et Phocas qui débouche sur l’octroi de

la suprématie papale. Sur ce point précis, les autres auteurs protestants proposent

toutefois une version différente de celle de Defoe. L’accord concernant la suprématie

romaine n’aurait pas été conclu entre Grégoire et Phocas, mais entre ce dernier et

Boniface III. De plus, Boniface III n’aurait fait que reconnaître l’accession de Phocas à la

tête de l’Empire consécutive à l’assassinat de Maurice ; il n’y aurait pas eu de complot

entre les deux hommes32. Mais peu importe ici l’exactitude historique : l’essentiel pour

Defoe est de susciter par sa rhétorique antipapiste une approbation qu’il pourra ensuite

exploiter lorsqu’il abordera avec ses lecteurs des sujets moins consensuels. Après avoir

concentré les feux de sa rhétorique sur l’ennemi traditionnel papiste, il s’applique –

beaucoup plus brièvement – à mettre en évidence les errements du judaïsme.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

87

11 D’après Defoe, les juifs commettent l’erreur de ne pas se rendre compte que le Christ

est le Messie qu’ils attendent. En cela, ils vont à l’encontre de la Bible, qui annonce

clairement la venue du Messie à l’époque du Christ. Toutes les prophéties concordent

sur ce point. Par conséquent, si les juifs nient que le Christ est le Messie, ils doivent

aussi récuser toute autorité à leurs prophètes. Ils ont également tort lorsqu’ils

considèrent que le Messie a différé son avènement en raison de leurs péchés, car Dieu,

qui est omniscient, savait à l’avance comment ils se comporteraient33. À l’image du

ministre anglican George Stanhope ou du non-jureur Charles Leslie, Defoe se livre à une

critique exclusivement religieuse du judaïsme34. Il n’exprime aucun préjugé antisémite,

à la différence, par exemple, de John Grindley, qui accuse les juifs d’égoïsme et de

cupidité35.

Le déisme et l’arianisme au pilori

12 La cible suivante de Defoe dans sa croisade contre les croyances hétérodoxes est le

déisme, qu’il associe au scepticisme et à la libre-pensée. Les déistes, explique-t-il, ne

nient pas l’existence de Dieu. À leurs yeux, celui-ci est infiniment bon, clément et

bienveillant ; il n’éprouve aucun ressentiment, aucune colère ; il ne punit pas, ne se

venge pas ; l’enfer n’existe pas. À cela, Defoe répond que si Dieu est infiniment bon,

saint, et pur, il ne peut considérer le péché, qui est par nature corrompu et impur, sans

ressentiment, ni déplaisir. Sinon, il ne serait pas juste36. Pour étayer sa position, Defoe

se fonde sur l’Écriture, qui établit que l’impiété et l’iniquité provoquent le courroux de

Dieu37. Celle-ci rapporte d’ailleurs de nombreux actes de vengeance divine sur des

pécheurs, dont la destruction de Jérusalem annoncée par le Christ38. Defoe ajoute que,

même aujourd’hui, Dieu intervient souvent dans les affaires du monde pour punir ceux

qui ont péché. Il en donne de nombreux exemples, dont le suivant : ‘Here was one, theother  Day,   that  affirming  a  Thing  he  knew   to  be   false,  wish’d  he  might  drop  down  deadimmediately if it was not true, and immediately he sunk down and died, having only Time toacknowledge that he had lyed, and that God was just’39. Ainsi, aux déistes qui se targuent

d’argumenter conformément à la raison, Defoe oppose, d’une part, la force de la

Révélation et, d’autre part, la réalité des faits qui, à ses yeux, l’emporte sur la

conformité formelle à la raison : ‘To  argue  against  Reason   is  unreasonable ,  but  to  argueagainst   Fact   is   impracticable’40. Contrairement à ce que prétendent les déistes, la

Révélation est fondée sur des bases solides et inattaquables. L’Écriture porte le sceau de

l’autorité divine :

It is GOD and not Man, who speaks throughout the whole Book, and who was thefirst true Author of it: One immediately sees the Stamp of his Divine Authority uponevery Part of it; there is surprizing Majesty and Greatness in every Word; itcaptivates the Mind, and gives the Soul such an Elevation of Thought, as cannot befound in any other Writings.41

13 Trois raisons montrent que la Bible est bien la Parole de Dieu : la connaissance de Dieu

qu’elle nous transmet ; la connaissance de nous-mêmes qu’elle nous communique ; et

surtout, l’accomplissement des prophéties. Dieu seul connaît l’avenir. C’est donc lui qui

l’a révélé aux prophètes pour qu’ils informent le monde de ses desseins42.

14 Defoe réagit ici aux thèses d’auteurs déistes tels que John Toland, Anthony Collins, ou

William Wollaston, qui menacent l’orthodoxie protestante, dans un esprit didactique

plutôt que polémique. Il ne s’agit pas pour lui de faire assaut d’érudition ou de porter

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l’estocade à tel ou tel polémiste rival, mais de montrer comment le déisme bafoue

certains grands principes du protestantisme, et de prouver leur bien-fondé. En

réaffirmant le rôle de la Providence, le statut de la Bible comme réceptacle de la parole

divine, ou l’exactitude des prophéties, il défend certaines de ses convictions les plus

profondément ancrées, qui irriguent d’ailleurs nombre des œuvres qu’il compose au

cours des années 1720. Pour contrecarrer le rationalisme des déistes, Defoe s’appuie à la

fois sur la Révélation et sur l’expérience. Il prend ses distances avec la raison, dont il

s’était naguère réclamé pour combattre « l’enthousiasme » de certains sectateurs. Mais

la donne a changé, puisque la notion d’enthousiasme a été redéfinie par les déistes et

autres rationalistes pour stigmatiser les tenants inflexibles de l’orthodoxie protestante.

En pourfendant le déisme, Defoe fait cause commune avec des protestants de

sensibilités très différentes, puisque ceux-ci incluent notamment les ministres

dissidents Theophilus Lobb et Isaac Watts, le recteur anglican Benjamin Bayly, et le

flamboyant polémiste non-jureur Charles Leslie, qui réaffirme avec force l’autorité

divine de l’Écriture dans A Short and Easie Method with the Deists (1698)43.

15 Après les catholiques romains, les juifs et les déistes, Defoe, dans sa campagne contre

les croyances hétérodoxes, a une dernière cible : l’antitrinitarisme, en particulier

l’arianisme. Contrairement aux déistes, les ariens, les sociniens et autres

antitrinitariens ne nient pas l’autorité divine des Écritures, mais ils en détournent le

sens par leurs interprétations erronées. Face à ces errements exégétiques, Defoe

affirme la divinité du Christ et sa consubstantialité avec le Père. Le Christ, explique-t-il,

se présente lui-même comme le Fils de Dieu dans deux passages de l’évangile selon

saint Jean (Jean 5:18, Jean 10:33). Or, contrairement à ce que prétendent les ariens, être

le Fils de Dieu revient à être soi-même Dieu. Le Père et le Fils ne portent-ils pas tous les

deux le nom de Jéhovah ? Les termes « Dieu » et « Fils de Dieu » n’impliquent pas de

subordination du second au premier. D’ailleurs, lorsqu’il affirme que son Père et lui

« ne font qu’un » (Jean 10:30), le Christ indique que son Père et lui sont égaux. Ils ont la

même essence et la même substance. Certes, le Christ déclare lors de la Passion que son

père est « plus grand que [lui] » (Jean 10: 29, Jean 14:28), mais il s’exprime alors en tant

que médiateur, pendant son humiliation. La subordination dont il est question à ce

moment-là concerne sa fonction, et non sa personne. Ceci reflète la double nature du

Christ : à la fois divine et humaine. Le Christ, dans sa nature divine, a existé de toute

éternité avec le Père et le Saint-Esprit44. Defoe réaffirme avec force le dogme de la

Trinité. À l’appui de cette doctrine, il invoque un passage controversé de la première

épître de saint Jean : « Car il y en a trois dans le Ciel qui rendent témoignage: le Père, la Parole,et   le   Saint-Esprit ;   et   ces   trois-là   ne   sont   qu’un » (1 Jean 5:7). Defoe reconnaît que

l’authenticité de ce verset est contestée par certains exégètes. Mais il la défend avec

fermeté, et remet en cause la sincérité de ceux qui la récusent. En tout état de cause, il

observe que le dogme de la Trinité est attesté par d’autres passages de l’Écriture, en

particulier Jean 10:3345.

16 Les arguments de Defoe sont adaptés aux sociniens et aux ariens, mais ils visent sans

doute davantage les seconds, dans la mesure où il ne se borne pas à démontrer la

divinité du Christ (que contestent les sociniens), mais s’applique également à prouver

que le Père et le Fils sont égaux et consubstantiels (ce que nient les ariens). De fait, les

écrits de Thomas Emlyn, comme ceux de William Whiston et de Samuel Clarke,

trouvent un écho favorable au sein de l’Académie dissidente d’Exeter où, au printemps

1718, l’arianisme se répand comme une traînée de poudre. Des étudiants et plusieurs

ministres, dont le presbytérien James Pierce, embrassent l’hérésie. Sommés de

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souscrire à une déclaration condamnant l’arianisme, les ministres incriminés refusent

de s’exécuter. L’affaire est portée à la connaissance des ministres dissidents londoniens,

qui se réunissent à Salters’s Hall en février 1719 pour en débattre. À cette occasion, une

courte majorité des ministres présents estime qu’il est inutile de demander à leurs

collègues d’Exeter de souscrire à une déclaration en faveur de la Trinité46. Les membres

de cette majorité, composée en grande partie de ministres presbytériens, expliquent

que leur vote négatif ne vise pas le contenu de la déclaration, mais le fait de se la voir

imposer. Toutefois, dans un pamphlet intitulé Some  Remarks  upon  the  Late  Differences

among  the  Dissenting  Ministers  and  Preachers  (1719), Defoe exprime des doutes quant à

leur bonne foi. Il regrette que les partisans de la déclaration en faveur de la Trinité ne

l’aient pas emporté, et accuse James Pierce de promouvoir l’arianisme47. Defoe

condamne en outre cette hérésie dans The Political History of the Devil (1726), reprochant

notamment à Milton de l’avoir introduite au cœur de l’intrigue de Paradise Lost : The Plot is wrong laid […] because contradicted by the Scripture account, accordingto which Christ was declared in Heaven, not then, but from Eternity, and notdeclared with power, but on Earth […] so that Mr. Milton is not orthodox in thispart, but lays an avow’d foundation for the corrupt Doctrine of Arius, which says,there was a time when Christ was not the Son of GOD.48

17 Dans A  New  Family  Instructor, Defoe rejette méthodiquement les différents arguments

des ariens, et se fait pédagogue pour rendre accessible à un large public le débat

complexe sur la Trinité et les thèses de Daniel Waterland et d’Edmund Calamy qui la

défendent49, même s’il fait occasionnellement montre de son érudition, en particulier

lorsque, dans la lignée de David Martin, théologien protestant français réfugié à

Utrecht50, il s’efforce d’établir l’authenticité de 1 Jean 5:7 contestée par Thomas

Emlyn51.

18 Ainsi, dans sa défense de l’orthodoxie protestante, Defoe justifie l’existence de Dieu

(contre les athées), l’autorité divine de la Bible (contre les déistes), le dogme de la

Trinité (contre les sociniens et, surtout, les ariens), et la doctrine de la prédestination

(contre les arminiens). En ce qui concerne ces deux derniers points, sa position est loin

d’être consensuelle parmi les dissidents. Elle l’est encore moins parmi les

presbytériens, puisque c’est parmi eux que l’arminianisme et l’arianisme sont le plus

répandus.

Héritier de Samuel Annesley

19 Pour comprendre la position de Defoe, il est nécessaire de prendre en compte son

éducation religieuse et la situation des presbytériens dans les années 1670. Au cours de

cette décennie, ceux-ci se divisent en deux branches : les « Professeurs » (Dons) et les

« Canetons » (Ducklings). Les premiers comptent dans leurs rangs des figures telles que

Richard Baxter, William Bates ou John Howe, éminents théologiens censés être quelque

peu condescendants à l’égard de leurs plus jeunes collègues, les « Canetons ». Les

positions défendues par les « Professeurs » sont modérées, plutôt conservatrices. À

l’inverse, les « Canetons », dont les principaux représentants sont Samuel Annesley,

Thomas Vincent et Thomas Watson, expriment des points de vue relativement

radicaux, souvent proches de ceux des indépendants. Le principal contentieux entre les

deux branches du presbytérianisme porte sur l’attitude à adopter face à l’Église

d’Angleterre : les « Professeurs » sont favorables à une réunification (comprehension)

avec l’Église anglicane, tandis que les « Canetons », qui y sont hostiles, aspirent à une

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tolérance, dont ils bénéficieraient au même titre que les indépendants. Toutefois, ces

deux familles presbytériennes divergent également sur le plan du dogme. Les

« Professeurs » prennent leurs distances par rapport à l’orthodoxie calviniste. Baxter

défend une « voie moyenne »entre prédestination et libre arbitre, et nombre de ses

successeurs opteront pour l’arminianisme, avant, dans certains cas, d’embrasser

l’arianisme. En revanche, les « Canetons », à l’image des indépendants, s’inscrivent

dans la tradition calviniste, et souscrivent à la doctrine de la prédestination ; ils sont en

outre très attachés à celle de la Trinité52. En tant que presbytérien, Defoe est

directement concerné par le clivage entre « Professeurs » et « Canetons ». Il se trouve

que le pasteur de ses parents n’est autre que Samuel Annesley, principale figure des

seconds. Par ailleurs, l’école où Defoe est envoyé, l’Académie de Charles Morton, à

Newington Green, est essentiellement fréquentée par des « Canetons » (et par des

indépendants)53. Ainsi, tout naturellement, Defoe embrasse les opinions de Samuel

Annesley et de ses disciples : d’où son attachement à un calvinisme traditionnel,

trinitaire et prédestinataire.

Conclusion

20 Après avoir été le porte-parole officieux des dissidents pendant plus d’une décennie,

Defoe, vers le milieu des années 1710, s’érige en défenseur de l’orthodoxie protestante.

Dans The Family Instructor, il expose sa vision du protestantisme, et défend les doctrines

de la Trinité et de la prédestination face à la montée des croyances hétérodoxes. Dans

The  New  Family   Instructor, il s’attaque à ces dernières de manière plus directe. S’il

commence par fustiger le catholicisme romain et le judaïsme, il dénonce ensuite avec

force le déisme et l’antitrinitarisme sous ses différentes formes. Le principal objectif de

Defoe est de faire pièce à l’arianisme. Alors même que cette hérésie n’épargne pas

l’Église d’Angleterre, elle semble rencontrer un écho plus favorable encore au sein des

Églises dissidentes, en particulier parmi ses coreligionnaires presbytériens, comme le

montrent l’affaire d’Exeter et la rencontre de Salters’  Hall. Defoe est donc inquiet. À

juste titre : dans les années qui suivront, l’arianisme gagnera du terrain parmi les

dissidents, qui, pour certains d’entre eux, évolueront ensuite vers l’unitarisme.

21 Dans la préface de ses treize sermons sur la Trinité, Edmund Calamy livre l’une des

raisons pour lesquelles il a combattu l’arianisme : ‘I am in hope that these Discourses,

together with a good Number of Tracts lately publish’d, may help to prevent its being

hereafter said, that the Dissenters did not at this Time appear against Arianism, when it

so much threaten’d us’54. À l’instar de Calamy, Defoe peut se targuer d’avoir fait tout ce

qui était en son pouvoir pour maintenir les dissidents dans le giron de l’orthodoxie

protestante.

NOTES

1. VOLTAIRE, Lettres philosophiques [1734], Paris : Garnier-Flammarion, 1964, p. 42.

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2. John Robert MORE, ‘Defoe’s Religious Sect’, The Review of English Studies, vol. 17, no 68, octobre

1941, pp. 461-467.

3. Voir, par exemple, Daniel DEFOE, An   Enquiry   into  Occasional   Conformity.   Shewing   that   theDissenters are no Way Concern’d in it, London, 1702, pp. 30-31.

4. Daniel DEFOE, The Family Instructor in Three Parts; I. Relating to Fathers and Children. II. To Masters

and Servants. III. To Husbands and Wives, 2nd ed., London, 1715, p. 3.

5. Maurice WILES, Archetypal  Heresy:  Arianism   through   the  Centuries, Oxford: Oxford University

Press, 1996, p. 135. L’arianisme, ou doctrine d’Arius (256-336), remet en cause le dogme de la

Trinité en postulant que le Fils n’est pas de même nature que le Père et que le premier est

subordonné au second. Toutefois, à la différence du socinianisme, cette doctrine ne nie pas toute

divinité au Fils.

6. Ce processus est examiné dans Russel E. RICHEY, ‘From Puritanism to Unitarianism in England:

A Study in Candour’, Journal of the American Academy of Religion, vol. 41, no 3, septembre 1973, pp.

371-385.

7. DEFOE, Family Instructor, p. 18.

8. Ibid., pp. 21-23.

9. Ibid., p. 27.

10. Ibid., p. 21.

11. Ibid., p. 28.

12. Ibid., pp. 23-24.

13. Ibid., pp. 70, 225, 228, 260, 282.

14. WILES, op. cit., pp. 62-164.

15. Ian GREEN, The  Christian’s  ABC:  Catechisms  and  Catechizing   in  England  c.  1530  –  1740, Oxford:

Clarendon Press, 1996, pp. 350-386.

16. C. Gordon BOLAM, Jeremy GORING et al., The English Presbyterians: From Elizabethan Puritanismto Modern Unitarianism, London: George Allen and Unwin Ltd, 1968, pp. 103-104, 109-110, 117-120,

125, 127, 135-137, 150-155, 166, 168, 180-181.

17. Daniel DEFOE, A New Family Instructor; in Familiar Discourses between a Father and his Children, onthe most Essential Points of the Christian Religion, London, 1727, pp. 48-49, 65, 68-73.

18. Ibid., pp. 93, 127-130. Lors du Grand Schisme d’Occident (1378-1417), deux lignées de papes se

disputent la direction de l’Église catholique, l’une établie à Rome, l’autre en Avignon. Urbain VI

(1378-1389), Boniface IX (1389-1404), Innocent VII (1404-1406) et Grégoire XII (1406-1415)

appartiennent à la première ; Clément VII (1378-1394) et Benoît XIII (1394-1417), à la seconde. À

cela, il faut ajouter que, de 1409 à 1415, les papes Alexandre V (1409-1410) et Jean XXIII

(1410-1415), issus du Concile de Pise (1409) revendiquent également le trône de Pierre. Selon la

tradition catholique, seuls les papes de Rome sont légitimes ; ceux d’Avignon et de Pise sont

qualifiés d’antipapes. L’apparition d’antipapes n’est pas limitée à la période du Schisme

d’Occident : on en recense une trentaine entre le IIIe siècle et le milieu du XVe siècle.

19. Ibid., pp. 46, 60, 71, 97, 112, 136-137, 148, 351.

20. Ibid., p. 136.

21. Ibid., p. 137.

22. En fait, Jacques Clément (1567-1589), moine dominicain ligueur qui assassine le roi Henri III

(et non Henri IV, comme l’écrit Defoe) le 1er août 1589, n’a pas le rang de saint, bien que le pape

Sixte V ait songé à canoniser ce religieux qui, par son geste, avait vengé aux yeux de certains

catholiques l’assassinat du duc de Guise l’année précédente.

23. DEFOE, New Family Instructor, pp. 56-57, 166, 176-182, 187-190, 209.

24. Ibid., pp. 150-151, 155, 160, 162, 186, 222, 228-229.

25. Ibid., pp. 198, 226, 241.

26. Ibid., p. 202.

27. Ibid., p. 205.

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28. Voir, par exemple, Andrew SNAPE, A Letter to the Bishop of Bangor, Occasion’d by his Lordship’sSermon Preach’d before the King at St. James’s, March 31st, 1717, London, 1717, pp. 18-20; William LAW,

The Bishop of Bangor’s Late Sermon and his Letter to Dr. Snape in Defence of it, Answer’d, London, 1717,

pp. 9-16.

29. Voir notamment John BILLINGSLEY, Sermons against Popery, London, 1723, pp. 281-296; John

EDWARDS, The  Doctrines  Controverted   between   Papists   and   Protestants   Particularly   and  Distinctly

Consider’d:  And  Those  which  are  Held  by   the  Former  Confuted, London, 1724; Isaac BARROW, ‘A

Treatise of the Pope’s Supremacy’, in The Works of Isaac Barrow, D. D., 3 vols., London, 1716, vol. 1,

pp. 557-755; [William FLEETWOOD], A Letter to the Reverend Dr. Snape; Wherein the Authority of theChristian  Priesthood   is  Maintain’d;  the  Uninterrupted  Succession  of  Bishops   from  the  Apostles  Days   isLineally Deduced; and the Cavils of Hereticks and Fanaticks are Answer’d, 2nd ed., London, 1718; [John

BARVILLE], An  Account  of  the  Late  Conversion  of  Mr.   John  Barville  Alias  Barton,   from  Popery  to  theReformed Church of England, London, 1710.

30. [FLEETWOOD], op. cit., p. 36.

31. Ibid., p. 27.

32. Voir, par exemple, John HOWE, A  Sermon  Concerning  Union  among  Protestants,  Preached  andPublished  About  Twenty  Years  Ago, London, 1703, pp. 45-46; Gilbert BURNET, The  Royal  Martyr

Lamented, in a Sermon Preached at the Savoy, on King Charles the Martyr’s Day, 1675, London, 1710, pp.

4, 45; [Charles LESLIE], The  Case  Stated,  Between   the  Church  of  Rome  and   the  Church  of  England,

London, 1713, pp. 107-108.

33. DEFOE, New Family Instructor, pp. 274-277, 307-310.

34. George STANHOPE, The Truth and Excellence of the Christian Religion Asserted: Against Jews, Infidelsand  Hereticks, London, 1702; [Charles LESLIE], A  Short  and Easie  Method  with   the   Jews, 3rd ed.,

London, 1715.

35. John GRINDLEY, The Jews Generosity Explain’d, London, [1722], pp. 13, 15.

36. DEFOE, New Family Instructor, pp. 225-256.

37. Ibid., p. 256. Defoe renvoie son lecteur à Romains 1:13, mais il s’agit manifestement d’une

coquille. En fait, le passage auquel il se réfère est Romains 1:18 : « Car la colère de Dieu se révèle[pleinement]  du  Ciel   sur   toute   impiété   et   injustice  des  hommes  qui   retiennent   injustement   la  véritécaptive » (Bible David Martin, 1744).

38. Ibid., pp. 258-259, 264, 265.

39. Ibid., p. 258.

40. Ibid., p. 257.

41. Ibid., p. 260.

42. Ibid., pp. 260-261, 264, 269, 272, 274.

43. Theophilus LOBB, A Discourse on Ministerial Instruction, London, 1712, pp. 40-62 ; Isaac WATTS,

Caveat Against Infidelity, London, [1729], pp. 37-126; Benjamin BAYLAY, The Truth of the ChristianRevelation, Prov’d from the Nature and Greatness of its Miracles; and of the Usefulness and Necessity ofCreeds in General, in Opposition to Deists and Free-Thinkers, London, 1713; [Charles LESLIE], A Shortand Easie Method with the Deists, London, 1698.

44. DEFOE, New Family Instructor, pp. 278-282, 288-290, 296-298.

45. Ibid., pp. 281, 351-368.

46. BOLAM, GORING et al., op. cit., pp.151-174; WILES, op. cit., pp. 137-142.

47. Maximilian NOVAK, Daniel Defoe: Master of Fictions, Oxford: Oxford University Press, 2001, pp.

523-524.

48. Daniel DEFOE, The Political History of the Devil [1726], New York: AMS Press, 2003, p. 57.

49. Voir, par exemple, Daniel WATERLAND, A  Vindication  of  Christ’s  Divinity, Cambridge, 1719 ;

Edmund CALAMY, Thirteen Sermons Concerning the Doctrine of the Trinity, London, 1722.

50. Initialement publiés en français, les différents ouvrages de David Martin visant à démontrer

l’authenticité de 1 Jean 5:7 bénéficient d’une traduction anglaise, à l’instar de David MARTIN, A

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Critical Dissertation upon the Seventh Verse of the Fifth Chapter of St. John’s first Epistle, There are Three,that Bear record in Heaven, &c., London, 1719.

51. Thomas EMLYN, ‘An   Inquiry   into   the  Original  Authority  of  1 John  5:7’, in Thomas EMLYN, A

Collection of Tracts, Relating to the Deity, Worship and Satisfaction of the Lord Jesus Christ, London, 1719,

pp. 305-356.

52. BOLAM, GORING et al., op. cit., pp. 87, 95-105, 119-120.

53. Katherine CLARK, Daniel  Defoe:  The  Whole  Frame  of  Nature,  Time  and  Providence, New York:

Palgrave Macmillan, 2007, pp. 39-40.

54. CALAMY, op. cit, ‘The Preface’.

RÉSUMÉS

Après avoir été pendant de longues années le porte-parole officieux de ses coreligionnaires

dissidents, Defoe, dans The Family Instructor (1715-1718) et dans The New Family Instructor (1727),

s’exprime au nom de tous les protestants. Il s’agit de défendre l’orthodoxie protestante contestée

non seulement, comme elle l’était naguère, par le catholicisme et le judaïsme, mais surtout par

des doctrines hétérodoxes telles que le déisme, le socinianisme et l’arianisme, qui ont le vent en

poupe au cours des premières décennies du XVIIIe siècle. Pour les discréditer, Defoe emprunte

des arguments aux polémistes anglicans comme aux propagandistes dissidents. Il défend avec

une vigueur particulière les dogmes de la Trinité et de la prédestination, alors que nombre de ses

coreligionnaires presbytériens inclinent à l’arminianisme et à l’arianisme. Cet article montre que

l’attachement de Defoe à ces dogmes peut s’expliquer par son appartenance à l’aile la plus stricte

du presbytérianisme jadis incarnée par Samuel Annesley (1620-1696).

After being for many years the officious spokesman for Dissent, Defoe, in The  Family  Instructor(1715-1718) and The New Family Instructor (1727), speaks in the name of all English Protestants. His

aim in these works is to defend Protestant orthodoxy, which was being challenged not only, as it

had been for ages, by Roman Catholicism and Judaism, but by heterodox beliefs such as Deism,

Socinianism and Arianism, which were in the ascendant in the first decades of the eighteenth

century. In order to discredit these beliefs, Defoe borrows arguments from both Anglican

polemicists and Dissenting propagandists. He defends with a special determination the dogmas of

the Trinity and predestination, at a time when many of his Presbyterian coreligionists were

inclining towards Arminianism and Arianism. This essay argues that Defoe’s attachment to these

dogmas can be accounted for by his early exposure to the strict Presbyterianism of Samuel

Annesley (1620-1696).

AUTEUR

YANNICK DESCHAMPS

Université Paris-Est Créteil

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Defining Heresy: the Controversybetween James Foster and HenryStebbing (1735- 1737)Définitions contrastées de l’hérésie : la controverse entre James Foster et Henry

Stebbing (1735-1737)

Nicolas Bourgès

1 Eighteenth-century Britain was the scene of many religious debates. The controversies

of Exeter or Bangor saw many searing comments exchanged, and the dispute between

James Foster and Henry Stebbing was no exception. James Foster (1697-1753) was a

Baptist minister who recognized reason and morality as two key features to understand

religion.1 Henry Stebbing ([1687]-1763) was a high Church Anglican divine who engaged

in many heated arguments with Dissenters, Freethinkers and Methodists.2

2 Every title page of Stebbing’s pamphlets displays his position as Chaplain in Ordinary to

His Majesty3 and Preacher to the Honourable Society of Gray’s Inn. Both titles are

evocative of authority, since they remind the reader of his attachment to the

established Church through his function in the service of the monarch – who was

granted the title of Supreme Governor of the Church of England through the Act of

Supremacy (1559). Gray’s Inn was one of the four Inns of Court which brought together

the barristers of England and Wales. From the start, Stebbing asserts his prominent role

and underlines his orthodox position as a representative of two powerful and

recognized institutions of the country. Indeed, the Church of England, through the

dogmas enunciated in the Thirty-Nine Articles, claimed to be the guardian and

protector of the Christian faith. In other words, the source of religious authority in

Britain was to be found in the established Church; the Dissenters, whose Puritan

ancestors had refused to subscribe to Anglican dogmas and ceremonies at the

Restoration (1660), did not enjoy the same legitimacy. In this respect, Foster’s position

on the Trinity, which he considered not to be ‘one  of  the  Fundamentals  of  the  ChristianReligion’, stood in opposition to the Church of England’s First Article.4

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3 From the perspective of the State, the Clarendon Code had imposed harsh conditions

on Nonconformists – the Act of Uniformity (1662) making the Book of Common Prayer

compulsory for Church services, and the Conventicle Act (1664) forbidding the

gathering of more than five people who did not belong to the established Church were

but two instances of legal measures aimed at preventing dissenting groups from

practising their faith. Furthermore, as a result of the Test Act of 1673, communion

according to the Anglican rite was imposed on anyone seeking public office. The

Toleration Act of 1689 authorized Dissenters to worship freely in exchange for taking

the oaths of Allegiance and Supremacy (thus recognizing the monarch’s authority),

subscribing to the Trinity and rejecting transubstantiation. But this act did not prevent

Dissenting meetinghouses from being destroyed in 1710, after Dr Sacheverell had

denounced them in his famous sermon of November 1709. Thus the authorities

resorted to legal measures which underscored the close ties between, and mutual

acknowledgement of, Church and State. In 1736, at the time of the Foster-Stebbing

controversy, the repeal of the Test Act was discussed in Parliament, an indication that

the debate about the status of Dissenters was still vivid at the time.

4 Another historical aspect that needs to be taken into account is the renewed vigour, in

the first decades of the eighteenth century, of Arianism and Socinianism,5 both of

which were denounced by several authors.6 Obviously, the issue of orthodoxy and

heresy was part of the preoccupations of the time. Many Anglican ecclesiastics wanted

to reassert the pre-eminence of their Church. Thus, Henry Stebbing’s implicit goal is to

denounce Foster’s misreadings of the Bible in order to prove that the prerogative of

interpretation lies with the Church of England. The confrontation between the Baptist

preacher and the Anglican churchman crystallizes around two antagonistic methods of

Bible interpretation which will be analyzed through a fourfold outline. First, Foster’s

initial position on heresy, which is at the origin of the controversy, will be delineated.

Foster’s and Stebbing’s contrasting views and definitions of this notion will then be

tackled, before addressing the way both ecclesiastics try to get the better of each other

through an examination of their rhetorical strategies. The last section will study how

Stebbing argues to preserve the legitimacy and authority of the Church of England

from what he looks upon as the danger of Dissent, and how Foster reacts.

James Foster’s initial sermon

5 The controversy between Foster and Stebbing hinges upon conflicting definitions of the

word ‘heresy’. Originally the word has a neutral sense in Greek. The root, ‘haires’,

means ‘choice’, and the meaning evolved to signify ‘constitution of a group’ or ‘sect’,

without any negative connotation. It was only at the time when the Christian Church

was forming that the word was used with a pejorative meaning: that of a dogma

running counter to the official creed of the Church. Thus the term was used to promote

one form of belief against the others, which were deemed heretical because they

endangered society.7 The first centuries of the Christian Church were marked by

persecutions and executions of martyrs, especially in the Roman Empire, until the Edict

of Milan, signed by Emperors Constantine and Licinius in 313 AD, enforced religious

toleration.

6 What could be the meaning of heresy in eighteenth-century Britain? James Foster

delivered a sermon on this subject, which was published in 1732.8 His preaching is

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based on a quotation from the Pauline epistle to Titus, who christianized the Roman

province of Crete during the first century AD after becoming a convert himself. Along

with the two epistles to Timothy, the letter to Titus is part of Paul’s pastoral epistles

since all of them address the relationship between Christians within their own

community. Paul explains to Titus that Christians, being gifted with the visit of the

Holy Spirit, have to live accordingly. Foster quotes the following verses: ‘A man that is anheretick after the first and second admonition reject; Knowing that he that is such is subvertedand   sinneth,   being   condemned   of   himself’.9 Foster explains what has nurtured the

development of controversies around the notion of heresy in the history of the Church:

it has ‘divided, and consequently weaken’d, the interests of our holy religion, and expos’d it tothe scorn and insults of unbelievers’.10 Thus he suggests that heresy became synonymous

with condemnation and opprobrium, sparking divisions within the Christian Church.

7 To try and define the term more precisely, Foster adopts a historical perspective,

saying that the word initially had ‘an   indifferent   sense’.11 In earlier times, the word

‘heresy’ was a statement of fact, hinting at the existence of various groups with no

reference to dogmatic differences. Foster remains faithful to the etymological sense,

thus conforming to a literal interpretation of the Bible typical of Baptists.12 His

definition of ‘a heretic’ is as follows: ‘One that sets up to be the head, or choses to join himself

to a particular religious sect’.13

8 According to Foster, sinning comes down to acting with an ill intention.14 The moral

and religious dimensions are inseparable in his discourse. The emphasis is laid upon

individual responsibility and the attitude consisting of willingly and deliberately

performing actions to further one’s ambition – hence his denunciation of pride. He

takes care to make a distinction between ‘heresy’ and ‘a heretic’, between the sect and

the individual. This distinction is important: while heresy is devoid of negative

connotations, the heretic is represented as evil by Foster. He embodies the glorification

of the self, personal ambition valued above everything else. Foster’s sermon provoked

Henry Stebbing to make a reply, which paved the way for a controversy over the

meaning of heresy.

Divisions over the definition of heresy

9 Stebbing’s answer flatly contradicts Foster. For the Anglican divine, the meaning of

words depends on the intention of the person who uses them.15 Therefore Stebbing

draws a distinction between Foster’s intention (when using the word ‘heresy’) and what

he calls the latter’s ‘Inventions’.16 He underlines the methodological problem at stake

with Foster’s way of reading the Bible and, to make his point, summons three instances

taken from the New Testament which stand at the core of the controversy:

10 -   ‘For there must be also heresies among you, that they which are approved may be

made manifest among you’ (1 Cor 11:19),- ‘For we have found this man a pestilent fellow, and a mover of sedition among all the

Jews throughout the world, and a ringleader of the sect of the Nazarenes’(Acts 24:5),- ‘But we desire to hear of thee what thou thinkest: for as concerning this sect, we know

that every where it is spoken against’ (Acts 28:5).

11 According to Stebbing, the word ‘heresy’ can only have a negative meaning in these

contexts.17 Foster’s reading is inappropriate because it is too literal and discards the

criticisms of heresy that the above quotations contain. Stebbing historicizes the Biblical

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text by considering that it can be properly analyzed only by taking into account all the

relevant contextual elements, as evinced in the following question: ‘But how is it possible,Sir, that a Word should retain its general Meaning, when it is distinguished by Circumstances

which limit it to a particular State?’18

12 Stebbing points out Foster’s contradictions.19 To Stebbing, the discourse of his

adversary contains a number of flaws and inaccuracies which make his argumentation

invalid and detrimental to the Church. Stebbing, as an orthodox member of the Church

of England, staunchly defends its authority. He relies on a historical precedent: ‘For theseparating  Hereticks  from  Christian  Fellowship  was  a  standing  Power  in  all  Churches  at  thattime,  as   it  has  been  from  that  time  to  this  Day’.20 Here he assumes that the established

Church is the direct heir to the primitive Church, and, as such, has a right to exert the

same rule as in apostolic times. He refers to other Pauline epistles to show that the

Church he belongs to can identify those who distort the truth and dispose of them to

protect itself.21

13 Stebbing keeps reiterating that meaning is context-dependent. Text and history inform

the precise meaning that can be attributed to words. Thus Stebbing implicitly accuses

Foster of arbitrarily giving an ‘indifferent’ – or neutral – meaning to a word that has

traditionally been endowed with negative associations. Stebbing adopts a broader

perspective, since, rather than focusing on the words used by Paul to define who a

heretic is, he concentrates on the general notion of heresy. Thus a comparison of those

approaches suggests a discrepancy between an individual-oriented definition (Foster)

and a conceptual one (Stebbing), which may explain why the controversy dragged on

for such a long time.

14 Going back to Paul’s verses in the epistle to Titus, Foster sets up a threefold definition

of ‘a heretic’, arguing that the latter falls prey to subversion, sin, and self-

condemnation.22 He defines the process of subversion as ‘ turning  aside   from   the   truefaith’.23 Sin is attributable to the will, not the understanding: the heretics’ minds ‘are

perverted   [from   an   honest   and   impartial   pursuit   of   truth]   by   irregular   dispositions   andappetites;  and   [...]  have  resolv’d   to  sacrifice  Truth,  and  Virtue,   to   the  gratification  of   theirsensual desires’.24 Foster pinpoints the essential role of the conscience by stressing that

man can only fall a victim to temptation knowingly. Hence his comments on the subject

in a specific section about the meaning of the phrase ‘condemned of himself’. Here, Foster

reminds the reader of Stebbing’s analysis, according to which an outside judge must

intervene to condemn the heretic (‘to condemn or pass sentences against a person, as a Judgedoth’).25 The Baptist preacher offers a counter-analysis, asserting that ‘ the  person  ofwhom that word is spoken, does himself perform the action, express’d by it’.26 Therefore there

is no outside agent forcing a man to prove himself wrong; it is a case of self-

condemnation. This section in Foster’s letter is a way for him to denounce Stebbing’s

arbitrary stance. This controversy underlines the diverging conceptions of truth that

both men have, since each of them is convinced to hold the true account of the

meaning of heresy. Where Foster puts forward a vision of truth based on a personal

interpretation, Stebbing reminds him that it is the collective body of the Church that is

ultimately responsible for defining who a heretic is: ‘Who are Hereticks in such a Sense, aswill justify the Church in excluding them from the Privileges of visible Communion?’27 Foster

answers with another question: ‘Who are the Heretics spoken of and condemned in the New

Testament, and whom St. Paul hath particularly described, and directed Titus to reject?’28 Both

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men share the idea of identifying the heretics as a necessity, but Stebbing calls

attention to the ultimate purpose: preserving the cohesion of the Church.

