Pas d’impôts sans représentation! La commission budgétaire du Parlement européen et les...

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1 «Pas d’impôts sans représentation!». La commission budgétaire du Parlement européen et les élections de juin 1979. Valentina VARDABASSO INTRODUCTION L’élection directe du Parlement européen a retenu l’attention des historiens 1 , des anthropologues, 2 des politologues. 3 L’espace parlementaire européen a été ainsi exploré sous plusieurs angles :dans son interaction avec la société civile et les gouvernements nationaux, 4 l’attitude des opinions publiques 5 , les répercussions et le réflexe des différentes pratiques 1 Gérard BOSSUAT« Les partis des socialistes européens dans la bataille des élections », in Gérard BOSSUAT, Adrien CANDIARD, Frédric CEPEDE, Jean Pierre COT, Xavier GARCIA, Pierre MARTIN, Elsa TULMETS, in Les socialistes et les élections européennes, 19792004, Les notes de la Fondation Jean –Jourès, Histoire et memoire, n°39 juin 2004, p.4368.Voir aussi Mathieu MONOT, Socialistes et démocrates chrétiens et la politisation de l’Europe, Harmattan 2010. 2 Marc ABELES ,La vie quotidienne au Parlement européen,Paris, Hachette, 1992, 443 p. 3 Olivier ROZIENBERG « Les élections européennes et le PE entre influence et indifférence », in Politique européenne n°28,2009 ed Harmattan. David BUTLER, David MARQUAND, European elections and british politics, Longman, London, New York, 1981. Karlheinz REIF, Hermann SCHMITT, « Nine second order national elections ? A conceptual framework for the analysis european elections results », in European Journal of political Research n°8, 1980, pp.3-44. 4 Sylvain SCHIRMAN « Syndicats français, et élections européennes » , in Marie Thérèse BITSCH, Wilfried LOTH, Charles BARTHEL, Cultures politiques, opinions publiques, et intégration européenne, Bruxelles, Bruylant, pp.323-336. 5 Anne DULPHY , Christine MANIGAND,L’opinion publique et le PE, in Journal european history integration, vol.17, n°1, 2011, pp.117-130. Anne DULPHY , Christine MANIGAND, La France au risque de l’Europe.Entre audace et repli 1950- 2005, ed.Armand Colin, 2006. Christine MANIGAND « Les Français face aux trois premières élections européennes(1979-1989) », in Parlement(s), Revue d’histoire politique, 3, 2007, pp.103-113.

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«Pas d ’ impôt s sans représen ta t ion !» .

La commiss ion budgé ta i re du Par l ement européen e t

l e s é l ec t i o n s d e j u in 1 9 7 9 .

Valentina VARDABASSO

IN T R O D U C T IO N

L’élection directe du Parlement européen a retenu l’attention des

historiens1, des anthropologues,2des politologues.3 L’espace parlementaire

européen a été ainsi exploré sous plusieurs angles :dans son interaction

avec la société civile et les gouvernements nationaux,4l’attitude des

opinions publiques5, les répercussions et le réflexe des différentes pratiques                                                                                                                          

1Gérard   BOSSUAT«     Les   partis   des   socialistes   européens   dans   la   bataille   des  élections  »,   in  Gérard  BOSSUAT,  Adrien  CANDIARD,  Frédric  CEPEDE,  Jean  Pierre  COT,  Xavier   GARCIA,   Pierre   MARTIN,   Elsa   TULMETS,   in   Les   socialistes   et   les   élections  européennes,   1979-­‐2004,   Les   notes   de   la   Fondation   Jean   –Jourès,   Histoire   et  memoire,   n°39   juin   2004,   p.43-­‐68.Voir   aussi   Mathieu   MONOT,   Socialistes   et  démocrates  chrétiens  et  la  politisation  de  l’Europe,  Harmattan  2010.  

2  Marc ABELES ,La vie quotidienne au Parlement européen,Paris, Hachette, 1992,

443 p.  3Olivier ROZIENBERG « Les élections européennes et le PE entre influence et indifférence », in Politique européenne n°28,2009 ed Harmattan. David BUTLER, David MARQUAND, European elections and british politics, Longman, London, New York, 1981. Karlheinz REIF, Hermann SCHMITT, « Nine second order national elections ? A conceptual framework for the analysis european elections results », in European Journal of political Research n°8, 1980, pp.3-44. 4 Sylvain SCHIRMAN « Syndicats français, et élections européennes » , in Marie Thérèse BITSCH, Wilfried LOTH, Charles BARTHEL, Cultures politiques, opinions publiques, et intégration européenne, Bruxelles, Bruylant, pp.323-336. 5  Anne DULPHY , Christine MANIGAND,L’opinion publique et le PE, in Journal european history integration, vol.17, n°1, 2011, pp.117-130. Anne DULPHY , Christine MANIGAND, La France au risque de l’Europe.Entre audace et repli 1950-2005, ed.Armand Colin, 2006. Christine MANIGAND « Les Français face aux trois premières élections européennes(1979-1989) », in Parlement(s), Revue d’histoire politique, 3, 2007, pp.103-113.  

