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Groupement de Recherches Economiques et Sociales http://www.gres-so.org IFReDE Université Montesquieu-Bordeaux 4 & LEREPS Université des Sciences Sociales Toulouse 1 Cahiers du GRES Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise: quelle portée pour l'hypothèse de mauvais appariement spatial ? Frédéric GASCHET, Nathalie GAUSSIER IFReDE-IERSO – GRES Université Montesquieu Bordeaux IV Avenue Léon Duguit 33608 PESSAC [email protected] [email protected] Cahier n° 2003 - 14 Décembre 2003

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Groupement de Recherches Economiques et Sociales

http://www.gres-so.org

IFReDE Université Montesquieu-Bordeaux 4 &

LEREPS Université des Sciences Sociales Toulouse 1

Cahiers du GRES

Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise: quelle portée pour l'hypothèse de

mauvais appariement spatial ?

Frédéric GASCHET, Nathalie GAUSSIER

IFReDE-IERSO – GRES

Université Montesquieu Bordeaux IV

Avenue Léon Duguit 33608 PESSAC

[email protected] [email protected]

Cahier n° 2003 - 14

Décembre 2003

Cahier du GRES 2003-14

Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise: quelle portée pour l'hypothèse de mauvais appariement spatial ?

Résumé Cet article propose de tester la portée de l'hypothèse de mauvais appariement spatial sur l'aire urbaine de Bordeaux. A partir d'une synthèse théorique de l'articulation ségrégation urbaine-marchés locaux du travail, nous développerons un cadre d'analyse permettant de mieux appréhender le rôle de la distance dans l'appréciation du mauvais appariement spatial. Les résultats obtenus confirment l'existence d'effets différenciés de friction spatiale, tout en soulignant leur impact limité sur les taux de chômage locaux. Les effets de ségrégation urbaine et d'accès limité à la mobilité possèdent un pouvoir explicatif plus important.

Mots-clé : Ségrégation résidentielle, mauvais appariement spatial, mobilité, chômage

Residential segregation and local labor markets within the Bordeaux metropolitan area : which range for the spatial mismatch hypothesis?

Abstract This article aims at providing a test of the spatial mismatch hypothesis on the Bordeaux metropolitan area. Starting with a theoretical survey of the complex links between residential segregation and local labor markets, we then propose a framework allowing for a better understanding of the impact of physical distance on spatial mismatch. The results confirm the existence of somewhat different effects of spatial friction depending on the distance, but also underline the limited effect of spatial mismatch on local unemployment rates. Factors such as the socio-economic composition of population and mobility access have a more important explanatory power.

Keywords: residential segregation, spatial mismatch, mobility, unemployment

JEL : J15, J41, R14

Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise

Introduction Cet article s'inscrit dans la lignée des travaux visant à évaluer la pertinence de

l'hypothèse de mauvais appariement spatial comme principe explicatif des phénomènes de chômage massif et de pauvreté urbaine -voire de "ghettoïsation"- qui caractérisent certains espaces urbains, objets des géographies prioritaires développées dans le cadre de la politique de la ville en France.

La « spatial mismatch hypothesis » a été proposée pour la première fois par J. Kain (1968) pour expliquer les taux de chômage particulièrement élevés des populations noires résidant principalement dans le centre des villes américaines : elle articule le fonctionnement du marché du logement à celui des marchés urbains du travail. L'explication proposée par Kain opposait le processus de suburbanisation des emplois dans les grandes agglomérations américaines à l'impossibilité dans laquelle se trouvaient les populations des centres américains d'accéder aux marchés résidentiels suburbains, cette situation réduisant ainsi fortement la capacité de ces populations à saisir les opportunités d'emploi périphériques. La littérature américaine reste d'ailleurs très marquée par ce rapprochement entre d'une part les mécanismes de ségrégation résidentielle enfermant les populations de couleur dans les quartiers centraux et d'autre part l'opposition entre les forts taux de chômage centraux et l'importance des créations d'emplois dans les zones suburbaines.

Cette hypothèse fondatrice est aussi au cœur des programmes de recherche conduit à partir des années 70 en Grande-Bretagne : les Inner Area Studies ont étendu la réflexion à l'ensemble des populations à faibles revenus résidant dans les centres (Cheschire, 1979, 1981). La décentralisation des emplois vers les périphéries renforce la baisse de la demande de travail dans les zones centrales. Le mauvais appariement s'étend aussi aux qualifications professionnelles. Les populations des zones de chômage élevé sont en effet celles où les caractéristiques des populations sont les plus défavorables : qualification faible, âge, structure familiale...Les arguments développés dans les Inner Area Studies tendent à reconnaître aux frictions spatiales un rôle primordial dans le fonctionnement des marchés urbains du travail et, par conséquent, à admettre l'existence de « marchés locaux intra-urbains ». Cette interprétation des différentiels de taux de chômage intra-urbains débouche sur des recommandations politiques axées sur la dynamisation des zones les plus affectées : politiques de développement local et politiques de qualification de la main d'œuvre (Needham, 1981) mais aussi politiques urbaines et de transport visant à augmenter l'accessibilité des populations fragilisées aux nouveaux pôles d'emplois suburbains (Hugues, 1995). Les solutions à apporter seraient avant tout locales et localement déterminées. Il s'agit de favoriser l'implantation (ou la relocalisation) d'emplois là où la demande de travail est insuffisante tout en favorisant « l'employabilité » des populations concernées.

Nous retrouvons à l'évidence certains des principes qui ont présidé à la définition des Zones Franches Urbaines en France, où des résultats empiriques de même nature ont été obtenus : « les quartiers relevant de la Politique de la Ville comptent davantage de chômeurs que la moyenne, et cela à tous les niveaux de la hiérarchie sociale, des cadres aux ouvriers non qualifiés » (Tabard, 1993, p 10).

Si la réalité des processus de ségrégation des populations pauvres et/ou sous-employées ne fait guère débat -aux Etats-Unis tout autant qu'en Europe et en France-, la question reste posée d'évaluer le rôle du mauvais appariement spatial dans ce processus. A l'inverse des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne, peu d'études se sont encore attachées, en France, à

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examiner directement le lien entre ségrégation résidentielle et marchés urbains du travail, sauf concernant l'Ile-de-France (Gobillon et Selod, 2002 ; Wenglenski, 2002). Ce lien prend nécessairement appui sur une échelle territoriale dont nous proposons ici, dans le cadre d'un modèle exploratoire sur l'aire urbaine bordelaise, de montrer comment il peut être appréhendé.

Dans un premier temps, nous rappellerons dans quelle mesure les controverses sur l'hypothèse du mauvais appariement spatial (HMSA) posent la question de la modélisation du lien entre ségrégation résidentielle et marchés urbains du travail. Nous soulignerons notamment la complexité de la représentation du MAS et la difficulté de la prise en compte de la distance aux opportunités d'emplois. Dans un second temps, nous testerons à partir de l'exploitation de sources ANPE et de la prise en compte de zones d'étendue différentes l'HMAS. Nous mettrons l'accent sur le rôle que la distance est susceptible de jouer dans l'appréciation du MAS.

I- Les controverses autour de l'hypothèse de mauvais appariement spatial (HMAS)

La profusion d'études appliquées a longtemps contrasté avec l'absence d'investigation des fondements théoriques possibles des mécanismes sous-jacents à l'HMAS (Kain, 1992). Ce déséquilibre tend à s'atténuer dans la dernière décennie en raison de la publication d'un certain nombre de travaux de microéconomie urbaine proposant les fondements d'une articulation théorique entre ségrégation résidentielle et appariement sur les marchés locaux du travail (Gaschet, 1998 ; Gobillon et al., 2002).