15 Foster finally defines what self-condemnation is in his view: ‘The  knowledge  of  mens

hearts,   [i.e.  of   their   inward  Sentiments  and   Intentions]  communicated   to   them  by   the  Holy

Spirit’.29 He equates the spirit and the heart, quoting the Acts of the Apostles as

evidence that they themselves exercised this gift to spot falsehood. Foster’s

methodology relies on cross-references: he endeavours to show that this gift already

existed in the apostolic age thanks to an accumulation of scriptural instances. Stebbing

retorts that such a rule is inapplicable because no human being can understand the

heart of man – only God can.30 Therefore he rejects Foster’s argument concerning

discerning spirits because it deprives the Church of its power to excommunicate. This

argument shows Stebbing’s orthodox vision of the Church whereby it exerts the

ultimate ecclesiastical authority. Foster is interested in the moral purport of the word

‘heresy’, whereas Stebbing asserts its dogmatic aspect. Both men stand firm. This

controversy about the meaning of heresy reveals not only two differing visions of the

notion, but also a ruthless battle of two clerics vying for the truth through fierce

attacks.

Arguing about heresy: rhetorical strategies

16 Foster and Stebbing criticize each other’s methods and personalities. The former

blames the latter for his ‘groundless insinuations’31 and for being ‘captious and litigious’.32

He also finds fault with his ‘petulance, dictatorial airs, and academic pertness and puerility’,33

as well as his ‘arrogant airs’.34 Meanwhile Stebbing reproaches Foster with taking on ‘an

Air  of  great  importance’.35 He also takes him to task for his lack of intellectual rigour:

‘There is a great deal yet to be done before your Interpretation can be made to stand upon firmground’.36

17 These attacks exemplify the scathing nature of their exchanges. Their dispute hinges

on the status of error. They both claim to hold and defend the truth about the

definition of heresy and its implications for the Christian community. Foster and

Stebbing state that they have the public’s interests in mind, and the vehemence of the

confrontation enables each writer to establish that his adversary is no credible

interpreter of the Bible. The debate reaches a deadlock because each polemicist uses

the same arguments treatise after treatise to defend his point of view. The personal and

dogmatic aspects of the controversy are interlocked. This dispute offers the instance of

a battle of words based on personal convictions which are used to depict the

adversary’s claims as mere conjectures.

18 Still related to the matter of interpretation, another feature of Stebbing’s method

consists in calling for evidence. When Foster tries to put forward an argument, it is

shaky at best in his opinion. Stebbing constantly challenges him to produce arguments

based on strong grounds. In addition to being a challenger, Stebbing comes off as the

one invested with authority, when he writes for instance: ‘When you will produce better, itmay be considered’.37 Foster replies by deploring a ‘loose’38 and ‘ambiguous’39 discourse on

Stebbing’s part, suggesting that the latter’s rationale is inconclusive. The Anglican

cleric is presented as refusing to provide any precise definition of faith and heresy,

which means that the reader is at a loss to understand his position.

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19 Another reason that accounts for such an endless controversy is the main question

around which each reply revolves. In the second series of letters, Stebbing writes: ‘For

the point here is not, Whom, or how far the Laws of the Church bind; but, Whom the Church is toreject’.40 The focus is not on Church polity but on membership: who must be part of the

religious community? This notion is important to Stebbing since it implies the

acknowledgement of a number of values shared by all members. Foster’s rejoinder is as

follows: ‘I repeat it again, that the single question, which we are debating, is, who are theseheretics, not who are to be debarred from the communion of the church’.41 From the very first

pages, the debate starts off from two different perspectives, which makes it impossible

for Foster and Stebbing to reach any common ground, since they have two different

visions of the problem at hand.

Anglicanism versus Dissent

20 Stebbing’s definitions of heresy are deemed too loose by Foster, which paves the way

for his defence of Dissenting Churches: ‘Can any man be really a Sinner by offending againstChurch order and discipline, if he is not oblig’d to believe in all points as the Church believes, andto   submit   to   her   authority   and   discipline   implicitly?’42 Through this comment Foster

lambasts the attitude of the established Church towards Dissenters. The latter cannot

be marginalized and dealt with as though they were heretical.43 They are also

Protestant Churches which should not be precluded from worship because they favour

a personal interpretation of the sacred texts. On the other hand, Stebbing clearly

accuses Foster – and Dissenters at large – of undermining the authority of the

established Church:

I cannot therefore perceive to whom Mr. Foster has done a pleasure by these hisworthy Labours, unless it be to the common Enemies of the Gospel, who may findCause enough to triumph, when they see those who profess themselves Preachersof the Gospel pulling down the Fences and Outguards of Christianity with their ownHands.44

21 Here, Stebbing is portraying them as heretics for usurping interpretative authority and

conveying wrong messages about the Bible, especially the New Testament.

22 In 1735, during the controversy between Foster and Stebbing, two men published

essays to vent their views about the meaning that the word ‘heresy’ should be given,

which enabled them to take sides in the dispute. In A Critical Dissertation on Titus iii.10,11,

Tipping Silvester (1700-1768), the vicar of Shabbington (in Buckinghamshire), explains

that the Church, as a constituted society, is entitled to protect its dogma by ridding

itself of men who profess erroneous ideas. The scriptural basis is an important

argument in his demonstration, and he defends the Church of England, thus implicitly

Stebbing. For Silvester, the word ‘heresy’ carries a negative meaning.45 Likewise in his

Letter to Mr. Foster, probably published the same year, he defends the univocal way in

which heresy is defined by Stebbing.46 The message sent to Foster is that of a united

Church determined to protect itself from heretics who would defile Christ’s legacy.

Foster is accused of resorting to passions, in contrast to Stebbing, the representative of

the Anglican Church who uses reason and scripture, thus making his arguments

unassailable. According to Silvester, the heretic, who is fully responsible for his

attitude, deliberately takes the risk of being excluded from the Church:

For if they profess Jesus Christ, and maintain and endeavour to propagate Opinions,contrary to his Doctrines, whatsoever they may think of those Opinions thro’

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Errors, contracted by Sins of any kind, Delusions of Satan, or Infirmities, theyplainly blaspheme that Name, which they profess to acknowledge; and by theirInconsistency in themselves, are condemn’d of themselves: Which is according toour former Explication an Act, by which they lay themselves under that Penalty, inwhich the Church would have condemn’d them. For they separate themselves. Thusbeing subverted from the Faith, having once embrac’d it, they may therein sin, thosincere in their Delusion, and be self-condemn’d: Which particulars complete theCharacter of the Apostle’s Heretick.47

23 On the other hand, Caleb Fleming (1698-1779), a Dissenting minister who preached at

the Independent church of Pinner’s Hall in London, thinks that the word ‘heresy’ as

used in the New Testament bears no negative meaning, thus concurring with Foster48.

To him the heretic’s attitude has moral implications, as it questions the truth of

religion and traditional conceptions of vice and virtue.

Conclusion

24 The controversy between James Foster and Henry Stebbing proved to be extremely

intense while growing acrimonious as time went by. It appears as a lesson in exegesis

combined with a criticism of each other’s Churches. From three Pauline quotations

they discuss what a heretic and heresy are without ever agreeing on the meaning of

these words. Noticeably, orthodoxy is never clearly defined in the course of the

controversy, except in reference to the authority of the Bible, the main problem being

its interpretation. These clerics’ texts are replete with repetitions and personal attacks.

Stebbing acts as a mouthpiece for the Church of England, evincing his will to proclaim

and protect the authority of the institution he belongs to. No clear victor emerges from

this textual battle, which illustrates the tensions between the established Church and

Dissenters during the eighteenth century.

NOTES

1. An account of Foster’s life can be read in William TURNER, Lives of Eminent Unitarians: With aNotice of Dissenting Academies, London: The Unitarian Association, 1840, pp. 164-200. See also Leslie

STEPHEN & rev. Jim BENEDICT, ‘Foster, James (1697-1753), preacher and General Baptist

minister’, in Oxford Dictionary  of  National  Biography: <http://www.oxforddnb.com/view/article/

9958?docPos=21>. About the history of Baptists during the eighteenth century, see Raymond

BROWN, The English Baptists of the Eighteenth Century, London: The Baptist Historical Society, 1986.

2. For biographical details, see B.W. YOUNG, ‘Stebbing, Henry ([1687]-1763), Church of England

clergyman and religious controversialist’, in Oxford Dictionary   of  National  Biography: <http://

www.oxforddnb.com/view/article/26335?docPos=1>.

3. Stebbing was appointed to that position in 1732.

4. James FOSTER, An Essay on Fundamentals, with a Particular Regard to the Doctrine of the Ever-BlessedTrinity, London, 1720, p. 4. The First Article reads: ‘There is but one living and true God, everlasting,without body, parts, or passions; of infinite power, wisdom, and goodness; the maker and preserver of all

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things both visible and invisible. And in unity of this Godhead there be three Persons, of one substance,power, and eternity; the Father, the Son, and the Holy Ghost’.5. Arianism appeared during the fourth century AD. Holding the idea that the Son of God is

subordinate to the Father, it was condemned as a heresy at the Councils of Nicaea (325) and

Constantinople (381). Socinianism is a sixteenth-century heresy according to which Christ is not

consubstantial with God, thus denying the Son’s divinity. For details about the evolution of each

doctrine, see Herbert John McLACHLAN, Socinianism   in   Seventeenth-Century   England, Oxford:

Oxford University Press, 1951; Maurice WILES, Archetypal Heresy: Arianism Through the Centuries,Oxford: Clarendon Press, 1996; Sarah MORTIMER, Reason  and  Religion   in   the  English  Revolution,

Cambridge: Cambridge University Press, 2010.

6. ANON., A Brief History of the Revival of the Arian Heresie in England since the Reformation, London,

1711; ANON., A  Vindication  of  the  Orthodox  Faith  and  Doctrine  of  the  Church  of  England,  Against  theArrian   [sic]   and   Socinian   Heresies, London, [1718?]; Sir Richard BLACKMORE, Modern   Arians

Unmask’d, London, 1721.

7. For details about the acceptation of the word and its evolution in the first centuries, see Paul

ASVELD, « Orthodoxie et hérésie », in Christiane d’HAUSSY (ed.), Orthodoxie  et  hérésie, Paris :

Didier Érudition, 1993, pp. 17-24; Harold O. J. BROWN, Heresies: Heresy and Orthodoxy in the History

of the Church, Peabody: Hendrickson, 1998, pp. 1-5; Alister McGRATH, Heresy: A History of Defending

the Truth, London: SPCK, 2009, pp. 37-39.

8. James FOSTER, ‘Sermon XI. Of Heresy’, in James FOSTER, Sermons  on   the  Following  Subjects,London, 1732, pp. 283-309.

9. Titus 3:10-11.

10. FOSTER, Sermons, p. 286.

11. Ibid., p. 288.

12. Ernest Gordon RUPP, Religion in England: 1688-1791, Oxford: Clarendon Press, 1986, p. 129.

13. FOSTER, Sermons, p. 290.

14. Ibid., p. 291.

15. Henry STEBBING, A Letter to Mr. Foster on the Subject of Heresy, London, 1735, p. 7.

16. Ibid., p. 8.

17. Ibid., p. 7.

18. Henry STEBBING, A  Second  Letter  to  Mr.  Foster  on  the  Subject  of  Heresy,  in  Answer  to  his  First,London, 1735, p. 12.

19. STEBBING, A Letter to Mr. Foster, p. 12.

20. Ibid., p. 23.

21. He quotes 2 Thess 3:14, Rom 16:18 and 2 Tim 2:17. There is an implicit hint at the Thirty-Nine

Articles which are the founding principles of the Church of England. Article XXXIII is especially

relevant to the context: ‘Of Excommunicated Persons, how they are to be avoided. That persons which byopen denunciation of the Church is rightly cut off from the unity of the Church and excommunicated, oughtto be taken of the whole multitude of the faithful as an heathen and publican, until he be openly reconciledby penance and received into the Church by a judge that hath authority thereto’.

22. James FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s Letter on the Subject of Heresy. In a Letter to the Doctor,

London, 1735, p. 21.

23. Ibid., p. 21.

24. Ibid., pp. 23-24.

25. Ibid., p. 30.

26. Ibid., p. 30.

27. Henry STEBBING, A Second Letter to Mr. Foster, p. 4.

28. James FOSTER, An  Answer  to  Dr.  Stebbing’s  Second  Letter  on  the  Subject  of  Heresy.  In  which  theWhole Controversy is Fairly Stated and Re-Examined, London, 1736, p. 2.

29. FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s Letter, p. 38.

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30. STEBBING, A Second Letter to Mr. Foster, p. 50.

31. FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s Letter, p. 3.

32. James FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s True State of the Controversy with Mr. Foster, On theSubject of Heresy, London, 1737, p. 38.

33. FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s Letter, p. 2.

34. Ibid., p. 7.

35. Henry STEBBING, A  True  State  of  the  Controversy  with  Mr.  Foster,  On  the  Subject  of  Heresy;   inAnswer to his Second Letter, London, 1736, p. 2.

36. STEBBING, A Letter to Mr. Foster, p. 26.

37. STEBBING, A Second Letter to Mr. Foster, p. 54.

38. FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s True State of the Controversy with Mr. Foster, p. 8.

39. Ibid., p. 33.

40. STEBBING, A Second Letter to Mr. Foster, p. 72.

41. FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s Second Letter, p. 8.

42. FOSTER, An Answer to Dr. Stebbing’s Letter, p. 61.

43. Dissenting Churches were losing members as some of them decided to join the Anglican

Church. See Michael R. WATTS, The Dissenters, 2 vols., Oxford: Clarendon Press, 1978, vol. 1 (‘From

the Reformation to the French Revolution’), pp. 384-386.

44. Henry STEBBING, A Reply to Mr. Foster’s Answer to The True State of the Controversy on the Subjectof Heresy, London, 1737, p. 21.

45. Tipping SILVESTER, A Critical Dissertation on Titus iii. 10,11. Wherein Mr. Foster’s Notion of Heresy isConsider’d, and Confuted. And the Power of the Church to Censure Hereticks is Vindicated, London, 1735,

p. 9.

46. Tipping SILVESTER, A Letter to Mr. Foster, Occasioned by His Second Letter to Dr. Stebbing, On thePoint of Heresy, London, [1735?].

47. Ibid., p. 13.

48. Caleb FLEMING, St. Paul’s Heretic: or, Several Characteristics of an Heretic. Collected from St. Paul’sEpistle to Titus: Address’d to the Reverend Dr. Stebbing, and the Reverend Mr. Foster, London, 1735, p. 24.

ABSTRACTS

From 1735 to 1737 the Baptist preacher James Foster (1697-1753) faced the orthodox Anglican

Henry Stebbing ([1687]-1763) in a controversy over the definition of heresy. Their dispute reveals

two distinct methods of Bible interpretation and throws light on the tensions prevailing in the

eighteenth century between the established Church and Dissent, which is represented as a

danger to Anglican orthodoxy by Stebbing.

Le prédicateur baptiste James Foster (1697-1753) et l’anglican Henry Stebbing ([1687]-1763),

partisan de l’orthodoxie, s’affrontent sur la définition de l’hérésie au cours d’une controverse qui

a lieu entre 1735 et 1737. Celle-ci met en évidence deux méthodes d’interprétation biblique

distinctes et illustre les tensions qui règnent au XVIIIe siècle entre l’Église établie et les

dissidents, que Stebbing présente comme un danger pour l’orthodoxie anglicane.

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AUTHOR

NICOLAS BOURGÈS

Université Paris-Sorbonne

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Conformisme et non-conformismedans les Académies dissidentes,1660-1860Conformity and Non-Conformity in Dissenting Academies, 1660-1860

Françoise Deconinck-Brossard

NOTE DE L’AUTEUR

La présente introduction emprunte nombre d’éléments à ma contribution sur la

« Lecture de la ‘Version autorisée’ dans les Académies dissidentes, 1720-1860 » au

colloque sur la Bible de 1611 organisé par l’université de Strasbourg en juin 2011, à

paraître dans les Actes, Christophe Tournu & Mathieu Arnold (eds.).

1 Depuis la mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler le « Code de Clarendon »

(Clarendon   code) à la Restauration jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, les non-

conformistes1 anglais pouvaient difficilement étudier dans les universités anglaises 2

sans scrupule de conscience. Jusqu’en 1854, il fallait souscrire aux articles de foi de

l’Église d’Angleterre pour s’inscrire à Oxford, et jusqu’en 1856, pour recevoir un

diplôme de Cambridge. Avec la fondation de University College en 1826, l’université de

Londres fut la première à accueillir des étudiants sans pré-requis confessionnel.

Pendant près de deux siècles, les dissidents organisèrent donc leur propre forme

d’enseignement supérieur dans des Académies destinées à former surtout les candidats

au ministère pastoral3, mais aussi des étudiants qui se préparaient à des carrières dans

le monde industriel ou commercial. Il s’agissait d’un cursus de niveau universitaire4.

Plusieurs centaines d’anciens étudiants ou enseignants des Académies dissidentes

jouissent d’une notoriété suffisante pour figurer dans l’Oxford  Dictionary  of  National

Biography5.

2 Ces établissements ont depuis longtemps attiré l’attention de chercheurs s’intéressant

à différents domaines : histoire des idées, des sciences, des sciences de l’éducation,

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histoire intellectuelle, histoire sociale ou économique. Cependant, les ouvrages

généraux qui font encore autorité sont assez anciens, et l’on ressent cruellement le

manque d’une histoire générale des Académies dissidentes fondée sur une

historiographie moderne. Un vaste projet collectif, le Dissenting Academies Project, mis

en œuvre sous la direction d’Isabel Rivers et de David Wykes depuis 2006, a entrepris de

remédier à ce problème6.

3 Au cœur du projet, les deux bases de données relationnelles qui constituent l’ensemble

Dissenting Academies Online (rendu public en juin 2011, bien qu’il soit encore inachevé7)

jouent un rôle primordial. Une première base, Database  and  Encyclopedia, fournit des

renseignements sur l’histoire des Académies, sur leurs étudiants et sur leurs

enseignants, sur le mode de financement et sur les matières enseignées, avec

références aux sources primaires correspondantes. Pour l’instant8, elle recense environ

215 Académies, 1 347 enseignants, 9 026 étudiants (on peut raisonnablement s’attendre

à en trouver environ 10 000 lorsque le projet sera terminé) et 4 380 documents

d’archives. Il convient de garder à l’esprit que les données chiffrées citées ici reflètent

l’état d’une base encore incomplète, mais l’on peut espérer qu’elles indiquent utilement

un ordre de grandeur des phénomènes étudiés9.

Une « galaxie » d’établissements vulnérables

4 Ce que souligne entre autres cette base de données, c’est la fragilité d’institutions dont

la durée de vie était souvent limitée et, par voie de conséquence, l’extrême complexité

de leur histoire, qui rend très délicate toute généralisation au sujet de ce qu’un

historien de la question appelle une « galaxie »10 d’établissements. Souvent, en effet,

surtout au début de la période étudiée et, en particulier, avant la loi de 1689 sur la

tolérance, l’organisation de l’Académie reposait sur les épaules d’un seul homme, qui

en était tout à la fois l’unique enseignant, l’intendant et le directeur. S’il venait à partir

ou à mourir, il n’était pas rare que sa succession entraînât une délocalisation de

l’établissement. Au reste, le harcèlement dû à l’application des lois pénales contraignit

certaines institutions à de nombreux déplacements. Ainsi, Thomas Doolittle dut à

quatre reprises changer de lieu entre 1672 et 169111. Plus tard, l’Académie que John

Jennings avait fondée, vraisemblablement en 1715, à Kibworth Harcourt, dans le

Leicestershire, déménagea avec son directeur lorsqu’il devint pasteur à Hinckley dans

le même comté en 1722, puis ferma à sa mort en 1723. En 1729, l’un de ses anciens

étudiants, Philip Doddridge, établit à son tour une Académie à Market Harborough

(également dans le Leicestershire), où il exerçait son premier ministère, avec

l’intention de poursuivre l’œuvre pédagogique entamée par son maître12. Lorsque

Doddridge accepta un poste à Northampton, l’Académie s’installa dans cette ville

jusqu’à sa mort en 1751. Bien que le Schism  Act (qui en 1714 avait failli établir un

monopole anglican de l’éducation en Grande-Bretagne) ait été révoqué en 1719,

Doddridge fut d’ailleurs menacé de poursuites judiciaires en 1733, comme l’avait été

Richard Frankland à quatre reprises dans les années 169013, au motif qu’il dirigeait son

Académie sans avoir reçu d’un évêque l’habilitation préalable à tout enseignement.

L’intervention du roi George II mit un terme à cet épisode généralement considéré

comme le dernier exemple de persécution pour non-conformisme14.

5 La biographie du directeur ou l’application de la législation pénale n’expliquent pas,

tant s’en faut, toutes les fermetures et ouvertures d’Académies dissidentes. Les

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questions d’orthodoxie et d’hérésie y jouaient un rôle crucial. Ainsi, l’Académie de

Daventry, dans le Northamptonshire (qui avait succédé en 1752 à celle de Doddridge),

ferma en 1789, peu après que son professeur principal, Thomas Belsham, eut

démissionné à cause d’une incompatibilité croissante entre son évolution personnelle

vers des positions de plus en plus sociniennes15 et la stricte orthodoxie du Coward Trust16

qui, depuis les origines, assurait la gestion de l’établissement17. Le successeur désigné

par les administrateurs, John Horsey, insista pour déplacer l’Académie à Northampton,

où il exerçait déjà son ministère pastoral. La tâche ne fut pas facile pour Horsey à ses

débuts, car les anciens étudiants de Belsham n’étaient nullement disposés à recevoir un

enseignement calviniste. Moins de dix ans plus tard, par suite d’un différend entre

Horsey et le presbytérien écossais David Savile, que le Trust avait choisi comme

professeur de mathématiques et de lettres classiques, les administrateurs décidèrent,

sans plus donner d’explication, de fermer l’Académie de John Horsey. Il semble qu’ils se

soient laissé persuader par Savile que c’était un repaire de sociniens, et qu’aucun

étudiant ne respectait les principes fondateurs de William Coward18. L’année suivante,

ils résolurent d’ouvrir un nouvel établissement à Wymondley, dans le Hertfordshire, où

ne seraient admis que des candidats au ministère pastoral19.

Pédagogie « libérale » ou pré-requis confessionnel

6 Pour amadouer les étudiants qui partageaient les opinions hétérodoxes de Belsham,

Horsey s’était engagé dans son cours inaugural à ne pas essayer de leur imposer son

point de vue. Quoique calviniste de conviction, il s’inscrivait ainsi dans la tradition

pédagogique « libérale » qu’avaient élaborée les tenants du rational   Dissent. La

méthodologie se fondait sur le principe de libre examen cher au protestantisme, teinté

de philosophie des Lumières. Les cours magistraux de théologie, d’éthique et de

« pneumatologie » s’accompagnaient d’une bibliographie détaillée qui permettait à

l’étudiant de lire des avis divergents sur chaque question étudiée et de se forger son

opinion personnelle, à la double lumière de l’Écriture et de la raison. Il s’agissait de

chercher la vérité, puis de savoir la défendre, par une démarche dialectique de

confrontation avec l’erreur20. Dans les Académies de Jennings et de Doddridge, ce

travail personnel de lecture était obligatoire, et l’étudiant devait en rendre compte au

cours suivant : ‘We had in every Lecture, a fine Collection of reading, which employ’d us some

Hours in our Closets, and we were oblig’d to give an Account of the Substance of each Referenceat our next Examination.’21 Le meilleur moyen de polémiquer étant de bien connaître les

arguments de l’adversaire, Doddridge inclut dans ses cours des références à Anthony

Collins, à Matthew Tindal et même à David Hume22. Outre l’étude systématique et

impartiale des deux côtés de chaque question, y compris la lecture d’auteurs considérés

comme mécréants, l’art du débat contradictoire était poussé si loin à Daventry, d’après

les souvenirs de Joseph Priestley, que le professeur défendait le point de vue orthodoxe,

tandis que son assistant jouait toujours, pour ainsi dire, le rôle de l’avocat du diable

hérétique23.

7 Le grand risque d’une telle familiarisation avec l’opinion de l’adversaire, c’est qu’elle

finisse par emporter la conviction, ou bien qu’elle entraîne une sorte d’agnosticisme ou

de relativisme. Il ne manqua donc pas de contemporains ni d’historiens pour reprocher

aux Académies dissidentes d’avoir contribué au développement d’idées hétérodoxes

chez les non-conformistes. Pendant longtemps, la pierre d’achoppement resta le dogme

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de la Trinité. Il est loisible de citer l’exemple bien connu de Joseph Priestley

reconnaissant dans ses mémoires que c’est à Daventry qu’il avait adopté des opinions

hérétiques, malgré tous les efforts du directeur, Caleb Ashworth, pour le ramener dans

le droit chemin de l’orthodoxie24. Priestley précise d’ailleurs qu’à cette date-là

(1752-1755), l’hérésie des étudiants n’allait pas au-delà de l’arianisme25.

8 Toutefois, Priestley dit aussi qu’il avait déjà quitté le calvinisme strict de son enfance

bien avant d’entrer à l’Académie. Sa propre réflexion métaphysique, en partie liée à des

problèmes de santé au moment de l’adolescence, ainsi que la rencontre de pasteurs

hétérodoxes l’avaient amené à nourrir des sentiments arminiens, sans toutefois encore

rejeter le dogme de la Trinité ni la doctrine de la rédemption26. De même, ce n’est pas

pendant ses études (1766-1771) que Belsham s’éloigna du calvinisme orthodoxe où il

avait été élevé. Au reste, comme on l’a vu plus haut, lorsqu’il perçut une trop grande

distance entre ses nouvelles convictions et les objectifs de l’administration, il préféra

démissionner de cette Académie, où il était devenu professeur de théologie dix ans

après avoir terminé ses études. Ce n’est donc pas volontairement que l’influence de son

enseignement entraîna certains étudiants de Daventry sur le chemin de l’unitarisme. Il

est vrai que New  College, à Hackney, dans les environs de Londres, lui offrit presque

aussitôt un poste où il eut tout loisir de traiter de la controverse trinitaire dans ses

cours de théologie et d’enseigner le nécessitarisme en philosophie27. Il y fut d’ailleurs

rejoint par Priestley, nommé après les émeutes de Birmingham en 1791 pour enseigner

la philosophie naturelle et l’histoire. L’équipe Belsham-Priestley contribua à renforcer

la réputation sulfureuse de cette Académie, connue d’abord pour son hétérodoxie

théologique, puis soupçonnée de radicalisme politique, ce qui finit par entraîner son

déclin dans le contexte postérieur à la Révolution française28.

9 Assez logiquement, les Académies comme Northampton, Daventry ou Hackney qui

pratiquaient une pédagogie « libérale », encourageant le libre examen n’exigeaient à

l’entrée aucune attestation d’orthodoxie. Parallèlement, de nombreux autres

établissements où l’on enseignait une stricte doctrine non-conformiste n’acceptaient

en leur sein que des étudiants pouvant prouver leur attachement à une saine théologie.

Il s’agit souvent d’Académies d’obédience congrégationaliste à orientation évangélique.

Parfois l’étudiant potentiel devait fournir une attestation de son pasteur, parfois il

devait passer une sorte d’examen préalable et parfois même, renouveler sa confession

de foi à intervalles réguliers. Le jeune Priestley, devenu arminien, avait ainsi redouté ou

refusé de se faire inscrire par les membres calvinistes de sa famille dans une Académie

gérée par la très évangélique King’s  Head  Society29. Au début du dix-neuvième siècle

encore, Thomas Spencer n’entra à Hoxton, dans le Middlesex, qu’après avoir réussi un

examen d’entrée dont la préparation l’avait beaucoup angoissé30.

Conformistes

10 Toutes ces précautions n’empêchèrent pas certains de quitter le giron de l’orthodoxie

dissidente. La base de données D&E   recense 178 anciens étudiants ainsi que 16

enseignants qui choisirent de se conformer à l’Église établie31, soit un peu moins que 2

% de l’effectif total. Cela ne représente sans doute qu’une partie de cette population.

Pour ne prendre qu’un exemple, la liste d’anciens étudiants devenus conformistes ne

comporte pas le nom de William Bilby (1664-1738), dont le cas ne manque pourtant pas

d’intérêt. Après avoir quitté l’Académie de John Billingsley à Mansfield, dans le

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Northamptonshire, Bilby utilisa l’argent dont il avait hérité à la mort de sa mère pour

aller poursuivre ses études à Queen’s College, Cambridge. Même s’il n’était pas interdit

stricto sensu aux non-conformistes d’y suivre des cours, le jeune homme redouta tout

d’abord de trouver à l’université une atmosphère délétère : ‘I had some fears of going tosuch  a  dangrs place :  but  my  thirst  of   learning  was   insatiable ’ 32. La soif de connaissances

l’avait ainsi entraîné dans une démarche qui resta extrêmement minoritaire tout au

long de la période étudiée. La base de données permet en effet d’identifier le très petit

nombre d’anciens étudiants des Académies qui décidèrent de parfaire leur éducation

dans l’une des deux anciennes universités anglaises entre 1662 et 1826 : moins d’une

vingtaine à Oxford33, et une quarantaine à Cambridge34. Bilby se trouva vite en butte

aux sarcasmes de condisciples « athées »35 qui ne partageaient pas son goût pour la

théologie. Son professeur s’efforça de lui démontrer le bien-fondé des positions

anglicanes : ‘He seeing me puritanically inclined lent me sevll Cases to ground me in Conformity

&  would  sometimes  cast  out  bittr  reflections  agt ye  N.C.  wch  I  heard  to  my  sorrw’36. Dans un

premier temps, ce travail de sape donna l’impression de porter ses fruits. Ayant cru

ressentir une vocation sacerdotale, Bilby reçut son diplôme en 1690 ; la même année, il

fut ordonné diacre, puis prêtre dans l’Église d’Angleterre37. Pendant trois ans, il occupa

divers postes de vicaire. Tout en respectant la lettre du Livre de la Prière Commune, en

particulier pour les baptêmes et pour les enterrements38, il ne put s’empêcher

d’introduire des pratiques « puritaines »39 dans son ministère anglican, continua de

fréquenter des chapelles non-conformistes et de correspondre avec des pasteurs

dissidents. Le résultat ne tarda pas à venir : en novembre 1693, il se fit renvoyer par le

prébendier de Lichfield dont dépendait son poste et avec qui il avait vivement

polémiqué : ‘My incumbt gave me a discharge wch ye called a turning myself out of ye Chu.’ 40

Après avoir un instant espéré retrouver un emploi où, malgré son calvinisme modéré

(comparable à celui de Richard Baxter), il pourrait se sentir à l’aise dans l’Église

établie41, Bilby rejoignit bientôt les rangs des non-conformistes dont, malgré les

apparences, il ne s’était jamais complètement éloigné. Il en parle comme d’une

libération : ‘I  cast  off  ye   fettrs of  Conformity ’42. De 1694 à 1722, il exerça un ministère

pastoral auprès de diverses communautés dissidentes du Lincolnshire et du

Leicestershire43.

11 Dans la mesure où le conformisme ne représenta qu’un bref interlude dans la carrière

de Bilby, il est assez logique de ne pas le ranger parmi les anciens étudiants

d’Académies dissidentes ayant choisi de se conformer définitivement à l’anglicanisme.

La base de données D&E se contente donc de le classer parmi la petite minorité qui

entra dans les ordres anglicans44. Sans nul doute le plus célèbre d’entre eux est Joseph

Butler (1692-1752), qui termina sa carrière comme évêque de Durham45. Son œuvre

majeure, The  Analogy  of  Religion, publiée en 173646, figurait encore au dix-neuvième

siècle sur les étagères d’Académies dissidentes de diverses obédiences, comme en

atteste le Virtual   Library   System ( VLS)47, deuxième base de données de l’ensemble

Dissenting Academies Online. L’ouvrage se trouvait au collège baptiste de Bristol, où il fut

emprunté une fois en 185948. Dans le bastion de l’orthodoxie calviniste que représentait

l’Académie de Homerton49, le registre d’emprunts fait état d’au moins 38 lectures du

volume entre 1815 et 183850. Chez les « libéraux » de Manchester, on note non

seulement 14 emprunts individuels, mais surtout 8 usages collectifs du livre pour le

cours d’apologétique51. Les travaux de ce grand apologiste conformiste jouissaient donc

encore d’une haute considération dans les Académies dissidentes du dix-neuvième

siècle. C’était même l’un des rares auteurs de la période des Lumières figurant dans le

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carnet de lecture tenu par le congrégationaliste Joseph Fletcher Alexander

(1825-1901)52 depuis son entrée à Highbury College jusqu’à la première décennie de son

ministère pastoral53. À la page réservée pour la syllabe « Di », Alexander note les

considérations sur les « difficultés inhérentes à notre état d’épreuve [pour une vie future] »54,

avec une référence au chapitre approprié de l’Analogy (I, 4). Au reste, les contemporains

d’Alexander lisaient également Butler à Oxford et à Cambridge55. Il semble donc que,

sur ce point, il y ait eu un terrain d’entente entre conformistes et non-conformistes.

12 D’ailleurs, l’excellence intellectuelle de certaines Académies (sans parler des

considérations financières liées au fait que les études pouvaient y coûter moins cher

qu’à l’Université) attira même des étudiants anglicans, surtout dans les établissements

de tendance « libérale ». Ainsi, Warrington s’est acquis la réputation d’avoir accueilli

maint anglican – plus d’un tiers de l’effectif, à en croire les mémoires d’un ancien

enseignant originaire de l’Église établie, Gilbert Wakefield56. Mais les propos de

Wakefield s’inscrivaient dans un contexte polémique, et la recherche historiographique

récente montre que l’« Athènes du Nord »57 était assez atypique 58. Le phénomène

n’avait pourtant rien de bien nouveau, même s’il était souvent beaucoup plus marginal

qu’à Warrington. Dès 1670, le tout premier disciple de Richard Frankland dans l’une des

plus anciennes Académies, George Liddell, venait d’une famille anglicane59.

Conclusion

13 Entre orthodoxie et hérésie, ainsi qu’entre conformisme et non-conformisme, la

frontière était plus mouvante qu’un souci louable de clarification historique n’aimerait

l’imaginer. Loin d’être l’apanage des presbytériens – souvent devenus unitariens ou

ariens vers la fin du dix-huitième siècle –, la pédagogie « libérale » trouvait également

des adeptes congrégationalistes. D’autre part, l’itinéraire spirituel des étudiants et des

enseignants, qui d’ailleurs n’étaient pas tous d’origine non-conformiste, ne suivit pas

toujours une trajectoire linéaire. Au fil des années et au gré de leur évolution

personnelle, certains furent amenés à changer une ou plusieurs fois de confession

religieuse, à s’écarter ou à se rapprocher de l’orthodoxie calviniste, voire à se

conformer – momentanément ou définitivement – à l’Église établie.

NOTES

1. Il s’agit essentiellement de trois grandes familles religieuses anglaises : les presbytériens, les

indépendants – que l’on peut également dire congrégationalistes – et les baptistes.

2. Dans le contexte spécifique de l’Écosse après 1688-1689, dont il sera peu question ici, rien

n’empêchait les dissidents anglais d’aller faire leurs études en Écosse.

3. N’ayant pas de ministère pastoral, les quakers furent évidemment peu concernés par cette

question. On ne trouve que huit étudiants quakers dans la base de données mentionnée ci-

dessous.

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4. Contrairement à ce qu’affirment Stéphane LEBECQ et al. dans leur Histoire des îles Britanniques, Paris : Presses Universitaires de France, 2007, p. 599.

5. Dissenting   Academies   Online,   Dr. Williams’s Centre for Dissenting Studies <http://

www.english.qmul.ac.uk/drwilliams/portal.html> [consultation le 19 septembre 2012].

6. Isabel RIVERS & David WYKES (eds.), A  History  of  the  Dissenting  Academies   in  the  British  Isles,1660-1860, à paraître chez Cambridge UP. Pour une présentation de l’ouvrage, voir

<www.english.qmul.ac.uk/drwilliams/academies/history.html> [consultation le 19 septembre

2012].

7. Ce n’est donc pas une coquetterie de souligner que c’est un travail en cours qui est ici présenté.

8. Dissenting  Academies  Online:  Database  and  Encyclopedia, Dr Williams’s Centre for Dissenting

Studies <http://dissacad.english.qmul.ac.uk/new_dissacad/phpfiles/index.php>, ci-après D&E

[dernière consultation le 21 novembre 2012].

9. Comparer avec la liste beaucoup plus courte de Wikipedia [dernière consultation le 13

décembre 2012], qui se fonde surtout sur l’ancienne étude d’Irene Parker, Dissenting Academies inEngland:  Their  Rise   and   Progress   and   their   Place   among   the   Educational   Systems   of   the   Country,

Cambridge: Cambridge University Press, 1914.

