Regards sur la recherche en interprétation de conférence

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Daniel Gile Regards sur la recherche en interprétation de conférence PRESSES UNIVERSITAIRES DE LILLE

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Daniel Gile

Regards sur la recherche en

interprétation de conférence

PRESSES UNIVERSITAIRES DE LILLE

© Presses Universitaires de Lille, 1995

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation, de l'éditeur ou du Centre français d'exploi­tation du droit de Copie.

(6 bis, rue Gabriel Laumain - 75010 Paris)

ISBN 2-85939-470-2 / ISSN 1242-4625

introduction

Dans sa progression vers l'investigation scientifique, la ré­flexion sur l'interprétation de conférence a suivi depuis sa nais­sance il y a une quarantaine d'années un chemin tortueux. Issue de la pratique, et non pas d'une discipline scientifique mère, elle a pendant longtemps été menée par des personnali­tés fortes et des intuitions dominantes davantage que par l'ef­fet cumulatif des résultats d'une recherche au sens plus scien­tifique. Par ailleurs, cette réflexion était souvent localisée, avec une communication en pointillé entre les protagonistes, et une absence marquée d'axes de progression bien définis.

Le tableau résultant est une mosaïque de travaux, de cen­tres, de chercheurs individuels, de circuits de communication partiels, d'influences. Dans un important article de D. Gerver (1976), ainsi que dans plusieurs thèses soutenues depuis les années 70, on trouve des synthèses partielles des travaux réali­sés sur l'interprétation, mais aucune tentative d'analyse globale de la situation ne semble avoir été entreprise jusqu'ici.

Le présent ouvrage se place sur cette toile de fond. Il essaie de faire une synthèse des principales tendances passées et pré­sentes en matière de recherche sur l'interprétation, et, sur la base d'une réflexion analytique, tourne son regard vers l'avenir avec quelques propositions.

Ce livre se compose de quatre parties : la présentation d'un cadre d'analyse général (chapitre 1), une analyse 'historique' (chapitres 2 et 3), cinq présentations thématiques (chapitres 4, 5, 6, 7 et 8), et une réflexion méthodologique et stratégique' (chapitre 9).

Le chapitre 1 propose un cadre d'analyse à travers une grille d'observation qui classe en plusieurs catégories les auteurs de

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publications et chercheurs, ainsi que les types de textes et ; démarches de recherche qui se sont manifestés jusqu'ici dans le domaine de l'interprétation de conférence.

Les chapitrés 2 et 3 sont consacrés à un historique de l'évo­lution de la réflexion sur l'interprétation. Le chapitre 2 retrace en grandes lignes l'histoire de la recherche depuis les-années 50 et jusqu'au début de la période de renouveau qui a pris naissance vers le milieu des années 80. Le chapitre 3 analyse cette période, dont le mouvement se poursuit actuellement.

Les cinq chapitres suivants abordent successivement cinq thèmes que nous considérons comme importants dans et pour la recherche sur l'interprétation, et que nous avons choisis comme vecteurs pour quelques idées centrales. Au chapitre 4, nous présentons nos modèles d'Efforts, outils de recherche et d'enseignement pour l'analyse des difficultés de l'interpréta­tion, qui illustrent bien la nécessité d'un travail interdiscipli­naire dans certains secteurs d'investigation, avec d'importantes questions posées à la psychologie cognitive et à la psycholin­guistique. En revanche, le chapitre 5, qui analyse les stratégies et tactiques de l'interprète, est construit à partir d'une observa­tion de la pratique sans l'apport d'éléments de connaissance extérieurs. Il illustre à notre sens la possibilité d'arriver à des résultats non triviaux par une démarche naturaliste (d'observa­tion sur le terrain sans manipulations expérimentales), donc accessible à des praticiens ne disposant pas d'un bagage théori­que. Le chapitre 6 aborde le thème de la qualité du travail, et montre que, aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sujet essentiel a pendant longtemps été délaissé par les chercheurs, pour être enfin attaqué de front depuis quelques années seule­ment. Le chapitre 7 traite de la formation, principale applica­tion de la recherche sur l'interprétation et principal environne­ment fournisseur de chercheurs, et met en relief l'absence remarquable d'une véritable recherche y afférant. Enfin, le chapitre 8, dernier de cette section thématique, aborde les questions linguistiques, longtemps rejetées par les chercheurs en interprétation, et tente de démontrer leur pertinence, notamment en matière de formation.

Le neuvième et dernier chapitre analyse sur la base des cha­pitres précédents des questions d'ordre méthodologique, et propose des strategieß pour l'avenir.

Soulignons que ce livre n'est pas un panorama de la recherche sur l'interprétation, mais une analyse de cette recherche. Il ne saurait être exhaustif, d'une part en raison de difficultés d'accès à des textes, notamment ceux provenant des

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ex-« pays de l'Est », et d'autre part en raison de la rapidité de la production actuelle des publications sur l'interprétation. On pourra d'ailleurs suivre cette évolution et disposer ainsi des éléments bibliographiques les plus récents à travers la revue triestine The Interpreters Newsletter, qui paraît en moyenne une fois par an, et à travers le IRTIN Bulletin, qui est préparé deux fois par an à Paris. Dans cet ouvrage, nous nous concen­trons sur les tendances de fond, en indiquant des références qui permettront au lecteur désireux de mieux connaître les tra­vaux dans des domaines particuliers et de trouver par ce biais des faits et chiffres plus précis. La présentation des travaux est plus détaillée dans les parties thématiques, ainsi que dans la partie historique portant sur les travaux des chercheurs scien­tifiques pendant les années 60 et 70, étant donné leur impor­tance dans l'évolution qui a conduit à la « période des prati­ciens » et l'accès plus difficile à ces publications.

Notre vœu est que ce livre puisse aider le lecteur à mieux connaître et comprendre la situation et la dynamique passées et présentes de la recherche sur l'interprétation de conférence, et que, ayant montré l'étendue des possibilités de progression qui s'offrent, i l encourage de jeunes praticiens, ainsi que d'éventuels chercheurs issus d'autres disciplines qui le liraient, à se lancer à leur tour dans l'exploration de l'interprétation.

Chapitre 1

La recherche sur l'interprétation : un cadre général

Le présent chapitre sert d'introduction à l'analyse de l'acti­vité de recherche sur l'interprétation et aux considérations méthodologiques qui sont développées dans les chapitres sui­vants. Il présente un cadre général d'observation de la recherche en interprétation, en précisant quelques caractéristi­ques de l'activité d'interprétation de conférence, quelques aspects problématiques de la recherche sur l'interprétation, et quelques traits marquant le profil des chercheurs, et introduit quelques concepts désignant les types de textes et démarches de recherche qui sont utilisés dans les analyses subséquentes.

1. L ^interprétation de conférence : rappels

Pour mieux situer l'objet des activités de recherche présen­tées et analysées dans ce livre, i l apparaît intéressant de rappe­ler les principales caractéristiques de l'interprétation de confé­rence ainsi que certains traits pertinents des professionnels qui l'exercent.

L'interprétation de conférence est une activité récente, qui est née entre les deux guerres mais qui a véritablement pris son essor après la deuxième guerre mondiale (Herbert 1978). Si elle concernait pendant les premières années les seules conférences internationales, et notamment les conférences tenues au sein des organisations internationales, elle a évolué depuis pour toucher de nombreux types de réunions interlin­guistiques : conférences, colloques, séminaires, visites de per­sonnalités, émissions de radio et de télévision, etc., qui se dis-

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tinguen! non seulement par leur thème, mais aussi par les flux d'information qui y interviennent : quantité et technicité de l'in­formation transmise, échanges ou flux unidirectionnels, chronologie des flux, etc. (voir une typologie des réunions aux­quelles interviennent les interprètes de conférence dans Gile 1989b). L'on peut considérer qu'à l'heure actuelle, l'interpréta­tion de conférence se distingue des autres types d'interpréta­tion de langue par deux aspects. Par ses modalités fondamen­tales, qui sont la simultanée, la consécutive et la chuchotée (voir ci-dessous), et par le niveau de la prestation : en effet, contrairement aux autres formes d'interprétation, telles que l'interprétation dite 'de liaison', l'interprétation 'd'affaires' et l'interprétation 'communautaire' ('community interpreting' ou 'dialogue interpreting' en anglais), l'interprétation de confé­rence correspond en principe à la substitution d'un discours de haut niveau formel et conceptuel en langue de départ par un discours en langue d'arrivée qui le restitue dans son intégralité au même haut niveau.

La simultanée est un mode d'interprétation où l'interprète, assis dans une 'cabine', écoute l'orateur à travers un casque' et restitue son discours dans le microphone en même temps, avec un décalage moyen de l'ordre de une à quelques secondes entre le moment de la réception de l'information et le moment de sa restitution. En consécutive, l'interprète est assis dans la même salle que l'orateur. Ce dernier prononce son dis­cours ou un segment de discours d'au moins quelques phrases pendant que l'interprète l'écoute, en prenant des notes le cas échéant. Puis l'orateur s'interrompt pour permettre à l'inter­prète de traduire son discours en langue d'arrivée ; l'interpréta­tion terminée, l'orateur reprend son discours, et ainsi de suite. La 'vraie' consécutive se distingue de l'interprétation de liaison, qui est la forme d'interprétation la plus générale, par le niveau théoriquement très élevé de la qualité du discours restitué et par la longueur des segments que traite l'interprète ; en général plusieurs minutes à quelque dix minutes, et parfois plus, alors que dans l'interprétation de liaison, la traduction se fait quasi­ment phrase par phrase. Enfin, la chuchotée est une simulta­née sans cabine : l'interprète est assis à côté de son 'client' et lui chuchote à l'oreille la traduction d'un discours fait en salle à mesure qu'il l'entend.

Dans la plupart des pays, l'interprétation de conférence n'est pas réglementée. Il arrive qu'elle soit pratiquée par des traduc­teurs* par des interprètes de,liaison, mais aussi pa^ des diplo­mates et autres interprètes occasionnels, surtout en ce qui

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concerne la consécutive, surtout dans les langues rares' pour lesquelles i l n'existe pas un marché d'interprétation de confé­rence régulier. En l'absence d'un contrôle réglementaire de ces activités, i l est difficile d'évaluer l'importance quantitative de cette interprétation de conférence occasionnelle ou d'ama­teurs'. En revanche, on estime à quelques milliers (probable­ment moins de dix mille) le nombre d'interprètes de confé­rence professionnels se définissant comme tels. La plupart d'entre eux ont leur domicile professionnel dans les pays euro­péens, surtout en France, en Suisse, en Belgique et dans d'au­tres pays d'Europe occidentale, mais i l en existe aussi un petit nombre, de l'ordre de quelques centaines par région, en Améri­que latine, en Amérique du Nord, en Afrique, en Asie et dans le Pacifique-sud (où ils ne sont que quelques dizaines). Les interprètes de conférence professionnels ont également consti­tué en 1953 un organisme professionnel international, l'AIIC (Association internationale des interprètes de conférence), qui en regroupe quelque 3 000, et qui a contribué de manière déterminante à modeler l'image de la profession dès les années cinquante, à lui donner une déontologie, et à constituer des programmes de formation dans des écoles professionnelles.

Ces écoles, par lesquelles passent actuellement la majorité des candidats à l'interprétation de conférence, sont des établis­sements d'enseignement supérieur, qui sont le plus souvent rattachés à une université. Il s'agit d'écoles de traduction et d'interprétation, mais par commodité, nous les désignerons comme « écoles d'interprétation », dans la mesure où, sauf indi­cation contraire explicite, nous nous référons dans cet ouvrage à la seule interprétation. Notons aussi que contrairement à la traduction, qui est le plus souvent enseignée dès le premier cycle universitaire, l'interprétation est généralement enseignée en troisième cycle (cinquième ou sixième année d'études supé­rieures — voir Ch. 7).

Les écoles d'interprétation sont très sélectives, et ne décer­nent le diplôme qu'aux candidats ayant atteint une compé­tence opérationnelle, c'est-à-dire ceux qui sont en mesure d'in­terpréter à titre professionnel dès l'obtention du diplôme. L'expérience montre que la proportion des candidats qui, une fois admis dans les écoles après sélection, parviennent à ce niveau, est très faible, souvent inférieure à 25 %. Si upe partie non négligeable de ces échecs est attribuable à une maîtrise insuffisante des langues de travail, i l semble indubitable à la communauté dés enseignants que l'interprétation de confé­rence requiert des aptitudes intellectuelles et psychologiques

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particulières, qui n'ont pas encore été clairement identifiées scientifiquement, et que l'on ne trouve que chez une faible proportion des candidats (voir Ch. 7).

La recherche sur l'interprétation de conférence porte donc sur une activité pratiquée par une population de très petite taille, impliquant des mécanismes linguistiques et cognitifs peu connus à ce jour, qui sont apparemment accessibles à une fraction seulement de la population bilingue ou multilingue.

2. L'interprétation de conférence comme objet de recherche

2.1 La recherche sur l'interprétation dans son cadre propre

2.1.1 Traduction et interprétation : quelques différences

L'interprétation se distingue de la traduction écrite par plu­sieurs aspects importants :

a. L'oralité

La différence la plus évidente - entre les deux types de Tra­duction (le T majuscule identifie l'hyperonyme recouvrant la traduction écrite et l'interprétation) tient au caractère oral de l'interprétation, dont la signification va bien au-delà de la nature du support physique de l'énoncé : elle implique aussi des normes linguistiques différentes de celles de l'écrit, ainsi qu'une participation de la prosodie et d'éléments non verbaux que l'on ne trouve pas dans la traduction écrite.

b. Les contraintes temporelles

L'interprétation se déroule soit « en temps réel », en simulta­née, soit en temps « quasi-réel », en consécutive. Ces con­traintes ont des incidences pratiques importantes. En effet, elles privent l'interprète des possibilités tactiques d'information et de documentation dont disposent les traducteurs en cours de traduction, que ce soit par voie de documents, écrits ou sonores ou par consultation de spécialistes, et l'obligent à une préparation maximale avant même de commencer l'interpréta­tion proprement dite (voir Ch. 5). Par ailleurs, elles sollicitent lourdement son appareil cognitif et sont à notre avis les princi­pales responsables de la difficulté d'interpréter, d'une part en raison du rythme imposé de compréhension, de production et de gestion des décisions qu'elles imposent, et d'autre part en

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raison de la simultanéité des opérations qu'elles - impliquent, avec nécessité de partager l'attention (Ch. 4).

c. La situation de communication

L'interprétation se distingue aussi de la traduction au regard de certains autres paramètres importants de la situation de communication. Comme i l est indiqué ci-dessus, contrairement à la traduction, où la communication se déroule en différé' par rapport à la production de l'auteur, et où les réactions des lecteurs ne peuvent intervenir que bien plus tard, en interpré­tation, la communication est immédiate, avec tout ce que cela implique en termes d'interaction entre orateurs, délégués et interprètes.

2.1.2 Champs d'investigation

On peut définir plusieurs champs d'investigation de l'inter­prétation à partir du modèle de communication suivant (Fig. 1) :

Orateur —+-Déléj jués écoutant la Langue Source

Interprète -—> -Délégués écoutant la Langue Cible

Client/Recruteur

Figure 1 : Schéma de la communication avec interprétation en réunion multilingue

En amont, i l est intéressant d'étudier les situations où l'on fait appel à l'interprétation : types de réunions, types de 'clients' (les donneurs d'ouvrage), ce qu'ils attendent de l'interprétation, considérations économiques, procédures de recrutement, con­traintes organisationnelles, types et comportements des ora­teurs, notamment vis-à-vis des participants qui les écoutent à travers les interprètes et vis-à-vis des interprètes eux-mêmes.

En aval, i l importe de connaître les réactions des 'délégués' (les participants qui écoutent les orateurs, soit en langue de départ, soit en langue d'arrivée, à travers l'interprétation), car c'est pour eux que travaillent les interprètes. Un aspect a priori essentiel de la recherche est l'étude de la nature et des varia­bles déterminant la qualité de l'interprétation. Comment les

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délégués évaluent-ils la qualité du travail, en fonction de quels critères ? Leurs appréciations varient-elles d'un individu à l'au­tre, d'un groupe à l'autre, dans quelle mesure et de quelle manière ? Quelle est la corrélation entre leur évaluation et une éventuelle mesure objective' des différentes variables détermi­nant une qualité' de l'interprétation ? L'état de la recherche sur la qualité du travail est présentée au Ch. 6.

Par ailleurs, comme i l est expliqué au Ch. 4, l'interprétation est souvent associée à des pertes d'information pour les délé­gués écoutant en langue cible du fait des erreurs et omissions de l'interprète. Il serait intéressant non seulement d'étudier la nature et l'étendue de ces pertes, mais aussi de les comparer à celles intervenant dans l'écoute directe de l'orateur par les délégués ne passant pas par l'interprétation. En effet, ces pertes peuvent différer sensiblement, d'où des incidences que l'on ne sait déterminer à l'avance sur le rendement' du dis­cours pour les délégués écoutant en langue cible. A notre connaissance, i l n'existe aucune recherche là-dessus à ce jour, de même que nous ne connaissons pas de recherches visant à déterminer les pertes intervenant dans l'écoute directe de l'ora­teur par les délégués.

En réalité, l'essentiel des investigations réalisées jusqu'à pré­sent se situent non pas en amont ou en aval de l'interprétation, mais dans le processus central. En effet, c'est le processus qui est le plus spectaculaire et le plus spécifique des aspects de l'in­terprétation. Contrairement à la traduction, dont on imagine, à tort comme le soulignent de manière répétée les spécialistes, qu'il suffit de connaître les langues pour pouvoir la pratiquer, l'interprétation recèle des « mystères » qui frappent dès le pre­mier abord. En consécutive, c'est ce qui apparaît aux yeux de l'observateur extérieur comme un exploit de mémoire ou de prise de notes. En simultanée, plus spectaculaire encore, la i< capacité d'écouter dans une langue et de parler dans une autre en même temps ». Les investigateurs ont depuis toujours cherché à comprendre les mécanismes mentaux qui rendent possible l'interprétation.

Les champs d'investigation en amont et en aval du processus relèvent en grande partie de l'économie, de la sociologie, de la théorie de la communication. L'étude du processus intéresse d'autres disciplines, notamment la psychologie cognitive, la neurophysiologie, la psycholinguistique et d'autres branches de la linguistique, ou plus généralement l'ensemble des sciences cognitives.

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En effet, le processus central de Finterprétation englobe l'écoute, le traitement et la restitution du discours original en langue d'arrivée, avec des opérations de décodage linguistique, de mise en oeuvre de différents types de mémoire, de produc­tion linguistique. Ce processus implique un partage de l'atten­tion, ainsi que des prises de décisions avec gestion de risques et gestion de difficultés. En consécutive, i l est intéressant d'étu­dier les mécanismes techniques, en particulier les notes prises lors de l'écoute, ainsi que les processus mentaux qui permet­tent à l'interprète de restituer dans son intégralité un discours de plusieurs minutes qu'il n'a entendu qu'une seule fois. On se penchera aussi sur l'effet des variables caractérisant le dis­cours de l'orateur (type, composition informationnelle, langue, débit, prosodie, indices non verbaux) sur les tactiques et la per­formance de l'interprète. De même, on peut chercher à déter­miner l'influence, qu'exerce sur sa prestation l'environnent extérieur (espace, son, éclairage, température, qualité de l'air, vue sur l'orateur, vue sur l'écran).

L'acquisition de la capacité de réagir de manière profession­nelle à ces stimulus et contraintes appelle une étude des règles professionnelle des interprètes, au niveau pratique et au niveau déontologique, ainsi que des investigations sur l'évolu­tion dans le temps des étudiants ou bilingues vers la compé­tence d'interprète débutant, puis d'interprète confirmé. On peut également s'intéresser aux aspects sociologiques et psy­chologiques de la profession : quelle est l'image qu'ont d'elle les praticiens eux-mêmes ? Les clients organisateurs de confé­rences ? Les délégués, utilisateurs directs des services d'inter­prétation ? Quel est le statut des interprètes dans la société ? Quelle est leur attitude à l'égard des orateurs qu'ils interprè­tent ? Quels sont les effets à long terme de la pratique d'un métier où ils ne font que répéter' (en réalité — interpréter) les idées des autres sans avoir la possibilité d'être créatifs autre­ment qu'en tant qu'exécutants ? Comment le fait de parler a la première personne' au nom de personnalités de tout premier plan dans les domaines politique, scientifique, artistique ou technologique influe-t-il sur l'image qu'ils se font d'eux-mêmes ? Quelles sont l'étendue et la structure des connais­sances qu'ils acquièrent au cours de leurs pérégrinations à tra­vers les différentes sphères de la connaissance humaine au fil des conférences ?

Cette liste n'est certes pas limitative, mais elle suffit à mon­trer la variété des approches possibles. En fait, toutes ces ques­tions ont déjà été posées par les interprètes eux-mêmes, et ont

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engendré des réflexions nombreuses, dont certaines ont été consignées par écrit, de manière intuitive et personnelle, dans les livres et articles écrits sur l'interprétation depuis les années 50. En revanche, en matière de recherche, comme le montre l'analyse dans les chapitres suivants, ce sont essentiellement les processus d'interprétation eux-mêmes qui ont été étudiés et qui le sont actuellement.

2.2 La recherche sur l'interprétation comme cas particulier de communication verbale

Au-delà d'une recherche interpréto-centrique, l'interprétation peut être considérée comme un cas singulier d'activité de com­munication à dominante linguistique. C'est ce que cherche à montrer à travers quelques exemples un article de D. Gile (1990e) sur le rôle « proligère » de la traduction et de l'interpré­tation.

Dans cette optique, on notera que l'exigence de fidélité oblige l'interprète et le traducteur à suivre de très près la pen­sée de l'orateur ou de l'auteur telle qu'elle s'exprime dans son discours, c'est-à-dire à le « comprendre », comme le soulignent à satiété tous les praticiens et les enseignants de l'interprétation et de la traduction. Malheureusement, pour l'instant, ils ne définissent et ne décrivent pas avec précision la nature et l'étendue de cette « compréhension ». En fait, l'obligation à laquelle sont soumis les interprètes de reformuler intégrale­ment une pensée immédiatement après son énonciation initiale par l'orateur est potentiellement très intéressante pour quicon­que cherche à étudier la compréhension chez l'homme, dans la mesure où l'interprétation révèle, surtout en consécutive, des phénomènes de compréhension et d'incompréhension qui sont difficilement observables dans la plupart des autres circons­tances naturelles' (par opposition à des situations expérimen­tales en laboratoire).

Dans le cas de l'interprétation des discours spécialisés s'ajoute le problème posé par le déficit en connaissances de l'interprète par rapport à l'orateur et au délégué destinataire du message. C'est là une occasion d'étudier les mécanismes de compréhension des exposés spécialisés par des non spécialistes (voir à ce sujet Gile 1986c).

De telles études de la compréhension peuvent conduire à quelques nouveaux concepts. Ainsi, la pseudo-compréhension', concept qui s'est cristallisé lors d'enquêtes auprès d'interprètes

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sur le degré de compréhension qu'ils estimaient avoir atteint par rapport à différents discours. La pseudo-compréhension', sentiment de comprendre ne correspondant pas à une réelle assimilation des idées, est entre autres fonction de la familia­rité de l'auditeur ou du lecteur avec la structure linguistique qui véhicule le message. Le seuil de confort' est un niveau de compréhension suffisant pour que le récepteur n'éprouve pas une gêne subjective liée au sentiment de «ne pas compren­dre » ; ce seuil lui permet de satisfaire les besoins fonctionnels éventuellement liés au message du locuteur, même s'il ne saisit qu'une fraction du message. D. Gile (1986d) évoque le cas des étrangers vivant au Japon qui auraient, par un mécanisme psy­chologique inexploré, développé ' une tolérance à l'incompré­hension associée à un seuil de confort qui leur donne l'impres­sion erronée de « tout comprendre » en écoutant les émissions japonaises de radio et de télévision, alors qu'un examen plus objectif permet de constater qu'ils ne saisissent qu'une partie du discours. La pseudo-compréhension' est corrélée avec le seuil de confort, mais ce dernier est fonction d'un besoin fonc­tionnel, alors que la première est définie dans l'absolu. Nous ne connaissons pas d'études sur ces types de compréhension, et a fortiori, aucune exploitation des possibilités offertes par l'inter­prétation ne semble avoir été réalisée à l'exception d'une étude de M . Dillinger (1989).

De même, les contraintes inhérentes à l'interprétation sollici­tent lourdement la capacité de production linguistique des pra­ticiens et permettent l'observation de différents phénomènes, tels que les hésitations (Goldman-Eisler 1980, Ovaska 1987) ou les interférences linguistiques.

Enfin, pour les neurolinguistes, l'interprétation présente un champ d'investigation potentiellement intéressant au regard de la latéralisation des fonctions linguistiques. Cette piste com­mence d'ailleurs à être exploitée (Ch. 3). L'interprétation peut aussi intéresser les psychologues cogniticiens en tant que cas singulier du partage de l'attention (voir Ch. 4).

2.3 Les effets sociologiques et culturels de l'interprétation

L'incidence de la traduction écrite sur les transferts culturels est capitale, puisque la traducticn a permis l'importation et l'exportation d'une importante partie de la production de connaissances et d'idées à travers le monde entier. A une échelle bien plus modeste, l'interprétation a peut-être des effets

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qui sont passés jusqu'ici inaperçus et qu'il pourrait être intéres­sant d'étudier de près.

L'interprétation permet à des personnes appartenant à des cultures différentes et ne parlant pas la même langue de se rencontrer et de dialoguer face à face. Au début du siècle, les interprètes étaient relativement peu nombreux, et l'essentiel des échanges interlinguistiques se faisaient soit par voie écrite, soit à travers des personnes qui s'étaient préalablement fami­liarisées, en raison des circonstances de leur vie ou à la suite d'une démarche volontariste, avec une langue et une culture étrangère. Depuis les années 60, l'interprétation de conférence s'est banalisée et touche un public de plus en plus grand. Le fait que des contacts interculturels et interlinguistiques directs soient maintenant à la portée de personnes qui n'ont pas fait l'effort d'apprendre une langue et une culture étrangères et qui a priori restent bien à l'intérieur de leur propre culture a-t-il des effets sur l'image qu'ils ont de la culture étrangère, voire sur leur comportement à l'intérieur de leur propre culture ? Les comportements s'internationalisent-ils davantage que par le passé ? Dans quels secteurs ? Dans quel sens ? Ces effets sont-ils grandement accélérés du fait de la rapidité des échanges en interprétation par rapport à la traduction ? Ou l'interprétation reste-t-elle marginale dans ses effets étant donné le petit nombre de personnes qu'elle concerne, excepté dans l'interprétation pour les média ? Il s'agit là d'un vaste champ de recherche qui pour le moment reste totalement inexploré.

3. Auteurs et chercheurs dans les publications sur l'interpré­tation

3.1 Les interprètes-chercheurs

Pour mieux comprendre les mécanismes et l'évolution de la recherche sur l'interprétation, i l est important de connaître l'identité et les traits caractéristiques de ses acteurs, qui se démarquent sensiblement des caractéristiques que l'on trouve dans les communautés de chercheurs dans d'autres disciplines.

Il convient de distinguer en premier lieu les chercheurs inter­prètes des chercheurs extérieurs'. En effet, contrairement à la situation dans la plupart des autres disciplines, à de rares exceptions près, la recherche sur l'interprétation est menée par des interprètes praticiens, et non pas par des chercheurs pro-

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fessionnels'. Pour emprunter l'expression de D. Seleskovitch, ancienne directrice de l'Ecole Supérieure d'Interprètes et de Traducteurs (ESIT) de Paris, «les poissons deviennent ichtyolo-gues », ce qui ne manque d'ailleurs pas de poser des problèmes :

3.1.1 La disponibilité

La pratique de l'interprétation est un travail irrégulier et sai­sonnier, qui peut demander de nombreux déplacements. Les praticiens ne disposent donc pas de plages de temps régulières qu'ils pourraient consacrer à la recherche.

Les enseignants dans les écoles professionnelles, qui sont a priori plus motivés que leurs collègues praticiens n'exerçant pas une activité de formation, enseignent en sus de leurs jour­nées d'interprétation ordinaires. En effet, un consensus exis­tant au sein de la profession et officialisé par l'AIIC à travers sa Commission de la formation veut que la formation à la profes­sion soit assurée par des professionnels en exercice (voir Ch. 7). Cette règle est suivie dans les principales écoles, où la quasi-totalité du personnel enseignant se compose d'interprètes pro­fessionnels qui sont chargés d'un ou deux cours par semaine. En fait, leur activité professionnelle limite déjà leur disponibi­lité pour la formation, qui est insuffisamment rémunérée pour qu'ils puissent renoncer à des conférences pour assurer leurs cours régulièrement. Dans la pratique, cela implique des annu­lations de cours et des rattrapages' ultérieurs. En outre, la prestation en conférence demande une préparation à domicile ou en bibliothèque, et en saison, c'est-à-dire essentiellement à l'automne et au printemps, les interprètes-enseignants ' sont souvent occupés en cabine, en préparation ou en classe d'inter­prétation 10 ou 12 heures par jour. Si l'enseignement, essentiel­lement pratique, peut se faire avec un minimum de prépara­tion, la recherche, elle, demande un temps considérable. De toute évidence, i l faut être fortement motivé pour se ménager le temps nécessaire à la recherche dans de telles conditions.

3.1.2 La motivation

Actuellement, la quasi-totalité des interprètes-chercheurs sont interprètes d'abord, et chercheurs accessoirement. Il n'existe d'ailleurs pas de véritable cadre institutionnel pour la recherche en interprétation, bien que certaines écoles l'encou-

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ragent, moralement surtout (notons tout particulièrement l'école de Trieste, dont l'activité de recherche est importante — voir Ch. 3 et 9).

Pour les interprètes, la recherche n'apporte donc pas une rémunération financière. Bien au contraire, dans la plupart des cas, ils doivent la financer eux-mêmes : ordinateurs, équipe­ments d'enregistrement et autres, papeterie, déplacements, frais d'inscription à des conférences traductologiques ne sont pris en charge par les écoles que rarement et partiellement.

Sur le plan universitaire, la recherche permet l'obtention d'un titre de M.A. ou de doctorat, parfois (mais pas toujours) nécessaire à l'obtention d'un poste universitaire, mais une fois ce ritre acquis, elle ne joue pas dans l'avancement. En effet, la plupart des écoles d'interprétation se considèrent comme des écoles professionnelles dont la vocation est de former des pra­ticiens à travers un enseignement pratique, et la règle « publish or perish » ne s'applique pas (voir Ch. 9).

Précisons tout de même que dans certaines écoles, notam­ment ' à Heidelberg, à Trieste et à Vienne, les étudiants en interprétation ont l'obligation de préparer des mémoires de fin d'études pour obtenir leur diplôme, et que certains réalisent à cette occasion de véritables projets de recherche, qui peuvent donner lieu à des publications (voir par exemple Gran et Tay­lor 1990 ainsi que les articles parus dans The Interpreters Newsletter).

Sur le plan sociologique, l'activité de recherche de l'inter­prète n'offre pas non plus de récompenses très motivantes. En effet, la communauté des interprètes dans son ensemble ne voit pas la recherche d'un œil très favorable (voir Ch. 2).

Il reste donc la motivation que donne le plaisir intellectuel accompagnant l'observation, la réflexion, et la création qu'im­plique la recherche. Toutefois, l'expérience montre que cette motivation ne résiste pas longtemps non plus dans la plupart des cas au rythme de travail du praticien. C'est probablement la principale raison pour laquelle de nombreux travaux, notamment ceux réalisés pour l'obtention d'un titre universi­taire tel qu'un M.A. ou un doctorat, sont restés sans lendemain. Les interprètes dont l'activité de recherche se poursuit au-delà sont peu nombreux : une poignée de praticiens qui sont attirés par la recherche, et quelques chercheurs qui ont la chance d'être encadrés dans un environnement favorable. A l'ESIT à Paris, la personnalité de D. Seleskovitch a motivé un petit groupe de praticiens pendant de nombreuses années, jusque vers le milieu des années 80. Dans le cas le plus général, toute-

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRETATION DE CONFÉRENCE 23

fois, les conditions extérieures ne sont pas favorables au main­tien de la motivation.

3.13 La formation à la recherche

Des problèmes d'un tout autre genre se posent du côté de la formation des interprètes-chercheurs. La plupart ont fait des études de lettres ou de langues étrangères. Peu d'entre eux ont été formés à la recherche en tant que telle. La plupart ont commencé leur activité de chercheurs parce qu'ils se sont trouvés dans le cadre d'une école d'interprétation universitaire et ont été soit stimulés par l'environnement, soit contraints en raison de règles universitaires de réaliser un projet de re­cherche. On peut distinguer deux générations d'interprètes-chercheurs :

a. Les interprètes-chercheurs de la première génération :

Ce sont les pionniers dont l'entrée en scène se situe dans les années 60 et 70. Leur personnalité et leurs motivations étaient fortes, ce qui leur a permis de lancer un mouvement qui per­dure. Toutefois, ayant pour la plupart étudié les langues vivantes, ils n'avaient pas bénéficié d'une formation à la recherche (à quelques exceptions près), et leurs connaissances étaient généralement faibles dans des domaines tels que la lin­guistique, la psychologie et la psycholinguistique.

b. Les jeunes' interprètes-chercheurs :

Ce sont les élèves des interprètes-chercheurs de la première génération. Eux aussi sont pour la plupart des littéraires, et eux non plus n'ont pas suivi de formation structurée à la recherche. Toutefois, ils bénéficient de l'expérience de leurs aînés : ils peuvent s'appuyer sur leurs résultats et s'inspirer de leurs méthodes, en les améliorant le cas échéant là où ils les trouvent faibles.

Dans l'ensemble, les interprètes-chercheurs attendent de la recherche une meilleure compréhension de l'interprétation, et accordent une grande importance aux applications en matière de formation. Leur préférence se porte nettement sur la recherche appliquée.

24 DANIEL GILE

3.2 Les étudiants en interprétation

Paradoxalement, les étudiants en interprétation sont souvent plus proches de la recherche véritable que les chercheurs de la première génération. En effet, contrairement aux pionniers, ils sont pris en charge par des directeurs de recherche souvent motivés et plus ou moins expérimentés, et ce dans des écoles offrant des conditions favorables à la recherche. A Trieste, notamment, une grande partie de la production vient des étudiants.

Notons que si les étudiants-chercheurs connaissent moins bien l'interprétation que les praticiens chevronnés, sur le plan de la disponibilité, de la motivation, de l'encadrement et de l'ouverture d'esprit, ils sont souvent mieux placés.

3.3 Les interprètes non chercheurs

D'assez nombreux textes sur l'interprétation cités dans des textes de recherche sont rédigés par des praticiens qui ne se définissent pas eux-mêmes comme chercheurs. Il peut s'agir d'enseignants comme P. Longley (1978), W. Weber (1984), la plupart des auteurs japonais, ou d'interprètes écrivant en tant que praticiens (Coleman-Holmes 1971, Wesenfelder 1982), qui parlent de leur expérience professionnelle et développent les réflexions qu'elle leur inspire. Ces textes peuvent être 'anecdo-tiques', 'informatifs' ou normatifs' (voir plus loin).

3.4 Les chercheurs 'extérieurs'

Les chercheurs 'extérieurs' sont dans leur grande majorité des spécialistes de la psychologie, la psycholinguistique, la lin­guistique, la sociologie, la neurophysiologie (qui co-signent par­fois des textes avec des interprètes). Ils n'ont pas de formation ou d'expérience en interprétation de conférence, bien que la plupart d'entre eux aient une bonne connaissance d'une ou plusieurs langues étrangères et que certains aient pratiqué la traduction ou certaines formes d'interprétation en amateurs'.

Les chercheurs extérieurs' ne semblent pas attendre de leur recherche des applications concrètes. Elle est plutôt intellec­tuelle et vise la compréhension d'éléments spécifiques dans l'in­terprétation, souvent en rapport avec des préoccupations psy-

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 25

chologiques, psycholinguistiques et linguistiques dépassant le cadre de l'interprétation. •

Il y a donc dans l'approche fondamentale une assez grande divergence entre chercheurs interprètes et chercheurs exté­rieurs', ce qui s'est manifesté de manière répétée par des diffi­cultés de communication entre les deux communautés (voir Ch. 2).

4. Types de textes et démarches de recherche

Une deuxième dimension de, la grille que nous proposons pour l'étude de la recherche sur l'interprétation porte sur les types de démarches de recherche que l'on y trouve. La gamme est en effet très variée, avec des textes allant des plus person­nels et des plus libres dans la forme et dans le fond jusqu'aux textes les plus conformes aux us et coutumes universitaires. En fait, comme on peut le deviner d'après la typologie des auteurs et chercheurs présentée ci-dessus et comme i l est expliqué plus loin, dans les travaux sur l'interprétation, les gen­res se mélangent. D'ailleurs, beaucoup de textes qui reflètent une démarche intuitive et non scientifique sont abondamment cités et pris pour référence dans des publications relevant de la recherche proprement dite ; la réciproque est moins vraie. Nous présentons ici par commodité une classification mixte de textes et de démarches, en commençant par des textes person­nels, 'libres' et non universitaires, et en nous rapprochant pro­gressivement de ceux qui correspondent aux critères usuels de la recherche.

4.1 Les textes introductifs

Il s'agit de textes qui présentent des informations et idées générales sur l'interprétation à l'intention du grand public ou des étudiants en début de cursus. Ils évoquent parfois des élé­ments pratiques, déontologiques, psychologiques et linguisti­ques intéressants, mais ne les développent pas. Ils sont rédigés tantôt par de simples praticiens', tantôt par des enseignants, tantôt par des chercheurs. Les textes introductifs sont des livres ou des chapitres de livres (notamment dans les guides sur les métiers des langues'), des articles dans la presse non scientifique, des plaquettes. A titre d'exemples, citons Longley 1968, Seleskovitch 1968, Nishiyama 1983).

26 DANIEL GILE

Les textes iñtroductifs ne présentent en général pas beau­coup d'intérêt dans le domaine de la recherche. Ils ne seront pas analysés ici en détail.

4.2 Les textes factuels professionnels

Cette deuxième catégorie désigne les textes dont le but est d'apporter des informations factuelles sur l'interprétation : sta­tistiques professionnelles, normes ISO pour les cabines d'inter­prétation, autres informations sur les conditions de travail, sur des stages de formation, etc. On les trouve surtout dans les publications de l'AIIC et de différentes associations de traduc­teurs et d'interprètes, parfois dans les actes de colloques sur la traduction, dans les textes des employeurs d'interprètes.

Au regard de la recherche, ces textes ont essentiellement une fonction de référence informationnelle.

4.3 Les textes anecdotiques

Ce genre, qui relève de la petite histoire', existe en Europe et aux Etats-Unis (voir les articles anecdotiques dans The Jerome Quarterly de l'université de Georgetown), mais se signale sur­tout au Japon où quelques interprètes ont atteint le statut de vedettes grâce aux medias, ce qui assure un bon succès com­mercial à leurs textes anecdotiques. Ainsi, Muramatsu (1978, 1979), Nishiyama (1970, 1979), et plus récemment Shinoda et Shinzaki (1992), ont écrit des livres sur leur expérience profes­sionnelle truffés d'anecdotes personnelles. De temps en temps sont également publiés dans la presse générale des articles anecdotiques sur l'interprétation.

Au regard de la recherche, ces textes ont eux aussi une valeur essentiellement informative, en ce sens qu'ils contien­nent des indications pouvant aider les chercheurs à reconsti­tuer les environnements professionnels, sociologiques et psy­chologiques dans lesquels ûs se situent.

4.4 Les textes historiques

A côté des textes anecdotiques, i l existe un certain nombre d'articles qui traitent de l'histoire de l'interprétation de confé­rence, essentiellement depuis les procès de Nuremberg, ainsi

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 27

que de l'histoire de l'interprétation sous ses formes plus géné­rales depuis l'antiquité et jusqu'à l'époque contemporaine. Plu­sieurs textes de ce type figurent parmi les publications de Ingrid Kurz énumérées dans la bibliographie en fin d'ouvrage. " Les textes historiques représentent une démarche quelque

peu isolée dans la recherche sur l'interprétation. Ils y consti­tuent un système fermé et n'interagissent pas beaucoup avec les autres types de textes.

4.5 Les textes réflexifs ' ou 'de réflexion '

Nous classons dans cette catégorie, quantitativement très importante parmi les publications sur l'interprétation, les textes dans lesquels leurs auteurs développent des réflexions et des opinions de principe sur l'interprétation, fondées sur leur expé­rience personnelle et leurs intuitions plutôt que sur la base de l'étude systématique d'un corpus ou d'un ensemble de travaux scientifiques, observationnels ou expérimentaux.

Les textes de réflexion portent sur une large gamme de sujets liés aux mécanismes de l'interprétation, à sa pratique professionnelle, à la formation. Citons à titre d'exemples Capaldo (1980) dans une plaidoirie pour la consécutive, Cartel-lieri (1983) sur la qualité du travail, Eberstark (1982) dans une comparaison de la traduction et de l'interprétation, Galer (1974) qui défend la sténographie, Kurz (1988) sur la spécialisa­tion des interprètes, Namy (1978) sur la formation, Quicheron (1985) sur la préparation des conférences, Romer (1985) sur le passé et l'avenir de la profession, Thiéry (1985) sur le secret professionnel chez l'interprète, Coleman-Holmes (1971) dans une mordante. description de l'univers sociologique des interprètes.

La démarche reflexive peut être qualifiée de pré-scien­tifique', en ce sens qu'elle implique une réflexion souvent approfondie, mais sans la rigueur et le caractère systématique de la démarche scientifique. Il est d'ailleurs difficile d'établir une ligne de démarcation entre les textes de. réflexion et les textes théoriques (voir plus loin). C'est pourquoi nous ne tente­rons pas une analyse statistique de la production théorique par opposition à la production reflexive. Signalons cependant que les textes de réflexion continuent à être très nombreux, notam­ment dans les actes de colloques et conférences de traduction et d'interprétation.

28 DANIEL GILE

4.6 Les textes normatifs

Il s'agit des publications dont le contenu consiste essentielle­ment en des conseils, des instructions ou des normes, qu'ils soient ou non formulés explicitement sur un ton normatif : en effet, sans prendre un ton impératif, un auteur peut présenter des normes d'une manière telle que son texte est une prise de position.

Les auteurs des textes normatifs sont des praticiens et des enseignants. On notera tout particulièrement les textes de l'AnC §ur la déontologie professionnelle (par exemple AJQC 1982), de nombreux articles publiés dans le Bulletin de l'AIIC, et d'autres documents destinés aux organisateurs et partici­pants aux conférences internationales pour leur indiquer la bonne marche à suivre pour profiter pleinement des services de l'interprétation.

La démarche normative sous-tend également de nombreux autres textes réflexifs et /théoriques, surtout ceux traitant de la formation, qui a par essence un important côté normatif, la démarche scientifique n'étant pas encore solidement établie au sein de la communauté des interprètes-chercheurs. Il s'agit d'ailleurs d'une caractéristique que l'on trouve aussi dans les textes sur la traduction (voir notamment Toury 1980).

4.7 Comptes rendus et bibliographies

Nous désignons par cette catégorie de textes les comptes rendus de travaux et de publications, ainsi que les listes biblio­graphiques. Ces textes sont restés peu nombreux pendant une longue période, mais, sous l'impulsion de la tendance actuelle à l'ouverture, ils se sont multipliés depuis 1989. Notons en par­ticulier la bibliographie non publiée, mais périodiquement mise à jour de la Commission de la recherche de l'AIIC, les listes bibliographiques figurant dans la revue triestine The Interpre­ters Newsletter, le IRTIN Bulletin, qui est composé dans sa quasi totalité d'informations bibliographiques, et les nombreux comptes rendus de Gérard Ilg dans la revue Parallèles de l'Ecole de Traduction et d'Interprétation de l'université de Genève.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 29

4.8 Les textes théoriques

• Les textes théoriques se distinguent des textes de réflexion par un degré d'abstraction et de formalisation plus poussé, qui les place dans la catégorie des textes universitaires. • De nombreuses thèses de doctorat sur l'interprétation relè­

vent de la démarche théorique. Cette démarche est particuliè­rement saillante dans les pays germanophones, mais elle figure aussi en bonne place dans les travaux français du groupe des théoriciens de l'ESIT.

4.9 Les textes relevant de la recherche empirique

Plus proches de la démarche scientifique qui caractérise les sciences naturelles et de nombreux travaux modernes dans les sciences sociales, les 'textes empiriques' sont ceux qui rendent compte d'une observation systématique de phénomènes sur le terrain, qu'ils soient naturels ('démarche observationnelle' ou naturaliste') ou provoqués par le chercheur dans un environ­nement contrôlé' (démarche expérimentale).

4.9.1 Les textes observationnels

La démarche observationnelle ou 'naturaliste' consiste à étu­dier systématiquement par une observation rigoureuse une situation naturelle telle qu'elle se produit sur le terrain. Dans la démarche observationnelle, nous englobons aussi bien le sim­ple enregistrement d'une situation que la recherche active de renseignements, par exemple à travers des questionnaires et interviews.

Les textes observationnels se distinguent essentiellement des 'textes factuels professionnels' non pas nécessairement par leur contenu, mais par la démarche qui les sous-tend, en ce sens qu'ils ne sont pas produits par désir d'informer, mais à la suite de l'étude systématique d'un phénomène à travers l'observa­tion d'une situation, le texte étant le reflet des résultats et non pas un véhicule d'information conçu en tant que tel.

30 DANIEL GILE

4.9.2 Les textes expérimentaux

Il s'agit de textes rendant compte des résultats de l'observa­tion systématique de situations provoquées délibérément par le chercheur pour être étudiées dans des conditions pré-définies. Nous incluons dans la démarche expérimentale non seulement les expériences de vérification d'hypothèses telles qu'elles ont acquis un quasi-monopole dans certaines disciplines, mais aussi l'expérimentation dite 'ouverte', dans laquelle i l n'y a non pas une hypothèse à vérifier, mais l'exploration d'une situation nouvelle avec tentative de recueillir des informations.

Les deux chapitres suivants analysent la recherche sur l'in­terprétation depuis ses débuts en utilisant les concepts ainsi définis.

Chapitre 2

Historique de la recherche sur l'interprétation

Un cadre général pour l'étude de la recherche sur l'interpré­tation de conférence ayant été présenté au chapitre 1, ce deuxième chapitre retrace l'historique des écrits sur l'interpré­tation depuis les débuts de la réflexion théorique sur la profes­sion et jusqu'à la période actuelle de renouveau, qui est analy­sée au chapitre 3.

1. Les premiers écrits

Les premiers écrits sur l'interprétation de conférence, qui datent des années 50, voire de la fin des années 40, n'ont pas encore une optique universitaire, théorique ou expérimentale. Ce sont pour la plupart des textes d'introduction et des textes normatifs, rédigés par des praticiens, pour la plupart ensei­gnants mais non chercheurs. Certains de ces écrits méritent pourtant une mention particulière, dans la mesure où ils posent déjà une grande partie des principes et problèmes de fond qu'abordèrent par la suite les théoriciens et chercheurs, et autour desquels les débats ne sont pas encore clos. Les pre­miers articles parus durant cette période dans différentes revues, surtout en Suisse, dans L interprète, et en Belgique (voir la bibliographie à la fin de Van Hoof 1962, qui en cite plus de cent datant d'avant 1961), sont devenus introuvables. En revanche, quelques livres datant de cette période ornent encore les rayons des bibliothèques des écoles de traduction et d'interprétation. '

32 DANIEL GILE

Le Manuel de l'interprète de Jean Herbert (1952), qui est considéré comme un classique, est essentiellement un ouvrage pratique. Il aborde, de manière didactique et normative, la pra­tique de l'interprétation, et notamment le comportement pro­fessionnel, la préparation des conférences et la prise de notes en consécutive. Jean Herbert indique que l'interprète doit être «vif d'esprit », avoir une bonne mémoire et disposer d'un « énorme vocabulaire » très disponible (p. 5). Si le concept de vivacité d'esprit peut paraître vague, et si la nécessité d'avoir une bonne mémoire ne fait plus l'unanimité parmi les cher­cheurs, la notion de disponibiüté du vocabulaire, négligée pen­dant près de 30 ans, reprend une place importante actuelle­ment ; elle occupe notamment une place importante dans nos modèles d'Efforts (Ch. 4) et dans notre modèle gravitationnel de la disponibilité linguistique (Ch. 8). Jean Herbert pose aussi que les métiers de traducteur et d'interprète sont radicalement différents et dans une grande mesure inconciliables, que rares sont les interprètes capables de bien traduire et les traducteurs capables de bien interpréter (p. 6). Cette idée continue à faire l'objet de débats parmi les chercheurs contemporains (voir par exemple Schjoldager 1993). J. Herbert postule aussi la compré­hension du discours par l'interprète au-delà des mots (p. 19), idée qui continue à être étudiée, mais de manière plus précise (voir entre autres Gile 1986c et Dillinger 1989), note l'existence des interférences linguistiques (p. 36), déclare que le discours original doit être bien analysé avant d'être interprété (p. 34), et, à propos de la formation, propose déjà la répétition avec déca­lage ou shadowing', sur lequel la polémique entre les ensei­gnants ne semble pas près de s'éteindre (voir Ch. 7).

On n'oubliera pas non plus dans la série des premiers écrits marquants sur l'interprétation le petit manuel de prise de notes de Jean-François Rozan (1956), lui aussi un classique. Ouvrage didactique et pratique, i l n'en énonce pas moins des principes méthodologiques de portée plus générale, tels que celui de la restitution des idées et non pas des mots dans le discours d'ar­rivée (p. 14), et l'importance de la compréhension des enchaîne­ments logiques dans le discours.

Henri Van Hoof, qui enseigna l'interprétation à Bruxelles, reprend dans son livre didactique (1962) une grande partie des idées de J.-E Rozan et de Jean Herbert. Il y ajoute quelques observations et affirmations d'ordre théorique et pratique qui restent elles aussi d'actualité dans la recherche sur l'interpréta­tion. Il affirme par exemple (p. 36, p. 39) que la consécutive est plus précise que la simultanée, èans toutefois étayer cette affir-

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 33

mation par des études empiriques. Il pose aussi, comme J. Herbert (1952:66), que la simultanée n'est qu'une consécu­tive accélérée. Cette idée, reprise depuis par de nombreux enseignants (bien que contestée actuellement —voir les expli­cations au Ch. 4), a d'importantes incidences en matière de for­mation. Elle justifie notamment l'idée qu'il est indispensable de bien maîtriser la consécutive avant d'aborder l'apprentissage de la simultanée (voir à ce sujet le Ch. 7). Toujours à propos de la simultanée et de la consécutive, H. Van Hoof affirme que la prise de décisions (le « jugement ») est au centre même de la consécutive, alors qu'elle est quasiment inexistante en simulta­née, dans laquelle l'interprète est « irrémédiablement enchaîné à l'orateur qu'il suit presque mot à mot» (p.39). Cette concep­tion des choses est contraire aux idées actuelles et aux méthodes d'enseignement en cours (voir par exemple Namy 1979). Autre question ayant une grande portée théorique, H. Van Hoof parle du partage de l'attention requis lors de la simultanée et de la consécutive. Il ne tente pas toutefois d'ap­profondir l'idée. Il évoque aussi le bagage cognitif de l'inter­prète, qui comporte des « notions superficielles, mais néan­moins précises, dans un grand nombre de branches » (p. 64). Cette qualification, qui s'en tient à un énoncé vague, concorde bien avec l'idée du modèle flottant' de Gile (1986c), défini comme une structure sémantique isomorphe à la structure sémantique de l'original, mais ayant des nœuds nominaux moins précisément définis, et moins bien intégrée dans le réseau sémantique des connaissances générales du locuteur. Enfin, dernier élément à portée théorique que nous citerons ici, H . Van Hoof parle de la production « automatique » d'« équivalents » linguistiques (p. 65). L'idée du 'transcodage' est contraire à la 'théorie du sens' ; elle est combattue par le groupe de l'ESIT (voir plus loin), mais les 'automatismes' sem­blent bien intervenir en interprétation, et sont probablement indispensables dans une charge cognitive lourde comme celle de la simultanée, comme l'explique H. Nowak-Leeman (1993). Le débat reste donc d'actualité.

Si Jean Herbert, J.-F. Rozan et Henri Van Hoof sont essentiel­lement des enseignants et ont des préoccupations pratiques, Dánica Seleskovitch, de Paris, a d'emblée des visées plus thé­oriques et plus ambitieuses. Dans son livre L interprète dans les conférences internationales (1968), elle précise que son but est « ...d'essayer de mettre en lumière le processus mental qui rend possible la transmission quasi instantanée d'un message oral dans une autre langue » (p. 36).

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Le livre présente effectivement les intuitions de son auteur à propos du fonctionnement mental- de l'interprétation. On y trouve d'ailleurs une petite bibliographie qui témoigne d'une certaine fermentation intellectuelle parmi les interprètes pen­dant les années 60. Soulignons toutefois que cet ouvrage, qui a lui aussi connu une grande popularité et qui a été traduit dans plusieurs langues, ne va pas au-delà des intuitions. Il n'apporte pas de données empiriques, expérimentales ou observation-nelles pour étayer les idées qui y sont présentées, et ne se réfère pas non plus aux travaux récents (à l'époque) des lin­guistes et psychologues. En cela, i l reste réflexif.

Parallèlement à ces publications européennes commencent à paraître des textes sur l'interprétation dans différents pays du monde. On notera en particulier la parution de plusieurs publi­cations japonaises :

Le premier livre japonais sur l'interprétation, Eigotsûyaku no jissai (dont le titre a été traduit en anglais par An English Interpreters Manual par ses auteurs, H. Fukuii et T. Asano), paraît en 1961. Il présente des similitudes marquées avec le Manuel de l'interprète de Jean Herbert par sa démarche géné­rale et par les principes qui y sont soulignés : nécessité d'une bonne connaissance de la langue de départ, d'une analyse du contenu du discours de l'orateur, de la préparation. Le livre comporte également des éléments d'information intéressants sur l'interprétation à partir du japonais : les auteurs disent entre autres que les orateurs japonais ont tendance à employer des structures linguistiques vagues et « illogiques », que le senti­ment premier d'avoir compris un segment de discours peut être démenti par la difficulté qu'on éprouve à le traduire, que les différences syntaxiques entre l'anglais et le japonais font que la simultanée entre les deux appelle d'importants efforts de mémoire (voir notre compte rendu dans Gile 1992d). Ces affirmations ne sont pas étayées elles non plus par des travaux scientifiques, mais elles constituent des témoignages intéres­sants, surtout compte tenu des affirmations contraires de cer­tains théoriciens occidentaux. En tout état de cause, ces idées sont actuellement elles aussi fortement débattues au sein de la communauté des chercheurs en interprétation.

Un autre livre japonais sur l'interprétation, peut-être le plus intéressant de cette période, est l'ouvrage intitulé Tsûyaku : Eikaiwa kara dôjitsûyaku made {L'interprétation : de la conver­sation en anglais à la simultanée), qui a été rédigé par trois interprètes très connus au Japon (Masao Kunihiro, Sen Nis-hiyama et Nobuo Kanayama), et publié par l'organisme de

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 35

radio et de télévision japonais N H K Ce livre, riche dans son contenu, comporte quelques erreurs importantes et idées reçues sur l'interprétation entre les langues occidentales (voir Gile 1988b), mais reste remarquable, notamment par sa démarche bien plus pragmatique que celle des livres occiden­taux publiés à la même époque, à l'exception de celui d'Henri Van Hoof. Parmi les idées importantes qui y figurent, notons l'évocation de la perte qui accompagne toute transmission d'in­formation et l'application du principe à l'interprétation; les auteurs rendent d'ailleurs les orateurs partiellement responsa­bles de la réussite ou de l'échec de la communication à travers l'interprétation. Cette démarche contraste fortement avec le point de vue quelque peu idéalisé' des auteurs occidentaux, pour qui l'information devait passer' dans son intégralité, et dont l'univers de référence était très interpréto-centrique. Le livre reprend lui aussi la question de l'interprétation entre anglais et japonais, explique que dans les conférences japo­naises, i l y a relativement peu de véritables débats et que toutes les décisions se prennent à l'avance, que les Japonais répugnent à être « trop clairs » dans l'expression de leurs idées, que dans l'interprétation du japonais se pose le problème des homophones (voir sur cette question Gile 1986e —voir aussi le chapitre 8). ,

Soulignons encore une fois que si les premiers textes sur l'in­terprétation ne se conformaient pas aux règles des écrits uni­versitaires ou de recherche, leurs auteurs étaient pour la plu­part des professionnels et enseignants chevronnés dont l'expérience et les préoccupations étaient sensiblement les mêmes que celles des auteurs des textes de recherche actuels. Dès les années 50, la formation y occupe une place prépondé­rante, et l'on y parle déjà des limites et difficultés de la simul­tanée {Le petit journal 1957, Hedinger 1955), de la consécutive et de la prise de notes (Fuchs-Vidotto 1961, Priacel 1957).

Les deux principaux pôles de réflexion sur l'interprétation en Occident à l'époque sont Genève et Bruxelles. ' Et pourtant, le premier travail universitaire sur l'interprétation, une 'thèse' de M A introspective de l'interprète Eva Paneth, est soutenue à l'université de Londres en 1956. En 1959 paraît un article de Gérard Ilg, praticien et enseignant à Genève, sur la formation à l'interprétation. C'est le début d'une première série d'articles qui se dirigent peu à peu vers la théorie, puis vers la recherche. Le mouvement va rapidement se diviser en deux: une courte poussée de la recherche expérimentale réalisée par des scientifiques (décrite ci-dessoijs), et parallèlement, une acti-

36 DANIEL GILE

vité de réflexion (Section 3). C'est vers le milieu des années 80 qu'apparaîtra une deuxième vague de recherche plus proche de ce qu'il est convenu d'appeler l a démarche scientifique', en même temps que se poursuivront la réflexion et la théorisation personnelles (Ch. 3).

2. La période expérimentale des années 60

2.1 Présentation des travaux

Les premières tentatives de recherche proprement dite sur l'interprétation viennent de la psychologie et de la psycholin­guistique. Conformément à la démarche de recherche qui a cours dans ces disciplines, les travaux qu'elles suscitent portent sur des éléments spécifiques de l'interprétation, sans viser l'in­tégration dans un modèle global du processus, à l'exception d'un modèle de D. Gerver (1976) — voir plus loin.

Les premiers travaux empiriques sur l'interprétation datent du milieu des années 60. Les psychologues français Oléron et Nanpon (1964), intrigués par le chevauchement de l'écoute et de la production dans la simultanée, prennent des enregistre­ments de discours et de leur interprétation en simultanée pour examiner l'EVS ou 'Ear-Voice Span', c'est-à-dire le décalage temporel entre le moment où une information est formulée par l'orateur et le moment où elle est restituée par l'interprète. Oléron et Nanpon trouvent un décalage se situant générale­ment entre 2 et 10 secondes, variation qu'ils attribuent à la dif­ficulté d'organiser mentalement l'information avant de pouvoir la restituer. Notons que E. Paneth (1956) avait déjà observé des décalages de 2 à 4 secondes, et que des chiffres analogues ont été trouvés par la suite par d'autres chercheurs. Oléron et Nan­pon pensent qu'étant donné la capacité limitée de la mémoire à court terme de l'interprète, i l ne peut se permettre un déca­lage trop élevé. Cette idée elle aussi correspond à l'intuition des praticiens (les effets d'un EVS trop long sont notamment ana­lysés à travers les modèles d'Efforts au Ch. 4 du présent ouvrage). Oléron et Nanpon ont également étudié les erreurs de traduction (omissions et additions), et ont noté que l'inter­prétation avait tendance à être plus longue que la traduction écrite des mêmes textes.

A. Treisman (1965) a mesuré la rapidité avec laquelle des sujets bilingues pouvaient traduire d'anglais en français et inversement. D'après elle, l 'EVS est fonction des contraintes

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 3 7

grammaticales et des 'transformations' nécessaires entre dis­cours en langue de départ et discours en langue d arrivée. On trouvera au Ch. 3 l'évocation de quelques résultats plus récents concernant ces transformations.

En 1967 sont également parus deux autres articles qui concernaient l'interprétation simultanée, mais à titre acces­soire. Dans l'un, E.A. Lawson, qui s'intéressait à l'attention sélective, a utilisé des écouteurs pour acheminer alternative­ment deux discours différents vers l'oreille droite et l'oreille gauche de ses sujets (qui n'étaient pas interprètes), et leur a demandé d'interpréter de l'anglais en néerlandais ou inverse­ment le discours qu'ils entendaient dans l'oreille droite ou l'oreille gauche. Son analyse a porté sur l'interférence entre les deux canaux telle qu'elle s'est manifestée par des 'erreurs d'in­terprétation'. Dans le deuxième article, F. Goldman-Eisler (1967) a comparé les paramètres rythmiques de la parole et des pauses dans des discours spontanés, des discours lus, et des interprétations simultanées entre français, anglais et alle­mand. Un premier résultat de cette étude fait apparaître que dans les trois conditions expérimentales, les pauses représen­tent au moins 30 % du temps total de parole. Dans sa synthèse de la recherche empirique sur l'interprétation, D. Gerver (1976:171) note que ces résultats ont été critiqués en tant qu'artefacts possibles de la méthode de mesure utilisée.

Une variable considérée comme très importante par l'ensem­ble des praticiens de l'interprétation, le débit de l'orateur, a également attiré l'attention des chercheurs (Treisman 1965, Barik 1973 et 1975, Goldman-Eisler 1967 et 1972, Oléron et Nanpon 1964, Chernov 1969, Gerver 1969). D'après les inter­prètes, ce débit serait optimal aux alentours de 100 à 120 mots/minutes (Seleskovitch 1968). Plusieurs chercheurs ont cherché à le manipuler expérimentalement pour en voir les effets sur les interprètes. Il ressort de ces expériences que face à des débits rapides, les interprètes ont tendance à prendre un recul plus grand, à faire davantage de pauses et à « parler moins » en maintenant un débit régulier (Gerver 1976:172). Face à un débit très élevé qui menace de saturer la capacité de l'interprète, Chernov (1969) évoque des tactiques de « compres­sion de texte » qui seraient utilisées par les praticiens. Pour appuyer cette idée, ü présente les résultats d'une expérience au cours de laquelle i l a compté les syllabes dans trois textes anglais, puis les a fait interpréter en simultanée vers le russe par des étudiants, et a compté les syllabes dans l'interprétation. Il s'est avéré que le russe comprenait davantage de syllabes

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que l'original anglais. En outre, les versions traduites par écrit étaient plus courtes que les versions interprétées. La même expérience répétée avec des interprètes confirmés à abouti à un nombre de syllabes en russe inférieur au nombre de syl­labes en anglais. Chernov en conclut que les interprètes che­vronnés ont usé de tactiques « de compression » leur permet­tant de diminuer le volume global de leur discours en langue d'arrivée.