I-1. Les fondements théoriques

L'HMAS articule, dans sa formulation générique, deux logiques de nature différente : des mécanismes de ségrégation résidentielle et des logiques liées à la friction spatiale sur les marchés locaux de l'emploi. Plus qu'une présentation exhaustive des fondements théoriques (voir par exemple Gobillon, Sélod et Zenou, 2002), il s'agit ici de mieux identifier la complexité des interactions entre ces deux ordres de phénomènes. On distinguera par conséquent les approches centrées sur la formation des structures ségrégées (1), celles permettant d'expliquer l'impact de l'accès aux emplois sur les taux de chômage locaux (2), et enfin certaines hypothèses permettant d'identifier "un effet de ghetto" (3).

I-1.1 Les mécanismes de ségrégation résidentielle

Trois approches peuvent être ici brièvement distinguées.

(i) La première reprend et approfondit la perspective ouverte par la Nouvelle Economie Urbaine, en identifiant des stratifications par niveaux de revenu dépendant de l'accessibilité au centre (Fujita, 1989). Cette approche a été enrichie récemment par la prise en compte de l’existence d’aménités urbaines et péri urbaines dont l’accessibilité contribue à restructurer les localisations résidentielles par niveau de revenus : ainsi en est-il des aménités liées aux centres historiques (musées, rues piétonnes, etc …) qui permettent de rendre compte des disparités de structures résidentielles entre villes européennes et américaines (Brueckner, Thisse et Zenou, 1999), ainsi que des aménités périurbaines valorisées par les ménages se re-localisant hors des agglomérations (Cavailhés et al., 2003).

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(ii) La seconde rattache l'apparition de villes ségrégées à l'existence d'externalités de voisinage (Schelling, 1978 ; Bénabou, 1993). Ces travaux renvoient d’ailleurs plus généralement aux comportements de fuite du centre évoquée dans la littérature américaine sous le nom de « flight from blight » (Mieszkowsky et Mills, 1993 ; Mills et Lubuele, 1997). Un flux initial de départs en provenance d'un quartier aux caractéristiques dégradées est susceptible d'enclencher une dynamique cumulative associant dégradation du cadre bâti et paupérisation des populations résidentes.

(iii) Enfin, l’apparition de structures ségrégées doit être rattachée à des processus liés à l’offre de logements. On entend retrouver ici le rôle des politiques publiques dans l’implantation des logements sociaux et les effets pervers des zonages urbains (Duranton, 1997). Le rôle des propriétaires privés et des promoteurs dans leur stratégie de discrimination et/ou d’abandon de certains îlots participe également à ces processus (mécanismes du filtering down et phénomènes de vacance des logements).

La formation de structures ségrégées ne conduit pas mécaniquement à des phénomènes de MAS. D'une part, il n'est pas rare de constater l'existence d'espaces ségrégés à proximité de zones riches en emplois. D'autre part, la forte concentration des chômeurs sur certains espaces peut résulter uniquement de mécanismes de ségrégation résidentielle, sans référence aux problèmes d'accessibilité. Le sur-chômage de certains quartiers ne serait alors que le fruit d'un effet de composition.

I-1.2 L'impact de l'accessibilité aux zones d'emploi comme déterminant des taux de chômage locaux

Les processus de ségrégation peuvent conduire à un blocage des mobilités résidentielles. Dans ce cas, la faible accessibilité aux zones d'emplois peut générer un sur-chômage dans les zones résidentielles ségrégées.

Cette hypothèse se fonde principalement sur trois séries d'arguments relatifs aux coûts de transport, à l'efficacité de la recherche d'emploi, et à l'impact des segmentations spatiales.

(i) Les coûts de transport prohibitifs liés aux trajets domicile-travail

En bloquant la mobilité résidentielle des populations, la ségrégation urbaine engendre une augmentation des coûts de transports liés aux déplacements domicile-travail. Le salaire net des coûts de transport auquel peuvent prétendre ces populations peut dès lors être inférieur au salaire de réservation, surtout si les employeurs refusent de les compenser (Brueckner et Martin, 1997).

L'impact de la distance sera ici amplifié par l'accès réduit à la mobilité des populations concernées, qu'il s'agisse de la possession d'une automobile ou bien de la qualité de desserte des transports collectifs. Taylor et Ong (1995) opposent ainsi spatial mismatch et automobile mismatch, indiquant par là que le problème se situerait essentiellement dans l'accès à la mobilité et non dans la disponibilité d'emplois au voisinage des zones résidentielles (Mignot et al., 2001 ; Aguilera et Mignot, 2002). A contrario Martin (2001) évalue l'impact respectif d'un rapprochement des emplois et d'une aide à la mobilité sur les conditions d'emploi des populations ségrégées, en concluant, sur la base d'un modèle de simulation, à la supériorité des politiques d'implantation d'emplois de proximité.

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(ii) L'impact de la distance sur l'efficacité de la recherche d'emploi

W. Simpson (1982, 1983, 1992) propose d'envisager la question de l'accessibilité aux emplois en microéconomie urbaine à l'aide de la théorie du job search. Le raisonnement est fondé sur la seule composante frictionnelle du chômage résultant de la durée de prospection nécessaire pour s'informer des offres d'emploi et effectuer un choix en renonçant à poursuivre cette recherche. L'intérêt de l'approche de Simpson est de fonder son analyse sur les modèles de cycles d'équilibre de Lucas et Phelps. Les travailleurs sont répartis dans des sous-marchés locaux (les «îles») au sein desquels les coûts de prospection sont nuls. Par contre lorsque la prospection se fait sur d'autres marchés locaux elle devient coûteuse : collecte de l'information, temps passé, déplacements...

La durée de prospection peut ainsi être liée à une recherche interne inefficace sur un marché local et à la nécessité de prospecter d'autres marchés (chocs exogènes...). Il se produira donc une augmentation du chômage dans les sous-marchés où les conditions locales sont les plus mauvaises.

La qualification des travailleurs peut aussi jouer sur la taille des marchés et la durée de prospection. Simpson différencie notamment le comportement des plus diplômés et des moins diplômés : les premiers ont une zone de prospection plus large du fait de la raréfaction des offres avec l’augmentation de la qualification et de l’accès à des réseaux personnels ou professionnels qui n’existent pas ou peu pour les moins diplômés qui se retrouvent captifs des agences publiques ou des travaux « hors marché ». Les moins diplômés sont par conséquent plus sensibles aux conditions locales de l'emploi. Simpson conclue qu'il est possible d'atténuer ce chômage frictionnel en répartissant mieux les emplois au sein de l'espace urbain.

La différenciation des comportements de prospection suivant la qualification peut être rapprochée de l'étude des réseaux d'information utilisés par différents types de chercheurs d'emploi. La notion de marché local de l'emploi pourrait alors s'appuyer sur l'usage de réseaux d'information informels et circonscrits dans l'espace, auxquels des techniques de recherche d'informations plus formelles ne pourraient être facilement substituées Rogers (1997).

(iii) Le rôle des segmentations spatiales

Reconnaissant la persistance de zones de très fort chômage dans des aires métropolitaines affichant par ailleurs de très fortes créations d'emplois, Boyle (1998) propose de modéliser le fonctionnement des marchés du travail comme la superposition de deux types de systèmes d'emplois radicalement différents pouvant amplifier les processus de segmentation spatiale : le marché régional/métropolitain, dynamique et ouvert aux emplois qualifiés, pourrait ainsi entrer en compétition avec des marchés locaux plus fermés dans les lesquels les actifs utilisent une information de proximité sur les opportunités d'emploi. Les zones les plus en difficulté seraient ainsi déconnectées de la dynamique métropolitaine de l'emploi.