10. Joe William Ashley SMITH, The Curriculum of the Dissenting Academies with Special Reference toFactors  Determining   it:  1660-1800, Durham theses: Durham University, 1950, consultable en ligne

<http://etheses.dur.ac.uk/4921/>, p. 1. Le terme est repris dans un ouvrage du même auteur, The

Birth   of   Modern   Education:   The   Contribution   of   the   Dissenting   Academies   1660-1860, London:

Independent Press, 1954.

11. D&E, ‘Thomas Doolittle’s Academy (1672-c.1691)’, Academy ID: 82.

12. Tessa WHITEHOUSE, ‘John Jennings’s Academy (c. 1715-1723)’, D&E, septembre 2011.

13. David L. WYKES, ‘The Contribution of the Dissenting Academy to the Emergence of Rational

Dissent’, in Knud HAAKONSSEN (ed.), Enlightenment & Religion: Rational Dissent in Eighteenth-centuryBritain, Cambridge: Cambridge University Press, 1996, p. 102.

14. WYKES, ‘Contribution’, p. 101.

15. Stephen BURLEY, ‘Thomas Belsham (1750-1829)’, D&E, juin 2011.

16. Riche négociant londonien, William Coward (1648-1738) avait établi une fondation destinée à

apporter un soutien financier aux Églises dissidentes, en particulier pour la formation de futurs

pasteurs non-conformistes. Son legs précisait que l’enseignement suivi devait respecter la

doctrine et la discipline congrégationalistes (WYKES, ‘Contribution’, p. 126). Les temps ont bien

changé, mais le Coward Trust œuvre toujours en ce sens : voir http://www.cowardtrust.org.uk/

about.html [dernière consultation le 13 décembre 2012].

17. David L. WYKES, ‘Daventry Academy (1752-1789), D&E, juillet 2012.

18. David L. WYKES, ‘John Horsey’s Academy at Northampton (1789-1798)’, D&E, septembre 2012.

19. Simon N. DIXON, ‘Wymondley Academy (1799-1833)’, D&E, juin 2011.

20. Isabel RIVERS en propose une analyse détaillée dans The Defence of Truth through the Knowledge

of Error: Philip Doddridge’s Academy Lectures, London: Dr. Williams’s Trust, 2003.

21. ‘An account of Mr [John] Jennings’s method of academical education, with some reflections

upon it, in a letter to a friend who had some thoughts of reviving it. Written in the year 1728’,

Senate House Library, University of London MS 609, transcription en ligne par Tessa

WHITEHOUSE: <http://www.english.qmul.ac.uk/drwilliams/pubs/Tessa/

3%29%20Philip%20Doddridge%27s%20%27Account%20of%20Mr%20Jennings%27s%20Method%27.pdf>

[consultation le 17 avril 2012], f. 9/p. 13.

22. RIVERS, op. cit., pp. 16-20.

23. WYKES, ‘Contribution’, p. 128; Memoirs of Dr. Joseph Priestley, to the year 1795, 2 vols., London: J.

Johnson, 1806-1807, vol. 1, p. 18.

24. Memoirs of Dr. Priestley, vol. 1, p. 19.

25. Ibid., vol. 1, p. 20.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

111

26. Ibid., vol. 1, p. 12.

27. Stephen BURLEY, ‘New College, Hackney (1786-96)’, D&E, juin 2011.

28. Ibid. 29. Memoirs of Dr. Priestley, vol. 1, p. 16.

Priestley cite l’Académie installée à Mile End dans le Middlesex, mais étant donné la date où il

commença ses études, il s’agit plutôt de l’établissement qui précéda Mile End, c’est-à-dire

Plaisterer’s Hall, situé plus près de la City : voir Simon N. DIXON, ‘King’s Head Society Academies

(1731-1769)’, D&E, juin 2011.

30. Thomas RAFFLES, Memoirs of the Life and Ministry of the late Reverend Thomas Spencer of Liverpool:With   a  Poem,  Occasioned   by  his  Death;   and   an  Appendix,  Containing   a   Selection   from  his  Papers,Liverpool: Reston & Taylor, 2nd ed., 1813, p. 93.

Pour la biographie de Thomas Spencer, voir G. Le G. NORGATE, ‘Spencer, Thomas (1791-1811)’,

rev. Ian SELLERS, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford University Press, 2004 ; édition en

ligne, article no 26137 [dernière consultation le 25 septembre 2012].

31. < http://dissacad.english.qmul.ac.uk/new_dissacad/phpfiles/sample1.php?

parameter=Advstudent&field1=university_authority.university&search1=Oxford&operator=and&field2=persons.surname&search2=&operator2=and&field3=per

[dernière consultation le 19 novembre 2012].

32. Dr  Williams’s  Library, Londres (ci-après DWL), MS 12.62, transcription dactylographiée d’un

manuscrit qui se trouve à Nottingham (University of Nottingham, Manuscripts and Special CollectionsMS 140): ‘Some Remarkable Passages in my life, Decr 20, 1714. Ps 103.2. William Bilby’, f. 4.

33. < http://dissacad.english.qmul.ac.uk/new_dissacad/phpfiles/sample1.php?

parameter=Advstudent&field1=university_authority.university&search1=Oxford&operator=and&field2=persons.surname&search2=&operator2=and&field3=per

[dernière consultation le 19 novembre 2012].

34. < http://dissacad.english.qmul.ac.uk/new_dissacad/phpfiles/sample1.php?

parameter=Advstudent&field1=university_authority.university&search1=Cambridge&operator=and&field2=persons.surname&search2=&operator2=and&field3=

consultation le 19 novembre 2012].

35. DWL MS 12.62, f. 4.

36. DWL MS 12.62, f. 4.

37. C. Gordon BOLAM, ‘Some Remarkable Passages in the Life of William Bilby (1664-1738) with

an Appendix’, Transactions of the Unitarian Historical Society, 10:3 (1953), p. 132 n. 25.

38. ‘burying the dead & Baptizing acc.ding to ye form in ye Com. Prayr book’ (Ibid., p. 134).

39. Le terme est ici emprunté à Bolam (p. 135), mais on l’aura noté plus haut sous la plume de

Bilby lui-même.

40. BOLAM, op. cit., p. 135 ; DWL MS 12.62, f. 12.

41. Ibid., f. 12 ; BOLAM, op. cit., p. 137.

42. DWL MS 12.62, f. 13.

43. BOLAM, op. cit., pp. 123-124, 137-140.

44. On en recense 146, au total, dans l’état actuel de la base de données : <http://

dissacad.english.qmul.ac.uk/new_dissacad/phpfiles/sample1.php?

parameter=Advstudent&field1=persons.Care

er_type&search1=clergy&operator=and&field2=persons.surname&search2=&operator2=and&field3=persons.surname&search3=&date1=&date2=&datetype=birt

consultation le 21 novembre 2012].

45. Christopher CUNLIFFE, ‘Butler, Joseph (1692–1752)’, Oxford  Dictionary  of  National  Biography,

Oxford University Press, 2004 ; édition en ligne 2008, article no 4198 [dernière consultation le 20

novembre 2012].

46. The Analogy of Religion, Natural and Revealed, to the Constitution and Course of Nature. To which areAdded Two Brief Dissertations: I. Of Personall Identity. II. Of the Nature of Virtue. By Joseph Butler, L.L.D.

Rector of Stanhope, in the Bishoprick of Durham, London: James, John & Paul Knapton, 1736.

Pierre MORÈRE en propose une interprétation : « Voix de Dieu, voies de la raison dans The

Analogy  of  Religion de Joseph Butler », in Clotilde PRUNIER (ed.), Foi  et  raison  dans   l’Europe  des

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

112

Lumières, Montpellier : Presses de l’université Paul Valéry-Montpellier III (vol. 3 de Le Spectateureuropéen), s.d. [2001], pp. 101-120.

47. R. DIXON & K. Roberts (eds.), Dissenting  Academies  Online: Virtual  Library  System, <http://

vls.english.qmul.ac.uk> [consultation le 19 septembre 2012], ci-après VLS.

48. VLS, bibliographic number 215.

49. David THOMPSON, ‘Homerton Academy (1769-1850)’, D&E, mars 2012. Voir aussi T. H. SIMMS,

Homerton College 1695-1978: From Dissenting Academy to Approved Society in the University of Cambridge,

Cambridge: Cambridge University Press, 1979, pp. 6-15.

50. VLS, bibliographic number 15188.

51. Ibid., bibliographic number 13578.

52. D&E, person ID 2139.

53. DWL, Congregational Library, Axe Desk F.15.

54. ‘Difficulties of our Probation consid.d’. C’est moi qui souligne.

55. CUNLIFFE, op. cit.56. Memoirs  of  the  Life  of  Gilbert  Wakefield  B.  A.  Late  Fellow  of  Jesus  College,  Cambridge.  Written  byhimself, London: E. Hudson, 1792, p. 199.

Pour sa biographie, voir Stephen BURLEY, ‘Gilbert Wakefield (1756-1801)’, D&E,  août 2011 et

Bruce E. GRAVER, ‘Wakefield, Gilbert (1756-1801)’, Oxford Dictionary of National Biography, Oxford

University Press, 2004 ; édition en ligne 2008, article no 28418 [dernière consultation le 5 janvier

2013].

57. WYKES, ‘Contribution’, p. 132.

58. Simon MILLS, ‘Warrington Academy (1757-1786)’, D&E, août 2011.

59. WYKES, ‘Contribution’, p. 105 ; D&E, person ID 1035.

RÉSUMÉS

Les questions d’orthodoxie et d’hérésie jouaient un rôle crucial dans la vie des Académies

dissidentes. S’appuyant sur de nouvelles ressources historiographiques, cet article montre

qu’entre conformisme et non-conformisme la frontière était plus fluctuante qu’on ne pourrait le

croire.

This article, based on new historiographical resources, shows that issues of orthodoxy and heresy

played a crucial part in the life of Dissenting Academies, and that the line between conformity,

conformism and non-conformism was not always as clear-cut as might be thought.

AUTEUR

FRANÇOISE DECONINCK-BROSSARD

Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

113

Les évangéliques, l’HonorableCompagnie des Indes Orientales etla christianisation du sous-continent indien au tournant duXIXe siècleEvangelicals, the Honourable East India Company and the Christianisation of theIndian Sub-continent at the Turn of the Nineteenth Century

Evelyne Hanquart-Turner

1 Si, selon l’expression reprise par Keki Daruwalla, les premières expéditions portugaises

vers les Indes étaient parties « pour le poivre et le Christ »1, les marchands londoniens

qui fondèrent la Compagnie des Indes Orientales (East India Company) en 1600, obtenant

charte royale et monopole commercial, n’étaient, eux, directement intéressés que par

le poivre, les épices et autres denrées. L’illusion de retrouver aux Indes le légendaire

royaume du Prêtre Jean était alors abandonnée depuis longtemps. On savait que les

seuls chrétiens des Indes étaient ceux de l’Église syriaque du Kerala et la minorité de

catholiques romains convertis par les Portugais ou les Français. La Compagnie était

initialement hostile à la venue de missionnaires sur ses territoires, car elle y voyait –

non sans raison, comme le prouvera la situation dès l’époque de Lord Bentinck

(1828-1835), puis de Lord Dalhousie (1848-1856) – un facteur de troubles et de tensions

avec les populations locales, hindoues ou musulmanes, tensions qui pourraient nuire au

commerce. Elle était alors bien davantage préoccupée de poursuivre, plutôt que celle de

Dieu, l’œuvre de César, et de satisfaire les intérêts du royaume, de l’Institution et de

ses actionnaires.

2 Les besoins spirituels des employés de la Compagnie cantonnés dans les trois comptoirs

de Calcutta, Madras et Bombay étaient pris en charge par des aumôniers engagés par

ses soins et arrivés avec eux de la métropole2. Il était hors de question que la religion

chrétienne se manifestât dans la vie publique à l’extérieur de ses établissements et des

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

114

lieux de résidence des Européens. Il n’y avait donc pas alors, pour la Compagnie, de

« question religieuse » à considérer.

3 Avec le renouveau spirituel, anglican et dissident, qui transforme l’Angleterre pendant

les dernières décennies du XVIIIe siècle et atteint tout particulièrement les classes dont

font partie à la fois les actionnaires, les dirigeants et les employés de la Compagnie, la

situation évolue dramatiquement. Cette classe en pleine ascension sociale voit en effet

dans l’élan religieux britannique non seulement une réaction opportune contre le

laxisme des mœurs, mais un mouvement d’union patriotique salutaire contre les

influences néfastes de la pensée des Lumières, de la pensée française en particulier :

[The philosophes] exhibit a most disgusting prostitution of the intellect, a completedereliction of moral principle and feeling, and a cool deliberate hostility to thequietude and best interests of their species. […] The sincere and zealous friends ofthe Gospel throughout the kingdom, impressed with the solemn peculiarities of thetime, yielded to the call.3 

4 L’influence évangélique s’étend donc progressivement au sein de cette bourgeoisie, au

point d’être perçue par certains comme une force quelque peu menaçante, comme le

montre cet extrait du Monthly Repository unitarien de 1808 :

The Evangelical party (the most numerous association of men for a particular objectin the kingdom) have been of late drawn into closer union. They have no meannumber of supporters in the bosom of the Church of England, and they may safelyreckon upon nine-tenths of the persons not in communion with the establishedchurch. Even the Quakers have shewn a leaning to the Evangelical  religionists. Infact, the liberal part of the clergy, with their adherents and supporters amongst thebody of the people, and the Unitarian dissenters, are the only classes that opposeany obstacle to their progress. They have invaded the Navy, they thrive at the Bank,they bear sway at the India House, they count several votes in Parliament, and theyhave got a footing in the Royal Palace. Their activity is incredible.4

5 Or, pour ce qui est de la Compagnie, Bernard Cohn a montré à quel point ses membres

et ses employés étaient liés, et appartenaient à un milieu étroitement homogène :

To summarize, the directors of the East India Company, and by extension the CivilService were recruited from a very restricted group in English society centeredessentially in London and drawn from banking and commercial families and landedgroups in Scotland and the southeast of England. Cultural and economic ties ofthese groups were very much buttressed by ties of descent and affinity.5

6 Le réseau d’influence de ces familles, pour la plupart de tendance évangélique, s’avère

déterminant dans l’essor commercial, financier et politique autant que dans le

développement religieux en métropole comme aux Indes. Le cercle des Wilberforce,

Thornton, Grant, Stephen, alliés et amis, est exemplaire pour notre propos.

7 Si « [l]’interdépendance entre la Cité et Westminster a été non seulement le succès final dans lesguerres de la Révolution et de l’Empire »6, l’influence morale des évangéliques, en nombre

dans la Cité et à Westminster, tout comme dans la Compagnie des Indes7, va être

déterminante pour les deux grandes causes que sont l’abolition de la traite et de

l’esclavage et la conversion des hérétiques et des païens8. Avec la troisième génération

des Thornton, les liens avec la Très Honorable Compagnie se renforcent. Chacun

d’entre eux, comme leur cousin Wilberforce, y possède plus de 2 000 livres d’actions, ce

qui les rend ainsi éligibles au Conseil d’administration (Court of Directors). Il est toutefois

évident que ces banquiers, Robert et Samuel Thornton, n’auraient pu y atteindre les

niveaux de responsabilité qui furent les leurs sans le poids de la colossale fortune de

leur père, John, et de leur parentèle, en tant qu’actionnaires. John avait consacré une

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

115

part importante de sa fortune à l’hôpital militaire de Dulwich, à la Bible  Society, à la

Society for Promoting Christian Knowledge, et à l’achat d’advowsons9 destinés à promouvoir

la carrière de jeunes ecclésiastiques de tendance évangélique. Son influence s’étendait

donc aux divers cercles de l’Église anglicane et aux compagnies négociant avec les

éventuelles terres de mission, ses trois fils, Samuel, Robert et Henry œuvrant de même,

tout comme William Wilberforce, ou leurs amis et voisins, Sir James Mackintosh,

Charles Grant, Zachary Macaulay, Lord Teignmouth, James Stephen, et John Venn, curé

de Clapham. C’est ainsi qu’on les compte en 1799 parmi les membres fondateurs de la

Church  Missionary  Society (CMS), de la Religious  Tracts  Society (RTS), créée par Hannah

More la même année, puis de la British and Foreign Bible Society (BFBS), en 1804.

L’Inde, terre de mission ?

8 Si le but de la RTS était l’éducation chrétienne des classes populaires anglaises, la CMS

et la BFBS étaient davantage tournées vers l’extérieur du pays, d’autant plus que la

faction évangélique n’avait pas réussi à se faire entendre au Parlement lors du

renouvellement de la charte en 179310. Elle n’avait pas pu forcer la main au Conseil

d’administration pour ouvrir l’accès des territoires de la Compagnie aux missionnaires.

En effet, à mesure que le désir de répandre les idéaux de l’Évangile et de promouvoir

leur mise en œuvre à travers des organismes tels que la Society for Promoting ChristianKnowledge s’était intensifié en Grande-Bretagne et que s’était renforcé le poids financier

et politique des évangéliques, ces derniers avaient manifesté une volonté grandissante

de faire prévaloir leurs vues au Parlement comme au Conseil d’administration de la

Compagnie grâce à de fortes personnalités telles que Charles Grant et William

Wilberforce. En vain avaient-ils poussé à l’insertion dans la charte de nouvelles clauses

– les « clauses pieuses » (pious  clauses) – qui auraient ouvert la voie des Indes aux

missionnaires – de préférence anglicans – pour éclairer les idolâtres et les hérétiques,

leur faire découvrir les vertus chrétiennes et, ainsi, les amener vers la vraie foi. Par ces

clauses, la Compagnie aurait d’abord dû reconnaître sa responsabilité de promouvoir

« le progrès moral et religieux de l’Inde » et, à cet effet, de fournir « des hommes qualifiéspour y être  maîtres d’école, missionnaires et autres. »11 Cet échec ne découragea cependant

pas l’effort de ceux que leurs collègues parlementaires appelaient, non sans dérision,

« les saints ». En effet, ces derniers s’employèrent, par la fondation de la CMS et de la

BFBS, comme par celle de leur périodique, The Christian Observer (1802), à mobiliser la

nation tout entière pour le prochain renouvellement de la charte prévu en 1813.

9 Ceci ne signifiait pas l’absence de missionnaires aux Indes, mais qu’ils opéraient

seulement dans les États princiers et les comptoirs d’autres nations européennes –

parfois, plus ou moins clandestinement, depuis ces territoires. Les deux meilleurs

exemples en étaient les comptoirs danois de Serampore (au Bengale) et de Tranquebar

(au Tamil Nadu), où étaient implantés des baptistes britanniques tels que Joshuah et

Hannah Marshman, William Ward et, surtout, William Carey, ou des luthériens, souvent

d’origine allemande, tel Christian Frederick Schwartz. À Serampore, sous la direction

de Carey et de sa petite équipe de traducteurs, une Bible en bengali est imprimée dès

1800, suivie d’une version en sanscrit et d’autres traductions des livres des deux

Testaments dans de multiples langues vernaculaires. Étant donné sa situation

géographique proche de Calcutta, la mission de Serampore n’était pas sans gêner la

politique religieuse de la Compagnie. À Tranquebar, les presses de la mission

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

116

produisirent dès le milieu du XVIIIe siècle une version tamoule de la Bible due

essentiellement aux travaux de Schwartz, suivie d’une traduction en hindoustani,

lingua   franca sur de vastes étendues du sous-continent. Au tournant du XIX e siècle,

l’influence de cette mission s’étendait jusqu’à Madras et à Tanjore. La situation ne

pouvait guère satisfaire la Compagnie, que ce soit les responsables londoniens ou les

chapelains anglicans sur le terrain, qui voyaient leur politique de non-ingérence

menacée, ni les évangéliques, qui assistaient, impuissants, aux avancées des

missionnaires, protestants certes, mais dissidents.

10 Ainsi, pendant les deux décennies suivantes, la mobilisation des évangéliques entraîne

la création de multiples branches des Sociétés pour la Propagation du Christianisme et

de la Bible au Royaume-Uni comme aux Indes, ce maillage du territoire ayant le triple

effet de sensibiliser l’opinion à la question de l’évangélisation, de rassembler

différentes catégories sociales dans un même effort à un moment de danger national, et

de collecter des fonds importants sur une durée assez longue pour les rendre

considérables. Comme le veut la tradition évangélique, l’accent est mis sur la lecture

des livres saints et le salut par les œuvres, ce qui facilite le rassemblement de

participants de sensibilités religieuses différentes.

11 La controverse sur l’ouverture aux missions des territoires toujours croissants de la

Compagnie n’est donc pas close par le vote de la charte de 1793. Les vingt années

suivantes voient la question religieuse occuper une place significative pour ces

marchands devenus gouvernants12, que ce soit dans les débats des assemblées générales

des actionnaires (Court of Proprietors) ou sous forme de lettres ouvertes et de pamphlets.

À la lumière des événements qui suivront, quelques décennies plus tard, ce débat prend

un tour particulièrement intéressant lorsqu’en 1807, Thomas Twining, cadre de la

Compagnie, ‘senior merchant’, et fils de l’un des membres du Conseil d’administration

(Court of Directors), exprime ses inquiétudes et ses réserves dans une lettre ouverte au

président, le très évangélique Edward Parry13. Après la mutinerie de Vellore l’année

précédente14, Twining, qui a alors passé une douzaine d’années aux Indes, s’inquiète de

la diffusion des textes chrétiens traduits et, surtout, de ce qu’il considère comme

l’intrusion illégale des missionnaires sur le territoire de la Compagnie, prédisant les

pires conséquences pour la paix publique. Cette longue missive est particulièrement

intéressante, parce qu’elle émane d’un homme qui connaît bien l’Inde, mais aussi parce

qu’elle cite abondamment des textes écrits par ces missionnaires, textes révélateurs de

leurs attitudes vis-à-vis de la culture et de la religion locales. On y trouve en particulier

des phrases incendiaires de la part d’hommes aussi influents que William Carey,

William Ward (de la mission baptiste), et que David Brown et Claudius Buchanan – ces

deux derniers étant docteurs en théologie et, respectivement, directeur et vice-

directeur ducollège de la Compagnie à Fort William (Calcutta)15. Ces savants

ecclésiastiques directement impliqués dans l’œuvre de traduction biblique font part

aux responsables de la BFBS de  leur total mépris des indigènes et de la civilisation

locale, et ne cachent pas leur dessein missionnaire au-delà de la simple traduction et

diffusion de textes chrétiens :

You will sometimes hear it said that the Hindoos are a mild and passive people.They have apathy rather than mildness; their hebetude of mind is, perhaps, theirchief negative virtue. They are a race of men of weak bodily frame, and they have amind conformed to it, timid, abject in the extreme. They are passive enough toreceive any vicious impression […] What is chiefly worthy of notice, we canapproach them in no other way than by means of our religion.16

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

117

12 Twining s’inquiète de cette ferveur prosélyte, d’autant plus que Brown et Buchanan

sont aumôniers de la Compagnie, et agissent donc explicitement en contradiction avec

la politique de leur employeur. Ces citations, sans aucun doute choisies avec soin, sont

d’une grande violence : elles préconisent la conversion forcée des indigènes pour, selon

les auteurs, faciliter le gouvernement de la Compagnie et amener à la vraie foi païens et

hérétiques pour la plus grande gloire de Dieu et le bénéfice moral des gouvernants et de

leurs sujets17 : ‘A wise policy seems to demand that we should use every means of coercing thiscontemptuous   spirit   [towards  Christianity]   of   our  native   subjects’. La lettre de Twining

déclenche une polémique avec John Owen, secrétaire de la BFBS, et Andrew Fuller, celui

de la Baptist  Missionary  Society, lui-même missionnaire, d’autant plus agressif que son

action est directement attaquée. Le second point que soulève Twining est celui des liens

étroits existant entre les auteurs de ces propos et de ces comportements et les

responsables de l’Honorable Compagnie et du Comité de Contrôle parlementaire,

mettant ainsi en évidence une forme de collusion entre eux, puisqu’il ne peut plus y

avoir de réelle volonté politique de limiter les actions des missionnaires. Cette guerre

des pamphlets anime les assemblées générales de la Compagnie pendant plus d’un an.

13 Ces débats qui mettent les questions religieuses au premier plan de l’action

administrative et politique de la Compagnie sont révélateurs de leur importance

croissante dans la politique indienne au niveau de la Compagnie comme du Parlement,

certains prédisant la chute du pouvoir britannique aux Indes si elles deviennent terre

de mission, les autres défendant leur entreprise de diffusion des valeurs chrétiennes au

sein de cultures jugées sans valeur, voire carrément immorales. Ce crescendo dans

l’intérêt porté aux questions religieuses s’amplifie avec la perspective du

renouvellement de la charte, d’autant plus que l’opinion publique en Angleterre comme

en Inde a été alertée par une importante mobilisation dans les branches locales de la

CMS et de la BFBS et par les campagnes de pétitions en faveur des missionnaires

menées par des évangéliques influents tels que Granville Sharp ou William Wilberforce.

C’est ainsi qu’on remarque Henry Martyn,   fellow de St   John’s  College, Cambridge, et

aumônier de la Compagnie, qui prêche le jour de l’an 1811 devant les résidents

britanniques de Calcutta en faveur de la BFBS. La collecte atteindra près de 10 000

roupies18.

Ouverture aux missionnaires et création d’un évêché

14 En 1813, alors que Robert Thornton est président de la Compagnie (mais également

membre du Conseil d’administration de la BFBS et de la Chambre des Communes), la

charte est renouvelée. Une nouvelle version des « clauses pieuses » est adoptée malgré

l’opposition du président du Comité de Contrôle, Robert Dundas, membre pourtant fort

influent de la Compagnie19. Cette dernière se voit imposer de promouvoir, moyennant

un financement de 10 000 livres par an, « l’éducation  pratique  et   l’édification  morale  etreligieuse   de   la   population   qui   se   trouve   sur   son   territoire »20. La clause XXIII rend

légalement obligatoire pour la Compagnie d’étendre à ses sujets indigènes sa

responsabilité éducative, morale et religieuse. À ceci s’ajoute un texte de loi créant un

évêché anglican sis à Calcutta, mais couvrant l’Inde entière et Ceylan. La religion

chrétienne, dans sa version anglicane, prend donc officiellement pied sur le sous-

continent ; elle fait désormais partie des institutions britanniques dont le pouvoir

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

118

s’étend au fil des quatre décennies suivantes pour atteindre les trois cinquièmes de

l’Inde avant la Révolte des Cipayes, qui entraînera la disparition de la Compagnie.

15 Cette ouverture des Indes à l’évangélisation ne signifie pas cependant la fin de la

question religieuse. Elle va simplement prendre une autre forme : celle d’une rivalité

plus ou moins larvée entre missionnaires et Église officielle. Il est intéressant de

considérer l’opinion de l’abbé Dubois sur la question de la christianisation des Indes. Ce

prêtre jésuite, qui avait alors passé une trentaine d’années comme missionnaire dans

l’État de Mysore, déclare dans des lettres ouvertes à des amis britanniques sa

conviction de l’impossibilité de la tâche. À ses yeux, il est illusoire d’attendre une

conversion massive et durable des hindous, et l’œuvre de traduction des textes

chrétiens n’y change rien, bien au contraire, étant donné sa mauvaise qualité –

certaines de ces traductions confinent souvent au ridicule – qui, tout comme le

comportement général des Européens, contribue à déconsidérer le christianisme :

Christianity became more and more an object of contempt and aversion inproportion as the European manners became better known to the Hindoos […] Thevery name of Christian carries along with it the stain of infamy, and the proposalalone to become a convert to Christianity is considered by every well-bred Hindooas a very serious insult, which is instantly resented.21

16 Une autre difficulté qui fait débat, en écho aux rivalités métropolitaines de l’époque, est

cette fois liée aux relations entre l’évêché et la CMS. Le premier évêque de Calcutta,

Thomas Farnshaw Middleton, de tendance ‘high  Church’, considérait que ses lettres

patentes ne s’étendaient pas aux missionnaires, ni à l’ordination du clergé indigène,

mais limitaient sa juridiction aux aumôniers de la Compagnie, au contrôle de leurs

activités, et à l’octroi – ou non – de la ‘licence  to  preach’22. Lorsqu’il meurt à la tâche

après avoir mis sur pied et géré son énorme diocèse pendant sept ans, il a pour

successeur Reginald Heber (1783-1826), évangélique proche de la secte de Clapham et

de la CMS, qui a une vision de son rôle quelque peu différente. Ce dernier choisit

comme archidiacre pour le seconder le non moins évangélique Daniel Corrie, protégé

de Charles Simeon et futur évêque de Madras, et se montre donc très coopératif avec

les organisations missionnaires, accordant à certains de leurs membres la ‘licence   topreach’. Il ordonne même le premier prêtre indigène. À sa mort brutale en 182623, la

SPCK et la CMS unissent leurs efforts, mais en vain, pour obtenir du gouvernement la

division du diocèse en trois entités distinctes24.

17 Avec la création d’un évêché et l’arrivée de missionnaires anglicans « officiels »,

l’influence évangélique en Inde s’étend rapidement. Bon nombre de ces hommes

d’Église, tels Henry Martyn ou Daniel Corrie, ont en effet été formés à Cambridge, où ils

ont subi l’influence de Charles Simeon, charismatique fellow de King’s College et curé de

Holy  Trinity, ou d’Isaac Milner, Master de Queen’s, tous deux promoteurs de la pensée

évangélique25.

18 Au cours de leurs visites pastorales qui les entraînent pendant des mois à travers l’Inde

entière, Middleton, Heber et leur suite perçoivent l’ampleur de la tâche à accomplir, et

font le point sur la situation du christianisme indien. Les moyens manquent aux

missions pour atteindre la population indigène, et leur action se trouve souvent limitée

aux Eurasiens et aux Indiens précédemment convertis (‘native Christians’). Middleton et

Heber déplorent le caractère superficiel de la foi et de la pratique religieuse chez la

plupart de leurs compatriotes résidant dans les comptoirs, où le nombre d’aumôniers

est insuffisant. Ils constatent avec effroi l’état des croyances religieuses des catholiques

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

119

romains du sud de l’Inde, guère meilleur, selon eux, que celui des païens hindous en

matière de morale et d’idolâtrie26. Ils s’intéressent en revanche de près, et avec

bienveillance, à l’Église syriaque du Kerala, la plus ancienne des Indes. Il s’établit même

un dialogue entre l’évêque et le patriarche dans le but de déboucher, selon le désir

exprimé par ce dernier, semble-t-il, sur une version de la liturgie anglicane en syriaque,

langue savante, et en malayam, langue vernaculaire de cette communauté. Heber

manifeste aussi une certaine bienveillance envers les missionnaires luthériens et leurs

homologues baptistes durant ces visites, mais cette attitude œcuménique reste

marquée par une certaine réserve, probablement liée à sa position officielle plus qu’à

son inclination personnelle, si l’on en juge par les parties publiées de sa

correspondance ; l’orthodoxie anglicane ne pouvait totalement fermer les yeux sur les

déviances dissidentes, même si luthériens et baptistes avaient jusque-là préparé le

terrain.

19 Pour Middleton comme pour Heber, il s’agit avant tout de donner des bases et une

implantation solides à l’Église anglicane des Indes pour lui assurer une vigueur et une

efficacité pérennes. Dès 1818, Middleton avait fait part d’un projet en ce sens à la

SPGFP27. Il avait l’intention de fonder un collège de missionnaires aux environs de

Calcutta dans le quadruple but :

Of instructing Native and other Christian youths in the doctrine and discipline of the

Church, in order to their becoming preachers, catechists and school teachers.

For teaching the elements of useful knowledge and the English language to Musulmans or

Hindoos having no object in such attainments beyond secular advantage.

For translating the Scriptures, the liturgy, and moral and religious tracts.

For the reception of English Missionaries to be sent out by the Society, on their first arrival.28

20 Grâce aux 5 000 livres accordées par la Société pour l’achat du terrain et la construction

des bâtiments, et d’autres financements venus de la SPCK et de la BFBS, Mission College,

qui devient ensuite Bishop’s College, voit le jour en 1824, après la mort de son fondateur.

L’arrivée du très évangélique Heber ne change pas la destinée du Collège, et ses

successeurs – Daniel Wilson, ‘the   evangelical   of   evangelicals’29, en particulier –

soutiennent l’action du Collège malgré leurs difficultés récurrentes avec la CMS et les

missionnaires, auxquels ils reprochent souvent la piètre qualité de leur enseignement,

qu’il soit religieux ou profane.

21 La situation se complique encore en 1839 lorsque l’évêque se trouve confronté à la

nomination d’un nouveau directeur, Arthur Wallis Street, de tendance tractarienne.

Wilson s’inquiète alors que la formation des futurs missionnaires anglicans puisse être

confiée à un professeur proche de Manning et recommandé par Newman. Pour rétablir

l’équilibre à ses yeux, il appuie en 1843 – comme d’ailleurs Henry Venn, héritier de

Clapham et secrétaire de la CMS – la nomination du second professeur, George

Weidermann, un évangélique de St Catharine’s College, Cambridge.

La controverse de la ‘pilgrim tax’

22 Sur un plan plus général, toutefois, Wilson n’a plus à s’inquiéter des tractariens. Il n’a

rien à craindre du gouvernement de Bentinck inspiré par Thomas Babington Macaulay,

cet autre héritier de Clapham ; l’évangélisme, comme l’utilitarisme, imprègne toute la

1.

2.

3.

4.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

120

politique éducative, culturelle et sociale dans l’Inde britannique; la lutte contre les

coutumes hindoues les plus obscurantistes s’accélère. L’attitude bienveillante de la

Compagnie envers les rites dénoncée par certains dès le début du siècle rencontre

désormais l’opposition des missionnaires, bien sûr, mais aussi des actionnaires, tel John

Poynder, qui mène depuis des années une lutte incessante dans les assemblées

générales pour l’abolition du sati30, l’une des premières mesures d’ailleurs prises par

Bentinck. En septembre 1830, il prononce devant l’assemblée générale un discours

publié ensuite sous forme de pamphlet dans lequel il attaque la Compagnie en tant que

gouvernant pour son comportement face aux pèlerinages hindous et aux pratiques

sacrificielles qui les accompagnent. La controverse venait du fait que la Compagnie, qui

était désormais l’autorité politique et administrative en charge des temples hindous,

devait en garantir l’entretien, comme la sécurité des milliers de pèlerins qui s’y

rendaient. Pour couvrir ces frais, la tradition séculaire indienne était de percevoir une

taxe (pilgrim tax) de tous ceux qui venaient faire leurs dévotions. Pour assurer la police

des grands pèlerinages, la Compagnie utilisait les cipayes de son armée. Avec Poynder,

les opposants considèrent qu’ainsi elle encourage activement l’idolâtrie et la

superstition, d’une part en rendant plus facile et plus sûr l’accès aux temples, d’autre

part en finançant leur entretien, celui des prêtres et de leurs acolytes, et en fermant les

yeux sur toutes les formes de rituels – en particulier orgastiques et sacrificiels, de

torture et de mutilation – que s’infligent certains dévots hindous. Selon Poynder, ce

comportement de la Compagnie va à l’encontre des stipulations de la charte concernant

le progrès moral et religieux des Indes. De plus, l’immoralité de cette situation

scandaleuse est accrue par le fait qu’une compagnie chrétienne soutenue par un État

chrétien tire des milliers de livres de profit au bénéfice involontaire d’actionnaires

révoltés par les pratiques idolâtres païennes31. Poynder propose donc le vote d’une

motion demandant l’intervention du Conseil d’administration auprès du gouvernement

des Indes « pour enfin laver un empire chrétien d’une telle souillure ». Sitôt la motion rejetée

par les actionnaires, un comité parlementaire est créé pour enquêter sur cette

question. John Stuart Mill, secrétaire de la Compagnie, est en faveur du maintien de la

taxe, mais d’autres, qui ont une expérience directe de la vie indienne, témoignent en

des termes comparables à ceux de Poynder :

But, the muscle in the Evangelical attack came from the younger Charles Grantwho, from his position as President of the Board of Control, manipulated Companypolicy. He persuaded the Board that they should override all objections from theCourt of Directors and demand the abolition of the Pilgrim Tax as well as all Britishinterference in Temple management.32

23 Ces ordres sont bien transmis dès février suivant, mais, comme l’administration de la

Compagnie n’y est en fait guère favorable, il faudra quelque temps pour les voir

appliquer ! En fait, c’est le mémoire sur l’éducation (1835) et le code pénal proposé par

Macaulay – finalement appliqué après la Révolte des Cipayes – qui donnent au

gouvernement de la Compagnie une orientation résolument évangélique, laquelle va

influencer la formation des élites religieuses et laïques, et déterminer le sort de

millions d’Indiens pour les décennies, voire le siècle à venir, qu’ils soient sensibles ou

non à la parole de l’Évangile.

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121

Conclusion

24 Si, au XVIIIe siècle, la politique religieuse de la Compagnie était donc déterminée par la

question de l’introduction, ou non, de missionnaires sur son territoire et la tolérance

bienveillante des coutumes locales, pour ne pas courir le risque de perturber la paix

civile et, par conséquent, ses intérêts commerciaux, au tournant du XIXe siècle, la

montée en puissance de la religiosité britannique – anglicane ou méthodiste, en

particulier – a rendu impossible le statu quo, et a forcé la main de ses dirigeants les plus

réticents, conduisant à faire des Indes non seulement une terre de mission au sens

habituel, mais aussi une province de l’Église établie d’Angleterre, c’est-à-dire une partie

intégrante du système « constitutionnel » britannique33, où les valeurs éducatives et

morales priment sur les principes théologiques. Dans les décennies qui suivent, le rôle

des missionnaires s’oriente de plus en plus vers les questions sociales plutôt que vers la

transmission du dogme, se focalisant surla formation des jeunes (en particulier des

élites), sur l’instruction des femmes (‘zenana  missions’34) ou sur les œuvres de charité

(surtout hospitalières), en accord avec l’inspiration évangélique dominante. On peut

donc penser que le rôle des évangéliques dans le cadre de la Compagnie des Indes a

davantage contribué à l’occidentalisation du sous-continent qu’à sa christianisation.