 

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électorales,6 sans oublier la contribution des mouvements fédéralistes 7 et

des juristes 8.

L’historiographie semble ignorer toutefois à ce jour le rôle joué par la

commission budgétaire du PE lors les premières élections au suffrage

universel direct en 1979, ainsi que dans la montée en puissance de cette

institution.

Or la réappropriation au niveau communautaire de la fonction du contrôle ,

qui s’exprime dans le droit du PE de rejeter le budget commun, a été le

cheval de bataille de la commission budgétaire. Son action débute avec le

traité sur les ressources propres, signé le 21 avril 1970, qui fait suite à la

décision du Conseil relative au remplacement des contributions financières

des Etats membres par des ressources propres aux Communautés, prise ce

même jour. Cette décision, d’extrême importance, pose la question du

renforcement des pouvoirs de contrôle budgétaire du PE , devant

permettre à celui-ci d’exercer un contrôle démocratique sur un budget

communautaire alimenté par des ressources propres. Ce processus qui

s’étend sur toute la décennie est marqué par le traité instituant, à l’

instigation du PE , la Cour des comptes européenne en 1975. Il s’achève en

1979, avec l’élection du Parlement européen au suffrage universel direct.

Notre propos est d’analyser ce processus sous l’angle de l’action de la

commission budgétaire en tentant de voir en quoi la fonction du contrôle

parlementaire a contribué à la formation de l’espace public européen ainsi

qu’à la perception d‘une identité européenne.

                                                                                                                         

6   Julien   NAVARRO,   Les   députés   européens   et   leur   rôle   ,ed.   Université   de   Bruxelles,  2009  ,  p.287.  

7   Bertrand VAYSSIERE, Vers une Europe fédérale ?Les espoirs et les actions fédéralistes au sortir de la deuxième guerre mondiale, Peter Lang, 2006, réed.2007, p.461.

 

8JACOBS, Francis; CORBETT, Richard; SHACKLETON, Michael. The European Parliament. 4th éd. London: John Harper, 2000. 363 p.  

 

  3  

Dans la plupart des démocraties contemporaines, le suffrage universel

s’accompagne de la réappropriation de la fonction du contrôle budgétaire

par l’Assemblée parlementaire nationale. « Pas d’impôts sans

représentation ! », est beaucoup plus qu’un slogan dans la civilisation

occidentale. C’est la consécration du principe du consentement à l’impôt,

clé de voûte du régime parlementaire , qui représente un tournant dans

l’histoire des nations, crée une identité et une classe politique, marque et

distingue les cultures politiques nationales.

Quel est cependant l’impact de ce même principe, désormais

consubstantiel aux démocraties contemporaines, au niveau

communautaire ? Les Six membres fondateurs de la Communauté

européenne et après les Neuf, reconnaissent-ils partager des traits

communs dans une prérogative désormais acquise et bien enracinée au

niveau national ?De surcroît, comment le contrôle, fonction revendiquée à

mainte reprises par le Parlement européen , s’articule-t-il sur la question de

la représentation politique , centrale dans les débats parlementaires des

années soixante-dix ?Au niveau communautaire, le contrôle parlementaire

est-il une fonction propre, ou un droit transposé du niveau national à celui

européen ?

Cette transposition du contrôle politique , du niveau national au niveau

européen –a-t-elle connu des difficultés ? Quelles ont été les césures et les

décalages dans cette transposition par rapport au contexte national ? S’il

est vrai que par la réappropriation de la fonction du contrôle externe le PE

a obtenu la légitimité consacrée ensuite par les élections directes, cette

même prérogative a –t-elle contribué à la formation d’une classe politique

supranationale ?

Notre hypothèse de travail part de la constatation que l’appropriation de la

fonction du contrôle budgétaire de la part du PE a impliqué une ouverture

progressive des débats a une compétition partisane selon l’axe droit et

gauche, un accroissement des compétences de l’UE, un mécanisme

 

  4  

d’identification des différentes cultures politiques nationales et un espace

de decision commun. Or cette politisation9 des enjeux, par laquelle le

budget a pris une dimension politique, mais dans un sens transnational

plutôt que supranational, n’a été pas été suivie par la réappropriation du

politique par les citoyens : le clivage entre les élites et les citoyens reste

malgré tout remarquable.