Dans une démarche analogue, A. Krusina (1971) a comparé la longueur de versions anglaises, françaises et allemandes d'un discours en tchèque. En nombre de mots, les traductions étaient toutes de 30 à 40% plus longues que l'original. Toute­fois, en nombre de syllabes, le rapport s'inversait. Il en conclut qu'il vaut mieux mesurer le débit en syllabes qu'en mots. D. Gerver (1976:174) conteste la validité de ce choix, en souli­gnant que les syllabes ne constituent pas nécessairement des unités sémantiques, et que la traduction porte sur le sens, et non pas sur le son.

Un important aspect des conditions de travail de l'interprète est le bruit environnant. D. Gerver a réalisé une étude expéri­mentale sur cette question (Gerver 1972, 1974a). Son montage consistait en une expérience avec douze interprètes de confé­rence qui ont interprété en simultanée vers l'anglais ou répété avec décalage un discours français lu sous trois niveaux de bruit : nul, modéré et fort. L'augmentation du nombre des erreurs en fonction du bruit s'est avérée plus grande en simul­tanée que dans le shadowing. Par ailleurs, l 'EVS est resté le même pour les trois niveaux de bruit. Gerver en déduit que, pour garder un EVS constant, les interprètes affrontant de dif­ficiles conditions d'écoute préfèrent accepter de commettre davantage d'erreurs sans tenter de les corriger.

Gerver a également étudié l'effet du bruit sur la capacité des auditeurs de comprendre et de se rappeler une version en lan­gue d'arrivée de textes interprétés en simultanée et en consé­cutive en la présence de différents types de bruit. Les résultats font apparaître une certaine différence dans la compréhension en faveur de la consécutive.

Une autre question étudiée par les chercheurs psychologues et psycholinguistes est celle de la segmentation du discours source par l'interprète. Pour H. Barik (1969), les pauses dans le discours de l'orateur marquent peut-être les frontières des uni­tés de sens' pour l'interprète et l'aident à segmenter le discours source en vue de sa restitution en langue d'arrivée. F. Goldman-Eisler (1972) pense que cette segmentation peut se

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faire selon trois modalités : 1'« identité », qui consiste à coder l'ensemble du segment. de discours se situant entre deux pauses voisines, la « fission », qui consiste à commencer à coder ce même segment avant même qu'il soit terminé, et la « fusion », qui est le codage d'un enchaînement de deux ou plu­sieurs segments de discours bornés par des pauses voisines. Les résultats de son expérience font apparaître que la fré­quence relative d'occurrence de chacune de ces modalités dépend notamment de la langue de départ et de la langue d'ar­rivée dans chaque combinaison spécifique ; dans l'interpréta­tion à partir de l'allemand, les segments stockés en mémoire avant d'être restitués en langue d'arrivée étaient plus longs que dans l'interprétation à partir du français et de l'anglais.

Gerver (1971) a demandé à des étudiants en fin de cursus d'interprétation de traduire en simultanée les enregistrements de deux types de discours lus en français : les uns étaient pré­sentés tels quels ; dans d'autres, le, relief prosodique avait été affaibli, et toutes les pauses de plus d'un quart de seconde avaient été éliminées. Dans les discours en langue de départ, 80 % des pauses intervenaient au début ou à la fin de consti­tuants majeurs et 20 % au début ou à la fin de constituants mineurs. Dans la première condition, les pauses dans le dis­cours en langue d'arrivée étaient situées à 55 % après des mots marquant le début ou la fin de constituants majeurs en langue d'arrivée, dont 89 % au même endroit qu'en langue de départ ; 30 % étaient situées au début ou à la fin de constituants mineurs, et 15 % à l'intérieur des constituants. Dans la deuxième condition expérimentale, dans laquelle les pauses en langue de départ avaient été supprimées, les pourcentages res­pectifs étaient de 32 %, 42 96 et 26 %. Par ailleurs, la restitution du contenu s'est avérée plus complète dans la première condi­tion (avec pauses) que dans la seconde. Gerver en conclut que les pauses dans le discours en langue d'arrivée aident les inter­prètes à segmenter, à comprendre et à reformuler le discours en simultanée.

F. Goldman-Eisler (1972) a analysé la structure linguistique des segments de discours correspondant à l 'EVS. Il s'est avéré que la majorité de ces segments comprenaient au moins une expression predicative complète (NP + VP). F. Goldman-Eisler définit parmi ces segments EVS' sept types de structures grammaticales, et présente des statistiques sur leurs fré­quences d'occurrence selon les langues de départ, à savoir l'an­glais, le français et l'allemand.

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D'après certains chercheurs, les interprètes essaieraient de réduire l'intensité de l'effort qui leur est demandé en simulta­née en profitant des pauses dans le discours en langue de départ pour y insérer autant d'informations que possible en langue d'arrivée (voir par exemple F. Goldman-Eisler 1968). H. Barik (1973) a examiné cette hypothèse en étudiant par ordinateur le déroulement temporel des discours de départ et d'arrivée, et notamment les pauses de plus de 0,60 secondes y intervenant. Il a calculé la durée totale de chacun des 4 états suivants : l'orateur parle et l'interprète parle, l'orateur parle et l'interprète fait une pause, l'interprète parle et l'orateur fait une pause, l'interprète et l'orateur font une pause tous les deux. H. Barik a ensuite calculé statistiquement la proportion de temps de pause de l'orateur pendant lequel l'interprète devrait parler si les pauses de son discours étaient indépen­dantes de celles de l'orateur. Il s'est avéré que le chiffre théori­que escompté différait sensiblement du chiffre obtenu à partir des mesures effectuées sur les discours du corpus, ce qui, pour Barik, tend à corroborer l'hypothèse d'une utilisation par les interprètes des pauses dans le sens évoqué plus haut. Barik propose une explication de la fréquence élevée de l'état où l'orateur fait une pause pendant que l'interprète parle. Il note que dans le discours source, les pauses onftendance à interve­nir entre des unités de sens ; les interprètes écouteraient des unités de sens entières avant de commencer à les interpréter, et seraient donc davantage susceptibles de parler pendant les pauses de l'orateur que pendant que se déroulerait l'unité de sens dans le discours original.

Ce raisonnement est contesté par D. Gerver (1976 :182), qui fait remarquer que la plupart des pauses mesurées par F. Goldman-Eisler (1968) chez des orateurs dans différentes situations étaient d'une durée inférieure ou égale à une seconde, et qu'elles avaient une durée moyenne d'environ une à près de deux secondes dans les discours étudiés par H. Barik (1969). Il considère qu'étant donné ces ordres de grandeur, la stratégie postulée par ce dernier serait peu efficace, car l'on ne peut pas dire grand-chose en une à deux secondes.

Il n'en reste pas moins que l'état où l'orateur et l'interprète parlent tous les deux en même temps est très fréquent: 64% de la durée du discours de départ selon une étude de cas de Gerver (1972a). Dans les années 70, plusieurs chercheurs sovié­tiques, notamment Irina A. Zimnyaya, Ghelly Chernov et Ana-toly Shiryaev, ont procédé à des vérifications et ont trouvé que l'interprète parlait en même temps que l'orateur environ 70 %

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du temps (voir Chernov 1992). Une étude plus récente sur l'in­terprétation entre le russe et le tchèque .de I. Cenkova de Pra­gue (1985) fait apparaître des chiffres analogues. La simulta­néité du discours original et du discours cible sur une partie importante de la durée du discours est l'un des rares résultats factuels qui soient bien documentés dans la recherche sur l'in­terprétation. En revanche, la question de savoir dans quelle mesure cette simultanéité affecte la qualité de la prestation de l'interprète n'a pas été abordée.

I. Pinter (Kurz), la première interprète de conférence à soute­nir une thèse de doctorat sur l'interprétation (en psychologie, à l'université de Vienne, 1969), a étudie expérimentalement la capacité d'écouter et de parler en même temps chez quatre groupes de sujets : des interprètes chevronnés, des étudiants en fin de cursus d'interprétation, des étudiants en début de cur­sus d'interprétation, et de jeunes étudiants non inscrits en interprétation. Les sujets devaient répéter des phrases et répondre à des questions sous différentes conditions expéri­mentales, dont deux impliquaient une superposition temporelle de l'écoute et de la production. Il s'est avéré que les interprètes professionnels et les étudiants en fin de cursus d'interprétation avaient des résultats sensiblement meilleurs que les deux autres groupes, ce qui semble corroborer l'hypothèse d'une amélioration de la capacité d'écouter et de parler en même temps au fil de l'entraînement.

D. Gerver (1974b) a réalisé une expérience avec des étu­diants en fin de cursus d'interprétation qui ont écouté, inter­prété en simultanée ou répété avec décalage des discours enre­gistrés, puis subi un examen de compréhension et de rappel des passages concernés. Les résultats étaient meilleurs après l'écoute qu'après l'interprétation et la répétition avec décalage, ce qui semble indiquer une interférence due à la simultanéité de l'écoute et de la production. Ce résultat est corroboré par une récente étude de M . Viezzi (1990).

S'agissant du contenu du discours de l'interprète, H. Barik (1971) a fait une analyse détaillée de ce qu'il considère comme des erreurs de traduction. Il définit entre autres quatre catégo­ries d'omission :

1. Omission de segments d'un mot, tels que des qualificatifs. 2. Omission de segments plus importants pour cause

d'incompréhension. 3. Omissions dues à un EVS trop important. 4. Omissions dues au regroupement d'éléments provenant de

propositions différentes dans le discours de départ.

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Barik classe les erreurs sémantiques en deux catégories, lune où l'interprète restitue le sens de l'original, et l'autre où il l'altère sensiblement. Il classe aussi, parmi les erreurs et omis­sions, les changements dans l'ordre de présentation de l'infor­mation dans le discours d'arrivée par rapport au discours de départ.

Une autre question importante traitée par plusieurs auteurs est celle de l'anticipation. Cette idée est évoquée intuitivement par plusieurs auteurs, notamment • 0. Kade et C. Cartellieri (1971), qui parlent d'un modèle stochastique du discours construit par l'interprète avec une incertitude décroissante à mesure qu'il se déroule. G. Chernov (1973) a demandé à des sujets d'interpréter du russe en anglais des discours compre­nant des passages fallacieux, en ce sens que leur début laissait présager une suite dans un sens particulier, et que leur fin allait dans un autre sens. Dans son expérience, 75 % des inter­prétations des passages se sont avérées conformes aux attentes induites, et non pas au contenu réel du discours.

Enfin, D. Gerver (1976) présente un modèle du processus d'interprétation simultanée, qui, curieusement, n'est que rare­ment cité. Ce modèle se fonde sur une démarche psychologi­que axée sur le traitement de l'information, avec des opéra­tions de stockage et de retrait d'informations réalisées sur une mémoire tampon, différentes opérations de codage et de déco­dage, et des transformations de structures superficielles en structures profondes et inversement.

2.2 Un examen critique des travaux expérimentaux

En résumé, la recherche sur l'interprétation pendant les années 60 et le début des années 70 peut se caractériser comme suit : •

1. Elle provient presque exclusivement des psychologues et psycholinguistes, et la grande majorité des textes sont publiés dans des revues relevant de ces deux domaines.

2. Elle est empirique, et essentiellement expérimentale. 3. La somme des travaux reste très modeste et très disper­

sée. On note parmi les auteurs un Américain, un Britanni­que, quelques Soviétiques, une Autrichienne, deux Alle­mands, mais pas de groupe constitué en laboratoire ou appartenant à un institut de recherche.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 43

4. Comme on pouvait s'y attendre, les phénomènes étudiés sont ponctuels et correspondent aux préoccupations des psychologues plutôt qu'à des questions pratiques posées par des interprètes et directement applicables dans la pra­tique.

5. En ce qui concerne les résultats, on ne relève pas de nou­veautés ou de grandes découvertes, ce qui n'est guère surprenant compte tenu du très petit nombre d'études réalisées.

6. La plupart des travaux présentent des faiblesses méthodo­logiques assez importantes (voir ci-dessous).

Nous ne nous attarderons pas sur les problèmes techniques de la recherche expérimentale des années 60 tels que ceux posés par les appareils de mesure ou par les méthodes statisti­ques particulières utilisées. Ce dernier point est évoqué dans Gile 1990g. Ce qui nous semble mériter de retenir l'attention plus longtemps, ce sont les faiblesses qui caractérisent la démarche des chercheurs 'extérieurs' de cette époque de manière plus fondamentale, à savoir les problèmes liés à la méconnaissance qu'ils avaient des principes mêmes de l'inter­prétation.

Ces faiblesses peuvent être classées en plusieurs catégories, qui tournent autour des éléments suivants :

2.2.1 Les sujets - v

Au cours de cette première période de recherche, les expéri­mentateurs ont beaucoup recruté comme sujets non pas des interprètes professionnels, mais des étudiants, voire des «bilin­gues » sans formation ni expérience en interprétation. La ques­tion est de savoir dans quelle mesure les performances de tels sujets reflètent les processus intervenant chez les profession­nels.

A cette interrogation i l n'existe pas de réponse absolue, et i l nous semble que le rejet catégorique et a priori de toute expé­rience dont les sujets ne sont pas interprètes professionnels, comme il se manifeste au sein de certains groupes d'inter­prètes chercheurs, est injustifié. Pour prendre deux exemples à titre illustratif, i l ne semble pas déraisonnable de prendre des étudiants ou des « bilingues » pour une première exploration expérimentale sur la fatigue des yeux lors de la lecture des transparents et diapositives projetés à l'écran, ou sur la qualité

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de l'air en cabine au cours d'une journée d'interprétation, bien qu'il puisse exister des différences entre les interprètes profes­sionnels et des étudiants ou amateurs. Compte tenu de la rareté des. interprètes mobilisables comme sujets pour la recherche (voir Ch. 9), i l apparaît au contraire intéressant de commencer l'exploration par des non-professionnels pour ménager les ressources potentiellement mobilisables à un stade ultérieur.

En revanche, en ce qui concerne la recherche sur les proces­sus centraux de l'interprétation, des doutes sont permis. Il suf­fit pour s'en convaincre de considérer deux faits :

— Le faible taux de réussite à l'école d'interprétation :

Parmi les 'bilingues' venant se présenter aux examens d'ad­mission des principales écoles d'interprétation, candidats qui, en France, sont déjà titulaires d'au moins une licence, mais plus souvent d'une maîtrise universitaire, seule une minorité est admise en première année. Parmi eux, comme i l est men­tionné au Ch. 1 (voir aussi le Ch. 7), seule une fraction de la cohorte obtiendra le diplôme. Il est vrai que certains trouve­ront un autre chemin pour accéder à la profession (d'ailleurs, i l existe aussi des interprètes autodidactes), mais ils représentent une minorité très faible, statistiquement peu significative et qui, dans les pays occidentaux, tend à disparaître. Or, le diplôme d'interprétation n'est pas un concours, mais un exa­men de l'aptitude du candidat à exercer la profession d'interprète.

Sur cette base, i l ne semble pas déraisonnable de penser qu'un sujet choisi par l'expérimentateur sans raison autre que son 'bilinguisme' et sa disponibilité a moins d'une chance sur cinq d'avoir l'aptitude nécessaire à l'interprétation, et que même un étudiant en dernière année de cursus d'interpréta­tion a moins d'une chance sur deux d'avoir cette aptitude.

— L'effet d'apprentissage :

Indépendamment de la question des aptitudes linguistiques et intellectuelles intervient l'effet de l'apprentissage. En effet, la formation dure deux ans dans la plupart des écoles, et six mois dans les stages intensifs proposés par les Nations Unies et la Commission des Communautés européennes. Pendant cette période, les étudiants apprennent un certain type d'écoute, une certaine forme d'analyse, le partage de l'attention, le contrôle de la production en langue d'arrivée en la présence auditive de

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la langue de départ, la lutte anti-interférences plus particulière­ment, un ensemble de tactiques pour faire face aux autres dif­ficultés (présentées au Ch. 4). Certaines différences dans les performances entre sujets se situant à différentes étapes de l'apprentissage ont d'ailleurs été documentées, notamment par I. Pinter (1969), G. Chernov (1969) et P. Gerver (1974b), qui affirme d'ailleurs lui-même au début de sa synthèse sur la recherche en interprétation (1976:167) que les aptitudes qui se développent chez les interprètes ne: se retrouvent pas dans la population générale des bilingues.

En conséquence, i l apparaît également risqué de partir de l'hypothèse selon laquelle la prestation de sujets non formés ou en cours d'apprentissage serait un bon reflet des processus intervenant chez les professionnels confirmés, même s'ils pré­sentent les aptitudes linguistiques et intellectuelles de base.

2.2.2 Les matériaux

De nombreux discours utilisés dans les expériences décrites ci-dessus sont des textes écrits. Or, généralement, ceux-ci diffè-rent sensiblement des discours spontanés par leur structure grammaticale, leur densité informationnelle, et (parfois) leur lexique (Halliday 1985). Il pourrait en résulter des différences sensibles, tant qualitatives que quantitatives, dans les processus engendrés dans l'interprétation. S'y ajoute le côté prosodique qui, comme le soulignent les^ chercheurs psychologues, peut influer fortement sur ces processus. L'importance pour l'inter­prète de la différence entre discours spontanés et discours lus est régulièrement soulignée par les praticiens, et a fait l'objet d'une thèse de doctorat (Déjean Le Féal 1978). Les expériences utilisant des discours lus ne sauraient donc a priori être consi­dérées comme représentatives de situations sur le terrain autres que celles où l'interprète a affaire à des orateurs lisant des discours préparés à l'avance. "

S'y ajoute la question du type même de texte utilisé. En effet, en conférence, les textes lus appartiennent à un nombre restreint de catégories. Ce sont le plus souvent des discours officiels, des communiqués de presse, de courts extraits de textes réglementaires et judiciaires, des résolutions, des com­munications scientifiques, dont chacun présente peut-être des difficultés spécifiques et donne peut-être lieu à des processus et tactiques d'interprétation différents. On peut se demander dans quelle mesure les proce3sus engagés lors de la traduction

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des textes utilisés dans les expériences des années 60, tels que des articles du Courrier de l'UNESCO,/voire des phrases isolées ou des mots isolés (Treisman 1965), sont comparables à ceux qui interviennent dans 1 interprétation simultanée sur le terrain.

2.2.3 Les conditions expérimentaies

Un autre problème réside dans le fait que dans plusieurs expériences, les interprètes n'ont pas travaillé dans leur combi­naison linguistique habituelle (Barik 1973, 1975, Oléron et Nan­pon 1964), ce qui est susceptible d'avoir modifié certains pro­cessus, les sujets n'ayant pas nécessairement dans ces combinaisons linguistiques inhabituelles les mêmes réflexes et tactiques que dans leurs prestations usuelles (voir Nowak-Leeman 1990).

De manière plus générale se pose la question de savoir si les processus intervenant en laboratoire, c'est-à-dire dans un envi­ronnement artificiel, où l'interprète ne réagit pas à un véritable objectif de communication et à l'ensemble des stimulations présentes en salle de conférence, y compris les réactions du public, sont comparables à son travail en situation réelle. Il s'agit là de l'un des problèmes les plus fondamentaux de la recherche expérimentale en général, qui se pose dans bien d'autres disciplines, surtout dans les sciences humaines (voir Gile 1990g).

2.2.4 Les définitions, inferences et évaluations

Dans ces premiers travaux des psychologues apparaissent aussi des problèmes ayant trait à des définitions et des raison­nements. Certains relèvent du simple bon sens. Il en est notam­ment ainsi de l'idée de l'utilisation des pauses de l'orateur par l'interprète pour réduire le temps où i l devra parler et écouter en même temps, postulée par H. Barik et F. Goldman-Eisler, et contestée par D. Gerver (voir plus haut).

D'autres faiblesses ont une nature plus fondamentale. Ainsi, dans une analyse de la recherche sur l'interprétation simulta­née, C. Stenzl (1983) note des problèmes dans la définition de la qualité du travail en interprétation. ' Sont concernées plus spécialement les « erreurs et omissions », définies par Barik et par Gerver — de manière « purepient subjective » de l'aveu de ce dernier (1976: 186). Pour objectiver quelque peu ces cri-

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 47

teres, i l fait appel à deux évaluateurs, qui avaient une expé­rience « de la correction de traductions écrites jusqu'au niveau de la première année d'université ». On peut douter de l'équiva­lence a priori de l'évaluation à la lecture de textes écrits avec l'évaluation à l'écoute de discours oraux. Les différences ne tiennent pas seulement à des critères purement linguistiques (on sait que l'oral est plus tolérant que l'écrit à la grammaire formelle, et que des informations peuvent passer sans être ver­balisées à travers des indices visuels ou vocaux), mais aussi aux stratégies de fidélité des interprètes (Ch. 5), qui ne corres­pondent pas nécessairement à celles des traducteurs. Ainsi, les interprètes peuvent décider de modifier quelque peu un texte tout en lui préservant sa valeur sémantique (l'une des catégo­ries d'erreurs' selon Barik) là où les traducteurs hésiteraient. De même, les interprètes peuvent vouloir ajouter' un mot ou une expression par rapport à ce qu'a dit l'orateur pour être plus clairs au bénéfice des destinataires, par exemple s'ils sup­posent que ces délégués n'ont pas une très bonne connaissance de la langue d'arrivée, là où les traducteurs hésiteraient à prendre la même liberté. La question n'est pas de savoir si les définitions et stratégies des interprètes sont bonnes dans l'ab­solu, mais quand on examine l'effet de facteurs perturbateurs sur l'interprétation, i l paraît raisonnable de cerner et de mesu­rer les déviations par rapport aux buts recherchés par les interprètes dans leur discours, et non pas les écarts par rapport à des définitions de tiers, dont on ne sait pas dans quelle mesure elles correspondent à ce que recherchent les inter­prètes. On notera aussi, à propos de H. Barik, qu'il prend le ris­que de déterminer non seulement la nature des erreurs, mais aussi leur origine (notamment l'incompréhension et le retard excessif pris par l'interprète par rapport à l'orateur), sans tou­tefois indiquer comment i l trouve celle-ci.

On évoquera aussi l 'EVS ou décalage temporel entre la réception d'un message par l'interprète et sa reformulation en langue d'arrivée. Comme le souligne C. Stenzl en citant M. Lederer (1981a), l 'EVS est difficile à mesurer, car un mot peut être restitué par une paraphrase, par un trait prosodique ou par d'autres moyens, et non pas par un mot précis en lan­gue d'arrivée. En revanche, i l est possible de mesurer l 'EVS pour les débuts et fins de phrase, ce qui peut présenter un cer­tain intérêt : en effet, la mise en évidence d'une différence sen­sible entre l'EVS moyen selon le couple langue de travail-langue d'arrivée pèserait en faveur de l'hypothèse de la dépen­dance de l'interprétation à l'égard de la combinaison linguisti-

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que, thèse combattue par certains théoriciens (voir Ch. 8). Tou­jours à propos de l'EVS et de l'hypothèse de D. Gerver (1976 :175) selon laquelle les interprètes accepteraient de sacri­fier la précision au maintien dun EVS constant, i l n'est pas déraisopnable de penser que les interprètes cherchent un équi­libre entre un EVS court ne risquant pas de surcharger leur mémoire à court terme d'une part, et un recul suffisant leur permettant de reformuler une information suffisamment com­plète et bien assimilée d'autre part. Toutefois, considérer le maintien d'un EVS constant comme un but en soi s'opposant à la recherche de la fidélité informationnelle, c'est méconnaître profondément la mission et les priorités des interprètes telles qu'ils les voient (Ch. 5).

C'est donc bien essentiellement la méconnaissance de l'inter­prétation qui fait la faiblesse de ces travaux expérimentaux de la première génération. Ces insuffisances, mais aussi, peut-on penser, le fait même que des chercheurs scientifiques se soient intéressés à l'interprétation, ont poussé les praticiens à réaliser leurs propres tentatives.

3. La période des praticiens : les années 70 et 80

3.1 Introduction

Les recherches menées par les psychologues et psycholin­guistes sur l'interprétation ne satisfaisaient pas les praticiens, en ce sens qu'elles n'apportaient pas de résultats applicables susceptibles d'aider ces derniers à améliorer leur prestation ou à mieux former leurs futurs confrères. Les praticiens étaient également déçus au vu des faiblesses méthodologiques que présentaient ces premiers travaux expérimentaux. Dans le même temps, la réflexion personnelle et théorique sur l'inter­prétation prenait de l'essor dans les écoles rattachées à des universités, notamment à Paris. C'est ainsi que naquit un mou­vement parallèle d'interprètes, essentiellement des enseignants, qui décidèrent de chercher des réponses à leurs questions par leurs propres moyens.

Dans plusieurs pays, les praticiens commencèrent à réfléchir sur les mécanismes sous-tendant l'interprétation. De nombreux articles parurent dans les organes des écoles, puis dans le Bul­letin de l'AIIC, ainsi que dans différentes revues de traduction et autres périodiques. Puis les thèses d'interprètes se multiplié-

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 49

rent, avec notamment la mise en place d'un cursus de 3 e cycle en traduction et en interprétation h l'ESIT à Paris.

En 1977 fut organisée à Venise, à l'initiative de deux psycho­logues, D. Gerver et H. Wallace Sinaiko, une réunion entre chercheurs dans les sciences linguistiques et comportementales d'un côté, et les interprètes de l'autre, en vue d'échanger des idées et d'élaborer des projets de coopération dans la recherche entre les deux communautés (Gerver et Sinaiko 1978). Sur ce plan, le colloque fut un,échec, les praticiens reje­tant la démarche des scientifiques, et i l n'y eut pas de suite. Comme le fait remarquer Laura Gran de Trieste (Gran et Dodds 1989:11), ce fut le début d'une longue période, quelque dix ans, marquée par une absence presque totale de dialogue entre les praticiens et la communauté scientifique. Il semble en effet qu'à l'exception des chercheurs soviétiques, qui, si l'on en juge d'après les comptes rendus qu'en font H . Salevsky (1987a) et G. Chernov (1992), semblent s'être intéressés depuis toujours à la psychologie, à la linguistique et à la recherche empirique, les praticiens auteurs d'études sur l'interprétation semblent dans l'ensemble avoir, délibérément ou non, ignoré les connais­sances et les méthodes de la communauté scientifique.

3.2 Caractéristiques générales de la période

Avant d'analyser de manière plus détaillée l'activité de thé­orie et de recherche menée pendant cette période, i l semble intéressant d'en indiquer en synthèse les principales caracté­ristiques :

3.2.1 Une activité de recherche menée par des praticiens-ensei-• ' gnants

Entre le milieu des amiées 70 et le milieu des années 80, la quasi-totalité des travaux de recherche et de théorisation sur l'interprétation ont été menés par des praticiens ou des ensei­gnants de l'interprétation. Les derniers travaux de H. Barik et de E Goldman-Eisler datent du début de la décennie, et la der­nière publication de D. Gerver est le volume d'actes de la conférence de Venise citée ci-dessus. A partir de ce moment là et jusque vers le milieu des années 80, la grande majorité des écrits réflexifs, théoriques et empiriques sur l'interprétation — plusieurs centaines d'entrées dans notre bibliographie person­nelle— sont signés de praticiens qui enseignaient l'interpréta-

50 DANIEL GILE

tion. On notera aussi une vingtaine de mémoires de fin d'études réalisés par des étudiants en Allemagne (à l'école de Heidelberg), en Italie (à l'école de Trieste) et au Japon (à la International Christian University de Tokyo).

Les principaux centres de réflexion sur l'interprétation durant cette période sont Paris (notamment l'ESIT), l'Alle­magne, les Etats-Unis (notamment l'école de l'université de Georgetown, dans le troisième tiers de la période), Tokyo, Mos­cou et la Tchécoslovaquie. Les articles et livres de praticiens non-enseignants viennent surtout du Japon, avec des textes de type anecdotique.

Notons au passage que ces centres de réflexion ont une pro­duction très modeste, puisque d'après notre bibliographie per­sonnelle, au total, à l'exception de la France en 1981, 1984 et 1985, aucun n'a produit plus de 10 publications par an durant cette période, la moyenne mondiale annuelle des textes pro­duits, tous centres et toutes catégories confondues, étant de l'ordre de 10 entre 1970 et 1974, de 20 entre 1975 et 1979, et de 25 entre 1980 et 1984. En outre, ces centres tournaient autour d'un très petit nombre de théoriciens et chercheurs. Si l'on examine le nombre des auteurs de textes sur l'interpréta­tion appartenant à chaque centre géographique, seules l'Alle­magne, la France et l'Union Soviétique comptent plus de 10 auteurs. Au total, l'ensemble des textes durant cette période sont produits par quelque 80 auteurs. Il s'agit donc d'une petite communauté, très éparpillée à travers le monde.

3.2.2 L'essentiel des travaux est de type réflexif ou théorique

Par opposition aux années 60, au cours desquelles l'essentiel de la recherche a été mené par des chercheurs fortement orientés vers la démarche expérimentale, les années 70 se caractérisent par une augmentation relative de la masse des considérations fondées sur la seule expérience personnelle de chacun plutôt que sur une démarche d'observation systémati­que de phénomènes spontanés ou provoqués en laboratoire. Cette tendance personnelle se développe surtout en Occident, notamment en France. En même temps se cristallise dans les deux Allemagnes, à Heidelberg, puis à Germersheim en RFA et à Berlin et à Leipzig en RDA, un mouvement théorique axé sur la linguistique et couplé avec la recherche théorique sur la tra­duction écrite.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 51

Cette caractéristique est fortement corrélée avec le fait que l'essentiel de la recherche est mené par des praticiens et des enseignants venant pour la plupart des disciplines littéraires, et plus particulièrement de l'étude des langues vivantes et des civilisations étrangères ; ni les uns ni les autres ne sont formés à la recherche empirique. Par ailleurs, celle-ci avance par petits pas : i l s'agit d'abord de recueillir des données ; puis des hypo­thèses sont élaborées, vérifiées à travers d'autres observations et expériences, corrigées le cas échéant, la progression étant très prudente. Ce type de démarche ne répondait manifeste­ment pas à ce que cherchaient les praticiens et chercheurs, à savoir des réponses pratiques et quasiment immédiates pour leur permettre d'améliorer la qualité de leur travail ainsi que leurs méthodes de formation. Troisièmement, comme il est indiqué au Ch. 1, tant la motivation que la disponibilité man­quaient pour ce type de travail au' long cours demandant, en plus de la partie créative, de longs efforts de traitement méca­nique' des données (transcription, classement, comptage ou autres mesures, traitement statistique). On notera à cet égard que le faible volume de recherche empirique qui a tout de même été réalisé pendant cette période l'a surtout été dans les pays de l'Est, notamment en Union soviétique et en Tchécoslo­vaquie. Ce phénomène s'explique peut-être partiellement par le fait que les enseignants et praticiens y étaient fonctionnaires, avec des horaires relativement réguliers et des revenus plus ou moins indépendants du nombre de journées d'interprétation accomplies; dans les pays occidentaux, le statut libéral de la quasi-totalité des praticiens fait qu'ils donnent la priorité non pas à la recherche, mais à la pratique de l'interprétation, dont provient la quasi-totalité de leurs revenus même quand ils sont enseignants.

On mentionnera aussi les faiblesses méthodologiques des expérimentateurs, évoquées plus haut, qui ont jeté parmi les praticiens la suspicion non seulement à l'égard des psycholo­gues et psycholinguistes, mais aussi à l'égard de la démarche expérimentale en tant que telle.

En revanche, la réflexion personnelle et la théorisation com­portaient une grande part de création et très peu de travail de recueil et de traitement de données. Elles pouvaient se dérou­ler au domicile du chercheur, sans contrainte d'horaires, sans le passage obligé par l'apprentissage de méthodes d'élaboration de plans expérimentaux et de techniques statistiques, sans la rigueur d'une logique axée sur des domiées concrètes obtenues dans des situations précises. En outre, la réflexion personnelle

52 DANIEL GILE

et la théorisation permettaient aux chercheurs d'aborder d'em­blée les questions qui fes intéressaient, à savoir les principes et théories directement applicables à la pratique de l'interpréta­tion et de son enseignement. La tendance suivie dans la recherche par les praticiens et enseignants s'explique donc fort bien (voir aussi Moser-Mercer 1991).

3.2.3 Pes travaux fortement cloisonrjés

Durant les années 70 et jusque vers la fin des années 80, des travaux étaient réalisés dans plusieurs centres répartis dans le monde, en partie par des groupes de chercheurs constitués, comme à l'ESIT à Paris, en partie par des étudiants à l'occa­sion de leur mémoire de fin d'études, comme à Heidelberg et à Trieste, mais souvent aussi par des individus isolés. Qui plus est, si de nombreux chercheurs en interprétation dans diffé­rents pays étaient au courant des travaux menés à l'ESIT grâce à la puissante diffusion des écrits qui en émanaient, la grande majorité d'entre eux, y compris d'ailleurs les cher­cheurs de l'ESIT, ne savaient pas ce qui se faisait ailleurs. Au cours de nombreuses visites dans des universités et écoles d'in­terprétation dans différentes parties du monde depuis 1985, nous avons pu constater que les chercheurs que nous avons rencontrés ignoraient une proportion étonnante des travaux de leurs confrères dans d'autres pays, voire dans leur propre pays.

A cet état de fait, quatre explications possibles :

— Les obstacles linguistiques

Ceux-ci existent même au sein de la communauté des tra­ducteurs et interprètes. On admettra sans difficulté que les Européens de l'Ouest et les nord-Américains n'aient pas pu lire les textes écrits en russe, en chinois ou en japonais. En revanche, l'explication linguistique ne tient pas pour les Japo­nais qui ne connaissaient pas les publications en anglais. L'obs­tacle linguistique explique aussi que de nombreux textes rédi­gés en allemand n'aient pas été lus en dehors des pays germanophones (voir Stenzl 1983, Snell-Hornby 1992). Ce dont on se rend moins compte, c'est que des textes rédigés en fran­çais sont restés inaccessibles à de nombreux chercheurs en interprétation, notamment en Asie et en Australie, mais aussi dans certains pays européens.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 53

— Des barrières politiques

Elles expliquent surtout que l'information ait eu beaucoup de niai à circuler entre les pays de landen «bloc de l'Est» et les pays occidentaux, d'où la méconnaissance en Occident de ce qui se faisait en Union soviétique et en Tchécoslovaquie.

— La formation des praticiens à la recherche

Contrairement aux psychologues et psycholinguistes, les pra­ticiens, qui n'ont pas été formés spécifiquement à la recherche, ne suivent pas la discipline de la recherche, et notamment ne cherchent pas systématiquement à prendre connaissance de tous les travaux réalisés sur un thème avant de l'aborder eux-mêmes. On est fondé à croire que s'ils étaient passés par cette étape dans leurs travaux plutôt que de ne se fonder que sur leurs propres observations et réflexions, la communication entre interprètes-chercheurs, au moins dans les pays occiden­taux, aurait été sensiblement meilleure.

— Les attitudes

Il nous semble toutefois incontestable que dans certains cas au moins, le cloisonnement ait été le résultat non pas de fac­teurs extérieurs, mais de la volonté — en l'occurrence le man­que de volonté — des chercheurs. Ce facteur est notamment manifeste chez les chercheurs japonais, qui ne semblent pas avoir cherché à connaître les écrits occidentaux sur l'interpré­tation. Lors d'un séjour de recherche d'un an au Japon entre août 1985 et septembre 1986, nous avons pu nous rendre compte que non seulement les Japonais ne lisaient pas ces textes, mais qu'ils s'en désintéressaient, probablement en rai­son de leur approche plus pragmatique que théorique et scien­tifique de l'interprétation. Plus frappant encore, le groupe de l'ESIT, dont les membres se citent constamment, mais ne se réfèrent quasiment jamais à des travaux sur l'interprétation extérieurs à leur école (voir Brisset 1993).

3.3 La « théorie du sens »

Pendant les années 70 intervient une véritable explosion des publications sur l'interprétation, qui se poursuit d'ailleurs dans les années 80. Dans cette masse de textes, le groupe de l'ESIT

54 DANIEL GILE

occupe une place très importante. Non seulement ses écrits en représentent près de 20 %, mais y figurent notamment un livre à grand succès, L'interprète dans les conférences internatio­nales de D. Seleskovitch (1968), ainsi qu'une dizaine de thèses de doctorat, face à un total de cinq thèses soutenues ailleurs pendant la même période. C'est aussi dans les années 70 qu'a été créé à l'ESIT un programme d'études doctorales en traduc­tion et en interprétation, le premier dans son genre (qui est d'ailleurs resté unique en France, alors que des chaires de tra­duction et interprétation ont été créées ailleurs, notamment en Autriche). Sous l'énergique impulsion de D. Seleskovitch, l'ESIT s'est fortement implantée au sein du groupe d'écoles dont pro­viennent la plupart des chercheurs et théoriciens de l'interpré­tation, et ses idées, notamment la 'théorie du sens', flatteuses pour l'interprétation et les interprètes, ont pris une position dominante au sein de la communauté des enseignants.

La 'théorie du sens', ou 'théorie interprétative de la traduc­tion', postule que lors de la traduction, le traducteur (ou inter­prète) écoute le discours en langue de départ, en extrait le 'sens' ou 'message' en « oubliant volontairement » l'enveloppe linguistique en langue de départ (Seleskovitch 1968:35), puis reformule ce même 'sens' en langue d'arrivée sans référence à l'enveloppe linguistique initiale. Pour traduire, trois conditions doivent être réunies :

— La compétence traductionnelle, qui n'est pas définie explicitement.

— La maîtrise des langues de départ et d'arrivée, — Une bonne connaissance du sujet et de la situation de

communication.

A partir de là, le traducteur (ou interprète), qui est « l'égal intellectuel de l'auteur ou orateur » (Seleskovitch et Lederer 1984:165-166), est en mesure de traduire, et ce quelles que soient les langues de départ et d'arrivée, et sans difficultés par­ticulières dues à la combinaison linguistique spécifique concer­née (voir Ch. 8).

Ce schéma présente un attrait certain pour les enseignants-praticiens :

— D'une part, i l correspond à une stratégie réelle qui s'est cristallisée au fil des ans chez les interprètes, et qui a pour mérite de les délivrer de la lenteur et des dilemmes de la servi­tude comparatiste. L'interprète considère que son devoir de fidélité se rapporte au 'vouloir-dire' de l'orateur tel qu'il le per­çoit, et ne s'attarde pas sur les éventuelles divergences entre

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 55

les paroles effectivement prononcées en langue de départ et les mots prononcés en langue d'arrivée. La 'théorie du sens' donne à cette stratégie une justification doctrinaire qui dispense sçs tenants d'une justification théorique ou expérimentale de ce concept de la fidélité :

«La pratique de l'interprétation a prouvé que cette latitude (à l'égard des mots du discours) critiquée dans le passé sur le plan traductologique théorique comme marque d'infidélité à l'égard de l'original, est le meilleur garant de la fidélité à son fond et à sa forme » (Seleskovitch et Lederer 1989 :251).

— La 'théorie du sens' est d'une grande simplicité, et son assimilation ne demande pas l'acquisition d'un bagage théori­que. Les opérations de compréhension et de reformulation n'y sont pas analysées en détail. La théorie se contente d'indiquer que la compréhension s'appuie sur les connaissances linguisti­ques et extra-linguistiques existantes et sur les connaissances, linguistiques et extra-linguistiques, que fournissent la situation et le contexte.

— La 'théorie du sens' est valorisante pour l'interprète, en ce sens qu'elle met l'accent sur l'analyse qu'il effectue à tout moment, analyse qui le place haut sur le plan intellectuel, au-dessus du «linguiste» qui ne fait que « transcoder », c'est-à-dire chercher mécaniquement des équivalences linguistiques.

— Enfin, la 'théorie du sens' a des applications dans la for­mation des traducteurs et interprètes : elle asseoit la nécessité pour les étudiants de maîtriser parfaitement leurs futures lan­gues de travail avant même d'entamer l'apprentissage du métier, et concentre fortement les efforts pédagogiques sur l'analyse plutôt que sur les équivalences linguistiques.

La solide implantation de la 'théorie du sens' dans la com­munauté des enseignants durant cette période peut également être attribuée à des facteurs sociologiques. En effe% son princi­pal porte-parole, D. Seleskovitch, avait soutenu le premier doc­torat français sur l'interprétation et créé le premier pro­gramme doctoral sur la traduction et l'interprétation en France. La série de thèses sur ^ l'interprétation soutenues à l'ESIT au cours des années 70 avait renforcé le prestige de l'école. Les idées qui y étaient défendues bénéficiaient naturel­lement de cette situation.

L'implantation de la 'théorie du sens' dans une position dominante a pendant de nombreuses années frappé d'un tabou les recherches linguistiques sur l'interprétation (voir Ch. 8). A cela s'ajoute un rejet catégorique de rexpérimentation qui, selon les tenants de la 'théorie du sens', ne saurait être une

56 DANIEL GILE

démarche de recherche valable, car elle ne peut reproduire l'ensemble des éléments de la communication sur le terrain, éléments qui jouent un rôle essentiel dans les processus de l'interprétation. Pour Seleskovitch et Lederer, seules les situa­tions « authentiques » constituent Une bonne base pour l'obser­vation de l'interprétation (Seleskovitch dans Seleskovitch et Lederer 1984:263).

Les faiblesses des travaux expérimentaux menés par les psy­chologues durant les années 60 et au début des années 70 y étaient pour quelque chose, mais peut-être y avait-il aussi une certaine attitude défensive de la part des praticiens-chercheurs : ayant trouvé leur terrain de chasse, ils marquaient leur territoire et le défendaient contre toute incursion étran­gère en rejetant la démarche des scientifiques, et en allant jus­qu'à poser que seuls les praticiens étaient qualifiés pour la recherche sur l'interprétation, les autres ne comprenant pas la nature de celle-ci. Cette attitude se manifeste d'ailleurs par un langage parfois assez violent. Ainsi, se référant aux erreurs commises dans les années 60, M . Lederer critique « certains psychologues, qu'il est plus charitable de ne pas nommer ici... » (Seleskovitch et Lederer 1984:146), et D. Seleskovitch affirme que « depuis près d'un siècle... [la psychologie] ...se contente d'étudier les réflexes conditionnés de petits rongeurs » (Seles­kovitch et Lederer 1984:295).

3.4 Thèmes et réalisations

3.4.1 La formation

Pendant les années 70 et 80, les thèmes liés à la formation des interprètes ont sans aucun doute été ceux qui ont rassem­blé le plus grand nombre d'écrits sur l'interprétation, que ce soit sous forme d'articles, de communications ou de livres. Même les textes ne traitant pas explicitement de ce thème comportent souvent des références aux applications en matière de formation.

Si l'on examine l'ensemble de ces publications, on s'aperçoit qu'il s'agit essentiellement de textes normatifs et réflexifs. On notera aussi la grande place qu'y prend la consécutive, et plus particulièrement la prise de notes. Les textes sont assez répéti­tifs, en ce sens qu'ils reprennent les mêmes idées, parfois contradictoires, et que les débats prennent la forme d'une suc­cession • d'affirmations et contre-affirmations (notamment en

REGARDS SUR LA. RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 57

matière de 'shadowing', de travail vers la langue B, de chrono­logie dans la progression de la consécutive à la simultanée), sans tentatives d'approfondissement ou de vérification empirique.

Quelques tentatives de recherche ont néanmoins été faites (voir par exemple Moser 1978), mais elles ne semblent pas avoir été suivies d'applications au sein des écoles, qui ont pré­féré s'en tenir à des critères intuitifs. Actuellement, on peut considérer que les méthodes en cours dans les écoles les plus connues, teUes que décrites par exemple dans Delisle 1981 et dans Seleskovitch et Lederer 1989, relèvent toujours de l'intui­tion et non pas de la recherche. La recherche sur la formation est présentée plus amplement au Ch. 7.

3.4.2 Les modèles de l'interprétation

Si les chercheurs non interprètes, qui étaient pour la plupart psychologues cogniticiens et psycholinguistes, se sont penchés sur des questions précises relevant des processus linguistiques et psychologiques intervenant en interprétation, du côté des chercheurs-praticiens, en dehors de la formation, ce sont les modèles de l'interprétation qui semblent avoir fait l'objet des efforts de recherche les plus nombreux.

Le modèle le plus simple de l'interprétation est le concept « triangulaire » de la 'théorie du sens' expliqué plus haut.

Dans la même lignée, Mariano Garcia-Landa (1978) reprend le principe abstrait comprehension-reformulation et en expli­cite les paramètres théoriques à travers une formule à l'allure mathématique, en y ajoutant la différence qui peut intervenir entre le sens que l'orateur cherche à exprimer et celui que comprend l'interprète. M . Garcia-Landa reconnaît par là impli­citement que la perception du discours de l'orateur par l'inter­prète n'aboutit pas à «La compréhension » dans l'absolu, comme semble l'impliquer le modèle triangulaire idéalisé défendu par D. Seleskovitch.

Marianne Lederer (1981) reprend l'idée d'une compréhension axée sur le « sens » plutôt que sur la « signification linguistique » des mots. Elle affine quelque peu l'analyse de la phase de com­préhension en parlant d'une compréhension par « unités de sens » successives, qui sont l'élément de base opérationnel de l'interprétation, et précise que l'interprète de simultanée effec­tue huit actions qui se chevauchent dans le temps :

1. L'audition du discours

58 DANIEL GILE

2. La compréhension du discours 3. L'intégration des unités . de sens à des connaissances

antérieures 4. L'énonciation à partir de la mémoire cognitive 5. La restitution à partir de la langue originale (opération de

calque) 6. L'évocation de termes à partir de la mémoire vocale 7. Le contrôle auditif du discours d'arrivée 8. La prise de conscience de la situation ambiante

Marianne Lederer ne précise pas comment ces opérations s'intègrent les unes par rapport aux autres dans un processus cohérent, et ne fait pas intervenir dans son analyse les connais­sances de l'époque en linguistique et en psycholinguistique.

Rappelons aussi le modèle de communication de H. Kirchhoff (1976), dit « modèle à trois participants et deux langues », où est montré le parcours d'un concept à partir de son codage linguistique, puis de son expression verbale par l'orateur, vers la compréhension' par l'interprète, qui se fait grâce à ses connaissances, puis, à travers le codage et l'expres­sion verbale par l'interprète, vers sa compréhension par le des­tinataire. Ce modèle ne précise pas non plus les processus cognitifs.

Contrastant avec ces modèles très schématiques, les modèles de David Gerver (1976) et de Barbara Moser (1978) sont fon­dés sur la psychologie cognitive. Ils se décomposent eux aussi en une phase de compréhension et une phase de reformula­tion, et comportent différentes étapes de détection de caracté­ristiques phonétiques, d'analyses, de comparaisons entre des contenus de mémoires à court et à long terme, de décisions sur l'identité linguistique des segments de discours, puis une étape de production de discours qui est détaillée en termes de traitements linguistiques, d'opérations d'anticipation et de tests.

Enfin, i l convient d'évoquer deux modèles russes, celui de Chernov (1978) et celui de Shiryaev (1979). Pour ce dernier, la simultanée se compose de trois étapes : 1'« orientation », qui correspond à la compréhension, la « recherche », qui consiste en la prise de décisions de traduction, et 1'« exécution ». Les « niveaux de conscience » se déterminent par un « mécanisme de synchronisation », qui semble englober les opérations de gestion de la capacité de traitement (voir Ch. 4). D'après Cher­nov (1992), ce modèle n'a pas été soumis à une vérification empirique.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 59

Le modèle de Chernov n'est pas une description du proces­sus d'interprétation, mais une analyse des inferences, essentiellement de l'anticipation, qui se déroulent pendant l'in­terprétation. Chernov considère que le savoir pré-existant de l'interprète lui permet une certaine anticipation du contenu du discours de l'orateur, et que ce savoir s'enrichit au fil du dis­cours et permet une anticipation de plus en plus fine à diffé­rents niveaux linguistiques et discursifs (le « pronostic probabi-liste »). Chernov postule aussi des déplacements de l'attention en fonction de la situation : quand le discours en langue de départ est suffisamment redondant, l'interprète déplace toute son attention vers la production de son propre discours ; inver­sement, quand des problèmes se posent dans la compréhen­sion en raison de difficultés linguistiques ou autres, son atten­tion est concentrée sur le discours en langue de départ, ce qui fait d'ailleurs que les erreurs commises éventuellement en lan­gue d'arrivée ne sont plus corrigées. Chernov considère le pou­voir explicatif de son modèle comme supérieur à celui de Shi-ryaev (Chernov 1992).

Enfin, les modèles d'Efforts de Gile, présentés en détail au Ch. 4,. ne se focalisent pas sur le processus, mais tentent d'ex­pliquer les problèmes récurrehts à travers l'examen des contraintes qu'implique l'interprétation en matière de capacité de traitement.

3.4.3 Autres études et thèmes

Parmi les autres thèmes qui ont mobilisé l'attention des pra­ticiens pendant la période s'étendant des années 70 jusque vers le milieu des années 80, citons :

— La consécutive, et notamment la prise de notes en consé­cutive (voir par exemple Lampe-Gegenheimer 1972, Cerrens 1975, Henderson 1976, Xlg 1980 et 1982, Kirchhoff 1979, Capaldo 1980, Thiéry 1981, Gran 1981, Schweda-Nicholson 1985).

— Les questions linguistiques, et plus particulièrement les problèmes de connaissance des langues chez les interprètes, l'expression orale, le perfectionnement linguistique, le bilin­guisme (voir Ch. 8).

— La comparaison entre la traduction et l'interprétation (Eberstark 1982, Gile 1986b et bien d'autres).

— La qualité du travail (voir le Ch. 6).

60 DANIEL GILE

— Les problèmes de santé et de stress chez les interprètes de conférence sont évoqués dans Kolmer 1981, Kurz 1981 et 1983c,d, Cooper, Davies et Tung 1982.

— Des questions psycho-sociologiques touchant essentielle­ment le statut des interprètes sont traitées dans Kurz 1983a, Zeller 1984, Rojas 1987, Kondo 1988.

— L'histoire de l'interprétation intéresse elle aussi quelques auteurs praticiens. Outre les comptes rendus sur les procès de Nuremberg et sur l'évolution de la profession sous sa forme moderne (Haensch 1956, Herbert 1978, Nishiyama 1988, Ram­ier 1988), i l existe quelques travaux sur l'interprétation dans l'antiquité et à d'autres moments de l'histoire (Glaesser 1956, une petite série d'articles d'I. Kurz enumeres dans la bibliogra­phie en fin d'ouvrage, Bertone 1987, etc.).

Toutefois, la plupart des ces travaux (à l'exception des textes historiques) sont des essais de réflexion ou textes normatifs plutôt que des travaux de recherche proprement dits, et la grande majorité des centaines de textes qui ont été produits durant cette période sont assez éloignés de la recherche telle qu'elle se définit dans la plupart des disciplines universitaires.

Le tableau qui se dégage donc vers le milieu des années 80 est celui d'une recherche majoritairement axée sur la spécula­tion et la théorie, ne cherchant pas à renouer le contact avec la communauté scientifique, à vérifier les idées par les faits ou à découvrir des faits nouveaux.

Pourtant, i l existe un noyau d'interprètes-fortement motivés par la recherche qui ne se satisfont pas de cette situation, qui appellent à une recherche de type différent, et qui réalisent des projets plus conformes à la démarche scientifique. C'est sous leur impulsion, et notamment grâce à un environnement favo­rable créé à Trieste, que commence la période de renouveau dans laquelle nous nous trouvons actuellement.

Chapitre 3

Tendances récentes dans la recherche sur l'interprétation

1. Introduction

En novembre 1986, la Scuola Superiore per Interpret! e Tra-duttore (SSLM), école de traduction et d'interprétation de l'Université de Trieste, organisait une grande conférence sur les « aspects théoriques et pratiques de la formation à l'inter­prétation » (Gran et Dodds 1989). Au cours de cette réunion, quelques idées fortement ancrées dans le dogme dominant furent contestées ouvertement pour la première fois dans une telle enceinte, et des appels furent lancés pour une collabora­tion avec les chercheurs des autres disciplines potentiellement concernées. Cette conférence marque un tournant dans la recherche sur l'interprétation et le début d'une nouvelle période, qui se poursuit actuellement.

En réalité, si la conférence de Trieste apparaît comme un repère symbolique, le renouveau couvait depuis un certain temps déjà. Dès le début des années 80, voire quelque peu avant, des signes avant-coureurs de l'évolution apparaissaient timidement. Ainsi, en 1979, Linda Anderson, interprète de conférence, soutenait au Canada une étude de M.A. dans laquelle elle mesurait l'effet sur la prestation de l'interprète d'une connaissance préalable du contenu du discours, et de la présence ou de l'absence de l'image de l'orateur devant l'inter­prète (sur moniteur cathodique). En 1983, Jennifer Mackintosh, également interprète, soutenait à Londres un travail de M.A. expérimental sur l'interprétation avec relais. Toujours en 1983, Catherine Stenzl de Londres soutenait une 'thèse' de M.A. dans laquelle elle analysait la recherche passée et appelait vigoureu-

62 DANIEL GILE

sèment à la recherche empirique. Au cours des années 1980, Gile réalisait quelques études empiriques, notamment sur la constitution d'énoncés à partir de messages non verbaux (voir Ch. 6), sur la détérioration de la qualité du français des élèves interprètes au cours des exercices d'interprétation (Gile 1987), sur la sensibilité dès informateurs aux fautes et maladresses de langue (Gile 1985a), sur la perception de certains types d'ho­mophones dans la compréhension du japonais à l'écoute (Gile 1986e).

Toutefois, à l'époque, les chercheurs désireux d'adopter une démarche plus proche de la recherche scientifique étaient iso­lés face au paradigme dominant. C'est à l'occasion de la confé­rence de Trieste que se sont manifestées pour la première fois de manière très nette des convergences autour d'un nouveau paradigme, ce qui a donné une forte impulsion au mouvement auquel nous assistons actuellement.

Ce chapitre décrit les tendances présentes à travers l'analyse des activités des différents centres, et de la forme et du contenu des recherches proprement dites.

2. Les centres nouveaux ou en renouvellement

Comme il est expliqué au chapitre 1, la recherche sur l'inter­prétation se fait à partir d'un petit nombre de centres, dont une dizaine représentent l'essentiel de la production de textes sur le plan mondial Sous cet angle, la situation reste inchan­gée depuis le début des années 80.

En outre, la composition des centres constitués au cours des années 70 et avant a peu évolué : dans la plupart des cas, les chercheurs et théoriciens sont enseignants et praticiens, et à quelques noms près, les principaux auteurs de publications res­tent les mêmes. Les types de textes provenant de ces auteurs restent eux aussi sensiblement les mêmes, avec une majorité de textes de réflexion ou théoriques, consacrés à des questions de formation, aux ressemblances et différences entre traduc­tion et interprétation, à la consécutive, aux conditions de tra­vail des interprètes, à leur qualification, à l'histoire de l'inter­prétation. Dans ces centres, la recherche empirique est quasiment inexistante (à l'exception toutefois des travaux soviétiques et quelques autres travaux dans les pays de l'Est), que ce soit à l'ESIT, à TETI de Genève, dans les différents cen­tres allemands, ou aux Etats-Unis.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 63

En revanche, on a vu apparaître depuis le milieu des années 80 quelques nouveaux centres, qui se sont avérés particulière­ment productifs. Par commodité, nous les désignons ici par la région, le pays ou la ville où ils se trouvent, car si certains sont des écoles, d'autres correspondent à une concentration géogra­phique de chercheurs et d'études sans identité institutionnelle :

2.1 L'Australie

Les textes australiens sur l'interprétation de conférence étaient quasiment inexistants jusqu'en 1989, date de la publica­tion des actes de la conférence de Trieste (Gran et Dodds 1989). A cette occasion parut un article descriptif général du marché australien de l'interprétation par A. Gentile (1989) du Victoria College, Victoria. Depuis 1991, l'activité australienne s'est grandement développée dans la réflexion et la recherche sur l'interprétation, notamment grâce à l'impulsion donnée par le Key Center for Asian Languages and Studies de l'université du Queensland à Brisbane, spécialisé dans la traduction et l'in­terprétation anglais-japonais, qui a organisé les deux premières conférences nationales australiennes sur la traduction et l'in­terprétation. Parmi les articles publiés par des chercheurs aus­traliens figurent notamment des travaux empiriques réalisés par Peter Davidson et Ng Bee Chin, qui avait été engagée par le Key Center pour entreprendre des travaux de recherche sur la traduction et l'interprétation (voir bibliographie en fin d'ou­vrage). La création de ce poste de recherche en traductologie dans une école de traduction et d'interprétation reste à notre connaissance une initiative . rare. Notons en passant qu'il n'existe plus, ayant été remplacé par un poste de chercheur en enseignement des langues, mais que le centre de Brisbane reste actif dans la recherche traductologique. C'est notamment lui qui, avec la Japan Association of Translators de Tokyo, organise la série des conférences IJET — International Japa­nese/English Translation Conference, et qui a accueilli la qua­trième de la série, en juillet 1993.

Quelques autres universités australiennes s'intéressent à la traduction et à l'interprétation. Notons en particulier la Univer­sity of Western Sydney Macarthur, où un programme de M.A. en traductologie a été créé en 1992.

64 DANIEL GILE

2.2 Le Japon

Comme i l est expliqué au Ch. 2 (voir aussi Gile 1988c), les. publications japonaises sur l'interprétation étaient depuis 1961 assez nombreuses, avec une dizaine de livres et de nombreux articles anecdotiques et introductifs. Rappelons à ce propos que l'interprétation est, dans l'esprit du public japonais, une activité fortement associée à ce qui y est considéré comme une véritable discipline, à savoir la maîtrise de l'anglais, et la grande majorité des publications sur l'interprétation entrent dans la rubrique des textes sur l'apprentissage de l'anglais. C'est notamment le cas d'un assez ambitieux projet de recherche réalisé en 1991 à l'université Sainte Sophie de Tokyo (voir ci-dessous), qui, bien que portant sur l'interprétation de conférence, est présenté comme un projet sur l'enseignement des langues étrangères à travers l'enseignement de l'interpré­tation.

Cependant, la recherche proprement dite était totalement absente du Japon, et la communication avec le reste du monde était elle aussi inexistante. C'est à la fin des années 80 que, sen­sibilisé par la recherche à l'étranger, Masaomi Kondo, inter­prète de conférence et professeur d'économie, résolut de lan­cer une véritable activité de recherche au Japon. Il créa en novembre 1990 la Interpreting Research Association of Japan et lança une revue de recherche, Tsûyakurironkenkyû {Interpreting Research), dont le premier numéro parut en juil­let 1991. La plupart des membres de l'association enseignent l'interprétation dans des écoles privées, et se préoccupent essentiellement des problèmes de formation. Les numéros de Interpreting Research parus jusqu'ici comportent surtout des essais, avec quelques études de cas, des réflexions sur la pro­fession d'interprète, un questionnaire, des comptes rendus sur des cours de formation, et, dans les trois derniers numéros, des comptes rendus et bibliographies.

Par ailleurs, une assez importante opération de recherche comprenant notamment plusieurs études empiriques a été lan­cée à l'université Sainte Sophie de Tokyo (Watanabe 1991, voir Section 4 plus loin et notre compte rendu Gile 1992d). Il sem­blerait que ce projet n'ait pas abouti à la formation d'une équipe de recherche stable au sein de ladite université, et qu'il n'ait pas eu d'autre suite.

D'autres auteurs japonais publient des articles sur la traduc­tion à titre individuel ou pour le compte d'une entreprise de traduction. La communication entre les chercheurs japonais

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 65

semble quasiment inexistante, à l'exception de la communica­tion interne au sein de la Interpreting Research Association, qui est bien organisée, avec des réunions régulières program­mées. Cet isolement des théoriciens et chercheurs japonais à l'intérieur de leur propre pays reflète aussi le morcellement du marché professionnel de l'interprétation au Japon.

Les initiatives entreprises ces dernières années, bien que peu nombreuses, montrent la capacité des Japonais de mobiliser des forces impressionnantes quand ils le souhaitent. On trouve notamment dans le projet de l'université Sainte Sophie une étude sur 129 sujets (Izumi 1991), taille d'échantillon inégalée jusqu'ici dans les travaux sur l'interprétation. Le Japon, totale­ment absent en matière de textes théoriques et de recherche jusqu'en 1991, est devenu le centre le plus productif au cours de la période 1990 à 1992, avec 32 textes rédigés par 27 auteurs. Au cours de la même période, l'Italie, deuxième en nombre de textes publiés, en a produit 29, et la France en a contribué 27 (d'après notre bibliographie personnelle). Cepen­dant, pour le moment, en l'absence d'un programme complet de formation à l'interprétation dans un institut universitaire (à part quelques cours isolés, notamment à l'université Sainte Sophie), i l n'existe pas de motivation à la recherche propre­ment dite, si ce n'est une certaine stimulation de l'extérieur à travers des contacts avec le Key Center de l'université du Queensland et avec quelques chercheurs européens. L'avenir de la recherche au Japon dépend à notre avis de l'institution­nalisation de l'interprétation comme discipline universitaire à part entière, ce que réclame d'ailleurs avec insistance M. Kondo (voir par exemple 1991).

2.3 Trieste

Si les premiers textes triestins sur l'interprétation datent du début des années 80, au cours de la deuxième moitié de la même décennie, la recherche à la Scuola Superiore di Lingue Moderne per Interpreti e Traduttori de l'université de Trieste a connu une intensification spectaculaire, triplant par rapport à la première moitié. Plus significatif, la plupart de ces textes sont des mémoires de diplôme (« Graduation thesis ») et des articles les résumant, ce qui assure un renouvellement perma­nent de la recherche. Sur le plan des effectifs des chercheurs, le centre triestin est d'ailleurs le plus grand au monde, avec

66 DANIEL GILE

une trentaine d'auteurs de publications sur l'interprétation (ce chiffre comprend les auteurs des mémoires de fin d'études).

Autres caractéristiques importantes du centre triestin : — La recherche empirique y a une place de choix, ce qui

tranche avec tous les autres centres (voir Gran et Taylor 1990) — La recherche interdisciplinaire y est fermement implantée,

essentiellement dans la coopération avec la neurophysiologie (voir Section 4.1)

— L'école de Trieste est à l'origine d'une intense activité de publication, et édite une revue de recherche, The Interpreters Newsletter.

A bien des égards, le centre triestin est donc exemplaire.