NOTES

1. Keki N. DARUWALLA, For Pepper and Christ, New Delhi: Penguin India, 2009.

2. Selon le East   India  Register de 1813 (cité dans Claudius BUCHANAN, Colonial   EcclesiasticalEstablishment : Being a Brief View of the State of the Colonies of Great Britain, and of her Asiatic Empire, inRespect to Religious Instruction, London: Cadell & Davies, 1813, p. 145), la Compagnie comptait 35

aumôniers (dont 15 au Bengale, 13 sur le territoire de Madras, et 5 sur celui de Bombay), qui

percevaient un salaire moyen de 800 livres par an.

3. William A. THOMSON & William ORME, A Historical Sketch of the Translation and Circulation of theScriptures: from the Earliest Period to the Present Time, Perth, 1815, pp. 96, 104.

4. R. ASPLAND (ed.), Monthly  Repository   of  Theology   and  General   Literature, 21 vols., London:

Longman, Hurst, Rees & Orme, 1806-1826, vol. 3, pp. 503-504. Cité dans Gareth ATKINS,

‘Wilberforce and his Milieux: the Worlds of Anglican Evangelicalism c.1780-1830’, thèse de

doctorat de l’Université de Cambridge soutenue en 2009, p. 18.

5. Bernard S. COHN, ‘Recruitment and Training of the British Civil Servants in India, 1600-1800’,

in Ralph BRAIBANTI et  al. (eds.), Asian  Bureaucratic  Systems  Emergent   from   the  British   Imperial

Tradition, Durham, N.C.: Duke University Press, 1966, p. 110.

6. André GUILLAUME & Marie-Claude ESPOSITO, Londres. Histoire d’une place financière, Paris : PUF,

1993, p. 6.

7. La Compagnie avait d’ailleurs grandement contribué au financement de ces guerres. Voir

COHN, Ibid.

8. Selon Bernard S. Cohn, de 1784 à 1834, 45 des 110 membres du Conseil d’administration

siégeaient aussi aux Communes.

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122

9. E.M. FORSTER, Marianne Thornton, Évelyne HANQUART-TURNER (ed.), London: André Deutsch

(Abinger edition), 2000. Voir aussi E. HANQUART-TURNER, « Pouvoir, commerce et religion. Les

Thornton et le cercle d’influence de la Compagnie des Indes au tournant du XIXe siècle », in E.

HANQUART-TURNER (ed.), L’Empire et son double. Pouvoir et légitimité, Yaoundé: Nouvelles du Sud,

2003. En droit ecclésiastique anglican, un advowson est le droit que possédait le propriétaire d’un

domaine, d’une seigneurie, de choisir le curé des paroisses dépendant de ses terres. Ce droit

concernait aussi les paroisses urbaines ainsi dépendantes de propriétaires individuels ou

institutionnels tels que les Collèges d’Oxford ou de Cambridge, par exemple. Le choix était

ensuite validé par l’évêque, qui nommait officiellement le prêtre concerné.

10. Ceci, malgré l’influent pamphlet de Charles Grant, Observations on the State of Society among theAsiatic Subjects of Great Britain, particularly with respect to morals and the means of improving it, qui

avait lancé la campagne l’année précédente. Grant (1746-1823) avait vécu pendant vingt-deux ans

au Bengale, où il avait travaillé comme employé civil, avant de devenir membre du Conseil

d’administration, puis vice-directeur et directeur de la Compagnie à plusieurs reprises. Ses

enfants le surnommaient d’ailleurs « le Directeur ».

11. Cornelia WITZ, Religionpolitik   in  Britisch-Indien,   1793-1813.  Christliches  Sendungbewussten  undAchtung Hinduistischer Tradition in Widerstreit, Stuttgart : Steiner Verlag, 1985.

12. Par un décret royal (firman) de 1764, le Grand Moghol avait confié l’administration, la justice

et la perception des impôts du Bengale à la Très Honorable Compagnie.

13. Thomas Twining (1776-1861), second fils de Richard Twining (de la célèbre maison de thé),

avait été envoyé aux Indes à l’âge de seize ans, et y avait servi comme employé civil.

14. Les soldats hindous et musulmans de la Compagnie s’y étaient révoltés contre l’interdiction

qui venait de leur être faite de porter la barbe, leurs coiffures traditionnelles, et leurs signes de

caste.

15. On y enseignait les langues vernaculaires aux jeunes employés civils avant de les envoyer sur

le terrain. Buchanan et Ward étaient des protégés de Charles Grant, qui avait recommandé leur

nomination.

16. Thomas TWINING, A Letter, to the Chairman of the East India Company: On the Danger of Interferingwith  the  Religious  Opinions  of  the  Natives  of  India;  and  on  the  Views  of  the  British  and  Foreign  BibleSociety, as Directed to India, 2nd ed., London: J. Ridgway, 1807, p. 22.

17. Ibid., p. 21.

18. Henry MARTYN, Christian India, or an Appeal on Behalf of 900,000 Christians in India who want theBible, Calcutta: P. Ferris, 1811. 10 000 roupies semblent correspondre à peu près à 1 000 livres de

l’époque.

19. Robert Dundas (1776-1861), deuxième vicomte Melville, parent des Thornton par mariage,

représentait aussi l’intérêt écossais au sein de la Compagnie.

20. East India Company Charter Act, 1813.

21. Jean-Antoine DUBOIS (abbé), Letters on the State of Christianity in India; in which the Conversion ofthe Hindoos is Considered as Impracticable, London: Longman, 1823, pp. 12, 14.

22. Timothy E. YATES, Venn  and   the  Victorian  Bishops  abroad, Uppsala and London: Swedish

Institute of Missionary Research, 1978, p. 24.

23. Il mourut d’hydrocution lors d’une visite pastorale à Trichonopoly, à des milliers de

kilomètres de Calcutta.

24. Il faut attendre la charte de 1833 pour voir la création des diocèses de Madras et de Bombay.

25. Charles Simeon (1759-1836) était aussi un des membres fondateurs de la CMS, et conseiller de

la Compagnie des Indes pour la nomination de ses aumôniers.

26. DUBOIS, op.  cit.,  pp. 18-19, 23-24. Dans la première lettre, datée de 1815, l’abbé Dubois fait

observer que le rituel catholique, avec ses processions, ses statues et son encens, plaît aux

hindous, alors que le protestantisme, trop strict dans ses manifestations, ne leur parle pas.

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27. La Society for the Propagation of the Gospel in Foreign Parts avait initialement été fondée en 1701

par l’Église anglicane pour porter l’Évangile en Amérique et dans la Caraïbe. Ce n’est qu’après

1820 qu’elle envoya ses propres missionnaires aux Indes.

28. Thomas Fanshaw MIDDLETON, A  Letter   from   the  Right  Reverend   the  Lord  Bishop  of  Calcutta,

addressed to the Reverend Anthony Hamilton, Secretary to the Society for the Propagation of the Gospel inForeign Parts (18 November 1818), London: S. Brooke, 1819.

29. YATES, op. cit., p. 25.

30. John Poynder (1779-1849), juriste, actionnaire de la Compagnie, et activiste évangélique est

l’auteur de plusieurs pamphlets religieux dénonçant en particulier le catholicisme romain.  Le

sati est une immolation plus ou moins volontaire des épouses sur le bûcher funéraire de leur

mari. Claudius Buchanan avait attiré l’attention du public britannique sur le sati comme sur

l’infanticide féminin dès 1812 (op. cit., pp. 126-138).

31. Ibid., p. 139.

32. Nancy GARDNER CASSELLS, ‘The East India Company’s Abbkarry and Pilgrim Taxes. Questions

of Public Order and Morality or Revenue?’, communication donnée en 2004, 18e congrès de la

EASAS : <http://www.sasnet.lu.se/EASASpapers/22NancyGardner.pdf>, p. 58.

33. ‘The  Church  […]   is  part  of  our  constitution  and   forms  a  chief  portion  of  the  respectability  of  ourcountry’ (BUCHANAN, op. cit., p. 123).

34. Originellement fondées par les baptistes de Serampore à l’initiative de William Ward, elles

inspirèrent vite l’action des autres confessions, puisqu’elles permettaient, grâce à des femmes

missionnaires, d’atteindre les femmes recluses dans le zenana hindou ou musulman (partie de la

demeure familiale réservée aux femmes et aux jeunes enfants).

RÉSUMÉS

Le réseau d’influence des évangéliques qui s’étend aux diverses Sociétés pour la Promotion du

Christianisme comme au Parlement, à la Cité et à la Compagnie des Indes, a joué un rôle

considérable dans le développement du pouvoir colonial. Deux aspects essentiels de cette action

retiennent l’attention. D’une part, la polémique concernant le libre accès des missionnaires aux

territoires de la Compagnie, avec pour corollaire la conduite à observer par celle-ci, en tant que

pouvoir tutélaire, envers les religions indigènes et leurs pratiques parfois choquantes pour les

actionnaires chrétiens. D’autre part, après 1813, la création d’un premier diocèse indien de

l’Église anglicane, avec des prélats de tendance évangélique marquée, conduisant à des choix

déterminants en matière d’éducation et de vie publique, mais sans grandes conséquences pour la

christianisation du sous-continent.

The Evangelical interest stretching out to the various Societies for Promoting Christianity as well

as the House of Commons, the City and the East India Company played a central part in the

development of British colonial power. Two major aspects of Evangelical action are analysed

here: firstly, the controversy about the Company territories’ accessibility to missionaries and, as

a corollary, the behaviour expected from the Company as paramount power towards native

religions and their practices, which were sometimes disturbing for the Christian proprietors;

secondly, after 1813, the foundation of the first Indian bishopric of the Church of England, with

strongly Evangelical bishops, leading to decisive choices in terms of education and public life, but

rather inconsequential for the subcontinent’s conversion to Christianity.

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AUTEUR

EVELYNE HANQUART-TURNER

Université Paris-Est Créteil et Darwin College, Cambridge

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Otium, re-création, conversion : lesvacances peu orthodoxes de HenryEdward Manning, archidiacre deChichester (1838-1848)Otium, Re-creation, Conversion: the Unorthodox Vacations of Edward Henry

Manning, Archdeacon of Chichester (1838-1848)

Jacqueline Clais-Girard

1 Fils d’un riche marchand, député conservateur et un temps gouverneur de la Banque

d’Angleterre, Henry Edward Manning, le benjamin de huit enfants, est le seul à recevoir

une éducation universitaire, car on le destine à une carrière ecclésiastique. Une

réussite brillante aux examens en novembre 1830 lui permet d’espérer une carrière

politique plus conforme à ses goûts. Lorsque la ruine de son père vient mettre un terme

à ce projet, il présente sa candidature à un poste de fellow à Merton, tout en avouant

au warden que, conscient de ne pas avoir la vocation, il a décidé de ne pas être prêtre1. Il

passe l’été 1831 seul dans la propriété familiale de Coombe Bank, avant qu’elle ne soit

vendue. Frustré, désœuvré, déprimé, il trouve refuge à Trent  Park, la propriété des

Bevan, une famille amie dont le fils est un ancien condisciple de Harrow. Lors d’un

précédent séjour, il était tombé sous l’influence de la très pieuse sœur aînée de Robert,

celle, sans doute, qui a le mieux cerné sa personnalité complexe2. Miss Bevan va lui

démontrer que les ambitions célestes ne lui sont pas fermées3, et qu’il est possible de

concilier ambition et conscience ; s’opère alors, sous son influence, une sorte de

première conversion. Le 24 novembre, elle écrit dans son journal: ‘H.M. is in the Hands ofOne  Who  can  guide  by  His  counsel[…]  Who  knows  but  that  after  being  tempest-tossed  for  aseason he may seek the service of his Master?’4

2 Cet été-là, en tout cas, la religion prend sur lui un ascendant qu’elle n’avait encore

jamais eu ; alors que, le 13 juin 1831, il écrivait à son beau-frère : ‘I am  splenetic,  sick,savage, sour, rabid, indolent, useless, and ill at ease’5, six mois plus tard, il a fait son choix, il

sera prêtre. Dès lors, les choses vont très vite : fellow de Merton en avril 1832, diacre en

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décembre, le jeune Henry accepte en janvier 1833 de remplacer Henry Wilberforce

comme vicaire auprès du révérend John Sargent à Lavington, dans le Sussex, avec

l’intention bien arrêtée de revenir à Oxford avant l’été. D’abord uniquement chargé de

la petite église d’Upwaltham, Henry Manning se voit offrir à la mort du révérend

Sargent son bénéfice, qui regroupe les trois paroisses de Lavington, de Graffham et

d’Upwaltham. Ordonné le 9 juin, il épouse le 7 novembre Caroline, la troisième fille de

la maison, et devient le recteur d’une paroisse modèle qui ne compte guère plus de 800

âmes : « À 25 ans marié, renté, haut placé, Manning était dans la plus enviable des positions »6.

Même pour un homme de petite santé, la tâche n’était pas écrasante et lui laissait le

temps de lire, de se cultiver7, et de réfléchir au sacerdoce à partir de la pratique qu’il

découvrait et de l’atmosphère théologique du moment – c’est en juillet 1833 que

commence le Mouvement d’Oxford.

3 S’il a embrassé de tout cœur la piété et les pratiques de dévotion évangéliques en

vigueur chez les Bevan et dans la famille Sargent, il n’a pas adopté leurs opinions

doctrinales. Son bagage théologique tient en quelques phrases: ‘When I came to Lavingtonin 1833 I believed, as I always did, in baptismal regeneration: I had no view of the Sacrament ofthe Body and Blood of Christ and no idea of the Church. You sent me in the year 1834 to Hooker tolearn the doctrine of the Real Presence’8, écrira-t-il à Samuel Wilberforce en 1850. Comme

son beau-père, il visite régulièrement ses paroissiens, mais il a besoin, pour ne pas se

sentir importun, de se croire investi d’une mission divine et porteur d’un message

divin9. C’est ainsi qu’il adopte très vite le principe de la succession apostolique, dans

lequel cette mission divine trouve son origine et sa justification. Son sermon de 1835,

The  English  Church,  Its  Succession  and  Witness  for  Christ,  qui magnifie le sacerdoce, fait

écho aux premiers tracts de John Henry Newman, qu’il a d’ailleurs proposé de

distribuer dans le Sussex10. De même, c’est la question du message divin qui l’amène à la

tradition apostolique. Son ministère pastoral le rend désireux de trouver une règle qui

permette de certifier les doctrines chrétiennes11. Les évangéliques mettent l’accent sur

le jugement privé, les catholiques, sur l’interprétation de l’Église, et les anglo-

catholiques, sur l’Écriture et la Tradition – deux témoins d’une seule vérité –, une

position que les évangéliques vont attaquer comme trop romaine, et les catholiques,

comme trop proche du jugement privé. C’est en tout cas celle que défend Manning dès

1836 dans une lettre au British Magazine signée ‘a Catholic Priest’, et qu’il précisera dans

The  Rule  of  Faith, son sermon de 1838, qui forme, avec l’appendice publié suite aux

attaques des évangéliques, un traité assez complet de la règle de la foi.

4 Certains de ses amis s’étaient inquiétés de le voir « s’enterrer » dans une cure de

province. Peu avant qu’il ne reçoive les ordres majeurs, Edward Twistleton lui écrivait:

‘I prophesy that you will find the retirement of a village curacy highly charming at first – for youknow  you  have  naturally  a  mixture  of  the  recluse  in  your  disposition  –  but  I  hope  you  will

quietly look forward to a more active sphere of exertion, and will not suffer your energies to liedormant’12. Plus que l’ambition, pourtant, ce sont les circonstances qui vont lui faire

choisir une sphère plus active. En effet, cette vie de ‘learned   leisure   and   earthlyhappiness’ que décrit son biographe E. S. Purcell13 prend brutalement fin à la mort de

Caroline, le 24 juillet 1837 ; Manning découvre alors que le but de la vie n’est pas d’être

heureux, mais d’être utile, et se jette à « cœur » perdu dans le travail14. Avec son

évêque, il défend l’indépendance de l’Église par rapport au pouvoir civil ; secrétaire du

comité diocésain pour l’éducation, il lance avec quelques amis un plan pour

l’enseignement primaire confessionnel ; doyen rural de Midhurst, puis archidiacre de

Chichester, il s’emploie à remettre de l’unité dans les paroisses du diocèse. Sa

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réputation grandit si rapidement que la défection de Newman va le placer sur le devant

de la scène anglicane : en toute première ligne, et en plus grand danger, en raison de

son évolution personnelle. C’est justement cette évolution qu’il peut être intéressant de

mettre en parallèle avec les voyages qu’il effectue sur le continent de 1838 à 1848 en

France, en Belgique, en Allemagne, et en Italie. Souvent très brefs, ces voyages sont, la

plupart du temps, destinés à récupérer de sa fatigue physique et nerveuse, voire de la

maladie – consacrés, donc, à la re-création (re-creatio) plus qu’à la récréation (otium) –,

car une aussi spectaculaire ascension se fait forcément au détriment d’une santé qu’il

ne ménage guère ; mais ne répondent-ils pas aussi à une aspiration qu’il ne s’avoue

pas ?

Premier séjour en terre hérétique

5 Dès l’été 1834, Henry Wilberforce avait rapporté à Newman les progrès qu’il

constatait chez celui qui était maintenant son beau-frère15 ; ceux-ci sont confirmés par

William Gladstone, qui note dans son journal qu’en l’espace de deux ou trois ans,

Manning est devenu ardemment anglican. Mais l’évolution de sa foi ne s’arrête pas là.

Apprenant que Manning est parti passer l’hiver 1838-1839 en Italie, l’évêque de Londres

aurait dit qu’il le croyait à Rome depuis son dernier volume de sermons !16 Pourtant, ce

premier voyage à Rome n’est pas de son fait ; ce sont ses amis, inquiets de son état de

santé, qui le lui ont imposé. Souffrant de violentes crises d’asthme, Manning n’a guère

envie de voyager, et refuse d’accompagner Gladstone lorsque son ami part en août « se

reposer les yeux » à Rome et en Sicile. En octobre, pourtant, il doit céder aux instances

de son entourage, et part le retrouver en compagnie du jeune Arthur Harrison, qui va

lui aussi à Rome pour raisons de santé. Arrivés le lundi 10 décembre, ils consacrent,

comme Newman et Hurrell Froude cinq ans plus tôt, leur toute première visite à Nicolas

Wiseman, recteur de l’English College ; sans doute Manning ne se vante-t-il pas de l’avoir

attaqué deux ans plus tôt dans le British Magazine. Ils se rendent ensuite à Saint-Pierre,

où, après avoir admiré l’édifice, ils entendent les vêpres. Le jeudi 13 décembre, ils

passent l’après-midi au Vatican, où le peintre Joseph Severn, qui réside alors à Rome –

il y fait aussi fonction de consul – leur fait admirer les statues. Le dimanche 23,

Manning et Gladstone assistent ensemble à la messe. La semaine précédente, trouvant

les sermons anglicans décidément trop ennuyeux, Manning est allé presque tous les

jours écouter le nouvel évêque d’Alger, Alphonse Dupuch, prêcher à Saint-Louis-des-

Français. Le 29 décembre, Gladstone, Manning et Harrison se rendent de nouveau à

l’English College pour y entendre la messe17. Aucune autre rencontre n’est mentionnée

en janvier, sans doute en raison du retour de Gladstone en Angleterre, mais le 21,

Wiseman emmène Manning à Sainte-Agnès-hors-les-Murs assister à la bénédiction des

agneaux dont la laine sert à fabriquer les palliums. Désormais seul à Rome, Manning est

studieux : il prend des cours de français et d’allemand – ‘Study hard at your Deutsch’, lui a

conseillé son ami S. F. Wood – et lit attentivement le livre de Gladstone, The State in itsRelations with the Church (1839), sur lequel il doit donner son avis. Par ailleurs, il se lie

d’amitié avec John Sterling, un jeune pasteur ami de Thomas Carlyle (qui passe lui aussi

l’hiver à Rome pour raisons de santé), et devient membre du Sterling Club, un cercle

très huppé qui doit son nom autant à la qualité de ses membres qu’au patronyme de son

fondateur. John Sterling fait à Richard Trench un portrait flatteur – et prophétique – de

son nouvel ami, qui confirme, s’il en était besoin, qu’il est bel et bien perdu pour les

évangéliques, et conclut: ‘I conceive him to be, in his own place and generation, one of the

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most practically efficient and energetic men I have ever known, and in a state of freer and more

fluent life in the ecclesiastical polity he would rise high and do considerable things’18.

Le temps du doute

6 Gladstone, qui est arrivé à Londres fin janvier, mettra deux mois pour lire les sermons

de son ami, qui ont pourtant fait grand bruit l’année précédente – retard dont la

politique n’est pas seule responsable, puisque le 14 juin, il lui annonce ses fiançailles19.

Manning est déjà rentré à Lavington. Pourtant, il n’assistera pas au mariage de son ami

célébré le 25 juillet 1839, deux ans presque jour pour jour après la mort de Caroline. De

retour de Rome, il ne semble pas particulièrement attiré par le catholicisme, même s’il

reconnaît volontiers la qualité des prédicateurs catholiques qu’il est allé, sur les

instances de Samuel Wood, écouter avec beaucoup d’application et, sans doute, de

plaisir. Il apprécie les éléments catholiques présents dans l’Église romaine, qui lui

manquent dans l’Église d’Angleterre, mais le système romain lui paraît corrompu. À

propos des conversions au catholicisme dont il a connaissance, il écrit le 23 mars : ‘The

occasional  conversion  of  a  serious  person  hides  the  taint  of  the  system ’20 ; et, à l’automne

1839, on le voit consulter Newman21 pour savoir comment traiter le cas des personnes

tentées par « l’hétérodoxie » catholique. En décembre 1840, quelques semaines avant

que Gladstone n’entre au Conseil Privé, Manning a été nommé archidiacre de

Chichester, à la grande satisfaction de Julius Hare, son homologue de Lewes. Sa

réputation est telle que Phillpotts, le perspicace évêque d’Exeter, va déclarer cette

année-là: ‘There are three men to whom the country has mainly to look in the coming years –Manning in the Church, Gladstone in the State, and Hope [afterwards Mr. Hope-Scott, Q. C.] inthe Law’22. Manning travaille avec acharnement au service de son Église – sermons et

mandements, mise en place d’un enseignement primaire confessionnel, création

d’évêchés coloniaux, lettres ouvertes contre la Commission ecclésiastique et la

suppression des chanoines ; collaboration politique avec Gladstone, nommé secrétaire

d’État, puis ministre… Les succès s’enchaînent, mais les épreuves ne lui sont pas

épargnées : Emily Wilberforce, la sœur aînée de Caroline, meurt le 10 mars 1841, et Mrs

Sargent doit le quitter pour aller tenir le ménage de Samuel Wilberforce, alors

archidiacre dans le Surrey. C’est dire que Manning suit d’assez loin le Mouvement

d’Oxford, avec lequel on l’identifie pourtant, puisque le Record le décrit comme l’un des

plus connus et des plus déterminés parmi les tractariens. Manning fera d’ailleurs état

de certaines divergences avec Newman: ‘In some things I thouroughly agree with Newman,

in some things partially, in some not at all’23.

7 Or, après sept années de progrès triomphants, le Mouvement commence à connaître

déboire sur déboire. Peu après la condamnation du Tract XC (1841), Newman s’est retiré

à Littlemore ; deux ans plus tard, il résigne son bénéfice de St Mary’s ; enfin, le journal

des tractariens, le British Critic, devenu très impopulaire, est suspendu en octobre 1843.

Ce même mois, Newman écrit à Manning, qui lui a demandé de s’expliquer:  ‘I  haveresigned St Mary’s because I think the Church of Rome the Catholic Church and ours not a partof the Catholic Church, because not in communion with Rome’24. Cette lettre a pour premier

effet de réveiller les préjugés et la défiance de Manning à l’égard de l’Église romaine ;

elle lui révèle brutalement dans quelle direction il s’est inconsciemment aventuré. C’est

ainsi qu’il prêche à St Mary’s, dans la chaire même de Newman, un sermon résolument

anti-romain pour l’anniversaire du Guy Fawkes’ Day. Même s’il est resté un « témoin du

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dehors », Manning se dit blessé par cette défection: ‘He seems to tell me that my only staythrough six years of sorrow, weariness and solitude is a shadow […] God be thanked, it does notshake me but it is like a chill on a wound under which one suffers to the very quick ’25; et le 21

décembre, il lui écrit:‘My dear Newman, do not suspect me as an empty pretender if I say thatthe only thing that has kept me up in this last six years and more of trial, and the only thing Ilook for until death is to save the Church in which I was born again. Doubtful thoughts about itare dreadful – and seem to take all things from me’26.  Il ne peut pas douter, il ne veut pas

douter…. Comment douter de l’Église qui l’a soutenu au cours de toutes ces années

d’épreuves ?

8 Juin 1844 voit la publication du livre de William G. Ward, The Ideal of a Christian Church. Manning n’apprécie guère qu’on lui propose l’Église romaine pour modèle, mais il doit

reconnaître la justesse du diagnostic que Ward pose sur les maux dont souffre l’Église

d’Angleterre27. Sa lettre à Gladstone, le 13 juillet, se termine sur ces mots: ‘I have heavierthoughts   for   the  Church  of  England   than   I  had  and   I   fear   truer’28. Inquiet à l’idée de se

trouver en désaccord avec son évêque – le nouvel évêque de Chichester est très hostile

aux tractariens –, il demande à son ami quelle attitude adopter si son mandement

contient des jugements auxquels il ne saurait souscrire : ‘This seems to me a question ofpractice such as you are well versed in !’ écrit-il, mais elle est symptomatique des doutes

qu’il nourrit à l’égard de la hiérarchie29. Alors qu’un mois plus tôt, il écrivait à son ami

William Dodsworth : ‘If I doubted, I would cease to speak and act till I was decided either forEngland or Rome’30, il est évident que, s’il n’a pas encore la certitude que l’Église de Rome

est la véritable Église, il doute désormais que l’Église anglicane soit une branche de

l’Église catholique. S’éloigner, prendre du recul, lui permettrait peut-être de voir où il

en est. Manning choisit d’aller en Normandie, région proche que les Anglais apprécient

particulièrement, région qui possède aussi un important patrimoine architectural

religieux. Parti le 25 septembre, sitôt après la visite du Dr Gilbert, il est le lendemain

soir à Dieppe, où il retrouve Henry Wilberforce. Le 27, il est à Rouen ; le 30, à Bayeux, à

Saint-Lô, et à Coutances ; le mardi 1er octobre, à Granville, à Avranches et à Pontorson ;

le mercredi 2, au Mont-Saint-Michel et à Saint-Malo. Le vendredi 4, il se rend à Jersey et

à Guernesey ; il arrive le soir à Plymouth, d’où il gagne Exeter par le coche, puis

Reading par le train. On reste perplexe devant cette espèce de marathon qu’il décrit à

Gladstone : ‘Since I wrote to you I have been ten days in Normandy. I went from Rouen by Caen,St Lo, Coutances, Avranches to Mont S. Michel & St Malo, and made a very pleasant sally’31.

9 A-t-il au moins réussi à se changer les idées ? Son mandement de 1845 pourrait le

laisser supposer: ‘Fifteen years, certainly adverse to the external clothing of the Church, havepassed over us […] And yet, despite of all this, there has arisen within the Church […] an energyand power of expansion never seen before ’32. Au moment où ce mandement est prononcé,

Manning éprouve de nouveau un immense besoin de secouer un joug qu’il trouve de

plus en plus pesant. Pressent-il que ce renouveau qu’il met en avant n’est qu’un

trompe-l’œil, et que l’avenir est sombre ? Richard Church dira plus tard que les

conversions individuelles se firent plus nombreuses à partir de l’été 1845 : ‘It was not tillthe summer that the first drops began to fall […] Then through the autumn and the next yearfriends whose names and forms were familiar to Oxford one by one disappeared and were lost toit;  fellowships,  curacies  and   intended  careers  were  given  up’33. Le 14 août, à peine rentré

d’Easton, où son beau-frère, George D. Ryder, est recteur, Manning écrit à Gladstone:

‘These things make my heart ache, for I have enough on me in other ways. I do not shrink orrepine: but   I   sigh   for  rest  both  of  body  &  of   spirit.  Sometimes   I   feel  deeply   sorrowful’34. Il

projette de faire le voyage à Paris qu’il n’a pu faire l’année précédente. Le prétexte est

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tout trouvé : les Ryder vont quitter l’Angleterre et se rendre sur le continent pour la

santé de Sophia, la sœur de Caroline, emmenant avec eux trois de leurs enfants et

Sophy, la sœur de George. Ce dernier a entrepris un livre qui doit prouver que Rome a

failli et que l’Église d’Angleterre représente l’Église primitive, et il compte se mettre

sérieusement au travail pendant son séjour.

10 Le 11 septembre, Manning fait route avec l’archidiacre Charles Marriott jusqu’au Havre,

où William Dodsworth le rejoint ainsi que George et Sophia Ryder. Le samedi 13, ils

remontent la Seine jusqu’à Paris et, le dimanche 14 septembre, il dîne avec l’évêque

Luscombe35 et l’archidiacre Keating. S’ensuivent trois jours de visites de chapelles et

d’églises dans un Paris qu’il n’a pas revu depuis dix-sept ans : le lundi, la Sainte-

Chapelle, Notre-Dame et Saint-Denis ; le mardi, les vieux couvents du faubourg Saint-

Germain ; le mercredi, la Chapelle expiatoire – construite sur l’emplacement du

cimetière de la Madeleine où furent inhumés Louis XVI et Marie-Antoinette et les

guillotinés jusqu’en 1794 –, le Louvre, enfin Saint-Germain-des-Prés, Saint-Sulpice et

son séminaire36. À en croire Sophy, les Ryder auraient été surpris de le voir Manning

assister à tant d’offices catholiques, comme elle fut elle-même surprise – et néanmoins

ravie – de se voir discrètement offrir un traité de dévotion à Marie37. Le 18 septembre,

leurs chemins se séparent : les Ryder continuent en direction de Fontainebleau, tandis

que Dodsworth et Manning repartent pour Rouen. Le 21, ils sont à Southampton, et le

lendemain, dimanche 22 septembre – après onze jours de vacances –, Manning est à

Lavington pour l’office du matin.

11 Quelques jours avant son départ, William G. Ward et sa jeune femme s’étaient convertis

au catholicisme ; quinze jours après son retour, il apprend – par une lettre personnelle

– la conversion de Newman. D’Allemagne, Gladstone écrit à sa femme: ‘Of all the men we

have   in   the  Church  of  England  Manning   is   the  one   to   take   the   lead  –  he  has  not  exactlyNewman’s peculiar gifts, but he has one which for a long time […] I have not been able to find inNewman or his immediate friends – namely wisdom’38. Manning, qui va peu à Oxford et ne

prend pas part aux conflits locaux, ne saurait vraiment succéder à Newman ; il n’en a

d’ailleurs nulle envie. Malgré tout, on va le considérer désormais comme le chef de file

de la « haute Église » (high   Church). La formule magique ‘credo   in  Newmanum’ est

remplacée par ‘safe  as  Manning’ ; on ne sait pas encore qu’il est ébranlé. Gladstone

insiste pour qu’il réfute le dernier livre de Newman, An Essay  on   the  Development  ofChristian Doctrine (1845), mais il ne pourra pas le faire. Il s’en expliquera des années plus

tard: ‘I had found the Rule, but not the Judge’39. Il se voit forcé de réexaminer ses notions

d’unité et d’infaillibilité. S’ensuit un temps de silence, où Rome lui apparaît plus près de

la vérité que l’Église d’Angleterre. Fait-il preuve de sagesse quand il refuse le poste de

second aumônier de la reine, laissé libre par la nomination de Samuel Wilberforce

comme évêque, ou son refus a-t-il des raisons moins avouables ? Celui qui déclarait à

Robert Wilberforce à la fin de l’année 1845: ‘Nothing can shake my belief in the presence ofChrist   in  our  Church  and  Sacraments.   I   feel   incapable  of  doubting   it’40, écrit à ce même

correspondant six mois plus tard, sous le sceau du secret: ‘Tho’  not  therefore  Roman,  Icease   to  be  Anglican’41. Coïncidence troublante, cette lettre suit de quelques jours la

conversion à Rome de Sophy, George et Sophia Ryder, dont il n’a évidemment pas

connaissance.

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« Retraite spirituelle en contrées catholiques »

12 Le dernier voyage de Manning à Rome en tant qu’anglican est le seul qui soit présenté

par Purcell comme ‘a   spiritual   retreat   in   Catholic   countries’42. Manning est tombé

gravement malade au début de 1847 : sa santé n’a pas résisté au surmenage, ni surtout à

la crise intellectuelle et spirituelle qu’il traverse maintenant depuis des années : ‘For thelast eight years I have been labouring to keep people from the Roman Church […] During the lastfour  years   the  effort  and  anxiety   to   retain   friends   in   the  English  Church  has  perceptibly

affected my health; and I can trace I think the beginning of illness last year to that cause’, écrit-

il à C. J. Laprimaudaye – son vicaire depuis le 15 janvier 184643. Confronté pendant près

de trois mois à la maladie qui a emporté sa jeune femme dix ans plus tôt, il a profité de

ce repos forcé pour lire les Pères de l’Église et, surtout, le traité de Melchior Cano, De

Locis Theologicis (1562) : s’il doit y avoir révélation, il faut qu’il y ait un enseignant et un

juge, et ce juge doit être une personne divine, le Saint-Esprit, habitant le corps de

l’Église et ses différents membres. Craignant pour son salut, Manning a fait le 18 mars

une confession générale à son vicaire. Il doit maintenant cesser tout travail pendant

quelque temps et s’exiler, comme le lui a recommandé son médecin44. Sa mère meurt au

moment où commence sa convalescence, mais il n’est pas question qu’il aille à son

enterrement, ni qu’il se rende en Écosse bénir la chapelle que Gladstone vient de faire

restaurer45 ; il doit aller vers le sud : ‘Dr. Ferguson […] wishes me to go slowly southward andreach Italy about October’, écrit-il à Robert Wilberforce le 9 juin46. Malgré les craintes de

Laprimaudaye, il a choisi d’aller en Italie, déclinant la proposition moins « dangereuse »

de Lord Campden, qui l’invitait à Madère. A-t-il trouvé les réponses aux questions qu’il

se posait, ou veut-il tout simplement se laisser guider ? ‘Tomorrow by the will of God I goforth, it may be for a year, it may be for ever. I feel to be in His hands. I know not what is good formyself’47. Au soir de sa vie, il écrira simplement: ‘In this state of self-mistrust and fear ofgoing wrong, I went abroad’48.

13 Manning va donc se diriger lentement vers l’Italie : il compte prendre son temps,

puisqu’il prévoit cinq mois de voyage, avec des étapes dans une ville d’eaux et dans de

hauts lieux du catholicisme. Le 6 juillet, il part en compagnie d’Henry Wilberforce ; ils

passent par Bruges, Gand, Louvain, Anvers, Liège et Malines, où Manning doit

rencontrer Ignaz von Döllinger. Le 19, il est en Allemagne : Aix-la-Chapelle, Cologne,

Bonn, Coblence, Francfort, puis Hombourg – ville protestante ‘stripped   of   outward

christianity’, où il prend les eaux – et enfin Mayence, où il doit retrouver le 28 août son

ami Dodsworth. De Hombourg, Manning écrit le 18 août à Gladstone:

My plans are to go by Basle, Lucerne and the St. Gothard to the lakes and Milan, Ihope to see Ravenna. My directions will be until the 1st September, Basle, until the15th Como, until October 1 st, Milan then Florence and about the middle ofNovember, Rome, Please God. I have been at this place nearly four weeks, drinkingthe water, and I trust and believe with real benefit. I feel both stronger and better.49

14 Ces beaux projets ne se réaliseront pas : le 9 septembre, il tombe malade à Lucerne, et

doit changer ses plans, gâchant du même coup les vacances italiennes de Dodsworth.

Au lieu de Côme, ce sera l’Angleterre : il repart pour Londres. Après trois semaines de

repos complet, il reprend la route du sud, cette fois en compagnie de sa sœur Caroline

et de son beau-frère, le colonel Austen. Le 3 novembre, il est à Nice, qu’il quitte le 22

pour l’Italie : l’air y était trop vif. Pendant ces trois semaines, il s’est fait une idée assez

précise de la dévotion populaire: ‘Here at last was really effective successful religion […] asad contrast to our evensong where everyone so far as I saw sat through their prayers’50. Le 27

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novembre 1847, il est à Rome, où il parvient par bateau de Livourne. Malgré ses

problèmes de santé, il n’arrive guère que deux semaines après la date initialement

prévue. À Gladstone, il écrit que, si tout lui rappelle leur séjour effectué dix ans plus tôt,

l’ambiance est très différente : ‘Outwardly   Rome   is   unchanged   –   the   streets,   shops,pavements, heaps of dirt not yet taken away. But morally and inwardly there is a vast change: avery   visible   increase   of   intelligence   and   energy,  with   free  public   expression   in  word   andwriting’51. Responsable de ce changement: Pie IX, le nouveau pape, qui a amnistié,

réformé et libéralisé, sans se douter qu’il mettait en péril sa propre position; un risque

dont Manning se montre très conscient: ‘I  […]  am  afraid  that  anything  which  upsets an

existing order, instead of recalling it to its first idea, only clears a field for confusion’52.