De surcroît, au niveau national, l’appropriation de certains principes en

matière budgétaire par l’Assemblée parlementaire tel que le consentement

à l’impôt, le contrôle parlementaire, et par là la responsabilité du pouvoir

exécutif devant le Parlement, a esquissé une identité politique, formant en

même temps une classe politique. Or, au niveau communautaire il y a un

décalage ou mieux une rupture , car ces mêmes principes qui dans un

contexte national ont bâti un chemin, indiqué une direction, et ont fait

émerger une culture politique , peinent à s’affirmer dans le contexte

régional européen.10 Tout en créant un espace commun de décision, et la

conscience de partager une culture politique commune, ces principes ne

créent pas une classe politique supranationale, et ne remplissent pas le vide

démocratique. Par ailleurs quelle est la relation entre le contrôle

budgétaire, la représentation parlementaire et l’européanisation ?

Cette posture de recherche se révèle intéressante pour l’historien, car elle

permet de casser la linéarité de l’historiographie européenne par la

réappropriation du passé, notamment de certaines idées et intuitions du

siècle des Lumières, et en même temps dégage l’historiographie des

perspectives et interprétations nationales.11

                                                                                                                         

9  Jacques LAGROYE(dir), La politisation, Paris, Belin, 2003, 564 p.  10  Les limites de l’analyse sur le tropisme parlementaire, voir Paul MAGNETTE , Le régime politique de l’Union européenne, Presse de Sciences Po, 2009, pp241-268.  11Jost   DULFFER,  «  De   l’histoire   de   l’intégration   à   l’histoire   intégrée   de   l’Europe  »,in  Gerard   BOSSUAT,Eric   BUSSIERE,   Robert   FRANK,   Wilfried   LOTH  ,   Antonio   VARSORI,  L’expérience  européenne  .Des  historiens  en  dialogue,  Bruylant,  Bruxelles,  L.G.D.J/Paris,  Nomos/Verlang/Baden-­‐Baden,    pp.11-­‐35.  

 

  5  

Défricher le terrain à partir des premières élections du PE et des

démarches de la commission budgétaire implique une réflexion sur le

contrôle parlementaire par rapport à l’espace public et à l’identité

européenne. Ensuite l’attention sera portée sur la politisation du budget et

sur le rôle de Altiero Spinelli, de 1976, date de son arrivée à la commission

budgétaire, jusqu’à juin 1979 .

I-LE POIDS DU PASSE.LE CONSENTEMENT A L’IMPÔT A LA

BASE DE LA PRATIQUE PARLEMENTAIRE

La réflexion sur l’identité européenne dans sa relation avec le contrôle

parlementaire, nécessite de jeter un regard rétrospectif sur la philosophie

politique du XVIII siècle qui a véhiculé certains principes à la base de la

démocratie représentative. Quel est le poids du passé, dans cette volonté

de réinventer le politique par la réappropriation au niveau communautaire

de la fonction du contrôle parlementaire ?

L’histoire de la construction européenne ne débute pas en 1950 avec la

déclaration Schuman, mais bien avant, par l’élaboration d’idées et de

principes qui ont exercé une certaine fascination et influence au XX

siècle.12Or, s’il est vrai qu’il faut atteindre l’institutionnalisation prévue par

le traité CECA pour considérer la Communauté européenne comme un

sujet juridique, l’héritage du passé, les idées reçues, notamment celles du

siècle des Lumières, ont sans doute animé la construction européenne et

scandé les débats. Cette approche est évident le moment où la

Communauté décide d’élire démocratiquement les membres de son

assemblée parlementaire. C’est à cette occasion que l’on voit ressurgir

l’héritage du passé, celui des idées développées au XVIII siècle ,

particulièrement par les grands philosophes politiques :                                                                                                                          

12Robert   FRANK,  «  Conclusion  »,   in   Gérard   BOSSUAT,Eric   BUSSIERE,   Robert   FRANK,  Wilfried   LOTH  ,   Antonio   VARSORI,   L’expérience   européenne   .Des   historiens   en  dialogue,  Bruylant,  Bruxelles,  L.G.D.J/Paris,  Nomos/Verlang/Baden-­‐Baden,  p.471.  

 

  6  

Montesquieu,13John Locke,14 et Jean-Jacques Rousseau15. Ils avaient déjà

bien dégagé le principe du consentement à l’impôt.

C’est ainsi que les débats passionnants des années soixante-dix,

notamment ceux portant sur la représentation politique, les prérogatives de

contrôle du Parlement européen, et les réserves du Conseil, rappellent les

grands débats de la révolution française entre Robespierre pour lequel tout

pouvoir émane d’une Assemblée élue par le peuple, et Barnave selon

lequel le pouvoir du représentant n’est pas obligatoirement légitimé par

son élection. 16

Dans le même registre, la question très actuelle de la limitation du

pouvoir du Conseil des Etats, prioritaire aujourd’hui dans l’agenda

européenne dans le contexte du déficit démocratique, trouve des échos

dans le débat qui eu lieu sous la Restauration, sur les pouvoirs budgétaires

accordés par la Charte en 1814 .