2.4 La région Scandinave

Les Scandinaves, très peu connus dans le domaine de la recherche traductologique jusqu'aux années 80, ont fortement intensifié leurs activités ces dernières années et se sont sensi­blement ouverts sur la communauté traductologique interna­tionale, notamment à travers la série des « Language Interna­tional Conferences » ' sur l'enseignement de la traduction et l'interprétation (voir Dollerup et Loddegaard 1992 et Dollerup et Lindegaard 1994), et l'activité régulière de S. Tirkkonen-Condit en faveur de la recherche empirique en traductologie (Tirkkonen-Condit 1991 et Tirkkonen-Condit et Laffling 1993). Ces deux activités ont une audience internationale. Les pays nordiques tiennent également des colloques périodiques inter­nes, les SSOTT ou « Scandinavian Symposium on Translation Studies », dont le quatrième, qui s'est tenu à Turku en Finlande (Gambier et Tommola 1993), a attiré lui aussi une participation internationale. Enfin, l'école de Turku a organisé en coopéra­tion avec l'école de Trieste et l'ISIT à Paris une conférence internationale sur l'interprétation en août 1994.

Un certain renouvellement de la recherche y est assuré par le système des mémoires, qui a produit plusieurs travaux inté­ressants en traductologie, et notamment des mémoires sur l'in­terprétation, qui proviennent de plusieurs universités finlan­daises (mais qui sont peu accessibles pour les chercheurs étrangers, étant écrits en suédois ou en finnois sans traduction en anglais). Par ailleurs, plusieurs travaux sur l'interprétation sont en cours au Danemark.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 67

2.5 L'Autriche

L'Autriche est un centre relativement ancien, d'où sont issus plusieurs chercheurs connus et actifs : I. Kurz, H. Bühler, M. Bowen (actuellement à Georgetown, aux Etats-Unis), B. Moser-Mercer (actuellement à Genève).

L'école de Vienne est d'ailleurs l'un des centres où les étu­diants préparent des mémoires de fin d'études, dont certains consacrés à l'interprétation (voir par exemple Zeller 1984). Ces derniers sont toutefois peu nombreux, et le nombre d'auteurs autrichiens de publications sur l'interprétation est faible, une petite dizaine. A l'heure actuelle, la recherche à Vienne se démarque surtout par sa qualité, grâce notamment à une lon­gue et dynamique activité de I. Kurz. Deux doctorats sur l'in­terprétation (Pöchhacker 1992 et Strolz 1992) ont également été soutenus récemment. De manière plus générale, la direc­trice actuelle de l'école de Vienne, M . Snell-Hornby, lui a imprimé un fort élan dans le sens de la recherche, qui s'est manifesté entre autres par la tenue en 1992 d'une grande conférence sur «La traductologie comme interdiscipline » et par la création, lors de cette conférence, d'une société savante européenne de traductologie, la « European Society for Trans­lation Studies ». Une deuxième école de traduction et d'inter­prétation, rattachée à l'université de Graz, s'intéresse égale­ment à la recherche, avec quelques projets en cours.

2.6 L'Allemagne

En Allemagne, plusieurs centres universitaires ont été à l'ori­gine de textes sur l'interprétation. Notons plus particulièrement l'école de Heidelberg, à laquelle appartiennent quelques 40% des auteurs allemands, et les centres de l'ex-Allemagne de l'Est, surtout Berlin (voir les références concernant les travaux de H. Salevsky dans la bibliographie en fin d'ouvrage) et Leipzig, où l'on connaît bien les travaux soviétiques.

Les récents événements politiques qui ont aboli le rideau de fer ont permis aux chercheurs de l'Est et de l'Ouest de mieux communiquer. Notons par ailleurs que les chercheurs alle­mands en interprétation se situent dans la mouvance de la Translationswissenschaft, la traductologie au sens large, et que leur optique est plus théorique qu'empirique et fortement rat-

68 D A N I E L G I L E

tachée à la linguistique, et plus spécialement à la linguistique textuelle (« Textlinguistik »).

2.7 La Suisse

Comme i l est expliqué au Ch. 2, avec les travaux des profes­seurs de l'Ecole de Traducteurs et d'Interprètes de l'université de Genève tels que J. Herbert (1952), J.-F. Rozan (1959) et G. Ilg (voir bibliographie en fin d'ouvrage), la Suisse a été le premier centre de réflexion sur l'interprétation dès les années 50. Les interprètes suisses ont continué à produire des essais sur l'en­seignement de l'interprétation, notamment dans Parallèles, l'or­gane de l'ETI. Ils n'ont toutefois que peu abordé des questions plus théoriques et n'ont pas entrepris de recherches propre­ment dites, avec la notable exception de B. Moser-Mercer. Depuis le début des années 90, Parallèles suit de près l'évolu­tion de la recherche sur l'interprétation à travers des comptes rendus réguliers, rédigés pour la plupart par G. Ilg. Dans sa philosophie comme dans la qualification de la plupart de ses enseignants, l'ETI reste toutefois une école à vocation profes­sionnelle, et non pas à vocation de recherche.

2.8 Les républiques tchèque et slovaque

En ex-Tchécoslovaquie, des praticiens et universitaires réflé­chissent depuis de nombreuses années à l'interprétation, et plusieurs dizaines de textes, dont quelques thèses de doctorat, y ont été publiées. Cependant, la quasi-totalité de ces publica­tions étaient en langue tchèque, et la situation politique avait gardé la Tchécoslovaquie dans un isolement quasiment total par rapport à l'Occident. Depuis l'ouverture des pays de l'Est, la situation a considérablement changé. Le périodique Acta Universitatis Carolinae Translatologica Pragensia de l'université Charles de Prague en est à son cinquième volume, et l'on y trouve plusieurs articles sur l'interprétation. Par ailleurs, la même université a organisé en octobre 1992 une conférence internationale sur la traduction et l'interprétation, et plusieurs interprètes tchèques et slovaques effectuent des visites et des stages dans des écoles de traduction et d'interprétation d'Eu­rope occidentale. L'activité de recherche proprement dite est actuellement faible dans les républiques tchèque et slovaque, notamment pour des raisons économiques. En effet, par rap-

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 69

port à l'interprétation, relativement bien rémunérée, les traite­ments des enseignants universitaires et chercheurs sont très faibles. La déficience motivationnelle qui en résulte et qui s'ajoute à l'absence de considération à l'égard des traductolo-gues de la part des autres universitaires pose un problème structurel fondamental. Les perspectives de développement en l'absence d'une solution à ce problème sont difficiles à estimer. A cet égard, la récente décision de créer un programme de doctorat en traductologie à l'université Charles de Prague est encourageante.

2.9 L'Asie hors-Japon

Hormis le Japon, centre fortement activé ces dernières années, seules les régions chinoises se sont manifestées à tra­vers des textes de réflexion ou de recherche sur l'interpréta­tion. D'après notre bibliographie, depuis 1987, une dizaine de publications chinoises y ont. été consacrées, dont la moitié environ viennent de Hong Kong et un tiers de la nouvelle école de traduction et d'interprétation de l'université Fu Jen à Taipei. Il est probable qu'il existe d'autres publications en chinois de Chine continentale auxquelles les chercheurs du reste du monde n'ont pas accès.

Ces publications sont à l'évidence très peu nombreuses, et ne justifient pas encore l'appelation « centre de recherches » pour la région chinoise. Cependant, depuis la fin des années 80, on voit quelques participants chinois aux conférences de traducto­logie. Le système des mémoires de fin d'études à l'école de l'université Fu Jen, qui a déjà produit une étude socio­professionnelle sur l'interprétation (Tseng 1992), permet lui aussi d'espérer une certaine accélération de l'activité.

3. Autres centres et activités individuelles

3.1 La France

Comme i l est indiqué au Ch. 2, pendant la période dite « des praticiens », et surtout au cours de la première moitié des années 80, la France a eu un rôle important dans le milieu de la réflexion théorique sur l'interprétation, surtout par la voie de l'ESIT. La situation a sensiblement changé depuis la deuxième moitié de la décennie. En effet, alors que de nou-

70 D A N I E L G I L E

veaux centres apparaissaient et que la recherche s'orientait vers des idées et expériences nouvelles, l'équipe de l'ESIT n'a pas suivi. A l'exception d'un livre normato-refléxif de D. Seleskovitch et M . Lederer (1989) sur l'enseignement de l'in­terprétation, ainsi que d'une thèse théorico-normative sur la fidélité en traduction (Donovan 1990), l'ESIT a été peu active. Les travaux de D. Gile, relativement nombreux, sont ceux d'un invididu, et non pas d'un groupe.

3.2 Les Etats-Unis

Aux Etats-Unis, la plupart des textes sur l'interprétation ont pour auteurs D. et M . Bowen, de la division de traduction et d'interprétation de l'université de Georgetown. Son organe tri­mestriel, The Jerome Quarterly, se compose en général de brefs articles qui relèvent de la vulgarisation.

Quelques rares textes viennent aussi de l'école de traduction et d'interprétation du Monterey Institute of International Stu­dies (MHS 1989, Weber 1984). D'autres ont été publiés par la American Translators Association, dans les actes de ses confé­rences annuelles et dans la Scholarly Monograph Series, qui comprend notamment un volume consacré à l'interprétation (D. et M . Bowen 1990). Là aussi, à l'exception de quelques textes de N. Schweda-Nicholson rapportant des études empiri­ques, i l s'agit d'essais réflexifs, de textes sur la formation et de textes historiques. Enfin, récemment apparu sur la scène, l'in­terprète de langue des signes Bill Isham (1993) apporte à tra­vers une démarche expérimentale une contribution promet­teuse à la recherche sur les aspects psycholinguistiques de l'interprétation.

3.3 Le Canada

Le Canada, pays bilingue, est particulièrement actif dans la recherche sur la traduction et la terminologie, avec de multi­ples centres universitaires, une recherche florissante et de nombreuses publications, dont des revues de haut niveau au Québec. Il présente aussi une certaine activité universitaire dans le domaine de l'interprétation de liaison et d'interpréta­tion auprès des tribunaux. En comparaison, en matière d'inter­prétation de conférence, l'activité de recherche y est singulière­ment faible, les apports étant essentiellement individuels.

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 71

Depuis le mémoire de M.A. de L. Anderson, en 1979, la seule activité de recherche suivie est celle de S. Lambert de l'univer­sité d'Ottawa, à laquelle s'ajoute occasionnellement un article ou projet de recherche isolé, tel que le doctorat de M . Dillinger i l 989).

3.4 L'Amérique latine

L'amérique latine est elle aussi un centre actif de formation et de réflexion sur la traduction, comme il apparaît à la lecture de Informaciones SUT, le bulletin du service latino-américain d'information sur la traduction de l'UNESCO. Cette activité se traduit notamment par de nombreuses conférences et échanges entre les pays de la région. Toutefois, en dépit de ses contacts avec l'Espagne, l'Amérique latine est peu connue pour ses activités traductologiques en Europe, probablement pour des raisons linguistiques d'une part, mais aussi et surtout pour des raisons financières, car l'argent manque aux chercheurs latino-américains pour se rendre en Europe et y participer aux colloques et conférences traductologiques. En matière de recherche sur l'interprétation, on évoquera surtout plusieurs mémoires de fin d'études faits à l'ISIT à Mexico. Il existe peut-être d'autres travaux, inconnus en Europe, comme le donne à penser une récente lettre personnelle que nous avons reçue de la part d'une enseignante cubaine, Lourdes Arencibia Rodri­guez, à laquelle elle joignait des copies de quelques textes didactiques et réflexifs non publiés dont elle est l'auteur, en évoquant les difficultés matérielles auxquelles se heurtent les enseignants et chercheurs sur place, notamment le manque d'argent et de papier.

3.5 Autres pays

Les autres pays ont une activité quantitativement très res­treinte, avec de rares articles écrits par un ou quelques prati­ciens ou enseignants. Ainsi, la seule recherche connue actuelle­ment en Pologne est celle d'A. Kopczynski ; le seul auteur bulgare connu est B. Alexieva ; en Israël, on citera Ruth Mor­ris, auteur de quelques publications sur l'interprétation lors du procès de • John Ivan Demjanjuk, et M . Shlesinger, dont la recherche est plus variée. Il existe d'autres auteurs européens, américains, africains et asiatiques, parfois réputés dans la com-

72 D A N I E L G I L E

munautë internationale de la recherche sur l'interprétation, mais dont la position est individuelle, et non pas représentative d'un centre géographique ou institutionnel.

La faible productivité collective de ces pays ne saurait toute­fois être considérée comme un bon indicateur de leur contri­bution à la recherche sur l'interprétation. En effet, dans l'état embryonnaire de celle-ci, seule une fraction des textes publiés comporte une innovation factuelle, conceptuelle ou méthodo­logique, la plupart étant plutôt répétitifs. Dans ces conditions, la contribution de chaque chercheur individuel peut être bien plus grande que dans les disciplines mieux établies, où des normes scientifiques sont plus régulièrement respectées. C'est ainsi que deux auteurs canadiens (L. Anderson et S. Lambert), un auteur israélien (M. Shlesinger), un auteur bulgare (B. Alexieva), un auteur polonais (A. Kopczynski), ont peut-être contribué davantage par la nature de leur recherche, en partie empirique, qu'un plus grand nombre d'auteurs dans des cen­tres plus productifs quantitativement.

4. Nature et thèmes de la recherche

Comme i l est indiqué au début de ce chapitre, dans sa struc­ture fondamentale, l'environnement de la recherche en inter­prétation n'a pas beaucoup évolué depuis les années 70 et 80. En effet, la quasi-totalité des chercheurs sont aujourd'hui encore praticiens et/ou enseignants de l'interprétation, et les contraintes en matière de motivation, de formation et de dis­ponibilité mentionnées au Ch. 1 restent les mêmes.

En conséquence, la nature même de la recherche, ainsi que les thèmes abordés, n'ont pas beaucoup évolué non plus. Une grande proportion des textes, qui sont pour la plupart réflexifs ou théoriques, portent sur la formation, sur la consécutive, sur des thèmes professionnels. Les différences observées par rap­port à la « période des praticiens » sont principalement les suivantes :

a. L'essentiel du travail de recherche est toujours réalisé par des praticiens, mais ceux-ci s'évertuent de plus en plus à utili­ser les idées et résultats des études faites sur la traduction écrite dans le domaine traductologique, ainsi que des résultats de la linguistique et la psychologie. On voit notamment appa­raître, à Trieste (voir par exemple Gran et Fabbro 1987), à

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 73

Vienne (Kurz 1993) et en Finlande (Tommola et Niemi 1980), quelques projets interdisciplinaires.

b. Des appels de plus en plus nombreux se font entendre -en faveur de la recherche empirique, ce qui correspond d'ailleurs à une récente tendance observée également dans la recherche sur la traduction écrite. Le nombre d'études empiriques sur l'interprétation a augmenté de manière spectaculaire depuis le milieu des années 80 (voir par exemple Gran et Taylor 1990 et les numéros 2 à 4 de la revue triestine The Interpreters News­letter. La Section 5 de ce chapitre en énumère une importante partie, et quelques autres études sont présentées dans les autres chapitres. Notons cependant que, en dépit de cette aug­mentation en chiffres absolus, d'après notre bibliographie per­sonnelle, quelque 15 % seulement des textes publiés entre 1985 et 1992 correspondent à des travaux empiriques.

c. Plusieurs travaux se sont attachés à l'étude de la spécificité de l'interprétation selon les langues (voir plus loin), alors que le thème même était banni de plusieurs centres importants pen­dant la période des praticiens (voir Ch. 2).

d. La communication entre interprètes, très peu présente jus­que vers le milieu des années 80, a fait un grand bond en avant, comme il est précisé dans la Section 5 de ce chapitre.

Parmi les projets intéressants par leur direction et leur démarche, signalons les travaux suivants :

4.1 Etudes neurophysiologiques

En 1984, F. Fabbro et L. Gran ont commencé à étudier trois groupes d'étudiantes à l'université de Trieste, dont un groupe d'étudiantes en fin d'études d'interprétation. Au cours de tests d'écoute dichotiques, i l s'est avéré que pour les tâches langa­gières, l'hémisphère gauche était supérieur à l'hémisphère droit pour tous les sujets à l'exception du groupe d'étudiantes en fin de cursus d'interprétation, chez qui l'anglais langue passive était également représenté dans les deux hémisphères, ce qui semblait être l'effet du fort niveau d'entraînement à l'interpré­tation que subissaient ces sujets (Gran et Fabbro 1988). En 1987, une deuxième expérience de latéralisation a été réalisée par paradigme verbal manuel sur un groupe de 14 étudiantes droitières en cursus d'interprétation. Au cours des tâches expé­rimentales, qui n'étaient pas toutefois des opérations d'inter­prétation, aucune différence significative entre les deux hémi­sphères n'est apparue chez les sujets.

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Dans une expérience plus proche des conditions de la simultanée, S. Lambert (1989b) a comparé les performances d'un groupe d'interprètes selon que le discours original était acheminé vers leur oreille droite, leur oreille gauche ou vers les deux à la fois. Il s'avère que les droitiers faisaient moins d'erreurs quand le message était présenté à leur oreille droite (donc à l'hémisphère gauche) que lorsqu'il était présenté à l'oreille gauche ou aux deux oreilles à la fois.

Dans une autre étude sur la latéralisation cérébrale, V. Daro (1989) a réalisé des expériences de shadowing, de traduction allemand-italien de séries de mots isolés, et en même temps d'exercices de mémorisation de 1 à 3 mots distincts envoyés dans l'oreille opposée à celle qui servait aux deux autres exer­cices. La comparaison des erreurs dans ces expériences a fait apparaître une nouvelle fois que dans les fonctions langagières, il semble y avoir moins de dissymétrie inter-hémisphérique chez les interprètes de simultanée que chez les sujets bilingues ne pratiquant pas l'interprétation.

Ivo Ilic (1990) a fait écouter à un groupe de 12 interprètes professionnels femmes et à des étudiantes des phrases anglaises et leur traduction en italien, ainsi que des phrases ita­liennes et leur traduction en anglais, en alternant langue source et langue cible ainsi que l'oreille dans laquelle chacune était acheminée. Les sujets devaient, après chaque phrase et sa traduction, dire si celle-ci était correcte. Un assez bon équilibre entre hémisphère droit et hémisphère gauche a été mis en évi­dence pour ce qui est des fonctions linguistiques chez les inter­prètes professionnels. Dans l'ensemble, les professionnels ont mieux reconnu les erreurs sémantiques dans la traduction, et les étudiants ont mieux reconnu les erreurs syntaxiques. Par ailleurs, les interprètes professionnels ont obtenu des scores bien plus élevés que les étudiantes dans l'identification des erreurs sémantiques dans les phrases en langue non maternelle envoyées dans l'oreille gauche (hémisphère droit).

Enfin, Green, Schweda-Nicholson et coll. (1990) ont comparé la latéralisation cérébrale durant le shadowing et l'interpréta­tion simultanée. Il est apparu une fois de plus que si l'hémi­sphère gauche était plus actif pendant le shadowing, i l n'en était pas de même pendant la simultanée. Ces résultats don­nent à croire, eux aussi, que la pratique de la simultanée per­met aux interprètes de développer les fonctions linguistiques de l'hémisphère droit.

Au-delà de cette symëtrisation des hémisphères cérébraux pour les fonctions du langage, V. Daro (1990) a réalisé une

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 75

expérience dite de paradigme d'interférence verbale-manuelle, durant laquelle i l s'est avéré que la latéralisation hémisphé­rique gauche des fonctions linguistiques n'était pas la même selon la vitesse de la production du discours. Elle en conclut que l'asymétrie inter-hémisphérique tend à baisser à mesure que la production du discours devient plus rapide.

La publication la plus récente sur l'interprétation dans l'opti­que de la neurophysiologie porte sur un projet réalisé par l'ins­titut de neurophysiologie et l'institut de traduction et d'inter­prétation de l'université de Vienne (Kurz 1993). Il s'agissait d'examiner l'activité cérébrale des interprètes au cours de dif­férentes conditions expérimentales, et notamment de voir s'il existait des différences entre la simultanée et le repos, et entre la simultanée et d'autres . tâches cognitives, d'identifier les zones cérébrales les plus impliquées dans la simultanée, et de comparer la latéralisation cérébrale en fonction de la langue employée (maternelle ou non).

I. Kurz (1993) présente un cas d'espèce, dans lequel une interprète professionnelle germanophone a alterné entre périodes de repos et 6 activités cognitives : « simultanée men­tale » (sans énonciation et production de son) de l'allemand vers l'anglais, « simultanée mentale » de l'anglais vers l'alle­mand, shadowing en allemand, shadowing en anglais, écoute dune musique de Mozart et calcul arithmétique. Les résultats suggèrent que :

1. L'électrœncéphalogramme contient des informations sur l'activité de réflexion verbale.

2. L'activité intervenant durant la simultanée se distingue nettement de celle accompagnant les autres tâches cogni­tives.

3. La simultanée implique les deux hémisphères, surtout dans les régions temporales, davantage à gauche qu'à droite.

4. L'hémisphère droit semble être plus important pour la lan­gue non maternelle que pour la langue maternelle, ce qui corrobore les résultats italiens cités plus haut.

4.2 Etudes sur la spécificité linguistique de l'interprétation

Au cours des dernières années, plusieurs études empiriques ont porté sur les problèmes spécifiques de l'interprétation entre une langue source donnée et une langue d'arrivée donnée. Rappelons que si dans les pays de l'Est, le sujet avait été

76 D A N I E L G I L E

abordé par le passé, riotamment par des chercheurs soviéti­ques (voir Ch. 1) et par H. Salevsky (1983) dans la combinaison russe-allemand, il avait été pour ainsi dire proscrit en Occident.

A Trieste, L. Avirovic a étudié les caractéristiques du serbo-croate et leurs incidences sur la formation des interprètes (1990). M. Fusco (1990) et M. Russo (1990) se penchent sur le problème des langues fortement apparentées à travers l'exem­ple de l'espagnol et de l'italien. A. Giambagli (1990) a comparé les transformations grammaticales intervenant en consécutive dans l'interprétation vers l'italien à partir de l'anglais d'une part, et du français de l'autre. Le numéro spécial de la revue The Interpreters Newsletter sur l'interprétation du japonais (1992) comporte également plusieurs articles consacrés aux spécificités de celui-ci (par P. Davidson, D. Gile, M. Kondo, H. Uchiyama). Enfin, à Taiwan, R. Setton examine le cas du chi­nois (1993).

Pour l'instant, ces travaux se cantonnent pour la plupart au niveau des constatations linguistiques et des hypothèses, sans que puissent y être présentés des faits indiquant l'incidence de ces spécificités sur la charge mentale ou sur les performances des interprètes. Le mouvement est toutefois lancé, et l'on peut probablement s'attendre à des résultats plus tangibles à terme. Voir aussi le Ch. 8.

4.3 Autres sujets

Parmi les autres domaines étudiés figurent en bonne place la formation, qui continue de susciter des textes essentiellement réflexifs, et la qualité du travail, dont l'exploration commence à s'orienter vers des études empiriques (voir les chapitres 6 et 7).

Par ailleurs, on relève une assez grande variété de sujets traités par des études empiriques, le plus souvent à Trieste, avec peu ou pas de replications pour l'instant. Outre les tra­vaux mentionnés dans les autres chapitres, on citera à titre illustratif :

— Les pauses en simultanée : I. Cenkova (1989), P. Ovaska (1987).

— Une comparaison des résultats d'un exercice de paraphra-sage simultané italien-italien d'étudiants se destinant à l'inter­prétation d'une part, et d'étudiants en fin de cursus de l'autre : Chiara Russo (1990).

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 77

— Une comparaison de la traduction à vue et de la simulta­née au regard de la rétention d'information : Maurizio Viezzi (1989, 1990). Dans cette étude, i l est apparu, comme dans les travaux antérieurs de D. Gerver et de S. Lambert (1989), que l'information était mieux retenue après l'écoute qu'après l'in­terprétation simultanée. Par ailleurs, l'information était mieux retenue après la lecture simple qu'après la traduction à vue. Enfin, l'information était d'autant mieux retenue que les trans­formations morpho-syntaxiques appelées par la traduction étaient plus faibles. Ces résultats intéressants semblent indi­quer que la rétention d'information est fonction inverse du coût de l'opération de traduction en capacité de traitement.

— Les erreurs et omissions dans l'interprétation de discours médicaux : Cristina Galli (1990). Un résultat intéressant qui res­sort de cette étude est l'absence d'une différence significative dans la performance des interprètes selon qu'ils travaillaient vers leur langue A ou leur langue B (voir Ch. 4).

— La restitution des chiffres en consécutive : Maria Selena Alessandrini (1990)

— La fréquence vocale lors de la lecture de textes dans diffé­rentes langues : Valeria Daro (1990)

— L'effet d'un retour casque avec retard sur la performance des interprètes : Edith Spiller-Bosatra et Valeria Daro (1992).

— Une étude par questionnaire sur les principaux facteurs perçus par les interprètes comme importants pour l'accomplis­sement de leur mission : Janet Altman, de l'université Heriot-Watt à Edimbourg (1990).

— Une étude par questionnaire, auprès d'étudiants et d'inter­prètes professionnels, sur ce qui rend l'interprétation facile ou difficile :Izumi 1991.

— La compréhension chez les interprètes : Mike Dillinger de l'université McGill à Montréal (1989, 1990). Dans cette étude, l'auteur, qui n'est pas interprète, a cherché à vérifier les diffé­rences entre les modalités de compréhension intervenant chez les interprètes et chez les bilingues, et a abouti à la conclusion qu'il n'y avait pas de différences significatives entre les deux groupes. Ce travail intelligent et fouillé pose toutefois des pro­blèmes méthodologiques sérieux du fait que les discours n'étaient peut-être pas représentatifs de discours réalisés en conférence (voir Ch. 9).

— Le travail terminologique chez les interprètes de confé­rence : B. Moser-Mercer (1992), dans une étude par question­naire.

78 DANIEL GILE

5. La communication .

Les chercheurs en interprétation communiquent entre eux de plus en plus. Cette tendance apparaît dans la variété des références bibliographiques qui clôturent les articles publiés au cours des dernières années, par opposition au cloisonnement qui les caractérisait par le passé, mais aussi dans la plus grande participation des interprètes aux grandes conférences de traductologie. L'école de traduction et d'interprétation de l'université de Trieste a largement contribué à cette améliora­tion de la communication à travers la revue The Interpreters Newsletter, la première du genre. Elle a été suivie par la revue japonaise Tsûyakurironkenkyû {Interpreting Research). L'AIIC a constitué une Commission de la recherche qui suit elle aussi les activités de recherche en interprétation de par le monde et qui a préparé une bibliographie, périodiquement mise à jour. Par ailleurs, un réseau international d'information sur la recherche et la théorie en interprétation (IRTIN) a été consti­tué à Paris et publie deux fois par an un bulletin d'information, dont la philosophie, qui vise une diffusion aussi large que pos­sible de données brutes, est assez proche de celle du bulletin de traductologie TRANSST L'IRTIN a vu sa taille augmenter très rapidement, et i l s'étend maintenant sur cinq continents. Enfin, avec l'ouverture politique de ces dernières années, l'Est et l'Ouest commencent à communiquer, et le Japon, qui s'était enclavé depuis toujours en matière de recherche en interpréta­tion (voir Gile 1988c), s'est également mis à s'intéresser aux travaux occidentaux : on trouve notamment dans Tsûyakuri­ronkenkyû des articles qui passent en revue des publications occidentales. Toutefois, les résultats occidentaux ne sont que très peu utilisés dans la recherche japonaise.

Ce mouvement de communication se démarque aussi par une plus grande ouverture d'esprit de la part des praticiens chercheurs, et la hiérarchie rigide qui était imposée jusque vers le milieu des années 80 par les personnes en place dans le monde de l'enseignement, et accessoirement de la recherche, s'est effondrée. Ainsi, l'on a vu non seulement lors de la confé­rence de Trieste, mais aussi à d'autres réunions, et notamment lors d'un atelier de formation de professeurs d'interprétation organisé à Bruxelles sous l'égide de la Commission de la for­mation de l'AIIC en février 1991, des échanges sur un pied d'égalité entre les représentants des écoles traditionnellement

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 79

considérées comme les meilleures, et des interprètes parfois plus jeunes enseignant dans des écoles moins réputées.

6. Conclusion

Il nous semble indubitable que depuis la deuxième moitié des années 80, l'esprit de la recherche en interprétation a changé. L'évolution n'est pas due à une modification des condi­tions fondamentales dans lesquelles s'effectue la recherche, car les contraintes de temps et de motivation et la pauvreté des moyens financiers sont restés les mêmes. Le mouvement vient d une dynamique de personnes. Les idées de l'ancienne généra­tion ne s'étant pas renouvelées, des chercheurs isolés essayaient depuis plus de dix ans de tracer leur propre voie. Dans une évolution naturelle fortement accélérée par les initia­tives de l'école de Trieste et de quelques chercheurs indivi­duels, la communication entre ces efforts personnels a fini par s'établir, et un effet d'entraînement a pu s'instaurer. Il se trouve que ce nouveau paradigme privilégie l'ouverture, la communication et la progression par des moyens plus scientifi­ques que dans les précédentes décennies. La dynamique pourra-t-elle échapper durablement aux contraintes environne­mentales qui ont pesé sur la communauté des interprètes cher­cheurs par le passé ? Les perspectives sont analysées en fin d'ouvrage.

Chapitre 4

Les modèles d'Efforts de l'interprétation

1. Introduction

Une partie non négligeable des textes publiés sur l'interpréta­tion tente d'expliquer la manière dont celle-ci fonctionne, et vise notamment l'élaboration de modèles descriptifs exhaustifs (voir Ch. 2). Plutôt que de tenter de modéliser dans leur totalité des processus encore peu connus, i l est également possible, dans une démarche moins ambitieuse, de partir des difficultés manifestes de l'interprétation, pour tenter d'en modéliser les aspects susceptibles d'expliquer les problèmes récurrents. C'est dans cette optique qu'ont été élaborés les modèles d'Efforts présentés dans ce chapitre. /

2. De la difficulté d'interpréter

Dans les textes sur l'interprétation, les limites, voire les défaillances de l'interprète ne sont que rarement mentionnées. Quand elles le sont, les auteurs ont tendance à les attribuer à de mauvaises conditions de travail. Cette discrétion des cher­cheurs s'explique au moins partiellement par leur apparte­nance à la profession et par les problèmes psychologiques et sociologiques qu'impliquerait une étude trop détaillée et trop explicite des insuffisances de l'interprétation (voir Shlesinger 1989).

Pourtant, en simultanée comme en consécutive, l'interpréta­tion comporte des difficultés même pour les interprètes les plus chevronnés, comme elle se manifeste notamment par la

82 D A N I E L G I L E

fatigue de l'interprète, mais elle se voit surtout à travers des erreurs, omissions et autres baisses ou insuffisances de la qua­lité de l'interprétation. Concrètement, ces défaillances de l'interprète donnent lieu à deux catégories de symptômes :

a. Symptômes se révélant dans la forme

— Dégradation de la qualité de la voix (voix plus aiguë, lais­sant apparaître un effort ou une tension — voir Daro 1990).

— Dégradation de la clarté de renonciation et de l'accent (notamment par interférence avec l'autre langue en présence).

— Dégradation de la qualité prosodique de l'interprétation: pauses, intonation, rythme.

— Dégradation de la qualité linguistique de l'interprétation : fautes et maladresses de langue sur les plans lexicologique, ter­minologique, grammatical, stylistique, pragmatique.

b. Symptômes se révélant dans le fond

Il s'agit essentiellement d'omissions non justifiées d'éléments d'information présents dans le discours en langue d'arrivée (certaines omissions sont stratégiques et peuvent être considé­rées comme légitimes' — voir Ch. 5), d'ajouts d'information non justifiés, de déformations de l'information.

2.1 Exemple

A titre d'illustration des types de manifestations de la diffi­culté d'interpréter que l'on peut rencontrer sur le terrain, nous présentons ci-dessous la transcription d'un segment de dis­cours et de son interprétation par un professionnel en situation authentique. Il s'agit d'un discours en anglais, fait par un ora­teur américain lors d'une conférence sur la pêche • en août 1982. Le segment présenté ici correspond à quelque 70 secondes de discours. Dans le discours de l'interprète (en fran­çais), des majuscules indiquent des fautes et-maladresses.

Discours original

1 Before I dissertate on some of my ideas, first of 2 all Bob Kearney says to me he says « I would much 3 rather you have said your piece before lunch so 4 we could have a good laugh and enjoy our lunch ».

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 83

5 And I took that as a compliment and then I wanted to 6 answer Cliff's request about now that we found this 7 tremendous resource what are we going to do with it 8 and how we gonna utilize it ? I purposely did not 9 go back to my room and outline what I was going to

10 talk about, because if I did I would probably say a lot 11 of things that really weren't on my mind and I would 12 try to tailor it after the context of this meeting. 13 But I would like to say that the work of the 14 Commission and the purpose of this particular 15 meeting is intriguing to me because I have been 16 following the work of Bob and his group for the 17 last three or four years...

Discours interprété

1 Avant de commenter certaines de mes idées, surtout 2 E N C E Q U E / M O N A M I a dit « J ' E S P E R E que tu A U R A S F I N I

3 ton discours avant le déjeuner afin que nous A Y O N S un 4 bon déjeuner par la suite ». J'ai pris cela comme un 5 compliment et et j'ai voulu répondre à la question de 6 Cliff sur la façon de T R O U V E R ces ressources comment 7 nous allons les utiliser. A dessein, je ne suis pas 8 retourné / J E N E S U I S P A S R E V E N U S U R C E Q U E J ' A I D I T

9 A U P A R A V A N T . . . . Le travail de la Commission et 10 le T H È M E de cette réunion E S T U N P E T I T / M E S U R P R E N D

11 un peu j'ai suivi le travail de Bob D A N S son groupe 12 D E P U I S / A U C O U R S des trois dernières années...

Les aspects sonores de la dégradation de la forme (voix, énonciation, accent et prosodie) ne peuvent être vus à travers cette transcription écrite, à défaut d'un codage spécifique. On entrevoit toutefois des ' perturbations dans le rythme du dis­cours d'arrivée à travers quatre incidents où l'interprète se reprend : à la ligne 2 ( « E N C E Q U E / M O N A M I a dit »), aux lignes 7 et 8 («je ne suis pas retourné / J E N E SUIS PAS R E V E N U »), aux lignes 10 et 11 (« EST U N PETIT / M E S U R P R E N D un peu ») et 12 (« DEPUIS / A U C O U R S »). Il est d'ailleurs intéressant de noter que ces incidents s'enchaînent en cascade, ce qui s'explique peut-être par un enchaînement de déséquilibres dans la gestion de la capacité de traitement par l'interprète à la suite d'un pre­mier 'déclencheur' (voir Section 8).

Sur le plan linguistique, on relève une maladresse stylistique à la troisième ligne du discours de l'interprète (« afin que nous AYONS . un bon déjeuner »).

En ce qui concerne le fond, on relève les fautes suivantes :

84 D A N I E L G I L E

1. L'omission de « first of all » (lignes 1 et 2 de l'original). 2. L'omission du nom Bob Kearney, remplacé par « M O N

A M I » (ligne 2). 3. Une déformation de l'information véhiculée aux lignes 1 et

2 de l'original : « I would much rather you have said your piece before lunch » signifie «j'aurais préféré que vous disiez ce que vous aviez à dire avant le déjeuner ».

4. L'omission de « so we could have a good laugh » (« afin que nous puissions bien en rire »), aux lignes 3 et 4 de l'original.

5. Une déformation de « now that we found this ... resource » (« maintenant que nous avons trouvé cette ressource »), aux lignes 6 et 7.

6. L'omission de « tremendous » (« importante », « superbe », etc.), à la ligne 7 de l'original.

7. Une déformation de «I ... did not go back to my room » («je ne suis pas retourné dans ma chambre »), aux lignes 8 et 9 de l'original

8. Une longue omission de « ...and outline what I was going to talk about, because if I did I would probably say a lot of things that really weren't on my mind and I would try to tailor it after the context of this meeting. But I would like to say that... », aux lignes 9 à 13 de l'original. Ce passage, dont la logi­que n'est pas très claire, signifie apparemment « ...et faire un plan de ce que j'allais dire, car si je le faisais je dirais probable­ment beaucoup de choses que je ne pense pas vraiment et j'es­saierais d'adapter mon propos à cette réunion précise. Mais ce que j'aimerais dire, c'est que... ».

9. Une déformation de « intriguing » (ligne 15 de l'original). 10. Une déformation de «Bob and his group » (ligne 16 de

l'original). 11. Une déformation de « three or four years » (ligne 17 de

l'original).

2.2 Les fautes et maladresses en interprétation : fréquence et importance

Dans les 70 secondes de discours reproduites ci-dessus, on relève donc 11 fautes sur le fond et plusieurs maladresses dans la forme. Or, le discours est lent (moins de 150 mots/minute) et non technique, i l est fait par un locuteur natif dans un accent compréhensible et avec des caractéristiques prosodi­ques qui ne semblent pas anormales, et les conditions de tra-

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 85

vail de l'interprète, notamment sur le plan acoustique, étaient bonnes.

On peut donc se demander si l'interprète enregistré était incompétent, s'il traversait au moment de l'enregistrement une période difficile qui réduisait son aptitude à interpréter, ou s'il s'agit là d'une image représentative des limites de l'interpréta­tion dans l'ensemble. La réponse à la première question est négative : l'interprète enregistré avait une bonne réputation auprès de ses collègues et dé ses clients. Par ailleurs, le même segment de discours a été utilisé par la suite pour une expé­rience sur les noms propres (Gile 1984), dans laquelle le nom­bre des fautes et maladresses commises par une dizaine d'in­terprètes professionnels travaillant dans des conditions analogues a été similaire, ce qui semble confirmer qu'il ne s'agit nullement, dans ce cas précis, d'une contre-performance individuelle.

Peut-on donc considérer que cette fréquence des fautes et maladresses, de l'ordre d'une dizaine par minute d'interpréta­tion, est représentative du niveau de prestation moyen' sur le terrain ?

Si l'on se reporte à d'autres extraits de discours originaux et d'interprétations publiés, notamment dans des thèses de docto­rat (Seleskovitch 1975, Lederer 1978, Pöchhacker 1992, Strolz 1992), l'on y trouvera de nombreux segments de plusieurs minutes d'interprétation sans une seule faute. Le tableau qui se dégage de ces extraits diffère très sensiblement de celui que donne l'extrait présenté ci-dessus.

A l'observation, la fréquence des fautes et maladresses observées en interprétation présente une forte variabilité, qui ne peut pas toujours s'expliquer par des raisons précises au-delà de certains déclencheurs de difficultés que les interprètes connaissent bien (voir Section 8). Dans l'extrait reproduit plus haut, c'est, au dire d'une partie des interprètes qui ont parti­cipé à l'expérience sur les noms propres, la logique un peu 'tor­tueuse' de l'orateur qui est en cause. Il arrive aussi que l'on ne puisse faire de diagnostic, fût-il impressionniste.

La détermination des caractéristiques statistiques de la fré­quence des fautes et maladresses est intéressante dans des études corrélationnelles et causales où sont également étudiés des facteurs de difficulté précis. En l'absence d'un tel cadre, la variabilité de cette fréquence est telle qu'elle rend vide de sens la notion de moyenne. Il n'en reste pas moins intéressant de noter que les fautes et maladresses peuvent être très fré-

86 D A N I E L G I L E

quentes, même chez des interprètes compétents et dans de bonnes conditions de travail.

Au-delà de la fréquence des fautes et maladresses, i l importe de savoir quelle est leur importance qualitative. A cet égard, on notera également une grande variabilité. A titre d'exemple, dans le segment de discours reproduit plus haut, l'omission de « first of all », première 'faute' sur la liste, n'a probablement pas grande importance. A l'autre extrême, on peut évoquer une conférence de préparation à une course transatlantique en avion, pendant laquelle les interprètes ont été incapables de reproduire les noms, les chiffres et les codes nécessaires au déroulement des vols. Dans ce cas précis, les fautes étaient très graves, en ce sens qu'elles réduisaient à près de zéro l'impact du discours. Dans la plupart des cas, l'importance qualitative des fautes et maladresses se situe entre les deux. Là aussi, la notion de moyenne n'a pas beaucoup de sens ; il convient de noter simplement que ces fautes et maladresses ne sont pas dans l'ensemble inoffensives, et qu'il importe donc de les limi­ter autant que possible.

3. Fautes et maladresses non liées aux processus mentaux de l yin terpréta tion

3.1 Problèmes environnementaux

Certaines fautes et maladresses survenant dans l'interpréta­tion peuvent être imputées, partiellement ou entièrement, à des phénomènes extérieurs au discours de l'orateur et aux mécanismes de l'interprétation. Il arrive par exemple que le son parvenant aux oreilles de l'interprète soit d'un volume ou d'une qualité insuffisante du fait que les appareils électroni­ques sont défaillants ou ont été mal installés, que l'orateur est trop éloigné de son microphone, qu'il s'en détourne tout en parlant, qu'il a oublié de le mettre en marche. Ces facteurs de difficulté sont très fréquents mais ne sont pas traités ici. En effet, leur solution passe par des mesures techniques et par une information et une action d'éducation et de discipline, qui sont marginales dans l'optique cognitiviste et linguistique adop­tée dans cet ouvrage.

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 87

3.2 Connaissances et compréhension de l'interprète

D'autres problèmes d'interprétation sont attribuables à une compréhension insuffisante du discours original par l'inter­prète indépendamment des contraintes cognitives de l'interpré­tation. Ils peuvent être liés à des termes techniques ou à des noms propres peu connus ou non connus de l'interprète, à un discours ayant un contenu particulièrement dense, un raison­nement . difficile à suivre, etc. Dans le segment de discours reproduit plus haut, même en écoutant à plusieurs reprises le passage représenté par écrit aux lignes 10 à 12 de la transcrip­tion de l'original, on ne voit pas très bien ce qu'entend l'orateur quand il dit :

« ... I purposely did not go back to my room and outline what I was going to talle about, because if I did I would probably say a lot of things that really weren't on my mind and I would try to tailor it after the context of this meeting. »

Cette opacité du message pourrait expliquer son omission par l'interprète.

Notons que chez les professionnels compétents, notamment ceux qui ont suivi une formation et ont été sélectionnés dans l'une des grandes' écoles d'interprétation, i l est relativement rare que les connaissances linguistiques générales soient en cause. Il peut arriver qu'un mot ou une expression ne soient pas connus de l'interprète, surtout dans les registres littéraires et dans des variantes nationales ou sociolectes particuliers, quand les orateurs ne parlent pas la langue standard', mais la fréquence de ces incidents de parcours est probablement de l'ordre de quelques unités à quelques dizaines d'unités par an, soit un ordre de grandeur négligeable par rapport à la masse des centaines d'incidents qui peuvent se produire par journée de travail.

De même, s'agissant de professionnels compétents, i l est rare que la capacité d'expression des interprètes et leur connais­sance générale de la langue active vers laquelle ils travaillent soient insuffisantes. La chose peut se produire plus souvent dans des registres spécifiques (langage juridique, langage mili­taire, langage religieux, etc.), qui peuvent être considérés comme des registres de spécialité.

88 D A N I E L G I L E

4. Les contraintes de l'interprétation

Les facteurs environnementaux et l'insuffisance des connais­sances linguistiques et extra-linguistiques de l'interprète ne suf­fisent pas à expliquer tous les incidents de parcours, comme le montre le cas du segment de discours reproduit plus haut, et comme nous l'avons constaté régulièrement sur des discours enregistrés et leur interprétation. Les erreurs surviennent sou­vent sur des segments de discours qui ne présentent aucune difficulté apparente, que ce soit dans les facteurs environne­mentaux, dans le raisonnement, dans la technicité du lexique ou dans la complexité de la syntaxe. Il convient donc de cher­cher ailleurs les raisons des problèmes.

Nous avons suivi pendant un an (Gile 1987) cinq étudiants francophones en deuxième (et dernière) année du cursus d'in­terprétation à l'ESIT au cours de leurs entraînements en classe et en groupes de travail. Les exercices étaient de trois types :

— Exposés : présentation par un étudiant d'un exposé oral, préparé ou improvisé, mais jamais lu. Les exposés servaient de 'discours' qui devaient être interprétés par les autres étudiants.

— Exercices d'interprétation consécutive, faits sur la base d'exposés oraux, préparés, improvisés ou lus.

— Exercices d'interprétation simultanée, faits sur la base d'exposés oraux, préparés, improvisés ou lus.

Des exposés faits en français et des discours interprétés vers le français à partir de l'anglais et de l'allemand ont été enregis­trés et étudiés au regard des fautes et maladresses de français qu'ils comportaient. En l'absence d'un jeu de normes générale­ment admises pour l'oral, les fautes et maladresses (désignées sous le nom d'écarts ' par rapport aux normes d'acceptabilité) ont été déterminées à l'aide de v dix informateurs locuteurs natifs (Gile 1985a). Les fréquences des écarts dans les trois types d'exercices ont la physionomie suivante (tableau 1) :

Etudiant A B C D E Simultanée 42 30 37 38 31 Consécutive 35 24 31 11 16 Exposé 11 10 5 8 *

* Pas d'exposés enregistrés

Tableau 1 : Nombre moyen d'écarts par 100 mots de discours en français

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 89

On constate pour tous les sujets l'existence de trois paliers, avec, dans un ordre croissant des fréquences des défaulances, les exposés, la consécutive et la simultanée, phénomène qui peut s'expliquer par la comparaison suivante :.

L exposé -—Dans l'exposé, l'orateur exprime ses propres idées ou

énonce des connaissances acquises avant le début de son discours.

— Il choisit ses propres mots et ses propres tournures avant et pendant son exposé, et ce à son propre rythme.

— Il n'a pas besoin de commencer à énoncer une idée tant que celle-ci n'est pas claire dans son esprit.

— Il est libre de modifier le déroulement de son discours à tout moment.

— Il peut concentrer toute son attention sur la formulation du discours.

La consécutive — En consécutive, l'interprète énonce des idées qui ne sont

pas les siennes, et i l doit souvent reformuler des informations dont il vient seulement de prendre connaissance.

— Pour préparer son discours, i l n'a que le temps de l'inter­vention de l'orateur, pendant laquelle son attention est égale­ment prise par l'écoute et l'analyse du discours et par la prise de notes.

— En revanche, au moment de la reformulation, i l peut par­ler à son propre rythme.

— L'interprète connaît l'ensemble du segment de discours qu'il va interpréter avant d'en commencer la reformulation. Sur ce plan, i l est parfois en meilleure situation que l'orateur, à qui il arrive de devoir improviser.

— L'interprète est dans son intervention astreint à la fidélité au discours de l'orateur, et ne peut y changer que des élé­ments mineurs (voir Ch. 5).

— Au cours de la phase de reformulation, une partie de son attention est consacrée à la lecture des notes et à un effort de mémoire.

La simultanée — En simultanée comme en consécutive, l'interprète exprime

des idées qui ne sont pas les siennes et reformule des informa­tions dont i l vient seulement de prendre connaissance.

90 D A N I E L G I L E

— Pour préparer son discours, i l ne dispose que de quelques fractions de secondes à une ou deux secondes, et son rythme suit de très près celui de l'orateur : i l ne peut le devancer, sinon pour terminer une phrase dont i l prévoit la fin, et ne peut se permettre de prendre trop de retard, sous peine de perdre de l'information (voir plus loin).

— Son horizon ne dépasse guère la phrase, voire un segment de phrase dans le discours de l'orateur. Par opposition à la consécutive, en simultanée, non seulement l'interprète n'a pas un champ de vision correspondant à un enchaînement de plu­sieurs idées, mais i l doit souvent commencer à interpréter une idée avant même de l'avoir saisie dans sa totalité.

— Pendant que l'interprète fait son discours, son attention est fortement partagée, puisqu'il doit en même temps écouter la suite du discours de l'orateur.

Au regard de la production linguistique du discours, on relève donc deux différences importantes entre l'exposé et l'in­terprétation, qu'elle soit consécutive ou simultanée :

— L'obligation de fidélité : Alors que l'intervenant parlant en son nom propre peut laisser son discours dévier par rapport à sa pensée sans même que ses auditeurs s'en rendent compte, l'interprète n'a pas cette latitude. Comme le montrent et l'expli­quent les psychologues cogniticiens et psycholinguistes (voir par exemple Aitchison 1987, Clark et Clark 1977, Matthei et Roeper 1983), la production du discours est une tâche com­plexe et difficile. Souvent, quand la production d'un énoncé reflétant ' une idée précise pose des difficultés au locuteur, l'idée est sacrifiée au bénéfice de la facilité linguistique, surtout dans l'oral. Comme l'explique Colin Cherry (1978 :79),

« We pay a price with the possession of a language, for we become prone to verbal habits. It is only too easy to use clichés, proverbs and slogans as a substitute for reasoned statements »

Par manque de motivation, d'énergie' ou de souplesse, l'homme tend à se laisser dériver, suit les courants de la loi du moindre effort et se laisse infléchir dans la production du dis­cours par des 'tics' et habitudes linguistiques, ce qui débouche sur un énoncé peu ou prou infidèle à sa pensée. D'après Frieda Goldman-Eisler (1958 : 67-68) :

« ...Fluent speech was shown to consist of habitual combinations of words such as were shared by the language community and such

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as had become more or less automatic... Thus speakers are keeping up with pressure of time, and the need for being intelligible and maintaining rapport will be tempted and constrained to having recourse to ready-made verbal sequences, phrases and clichés, and subjective meaning itself will be guided through these channels and modified as a result. »

L'interprétation ne permet pas un tel laisser-aller et agit donc en révélateur de cette difficulté d'énoncer.

— La deuxième différence essentielle, qui est la plus appa­rente mais pas nécessairement la plus importante, est le contraste entre le caractère unilingue de l'exposé et le carac­tère bilingue de l'interprétation. On ne sait pas exactement comment s'opère mentalement le passage de la réception dans une langue vers la production dans une autre, et la théorie selon laquelle les deux sont dissociées à travers une étape de 'déverbalisation' durant laquelle ne subsiste plus aucune trace linguistique est contestable (voir notamment Kolers 1978). Cependant, i l est raisonnable de supposer que la coordination bilingue, et surtout la lutte contre les interférences linguisti­ques que risque d'engendrer la présence simultanée de deux systèmes linguistiques 'actifs', demandent un effort elles aussi.

Il semble toutefois que le principal facteur de difficulté en interprétation est la pression du temps, qui comprime des acti­vités d'analyse et de production dans de très courts délais et qui impose notamment une simultanéité des activités et un partage important de l'attention. C'est dans cette optique qu'ont été mis au point les 'modèles d'Efforts'.

5. Opérations automatiques et non automatiques

Initialement, nous avons élaboré le modèle d'Efforts de la simultanée sur une base intuitive pour expliquer la grande fré­quence des fautes et maladresses d'interprétation qui ne pou­vaient être attribuées ni à des facteurs environnementaux, ni à une difficulté particulière de la compréhension ou de la pro­duction en tant que telles. Par la suite, des textes de psycholo­gie cognitive et de psycholinguistique ont permis d'asseoir ce modèle sur le concept de 'capacité de traitement' et sur une masse considérable de travaux de recherche réalisés autour de ce même concept.

L'une des bases de l'idée est la notion de 'capacité de trans­mission' d'un canal, formulée par D. Shannon à la fin des

92 D A N I E L G I L E

années 40 : tout canal de transmission d'information a un débit informationnel maximum qui ne peut être dépassé. Cette idée a été reprise, adaptée à leurs besoins et intégrée dans leurs modèles par les psychologues cogniticiens (Moray 1967, Kah-nemann 1973, Richard 1980), sous une forme plus générale de 'Système de traitement général à capacité limitée' ou S ACAL. Les opérations mentales chez l'homme se classeraient en deux catégories : les opération 'automatiques' et les opérations qui ne le sont pas. Ces dernières passent par définition par le SACAL, dont elles consomment une partie de la capacité de traitement disponible. Si deux opérations non automatiques passent par le SACAL en même temps, la consommation de l'une s'ajoute à la consommation de l'autre. Par définition, les opérations automatiques ne passent pas par le SACAL et ne consomment pas de capacité de traitement.

En réalité, cette dichotomie est quelque peu simpliste. Les opérations répétitives 's'automatisent' progressivement, et i l est difficile de définir un seuil très précis où une opération passe de la catégorie 'automatique' à la catégorie 'non automatique'. Cependant, certaines opérations appartiennent clairement à l'une ou à l'autre. D'après Richard (1980:149-150), les opéra­tions non automatiques, qui passent par le SACAL, sont celles qui ne peuvent être automatisées : détection d'un stimulus bref, identification d'un stimulus non familier présenté dans des conditions défavorables, stockage en mémoire d'une infor­mation devant être réutilisée par la suite, élaboration d'une réponse non automatisée, contrôle de la précision d'un geste, opérations cognitives relevant du système symbolique. Les opé­rations automatiques, qui ne relèvent pas du SACAL, sont l'en­codage d'un stimulus familier présenté dans des conditions favorables, le déclenchement d'une réponse automatisée, et le déroulement d'un programme moteur sans contrôle.

Les modèles d'Efforts de l'interprétation se fondent sur l'idée que les opérations mentales qui interviennent dans celle-ci sont consommatrices de capacité de traitement.

6. Les Efforts en interprétation simultanée

6.1 Les trois Efforts

La simultanée comporte un grand nombre d'opérations cognitives. Dans l'analyse fonctionnelle réalisée pour l'élabora-

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 9 3

tion du modèle d'Efforts de la simultanée, trois groupes d'opé­rations ont été définis :

L'Effort d'écoute et d'analyse Il englobe l'ensemble des opérations mentales qui intervien­

nent entre la perception du son du discours par les organes auditifs et le moment où l'interprète a attribué un sens (ou plu­sieurs potentialités de sens) au segment de discours qu'il a entendu, ou le moment où il renonce à le faire.

L'Effort de production du discours Celui-ci englobe l'ensemble des opérations mentales qui

interviennent entre le moment où l'interprète décide de trans­mettre une information ou une idée et le moment où i l produit vocalement l'énoncé qu'il a élaboré pour le faire.

L'Effort de mémoire à court terme • L'Effort de mémoire à court terme correspond à l'ensemble

des opérations liées au stockage en mémoire de segments de discours entendus jusqu'à leur restitution en langue d'arrivée, à leur perte si elles disparaissent de la mémoire, ou à la déci­sion de l'interprète de ne pas les restituer.

Cet Effort intervient essentiellement pour quatre raisons : — Une raison physique, dans la mesure où un certain temps

s'écoule dans la plupart des cas entre le moment où un son est entendu et celui où il est restitué (mais s'il est anticipé par l'in­terprète, i l peut être restitué avant même d'avoir été entendu). A fortiori, s'agissant de syllabes, de mots ou de tournures, leur identification et leur compréhension prennent un certain temps, puisque les sons sont perçus physiquement de manière quasiment linéaire et que l'analyse porte sur des segments sonores, et non pas sur des points. D'après Graesser (1981:53), les mots à l'intérieur d'une proposition sont stockés en mémoire à court-terme jusqu'à ce que le récepteur arrive à la fin de la proposition.

— Des raisons " tactiques : l'interprète attend plus ou moins longtemps avant de restituer un segment de discours pour se donner le temps de mieux le comprendre grâce au contexte. Il peut également souhaiter attendre pour se donner davantage de recul et donc une plus grande marge de manœuvre dans renonciation en langue d'arrivée.

94 DANIEL GILE

— Il peut aussi être obligé d'attendre en raison des diffé­rences syntaxiques, entre langue de départ et langue d'arrivée (voir plus loin).

— H peut également arriver que l'interprète prenne du retard par rapport à un segment dense, rapide ou difficile à formuler du discours original, et ce retard entraîne automatiquement le stockage d'informations en mémoire.

Il existe d'autres opérations mentales qui interviennent dans l'interprétation, notamment la construction progressive d'une base de connaissances sur le sujet et sur la conférence concer­née et son stockage en mémoire à long terme. Une grande par-

. tie de cette opération peut être considérée comme faisant par­tie de l'Effort d'écoute et d'analyse. Les autres opérations auxquelles on peut penser ne relèvent pas directement du pro­cessus central de l'interprétation. C'est pourquoi nos modèles d'Efforts s'articulent autour des trois groupes d'opérations définis plus haut.

6.2 Les Efforts sont-ils automatiques ?

6.2.1 L'Effort d'écoute

Dans la vie quotidienne, la compréhension des textes et des discours donne l'impression d'être un acte spontané qui ne requiert aucun effort. En réalité, cet acte comporte des opéra­tions multiples dans un enchaînement complexe (voir par exemple Noizet 1980, Eysenck et Keane 1990:296). Plutôt que de reprendre l'ensemble des résultats obtenus dans ce domaine, dont on trouvera des explications dans les livres de psycholinguistique, nous nous contenterons d'en souligner quelques éléments saillants pour expliquer le caractère non automatique de la compréhension du discours par l'interprète.

Les travaux réalisés dès les années 50 et 60, notamment par Miller, Liberman et Pollack, montrent que la compréhension du discours ne consiste pas en la réception intégrale et passive d'un signal acoustique correspondant de manière univoque à un enchaînement de phonèmes, de syllabes ou de mots. En effet, des phénomènes physiques et physiologiques font que les sons émis pour vocaliser un segment de discours sont variables non seulement d'un locuteur à un autre, mais aussi d'un moment à l'autre chez le même locuteur (voir par exemple Haton et Liénard 1979).

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 95

. Par ailleurs, les informations véhiculées par chaque segment de signal portent non seulement sur le segment de discours visé, mais aussi sur des segments de discours voisins (Liber-man et coll., 1967). En effet, chaque segment est susceptible d'influencer phonétiquement le segment voisin : une consonne, une voyelle, une syllabe n'aura pas nécessairement le même son selon les consonnes, voyelles ou syllabes qui la précèdent et qui la suivent. En fait, l'auditeur interprète les sons captés à partir de certaines de leurs caractéristiques physiques, les 'traits discriminants', qui correspondent essentiellement à des variations dans la fréquence et l'intensité du signal sonore, en suivant les règles phonologiques, lexicales, syntaxiques et sémantiques de la langue concernée (Studdert-Kennedy 1974:2350).

Ces règles sont probabilistes : les traits discriminants perçus sont interprétés en fonction d'un ensemble de possibilités dont certaines sont plus probables que d'autres, le profil des proba­bilités étant déterminé par : ~

— L'apport linguistique du contexte : l'apprentissage d'une langue implique l'acquisition d'un système affectant des proba­bilités d'occurrence absolues et transitionnelles aux mots, pho­nèmes, lettres, syllabes et autres éléments linguistiques dans l'enchaînement du discours (Hörmann 1972).

— Le bagage extra-linguistique de l'auditeur, composé de ses connaissances extra-linguistiques préalables à l'échange, et des connaissances apportées par le contexte ; ce bagage superpose au système probabiliste linguistique un système probabiliste extra-linguistique très puissant (voir Slama-Cazacu 1961).

Ces systèmes probabilistes ont un rôle décisif dans la com­préhension de la parole, puisqu'ils déterminent dans une grande mesure ce que l'auditeur entend' (Hörmann 1972:79), parfois en dépit des caractéristiques physiques perçues du son émis : dans un montage expérimental, un segment acoustique composé d'un toussotement suivi de la syllabe anglaise « ite » a été incorporé dans une phrase parlant de chiens féroces, et les sujets ont cru entendre clairement les mots « bite » ou « fight » (Warren 1970). Des 'illusions acoustiques' analogues ont égale­ment été notées par Miller et Skinner. En effet, explique Hör­mann (1972:78), « ...la compréhension d'un message implique toujours plus que ce qui est contenu dans le signal lui-même... si le récepteur du message sait que les chiffres y sont plus pro­bables que les mots, i l pensera que /ka.../ a plus de chances d'être quatre' que catastrophes' ».

96 DANIEL GILE

Trois éléments intéressent particulièrement l'interprète dans ces aspects de la compréhension du discours oral :

— Le facteur temps : l'analyse des sons captés prend un cer­tain temps, d'autant plus long que la quantité d'information qu'ils véhiculent est plus grande (Le Ñy 19fJ8).

— L'attention ou capacité de traitement : l'analyse des signaux demande une • capacité de traitement d'autant plus importante, elle aussi, que la quantité d'information à traiter est plus grande (Miller 1973).

— La capacité de la mémoire à court terme : on sait que la mémoire à court terme a une capacité limitée, qui est de l'or­dre de 7 morceaux' d'information (chunks' en anglais - Miller 1956). Cette limite oblige l'interprète à stocker les informations véhiculées par les enchaînements de sons sous forme de mor­ceaux' plus grands que les phonèmes ou même les mots (Mas-saro 1975).

De toute évidence, le processus d'analyse aboutissant à la compréhension du discours n'est pas automatique, ne serait-ce qu'en raison du fait qu'il fait intervenir le stockage d'informa­tions en mémoire à court terme à des fins de comparaison avec des éléments stockés en mémoire à long terme, puis la prise de décisions interprétatives. Le fait que ce processus soit rapide et le plus souvent inconscient explique qu'il puisse être perçu comme spontané' et sans efforts', maisr i l ne l'est pas au sens strict du terme, comme le montrent diverses expériences réalisées en psychologie cognitive (voir Richard 1980).

En interprétation interviennent des facteurs qui rendent la compréhension du discours encore plus consommatrice de capacité de traitement. Ils sont essentiellement liés à l'infério­rité des connaissances pertinentes des interprètes par rapport à celles des délégués. En effet, de manière générale, l'orateur parle aux délégués, et non pas aux interprètes. En consé­quence, sur le plan informationnel comme sur le plan linguisti­que, son discours est adapté aux connaissances des délégués, et non à celles des interprètes. Pour ces derniers, le discours original comporte davantage d'informations nouvelles, davan­tage d'informations imparfaitement connues, moins d'éléments connus, donc redondants, qui permettent l'anticipation ou la reconstruction de segments de son mal entendus. Il en résulte des besoins plus grands en capacité de traitement.

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 97

6.2.2 L ;Effort de production

La Section 4 ci-dessus explique et illustre les raisons pour lesquelles la production du discours ne saurait être classée dans la catégorie des opérations automatiques. .Signalons à ce propos que les pauses d'hésitation, considérées comme le prin­cipal indicateur des difficultés de la production, ont fait l'objet de nombreux travaux de recherche chez les psycholinguistes.

En interprétation, plusieurs facteurs augmentent les besoins de l'Effort de production en capacité de traitement :

— En premier lieu interviennent à nouveau les connaissances des interprètes, inférieures à celles de l'orateur. Ce déficit leur rend plus difficile la réorganisation du message en langue d'ar­rivée quand i l s'agit de contourner des difficultés d'expression par des paraphrases. En outre, sur le plan linguistique, dès que le vocabulaire ou le registre est un tant soit peu spécialisé, i l est moins disponible chez l'interprète que chez l'orateur-spécialiste (voir Ch. 8).