15 À défaut d’être tout à fait la même, la bonne société londonienne est toujours là. Chez

les Herbert, Manning rencontre Mr et Mrs Bracebridge accompagnés de Florence

Nightingale – une Florence âgée tout juste de 27 ans qui, fort perspicace, écrit à son

père : ‘He [Manning] will make an easy transit from the Via della Croce to the Convento dellaSantissima Croce in Gerusalemme and occupy the wide and sunny cell just left by Newman’53. Manning n’a fait que croiser Newman, qui rentre en Angleterre après avoir achevé son

noviciat d’Oratorien, mais il fréquente d’autres convertis récents comme Ambrose St

John et Frederick Bowles, et donne libre cours à son besoin d’en savoir plus sur le culte

catholique et ses dévotions : il prend des notes pendant les sermons, dresse le plan des

églises, et discute avec des prêtres, des moines et des religieux, montrant un intérêt

tout particulier pour les jésuites et les passionistes54. Il fait ce que Newman se défend,

dans une lettre à un ami, d’avoir jamais fait55.

16 Du 27 novembre au 11 mai 1848, date à laquelle il repart pour l’Angleterre via Assise et

Milan, Manning aura de nouveau séjourné près de six mois à Rome ; il a été reçu en

audience privée par le pape le 9 avril – lui remettant à cette occasion le pamphlet de sir

Charles Trevelyan sur la famine en Irlande – et une deuxième fois le jour de son départ.

L’absence de commentaires immédiats sur ces deux rencontres laisse à penser qu’il en

garde un souvenir mitigé – peut-être en raison de l’ignorance du Saint-Père concernant

l’Église d’Angleterre. L’aspect religieux de son voyage se double d’un intérêt politique.

Les dernières semaines ont été riches en événements : en Italie, comme partout en

Europe, c’est le « Printemps des peuples ». On crie « Vive Pie IX ! » à Rome dans

l’euphorie du printemps – euphorie qui ne va pas durer. Manning a suivi ces

événements avec espoir: ‘It is wonderful to see the Catholic Church in America, France & Italydistinctly of the progress and popular party: indeed in many ways at the head of it’56; et il se

souviendra toute sa vie des paroles du Père Gioacchino Ventura à Pie IX: ‘Let not Your

Holiness look to the sovereigns of Europe who are shadows who may vanish within the year, butto the peoples who are realities and last for ever’57. La confusion qui règne en Europe – et le

laisse incertain quant à son itinéraire de retour – ne l’empêche pas de désirer voir la

Lombardie ‘in its first days of freedom’. Il repart de Naples pour Livourne en bateau ; de là,

il se rend à Florence, puis à Ravenne, puis revient à Florence pour gagner Pavie et

Milan. Cette dernière, qu’il n’a pu visiter à l’aller, est le véritable but de ce périple : c’est

la ville d’Ambroise, d’Augustin et de Charles Borromée. Auprès du tombeau de ce

dernier, Manning croit entendre un appel, car les ultimes paroles de l’Évangile ‘et eritunum ovile et unus pastor’ ont retenti à son oreille d’une manière toute nouvelle. « Un

seul troupeau, un seul pasteur » : serait-ce là le signe qu’il attendait ?58

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La conversion

17 Le 18 juin 1848, après presque un an d’absence, Manning est de retour à Londres chez sa

sœur, Mrs Carey, 44 Cadogan Square. Il semble que les effluves de Rome se soient

dissipés : serait-il dégrisé ? Gladstone, qui le rencontre longuement le 9 juillet, le trouve

confirmé dans son allégeance à l’Église d’Angleterre et enclin à insister sur sa

catholicité, mais n’est-il pas influencé par la décision de Manning de défendre de son

mieux la position de l’Église anglicane dans l’affaire Hampden ?59 Très inquiet des

conséquences que cette affaire pourrait avoir, Manning ne peut se permettre de la

traiter avec légèreté dans son mandement. Il explique à George Moberly que ses

opinions n’ont pas changé : il est persuadé de l’hétérodoxie de Hampden, mais il lui faut

plaider la cause de l’Église d’Angleterre, sinon comment servir une Église qu’il ne

pourrait défendre ?60 Jusqu’au bout, il fera preuve de loyauté. Lorsque l’enseignement

confessionnel, pour lequel il s’est beaucoup impliqué, est menacé d’ingérence par le

gouvernement en 1849, il travaille avec Gladstone pour obtenir un compromis

acceptable par le clergé, et fait de son mieux pour qu’il soit accepté. À cette occasion, F.

D. Maurice remarque: ‘There was  one  man  in  that  room  who  can  save the  Church  from  itsconfusion if he has it in his mind to do so. This was Manning. Mr. Anderson agreed with me, buthad some doubts about his will […] His power with the clergy is very great, greater certainlythan that of any man living’61. C’est précisément cette influence qui rend la décision de

Manning si difficile à prendre. Craignant d’être le jouet d’une illusion, il veut attendre

d’avoir la conviction qu’il fait la volonté de Dieu :

I have felt and do feel an overwhelming fear lest I should be under an illusion. Iknow of nothing else which weighs with me but this, lest I contradict the will of myLord. On St. Andrew’s Day I offered myself as I have again and again, and never sooften as in Rome, to follow on the spot if only I can have, not sign or token, but theconviction of a moral agent that it is the will of my Lord.62

18 L’affaire Gorham va lever ses derniers doutes. Qu’un tribunal laïque puisse juger en

matière de doctrine fait de l’autorité de l’Église d’Angleterre en tant qu’ecclesia docensun sujet de risée, et la disqualifie de sa prétention à être une branche de l’Église

catholique : ‘If,   in   its   Divine   office   it   should   fail,   what   remains ?’ écrit-il à Samuel

Wilberforce. Dans une lettre du 20 février 1850, il lui explique que son dernier voyage

en Italie n’a pas eu d’influence sur son évolution religieuse ; il s’est tenu à l’écart des

catholiques anglais et, si ce n’est avec trois ou quatre Romains, il n’a jamais discuté de

points litigieux de théologie ; c’est l’Église d’Angleterre qui achève de se déconsidérer à

ses yeux :

And first let me say that although closer and longer experience of the Churchabroad has convinced me of many things and made me to know by certainknowledge facts I never knew before, yet I can say with the fullest certainty a manmay use in speaking of himself that my last visit to Italy has in no way weakenedthe grounds of my abiding in the English Church […] I can therefore say that up tomy return from Italy no increase of difficulty had arisen. Since then the care of theSee of Hereford and of this appeal has seriously disturbed me by rendering all butuntenable the grounds on which I have been resting.63

19 Ses préjugés à l’égard du catholicisme n’ont pas résisté à l’épreuve des faits ; ils se sont

dissipés au fil de ses séjours sur le continent, et il a peu à peu résolu par l’étude et la

pratique du sacerdoce les difficultés qui le préoccupaient depuis très longtemps. Ce

sont ses doutes concernant l’Église d’Angleterre qui se sont accrus : l’affaire Hampden,

puis l’affaire Gorham viennent de lui démontrer que son Église, qu’il avait cru divine,

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n’est qu’une société humaine, née du jugement privé et établie par le pouvoir civil. Le

tollé que soulève dans l’Église anglicane le rétablissement de la hiérarchie catholique

en Angleterre en septembre 1850 va lui donner le coup de grâce. L’Église anglicane, qui

ne s’est pas émue de voir les questions de doctrine tranchées par un tribunal laïque,

s’enflamme avec une belle unanimité et une grande violence contre « l’agression

papale ».

20 Le 22 novembre, après avoir une dernière fois réuni son clergé, qui entend protester

contre ce rétablissement, Henry Edward Manning démissionne : il quitte sa paroisse de

Lavington le 3 décembre, et résigne son bénéfice devant notaire en mars 1851. Reçu

dans l’Église catholique le 6 avril en même temps que son ami James Hope, il reçoit les

ordres mineurs le 30, avant d’être ordonné prêtre le 14 juin, trois ans presque jour pour

jour après son retour de Rome. Ainsi prend fin le ‘lustrum afflictionis et lacrymarum’ qu’il

évoquera plus tard dans une lettre à Gladstone64.

NOTES

1. Lettre à John Anderdon (5 avril 1831), in Edmund Sheridan PURCELL, Life of Cardinal Manning,

Archbishop of Westminster, 2 vols., London & New York: Macmillan, 1896, vol. 1, pp. 72-73.

2. Robert GRAY, Cardinal Manning: A Biography, London: Weidenfeld & Nicolson, 1985, p. 33.

3. Stanley ROMER, Cardinal Manning as Presented in his own Letters and Notes, London: Elliot Stock,

1896, p. 6.

4. Shane LESLIE, Henry Edward Manning: His Life and Labours, London, 1921, p. 37.

5. Lettre à John Anderdon, in PURCELL, op. cit., vol. 1, p. 82.

6. Francis de PRESSENSÉ, Le cardinal Manning, Paris : Perrin et Cie, 1896, p.135.

7. Robert Gray rapporte qu’il avait refusé une paroisse de 1700 habitants pour laquelle il ne se

sentait pas assez de force, ni de santé. Voir GRAY, op. cit., p. 43.

8. Lettre à Samuel Wilberforce (Manning MSS Bod., c.656, fo.55).

9. Journal de H. E. Manning, in PURCELL, op. cit., vol. 1, p.112.

10. Lettre à Henry Wilberforce (novembre 1833), in David NEWSOME, The  Convert  Cardinals:Newman and Manning, London: John Murray, 1993.

11. James PEREIRO, Cardinal  Manning:  An  Intellectual  Biography, Oxford: Oxford University Press,

1998, p. 21.

12. Lettre d’Edward Twisleton à H. E. Manning (14 décembre 1832), in PURCELL, op. cit., vol. 1, p.

92.

13. Ibid., p. 125.

14. ‘I feel the absolute need of full employment’ (lettre à Samuel Wilberforce, in NEWSOME, op. cit., p.

117).

15. Kenneth L. Parker, ‘Henry Manning and Neo-Ultramontanism: The Anglican Context for an

Oxford Movement Convert’s Faith in Papal Infallibility’, in Kenneth L. Parker & Michael J. G. Pahl

(eds.), Authority, Dogma, and History: The Role of the Oxford Movement Converts in the Papal InfallibilityDebates, Bethesda, MD: Academica Press, 2009, p. 98.

16. Lettre de Samuel Wilberforce à Charles Anderson (7 décembre 1838), in PURCELL, op. cit., vol. 1, p. 140,note 1.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

135

17. Pour tous ces détails, voir M. R. D. FOOT & H. C. G. MATTHEWS (eds.), The Gladstone Diaries, 14

vols., Oxford : Clarendon Press, 1968-1994, vol. 2 (1833-1839).

18. Lettre de John Sterling à Richard Trench (16 mars 1839), in LESLIE, op. cit., p. 59.

19. Lettre du 14 juin 1839. L’intégralité de la correspondance entre Manning et Gladstone sera

bientôt disponible dans Peter C. ERB (ed.), The Correspondence of Henry Edward Manning and William

Ewart Gladstone, 1833-1891 (à paraître en mars 2013 aux Presses de l’Université d’Oxford).

20. LESLIE, op. cit, p. 57.

21. Newman lui répond le 1er septembre : ‘I think that nothing but patience and dutifulness can keep usin the Church of England’(GRAY, op. cit., p. 78).

22. Arthur Wollaston HUTTON, Cardinal Manning, London: Methuen and Co., 1892, p. 27.

23. Lettre à Gladstone (1842), in GRAY, op. cit., pp. 92-93.

24. Lettre du 25 octobre 1843, in PEREIRO, op. cit., p. 54 et GRAY, op. cit., p. 93.

25. Lettre à Gladstone (27 octobre1845), in LESLIE, op.cit., p. 65.

26. Lettre à Newman (21 décembre 1843), in Oratory of St. Philip Neri (ed.), Correspondence of JohnHenry Newman with John Keble and Others, 1839-1845, London & New York: Longmans & Green, 1917,

p. 291.

27. Stewart J. BROWN, The  National  Churches   of  England,   Ireland  and  Scotland, Oxford: Oxford

University Press, 2001, p. 394.

28. ERB, op. cit. (lettre du 13 juillet 1844).

29. LESLIE, op. cit., p. 62.

30. Lettre du 13 juin 1844 (Manning MSS Bod., c.658, fo. 28).

31. ERB, op. cit. (lettre du 14 octobre 1844).

32. Henry Edward Manning, A  Charge  Delivered  at   the  Ordinary  Visitation  of   the  Archdeaconry  ofChichester in July, 1845, London: John Murray, 1845, pp. 51-52.

33. BROWN, op. cit., p. 395.

34. ERB, op. cit. (lettre du 14 août 1845).

35. Le Dr M. H. Luscombe, ancien aumônier de l’ambassade britannique à Paris, consacré évêque

en 1825, était chargé par l’évêque de Londres de superviser les aumôneries du continent.

36. Détruit à la révolution, le séminaire a été reconstruit en 1820, et les sulpiciens s’y sont

réinstallés en 1826.

37. Voir A daughter of the Venerable Mother Pelletier, Sister Mary of the Sacred Heart Ryder, London:

Convent of the Good Shepherd, 1902.

38. ERB, op. cit. (lettre à Catherine Gladstone, 19 octobre 1845).

39. Lettre à Robert Wilberforce, in NEWSOME, op. cit., p. 171 et PEREIRO, op. cit., p. 68.

40. PURCELL, op.   cit., vol. 1, p. 329. Voir également Paul THUREAU-DANGIN,  La  Renaissancecatholique en Angleterre au XIXe siècle, 2 vols., 2nde ed., Paris : Librairie Plon, 1903, vol. 2, p. 129.

41. PEREIRO, op. cit., p. 70 (15 mai 1846).

42. Les chapitres   XVII et XVIII du premier volume de la biographie de Purcell portent cette

appellation.

43. Lettre du 16 juin 1847, in PURCELL, op. cit., vol. 1, pp. 468-469 et Alphonse CHAPEAU, « La Vie

anglicane de Manning », thèse de Doctorat d’État soutenue à Paris en 1955, pp. 545-547

(traduction française).

44. CHAPEAU, op. cit. (lettre du 22 avril 1847).

45. Ouverte quelques mois plus tôt, la chapelle de Fasque devait être consacrée le 26 juin 1847.

46. PURCELL, op.cit., vol. 1, p. 341.

47. Journal de H. E. Manning (entrée du 5 juillet 1847), in GRAY, op. cit., p. 119.

48. Alphonse CHAPEAU, ‘Manning the Anglican’, in Fitzsimons (ed.), Manning:  Anglican   andCatholic, London: The Catholic Book Club, 1951, p. 23.

49. ERB, op. cit. (lettre à Gladstone du 18 août 1847).

50. PURCELL, op. cit., vol. 1, p. 359; GRAY, op. cit., p. 120.

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51. Lettre à Gladstone (20 janvier 1848), in LESLIE, op.cit., p. 82.

52. Ibid.

53. Lettre de Florence Nightingale à son père (28 janvier 1848), in Lynn McDonald (ed.), Florence

Nightingale’s European Travels, Waterloo, Ontario, Canada : Wilfrid Laurier University Press, 2004,

p. 237.

54. Lettre à Dodsworth (28 janvier 1848), in LESLIE, op.   cit., p. 83. Les Passionistes sont les

membres de la Congrégation de la Passion de Jésus-Christ, ordre catholique fondé en Italie en

1720.

55. Lettre de Newman à E. Coleridge (16 octobre 1844), in  Louis BOUYER, Newman.  Sa  vie.  Saspiritualité, Paris : Éditions du Cerf, 1952, p. 298.

56. ERB, op. cit. (lettre du 3 avril 1848).

57. LESLIE, op. cit., p. 84. Les écrits de Ventura, qui justifiait, entre autres choses, l’insurrection

irlandaise, seront bientôt mis à l’index.

58. Ibid., p. 85 ; NEWSOME, op. cit., p. 180.

59. Le Dr R. D. Hampden, dont la doctrine a été censurée à deux reprises par l’université

d’Oxford, vient d’être nommé évêque par le premier ministre.

60. ‘My opinions are what they were when I wrote to you from Rome. My charge is the case for the Churchof England’ (lettre à Moberly, in GRAY, op. cit., p. 128).

61. Lettre à Miss Hare (7 juin 1849), in PURCELL, op. cit., vol. 1, p. 431.

62. Lettre à Mary Wilberforce (Avent 1849), in LESLIE, op. cit., p. 88.

63. Lettre 81 (The Wilberforce Archives: Papers of Henry Edward Manning: Letters from Henry

Edward Manning to Samuel Wilberforce).

64. ERB, op. cit. (lettre du 28 novembre 1862). L’expression est également rapportée dans LESLIE,

op. cit., ‘Preface’, p. xi.

RÉSUMÉS

Pour expliquer sa conversion au catholicisme en 1851, le cardinal Henry Edward Manning

(1808-1892) ne mentionne dans ses Notes Autobiographiques que son sacerdoce et ses lectures ;

ses voyages sur le continent, nombreux entre 1838 et 1848, n’auraient-ils pas contribué tant soit

peu à son évolution vers le catholicisme ? S’y rendait-il à la recherche de la santé … ou de son

salut ?

To account for his conversion to Roman Catholicism in 1851, Cardinal Manning (1808-1892) in his

Autobiographical Notes only mentions his priesthood and his readings; yet his numerous travels

on the continent between 1838 and 1848 must have played an important part in his religious

evolution. In other words, did he travel only for the sake of his health or for the sake of his soul?

AUTEUR

JACQUELINE CLAIS-GIRARD

Université d’Angers

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

137

Sir Moses Montefiore (1784-1885),défenseur de la foiSir Moses Montefiore (1784-1885), Defender of the Faith

Suzy Halimi

1 Sir Moses Montefiore n’est guère connu des historiens de l’Angleterre victorienne ; son

nom n’apparaît pas dans leurs index, jusqu’à la biographie que lui consacre Abigail

Green en 20101. Ce fut pourtant une éminente personnalité, qui évolua au plus haut

niveau de la sphère publique et se tailla une réputation internationale en son temps.

Figure emblématique de l’anglo-judaïsme, homme d'une grande piété, philanthrope

actif au service des causes humanitaires, notamment aux côtés de Lord Shaftesbury, il

était aussi lié d’amitié avec des évangéliques tels que Sir Culling Eardley, avec des

quakers, et honoré par des dignitaires de l’Église anglicane, au moment où était votée la

loi d’Émancipation des catholiques (1829) et où se développait la campagne pour celle

des juifs. Il y aurait là déjà de quoi rappeler l’importance du facteur religieux, à côté des

données socio-économiques dans l’histoire d’un pays, ce que s’emploie à démontrer

l’historiographie contemporaine.

2 Mais la notoriété de Sir Moses Montefiore ne s’arrêtait pas aux frontières de

l’Angleterre. Volant au secours de ses coreligionnaires persécutés de par le monde, il

s’était acquis une réputation internationale, de la Russie au Maroc, en passant par

Rome, la Syrie et l’Égypte. Prêchant partout la tolérance, précurseur de la défense des

droits de l’homme, il pouvait compter sur le soutien de son Gouvernement, sur la

sympathie active de l’Empereur des Français, car il en venait à incarner les valeurs

morales de l’Occident, messager de la civilisation britannique au rang des grands

bâtisseurs de l’Empire. Voyageur infatigable jusqu’à un âge avancé, il faisait en même

temps de la Terre Sainte son objectif privilégié, la défense de sa foi restant le fil rouge

de toute son action. Ainsi incarne-t-il l’interconnexion entre le local, le national et

l’international, lieu générateur des transferts culturels, autre thème de prédilection des

historiens d’aujourd’hui.

3 Mais qui est-il au juste, cet être d’exception, et que signifie pour lui l’observance de la

Loi mosaïque qui va guider son existence ? Répondre à cette question est le prélude

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

138

nécessaire pour comprendre sa croisade de soutien aux opprimés. C’est alors que

s’éclaire le rôle qu’il a pu jouer pour la défense de l’orthodoxie dans son propre pays,

lors des deux mouvements qui agitent sa communauté au XIXe siècle, mouvements

concomitants et interactifs, celui de la réforme religieuse et celui de l’Émancipation

politique. Telles seront les trois parties de cette présentation de Sir Moses Montefiore,

défenseur de la foi.

L’observance de la Loi

4 Sir Moses Montefiore est un homme d’une belle prestance (1,90 m) et d’une

exceptionnelle longévité à l’époque où le « Roi Choléra » fait des ravages à Londres.

Jeune, dans son bel uniforme de capitaine, il incarne le gentleman anglais au service de

son pays ; à l’automne de sa vie, sa calotte noire sur la tête, il fait figure de patriarche

biblique. Il est né à Livourne, le 24 octobre 1784, au cours d’un voyage de ses parents en

Italie. Il reçoit une éducation privée – il apprend les fondamentaux, lire, écrire et

compter, mais aussi le français – et une instruction religieuse sous la houlette de son

oncle Mocatta ; mais la Bible, la Loi écrite, retient davantage son attention que le

Talmud, la Loi orale.

5 Comme les universités et les professions libérales ne sont pas accessibles aux juifs, il

travaille d’abord chez un importateur de thé, travail fatigant et peu gratifiant. En 1803,

grâce à la générosité d’un membre de sa famille, il devient un des douze juifs autorisés

à être courtiers à la Bourse, moyennant l’achat d’une licence auprès des autorités

municipales. Ses débuts dans le monde de la finance sont désastreux : d’une honnêteté

scrupuleuse, il est victime d’une escroquerie où il perd 30 000 livres ; il lui faudra près

d’une dizaine d’années pour s’en remettre.

6 Mais en 1812, la roue tourne quand il épouse Judith Barent-Cohen, jeune fille

accomplie, bien dotée, apparentée à Nathan Mayer Rothschild. Très différents par leur

physique et par leur personnalité, les deux hommes se rapprochent pourtant, et Moses

devient le courtier en Bourse de son beau-frère. Cette fois, dûment conseillé,

investissant dans des opérations fructueuses, il fait fortune2 et décide alors de se retirer

des affaires pour se consacrer à l’action sociale, devoir religieux à ses yeux, soutenu en

cela par son épouse, elle-même d’une grande piété.

7 Entre-temps, en 1809, au moment des guerres napoléoniennes, il s’est engagé dans la

milice de son comté, se hissant vite au rang de capitaine. Puis, au fil des années, les

responsabilités et les honneurs se succèdent. En 1835, il est élu président du Board ofDeputies of British Jews, l’instance qui dirige la communauté juive du royaume, aux côtés

du Grand Rabbin, et qui assure le dialogue avec les autorités civiles. Cette fonction,

comme chef incontesté de l’anglo-judaïsme, il l’occupe pendant près de quarante ans,

jusqu’en 1874. En 1836, il est admis comme fellow de la Royal Society, et l’année suivante,

le voilà sheriff de la Cité de Londres, et anobli lorsque la jeune reine Victoria se rend

dans la Cité à l’occasion de son couronnement (1837). Une dizaine d’années plus tard, il

est fait baronet (1846). Parcours exceptionnel dans la sphère publique, où il fréquente

les responsables politiques et le gratin de la société victorienne.

8 Au faîte de la gloire, cet homme qui incarne si bien le capitalisme triomphant de

l’Angleterre du XIXe siècle, reste célèbre aussi pour son observance scrupuleuse de sa

religion. Certes, dans sa jeunesse, il a trouvé des accommodements avec le Ciel, mais

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

139

lors de son premier voyage en Terre Sainte, en 1827, le sentiment de son identité juive

se renforce. À bord du bateau, il adresse une fervente prière à son Créateur :

I humbly pray to the God of my forefathers, my God […] to grant that I mayhenceforth become a more righteous and better man, as well as a better Jew […]This day, I begin a new era.3

9 Dès lors, les exemples de sa piété sont légion. En voyage, il emporte son rouleau de la

Torah, son châle de prières, il emmène son cuisinier pour apprêter ses repas dans la

stricte observance des lois alimentaires. Le shabbat et les jours de fête, lui et sa femme

se rendent à pied à la synagogue, et il en fait de même lors de son investiture comme

sheriff de Londres, la cérémonie se déroulant le jour du Nouvel An hébraïque. Voici un

extrait de son journal, en 1820, où il détaille le déroulement de ses journées :

With God’s blessing, rise, say prayers at 7 o’clock. Breakfast at 9. Attend the StockExchange if in London, 10. Dinner 5. Read, write and learn if possible Hebrew andFrench, 6. Read Bible and say prayers, 10. Then retire. Monday and Thursdaymornings attend the synagogue.4

10 Mais, par-dessus tout, il observe cette loi suprême du judaïsme, la pratique de la

charité. Pour Montefiore, la religion n’est pas simple affaire de prière, de rituel ; elle est

action au service de son prochain. Et elle n’est pas un faire-valoir, selon l’analyse du

sociologue Marcel Mauss, une façon de désamorcer les antagonismes de classes dans

une économie capitaliste. Cette approche fonctionnaliste de la philanthropie n’a

aucune pertinence dans le cas de Montefiore. Pour le croyant qu’il est, la charité – la

tsedaka, en hébreu – est un acte de justice, un devoir pour les nantis de restituer aux

déshérités une partie de la fortune accordée par la Providence.

11 Riche, Sir Moses est aussi très généreux. Il soulage la misère de ses semblables, sans

distinction de religion, en Angleterre comme dans les pays où il se rend. Tel est le plan

d’action qu’il se fixe en 1828:

Make a Plan for relieving or affording some Assistance to Poor Persons Endeavour[…] to form some plan for the employment of the Poor […] Never Refuse to see orhear patiently everyone that applies to me for charity or Assistance and to relievethem as far as prudence will permit.5

12 Il assiste Lord Shaftesbury pour promouvoir l’éducation des enfants pauvres, et le jour

de son centième anniversaire, il fait un don pour offrir à ces enfants des ragged schools un jour de fête. En Terre Sainte, où les rescapés des pogroms vivent dans des conditions

précaires, il crée routes, écoles, hôpitaux, hospices, avec un souci très victorien de

mettre les pauvres au travail et d’éviter l’assistanat : ‘I satisfied myself that the inmates

were fully deserving of the advantages they were enjoying […] not neglecting the following ofindustrial pursuits.’6 Il fait construire un hôpital à Nazareth sur le site où Jésus prononça

ses sermons. Lorsque l’Angleterre abolit l’esclavage, il est encore là, avec Nathan

Rothschild, pour avancer au Gouvernement les fonds nécessaires pour indemniser les

propriétaires d’esclaves. Lorsque son épouse décède, en 1862, il rend hommage à celle

qui a toujours soutenu son action, et qui en a même été l’instigatrice7.

13 Cette générosité sans frontières est saluée unanimement. Quand on organise une

cérémonie en son honneur à Ramsgate en 1883, prennent la parole pour faire son éloge

le maire et le pasteur, un représentant de la communauté catholique, quatre ministres

du culte anglican. Et le 23 octobre 1884, veille de son centième anniversaire, le Times lui

consacre son éditorial : ‘Englishmen  without  distinction  of   creeds   contemplate  Sir  Moses

Montefiore’s career with as much pleasure as his co-religionists’8. Cette notoriété, il la doit

aussi à son action à l’étranger, pour la défense de ses coreligionnaires en détresse.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

140

La Libération des croyants

14 L’épopée commence au printemps 1840, sur le chemin de Damas, où les juifs sont

accusés de meurtre rituel à la suite de la disparition d’un moine italien9. L’affaire fait

grand bruit en Europe, et la France, alertée par les articles d’un brillant avocat, Adolphe

Crémieux, fait intervenir son consul en Syrie. Aussi, lorsque Sir Moses décide de se

rendre sur place, il peut compter sur le soutien de son Gouvernement. Après de

nombreuses péripéties liées aux convoitises concurrentes des puissances européennes

sur l’Empire ottoman, il est reçu par le sultan et obtient de lui un démenti formel de

l’accusation de meurtre rituel, mais aussi un décret promettant la protection de la

minorité juive à l’avenir : ‘The  Jewish  nation,  dwelling   in  all  parts  of  our  Empire  shall  beperfectly protected and no person shall molest them […] in the free exercise of their religion, norin   that  which   concerns   their safety  and   tranquillity’10. Copie du décret est remise par

Montefiore au cardinal Ravorala, à Rome, à l’empereur Napoléon III et, bien sûr, à la

reine Victoria : première démarche, d’envergure européenne, pour la défense des

minorités religieuses.

15 Suivent d’autres voyages, dans le même esprit, et presque toujours avec le même

succès. En mars 1846, c’est en Russie, où les juifs, parqués dans les territoires polonais,

sont soumis à des exactions par le tsar, qui veut les pousser à la conversion, notamment

en enrôlant de force les jeunes gens pendant vingt-cinq ans dans ses armées. Sir Moses,

après avoir constaté les faits à Vilnius, fait des dons aux institutions charitables à

Varsovie, rencontre le tsar, qui reconnaît avoir été abusé par des conseillers

malveillants et s’engage à redresser les torts commis par son administration. En 1858,

c’est la traversée des Alpes pour gagner Bologne où l’affaire Mortara fait scandale : un

enfant de six ans, Edgardo Mortara, est enlevé à sa famille juive, sous prétexte qu’il

aurait été baptisé en secret par la servante catholique. Détresse des parents et de la

communauté juive par ailleurs maltraitée dans les États pontificaux, n’ayant accès ni à

l’éducation, ni à la charité publique, et vivant sous la menace de baptêmes forcés.

Montefiore est appelé à l’aide ; des diplomates anglais et français sont dépêchés auprès

du pape Pie IX. Le Saint-Père dit sa compassion pour les parents, mais s’en remet à

l’enfant pour une décision, lequel refuse de retourner dans sa famille et sera plus tard

missionnaire catholique. C’est un échec pour Montefiore, un échec qui ravive en

Angleterre l’hostilité ancestrale au papisme !

16 Le 24 septembre 1862, Judith, la fidèle épouse, s’éteint à Ramsgate et, ce jour-là, tous les

bateaux dans le port mettent leurs pavillons en berne. Rongé par le chagrin, menacé de

sombrer dans la dépression, Sir Moses reprend sa croisade. En 1863, il se rend au Maroc

où la violence récurrente contre les juifs sert d’exutoire aux frustrations des

populations locales. Le Daily Telegraph annonce ainsi son départ: ‘Old, silverhead as he is,the Jewish Baronet heard of the sufferings of his brethren and took ship for Mogador. Sir Moses

was resolved to see the Sultan and ask justice in the name of God and Man’11. L’entrevue avec

le sultan est un succès : un édit est proclamé, enjoignant à ses sujets de s’abstenir

désormais de toute exaction à l’encontre des juifs.

17 En 1867, Sir Moses est en Roumanie, où sévit une vague d’antisémitisme ; en 1872,

nouvelle visite en Russie, à la suite d’un pogrom à Odessa. Ici et là, il est accueilli avec

les honneurs dus à son âge et à sa renommée, désormais internationale ; ici et là, il

reçoit des gages d’apaisement quant au sort de ses coreligionnaires. En 1875, c’est le

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

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septième et ultime voyage en Terre Sainte, où sévit la famine. Il a 91 ans ! Mais ses plans

de développement économique ne recueillent pas, cette fois, l’unanimité : les temps ont

changé, et de nouvelles organisations internationales sont entrées en action, animées

par des visées plus politiques que par la foi profonde de Sir Moses.

18 Inutile d’entrer ici, pour notre propos, dans les méandres diplomatiques de ce XIXe

siècle, où les grandes puissances rivalisent pour étendre leur zone d’influence dans le

monde. L’Angleterre victorienne ne manque pas de grands voyageurs, d’aventuriers qui

ont bâti l’Empire. La dimension religieuse de sa vie et de son œuvre fait de Sir Moses

Montefiore une figure à part. Lui rêve de construire le royaume de Dieu. Messager de la

tolérance, défenseur précoce des droits de l’homme, il incarne les valeurs morales de

son pays, ambassadeur de la civilisation britannique auprès de ses interlocuteurs. Le

Daily  Telegraph insiste sur cet aspect de sa croisade à son retour du Maroc: ‘What  onegood old man had done to wipe away tears from streaming eyes and cause oppression to cease[…] cannot fail to be followed by justice and amity along the shores of Africa’12. Grâce à lui, les

communautés juives en détresse ne subissent plus l’oppression dans l’indifférence

générale. Le Gouvernement anglais s’active même en leur faveur. Lorsque Palmerston

voit la Russie s’implanter en Terre Sainte pour la défense des orthodoxes et la France

pour celle des catholiques, il envisage de placer officiellement les juifs de Palestine sous

protection britannique. L’Union Jack, relais de Montefiore au secours du judaïsme !

Ironie de l’Histoire, ce zèle se manifeste au moment même où la campagne pour

l’Émancipation des juifs se heurte à de nombreuses difficultés sur la scène

parlementaire.

La défense de l’orthodoxie

19 Tandis que Montefiore déploie sa générosité sur le territoire national et à l’étranger,

deux problèmes majeurs agitent l’anglo-judaïsme : l’Émancipation, sur le plan

politique, et la réforme du rituel sur le plan religieux. Ici et là, le président du Board ofDeputies est présent, avec plus de discrétion dans le premier cas, plus de conviction

dans le second.

20 Pendant longtemps, les sujets de Sa Majesté d’obédience non-anglicane ont souffert de

restrictions limitant leurs droits civiques, faisant d’eux des citoyens de seconde zone.

Peu à peu, ces vexations ont été levées, pour les dissidents d’abord, par l’abrogation des

Test  and  Corporation  Acts (1828), puis en 1829, pour les catholiques. Seuls les juifs

souffrent encore de discrimination. L’accès aux universités, aux professions libérales

leur est interdit, interdite aussi toute participation à la vie politique et aux

responsabilités administratives à cause du serment qu’il faut prononcer à la prise de

fonction, serment sur les Trente-Neuf Articles avec la formule ‘on  the  true   faith  of  aChristian’, deux exigences auxquelles les juifs ne peuvent souscrire, même s’il existe de

rares cas où la difficulté a été contournée par artifice ou par tolérance exceptionnelle.

21 La communauté juive anglaise à l’époque de Montefiore compte 20 à 30 000 personnes,

pour les deux tiers à Londres. Sa situation socio-économique s’est bien améliorée

depuis la Réadmission, au XVIIe siècle. Les colporteurs, les fripiers se sont stabilisés

dans des commerces plus « honorables ». Une bourgeoisie aisée s’est développée et, au

sommet de la pyramide, une élite de familles riches – les Rothschild, les Mocatta, les

Montefiore – fréquente sur un pied d’égalité les grands du royaume et même les

membres de la famille royale.

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142

22 Le monde des lettres, des sciences, des arts compte aussi des juifs illustres, comme le

mathématicien Samuel Gompertz, ou David Ricardo, fondateur de l’économie libérale.

Les sœurs Adams font vibrer les salles de concert. L’image du juif se modifie de ce fait,

surtout depuis la publication, en Allemagne, de Nathan der Weise (1781) de Lessing. On

s’éloigne des caricatures du Shylock de Shakespeare, et le Fagin de Dickens prolonge

une tradition en voie d’extinction. Des juifs nobles et généreux, on en rencontre sur la

scène, dans les romans, sous la plume de Sheridan, de Cumberland, de Maria

Edgeworth13. Ce philosémitisme se répand chez les évangéliques, même s’il s’assortit,

chez eux, du secret espoir de convertir les juifs, prélude à l’avènement des temps

messianiques. Ainsi grandit dans l’opinion publique le sentiment qu’il conviendrait de

leur accorder désormais la reconnaissance de citoyens de plein droit, d’autant que, de

l’autre côté de la Manche, l’abbé Grégoire a brillamment plaidé en ce sens, et en 1807,

Napoléon a mis en place avec faste le Sanhédrin.

23 La campagne pour l’Émancipation a été longue et laborieuse au Royaume-Uni. De

nombreuses propositions de loi, introduites au Parlement, se heurtent à une opposition

aux Communes et à la Chambre des Lords, où la résistance est conduite par

l’Archevêque de Cantorbéry. Elle est finalement acquise en 1858. Quelle a été la position

de Sir Moses Montefiore ? Il est attesté que, dans les années 1830, il a mis son influence

au service de la campagne. Mais deux décennies plus tard, il semble plus en retrait ; il

n’a pas jeté son énergie et sa notoriété dans la balance. C’est qu’il y a en lui une crainte

sourde. Gardien de l’orthodoxie, il redoute que l’engagement politique n’entre en

conflit avec les exigences de la religion. Ne déclare-t-il pas en 1837, alors même qu’il

milite pour l’Émancipation, qu’il est en même temps ‘firmly  resolved  not  to  give  up  thesmallest   part   of   our   religious   forms   and   privileges   to   obtain   civil   rights’ ?14 Or, ses

appréhensions ne sont pas sans fondements.

24 La situation religieuse de la communauté juive anglaise n’est pas sans nuages, qui

menacent son intégrité et sa cohésion : une dizaine de divorces par an, des conversions

au judaïsme de femmes vivant avec des juifs et désireuses de faire légitimer leurs

enfants, conversions interdites par le Grand Rabbinat anglais et qu’elles vont chercher

sur le continent. Par ailleurs, les conversions de juifs à l’anglicanisme ne sont pas rares.

Emblématique est le cas d’Isaac D’Israeli, qui, en conflit avec sa communauté pour une

affaire de cotisation, quitte celle-ci et fait baptiser ses enfants, dont Benjamin, futur

premier ministre de la reine Victoria. En même temps, il publie The Genius of Judaism(1833), où il fait l’éloge de l’assimilation et critique ceux qui restent attachés à une foi et

à des traditions du passé. David Ricardo a, lui aussi, renié la foi de ses ancêtres et

épousé une chrétienne ; John King, renonçant à son appartenance religieuse, épouse la

comtesse de Lanesborough. Et en même temps, paraissent des ouvrages qui décrivent la

vie juive et prônent la conversion au christianisme15.