On distingue dans la littérature deux mécanismes associés à cette segmentation spatiale :

- Un effet d'éviction selon lequel les créations d'emplois donnent lieu à des migrations de la main d'œuvre métropolitaine composée d'actifs très mobiles recherchant les meilleures opportunités d'emploi au détriment des populations « captives » localisées à proximité de ces emplois. Ainsi les créations d'emploi peuvent être satisfaites par un afflux de migrants

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au détriment des populations locales, dont le taux de chômage n'est pratiquement pas affecté1.

- Un effet de captivité selon lequel les populations ayant un emploi sur les micro-marchés de proximité ne peuvent accéder aux opportunités d'emploi plus importantes offertes par le marché régional (et notamment suburbain). Cette mobilité contrainte, tant professionnelle que géographique, rejaillit sur les populations sans emploi qui ne peuvent profiter des opportunités d'emplois libérées par les actifs déjà employés.

I-1.3 Ségrégation résidentielle et "effet ghetto"

La ségrégation résidentielle peut enfin être associée à un "effet ghetto" : la concentration des populations à faible revenus dans certains quartiers peut engendrer un sur-chômage indépendamment de la distance aux emplois. On retrouve ici deux types de mécanismes:

(i) Les effets de discrimination territoriale à l'embauche (redlining) (Zenou et Boccard, 2000)

(ii) La production d'externalités négatives de voisinage transitant par les interactions sociales au sein des zones résidentielles ségrégées.

La littérature illustre notamment :

- L'impact d'une faible mixité sociale sur le déroulement de la scolarité : les phénomènes de contournement de la carte scolaire peuvent être associés à une dégradation des résultats des enfants scolarisés dans les quartiers ségrégés (Arnott et Rowse, 1987 ; Sélod, 2002).

- La faiblesse des réseaux sociaux mobilisables dans la recherche d'emploi (O'Reagan et Quigley, 1998)

- L'effet de concentration conduisant, au delà d'un certain seuil, à l'imitation des comportements déviants : Crane (1991) a développé une théorie "épidémique" de la formation des ghettos urbains, en insistant sur l'effet de contagion des problèmes sociaux et leur diffusion cumulative à travers les interactions de voisinage.

I-1.4 Synthèse

Les différentiels intra-urbains de chômage peuvent être imputés à trois effets :

(i) Un effet de ségrégation résidentielle pure : le sur-chômage de la zone considérée est uniquement du à un effet de concentration de populations au chômage : on retrouve ici le double effet de la ségrégation sur le marché du logement et l'effet de composition de la population active résidente.

1 BARTIK (1991) estime, dans le cas de Chicago, que 78% de la croissance de l'emploi profite à ce type de populations, 6% seulement de ces emplois créés étant destinés aux populations locales inscrites au chômage.

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(ii) Un effet de mauvais appariement spatial : en bloquant la mobilité résidentielle des populations à faible revenus, la ségrégation urbaine produit un éloignement entre résidence et emploi qui augmente la friction spatiale.

(iii) Un effet "de ghetto" : s'il y a bien production d'un sur-chômage spécifique à la zone, ce dernier n'est pas directement lié à l'accessibilité physique aux emplois.

Il faut par ailleurs noter que l'effet de MAS doit être, à proprement parler, distingué des phénomènes d'accès limité aux moyens de transport (motorisation, transport en commun), même si ces mécanismes interagissent.

Dans la suite de ce travail, expérimenté sur une aire urbaine, nous nous attacherons uniquement aux deux premiers effets, laissant l'identification d'un effet de ghettoïsation à des investigations ultérieures2.

I-2. Comment mesurer l'effet du MAS ?

Deux catégories de tests ont été développées dans la littérature. Nous montrerons toutefois que les tests fondés sur la mesure des durées de déplacements sont peu valides. En conséquence nous nous attacherons davantage aux conditions de formulation adéquate de l'utilisation de mesures directes de l'accessibilité aux emplois.

I-2.1 La faiblesse des tests fondés sur les déplacements domicile-travail

Sur la base de l'intuition de Kain, plusieurs travaux ont avancé l'hypothèse selon laquelle la vérification de l'HMAS implique d'identifier des distances/temps de déplacements plus longs pour les populations victimes des processus de ségrégation.

Cette méthodologie conduit toutefois à des conclusions contradictoires. Mc Lafferty et Preston (1996) de même que Gabriel et Rosenthal (1996) trouvent une vérification de l'HMAS dans l'allongement des durées de déplacements des minorités. A l'inverse, Gordon et al. (1989) n'identifient aucun effet significatif, de même que Taylor et Ong (1995).

Ihlanfeld et Sojkist (1998) relèvent deux sources de biais possibles :

(i) La longueur des déplacements des ménages urbains est étroitement liée à leur revenu: c'est là d'ailleurs une des conclusions du modèle monocentrique standard.

(ii) Le MAS peut ne pas produire d'allongement des distances domicile-travail si l'inadéquation des modes de transport (taux de motorisation, transports publics) rend impossible l'accès aux emplois trop éloignés.

Il faudrait ajouter d'ailleurs que l'allongement des distances de déplacements peut être liée, pour les populations non ségrégées, à la recherche d'aménités résidentielles localisées.

Mais la critique la plus définitive est formulée par DeRango (2001) qui montre, sur la base d'un exemple fictif, que le MAS peut produire aussi bien un allongement qu'un

2 Ce type d'analyses sera conduit à partir de données infra-communales, plus appropriées.

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raccourcissement des distances domicile-travail, selon le taux de décroissance du nombre d'opportunités d'emplois avec la distance à la zone de résidence.

I-2.2 L'utilisation de mesures directes d'accessibilité aux opportunités d'emplois

Les premières tentatives de vérification de l'HMAS sur la base d'une mesure directe de l'accessibilité aux emplois souffrent d'un certain nombre d'insuffisances. Certaines de ces études sont en effet fondées sur des mesures trop globales des déséquilibres centre-banlieue. De même l'utilisation de mesures d'accessibilité aux emplois pondérée par la distance s'avère insuffisante : elle ne permet de capter l'effet de concurrence sur les marchés locaux du travail.

D'autres d'études plus récentes utilisent, comme mesure indirecte de l'accessibilité aux opportunités d'emplois les temps de déplacements moyens des actifs ayant un emploi dans la zone dont on cherche à expliquer le taux d'emploi : la méthode repose sur l'hypothèse selon laquelle si des emplois sont disponibles à proximité, les temps de trajets des actifs occupés devraient être plus courts. Cette méthode, initiée par Ihlanfeld et Sojkist (1990), conduit le plus souvent à des résultats fortement significatifs3. Elle est néanmoins soumise à de nombreuses critiques. D'une part, les durées moyennes sous-estiment les différences d'accessibilité, les résidents pouvant être contraints dans leurs possibilités de mobilité. D'autre part, cette méthode conduit à ignorer, par construction, la nature très ou peu qualifiée des emplois dont les distributions ne sont pas nécessairement comparables.

La prise en compte de l'accessibilité aux opportunités d'emplois repose sur trois exigences4 :

(i) Intégrer les effets de compétition locale pour l'emploi. La seule prise en compte de l'accessibilité des résidents aux emplois ne tient pas compte des densités résidentielles et demande de mobiliser les taux d'emplois par actif résident.

(ii) Considérer l'adéquation des emplois offerts avec les qualifications détenues par les résidents. C'est à ce type de démarche que se rattache la mesure de l'écart entre les distributions des CSP des actifs au lieu de travail et au lieu de résidence effectuée par Tabariés (1997) sur plusieurs zones de la région parisienne afin de différencier la dynamique des différents espaces de l’agglomération, et notamment l’opposition entre l’est et l’ouest.