— En outre, en simultanée, la nécessité de parler au rythme de l'orateur plutôt qu'au rythme naturel de l'interprète consti­tue une lourde contrainte. La seule compréhension du discours original au rythme de l'orateur ne semble pas peser aussi lourd, si l'on en juge par le fait que les auditeurs ne s'en plai­gnent que lorsque l'orateur est particulièrement rapide ou que son discours est particulièrement dense.

— Troisièmement, l'interprète se trouve souvent dans la nécessité de commencer la reformulation d'une idée en langue d'arrivée avant d'avoir une idée très claire de l'ensemble de l'idée ou des enchaînements dans le discours initial ; cela l'oblige à choisir des débuts de phrase neutres' qui lui laissent une certaine marge de manœuvre dans la suite, ou à se débat­tre avec des fins de phrases parfois rendues difficiles par la direction inattendue que prend la phrase de l'orateur.

— Enfin, la nécessité de lutter consciemment contre les interférences linguistiques provenant de la langue de départ accroît encore les besoins en capacité de traitement.

En revanche, certains aspects de la production du discours sont probablement facilités par la situation particulière de l'in­terprète de simultanée :

— D'une part, i l est souvent en mesure de suivre la syntaxe de la phrase en langue de départ et a donc moins de décisions syntaxiques à prendre que l'orateur. Rappelons, comme le sou­lignent beaucoup d'enseignants de l'interprétation, qu'une telle tactique présente le très réel danger d'un calque syntaxique

98 DANIEL GILE

aboutissant à u¿& énoncé.peu naturel et peu compréhensible en langue d'arrivée. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le cal­que est déconseillé, voire formellement interdit pendant le cur­sus de. formation à l'interprétation. Cependant, dans la prati­que, on constate qu'il intervient assez souvent.

— D'autre part, sur le plan lexical, l'accès aux mots et termes techniques en langue d'arrivée peut être facilité par les choix déjà réalisés par l'orateur, surtout quand les termes employés en langue d'arrivée sont phonologiquement proches de ceux employés en langue de départ. Il y a là aussi risque d'interfé­rence linguistique, mais l'effet faciHtateur est certainement très important, voir capital dans la terminologie scientifique et technique.

En résumé, la situation de l'interprète en tant que produc­teur du discours diffère sensiblement de celle du locuteur ordi­naire. Les opérations lui sont facilitées d'un côté, mais compor­tent en tout état de cause des composantes non automatiques. Les erreurs et maladresses constatées sur le terrain et en labo­ratoire en sont la plus éloquente manifestation.

6.2.3 L'Effort de mémoire

L'Effort de mémoire en simultanée répond parfaitement à la définition des opérations non automatiques donnée plus haut par J.-F. Richard, puisqu'il s'agit bien de stocker des informa­tions en mémoire pour les réutiliser ensuite. Qui plus est, en interprétation simultanée, le rythme de stockage et de recherche de l'information dépend de l'orateur, et non pas de l'interprète. Il en est de même de la quantité d'information à manier.

En fait, i l semble que l'Effort de mémoire à court terme soit particulièrement critique dans l'interprétation et qu'il explique de nombreuses difficultés, comme i l est exposé plus loin.

7. Le modèle d'Efforts de la simultanée

7.1 Présentation du modèle

Les interprètes sont apparemment conscients de la concur­rence entre différents Efforts depuis longtemps. Ils mention­nent notamment depuis les années 60 les limites de la capacité de la mémoire à court terme et ses incidences sur les tactiques

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 99

de production (voir par exemple Fukuii et Asano 1961, Kade et Cartellieri 1971, Lederer 1978, Moser 1978, Wilss 1978). Cepen­dant, les modèles d'Efforts semblent être la première tentative d'intégrer le concept dans un modèle explicatif.

Le modèle d'Efforts de la simultanée se présente sous la forme suivante :

(1) E + M + P + C - T

E désigne les besoins en capacité de traitement de l'Effort d'écoute et d'analyse

M désigne les besoins en capacité de traitement de l'Effort de mémoire à court terme • P désigne les besoins en capacité de traitement de l'Effort

de production du discours en langue d'arrivée C désigne la capacité de traitejnent nécessaire à la coordi­

nation des trois Efforts. Il semble en effet exister des éléments expérimentaux démontrant qu'en la présence de plus de deux activités simultanées non automatiques, les besoins en capacité de traitement comprennent non seulement la somme des besoins individuels, mais aussi une certaine capacité de traite­ment pour la coordination entre les activités (Eysenck et Keane 1990:114).

T est le total des besoins.

Ce modèle appelle trois observations : — A tout moment, chacun des Efforts traite en principe un

segment différent du discours original. Dans le schéma le plus simple, si celui-ci se compose d'une succession de segments 1, 2, 3, 4, 5 etc., au même moment, P traitera le segment 1, M le segment 2, E le segment 3, puis P le segment 2, M le segment 3, E le segment 4 et ainsi de suite. En réalité, les opérations peuvent être bien plus complexes, avec des segmentations, des fusions et des permutations de segments.

— La capacité de traitement totale nécessaire à l'interpréta­tion est éminemment variable, puisqu'elle dépend des besoins pour chaque segment de discours.

— A fortiori, la capacité de traitement nécessaire à chaque Effort est variable.

La formule (1) représente donc une somme instantanée et variable des besoins en capacité de traitement.

100 D A N I E L G I L E

Toutefois, le modèle ne prend véritablement un sens que sous la forme de l'inéquation (2) :

(2) E + M + P + C = T ^ D

où D désigne la capacité de traitement totale disponible

Qette capacité de traitement totale disponible D peut varier d'un moment à l'autre. On sait qu'elle est finie, mais rien ne prouve qu'elle est constante dans le temps.

L'inéquation (2) indique une condition nécessaire à une bonne interprétation : pour que l'interprète puisse accomplir correctement sa tâche, i l faut qué la capacité totale nécessaire T soit inférieure (ou égale) à la capacité totale disponible D.

En réalité, cette condition ne suffit pas, car i l peut arriver que la capacité totale disponible soit suffisante mais que la part affectée par l'interprète (consciemment ou non) à l'un des Efforts soit insuffisante au regard de la tâche qu'il doit accom­plir au moment concerné. Il convient donc d'ajouter d'autres conditions de fonctionnement, représentées par les inéquations (3), (4) et (5), qui indiquent l'absence d'une insuffisance locali­sée de capacité de traitement pour un Effort donné.

(3) E < D (E) (4) M < D (M) (5) P < D (P)

où D(E) indique la capacité disponible pour l'Effort d'écoute et d'analyse pour la tâche qu'il doit accomplir au moment concerné, et où D(M) et D(P) indiquent respectivement la capa­cité disponible pour l'Effort de mémoire et pour l'Effort de* production en égard aux tâches qu'ils doivent accomplir au même moment.

7.2 Les défaillances

7.2.1 Sources de défaillances

Au regard du modèle d'Efforts, des défaillances peuvent sur­venir dans deux cas :

La saturation La saturation correspond au cas où le total des besoins

dépasse le total disponible (inéquation (2) non réalisée). Dans

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 101

une telle condition, Fun des Efforts au moins ne disposera pas de la capacité nécessaire au traitement du segment qui le concerne au moment voulu. La saturation est déclenchée par une augmentation des besoins en capacité de traitement dans un ou plusieurs Efforts (voir plus loin).

Le déficit individuel Le 'déficit individuel' correspond au cas où l'un des Efforts

ne dispose pas de la capacité de traitement nécessaire à l'exé­cution de sa tâche, alors que la capacité totale disponible est supérieure au total des besoins : l'inéquation (2) est réalisée, mais les inéquation(s) (3) et/ou (4) et/ou (5) ne le sont pas. Les déficits individuels surviennent notamment chez les étudiants et débutants, qui n'ont pas encore acquis la maîtrise de la ges­tion de leur capacité de traitement, mais aussi chez des profes­sionnels chevronnés, en cas de défaillance passagère, par exemple à un moment de fatigue, et au moment où survient de manière inopinée un segment de discours plus complexe que prévu.

7.2.2 Les manifestations des défaillances

Il convient de souligner qu'une saturation ou un déficit indi­viduel ponctuels n'engendrent pas nécessairement une défail­lance ou une détérioration de la qualité de la prestation. Il est possible en effet que la charge de traitement soit telle qu'un transfert de capacité de traitement puisse se faire d'un Effort à un autre sans effets négatifs. Par exemple, si les segments de discours arrivant en Ecoute ne requièrent pas un important effort et si la mémoire à court terme n'est pas surchargée, un segment difficile à reformuler en Production peut être stocké un moment supplémentaire en mémoire, le temps de transfé­rer une certaine capacité de traitement de l'Effort d'écoute à la Production. Autre exemple, un élément d'information non saisi à un moment donné peut être retrouvé par l'interprète grâce à une redondance dans le discours original quelques segments de discours plus loin. L'interprète peut aussi changer de tacti­que dans le traitement d'un segment de discours pour consom­mer moins de capacité de traitement, en optant par exemple pour un synonyme ou une paraphrase plutôt que pour la for­mulation visée initialement (voir Ch. 5).

Dans d'autres cas, la saturation ou le déficit individuel dans l'un des Efforts engendrent bien une détérioration de la qualité

102 DANIEL GILE

de l'interprétation. Celle-ci peut se traduire par une perte d'in­formation, par une déformation de l'information, par une dété­rioration de la qualité linguistique du discours en langue d'arri­vée, par une prestation moins claire, moins convaincante, moins agréable à écouter. Comme i l est expliqué au Ch. 6, ces pertes, déformations et autres baisses de qualité ne sont pas toujours perceptibles ou perçues par les observateurs lors de la prestation, mais elles peuvent aussi être très apparentes : fautes dans les noms propres, terminologie maladroite, fautes de grammaire, problèmes de prononciation, discours en langue d'arrivée au contenu illogique ou peu plausible.

7.2.3 Les enchaînements déficitaires

Dans l'étude des défaillances en interprétation, le concept d'enchaînements déficitaires' est particulièrement important, car i l permet d'expliquer certaines défaillances portant sur des segments de discours qui ne semblent pas poser de problèmes en eux-mêmes.

Les défaillances liées à l'insuffisance en capacité de traite­ment se produisent souvent à la suite d'un enchaînement, que l'événement déclencheur ait été une saturation ou un déficit individuel. En effet, la saturation est une insuffisance qui se répercute nécessairement sur au moins l'un des Efforts et crée au moins un déficit individuel.

Les déficits peuvent engendrer la perte d'une information au moment même où ils se produisent. Ainsi, un déficit suffisam­ment important dans l'Effort d'écoute peut empêcher l'inter­prète de capter un segment de discours au moment où il est énoncé, et provoquer son omission. Cependant, i l est très fré­quent qu'un déficit provoque un problème à distance.

A titre d'illustrations, on peut considérer les cas suivants : Exemple 1

L'interprète ne trouve pas immédiatement un terme qu'il recherche en langue d'arrivée. Il affecte à l'Effort de produc­tion davantage de capacité de traitement pour le trouver - au détriment de l'Effort d'écoute, et perd ainsi une information dans un segment ultérieur du discours original. Exemple 2,

Le fort accent étranger d'un orateur oblige l'interprète à consacrer une grande quantité de capacité de traitement à l'Ef­fort d'écoute. Il en résulte un déficit dans l'Effort de produc­tion, qui se traduit par une énonciation plus lente en langue

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 103

d'arrivée. Le retard s'accumule, et les informations à stocker en mémoire à court terme finissent par dépasser la capacité de celle-ci, d'où perte d'information. Exemple 3

Comme dans l'exemple 2, le fort accent étranger d'un ora­teur " oblige l'interprète à consacrer une grande quantité de capacité de traitement à l'Effort d'écoute. Il en résulte un défi­cit dans l'Effort de production, qui se ralentit. Pour rétablir l'équilibre, l'interprète reprend une partie de la capacité de traitement affectée à l'Effort d'écoute pour l'attribuer à l'Effort de production. Il en résulte un déficit dans l'Effort d'écoute, et la perte d'une information à l'écoute.

Dans ces trois cas, la perte se produit non pas sur le segment de discours déclencheur du déficit, mais sur un élément ultérieur.

Les mécanismes en jeu deviennent plus complexes encore si l'on tient compte non seulement des besoins et des disponibili­tés, mais aussi de la latence des réactions de l'interprète. En effet, celui-ci peut par exemple augmenter la part de capacité de traitement affectée à l'Effort d'écoute quand il reconnaît un segment difficile, ce qui peut se produire avant le début dudit segment si celui-ci est anticipable, mais aussi après le début de son énonciation par l'orateur, s'il ne l'est pas.

A titre d'exemple, une phrase peu dense comportant un seg­ment informationnellement dense :

« Mister Chairman, Ladies and Gentleman, the Pacific Islands Deve­lopment Fund and has committed large funds to the project. »

Globalement, cette phrase se décompose comme suit : t0-t2 : « Mister Chairman, Ladies and Gentlement, the » (faible densité informationnelle) t2-t4 : « Pacific Islands Development Fund » (forte densité informationnelle) t4~fin : « has committed large funds to the project » (faible den­sité informationnelle)

De manière très grossière, on peut suivre la dynamique thé­orique de la répartition de la capacité de traitement selon le schéma de la Fig.l :

104 DANIEL GILE

Figure 1 : Représentation schématique de la capacité de traitement dépen­sée lors de l'interprétation simultanée d'une phrase simple com­portant un segment dense

I : débit informationnel du discours E : capacité de traitement dépensée par l'Effort d 'écoute et d'analyse P : capacité de traitement dépensée par l'Effort de production M : capacité de traitement dépensée par l'Effort de mémoi re T : capacité de traitement totale dépensée

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 105

a. L'Effort d'écoute

— De t0 à t2, l'orateur prononce la formule standard de début d'intervention, et l'Effort d'écoute de l'interprète est à un niveau de capacité de traitement très bas.

— En t2, l'orateur commence à prononcer le nom propre, segment informationnellement dense si l'interprète ne le connaît pas. L'interprète s'en rend compte en t3 et consacre davantage d'attention à l'écoute de ce nom.

— En t4, l'orateur finit de prononcer le nom propre et passe à un segment de discours moins dense que le nom propre, mais plus dense que la formule standard par laquelle i l a com­mencé son intervention. L'interprète s'en rend compte en t 5 et libère vers d'autres Efforts une partie de la capacité qui était engagée dans l'Effort d'écoute. .

— Le restant de ce segment se maintient dans l'ensemble au même niveau de densité informationnelle, et le niveau de capa­cité • de traitement consacré à l'écoute reste plus ou moins constant.

b. L'Effort de production

L'Effort de production commence en t 1 ; une fois que l'inter­prète a reconnu la formule. En l'occurrence, i l parle aussi vite que l'orateur et termine sa restitution en même temps que lui. Puis, reconnaissant une difficulté dans le nom propre, i l ne dit rien pendant un moment pour consacrer l'essentiel de sa capa­cité à l'écoute. Ce n'est qu'en t6, après s'être assuré que le nom propre est terminé, qu'il recommence à produire, à un niveau de consommation de capacité de traitement plus élevé que pour la formule.

c. L'Effort de mémoire

Pendant la formule d'appel standard qui marque le début de l'intervention, l'Effort de mémoire est quasiment nul, puisque l'interprète évoque en langue d'arrivée la même formule d'ap­pel, qu'il connaît bien, et qu'il termine son énonciation en même temps que l'orateur. Lorsque ce dernier commence à prononcer le nom propre, comme l'interprète attend avant de reprendre son propre discours, l'information s'accumule en mémoire à court terme de t 4 jusqu'en t6, moment où l'inter­prète commence à restituer le discours. A partir de t6, elle

106 DANIEL GILE

commence à baisser progressivement, à mesure que l'inter­prète la restitue en langue d'arrivée et peut la laisser disparaî­tre de sa mémoire à court terme.

d. La capacité totale utilisée

Rappelons que ce schéma est une construction théorique, simplifiée à l'extrême, qui ne vise pas à permettre le calcul de valeurs précises, mais à montrer comment les décalages entre les événements du discours original et les opérations de gestion de la capacité de traitement chez l'interprète peuvent engen­drer des défaillances à distance.

Si l'on considère la somme des éléments de'capacité de trai­tement utilisés dans chaque Effort, on voit qu'alors que le seg­ment le plus dense du discours se situe entre t2 et t4, c'est entre t 6 et t 7 que la somme est la plus élevée. Pendant qu'est prononcé ledit segment, i l existe bien un intervalle court, de t3

à t4, où le total est élevé, mais le reste du temps, i l est moyen. Dans ce schéma, une perturbation momentanée des condi­

tions d'écoute, par exemple, a bien plus de chance d'aboutir à une défaillance entre t6 et t7, où le discours ne présente pas de difficulté particulière, qu'entre t 2 et t4.

Il va sans dire qu'une vérification des hypothèses sur les­quelles est bâti ce modèle à l'aide d'indicateurs physiologiques dans des mesures en ligne présenterait un intérêt capital, mais pose encore des problèmes (voir Section 12).

8. Les 'déclencheurs'

Dans l'ensemble, les 'déclencheurs' de problèmes, c'est-à-dire les éléments et caractéristiques du discours original qui engen­drent des problèmes de saturation et de déficit individuel tels qu'ils sont connus et répertoriés par les interprètes, sont de deux types : ceux qui augmentent les besoins en capacité de traitement, et ceux dont le traitement, en l'occurrence à l'écoute, est particulièrement vulnérable à une baisse de l'attention.

8.1 Déclencheurs par augmentation des besoins en capacité de traitement

Dans l'optique des modèles d'Efforts, ces déclencheurs sont

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 107

essentiellement ceux qui imposent à l'interprète le traitement dune grande quantité d'information par unité de temps, et ceux dont le traitement pose des problèmes qualitatifs.

Dans la première catégorie, on notera en premier lieu les dis­cours informationnellement denses. Ces discours augmentent en effet les besoins en capacité de traitement dans deux Efforts : L'Effort d'écoute et d'analyse, puisque l'interprète doit comprendre une plus grande quantité d'information par unité de temps, et l'Effort de production, car l'interprète doit refor­muler une plus grande quantité d'information par unité de temps. Sont concernés les discours rapides, les textes lus (en raison de leur plus grande densité informationnelle), les enu­merations, qui sont plus denses dans la mesure où elles com­portent peu d'éléments de transition et de liaison à faible contenu informationnel.

Parmi les déclencheurs qui posent des problèmes qualitatifs, notons les accents dont l'interprète n'a pas l'habitude, et les structures linguistiques inhabituelles ou grammaticalement incorrectes, par exemple chez des orateurs ne parlant pas leur langue maternelle. Dans tous ces cas, l'augmentation des besoins en capacité de traitement porte essentiellement sur l'Effort d'écoute et d'analyse.

Un cas particulier est celui des noms propres composés', c'est-à-dire formés de deux ou plusieurs mots nominaux et adjectifs, éventuellement reliés entre eux par des mots gram­maticaux (« Organisation internationale des producteurs de... », « Association pour la recherche sur... »). Ces noms propres pré­sentent deux éléments de difficulté. D'une part, ils sont denses, car les mots pleins qui les composent ne sont séparés que par un petit nombre d'éléments de liaison à faible densité informa­tionnelle (le plus souvent des conjonctions). D'autre part, dans la plupart des cas, pour des raisons syntaxiques, leur restitu­tion en langue d'arrivée demande un réagencement de ces élé­ments : par exemple, d'anglais en français :

1 2 3 4 « International Association of Conference Interpreters »

« Association internationale des interprètes de conférence » 2 1 4 '3

Il en résulte une activité de mémoire à court terme fort intense. On peut en effet supposer que l'interprète balaie une première fois le nom en langue de départ pour décider lequel de ses éléments doit être restitué en premier. Puis i l restitue

108 D A N I E L GILE

cet élément en langue de départ et le stocke pour référence. Il balaie une nouvelle fois le nom en langue de départ pour déterminer le deuxième élément, puis l'ajoute au nom en lan­gue d'arrivée. Le processus se poursuit ainsi, avec des réfé­rences continuelles au nom en langue de départ et aux élé­ments de nom déjà restitués en langue d'arrivée, ce qui accroit très sensiblement l'effort à fournir.

L'augmentation des besoins en capacité de traitement asso­ciée à des différences syntaxiques entre la langue de départ et la langue d'arrivée, important problème potentiel qui a donné lieu à de nombreuses controverses, est traitée plus en détail au Ch. 8 à propos des problèmes linguistiques de l'interprétation.

8.2 Segments de discours vulnérables à l'écoute

A côté des déclencheurs par augmentation des besoins en capacité de traitement, i l existe des déclencheurs dont le risque est lié à leur vulnérabilité à l'écoute. Il s'agit de segments de discours courts et peu redondants, tels que les chiffres et les noms propres dits simples' (non structurés en groupes de mots, par opposition aux noms propres 'composés'), dont le taux de restitution dans la pratique est très bas (voir Gile 1984). En raison de leur faible redondance, i l suffit d'une baisse d'attention momentanée ou d'une interférence sonore ou autre pour qu'ils ne soient pas reconnus.

Il est également possible que certains mots ordinaires en lan­gue de départ soient plus vulnérables que d'autres pour la même raison, mais la dépendance de la redondance à l'égard du contexte est telle que l'on ne saurait les qualifier de 'déclen­cheurs' au même titre que les chiffres et les noms propres sim­ples. La question est toutefois évoquée dans un contexte plus large, celui de la langue, au Ch. 8.

9. Le modèle d'Efforts de la consécutive

Contrairement à la simultanée, la consécutive peut être décomposée en deux phases bien distinctes, l'une pendant laquelle l'interprète assimile le discours de l'orateur et prend des notes, et l'autre pendant laquelle i l le restitue en langue d'arrivée.

Dans l'optique de la capacité de traitement, la phase d'écoute peut se décomposer en trois Efforts :

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 109

Ecoute en consécutive = E + M + PN + C

E désigne le même Effort d'écoute et d'analyse qu'en simultanée

PN désigne la production non pas du discours en langue d'arrivée, mais de notes écrites

M correspond à un Effort de mémoire à court terme, simi­laire à celui qui intervient en simultanée.

En effet, pöpr les raisons déjà évoquées pour la simultanée, une certaine attente est indispensable entre l'arrivée de l'infor­mation dans le cerveau de l'interprète et sa consignation par écrit, sous une forme ou une autre.

C désigne l'Effort de coordination des autres Efforts, comme en simultanée.

J es notes font l'objet d'une importante masse de publica­tions, essentiellement didactiques. Rappelons à ce stade, avant d'y revenir plus loin, qu'elles ne constituent pas une représen­tation écrite du discours dans sa totalité, mais un ensemble de repères destinés à faciliter la recomposition du discours par l'interprète lors de la deuxième phase. Néanmoins, en raison du temps requis pour le mécanisme manuel de l'écriture, la prise de notes est une activité qui intervient sinon sans discon­tinuer, du moins pendant une très importante partie du temps d'écoute.

La phase de reformulation, quant à elle, peut être modélisée de la manière suivante :

Reformulation en consécutive — MLT + Lect + P

MLT correspond à un Effort de. mémoire à long terme', à savoir l'évocation du segment de discours à interpréter

Lect est l'effort de lecture et de décodage des notes prises pendant la première phase.

P est la production du discours en langue d'arrivée, comme en simultanée

Durant cette seconde phase, l'interprète peut partager son attention à son rythme ; û ne dépend pas du rythme d'arrivée des informations dans le discours de l'orateur. Qui plus est, i l

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peut déplacer toute son attention d un Effort à l'autre en cas de nécessité sans risquer de se trouver en déficit de capacité pour le traitement d'un nouveau segment. Enfin, loin de concurrencer l'Effort de mémoire à long terme, l'Effort de lec­ture des notes peut faciliter celui-ci. C'est pourquoi nous n'indi­quons pas d'Effort C dans cette deuxième phase de la consécutive.

De toutes ces considérations, i l ressort que du point de vue de la capacité de traitement, pour un interprète compétent, seule la phase d'écoute est critique en consécutive. Si elle a été solide, la phase de reformulation devrait se dérouler sans difficultés. ' Les problèmes liés à la capacité de traitement se présentent

pendant la phase d'écoute de la consécutive de la même manière qu'en simultanée, avec des phénomènes de saturation et de déficit individuel. La principale différence entre la simul­tanée et la consécutive à cet égard se situe dans l'Effort de production. En effet, l'Effort de production du discours est subordonné à l'obligation de fidélité : l'interprète doit restituer la totalité du message de l'orateur en langue d'arrivée. En revanche, la production des notes n'est pas une obligation, car les notes ne sont qu'une aide à la reproduction, et i l n'est pas nécessaire de noter un élément de discours pour pouvoir le reconstituer. Dans le cas d'interventions courtes, i l arrive d'ail­leurs souvent que l'interprète ne prenne pas de notes du tout. Dans le cas plus général, l'interprète note des éléments plus ou moins nombreux, mais en tout état de cause, i l ne note jamais toute l'information qu'il entend et qu'il reconstituera. En cas d'augmentation des besoins en capacité de traitement, i l a en consécutive, au moins théoriquement, la possibilité d'éliminer complètement l'Effort de production des notes et l'Effort de mémoire à court terme qui lui est associé. L'option n'est pas toujours viable, car selon les cas, l'absence de notes risque de peser plus ou moins lourd sur la capacité de l'interprète de reconstituer l'intervention par la suite, mais elle est bien réelle.

En tout état de cause, la prise de notes semble peser lourde­ment dans la consommation de capacité de traitement, au moins pendant la phase d'apprentissage de la consécutive. Sur le terrain, on observe régulièrement une baisse de la qualité de l'écoute chez des étudiants dès qu'ils commencent à aborder la prise de notes, et ils disent eux-même que lorsqu'ils prennent des notes, ils comprennent' moins bien. Une petite expérience que nous réalisons régulièrement à titre pédagogique au moment du premier contact des étudiants avec la prise de

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 111

notes (Gile 1991b) montre d'ailleurs assez clairement l'impact que celle-ci a en matière de capacité de traitement. L'expéri­mentateur explique qu'il va faire un discours que les étudiants devront interpréter en consécutive. Les étudiants sont divisés en deux groupes, dont l'un seulement a le droit de prendre des notes. L'expérimentateur fait une intervention contenant de nombreux noms propres, qui sont un indicateur sensible de la qualité de l'écoute (Gile 1984), et compare ensuite le nombre de noms propres reçus' par chaque groupe. Il s'avère réguliè­rement que les résultats sont meilleurs chez le groupe d'étu­diants qui n'ont pas pris de notes.

10. Les Efforts en traduction à vue et en simultanée avec texte

La traduction à vue est une variante de l'interprétation qui est parfois demandée aux interprètes comme aux traducteurs. Il s'agit de traduire oralement un texte au rythme de la lecture.

Dans cet exercice, l'Effort d'écoute est remplacé par un 'Effort de lecture', qui n'est pas rythmé par l'orateur. De même, l'Effort de production se fait au rythme de l'interprète. Par ailleurs, le texte en langue de départ étant écrit (et quasi­ment toujours imprimé), les problèmes de reconnaissance des mots à l'écoute disparaissent. Pour la même raison, i l n'y a pas de risque de perte d'informations stockées en mémoire à court-terme comme c'est le cas en simultanée et lors de la phase d'écoute de la consécutive. En apparence, la traduction à vue devrait donc être facile. On s'aperçoit toutefois qu'il n'en est rien. En fait, même des étudiants qui ont une assez bonne maîtrise de la consécutive peuvent éprouver des difficultés en traduction à vue. Il semblerait que ces difficultés puissent être attribuées principalement à trois facteurs :

— Le travail porte sur un texte écrit, donc dense et structuré syntaxiquement d'une manière qui n'en facilite pas le traite­ment en petits segments consécutifs distincts.

—- Quand l'interprète découvre un texte lu, i l n'est pas aidé, comme en interprétation, par le rythme et la prosodie de la lecture. Il en résulte probablement un accroissement relatif des besoins en capacité de traitement de l'Effort de lecture par rapport à l'Effort d'écoute et d'analyse en interprétation.

— La présence permanente sous les yeux de l'interprète du texte en langue de départ allège sans doute l'Effort de mémoire, mais impose probablement une consommation sup-

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plémentaire de capacité de traitement pour lutter contre les interférences linguistiques.

A ces facteurs s'ajoute peut-être une surcharge de la capa­cité de traitement due au fait que la réception se fait par voie visuelle, alors que la reformulation est toujours vocale. Y aurait-il des interférences, ou l'absence d'un partage des res­sources, possible dans la simultanée, dans ce passage de la réception visuelle à la production vocale ? Dans la traduction à vue, i l ne devrait toutefois pas y avoir de défaillances liées à un 'déficit individuel' ou à une saturation de la capacité de traitement disponible.

La simultanée avec texte est une variante de la simultanée ordinaire' : i l s'agit de l'interprétation simultanée d'un discours que lit l'orateur et dont l'interprète dispose en cabine. Dans ce mode intermédiaire entre la simultanée et la traduction à vue, l'on retrouve l'aide vocale et prosodique que donne l'orateur-lecteur à l'interprète, l'élimination des problèmes de reconnais­sance au son, et la réduction de l'Effort de mémoire à court terme grâce à la présence visuelle du texte sous les yeux de l'interprète. En revanche, le texte, qui présente les caractéristi­ques de densité de l'écrit, est rythmé par l'orateur, qui a sou­vent tendance à le lire très vite. En outre, une certaine sur­charge de l'Effort de coordination est probable du fait de la nécessité pour l'interprète de comparer en permanence le mes­sage perçu auditivement, par la voix de l'orateur, et celui que présente le texte. Une autre difficulté spécifique de ce mode d'interprétation est liée à la tendance de l'interprète, qui, en simultanée avec texte, ne craint pas les pertes afférentes à une surcharge de la mémoire, à chercher à restituer les informa­tions dans leur totalité à partir du texte écrit même quand il a pris beaucoup de retard par rapport à l'orateur. L'écart peut se creuser au-delà de ce qui est rattrapable. Par ailleurs, tenté de se reposer sur l'écrit plutôt que sur le discours prononcé par l'orateur, l'interprète risque, précisément en raison de ce retard et de sa concentration sur l'écrit, de ne pas capter et de ne pas pouvoir suivre l'orateur dans d'éventuelles modifications du discours par rapport au texte écrit (sauts' et autres omissions, ajouts).

11. L'anticipation

Etant donné l'importance de l'élément probabiliste dans la compréhension du discours oral, les phénomènes anticipatoires

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y ont un rôle capital, comme c'est d'ailleurs le cas dans la lec­ture. Les psychologues et psycholinguistes qui se sont penchés sur l'interprétation soulignent son importance dans la simulta­née (Flores d'Arcais 1978, Le Ny 1978). Les interprètes en par­lent eux aussi : elle apparaît dans la phase d'écoute du modèle de la simultanée de B. Moser (1978), elle est au cœur d'un arti­cle de W. Wilss sur l'interprétation à partir de l'allemand (1978), et C. Cartellieri (1983) la décrit comme l'une des princi­pales composantes de la simultanée. D'après Kade et Cartellieri (1971), qui reprennent les idées de Chernov (voir Ch. 2), l'inter­prétation simultanée comporte un processus stochastique de compréhension et de reformulation du discours au cours duquel l'interprète anticipe de manière de plus en plus précise à mesure que le discours se déroule. L'importance de l'antici­pation en simultanée est illustrée par l'expérience de G. Cher­nov 1973 évoquée au Ch. 2.

C'est le cas de l'interprétation allemand-français qui a Je plus souvent attiré l'attention des interprètes sur l'anticipation. M . Lederer (1981) explique que la possibilité d'interpréter une phrase allemande sans attendre le verbe conclusif et sans sur­charger la mémoire résulte de la capacité de l'interprète d'anti­ciper le sens avant la fin de la phrase sur la base des premiers éléments entendus. D'autres auteurs, tels que G. Ilg (1978) et W. Wilss (1978), pensent que l'anticipation est moins aisée dans l'interprétation à partir de l'allemand. Gérard Ilg (1978) notam­ment décrit une stratégie destinée à aider l'interprète de simul­tanée à surmonter les problèmes posés par les différences syn­taxiques entre l'allemand et le français langue d'arrivée, qui est fondée essentiellement sur les possibilités et les difficultés de l'anticipation dans la compréhension du discours oral en alle­mand (voir aussi Ch. 8). L'anticipation est également perçue comme un moyen de restructurer le discours pour réduire les risques d'interférences linguistiques (Seleskovitch 1981).

11.1 Les effets potentiels de Vanticipation

En l'absence de toute capacité anticipatoire, tout signal (en l'occurrence tout phonème, mot ou groupe de mots) est équi-probable, et l'interprète ne peut optimiser la répartition de sa capacité de traitement disponible entre les Efforts. Il en résulte, en ce qui concerne l'Effort d'écoute, un risque de défi­cit individuel susceptible de provoquer une défaillance, ou au contraire une attribution de capacité de traitement au-delà des

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besoins, qui retentit sur la capacité disponible pour les autres Efforts et risque elle aussi de provoquer une défaillance. La capacité anticipatoire permet donc en principe une optimisa­tion de la répartition de la capacité de traitement.

L'anticipation permet aussi de réduire la capacité de traite­ment nécessaire au traitement du signal, puisqu'elle abaisse la quantité d'information (nouvelle) qu'il introduit. Par là, elle diminue aussi le temps nécessaire à son traitement (Peterfalvi 1970, Richaudeau 1981:43).

D'un autre côté, une anticipation erronée est susceptible de 'coûter' cher à l'interprète, quand elle l'entraîne dans une voie sans issue et l'oblige à rebrousser chemin par la suite. D'où la prudence conseillée par les professeurs d'interprétation dans la tactique de restitution anticipée du début de phrase (voir Ch. 5).

11.2 L'anticipation linguistique

L'anticipation linguistique porte sur les probabilités transi-tionnelles afférentes aux règles phonologiques, grammaticales, stylistiques et autres propres à la langue, ainsi qu'à la longueur des unités lexicales mêmes. L'anticipation extra-linguistique est fonction de la rhétorique du discours et des connaissances extra-linguistiques de l'interprète, et varie donc essentiellement en fonction de facteurs situationnels et personnels, peu explo­rés jusqu'ici. Sur le plan pratique, i l est souvent difficile de séparer l'anticipation extra-linguistique de l'anticipation linguis­tique, mais l'existence d'éléments linguistiques susceptibles de permettre l'anticipation avec un apport extra-linguistique faible ou nul ne fait pas de doute : • Au niveau lexical, les expressions idiomatiques, proverbes et dictons constituent des segments de discours assez longs qui, une fois identifiés, permettent de réduire sensiblement la capa­cité de traitement affectée à l'Effort d'écoute. C'est à ce type d'anticipation que pense probablement M. Lederer (1981.76) quand elle affirme que :

« ...la prévision rend l'audition pratiquement inutile, car il suffit d'entendre « vous vous êtes dépensé... » pour prévoir « sans comp­ter » et « vous n'avez pas ménagé... » pour anticiper « vos efforts » »

Au niveau grammatical,

« ...la présence d'un mot de liaison permet de mettre en œuvre un

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certain nombre de stratégies' (Clark et Clark 1977) : on peut y voir le début d'un constituant plus large (Fodor et Garrett 1967), et chercher alprs des mots pleins appropriés à ce type de constituant (par exemple, après un déterminant, chercher un nom) ; de même, en ce qui concerne les propositions, on peut utiliser le premier mot d'une proposition pour tenter de déterminer la fonction de cette proposition dans la phrase, ce qui est particulièrement intéressant quand ce premier mot est une conjonction annonçant une subor­donnée adverbiale (parce que, si, avant que, puisque...) ou une subordonnée relative (qui, que, dont...). Pour ce qui est des mots pleins, les suffixes aideront à déterminer la catégorie grammaticale, et, une fois identifié l'un ou l'autre mot plein, on pourra chercher d'autres mots pleins qui s'y rapportent : un verbe transitif demande un nom, un adverbe demande un verbe, etc., et on les cherchera de préférence dans le voisinage le plus proche. » (Costermans 1980:121)

En tout état de cause, les mots outils tels que les interroga-tifs (que, où, comment, etc.), les articles et les mots de coordi­nation, dont la charge informative au sens sémantique est plu­tôt faible, sont des prédicteurs (Richaudeau 1981:48) et ont donc une grande utilité potentielle en simultanée. 11 en est de même des désinences, surtout dans les langues où les substan­tifs ont une déclinaison plutôt riche (notamment dans les lan­gues slaves et en grec), car elles peuvent faciliter l'anticipation en indiquant le rôle grammatical ou fonctionnel des éléments apparaissant en début de phrase et donnent donc des indices sur la suite à venir.

Les considérations ci-dessus mettent en relief les problèmes susceptibles d'être posés par un orateur faisant son interven­tion dans une langue mal maîtrisée, problèmes évoqués plus haut à propos de l'Effort d'écoute. Au-delà des éventuels pro­blèmes d'accent, en ne respectant pas les probabilités transi-tionnelles propres à la langue, i l rend l'anticipation plus difficile et plus risquée.

Par ailleurs, i l ne semble pas déraisonnable de penser que dans les langues où les indications grammaticales sont peu nombreuses, par exemple en japonais, l'anticipation linguisti­que est moins facile. De même, étant donné l'importance syn­taxique et la charge informationnelle du verbe dans le discours (Noizet 1980), i l est plausible que sa présence vers le début de la phrase dans certaines langues favorise l'anticipation, et que son emplacement en fin de phrase dans d'autres langues, telles que l'allemand ou le japonais, ait un effet contraire.

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On peut également évoquer la progression de la marge de liberté syntaxique dans la construction de la phrase comme facteur susceptible d'influencer les possibilités d'anticipation. Dans certaines langues plus que dans d'autres, les choix faits successivement déterminent la suite de la phrase. En japonais, notamment, les particules et la nominalisation tardive de groupes verbaux permettent des échappatoires et des revire­ments jusqu'à la toute dernière partie de la phrase, ce qui ren­drait l'anticipation difficile (Fukuii et Âsano 1961). En revanche, toujours en japonais, les phrases se terminent sou­vent par des fins de phrase de plusieurs syllabes ayant un contenu informationnel quasiment nul qui peuvent être antici­pées grâce à l'intonation de l'orateur, mais aussi grâce à des prédicteurs particuliers. La possibilité qui en résulte d'anticiper sur plusieurs syllabes peut théoriquement avoir une impor­tante incidence sous l'angle des modèles d'Efforts (Gile 1992b).

On peut également énumérer les obstacles linguistiques à l'anticipation. Certains tiennent aux caractéristiques grammati­cales des langues concernées. D'autres sont d'ordre stylistique. F. Richaudeau (1981:41) cite deux types de structures qui font obstacle à l'anticipation linguistique :

— L'énumération, qui « s'oppose particulièrement au proces­sus d'anticipation, le sujet récepteur ne pouvant prévoir quand la chaîne de concepts égrenés cessera pour faire place à un prédicat. »

— L'enchâssement, qui interrompt le flux logique d'une pro­position en y intercalant une autre.

On notera qu'une partie des caractéristiques de renoncé qui en facilitent l'anticipation ou au contraire le rendent difficile relèvent de la langue (grammaire, longueur des unités lexi­cales), alors que d'autres relèvent du style personnel de l'ora­teur. La part relative de chacune de ces catégories dans l'anti­cipation n'est pas connue. Il serait techniquement envisageable de l'étudier à travers un très grand échantillon statistique de discours, de langues et d'orateurs, mais au stade actuel de l'ex­ploration de l'interprétation, l'effort paraît inaccessible.

12. Réalité et perspectives dans les modèles d'Efforts sous l'angle de la recherche

Les modèles d'Effort constituent un cadre conceptuel cohé­rent, susceptible d'expliquer de nombreuses fautes et mala­dresses commises par les interprètes et de servir de grille pour

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évaluer l'efficacité de différentes stratégies et tactiques profes­sionnelles (Ch. 5).

Sur le plan de la recherche, leur principale faiblesse réside dans le fait qu'ils restent théoriques et intuitifs : ils ont beau s'appuyer sur des concepts et résultats de la recherche linguis­tique et psycholinguistique, leur vérification expérimentale est problématique.

En effet, i l est très difficile de mesurer la consommation et les besoins en capacité de traitement avec une fiabilité et une précision suffisantes, surtout compte tenu des variations très rapides que postulent ces modèles : à la vitesse du discours spontané, qui est de l'ordre de 100 à 250 mots/minute, i l fau­drait mesurer des indicateurs ayant une latence d'une fraction de seconde. La plupart des indicateurs physiologiques connus (rythme cardiaque, tension artérielle, mouvements muscu­laires, résistance électrique de la peau) n'ont pas cette vitesse de réaction. Il semblerait que le diamètre de la pupille varie en fonction de la « charge mentale » avec une latence de quelque 0,5 secondes. J. Tommola de Turku, en Finlande, a comparé la dilatation moyenne de la pupille de 9 étudiants de simultanée dans trois conditions expérimentales : l'écoute d'un discours, sa répétition avec décalage (shadowing') et son interprétation simultanée. En moyenne, la dilatation était plus grande en simultanée qu'en répétition avec décalage, et plus grande en répétition que dans l'écoute (Tommola et Hyönä 1990). Selon la même méthode, Tommola et Niemi (1985) ont pu faire appa­raître des variations dans la dilatation de la pupille selon la complexité de la structure syntaxique du discours de départ. Ces études nous semblent présenter un intérêt considérable : pour la première fois, l'on a pu mesurer les variations de la capacité de traitement totale utilisée à travers un indicateur physiologique, et ce en ligne'. Notons que pour des raisons techniques, i l a fallu demander aux sujets de poser leur men­ton sur un appui et de fixer un point précis pendant l'expé­rience. Ces conditions artificielles limitent le champ d'applica­tion de la méthode.

Une autre direction prometteuse est celle des mesures directes de l'activité cérébrale par électro-encéphalographie ou par imagerie médicale non invasive. Comme i l est indiqué au Ch. 3, une première exploration de l'activité cérébrale lors de l'interprétation par EEG a été réalisée à Vienne (Kurz 1992a et Petsche 1993), où a été a étudiée la latéralisation cérébrale dans différentes conditions expérimentales, notamment l'inter­prétation vers la langue A et vers la langue B. Là aussi, des

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problèmes techniques se posent, dans la mesure où l'interpré­tation était « mentale », sans articulation vocale, car celle-ci aurait provoqué des interférences dans les mesures.

Par ailleurs, s'il est possible de mesurer les variations des besoins totaux en capacité de traitement, i l est difficile de dis­tinguer les besoins individuels à moins de modifier sensible­ment ou de supprimer l'un des Efforts, au risque de fausser toute la structure et la dynamique du système, et ce en raison de l'interdépendance de ces Efforts dans le temps.

Enfin, les défaillances elles-mêmes ne sont pas nécessaire­ment perceptibles, comme i l est indiqué au Ch. 6, et quand elles ne se manifestent que par un ralentissement du débit ou par une élégance moindre du discours en langue d'arrivée, il nous semble très difficile de mettre la chose en évidence.

En résumé, i l est envisageable de valider ou de réfuter en partie les modèles d'Efforts par des mesures en ligne de la capacité de traitement, ce qui permettra d'en affiner progressi­vement les éléments, mais i l semble difficile pour le moment de viser une validation totale de l'explication de la dynamique des défaillances qu'ils postulent.

Chapitre 5

—_— ( —- —-

Stratégies et tactiques de l'interprète

Comme il est montré au Ch. 4, Les contraintes qui pèsent sur l'interprétation rendent son exercice difficile, et tant les risques de défaillances que les occurrences de défaillances sont nom­breux. Il apparaît donc intéressant d'étudier les stratégies et tactiques dont usent les interprètes pour y faire face.

1. Stratégies fondamentales de fidélité

1.1 Qualité et fidélité

Il est difficile de donner une définition absolue' de la qualité en interprétation, car, comme il est expliqué au Ch. 6, les attentes semblent varier non seulement selon la position de chacun dans l'acte de communication (orateur, auditeur com­prenant la langue de. départ, auditeur ne comprenant pas la langue de départ, président de séance, interprète actif, inter­prète recruteur, client), mais aussi selon le type de conférence (culturelle, politique, technique, de loisir ou d'études, de négo­ciation, etc.), sans parler d'une variabilité individuelle tenant à la personnalité de chacun.

Le présent chapitre étudie les stratégies et tactiques utilisées en interprétation. Il le fait du point de vue de l'interprète, qui concorde généralement avec celui des autres acteurs dans les directions générales suivies, sinon dans le poids relatif accordé à chaque composante.

Les idées exprimées ici résultent de l'observation de la prati­que, et notamment de l'auto-observation, ainsi que des infor-

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mations recueillies lors de conversations avec des praticiens, y compris des professeurs d'interprétation. L'ensemble de ces sources donne l'impression d'une grande convergence sur les principes. Pour ces praticiens et enseignants, la qualité consiste essentiellement en :

— La transmission aux destinataires de la totalité du mes­sage' de l'orateur, c'est-à-dire de ce qu'il veut transmettre (par opposition aux autres informations que peut véhiculer son dis­cours pour différentes raisons, comme il est expliqué plus loin).

— La transmission de ce message d'une manière claire pour les auditeurs.

— La transmission du message de manière convaincante, ce qui implique la justesse du registre et de la terminologie.

— La transmission du message d'une manière agréable pour l'auditeur : voix, prosodie, comportement hors cabine des interprètes.

Parmi ces trois objectifs, c'est le concept de fidélité qui a toujours intrigué les chercheurs, que ce soit en interprétation ou en traduction. La question est traitée plus loin sur la base d'une expérience empirique (voir aussi Gile 1985b).

1.2 Liberté et fidélité

Pour quiconque connaît le temps nécessaire à la production d'un texte d'arrivée fidèle et linguistiquement acceptable en traduction, la question de savoir comment il est possible de produire un discours fidèle en interprétation à la vitesse de renonciation spontanée apparaît fondamentale. Deux opinions semblent prédominer : selon l'une, étant donné la vitesse des opérations, l'interprète ne saurait aller au-delà d'une approxi­mation du discours de départ ; selon l'autre, la fidélité se paie au prix d'une qualité linguistique inférieure mais néanmoins acceptable à l'oral, car les normes grammaticales et stylistiques de l'oral sont moins strictes que celles de l'écrit.

Dans les écoles d'interprétation, l'optique est différente. Non seulement les professeurs combattent fortement le littéralisme, comme le font aussi leurs collègues professeurs de traduction (voir Harris .1981), mais ils préconisent souvent une liberté par rapport au discours de départ qui semble aller au-delà de ce qu'acceptent la plupart des professeurs de traduction, du moins dans le domaine de la traduction scientifique et techni­que (dans la traduction littéraire, il semble y avoir une sou­plesse bien plus grande). Ils approuvent notamment la para-

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phrase et les changements volontaires de structures de phrase, y compris de petits changements dans l'agencement de l'infor­mation, et acceptent à l'occasion des synthèses, voire des commentaires sur des passages du discours original. '

Ce point de vue peut s'expliquer sous l'angle tactique, si l'on considère qu'il s'agit de mesures destinées à limiter les inci­dences d'un problème ponctuel, tel que des perturbations dans les conditions d'écoute ou un discours trop rapide ou trop complexe. Il s'agit alors d'essayer de sauver' le maximum de ce qui peut l'être dans une optique de gestion de crise'. Notons toutefois que certains enseignants estiment que l'interprétation doit être complète ou ne pas être, et qu'ils préconisent l'arrêt de l'interprétation quand les conditions de travail sont mau­vaises. Cette attitude, encore relativement fréquente dans cer­tains milieux il y a une vingtaine d'années, est en voie de dispa­rition (voir Section 3.1).

En revanche, on peut se demander si la grande liberté préco­nisée dans l'interprétation se justifie en tant que stratégie usuelle. Sous cet angle, on peut rappeler que des observateurs ont souvent l'impression d'une fidélité « parfaite » même quand l'interprète s'est éloigné peu ou prou du discours de départ (voir Ch. 6). En fait, contrairement aux lecteurs de textes, qui peuvent théoriquement passer autant de temps qu'ils le souhai­tent à lire et relire un passage qui les intéresse et l'examiner minutieusement, les auditeurs entendent le discours une seule fois et n'en ont pas un souvenir textuel complet —les traces linguistiques d'un énoncé capté semblent en effet disparaître de la mémoire à court terme bien plus vite que ses traces sémantiques (Sachs 1967). Autrement dit, les déviations par rapport à une fidélité « littérale » peuvent perdre toute signifi­cation pratique dans la mesure où elles ne sont pas perçues.

Toutefois, ces considérations d'ordre pratique ne justifient pas à elles seules la liberté que prennent les interprètes même quand ils n'y sont pas contraints, en ce sens qu'une erreur non perçue n'en demeure pas moins une erreur. Les stratégies de fidélité des interprètes ont trois autres justifications, qui pren­nent tout leur sens en se fondant sur la première :

— La tendance actuelle des interprètes (et traducteurs), telle qu'elle se manifeste notamment dans la philosophie officielle des principales écoles professionnelles, est de considérer qu'ils traduisent essentiellement un message' ou des informations énoncés au service d'une intention de communication. Celle-ci consiste, dans les discours non-littéraires, à informer, à expli­quer, à convaincre. La fidélité due au discours n'est donc pas

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une fidélité linguistique, mais essentiellement une fidélité à l'orateur, que l'on représente, et à ses intérêts, donc à son intention de communication. Comme l'écrit D. Seleskovitch (1968:172), « L'interprète vise constamment à faire réagir ses auditeurs à l'intervention de l'orateur dans le sens désiré par celui-ci ». La 'fidélité linguistique' est donc reléguée à une deuxième place ; elle est quasiment assimilée à une contrainte superposée à la tâche principale.

— D'autre part, le discours produit spontanément est 'bruité' par des facteurs extérieurs au message, à l'intention et à la physionomie linguistique voulue par l'orateur (problèmes de maîtrise linguistique chez l'orateur, stress, facteurs perturba­teurs environnementaux). Il apparaît donc légitime de ne pas tenir compte qk ce 'bruit' au même titre que du 'message' pro­prement dit.

— Enfin, certains changements sont rendus indispensables par les différences inter-linguistiques.

1.3 Une expérience dénonciation

Ces deux derniers éléments apparaissent dans une expé­rience d'énonciation que nous réalisons régulièrement avec des étudiants, des traducteurs et interprètes professionnels et des chercheurs (voir par exemple Gile 1985b). Une idée simple est présentée au tableau graphiquement. L'expérimentateur expli­que aux participants la situation de communication ; dans l'exemple de la Fig. 1, ils sont assis à côté du conducteur, aper­çoivent le panneau routier et souhaitent informer le conduc­teur de ce que dit le panneau. Puis l'expérimentateur leur demande d'écrire sur papier l'énoncé qu'ils produiraient en situation, chacun dans sa langue maternelle.

Dans cette expérience, les énoncés produits diffèrent quasi­ment tous les uns des autres, les différences pouvant être minimes, mais aussi très importantes. A titre d'exemple, voici quelques énoncés en français recueillis pour la Fig. 1 :

1. « Encore 50 kilomètres jusqu'à Paris » 2. « Plus que 50 kilomètres » 3. « 50 kilomètres » 4. « Nous sommes à 50 kilomètres de Paris » 5. « On est à 50 kilomètres de Paris » 6. « Il y a un panneau qui dit que nous sommes à 50 kilomètres de Paris » 7. « Le panneau dit que nous sommes à 50 kilomètres de Paris »

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8. « D'après le panneau, on est à 50 kilomètres de Paris » 9. « Paris est à 50 kilomètres d'ici »

10. « Paris : 50 kilomètres »

Figure 1 : Dessin utilisé pour une expérience sur renonciation

Une partie de la variabilité s'explique par des différences dans la perception de la situation de communication par les participants. D'autres différences semblent relever d'une varia­bilité personnelle dans le processus d'énonciation chez le locu­teur. Ainsi, les sujets choisissent d'encadrer le message, qui porte en substance sur la distance, de différentes manières : en mentionnant spécifiquement le panneau, en rappelant Paris, etc. En outre, pour des raisons liées à des règles linguistiques, leurs énoncés apportent d'autres informations, qui sont étran­gères au message : par exemple, le fait que Paris est une entité singulière et que la distance de 50 kilomètres s'applique au moment de renonciation (informations véhiculées par le pré­sent et le singulier dans « est »), ou que les relations entre le locuteur et son interlocuteur sont de nature telle que le pre­mier pense pouvoir se permettre la tournure familière « on est ». Dans ces énoncés, on peut donc distinguer, en plus du message' du locuteur, des 'informations secondaires', à savoir les informations d'encadrement', les 'informations induites par les contraintes linguistiques', et des informations dites 'person-

124 DANIEL GILE

nelles' (voir Gile 1985b), dont une partie n'y figurent pas par la volonté du locuteur.

Autre fait intéressant, quand, dans une variante de l'expé­rience, on retire aux participants la feuille portant le premier énoncé et qu'on leur demande d'énoncer une nouvelle fois la même idée, une partie d'entre eux forment m\ énoncé diffé­rent du premier. Interrogés sur les raisons pour laquelle les deux énoncés ne sont pas identiques, ils répondent soit ne pas savoir, soit avoir changé d'optique', soit avoir pensé que le deuxième énoncé était meilleur que le premier sur le plan lin­guistique ou communicationnel.

De ces variations, il apparaît que lors de renonciation spon­tanée, le locuteur n'obéit pas à des lois déterministes qui abou­tissent à un énoncé particulier, mais qu'il produit des énoncés dont i l peut penser qu'ils ne sont pas nécessairement optimaux au regard de l'acte de communication qu'ils servent, et qu'il peut souhaiter modifier par la suite. Ces observations concor­dent avec le fait que même dans l'écrit, où les auteurs dispo­sent de plus de temps que les locuteurs produisant spontané­ment un énoncé oral, les modifications et corrections sont monnaie courante.

L'ensemble de ces facteurs semblent justifier une certaine liberté dans renonciation spontanée qu'est l'interprétation, à condition que cette liberté soit au service de l'efficacité de la communication, dans la recherche d'un énoncé plus clair, plus convaincant, plus acceptable sur le plan linguistique, mais qui respecte néanmoins le message, l'esprit et le style de l'orateur. Ils expliquent aussi que cette liberté soit moindre en traduc­tion. D'une part, l'énoncé écrit à traduire a pu faire l'objet d'un contrôle et d'éventuelles améliorations qui ont abouti à sa forme actuelle, ce qui peut réduire la variabilité involontaire chez l'auteur par rapport à renonciation orale spontanée. D'au­tre part, le style' perçu par le lecteur dépend uniquement de l'énoncé qu'il lit en langue d'arrivée, alors que le style' de l'ora­teur en interprétation apparaît aussi à travers sa présence phy­sique sur les lieux, donc son image et éventuellement sa voix. En interprétation, la partie vocale et la partie non-verbale de la traduction jouent donc un rôle non négligeable dans la recons­titution du style' de l'orateur.

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 125

1.4 Priorités dans la fidélité

Concrètement, les interprètes semblent suivre les priorités stratégiques suivantes :

a. Le message de l'orateur doit être intégralement transmis

b. Les informations secondaires présentes dans l'énoncé en lan­gue de départ sont transmises en langue d'arrivée (dans le cas où elles sont reconnues en tant que telles), mais seulement si leur présence ne nuit pas excessivement (de l'avis subjectif de l'interprète) à l'obtention de l'effet recherché. Dans la hiérar­chie qui en résulte, les informations d'encadrement et les infor­mations personnelles semblent être prioritaires.

c. Le message' s'analyse et se restitue au niveau moléculaire' du mot, du groupe de mots, de la proposition ou de la phrase. Sauf cas particulier, l'interprète ne cherche pas à fusionner les messages moléculaires en un macro-message' dans son propre discours. De même, les autres types d'informations s'analysent et se restituent au niveau de la proposition ou de la phrase.

2. Stratégies de préparation ad hoc des conférences

Contrairement à la traduction écrite, qui permet l'acquisition des informations nécessaires en cours de traduction, l'interpré­tation demande une préparation avant le travail sur le dis­cours, car une fois engagé dans le processus, l'interprète a très peu de temps et ne peut se déplacer pour aller rechercher des informations qui lui manquent.

La préparation des conférences par les interprètes vise essentiellement l'acquisition des connaissances nouvelles néces­saires à l'interprétation, ainsi que l'activation des connaissances pertinentes existantes. En effet, les connaissances sont plus ou moins 'disponibles', en ce sens que leur évocation en compré­hension ou en production lors de l'interprétation demande plus ou moins de temps et de capacité de traitement. L'importance de cette 'disponibilité' apparaît sous l'éclairage des modèles d'Efforts du Ch. 4 : plus les connaissances sont disponibles, moins les besoins en capacité de traitement sont élevés dans l'Effort d'écoute, et éventuellement dans l'Effort de production et l'Effort de mémoire à court terme. Là aussi, l'interprétation contraste fortement avec la traduction, où une forte disponibi­lité des connaissances est utile, mais non critique.

126 D A N I E L G I L E

2.1 La preparation ad hoc

On peut distinguer la préparation continue et la préparation ad hoc pour une conférence particulière. La première vise à approfondir et à entretenir les connaissances générales de l'in­terprète, car au-delà du domaine spécifique dans lequel se situe une conférence, i l y est souvent fait allusion à des faits culturels anciens ou modernes, et notamment à l'actualité sociale, économique, politique, technologique ou scientifique, qui ne touchent pas directement le thème de la conférence. Les interprètes sont donc supposés avoir une culture générale assez large, qu'ils entretiennent en se tenant au courant de l'actualité. Les moyens de communication de masse sont le véhicule privilégié de ces efforts.

La préparation ad hoc, quant à elle, est principalement docu­mentaire (mais pas exclusivement, comme il est expliqué plus loin). Elle se fonde sur les textes de la conférence concernée (programmes, abstracts, textes des communications, informa­tions sur les participants, etc.), ainsi que sur des textes exté­rieurs à la conférence, choisis ' parce qu'ils contiennent des informations susceptibles d'être pertinentes et utiles lors de la conférence. Elle porte sur des éléments linguistiques, principa­lement des termes spécialisés, et sur des éléments extra­linguistiques (informations sur le sujet, les idées, les partici­pants, leurs positions respectives, etc).

Essentiellement, la préparation documentaire consiste en trois opérations : la lecture de textes, le repérage et éventuelle­ment le marquage physique des éléments d'information perti­nents, et, le plus souvent, la préparation de listes de termes ou de glossaires pour la conférence. Les méthodes pratiques sont assez peu variées, si ce n'est dans les détails, comme dans la manière de marquer un terme (souligner, entourer, marquer au feutre, etc.), ou dans l'organisation du lexique (tri alphabéti­que, classement chronologique ou par sujet, glossaire manus­crit, dactylographié ou préparé sur ordinateur).

2.2 Préparation thématique et préparation terminologique

La préparation ad hoc peut se diviser chronologiquement en trois étapes : Ja préparation avant la conférence, la préparation de dernière minute, et la préparation en cours de conférence.

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La préparation avant la conférence est celle où l'interprète a la plus grande liberté de manœuvre, puisqu'il dispose d'un cer­tain temps et peut se déplacer. La préparation de dernière minute intervient quand l'interprète se trouve sur les lieux de la conférence, reçoit des documents supplémentaires et peut interroger des spécialistes sur place. Enfin, la préparation en cours de conférence consiste en l'utilisation des interventions déjà entendues et des textes remis aux interprètes une fois la réunion commencée pour la préparation des interventions qui doivent suivre.

La principale question stratégique qui se pose en matière de préparation ad hoc porte sur la préparation avant la confé­rence, et plus précisément sur l'équilibre idoine entre une pré­paration terminologique et une préparation 'thématique'. Etant donné les contraintes de temps, surtout en période chargée, les interprètes, qui peuvent ne disposer que de quelques jours, voire de quelques heures pour la préparation, n'ont souvent pas le temps de travailler à fond sur les deux.

La préparation terminologique consiste principalement à rechercher les termes spécifiques susceptibles d'apparaître lors des interventions, ainsi que leurs équivalents dans les diffé­rentes langues de travail concernées. La préparation 'thémati­que' vise l'acquisition de connaissances sur les concepts, les idées et les mécanismes plutôt que sur les termes. Il va de soi que la préparation thématique apporte sa moisson de termes, car les concepts s'expriment en termes, et que la préparation terminologique apporte des connaissances thématiques, car le travail n'est pas uniquement terminographique. Toutefois, les termes acquis lors d'une préparation essentiellement thémati­que ne sont pas tous pertinents et ne répondent souvent qu'à une petite partie des besoins. De même, les connaissances thé­matiques acquises lors d'une préparation terminologique sont essentiellement taxinomiques et ne couvrent pas tous les besoins.

En faveur de la préparation thématique, on peut faire valoir l'aide que peut apporter la connaissance de la structure conceptuelle du domaine pour l'analyse du discours de départ. En revanche, la macrostructure des discours spécialisés qui sont faits en conférence ne semble pas différer dans ses com­posantes principales en fonction du degré de spécialisation. Il s'agit toujours de la présentation d'une action et de ses consé­quences, de la comparaison entre deux concepts, méthodes, procédés ou objets, de l'accumulation d'arguments en faveur ou contre une idée, de la description, selon une progression

128 D A N I E L G I L E

plus ou moins standard, dune expérience scientifique, etc. L'articulation macrostructurelle du discours ne pose donc pas à l'interprète beaucoup de problèmes liés à la spécialité concer­née, même si la fréquence de différents types de macrostruc­tures varie selon les domaines.

En revanche, les problèmes de compréhension et de restitu­tion se posent souvent dans les parties moléculaires' du dis­cours (Lederer 1981:53), au niveau de la phrase, et sont le plus souvent situés dans le vocabulaire technique, en interpré­tation comme en traduction. C'est pourquoi, dans une optique utilitaire, i l semble raisonnable de privilégier la préparation ter­minologique quand l'interprète dispose de peu de temps. D'après nos observations sur le terrain, c'est également la ten­dance générale de la quasi-totalité des professionnels.

Il est intéressant de noter que dans les écoles, les professeurs d'interprétation préconisent souvent une démarche thématique partant de l'assimilation du contenu des ouvrages de vulgarisa­tion (D. Seleskovitch 1968 :113). Etant donné les considérations énoncées plus haut, on peut s'interroger sur l'efficacité de la démarche, en tout cas à court terme, face aux difficultés qu'apporte chaque conférence, où tant les concepts que les termes peuvent aller bien au-delà de ceux qu'on trouve dans le texte de vulgarisation. En revanche, à long terme, l'acquisition de connaissances de base bien structurées est susceptible de favoriser une implantation plus solide en mémoire et une meil­leure compréhension d'éléments de connaissance spécialisés.

2.3 Un cas d'espèce

A notre connaissance, aucune étude empirique n'a été réali­sée pour comparer les mérites de la composante thématique et de la composante terminologique de la préparation en interpré­tation. Sur cette dernière, i l n'existe qu'une étude de cas, faite par Gile (1989a), dans laquelle était examiné le taux de couver­ture terminologique des lexiques réalisés lors d'une préparation thématique.