25 Tout ce ferment se nourrit aussi des nouvelles qui viennent d’Allemagne, où se

développe le même courant en faveur d’une réforme du judaïsme traditionnel. Dans les

années 1830, les élites juives de Hambourg et de Berlin s’engagent dans une révision

non pas tant des dogmes que des pratiques ancestrales : raccourcissement de la liturgie,

récitation des prières en allemand et non plus en hébreu, introduction de sermons

réguliers dans le service, utilisation des orgues, non-séparation des hommes et des

femmes pendant les offices, et à Hambourg, se crée une communauté autonome fondée

sur ces pratiques.

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143

26 Montefiore est très préoccupé par ces tendances séparatistes, d’autant que dans son

entourage immédiat, il ne manque pas de sympathisants de la Réforme : David

Salomons, son propre frère Horatio et Lyon Goldsmid qui, déçu par la tiédeur de

Montefiore dans le débat sur l’Émancipation, menace lui aussi de faire sécession. En

revanche, le frère de Judith demeure un inconditionnel du statu   quo. Le ver est

désormais dans le fruit ; la communauté est divisée sur ce problème de la préservation

de l’orthodoxie.

27 En 1836, Moses Mocatta, l’oncle de Montefiore, soumet aux autorités de la Grande

Synagogue de Bevis Marks un projet de réforme visant à simplifier le rituel en

supprimant le deuxième jour de célébration des grandes fêtes. Sir Moses ne s’associe

pas à la démarche et note dans son journal, en date du 12 décembre, que les Anciens ont

rejeté la proposition par 16 voix contre 13. Les réformistes ne désarment pas ; ils

remettent le lendemain une pétition portant 150 signatures : second refus, alors que

Montefiore entreprend un nouveau voyage en Terre Sainte. En avril 1840, le noyau dur

des réformateurs décide d’ouvrir une nouvelle synagogue dans le West End. L’heure est

grave, car un ancien règlement interdit de créer tout lieu de prière concurrent de la

synagogue officielle sous peine d’excommunication. En fait, il y a là un autre enjeu,

notamment pour les communautés de province qui rejoignent le mouvement

contestataire : la remise en question du système centralisé, qui confère l’autorité

suprême en matière religieuse au Grand Rabbinat de Londres, et de la gestion

autocratique du Board of Deputies par Sir Moses Montefiore.

28 En 1842, la rupture est consommée. La West London Synagogue of British Jews ouvre ses

portes dans Burton Street et se donne pour chef spirituel le rabbin David Wolf Marks,

un intellectuel qui a reçu une formation laïque et qui privilégie la Loi Écrite – l’Ancien

Testament – par rapport à la Loi Orale – le Talmud. Comparée au courant radical qui se

répand en Allemagne, la position des réformateurs anglais est plutôt modérée ; il s’agit

d’instaurer un judaïsme plus « confortable », d’en moderniser les pratiques en

s’inspirant du rite anglican, afin de hâter l’Émancipation. En matière d’orthodoxie, Sir

Moses s’en remet au Grand Rabbin, Solomon Hirschell, puis à son successeur Nathan

Adler, élu en 1845. Or ce dernier est inflexible:

Religion is not a matter of fashion, changeable according to the whims of theMulitude, nor is it a science, which has a time to build up and a time to break down;nor is it an art which is influenced by the taste and atmosphere of the time; no,religion is consistent amongst the changes, immutable amongst the vicissitudes […]It is divine and therefore eternal.16

29 Montefiore partage ce point de vue : à ses yeux, les brèches dans le rituel sont des

atteintes à l’intégrité de la religion, et la création de communautés autonomes est la

porte ouverte à la désintégration du peuple juif. Le 10 septembre, les autorités

londoniennes, autour du Grand Rabbin, signent un décret d’excommunication à

l’encontre des dissidents: ‘Any person or persons declaring that he or they reject and do notbelieve in the authority of the Oral Law, cannot be permitted to have any communion with us,Israelites in any religious rite or sacred act’17. Les avis divergent sur le rôle exact joué par

Montefiore dans cette affaire, mais il est sûr que les mesures de rétorsion vont dans le

sens de ses convictions, même si, en même temps, il redoute les conséquences néfastes

d’une telle décision sur l’avenir de sa communauté. Quand la West  London  Synagoguedemande le droit d’enregistrer ses mariages – droit réservé au Board of Deputies –, c’est

un refus catégorique de sa part, et il ajoute : ‘I do not consider the place of worship in BurtonStreet referred to by you to be a synagogue’18.

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30 Quelques années plus tard, sont élus au Board des représentants de la communauté –

dissidente – de Manchester. Le président leur refuse le droit de siéger et l’accès à la

salle de réunion. Le débat est houleux, et quand la question est soumise au vote des

membres, eux-mêmes divisés, c’est la voix du président, prépondérante en

l’occurrence, qui tranche en faveur de l’exclusion. Le désordre est alors si indescriptible

qu’il faut faire appel à la police pour rétablir le calme. L’unité de l’anglo-judaïsme est

bien brisée. L’excommunication ne sera levée qu’en 1874, à la fin du mandat de Sir

Moses, et les réformateurs seront admis à siéger au Board après sa mort, en 1886.

Conclusion

31 Tout au long de sa vie, Moses Montefiore a ainsi été un défenseur convaincu de sa foi. Il

l’a pratiquée au quotidien, par une stricte observance de la Loi de Moïse. Il en a honoré

l’esprit en cultivant l’amour du prochain et la charité, un des commandements sacrés

du judaïsme. Sa foi repose sur le lien indissoluble entre la Loi Écrite – l’Ancien

Testament – et la Loi Orale – herméneutique de la première par le Talmud. En ce dix-

neuvième siècle, qui est, sans conteste, celui de la sécularisation de la vie publique, il

témoigne de la permanence du facteur religieux dans la sphère privée, mais aussi dans

les corridors du pouvoir. Si les droits de l’homme ont été proclamés par la Révolution

française, il a fait de leur défense et illustration sa règle de vie, attribuant toujours ses

succès à la divine Providence.

32 Lorsqu’il s’éteint, le 28 juillet 1885, les hommages qui lui sont rendus retiennent tous

cet aspect de sa personnalité et de son œuvre. Le Times écrit, dans sa notice

nécrologique:

It may truly be said that his last thoughts were occupied with the duties of piety,loyalty and benevolence. To the Jews, it may well seem as if, with him, the centralpillar of their temple had fallen, but those who calmly contemplate his life willunderstand that the example of his useful and benevolent career has done its work.

33 Et dans son oraison funèbre prononcée le 5 août en la synagogue de Bevis Marks, le

révérend Hermann Adler conclut sur ces mots : ‘The precepts of judaism were the joy of hislife.’

34 Sir Moses Montefiore est peut-être ignoré des historiens de l’Angleterre victorienne ;

mais le promeneur qui passe aujourd’hui devant sa maison natale, à Livourne, peut lire

cette plaque à sa mémoire : ‘On  October  24 1784  was  born  Sir  Moses  Montefiore,  untiringapostle  of  tolerance  to  all  kinds  of  misfortunes,  without  distinction  of  race  or   faith.  Died  atRamsgate on July 28. 1885. Honoured by the powerful, blessed by the poor.’

NOTES

1. Abigail GREEN, Sir Moses Montefiore: Jewish Liberator, Imperial Hero, Cambridge, MA: The Belknap

Press of Harvard University Press, 2010.

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2. Il laissera à sa mort une fortune estimée à 374 421 livres 2 shillings 5 pence. Voir Geoffrey

Alderman, ‘Montefiore, Sir Moses Haim (1784-1885), financier and Jewish community leader’, in

Oxford   Dictionary   of   National   Biography, Oxford University Press, 2004: <http://

www.oxforddnb.com.janus.biu.sorbonne.fr/view/article/19042?docPos=4> [consultation le 8 mai

2012].

3. ‘Wed. Oct. 24 [1827], At sea’, Journal of Sir Moses Montefiore, 1827-1828, Montefiore Family

Papers; cité dans Abigail GREEN, ‘Rethinking Sir Moses Montefiore: Religion, Nationhood, and

International Philanthropy in the Nineteenth Century’, The American Historical Review, vol. 110, no

3, juin 2005, pp. 648-649.

4. Cité dans Ruth SEBAG-MONTEFIORE, A Family Patchwork, London: Weidenfeld & Nicolson, 1987,

p. 109.

5. Arthur Sebag-Montefiore archive, Oxford Centre for Hebrew and Jewish Studies; cité dans

GREEN, Sir Moses Montefiore, p. 295.

6. Lettre du 28 août 1866 (London Metropolitan Archives).

7. ‘I am no great man. The little good that I have accomplished […] I am indebted for it to my […] wife’ (The

Jewish Chronicle, 19 juin 1863).

8. Cité dans GREEN, ‘Rethinking Sir Moses Montefiore’, p. 639.

9. Selon une accusation remontant au Moyen Âge, les juifs, lors de la Pâque, commettraient des

meurtres pour utiliser le sang de leurs victimes dans la confection du pain azyme.

10. Voir GREEN, Sir Moses Montefiore, p. 150.

11. Repris par The Jewish Chronicle, 19 juin 1863.

12. Cité dans David LITTMAN, ‘Mission to Morrocco (1863-1864)’, in Sonia LIPMAN & Vivian D.

LIPMAN (eds.), The Century of Moses Montefiore, Oxford: Oxford University Press, 1985, p. 192.

13. A titre d’exemples, citons The Jew of Mogador (1808) de Richard Cumberland, Ivanhoe (1819) de

Walter Scott, l’amitié entre Isaac Nathan et Lord Byron, qui écrivit 29 poèmes pour servir de

texte à des mélodies juives, Leigh Hunt, grand admirateur de la langue et de la littérature juives,

etc.

14. Louis Loewe (ed.), Diaries  of  Sir  Moses  and  Lady  Montefiore [1890], 2 vols., London: Jewish

Historical Society of England, 1983, vol. 1, p. 111.

15. Voir David KATZ, The Jews in the History of England, 1485-1850, Oxford: Clarendon Press, 1994, p.

351.

16. Dr. Nathan Marcus ADLER, Solomon’s Judgment: A Sermon Delivered at the Great Synagogue on theSabbath of Dedication, 31. December, 1853, London, 1854, p.12; cité dans Bill WILLIAMS, The Making ofManchester Jewry, 1740-1875 [1976], Manchester: Manchester University Press, 1985, p. 225.

17. Pour le texte complet de cette proclamation, voir Arthur BARNETT, The  Western Synagogue

through two Centuries (1761-1961), London: Valentine Mitchell, 1961, p. 180.

18. Lettre à Francis Goldsmid (8 février 1842), in GREEN, Sir Moses Montefiore, p. 166.

RÉSUMÉS

Sir Moses Montefiore est peu connu des historiens de l’Angleterre victorienne. C’était pourtant

une personnalité importante de l’époque, introduit et honoré dans les cercles politiques, sociaux

et religieux de son temps. Juif orthodoxe, il observait scrupuleusement les commandements de sa

foi dans sa vie quotidienne, en particulier une des lois fondamentales du judaïsme, la pratique de

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la charité. Possédant une importante fortune, il la mettait au service des déshérités, sans

distinction de religion, soutenant par exemple le grand philanthrope Lord Shaftesbury pour le

développement de l’éducation des enfants pauvres. Son action s’étendait aussi par-delà les

frontières, lorsqu’il volait au secours de ses coreligionnaires persécutés de par le monde. Soutenu

dans cette action par le Gouvernement de son pays, il devint le porte-parole de la tolérance, de la

défense des droits de l’homme, des valeurs de la civilisation britannique.

Lorsque la question de l’Émancipation des juifs fut âprement discutée au Parlement de

Westminster, il soutint le mouvement en sa qualité de président du Jewish Board of Deputies, mais

non sans craindre que la conquête des droits civiques ne vienne empiéter sur une stricte

observance de la foi. Et lorsque l’orthodoxie traditionnelle fut remise en question par ceux qui

voulaient « moderniser » le rituel du judaïsme dans l’espoir de promouvoir l’Émancipation, Sir

Moses Montefiore s’opposa violemment à ces « hérétiques », refusant de les admettre comme

membres du Board aussi longtemps qu’il en demeura le président.

Sir Moses Montefiore is hardly to be found in the books of the historians of Victorian Britain. He

was however an important figure of the time, a friend of many important personalities in the

political, social and religious circles. An orthodox Jew, he strictly observed the dictates of his

faith in his daily life and especially that basic law of Judaism, the practice of charity. A very rich

man, he used his money for the relief of the poor, without any distinction of religion, supporting,

for instance, the great philanthropist, Lord Shaftesbury, in the development of education for

destitute children. His action also reached beyond the seas, when he flew to the rescue of his co-

religionists persecuted in several parts of the world. Supported by his Government, he thus

became the mouthpiece of tolerance, of the rights of man and of the values of British civilization.

When the question of Jewish Emancipation was hotly discussed in Parliament, he supported the

movement as President of the British Board of Deputies, fearing at the same time that the

conquest of civil rights might encroach upon a strict observance of his faith. And when the

traditional orthodoxy was questioned by a number of Jews, eager to ‘modernize’ the practice of

Judaism in order to promote Emancipation, then he was deadly against those ‘heretics’ and

strongly opposed their admission to the Board as long as he remained its President.

AUTEUR

SUZY HALIMI

Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

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Thomas De Quincey et la « vraiereligion » Thomas De Quincey and ‘True Religion’

Frédéric Slaby

1 De Quincey entretient des liens étroits avec la religion tout au long de sa vie. Il est

protestant (‘we  Protestants’1), et ne cache pas son appartenance religieuse à l’Église

d’Angleterre (‘I am myself, and always have been, a member of the Church of England’2), qui

est chère à son cœur3. Il n’est donc pas surprenant que le thème de la religion occupe

une grande place dans sa pensée et dans son œuvre4.

2 Même si son premier texte consacré à une question religieuse,‘Casuistry’, ne date que

de 1839, ces questions, d’ordre pratique ou théorique, l’ont intéressé depuis beaucoup

plus longtemps, que ce soit d’un point de vue historique, spirituel, philosophique ou

théologique ; c’est en tout cas ce que laissent entendre ses écrits autobiographiques, qui

présentent un auteur d’un type singulier pour la première génération des romantiques

britanniques. Sans être attiré par le « Livre de la nature » que privilégiait Wordsworth,

par exemple, De Quincey préfère s’en tenir au « Livre de la révélation », la Bible, qu’il

connaît bien depuis l’enfance. À la fois protestant et romantique, il a une position à

l’égard de la religion qui n’est pas typique de celle de la génération des romantiques à

laquelle il appartient.

Une définition de la religion

3 Alors que nous pourrions nous demander s’il ne serait pas judicieux d’expliquer

d’abord ce qu’il entend par « religion », De Quincey nous facilite la tâche, et répond de

façon didactique à la question qu’il se pose lui-même : ‘What   is   a   religion?’5 Il est

intéressant de remarquer que c’est en chrétien, et non en romantique, qu’il répond :

To Christians it means, over and above a mode of worship, a dogmatic (that is, adoctrinal) system; a great body of doctrinal truths, moral and spiritual. But to theancients (to the Greeks and Romans, for instance) it meant nothing of the kind. Areligion was simply a cultus […] a mode of ritual worship, in which there might be

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two differences, viz.: – 1. As to the particular deity who furnished the motive to theworship; 2. As to the ceremonial, or mode of conducting the worship. But in no casewas there so much as a pretence of communicating any religious truths, far less anymoral truths.6

4 Sa réponse, qui oppose les religions de l’Antiquité au christianisme, est en faveur de ce

dernier. Cela est dû en grande partie au fait que la religion, entendue dans une

perspective chrétienne, fait, pense-t-il, référence à une réalité plus grande, plus

complète que celle des Grecs ou des Romains avant la conversion de l’empereur

Constantin.

5 Lorsqu’il établit cette distinction entre la religion chrétienne et les religions païennes,

De Quincey réclame la paternité d’une thèse qui se développera et se répandra en

Allemagne indépendamment de lui quelques années après qu’il l’a exposée :

This great distinction between the modern (or Christian) idea of ‘a religion,’ and theancient (or Pagan) idea of ‘a religion,’ I had nowhere openly seen expressed inwords. To myself exclusively I was indebted for it. Nevertheless, it is undeniablethat this conception must have been long ago germinated in the world, and perhapsbearing fruit.7

6 Nous remarquons qu’avec le terme ‘germinated’, l’auteur introduit l’idée de

développement organique, très répandue parmi ses contemporains romantiques, et

préférée au mécanisme. Cette idée est héritée d’un anglican devenu catholique, John

Henry Newman. De Quincey ne s’oppose pas à la doctrine de Newman, qui compare « le

développement  de  la  doctrine  chrétienne  à  la  croissance  des  organismes  vivants et  à  celle  del’homme  en  particulier »8 dans son article ‘Protestantism’ (1847) 9. Comme cette idée de

développement va de pair avec l’expansion du christianisme dans le temps, l’espace et,

in fine, la culture (que le christianisme transforme par la richesse et la profondeur de

son contenu tant sur les plans spirituel, doctrinal, moral, et intellectuel que sur le plan

social10), De Quincey peut conclure que le christianisme est une « vraie » religion qui,

tel un « passe-partout », est capable d’ouvrir « toutes les serrures », ce que ne peuvent

faire les « fausses religions », qui sont cantonnées à un contexte particulier et

condamnées à « périr » du fait de leur « paralysie » (‘by palsy’)11.

7 ‘What then is religion?’, pourrions-nous nous demander, comme le fait De Quincey dans

son article ‘On Christianity, as an Organ of Political Movement’, où il poursuit sa

réflexion sur la définition de la religion en se concentrant plus spécifiquement sur le

christianisme. Insistant sur la nouveauté et les différences apportées par celui-ci dans

l’acception du terme « religion », De Quincey dénombre dans la religion chrétienne

quatre « puissances agissantes sur le cœur de l’homme » :

1st, A form of worship, a cultus.2ndly, An idea of God; and (pointing the analysis to Christianity in particular) anidea not purified merely from ancient pollutions, but recast and absolutely bornagain.3dly, An idea of the relation which man occupies to God: and of this idea also, whenChristianity is the religion concerned, it must be said, that it is entirely remodelled,as in no respect to resemble any element in any other religion. Thus far we arereminded of the poet’s expression, ‘Pure religion breathing household laws;’ that is,not teaching such laws, not formally prescribing a new economy of life, so much asinspiring it indirectly through a new atmosphere surrounding all objects with newattributes. But there is also in Christianity,4thly, A doctrinal part, a part directly and explicitly occupied with teaching: and this

divides into two great sections, α, A system of ethics so absolutely new as to beuntranslateable into either of the classical languages; and, ß, A system of mysteries;

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as, for instance, the mystery of the Trinity, of the Divine Incarnation, of theAtonement, of the Resurrection, and others.12 

8 Ainsi, en insistant sur à la dimension doctrinale de la religion chrétienne, il montre

qu’il « croit et confesse » ce que le christianisme – et plus particulièrement l’Église

anglicane – « croit et confesse ». De fait, les critères d’orthodoxie retenus par Jean-Yves

Lacoste semblent pouvoir s’appliquer au protestant romantique qu’est De Quincey13 :

Creeds are eternal: if dormant, they may be recalled to life: if betrayed, they areopen to revindication […] If at this present moment it were desirable for anypurpose to bring under the eyes of a Spaniard […] a comparison of the Church ofEngland with that of Papal Rome, in which direction would you turn your appeal? –to the pretensions and character of the English clergy, or to the Thirty-nine Articlesas interpreted and explained by the learning of three centuries? To the variable factof the clerical conduct at different eras, and to an estimate of their social value andconsideration at these eras; or to the eternal monuments of the creed professed bythe Church of England, and the secondary but still important settlements of herdiscipline and ecclesiastical government? Most assuredly to these last.14

9 Si l’on s’en tient à sa définition de la religion, le christianisme n’est donc pas seulement

une religion parmi d’autres, mais bien avant tout dans son esprit ‘a true religion’15, ce

qui n’est évidemment pas le cas des religions païennes : ‘There could be no doctrinal truthdelivered   in   a   Pagan   religion’16. Cependant, parmi les religions chrétiennes, seul le

protestantisme est finalement la « vraie religion ».

Un jugement sévère à l’égard des religions àl’exception du protestantisme

10 Défenseur de l’orthodoxie anglicane, De Quincey n’éprouve que peu d’estime pour les

autres religions. Ses critiques sont dures et, à l’occasion, empreintes de mépris. Alors

qu’il examine dans plusieurs de ses articles la culture antique classique et ses religions

païennes17, trop humaines à ses yeux, il est souvent tout aussi intransigeant à propos

des grandes religions monothéistes (bien qu’il ne parle pas de l’Église orthodoxe).

11 La relation de De Quincey à l’Orient, faite à la fois d’attraction et de répulsion, de

fascination et d’horreur, comme le montrent ses Confessions, est beaucoup moins

ambiguë lorsqu’il s’agit de la religion musulmane et de son prophète Mahomet, qu’il

tient en piètre estime, (‘what are we to think of him? Was Mahomet a great man? We thinknot’), accuse d’être un voleur et un imposteur18. Il le taxe en outre d’hérétique :

‘Mahomet would have ranked only as a Christian heresiarch or schismatic; such as Nestorius orMarcian at one time, such as Arius or Pelagius at another’19.

12 Quant à l’islam, De Quincey ne le considère pas tant comme une religion à part entière

qu’une « dépravation du christianisme »20. Finalement, il le qualifie de « fausse

religion » dont les bases furent jetées par un « faux prophète »21. Même si c’est « la plus

noble des fausses religions », celle qui a le plus emprunté au christianisme22, il ne lui

reconnaît pas de philosophie spécifique23.

13 Bien qu’il reconnaisse au judaïsme le mérite d’avoir « préparé » l’arrivée du

christianisme24, celui-ci n’est pas pour autant à l’abri des critiques de De Quincey, qui

déplore son « arrogance détestable »25. Les juifs de l’époque de Jésus sont qualifiés de

« puériles »26, et leur esprit est jugé peu à même de recevoir les paroles de Jésus-

Christ27. Il leur reproche en outre d’être trop centrés sur eux-mêmes et assez peu

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ouverts aux autres, contrairement aux chrétiens. C’est donc ici une critique de leur

attitude religieuse qui leur est adressée, mais aussi du manque d’universalisme de leur

message religieux28.

14 De Quincey fait cependant une distinction entre les juifs qui pratiquent leur religion et

ceux qui appartiennent au peuple juif sans être particulièrement religieux. Cette

distinction intervient au sein d’une critique adressée à l’historien du monde juif à

l’époque de Jésus, Flavius Josèphe, qu’il qualifie de ‘wicked Jew’29 : ‘[Josephus] was, as many

other Jews were in that age, essentially a Pagan’30. Alors que De Quincey montre pour Judas

une certaine compréhension, au point même de tenter de corriger son image de

traître31, Josèphe ne bénéficie pas du même traitement que l’Iscariote ; il représente en

effet peut-être même la figure historique que De Quincey a le plus méprisée et

détestée : ‘Josephus […] was perhaps the worst man in all antiquity’32. C’est sur ses positions

religieuses non pas « hétérodoxes », mais plutôt « hérétiques » envers le judaïsme qu’il

attaque celui qu’il accuse d’apostasie et de traîtrise envers sa propre religion :

Josephus is only an apostate, only a traitor, only a libeller, only a false-witness, onlya liar; and as to his Jewish faith, only perhaps a coward, only perhaps a heretic […]he will reveal himself (in the literal sense of that word) as a miscreant; one who doesnot merely go astray in his faith, as all of us may do at times, but pollutes his faithby foul adulterations, or undermines it by knocking away its props – a misbeliever,not in the sense of a heterodox believer, who errs as to some point in thesuperstruction, but as one who unsettles the foundations – the eternalsubstructions33.

15 La grande ironie de cette entreprise de destruction de l’auteur de La  guerre  des  Juifsvient du fait que De Quincey se trompe lorsqu’il cherche à réparer les anomalies qu’il

pense rencontrer dans quelques passages que Josèphe consacre aux Esséniens. Son

intention consiste en effet, dans l’article ‘On the Essenes’ (1840), à prouver que les

Esséniens n’étaient pas une secte philosophique juive, comme l’affirme Josèphe, mais

bien une communauté de chrétiens. L’intérêt de cet article ne réside pas tant dans

l’originalité de sa thèse, ni même dans sa fausseté que dans le fait que De Quincey a

tellement foi en les Écritures qu’il est prêt à mettre le savant à la botte du croyant

protestant qu’il est, en d’autres termes à faire passer sa foi chrétienne avant son souci

de la vérité historique.

16 Les fidèles de la religion catholique romaine sont quant à eux qualifiés, sans grande

originalité, d’« idolâtres », en d’autres termes, de chrétiens hétérodoxes, critique

banale de la part d’un protestant :

The sweeping hand of liberalism has levelled to the dust all distinctions, religiousand political, between the idolater and the true believer – between the subjects ofPapal Rome and those of a Protestant King, whose crown and title were conferredon the very ground of those distinctions34. 

17 Avec une telle absence de considération pour les catholiques romains, il n’est pas

surprenant que De Quincey se soit fermement opposé à l’Émancipation des catholiques

en Grande-Bretagne permise par la loi d’avril 182935, qu’il condamne et considère

comme un « crime »36.

18 Parmi les chrétiens, seuls les protestants sont donc les « vrai[s] croyant[s] », le

protestantisme étant le résultat d’une « purification » d’un christianisme corrompu par

le catholicisme37, et l’Église anglicane étant, quant à elle, « dépositaire de la vérité

divine »38.

Revue Française de Civilisation Britannique, XVIII-1 | 2013

151

Un point de vue différent de celui de la premièregénération romantique britannique

19 Où faut-il alors rechercher la « vraie religion » dont parle De Quincey ? Sa réponse est

lapidaire, mais révélatrice du protestant qu’il est : ‘Religion [is] to be sought in the Bible’39 ;

dans les Écritures, et non pas dans la nature, ni dans l’homme, ni dans l’univers, comme

l’auraient dit d’autres romantiques. De Quincey connaît les réécritures romantiques de

la Bible, mais il se repose ici uniquement sur l’Écriture ; en d’autres termes, nous

sommes devant un cas de « protestantisation » du romantisme.

20 Comme nous venons de le voir, l’auteur se montre à la fois formel, dogmatique et

orthodoxe dans sa définition de la religion, et il est frappant de remarquer que nous

sommes loin de la manière dont les autres romantiques traitent de cette question. En

effet, ces derniers sont plus enclins à évoquer leur expérience religieuse, ou même la

réalité divine qu’à proposer une définition de la religion ou à souligner l’importance du

dogme chrétien, comme le fait De Quincey. En réaction à l’importance accordée à la

raison depuis l’époque de Locke et des Lumières et à leur attitude trop facilement et

uniquement « critique et sceptique » à l’égard de la religion, comme le dit Ernst

Cassirer40, les premiers romantiques anglais avaient proposé, après la Terreur, une

vaste réforme de « la rénovation du monde »41 entreprise par les Lumières. Une

nouvelle compréhension de la religion faisait partie de leur projet. Dans ce rejet des

Lumières et cette nouvelle compréhension de la sphère religieuse, l’expérience du divin

devient parfois très personnelle pour certains romantiques, et même, pour reprendre

Bernard Reardon, difficile à définir42, car en dehors de tout cadre doctrinal de

l’orthodoxie43.

21 La religion, chez certains romantiques, est abordée par le biais de l’esthétique plus

souvent que par celui de la doctrine. Wordsworth est un cas représentatif à cet égard.

Bien qu’il évoque la question de la religion dans certains de ses poèmes44, on n’y trouve

pas de définition formelle, ni de croyance religieuse stable, comme chez De Quincey.

Par conséquent, à cause de ce trait caractéristique chez le poète de Grasmere, mais

aussi chez d’autres romantiques, où, finalement, les conflits se résolvent par la poésie,

B. Reardon en arrive à se demander s’il ne serait pas opportun, plutôt, de parler de

« religion romantique » : ‘It may well emerge that romanticism is in some respects a religionin itself’45. Une telle conclusion aurait évidemment pour conséquence de laisser de côté

De Quincey, car il n’y souscrit pas. Certes, « le romantisme est une renaissance religieuse enun   sens   général   du   terme », dit G. Gusdorf46, mais il est aussi une réforme de la

compréhension du religieux. Or, ce constat ne suffit pas à rendre compte du rapport de

De Quincey à la religion.

22 En outre, dans cette quête de l’infini qui consiste à dépasser le cadre simplement

doctrinal, les expressions et les idées religieuses du romantisme sont souvent assez

éloignées de l’orthodoxie religieuse, ce qui n’est pas le cas de De Quincey. Il n’est pas

question d’un déplacement de sens dans la compréhension de la religion chez lui

comme chez d’autres romantiques. C’est pourquoi le point de vue de la critique

traditionnelle sur le lien entre religion et romantisme ne saurait s’appliquer au cas de

De Quincey. « La religion romantique célèbre une présence divine extra-muros, dont le centreest partout et la circonférence nulle part, religion de la nature et religion de l’humanité » ; « le

sens religieux du romantisme tend à renouveler la religion existante, et si possible à inventer unereligion   nouvelle »47 ; « la   déstabilisation   romantique   de   la   religion,   esquissée   chez

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152

Schleiermacher et ses amis, préfère l’aventure à l’ordre »48 : aucun de ces jugements mettant

au centre l’expérience religieuse ne correspond à l’idée que se fait De Quincey de la

religion.

23 Ainsi, dans le contexte romantique où la définition de la religion est floue, l’idée précise

que s’en fait De Quincey est assez rare pour être mentionnée. Ne parlant en effet ni

d’intuition, ni de conscience individuelle, l’auteur ne s’intéresse pas à la subjectivité,

comme le fait Coleridge, dans sa compréhension de la religion.

24 Point de nouvel esprit religieux dans la pensée de De Quincey, et point non plus de

tentation panthéiste, comme cela a pu être le cas chez des auteurs contemporains.

Même si Wordsworth était revenu à une foi plus orthodoxe au sein de l’Église anglicane

dans ses derniers écrits (‘Faith   in   life  endless,   the   sustaining   thought/  Of  human  being,eternity and God’49), sa poésie à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles était plus axée sur

la subjectivité du sublime religieux en rapport avec l’infini que sur la doctrine

anglicane. Une simple comparaison entre la citation précédente et ces vers du

Prélude, écrits 45 ans auparavant, montre clairement le contraste : ‘The  Feeling  of   lifeendless,   the   great   thought/   By   which   we   live,   infinity   in   God’50. À la différence du

Wordsworth de 1805, De Quincey a une pensée qui, sur le plan religieux, se déploie dans

les limites de l’orthodoxie.

Conclusion

25 De Quincey aborde donc la question de la religion plus en tant que chrétien qu’en tant

que romantique. Alors que l’ordre religieux ancien semble révolu chez certains

romantiques, comme Wordsworth et Coleridge, puis dans la poésie, plus tardive, de

Keats et de Shelley, tel n’est pas le cas pour ce protestant romantique. Certes, il arrive à

De Quincey de suivre son intuition, mais sa définition de la religion ne se déplace jamais

vers l’hétérodoxie et n’est pas aussi personnelle que celle de Wordsworth et de

Coleridge dans les Lyrical Ballads. Sa conception protestante de la religion, qui repose

sur les Écritures, prend le pas sur son romantisme, qu’il adapte à sa manière.

NOTES

1. ‘Lord Carlisle on Pope [I]’, vol. 17, p. 209. Nous nous référons à l’œuvre complète de De Quincey

dans l’édition dirigée par Grevel LINDOP, The  Works  of  Thomas  De  Quincey, London: Pickering &

Chatto, 2000-2004.

2. ‘Notes from the Pocket-Book of a Late Opium-Eater. Falsification of the History of England’,

vol. 3, p. 190.

3. ‘[I] am grieved to hear the many attacks against the Church, (frequently most illiberal attacks) which

not so much religion as political rancor gives birth to in every third journal that I take up’(Ibid.).

4. « De  Quincey  n’a   consacré  que  quelques   essais  aux  questions   religieuses » (Françoise MOREUX,

Thomas  De  Quincey   :   la  vie  –   l’homme  –   l’œuvre, Paris : PUF, 1964, p. 196). Il s’agit en fait d’une

vingtaine d’articles (dont plusieurs manuscrits), certains fort courts (à peine plus d’une page ou

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deux), d’autres beaucoup plus volumineux (dépassant la quarantaine de pages) : ‘On Hume’s

Argument Against Miracles’ (vol. 11, pp. 333-346), ‘Casuistry’ (vol. 11, pp. 347-382), ‘On the

Essenes’ (vol. 11, pp. 442-488), ‘Modern Superstition’ (vol. 11, pp. 502-531), ‘The Pagan Oracles’

(vol. 13, pp. 111-136), ‘On Christianity as an Organ of Political Movement’ (vol. 15, pp. 344-370),

‘Protestantism’ (vol. 16, pp. 223-266), ‘On Miracles’ (vol. 16, pp. 490-496), ‘Judas Iscariot’ (vol. 18,

pp. 14-29), ‘[Fragments on Christianity]’ (vol. 20, pp. 410-444), ‘On Pagan Sacrifices’ (vol. 21, pp.

8-9), ‘The Jews as a Separate People’ (vol. 21, pp. 18-20), ‘The Jewish Scriptures Could Have Been

Written in No Modern Era’ (vol. 21, pp. 103-105), ‘Dispersion of the Jews, and Josephus’s Enmity to

Christianity’ (vol. 21, pp. 106-107), ‘Christianity as the Result of Pre-Established Harmony’ (vol.

21, pp. 108-113), ‘The Messianic Idea Romanized’ (vol. 21, pp. 114-115), ‘Why Scripture does not

Deal with Science (‘Pagan Oracles’)’ (vol. 21, pp. 123-124).

5. ‘Laxton: Female Students in Theology’, Autobiographic Sketches, vol. 19, p. 248.

6. Ibid., pp. 248-249.

7. Ibid.

8. Voir Paul VAISS, Newman  et   le  mouvement  d’Oxford.  Un  réexamen  critique, Berne : Peter Lang,

2006, p. 196.

9. De Quincey rédige cet article en réponse à un pamphlet, A  Vindication  of  Protestant  Principles(1847), de John William Donaldson écrit en réaction à l’ouvrage de J. H. Newman publié deux ans

auparavant, An  Essay  on   the  Development  of  Christian  Doctrine (1845). En contestant la thèse de

Newman, Donaldson rejetait ainsi les résultats de l’auteur nouvellement catholique. Choqué par

la publication de Donaldson, De Quincey considérait ce texte comme « déloyal » de la part d’un

protestant : ‘The  book   […]  exposes  a  history   that  almost  shocks  one  of   the  strides  made   in  religiousspeculation. Opinions change slowly and stealthily. The steps of the changes are generally continuous; butsometimes it happens that the notice of such steps, the publication of such changes, is not continuous, thatit  comes  upon  us  per   saltum,  and,  consequently,  with   the   stunning  effect  of  an  apparent   treachery’

(‘Protestantism’, vol. 16, p. 227).

10. Alors que Coleridge soutient également l’idée de développement, sa compréhension ne

dépasse pas la sphère de l’individu.

11. ‘This power of development, in general, proves also one other thing of the last importance to prove, viz.the  power  of  Christianity  to  work   in  coöperation   (sic)  with  time  and  social  progress;  to  work  variablyaccording to the endless variations of time and place; and that is exactly shibboleth of a true and spiritualreligion – for, on reviewing the history of false religions, and inquiring what it was that ruined them, rarelyis it found that any of them perished by external violence.’ (‘Protestantism’, vol. 16, p. 263)

12. ‘On Christianity as an Organ of Polical Movement’, vol. 15, pp. 347-348.

13. « L’orthodoxie du croyant se mesure ainsi à ce qu’il croit et confesse : est orthodoxe celui croit (sic) etconfesse ce que l’Église croit et confesse (orth. matérielle), d’une part, et qui, d’autre part, veut croire etconfesser   ce  que   l’Église   croit   et   confesse   (orth.   formelle) » (entrée « Orthodoxie », in   Jean-Yves

LACOSTE, Dictionnaire critique de théologie [1998], Paris, PUF, 2002, p. 835).

14. ‘A Tory’s Account of Toryism, Whiggism, and Radicalism, Part III’, vol. 9, p. 484.

15. ‘On Christianity’, vol. 15, p. 349.

16. ‘Laxton: Female Students in Theology’, in Autobiographic Sketches, vol. 19, p. 249.

17. Voir ses articles sur Homère (‘Homer and the Homeridae’, vol. 13, pp. 3-63), Hérodote

(‘Philosophy of Herodotus’, vol. 13, pp. 82-110) et les oracles païens (‘The Pagan Oracles’, vol. 13,

pp. 111-136).

18. ‘[The Arab tribes’] mission was to cleanse the earth from Polytheism; and, as ambassadors from God, totell the nations  – ‘Ye shall have no other gods but me.’ That was grand; and that surely they had fromMahomet?  Perhaps  so;  but  where  did  they  get   it?  He  stole   it  from  the  Jewish  Scriptures,  and  from  theScriptures no less than from the traditions of the Christians.’ (‘Greece under the Romans’, vol. 15, p. 98)

19. Ibid., p. 101.

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20. ‘Islamism is a depravation of Christianity; and in pillaging the Scriptures, Mahomet could not but learnand   transplant   some  great   truths   –   the  unity   of  God   –   the   sanctity   of  moral   obligations’ (‘Canton

Expedition and Convention’, vol. 13, p. 77).