(iii) Mesurer directement, autant que possible, les opportunités d'emplois et non l'emploi total, qui peut être relativement peu corrélé avec le nombre d'offres d'emplois au cours d'une année (Ihlanfeld et Sojkist, 1998).

Le travail d'Immergluck (1998) satisfait aux deux premiers critères. Il définit les taux d'emploi des populations sur de très petites zones résidentielles tout en adoptant des aires d'emploi beaucoup plus larges pour chacune de ces zones, se rapprochant ainsi du concept « d' employment field » proposé par Harris et Bloomfield (1997). Il peut ainsi traiter le rapport emplois/résidents comme variable exogène au taux d'emploi de chaque zone résidentielle. Immergluck montre ainsi sur Chicago, que le niveau de l'emploi, pris isolément, n'a qu'un impact modéré sur les taux d'emploi locaux. Il ne devient déterminant que combiné

3 voir le survey de Ihlanfeldt et Sojkist (1998). 4 voir le survey de Ihlanfeldt et Sojkist (1998).

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à un rapport emplois/résidents favorable ainsi qu'à une relative adéquation entre les emplois offerts et les qualifications des résidents de la zone.

Le travail d'Immergluck, comme d'ailleurs celui de Cooke (1996), ne remplissent toutefois pas la troisième condition. Raphaël (1998) de même que Rogers (1997) proposent d'utiliser l'emploi en taux de variation, et obtiennent des résultats beaucoup plus significatifs que ceux obtenus avec l'emploi en niveau: le motif en serait une meilleure capture du potentiel réel des opportunités d'emploi. Raphaël (1998) confirme d'ailleurs que les résultats deviennent non significatifs ou de faible intensité lorsque qu'il utilise les variables d'emploi en niveau.

II- Test de l'HMAS sur l'aire urbaine de bordeaux L’aire urbaine bordelaise produit un cadre d’analyse intéressant pour tester les

arguments théoriques de l’hypothèse de MAS. D’une part, il s’agit d’un espace sur lequel le chômage et l’offre d’emploi sont caractéristiques de phénomènes de ghettoisation, de « trappes » et de zones de friction dont la tension peut se comprendre à l’aide des temps de transport à la ville centre (Gaussier, Lacour, Puissant, 2003) ou d’un effet d’appartenance à des territoires urbains de nature institutionnelle comme la CUB et l’agglomération bordelaise (Puissant, Gaussier, 2000, 2001). D’autre part, il s’agit d’un espace pour lequel nous disposons simultanément, à l’aide de l’association des fichiers de l’ANPE et de ceux de l’INSEE en 1999, de données communales détaillées sur le fonctionnement et les caractéristiques des marchés locaux du travail qui permettent de répondre aux exigences empiriques associées à l’HMAS quant à la prise en compte et la mesure de l’accessibilité aux opportunités d’emplois.

II-1. Le modèle testé et les données

Pour envisager l’HMAS, nous avons posé les bases d’un modèle exploratoire qui vise à mettre en évidence l’influence de la distance sur les taux de chômage communaux à partir d’une représentation du fonctionnement des marchés locaux du travail. Après avoir présenté la structure du modèle, nous détaillerons les sources de données à partir desquelles il sera testé ainsi que les variables explicatives finalement retenues.

II-1.1 Modèle et hypothèses

Sur la base des fondements théoriques précédents, nous proposons de tester le rôle de l’effet de ségrégation résidentielle pure et celui associé à une friction spatiale issue d’un mauvais appariement. La spécificité du modèle tient à la volonté d’expliquer le niveau des taux de chômage communaux avec et sans variables de friction (II-1.1.1) et de montrer le rôle de la distance dans l'appréciation du MAS (II-1.1.2).

II-1.1.1 La structure du modèle

Le modèle global vise à comprendre le niveau des taux de chômage communaux à partir d’un faisceau de variables regroupant un ensemble de caractéristiques que pose la littérature sur l’HMAS. Ces variables sont regroupées selon des thèmes dominants qui appartiennent à la mise en évidence d’un effet de ségrégation résidentielle pure (SRP), d'un effet de mobilité contrainte (MC) et d’un effet de Mauvais Appariement Spatial (MAS) :

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Taux de chômage = f ( SRP, MC, MAS)

• La SRP décrit à la fois les mécanismes de ségrégation sur le marché du logement et les caractéristiques des populations ségrégées. On retient :

(i) la nature des logements comme la part de HLM, la part de propriétaires, la part de résidences individuelles ou le pourcentage d’emménagement antérieurs à une date donnée. On s’attend à ce que ces variables jouent positivement sur le taux de chômage en captant les contraintes pesant sur la localisation résidentielle des populations les plus exposées au risque de chômage.

(ii) Les caractéristiques de la population comme le sexe, l’âge, la formation ou le revenu des ménages. On s’attend à ce que le chômage soit positivement corrélé avec des proportions importantes de population jeunes, peu diplômées et au revenu modeste. La place des femmes sur le marché du travail pourra aussi être questionnée.

• L’accès à la mobilité (MC) souligne la capacité limitée des ménages à se déplacer (leur équipement en automobiles par exemple) ou celle des actifs occupés à utiliser différents modes de déplacement comme la voiture, les transports en commun ou à combiner différents modes de transport. On s’attend à ce que ces variables jouent elles aussi positivement sur le taux de chômage en caractérisant de véritables freins à la mobilité pour les ménages non équipés en voiture par exemple.

• Pour capter l’effet du MAS, nous avons sélectionné deux variables indépendantes, l’une relative aux opportunités d’emplois et représentée par la tension offres d’emplois / demandes d’emplois, l’autre liée à l'appariement professionnel sur ces marchés et représentée par le taux d’emplois appartenant aux PCS ouvriers ou employés par actif résident de même PCS.

On s’attend à ce que la tension (O/D) joue négativement sur le taux de chômage communal dans la mesure où plus la tension est élevée, plus les demandeurs d’emploi localisés dans cette zone devraient avoir de choix parmi les offres enregistrées. L'utilisation d'une statistique d'offre, et non de statistiques d'emploi global en niveau ou en variation, permet de disposer d'un indicateur direct d'opportunités de postes ouverts. La spécification d'un ratio offre/demande permet de capter l'effet de concurrence locale pour l'obtention d'un emploi, comformément aux remarques précédentes.

De la même façon, on s’attend à ce que les taux d’emplois par actif résident ouvriers ou employés (E/A) jouent négativement sur les taux de chômage communaux, en soulignant ainsi le rôle de l’ancrage territorial des marchés locaux du travail dans les processus d'appariement professionnel pour les actifs les moins qualifiés. Plus le taux d’emplois pour les faibles qualifications augmente, plus les potentialités d’emplois peuvent être élevées dans la zone considérée et induire une baisse du taux de chômage. Nous reprenons ainsi à notre compte l'hypothèse d'une sensibilité plus forte des catégories les moins qualifiées au MAS, ainsi que l'importance d'un bon appariement local en termes de qualifications, en plus de l'appariement global.

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II-1.1.2. La prise en compte de la distance et les variables d'appariement spatial

Suivant le raisonnement de Simpson (1992) et d’Immergluck (1998), nous proposons de traiter la question de l’accessibilité aux emplois (emplois au lieu de travail) et aux opportunités d’emploi (offres enregistrées) à l’aide de la définition de zones qui constituent une représentation, selon leur étendue, des marchés locaux du travail. Si l’on suppose en effet que ces zones sont parfaitement étanches –Simpson reprend les îles de la parabole de Phelps-, en considérant qu’il est moins coûteux en transport et en recherche d’information de chercher un travail proche de son lieu de résidence, alors il devient nécessaire de tester l’influence de « petites aires » sur le taux de chômage communal. Pour ce faire nous avons défini des aires circulaires de rayon identiques centrées sur chacune des communes et susceptibles de contenir les déterminants de zonages locaux du travail.