La conférence préparée était un atelier de rythmologie dans une réunion de cardiologie, avec interprétation anglais-français. Aucun document de conférence n'avait été fourni à l'interprète, qui avait donc dû chercher des sources par lui-même. .Un cardiologue avait • conseillé la lecture des chapitres de rythmologie dans un livre de cardiologie précis, rédigé en anglais. Le même cardiologue avait ensuite indiqué les équiva-

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 129

lents en français. En tout, 110 termes techniques ont été rele­vés dans le livre, retenus et rassemblés dans un lexique.

Plusieurs constatations ont été faites lors de cette étude de cas :

— Le dictionnaire médical considéré par les interprètes de conférence et traducteurs comme le plus complet dans les lan­gues concernées (WJ. Gladstone, Dictionnaire anglais-français des sciences médicales et paramédicales, St-Hyacinthe, Québec, et Paris, Edisem et Maloine) couvrait moins de 50 % des entrées du lexique.

— Les entrées du lexique ne couvraient qu'une fraction du vocabulaire spécialisé effectivement employé lors de la confé­rence. Pour des raisons pratiques, i l n'a pas été possible de faire une liste exhaustive des termes nouveaux' apparus en conférence et n'ayant pas été vus lors de la préparation, mais lors d'un échantillonnage quasi-aléatoire de 11 segments de 10 minutes répartis sur les 4 jours de la conférence, une moyenne de quelque 12 termes nouveaux' par segment a été relevée.

—- La plupart des termes utilisés en conférence et n'apparais­sant pas dans le lexique n'ont pas posé de problèmes de com­préhension ou de traduction en raison de leur similitude mor­phologique avec d'autres termes connus, en langue d'arrivée ou en langue de départ. Si les deux langues avaient été plus éloignées (français et allemand, français et russe, français et japonais), les problèmes auraient probablement été bien plus nombreux.

3. Stratégies et tactiques en ligne

3.1 Les tactiques en simultanée

En dépit de sa préparation, l'interprète se heurte très réguliè­rement à des problèmes en cours d'interprétation. Un terme technique, un nom propre ou un chiffre peuvent être mal compris, que ce soit par manque de connaissances, par déficit individuel dans l'Effort d'écoute au moment où il est énoncé, ou en raison d'une difficulté technique, par exemple de mau­vaises conditions acoustiques. Même compris, le même élé­ment peut poser des problèmes à la restitution, notamment :

— Si l'interprète ignore le terme ou le nom correspondant en langue d'arrivée

—-En raison d'un 'trou de mémoire'

130 D A N I E L G I L E

— L'élément en question peut avoir été oublié par l'inter­prète entre l'écoute et le moment de la restitution

— En raison d'une insuffisance de la capacité de traitement disponible pour la production au moment voulu

— En raison d'une interférence linguistique venant de la lan­gue de départ.

Face à de telles difficultés, l'interprète peut avoir recours à une vingtaine de tactiques, qui s'appliquent chacune à une ou à plusieurs catégories de déclencheurs ou de difficultés :

1. La reconstitution par le contexte Un effort conscient permet souvent de reconstituer, par ana­

lyse logique du contexte et de la situation et à l'aide des traits pertinents entendus, un élément de discours qui n'a pas été compris clairement.

Cette tactique, qui répond à des problèmes à l'écoute, n'est que l'extension consciente et volontaire d'une activité mentale qui fait partie de la perception du discours en conditions ordinaires.

2. L'attente Face à un problème de compréhension, l'interprète choisit

parfois d'attendre que le contexte lui donne davantage d'éclair­cissements et tergiverse, par exemple en ralentissant renoncia­tion de son discours ou en recourant au remplissage', à savoir la production d'un segment d'énoncé n'apportant aucune infor­mation nouvelle mais permettant d'éviter le 'blanc' (par exem­ple à travers des formules telles que « comme je vous le disais, Monsieur le Président, mes chers collègues », « c'est donc un problème important », etc.).

Le coût de cette tactique se mesure essentiellement en retard pris par rapport à l'orateur.

3. La mobilisation du collègue passif En simultanée, les interprètes travaillent par équipes d'au

moins deux personnes en cabine. En cas de difficulté, l'inter­prète passif (qui ne parle pas), dont la capacité de traitement est disponible, peut être mobilisé pour aider son collègue actif. Il peut avoir mieux entendu ou mieux compris le segment en question ou avoir une bonne solution pour sa restitution, et peut l'écrire sur une feuille pour son collègue. En outre, sa dis­ponibilité lui permet de consulter un document ou un diction­naire, ce que ne peut faire l'interprète actif sous peine de per­dre trop de temps et de capacité de traitement.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 131

Cette tactique peut être très efficace. En théorie, elle fait partie de la procédure de travail standard en cabine de simul­tanée. Dans la pratique, elle n'est pas toujours mise en œuvre, car les interprètes peuvent se retrouver seuls en cabine au moment où se produit une difficulté, et même quand ils ne le sont pas, l'interprète passif préfère souvent se reposer plutôt que de se concentrer sur le discours original et son interpré­tation.

4. La consultation de documents en cabine Dans la mesure où une information se trouve dans des

documents présents en cabine, l'interprète peut les consulter tout en travaillant. Cette tactique est consommatrice de temps et de capacité de traitement, et peut par là générer des satura­tions et des déficits individuels. Toutefois, elle est difficilement contournable. En effet, les interprètes ne peuvent stocker en mémoire toutes les informations dont ils sont susceptibles d'avoir besoin en conférence, et tenter d'en assimiler systéma­tiquement un maximum est une stratégie économiquement peu raisonnable, surtout quand i l s'agit d'éléments d'informa­tion qui risquent fort de ne pas être mentionnés en conférence ou qui le sont une ou deux fois en tout. La consultation de documents en cabine est également nécessaire quand les inter­venants se réfèrent spécifiquement à des passages figurant dans des textes écrits, notamment en comité de rédaction.

Le coût de la tactique en temps et en capacité de traitement peut être réduit dans une certaine mesure grâce à une bonne préparation, et notamment à travers une disposition intelli­gente des documents en cabine, qui permet de les retrouver facilement, et un bon marquage de l'information, qui en faci­lite le repérage en cours d'interprétation.

5. La restitution à un niveau d'abstraction plus élevé Il s'agit de remplacer un terme par un hyperonyme

(« streptokinase » par « enzyme », « répéteur » par « machine »), un nom de personne par une fonction, par une nationalité ou par un autre attribut de la personne (« Monsieur Katzantzakis a déclaré » peut ainsi être rendu par « l'auteur a dit », par «le délégué grec a dit », par « une personne a dit »), une idée par une autre idée plus abstraite.

Cette tactique s'applique tant à un segment de discours mal compris qu'à un segment que l'interprète a du mal à rendre avec précision dans la langue d'arrivée.

132 DANIEL GILE

6. La reproduction phonétique approximative Un nom mal entendu peut être rendu par une approxima­

tion phonétique, l'interprète essayant de reproduire le son tel qu'il l'a entendu. Cette tactique peut également être utilisée pour un terme technique non compris, s'il est raisonnable de supposer que ce terme en langue de départ est connu des auditeurs de l'interprète ou peut être compris par eux.

7. L'omission tactique Il s'agit d'une omission consciente de l'information véhiculée

par un segment donné si l'interprète ne l'a pas comprise, s'il l'a oubliée ou s'il a du mal à la restituer en langue d'arrivée. L'omission tactique' se distingue de l'omission inconsciente, qui intervient par exemple quand l'interprète n'a pas assez de capacité de traitement dans l'Effort d'écoute et d'analyse et qu'il n'enregistre' pas un segment de discours donné.

8. L'interpellation des auditeurs En cas de difficulté de compréhension ou de restitution, l'in­

terprète peut choisir d'en informer les auditeurs en sortant de son rôle d'alter ego de l'orateur, à travers une interpellation telle que « ...et un autre produit dont l'interprète n'a pas saisi le nom » (variante 'information') . Il peut aussi leur demander de demander à l'orateur de ralentir, de brancher son microphone si celui-ci est hors-tension, de se rapprocher du microphone s'il en est trop loin (variante 'demande d'intervention').

Si cette tactique peut avoir une certaine efficacité là où les autres sont impuissantes, notamment dans sa variante 'demande d'intervention', elle a peut-être un effet perturbateur. En effet, elle change brusquement les règles du jeu, l'interprète n'étant plus 'transparent' mais intervenant actif. Elle peut aussi gêner ou embarrasser les auditeurs en leur demandant d'inter­venir alors qu'ils ne le souhaitent pas. Aucune des études sur la qualité du travail n'a abordé cette question jusqu'à présent.

9. L'explication ou la paraphrase Face à la difficulté de restituer un terme technique ou un

concept par un terme précis ou une expression consacrée en langue d'arrivée, l'interprète peut choisir d'expliquer ou de paraphraser l'expression. Par' exemple, en électronique, ne connaissant pas le terme français consacré pour le terme anglais 'action impulse', i l peut parler de «la recherche d'une ligne par sélecteur actionné par impulsions » ; 5 en médecine

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 133

dentaire, ne retrouvant pas le terme français 'tronculaire' pour 'mandibular block', i l peut parler d'« anesthésie régionale ».

10. La simplification Face à un segment de discours que l'interprète a du mal à

comprendre ou à restituer, i l choisit parfois de le restituer sous une forme simplifiée, en n'en rendant pas tous les éléments. La simplification implique donc des omissions, mais à un niveau plus 'régional' que ponctuel. La restitution de l'information à un niveau d'abstraction plus élevé (tactique 5) est un cas parti­culier de la tactique de simplification.

11. Le discours parallèle Dans des cas extrêmes où les conditions de travail sont parti­

culièrement mauvaises et où l'interprète pense qu'il est impéra­tif de parler, par exemple dans une situation où les compo­santes diplomatiques sont essentielles et le côté inforpiatif du discours est négligeable, i l peut être amené à formuler un dis­cours parallèle sur un segment donné, en s'efforçant de le ren­dre compatible avec l'identité et la position de l'orateur et avec la situation.

Cette tactique pose évidemment des problèmes déontologi­ques, dans lesquels nous n'entrerons pas ici.

12. La 'naturalisation sauvage' Il s'agit de l'adaptation phonétique ou morphologique d'un

terme dont l'équivalent en langue d'arrivée est inconnu de l'interprète.

Par exemple, le terme anglais 'transputer' a été rendu en français par 'transputer' prononcé « transput ère », le verbe anglais 'to drive' par la création spontanée 'driver' (dans ce deuxième cas, i l s'est avéré par la suite que certains Français utilisaient spontanément ce verbe « français » qu'ils avaient peut-être créé eux-mêmes). -

13. Le 'transcodage' Il s'agit de traduire littéralement l'expression ou le terme

dont l'équivalent consacré en langue d'arrivée est inconnu de l'interprète. Ainsi, dans une conférence, le terme français 'télé­détection' a été rendu en anglais par « télédétection » (le terme idoine dans le contexte eut été 'remote sensing').

14. Le repvoi des auditeurs à une autre source d'information

134 DANIEL GILE

Dans les conférences spécialisées, les interventions sont sou­vent accompagnées de diapositives ou transparents montrant des chiffres et noms de personnes, de lieux, de produits, de procédés. L'interprète qui n'a pas bien saisi un nom ou un chif­fre à l'écoute peut renvoyer les auditeurs à l'écran, par exem­ple en parlant des « produits que vous voyez énumérés à l'écran » ou des « chiffres que montre le transparent ». Il peut aussi renvoyer les auditeurs à des informations figurant au programme de la conférence ou dans un autre document dont ils disposent (textes d'interventions, résumés, textes publici­taires, etc.).

15. La permutation des informations dans la restitution Cette tactique, signalée par M . Lederer (1978), répond à un

besoin de sécurité face à un risque de saturation de la mémoire à court terme. Lors d'une enumeration de noms, on constate souvent que l'interprète restitue les derniers noms d'abord. Dans la mesure où i l le fait très rapidement, sur la base de la trace phonique, i l fait peut-être l'économie de la capacité de traitement nécessaire à leur traitement sémantique et réduit ainsi la charge totale de l'Effort de mémoire à court terme. On sait que la trace phonique d'un message verbal dis­paraît rapidement, alors qu'il subsiste plus longtemps une trace sémantique, qui correspond à un niveau d'analyse plus pro­fond (Sachs 1967). Si l'interprète devait restituer l'énumération dans l'ordre où elle est énoncée en langue de départ, le temps passé l'obligerait à un traitement sémantique sur l'ensemble de ses éléments.

16. La prise de notes S'agissant des chiffres et de certains noms, l'interprète pré­

fère parfois les noter par écrit pour ne pas les oublier. La perte des chiffres, notamment, est un phénomène bien connu en interprétation, et c'est face aux chiffres que la tactique de la notation est le plus souvent utilisée. Cette tactique est toutefois coûteuse en temps et en capacité de traitement.

17. La modification du décalage chronologique orateur-inter­prète

En modifiant l'écart chronologique entre son discours et celui de l'orateur (EVS), l'interprète peut agir dans une cer­taine mesure sur les besoins en capacité de traitement pour chacun des Efforts. En. se rapprochant de l'orateur, i l réduit les besoins de l'Effort de mémoire. En revanche* il prend le risque

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 13 5

de se tromper dans la compréhension du discours et d'avoir à déployer un intense effort de production par la suite pour redresser une phrase partie dans la mauvaise direction' (voir Ch. 4). En s'éloignant de l'orateur, l'interprète réduit l'incerti­tude et donc les risques de surcharge dans l'Effort de produc­tion, mais augmente les besoins de l'Effort de mémoire.

L'un des principaux apprentissages de la simultanée lors de la formation initiale des interprètes est probablement celui de la gestion de cette tactique en fonction des difficultés. Nous pensons que cet apprentissage est essentiellement inconscient, bien que des conseils ponctuels puissent également être donnés par des enseignants.

18. La restitution anticipée des premiers segments de la phrase En cas de grosse différence syntaxique entre la langue de

départ et la langue d'arrivée et en cas de structure enchâssée en langue de départ, pour éviter de surcharger la mémoire, l'interprète peut faire de petites phrases ou des débuts de phrases neutres', c'est-à-dire ne l'engageant pas dans une voie précise (voir Ilg 1978). Cette tactique présente toutefois le ris­que d'obliger l'interprète à consacrer un important effort au rattrapage' si la phrase ou le début de phrase qu'il a énoncé s'avère incompatible avec l'expression du reste du message.

19. La 'fermeture' du microphone Citons enfin cette autre mesure extrême, prise parfois quand

les conditions de travail sont si mauvaises que l'interprète s'es­time incapable de faire un discours cohérent, et préfère, par « dignité » (Seleskovitch 1968 :221) ou par « probité profession­nelle » (Constantin Andronikoff, dans sa préface à Seleskovitch 1968), mettre son microphone hors tension.

Cette tactique était encore préconisée dans certaines écoles à la fin des années 70. Il semble toutefois qu'elle soit en voie de disparition. Si dans les années 50, période où les interprètes jouissaient d'un grand prestige, cette protestation pouvait avoir pour effet un ralentissement de l'orateur ou une autre amélio­ration sensible des conditions de travail, avec la banalisation progressive intervenue dans la profession, elle ne paraît plus acceptable pour le client et les délégués. L'interprète préfère actuellement interpeller les auditeurs pour leur faire observer le problème, puis faire de son mieux en usant des autres tacti­ques énumérées plus haut.

136 D A N I E L G I L E

3.2 Critères de choix des tactiques

Chacune de ces tactiques est adaptée aux circonstances en fonction dun petit nombre de lois générales, expliquées ci-dessous. Notons aussi que pour un même segment de discours posant problème, l'interprète peut avoir recours à plusieurs tactiques successivement. Par exemple, face à une phrase mal comprise, i l peut tergiverser, puis simplifier, puis, le contexte lui ayant donné des indications, reconstituer la phrase.

Les tactiques peuvent être appréciées en fonction de leur coût, qui peut se mesurer selon trois variables principales :

— Le coût en temps et en capacité de traitement La corrélation entre les deux peut être directe ou indirecte.

Ainsi, l'explication peut demander du temps et une capacité de traitement liée à un effort d'analyse et d'expression. En revanche, la mobilisation du collègue passif et l'interpellation des auditeurs sont coûteuses en temps, mais leur coût en capacité de traitement provient essentiellement du retard qu'elles engendrent et qui appelle un effort accru pour le rattrapage.

— La perte d'information Chaque tactique a un coût potentiel en information perdue'

dans le discours en langue d'arrivée. Notons qu'une perte dans le discours n'implique pas nécessairement une perte d'informa­tion pour les auditeurs. En effet, une information précisée dans un segment de discours peut être répétée ailleurs, ou être déjà connue des auditeurs. C'est pourquoi même des tactiques impliquant un véritable abandon d'information dans le dis­cours (omission, passage à un plus grand niveau d'abstraction, etc.) peuvent n'affecter en rien la transmission du Message aux auditeurs. Par ailleurs, même une information non restituée qui est inconnue des auditeurs peut avoir pour ceux-ci une valeur négligeable, voire négative (informations superflues, parfois agaçantes pour les délégués). Sur le plan déontologi­que, l'omission d'une telle information s'oppose à l'obligation de fidélité. Sur le plan tactique, elle permet parfois de sauve­garder une information plus importante. Aucune recherche n'a tenté d'étudier les déterminantes de l'importance des informa­tions primaires' (faisant partie du Message) pour les délégués, ni la capacité des interprètes d'évaluer cette importance.

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— Les effets psychologiques ' de la tactique Outre l'aspect purement informationnel de chaque tactique,

les interprètes tiennent compte de ses incidences psychologi­ques' éventuelles. Ainsi, l'omission, si elle n'est pas détectée par les délégués, peut donner une (fausse) impression d'aisance chez l'interprète. En revanche, l'interpellation des auditeurs met en relief les difficultés qu'il éprouve et peut le discréditer.

On semble donc fondé à considérer que le choix des tacti­ques par l'interprète obéit à cinq lois générales :

1. La loi de maximisation du rendement informationnel Déontologiquement parlant, la loi prioritaire que suit l'inter­

prète dans le choix de ses tactiques est celle de la maximisa­tion du rendement informationnel de son discours. Notons que dans la sélection de la tactique à suivre, l'interprète tient pro­bablement compte non seulement du segment problématique pour lequel la tactique est nécessaire, mais également des seg­ments voisins, qui risquent d'être affectés par la tactique. Ainsi, il ne choisira pas la consultation de documents pour restituer un segment difficile si celle-ci, en prenant un temps et une capacité de traitement considérables, est susceptible de l'empê­cher de restituer un segment voisin important.

Signalons un cas spécial, où l'importance relative du coût en temps est très grande par rapport au coût en capacité de trai­tement. Il s'agit de la simultanée pour la radio et la télévision, où il est particulièrement important de ne pas faire attendre l'auditeur/le téléspectateur. Dans ce cas particulier, où les échanges sont en outre plus interactifs que dans la réunion multilingue courante et où l'aspect informationnel a souvent moins d'importance, la restitution de l'information dans sa totalité a une importance moindre dans la qualité du travail.

2. La loi de l'impact maximum Compte tenu de la philosophie de loyauté professionnelle de

l'interprète vis-à-vis de l'orateur et des ses intérêts, les tacti­ques choisies visent, indépendamment de la loi de maximisa­tion du rendement informationnel et parfois à son encontre, l'impact maximum du discours sur les auditeurs. Cette loi prend notamment sa signification dans le traitement des erreurs de l'orateur (voir Section 3.5 plus loin), mais elle per­met aussi d'établir des priorités entre les informations à trans­mettre et oriente la manière dont elles sont restituées.

138 D A N I E L G I L E

Dans la plupart des situations d'interprétation, la loi de l'im­pact maximum ne pose pas de problèmes particuliers, en ce sens que les intérêts communicationnels de l'orateur conver­gent avec ceux des auditeurs ou sont au moins acceptables pour eux. Il existe toutefois des situations particulières où cela n'est pas le cas, notamment lors des interrogatoires de témoins par les avocats au cours de procédures judiciaires (voir Morris 1989).

3. La loi du moindre effort Cette loi est étrangère à toute considération technique, mais

sa présence est postulée dans une grande partie des activités humaines (Zipf 1949), et notamment dans le langage (Miller 1962). I. Pinchuk l'érigé en principe fondamental de la traduc­tion technique (1977: 206) :

«In any event an adequate translation will always be one that has been produced with just enough expenditure of time and energy to meet the needs of the consumer. It should not be of a higher qua­lity than he requires if this will introduce a higher cost... »

Nous n'avons entendu aucun professionnel ou enseignant prendre une telle position économique' sur l'interprétation. Le discours dans les écoles vise le meilleur résultat, et non pas un équilibre entre la dépense et le résultat. Néanmoins, l'observa­tion sur le terrain du choix des tactiques par des interprètes en cabine s'explique souvent mieux par la loi du moindre effort que par d'autres raisonnements.

4. La loi d'auto-protection Parfois, les interprètes perdent un élément important dans le

discours et choisissent de ne pas en informer les auditeurs, les privant ainsi de la possibilité de demander à l'orateur de répé­ter ou de préciser. Un tel choix s'oppose à la loi du rendement maximum et ne peut pas toujours s'expliquer par la loi du moindre effort. Il s'agit plutôt pour l'interprète de se protéger en ne laissant pas apparaître ses difficultés et faiblesses.

Il convient toutefois de souligner que de telles tactiques ne relèvent pas toujours de la loi d'auto-protection. En effet, des interpellations répétées sont susceptibles de nuire non seule­ment à l'interprète, mais aussi à l'orateur, en ce sens qu'elles interrompent le fil du discours pour l'auditeur et abaissent le taux de réception. Notons aussi que parfois le discours est si visiblement ininterprétable, y compris aux yeux de l'auditeur,

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 139

que l'interprète ne perdrait rien en crédibilité à interpeller les auditeurs en leur précisant qu'il n'est pas en mesure de leur transmettre la totalité de l'information. C'est notamment le cas quand des orateurs s'expriment dans une langue qu'ils maîtri­sent manifestement très mal et qu'ils parlent avec un accent très fort, et quand ils sont particulièrement rapides ou confus. Dans de telles circonstances, l'interprète peut expliquer une fois ces difficultés, puis interpréter de son mieux. En interpel­lant les auditeurs de manière répétée, i l ne se protège pas davantage, mais réduit sensiblement l'impact de la partie du discours qu'il est en mesure de restituer, et risque d'irriter les délégués.

5. La loi de recherche de la sécurité Face à des problèmes prévisibles (enumeration, discours

denses, etc.), les interprètes peuvent chercher à assurer une certaine sécurité dans la transmission informationnelle. C'est le principe même de la prise de notes en consécutive, mais il semble que cette loi agisse aussi dans la prise de notes en simultanée et dans le raccourcissement du décalage entre ora­teur et interprète.

La première, la seconde et la cinquième de ces lois répon­dent à des principes déontologiques ; la troisième et la qua­trième relèvent plutôt de la faiblesse humaine. L'équilibre entre elles dépend essentiellement de l'équilibre entre l'honnêteté ou la conscience professionnelle de l'interprète, qui privilégient la loi du rendement maximum, et différents facteurs qui agissent pour la plupart dans le sens contraire, à savoir :

— L'état de santé et la fatigue de l'interprète. — Les mauvaises conditions de travail, qui d'ailleurs engen­

drent une plus grande fatigue, et qui peuvent démotiver l'interprète.

— L'attitude des participants à l'égard des interprètes. Celle-ci peut agir dans les deux sens et a peut-être une inci­

dence bien plus grande qu'il n'est généralement admis. En effet, de nombreux interprètes comparent leur travail à une activité sportive dans laquelle un minimum est dû et où il est possible de faire mieux au prix d'un gros effort supplémen­taire. Selon que les délégués et orateurs semblent intéressés par ce que fait l'interprète et s'efforcent éventuellement de lui faciliter la tâche, ou au contraire sont indifférents à ses efforts et ont une attitude désagréable, l'interprète est plus ou moins motivé pour faire l'effort supplémentaire.

— L'importance que l'interprète attribue à son image

140 DANIEL GILE

La motivation de l'interprète dépend aussi de l'importance qu'il attribue à la qualité de son travail telle qu'il la perçoit ou telle qu'elle est perçue sur le terrain. Ainsi, quand i l est écouté en ligne' par un autre interprète ou par un client dont la réac­tion à son travail lui importe, i l peut avoir tendance à suivre davantage la loi de l'auto-protection. Quand i l sait que son tra­vail va être écouté attentivement avec possibilité de détecter toutes ses erreurs, par exemple quand son discours est enregis­tré et doit être étudié de près et éventuellement comparé avec celui de l'orateur, les tactiques choisies sont susceptibles de correspondre davantage aux exigences de la loi du rendement maximum. Quand i l sait que personne ne l'écoute vraiment, il peut avoir davantage tendance à se laisser porter par la loi du moindre effort.

— La tension nerveuse dans laquelle se trouve l'interprète Un interprète très tendu et angoissé est susceptible de suivre

davantage la loi de la recherche de la sécurité qu'un interprète plus décontracté.

3.3 Les stratégies et tactiques en consécutive

Les stratégies et tactiques énumérées ci-dessus à propos de la simultanée s'appliquent également pour la plupart à la consécutive. Soulignons cependant que sur le plan tactique, en consécutive, les interprètes travaillent souvent seuls et ne peu­vent donc mobiliser leur collègue passif. En outre, étant donné leur présence à côté de l'orateur et le fait que celui-ci ne parle pas pendant qu'ils interprètent, ils peuvent également lui demander des précisions sur un segment qu'ils n'ont pas com­pris ou pas retenu, ce qu'ils ne peuvent pas faire en simulta­née. Cette vingtième tactique n'a aucun coût en capacité de traitement, car elle intervient entre la phase d'écoute et. la phase de reformulation (voir Ch. 4) et ne compromet pas la suite du traitement de l'information. En revanche, elle est sus­ceptible de porter atteinte à la crédibilité de l'interprète, au même titre que la tactique d'interpellation des auditeurs.

Cependant, la plus grande différence entre simultanée et consécutive en cours d'interprétation est liée à la prise de notes. Sur le plan stratégique, certains enseignants de l'inter­prétation, notamment les Allemands de l'école de Heidelberg (Matyssek 1989), proposent l'apprentissage d'un système de symboles relativement complet. De même, S. Allioni de Trieste (1989) propose un système grammatical' particulier, où la

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 141

structure des notes reflète différentes caractéristiques gram­maticales' du discours. La maîtrise d'un système complet de symboles présente l'avantage d'une économie de temps considérable. Or, le temps d'écriture est un facteur déclen­cheur de problèmes très important (voir Ch. 4). Cependant, tant que les symboles ne sont pas parfaitement maîtrisés, leur recherche en mémoire est susceptible de demander beaucoup de temps et de capacité de traitement, et l'apprentissage est long. C'est pourquoi la plupart des enseignants pensent qu'il est préférable que les étudiants n'apprennent pas séparément un système de symboles, mais qu'ils créent ceux dont ils ont besoin au fil de leur expérience. Aucune étude empirique n'a apporté jusqu'à présent des indications sur l'efficacité relative de chacune de ces options.

Sur le plan tactique, le moyen le plus efficace de faire face à une difficulté due à un déficit en capacité de traitement durant la phase d'écoute consiste à interrompre la prise de notes pour consacrer la totalité de l'attention disponible à l'écoute. Cette tactique n'a aucun coût en capacité de traite­ment ou en temps, mais elle implique un risque d'oubli lors de la reformulation. Elle va donc à l'encontre de la recherche de la sécurité.

3.4 Les stratégies et tactiques en traduction à vue et simultanée avec texte

Tant dans la traduction à vue que dans la simultanée avec texte, une stratégie universellement utilisée est la préparation du texte. Il s'agit essentiellement du marquage des éléments difficiles à la compréhension ou à la restitution et de l'éven­tuelle indication manuscrite d'équivalents contextuels.

Parmi les techniques de marquage, rappelons la segmenta­tion du texte par des traits obliques, qui permet à l'interprète de délimiter visuellement des unités de traitement, ainsi que la numérotation des éléments d'une structure linguistique devant être restituée dans un ordre différent.

Sur le plan tactique, le résumé, c'est-à-dire la simplification par omission sélective, est une méthode à laquelle les inter­prètes ont souvent recours quand ils prennent du retard par rapport à l'orateur.

142 DANIEL GILE

3.5 Tactiques face aux erreurs de l'orateur

Face à une erreur manifeste de l'orateur, l'interprète peut user de trois tactiques :

— La restituer telle quelle en langue d'arrivée. Cette tactique obéit à la recherche de la sécurité, mais va à l'encontre des lois du rendement informationnel et de l'effet maximum.

— La corriger en suivant les lois du rendement et de l'effet maximum, et en prenant le risque de se tromper.

— S'en référer aux auditeurs, en leur signalant ce que l'ora­teur a dit et en exprimant ses doutes. Cette tactique donne elle aussi une certaine sécurité à l'interprète, mais va à l'encontre de la recherche de l'impact maximum, puisqu'elle dessert l'orateur.

4. Commentaires méthodologiques

Comme i l est précisé dans la Section 1, le présent chapitre décrit des faits dégagés au cours d'une observation personnelle sur le terrain ; i l les explique à travers les modèles d'Efforts et une réflexion personnelle, plutôt que sur la base de l'expéri­mentation ou d'une autre démarche scientifique systématique. On peut donc légitimement s'interroger sur le bien-fondé des indications présentées dans les pages qui précèdent.

En tant qu'interprète de conférence et enseignant de l'inter­prétation, nous considérons que les faits mêmes sont générali­sés et très clairs dans l'esprit des interprètes. La question qui se pose est de savoir comment en démontrer l'existence sur une base scientifiquement verifiable. La chose serait probablement possible à travers des questionnaires et interviews, ainsi qu'une expérimentation finement réglée pour provoquer des tactiques particulières chez les sujets. Trois séries de problèmes se posent à propos d'une telle démarche :

— Les efforts à déployer pour mettre en évidence l'existence de ces tactiques et stratégies paraissent disproportionnés si l'on ne cherche que la confirmation explicite d'une réalité qui, au sein de la profession, ne semble pas vraiment contestable. Ces efforts prendront en revanche tout leur sens si l'on vise une quantification des tactiques et de leurs effets.

— Compte tenu des 'bruits' et incertitudes inhérents aux pro­cédures observationnelles et expérimentales (biais dans l'échantillonnage, erreurs d'observation, erreurs dans l'enregis­trement des données, erreurs et incertitudes cjans les montages

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 143

expérimentaux, interférences induites par les questions dans les questionnaires et interviews, variabilité statistique), l'expéri­mentation risque d'aboutir à des incertitudes égales ou supé­rieures à celles que comporte la simple observation.

— Enfin, les obstacles psychologiques qui se dressent dans l'étude des tactiques auprès des praticiens sont redoutables, puisque certaines sont contraires à la déontologie de l'interpré­tation, et toutes mettent en évidence les faiblesses de l'interprète.

Comme i l est indiqué aux chapitres 2 et 3, la recherche sur l'interprétation n'en est qu'à ses débuts. Si les textes spéculatifs abondent, les études descriptives manquent (Stenzl 1983). La présente enumeration fait partie d'un effort descriptif et pour­rait servir de base à une réflexion sur les phénomènes qualita­tifs intervenant dans la communication à travers l'interpréta­tion, ainsi qu'à à des recherches futures plus précises. Mais compte tenu des difficultés énumérées plus haut et du prix à payer pour les surmonter, à ce stade descriptif de l'étude des stratégies et tactiques des interprètes, une démarche scientifi­que rigoureuse et précise ne semble pas idoine. Si dans quel­ques uns de ses aspects, l'interprétation se prête à des méthodes expérimentales et quantitatives, dans d'autres, elle rejoint d'autres disciplines des sciences humaines avec une forte composante spéculative. Il ne nous semble pas acceptable de s'en tenir à des spéculations là où une vérification empiri­que semble réalisable, mais i l faudra probablement accepter, pendant longtemps encore, des méthodes plus subjectives et moins rigoureuses dans l'étude de certains aspects de l'inter­prétation touchant à des facteurs psycho-sociologiques et dé­ontologiques.

Chapitre 6

La qualité en interprétation de conférence

1. introduction

Dans tous les écrits fondamentaux, dans toutes les écoles spécialisées, ainsi que dans les associations professionnelles telles que l'AIIC, on souligne que l'interprétation de conférence est non pas une opération linguistique, mais un service de communication ayant pour finalité de faire passer des « mes­sages ». Une telle prise de position devrait conduire naturelle­ment à une interrogation sur les modalités et la qualité de cette transmission de messages en communication multilingue. Et pourtant, J. Carroll notait en 1978 que les travaux de recherche sur la qualité en interprétation étaient très rares. Non seulement i l y avait peu d'études empiriques cherchant à cerner des réalités sur le terrain, mais même sur le plan théori­que, l'attitude assez consensuelle des chercheurs était interpréto-centrique : la qualité était définie par eux, selon leur vue du service en question, et non pas par les commanditaires et les bénéficiaires, et jusqu'à une date fort récente, les cher­cheurs n'éprouvaient pas le besoin de préciser ses contours, ni de réexaminer leur point de vue de manière critique. Dans un article sur la qualité publié dans le Bulletin de l'AIIC (1979:113), ce point de vue apparait clairement :

« Senior members of AUG, with a sigh and a smile, refer to the sub­ject of quality as « the monster of Loch Ness ». They don't mean to say that quality doesn't exist. They feel that it gets talked about a lot, but that nobody has ever managed to catch (define) it for all the world to see and believe and that nothing can be done about it.

D A N I E L G I L E

The quality of an interpreter's performance and the monster of Loch Ness have another feature in common : those who see; it reco­gnize it immediately. And interpreters instinctively, without having an official A U G definition, agree on what is good quality and what isn't. »

Le présent chapitre présente quelques réflexions person­nelles sur cette notion centrale de qualité, évoque les travaux réalisés sur ce thème, et analyse les questions méthodologiques qui se sont posées lors de ces travaux.

2. Le cadre de la communication en interprétation de con­férence

La 'qualité de l'interprétation' mesure une prestation de ser­vice ; i l apparaît donc intéressant de l'analyser d'abord en tant que telle, dans son cadre naturel.

2.1 L'interprète est-il le « double« de l'orateur ?

Généralement, l'axe de communication central en interpréta­tion est conçu (Fig. 1) comme reliant linéairement l'orateur, l'interprète et le délégué (ce singulier désigne ici collectivement les délégués qui écoutent l'interprète).

Orateur . >- Interprète • - — ^ Délégué

Figure 1 : L'axe de communication central en interprétation

Dans cet axe, l'interprète de conférence est un médiateur «transparent», qui se confond avec l'orateur en produisant à l'intention du délégué un discours en langue d'arrivée « équiva­lent » au discours en langue de départ. C'est ainsi que se définit la mission de l'interprète de conférence (par opposition notam­ment aux interprètes de liaison) de manière apparemment consensuelle dans l'ensemble des milieux professionnels.

Or, comme i l est expliqué au Ch. 4, pour des raisons techni­ques liées à la capacité cognitive de l'interprète, cet objectif n'est pas toujours réalisable. Concrètement, le contenu du dis­cours d'arrivée s'écarte souvent du contenu de l'original en

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 147

dépit des efforts de l'interprète. Il y a donc un décalage entre la réalité et l'image projetée, dû entre autres au fait que le délégué reçoit l'interprétation à la place de l'original et non pas en tant que résumé ou commentaire.

Ce décalage pose un problème déontologique et moral : l'in­terprète a-t-il le droit de se présenter comme le « double » de l'orateur quand il ne peut l'être ? A-t-il le droit de parler « à la première personne du singulier » quand i l sait qu'il perd des informations ? Doit-il au contraire présenter son discours comme une reproduction plus ou moins bonne de l'original ? Quelles seraient les conséquences professionnelles et commer­ciales' de ce changement ? Cette question n'a pas été abordée jusqu'ici dans la recherche sur l'interprétation.

Sans entrer dans une analyse approfondie de ces choix pro­fessionnels, i l est également intéressant d'évoquer, au regard de la recherche, le problème psychologique qu'ils peuvent poser. En effet, l'interprète, qui se fixe pour objectif la produc­tion d'un discours « équivalent » à l'original et qui n'est pas en mesure de le faire, subit une frustration qu'il exprime réguliè­rement sur le terrain. Il serait intéressant d'étudier ces réac­tions à court et à long terme, leur influence sur l'image qu'a l'interprète de sa profession et de lui-même, et leurs éven­tuelles incidences comportementales : désintérêt à l'égard de l'interprétation, baisse du professionalisme, notamment en ce qui concerne la préparation des conférences, recherche d'acti­vités plus satisfaisantes en dehors de l'interprétation, etc.

2.2 Les forces en présence

Le schéma de la Fig. 1 pose le principe de la loyauté de l'in­terprète à l'égard de l'orateur, mais ne tient pas compte de l'existence de différentes forces qui le poussent dans d'autres directions.

• On citera premièrement le problème des éventuelles contra­dictions entre les convictions personnelles de l'interprète et celles de l'orateur. Ces contradictions peuvent généralement être prévues au moment du recrutement, quand sont données des indications sur le thème de la réunion et sur l'identité des participants. L'interprète a alors la possibilité de refuser le contrat, ou de décider qu'il l'accepte en s'obîigeant en consé­quence à servir loyalement les orateurs qu'il interprétera, même si leurs opinions sont contraires aux siennes. Il est rare • que ces contradictions posent un véritable problème moral aux

148 DANIEL GILE

interprètes. Reste à savoir si en interprétant un orateur dont ils n'acceptent pas les opinions, ils sont aussi efficaces en tant que communicateurs à son service que dans le cas contraire. La même question se pose quand ils interprètent des orateurs à l'égard desquels ils éprouvent des sentiments négatifs : désap­probation morale, préjugés ethniques ou sociaux. La question est méthodologiquement difficile à étudier étant donné l'ab­sence de critères et d'instruments suffisamment fiables et pré­cis pour mesurer la qualité du travail. Elle ne semble pas avoir été souvent abordée dans les textes sur l'interprétation, même les textes de réflexion, anecdotiques ou prescriptifs, et l'on peut penser qu'elle n'est pas ressentie comme un problème réel dans la profession. Elle doit se poser avec davantage d'acuité dans l'interprétation communautaire' (« community interpre­ting », destinée aux immigrés).

Il existe toutefois d'autres forces en présence, auxquelles on pense moins spontanément et qui sont peut-être plus impor­tantes. En effet, la configuration des acteurs de la communica­tion en interprétation ne se limite pas à l'orateur, à l'interprète et aux délégués qui l'écoutent. En deuxième et en troisième ligne, l'on trouve d'autres personnages dont l'influence à l'égard de l'interprétation varie selon la situation (Fig. 2) :

Figure 2 : Le cadre de communication en interprétation de conférence

a. Les délégués Les délégués qui écoutent l'orateur en langue de départ

n'ont pas besoin de l'interprétation et ont tendance à considé­rer l'interprète comme un élément étranger et souvent gênant dans la communication, car l'interprétation implique des contraintes : préparation de documents, nécessité de parler dans un microphone, débit limité dans les interventions, réu-

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 149

nions plus longues, notamment dans le cas de la consécutive. Il s'ensuit qu'une présence non minoritaire de délégués de cette catégorie peut engendrer une pression supplémentaire sur l'in­terprète :

Quand la plupart des participants n'écoutent pas l'interpréta­tion, ils tendent à ne pas tenir compte dans leurs interventions de la participation des étrangers, d'où le non-respect des contraintes susmentionnées et une dérive vers des échanges ne concernant que les participants locaux, tant dans le fond que dans l'expression. Il en résulte des discours plus difficiles à interpréter pour les étrangers, à qui manquent des repères cul­turels pour comprendre les échanges. . En consécutive, notamment, quand seule une petite minorité de délégués passe par l'interprétation, l'interprète est soumis à une pression le poussant à abréger son discours en parlant plus vite, voire en résumant les interventions au lieu de les reproduire intégralement. Cette pression peut se traduire par des manifestations d'impatience de la part des délégués, voire par des instructions explicites du président de séance. Il arrive aussi qu'un délégué ayant compris la langue de départ inter­vienne sans attendre l'interprétation, obligeant ainsi l'interprète à insister pour interpréter, ou à traduire par la suite les deux interventions bout à bout, ce qui peut nuire à la qualité de la transmission des échanges aux délégués qui suivent à travers l'interprétation.

Il existe aussi des environnements particuliers où les exi­gences de certains délégués vont à l'encontre de l'aspiration de l'interprète à réaliser une restitution de qualité du discours de l'orateur telle que décrite plus haut. Le cas le plus frappant est celui des procès en justice, où un avocat peut chercher à dés­tabiliser un témoin, notamment en lui coupant la parole et en exploitant ses mots précis pour le piéger (voir à ce sujet Morris 1989).

b. Le client Le client, défini ici comme le donneur d'ouvrage qui paie

rinterprète, peut avoir des intérêts différents de ceux de l'ora­teur, et peut donc faire pression dans un sens qui ne favorise pas la fidélité de l'interprète à l'égard de l'orateur. S'il est lui-même organisateur de réunions avec interprétation ou chef-interprète, i l peut souhaiter éviter d'attirer l'attention des orga­nisateurs de la réunion sur les problèmes liés à l'interprétation (voir Section 4.1). Dans un tel cas, i l est susceptible de ne pas

150 D A N I E L G I L E

insister sur la qualité des conditions de travail : préparation d une documentation, respect du programme, choix d'un emplacement adéquat pour la cabine, etc. Par ailleurs, i l consi­dère parfois que l'interprète a une obligation de loyauté profes­sionnelle à son égard en tant que donneur d'ouvrage, plutôt qu'à l'égard de l'orateur, ce qui va à l'encontre de la neutralité' ou loyauté tournante' (loyauté à chaque orateur tour à tour) qui est à la base de la déontologie de la profession.

c. Le recruteur

Le recruteur est parfois le client (qui paie), et souvent un autre interprète. Même si la rémunération vient d'ailleurs, pour s'assurer une quantité suffisante de travail, l'interprète dépend davantage du recruteur que des délégués, qui en général réa­gissent peu à la bonne ou mauvaise qualité de la prestation (voir à ce sujet le livre satirique, mais souvent fort juste, de J. Coleman-Holmes 1971). La présence du recruteur sur le ter­rain peut donc avoir des incidences importantes sur le compor­tement des interprètes. Quand i l s'agit d'un collègue, sa pré­sence en cabine peut avoir un effet très stimulant sur la qualité du travail de l'interprète 'actif, car i l peut mieux éva­luer la qualité du travail que les délégués en salle (voir plus loin).

d. Les autres interprètes Leur influence est comparable à celle du collègue recruteur,

et peut aider l'interprète actif à maintenir son effort.

e. Le président de séance En tant que gestionnaire du déroulement de la réunion, qui

a autorité pour donner et reprendre la parole aux intervenants et pour intervenir lui-même à tout moment, le président de séance a un rôle important, notamment au regard du maintien de conditions de travail acceptables : horaires, débit de l'ora­teur, documents, discipline de microphone, etc.

f. Les techniciens Responsables du matériel électronique dans la salle d'inter­

prétation, ils ont à ce titre un rôle essentiel, tant pour le son que pour l'aménagement de l'espace dans la salle, notamment en ce qui concerne le positionnement de la cabine jl 'interpréta-tion et de l'écran sur lequel seront projetés transparents et dia­positives. Parfois, ils aident aussi à faire respecter la discipline

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N I N T E R P R É T A T I O N D E C O N F É R E N C E 151

du microphone. Dans certaines réunions, notamment avec équipement mobile et dans des environnements bruyants ou présentant des problèmes techniques, la compétence et la vigi­lance des techniciens sont indispensables à un déroulement correct de la réunion.

Les conflits d'intérêt ayant une incidence sur la loyauté pro­fessionnelle n'interviennent en général qu'entre orateurs, desti­nataires, clients et présidents de séance. On ne dispose pas d'études sur les éventuels effets de ces conflits sur la presta­tion des interprètes.

2.3 La fidélité

La loyauté' de l'interprète à l'égard de l'orateur s'articule principalement à travers sa fidélité au discours original. Les écrits sur la fidélité abondent dans les revues sur la traduction. Ils sont essentiellement réflexifs et normatifs (voir notamment Donovan 1990 pour une étude reflexive sérieuse du sujet), mais nous n'avons connaissance d'aucune tentative de justifier les positions de principe par des éléments empiriques.

Les stratégies de fidélité des interprètes (voir Ch. 5) ont des conséquences importantes sur l'évaluation de leurs perfor­mances dans des études empiriques. En effet, une restitution complète des informations de l'original reflète peut-être une perte de contrôle de la part de l'interprète face à un discours trop rapide, trop dense ou trop difficile à comprendre pour d'autres raisons, alors que l'ajout ou l'omission de certaines informations reflète peut-être non pas une baisse des perfor­mances, mais plutôt l'aboutissement d'un processus de prise de décisions visant à optimiser l'impact du discours. Les cher­cheurs non familiarisés avec les stratégies et tactiques des interprètes risquent de tirer de l'observation d'un corpus des conclusions erronées. C'est notamment ce que l'on reproche à Henri Barik (voir Bros-Brann 1976 et Stenzl 1983).

3. La perception de la qualité

La qualité du travail en interprétation est donc fonction non seulement de contraintes affectant sa faisabilité, mais aussi des normes de l'observateur. Au regard de la recherche empirique se posent aussi des problèmes méthodologiques liés à la capa-

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cité de chacun des acteurs concernés (Fig. 2) d'évaluer ladite qualité. Face à la certitude de l'AIIC citée plus haut, face aux affirmations de D. Seleskovitch, pour qui les interprètes, « Witnessing the results of their own performance they are always able to see whether their listeners have clearly unders­tood their translation » (1977:84), affirmations reprises par C. Donovan (1990:19), on trouve des opinions discordantes. Ainsi, C. Cartellieri (1983) considère qu'il n'existe pas de para­mètres de qualité fiables, et d'autres collègues évoquent diffé­rents problèmes d'évaluation. Pour G. Ilg (1988), un interprète n'évalue pas un collègue comme le ferait un délégué. C. Stenzl (1983 :30) ajoute qu'il est difficile d'évaluer une prestation sans tenir compte de l'identité des délégués qui l'écoutent. W.E. Lambert (1978) et C. Namy (1978) soulignent la difficulté d'écouter l'original et l'interprétation en même temps, difficulté expliquée ci-dessous. A l'Ecole de Genève, explique Namy, il faut souvent recourir aux enregistrements pour parvenir à un accord entre les membres d'un jury d'interprétation. Si Carroll (1978) considère qu'il y a corrélation entre intelligibilité et fidé­lité d'une interprétation, Stenzl (1983) n'est pas d'accord, et fait observer que l'une n'implique pas l'autre. Dans le même esprit, selon K. Varantola (1980), on dit souvent qu'un interprète par­lant d'un ton agréable et assuré peut tromper son monde. En revanche, W. Weber (1984:2) affirme qu'une interprétation défectueuse se repère immédiatement. Les pages suivantes analysent ces appréciations.

3.1 La fidélité informationnelle du discours de l'interprète

Le déterminant le plus évident de la qualité de l'interpréta­tion est sa fidélité informationnelle. Il se trouve que cette fidé­lité est difficile à évaluer en situation de conférence pour l'en­semble des personnes qui y participent.

a. L'orateur : En simultanée, i l parle en même temps que l'interprète et ne

peut donc l'écouter et juger sa prestation. Il arrive que les ora­teurs portent un casque et contrôlent l'interprétation tout en parlant. Toutefois, écouter l'interprétation d'un segment de dis­cours en le comparant à l'original, tout en prononçant un deuxième segment et en préparant mentalement le segment suivant, représente une charge cognitive probablement inabor-

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dable pour la plupart des orateurs. Parfois les orateurs n'écou­tent l'interprétation que pour s'assurer que les interprètes « sui­vent ». Dans ce cas, leur contrôle ne se fait que par rapport à quelques repères tels que les mots de la fin d'une phrase ou d'une proposition. En tout état de cause, i l n'y a pas de contrôle de l'intégralité du discours d'arrivée.

En consécutive, la situation est différente, dans la mesure où l'orateur a le loisir d'écouter la restitution de son discours par l'interprète. En principe, s'il comprend la langue d'arrivée, i l peut contrôler le discours cible. Sa capacité d'évaluer la qualité de celui-ci est toutefois limitée par le fait qu'en général, i l ne se rappelle pas avec précision l'ensemble de son propre discours. Il peut reconnaître une erreur ou un ajout dans le discours de l'interprète, mais est susceptible de ne pas y détecter une omis­sion, surtout s'il s'agit d'un passage d'importance secondaire.

L'existence de ce phénomène se confirme quotidiennement dans les écoles d'interprétation, lors des exercices de consécu­tive en classe : lorsqu'il est demandé à un étudiant de relever les inexactitudes et omissions dans l'interprétation que fait un autre étudiant d'un exposé fait par lui-même auparavant, i l est le plus souvent incapable de pointer le doigt sur de telles défaillances informationnelles (voir Gile a.p. b).

b. Les délégués écoutant en langue de départ En simultanée, les délégués qui écoutent l'orateur en langue

de départ ne se préoccupent pas de l'interprétation, qu'ils n'en­tendent pas. En consécutive, i l entendent l'interprète, et ceux d'entre eux qui connaissent suffisamment bien la langue d'arri­vée se retrouvent dans la même situation que l'orateur qui la comprend, dont le cas est évoqué ci-dessus.

c. Les délégués écoutant en langue d'arrivée Ces délégués, les véritables destinataires de l'interprétation,

n'ont pas en principe une compréhension suffisante de la lan­gue de départ pour écouter le discours original. En principe, ils ne peuvent donc pas juger de l'intégrité informationnelle du discours de l'interprète. En revanche, ils peuvent y déceler cer­taines erreurs manifestes, quand le discours en langue d'arri­vée leur semble incompatible avec ce qu'ils savent du sujet et de l'orateur.

d. Les interprètes passifs présents

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Les interprètes passifs' ont la compétence linguistique néces­saire, mais sont limités dans leur capacité d'évaluation par les mêmes difficultés que les délégués. En simultanée, s'ils sont assis dans la même cabine que l'interprète actif, ils ont la possi­bilité technique et la disponibilité pour l'écouter en même temps qu'ils écoutent l'original, ce qui n'est pas le cas du délé­gué, dont la principale préoccupation est en principe l'écoute du discours de l'orateur. Toutefois, pour l'interprète passif, le contrôle implique deux opérations simultanées : l'écoute d'un segment de discours original, et la comparaison de la restitu­tion d'un segment précédent en langue d'arrivée avec un seg­ment antérieur du discours original. Il charge donc son Effort de mémoire davantage que lors de la pratique de la simulta­née. En consécutive, l'interprète passif lui aussi ne se rappelle la totalité du discours original que s'il prend des notes comme son collègue actif, auquel cas i l peut réaliser un contrôle inté­gral de la fidélité de l'interprétation.

e. Autres acteurs S'agissant du client éventuellement présent, d'un recruteur

non interprète, du président de séance ou animateur de table ronde et des techniciens, tous se retrouvent essentiellement dans la même situation que les délégués écoutant en langue de-départ ou en langue d'arrivée, avec les mêmes contraintes et limites.

Il apparaît donc clairement que si une évaluation grossière de la fidélité informationnelle de l'interprétation peut être faite par les participants sur la base d'erreurs captées au vol, en simultanée, personne n'est en mesure de l'évaluer de manière fine et fiable, et en consécutive, seul un interprète passif qui se donne la peine d'écouter le discours et de prendre des notes comme s'il allait l'interpréter lui-même est capable de le faire.

Ces considérations expliquent, partiellement au moins, pour­quoi i l existe parfois une grande disparité entre les opinions qu'ont différents interprètes du travail d'un même collègue (Bertone 1989). C'est aussi la raison pour laquelle les affirma­tions de D. Seleskovitch et de W. Weber semblent peu fondées. En réalité, comme il est expliqué plus haut, non seulement les délégués ne peuvent évaluer correctement la fidélité d'une interprétation, mais même quand ils le peuvent, ils ne réagis­sent pas nécessairement. Le conseil de M . Lederer (1978), qui

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préconise l'écoute des sessions de questions et réponses, au cours desquelles l'interprétation est « vraiment » _ mise à l'épreuve pour en évaluer la qualité, n'est pas non plus suffi­sant, car des personnes interpellées peuvent répondre a côté' de la question sans que l'on sache si l'acte est volontaire, s'il est le résultat d'un manque de discipline dans l'expression, ou si elles n'ont simplement pas compris la question ; elles peuvent au contraire répondre de manière pertinente en ayant saisi une partie seulement de la question, ou répondre de manière non pertinente sans que la chose soit apparente. Il est d'ailleurs per­mis de penser que les participants à une conférence ne réagis­sent que sur certains points qui les intéressent particulière­ment. Citons à titre anecdotique, mais révélateur, une expé­rience vécue lors d'une conférence où l'interprète recruteur était bien introduit auprès des délégués, ce qui lui permettait de leur poser des questions très directes. Au cours de cette conférence, l'un des orateurs a fait une intervention peu claire sur un appareil opto-électronique. Conscient de la difficulté d'interpréter un aussi mauvais exposé, l'interprète recruteur s'est renseigné auprès des délégués sur leur réaction à l'inter­prétation du discours. Il s'est avéré que tous étaient très satis­faits, à l'exception de deux personnes, les représentants d'une société concurrente de la première qui fabriquait un appareil similaire. Il semblerait que seuls ces deux délégués aient eu besoin de comprendre l'exposé de manière précise et qu'ils aient jugé l'interprétation en fonction de ces besoins. Ce sont aussi les seuls qui se soient rendus compte des faiblesses du discours en langue d'arrivée.

Techniquement, i l est possible de contourner la difficulté en enregistrant le discours original et le discours de l'interprète et en comparant les enregistrements. Toutefois, cette procédure, très consommatrice de temps, n'est envisageable que pour les chercheurs, par opposition aux délégués, qui sont sur les lieux de la réunion pour y participer et non pas pour évaluer les interprètes (sauf dans les cas où des enregistrements sont faits pour les besoins de la conférence). En outre, pour les cher­cheurs se pose un problème d'accès au corpus, qui est traité plus avant dans la Section 4.1.

3.2 Qualité de l'enveloppe' du discours de l'interprète

L"enveloppe' du discours de l'interprète peut se décrire en termes de langue, d'usage terminologique, de clarté, de proso-

156 DANIEL GILE

die, de qualité de la voix (voir à ce propos les propositions de F. Pôchhacker 1992 pour une analyse très fine de ces paramètres, ainsi que l'expérience de M. Shlesinger (1992) décrite dans la Section 4.2), et le cas échéant en termes d'expression faciale et gestuelle.

Contrairement à la fidélité informationnelle, la qualité de la voix, de la prosodie et de l'expression faciale et gestuelle de l'interprète se laissent généralement évaluer assez facilement par tous les acteurs qui ont la possibilité technique d'écouter et de voir l'interprète, qu'ils comprennent ou non les langues de départ et d'arrivée.

En revanche, la qualité de la langue et la clarté de l'expres­sion ne peuvent être évaluées correctement que par les per­sonnes qui ont une maîtrise suffisante du sujet et de la langue d'arrivée. Dans la pratique, si l'on exclut les contrôles occasion­nels réalisés par le client, par le président de séance ou par des délégués écoutant normalement en langue de départ et curieux de savoir comment se déroule l'interprétation, cette évaluation est faite essentiellement par les interprètes passifs et par les délégués écoutant en langue d'arrivée. Quant à la préci­sion de l'usage terminologique, elle ne peut être évaluée que par les spécialistes, donc par les délégués écoutant en langue d'arrivée ou par les interprètes passifs s'ils sont spécialisés.

Il apparaît dès ce stade de l'analyse que : — Le contrôle de la fidélité informationnelle ne peut être

réalisé que par un petit nombre d'acteurs; en tout état de cause, ce contrôle demande un effort considérable.

— L'évaluation de la présentation se fait beaucoup plus faci­lement, et souvent spontanément et inconsciemment. Il est donc fort possible que pour de nombreux délégués, l'impres­sion d'une prestation plus ou moins bonne soit déterminée par la qualité de la présentation plutôt que par la fidélité réelle de l'interprète à l'orateur, surtout si les éventuelles erreurs et omissions n'affectent pas la cohérence et la plausibilité du dis­cours par rapport aux attentes et connaissances de l'évalua-teur. C'est ce qui expliquerait l'évaluation parfois étonnamment généreuse des délégués pour une prestation que l'interprète estime lui-même médiocre ou mauvaise.

3.3 Autres aspects de la qualité du travail

Considérer que la qualité du travail de l'interprète est uni­quement fonction de l'efficacité de la communication d'orateur

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 157

à destinataire et que la fidélité et la qualité de l'enveloppe sont ses seuls déterminants, c'est ne pas tenir compte de l'univers social, psychologique et économique dans lequel s'inscrit l'interprétation, où d'autres critères de qualité ont un poids bien réel.

A titre d'exemple, si lors de réunions face à face, il apparaît peu important que les hommes soient interprétés par des hommes et les femmes par des femmes, dans les interpréta­tions radio et télédiffusées, cet appariement compte pour les réalisateurs. Pour d'autres conférences, la tenue vestimentaire et la qualité du comportement des interprètes en cabine et hors cabine sont importantes. Ainsi, nous avons vu de nom­breux cas où certains interprètes ont été préférés à d'autres en raison de leur capacité de «s'intégrer» aux délégués —pour reprendre l'expression du client. Inversement, des interprètes jugés «insuffisamment aimables» ont été exclus du recrute­ment, quelle que fût la qualité de leurs discours en langue d'arrivée. Par ailleurs, certaines composantes comportemen­tales de la qualité de la prestation peuvent être qualifiées de «techniques». Ainsi, l'interprète travaillant lors de visites de chef d'Etat à chef d'Etat doit savoir comment se placer par rapport aux interlocuteurs à tout moment, quand passer de la chuchotée à la consécutive et inversement, quand traduire et quand se taire, quand se tenir à distance et quand se rappro­cher des interlocuteurs à travers les différentes étapes du par­cours officiel et officieux. Des erreurs à cet égard peuvent avoir un effet très préjudiciable à la qualité de sa prestation. La recherche sur ces composantes comportementales de la qualité pose de considérables problèmes d'accès aux informa­teurs potentiels.

Parmi les qualités comportementales, certaines appellent des réactions et évaluations contradictoires. Ainsi, chez un inter­prète, la rigueur peut être appréciée des collègues, notamment quand elle conduit à des exigences en matière d'information, car elle augmente les chances de l'équipe d'obtenir des docu­ments en vue de la préparation de la conférence ; en revanche, elle peut être mal vue par le client, qui préfère souvent une plus grande souplesse, fût elle délétère au regard de la fidélité aux discours.

Autre qualité périphérique par rapport à la prestation de communication proprement dite, la capacité de l'interprète de s'intégrer dans l'équipe d'interprètes dans laquelle il travaille. Cet aspect de la qualité du travail est particulièrement impor­tant pour les missions en déplacement, où les interprètes, et

158 DANIEL GILE

parfois les délégués et interprètes, se retrouvent pendant une période de plusieurs jours en groupe feirmé et plus au moins isolé. A qualité de prestation communicationnelle plus ou moins égale, le choix du recruteur se porte souvent sur l'inter­prète dont le comportement hors-cabine lui convient mieux, plutôt que sur l'interprète dont la prestation est un peu meil­leure. On observe également sur le marché des cas où cet aspect comportemental est un déterminant bien plus important que la performance de l'interprète en cabine.

Il est intéressant de noter que dans la plupart des écoles pro­fessionnelles, l'enseignement formel porte exclusivement sur la composante verbale de la qualité, et que les aspects comporte­mentaux ne sont que rarement abordés, même quand ils tou­chent directement l'efficacité communicationnelle: comporte­ment de l'interprète en cabine face au micro (maintien d'une distance toujours égale entre l'interprète et son micro, manipu­lation non bruyante des documents, emploi du bouton toussoir plutôt que du bouton de mise hors-tension du microphone, réactions face à un orateur qui parle sans un micro dans la salle, face à un orateur trop rapide, etc.), et de manière plus générale, comportement de l'interprète avec les orateurs, les délégués, les techniciens.

4. Aspects méthodologiques de la recherche sur la qualité

4.1 Problèmes d'accès

De l'analyse qui précède, il ressort que la qualité en interpré­tation est composée de plusieurs éléments de nature diffé­rente, que l'importance relative de ces composantes varie selon les types de conférence et les types de publics, et que la fidélité n'est évaluée que de manière approximative et peu fiable sur le terrain. Il s'ensuit que pour cerner de plus près sa réalité, il serait nécessaire de procéder à des recherches empiriques sur des échantillons nombreux, englobant des types de confé­rences, de délégués, de situations linguistiques et d'interprètes suffisamment variés pour pouvoir donner un tableau représen­tatif de la réalité sur le terrain.

Or, c'est précisément dans ces recherches empiriques que se pose de manière aiguë l'un des problèmes les plus difficiles dans la recherche sur l'interprétation, à savoir le problème d'accès au corpus.

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 159

L'accès à des conférences pour des études empiriques est rendu difficile par les facteurs suivants :

a. La variété des conférences physiquement accessibles aux chercheurs De pays en pays, voire de ville en ville, la situation est très

différente au regard des variables déterminant la qualité et sa perception: types de réunions, langues de travail, nombre et niveau de qualification des interprètes, conditions de travail. Les différences sont particulièrement importantes entre pays d'Europe occidentale et pays d'Asie et d'Afrique, mais elles prennent également de l'ampleur à mesure que l'on évolue de l'Europe occidentale vers l'Europe de l'Est, le Canada, les Etats-Unis, les pays d'Amérique latine, l'Océanie.

Un chercheur ou une équipe de chercheurs travaillant dans un pays donné auront du mal à couvrir' les conditions régnant dans d'autres parties du monde, ne serait-ce que pour des rai­sons financières, mais également pour des raisons linguistiques.

b. La confidentialité des réunions Certaines réunions, notamment les assemblées générales de

sociétés, les visites politiques, certaines réunions dans les orga­nisations internationales, ont une participation très restreinte et ne sont donc pas accessibles aux chercheurs.

c. Les recruteurs Si les organisateurs des réunions et les délégués ont tout

intérêt à ce que la qualité du travail des interprètes soit éva­luée de manière fiable et précise, le point de vue du recruteur est parfois différent. Dans l'ensemble, il fait partie de l'une des trois catégories suivantes :

— Il peut avoir une fonction adrninistrative chez le client (société, association, organisation internationale, organisme public) en tant que Directeur, responsable de la communica­tion, assistant d'un responsable, etc.