A l’époque, les ultra royalistes , Chateaubriand en tête ,membre de la

Chambre des Pairs, tout en partageant le principe du consentement à

l’impôt, soutenaient que « gouverner c’est dépenser »17.La confection du

budget était donc une prérogative royale, et la Chambre des députés devait

l’approuver ou la refuser, mais les parlementaires ne déviaient pas faire le

choix budgétaire. Les libéraux, sous la conduite d’Antoine Roy de 1816 à

1820, au contraire assuraient que le droit de voter les impôts implique le

                                                                                                                         

13  MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Paris, Libraire Firmin Didot Frères, 1845.  14  LOCKE John, Gouvernement civil,1690, ch.X « On imposera point de taxes sur les biens propres du peuple sans son consentement, donné immédiatement par lui même ou par ses députés », cité par Aurelien BANDU, Contribution à l’étude des pouvoirs budgétaires du Parlement en France, Dalloz, 2010, p.48.  15   ROUSSEAU Jean-Jacques, Discours sur l’économie politique, 1755, p.73. « Les impôts ne peuvent pas être établis légitimement que par le consentement du peuple ou de ses représentants ».  16  Querelle entre Barnave et Robespierre voir Archives parlementaires, séance 10 aôut 1791, t.29, p.31.  17  Querelle entre les ultraroyalistes et les liberaux, v.BANDU, cité, p.69.  

 

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droit d’en déterminer l’usage, c’est à dire la prérogative de fixer le montant

des dépenses publiques qui pour eux relève de la compétence du

Parlement18.

Une question doit alors être posée : comment ont été reçus au niveau

européen les grands principes hérités de la philosophie politique des

Lumières ?Le consentement à l’impôt, la séparation des pouvoirs, garantie

de la démocratie, et le suffrage universel , condition préalable de cette

dernière, favorisent-ils, l’émergence d’une identité européenne et d’un

espace public ?Autrement dit, le binôme représentation politique-

démocratie contribue-t-il à créer chez les Européens un sentiment de

reconnaissance mutuelle et des solidarités réciproques , ou au contraire ce

pilier traditionnel des démocraties contemporaines s’est-il enlisé dans

l’hémicycle de Strasbourg ? Enfin s’agit –il là d’une simple transposition

au niveau communautaire d’idées bien enracinées sur le plan national, ou

au contraire le Parlement européen a –t-il été capable de se doter au moyen

de ses commissions spécialisées, de caractères qui lui sont propres ?

C’est au Royaume-Uni que se situe par ailleurs le berceau du régime

parlementaire, qui a exercé à toutes les époques une certaine fascination à

l’étranger, à l’exemple de Michel Debré19 à la veille de rédiger la

Constitution de la V eme République.

Les deux grands principes d’origine britannique : celui de la limitation du

pouvoir exécutif par le contrôle de la Chambre des Communes et celui du

parlementarisme représentatif ont été transposés dans la majeure partie

des constitutions européennes et ont marqué un tournant.20 De surcroît, la

limitation du pouvoir exécutif est inscrite dans la Grande Charte depuis

1215.

                                                                                                                         

18  ibid.  

19   ROUVILLOIS   Frédéric,   Se   choisir   un  modèle  :  Michel   Debré   et   le   parlementarisme  anglais  en  1958,  in  RFHIP  N°12,    2000,  pp.347-­‐365.  

20   Edouard   TILLET  «  Modèle   anglais   et   modèle   américain   de   l’ancien   Régime   à   la  Révolution.L’exemple  de  Jean-­‐Nicolas  Démeunier  »,  in  RFHIP  N°12,  2000,  pp.  265-­‐286.  

 

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Dès lors, le Roi ne peut lever d’impôt sans le consentement du peuple

(Magna Charta article 12). C’est là le principe à l’origine de la tradition

politique britannique, auquel, sauf quelque moment exceptionnels, les

Britanniques sont demeurés fidèles. Ils l’ont défendu avec détermination

tout au long du XVII siècle, contre la dynastie des Tudors et surtout des

Stuart.Le roi Charles I er en a fait l’amère expérience:en 1628 , poussé

par l’exigences de ressources nouvelles, il a négligé la Petitions of Rights

et privé le Parlement pendant dix ans de toute discussion sur les questions

financières. 21

Le Roi gagne contre Hampden, un citoyen condamné par la justice

anglaise car il refusait d’acquitter la ship money, un impôt au commerce

maritime, mais il est réduit à l’impuissance par la révolution populaire de

1688.Celle-ci ouvre les portes du Royaume anglais à Guillaume d’Orange

et fait triompher des principes proclamés par la nation, tel que le

consentement à l’impôt.22

L’autre idée héritée d’outre Manche concerne la représentation

parlementaire. 23.Avec l’élargissement du droit de suffrage, le rôle et les

compétences de la Chambre des Communes s’accroissent au détriment de

ceux de la Chambre des Lords. Cette institution présente le défaut d’un

certain déficit démocratique, faute de ne pas être élue.