21. ‘Mahomet could not effectually have neutralized a poison which he himself had introduced into thecirculation  and   life-blood   of  his  Moslem   economy.  The   false  prophet  was   forced   to   reap  as  he  hadsown’ (‘Greece under the Romans’, vol. 15, p. 100).

22. ‘Christianity as the Result of Pre-Established Harmony’, vol. 21, p. 109.

23. ‘You might fancy that from a false religion should arise a false philosophy – false, but still a philosophy.Is it so? On the contrary: the result of false religion is no philosophy at all. Paganism produced none: the Pagans had a philosophy; but it stood in no sort of relation, real or fanciedrelation,  to  their  mythology  or  worship.  And  the  Mahometans,  in  times  when  they  had  universities  andprofessors’  chairs,  drew   the  whole  of   their  philosophic  systems   from  Greece,  without  so  much  as  everattempting to connect these systems with their own religious creed.’ (Ibid.)24. ‘Now   came   the   five  hundred   years   during  which   they  were   to  manure   all  nations  with   thesepreparations for Christianity’ (‘Dispersion of the Jews, and Josephus’s Enmity to Christianity’, vol.

21, p. 107).

25. ‘The Jewish theological system was every way fitted to challenge veneration and awe, except in so faras it was associated with the unparalleled and hateful arrogance of Judaism’ (‘Supplementary Notes on

the Essenes’, vol. 20, p. 90).

26. ‘Childish Jews’ (‘Pagan Oracles’, vol. 13, p. 129).

27. ‘The gross infantine sensualism of the Jewish mind at [Jesus Christ’s] period’ (Ibid.).

28. ‘The Jews talked as if the earth existed only for them; and as if God took notice only of Jewish service ashaving any value or meaning. But here were the Christians opening their gates, and proclaiming a welcome

to all the children of man’ (‘Supplementary Notes on the Essenes’, vol. 20, p. 90).

29. ‘Dispersion of the Jews, and Josephus’s Enmity to Christianity’, vol. 21, p. 106.

30. ‘On the Essenes’, vol. 11, p. 447.

31. De Quincey démontre dans ‘Judas Iscariot’ (vol. 18) que Judas a agi en suivant une logique

humaine qu’il n’a pas su dépasser et qui consistait à forcer Jésus à établir sur terre son royaume.

Il présente ainsi un Judas spirituellement aveugle à la réelle mission de Jésus-Christ.

32. ‘Dispersion of the Jews, and Josephus’s Enmity to Christianity’, vol. 21, p. 106.

33. ‘On the Essenes, Part II’, vol. 11, pp. 468-469.

34. [‘The Sweeping Hand of Liberalism’], vol. 6, p. 260.

35. ‘The [...] detested Popish Bill [the Roman Catholic Relief Bill]’ ([‘The March of Liberalism’], vol. 6, p.

254).

36. [‘The Sweeping Hand of Liberalism’], vol. 6, p. 260.

37. ‘As the Protestant faith to the Catholic – i.e., not a new one, but a restoration of the primitive onepurified from its modern corruptions’ (‘Wordsworth and Southey’, vol. 21, p. 96).

38. ‘The  English  Anglican  Church  as  a  depositary  of  divine   truth’ (‘A Tory’s Account of Toryism,

Whiggism, and Radicalism, Part III’, vol. 9, p. 485).

39. ‘Laxton: Female Students in Theology’, Autobiographic Sketches, vol. 19, p. 250.

40. Voir Ernst CASSIRER, La philosophie des Lumières, 1932, Paris : Fayard, 1966, p. 153.

41. Ibid., p. 155.

42. Voir Bernard REARDON, Religion in the Age of Romanticism: Studies in Early Nineteenth-Century

Thought, Cambridge: Cambridge University Press, 1985, p. ix.

43. ‘[Romanticism’s] most representative figures all favoured a religious interpretation of the cosmos, or atany  rate  such  a  spiritual  view  of   life  and  the  world  as  to   leave  room  for  the  preservation  of  religiousattitudes,   though   the   forms   of   Christian   orthodoxy  might   have   to   be   radically  modified   or   evenabandoned’ (Ibid., p. vii).

44. Nous pensons à certains vers de The Prelude, mais la véritable source de connaissance

religieuse est le lien à la nature – parfois surnaturalisée – et non à la révélation comme chez De

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Quincey. Nous pensons également au livre IV de The  Excursion, mais la compréhension de la

religion est encore trop dépendante de la sphère individuelle – il n’est pas question de

dispensations divines, par exemple, et ce conflit entre individu et doctrine ne permet donc pas

d’atteindre une définition orthodoxe de la religion.

45. REARDON, op. cit., p. 2.

46. Georges GUSDORF, Le Romantisme, 2 vols., 1982, Paris : Payot, 1993, vol. 1, p. 733.

47. Ibid., p. 735.

48. Ibid., p. 737.

49. William WORDSWORTH, The Prelude (1850), XIV, v. 204-205.

50. William WORDSWORTH, The Prelude (1805), XIII, v. 183-184.

RÉSUMÉS

Si l’on se réfère à la définition que De Quincey donne de la religion, le christianisme n’est pas

seulement une religion parmi d'autres mais avant tout ‘a true religion’. Peu attiré par le « Livre de

la nature », que privilégiait Wordsworth, De Quincey préfère s’en tenir au « Livre de la

révélation », la Bible, qu’il connaît bien en tant que protestant. À la différence de Wordsworth et

Coleridge dans les Lyrical Ballads, par exemple, De Quincey possède une pensée qui, sur le plan

religieux, se déploie dans les limites de l’orthodoxie anglicane.

According to De Quincey’s definition of religion, Christianity is not only a religion among others,

but ‘a true religion’. Having no special attraction to the ‘Book of Nature’ which was privileged by

Wordsworth, De Quincey turned to the Bible which he knew very well as a Protestant. Contrary

to the first generation of English romantics such as Wordsworth and Coleridge in the Lyrical

Ballads, De Quincey’s religious views thus remain within the bounds of Anglican orthodoxy.

AUTEUR

FRÉDÉRIC SLABY

Université de Caen Basse-Normandie

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F. H. Bradley entre orthodoxie ethérésie : le sens des ‘ConcludingRemarks’ de Ethical StudiesF. H. Bradley Between Orthodoxy and Heresy: the Meaning of the ‘ConcludingRemarks’ of Ethical Studies

Jean-Paul Rosaye

1 Si Ethical Studies (1876) marque la première intervention remarquée de Francis Herbert

Bradley sur la scène philosophique anglaise de son temps, les ‘Concluding Remarks’ par

lesquelles il clôt cet ouvrage n’ont pas reçu toute l’attention qu’elles méritent. Ce n’est

pas faute d’avoir été lues, ni d’avoir fait date dans l’histoire des idées de l’époque ; on

peut même ajouter qu’elles ont été très importantes pour Bradley au regard de son

évolution personnelle, philosophique et religieuse. Cette situation aurait peut-être dû

susciter un intérêt plus marqué de la part des commentateurs, qui ont trop hâtivement

soutenu la thèse d’une négligence de l’œuvre bradleyenne pendant un bon demi-siècle.

Une lecture attentive de ce texte permet en effet d’éclairer en partie les raisons de ce

qui apparaît aujourd’hui encore comme un véritable malentendu philosophique, et de

faire droit à certaines de ses positions les plus critiquées.

2 Après une première lecture superficielle, il est déjà possible de constater l’ambiguïté

des ‘Concluding Remarks’ : une marque de fabrique, diront les spécialistes de Bradley.

Mais si cette ambiguïté porte sur la façon dont il a exposé ses idées, on peut en dire

autant des interprétations qui en ont été faites : son texte a été tenu pour ce qu’il

n’était pas, et il a été interprété dans le sens du temps, en dépit de certaines prises de

position très hétérodoxes. En réalité, comme nous nous proposons de le démontrer, ces

« remarques conclusives » se présentent comme un miroir de la situation religieuse et

philosophique en Grande-Bretagne au moment où Bradley pensait qu’il était devenu

nécessaire de réapprendre à la philosophie à parler anglais.

3 Le message diffusé dans les ‘Concluding Remarks’ aura été entendu : Bradley a été

perçu comme un « sage de la foi », et ses ‘Concluding Remarks’ ont été lues comme un

texte fondamental par certains de ses contemporains, notamment les membres de la

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London Ethical Society 1. Il est vrai qu’il y réaffirmait la centralité de la foi et l’importance

de la religion, dans un contexte où l’agnosticisme s’imposait de plus en plus ; et cela

était au moins aussi attendu que la justification de la nécessité qu’il y avait d’insérer

l’individu dans la matrice collective de la moralité, à une époque où la chose éthique

était devenue un enjeu de civilisation.

Une apparence d’orthodoxie

4 Les ‘Concluding Remarks’ fournissent le terme donnant son sens au mouvement de

Ethical Studies, un ouvrage assez difficile du fait de ses analyses nouvelles et originales,

qui révèle la complexité de problèmes qu’on avait jusque-là cru simples, le tout déroulé

au fil d’une dialectique serrée : elles mettent fin à toutes les impressions fâcheuses qui

auraient pu apparaître en éclairant définitivement l’ensemble de son propos. En effet,

sans nécessairement en rabattre sur les prétentions de l’ouvrage, sans forcer le

discours dans un sens qui contreviendrait à la vérité, Bradley revient dans cette

conclusion à des propos plus familiers. C’est, nous semble-t-il, la fonction que joue ce

que l’on pourrait appeler un premier niveau de lecture de ces ‘Concluding Remarks’.

5 La conscience humaine a été présentée dans les deux derniers essais de Ethical Studiescomme le siège d’un conflit intérieur entre le soi (self) et le soi idéal (ideal self), et cela

vaut autant pour la conscience morale que pour la conscience religieuse, à ceci près que

le soi idéal, dans le cas de la conscience religieuse, est un réel (c’est-à-dire que la

réalisation du soi idéal dans la moralité est effective), et qu’il s’agit d’un conflit entre

deux volontés, l’une humaine, rongée par le péché, et l’autre divine : comme l’écrit

Bradley, aucune image n’est suffisamment forte pour représenter les tourments

auxquels donne lieu la contradiction ressentie de leur inadéquation2. Le point capital ici

est que ce conflit se produit à l’intérieur du sujet : les deux volontés, l’humaine et la

divine, sont internes au sujet, et non pas séparées sur le mode d’un sujet intérieur et

d’un objet extérieur. L’internalité des deux volontés permet en effet d’expliquer la

conscience du péché, la rébellion contre Dieu, mais aussi le désir de Dieu, le besoin de

grâce et la possibilité de l’expiation3. Mais comme la conscience n’a pas l’intuition

permanente que la volonté divine est la volonté de son soi le plus intime, il en résulte

un sentiment de séparation avec Dieu, un sentiment de son extériorité qui éclaire le fait

que le divin soit posé comme objet.

6 Le véritable problème consiste dès lors à découvrir comment se réconcilier avec cette

volonté qui n’est pas humaine ; c’est tout le problème de la foi, et de la justification par

la foi qu’expose alors Bradley en insistant sur la valeur indépassable du protestantisme

dans l’effectuation de cette reconnaissance :

You must believe that you too really are one with the divine, and must act as if youbelieved it. In short, you must be justified not by works but solely by faith. Thisdoctrine, which Protestantism, to its eternal glory, has made its own and sealedwith its blood, is the very centre of Christianity; and where you have not this in oneform or another, there Christianity is nothing but a name.4

7 À la lecture de ces pages et de celles qui suivent, il apparaît que Bradley est orthodoxe

vis-à-vis du dogme anglican de la justification par la foi seule et de l’idée que les

œuvres, par lesquelles s’exprime la volonté humaine, participent également de la

justification, dans la mesure où ce sont des œuvres de la foi5. Sa position est aussi

paulinienne. En expliquant que l’homme doit abdiquer sa volonté propre pour

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158

s’anéantir dans la volonté divine, il utilise à dessein toute la thématique paulinienne de

la mort glorieuse6.

8 L’objet avec lequel le soi est unifié par la foi est réel pour la foi, d’une part, parce que le

cours du monde est la réalisation de la Volonté divine et, d’autre part, parce que, sur le

plan intérieur, l’humain et le divin sont Un : la foi soutient qu’il existe « un royaume de

Dieu » (a kingdom of God), un organisme qui se réalise dans ses membres. La foi pratique

est donc bien la finalité, et le culte ou les exercices de piété ne sont religieux que s’ils

renforcent la volonté religieuse, s’ils sont au service de l’esprit, et non de la lettre, s’ils

visent la réconciliation, c’est-à-dire reflètent la Volonté divine en l’homme, ou, et c’est

la phrase finale de Ethical  Studies, s’ils permettent une fusion dans l’unité avec Dieu

grâce à la médiation de l’amour7.

9 Toute paulinienne également est l’adhésion manifeste des ‘Concluding Remarks’ à la

conception de l’homo spiritualis que l’on trouve en 1 Cor 2: 14-15, où saint Paul oppose

l’homme naturel à l’homme spirituel. La foi est incompatible avec la connaissance

sensuelle immédiate8, ou quelque connaissance de type naturel, même si toute

certitude théorique n’exclut pas la foi : la connaissance religieuse n’est pas une

connaissance ordinaire, et c’est la raison pour laquelle Bradley insiste ici encore sur le

fait que la foi ne porte pas sur ce qui est « visible », que la connaissance véritable ne

passe pas par les voies habituelles de la connaissance et de la représentation. La foi,

explique Bradley, n’est ni une simple croyance, ni un acte théorique du jugement, ni

une « vision », qui l’exclut9; la connaissance naturelle, comme la sagesse, ne suffit pas

pour la foi, qui n’est pas un problème de degré mais de nature de connaissance, et c’est

la raison pour laquelle l’objet religieux ne fait pas partie du monde visible10.

10 La vision de l’homme et de la société qui est exposée renvoie à un modèle qui rappelle

la distinction qu’opérait saint Augustin entre la cité terrestre et la cité de Dieu. En

éprouvant les limites de la moralité et en jaugeant la condition humaine, on doit

postuler la nécessité d’une sphère religieuse possédant la vérité profonde de la

moralité11, et poser l’existence d’une Église véritable, transcendant les églises

temporelles des communautés religieuses : ‘Religious   communities   may   be   called“churches”; but churches in this sense must not be confounded with the Church proper. That isthe whole body of Christ’12. Un rapport de similitude est entretenu avec la totalité relative

de l’organisme politique, à ceci près que ce qui était visible et fini dans ce dernier est

invisible et infini dans le royaume de Dieu. De fait, l’État et la religion sont

indissolublement liés, et la religion constitue l’horizon indépassable de l’État. Si des

devoirs subsistent dans la religion, ils ne sont pas du même ordre que ceux de la

moralité en ce qu’ils sont intérieurs, et visent un ordre du cœur, ce qui est l’esprit

même du Nouveau Testament13.

11 Dans ces ‘Concluding Remarks’ se trouvent donc incontestablement des éléments

consensuels. De surcroît, comme s’il voulait se prémunir contre une lecture

désobligeante, Bradley multiplie les remarques destinées à désamorcer une critique

éventuelle ; c’est volontairement, compte tenu de l’objet même de l’ouvrage, qu’il omet

d’aborder des questions essentielles dans cette conclusion modeste, et si le lecteur

s’inquiétait de certaines absences, malgré le fond d’évidence qui semble animer l’auteur

sur ce qui pourrait être la vraie religion, Bradley ajoute : ‘We are to keep to a minimum,

and the reader must not conclude that we repudiate whatever we say nothing about.’14

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159

Un texte peu orthodoxe, en réalité

12 Le second niveau de lecture, qui concerne un public moins large que le précédent,

demande que soit dressé un bilan de ce qu’il en est, au bout du compte, de la nature et

des rapports de la morale, de la religion et de la philosophie. C’est celui où réside

véritablement l’originalité de la pensée bradleyenne, ou, pour le dire autrement, celui

où apparaissent les libertés qu’il prend avec les orthodoxies, tant par l’absence

d’éléments attendus que par la présence d’autres, qui peuvent être jugés peu

souhaitables.

13 Tout d’abord, Bradley conduit des attaques contre un certain type de religiosité sur

plus d’une demi-douzaine de pages. En effet, en dépit de l’importance que certaines

pratiques peuvent avoir dans la vie religieuse, ni l’apprentissage de la doctrine, ni le

fait d’aller à l’église, ni la méditation, ni la prière, ni les exercices de dévotion, etc. ne

sont des activités religieuses en soi, car, même si elles peuvent aider à mettre sur la

voie d’une attitude religieuse correcte, si elles sont des médiations permettant

d’intensifier et de renforcer la moralité, elles peuvent aussi se faire prendre au piège de

l’unilatéralité et dégénérer en esthétisme, voire en irréligion15. C’est la raison pour

laquelle l’aspect public, voire politique, de la religion, n’est jamais que secondaire par

rapport à la véritable religion :

You can have true religion without sacraments or public worship, and again bothwithout clergymen; just as you can have clergymen and sacraments without truereligion. And if some of the clergy think that they stand in a more intimate relationwith the divine Spirit than the rest of the community do, then they both go againstthe first principles of Christianity.16

14 On peut se demander quel rôle jouent de telles remarques. Cela peut certes participer

d’une défense classique de l’esprit contre la foi, d’un refus de tout philistinisme. Cela

peut, pour qui voudra s’adonner à des exercices de psychanalyse spontanée, renvoyer à

l’enfance de l’auteur et à ses rapports douloureux avec le rigorisme religieux et moral

de son père. Mais plus encore, cela nous semble renvoyer à une prise de position

consciente dans le débat de l’époque : les lecteurs que de tels propos choqueront,

Bradley veut les choquer ; les lecteurs pour lesquels de tels propos seront une évidence

sont les lecteurs auxquels Bradley veut s’adresser.

15 Dès son premier ouvrage, The  Presuppositions  of  Critical  History, publié deux ans avant

Ethical Studies, Bradley a choisi la science contre les combats d’arrière-garde que mène

un certain fanatisme religieux. L’histoire critique a le droit d’étudier les textes

bibliques, l’évolution darwinienne est un fait, la philosophie doit intégrer, interpréter,

amender les résultats de la science, et non pas interdire ses progrès. Quant à la critique

du dogmatisme et des prétentions des autorités religieuses, Bradley appartient au

même monde que celui de Huxley. Bien entendu, cela ne signifie pas que, comme

Huxley, Bradley choisisse l’autorité de la science contre celle de l’Église : la philosophie

conserve tous ses droits, et le dogmatisme scientifique en vaut un autre... D’ailleurs, les

convictions philosophiques de Huxley sont mises à mal par la critique plus qu’ironique

que Bradley conduit vis-à-vis de Matthew Arnold, un auteur dont Huxley a subi

l’influence. Bradley analyse et ridiculise notamment l’idée selon laquelle la religion est

une « moralité teintée d’émotion » et du moralisme au petit pied17, ainsi que la

conception arnoldienne de la culture : tout ce qu’a pu écrire Arnold sur la religion n’est

que du « baratin littéraire » (‘literary clap-trap’18). Ainsi, ne serait-ce que pour réduire

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les prétentions d’une postérité qui ne lui a pas rendu justice, nous dirons que Bradley

n’est pas seulement un homme de son temps : en matière de liberté de l’esprit, il fait

aussi partie de l’avant-garde – et qu’il ne perd, par de tels propos, que des lecteurs qui

ne pourront jamais le suivre.

16 Mais Bradley ne se contente pas de prendre congé d’une conception dogmatique de la

religion, il prend aussi des distances vis-à-vis de l’orthodoxie, distances dont il nous

faut maintenant prendre la mesure. Ainsi, il ne manifeste pas beaucoup d’intérêt pour

ce qui précède le Nouveau Testament. Critiquant la conception arnoldienne de la

culture impliquant une lecture historique de la religion chrétienne, il s’élève contre la

prétention de certains passages de l’Ancien Testament à rendre compte de la réalité19,

estime que la religion chrétienne n’a plus à se reconnaître dans les pratiques

hébraïques anciennes20, puisque faire de l’observance d’une loi l’alpha et l’oméga d’une

religion est une erreur : ‘It is the belief “with the heart” that is wanted ; and where that is notreligion is not.’21 Bien sûr, Bradley insiste sur la dimension protestante, le libre examen,

le rôle de la foi seule, mais il y a plus que cela. D’abord une lecture hégélienne du

christianisme implique que l’on fasse de ce dernier, et même plus exactement du

protestantisme, la vérité de la religion, dont les formes antérieures sont moins vraies.

Une lecture empruntée à David Friedrich Strauss de ce même christianisme fait

prendre beaucoup de distance vis-à-vis de ce qui relève d’un corpus mythico-

légendaire, même si cela ne doit pas nécessairement venir à l’encontre de toute

religiosité. Enfin, la référence, d’une part, au corpus grec dans toute l’analyse de la

moralité, dont la religion est l’apothéose, plutôt qu’à des textes plus anciens, et, d’autre

part, à l’œuvre de saint Paul, qui a commencé à intégrer la philosophie grecque dans le

christianisme, justifie, sans même que l’on évoque des traces de marcionisme, que l’on

se prenne à douter de la validité du premier niveau de lecture.

17 Le deuxième point qu’il convient de noter est une absence significative. Dans toutes les

‘Concluding Remarks’, il n’est fait allusion qu’en deux points à un élément qui puisse

renvoyer à la Trinité : dans une note, Bradley cite Jacob Boehme, dont le caractère

parfaitement orthodoxe n’est pas le trait le plus marquant, et cette citation utilise le

terme « Christ »22; le terme revient dans une autre note23, à propos d’un point technique

sur le culte et un problème de définition des églises. Mais Bradley n’évoque à aucun

moment la centralité de l’Incarnation dans le message chrétien. À aucun moment, le

terme de Père n’est utilisé, mais seulement celui de Dieu. À aucun moment, l’Esprit-

Saint n’est nommé. On dira que dans la communion de l’Église invisible, il est

implicitement présent, mais, d’une part, l’implicite n’est pas l’explicite, et, d’autre part,

cette totalité organique relève d’une interprétation hégélienne marquée qui ne laisse

guère de place au lexique traditionnel. Cependant, le premier niveau de lecture laissait

en place suffisamment d’éléments consensuels pour qu’un terme trinitaire puisse se

glisser. Visiblement, le souci phénoménologique de Bradley l’aura conduit à s’interdire

impitoyablement ces écarts de langage. Enfin, il faut s’interroger sur la nature de la foi

telle que l’entend Bradley. Elle implique, nous l’avons vu, une montée de la volonté

humaine vers la volonté divine, une ascension de la pensée vers une identification et

une unification qui est la véritable réalisation de soi comme tout infini :

Faith implies the rise in thought, but not that only; it implies also the rise of the willto the object, which is not seen but thought. And this presupposes the practicalseparation for me of myself and the object. In the mere theoretic rise I do not thinkof myself, but only of the object : in faith I must also have myself before me [...]Faith then is the recognition of my true self in the religious object, and the

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identification of myself with that both by judgement and will [...] Justification byfaith means that, having thus identified myself with the object, I feel myself in thatidentification to be already one with it, and enjoy the bliss of being, all falsehoodovercome, what I truly am.24

18 À le dire ainsi, rien ne semble en désaccord avec l’orthodoxie. Mais il faut aller plus

avant et se demander comment cette ascension a lieu. Le point de départ, c’est la

moralité, telle qu’elle se met en place chez le jeune enfant, telle qu’elle se réalise

imparfaitement dans la cité terrestre : la religion prend son origine dans l’insuffisance

de l’État, dans une société où l’art et la science, par exemple, produisent des conflits

d’interprétation et de devoirs25. La conscience religieuse est le seul lieu possible de

l’accomplissement final :

In the very essence of the religious consciousness we find the relation of our will tothe real ideal self. We find ourselves, as this or that will, against the object as thereal ideal will, which is not ourselves, and which stands to us in such a way that,though real, it is to be realised, because it is all and the whole reality.26

19 Mais quelles sont les forces qui permettent cet accomplissement à l’intérieur même de

l’esprit de l’homme ? De quelle nature est la relation qui se joue entre la volonté

humaine et la volonté de Dieu ? Fort classiquement, la religion chrétienne fait

intervenir ici le concept de grâce. Mais ici encore, une recherche minutieuse ne permet

de trouver qu’une occurrence du terme de « grâce », malgré de très nombreuses

analyses de la foi27.

20 Le moins que l’on puisse dire, c’est que la question de la grâce n’est pas centrale,

puisqu’elle n’est ici qu’un des nombreux éléments du lexique religieux classique qui

perd tout sens si l’analyse psychologique que livre Bradley n’est pas accordée, et qui est

la seule chose qui importe ici, puisqu’elle engage toute la conception métaphysique des

rapports entre le sujet et l’objet, comme le démontre la longue note qui lui est accolée.

Or, si l’on s’en tient à cette analyse psychologique et métaphysique, à l’ascension (le

terme ‘rise’ est constamment utilisé) du sujet vers sa vérité, le tout infini auquel il

aspire, force est de constater que cette sotériologie équivoque est bien un effort du

sujet qui remonte à sa véritable origine naturelle dans une perspective grecque et néo-

platonicienne. À aucun moment, il n’est expliqué que cette dialectique ascendante

s’appuie sur autre chose que ce dont le sujet fini dispose par nature. À aucun moment

l’atonement ne semble dépendre d’autre chose que de ce ‘Good will’ qui comprend son

propre mouvement constitutif. Comment donc mettre fin à la contradiction sentie qui

est au commencement de l’homme, si ce n’est de l’animal? Là encore, on ne saurait aller

jusqu’à taxer Bradley de pélagianisme, mais l’absence de référence à la lutte entre le

péché et la grâce est fort curieuse dans l’étude de la religion, même ramenée à la

conscience religieuse28. Toute réalisation ultime, toute réconciliation provient pour

Bradley d’un effort de la volonté, d’un travail intérieur. Et si Ethical Studies se clôt par

une évocation de l’amour éternel et par une citation de Pétrone, ce n’est pas seulement

parce que l’épicurisme de ce dernier constitue une pique contre l’utilitarisme : elle met

en lumière l’idée du vrai plaisir, comme pour marquer une bonne fois pour toutes où se

situe la vraie compréhension du bonheur humain.

21 Mais l’analyse de Bradley ne manifeste pas seulement des absences significatives, elle

s’appuie aussi sur des sources positives. Bien que soucieux de ne pas encombrer le

lecteur par une érudition superflue, il n’hésite pas à reconnaître sa dette majeure vis-à-

vis de Wilhelm Vatke29. Ce dernier, presque oublié aujourd’hui, a proposé dans les

années 1840 une solution intéressante à la problématique mise en place par Hegel

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162

lorsqu’il avait distingué la philosophie et la religion non pas par leur contenu, mais par

une différence de forme, la religion restant au niveau de la représentation. Cette

distinction a été l’occasion de la rupture entre hégéliens de gauche et de droite, les

seconds restant fidèles à la distinction hégélienne, tandis que les premiers la prenaient

comme prétexte pour en rabattre sur les prétentions de la religion : David Strauss,

Jeune Hégélien et ami proche de Vatke, avait, dans son ouvrage célèbre sur la vie de

Jésus, grandement porté atteinte à la vérité traditionnelle de la religion. Il n’est pas

possible ici d’entrer dans les méandres de cette querelle, mais elle était fondée

indéniablement sur une difficulté de la doctrine hégélienne. En effet, en bonne logique

dialectique, la distinction entre la forme et le contenu n’est pas valide, et relève de

l’entendement : il manque une médiation, que certains théologiens ont tenté de

trouver30. La solution de Vatke consistait à démontrer que si la religion était dépassée

par la philosophie dans l’ordre théorique, où, effectivement, elle relevait de la

représentation, en revanche dans l’ordre pratique, qui, en quelque sorte, était son

domaine réservé, elle conservait toute son importance. C’est à la mise en œuvre de

cette solution que Vatke se livre dans l’ouvrage cité par Bradley, qui démontre ici,

d’une part, une connaissance fine du contexte germanique, alliée à une bonne maîtrise

des textes de l’idéalisme allemand ; d’autre part, une véritable autonomie dans le choix

de ses sources d’inspiration, puisqu’il parvient à découvrir, dans un foisonnement

polémique tout de même considérable, les ouvrages qui l’aident à manifester sa pensée

en construction selon des directions qu’il a déjà définies. Ainsi, Bradley retient de Vatke

sa détermination de la sphère de la religion en rapport avec celle de la moralité, sa

distinction dans l’accomplissement de cette dernière des deux totalités qui l’expriment

(celle de la communauté étatique et celle de la communauté ecclésiale), son étude de la

nature de la volonté, son analyse de la nécessité métaphysique du mal comme condition

de réalisation du bien, toutes choses par lesquelles Vatke reste fidèle, si ce n’est

parfaitement à la lettre, du moins à l’esprit de l’hégélianisme, qu’il pense n’avoir qu’à

parachever. Deux éléments méritent d’être remarqués au sujet de Vatke, qui ne

reçoivent pas de Bradley un soutien clair et enthousiaste, sans que ce dernier ne dise

vraiment où portent les points de désaccord. C’est ce qu’il nous faut essayer de faire en

rapportant l’ouvrage allemand à Ethical Studies.

22 Le premier consiste dans l’absence, pour Vatke, de Dieu véritablement personnel : il en

fournit une démonstration que des contemporains autorisés ont reconnue et attribuée

à une forme de néo-platonisme31. Le second point consiste dans l’évolution de Vatke : sa

distinction d’une sphère pratique spécifique à la religion, dans le cadre du système

hégélien, devait être instable, puisqu’il a fini par adhérer à une forme proche de celle

de Schleiermacher, l’ennemi juré de Hegel. Nous retrouvons Bradley sur ce point, car,

contrairement à Vatke, dont l’hégélianisme se voulait orthodoxe, force est de constater

que notre auteur avait déjà rompu avec un élément essentiel de la pensée hégélienne, à

savoir la place de la philosophie dans un futur système métaphysique.

23 Dans ses ‘Concluding Remarks’, Bradley ne manque pas seulement à l’orthodoxie

religieuse, il manque aussi à l’orthodoxie hégélienne. Car s’il emprunte à Vatke son

analyse de la sphère de la moralité et de la religion, il la détache totalement du système

dont elle ne constitue plus alors un moment nécessaire, mais une sphère existant de

façon autonome, et dont la consistance est même indéniablement supérieure à celle de

la philosophie. Car la religion, qui est une sortie de la dialectique incluse dans le devoir-

être, vise l’être, le réellement réel, et l’atteint :

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Religion is essentially a doing, and a doing which is moral. It implies a realising, anda realising of the good self. Are we to say then that morality is religion ? Mostcertainly not. In mere morality the ideal is not: it for ever remains a “to be”. Thereality in us or the world is partial and inadequate ; and no one could say that itanswers to the ideal, that, morally considered, both we and the world are all weought to be, and ought to be just what we are. We have at furthest the belief in anideal which in its pure completeness is never real; which, as an ideal, is a mere“should be”.32

24 Si Bradley isole la conscience religieuse, c’est qu’en elle seulement le contact entre la

volonté humaine et le réel s’effectue33, et non pas dans d’autres activités humaines

affectées d’une insuffisance fondamentale, comme l’art et la science34. En effet, que ce

soit dans l’art, dans la philosophie et la religion, le soi, explique Bradley, parce qu’il se

sent comme envahi par la vérité et la beauté, tente d’objectiver obscurément la

plénitude qu’il ressent et de la reconstruire, c’est-à-dire la réaliser : ‘And in this, so far,art, philosophy, and religion are the same’35. Leur différence dans cette « activité » provient

de ce que la volonté humaine n’est pas de l’ordre de l’essence dans l’art et la

philosophie, et que, même si ces dernières activités évoquent la relation de la volonté

humaine à l’idéal réel, elles demeurent des activités théoriques et des représentations

dont le processus consiste à aboutir à un résultat visible, extérieur, distinct, qui ne sert

qu’à démontrer la cohérence de cette volonté, à la clarifier, à se poser des questions sur

ce qu’elle vise, mais jamais à la considérer en tant que telle dans sa relation à la

réalité36. Si l’art, la religion et la philosophie sont les trois moments de la constitution

du savoir absolu dans l’Encyclopédie de Hegel, Bradley non seulement en intervertit

l’ordre dans sa conclusion, mais refuse également à la philosophie, qui n’est donc pas

savoir absolu, le pouvoir d’accéder véritablement au réel, au titre qu’il s’agit là d’une

exclusivité de la religion. Chez Bradley, il n’existe pas de savoir de Dieu, mais

uniquement une relation par laquelle il est saisi, éprouvé dans l’expérience, « réalisé »

dans le contact intérieur qui se produit en soi, dans une communion par réconciliation,

par atonement. Certes, Hegel est trop présent dans Ethical Studies pour que l’on puisse

prétendre qu’il a été balayé d’un revers de la main. Il convient plutôt de dire qu’il a

permis une transition vers une philosophie des premiers principes que Bradley appelle

de ses vœux, et qui ne pouvait se constituer sans son apport.

25 En fin de compte, et aussi importante que soit sa dette vis-à-vis de Hegel, puisque c’est

encore à des hégéliens comme Vatke qu’il emprunte ses moyens de s’éloigner de Hegel,

il nous semble impossible de ne pas considérer la tradition idéaliste insulaire, dans sa

dimension néo-platonicienne, comme le véritable terreau sur lequel se développe la

pensée de Bradley. D’ailleurs, qui, parmi les idéalistes de la période de Jowett et de

Green a gardé le cap d’un idéalisme néo-hégélien pur ? Ce n’est pas le cas de Jowett ni

de Green, et force est de constater que Bradley se situe également dans leur sillage. Il

est alors possible de relier la pensée bradleyenne à la tradition mystique du platonisme

chrétien, que R. W. Inge a appelé le troisième type de pensée et de croyance

chrétiennes dans ses Hulsean Lectures (1926).

Conclusion

26 Les ‘Concluding Remarks’ semblent avoir rasséréné les lecteurs de l’époque quant à la

possibilité d’inscrire dans un mouvement philosophique anglais une opposition à

l’expansion de l’utilitarisme, du matérialisme et de l’agnosticisme ambiants, ainsi que

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la mise à distance d’une philosophie étrangère dont la puissance théorique risquait de

masquer la profondeur de la vision religieuse de l’humanité. De ce point de vue,

l’accent sur la justification par la foi seule et la glorification des valeurs du

protestantisme, les références marquées à saint Paul, à saint Augustin et au Nouveau

Testament, le refus de la spéculation théorique abstraite autant que du scientisme, sans

pour autant, loin s’en faut, refuser la science, peuvent, à première vue, apparaître

consensuels et justifier la valeur de l’ouvrage de Bradley dans le cadre d’un combat de

l’idéalisme pour s’imposer de nouveau en Angleterre. Certainement, la délimitation

claire d’un espace spéculatif et contemplatif se situant au-delà de toute valorisation

possible dans un contexte de « révolution des valeurs »37 a contribué à offrir au

mouvement idéaliste dans son ensemble une position à partir de laquelle il était

possible de réfléchir. Mais cette lecture rassurante esquive un certain nombre

d’éléments qui imposent de travailler encore en direction d’une métaphysique capable

de réduire les développements contradictoires qu’en l’état, on est en droit de craindre.

Dans son article sur ce qu’il estimait être la doctrine centrale de Bradley dans Ethical

Studies, l’idée de self-realization, David Crossley écrivait que Bradley était parvenu à une

position dangereuse, aux frontières de la philosophie, de la religion et du mysticisme en

utilisant la philosophie hégélienne38. Le système que Bradley conçoit après Ethical

Studies, du fait de son appartenance à deux modes de pensée sur la façon de caractériser

le réel, l’une hégélienne et l’autre d’inspiration platonicienne, ne pouvait véritablement

contenter ni les hégéliens, ni les mystiques.

27 Certes, l’intention qui a présidé à l’écriture de Ethical Studies n’a pas consisté à satisfaire

les uns et les autres, mais à parcourir justement les frontières de la philosophie et de la

religion à la recherche d’une solution éthiquement acceptable dans un monde

irrésistiblement tourné vers les promesses de la science.

NOTES

1. Ian MACKILLOP, The British Ethical Societies, Cambridge: Cambridge University Press, 1986, p. 83.

2. F. H. BRADLEY, Ethical   Studies, Oxford : Clarendon Press, 1962 (seconde édition revue et

corrigée de 1927, avec une introduction de Richard Wollheim), p. 323.

3. Bradley interprète le terme ‘atonement’ comme une « réconciliation », mais il reconnaît aussi la

possibilité d'utiliser d'autres expressions pour en rendre compte (voir Ibid., p. 324).

4. Ibid., p. 325.

5. Ibid., p. 329.

6. Ibid., p. 325. Bradley commente longuement la « mort » du ‘this me’, du soi privé, jusqu’à la page

329, où il admet de façon explicite sa lecture paulinienne. Il semble qu’il se réfère ici

essentiellement à 2 Cor 6:9, mais aussi à Rom 3:20, 23-24 pour l’impossibilité de toute auto-

justification.

7. Ibid., p. 342.

8. Ibid., p. 327.

9. Ibid.

10. Ibid.

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11. Voir, par exemple, saint Augustin, La cité de Dieu, 3 vols., Paris : Seuil (Points Sagesses), 1982,

vol. 3, p. 110 (liv. XIX, sect. VI) ; p. 128 (liv. XIX, sect. XVII).