— Il peut être chef-interprète (dans une organisation interna­tionale) et donc avoir la responsabilité du recrutement des interprètes, voire de l'ensemble des questions touchant à l'interprétation.

— Il est souvent interprète-conseil, et agit comme consultant indépendant pour le compte du client.

160 DANIEL GILE

Dans les trois cas, le recruteur porte une partie de la respon­sabilité des résultats de l'interprétation, partie qui est très grande dans le deuxième et le troisième cas. Si, dans l'absolu, il est de son intérêt d'avoir une idée aussi précise que possible de la qualité du travail à attendre d'une situation d'interprétation donnée, i l peut redouter d'un autre côté de voir apparaître au grand jour des faiblesses dans le travail de l'équipe qu'il a constituée, que la faute lui en incombe ou non. Les responsa­bles administratifs chez un client ont par ailleurs pour priorité le bon fonctionnement de la réunion à laquelle ils travaillent, et craignent la gêne qu'est susceptible d'occasionner une démarche de recherche sous forme de questionnaires ou d'in­terviews. Les chef-interprètes, qui doivent souvent lutter avec l'administration de leur organisation pour assurer de meil­leures rémunérations, un meilleur statut et de meilleures conditions de travail pour les interprètes, peuvent craindre la mise en évidence de défaillances dans le travail de ces der­niers, qui peut avoir des effets néfastes. Quant aux interprètes-conseils indépendants, ils sont en concurrence commerciale' avec d'autres collègues remplissant les mêmes fonctions, et craignent toute intervention qui risque de leur nuire sur ce plan. C'est pourquoi quand des chercheurs s'adressent à ces recruteurs pour leur demander la permission de réaliser une étude sur la qualité de l'interprétation, ils essuient souvent des refus.

d. Les interprètes Les interprètes de conférence sont peu accessibles pour

deux raisons. La première est leur petit nombre : quelques mil­liers en tout dans le monde, quelques centaines au maximum sur les plus gros marchés (Paris, Bruxelles, Genève, Tokyo). Selon les pays et les combinaisons linguistiques, leur forma­tion, leur situation économique, leur statut professionnel et leur compétence sont très variables. Comme il a été indiqué plus haut, il n'est pas possible à une équipe de recherche locali­sée en un endroit du monde de couvrir toute cette variété d'environnements et de situations.

La deuxième raison de la difficulté d'accès du fait des inter­prètes est leur vulnérabilité. Vulnérabilité psychologique tout d'abord : les interprètes ont par formation et par idéal profes­sionnel l'ambition de parvenir à une fidélité informationnelle complète', et ressentent douloureusement le fait que souvent,

ils n'arrivent pas à réaliser cet objectif (voir Ch. 4). La vulnéra-

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 161

bilité des interprètes est également professionnelle : d'une part, la mise en évidence de défaillances dans leur prestation risque de leur nuire face au client, et d'autre part, elle les affaiblit face aux collègues recruteurs. Même si les chercheurs promet­tent la confidentialité des résultats de leur recherche, il persiste une certaine méfiance. En outre, du fait même de la recherche, une sensibilisation des délégués ou du client, nuisi­ble au statu quo, peut se produire. Enfin, les chercheurs sont souvent interprètes eux-mêmes. Dans ce cas, les interprètes qu'ils observent s'exposent avec toutes leurs faiblesses aux yeux de collègues qui sont par ailleurs recruteurs potentiels, d'où une réticence compréhensible.

4.2 Recherches empiriques publiées et en cours

Face à ces problèmes, si de très nombreuses publications portent sur la qualité du travail en ce sens qu'elles analysent différents aspects des performances des interprètes, les études empiriques ciblées sur l'évaluation de la qualité du travail en interprétation restent pour l'instant très peu nombreuses.

Et pourtant, sur le plan méthodologique, la démarche qui s'impose en première intention' est assez simple, puisqu'il s'agit de l'interrogation par questionnaires et interviews (voir Gile 1983b). C'est d'ailleurs de cette manière qu'ont procédé les rares chercheurs qui ont réalisé des travaux empiriques sur le sujet. En 1986, Hildegund Bûhler a interrogé par questionnaire des interprètes membres de la commission des admissions et du classement linguistique de l'ALTC sur l'importance relative de 15 variables sémantiques et pragmatiques du discours de l'interprète au regard de la qualité du travail.

Pour vérifier le degré de convergence entre les critères de ces interprètes et. ceux des délégués, Ingrid Kurz (1989b) a construit son propre questionnaire, reprenant les huit premiers critères de Bùhler, et l'a distribué à des délégués participant à une conférence médicale. Des 47 questionnaires rendus se dégage le tableau suivant :

La concordance du sens du discours en langue d'arrivée avec celui de la langue de départ a été jugée comme le facteur le plus important, comme c'était d'ailleurs le cas dans le ques­tionnaire de Bùhler.

De même, la cohérence logique du discours en langue d'arri-vçe a été jugée très importante dans les deux questionnaires.

162 DANIEL GILE

On notera toutefois que les interprètes ont accordé à ce critère un poids plus important que les délégués.

L'emploi des termes appropriés a lui aussi été jugé important par les deux groupes.

En ce qui concerne l'intégrité de l'information rendue en lan­gue d'arrivée par rapport à l'information dans le discours origi­nal, les délégués ont accordé à ce critère un poids sensible­ment inférieur à celui qui leur avait été attribué par les interprètes dans le questionnaire de Bùhler. Ingrid Kurz expli­que toutefois ce décalage par une interprétation différente de l'idée d'mtégrité', les interprètes considérant que celle-ci dési­gne le seul message, et les délégués englobant dans leur réponse toutes les redites et les redondances du discours.

Un important décalage apparaît en ce qui concerne la flui­dité du discours («fluency of delivery»), que les interprètes considèrent comme plus importante que les délégués. De même, la correction grammaticale est considérée comme rela­tivement peu importante par les délégués dans le questionnaire de Kurz, ce qui contraste avec le poids qui lui est accordé par les interprètes interrogés par Bûhler. Enfin, toujours dans le domaine linguistique, l'accent natif' et la qualité de la voix sont considérés comme importants par les interprètes et moins importants par les délégués.

En conclusion, Ingrid Kurz note qu'une forte corrélation entre les deux groupes n'a été trouvée qu'en ce qui concerne les critères « essentiellement nécessaires à la communication » ; en revanche, les critères linguistiques et phonétiques ont été jugés bien plus importants par les interprètes que par les délégués.

De son côté, Lydia Meak de Trieste (1990) a rédigé un ques­tionnaire qu'elle a présenté à dix médecins italiens ayant cha­cun une spécialité différente. Les neuf questions, auxquelles les répondants devaient ajouter des observations et suggestions, portaient respectivement sur :

— l'efficacité générale de la simultanée pour la compréhen­sion de discours dans une langue non connue

— les éléments les plus dérangeants de l'interprétation — l'importance de la connaissance par l'interprète des fonc­

tions de l'orateur et d'autres renseignements sur sa personne — les éléments d'un tableau qu'il est indispensable de

restituer — les éléments à traduire lors du commentaire sur un film

ou sur des diapositives

R E G A R D S SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 163

— les branches de la médecine qui nécessitent une précision particulière

— l'effet de la rapidité du discours de l'interprète — l'importance des conclusions — la nécessité de traduire les abréviations.

Des réponses, il apparaît entre autres que les médecins ita­liens font preuve d'une certaine indulgence à l'égard des inter­prètes en matière terminologique, mais qu'ils sont plus exi­geants quant à la connaissance générale du sujet traité.

Dans une étude de cas publiée en 1990, Gile a interrogé par questionnaire des délégués médecins sur la qualité d'une pres­tation d'interprétation au cours d'une conférence médicale. Les questions portaient sur :

— La qualité générale de l'interprétation — La qualité linguistique de l'interprétation — La qualité de l'usage terminologique dans l'interprétation — La fidélité — La qualité de la voix et de la prosodie des interprètes — Les principales faiblesses de l'interprétation

Cette étude visait elle aussi non pas une évaluation «objec­tive » de la qualité du travail, mais une exploration de l'impor­tance relative qu'accordaient les délégués à chacun des cri­tères. Malheureusement pour cette tentative (mais heureuse­ment pour les délégués et interprètes concernés), les évaluations ont toutes été très positives, ce qui n'a pas permis de mesurer le poids relatif de chacun des éléments de qualité par rapport à l'évaluation globale. On notera toutefois que chez les deux répondants qui ont donné une évaluation négative de la qualité vocale et prosodique de l'interprétation, l'évaluation de la qualité globale n'a pas souffert.

Reprenant le travail par questionnaire pour constituer des échantillons plus grands et pour avancer vers une plus grande discrimination par groupes d'utilisateurs, Ingrid Kurz (1992) a élargi son étude de 1988 à deux groupes supplémentaires: les délégués à une conférence sur le contrôle de qualité, et à une conférence du Conseil de l'Europe sur les équivalences des « périodes d'études », toutes les deux tenues en 1989.

Des résultats, il apparaît une fois de plus que le critère de concordance du sens de l'original avec celui de la traduction est le plus important pour tous les groupes, à l'exception des délégués du Conseil de l'Europe, qui ont considéré le bon usage terminologique comme plus important. La cohérence

164 DANIEL GILE

logique du discours a été considérée comme le deuxième cri­tère le plus important par l'ensemble des groupes à l'exception des médecins, qui lui ont attribué le même poids qu'à la concordance du sens, et des délégués du Conseil de l'Europe, qui lui ont attribué la quatrième place, après la terminologie, la concordance du sens et l'intégrité de l'information transmise.

Dans l'ensemble, la correction terminologique arrivait en troisième place, mais elle était première pour les délégués du Conseil de l'Europe et deuxième pour les ingénieurs. L'intégrité de l'information arrive en quatrième place, et la fluidité de la prestation en cinquième place.

La correction grammaticale de l'interprétation, considérée comme importante par les interprètes interrogés par Bùhler, a été créditée d'un poids très inférieur par les délégués, notam­ment les ingénieurs. La qualité de la voix et la qualité de l'ac­cent des interprètes ont eux aussi été évalués comme peu importants.

En Pologne, A. Kopczynski (1992) a réalisé une étude pilote sur la qualité en interrogeant par questionnaire 20 spécialistes des «humanités» (philologues, historiens, juristes, écono­mistes), 23 scientifiques, techniciens et médecins, et 14 diplo­mates, en faisant la distinction entre orateurs et délégués. Dans la première question, il était demandé aux répondants quelle était la plus importante fonction de l'interprétation. La seconde question reprenait la première, mais en proposant des réponses et en demandant leur classement. La troisième question demandait quels étaient les éléments « irritants » en interpréta­tion, et la quatrième proposait différentes réponses et deman­dait leur classement. Suivaient cinq questions sur le degré de participation de l'interprète à la communication outre le rôle de traduction proprement dit : L'interprète doit-il s'identifier à l'orateur? Imiter la prosodie du discours de l'orateur? Etre visible ou rester dans l'ombre ? Corriger d'éventuelles erreurs de l'orateur ? Résumer le discours ? Ajouter ses propres explications ?

Les résultats sont assez uniformes. Il apparaît pour l'ensem­ble de ces groupes que le critère de qualité le plus important est la restitution détaillée du contenu du discours. En deuxième place arrive la précision terminologique. L'impor­tance de celle-ci est confirmée par la convergence des orateurs et délégués sur le premier « irritant », à savoir un usage termi­nologique incorrect. Au deuxième rang des « irritants », les ora­teurs placent l'inexactitude dans la restitution du contenu de leur discours, et les délégués dans les phrases non terminées et

R E G A R D S SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 165

rincorrection grammaticale de l'interprétation. Quant au «degré de participation» de l'interprète, tous considèrent que ce dernier doit s'identifier à l'orateur et qu'il doit rester invisi­ble. Il est intéressant de noter que les orateurs tendent à accepter que les interprètes les corrigent, alors que les délé­gués présentent une tendance opposée.

Signalons enfin une intéressante étude expérimentale de M. Shlesinger (1992), dans laquelle elle a cherché à comparer l'ef­fet de certaines variables de présentation sur la compréhension et le rappel de l'interprétation. A ces fins, elle s'est servie d'en­registrements de passages d'interprétation qu'elle a transcrits. Plus de trois ans après, elle a demandé aux interprètes auteurs des interprétations initiales de lire les transcriptions, et a enre­gistré la lecture. Le résultat était un jeu d'enregistrements d'in­terprétations spontanées d'une part, et d'interprétations lues d'autre part. Puis elle a fait écouter les enregistrements à des sujets, et a comparé la compréhension et le rappel du contenu des enregistrements dans les deux types d'enregistrements. Dans l'ensemble, les résultats étaient meilleurs dans le cas de l'interprétation lue, ce qui va à l'encontre des idées générale­ment admises dans la profession, qui favorisent les discours spontanés (voir notamment Déjean Le Féal 1978).

La Commission de la recherche de l'ALIC a lancé une impor­tante étude par questionnaire sur la qualité. A titre de prépara­tion, au cours de l'année 1992, plusieurs membres ont réalisé des interviews en demandant essentiellement aux délégués ce qu'ils attendaient de l'interprétation et ce qui les gênait dans l'interprétation. Dans la seule série relativement importante (22 personnes), réalisée par une étudiante lors d'une conférence sur la ville de Berlin dans un centre culturel à Paris, le princi­pal « irritant » apparu portait sur la qualité prosodique de l'in­terprétation, alors que la correction terminologique et la cor­rection linguistique du discours en langue d'arrivée n'ont pas été mentionnées.

L'opinion exprimée dans le Bulletin de l'AIIC sur la qualité en tant que «monstre du Loch Ness», impossible à cerner mais identifiable dès qu'elle est visible, semble sérieusement ébran­lée au vu de ces résultats. Les grandes divergences observées dans les études citées plus haut peuvent être attribuées à diffé­rents facteurs, notamment aux différences entre les groupes d'utilisateurs, qui permettraient d'expliquer des résultats appa­remment surprenants. C'est ce que fait Ingrid Kurz en se ser­vant d'une typologie des conférences mise au point par Gile (1989b). La variabilité des situations, voire des pays et des

166 DANIEL GILE

comportements culturels y afférant, ainsi que la variabilité de l'expérience passée des délégués en matière d'interprétation, peut se refléter dans les attentes. De toute évidence, l'image est complexe, et justifie des études à grande échelle si l'on veut parvenir à des conclusions solides.

io8 DANIEL GILE

— Comme il est indiqué au Ch. 1, la grande majorité des auteurs de textes sur l'interprétation sont enseignants, et sont donc particulièrement intéressés par le sujet.

— La formation est un thème sur lequel il est possible d'écrire des textes substantiels sans introduire d'éléments de théorie ou de recherche, d'où une plus grande facilité de pro­duction. Par ailleurs, de tels textes sont acceptés même par des interprètes généralement hostiles à la théorie et à la recherche.

Le présent chapitre ne cherche pas à rendre compte de manière détaillée de l'ensemble des textes sur la formation à l'interprétation. La majorité d'entre eux sont réflexifs et nor­matifs et ne répondent pas aux critères de la recherche. Qui plus est, ils sont très répétitifs. Il existe par ailleurs de nom­breux textes de recherche qui touchent la formation indirecte­ment, notamment en ce qui concerne les langues, la gestion de la capacité de traitement, la compréhension. Ces textes et tra­vaux sont évoqués dans les autres chapitres de ce livre (voir aussi un intéressant tour d'horizon dans Mackintosh 1989). Le présent chapitre est consacré à une synthèse de la situation sur le terrain en matière de formation, à une présentation des idées qui ont cours dans ce domaine, et à des observations et interrogations méthodologiques.

D'après Ch. Thiéry, qui a dirigé pendant de nombreuses années la section d'interprétation de l'ESIT à Paris, « beaucoup d'interprètes, et non des moindres, ont acquis une grande com­pétence professionnelle sans suivre un enseignement quelcon­que » ; il ajoute qu'en théorie, « il n'y a rien dans cet apprentis­sage qui ne puisse être fait sur le tas, en l'absence de tout enseignement» (Thiéry 1981:105-106). D'autres enseignants, tels que W. Weber, ancien directeur de l'école de traduction et d'interprétation du Monterey Institute of International Studies, considèrent qu'il est de la plus grande importance de passer par la filière de formation institutionnelle, car à quelques exceptions près, lors de leurs débuts, les autodidactes acquer­raient tous de mauvaises habitudes et feraient des erreurs qui pèseraient sur le restant de leur carrière (Weber 1984:2).

Quoi qu'il en soit, sur tous les marchés d'interprétation un tant soit peu importants, européens, canadiens et japonais, la plupart des interprètes passent actuellement par la filière de la formation à l'école, qui remplit, outre l'enseignement des prin­cipes et techniques de la profession, deux fonctions :

— Une fonction de filtre : les écoles font un important travail de sélection en n'octroyant le diplôme qu'aux étudiants ayant atteint un niveau de compétence opérationnel' de l'avis des

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membres des jurys d'examen, qui sont en principe tous inter­prètes confirmés et reconnus. Notons que le taux de réussite est faible, de 30 à 50 96 des candidats à l'ESIT selon les années d'après D. Seleskovitch 1981:41, et souvent moins. A travers cette fonction de filtre, les écoles contribuent à préserver un niveau élevé de qualification dans une professipn qui n'est réglementée que dans un très petit nombre de pays.

— Une fonction de passerelle pour l'accès au marché du tra­vail: les écoles étant en étroites relations avec la profession, elles facilitent grandement les débuts professionnels de leurs diplômés.

2. Idées consensuelles

Depuis l'institutionnalisation du métier d'interprète de confé­rence, après la deuxième guerre mondiale, la formation à l'in­terprétation s'est cristallisée dans des écoles universitaires prises en charge par des professionnels. Les premières se situaient à Genève, Heidelberg, Paris, Vienne. Par la suite, de nouvelles écoles ont été créées dans d'autres villes, en Europe, puis ailleurs dans le monde.

Or, pendant les années cinquante et soixante, les praticiens, qui étaient peu nombreux, voyageaient beaucoup et se voyaient souvent. Contrairement aux chercheurs, les praticiens enseignants ont toujours beaucoup communiqué entre eux. Leur désir commun de donner un fondement solide à la pro­fession d'interprète de conférence s'est notamment concrétisé à travers la fondation de l'AHC, qui joue elle aussi un rôle important dans la détermination de la politique de la formation au sein de la profession. Rappelons que dans les grandes' écoles d'interprétation, la plupart des enseignants sont eux-mêmes membres de l'AIIC, qu'ils sont souvent connus et influents dans la profession, et que la Commission de la forma­tion se compose en majorité de représentants des écoles. Cette situation explique que les principes fondamentaux de la forma­tion se soient développés de manière remarquablement homo­gène, bien qu'il existe certaines divergences sur des questions techniques. Aujourd'hui encore, le consensus règne sur une partie importante du champ de la formation.

Ce consensus se voit dans la réitération, dans des textes de différents auteurs, des mêmes règles de base. Citons à titre d'exemple une récente brochure de l'AIIC intitulée Conseils

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aux étudiants souhaitant devenir interprètes de conférence (1991), qui précise entre autres les principes suivants :

— Les études d'interprétation de conférence sont réservées aux titulaires d'un diplôme universitaire ou d'une expérience ou qualification équivalente.

Plusieurs écoles ont d'ailleurs fait le choix d'un niveau d'en­trée plus élevé encore, en exigeant la licence, voire la maîtrise, à l'admission (voir Keiser 1979:12 et Skuncke 1979:2 dans ALIC 1979). Cette exigence universitaire est expliquée officielle­ment par la nécessité d'une certaine maturité intellectuelle chez l'interprète. Peut-être relève-t-elle aussi d'un désir de poser d'emblée le statut social de l'interprétation de conférence à un niveau élevé.

— L'admission à la formation en interprétation de confé­rence est conditionnée par les résultats à un test d'admission au cours duquel sont contrôlées les connaissances linguistiques du candidat, ses capacités d'analyse et de synthèse et sa cul­ture générale.

Le préalable sur lequel insistent le plus les enseignants est la compétence linguistique, qui doit en principe se situer dès l'ad­mission au niveau requis pour le travail en cabine. Autrement dit, dans les écoles d'interprétation, on forme à une certaine discipline intellectuelle et à des techniques plutôt qu'aux lan­gues. Cette distinction, elle aussi, nous semble motivée en réa­lité non seulement par des considérations techniques, mais aussi par une aspiration à un statut social plus élevé pour les écoles d'interprétation que pour les écoles de langues. Dans les faits, la condition de maîtrise opérationnelle des langues de tra­vail à l'admission n'est pas toujours remplie, et des cours de perfectionnement linguistique s'avèrent souvent indispensables (voir Ch. 8).

— Le responsable du programme de formation doit lui-même être un interprète de conférence en exercice « ayant une réputation internationale ». Les autres enseignants doivent eux aussi être des praticiens en exercice.

Dans un compte rendu succinct d'une table ronde sur la for­mation d'interprètes de conférence dans les pays du Bénélux tenue ên 1969, le ton est encore plus ferme : « Si l'on veut avoir la certitude que l'enseignement répond à la réalité profession­nelle, il est absolument indispensable que ce soient des inter­prètes professionnels qui assurent l'enseignement de l'interpré­tation» (AUC 1979). En effet, comme l'explique D. Seleskovitch (1981:25), les interprètes, «...connaissant les modalités d'exer­cice de la profession, sachant quel est le niveau requis,

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conscients des aptitudes nécessaires, [sont] les plus aptes à définir le contenu de l'enseignement ». Cette exigence très forte affirme et stabilise le statut professionnel, et non pas universi­taire, des écoles d'interprétation. Sur le plan de la formation, elle pose des problèmes pratiques et méthodologiques : les bons praticiens ne sont pas nécessairement de bons enseignants, et leur disponibilité limitée ne leur permet pas toujours d'assurer leurs cours avec la régularité voulue (voir Hofer 1986). Sur le plan de la recherche, cette exigence est associée aux pro­blèmes évoqués dès le Ch. 1.

— La formation doit porter tant sur la consécutive que sur la simultanée.

Cette règle peut sembler anachronique à une époque où sur de nombreux marchés, la consécutive a quasiment disparu (Seleskovitch 1981:38). Pourtant, sur le plan de la formation, la consécutive continue à être considérée comme très impor­tante (voir Section 4.1.2).

— L'entraînement doit se dérouler dans des conditions aussi proches que possible de la réalité professionnelle.

— Il s'agit donc de simuler d'aussi près que possible la situa­tion de l'interprète professionnel sur le terrain. A l'évidence,, dans les écoles d'interprétation (par opposition aux stages de formation dans les organisations internationales telles que les Nations Unies et la Commission des communautés euro­péennes), cette simulation a des limites (durée des exercices, environnement physique, absence de Vrais' délégués, situation de communication où les seuls enjeux sont éducatifs, etc.). Il est intéressant de noter qu'au-delà des déclarations de prin­cipe, aucun projet de recherche n'a été réalisé pour vérifier l'effet de ces limites sur l'efficacité de l'apprentissage.

3. Aptitudes à l'interprétation et sélection

3.1 Les aptitudes fondamentales

Les aptitudes fondamentales nécessaires à l'interprétation font l'objet de nombreux textes de réflexion. A titre d'illustra­tion, qui reprend les idées généralement admises, W. Keiser (1978) en énumère treize (la quatorzième dans la liste ci-dessous, qui est très fréquemment mentionnée par d'autres auteurs et enseignants, découle de la huitième, à savoir la curiosité intellectuelle) :

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1. Une bonne connaissance des langues de travail 2. Une bonne capacité d'analyse 3. Une bonne capacité de synthèse 4. Une capacité intuitive d'extraction du sens du discours 5. Une bonne capacité de concentration 6. Une bonne mémoire à court-terme et à long terme 7. Une voix et une présentation acceptables 8. La curiosité intellectuelle 9. L'honnêteté intellectuelle

10. Le tact et un certain sens diplomatique 1 i . Une bonne endurance physique 12. Une bonne endurance nerveuse 13. Une bonne santé 14. Une bonne culture générale

Certaines sont évidentes (la connaissance des langues, ainsi qu'une voix et une présentation acceptables). D'autres s'expli­quent par des contraintes professionnelles (honnêteté, tact, curiosité intellectuelle). D'autres encore ne sont pas expliquées ou documentées. Ainsi, on peut se demander ce qu'est réelle­ment la capacité intuitive d'extraction du sens du discours', et pourquoi l'endurance physique et la bonne santé sont néces­saires dans un métier qui ne nécessite aucun effort physique particulier et qui se déroule généralement dans des conditions de confort qui, tant sur le plan de l'environnement physique du travail que sur celui des horaires, ne semblent pas plus péni­bles que dans de nombreuses autres professions où l'on ne souligne pas ces conditions de santé et d'endurance physique.

D. Gerver, psychologue qui enseigna à l'université de Stirling en Ecosse, a réalisé à l'école d'interprétation de la Polytechnic of Central London des tests de personnalité sur les étudiants de ladite école ainsi que sur des interprètes professionnels. Ces tests n'ont pas permis de dégager un profil psychologique caractéristique (Longley 1989). D'autres travaux sociologiques, réalisés à partir de questionnaires et consacrés aux différences entre les profils des interprètes et ceux des traducteurs (Hen-derson 1987, Suzuki 1988), n'apportent guère d'éléments com­plémentaires sur le plan psychologique. La plupart des écoles visent en réalité dans leurs contrôles des aptitudes fonction­nelles plutôt que des profils de personnalité.

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3.2 Les tests d'admission

Les tests d'admission sont un sujet qui revient régulièrement dans les publications sur l'interprétation. Leur importance est grande en raison du très fort taux d'échec constaté dans les écoles.

Dans leur forme la plus simple, qui est adoptée par de nom­breuses écoles, les tests d'admission se composent des élé­ments suivants, avec quelques variantes (voir Keiser 1978) :

— Des interviews dans les langues de travail du candidat: ces interviews aident à contrôler sa connaissance desdites lan­gues et permettent aux membres du jury de se faire une idée de sa personnalité, et notamment de sa capacité d'expression.

— Un exposé improvisé sur un sujet d'actualité. Il est destiné à vérifier la capacité d'expression orale du candidat, sa curio­sité intellectuelle, sa culture générale, ainsi que sa maîtrise de la langue concernée.

— Un contrôle de la compréhension d'un exposé non techni­que fait par l'un des membres du jury ou d'un texte écrit non technique : il est demandé au candidat de résumer le texte ou exposé et/ou de répondre à des questions le concernant.

— Parfois, un exercice de traduction à vue, qui permet de vérifier la compréhension d'un texte en langue de départ, ainsi que la capacité de séparation des deux langues en contact chez le candidat.

Dans certaines écoles, des épreuves de traduction écrite font également partie de la sélection des élèves-interprètes. A l'ISIT, elles permettent d'éliminer un grand nombre de candidats dont les connaissances linguistiques sont à l'évidence trop faibles, avant de présenter les autres à l'oral. A la Polytechnic of Cen­tral London, un exercice de shadowing avait également été incorporé dans la batterie de tests (Longley 1978). D'autres auteurs, tels que S. Lambert (1992a), proposent d'utiliser des tests de Cloze pour évaluer la connaissance des langues, la compréhension et la capacité d'anticipation des candidats.

Une idée intéressante est proposée par B. Moser (1978), qui part d'une base double: d'une part, l'idée selon laquelle une certaine période d'adaptation serait susceptible de révéler des aptitudes qui n'apparaissent peut-être pas pleinement lors-d'un examen unique et très court; d'autre part, l'analyse cognitive des opérations de la simultanée conduit B. Moser à se concen­trer sur des aptitudes spécifiques. D'où l'idée de proposer aux candidats un cours préparatoire d'une quinzaine de séances

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d'entraînement à des tâches particulières, le tout étant suivi d'un examen. Les exercices proposés sont les suivants :

— En guise d'entraînement au partage d'attention, des exer­cices de shadowing et d'écoute avec comptage ou comptage à rebours, suivis de la présentation par l'étudiant d'un résumé du discours entendu.

— Des exercices d'analyse et de réexpression sous forme de paraphrasage.

— Des exercices de détection et de notation de chiffres dans des discours qui en contiennent beaucoup.

A la fin du stage, chaque candidat fait l'objet d'une recom­mandation : « favorable », « favorable avec réserves », ou « défa­vorable» à la poursuite des études en interprétation. Selon Moser (1985), un suivi de 4 ans fait apparaître une forte corré­lation entre les résultats de ce stage et ceux des études subsé­quentes au Monterey Institute of International Studies.

Dans l'ensemble, les écoles considèrent que leurs méthodes de sélection ont fait leurs preuves, en ce sens que peu de can­didats inaptes à l'interprétation sont admis, même s'il arrive que des candidats possédant les aptitudes de base soient refu­sés (Keiser 1978). Cette appréciation nous semble discutable, dans la mesure où l'efficacité d'un test s'évalue aussi bien sur les faux positifs que sur les faux négatifs. En outre, il existe d'autres filtres au cours des études, et surtout celui des exa­mens du diplôme, où le taux d'échec reste très élevé, puisqu'il est supérieur, voire très supérieur à 50 % dans la majorité des écoles. Peut-on dans ces conditions parler de tests d'admission efficaces? Pour répondre à la question, il faudrait en savoir davantage sur les raisons des échecs en cours et en fin de for­mation. Précisons en passant que dans une étude observation-nelle récente réalisée à Trieste par A. Gringiani (1990), la fiabi­lité des tests dans son école s'est avérée médiocre. Il ne s'agit là toutefois que d'une étude de cas, et ce dans un système uni­versitaire où il n'existe pas de sélection à l'entrée (c'est le cas en Italie et en Allemagne) : de ce fait, les candidats se présen­tant à l'admission diffèrent peut-être de ceux qui se présentent dans des écoles plus sélectives, ce qui pourrait avoir une inci­dence sur l'efficacité des examens d'admission.

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 175

3.3 Sélection en cours et en fin de parcours

Si la sélection à l'admission est souvent débattue dans les textes sur la formation, il n'en est pas de même de la sélection en cours et en fin de parcours. Et pourtant, la proportion des abandons spontanés chez les étudiants admis aux programmes est assez élevée, probablement supérieure à 50 % dans la plu­part des écoles (observations personnelles). En outre, dans les cursus de deux ans, le passage de la première à la deuxième année est également marqué par un filtre : sur la base du tra­vail de l'année ou d'un examen de fin d'année, les enseignants peuvent recommander le passage au niveau supérieur, le redoublement de la première année, un séjour linguistique à l'étranger ou l'abandon de la filière. Dans les stages de six mois de la Commission des communautés européennes, des filtres du même type sont disposés à intervalles réguliers, à la fin du deuxième mois, puis à la fin du quatrième mois.

S'agissant de l'examen final dit « du diplôme », les tâches et critères de réussite ou d'échec sont très clairement définis. En effet, les épreuves consistent en une succession d'exercices simulant les principales formes d'interprétation que le candidat aura à accomplir dans sa vie professionnelle dans ses langues de travail : simultanée, consécutive et traduction à vue. Quant au niveau de performance requis, il est celui d'un interprète professionnel prêt à travailler en cabine. Dans les principales écoles d'interprétation, les jurys d'examen se composent d'in­terprètes professionnels, dont une partie au moins ne font pas partie du corps enseignant de l'école concernée, ainsi que de représentants d'organisations recrutant des interprètes. La for­mule est remarquablement homogène et semble être considé­rée consensuellement comme adéquate par l'ALTC et les écoles. C'est pourquoi la profession et les enseignants semblent ne pas s'interroger sur les examens du diplôme comme ils s'interro­gent sur les examens d'admission, bien qu'en réalité l'enjeu des examens de sortie soit plus important.

On notera l'absence d'études empiriques sur la validité de ces tests. Là aussi, si l'on en juge d'après l'intégration profes­sionnelle des diplômés, rares sont les réussites non méritées. En revanche, on ne sait pas quel est le taux des échecs non justifiés. Signalons toutefois qu'il n'est pas rare que des candi­dats malheureux à l'école se lancent tout de même dans la profession, s'y intègrent et soient considérés par leurs pairs comme des interprètes compétents. Il est donc fort possible, comme l'affirment certains collègues, que les tests du diplôme

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soient plus sélectifs que ne l'exigerait le maintien d'une qualité acceptable aux yeux des praticiens sur le marché.

Sur le plan professionnel, il s'agit là d'un moyen de régula­tion permettant théoriquement d'élever le niveau moyen des interprètes de conférence. Toutefois, on ne dispose pas d'études empiriques permettant de voir si une telle évolution a effectivement eu lieu. Sur le plan humain, cette forte sélecti­vité des examens pose un problème dans le système européen et américain: les études d'interprétation demandent un fort investissement psychologique, et souvent un investissement de temps considérable: la plupart des programmes durent deux ans, et la durée effective de la formation est souvent prolongée par le redoublement d'au moins l'une des années, ou par une année d'interruption pour perfectionnement linguistique dans un pays étranger. Un échec au diplôme aboutit à la perte de tout cet investissement, du moins sur le plan formel des diplômes. Deux autres formules existent pourtant :

— Le programme de traduction et d'interprétation de l'uni­versité du Queensland, en Australie, conduit au M.A., diplôme universitaire que les étudiants acquièrent au terme de leurs deux années d'études quel que soit le verdict quant à leurs aptitudes à l'interprétation professionnelle. Parallèlement, il existe un système national d'accréditation géré par la NAATI (National Accréditation Authority for Translation and Interpré­tation), qui propose des examens d'interprétation de différents niveaux (les étudiants peuvent se présenter à un examen d'in­terprétation «communautaire», de niveau moins élevé que celui de l'interprétation de conférence), et qui sanctionne l'apti­tude professionnelle. Ainsi, l'investissement des étudiants abou­tit à un titre universitaire monnayable sur le marché du tra­vail, même s'il n'aboutit pas à un diplôme professionnel.

— Dans certaines écoles d'interprétation japonaises, un « diplôme de fin d'études » est remis à tous les participants à la fin de leur scolarité. Toutefois, ce diplôme seul n'a pas de valeur professionnelle. La véritable qualification intervient lors­que les agences de traduction, qui réalisent également les pro­grammes de formation (les écoles sont privées et leur appar­tiennent), recrutent les diplômés et leurs décernent un label' d'interprète « C » (débutant), puis « B » (confirmé), puis « A » (de « première classe »), selon leur évaluation de la qualité du tra­vail effectué sur le terrain. Dans cette formule, contrairement au système normalisé des écoles européennes et de quelques écoles américaines, la sélection est informelle et personnelle.

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4. Les méthodes de formation

Dans toutes les écoles d'interprétation, l'enseignement se fait essentiellement à travers des exercices d'interprétation simu­lant la réalité : exercices de consécutive, de simultanée avec et sans texte, de traduction à vue. Les différences entre les écoles se manifestent dans l'abord de ces exercices et dans les cours et exercices périphériques :

4.1 La formation à la consécutive

4.1.1 Premiers contacts

Il est rare que les étudiants arrivant dans une école soient soumis d'emblée à des exercices d'interprétation proprement dits. En général, une préparation, même courte, est de rigueur. La forme la plus généralisée de ces premiers contacts est la « consécutive sans notes » ou « mémorisation », où les étudiants doivent résumer de courts exposés sans avoir le droit de pren­dre des notes. L'exercice peut être fait dans une seule langue, puis avec une langue de départ et une langue d'arrivée. Les exposés deviennent progressivement plus longs, plus difficiles, et il est demandé aux étudiants de les restituer d'une manière de plus en plus complète (voir les différents articles à ce sujet dans Delisle 1981, Gerver & Sinaiko 1978, Gran et Dodds 1989, ainsi que dans Seleskovitch et Lederer 1989).

Ces exercices sensibilisent les étudiants à la nature de l'écoute requise, à la nécessité d'analyser le discours original, aux exigences de rigueur dans la restitution, et les préparent à la « vraie » consécutive avec prise de notes.

4.1.2 La consécutive

Comme il est indiqué plus haut, la consécutive n'a plus la même valeur que par le passé en tant qu'outil professionnel, mais reste très importante sur le plan pédagogique. En fait, dans plusieurs écoles, dont l'ESIT et l'ISIT à Paris, une année entière, soit la moitié du cursus, est consacrée à la consécutive à l'exclusion de la simultanée; la consécutive continue d'ail­leurs à être pratiquée jusqu'à la fin de la deuxième année, et

178 DANIEL GILE

les épreuves de consécutive à l'examen du diplôme sont élimi­natoires au même titre que les épreuves de simultanée. En revanche, dans d'autres écoles, notamment à la Polytechnic of Central London et à l'ETI à Genève, la consécutive et la simul­tanée peuvent être enseignées indépendamment l'une de l'au­tre (AIIC 1979:25-26).

Certains enseignants critiquent la doctrine du passage obliga­toire par la consécutive (voir Francis 1989), en faisant valoir qu'il n'a jamais été démontré que les aptitudes nécessaires à la consécutive et à la simultanée sont les mêmes, et qu'enseigner la consécutive à des étudiants qui ne s'en serviront peut-être jamais n'est pas une bonne politique, surtout dans le cadre d'un programme de formation court.

Il n'existe à ce jour aucune étude systématique sur l'apport de la consécutive à la progression de l'apprentissage et à l'amé­lioration du résultat final en matière de simultanée. En revanche, il semble y avoir accord parmi les enseignants sur le fait que la consécutive est un excellent outil de formation à l'analyse et un excellent outil d'observation des étudiants. En effet, la séparation chronologique entre l'étape d'écoute et l'étape de reformulation est un frein au psittacisme (AÏÏC 1979:38) et une incitation à l'analyse, et la performance en consécutive permet de détecter un manque d'analyse là où la même erreur ou maladresse en simultanée pourrait être inter­prétée comme ayant pour origine une interférence linguistique ou un problème de production en langue d'arrivée.

Comme il a déjà été mentionné au Ch. 2 et au Ch. 4, les écrits sur la consécutive, et notamment sur la prise de notes, sont très nombreux, et peuvent préconiser des systèmes très élaborés, voire fondés sur une grammaire des notes' (Allioni 1989). Cependant, là aussi, aucune recherche n'est venue appuyer les affirmations des uns et des autres. Rappelons seu­lement un modeste résultat de recherche empirique, à savoir une confirmation expérimentale de l'influence néfaste de la prise de notes sur la qualité de l'écoute chez les étudiants débutants à travers l'indicateur des noms propres (Gile 1991b, voir Ch. 4).

4.2 La formation à la simultanée

De même que la consécutive est précédée d'une période d'exercices préparatoires, l'entraînement à la simultanée est lui aussi précédé d'une certaine préparation.

R E G A R D S SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 179

Celle-ci prend en général la forme d'exercices de partage de l'attention. L'exercice d'écoute et de comptage à rebours (ou autres modes de comptage non automatiques) semble unani­mement accepté. La répétition avec décalage ou shadowing, quant à elle, a donné lieu à de très nombreuses controverses (voir notamment Lambert 1992a). On lui reproche surtout de ne pas « ressembler » à l'interprétation, en ce sens qu'elle impli­que la répétition mot pour mot du discours original sans effort de réexpression, ce qui ne serait d'aucune utilité et favoriserait le psittacisme. Pour la psychologue cogniticienne S. Lambert, l'exercice présente apparemment (elle ne le précise pas, mais sa logique semble claire) l'avantage de demander une certaine analyse, puisque les éléments linguistiques sont reconnus, mais l'Effort de production requis est moins contraignant que dans la vraie simultanée, ce qui le rend utile comme préparation à la simultanée. B. Strolz (1992), quant à elle, pense que le par­tage de l'attention nécessaire au shadowing est très vite appris ; il n'a donc qu'une utilité très limitée dans le temps. On notera là aussi l'absence de toute tentative de vérification systémati­que par les faits des affirmations en faveur ou contre cet exer­cice d'entraînement.

De manière plus générale, non seulement la répétition avec décalage, mais aussi d'autres exercices sont condamnés par de nombreux enseignants orthodoxes' au nom du principe de la similitude maximum entre les exercices faits en classe et le tra­vail sur le terrain, formulé par les premiers enseignants et réaffirmé depuis de manière répétée (AIIC 1979). Ce principe relevait certainement du bon sens initialement, quand des sys­tèmes d'enseignement furent mis en place par des praticiens de l'interprétation qui n'avaient aucune connaissance en psy­chologie cognitive et en psycholinguistique. Toutefois, il nous semble que son maintien face aux contre-arguments scientifi­ques, sans aucune tentative d'analyse, relève du conservatisme idéologique, d'autant plus que dans divers domaines, et notam­ment dans les disciplines sportives, l'entraînement par des exercices sensiblement différents de l'activité-cible est chose courante et parfaitement admise.

Une autre controverse porte sur la formation à la simultanée vers la langue B. Comme il est expliqué au Ch. 4, les interprètes sont partagés sur le travail en simultanée vers la langue B (tout en admettant le travail vers le B en consécutive, où les contraintes de temps et les risques d'interférence linguistique sont moins importants). Si ses adversaires les plus farouches reconnaissent sa nécessité dans certaines circonstances,

ISO DANIEL GILE

notamment pour les langues rares (Seleskovitch et Lederer 1989), ils n'acceptent pas le principe de la formation à l'inter­prétation vers la langue B. En effet, ils estiment que la méthode doit être acquise dans les sens B fers A et C vers A, et qu'une fois maîtrisée, elle sera aisément transférée dans le sens A vers B sans formation supplémentaire. Pour eux, entraî­ner les étudiants dans le travail vers le B équivaut à ouvrir la porte à la facilité, au manque de rigueur et au psittacisme (AUC 1979:31).

On notera qu'aucune recherche sur l'éventuel effet délétère du travail vers le B en cours de formation n'a été effectuée à ce jour, de même qu'aucune étude n'a cherché à vérifier la transférabilité de la maîtrise acquise dans l'interprétation dans un sens langue X - langue Y vers l'interprétation dans une autre combinaison linguistique. Ce principe de la transférabilité de la maîtrise acquise dans une combinaison linguistique et dans une modalité d'interprétation vers d'autres combinaisons linguistiques et d'autres modalités est très fondamental dans certaines écoles, notamment à l'ESIT, et conduit à une démarche pédagogique axée sur la méthodologie au détriment de l'acquisition de connaissances et de mécanismes spécifiques.

On soulignera par ailleurs que certains marchés, et non des moindres, sont presque exclusivement bilingues. C'est notam­ment le cas du marché japonais, très actif. Dans ces environne­ments professionnels, tout interprète étant destiné à travailler vers sa langue B autant que vers sa langue A (les interprètes disposant de deux langues A sont très rares), on peut s'interro­ger sur ropportunité de ne former les étudiants qu'à l'interpré­tation dans un sens linguistique. Ne serait-il pas plus raisonna­ble de cerner de plus près les risques réels qu'implique un entraînement à l'interprétation vers une langue B et de mettre au point des stratégies visant à les réduire ? Il est intéressant d'observer que dans les pays occidentaux (on connaît très peu la situation dans les ex-pays de l'Est), aucune méthodologie n'a été mise au point (ou tout au moins publiée) pour répondre à cette situation. Peut-être la chose est-elle partiellement attri-buable au tabou qui a frappé pendant longtemps le travail vers le B dans les centres les plus actifs en matière d'enseignement, de théorie et de recherche.

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4.3 Les cours périphériques

4.3.1 Les cours d'acquisition de connaissances thématiques

En marge de l'apprentissage des principes et techniques de l'interprétation proprement dite, la plupart des écoles offrent, dans une mesure très variable, des cours permettant aux étu­diants d'acquérir des connaissances thématiques pertinentes. Il s'agit en général de cours sur l'économie, les relations interna­tionales, les institutions politiques. Rares sont les cours portant sur des sujets scientifiques et technologiques, qui fournissent pourtant une très importante partie du travail de la majorité des interprètes.

Une autre modalité d'acquisition de connaissances perti­nentes est celle des exercices d'interprétation qui sont consa­crés, pendant une période de plusieurs jours à plusieurs semaines, à des domaines particuliers (microélectronique, SIDA, sidérurgie, construction navale, etc.). A travers la prépa­ration et les exercices, les étudiants entrent en contact avec les idées et les termes propres au domaine étudié.

Aucune étude ne semble avoir été réalisée sur l'utilité de l'acquisition de connaissances préalables en cours de formation initiale, ni sur l'effet sur la qualité de l'interprétation de l'ab­sence d'une telle formation. On notera que dans la vie profes­sionnelle, une expérience ou une connaissance préalable du domaine est très appréciée des collègues recruteurs et des clients et constitue, à tort ou à raison, un « argument de recru­tement» important. Des études sur la qualité en fonction des connaissances thématiques préexistantes chez l'interprète pré­senteraient donc un intérêt pratique non négligeable, en ce sens qu'elles permettraient éventuellement de mieux orienter les cours d'acquisition de connaissances thématiques.

4.3.2 Les cours de perfectionnement linguistique

En dépit du principe qui veut que tout candidat admis à l'école d'interprétation possède déjà ses langues de travail au niveau requis pour l'interprétation professionnelle sur le ter­rain, de nombreux étudiants en interprétation présentent des faiblesses linguistiques, qui sont d'ailleurs souvent à l'origine de leur échec aux différents examens.

Or, dans le domaine de l'enseignement des langues étran­gères, il ne semble pas exister de programmes de perfectionne-

182 DANIEL GILE

ment linguistique au niveau de maîtrise nécessaire à l'interpré­tation de conférence, axé sur l'oral, sur la disponibilité et sur des registres particuliers, notamment techniques et oratoires (voir Ch. 8). C'est pourquoi les cours de perfectionnement lin­guistique mis en place par plusieurs écoles restent pour l'ins­tant artisanaux, et n'ont donné lieu qu'à un petit nombre de publications (Lafrance 1976, Déjean Le Féal 1978, Ilg 1978, Association des amis de l'ESIT 1987).

4.3.3 Les cours « théoriques »

Dans la plupart des écoles, la formation à l'interprétation se compose essentiellement d'exercices préparatoires tels que décrits plus haut et d'exercices d'interprétation proprement dits. Dans un petit nombre d'entre elles, des explications 'thé­oriques' sont données aux étudiants pour leur permettre de comprendre les problèmes auxquels ils se heurtent et la raispn-d'être des méthodes que leur proposent les enseignants pour y faire face. A l'ESIT, il s'agit d'un cours annuel en première année où les explications sont données au niveau de la vulgari­sation. A l'ISIT, il existe un cours semestriel de première année où sont présentés des concepts et modèles de base. Il s'agit notamment d'un modèle de communication, de modèles d'Ef­forts pour la consécutive et la simultanée (voir Ch. 4) et d'un modèle gravitationnel' de la disponibilité linguistique (Ch. 8), qui ont d'ailleurs été mis au point à des fins pédagogiques (voir Gile a.p. a).

Dans tous ces cas, l'effet de ces cours sur les étudiants, que ce soit en termes de résultats pratiques au cours des exercices d'interprétation ou en termes de motivation, n'a pas été mesuré.

5. Conclusion

Rappelons que la quasi-totalité des chercheurs en interpréta­tion sont des enseignants, que la formation est l'application par excellence de la recherche dans ce domaine, et qu'une grande partie des textes sur l'interprétation porte sur la formation. Rappelons aussi que c'est dans les écoles que l'on trouve les conditions les plus favorables à la recherche, notamment des étudiants intéressés et un environnement universitaire.

Dans ces conditions, il est frappant de voir à quel point les méthodes restent intuitives et artisanales et à quel point la

R E G A R D S SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 183

véritable recherche sur la formation reste absente. La situation dans ce domaine nous semble refléter clairement la position d'ensemble de la recherche dans les milieux de l'interprétation, position qui reste d'une grande faiblesse en dépit de la masse de textes universitaires publiés depuis les années 50.

Sur le plan pratique, force est de constater que la recherche n'a pas encore fourni aux enseignants d'indications solides sur l'efficacité relative des programmes qt méthodes de formation employés dans les différentes écoles. Si dans la thèse d'I. Pinter (1969), il s'est avéré que la capacité d'écouter et de parler en même temps était bien fonction de la durée de la formation antérieure, dans une étude de M. Viezzi (1990), les taux de rétention d'information après des tâches d'écoute simple, de lecture, de simultanée et de traduction à vue n'ont pas fait apparaître de différences entre étudiants et professionnels. Par ailleurs, dans l'étude de D. Gile sur les fautes et maladresses de langue survenant en interprétation (1987) évoquée au Ch. 4, aucune progression n'a été relevée entre le début et la fin de l'année universitaire. Les écoles seraient-elles plus efficaces comme filtres que dans leur fonction de formation ?

En tout état de cause, le champ d'investigation reste large­ment ouvert, avec de nombreuses possibilités de recherche, et, dans ce domaine précis, un accès facile aux sujets.

!

Chapitre 8

Aspects linguistiques de l'interprétation

1. Introduction

Une caractéristique singulière de la recherche sur l'interpré­tation, activité de communication centrée autour de la langue, est la très faible place qu'y a occupé pendant longtemps la recherche sur les questions linguistiques.

Le phénomène semble essentiellement attribuable à un rejet catégorique de ce thème de la part des chercheurs praticiens pendant toutes les années 70 et jusque vers le milieu des années 80, période pendant laquelle le monde de la recherche en interprétation était fortement dominé par la 'théorie du sens' (voir Ch. 2). Pour les tenants de cette théorie, les langues ont dans l'interprétation un rôle d'outil à vocation de transpa­rence, et les préoccupations linguistiques relèvent de l'appren­tissage des langues et non pas de l'interprétation proprement dite (voir Ch. 2 et Section 2.3 du présent chapitre) ; celle-ci se résumerait essentiellement à une analyse intellectuelle, suivie de la production 'spontanée' d'un discours.

Cette position a fortement influé sur le statut des disciplines linguistiques dans la recherche sur l'interprétation au sein de la communauté des praticiens-chercheurs. En effet, les tenants de la 'théorie du sens' refusent d'étudier au plan linguistique les modalités de décodage et de codage. Ils postulent notam­ment qu'à partir du moment où les langues sont maîtrisées et le sujet et la situation connus, la compréhension ne pose « aucun problème » en interprétation, où les ambiguïtés n'exis­tent pas (Seleskovitch dans Seleskovitch et Lederer 1984:120, 274). La production du discours elle non plus ne pose pas de

136 DANIEL GILE

problème : « Sachant ce que nous voulons dire, nous énonçons les pensées les plus complexes, et les mots viennent nous servir avec une spontanéité presque totale» (Seleskovitch 1968:43) ...«Si le sens a été parfaitement saisi, l'original parfaitement déverbalisé, les mots pour le dire arriveront aisément, du moins en langue maternelle » (Seleskovitch et Lederer 1989:97).

Cette position théorique est, rappelons le, en contradiction avec les connaissances linguistiques et psycholinguistiques actuelles en matière de compréhension et de production du discours. Elle a pu exercer un certain attrait sur des praticiens enseignants (voir Ch. 4), mais à mesure que l'on reconnaissait le niveau souvent insuffisant de la maîtrise linguistique chez les étudiants admis en école d'interprétation (voir de Clarens 1973, Carroll 1978, Keiser 1978), il a bien fallu traiter le pro­blème. Quant aux chercheurs et praticiens non enseignants, en dehors du groupe de l'ESIT, ils ne semblent pas avoir vraiment adhéré à l'idée de l'indépendance de l'interprétation vis-à-vis des paramètres linguistiques si l'on en juge d'après la masse des articles parus dans différents pays depuis les années 60.

Il n'est pas étonnant que l'étude des aspects linguistiques de l'interprétation ait pris un certain essor depuis le milieu des années 80, période charnière de changement de paradigme et de montée en force d'une tendance plus pragmatique dans la réflexion sur l'interprétation. Le présent chapitre formule quel­ques questions et problèmes fondamentaux qui se posent à propos des aptitudes linguistiques de l'interprète, et présente des idées et travaux réalisés sur ce thème.

2. Les besoins linguistiques

2.1 Etendue des connaissances

L'AHC définit les langues de travail en prenant pour réfé­rence la connaissance de la langue maternelle (AÏÏC 1982:10) :

— Les langues 'A' sont des langues maternelles ou rigoureu­sement équivalentes à des langues maternelles.

— Les langues 'B', sans être des langues maternelles, permet­tent aux interprètes de se faire comprendre parfaitement.

— Les langues 'C doivent être «totalement comprises» par l'interprète.

Ces critères sont de toute évidence insuffisants, car, selon son niveau culturel et sa catégorie socio-professionnelle, un locuteur natif peut avoir des connaissances linguistiques varia-

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 187

bles, éventuellement inférieures par certains aspects à celles d'un locuteur non-natif cultivé qui parle la langue concernée avec un accent étranger et avec des fautes.

Pour préciser, D. Seleskovitch parle d'une connaissance de la langue de travail de l'interprète comprenant entre autres une «base de vocabulaire équivalant au minimum à celle d'un homme cultivé dont cette langue est la langue maternelle» (1968:136). Cette définition constitue une meilleure approxi­mation, mais reste insuffisante. D'une part, la notion d'«homme cultivé» est quelque peu imprécise. Elle peut par exemple désigner une personne qui a beaucoup lu, notamment dans les domaines littéraires et artistiques, mais qui n'a pas nécessairement une grande connaissance des questions techni­ques et industrielles. Or, sur le plan pratique, le lot de la majo­rité des interprètes de conférence est de travailler pour l'essen­tiel à des conférences industrielles, scientifiques ou techniques où le langage littéraire et artistique n'a pas cours, mais où une très large part du vocabulaire important est technique. D'autre part, le vocabulaire du locuteur natif est également composé d'éléments de vocabulaire enfantin, scolaire, familier, voire

. argotique qui n'interviennent quasiment jamais en conférence. L'idée d'une équivalence par rapport à la langue maternelle ne semble donc pas justifiée.

En participant à des conférences et en lisant des transcrip­tions d'interventions, on est amené à classer le langage des conférences en trois composantes :

a. Le langage non spécialisé Ce langage correspond probablement à ce que D. Selesko­

vitch appelle la « base » dans la citation ci-dessus. Il englobe le vocabulaire et les structures grammaticales non techniques employés dans les échanges en cours de séance, par opposition aux échanges à bâtons rompus qui interviennent pendant les pauses et en dehors des séances de travail. A notre connais­sance, aucune étude descriptive de ce langage n'a été réalisée jusqu'ici. Une telle recherche, qui nécessiterait un vaste corpus en raison de la grande diversité des conférences, demanderait un très important travail de transcription de discours qui ne paraît pas envisageable sans des moyens humains et financiers considérables. D'où l'approximation de D. Seleskovitch, qui est reprise en général par d'autres enseignants. Elle conduit à considérer que le vocabulaire et les structures grammaticales de base du langage non spécialisé sont celles du vocabulaire

10;j DANIEL GILE

non technique et deç structures grammaticales que l'individu peut utiliser au cours de ses études supérieures et de sa vie personnelle et professionnelle d'adulte dans des circonstances plus ou moins formelles.

Compte teiiu du nombre d'entrées figurant dans les diction­naires courants et de la proportion de termes techniques, argo­tiques et littéraires parmi elles, le vocabulaire de ce langage non spécialisé se situe probablement à quelques dizaines de milliers de mots, les noms propres et les variantes désinen-tielles n'étant pas comptés. On peut considérer aussi que ce vocabulaire est relativement stable, en ce sens que seule une faible proportion de ses éléments change au cours d'une car­rière professionnelle.

b. Les langages de spécialité Les langages de spécialité dans les conférences internatio­

nales se distinguent principalement du langage non spécialisé par leurs termes techniques, qui se chiffrent par milliers ou par dizaines de milliers selon le domaine, comme l'attestent les glossaires et dictionnaires spécialisés. Certains langages de spé­cialité comportent également des tournures et expressions par­ticulières, mais celles-ci sont en général relativement peu nom­breuses dans les échanges oraux par rapport à l'ordre de grandeur du nombre des termes spécialisés.

Parmi les langages de spécialité, il en est un qui intéresse particulièrement les interprètes de conférence travaillant pour les organisations internationales et pour des organes législatifs et judiciaires. Il s'agit du langage de la procédure, qui est rela­tivement restreint dans son étendue, mais qui compte une pro­portion élevée d'expressions et tournures particulières (par opposition à des termes isolés).

Une caractéristique importante des langages de spécialité est la forte évolutivité de leur vocabulaire. D'après la revue Media et Langage (N.16, oct-nov 1982), la langue française s'enrichit annuellement d'environ 10 000 termes dans les seuls domaines scientifiques et techniques. L'innovation lexicale est particuliè­rement importante dans les domaines dont traitent les confé­rences internationales, qui sont souvent par définition à l'avant-garde du progrès : informatique, médecine, techniques spatiales, sciences de l'environnement, etc. L'interprète se trouve donc aux prises avec un vocabulaire technique en constant renouvellement.

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 189

c. Le langage oratoire Enfin, dans certains types de réunions, notamment les réu­

nions diplomatiques et politiques, mais aussi dans certaines réunions culturelles, intervient un langage où abondent des mots et structures linguistiques oratoires, voire littéraires.

La répartition de ces trois catégories de langage dans les conférences est variable. Si toutes englobent une large part de langage général non spécialisé, certaines comportent une forte part de langage de spécialité et peu de langage oratoire, et d'autres un langage plutôt oratoire et non spécialisé. Qui plus est, dans les langages de spécialité, qui, cumulativement, sont bien plus riches que le langage non spécialisé, seul un petit sous-ensemble de spécialités est concerné à chaque confé­rence. Il en résulte que selon leur 'marché', les interprètes peu­vent avoir besoin de connaissances linguistiques sensiblement différentes.

2.2 La disponibilité linguistique et le Modèle gravitationnel

Comme il est expliqué au Ch. 4, la compréhension et la pro­duction du discours sont des opérations non automatiques; elles nécessitent du temps et une certaine capacité de traite­ment, qui revêtent une importance critique dans la capacité de l'interprète d'accomplir sa tâche. En dépit des fortes intuitions des pionniers, et notamment de J. Herbert (voir Ch. 2), la dispo­nibilité lexicale et grammaticale n'a jamais été étudiée au regard des besoins de l'interprétation. Les leaders du mouve­ment de la 'théorie du sens' considéraient que :

...«après la période d'apprentissage de la langue, la langue mater­nelle bascule dans le réflexe et devient un outil aussi immédiate­ment et aussi naturellement disponible pour exprimer un vouloir dire que le sont les mains pour faire des gestes, allumer une ciga­rette ou écrire une lettre ; on réussit ces gestes sans qu'il soit néces­saire de les guider consciemment. De même on dit ce que l'on veut sans avoir à choisir aucun des phonèmes qui les construisent, et l'on écrit sans avoir à guider consciemment la main dans chacun des pleins et des déliés de l'écriture» (Seleskovitch, dans Selesko­vitch et Lederer 1984:111).

D'autres chercheurs, tout en étant conscients de certaines difficultés linguistiques de l'interprétation (voir Déjean Le Féal

190 DANIEL GILE

1981, Lederer 1981, Thiéry 1981), ne les ont pas associées à la notion de disponibilité. La seule théorie existante en la matière semble être notre Modèle gravitationnel, expliqué ci-dessous, qui cadre bien avec le principe des modèles d'Efforts de l'inter­prétation (Ch. 4).

La disponibilité linguistique est une mesure du temps et de la capacité de traitement nécessaires à la compréhension d'une structure linguistique donnée à l'écoute, et du temps et de la capacité de traitement nécessaires à la production d'une struc­ture linguistique donnée à partir d'une idée. En tant que telle, elle est un important élément des besoins en temps et en capa­cité de traitement de l'Effort d'écoute et de l'Effort de production.

Le Modèle gravitationnel de la disponibilité linguistique est essentiellement une représentation visuelle de la distribution des éléments linguistiques connus d'un locuteur selon leur degré de disponibilité dans une situation donnée et à un moment donné. Il s'agit donc en principe d'un 'instantané'. Notons toutefois que de même qu'un cliché photographique instantané permet de mettre en évidence les caractéristiques permanentes d'un visage, l'instantané gravitationnel permet potentiellement de faire des inférences sur les caractéristiques permanentes de l'individu qu'il représente en situation, voire d'une population d'individus partageant des caractéristiques similaires.

La morphologie du Modèle est celle d'un système gravita­tionnel composé d'un Noyau central et d'Orbites sur lesquelles 'gravitent' des Eléments linguistiques, à savoir les unités lexi­cales et les règles de 'grammaire' au sens large (Fig. 1). Le Noyau représente les Eléments linguistiques très centraux, dont la fréquence d'occurrence dans la vie courante du locu­teur est si élevée qu'ils sont maintenus en permanence à un très haut niveau de disponibilité (voir plus loin). En revanche, les Eléments gravitant sur des Orbites ont une disponibilité variable, représentée par la distance entre leur Orbite et le Noyau. Plus un Elément est disponible, plus il gravite sur une Orbite proche du Noyau. Les Orbites éloignées correspondent à une disponibilité moindre.

R E G A R D S SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 191

Figure 1 : Le modèle gravitationnel de la disponibilité linguistique

Le système gravitationnel couvre deux Zones, la Zone dite active', où gravitent les Eléments dont le locuteur dispose pour l'expression écrite ou orale, et la Zone dite passive', où gravitent les Eléments que le locuteur peut comprendre, mais qu'il n'est pas capable d'évoquer pour l'expression active. Par commodité, la Zone passive est représentée comme limitrophe extérieure de la Zone active. Intuitivement, cela correspond à la tendance des Eléments passifs à devenir actifs dès qu'ils dépassent un seuil de disponibilité, et inversement.

La dynamique du Modèle gravitationnel s'exprime en quel­ques lois simples, mais dont les incidences pratiques sont importantes. Les principales d'entre elles sont les suivantes

192 DANIEL GILE

(voir aussi Gile 1987). Précisons d'emblée qu'il s'agit de lois dérivées de l'observation personnelle, qui n'ont pas encore pu faire l'objet de vérifications systématiques :

1. La tendance centrifuge Un Elément non stimulé tend à dériver vers l'extérieur du

système: s'il est initialement dans la Zone active, il tend à migrer vers des Orbites de plus en plus décentrées, puis vers la Zone passive, où il continue le cas échéant à dériver vers l'ex­térieur jusqu'à sa disparition hors du Système.

2. L'effet centripète de la stimulation Un Elément stimulé par son utilisation, active ou passive,

tend à devenir plus disponible, c'est-à-dire à migrer vers des Orbites plus centrales. Il peut notamment passer de la Zone passive à la Zone active.

3. L'effet de la fréquence de stimulation La 'force' de l'effet centripète de la stimulation est fonction

de la fréquence de stimulation. Plus un Elément est stimulé souvent, plus il a tendance à migrer vers le centre. Cet effet peut d'ailleurs être considéré comme un corollaire des deux premières lois : chaque stimulation a un effet centripète et cha­que intervalle entre deux stimulations entraîne une migration centrifuge ; l'augmentation de la fréquence de stimulation cor­respond à une multiplication des poussées centripètes et à un raccourcissement des intervalles centrifuges.