A ce titre, n’étant pas élue, elle se voit progressivement retirer ses

attributions délibérantes et budgétaire par les Parliament Act de 1911 et

1949, pour devenir finalement une chambre modératrice. Comme dans

tout régime parlementaire, la chambre basse dispose du pouvoir

                                                                                                                         

21  François  Michel  GUIZOT  ,  Histoire  de  la  revolution  d’Angleterre  depuis  l’avènement  de  Charles  I  er  jusqu’à  sa  mort,  ed.Didier  Libraire,  1850,  p.464  .  

22  Aurelien  BANDU,  Contribution  à  l’étude  des  pouvoirs  budgétaires    du  Parlement  en  France,  Dalloz,  2010,  p.81-­‐82.  

23   Sur   l’Angleterre   modèle   politique   pour   certains,   repoussoir   pour   les   autres,   voir  Frédéric   SAULNIER,   Oppurtunisme,   positivisme   et   parlementarisme   à   l’anglaise   au  début  de  la  IIIème  République,  in  RFHIP,  n°12,  pp.307-­‐308.  

 

  9  

budgétaire depuis la Charte de 1215 (Art. 14), renforcée par le Parliament

Act de 1911, au détriment de la Chambre des Lords. Celle-ci n’a pas

l’initiative des lois budgétaires, mais elle peut en débattre et les voter. Par

ailleurs,la Chambre des Communes peut mettre en cause la responsabilité

du gouvernement lorsqu’elle n’a plus confiance en l’équipe

gouvernementale.

Tout en se laissant en partie séduire par la culture politique britannique, la

France a connu une gestion laborieuse de la consécration du principe de

consentement à l’impôt, lequel a triomphé seulement à l’aube du XIX ème

siècle.24 Certes la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen avait

bien affirmé ce dernier principe, mais déjà Napoléon y déroge. S’il est

vrai que, depuis 1815, avec la Restauration, l’affirmation de ce principe

a été systématique, à l’exception de la parenthèse de Vichy, il faut attendre

la Quatrième République et l’article 16 de la Constitution de 1946, pour

que l’Assemblée nationale soit dotée des plus amples prérogatives, y

compris le droit de veto, en matière budgétaire. 25 En résumé le

consentement à l’impôt, et la responsabilité de l’exécutif vis à vis du

Parlement, ont connu un tournant, qui introduit l’âge moderne de la

démocratie en Angleterre au XVIII et en France au libéralisme du XIX

siècle.

Si tel a été l’effet au niveau national, quelle suite a été donnée au niveau

communautaire à ces deux mêmes principes ? S’agit–il d’une

transplantation ou au contraire d’un processus plus long et bien plus

                                                                                                                         

24  Nicolas DELALANDE, Alexis SPIRE, Histoire sociale de l’Impôt, La Découverte, coll.Repère Histoire, 2010.Maurice  LEVY  LEBOYER   ,    Michel   LESCURE   ,  Alain  PLESSIS,  L’impôt  en  France,  au  XIX  et  XX  siècle,  Comité  pour  l’histoire  économique  et  financière  de  la  France,  2006,  p.466.  

25  Dossier Fiscalité et societé :les résistances à l’impôt, au XIX et XX siècle,Belin avril –juin 2009, 256 p. Voir aussi :Alexandre GUIGUE , Les origines et l’évolution du vote du budget de l’Etat en France et en Angleterre, thèse dirigée par G.GONDUINsoutenue le 9 décembre 2005, Université de Savoie.

 

 

  10  

complexe ? Observons –nous une ligne droite ou au contraire un chemin

semé de contradictions et césures?

II- LE CONTROLE BUDGETAIRE EUROPEEN DANS UNE

PERSPECTIVE HISTORIQUE

Si dans le cadre des Assemblées nationales, le contrôle parlementaire est

désormais un des acquis des démocraties représentatives, le contrôle

budgétaire étant une prérogative du Parlement, tel n’est pas le cas de

l’Assemblée parlementaire européenne, qui s’est vue attribuer cette

fonction par des compromis, au terme de débats qui opposent les partisans

et les adversaires du fédéralisme.