Compte tenu de l'importance accordée à l'effet de la distance dans la formulation de l'HMAS, il est surprenant de constater l'absence de tentative d'appréciation de l'intensité du MAS suivant la distance considérée. Certaines études utilisent un zonage calqué sur celui des zones de résidence (Gobillon et Sélod, 2002). D'autres utilisent une aire d'emplois potentiels plus large que la zone de résidence mais fondée sur une distance fixe : Immergluck (1998) utilise ainsi des aires de 2 miles de rayon. Une dernière catégorie d'études mobilise des mesures gravitaires de l'accessibilité, en pondérant les opportunités d'emplois par la distance à la zone de résidence, le coefficient de friction spatiale retenu demeurant néanmoins fixe (Rogers, 1997).

L’originalité de notre raisonnement consiste donc à définir des aires circulaires de plus en plus larges pour mesurer l’impact de ces variables sur les taux de chômage communaux. Ces zones ont été définies selon un pas croissant de 2.5 Km jusqu’à l’étendue de 15 km. Bien que ce pas soit arbitraire, cette mesure permet de délimiter des zonages "locaux" au sens où ils restent de taille inférieure au marché régional5. L’intérêt de la démarche réside dans la volonté de mettre en évidence le rôle de la distance sur le MAS. Les limites que pose actuellement cette approche sont de trois ordres :

- D’une part, la distance considérée est une distance à vol d’oiseau, sans lien direct avec la structure (directions, coûts) des mobilités développée sur ce territoire.

- D’autre part, il existe des effets de bords inhérents à la définition du territoire d’étude et dont il conviendra d’appréhender plus avant l’effet.

- Enfin, plus la distance est élevée, plus l'ensemble des zones concentriques, centrées sur chaque commune, tendent à converger.

En conclusion ce sont 28 variables qui ont été construites pour expliquer a priori, et selon les hypothèses théoriques formulées, l’HMAS.

5 Cette distance est compatible avec la durée moyenne perçue des déplacements en voiture qui s'établit à 18 minutes en 1998, selon l'enquête Transports de l'INSEE.

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13

II-1.2 Les données utilisées

La base de données construite pour estimer l’hypothèse de MAS est constituée, pour l’année 1999, de données relatives à l’aire urbaine bordelaise selon la définition du zonage en aire urbaine de l’INSEE en 1999. Elle décline donc des caractéristiques de population, d’emplois et d’actifs pour l’ensemble des 210 communes de l’aire urbaine constituée d’un pôle urbain que l’on peut associer aux 51 communes de l’agglomération bordelaise et à une couronne périurbaine, formée suivant la définition de l’INSEE, de communes rurales ou d’unités urbaines dont au moins 40% de la population résidente ayant un emploi travaillent dans le pôle ou dans des communes attirées par celui-ci.

L’intérêt de notre démarche réside dans le croisement de trois sources de données communales :

- Les coordonnées des communes repérées à partir du logiciel MAPINFO, considérées comme le centre d’aires circulaires de rayon k kilomètres permettant de définir les zones à partir desquelles le rôle de la distance sera étudié. Le repérage des zones, selon des distances euclidiennes, présente l’avantage d’envisager l’hypothèse de MAS dans la distance, mais il laisse de côté la question de l’existence et du déroulement de logiques institutionnelles spécifiques ou celle de l’existence de directions de déplacement privilégiées, autorisées ou renforcées par la présence d’une infrastructure routière par exemple. La distance n’apparaît ici que dans sa dimension structurante d’un espace dont les propriétés sont identiques quel que soit le lieu considéré.

- Les données issues de l’exploitation principale et complémentaire du Recensement Général de la Population de l’INSEE, permettant d’appréhender, selon différentes caractéristiques, la population active et les emplois pour mettre en évidence la disjonction entre les lieux de résidence et de travail, des caractéristiques sur le logement ou encore les modalités de transport de la population active occupée.

- L’usage de données de l’ANPE concernant l’offre et la demande d’emploi par commune présente l'avantage de fournir un indicateur direct des opportunités d'emplois offertes au cours d'une période. Elle souffre en contrepartie de leur dépendance vis-à-vis du dispositif de déclaration (inscription et enregistrement) à l’ANPE. Le nombre de chômeurs et le taux de chômage correspondent aux Demandeurs d'Emploi en Fin de Mois de catégories6 1 et 6 déclarés auprès de l'ANPE au 31 décembre 1999. Ces données nous limiteront donc à une analyse d’une population au chômage très spécifique qui laisse de côté les demandeurs à la recherche de contrats à durée déterminée, l’intérim ou encore les demandeurs très qualifiés par exemple. Si les DEFM sont des stocks, les données d’offre quant à elles sont des flux, et sont donc difficilement comparables aux demandes. Pour lever cet écueil et construire un indicateur de tension qui ait du sens, l’offre est constituée par le cumul des propositions déclarées à l’ANPE de juin à décembre 1999. Elle est déclinée selon le niveau de formation.

6 Les DEFM de catégorie 1 et 6 regroupent des personnes sans emploi immédiatement disponibles, tenues d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi et à la recherche d'un emploi à durée indéterminée à temps plein. Elles peuvent exercer ou avoir exercé au cours du mois précédent une activité occasionnelle ou réduite n'excédant pas 78 h par mois (catégorie 1) ou de plus de 78 h par mois (catégorie 6).

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La principale limite de cette démarche réside dans la possibilité d’un cumul d’offres identiques non satisfaites d’un mois sur l’autre7.

Si la particularité de la base de données ANPE est de reposer sur une information très fine, on dispose par exemple des offres et des demandes par niveaux de qualification, de formation ou par métiers, celle-ci peut très vite décroître à partir du moment où l’on raisonne au niveau communal. En vertu de la déontologie statistique, toute quantité d’offre et de demande inférieure à 5 n’a pas été retranscrite. Donc plus le détail des informations est fin (pour une modalité donnée ou par croisement de modalités) plus l’information retenue sera fruste. La chute d’information et donc de variété de l’analyse, est vite rencontrée dans de petites communes pour lesquelles l’offre enregistrée est très faible. Le croisement des fichiers de l’ANPE et de l’INSEE conduit ainsi finalement à ne retenir que 174 communes de l’aire urbaine8.

7 Cet effet de masse, alors qu’il serait censé traduire une atonie du marché du travail, pour lequel les offreurs ne trouvent pas de demandeurs, pourrait être compris à tort, comme un effet surévalué du dynamisme communal. 8 Par conséquent, nous avons renoncé ici à tester le modèle sur des taux de chômage par catégorie.