4. La force de la stimulation active Dans l'ensemble, une stimulation active (utilisation de l'Elé­

ment par le locuteur dans l'expression active) a un effet centri­pète plus fort qu'une stimulation passive (qui intervient quand le locuteur lit ou entend l'Elément dans un texte ou discours d'autrui).

5. L'effet d'accompagnement Quand un Elément subit une poussée centripète du fait

d'une stimulation, il est accompagné, dans une mesure varia­ble, par d'autres Eléments qui lui sont associés. Cette associa­tion peut être morphologique, phonétique, grammaticale, gra­phique, psychologique. Elle s'exerce aussi d'une langue à

R E G A R D S SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 193

l'autre. Elle a d'ailleurs deux effets interlinguistiques intéres­sants. L'un, positif, rend un Elément en langue étrangère plus disponible à la suite de la stimulation d'un Elément dans une autre langue, qui lui est associé. L'autre, le revers de la médaille, est l'interférence linguistique qui entrave l'expression ou la compréhension dans une langue en raison de l'intrusion dans le système d'un Elément associé en langue étrangère (c'est notamment le cas des Taux amis').

Le Modèle gravitationnel peut être utilisé pour l'analyse de l'apprentissage des langues étrangères, mais son intérêt dans le présent contexte, qui est aussi sa véritable raison d'être, réside dans ses applications à l'interprétation de conférence. Citons à titre d'exemples les éléments suivants :

1. Le phénomène de la dérive centrifuge met en relief la néces­sité d'une stimulation fréquente et régulière des langues de tra­vail. Une langue de travail, fût-elle maternelle, se perd si elle n'est pas stimulée. Dans ce domaine, l'improvisation est dange­reuse. Les interprètes parlent parfois de « réflexes » qu'ils n'ont pas quand ils n'ont pas l'habitude de travailler à partir d'une langue donnée ou vers une langue donnée. En toute probabi­lité, cette absence de «réflexes» correspond, partiellement au moins, à une disponibihté insuffisante des Eléments pertinents. 2. Etant donné les contraintes que subit l'interprète en matière de capacité de traitement, il apparaît que seules les parties les plus disponibles des Zones active et passive sont utilisables chez lui, par opposition à la totalité du système chez le traduc­teur. Il s'agit donc pour l'interprète de disposer dans ses lan­gues actives d'une partie très disponible suffisamment riche dans sa Zone active pour couvrir les besoins. En revanche, il devra éviter d'aller chercher pour s'exprimer des Eléments peu disponibles, surtout dans une langue non maternelle, car le coût de leur emploi en temps et en capacité de traitement ris­que de le conduire à une saturation ou à un déficit individuel des Efforts, et donc à une défaillance.

Dans la durée, avec la stimulation répétée d'une partie limi­tée de son vocabulaire, l'interprète finit peut-être par présenter un aspect typique et bipolarisé de la Zone active, où certains éléments sont aussi disponibles que chez un locuteur natif, et d'autres le sont nettement moins que chez un tel locuteur, avec une pauvreté relative des Orbites intermédiaires.

194 DANIEL GILE

3. Avec le Modèle gravitationnel, la distinction entre langues actives et langues passives prend également un sens fonction­nel. La langue active doit être stimulée en permanence pour rester suffisamment disponible dans ses composantes perti­nentes. Quant à la langue passive, elle doit être comprise rapi­dement et facilement, mais ne nécessite pas une grande dispo­nibilité active. Sa stimulation peut donc être passive. Certains interprètes pensent d'ailleurs (Déjean Le Féal 1978) que les interférences sont plus importantes entre deux langues actives qu'entre langues actives et langues passives. 11 apparaîtrait donc préférable, pour l'entretien des langues passives, de se contenter d'une stimulation passive, en évitant la stimulation active.

Au-delà de l'aspect qualitatif de la disponibilité des langues de travail, le Modèle gravitationnel fait apparaître l'intérêt potentiel d'une analyse quantitative de la disponibilité. En effet, si l'on observe par exemple que la migration centripète peut être relativement rapide, parfois quasiment immédiate en situation de conférence pour certains termes techniques, et que la dérive centrifuge ne devient généralement manifeste qu'après plusieurs semaines, plusieurs mois ou plusieurs années d'absence de stimulation, une évaluation quantitative précise et concrète de la disponibilité et de la dynamique gravi­tationnelle serait intéressante. Quels sont concrètement les seuils de disponibilité utiles ? À partir de quel moment les dérives centrifuges ont-elles une incidence sensible sur l'inter­prétation ? Quelles sont les formes et les fréquences de stimu­lation qui produisent les meilleurs effets ? Quelle est la vérita­ble différence d'efficacité entre la stimulation active et la stimulation passive? Il apparaît malheureusement difficile de répondre à ces questions. En effet, si la rapidité de la compré­hension ou de l'évocation d'un mot, ou encore de la construc­tion d'une phrase hors contexte peuvent être mesurées en laboratoire, en situation d'interprétation, la situation, le contexte et les interrelations entre la langue passive et la lan­gue active se conjuguent pour rendre des mesures véritable­ment révélatrices des mécanismes réels extrêmement difficiles à réaliser.

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 195

2.3 La robustesse de la maîtrise linguistique

Outre l'existence même des Eléments linguistiques dans le Système gravitationnel de l'interprète et une disponibilité suffi­sante pour ses besoins, se pose le problème de la robustesse de sa maîtrise des langues de travail, et surtout de la langue active, face aux contraintes de l'interprétation. Ces contraintes sont essentiellement :

— le manque de capacité de traitement résultant de la simul­tanéité des trois efforts

— le stress accompagnant la fatigue, le 'trac' et la difficulté d'aborder des domaines de connaissance peu connus de l'inter­prète, parfois avec très peu de préparation

— en interprétation simultanée, le traitement simultané de la langue de départ et de la langue d'arrivée.

Par robustesse, nous entendons ici le maintien de la disponi­bilité des Eléments linguistiques, ainsi que la résistance aux interférences linguistiques face à ces contraintes. On constate en effet chez les étudiants, et même chez certains profession­nels, un affaiblissement de la capacité d'expression dans les langues actives en cours d'interprétation, et notamment en simultanée, par rapport à l'expression libre.

Une seule étude empirique a été réalisée sur cette question (Gile 1987). Il s'agit de la comparaison des fautes et mala­dresses survenues lors de trois types d'exercices réalisés par des étudiants en première année d'interprétation à l'ESIT (voir Ch. 4). Les erreurs et maladresses relevées étaient les moins nombreuses dans les exposés et les plus nombreuses en simul­tanée, la consécutive prenant une place intermédiaire.

Notons que cette étude n'a mesuré que les erreurs et mala­dresses, c'est-à-dire des manifestations claires de l'effet des contraintes de l'interprétation sur la performance. D'autres effets peuvent se traduire par une régression de la disponibilité ou par un rétrécissement du champ des Eléments disponibles à différents niveaux de disponibilité; ces phénomènes ne sont pas faciles à détecter. Ils peuvent aboutir à une richesse ou à une élégance moindre de la prestation, ou à des dépenses accrues en temps de recherche et en capacité de traitement, qui peuvent se manifester par des défaillances plus nom­breuses dont l'origine linguistique est difficile à déterminer.

Etant donné l'importance de la question, une quantification serait là aussi souhaitable afin que l'on puisse sélectionner des candidats plus résistants' s'il en existe et éviter des échecs pré­visibles, et éventuellement afin que l'on puisse mettre au point

196 DANIEL GILE

des stratégies, tactiques et méthodes de formation pour amé­liorer la robustesse de l'outil linguistique chez les interprètes.

2.4 Le perfectionnement linguistique

Sur le plan pratique, les exigences linguistiques sont donc particulièrement sévères. Or, on ne dispose pas de tests per­mettant de mesurer les différents aspects du niveau linguisti­que des candidats à l'école d'interprétation avec une précision suffisante. Cette imprécision est probablement l'une des princi­pales causes d'échec chez de nombreux candidats admis dans les écoles. H importe donc de mettre au point des tests suffi­samment performants. Il serait également intéressant de met­tre au point des méthodes de perfectionnement linguistique susceptibles de conduire les candidats rapidement et efficace­ment à un niveau adéquat. En effet, du fait de la baisse très rapide de la fréquence des mots dans la masse naturelle' du discours en fonction inverse de leur rang de fréquence, l'im­mersion linguistique simple paraît peu efficace pour le perfec­tionnement linguistique à un niveau élevé (voir Gile 1994), et des méthodes plus structurées s'imposent.

A ces fins, U convient aussi d'affiner l'étude lexicométrique des langues (le problème est moins critique sur le plan gram­matical), et d'étudier la progression des locuteurs étrangers dans l'apprentissage selon différentes méthodes. A l'heure actuelle, au-delà des conseils intuitifs et personnels (voir par exemple Déjean Le Féal 1976), il semble n'y avoir qu'une seule étude de cas sur ce sujet, réalisée avec le japonais au cours d'une période d'auto-perfectionnement d'un an (Gile 1988a).

3. La spécificité de l'interprétation par langues

3.1 Introduction

Comme il est expliqué au début de ce chapitre, certains thé­oriciens de l'interprétation considèrent celle-ci comme une activité mentale qui, si les langues de travail sont bien connues, transcende la langue et s'en affranchit à travers la «déverbalisation» (Seleskovitch 1975). Reprenant à leur compte l'affirmation de Jakobson (1959) selon laquelle «ail cognitive expérience and its classification is conveyable in any existing language», ils en déduisent que «tout ce qui est dit

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 197

dans une langue est exprimable dans une autre » (à condition que les deux langues appartiennent à des civilisations ayant atteint un degré de développement comparable, ajoute D. Seleskovitch, 1968:144), et en tirent la conclusion que «tout est traduisible ».

En se fondant sur leur expérience personnelle de l'interpréta­tion, ces praticiens-chercheurs nient la spécificité de la traduc­tion par langues :

«Les praticiens ne remarquent que très rarement les différences inter-linguistiques quand ils interprètent, car quelles que soient les différences entre langue de départ et langue d'arrivée, ils n'éprou­vent aucun mal à formuler les idées de l'orateur dans leur langue maternelle, à condition que ces idées soient claires et qu'ils connais­sent bien la langue de départ » (Seleskovitch 1977).

Les porte-parole de la thèse de la non spécificité affirment que la compréhension du discours est la même en interpréta­tion que dans les conditions habituelles d'échanges oraux, et qu'elle est la même dans toutes les langues (Lederer 1981a). Ils rejettent notamment l'impression d'une difficulté accrue de l'interprétation à partir de l'allemand vers le français comme une illusion attribuable à une insuffisante maîtrise de cette lan­gue de départ (Seleskovitch dans Seleskovitch et Lederer 1984:193; voir aussi Lederer, pp. 148-149, dans le même ouvrage) :

' « Vu sous l'angle du processus, il serait absurde d'affirmer que l'al­lemand ne peut être compris aussi vite que le français parce qu'il a des emboîtements syntaxiques ou parce qu'il place le verbe ou la négation en fin de phrase; c'est une connaissance de l'allemand et non de syntaxe ».

D. Seleskovitch affirme aussi (dans Seleskovitch et Lederer 1989:137) que:

«L'interprète français qui comprend l'allemand aussi bien qu'un Allemand n'aura pas plus de problèmes à interpréter à partir de cette langue qu'à partir d'une langue plus proche »

Cette argumentation apparaît défendable face à des inter­prètes débutants ou non compétents, mais est difficile à soute­nir devant les déclarations contraires d'interprètes chevronnés germanophones. On notera par ailleurs que si M. Lederer

m DANIEL GILE

(1981a: 257-259) et d'autres montrent de manière assez convaincante que la difficulté posée par la position finale du verbe dans la phrase allemande peut être illusoire du fait des capacités d'anticipation de l'interprète, D. Seleskovitch recon­naît implicitement une certaine spécificité linguistique à l'inter­prétation en préconisant dans la consécutive un apprentissage de la structuration des notes en fonction de la langue d'arrivée (1981:40),

En tout état de cause, la thèse de la non spécificité est loin d'être partagée par tous les praticiens. Les tenants européens de la thèse contraire opposent eux aussi dans leurs publica­tions l'exemple de l'allemand (Ilg 1978, Wilss 1978, Le Ny 1978, Kurz 1983, Strolz 1992). Pour les auteurs japonais, la spécificité linguistique de l'interprétation semble évidente, et ils en pré­sentent les conséquences présumées sans même engager le débat sur la question (Fukuii et Asano 1961, Kunihiro, Nis-hiyama et Kanayama 1969).

La question n'est pas sans importance, et a des corollaires immédiats en matière d'enseignement. Si l'interprétation est spécifique par langues, les spécificités doivent être explorées, pour mieux armer à terme les étudiants de stratégies et de tac­tiques précises face aux difficultés qui se poseront dans la pra­tique (voir par exemple Pinhas 1976). Dans le cas contraire, l'enseignement unilingue de l'interprétation (voir Feldweg 1980 et Gile 1983a) pourrait être développé, et le transfert inter­linguistique des compétences présenterait des possibilités inté­ressantes dans la formation pour les langues rares ou les lan­gues non connues des enseignants.

La présente section passe en revue les spécificités théoriques de l'interprétation par langues. Elle évoque les différences potentielles dans la compréhension du discours, puis dans la production du discours, et enfin dans les conditions de la simultanée, en prenant notamment comme illustration l'exem­ple du japonais. Cette dernière langue, peu exploitée jusqu'à présent dans les analyses, présente des caractéristiques mar­quées et intéressantes que partagent peut-être d'autres langues de manière moins visible. L'étude de son cas peut conduire à reconsidérer les idées nées de la seule étude des langues occi­dentales et à formuler de nouvelles hypothèses.

3.2 Différences potentielles dans la compréhension du discours

La compréhension du discours en condition d'interprétation

R E G A R D S SUR LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 199

correspond-elle vraiment à celle qui intervient dans la vie quo­tidienne comme l'affirment M. Lederer et d'autres ? On rappel­lera en premier lieu qu'en conférence, les connaissances extra­linguistiques, qui interviennent dans la compréhension des énoncés verbaux, ne sont pas les mêmes chez l'interprète et chez les destinataires du discours. Par ailleurs, les contraintes d'écoute auxquelles est soumis l'interprète sont bien plus lourdes puisque, ne pouvant se concentrer sur les seuls points du discours qui l'intéressent, il est obligé de tout comprendre dans une mesure suffisante pour pouvoir restituer le message en langue d'arrivée. Enfin, son écoute se déroule dans des conditions de partage de l'attention particulièrement ardues qui ne se rencontrent pas usuellement dans la vie quotidienne (Ch. 4). Il nous semble plausible que ces différences appellent des stratégies et tactiques d'écoute et de compréhension qui diffèrent quantitativement, voire qualitativement, de celles de l'auditeur ordinaire, et qui dépendent peut-être en partie de la langue concernée. Par ailleurs, il n'est pas exclu non plus que même dans l'écoute ordinaire, le poids relatif des stratégies et tactiques diffère selon la langue.

3.2.1 Les mots

Parmi les éléments linguistiques susceptibles d'affecter la compréhension du discours figurent les caractéristiques mor­phologiques et phonétiques des unités lexicales, mots gramma­ticaux ou mots pleins'. Comme il est signalé au Ch. 4, les mots courts sont, du fait de leur faible redondance interne, plus vul­nérables que d'autres au bruit et aux baisses d'attention. Si la redondance externe', découlant du contexte et de la situation, rétablit peut-être une certaine robustesse en situation de com­munication ordinaire, il est fort possible que les différences entre les langues là-dessus aient davantage d'impact dans la situation d'interprétation du fait des conditions particulières dans lesquelles elle se déroule, notamment en simultanée.

Citons à titre d'exemple les mots du chinois, ou encore les kango en japonais : il s'agit de mots composés de la juxtaposi­tion de plusieurs caractères chinois et prononcés a la chinoise'. Etant donné l'absence presque totale des tons en japonais et le faible nombre de phonèmes distincts dans cette langue, les homophones et quasi-homophones japonais sont très nom­breux. Dans un petit dictionnaire umlingue japonais de quel­que 60 000 entrées, 36,4 96 des entrées ont des homophones,

200 DANIEL GILE

contre 11,6 96 des entrées en chinois dans un dictionnaire du même type (Hayashi 1982:132). Dans les langues occidentales, la proportion des homophonies est pour ainsi dire négligeable, comme on peut le constater en feuilletant les dictionnaires de langue. Les homophonies sont souvent mentionnées par les Japonais eux-mêmes comme des obstacles à la compréhension à 1 écoute (Ikeda 1982:654, Iwabuchi 1977:84, Kanno 1978:71, Kindaichi 1957:113, Oide 1965:81-82). Les inter­prètes citent souvent eux aussi de tels problèmes dans leurs écrits (voir par exemple Kuiiihiro, Nishiyama et Kanayama 1969, Kurita 1975, Muramatsu 1978, 1979). Dans certains livres de japonais, on trouve même des listes d'homophones courants posant des problèmes d'ambiguité en contexte; Ikeda (1982:698-708) en énumère quelque quatre cents.

Dans une étude sur la question, D. Gile (1986e) a interrogé des Japonais et des Occidentaux, interprètes et non-interprètes, sur la fréquence des problèmes posés à l'écoute par des homo­phones. Les réponses ont fait apparaître une fréquence plus élevée en japonais que dans les langues occidentales. Au cours de la même étude, Gile a fait lire à un locuteur natif devant des étudiants japonais plusieurs séries de kango ayant des homophones. Dans cette expérience, le plus souvent, les kango entendus hors contexte n'étaient pas reconnus de manière uni-voque comme des binômes mot-sens: soit ils n'ont évoqué aucun sens dans l'esprit de l'auditeur, soit ils en ont évoqué plusieurs, sans qu'il fût possible de les départager sans recours au contexte. Du fait que les homophones et les problèmes qui y sont associés sont nettement moins nombreux dans les lan­gues occidentales, ces résultats sont compatibles avec l'idée d'une spécificité de l'interprétation par langues dans la compo­sante lexicale.

3.2.2 Les redondances grammaticales

Dans la théorie de l'information, le concept de redondance joue un rôle important. Il s'applique à une 'information' qui n'en est pas une car son contenu figure déjà ailleurs dans le signal. La redondance est néanmoins utile, car elle renforce la probabilité de réception de l'information. En effet, elle donne au récepteur une 'deuxième chance' de capter une information perdue en raison d'une défaillance momentanée du système ou d'un 'bruit' (autre perturbation du signal ou des conditions de sa réception).

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 201

En interprétation, étant donné la fréquence élevée des 'déclencheurs' et des saturations et déficits individuels qu'ils peuvent engendrer (voir Ch. 4), la redondance prend une importance particulière. D'une part, elle donne à l'interprète cette 'deuxième chance'; d'autre part, elle réduit la densité informationnelle du discours, et par là les besoins en capacité de traitement.

Une partie de la redondance intervenant dans le discours dépend du 'style' personnel du locuteur et du contexte qu'il y introduit. Toutefois, les redondances grammaticales, qui relè­vent des 'informations induites par les contraintes linguistiques' (voir Ch. 5), peuvent elles aussi avoir une importance. considé­rable.

Les redondances grammaticales se manifestent essentielle­ment par les désinences (conjugaisons, déclinaisons et accords) et par les mots outils (articles, conjonctions, prépositions, pro­noms, particules etc.), qui peuvent réitérer une information également donnée par d'autres élément du discours («NOUS commençONS, LA nouvELLE méthode, LES animAUX, etc.).

Dans cette optique, on est fondé à se demander s'il n'existe pas davantage de redondances phonétiquement détectables dans certaines langues que dans d'autres. Si une différence régulière et importante n'apparaît pas immédiatement entre les langues occidentales les plus utilisées en interprétation (anglais, français, allemand, espagnol), elle est très nette quand on com­pare ces langues avec le chinois ou le japonais. En japonais, il n'existe pas de déclinaisons, pas d'accords, les désinences ver­bales y sont peu nombreuses, les articles et pronoms relatifs y sont inconnus, sans que d'autres éléments grammaticaux vien­nent donner les mêmes renseignements. La redondance pro­prement grammaticale du japonais semble bien être inférieure à celle des langues occidentales.

3.2.3 Les structures de phrases

Par ailleurs, il semblerait que certaines structures de phrases facilitent la compréhension en augmentant la puissance d'anti­cipation du récepteur (lecteur ou auditeur), et que d'autres, telles l'enchâssement, y fassent obstacle, notamment en raison des besoins accrus en capacité de mémoire à court terme qu'elles impliquent (Richaudeau 1973, 1981). Or, les enchâsse­ments sont plus ou moins fréquents selon les langues. Ils le

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sont plus particulièrement dans celles où le déterminant pré­cède le déterrniné, comme le japonais.

En revanche, toujours en japonais, les fins de phrase sont souvent linguistiquement prévisibles, en ce sens qu'elles corres­pondent à des formules d'atténuation, de politesse ou de clô­ture grammaticale de la phrase annoncées par des 'prédicteurs' linguistiques. Au-delà de ces prédicteurs, les fins de phrase qui ne comportent aucune information nouvelle peuvent s'étaler sur de nombreuses syllabes : dans une étude de Gile (1992b), 46 % des phrases dans un corpus de 23 discours japonais authentiques se sont avéré avoir des fins de phrase prévisibles d'au moins 5 syllabes, et 9 % avaient des fins de phrase prévisi­bles d'au moins 8 syllabes. Dans un échantillon de 12 discours français et 10 discours anglais, ces fins de phrase étaient inexistantes. Dans un échantillon de 6 discours allemands, des fins de phrase prévisibles pour raison grammaticale ont été observées sur 12 96 des phrases. Toutes avaient une longueur inférieure ou égale à 5 syllabes et se composaient de verbes et de combinaisons de verbes. Compte tenu du débit moyen d elocution, qui est généralement considéré comme étant de l'ordre de 5 ou 6 syllabes par seconde (100 à 250 mots par minute), le répit ainsi donné à l'interprète travaillant à partir du japonais, qui s'étend souvent de une à trois secondes en comptant les pauses d'hésitation, constitue potentiellement un moment privilégié pour rattraper un retard dans la prise de notes en consécutive ou dans la production en simultanée. En outre, il est fort possible que sur un plan plus 'mécanique', l'anticipation permette de réduire sensiblement les risques de saturation en capacité de traitement et de déficit individuel (voir Ch. 4).

Sur ce plan précis, les différences de structures permettent peut-être des stratégies et tactiques différentes. Il est vrai que l'anticipation du discours est en partie indépendante de la lan­gue. Ainsi, on peut anticiper la réaction affective d'un orateur à une remarque qui lui a été faite, sa position de principe sur différents points, sa stratégie discursive et jusqu'à l'articulation logique de son discours. Cependant, l'anticipation à dominante linguistique est elle aussi très importante, comme il est montré dans l'étude de Gile précitée. Dans le corpus étudié, seules des formules du type «Merci Monsieur le Président» ont pu per­mettre l'anticipation de la fin de phrase en français et en anglais. C'est là que prennent toute leur signification les fins de phrase prévisibles en japonais.

R E G A R D S SUR L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 203

3.2.4 Eléments culturels

La langue reflète aussi des comportements culturels qui sont susceptibles de faciliter, ou au contraire de rendre plus difficile la compréhension du discours pour l'interprète. Dans ce contexte, on évoquera une fois de plus le japonais, qui contraste dans son usage en communication avec les langues occidentales. Selon de nombreux auteurs japonais, les Nippons répugnent à prendre des responsabilités individuellement, ou à exprimer des opinions de manière trop claire ou tranchée. Parmi les nombreux ouvrages analysant les comportements culturels japonais, signalons deux textes intéressant plus parti­culièrement la traduction et l'interprétation, Condon et Saito 1974, et le numéro spécial de Meta 33/1(1988) sur la traduction et l'interprétation au Japon. Dans le discours des Japonais, on trouve de fréquentes formes atténuatives, qui peuvent expri­mer aussi bien une atténuation de forme ou de politesse qu'un doute réel, sans que l'on puisse distinguer les deux, ainsi que des articulations logiques peu explicites, et plus généralement des phrases linguistiquement ou informationnellement ellipti­ques. En effet, dans la tradition japonaise, la communication interpersonnelle doit pouvoir se réaliser sans qu'interviennent les mots (voir Hara 1988, Kondo 1988, Mizutani 1985). En outre, les Japonais font preuve d'une très grande liberté dans l'emploi de leur langue, que ce soit sur le plan lexical ou sur le plan grammatical (voir Gile 1988d).

Ces manifestations linguistiques très connues des caractéris­tiques culturelles des Japonais sont abondamment commen­tées par les Japonais eux-mêmes, et notamment par des inter­prètes. Si, aux dires des Japonais, elles rendent parfois difficile la compréhension pour des auditeurs en situation ordinaire, il est probable qu'elles ont des effets plus importants encore sur la compréhension chez les interprètes en conférence, et ce en raison de l'infériorité de leurs connaissances extra-linguistiques pertinentes par rapport à celles des délégués.

3.3 Différences potentielles dans la production du discours

Ces différences concernent essentiellement la souplesse de construction de l'énoncé en langue d'arrivée, ainsi que la lar-

204 DANIEL GILE

geur de la gamme des choix possibles à chaque articulation .de la production.

Au niveau lexical, on peut parler d'un usage plus ou moins souple selon les langues. Si cet usage est relativement précis en français, i l lest très peu en japonais (voir Gile 1988d), et appelle peut-être un niveau d'effort différent dans révocation lexicale.

La richesse lexicale de la langue peut avoir elle aussi une certaine importance dans la production du discours, car elle détermine en partie les efforts requis pour le choix lexical. Quand les champs sémantiques ne concordent pas dans la lan­gue de départ et dans la langue d'arrivée, on peut supposer un effort de prise de décisions accru, et éventuellement un effort supplémentaire d'explication ou de paraphrase.

La souplesse grammaticale dune langue peut elle aussi influer éventuellement sur la difficulté de production des énoncés. La question est de savoir dans quelle mesure chaque choix grammatical ou lexical dans une phrase restreint les choix suivants. L'allemand et le français, par exemple, présen­tent dans l'ensemble une succession de choix de plus en plus limités. En japonais, en revanche, i l peut y avoir des échappa­toires' par rapport à la direction prise initialement, et ce jus­qu'en fin de phrase.

La possibilité plus ou moins grande de construire la phrase en langue d'arrivée à partir d'éléments d'information recueillis dans le discours en langue de départ sans s'engager dans une direction précise facilite potentiellement l'Effort de production, ainsi d'ailleurs que l'Effort de mémoire, puisque l'interprète peut garder en mémoire à court terme une quantité d'informa­tion plus faible en moyenne que celle qu'il doit engranger quand il travaille vers une langue à constructions plus rigides.

Un autre élément pertinent est la longueur relative des énon­cés pour une information donnée. Que ce soit en raison de la longueur des mots ou des structures linguistiques condition­nées par la grammaire, à contenu informationnel et communi-cationnel équivalent, les phrases dans une langue peuvent avoir une longueur habituellement supérieure ou inférieure aux phrases dans une autre langue. A titre d'exemple, les Japo­nais considèrent que le japonais est plus long' que l'anglais (Fukuii et Asano 1961), et le chinois est probablement plus court' que la plupart des autres langues. Cette différence peut rendre la production plus difficile dans la langue longue', ne serait-ce que par le simple effort articulatoire et sa durée supé­rieure dans les langues les plus longues', car elle peut avoir

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des incidences sur la charge de la mémoire à court-terme de l'interprète (Ch. 4).

3.4 Les différences entre langue de départ et langue d'arrivée

Ce dernier élément appelle l'évocation d'un autre aspect des spécificités linguistiques potentielles de l'interprétation, à savoir les différences entre la langue de départ et la langue d'arrivée. Outre les différences dans la longueur moyenne des énoncés dans les langues concernées, on peut mentionner les éléments suivants :

— L'écart lexical entre langue de départ et langue d'arrivée : Cet écart peut être morphologique. Il tient alors principale­

ment à l'existence ou l'absence de racines lexicales communes. Ainsi, les langues latines, les langues germaniques, et de manière générale, une grande partie des langues occidentales partagent de nombreuses racines gréco-latines qui diffèrent des racines des langues asiatiques. Quand les deux langues concernées dans une opération d'interprétation sont morpholo­giquement proches, les interprètes ont probablement davan­tage de facilité à comprendre le vocabulaire en langue de départ, même s'il est technique et relativement rare, et à évo­quer les termes correspondants en langue d'arrivée.

La topographie sémantique des deux langues en présence peut également être plus ou moins proche, en ce sens que les champs sémantiques s'assemblent et se décomposent de manière plus ou moins similaire. Dans certains cas, le 'décou­page' de la réalité par les deux langues est proche et permet l'évocation du sens d'un mot ou d'une expression par un mot ou une expression correspondants ; dans d'autres, les diffé­rences dans les 'découpages' oblige l'interprète à prendre des décisions d'approximation, qui lui coûtent peut-être davantage de temps et de capacité de traitement.

— Les différences grammaticales entre les deux langues : Sur le plan grammatical, les similitudes permettent de pro­

duire des phrases présentant les informations dans un ordre similaire, alors que d'éventuelles différences obligent l'inter­prète à une gymnastique mentale qui modifie l'ordre des infor­mations dans la langue d'arrivée et qui suppose un plus grand Effort de mémoire à court terme. Un cas particulier de ce pro­blème est celui des noms propres dits composés' (voir Ch. 4).

206 DANIEL GILE

Il convient toutefois de préciser que si les similitudes entre langue de départ et langue d'arrivée sont susceptibles de facili­ter la production ou de réduire l'Effort de mémoire à court terme, elles peuvent aussi favoriser le psittacisme et aggraver le risque d'interférences linguistiques (voir Fusco 1990).

Soulignons enfin que pour le moment, ces considérations restent théoriques. Si de nombreux auteurs les mentionnent sur une base intuitive ou anecdotique, rares sont les études qui ont mesuré les effets des différences interlinguistiques sur l'interprétation.

Le travail le plus vaste réalisé dans ce contexte est probable­ment celui de Heidemarie Salevsky (1983), de Berlin, qui a fait interpréter en allemand 35 textes lus représentant quelque 200 pages et une dizaine d'heures de transcriptions d'interventions russes faites à l'ONU, pour y étudier différentes structures russes ainsi que les structures utilisables pour leur restitution en allemand. Notons que l'étude est restée théorique, et que l'effet réel des différences entre les deux langues sur l'interpré­tation sur le terrain n'a pas été examiné.

A Trieste, Chiara Russo (1990) a étudié expérimentalement l'effet des différences syntaxiques hispano-italiennes sur l'inter­prétation simultanée de l'espagnol vers l'italien chez 6 inter­prètes professionnels, et a trouvé que certaines structures posaient des problèmes qui se traduisaient par des faiblesses dans la version italienne du discours.

Toujours à Trieste, Anna Giambagli (1990) a montré que les transformations syntaxiques opérées en consécutive pour le passage en italien sont plus nombreuses et plus complexes quand l'interprétation se fait à partir de l'anglais que lorsque la langue de départ est le français.

En Australie, H . Uchiyama (1992) a étudié quelques transfor­mations syntaxiques nécessaires dans l'interprétation japonais-anglais, et P. Davidson (1992) a examiné la segmentation d'un discours japonais lors de son interprétation vers l'anglais par des étudiants.

Ces travaux restent anecdotiques, mais à terme, leur multi­plication devrait permettre de parvenir à une image plus claire de l'effet réel des différences syntaxiques entre langue de départ et langue d'arrivée sur les performances de l'interprète.

Chapitre 9

La recherche en interprétation : données et stratégies

1. De la réflexion spéculative à la recherche empirique

1.1 Introduction

Les chapitres précédents font apparaître le caractère intuitif, réflexif ou théorique de l'essentiel de la recherche réalisée jus­qu'ici en interprétation. En 1969, Ingrid Pinter soulignait dans sa thèse que les affirmations de, ses collègues praticiens sur l'aptitude à l'interprétation se fondaient exclusivement sur des descriptions et observations générales, qui reposaient sur l'ex­périence personnelle de leurs auteurs et qui n'avaient aucun poids scientifique. Dix ans plus tard, dans son mémoire de M A , la Canadienne Linda Anderson (1979) se référait à une affirmation de Hannah (1966) selon laquelle les interprètes pouvaient fonctionner de manière effective avec 60% de la teneur du discours de l'orateur, et observait que les publica­tions sur l'interprétation abondaient en affirmations du même type sur la manière dont l'interprète arrive à faire son travail et sur les conditions favorisant ou constituant obstacle à la réalisation de sa tâche ; d'après Anderson, ces affirmations semblaient fondées intuitivement, mais restaient en grande partie non vérifiées' expérimentalement (1979:3). Dans un autre mémoire de M A , Catherine Stenzl de Londres (1983) met en exergue l'absence d'observations et de descriptions sys­tématiques de l'interprétation telle qu'elle se pratique, par opposition à des réflexions « spéculatives ». Elle note qu'il est passionnant de se livrer à des spéculations sur les processus mentaux qu'implique l'interprétation, mais souligne que ces

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spéculations ne peuvent que soulever des questions. Pour y répondre, i l faudrait une base de faits plutôt que des hypo­thèses. Avant de pouvoir mettre au point des modèles un tant soit peu solides du processus d'interprétation dans son ensem­ble, i l faudrait disposer de modèles validés empiriquement de la compréhension et de la production du discours, ainsi que de la mémoire des discours (p. 47).

1.2 La réflexion spéculative dans la recherche sur l'interpré­tation

En fait, si la « littérature » sur l'interprétation comporte un grand nombre de textes de réflexion, à l'exception des études expérimentales des années 60 et du début des années 70, ainsi que d'un petit effort depuis la fin des années 80, elle ne rend compte que de très peu d'efforts d'investigation répondant à la « démarche scientifique ». Il suffit pour s'en convaincre de l'examiner au regard des deux critères suivants, qui se retrou­vent dans la plupart sinon dans tous les ouvrages consacrés aux méthodes de recherche dans les disciplines scientifiques :

1. La recherche scientifique se fonde essentiellement sur des faits : « le progrès scientifique vient d'abord de l'accroissement du nombre des faits donnés, de l'accroissement du stock d'ob­servations sur lequel l'hypothèse peut prendre appui » (Fouras-tié 1966:115).

On ne niera pas que les réflexions des interprètes ont à leur source des faits, mais, comme le soulignent Ingrid Pinter, Linda Anderson, Catherine Stenzl et bien d'autres, ces faits n'ont pas été recueillis dans le cadre d'une démarche systéma­tique, puis vérifiés et évalués. Il s'agit plutôt d'observations faites au hasard des conférences, non notées, puis filtrées et interprétées en fonction des souvenirs et opinions de chacun, sans procédure de vérification. Une partie non négligeable des idées qui se sont cristallisées à travers ces processus pourraient relever du « terrorisme trompeur des faits et phénomènes four­nis par l'expérience immédiate... l'empirisme naïf que le nouvel esprit scientifique a finalement reconnu comme l'un des obsta­cles les plus redoutables qu'il ait dû surmonter dans le champ des sciences du vingtième siècle » (Peraldi 1982 : 10).

2. Dans la recherche scientifique, les méthodes et raisonne­ments doivent être explicités pour le lecteur ou auditeur (selon

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 209

que le rapport est écrit ou oral), afin que celui-ci puisse les évaluer, notamment au regard de leur validité et de leur fiabi­lité, et procéder éventuellement à des replications d expé­riences pour en vérifier les résultats. Pour certains scientifi­ques, «le critère de la valeur scientifique d'une méthode restera nécessairement le caractère contrôlable des résultats qu'elle fournit » (Reuchlin 1969 :35).

Or, dans la plupart des textes sur l'interprétation, les méthodes et données sur lesquelles se fondent les idées expri­mées ne sont pas explicitées. Ainsi, Catherine Stenzl (1983 :47) explique que dans son livre, M. Lederer (1981) ne reproduit pas l'ensemble des discours en langue d'arrivée de son corpus et ne donne que peu d'informations fondées sur le corpus dans son ensemble ; i l en résulte l'impossibilité d'évaluer la représen­tativité des passages dont elle parle.

Quelques exemples ' récents de cette caractéristique des textes sur l'interprétation peuvent être trouvés dans un ouvrage collectif de D. Seleskovitch et M . Lederer (1989), où les deux auteurs affirment notamment que « scientifiquement le cas est clair : dans tous les secteurs du langage on comprend plus qu'on ne peut exprimer... Dans une langue étrangère aussi, on peut comprendre beaucoup plus qu'on ne peut expri­mer» (p. 135). On se demandera pourquoi «le cas » est si clair. On peut aussi contester l'affirmation sur la base de l'observa­tion des apprenants de langues étrangères qui arrivent à expri­mer un message en choisissant les mots et les structures qu'ils connaissent, alors qu'ils ne comprennent pas le même message formulé par un locuteur natif avec des mots et des structures choisis par lui et qu'ils connaissent mal ou ne connaissent pas. D. Seleskovitch et M. Lederer n'expliquent d'ailleurs pas d'où vient leur certitude « scientifique », et ne citent aucune étude et aucun auteur à l'appui de leur affirmation.

Autre exemple, à la fin du même livre, elles écrivent :

« Nous avons présenté dans cet ouvrage les principes et les méthodes qui constituent les fondements raisonnes de l'enseigne­ment de l ' interprétation ; ... ces principes et ces méthodes ont subi le test irréfutable de la vérification empirique ; leur validité est at testée par la réussite des nombreux interprètes qui ont été for­més à les appliquer et qui sont aujourd'hui au tout premier rang de leur profession » (p. 265).

Là aussi, aucun détail n'est donné sur le « test irréfutable de la vérification empirique », et i l est impossible à un • lecteur de

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réaliser une replication de la démarche qui a conduit D. Seles­kovitch et M . Lederer à leur conclusion.

Enfin, dans la version publiée de la thèse de doctorat d'Etat de D. Seleskovitch (1975), différentes affirmations sont faites, dont l'idée selon laquelle

«... les orateurs qui formulent très rapidement ne gênent pas les interprètes, car un orateur rapide répète sa pensée ou l'explicite là où d'autres font des pauses, de sorte que l'on peut affirmer que la mat ière que traite l ' interprète, à savoir le sens, n'est pas proportion­nelle à la quanti té de paroles prononcées par unité de temps, mais que la densité de l'information reste toujours à peu près la même... » (p. 116).

Des conversations avec de nombreux collègues interprètes nous donnent à penser que l'idée selon laquelle la rapidité du débit ne gêne pas les interprètes est loin d'être partagée par tous les professionnels. On notera aussi et surtout, sur le plan méthodologique, que l'affirmation sur la constance de la den­sité informationnelle du discours n'est pas appuyée par la pré­sentation de faits ou de références.

Ces travaux ne sont pas dénués de valeur pour autant, comme il est expliqué plus loin, mais ils posent quelques pro­blèmes à ceux qui souhaitent les utiliser comme fondement pour approfondir leur compréhension des processus de l'interprétation.

Comme il est expliqué au Ch. 3, la présence des affirmations spéculatives, notamment celles qui ne correspondent pas à l'ex­périence vécue de tous les interprètes, a des conséquences sur le statut de la recherche au sein de la communauté scientifi­que et au sein de la communauté des interprètes. Dans cette section, i l sera fait abstraction de cet aspect de la question en faveur d'une comparaison de fond entre les avantages et inconvénients respectifs de la démarche intuitive et spéculative et de la démarche scientifique dans leur application à l'étude de l'interprétation.

Plus concrètement, on est amené à se poser la question de savoir si une démarche exclusivement intuitive est utile dans l'exploration de l'interprétation même si elle ne répond pas aux critères de la recherche scientifique, ou si les règles de celle-ci sont indispensables à tout progrès véritable.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 211

1.3 Réflexion spéculative contre recherche scientifique

La théorisation intuitive est fondée sur l'expérience. et les impressions personnelles, et n'est pas soumise aux règles de systématisation, de contrôle et d'objectivation qui font partie de la démarche scientifique. Contrairement à celle-ci, la spécu-. lation ne comporte donc pas de barrières institutionnalisées contre les dérives et les erreurs, et en cas d'erreur i l est diffi­cile de remonter le raisonnement ou la procédure pour en trouver la source précise. Peut-on pour autant en déduire que les conclusions auxquelles conduit la théorisation intuitive sont moins Vraies' ou moins utiles que celles auxquelles amène la démarche scientifique ?

La réponse à cette question n'est pas simple. La recherche scientifique parvient, souvent à des conclusions analogues à celles de la théorisation intuitive, mais au prix d'un effort bien plus coûteux et d'un temps de cheminement bien plus long en raison des méthodes mises en œuvre : observation systémati­que consommatrice de temps et d'efforts, expérimentation, replication des expériences et tentatives de recoupement, véri­fications multiples, prudence systématique dans les inferences et dans les conséquences tirées. Par ailleurs, en dépit des points et méthodes de contrôle intégrés dans la démarche scientifique, celle-ci n'est pas exempte d'erreurs, qu'elles soient dues à des méthodes ou équipements défectueux ou à l'effet du hasard, par exemple dans le tirage au sort intervenant dans les procédures d'échantillonnage et dans les inferences statisti­ques. Les erreurs humaines, de raisonnement, de manipula­tion, ou simplement de recueil de données, n'en sont pas absentes non plus.

La réflexion sur l'interprétation s'est d'abord imposée en rai­son des besoins liés à la formation : i l s'agissait de mieux com­prendre ce qu'on allait enseigner pour pouvoir mieux l'ensei­gner. Les erreurs éventuelles n'avaient pas des conséquences aussi graves que des erreurs dans la conception d'un équipe­ment médical ou d'une centrale électrique. En outre, le résultat pouvait toujours être contrôlé à travers les examens de diplôme des étudiants. En revanche, à l'époque, la progression dans la réflexion sur l'interprétation devait être très rapide, car les besoins en matière de formation étaient immédiats. La thé­orisation intuitive de Jean Herbert et d'autres pionniers a conduit les premiers enseignants à une conception de l'inter­prétation comme une activité intellectuelle fondée sur la com­préhension à travers l'analyse, et sur la reformulation d'un

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message plutôt que d'un « texte ». Cette philosophie reste domi­nante dans l'ensemble des « grandes » écoles d'interprétation, où elle est à la base d'une orientation de la formation axée sur l'analyse du discours et sur la recherche du 'Message' plutôt que sur une démarche comparatiste. On objectera que la vali­dité de cette orientation n'est pas démontrée. Il est possible que les méthodes pratiques qui en sont l'émanation ne soient pas les meilleures ; i l est possible que la domination de la 'thé­orie du sens' ait freiné le développement de méthodes plus effi­caces. Néanmoins, cela n'empêche pas les écoles de former de bons interprètes. Les méthodes intuitives semblent favoriser une certaine discipline intellectuelle chez les étudiants, puis­qu'elles insistent sur l'analyse et la prise de décisions, et réduire les interférences linguistiques dans le discours en lan­gue d'arrivée, puisqu'elles bannissent le mot-à-mot et sensibili­sent les étudiants à l'effet gênant pour l'auditeur d'un discours qui ne respecte pas le génie de la langue concernée. Il convient de tenir compte aussi du facteur historique. Quelles que soient les critiques que l'on peut formuler à l'égard des méthodes de la première génération des chercheurs interprètes, la cristalli­sation de la 'théorie du sens' est indissolublement associée au développement d'un mouvement universitaire puissant qui a renforcé le statut universitaire de l'interprétation de confé­rence ; dans les deux principales écoles en France, celle-ci est maintenant enseignée en tant que cursus de 3 e cycle. De même, l'impulsion qui a lancé le mouvement a également ins­piré une grande masse de textes universitaires, dont plusieurs doctorats, et mis en ' marche un véritable mouvement de réflexion et de recherche sur l'interprétation, dont sont issus des chercheurs qui ont opté pour une démarche de recherche plus proche des principes admis plus généralement par la com­munauté scientifique. Le premier élan spéculatif de la réflexion sur l'interprétation a donc également eu cette fonction positive.

Néanmoins, i l semblerait qu'au delà des applications à la for­mation et de l'incitation à la recherche, la démarche intuitive n'ait pas beaucoup fait avancer la compréhension et la connaissance de l'interprétation et de ses mécanismes depuis vingt ans. Il apparaît dans les différents chapitres de ce livre que sur des questions accessoires comme sur des questions fondamentales, les avis divergent, et les débats n'avancent pas faute d'arguments nouveaux et de données empiriques à l'ap­pui des affirmations et contre-affirmations des uns et des autres ; depuis les années 70, peu d'idées nouvelles sont appa­rues, même dans la démarche intuitive. Par ailleurs, les

REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 213

modèles qui ont été constitués, notamment par B. Moser (1978) et par î). Gile, ne peuvent être testés et éventuellement rejetés ou améliorés sans l'apport de faits pertinents soigneuse­ment recueillis et analysés.

C'est dans ce contexte qu'apparaît l'intérêt de la recherche scientifique de type empirique, avec ses avantages liés à sa progression contrôlable et fondée sur des faits systématique­ment recueillis et analysés.

1.4 L interprétation comme objet de recherche

Par commodité, i l peut être intéressant de représenter l'inter­prétation comme un processus P avec une entrée E et une sor­tie S se déroulant dans un environnement donné (Fig.l). L'en­trant' ('input' en anglais) est ce qui arrive vers lp processus pour être transformé par celui-ci, en l'occurrence le discours en langue de départ et tous les autres éléments d'information pertinents que l'interprète recueille pendant son travail. Le sor­tant' (output' en anglais) est ce que produit le processus, en l'occurrence le discours en langue d'arrivée.

Figure 1 : L'interprétation comme processus

A travers ce modèle, deux constatations s'imposent :

a. Dans le processus d'interprétation, l'entrant et le sortant peu­vent être observés dans de bonnes conditions L'interprétation v est une action publique', qui peut être

observée par tout participant à la conférence concernée. Si certaines réunions ont un caractère confidentiel ou à participa­tion restreinte, beaucoup d'entre elles sont accessibles à tout observateur au prix d'une inscription et d'un éventuel droit de participation. Par ailleurs, le processus d'interprétation est bien délimité dans le temps, se tient sur une période courte, en un

214 DANIEL GILE

lieu physiquement circonscrit : la salle de conférence en consé­cutive, et la cabine d'interprétation en simultanée. En outre, il est entièrement contenu dans le travail d'une personne. Quand un discours est interprété en plusieurs langues, i l y 3 autant de processus que d'interprètes actifs et que de langues d'arrivée. L'entrant se compose essentiellement du discours en langue de départ, des éventuels graphiques montrés sur écran (diaposi­tives ou transparents), des éventuels supports écrits dont dis­pose l'interprète, de l'image de l'orateur et de l'image et des sons provenant de la salle tels que perçus par l'interprète. En mode simultané, le sortant se compose du son du discours en langue d'arrivée tel qu'il parvient dans le casque des délégués qui l'écoutent (théoriquement, s'y ajoute l'image de l'interprète en cabine, mais en général les délégués ne s'y réfèrent pas) ; en mode consécutif, i l se compose du discours verbal et des gestes et expressions faciales de l'interprète. Souvent, l'essentiel de l'entrant est circonscrit dans le son de la voix de l'orateur qui fait son intervention en langue de départ. C'est notamment le cas quand l'interprète ne le voit pas ou le voit mal, quand il ne dispose pas de documents écrits, quand i l n'y a pas de sup­port graphique sur écran, quand la salle ne réagit pas de manière perceptible pour l'interprète, quand celui-ci ferme les yeux pour se concentrer.

En outre, si de nombreux interprètes considèrent que la vision directe de l'orateur et de la salle est importante, en ce sens qu'elle apporte des éléments non-verbaux qui servent à l'interprétation, et si ce point de vue a été officialisé par l'AIIC qui a incorporé dans ses contrats-type une clause dans ce sens, d'après deux études empiriques, cet apport visuel n'aurait pas nécessairement une importance significative, du moins dans certains types de discours et de circonstances (Anderson 1979, Balzani 1990).

Quoi qu'il en soit, la partie sonore de l'entrant et du sortant peut être observée (au sens large du terme) en totalité, et la partie visuelle peut elle aussi être observée dans de bonnes conditions. Qui plus est, la partie sonore de l'entrant et du sor­tant peut être enregistrée en totalité, et la partie visuelle peut elle aussi être, enregistrée dans de bonnes conditions par des caméras.

Au regard du processus étudié, ces conditions d'observation sont assez exceptionnelles dans les sciences comportementales, car la plupart des aspects du comportement humain sont diffi­ciles à décrire et à enregistrer de manière un tant soit peu

REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 215

complète en raison de leur caractère long, complexe, distribué dans l'espace et dans le temps, et difficile à circonscrire.

b. Le processus d'interprétation n'est pas facile à observer En traduction, une partie du processus mental se manifeste

concrètement par des actes de recherche documentaire et ter­minologique, de rédaction et de correction théoriquement observables (concrètement, la recherche documentaire et ter­minologique est difficile à observer en raison de sa distribution dans le temps et dans l'espace). Les TAP (Think Aloud Proto­cols), dans lesquels les sujets traduisent tout en commentant leur travail à mesure qu'il se déroule, donnent peut-être aussi un aperçu sur le processus, mais on ne sait pas dans quelle mesure ils sont représentatifs du processus et dans quelle mesure ils le modifient (voir notamment Toury 1991).

En interprétation,, la recherche documentaire et terminologi­que se déroule surtout en amont du processus central En consécutive, on peut observer la prise de notes. Mais les opéra­tions de mémoire à court terme ne sont pas directement observables, et les opérations d'énonciation ne laissent apparaî­tre que le résultat, une fois les décisions prises. Les incidents de parcours tels que les faux départs, les hésitations, les fautes et les maladresses donnent des indices pour l'analyse du pro­cessus, mais là aussi, celui-ci ne peut pas être directement observé.

Un certain nombre de règles normatives sur la qualité sou­haitable du produit du processus, à savoir le discours en lan­gue d'arrivée, ont été formulées par les praticiens : ce discours doit être « fidèle » au discours original, fidèle au génie de la langue d'arrivée, clair, logique, agréable à écouter. Des règles ont également été formulées pour la partie contrôlable et maî­trisable du processus : i l faut acquérir des connaissances utiles à travers une préparation ad hoc, prendre des notes de telle manière en consécutive, rester à telle 'distance' de l'orateur en simultanée, faire appel à telles tactiques en cas de difficulté (Ch. 5). Cependant, une grande partie du processus, notam­ment l'ensemble des opérations de décodage du discours en langue de départ, de stockage et de recherche d'informations dans la mémoire à court terme, de production du discours en langue d'arrivée, reste inconnue, précisément en raison de l'im­possibilité de l'observer directement.

En réalité, même dans les conditions les plus banales de la vie courante, les opérations usuelles de compréhension et de

216 DANIEL GILE

production du discours sont loin d'être comprises. En interpré­tation, la situation se complique du fait de la simultanéité des trois Efforts, avec les phénomènes de coordination et de concurrence (interférences) qu'elle implique, outre la présence simultanée de deux systèmes linguistiques distincts dans le processus (Ch. 4).

2. Les problèmes de la recherche empirique en interprétation

Outre les problèmes liés à la nature du processus et le fait qu'il ne peut être observé directement, se posent des pro­blèmes plus concrets d'ordre 'environnemental' :

2.1 La variabilité des situations

Parmi les variables affectant les rapports entre l'entrant et le sortant du processus, on peut citer à titre illustratif :

— La nature du couple langue de départ-langue d'arrivée : l'annuaire de l'AXIC fait apparaître comme langues de travail de ses membres plus de dix langues, dont le français, l'anglais, l'allemand, mais aussi le russe, le chinois, le japonais, l'arabe et l'hébreu, qui appartiennent à des familles linguistiques diffé­rentes. Si certains théoriciens pensent que le processus est identique quelles que soient les langues, d'autres sont convain­cus du contraire (voir Ch. 8). Dans le doute, les échantillons devraient couvrir de nombreux couples de langues différents.

— Le sens du travail de l'interprète (vers une langue mater­nelle, vers une langue active non maternelle, à partir d'une lan­gue maternelle, à partir d'une autre langue), ainsi que le degré de maîtrise qu'a l'interprète de chacune de ces langues.

— Le rapport entre l'information véhiculée par le discours et les connaissances pré-existantes de l'interprète, qu'elles soient spécialisées ou non, linguistiques ou extra-linguistiques. Ce rap­port détermine en grande partie la capacité de traitement et le temps nécessaires au traitement de l'information, éventuelle­ment les stratégies et tactiques qui seront employées, ainsi que la capacité de l'interprète de comprendre et d'anticiper.

— La personnalité, l'expérience et les facultés mentales et morales de l'interprète, et notamment sa motivation, sa cons­cience professionnelle, son endurance, son intelligence analyti­que, la capacité de sa mémoire à court terme.

— L'état de fatigue physique et nerveuse de l'interprète.

REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 217

— Le type d'intervention, en fonction des intentions sous-jacentes de l'orateur, dû type de raisonnement, de la densité informationnelle du discours.

— Les conditions d'énonciation du discours : traits prosodi­ques, voix de l'orateur, son comportement face au microphone.

— L'environnement de travaû de l'interprète : aménagement de l'espace, aération, température (voir Kurz 19§3c,d), éclai­rage, position de la cabine par rapport à l'orateur, par rapport à l'écran, par rapport aux délégués.

— La composition de l'équipe d'interprètes, et notamment les relations entre ses membres.

En l'absence de données empiriques suffisantes, on ne sait pas dans quelle mesure la variabilité dans chacun de ces aspects affecte les mécanismes intervenant dans l'interpréta­tion qualitativement et quantitativement. Toutefois, de' l'avis de nombreux interprètes, ces variables comptent, et i l semble pru­dent d'en envisager l'hypothèse dans toute recherche empiri­que (voir Gile 1991a). En conséquence, les projets de recherche doivent être - quantitativement importants par la taille des échantillons et par le nombre de replications nécessaires dans des environnements divers.

2.2 L'accessibilité des sujets

Or, comme il est expliqué au Ch. 6, si une base de faits quan­titativement importante est nécessaire pour assurer la repré­sentativité des résultats empiriques, on trouve d'importants obstacles psychologiques et pratiques qui rendent difficile la constitution d'échantillons nombreux ou de grande taille.

Ces difficultés sont l'une des raisons pour lesquelles les études empiriques sont peu nombreuses. Les rares travaux de ce genre réalisés dans le domaine de l'interprétation le sont généralement avec de petits échantillons (avec une exception, une étude faisant appel à un échantillon de très grande taille au Japon, dans Watanabe 1991), et quasiment sans replications.

Par ailleurs, la variabilité dans les différents aspects de l'in­terprétation, expliquée plus haut, est en grande partie une fonction géographique. Par exemple, à Bruxelles, la grande majorité des journées de travail sont effectuées sur place pour la Commission des communautés européennes, ce qui impli­que un certain type d'environnement, qui se caractérise notamment par l'interprétation pour des groupes multilingues

218 DANIEL GILE

dont les membres travaillent ensemble depuis longtemps et se connaissent bien. Aux Etats-Unis, l'essentiel du travail en dehors de l'ONU est bilingue ; i l est souvent réalisé pour le Département d'Etat, avec une grande part de consécutive. Au Canada, la combinaison est essentiellement bilingue français-anglais, avec de nombreuses conférences traitant de questions canadiennes plutôt qu'internationales, et de fréquents voyages. A Tokyo, i l existe un mélange de marché privé et de marché public, les principales langue de travail étant le japonais et l'an­glais. En Israël, une très importante partie des conférences a une composante culturelle judaïque. Autant dire qu'il est très difficile, dans une démarche observationnelle ou naturaliste', d'assurer la représentativité des phénomènes relevés dans le cadre d'une étude par rapport à la population totale des inter­prètes et des conférences (voir aussi Ch. 6).

2.3 Un environnement professionnel peu incitatif à la recherche

Comme il est indiqué au Ch. 1, contrairement à la plupart des autres disciplines de recherche, pour lesquelles i l existe des infrastructures universitaires ou des structures spécifiques de recherche publiques ou privées, l'interprétation de conférence ne dispose quasiment d'aucune base de ce type.

On ajoutera que l'environnement professionnel n'est pas très incitatif lui non plus. En effet, de même que les traducteurs, la plupart des interprètes professionnels ont vis-à-vis de la recherche une attitude d'indifférence au mieux, et d'hostilité au pire (voir par exemple Gémar 1983, Komissarov 1985, Viag-gio 1988, Seleskovitch 1989, Sager 1992). Cette attitude peut s'expliquer en partie au moins par la nature des travaux réali­sés jusqu'à présent. On trouve d'une part les recherches psy­chologiques et linguistiques qui portent sur des points précis dont les applications à la pratique ne sont pas directement visi­bles ou immédiates (voir Ch. 2). Par ailleurs, la précision même de la recherche et de la terminologie scientifique rendent la compréhension des travaux et de leurs résultats difficile aux non initiés (voir Moser-Mercer 1991). Quant à la recherche réa­lisée par les praticiens, elle est soit de type théorique, soit de type méditatif. Pour la partie théorique se posent une fois de plus des problèmes de compréhension de la part des collègues praticiens, auxquels s'ajoute l'absence d'applications à la prati­que. Dans la partie reflexive, les idées des chercheurs ne se dis­tinguent guère dans leur nature et dans leur pouvoir explicatif

REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 219

de celles des praticiens, et l'auréole universitaire dont se sont parés les théoriciens sur la base de ces idées a pu irriter leurs collègues. En outre, comme i l est montré plus haut, certaines idées exprimées par les chercheurs-praticiens sont en contra­diction avec celles de nombreux professionnels, et ne sont pas présentées avec l'appui de faits et de raisonnements suffisam­ment persuasifs pour convaincre les sceptiques.

2.4 L interdisciplinarité

Une autre difficulté de la recherche empirique sur l'interpré­tation a sa source dans la multiplicité des disciplines que concerne à l'évidence la transformation d'un discours en lan­gue de départ en un discours en langue d'arrivée dans les conditions de la consécutive et de la simultanée. Comme i l apparaît tout au long de cet ouvrage, même dans une optique très interpréto-centrique, la psycholinguistique doit intervenir quand i l s'agit d'étudier la compréhension et la production du discours ainsi que les interférences entre langue de départ et langue d'arrivée, et la psychologie cognitive est la discipline la plus à même d'analyser les problèmes de capacité de traite­ment, et notamment de partage de l'attention. Pour rechercher des indices plus précis sur la charge mentale' qu'impliquent les contraintes de l'interprétation, i l paraît intéressant de se tour­ner du côté de la physiologie, qu'il s'agisse de la neurophysiolo­gie, des phénomènes vocaux (Spiller-Bosatra et Daro 1992), oculaires (Tommola et Niemi 1986) ou autres. A un niveau comportemental plus général, i l est intéressant de cerner de plus près le profil psychologique que requiert l'interprétation, et d'étudier les mécanismes sociologiques de la communication interlinguistique en situation de conférence, compte tenu des différences culturelles entre les interlocuteurs, qui relèvent de l'ethnologie —sans oublier la linguistique, ne serait-ce que pour ses outils descriptifs et analytiques.

Certes, chaque chercheur a pour vocation de se spécialiser dans l'un des aspects de l'interprétation sans avoir nécessaire­ment à en connaître les autres en profondeur. Néanmoins, s'agissant de l'étude du processus d'interprétation, qui se retrouve dans une grande majorité des travaux entrepris sur l'interprétation, une certaine familiarité avec la linguistique, la psycholinguistique et la psychologie cognitive s'impose.

Dès lors se pose la question de l'acquisition de ce savoir. Celle-ci peut s'envisager de trois manières :.

220 DANIEL GILE

— Par 1 autoformation du chercheur interprète. Possible dans le cadre d'une collaboration interdisciplinaire, elle est dans l'en­semble assez difficile d'abord pour le chercheur-interprète indi­viduel s'il n'est pas guidé par un spécialiste.

— Par une formation complémentaire des interprètes cher­cheurs. Celle-ci n'existe pas encore, même dans les rares pro­grammes de recherche en traductologie. Des propositions en ce sens sont faites plus loin.

— Par une démarche inverse, consistant à orienter en matière d'interprétation le chercheur 'extérieur', linguiste, psy­cholinguiste ou neurophysiologue. Comme il est expliqué dans les chapitres précédents, depuis le milieu des années 70, on ne trouve quasiment pas de membres de ces communautés scien­tifiques dans la recherche sur l'interprétation, bien que l'on recommence à voir depuis peu, notamment à Trieste, une col­laboration entre interprètes et neurophysiologues.

2.5 La complexité du phénomène

Une autre difficulté qui se pose dans l'étude empirique de l'interprétation, et en particulier dans la recherche sur les pro­cessus, tient à la complexité de cette activité, dans laquelle i l est très difficile d'isoler des phénomènes. Par exemple, dans la production de son discours d'aboutissement, l'interprète peut s'aider, dans la recherche d'un mot ou d'une structure syntaxi­que, des mots et des structures du discours en langue de départ, de même qu'il risque d'en subir les interférences. Il est donc possible que les mécanismes entrant en jeu dans la pro­duction du discours en interprétation soient sensiblement diffé­rents de ceux qui se produisent en situation de communication unilingue (voir aussi les chapitres 4 et 8).

Il apparaît difficile d'appliquer directement à l'interprétation les résultats d'expériences réalisées en laboratoire dans un environnement où les contraintes sont très différentes de celles de l'environnement professionnel. De même, dans la réalisation d'études expérimentales, i l est assez difficile de s'assurer que la tâche confiée aux sujets, et en particulier les discours de départ manipulés dans lesquels sont contrôlées plusieurs varia­bles, représentent effectivement une situation analogue à l'in­terprétation en situation professionnelle. Les interprètes ont été prompts à souligner, à propos des expériences des psycholo­gues et linguistes au cours des années 60 et 70, que 1'« interprétation » de phrases isolées et de mots isolés ne met-

REGARDS SUR LA RECHERCHE E N INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 221

tait peut-être pas en jeu les mêmes mécanismes de compré­hension et de production et les mêmes stratégies et tactiques que l'interprétation sur le terrain (voir Ch. 2). De même, un dis­cours construit ad hoc par l'expérimentateur pour présenter certaines caractéristiques linguistiques et logiques, qui est lu en laboratoire, ne représente peut-être pas de manière adéquate un discours de conférence, notamment dans son vocabulaire et sa rhétorique, et ne déclenche peut-être pas les mêmes mécanismes de vérification, d'anticipation et de raisonnement par analogie. C'est la principale réserve que l'on opposera au travail expérimental de M . Dillinger (1989), très fouillé par ail­leurs, mais construit exclusivement sur deux discours de ce type.