12. BRADLEY, op. cit., p. 339, note 1.

13. Ibid., p. 337.

14. Ibid., p. 330.

15. Ibid., pp. 337-338.

16. Ibid., pp. 339-340.

17. Ibid., pp. 318, note 2.

18. Ibid., pp. 317-318.

19. Ibid., p. 317.

20. ‘To those of us who do not think that Christianity is called upon to wrap itself any longer in “Hebrew

old  clothes”,  all   this   is  entirely  a  matter   for   the  historian’ ( Ibid., p. 317). L 'expression ‘Hebrew  oldclothes’ est de Carlyle.

21. ‘By  denying  such  a  doctrine  we  ought  not  to  give  offense to  the  Christians.  Whether  we  shall  giveoffense or not is another matter. We are sorry if it is so; but nevertheless we deny the assertion, and we

think that on our side we have the religious consciousness and the New Testament.’ (Ibid., pp. 336-337)

22. Ibid., p. 328.

23. Ibid., p. 339.

24. Ibid., pp. 327-328.

25. ‘The practical content which religion carries out comes from the state, society, art, and science’ (Ibid.,

p. 333).

26. Ibid., p. 320.

27. Ibid., p. 323.

28. La référence fréquente de Bradley à un livre de Wilhelm Vatke, Die  Menschliche  Freiheit   inihrem  Verhältniss  zur  Sünde  und  zur  Göttliche  Gnade, se fait systématiquement sous le titre, Die

Menschliche Freiheit, alors que son objet majeur est bien la dialectique du péché (Sünde) et de la

grâce (Gnade)...

29. ‘Throughout  the  sequel  I  have  to  acknowledge  my  indebtedness  to  Vatke’s  book,  Die menschliche

Freiheit, 1841’ (BRADLEY, op. cit., p. 314). Voir également pp. 293, 298, 299.

30. Jahn Rohls a étudié ce moment de la théologie dans « Die Aufhebung der religiösen

Vorstellung in den philosophischen Begriff, Hegel These und die Theologie der Junghegelianer »,

in Ingolf U. DALFERTH & Hans-Peter GROSSHANS (eds.),  Kritik  der  Religion:  Zur  Aktualität  einerunerledigten philosophischen und theologischen Aufgabe, Mohr Siebeck, 2006. Il a crédité Vatke d'une

tentative de résolution qui n'est pas en désaccord avec Hegel et qui vise à rétablir l'unité du

savoir et de la foi, sans préjudice pour aucun des deux.

31. Voir Heinrich BENECKE, Wilhelm Vatke in seinem Leben und seinen Schriften, Bonn, 1883, p. 347.

32. BRADLEY, op. cit., p. 315.

33. Ibid., p. 319.

34. Ibid., p. 320.

35. Ibid.

36. Ibid., p. 321.

37. ‘The individual life for religion is one with the divine; it possesses infinite worth, a value no terms canexpress’ (Ibid., p. 334).

38. David J. CROSSLEY, ‘Self-Realization as Perfection in Bradley’s Ethical Studies’, Idealistic Studies,vol. 7, no 3, septembre 1977, p. 212.

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RÉSUMÉS

Les ‘Concluding Remarks’ de F. H. Bradley parachevant Ethical Studies (1876) sur une apothéose de

la foi ont été peu étudiées par la critique sur l’auteur en dépit de leur influence certaine sur les

sociétés éthiques de la période victorienne tardive et de leur importance dans la suite de son

œuvre. Face à la montée du matérialisme et de l’agnosticisme, Bradley a suggéré dans ce texte

une solution religieuse ambiguë à la question éthique. En cherchant à consolider le concept de

réalisation de soi pour affermir son opposition aux visions de l’éthique véhiculées par

l’utilitarisme et le kantisme, Bradley a proposé une interprétation de la foi oscillant entre

orthodoxie et hérésie qui ne pouvait contenter qu’un nombre réduit de fidèles.

F. H. Bradley’s ‘Concluding Remarks’, ending his Ethical   Studies (1876), were undeniably

significant in prompting his subsequent metaphysical work. Yet, they have rarely been studied as

a separate text, despite its fame among the members of the London Ethical Society in late-

Victorian times. In this text, Bradley’s answer to the threat of materialism and agnosticism

endangering true faith and orthodoxy shaped a very ambiguous religious solution to ethics.

While consolidating the concept of self-realization he had contributed to define against

utilitarian and Kantian presuppositions, his views suggested an interpretation of faith wavering

between an orthodox statement and some heretical positions which could satisfy but a small

number of religious believers.

AUTEUR

JEAN-PAUL ROSAYE

Université d’Artois

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La représentation du père Brown etdu mal dans les nouvelles policièresde G. K. Chesterton : The Innocence ofFather Brown (1911), entreorthodoxie et hétérodoxieThe Representation of Father Brown and Evil in G.K. Chesterton’s Detective

Stories: The Innocence of Father Brown (1911), Between Orthodoxy andHeterodoxy

Françoise Dupeyron-Lafay

1 Évoquer la nature « orthodoxe » ou « hétérodoxe » de la pensée et de l’œuvre (de

détection) de G. K. Chesterton implique une approche du domaine religieux, mais ces

deux adjectifs possèdent aussi une acception plus large, relative à des comportements

et à une idéologie conformistes ou excentriques par rapport à la doxa  dominante.

Chesterton lui-même emploie le premier terme dans cette acception dès la première

nouvelle (sur 12) des Father Brown Stories, ‘The Blue Cross’ (1910)1, où il est question d’un

sucrier peu « orthodoxe ». En effet, contre toute attente, on y trouve du sel, la salière

contenant pour sa part du sucre. Cette facétie, cette excentricité du quotidien donnent

d’emblée la mesure de l’ambiance du recueil The Innocence of Father Brown2.

2 Le père Brown est en quelque sorte le « sel dans le sucrier » ou le « sucre dans la

salière » de la littérature policière, car le choix d’un prêtre catholique (d’apparence un

peu ridicule et insignifiante) dans le rôle du détective (certes amateur) aux prises avec

le crime, n’a rien d’« orthodoxe », surtout si on le compare à ses prédécesseurs du XIXe

siècle dotés d’une stature plus héroïque, notamment au grand Sherlock Holmes.

Chesterton, amateur de fiction policière3, connaissait parfaitement les maîtres du

genre, qu’il cite de manière plus ou moins explicite dans ses textes. Son détective

atypique n’est donc pas une erreur de débutant, mais une stratégie délibérée employée

dans cinq recueils pendant plus de vingt ans.

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La représentation « hétérodoxe » du père Brown

3 La présence d’un prêtre est donc, de fait, « hétérodoxe », mais ce qui l’est encore plus

est la manière dont il est représenté. Lors de sa première apparition dans ‘The Blue

Cross’, le récit donne une image pitoyable de ce père Brown, dont le lecteur ignore

encore qu’il s’agit d’un détective amateur hors pair, d’une intelligence et d’une sagacité

exceptionnelles. Tout ce que nous voyons dans l’immédiat (ou, plus exactement, tout ce

que nous fait voir le policier Valentin, chef de la police parisienne et enquêteur de

renommée internationale, puisque le récit adopte en quelque sorte au style indirect

libre sa perspective anticléricale) est un petit prêtre catholique originaire d’un obscur

village de l’Essex, d’apparence miteuse, niaise et vulnérable, l’innocent que semble

évoquer le titre du recueil :

Valentin gave it up and almost laughed. The little priest was so much the essence ofthose Eastern flats; he had a face as round and dull as a Norfolk dumpling; he hadeyes as empty as the North Sea [...] The Eucharistic Congress had doubtless suckedout of their local stagnation many such creatures, blind and helpless, like molesdisinterred [...] He had a large, shabby umbrella, which constantly fell on the floor.He did not seem to know which was the right end of his return ticket. He explainedwith a moon-calf simplicity to everybody in the carriage that he had to be careful,because he had something made of real silver “with blue stones” in one of hisbrown-paper parcels.4

4 Le portrait n’est pas plus flatteur dans ‘The Invisible Man’, où le père Brown apparaît

initialement comme un objet incongru, échoué par hasard dans le bric-à-brac de

l’appartement de Flambeau, voleur de son état : ‘The ornaments were sabres, harquebuses,Eastern curiosities, flasks of Italian wine, savage cooking-pots, a plumy Persian cat, and a small

dusty-looking  Roman  Catholic  priest,  who   looked  particularly  out  of  place.’5  Le prêtre est

ensuite comparé à un meuble, puis à divers animaux, par exemple quand il regarde le

sol de l’air inexpressif d’un poisson. Mais les rôles seront très bientôt inversés : le

« petit chien docile » qui suivait Angus et Flambeau en silence (‘They turned out into thestreet, the small priest trundling after them with the docility of a small dog’6) devient sous peu

le guide (au sens propre et au sens figuré) des deux hommes, qui le suivront pour

découvrir la vérité : ‘Unconsciously they were walking with quickening steps down the longsweep of road […] Father Brown leading briskly, though in silence’7. C’est précisément, pour

reprendre ses termes, parce qu’il est lui-même « mentalement invisible »8 qu’il

comprend que Welkin, lui-même un « homme invisible » (du fait de son statut

subalterne en tant que facteur), a pu s’introduire chez Isidore Smythe et l’assassiner.

5 Ironie du sort, cet être à première vue inintéressant et négligeable, l’adjectif ‘little’

résumant son insignifiance, finit toujours par révéler à quel point les apparences sont

trompeuses, et par susciter admiration et respect. Ainsi, Valentin et le voleur Flambeau

s’inclinent devant lui en signe d’hommage à la fin de ‘The Blue Cross’.

Le père John O’ Connor, inspirateur

6 Ce Father   Brown est inspiré d’un homme bien réel, le père John O’Connor, que

Chesterton connaissait depuis 1904, et qui était devenu son conseiller spirituel, comme

en témoigne l’hommage rendu dans la dédicace du recueil de 1927, The Secret of FatherBrown : ‘To  Father   John  O’  Connor,  of  St  Cuthbert’s  Bradford,  whose   truth   is  stranger   than

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fiction,  with  a  gratitude  greater   than   the  world’9. Max Ribstein précise que Chesterton

l’avait rencontré à Keighley (région de West Riding, Yorkshire) « fortuitement à l’occasion

d’une tournée de conférences dans le nord de l’Angleterre », et qu’il « organisera la confessionet la réception de son ami dans le sein de l’Église catholique le 30 juillet 1922.»10 M. Ribstein

insiste sur le rôle de J. O’Connor : « l’inspirateur, mais non le calque » du père Brown.

Au chapitre XVI (‘The God with the Golden Key’) de son autobiographie de 1936, The

Autobiography  of  G.  K.  Chesterton, l’auteur explique bien dans quelle mesure le père

Brown constitue une version personnelle et « romancée » de son ami et confesseur,

qu’il décrit en termes nettement plus flatteurs : ‘A  small  man  with  a  smooth  face  and  ademure but elfish expression’, et dont il souligne avec force le tact, le sens de l’humour, et

la manière dont celui-ci avait su gagner l’estime et la confiance des villageois un peu

frustes du Yorkshire, bien qu’il fût catholique et que ces derniers fussent

majoritairement protestants11:

In Father Brown, it was the chief feature to be featureless [...] his conspicuousquality was not being conspicuous. His commonplace exterior was meant tocontrast with his unsuspected vigilance and intelligence; and that being so, ofcourse I made his appearance shabby and shapeless, his face round andexpressionless, his manners clumsy, and so on. At the same time, I did take some ofhis inner intellectual qualities from my friend, Father John O'Connor of Bradford,who [...] is not shabby, but rather neat; he is not clumsy, but very delicate anddexterous [...] He is a sensitive and quick-witted Irishman [...] My Father Brown wasdeliberately described as a Suffolk dumpling from East Anglia [...] But for all that,there is a very real sense in which Father O'Connor was the intellectual inspirationof these stories.12

Vide et plénitude : orthodoxie et principesapostoliques

7 Chesterton était donc pleinement conscient d’avoir pris des libertés, « malmené » son

modèle, et créé une figure de prêtre à certains égards peu orthodoxe, peu conforme à la

dignité attendue d’un personnage d’ecclésiastique, et peu apte à inspirer le respect. Le

père Brown fait ainsi figure de pierre précieuse cachée par une gangue disgracieuse,

exprimée par les couleurs ternes qui lui sont associées : le gris de ses yeux, le brun de

son nom si passe-partout et si banal. Christiane d’Haussy, dans La Vision du monde chez G.K. Chesterton, évoque « cette idée, familière à Chesterton, on le sait, d’un moi réduit à l’extrême

pour   mieux   percevoir   le   monde   extérieur »13, forme d’ascèse mentale qu’exprime

fréquemment l’image du regard « vide » du prêtre, pris à tort pour un signe

d’imbécillité : ‘He had eyes as empty as the North Sea’ (BC) et ‘Colonel Pound looked at himkeenly,   but   the   speaker’s  mild   grey   eyes  were   fixed  upon   the   ceiling  with   almost   empty

wistfulness’14. On notera bien d’ailleurs la contradiction entre ces yeux vides et la

référence à la mer, espace vaste qui évoque non l’absence, mais une forme d’infini

sublime.

8 Chesterton écrivait à la fin du chapitre XVI de son autobiographie: ‘But I know that hewho is called Pontifex, the Builder of the Bridge, is called also Claviger, the Bearer of the Key; andthat such keys were given him to bind and loose when he was a poor fisher in a far province,beside a small and almost secret sea.’15 Et l’on peut dire que le symbolisme de la pêche et

des pêcheurs présent dans ‘The Queer Feet’ préfigure ce passage de l’autobiographie.

Cette nouvelle se déroule pendant le dîner du club des Twelve True Fishermen, version

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ironique des douze apôtres, les douze « pêcheurs » du club, préoccupés par la richesse

et le pouvoir, constituant l’antithèse des principes apostoliques. Le lien avec la pêche

réside simplement dans le menu de leur dîner, à base de poisson. Tout ce qui leur

importe est de retrouver les couverts d’argent que Flambeau leur a dérobés ; en

revanche, la façon dont le père Brown présente sa mission de sauveur et de pêcheur

d’âmes a tout d’une allégorie chrétienne :

‘Odd, isn’t it,’ he said, ‘that a thief and a vagabond should repent, when so manywho are rich and secure remain hard and frivolous [...] there are your knives andforks. You are The Twelve True Fishers, and there are all your silver fish. But He hasmade me a fisher of men.’ ‘Did you catch this man?’ asked the colonel, frowning. Father Brown looked him full in his frowning face. ‘Yes,’ he said, ‘I caught him, withan unseen hook and an invisible line which is long enough to let him wander to theends of the world, and still to bring him back with a twitch upon the thread.’16

9 C. d’Haussy précise que la vision du monde de l’auteur est « fortement  colorée  par  saconception  du  bien  et  du  mal  jugés  dans  une  perspective  chrétienne  très  orthodoxe. »17 Et si

l’apparence du père Brown n’est pas orthodoxe, son comportement, ses opinions

religieuses et sa conception de l’existence le sont généralement18, mais pas toujours, ce

qui doit être souligné :

Father Brown’s figure remained quite dark and still; but in that instant he had losthis head. His head was always most valuable when he had lost it. In such momentshe put two and two together and made four million. Often the Catholic Church(which is wedded to common sense) did not approve of it. Often he did not approveof it himself. But it was real inspiration – important at rare crises – whenwhosoever shall lose his head the same shall save it.19

Le père Brown, confesseur et sauveur d’âmes

10 Il est par ailleurs fier (péché véniel ?) de son rôle de garde-fou moral : ‘He had averted acrime  and, perhaps,  saved  a  soul,  merely  by   listening  to  a   few  footsteps   in  a  passage.  He   isperhaps a little proud of this wild and wonderful guess of his, and it is possible that he might

refer to it.’20 Il a en effet réussi à convertir Flambeau, le « colosse du crime » décrit au

début de ‘The Blue Cross’. Ce dernier, ancien criminel (français)21, voleur récidiviste de

bijoux précieux et d’argenterie dans les quatre premières histoires (notamment BC, QF

et FS), devient l'ami du père Brown, qui finit par le sauver à la fin de ‘The Flying Stars’

en l’exhortant à restituer les rubis qu’il a volés et en lui déclarant, dans une langue très

convaincante et imagée, reposant sur un paradoxe (‘honest outlaw’) et sur une allégorie

(l’arbre dans lequel Flambeau a trouvé refuge, mais dont le symbolisme chrétien est

clair) :

‘I want you to give up this life. There is still youth and honour and humour in you;don’t fancy they will last [...] Many a man I’ve known started like you to be anhonest outlaw, a merry robber of the rich, and ended stamped into slime [...] I knowthe woods look very free behind you, Flambeau; I know that in a flash you couldmelt into them like a monkey. But some day you will be an old grey monkey,Flambeau. You will sit up in your free forest cold at heart and close to death, andthe tree-tops will be very bare’. 22

11 Nous découvrons ensuite Flambeau en détective dans ‘The Invisible Man’ (nouvelle 5),

du côté des forces du bien et de la justice, un peu à la façon de Vidocq, truand repenti…

Grâce au prêtre, il est (re)devenu un enfant, et l’on notera que les termes ‘child’, ‘little

boy’, ‘childish’ sont d’ailleurs souvent associés au père Brown, et possèdent toujours un

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sens très positif qui rappelle la valorisation des êtres simples et innocents dans les

Évangiles : ‘“You must tell us all about it,” said Flambeau with a strange heavy simplicity, like achild.’23 Le père Brown joue fréquemment le rôle de « pêcheur » d’âmes en perdition, et

de confesseur, mais cela, toujours à notre insu. Le lecteur n’apprend jamais

explicitement ce que Flambeau ou Welkin, le meurtrier d’Isidore Smythe, ont révélé au

prêtre, en conformité avec le secret de la confession :

‘What did you do to him?’ cried the colonel, with unusual intensity. ‘What did hetell you?’ ‘I beg your pardon,’ said the priest immovably, ‘that is where the story ends.’24 But Father Brown walked those snow-covered hills under the stars for many hourswith a murderer, and what they said to each other will never be known.25

Une hétérodoxie insidieuse

12 Il se dessine cependant une forme d’hétérodoxie assez imperceptible et insidieuse dans

les Father Brown Stories. Elle ne découle pas intrinsèquement de la conception religieuse

de Chesterton, mais plutôt de sa mise en œuvre littéraire, qui semble échapper en

partie au contrôle de la raison26, et qui a parfois tendance à gommer les frontières entre

le bien et le mal27. La polarité morale n’est pas toujours aussi tranchée que l’on pourrait

s’y attendre non seulement dans de la fiction policière, mais en outre dans de la fiction

policière à caractère théologique ; tout peut aisément basculer d’un côté comme de

l’autre. Il faut rappeler que Valentin, policier dans ‘The Blue Cross’, devient meurtrier

et se suicide dans la nouvelle suivante, ‘The Secret Garden’ ; que Flambeau demeure

estimable malgré tous ses méfaits, et que, d’une manière générale, ni le père Brown, ni

le lecteur n’éprouve de réelle antipathie ou de sentiment de rejet envers les meurtriers

Welkin (IM) ou Wilfrid Bohun (HG). On notera d’ailleurs que le prêtre, qui, seul, connaît

la culpabilité de Bohun, décide de ne pas le dénoncer, bien qu’il ait assassiné son frère

(impie et débauché)28. Le marteau (de forgeron) que, depuis le clocher de l’église, il a

lancé sur ce frère honni est d’ailleurs décrit d’une façon très surprenante et ambiguë ;

la comparaison avec la foudre de Dieu semble faire de ce meurtre un châtiment juste et

mérité, et implicitement, presque le légitimer :

‘I know what you did – at least, I can guess the great part of it. When you left yourbrother you were racked with no  unrighteous   rage,   to the extent even that yousnatched up a small hammer, half inclined to kill him with his foulness on his mouth.Recoiling, you thrust it under your buttoned coat instead, and rushed into thechurch [...] you could see the colonel’s Eastern hat like the back of a green beetlecrawling about. Then something snapped in your soul, and you let God’s thunderboltfall.’29 

13 Par ailleurs, le style et l’écriture de Chesterton ont tendance à esthétiser la noirceur et

le mal, et à leur conférer une beauté et un pouvoir de fascination insoupçonnés.

L’ouverture de ‘The Flying Stars’ nous fait entendre Flambeau, à présent réformé, se

remémorant (non sans fierté) son passé criminel « artistique », écho possible du titre

provocateur de l’essai de Thomas De Quincey intitulé ‘On Murder Considered as One of theFine Arts’ (1827) :

‘The most beautiful crime I ever committed,’ Flambeau would say in his highlymoral old age, ‘was also, by a singular coincidence, my last. It was committed atChristmas. As an artist I had always attempted to provide crimes suitable to thespecial season or landscapes in which I found myself, choosing this or that terraceor garden for a catastrophe, as if for a statuary group’.30

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L’esthétisation du mal

14 Le père Brown recourt lui-même, curieusement, à cette métaphore artistique associant

crime et création :

‘A crime,’ he said slowly, ‘is like any other work of art. Don't look surprised; crimesare by no means the only works of art that come from an infernal workshop. Butevery work of art, divine or diabolic, has one indispensable mark – I mean, that thecentre of it is simple, however much the fulfilment may be complicated.’31

15 Le prêtre a beau souligner l’origine diabolique de « l’œuvre d’art », les descriptions32 du

mal et de la délinquance allient le sublime et son envers : l’abjection et l’horreur. Mais

par-delà cette noirceur, ce qui domine est le sentiment d’une insolite et inquiétante

beauté, toute en paradoxes, comme la nature humaine : ‘The glory of heaven deepened anddarkened around the sublime vulgarity of man’33 ; ‘man is himself a miracle, with his strangeand wicked and yet half-heroic heart’34. Les hauteurs sublimes du ciel et les profondeurs de

l’abîme se rejoignent également dans la représentation des corps mutilés des victimes,

avec les images à la fois terrifiantes et belles – fort éloignées des représentations

orthodoxes et attendues du mal – de l’étoile ensanglantée, ou du sang qui coule dans

l’eau, pareil au ciel empourpré au couchant : ‘But the skull was only a hideous splash, like astar  of  blackness  and  blood’35  ; ‘As  by  some  weird  whim  of  diabolical  arabesque,  blood  was

eddying out, very slowly, into the luminous water in snaky rings, like the transparent crimson ofsunset   clouds’36. C’est en cela que réside l’hétérodoxie (morale) de l’esthétique

« chestertonienne », qui métamorphose et déréalise le « réel ». Au creuset de cette

écriture ornée et complexe, le réel devient un objet esthétique et un spectacle, ce qui

implique un détachement et une distanciation (éthiques)37 :

[...] when a knock sounded at the double front doors. The priest opened them, andthey showed again the front garden of evergreens, monkey-tree and all, nowgathering gloom against a gorgeous violet sunset. The scene thus framed was socoloured and quaint, like a back scene in a play, that they forgot a moment theinsignificant figure standing in the door.38

16 Il est en outre souvent malaisé de savoir qui pense, qui voit, ou de qui émane la voix

narrative. Quand le ciel, au crépuscule, est comparé à des pierres précieuses, s’agit-il

d’une projection mentale de la vision (immorale) de Flambeau, désireux de s’approprier

les saphirs de la « croix bleue » (dans BC) ou les « étoiles volantes » (des rubis) dans

‘The Flying Stars’ ? De celle du père Brown, qui, émerveillé devant la beauté du monde,

compare les étoiles à des saphirs et à des diamants (BC) ? Du point de vue de l’auteur

lui-même ? Il est impossible de trancher, et l’on voit bien combien l’autorité (et la

responsabilité) narratives (et morales) sont insaisissables.

The gorgeous green and gold still clung to the darkening horizon; but the domeabove was turning slowly from peacock-green to peacock-blue, and the starsdetached themselves more and more like solid jewels.39

The winter afternoon was reddening towards evening, and already a ruby light wasrolled over the bloomless beds, filling them, as it were, with the ghosts of the deadroses.40

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Retour à l’orthodoxie ?

17 Les originalités stylistiques peuvent cependant servir une cause plus orthodoxe, même

quand elles donnent au « réel » (fictionnel) un aspect fantastique et onirique ; la

syntaxe peut, par exemple, suggérer les « méfaits  du  mal  diffus  dans   l’univers »41 en

animant l’inanimé et en gommant le statut d’agent actif des êtres humains : ‘The longroads of the North London suburbs seemed to shoot out into length after length like an infernal

telescope [...] the winter twilight was already threatening the road ahead of them’42. Les effets

optiques déroutants (réduction, grossissement ou anamorphoses) induits par l’écriture

véhiculent également un message éthique clair, quoique implicite. Cette technique de

brouillage de nos repères habituels – visuels et moraux – est brillamment illustrée par

la description du vertige et de la confusion que l’on éprouve en regardant le monde

depuis le clocher de l’église gothique de ‘The Hammer of God’ :

The lines of the Gothic building plunged outwards into the void with a sickeningswiftness akin to suicide [...] This church was hewn out of ancient and silent stone[...] And yet, when they saw it from below, it sprang like a fountain at the stars; andwhen they saw it, as now, from above, it poured like a cataract into a voiceless pit.For these two men on the tower were left alone with the most terrible aspect ofGothic; the monstrous foreshortening and disproportion, the dizzy perspectives,the glimpses of great things small and small things great; a topsy-turvydom ofstone in the mid-air. Details of stone, enormous by their proximity, were relievedagainst a pattern of fields and farms, pygmy in their distance.43

18 Surplomber le monde et les hommes depuis ce gigantesque piédestal fait perdre le sens

des proportions, y compris les siennes, comme l’a bien compris le prêtre quand il décrit

la métamorphose psychologique de Wilfrid Bohun (le meurtrier) en termes spatiaux

symboliques :

‘I knew a man,’ he said, ‘who began by worshipping with others before the altar, butwho grew fond of high and lonely places to pray from [...] in the belfry or the spire.And once in one of those dizzy places, where the whole world seemed to turn underhim like a wheel, his brain turned also, and he fancied he was God. So that, thoughhe was a good man, he committed a great crime.’ [...] ‘He would never have had such a thought if he had been kneeling with othermen upon a floor. But he saw all men walking about like insects.’44 

19 Les images optiques qui jalonnent le recueil démontrent donc les pouvoirs déformants

du regard humain capable de naniser, de réifier, de déshumaniser les êtres, de ne plus

voir en eux que des insectes (image récurrente du corpus) ou des pantins, ce qui est une

façon de légitimer leur destruction. Dans ‘The Blue Cross’, Flambeau profère une

menace horrible quand il lance au père Brown: ‘Just hand over that sapphire cross of yours,will you? We’re all alone here, and I could pull you to pieces like a straw doll.’45

20 Cette (dé)figuration que par cupidité, ou par orgueil, depuis les « hauteurs » (littérales

pour Bohun, ou plus métaphoriques), certains humains font subir à autrui aboutit à une

vision anamorphique du monde. Nous ne sommes en mesure de voir l’image corrigée

que si nous nous plaçons au bon endroit et que nous possédons la surface réfléchissante

convexe adaptée. C’est généralement le père Brown qui joue le rôle de cette surface

correctrice. Mais il sait qu’il n’est lui-même pas exempt du mal inhérent qui habite

l’être humain. Quand Wilfred Bohun (le coupable démasqué) s’exclame: ‘How  do  youknow all this? [...] Are you a devil?’, le père Brown lui répond d’un ton grave : ‘I am a man

[...] and therefore have all devils in my heart.’46 Cette perspicacité qui passe pour diabolique

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vient aussi de sa connaissance des bas-fonds et de la pègre (inspirée de celle du père

O’Connor), qu’il évoque à la fin de ‘The Blue Cross’47.

21 Chesterton se savait lui aussi ange et bête, ange et démon, dualité terrifiante avec

laquelle il ne pouvait se réconcilier, mais qui l’obsédait et le fascinait obscurément.

C’est ce qui explique l’ambiguïté tonale et idéologique des Father Brown Stories, et leur

hésitation troublante aux frontières de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie. La manière

dont le père Brown (qui acquiert par moments le statut de double de l’auteur)

s’identifie à certains criminels (particulièrement dans ‘The Hammer of God’), sa

conception artistique du réel, les limites instables et parfois ténues entre le bien et le

mal, les représentations très esthétisées du crime exercent sur le lecteur un pouvoir de

séduction tenace (et pernicieux ?) que l’on peut, en fin de compte, considérer comme

une bizarrerie de l’ordre du « sucre dans la salière »…

NOTES

1. ‘The Blue Cross’ ouvre le recueil The Innocence of Father Brown (1911), dont les douze nouvelles,

avant d’être publiées en volume en 1911, parurent dans des revues en 1910. Chesterton écrivit

quatre autre recueils mettant en scène le père Brown : The  Wisdom  of Father  Brown (1914), The

Incredulity of Father Brown (1926), The Secret of Father Brown (1927) et The Scandal of Father Brown

(1935).

2. Le corpus se fondera surtout sur cinq des nouvelles de ce recueil : ‘The Blue Cross’, ‘The Queer

Feet’, ‘The Flying Stars’, ‘The Invisible Man’ et ‘The Hammer of God’. Pour des raisons de brièveté,

elles seront désignées respectivement par BC, QF, FS, IM et HG. L’édition de référence sera The

Complete Father Brown, London: Penguin Books, 1981.

3. Dans ‘The Great Detectives: G. K. Chesterton. Father Brown’, John PETERSON remarque :

‘Chesterton was also the first respected literary critic to write extensively on the subject of the detectivestory.  He  read   these  stories  himself,   literally  by   the  hundreds’ (Strand  Magazine, issue 3, copyright

2003-2006, <http://www.strandmag.com/fatherbrown> [dernière consultation le 25 mai 2012]).

4. BC, pp. 10-11.

5. IM, pp. 72-73.

6. Ibid., p. 73.

7. Ibid., p. 76.

8. Sa position est très révélatrice: ‘The unimportant Father Brown […] stood back, looking modestly atthe pavement’ (p. 74).

9. Chesterton partageait visiblement avec Arthur Conan DOYLE un goût prononcé pour l’étrange

et pour les paradoxes. Au début de la nouvelle ‘A Case of Identity’, Holmes déclare : ‘Life   isinfinitely   stranger   than  anything  which   the  mind  of  man  could   invent’ (The  Adventures  of  SherlockHolmes, London: Penguin Books, 1994, p. 55). Les termes que Chesterton emploie dans sa dédicace

de 1927 au père John O’ Connor font écho à la vision de Holmes.

10. M. RIBSTEIN, G. K. Chesterton. Création littéraire et imagination, Paris : Éditions Klincksieck, 1981,

p. 120. La création littéraire du père Brown préexiste donc largement à la conversion au

catholicisme de Chesterton en 1922.

11. The Autobiography of G. K. Chesterton, New York: Sheed & Ward, 1936, p. 336.

12. Ibid., pp. 333-334.

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13. Christiane D’HAUSSY, La Vision du monde chez G. K. Chesterton, Paris : Didier-Érudition (Études

anglaises, 77), 1981, p. 243. De même : « Dans un schéma idéal, l’homme se fait très petit pour célébrerle bien et le beau, présents de Dieu » (Ibid., p. 244).

14. QF, p. 51.

15. Autobiography, p. 355.

16. QF, p. 50.

17. D’HAUSSY, op. cit., p. 237.

18. En catholique convaincu, il critique par exemple l’approche religieuse du forgeron

presbytérien, qu’il considère comme l’héritier d’un paganisme écossais ancien et comme un

homme prosaïque, trop ancré dans la terre : ‘“Look at that blacksmith, for instance,” went on FatherBrown calmly; “a good man, but not a Christian – hard, imperious, unforgiving. Well, his Scotch religionwas made up by men who prayed on hills and high crags, and learnt to look down on the world more than tolook up at heaven.”’ (HG, p. 129)

19. QF, p. 44.

20. Ibid., p. 39.

21. Mais Flambeau, voleur récidiviste à grande échelle, n’est pas un meurtrier, ce qui rend sa

conversion plus plausible, et cela d’autant plus que, étant français, il est sans doute de culture

catholique. Il est par ailleurs d’origine gasconne, d’une stature aussi colossale que son envergure

dans le monde du crime, ce qui lui confère une dimension pittoresque, somme toute assez

sympathique, séduisante et divertissante.

22. FS, pp. 63-64.

23. IM, p. 76.

24. QF, p. 53.

25. IM, p. 77.

26. « L’auteur, tout en éprouvant cette fascination pour l’horrible et l’obscur, s’efforce souvent d’y résistersans  s’interroger,  au  moins  publiquement,  sur   les  raisons  de  son  attirance  pour  cette  zone  d’ombre  enlui » (D’HAUSSY, op.   cit., p. 235) ; « Son   inconscient  a  pris   sa revanche   en   se  manifestant  par   cesrésurgences sataniques […] Toute sa vie, il est épouvanté par les abîmes potentiels ou réels qu’il découvre ouqu’il  imagine  en  lui-même. « Abîme  »  convient  bien,  car  c’est  en  termes  d’espace  qu’il  traduit  le  vertigespirituel que provoque en lui la contemplation des sombres précipices de son âme. » (Ibid., p. 236)

27. « Chesterton pense que le bien et le mal ont une densité et une existence réelles, mais il arrive qu’ilssoient si étroitement associés qu’il n’est pas aisé de les distinguer l’un de l’autre. » (Ibid., p. 238)

28. Le père Brown se comporte ici comme le fait à l’occasion Sherlock Holmes, qui tait parfois

l’identité du coupable et le laisse libre : ‘“But hear me further. I say I know all this; but no one else shallknow it. The next step is for you; I shall take no more steps; I will seal this with the seal of confession [...]you have not yet gone very far wrong, as assassins go. You did not help to fix the crime on the smith when itwas easy; or on his wife, when that was easy. You tried to fix it on the imbecile because you knew that hecould not suffer. That was one of the gleams that it is my business to find in assassins. And now come down

into the village, and go your own way as free as the wind; for I have said my last word”.’ (HG, p. 131)

29. Ibid., p. 130 ; c’est moi qui souligne.

30. FS, p. 54.

31. QF, p. 51.

32. Le descriptif occupe une place prépondérante dans les Father Brown Stories, dont l’écriture est

extrêmement travaillée et complexe, fait atypique pour des nouvelles de détection, où l’intrigue et

l’action priment généralement. Comme le souligne Max Ribstein : « Mais l’un des aspects les plusoriginaux de ces histoires (en dehors du protagoniste), et des moins soulignés, est, selon nous, l’importance

donnée au décor et à l’atmosphère, lesquels ne sont pas – ou pas seulement – un cadre, mais une réalitéinquiétante pénétrée par la présence du mal. Au fond, les Father Brown Stories sont moins des histoirespolicières que de la théologie vécue personnellement et dramatisée sous forme littéraire […] Chesterton a un

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côté nettement onirique et fantastique […] Il semble éprouver une véritablement fascination pour la nuit etles périodes aurorales et crépusculaires » (RIBSTEIN, op. cit., p. 141).

33. BC, p. 18.

34. HG, p. 128.

35. Ibid., p. 121.

36. ‘The Mirror of the Magistrate’, in Secret of Father Brown, p. 471.

37. La signification et la fonction du thème théâtral et de ses diverses mises en œuvre (littérales,

comme la pantomime de FS, ou plus métaphoriques, comme dans QF, p. 44) dépassent largement

le sens univoque et orthodoxe que leur prête Max Ribstein, selon lequel : « Le théâtre est partoutprésent dans les Father Brown Stories […] Nous rejoignons là l’idée que Satan est le grand illusionniste,Diabolus Simius Dei.  Satan   se   sert  de   la  puissance   trompeuse  qu’est   l’imagination ;  Chesterton  veutmontrer que l’homme sans Dieu vit dans un imaginaire factice et dangereux. » (p. 142) Mais Chesterton

comme le père Brown cèdent à l’évidence à la fascination de cet « imaginaire factice et dangereux ».

38. FS, p. 57.

39. BC, p. 19

40. FS., p. 54.

41. D’HAUSSY, op. cit., p. 241.

42. BC, pp. 15-16 ; c’est moi qui souligne.

43. HG, p. 129.

44. Ibid., p. 130 ; c’est moi qui souligne.

45. BC, p. 21.

46. HG, p. 130.

47. ‘It was a curious experience to find that this quiet and pleasant celibate had plumbed those abysses fardeeper than I. I had not imagined that the world could hold such horrors.’ (Autobiography, pp. 337-338)

La réaction de Flambeau est directement inspirée de celle de l’auteur à la fin de ‘The Blue Cross’ :

‘How in blazes do you know all these horrors?’ (p. 23)

RÉSUMÉS

Que Chesterton ait choisi le père Brown, un prêtre catholique, comme détective amateur de ses

nouvelles n’a rien d’orthodoxe, et les portraits peu flatteurs qui en sont brossés le sont encore

moins, même si, au bout du compte, le personnage (inspiré d’un modèle réel) est un être

d’exception qui incarne et exprime les valeurs chrétiennes de son auteur. Mais en dépit du

message orthodoxe explicite, une forme insidieuse et subliminale d’hétérodoxie imprègne la

représentation du crime, très esthétisée, et brouille les frontières entre le bien et le mal.

Chesterton’s choice of Father Brown, a Catholic priest, as the amateur detective of his short

stories is not an orthodox one and the unflattering way in which he is portrayed is still less so,

although the priest, inspired from a real-life model, turns out to be peerless. He embodies and

voices the Christian values shared by his author. But despite the explicit orthodox message, an

insidious, subliminal form of heterodoxy filters through: the representation of crime is highly

aesthetic and the borderline between good and evil, sometimes blurred.

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AUTEUR

FRANÇOISE DUPEYRON-LAFAY

Université Paris-Est Créteil

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