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Tableau 1. Résumé statistique des variables dépendantes et indépendantes Variables Description- définition Moyenne Ecart-type

Tcglobal Taux de chômage global, (DEFM) ANPE 1999, (Population active) INSEE 1999 0,13 0,04 HLM Part de logements (résidences totales) HLM en 1999, INSEE 1999 0,04 0,09 INERTIE Part en 1999 des ménages de la commune ayant emménagé avant 1990, INSEE 1999 0,57 0,07 P0VOIT Part des ménages ne possédant pas d'automobile en 1999 0,09 0,05 P ACO TC Part des actifs ayant un emploi et utilisant les transports en commun en 1999, INSEE 1999 0,03 0,03 P ACT FEM Part des femmes dans la population active en 1999, INSEE 1999 0,45 0,02 P ACT JEUN Part des jeunes dans la population active en 1999, INSEE 1999 0,08 0,02 P ACT PRIM Part des actifs de formation primaire (CEP, BEPC…avant terminale) dans la population active en 1999, INSEE 1999 0,49 0,04 P ACT ETRANG Part des étrangers dans la population active en 1999, INSEE 1999 0,03 0,03 O/D Km Tension globale (offres d’emploi / demandes d’emploi) sur la zone de rayon Km centrée sur chaque commune, ANPE 1999

Km = 2.5 Km = 5 Km = 7.5 Km = 10 Km = 12.5 Km = 15

0,68 0,70 0,71 0,70 0,67 0,68

1,08 0,96 0,74 0,55 0,26 0,22

E/A (OUV+EM) Km

Taux d’emploi par actifs de type ouvriers et employés, INSEE 1999 Km = 2.5 Km = 5 Km = 7.5 Km = 10 Km = 12.5

Km = 15

0,50 0,53 0,56 0,60 0,62 0,66

0,26 0,22 0,22 0,23 0,23 0,23

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A partir d’un ensemble de 28 variables supposées explicatives du niveau des taux de chômage communaux et s’inscrivant dans les enjeux théoriques fixés dans la définition du modèle de l’HMAS, l’étude de la matrice de corrélation conduit à ne retenir ici que les variables définies et représentées dans le tableau 1.

II-2 Résultats et commentaires

Alors que le taux de chômage de l’aire urbaine de Bordeaux avoisine les 13%, la disparité des taux de chômage et des situations communales peut nous éclairer sur la structure des processus de MAS à l’œuvre sur le territoire. En effet, si 57% des ménages ayant emménagés avant 1990 sont présents en moyenne dans chaque commune, c’est qu’il existe nécessairement des phénomènes d’inertie résidentielle qu’il convient de mettre en évidence. De même, la structure de la population active (49% d’actifs de formation primaire, 45% de femmes) est susceptible de porter un effet de composition associé à un phénomène de ségrégation résidentielle. Enfin, si la tension liée aux opportunités d’emploi par demandeurs atteint en moyenne son maximum sur des zones de 7.5 Km autour de chaque commune et si les possibilités d’appariement qualitatif que représente le taux d’emploi par actifs ouvriers et employés augmente avec l’étendue des zones (cf moyennes dans tableau 1), c’est qu’il existe aussi des processus complexes de friction spatiale c'est-à-dire d’attachement au lieu de résidence et d’éloignement aux emplois.

II-2.1 La validation de l'HMAS

Le modèle a été estimé par les moindres carrés ordinaires pour chacune des six distances étudiées. Les résultats sont présentés dans le tableau 2. Les coefficients de détermination ajustés sont systématiquement supérieurs à 0.5, indiquant une capacité explicative globale satisfaisante.

Le modèle étant construit sur l'ajout successif de trois blocs de variables explicatives, il convient de reprendre cet ordre dans le commentaire des résultats.

La première colonne du tableau 2 présente les résultats obtenus en omettant les variables de MAS : elle permet d'apprécier la capacité explicative des variables de ségrégation pure et de mobilité contrainte.

Parmi les variables de ségrégation par le logement, seule la variable relative à la part de logement HLM apparaît significative, avec le signe attendu : la proportion de HLM dans une commune a tendance à augmenter le chômage local. Par contre, la variable d'inertie résidentielle n'apparaît pas significative.

Concernant les effets de composition de la population, la proportion de moins de 25 ans comme celle d'actifs ayant obtenu un diplôme de niveau primaire sont significatives avec le signe attendu : elles ont un impact positif sur le taux de chômage de la commune.

Le coefficient attaché à la part des femmes dans la population active est fortement significatif mais avec un signe négatif : cet effet provient du niveau inférieur du taux d'activité des femmes par rapport aux hommes, ce qui signifie qu'elles sont moins susceptibles de se déclarer au chômage. Un résultat similaire est d'ailleurs obtenu par Immergluck (1998). On notera qu'un biais potentiel peut résulter d'un processus d'autocensure des populations

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féminines, renonçant à s'inscrire au chômage faute d'opportunités locales d'emploi9. Prises ensembles, les variables de ségrégation résidentielle pure expliquent 39% de la variance.

Les deux variables décrivant les contraintes pesant sur l'accès à la mobilité apparaissent également fortement significatives et présentent le signe attendu. La part de ménages sans voitures a un impact important sur les taux de chômage locaux, de même que la part des actifs employés empruntant les transports en commun pour se rendre à leur travail : ce résultat reflète les contraintes d'accessibilité pesant sur les ménages empruntant les transports en commun, dont la desserte est plus sélective.

L'ajout de ces variables au modèle précédent augmente substantiellement le pouvoir explicatif, le R² ajusté passant de 0.39 à 0.48. Par ailleurs, le tableau 3 présente les résultats des tests de redondance pour tous les blocs de variables hormis celles de SRP. Les résultats confirment la non redondance de ces deux variables par rapport aux caractéristiques de la population et des logements.

Enfin, en dépit de la prise en compte des effets de ségrégation et d'accès à la mobilité, la prise en compte des variables décrivant le MAS apparaissent toutes les deux significatives10 et ont le signe attendu :

Une augmentation du nombre d'offres par demandeur au voisinage de la commune exerce un effet négatif sur les taux de chômage. De même, une augmentation du nombre d'emplois par actifs de PCS ouvriers ou employés au voisinage de la zone favorise l'emploi des résidents locaux. On peut vérifier par ailleurs que les deux variables ne sont pas redondantes : les statistiques du F et du log de la vraisemblance sont significatives à 1% (tableau 3, deuxième colonne) pour la variable d'appariement professionnel. L'hypothèse d'un double effet d'appariement spatial associant tension globale offre/demande et effet d'appariement professionnel se trouve donc confirmée.

Par ailleurs, l'augmentation du pouvoir explicatif du modèle est significative. Avec un zonage à 2.5km, le R² ajusté passe de 0.48 à 0.59. Les tests de redondance du tableau 3 confirment que ces variables ajoutent de l'explication à la prise en compte des seules variables de SRP et de MC. L'effet de MAS apparaît donc doublement confirmé : il subsiste un effet de sur-chômage au delà du seul effet de composition d'une part, et même au delà des seules contraintes de mobilité.

Il reste à apprécier la magnitude des trois catégories de variables. Il est utile, à cet égard, de recourir aux coefficients standardisés, présentés au tableau 4. De ce point de vue, l'impact des variables de MAS apparaît relativement modéré. Ainsi, une augmentation d'un écart type (σ) de la tension offre demande génère une baisse du taux de chômage de 0.12 σ, soit 0.41%. De même, un accroissement du taux d'emplois par actif ouvrier ou employé d'un σ engendre une baisse du chômage de 0.16 σ, soit 0.56%. Une augmentation combinée des deux variables d' 1σ conduit donc à une baisse du chômage de 0.97%.

9 L'utilisation, non retenue ici, des taux d'activité à la place des taux de chômage, permettrait de lever ce biais. 10 Une discussion plus précise de l'impact de la distance de calcul de ces variables est proposée par la suite.