A mesure que la base de données disponible s'élargira, la pertinence ou non pertinence de chacun des éléments de l'en­vironnement d'interprétation devrait apparaître plus claire­ment, mais i l semble risqué pour le moment de tirer des conclusions sur l'interprétation de conférence à partir d'expé­riences de laboratoires trop contrôlées'.

3. Perspectives et stratégies

Face aux difficultés énumérées plus haut, i l apparaît impor­tant de viser des stratégies spécifiques. En effet, aucun de ces problèmes n'a vocation à disparaître spontanément :

— La variabilité des situations et la complexité du phéno­mène sont intrinsèques.

' — L'accessibilité physique des interprètes pourra s'améliorer si le marché s'élargit, mais il n'y pas de raison pour que les fac­teurs limitant leur accessibilité psychologique et profession­nelle disparaissent.

— La complexité de l'interprétation et la nécessité d'une démarche interdisciplinaire sont des données immuables ; les difficultés qu'elles impliquent ne s'atténueront qu'à la mesure des progrès réalisés dans la recherche.

— Enfin, i l apparaît que pour modifier la physionomie de l'environnement professionnel et universitaire qui entoure la recherche en interprétation, i l faudrait que celle-ci produise des résultats différents, ou qu'elle soit mieux expliquée aux communautés professionnelle et universitaire.

C'est pourquoi i l nous apparaît opportun de viser trois axes de progression stratégiques pour améliorer la situation :

222 DANIEL GILE

3.1 L'incitation à la recherche

Comme i l est expliqué dans les premiers chapitres de ce livre, la quasi-totalité des travaux théoriques et de recherche sur l'interprétation sont réalisés par des enseignants ; ce sont les plus motivés par la recherche du fait de l'environnement universitaire dans lequel ils se trouvent et de leur activité pédagogique, qui appelle des interrogations sur la nature des processus en jeu, sur les raisons des échecs et des succès, et sur les éventuelles méthodes permettant d'améliorer la presta­tion des étudiants et des professionnels.

Les étudiants eux aussi sont attirés par l'exploration de cette discipline qu'ils essaient de maîtriser, pour des raisons qui essentiellement ne sont pas très différentes de celles de leurs enseignants. Au cours de nos visites dans différentes écoles de traduction et d'interprétation d'Europe, d'Amérique, d'Asie et d'Australie, nous avons presque toujours rencontré un très grand intérêt de la part des étudiants à l'égard des questions théoriques.

Il semble donc naturel de concentrer les efforts d'incitation à la recherche dans ce milieu relativement accueillant des écoles d'interprétation, d'autant plus qu'il se prête assez bien à d'éven­tuelles mesures de réorganisation favorisant la recherche, ce qui n'est pas le cas du milieu professionnel. Deux axes d'efforts nous semblent envisageables dans les écoles :

1. La sensibilisation à la théorie et à la recherche lors de la for­mation professionnelle initiale :

Actuellement, les écoles d'interprétation sont en grande majorité dirigées en étroite coopération avec des praticiens, et sont perçues comme ayant une vocation essentiellement pro­fessionnelle, et non pas universitaire. Dans cet esprit, elles for­ment à la maîtrise d'un savoir-faire, et non pas à l'acquisition de connaissances. Il s'ensuit que l'on ne saurait y consacrer trop de temps et d'efforts à la théorie et la recherche sans modifier sensiblement l'équilibre des programmes d'une manière incompatible avec leur fonction fondamentale. Un cours unique de sensibilisation à la réflexion sur l'interpréta­tion nous semble toutefois acceptable, potentiellement utile et susceptible d'être bien accueilli par les étudiants s'il est bien conçu. Un tel cours existe d'ailleurs dans de nombreuses écoles (voir Ch. 7). Toutefois, n'y sont présentés que des concepts et des modèles théoriques, et non pas des considérations liées aux méthodes de recherche.

REGARDS SUR LA RECHERCHE EN INTERPRÉTATION DE CONFÉRENCE 223

En revanche, i l existe certaines écoles où l'obtention du diplôme de fin d'études requiert statutairement un projet don­nant lieu à un mémoire. Ce projet de fin d'études est une bonne occasion de sensibiliser les étudiants à la recherche. Comme i l est indiqué au Ch. 3, à l'occasion de ces projets ont été réalisés un certain nombre de travaux qui ne sont pas sans valeur, et qui ont donné le goût de la recherche aux étudiants et valorisé les écoles concernées sur le plan universitaire. Il nous semble que cette direction est prometteuse.

2. L'introduction de normes de qualification universitaire. et d'exigences de recherche dans les écoles d'interprétation :

A l'heure actuelle, l'accès à des postes dans une grande par­tie des écoles d'interprétation n'est pas subordonné à une qua­lification universitaire de haut niveau telle qu'un doctorat. Rien n'indique que la qualité de la formation des étudiants à l'inter­prétation en souffre, mais la situation n'est pas favorable à la recherche. Nous n'envisageons pas le doctorat obligatoire pour l'ensemble des enseignants ; une telle condition serait fort démotivante pour les praticiens ayant vocation d'enseigner, et priverait les écoles de leurs forces vives. Toutefois, l'institution­nalisation d'une qualification universitaire pour quelques postes, comme c'est notamment le cas à l'ESIT, nous semble souhaitable. Elle aurait l'avantage supplémentaire et non négli­geable de stabiliser' les interprètes à vocation pédagogique et de recherche dans une véritable carrière universitaire, leur permettant ainsi de consacrer davantage de temps et d'efforts à l'enseignement et réduisant d'autant les problèmes d'organi­sation plus ou moins graves qui se posent dans les écoles à effectifs exclusivement 'free lance'. Encore faudrait-il que ce soient des interprètes-chercheurs qui soient nommés à ces postes. Si, faute de candidats interprètes, ce sont des universi­taires étrangers à l'interprétation qui les occupent, le résultat aura été contraire à l'effet souhaité. D'où l'importance d'une stratégie générale d'incitation à la recherche auprès des praticiens. •, • .

Par ailleurs, on notera que les écoles d'interprétation univer­sitaires sont institutionnellement et physiquement proches des centres de recherche universitaires, et qu'elles sont bien pla­cées pour entretenir des contacts avec les chercheurs dans les disciplines intéressant l'interprétation. Elles partagent parfois les mêmes bibliothèques, et peuvent négocier l'accès pour leurs étudiants et enseignants aux bibliothèques spécialisées. De même, elles peuvent inviter des chercheurs linguistes, psy-

224 DANIEL GILE

chologues ou autres à présenter des conférences, et organiser éventuellement des journées d'information interdisciplinaires. Nous avons pris part à quelques réunions de ce type, et avons constaté des réactions positives de la part des participants. Ces actions de sensibilisation pourraient avoir un effet à long terme.

Deux autres stratégies d'incitation à la recherche nous sem­blent importantes. L'une est un effort d'information, destiné aux praticiens, et visant à leur expliquer l'intérêt de la recherche en dépit de l'absence de résultats applicables à court terme. Il s'agit de créer un environnement moins hostile et de susciter d'éventuelles vocations. A cet égard, le rôle de la Com­mission de la recherche, voire de la Commission de la forma­tion de l'AnC, qui, appartenant à un important organisme pro­fessionnel, s'occupent de recherche et de formation, semble particulièrement intéressant. Par ailleurs, dans l'orientation des futurs chercheurs, i l convient de veiller à la qualité des projets réalisés, et, dans la mesure du possible, de suggérer aux étu­diants des sujets plus concrets que théoriques. De toute évi­dence, cette incitation ne saurait être restrictive, et des étu­diants ou chercheurs motivés par un thème relevant de la recherche fondamentale devraient également être encouragés à l'aborder. Cependant, s'agissant de personnes n'ayant pas encore porté leur choix sur un sujet, des suggestions concer­nant des recherches ayant une application pratique présentent un double avantage : elles sont motivantes, et pourraient aider à modifier l'image de la recherche que se sont fait de nom­breux interprètes. Des exemples de projets ayant une applica­tion pratique sont donnés à la Section 3.3.4.

3.2 La formation

C'est dans le domaine de la formation que se situe probable­ment le plus grand potentiel de développement de la recherche.

Rappelons que parmi les principaux problèmes dont souffre la communauté des praticiens-chercheurs en matière d'inter­prétation figurent leur faible compétence en matière de méthodes de recherche et leur manque de connaissances dans les disciplines pertinentes. Là aussi, c'est dans le cadre des écoles que l'on peut rechercher prioritairement des solutions. L'action requise est double : i l s'agit d'une part d'une formation à la recherche en tant que telle, et d'autre part de l'acquisition des éléments de connaissance thématiques les plus utiles à la recherche sur l'interprétation.

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 225

Dans la recherche intervient au niveau le plus fondamental la « démarche scientifique », à laquelle sont superposées les techniques appropriées. Dans la plupart des disciplines scienti­fiques, les deux sont enseignées dans un même cursus. Le caractère interdisciplinaire de l'interprétation fait que la chose y est plus difficile : les techniques. utilisées en linguistique, en psychologie cognitive et en neurophysiologie sont variées et assez nombreuses. C'est pourquoi nous préconiserons une for­mation de base, axée sur les méthodes de recherche dans les sciences sociales (psychologie, sociologie, sciences de l'éduca­tion), suivie éventuellement d'un perfectionnement spécialisé selon les besoins des projets des chercheurs.

Cette formation pourrait être recherchée initialement dans un département universitaire spécialisé dans les sciences sociales. Une fois une certaine compétence acquise par les interprètes issus de ces premières promotions, ceux-ci pour­raient assurer une formation adaptée aux besoins spécifiques de la recherche sur l'interprétation dans le cadre de l'école où ils enseigneraient.

Etant donné la vocation essentiellement professionnelle des écoles d'interprétation, i l nous semble peu souhaitable de pro­poser la formation à la recherche aux étudiants en interpréta­tion préparant leur diplôme professionnel. Elle interviendrait plutôt en option, pour les candidats à un diplôme universitaire de haut niveau. Le principe du programme doctoral parallèle à la formation professionnelle, adopté par l'ESIT à Paris, nous semble intéressant en ce sens qu'il est accessible aux étudiants inscrits en interprétation ainsi qu'à des candidats extérieurs au programme professionnel.

Sur le plan formel, le programme proposé dans les écoles d'interprétation pourrait se composer d'une formation de base d'un an, sanctionnée ou non par un diplôme (le D.E.A. en France), et d'un perfectionnement d'un an accompagnant la préparation du projet de recherche individuel, mémoire ou thèse. Le programme s'articulerait par exemple comme suit :

Première année — Un cours de méthodes de recherche, où seraient ensei­

gnées la « démarche scientifique » et des techniques de base. Il existe de nombreux livres sur les méthodes de recherche dans les sciences sociales que l'on pourrait utiliser à ces fins au prix d'une légère adaptation (voir par exemple Babbie 1992, Frankfort-Nachmias et Frankfort 1992, Robert 1988).

226 DANIEL GILE

— Un cours parallèle présentant de manière critique la recherche réalisée dans le domaine de l'interprétation.

— Une série d'exercices d'application, essentiellement des replications d'études observationnelles et expérimentales.

— Le cas échéant, l'acquisition, dans un département univer­sitaire ou un centre de recherche approprié, de connaissances thématiques spécialisées.

Deuxième année — Un séminaire dans lequel seraient discutés en classe lors

de réunions périodiques l'ensemble des projets des étudiants, selon leur état d'avancement.

— Le perfectionnement thématique et le perfectionnement technique dans les méthodes de recherche appropriées auprès d'un département universitaire ou d'un centre de recherche approprié.

3.3 Les stratégies de recherche

Etant donné l'ensemble des problèmes présentés dans les chapitres précédents, en attendant que la recherche sur l'inter­prétation arrive à maturité et prenne véritablement son essor, un certain nombre de stratégies nous semblent propres à facili­ter la progression, surtout s'agissant des praticiens chercheurs :

3.3.1 De petits projets

En raison des problèmes évoqués plus haut, notamment les problèmes de formation à la recherche, de disponibilité des chercheurs praticiens et d'accès à des sujets, une proportion non négligeable des projets de mémoire et de thèse choisis par les étudiants n'aboutissent jamais. L'un des moyens suscepti­bles de réduire la proportion de ces échecs consisterait à orien­ter les jeunes chercheurs sur de petits projets, qui nécessitent de petits échantillons et un travail de durée limitée.

En limitant l'ambition des projets de recherche, on réduit certes la portée potentielle de chaque projet individuel, mais en augmentant probablement ses chances d'aboutissement. L'effet escompté est double : d'une part, augmenter la masse des tra­vaux achevés dans le domaine de l'interprétation, et d'autre part, motiver davantage chaque chercheur à travers un pre­mier succès. Une telle stratégie ne se justifiera peut-être plus

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 227

quand la recherche sur l'interprétation aura beaucoup pro­gressé, car i l ne sera peut-être plus possible d'apporter une véritable contribution sans un projet d'envergure, mais dans la situation actuelle, même de petits projets peuvent apporter des faits nouveaux et intéressants.

3.3.2 Des projets méthodologiquement simples

En raison de l'absence d'une formation spécifique à la recherche de la plupart des praticiens-chercheurs, leurs tra­vaux présentent souvent des faiblesses méthodologiques (voir notamment Gile 1991a). Une partie de ces faiblesses sont attri-buables à un manque de discipline et de rigueur dans le rai­sonnement, et peuvent être prévenues par une formation appropriée telle que présentée dans la Section 3.2. Il existe par ailleurs des problèmes plus techniques, relevant notamment des méthodes d'analyse statistique et des plans expérimentaux complexes destinés à démêler des enchevêtrements d'in­fluences entre variables. Pour résoudre correctement de tels problèmes, i l est indispensable d'avoir une solide expérience des méthodes de recherche ou de faire appel à un spécialiste. Or, de tels spécialistes n'existent pas encore parmi les cher­cheurs en interprétation. Il nous semble donc préférable d'évi­ter des projets ambitieux comportant de tels obstacles, qui pré­sentent en outre l'inconvénient d'être longs, donc en con­tradiction avec le premier principe présenté ci-dessus.

Plus précisément, dans la recherche par les praticiens cher­cheurs, nous pensons que l'expérimentation classique avec tests d'hypothèses par statistiques inférentielles ne doit être entreprise que sous la direction d'un spécialiste chevronné ayant une grande expérience de la recherche expérimentale et une bonne compréhension des méthodes statistiques. Quand un tel guide n'est pas disponible, i l nous semble préférable de s'en tenir à des techniques de statistique descriptive élé­mentaires.

3.3.3 La replication

Etant donné la faiblesse de la base factuelle existante dans la recherche sur l'interprétation, i l nous semble particulièrement important d'encourager la replication de projets empiriques, tant observationnels qu'expérimentaux.

228 DANIEL GILE

Or, la replication, ne comportant pas d'innovation, est peu attrayante pour le chercheur. Compte tenu des problèmes de motivation se posant dans la recherche sur l'interprétation, il importe de rechercher des mesures incitatives particulièrement fortes. C'est là qu'interviennent une nouvelle fois les écoles et les programmes de formation à la recherche, qui devraient à notre avis comporter obligatoirement des exercices de repli­cation.

Notons à ce propos que la replication, outre son caractère indispensable dans la recherche empirique, a également une grande importance pédagogique. En effet, elle permet aux étu­diants de se familiariser avec la pratique des méthodes de recherche sans les faire passer par de longues étapes de conceptualisation. Par ailleurs, à travers la réalisation de la replication et la comparaison avec le projet initial et d'autres replications éventuelles, les étudiants peuvent noter les fai­blesses du travail initial et des textes qui en rendent compte, et développer ainsi leur sens critique.

3.3.4 Exemples de projets pour étudiants et praticiens débutant dans la recherche

A titre illustratif, nous présentons ci-dessous trois types de projets empiriques qui nous semblent réalisables par des débu­tants et qui correspondent aux critères énoncés plus haut.

a. Etudes terminométriques et lexicométriques :

On ne sait pas quels sont les termes et les unités lexicales non techniques (il s'agit du langage non spécialisé tel que défini au Ch. 8) les plus fréquemment employés en conférence dans différents domaines. S'il existe de nombreux lexiques et dic­tionnaires, aucun ne donne la fréquence relative des termes qui y figurent. Or, de telles informations peuvent permettre de cerner un vocabulaire minimum à enseigner aux étudiants ou à acquérir pour une conférence dans un domaine donné. L'en­registrement de conférences entières et leur dépouillement permettent de recueillir des informations potentiellement utiles là-dessus. Accessoirement, en procédant à ce genre d'exercice, méthodologiquement très simple bien que • très prenant en temps, les étudiants et praticiens peuvent se familiariser eux-mêmes avec les lexiques spécialisés des domaines concernés.

R E G A R D S S U R LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 229

b. Etudes sur les glossaires dans le cadre de la préparation de conférences : Les études sur les glossaires sont un bon exemple de projets

simples, de petite taille et utiles, en ce sens qu'elles améliorent les connaissances terminologiques du chercheur dans le domaine concerné au cours de son travail sur le corpus, et qu'elles sont susceptibles d'aider à dégager des stratégies et tactiques utiles pour leur préparation.

Citons, parmi les questions auxquelles on peut tenter de répondre à travers de telles études, les interrogations sui­vantes : Quelle est la taille moyenne d'un glossaire et quelles en sont les variations ? Quelle en est la taille utile (problèmes de complétude, de vitesse de consultation, de proportion de termes notés et non utilisés, de termes utilisés en conférence et non trouvés lors de la préparation) ? Quelle est la durée de sa préparation ? Quelle en est la fiabilité ? Dans quelle mesure les glossaires sont-ils transférables d'interprète à interprète et de conférence à conférence ? Comment améliorer cette transféra­bilité ? Quelle est la présentation optimale d'un glossaire (tri alphabétique, classement sémantique, noms propres et sigles séparés, etc.) ? Comment l'améliorer ?

Ces études sont essentiellement fondées sur l'observation de la pratique professionnelle. Elles peuvent également faire l'ob­jet d'exercices pédagogiques en classe, où seraient comparées différentes stratégies et différentes sources au regard d'un exercice d'interprétation réalisé par la suite. Le Ch. 14 de Gile 1989a présente un exemple de projet de ce type sous sa forme la plus simple d'étude de cas.

c. Fautes de langue : Si l'existence de fautes de langue en interprétation est

connue, personne n'a recherché systématiquement des régula­rités qui permettraient de concevoir des stratégies correctrices.

Un travail de redherche relativement simple et potentielle­ment très utile pour les étudiants en interprétation consisterait à repérer, à classer et à compter les fautes de langue com­mises lors d'exercices d'interprétation, en recherchant notam­ment des régularités dans les types de problèmes survenant dans la langue active non maternelle des étudiants en fonction de leur langue maternelle (fautes de langue typiques des étu­diants anglophones en français, des étudiants francophones en allemand, etc.).

230 DANIEL GILE

Signalons que si la démarche fondamentale dans une telle exploration est simple, sa réalisation pose des problèmes méthodologiques qui le sont moins, notamment en matière de définition opérationnelle des fautes de langue, car les normes d'acceptabilité linguistique sont. plus difficiles à cerner dans l'oral que dans l'écrit (voir Gile 1985a).

3.3.5 Une recherche interdisciplinaire

Depuis la conférence de Venise de 1977 (Gerver et Sinaiko 1978), de nombreux appels à la collaboration interdisciplinaire ont été lancés, notamment par les organisateurs de la confé­rence de Trieste (Gran et Dodds 1989) et par E. Arjona-Tseng (1989), qui souligne, comme nous le faisons dans ce livre, que les interprètes n'ont pas les connaissances et le savoir-faire scientifiques nécessaires à l'exploration des mécanismes en jeu. Comme le montre l'examen des problèmes survenant dans la formation et dans la pratique de l'interprétation, la recherche sur les processus impliqués ne saurait se passer de l'apport de la psychologie cognitive et de la psycholinguistique, et les pers­pectives sont également très intéressantes du côté de la neuro­linguistique. On peut aussi espérer un important apport de la sociologie, voire de l'ethnologie, à l'étude de la communication à travers l'interprétation, qui a une grande importance pour la compréhension de la qualité du travail.

Un autre élément qui nous semble capital est celui du recul du chercheur par rapport à l'objet de sa recherche. Si, dans toute recherche scientifique, un tel recul ne peut être que rela­tif pour des raisons psychologiques tenant à la motivation même du chercheur, i l nous semble que dans le cas de l'inter­prétation, l'engagement affectif des praticiens est particulière­ment fort. D'une part, comme i l est expliqué dans les chapitres précédents, les interprètes-chercheurs ne sont pas des cher­cheurs professionnels. L'activité de recherche chez eux corres­pond à une motivation particulièrement forte. La plupart d'en­tre eux enseignent également dans des écoles dont le statut universitaire est plutôt faible. Dans ces conditions, on peut rai­sonnablement s'attendre à un biais important dans leur recherche dans le sens d'une surévaluation des performances. G. 11g (1980) et C. Stenzl (1983) parlent d'une attitude défensive des interprètes. Selon Stenzl (1983 :42),

« We are quite pleased when psychologists confirm that ours is a

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 231

complex job which requires a number of highly developed skills, but we are perhaps less inclined to document the limits of our skills and to face the occasions when we did not properly understand a speaker or were unable to adequately render a message even if we had understood it ».

M . Shlesinger va plus loin (1989 : 8) :

« Those describing interpretation from the practitioner's standpoint are sometimes prone to a certain lack of detachment which sur­faces in these writings in the form of a sense of awe at an impossi­ble job incredibly done ».

Par ailleurs, étant donné leur activité de praticiens, ces cher­cheurs ne sont pas libres de rendre compte de toutes leurs pensées et de tous les résultats de leurs recherches, sous peine de se brouiller avec une partie de leurs collègues et de perdre une partie de leur travail.

C'est pourquoi l'intervention de spécialistes non interprètes semble fortement indiquée. L'expérience montre toutefois que le travail avec ces spécialistes ne va pas sans difficultés. D'une part, les spécialistes ne connaissent en général pas l'interpréta­tion et la voient uniquement sous l'angle de leur discipline, d'où des divergences de vue de deux types :

— Différences méthodologiques, les spécialistes ne compre­nant pas les contraintes qui limitent l'efficacité, voire la validité de leurs méthodes et procédures dans l'étude de l'interprétation.

— Différences dans les centres d'intérêt :. certains phéno­mènes qui paraissent intéressants, voir très importants pour les interprètes, notamment ceux qui ont trait à l'amélioration de leurs performances dans la pratique, peuvent paraître dénués de tout intérêt aux yeux des psychologues ou linguistes.

Du côté des interprètes, outre la faible disponibilité pour la recherche, évoquée au Ch. 1, se pose le problème du niveau nécessairement faible des connaissances dans le domaine des spécialistes avec lesquels on cherche à coopérer. Cette diffi­culté est d'ailleurs classique dans tout travail interdisciplinaire, le spécialiste étranger' ayant nécessairement une connaissance du domaine voisin inférieure à celle de ceux qui y travaillent régulièrement. Dans le cas de l'interprétation s'ajoute une diffi­culté supplémentaire du fait que le chercheur interprète n'a pas de spécialité scientifique propre qui le mette en position d'égalité, ou même en position de respectabilité scientifique vis-à-vis des spécialistes à qui i l s'adresse. Il en résulte une dif-

232 DANIEL GILE

ficulté dans le dialogue, dans la mesure où à moms d'avoir l'es­prit particulièrement ouvert, les spécialistes en question auront tendance à accorder peu de crédit aux idées du praticien.

L'amélioration de la situation passe à notre avis par des acti­vités de formation telles qu'évoquées dans la Section 3.2, ainsi que par un travail interdisciplinaire à deux vitesses :

— Des projets conçus et pilotés par les spécialistes, où les interprètes servent de consultants pour les aspects profession­nels. On voit de tels exemples dans Tommola et Niemi (1986), ainsi que dans Kurz 1993.

— De véritables projets interdisciplinaires, quand le niveau de connaissances et de savoir-faire de l'interprète rend la chose possible.

En tout état de cause, actuellement, i l nous semble impor­tant que tout chercheur non-interprète entreprenant un travail sur l'interprétation consulte des interprètes, et ce non seule­ment sur les aspects de la pratique professionnelle, mais égale­ment sur des questions méthodologiques, afin d'éviter les erreurs qui ont été commises systématiquement par le passé.

3.4 Stratégies de communication

3.4.1 La communication avec la profession

Etant donné la forte dépendance des chercheurs à l'égard des praticiens, i l semble important de modifier quelque peu le climat d'indifférence, voire d'hostilité qui règne actuellement au sein de la profession à l'égard de la recherche. Un effort de communication paraît utile dans ce sens. Or, les praticiens chercheurs sont par définition fortement intégrés dans le corps professionnel des interprètes ; en outre, i l existe depuis plu­sieurs années une Commission de la recherche au sein de l'AIIC, et le Bulletin de l'AIIC publie des articles*et comptes ren­dus sur la recherche, sans que cela semble avoir changé les choses. On notera d'ailleurs une situation analogue dans le domaine de la traduction, où i l existe également des praticiens chercheurs et des revues professionnelles qui publient des arti­cles de recherche.

Il nous semble qu'un véritable changement n'interviendra peut-être que lorsque la recherche comportera davantage de projets pratiques' et qu'elle produira plus de résultats applica­bles, ou au moins reconnus par la communauté scientifique,

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 233

ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent. Peut-être un contact avec la recherche lors de la formation initiale à l'école (voir Section 3.2 plus haut) est-il également susceptible d'apporter une contribution dans ce sens. L'effort de communication avec la profession devra toutefois être poursuivi par ailleurs.

3.4.2 La communication avec la communauté scientifique

Une telle communication est une partie intégrante de l'effort d'ouverture interdisciplinaire qui doit être entrepris par les pra­ticiens chercheurs pour dépasser les limites de compétence qui les freinent encore. A l'heure actuelle, les praticiens chercheurs ne sont pas en mesure d'apporter à ces spécialistes des élé­ments factuels ou théoriques suffisamment solides. Au regard de la collaboration scientifique, ils se trouvent donc essentielle­ment dans une position de demandeurs. En revanche, ils peu­vent proposer aux scientifiques :

— Un champ d'investigation peu exploré — Un appui logistique sous la forme d'informations pratiques

et de mise à disposition de volontaires pour des travaux, ainsi que de matériel et matériaux (cabines, discours enregistrés ou transcrits, etc.)

— Un savoir-faire professionnel et des intuitions souvent très fortes concernant le fonctionnement de l'interprétation.

La forme de coopération la plus naturelle à l'heure actuelle nous semble être celle où le spécialiste conçoit et réalise. L'in­terprète, quant à lui, a un rôle parfois très important dans la préparation matérielle et intellectuelle du projet, et peut notamment exercer un droit de regard sur certains choix méthodologiques ; néanmoins, i l reste un peu en retrait (voir Section 3.3.5 çi-dessus). C'est également cette modalité de pro­gression, où les résultats sont publiés par les spécialistes, dans leur langage et dans leurs revues, qui permet probablement la meilleure diffusion de l'information sur la recherche en inter­prétation au sein de la communauté scientifique. Quand un nombre suffisant d'interprètes auront acquis les connaissances et le savoir-faire nécessaires, des rôles plus équilibrés, voire des projets indépendants entièrement conçus et réalisés par des praticiens chercheurs, pourront assurer une communica­tion suffisante.

234 DANIEL GILE

3.4.3 La communication au sein de la communauté des prati­ciens chercheurs

Cependant, laxe de communication le plus"important au stade actuel est très probablement celui de la communication interne. On se rappellera l'isolement des chercheurs qui a caractérisé la période dite « des praticiens » (Ch. 2) pendant les années 70 et jusque vers le milieu, voire la fin des années 80, ainsi que la stagnation à laquelle i l a été associé. On évoquera aussi l'évolution depuis le début de la période de renouvelle­ment, au cours de la deuxième moitié des années 80, avec la Commission de la recherche de l'AIIC, la revue The Interpre­ters Newsletter de l'école de Trieste, et l'IRTIN. Etant donné la petite taille et la dispersion géographique de la communauté des praticiens chercheurs, i l nous semble que la communica­tion entre eux a une importance vitale pour une progression de la recherche de type scientifique, tant au regard de l'infor­mation, qui est une partie essentielle de cette progression, que de la motivation. C'est pourquoi nous attachons une grande importance aux véhicules de communication que sont les bul­letins et revues spécialisés, ainsi qu'à la participation de cher­cheurs interprètes à des colloques de recherche.

Conclusion

Comme i l était annoncé dans l'Introduction à cet ouvrage, i l apparaît qu'après une quarantaine d'années de progression, la recherche en interprétation en est encore à ses premiers pas', avec de nombreuses ouvertures théoriques, mais bien peu d'exploitées, ne serait-ce que partiellement.

Face à • la mosaïque existante, certains, comme F. Pöch-hacker (1992), C. Stenzl (1983) et H. Salevsky (1987) déplorent l'absence de cohérence dans la recherche, craignent la disper­sion des efforts et proposent des cadres théoriques intégra­teurs, essentiellement dans le cadre d'une théorie globale de la traduction (Allgemeine Translationstheorie). A la lecture de leurs textes, qui ne contiennent que des considérations géné­rales bien que fort pertinentes, sans propositions concrètes et précises, on peut craindre que ces structures soient trop vastes, trop éloignées de la vérification empirique, qu'elles res­tent insuffisamment dynamisantes et productives.

Nous pensons plutôt que la progression gagnera à s'appuyer sur des travaux empiriques, qui permettront de constituer une base factuelle, de vérifier des hypothèses, d'en élaborer de nouvelles. A terme, la mosaïque devrait se transformer en un ensemble plus ' cohérent, car le nombre de questions fonda­mentales qui se posent est relativement limité, et les faits recueillis dans des études spécifiques auront probablement des incidences qui déborderont de leur cadre d'origine. Cependant, la recherche empirique pose les problèmes de disponibilité et de motivation que l'on sait. Nous proposons d'y répondre, au moins partiellement, par les stratégies évoquées au Ch. 9..

236 DANIEL GILE

Quelles sont les perspectives de progression dans la recherche en interprétation telles qu'elles apparaissent actuel­lement ?

A travers l'analyse faite dans ce livre, on voit apparaître deux types de centres actifs:

— Ceux qui opèrent véritablement en tant que groupes, avec une interaction productive entre les membres. C'est notam­ment le cas des centres où la recherche est intégrée dans la formation (tels l'école de Trieste). Dans ce premier cas de figure, c'est le système qui assure la continuité. L'interaction prend aussi d'autres formes, notamment autour d'une person­nalité, même quand l'infrastructure institutionnelle est absente ou faible ; tel est le cas à la Interpreting Research Association of Japan, animée par M . Kondo.

— Les 'centres' qui peuvent se définir tels quels sur le plan géographique, mais où l'interaction entre les chercheurs est faible, sinon inexistante. C'est le cas en Australie, au Canada, en Espagne, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suisse.

Seul le premier de ces modèles, celui où la recherche est intégrée dans la formation, nous semble porter en lui les élé­ments d'une continuité structurelle. Dans le deuxième cas, la productivité du centre dépend très fortement des activités indi­viduelles d'une ou plusieurs personnalités centrales, et risque de se désintégrer s'ils cessent leur activité de recherche, la continuité ne pouvant être assurée que par d'éventuels succes­seurs, à travers un fragile système de filiation. Le devenir des centres diffus du troisième type est encore plus aléatoire.

De manière plus générale, i l semble raisonnable de postuler un certain nombre de conditions à une activité de recherche suivie en matière d'interprétation dans un centre donné :

a. L'existence d'un marché local de l'interprétation: Ce marché est important dans la mesure où i l assure des

possibilités d'observation sur le terrain. Un marché inexistant ou trop petit limite celle-ci, d'où une aggravation des pro­blèmes d'échantillonnage, voire d'accès aux interprètes suscep­tibles de se prêter à l'observation ou l'expérimentation. Le mar­ché local de l'interprétation est aussi un réservoir de praticiens-chercheurs.

b. L'existence d'une structure universitaire d'accueil: A l'évidence, celle-ci est nécessaire tant pour former que

pour motiver et accueillir les chercheurs. Jusqu'à présent, les

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 237

centres les plus productifs avaient comme structures d'accueil des écoles d'interprétation, mais i l est concevable que des départements de linguistique í et de psychologie, voire de sociologie ou de communication, jouent le même rôle dans une optique de recherche à dominante plus scientifique.

c. Les possibilités de communication avec d'autres chercheurs: La condition de communication peut paraître évidente, tant

elle fait intrinsèquement partie de la recherche scientifique en tant que facteur de progrès par la confrontation des idées, rai­sonnements, méthodes et résultats. Rappelons cependant. que dans le domaine de l'interprétation, tous les centres n'ont pas toujours cherché la communication. Nous pensons d'ailleurs que cela a été un important facteur de déclin pour certains d'entre eux. Notons aussi que la communication semble avoir un important effet motivant sur les auteurs de textes publiés et les participants à des colloques, avec un effet d'entraînement sensible.

d. Un nombre suffisant de chercheurs sur place: Une masse critique assurant la motivation et la communica­

tion interne, de même que la visibilité pour les chercheurs extérieurs, paraît importante pour la viabilité de l'activité d'un centre. Il est difficile de déterminer le nombre minimum de chercheurs qui assurerait cette masse critique, car celle-ci dépend aussi des autres conditions. Ainsi, un groupe de 3 per­sonnes dont la productivité est assez régulière, qui communi­quent entre elles et avec l'extérieur et qui bénéficient d'une même structure d'accueil peut former à lui seul un 'centre' actif. En revanche, trois personnes, appartenant chacune à un autre centre d'accueil universitaire ou de recherche, et ne communicant pas entre elles, ne représentent pas une masse significative.

Les conditions ci-dessus ne sont pas indispensables à - la recherche au sens strict ; certaines activités de recherche ont été conduites dans des centres où elles ne sont pas réunies. Par exemple, l'Australie et la Finlande, qui ont produit plusieurs travaux ces dernières années, ne disposent que d'un tout petit marché local. Inversement, les structures d'accueil universi­taires au Japon sont très peu favorables à la recherche, alors que les collègues japonais ont été très productifs depuis le début des années 1990. Cependant, i l semble raisonnable de supposer qu'au-delà de phénomènes isolés et de courte durée,

238 DANIEL GILE

les activités de recherche dans ces centres resteront limitées dans le temps et dans l'envergure par un environnement non favorable.

A ces conditions fondamentales s'ajoutent d'importants fac­teurs institutionnels, motivationnels et financiers, qui sont expliqués dans les premiers et dans le dernier chapitre de ce livre —sans compter les politiques personnelles des responsa­bles d'écoles de traduction et d'interprétation.

A l'évidence, au regard de ces considérations, le plus grand potentiel se situe en Europe, du moins en ce qui concerne l'in­terprétation de conférence. L'Amérique du Nord, elle, a un important marché d'interprétation communautaire et auprès des tribunaux, de même que l'Australie, qui d'ailleurs est insti-tutionnellement très organisée en la matière. Dans ces deux régions, les conditions institutionnelles et financières sont favo­rables, mais le marché de l'interprétation de conférence est très modeste. Au Japon, i l n'y a pas encore de véritable struc­ture d'accueil universitaire pour la recherche, en dépit du pro­jet unique mené à l'université Sainte-Sophie (Watanabe 1991). Quant à l'activité dans les autres régions du monde, elle ne porte pas pour l'instant de promesse particulière.

A l'heure actuelle, la recherche dans la région européenne semble être en plein essor, dans le cadre d'un paradigme scien­tifique et avec une volonté de communication de la part de nombreux centres. En particulier, un colloque de recherche sur l'interprétation, co-organisé par l'université de Turku, par l'école de Trieste et par l'ISIT de Paris s'est tenu en Finlande en août 1993. On ne manquera pas non plus de noter la géné­reuse ouverture vers les interprètes faite par les traducteurs. Ainsi, la Chaire CERA de l'université catholique de Louvain, programme de recherche traductologique, qui a été tenue jus­qu'à présent par des traductologues, d'horizons plutôt litté­raires d'ailleurs, a été confiée en 1993 à D. Gile, un interprète n'ayant aucune compétence littéraire. Par ailleurs, la revue tra­ductologique Target, dont les préoccupations ont jusqu'à pré­sent porté essentiellement sur la traduction écrite, prépare actuellement un numéro spécial, le premier, -qui porte sur l'in­terprétation de conférence.

Tous ces signes sont encourageants, et une certaine dynami­que favorable semble bien s'être installée. Toutefois, tant que la recherche en interprétation ne sera pas davantage institu­tionnalisée, avec un statut et des structures universitaires, le mouvement restera fragile. Le pronostic est donc plutôt opti­miste, mais prudent.

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Aitchison, 90 Alessandrini, 77 Alexieva, 71, 72 Allioni, 141, 178 Altman, 77 American Translators Association,

70 Anderson, 61, 71, 72, 207, 208, 214 Andronikoff, 135 Arencibia Rodriguez, 71 Arjona-Tseng, 230 Asano, 34, 99, 116, 198, 204 Association des amis de l'ESIT, 182 Avirovic, 76

B

Babbie, 225 Balzani, 214 Barik, 37, 38, 40, 41, 42, 46, 47,

49, 151 Bertone, 60, 154 Bowen, 67, 70

Brisset, 53 Bros-Brann, 151 Bühler, 67, 161, 162, 164 Bulletin de l'AIIC, 28, 48, 145, 146,

165,232

C

Capaldo, 27, 59 Carroll, 145, 152, 186 Cartellieri, 27, 42, 99, 113, 152 Cenkova, 41, 76 Cerrens, 59 Chaire C E R A , 238 Chernov, 37, 38, 40, 41, 42, 45, 49,

58, 59, 113 Cherry, 90 Clark, 90,115 Coleman-Holmes, 24, 27, 150 Commission des Communau té s

européennes , 217 Condon, 203 Cooper, 60 Costermans, 115

D

Daro, 74, 77, 82,219 Davidson, 63, 76, 206 Davies, 60

260 DANIEL GILE

De Clarens, 186 Déjean Le Féal, 45, 165, 182, 189,

194, 196 Delisle, 57, 177 Dillinger, 19, 32,71,77, 221 Dodds, 49,61,63, 167, 177, 230 Dollerup, 66, 167 Donovan, 70, 151, 152

E

Eberstark, 27, 59 Ecole de Genève ETI - Genève, 28,

35, 62, 67, 68,152, 178 Ecole de l'université de George­

town, 26, 50, 67, 70 Ecole de l'université de Heidel­

berg, 50, 52, 67, 140 Ecole de l'université de Vienne,

67, 75 Ecole de Trieste (SSLM de l'uni­

versité de Trieste), 49, 50, 52, 60,61,65,66,78,234, 236, 238

ESIT, 21, 22, 29, 33, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 62, 69, 70, 88, 168, 169, 177, 180, 182, 186, 195, 223,225

EST-European Society for Trans­lation Studies, 67

ETI voir école de Genève Eysenck, 94, 99

F

Fabbro, 72, 73 Feldweg, 198 Flores d'Arcáis, 113 Fodor, 115 Fourastié, 208 Francis, 178 Frankfort, 225 Frankfort-Nachmias, 225 Fuchs-Vidotto, 35 fukui i , 34, 99, 116, 198, 204 Fusco, 76, 206

G

Galer, 27 Galli, 77 Gambier, 66 Garcia Landa, 57 Garrett, 115 Gémar, 218 Gentile, 63 Germersheim, 50 Gerver, 7, 36, 37, 38, 39, 40, 41,

42, 45, 46, 48, 49, 58, 77, 172, 177, 230

Giambagli, 76, 206 Gile, 12, 18, 19, 32, 33, 34, 35, 43,

46, 59, 62, 64, 70, 76, 78, 85, 88, 108, 111, 116, 120, 122, 124, 128, 153, 161, 163, 165, 167, 178, 182, 183, 187, 192, 195, 196, 198, 200, 202, 203, 213, 217, 227, 229, 230, 238

Gladstone, 129 Glaesser, 60 Goldman-Eisler, 19, 37, 38, 39, 40,

46, 49, 90 Graesser, 93 Gran, 22, 49, 59, 61, 63, 66, 72, 73,

167, 177, 230 Green, 74 Gringiani, 174

m

Haensch, 60 Halliday, 45 Hannah, 207 Hara, 203 Harris, 120 Haton, 94 Hayashi, 199 Hedinger, 35 Henderson, 59, 172 Herbert, 11, 32, 33, 34, 60, 68,

189,211

R E G A R D S S U R LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 261

Hof er, 171 Hörmann , 95 Hyönä, 117

I

LTET, 63 Ikeda, 200 Hg, 28, 35, 59, 68, 113, 135, 152,

167, 182, 198, 230 Ilic, 74 Informaciones SUT, 71 International Christian University,

50 Interpreting Research Association

of Japan, 64, 65, 236 IRTIN, 78, 234 IRTINBulletin, 9, 28 Isham, 70 ISIT (Mexico), 71 ISIT (Paris), 66, 173, 177, 182, 238 Iwabuchi, 200 Izumi, 65, 77

J

Jakobson, 196 Japan Association of Translators,

63

K

Kade, 42,99, 113 Kahnemann, 92 Kanayama, 34, 198, 200 Kanno, 200 Keane, 94, 99 Keiser, 170, 171, 173, 174, 186 Key Center for Asian Languages

and Studies, 63, 65 Kindaichi, 200 Kirchhoff, 58, 59 Kolers, 91 Kolmer, 60

Komissarov, 218 Kondo, 60, 64, 65, 76, 203, 236 Kopczynski, 71,72, 164 Krusina, 38 Kunihiro, 34, 198, 200 Kurita, 200 Kurz , 27, 41, 60, 67, 73, 75, 117,

135, 161, 162, 163, 198,217, 232

L

L'interprète, 31 Laffling, 66 Lafrance, 182 Lambert, 71, 72, 74, 77, 173, 179 Lambert W.E., 152 Lampe-Gegenheimer, 59 Lawson, 37 L e N y , 96, 113, 198 Le petit journal, 35 Lederer, 47, 54, 55, 56, 57, 58, 70,

85, 99, 113, 114, 128, 134, 154, 167, 177, 180, 185, 186, 189, 190, 197, 198,209,210

Liberman, 94, 95 Liénard, 94 Lindegaard, 66, 167 Loddegaard, 66, 167 Longley, 24, 25, 172, 173

M

Mackintosh, 61, 168 Massaro, 96 Matthei, 90 Matyssek, 141 Meak, 162 Média et langages, 188 Meta, 203 MŒS-Monterey Institute for Inter­

national Studies, 70, 167, 168, 174

Miller, 94, 95, 96, 138 Mizutani, 203 Moray, 92

262 DANIEL GILE

Morris, 71,138,149 Moser, 57, 58, 99, 113, 173, 174,

213 Moser-Mercer, 52, 67, 68, 77,218 0 Muramatsu, 26, 200

Quicheron, 27

N

NAATI, 176 Namy, 27, 33, 152 Nanpon, 36, 37,46 Ng, 63 N H K , 35 Niemi, 73, 117,219, 232 Nishiyama, 25, 26, 34, 60, 198, 200 Noizet, 94, 115 Nowak-Leeman, 33, 46 Nuremberg, 26, 60

R

Ramler, 60 Reuchlin, 209 Richard, 92, 96, 98 Richaudeau, 114, 115, 116, 201 Robert, 225 Roeper, 90 Rojas, 60 Romer, 27 Rozan, 32, 33, 68, 167 Russo, 76, 206

O

Oide, 200 Oléron, 36, 37, 46 Ovaska, 19, 76

P

Paneth, 35, 36, 167 Parallèles, 28, 68 Peraldi, 208 Peterfalvi, 114 Petsche, 117 Pinchuk, 138 Pinhas, 198 Pinter, 41, 45, 183,207, 208 Pöchhacker, 67, 85, 155, 235 Pollack, 94 Polytechnic of Central London,

172, 173, 178 Priacel, 35

Sachs, 121, 134 Sager, 218 Saito, 203 Salevsky, 49, 67, 76, 206, 235 Schjoldager, 32 Schweda-Nicholson, 59, 70, 74 Seleskovitch, 21, 22, 25, 33, 37, 54,

55, 56, 57, 70, 85, 113, 122, 128, 135, 152, 154, 167, 169, 170, 171, 177, 180, 185, 186, 187, 189, 196, 197, 198, 209,210,218

Setton, 76 Shannon, 91 Shinoda, 26 Shinzaki, 26 Shiryaev, 40, 58, 59 Shlesinger, 71, 72, 81, 156, 165, 231 Sinaiko, 49, 177, 230 Skinner, 95 Skuncke, 170 Slama-Cazacu, 95 Snell-Hornby, 52, 67 Spiller-Bosatra, 77,219

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE

SSOTT-Scandinavian Symposium on Translation Theory, 66

Stenzl, 46, 47, 52, 61, 143, 151, 152, 207, 208, 209/ 230, 235

Strolz, 67, 85, 179, 198 Studdert-Kennedy, 95 Suzuki, 172

V

Van Hoof, 31, 32, 33,35 Varantola, 152 Viaggio, 218 Viezzi ,41,77, 183

T

Target, 238 Taylor, 22, 66, 73 The Interpreters Newsletter, 9, 22,

28, 66, 73, 76, 78, 234 The Jerome Quarterly, 26, 70 Thiéry, 27, 59, 168, 190 Tirkonnen-Condit, 66 Tommola, 66, 73, 117, 219, 232 Toury, 28,215 TRANSST, 78 Treisman, 36, 37, 46 Tseng, 69 Tsûyakurironkenkyû (Interpreting

Research), 64, 78 Tung, 60

W

Warren, 95 Watanabe, 64,217, 238 Weber, 24, 70, 152, 154, 168 Wesenfelder, 24 Wüss, 99, 113, 198

Zeller, 60, 67 Zimnyaya, 40 Zipf, 138

U

Uchiyama, 76, 206 Union Soviétique, 51, 53 Université catholique de Lou vain,

238 Université Charles de Prague, 68,

69 Université d'Ottawa, 71 Université de Graz, 67 Université de Turku, 66, 238 Université du Queensland, 176 Université Fu-Jen, 69 Université Heriot-Watt, 77 Université MacGil l , 77 Université Sainte Sophie, 64, 65,

238 University of Sydney MacArthur,

63

Index des termes e í concepts

L a structure du livre et sa table des matières détaillée ont été conçues pour permettre de trouver facilement les sections où sont traités les diffé­rents concepts. Cet ' index est composé à titre complémentaire, notam­ment pour permettre de trouver des définitions et pour attirer l'attention sur quelques passages où sont ment ionnés les concepts ci-dessus et aux­quels le lecteur pourrait ne pas penser spontanément .

A

accents, 107, 139 air (qualité de l'air), 44 aisance (apparente de l 'interprète),

137 Allgemeine Translationswissen­

schaft, 235 anticipation, 42, 59, 201, 202 aptitudes, 13, 45 attitudes, 139-140, 230 automatismes, 33

B

bruit, 38, 122

C

calque, 97, 98 charge mentale', 117 chiffres, 108

chuchotée, 12 chunks, 96 client, 15, 149 compression de texte, 37, 38 conditions de travail, 139, 160 consécutive sans notes, 177 constituants, 39 contraintes liées à l ' interprétation,

148-149 convictions personnelles, 147, 148 correction grammaticale, 162, 164 créativité, 17

D

débit du discours, 37 décalage entre réception et refor­

mulation, 12 décisions, 33 déficit individuel, 101 déficit informationnel, 18, 96, 97 délégués, 15

266 DANIEL GILE

densité informationnelle des dis­cours, 210

déontologie, 13, 133, 136, 139, 143 désinences, 115 'déverbalisation', 91, 196 dialogue interpreting, 12 disponibilité des connaissances,

125 disponibilité linguistique, 32, 190

E

écarts, 88 Effort de lecture, 111 E V S — Ear-Voice Span, 36, 38,

39,41,47, 48, 134 expérimentation ouverte, 30

F

fatigue, 139, 195 faux amis, 193 fins de phrase, 116, 201 fission, 39 fluidité du discours, 162 flux d'informations, 12 formation à l ' interprétation vers le

B , 179, 180 fusion, 39

G

grammaire des notes, 141

H

homophones, 35, 62, 199, 200

I

image de l 'interprète, 17, 140 indicateurs physiologiques, 117

informations primaires, 136-137 informations secondaires, 123 intérêts communicationnels, 138 interférence verbale-manuelle, 75 interférences linguistiques, 91, 97,

98, 112, 113, 130, 194 interprétat ion communautaire, 12,

148, 176 interprétation d'affaires, 12 interprétat ion de conférence, 12 inteprétation de liaison, 12, 146 'interprétation mentale', 75, 118 interprète passif, 130, 140 'irritants', 164, 165

J

'jugement', 33

K

kango, 199, 200

L

langage de la procédure , 188 langue A, 186 langue B, 186 langue C, 186 langue des signes, 70 latence, 103, 117 lexicométrie, 196 liberté syntaxique, 116 longueur des énoncés, 204 loyauté professionnelle, 137 loyauté tournante, 150

M

'mémorisation' , 177 message, 120, 121 modèle flottant, 33 mots outils, 115

R E G A R D S S U R LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 267

N

naturaliste (démarche-), 8, 29 noms propres composés, 107 noms propres simples, 108 normes, 14, 88, 151,230

O

observationnelle (démarche-), 29 ouvrages de vulgarisation, 128

P

pauses, 37, 39, 40, 76, 97 pertes, 35, 136 précision de la consécutive, 32 prédicteurs, 115, 202 préparation continue, 126 préparat ion terminologique, 127 préparat ion thémat ique, 127 probabilités transitionnelles, 95,

114 procédures judiciaires, 138 pronostic probabiliste', 59 prosodie, 13,45, 111, 120 pseudo-compréhension, 18-19 pupille, 117

R

radio, 137, 157 recherche appliquée, 23 recherche empirique, 51 réglementation, 12 remplissage, 130 rendement du discours, 16 respectabilité scientifique, 231 richesse lexicale, 204 rythme, 37, 90, 97, 109

S

S A C A L - Système de traitement général à capacité limitée, 92

santé, 60, 139 saturation, 100 segmentation du discours, 38 seuil de confort, 19 shadowing, 32, 38, 57, 74, 75, 117,

174, 179 signification linguistique', 57 simultanée, 12 simultanéité, 41 situations authentiques, 56 souplesse grammaticale, 204 statut des interprètes, 60, 160, 170 stress, 60, 195 syllabes, 37, 38 symboles, 141

T

TAP - Think Aloud Protocols, 215 télévision, 137, 157 tension nerveuse, 140 tests de Cloze, 173 textes écrits, 45 textes lus, 107 Textlinguistik, 68 'théorie du sens', 33, 54, 55, 57,

185, 189,212 trac, 195 trace phonique, 134 trace sémant ique, 134 traduction, 14 traits discriminants, 95 'transcodage', 55 transformations grammaticales,

76, 77 Translationswissenschaft, 67

268 DANIEL GILE

U

unités de sens', 38, 57, 58

V

vision directe, 214 vulnérabilité des interprètes, 160

Table des tableaux et illustrations

• Schéma de la communication avec interprétat ion en réunion mul­tilingue 15

• Nombre moyen d'écarts par 100 mots de discours en français . . . . . . 88

• Représentat ion schémat ique de la capacité de traitement dé­pensée lors de l ' interprétation simultanée d'une phrase simple comportant un segment dense 104

9 Dessin utilisé pour une expérience sur renonciation . . . . . . . . . . . . . . . . 123

• L'axe de communication central en interprétat ion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

• Le cadre de communication en interprétat ion de conférence . . . . . . . 148

• Le modèle gravitationnel de la disponibilité linguistique . . . . . . . . . . . . 191

9 L'interprétation comme processus . . 213

Table des matières

I N T R O D U C T I O N 7

C H A P I T R E 1

La recherche sur l'interprétation : un cadre général

1. L'interprétation de conférence : r a p p e l s . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 2. L'interprétation de conférence comme objet de recherche . . 14

2.1 La recherche sur l'interprétation dans son cadre propre . . . . . . . . . . . — 14 2.1.1 Traduction et interprétat ion : quelques diffé­

rences 14 2.1.2 Champs d'investigation . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . 15

2.2 La recherche sur l'interprétation comme cas particu­lier de communication verbale — . . 18

2.3 Les effets sociologiques et culturels de l'interprétation . 19 3. Auteurs et chercheurs dans les publications sur l'in­

terprétat ion — . — . . . 20 3.1 Les interprètes-chercheurs 20

3.1.1 L a disponibilité — 21 3.1.2 L a motivation 21 3.1.3 L a formation à la recherche 23

3.2 Les étudiants en interprétation . . . . . . . . . . . . . — . . . . — 24 3.3 Les interprètes non chercheurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 3.4 Les chercheurs extérieurs'............................. 24

4. Types de textes et démarches de r e c h e r c h e . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 4.1 Les textes introductifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 4.2 Les textes factuels professionnels....... — . . . . . . . . . . . . 26 4.3 Les textes anecdotiques 26 4.4 Les textes historiques................................... 26 4.5 Les textes 'réflexifs'ou de réflexion'. — . . . . . . — . . . . . 27 4.6 Les textes normatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 4.7 Comptes rendus et bibliographies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

272 DANIEL GILE

4.8 Les textes théoriques . . . . . . . . . 29 4.9 Les textes relevant de la recherche empirique . . . . . . . . . . 2 9

4.9.1 Les textes observationnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 9 4.9.2 Les textes expér imentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 9

C H A P I T R E 2 Historique de la recherche sur l'interprétation

1. Les premiers écrits .., 31 2. L a période expérimentale des années 6 0 — 3 6

2.1 Présentation des travaux 3 6 2.2 Un examen critique des travaux expérimentaux.. 4 2

2.2.1 Les sujets — 43 2.2.2 Les matér iaux — . — . 4 5 2.2.3 Les conditions expérimentales 4 6 2.2.4 Les définitions, inferences et évaluations 4 6

3. L a période des praticiens : les années 7 0 et 8 0 4 8 3.1 Introduction 4 8 3.2 Caractéristiques générales de la période 4 9

3.2.1 Une activité de recherche m e n é e par des pra­ticiens - ens eignants — . 4 9

3.2.2 L'essentiel des travaux est de type réflexif ou théorique • 5 0

3.2.3 Des travaux fortement cloisonnés 5 2 3.3 La « théorie du sens » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 3 3.4 Thèmes et réalisations 5 6

3.4.1 L a formation . . . . . . . . . . . . . . — 5 6 3.4.2 Les modèles de l ' interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 7 3.4.3 Autres études et thèmes 5 9

C H A P I T R E 3 Tendances récentes dans la recherche sur l'interprétation

1. Introduction • 61 2. Les centres nouveaux ou en renouvellement 6 2

2.1 VAustralie. 63 2.2 Le Japon 6 4 2.3 Trieste 6 5 2.4 La région Scandinave...— . . . . . — 6 6 2.5 L'Autriche 6 7 2.6 L'Allemagne — . . . 6 7 2.7 La Suisse — 6 8 2.8 Les républiques tchèque et slovaque 68 2.9 L'Asie hors-Japon 6 9

3. Autres centres et activités individuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 9 3.1 La France. — 6 9 3.2 Les Etats-Unis 7 0 3.3 Le Canada 7 0 3.4 L'amérique latine.... — 71

R E G A R D S S U R L A R E C H E R C H E E N INTERPRETATION D E CONFÉRENCE . 273

3.5 Autres pays — . . . — . — . . . . . . . . . . . . 71 4. Nature et thèmes de la r e c h e r c h e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

4.1 Etudes neurophysiologiques — 73 4.2 Etudes sur la spécificité linguistique de l'interprétation 75 4.3 Autres sujets... — . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

5. L a c o m m u n i c a t i o n . . . . . . . . . . . . . . . — 78 6. Conclusion.. — 79

C H A P I T R E 4 Les modèles d'Efforts de l'interprétation

I. Introduction . . . . . . . . — . . . . . . . . 81 2. De la difficulté d ' interpréter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

2.1 Exemple................................................ 82 2.2 Les fautes et maladresses en interprétation : fréquence

et importance........................................... 84 3. Fautes et maladresses non liées aux processus mentaux de

l ' interprétation 86 3.1 Problèmes environnementaux.......................... 86 3.2 Connaissances et compréhension de l'interprète . . . . . . . 87

4. Les contraintes de l ' interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 5. Opérations automatiques et non automatiques 91 6. Les Efforts en interprétat ion s i m u l t a n é e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

6.1 Les trois Efforts.. — 92 6.2 Les Efforts sont-ils automatiques ? . . . . . — . . . . . . . . . . . . 94

6.2.1 L'Effort d 'écoute 94 6.2.2 L'Effort de production . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 6.2.3 L'Effort de mémoi re . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

7. Le modèle d'Efforts de la s imultanée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 7.1 Présentation du modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 7.2 Les défaillances. 100

7.2.1 Sources de défaillances 100 7.2.2 Les manifestations des défaillances . . . . . . . . . . . . . . 101 7.2.3 Les enchaînements déficitaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

8. Les d é c l e n c h e u r s . . . . — .. • 106 8.1 Déclencheurs par augmentation des besoins en capa­

cité de traitement — 106 8.2 Segments de discours vulnérables à l'écoute . — . . . . . . . 108

9. Le modèle d'Efforts de la consécutive . . — 108 10. Les Efforts en traduction à vue et en simultanée avec texte . 111 II . L'anticipation 112

11.1 Les effets potentiels de l'anticipation 113 11.2 L'anticipation linguistique......... — . . . . . . . . — . . . . . 114

12. Réalité et perspectives dans les modèles d'Efforts sous l'angle de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . — . . . . . . . 116

274 DANIEL GILE

C H A P I T R E 5 Stratégies et tactiques de l'interprète

1. Stratégies fondamentales de fidélité — . — • 1 1 9 1.1 Qualité et fidélité 1 1 9 1.2 Liberté et fidélité 1 2 0 1.3 Une expérience dénonciation 122 1.4 Priorités dans la fidélité 125

2. Stratégies de préparat ion ad hoc des conférences . . . . . . . . . . . 125 2.1 La préparation ad hoc 126 2.2 Préparation thématique et préparation terminologique. 126 2.3 Un cas d'espèce . . , 128

3. Stratégies et tactiques en ligne — 129 3.1 Les tactiques en simultanée — 129 3.2 Critères de choix des tactiques — 136 3.3 Les stratégies et tactiques en consécutive — 140 3.4 Les stratégies et tactiques en traduction à vue et en simul­

tanée avec texte 141 3.5 Tactiques face aux erreurs de l'orateur 142 4. Commentaires m é t h o d o l o g i q u e s . . . . . . — . — . — . . — . . . 142

C H A P I T R E 6 La qualité en interprétation de conférence

1. Introduction — 145 2. Le cadre de la communication en interprétation de con­

férence — . — 146 2.1 L'interprète est-il le « double » de l'orateur ? . . . . . . . . . . . . 146 2.2 Les forces en p r é s e n c e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |47 2.3 La fidélité. 151

3. L a perception de la qualité . . . . — 151 3.1 La fidélité informationnelle du discours de l'interprète. 152 3.2 Qualité de l'enveloppe'du discours de l'interprète*..... 155 3.3 Autres aspects de la qualité du travail 156

4. Aspects méthodologiques de la recherche sur la qualité . . . . . 158 4.1 Problèmes d'accès 158 4.2 Recherches empiriques publiées et en cours — . . . — 161

C H A P I T R E 7 La recherche sur la formation à l'interprétation de conférence

1. Introduction 167 2. Idées consensuelles 169 3. Aptitudes à l ' interprétation et sélection 171

3.1 Les aptitudes fondamentales 171 3.2 Les tests d'admission 173 3.3 Sélection en cours et en fin de parcours........... . 175

4. Les méthodes de formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 4.1 La formation à la consécutive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

R E G A R D S S U R LA R E C H E R C H E E N INTERPRÉTATION D E CONFÉRENCE 275

4.1.1 Premiers contacts — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 4.1.2 L a consécutive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177

4.2 La formation à la simultanee . . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . 178 4.3 Les cours périphériques..................................... 181

4.3.1 Les cours d'acquisition de connaissances thé­matiques — 181

4.3.2 Les cours de perfectionnement linguistique 181 4.3.3 Les cours « théoriques » 182

5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182

C H A P I T R E 8 Aspects linguistiques de l'interprétalion

1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185 2. Les besoins linguistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186

2.1 Etendue des connaissances............................. 186 2.2 La disponibilité linguistique et le Modèle gravitationnel 189 2.3 La robustesse de la maîtrise linguistique . . . . . . . . . . . . . . . 194 2.4 Le perfectionnement linguistique 196

3. L a spécificité de l ' interprétation par langues . . . . . . . . . . . . . . . . . 196 3.1 Introduction 196 3.2 Différences potentielles dans la compréhension du

discours . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198 3.2.1 Les mots 199 3.2.2 Les redondances grammaticales . . . . . . . . — . . . . . 200 3.2.3 Les structures de phrases 201 3.2.4 Eléments culturels 202

3.3 Différences potentielles dans la production du discours 203 3.4 Les différences entre langue de départ et langue d'ar­

rivée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205

C H A P I T R E 9 La recherche en interprétation : données et stratégies

1. De la réflexion spéculative à la recherche empirique . . . . . . . . 207 1.1 Introduction 207 1.2 La réflexion spéculative dans lu recherche sur l'in­

terprétation 208 1.3 Réflexion spéculative contre recherche scientifique..... 211 1.4 L'interprétation comme objet de recherche. 213

2. Les problèmes de la recherche empirique en interprétation . 216 2.1 La variabilité des situations — 216

• 2.2 L'accessibilité des sujets — 217 2.3 Un environnement professionnel peu incitatif à la

recherche — 218 2.4 L'in. ter disciplinante 219 2.5 La complexité du phénomène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220

3. Perspectives et stratégies 221 3.1 L'incitation à la recherche.............................. 222

.276 DANIEL GILE

3.2 La formation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224 3.3 Les strategies de recherche , 226

3.3.1 De petits projets 226 3.3.2 Des projets méthodologiquement s imples . . . . . . . . 227 3.3.3 L a replication .. — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227 3.3.4 Exemples de projets pour étudiants et prati­

ciens débutan t dans la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . 228 3.3.5 Une recherche interdisciplinaire . . . . — . . . . . . . . . 230

3.4 Stratégies de communication — 232 3.4.1 L a communication avec la profession . . . . . . . . . . . 232 3.4.2 L a communication avec la c o m m u n a u t é scien­

tifique . . . . . . . . . . . . . . . . — . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233 3.4.3 L a communication au sein de la c o m m u n a u t é

des praticiens chercheurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234

C O N C L U S I O N . - 235 R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 239 I N D E X D E S N O M S 259 I N D E X D E S T E R M E S E T C O N C E P T S 000 T A B L E D E S T A B L E A U X E T I L L U S T R A T I O N S 000

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DÉPÔT LÉGAL : 1er TRIMESTRE 1995