Il va sans dire que le traité de la CECA comme le traité de Rome

prévoient un contrôle sur les comptes de la Communauté. La CECA se

dote d’un commissaire aux comptes, alors que le traité de Rome prévoit

une commission de contrôle, mais dans un cas comme dans l’autre, il n’y a

aucune distinction entre la responsabilité de la gestion et le contrôle de

cette dernière. Dans la pratique, les membres de la commission de contrôle

sont investis de cette fonction par la Commission qui les recrute parmi ses

fonctionnaires. La Commission est de ce fait en même temps gestionnaire

et inspectrice .Il en va de même pour le commissaire aux comptes de la

CECA.26

Si les raisons exogènes de l’affirmation du contrôle externe résident dans

la tradition démocratique occidentale qui accorde cette prérogative au

Parlement, les circonstances dans lesquelles cette fonction a prévalu au

                                                                                                                         

26  Paul Gaudy, membre de la Cour des Comptes européenne (1977-1987), expliquant les raisons de la création de cette institution, rappelle aussi le mécanisme de contrôle de la CECA. Voir Paul GAUDY « La Cour des Comptes européenne », in L’Europe en formation, juin 1978, PP.3-4.  

 

  11  

niveau européen pendant les années soixante-dix sont d’abord

endogènes.27

L’incapacité de la commission de contrôle de faire face au premier

élargissement de 1973 a sans doute pesé. 28De surcroît , les fraudes

toujours plus importantes dans le FEOGA, exigeaient une capacité

d’inspection et un pouvoir de vérification qui faisaient défaut à la

commission de contrôle29.

La gestion de la section garantie apparaît en effet dépourvue d’un

véritable contrôle externe, au sens habituel du terme .La commission de

contrôle n’est dès lors pas en mesure d’éclairer valablement les

responsables communautaires sur sa gestion.

La leçon tirée dans l’affaire OTRACO en 1970 sur la gestion des fonds de

développement est double.30 Des contrôleurs mandatés de la Communauté

sont dans l’incapacité de s’acquitter de deux fonctions à la fois, et en

même temps il est absurde que le PE ne puisse pas donner son avis sur la

gestion des fonds européen de développement car ses compétences

l’article 206 du traité de Rome se limitent aux affaires courantes.

La Commission se dote néanmoins de nouveaux instruments

informatiques de contrôle des comptes, et la commission budgétaire du PE

                                                                                                                         

27    Sur  l’évolution  de  la  fonction  de  contrôle  ensuite  à  des  difficultés  endogènes  ,    voir  l’intervention   de   Wohlfart   (groupe   socialiste)   contre   certaines   mésures   de   la  Commission  européenne  visant  à  paralyser   les   contrôles   sur  place  de   la   commission  budgétaire     du   PE     à   propos   de   la   gestion   financière   du   Fond   social   européen,   in  CARDOC,   séance  9  mai   1973,     débats   PE,   p.168,  Wohlfart   écrit  :  «  Le  PE  ne  doit   pas  donner  la  décharge  si  la  Commission  ne  tien  pas  comptes  des  autorités  budgétaires  ».  

28  ibid.  

29  CARDOC,  Débats  PE  séance  9  mai  1973,  p.165,  interventions  de    Pounder  :  «  Si  c’est  question  de   l’argent   des   contribuables,   est   très   important   que   les   representants   du  peuple   puissent   vérifier   les   comptes   et   interroger   les   gestionnaires.  (........)   L’un   des  faits   les   plus   inquietants   qui   se   degage   du   rapport   d’Aigner   est   que   personne   ne  semble  savoir  exactement  à  combien  se  montent  les  irrégularités  commises  dans  lme  budget  du  FEOGA    de  1970.D’après  mes  indications  elles  pourraient  être  de  l’ordre  de  130  millions  d’unités  de  comptes  »  .  

30OTRACO,  office  transports  coloniaux  du  Congo.  

 

  12  

propose la création d’une sous commission de contrôle ad hoc pour

contrôler le centre de calcul basé au Luxembourg. Les deux initiatives ne

changent la donnée ni les statistiques :les fraudes se multiplient au sein du

FEOGA.

La conscience de la faiblesse de ce type de contrôle, qui se prétend externe,

mais n’est rien d’autre qu’interne, allant de pair avec le prochain

élargissement prévu dans l’agenda de la Commission européenne en 1973,

persuadent Aigner, Spenale et les autres membres de la commission

budgétaire de la nécessité d’une révision des traités CECA et CEE en

matière de contrôle. 31

Telle est l’impression qui se dégage des débats parlementaires, au

lendemain de la conclusion du traité des ressources propres du 21 avril

1970, réflexions dont la commission budgétaire est l’auteur et qui

embrassent toutes les années soixante-dix.Parmi les fonctions

parlementaires, celle du contrôle budgétaire est certainement la plus liée à

l’évolution de la démocratie moderne. L’évaluation des résultats des

dépenses et le contrôle permanent de l’exécution du budget, sont

indispensables pour l’évaluation de toute politique. Conscient du fait que la

plupart des parlements nationaux ont bâti leur pouvoir et consolidé leur

position en exigeant de contrôler l’utilisation faite par le « souverain » des

deniers des contribuables, le PE s’est très tôt fixé comme objectif de

soumettre les finances communautaires à un contrôle indépendant.