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Tableau 2. Estimation par les MCO du modèle global, selon la distance aux communes

Tcglobal tcglobal tcglobal tcglobal tcglobal tcglobal tcglobal

Distance (km) Modèle de base 2.5 5 7.5 10 12.5 15 V. indépendantes Coef t Coef. t Coef. t Coef. t Coef. t Coef. t Coef. t Coef. t C 0.2877 4.57*

** 0.2859 4.80*** 0.3356 6.31*** 0.3258 6.04*** 0.2932 5.06*** 0.3128 5.33*** 0.2968 5.01*** 0.3146 5.45***

HLM 0.1946 6.09*** 0.0616 1.55 0.0540 1.54 0.0587 1.63 0.0811 2.06** 0.0849 2.11** 0.0732 1.81* 0.0637 1.65*

INERTIE -0.0445 -1.18 -0.0016 -0.04 -0.0007 -0.02 0.0142 0.43 0.0142 0.40 0.0000 0.00 0.0098 0.28 0.0061 0.18 P ACT FEM

-0.5126 -

4.86***

-0.6003 -5.91*** -0.6617 -7.15*** -0.6673 -6.98*** -0.5495 -5.47*** -0,5619 -5.58*** -0.5290 -5.25*** -0.5233 -5.31***

P ACT JEUN 0.3728 3.97*** 0.2071 2.55** 0.0687 0,81 0.0791 0.92 0.2124 2.34** 0.1684 1.81* 0.1967 2.02** 0.1518 1.57

P ACT PRIM 0.1180 2.15** 0.1374 2.70*** 0.1242 2.66*** 0.1309 2.72*** 0,1298 2,52** 0.0996 1.93** 0.0926 1.78* 0.0857 1.71*

P ACT ETRANG 0.0779 0.95 0.0373 0.48 0.0772 1.10 0.0761 1.07 0.1114 1.38 0.0797 0.99 0.0914 1.15 0.0823 1.07 P0VOIT 0.1816 3.35*** 0.2464 4.99*** 0.2246 4.56*** 0.1629 3.078*** 0.1393 2.49*** 0.1372 2.37*** 0.0965 1.68* P ACO TC 0.4461 3.24*** 0.5118 4.15*** 0.5777 4.42*** 0.5421 3.72*** 0,5682 3,86*** 0.5638 3.96*** 0.6426 4.51*** O/D Km -0.0040 -2.30** -0.0043 -2.40** -0.0078 -2.74*** -0.0089 -2.38*** -0.0194 -2.09** -0.0295 -2,7*** E/A(OUV+EM) -0.0220 -2.64*** -0.0206 -1.74* -0.0304 -2.13** -0.031 -3.12** -0.0235 -1.61 -0.0244 -1.7* N 174 174 174 174 174 174 174 174 R² ajusté 0.3969 0.4845 0.5877 0.5732 0.5179 0,5136 0,5140 0,5322

* :p<0.1 ** p<0.05 *** : p<0.01

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Tableau 3. Tests de variables redondantes, F et logarithme de la vraisemblance

Variables

de mobilité

Variable

E/A ouvempl

2.5 km

Variables de MAS

2.5km

Variables de MAS

5km

Variables de MAS

7.5km

Variables de MAS

10km

Variables de MAS

12.5 km

Variables de MAS

15 km

Statistique F 15.20*** 6.99*** 7.73*** 4.70** 6.70*** 5.91*** 5.99*** 9.40***

Log de la vraisemblance 29.43*** 7.31*** 15.77*** 9.76*** 13.75*** 12.18*** 12.3*** 18.99***

* :p<0.1 ** p<0.05 *** : p<0.01

Tableau 4. Coefficients standardisés* des variables significatives à 10%

Distance (km)→ Modèle de base 2.5 5 7.5 10 12.5 15

Variables indépendantes↓

β β β β β β β β

HLM 0,1951 0,2043 0,1761 0,1532

P0VOIT 0,2379 0,3228 0,2943 0,2134 0,1825 0,1798

P ACO TC 0,3428 0,3933 0,4439 0,4166 0,4366 0,4333 0,4938

P ACT FEM -0,4132 -0,4554 -0,4593 -0,3782 -0,3867 -0,3641 -0,3602

P ACT JEUN 0,1396 0,1432 0,1135 0,1326

P ACT PRIM 0,1657 0,1498 0,1579 0,1565 0,1201 0,1117 0,1033

O/D Km -0,1190 -0,1134 -0,1594 -0,1353 -0,1374 -0,1820

E/A(OUV+EM) -0,1573 -0,1266 -0,1880 -0,1945 -0,1473 -0,1562

* Les coefficients standardisés sont les coefficients β calculés en multipliant les coefficients issus de la régression par le ratio de l’écart type de la variable indépendante sur l’écart type de la variable dépendante.

L'ordre de grandeur obtenu est similaire à celui de Immergluck (1998), qui en combinant la variation d' 1σ de trois variables de MAS, obtient une baisse de 1.2% du taux de chômage. Une baisse d' 1σ de la part de ménages non motorisés engendre une baisse du chômage de 1.12%.

II-2.2 Le rôle de la distance dans l'appréciation du MAS

Le rôle de la distance dans la construction des zones d'influence centrées sur chaque commune questionne sur l’appréciation du MAS. Suivant le tableau 2, deux séries de remarques mettent en perspective le rôle de la définition de telles zones, de tailles croissantes, sur l’impact des variables de friction sur le taux de chômage communal.

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II.2.2.1 La significativité des variables MAS selon la distance d'influence

En s’attachant aux niveaux de significativité des variables du MAS selon la distance, on remarque tout d'abord, à partir des tests de redondance présentés au tableau 3, que ces variables apportent de l'explication supplémentaire quelle que soit la distance. Ce résultats pourrait apparaître contradictoire avec HMAS, souvent entendue comme un effet de proximité. Cette intuition n'apparaît pourtant pas fondée ici.

On remarque de plus que la tension liée aux opportunités d’emploi par demandeurs reste significative quelle que soit l'étendue de la zone d'influence alors que la tension associée aux processus d’appariement par la qualification semble plutôt concerner de petites zones. Cette remarque suscite deux commentaires principaux :

- On confirme l’intérêt et le rôle de chacune de ces variables de tension dans l’appréciation du MAS. La question de l’appariement semble en effet limitée dans la distance par l’ancrage territorial des résidents selon leur niveau de qualification. Le rôle de cette variable parait marginal au delà de 10 km. On retrouverait ici l'effet de proximité.

- Par contre l'effet de la tension offre/demande tend à se maintenir dans l'intervalle de 2.5km à 15 km : il y a donc un phénomène d'impact cumulatif dans la distance du rôle de l'accessibilité aux opportunités d'emplois. Le maintien de la significativité à 15 km confirme a posteriori que les tensions offre/demande restent discriminantes à cette distance11.

- Le test effectué ici à partir de la population des actifs ouvriers et employés semble aller dans le sens de l’hypothèse théorique selon laquelle ils ont plus de chance d’être captifs de petits marchés à l’inverse de catégories plus qualifiées. Pour valider cette hypothèse, il faudrait toutefois confronter ces résultats avec ceux relatifs à des populations qualifiées.

II.2.2.2 Intensité de l’impact des variables MAS selon la distance

L’étude des coefficients des variables MAS permet de préciser le jeu complexe de ces deux variables et questionnent sur le rôle de la distance dans le processus de l’appariement. Les coefficients font en effet apparaître une forte croissance de l’effet de ces variables sur les taux de chômage communaux avec la distance. On constate notamment que les coefficients estimés concernant la densité d’opportunités d’emploi par rapport à la demande passent de -0.004 à -0.029 lorsque l’on considère une distance d'influence de 2.5 Km ou de 15 Km autour de la commune, ou encore de -0.022 (2.5km) à -0.031 (10km) lorsque l’on s’intéresse à l’effet associé aux potentialités d’emploi par actifs de CSP ouvriers et employés.

Il convient toutefois de relativiser ces effets qui, pour être comparés, doivent tenir compte des écart types des populations considérées. Le calcul des coefficients standardisés dans la distance permet de pallier cet écueil.

11 Il serait d'ailleurs intéressant d'étendre l'intervalle de distance pour identifier à partir de quel seuil les tensions tendent à converger et à perdre leur pouvoir discriminant sur les taux de chômage communaux.

Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise

21

On remarque ainsi que le taux de chômage décroît en moyenne de 0.182 σ (-0.7%) lorsque la densité d’opportunités d’emploi par demandeurs croît d’un σ pour 15 Km d’étendue autour de la commune, alors que cet effet passe à -0.4% pour 2.5 Km, soit une augmentation de 75% de l'impact sur la diminution du chômage lorsque l'on multiplie la distance par 6, en passant de 2.5km à 15km.

La progression de l'impact est nettement moins que proportionnelle à celle de la distance prise compte, ce qui indique l'importance des tensions à proximité et l'effet marginal plus limité des tensions à plus grande distance12. Un calcul d’élasticité similaire pour les densités d’emploi par actifs résidents ouvriers et employés montre que le gain maximum est réalisé entre 2.5 km et 10 km mais ,ne génère qu'une diminution de l'impact sur le taux de chômage de 28% .

L'effet cumulatif évoqué plus haut reste plus marqué pour la tension offre/demande, ce qui confirme le caractère plus localisé des désajustements de qualification.

Conclusion Le modèle présenté permet de mettre en évidence les effets de la ségrégation urbaine

pure, de la mobilité contrainte et de la friction c'est-à-dire l’éloignement résidents – lieux ou opportunités de travail sur le MAS. L’intérêt de notre démarche est double.

Il réside en premier lieu dans la construction d’un indicateur qui traduit des opportunités d’emplois par demandeurs à l’aide de données ANPE. L’intérêt de cet indicateur est souligné par de nombreux auteurs alors que faute d’être disponible, il n’est jamais utilisé.

Il réside ensuite dans la mise en évidence de l’intérêt de travailler sur des zones d’étendues variables. Cette approche montre qu’il est possible de mesurer des impacts différenciés concernant les variables de friction sur le taux de chômage et questionne ainsi sur l’intérêt d’introduire plus finement la distance dans les travaux de cette nature.

Si les résultats que l’on a mis en évidence convergent vers ceux qui se dégagent de la littérature et questionnent sur le rôle de la distance dans l’appréciation du mauvais appariement spatial, ils restent toutefois contraints par des limites inhérentes à notre démarche.

Les données ANPE en premier lieu, à l’échelle de l’aire urbaine de Bordeaux, deviennent rapidement frustes si l’on s’intéresse à des catégories spécifiques des offres enregistrées (peu qualifiées, sans formation requises…). Nous n’avons ainsi pas retenu les résultats des tests sur l’impact des variables de mauvais appariement spatial sur le taux de chômage des jeunes (R² aj = 0.06) ou des individus de formation de niveau primaire (R² aj = 0.33). Ces tests gagneraient à être conduits sur un espace plus restreint (l'agglomération), ce qui suppose de disposer d'un maillage infra-communal. Nous avons privilégié ici une approche par l’étendue des zones considérées qui ouvre la question du rôle de la distance dans

12 Il faudrait toutefois tester le modèle en utilisant directement une mesure de l'effet marginal de l'augmentation de la distance d'influence.

Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein de l'aire urbaine bordelaise

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les logiques de friction à l’œuvre pour comprendre le MAS. Cette approche est toutefois limitée par l’existence d’effets de bords, la convergence des indicateurs à mesure que la taille des zones augmente ou l’existence de situations institutionnelles et économiques particulières que ne justifieraient peut être pas un tel découpage en zones. Si nous avons montré qu’il est intéressant de continuer dans cette voie, il conviendra par la suite de mieux capter l’impact marginal des zones sur le taux de chômage et d’utiliser les méthodes de l’économétrie spatiale.

Enfin, il conviendra aussi pour mieux capter les phénomènes de MAS d’ajouter au modèle global des indicateurs de densité d’occupation de l’espace ou de compétitivité entre zones. Si nous avons laissé de côté les effets « ghettos » que notre approche par la distance ne permet sans doute pas de capter, il conviendra aussi à un niveau infra–urbain, d’en poser les arguments.

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Cahiers du GRES

Le Groupement de Recherche Economique et Sociales (GRES) réunit deux centres de recherche : - IFReDE (Institut Fédératif de Recherches sur les Dynamiques Economiques), Université Montesquieu-Bordeaux IV

- LEREPS (Laboratoire d'Etudes et de Recherche sur l'Economie, les Politiques et les Systèmes Sociaux), Université des Sciences Sociales Toulouse 1

www.gres-so.org

Université Toulouse 1

LEREPS – GRES Manufacture des Tabacs

21, Allée de Brienne F - 31 000 Toulouse

France Tel. : +33-5-61-12-87-07 Fax. : +33-5-61-12-87-08

Université Montesquieu-Bordeaux IV

IFReDE – GRES Avenue Léon Duguit

F - 33 608 Pessac Cedex France

Tel. : +33-5-56-84-25-75 Fax. : +33-5-56-84-86-47

Cahiers du GRES

2003-1 : DARAUT Sandrine, Le système d’information organisationnel, objet et support d’apprentissage. Essai d’une analyse théorique.

2003-2 : VICENTE Jérôme, De l’économie des interactions à l’économie géographique : théories et évidences.

2003-3 : OLTRA Vanessa, SAINT JEAN Maïder, The dynamics of environmental innovations: three stylised trajectories of clean technology.

2003-4 : FRIGANT Vincent, Défection et prise de parole dans les relations verticales interfirmes : propositions pour une transposition du modèle d’Hirschman.

2003-5 : GILLY Jean-Pierre, PERRAT Jacques, La dynamique institutionnelle des territoires: entre gouvernance locale et régulation globale.

2003-6 : DUPOUËT Olivier, YILDIZOGLU Murat, Organizational performance in hierarchies and communities of practice.

2003-7 : LARRUE Philippe, Lessons learned from the Californian ZEV Mandate: From a “technology-forcing” to a “market-driven” regulation.

2003-8 : CARAYOL Nicolas, ROUX Pascale, Self-Organizing Innovation Networks: When do Small Worlds Emerge?

2003-9 : BONIN Hubert, Geopolitics versus business interests: the case of the Siberian gas-pipeline in the 1980s.

2003-10 : LUNG Yannick, The Changing Geography of the European Automobile System. 2003-11 : BORDENAVE Gérard, Ford of Europe, 1967-2003. 2003-12 : FILIPPI Maryline, TRIBOULET Pierre, Modalités d’exercice du pouvoir dans le contrôle

mutualiste : Le cas des groupes coopératifs agricoles 2003-13 : ASSELAIN Jean-Charles, BLANCHETON Bertrand, BORDES Christian, SENEGAS Marc-

Alexandre, La FTPL, les réparations et l’expérience inflationniste des années 1920 2003-14 : GASCHET Frédéric, GAUSSIER Nathalie, Ségrégation urbaine et marchés du travail au sein

de l'aire urbaine bordelaise: quelle portée pour l'hypothèse de mauvais appariement spatial ? 2003-15 : KAMARIANAKIS Yiannis, Le GALLO Julie, The evolution of regional productivity disparities in

the European Union, 1975-2000 La coordination scientifique des Cahiers du GRES est assurée par Alexandre MINDA (LEREPS) et Vincent

FRIGANT (IFReDE). La mise en page est assurée par Dominique REBOLLO.