Il va de soi que la possibilité de voter le budget, implique aussi la

possibilité de le refuser. Et concernant le droit de veto des nouvelles

dynamiques, des convergences et des divergences s’affirment à l’intérieur

de l’Assemblée parlementaire.

                                                                                                                         

31Chronologie   de   l’évolution   de   la   fonction   de   contrôle  :1975   dernière   année  d’application  de  la  procedure  de  contrôle  amendée  du  traité  de  Paris  et  du  traité  de  Rome.   1976   et   1977   années   de   transition   pendant   les   quels   le   commissaire   aux  comptes   de   la   CECA   et   la   commission   de   contrôle   assurent   des   rapports   dans  l’atteinte  de  l’installation  de  la  Cour  des  comptes  européenne.  

 

  13  

Si d’un point juridique, le refus des crédits n’a pas de conséquences

pratiques immédiates, sur le plan politique, les conséquences sont

beaucoup plus importantes. Spinelli dans cet esprit en 1978 a fait peser

la menace d’un refus de voter le budget afin de donner du souffle à la

cause des élections directes du PE. Le 19 décembre 1979, le PE réjet le

budget.Ce vote s’inscrit dans une période de tension entre le PE et le

Conseil, qui prefère dépenser pour la PAC. La protestation des députés

n’est pas timide . D’une part par les baies de la procédure budgétaire, le PE

manifeste sa revendication d’un rôle plus important dans le processus

législatif. De l’autre part, le PE se leve contre la decision du Conseil qui

penalise trop à faveur de la PAC les dépenses non obligatoires. Le

Président allemand du groupe PPE affirme sans reserves : « Si nous

approuverions ce budget, nous approuverions la stagnation de la

Communauté ». 32C’est donc le droit ultime derrière lequel s’abrite le

pouvoir législatif pour contraindre le pouvoir exécutif au recul .Or, si au

niveau national le droit de veto rentre dans les pratiques constitutionnelles,

le parcours de cette prérogative est très différente au niveau européen.

III- DU SIMPLE CERTIFICAT DE COMPTABILITE A LA

DECHERGE INSTRUMENT POLITIQUE :LA POLITISATION DU BUDGET33

                                                                                                                         

32       50   ans   d’Histoire   du     groupe   du   PPE   au   service   de   l’Europe   unie   1953-­‐2003,  ed.Service   Recherche   et   documentation   du   PE,   responsable   de   la   publication   Pascal  Fontaine,  2003,  p.102.  

33   Sur   la   politisation   des   structures   européennes   voir  :Simon   HIX,   Abdul   NOURY,  Gérard   ROLAND,   Democracy   in   the   Européan   Parliament,   2005,   322   p.   Voir   aussi  Celine   BELOT   ,Bruno   Cautres(dir.),   La   vie   démocratique   de   l’UE.Paris,   La  Documentation   française   ,   2006,   187   p.   Elisabeth   DU   REAU,   Christine   Manigand,  Traian   SANDU   (dir.),   Dynamiques   et   resistences   politiques   dans   le   nouvel   espace  européen   ,   Paris,   Harmattan,   2005,   p.207.Robert   SOIN,L’Europe   politique,Histoire,  crises,   développements   et   perspectives   du   processus   d’intégration,Paris,   ed.Armand  Colin,  2005,  207  p.  

 

  14  

C’est seulement dans les années soixante-dix que le PE, au terme d’une

longue bataille, se voit reconnaître le pouvoir traditionnel de contrôle, y

compris le droit de veto, sur la gestion financière de la Commission.34 Le

principe fondateur des démocraties contemporaines, selon lequel le

contrôle exercé par le PE sur les recettes et les dépenses de la Communauté

est essentiel afin que le respect du principe de la responsabilité à l’égard

des citoyens soit garanti, n’a pas été transféré de façon automatique au

niveau européen. En fait si la conscience de l’importance de cette

prérogative est bien enracinée dans les cultures politiques nationales des

Six et après des Neuf, le Parlement européen au début des années

soixante-dix manque d’une véritable structure budgétaire. Le financement

de la Communauté révélait encore à cette époque des Etats, dans le sens

que la CECA disposait d’un impôt perçu sur les entreprises ainsi que les

emprunts recueillis sur le marché des capitaux, alors que la CEE et

Euratom étaient financés par les Etats membres.

Les bases juridiques du contrôle budgétaire parlementaire sont inscrites

dans les révisions des traités de Paris et de Rome, réalisées en 1970 et

1975 : dès lors le PE devient le principal responsable de l’exécution du

budget communautaire par la décharge qu’il donne à la Commission. Il

s’agit là de d’un moment clé, sous-évalués par l’historiographie, mais à

l’origine d’un grand élan donné à la cause de l’Europe.35

Dans le spécifique, en 1970, par le traité des ressources propres, la

Communauté accède à l’autonomie financière, alors que le PE se voit

conférer un pouvoir de décision dans le cadre de la procédure budgétaire.                                                                                                                          

34  En  1975(22  juillet),  avec  le  traité  instituant  la  Cour  des  comptes  européenne.  

35   CARDOC,   Débats   du   PE   ,   7   juillet   1977   p.294   ,   en   occasion   de   la   décharge  1975.Aigner   à   propos   du   contrôle   parlementaire   écrit  :  «  C’est     avant   tout   la  responsabilité   politique   de   la   Commission,   en   tant   que   telle   qu’il   faut   mettre   en  evidence,   et   que   le   rapport   de   contrôle   doit   analyser.Ce   rapport   se   fonde   sur   deux  principes.  D’abord    il  s’agit  non  seulement  de  juger    la  regularité  des  opérations  ,  mais  il   s’agit   de   verifier   si   l’exécution     du   budget   concrétise   la   volonté   politique   de  l’autorité   budgétaire.Ensuite   il   s’agit   de   coordonner   l’activité   de   contrôle    parlementaire  avec  les  autres  institutions  et  les  Etats  membres  ».  

 

  15  

En 1975 après avoir mis un place une véritable structure budgétaire le

PE se voit conférer finalement la prérogative du contrôle sur les finances

communautaires par l’attribution de la décharge, c’est à dire le contrôle

final du budget par le PE, compétence reconnue jusqu’alors exclusivement

au Conseil.36

Loin d’être un simple certificat de comptabilité, la décharge est

l’expression la plus importante et la plus vivante de la fonction de contrôle

au niveau parlementaire. Avec cette décision, le PE clôture les opérations

d’exécution du budget annuel par un vote de confiance ou le cas échéant

de défiance, envers la manière dont la Commission a exercé sa

responsabilité.37Ainsi la décharge ne tarde pas à acquérir une signification

politique de mise en jeu de la responsabilité de la Commission sur

l’exécution du budget devant le Parlement européen.38

                                                                                                                         

36  Débat  du  PE,  séance  9  mai  1973,  intervention  d’Aigner  p.157.  

37   Cheysson,  membre   de   la   Commission  :  «  La   décision   de   décharge   semble     relever  d’une   procédure   formelle.Il   n’es   est   rien.Elle   est   la   sanction   de   votre   contrôle   sur  l’exécution   du   budget   communautaire   par   les   institutions.Elle   est   l’acte   final   d’un  processus  qui  commence  avec   l’examen  du  budget    et   se   termine  dans   la  décharge,  votre  droit  exclusif  en  application  du  traité  du  22  juillet  1975  »,  in  CARDOC,Débats  du  PE,  séance  14  décembre  1976,  p.91  

 38   CARDOC,   Débats   PE,   séance   9   mai   1973,     p.182.Aigner  :  «  Nous   pouvons  naturellement   dire   à   la   Commission  :   si   vous   ne   nous   donnez   pas   ce   droit  parlementaire   en   vertu   du   principe   que   les   initiatives   ne   sont   pas   attribuées   mais  prises,  nous  userons  notre  droit  de  renverser  la  Commission.C’est  le  seul  moyen.  ».  

Avec   la   prérogative   de   la   décharge,   avance   parallelement     à   la   responsabilité   de   la  Commission  devant   le  Parlement  européen,   le  sens  de   la  responsabilité  des  deputés    face  l’opinion  publique.  Notenboom  écrit    «  Mon  groupe  tient    à  lancerun  appel  à  tous  les  intéressés    de  ce  monter  ouvert  au  contrôle,  et  de  rénoncer  à  toute  réserve  peut  –être   justifiée   dans   le   passé.Etcelà   d’autant   plus   que   nous   serons   sous   peu  derectement  responsables  devant   la  population  européenne  en  ce  qui  concerne  des  sommes  budgétaires  qui,   à   juste   titre   vont   sans   cesse  en  augmentant  »   in  CARDOC,  Débats  PE,séance  14  décembre  1976,  p.89.  

39   AHUE,   FMM(fond   Franco   Maria   Malfatti),   dossier   9,   Secrètariat   de   la  Commissioneuropéenne,«  Relève   des   différentes   positions   sur   les   problèmes  institutionnels  »,  Bruxelles,  25  février  1972.  

 

 

  16  

C’est le moment pour le Parlement par l’examen des comptes de faire

toute critique , pour formuler toute récomandation. C’est le moment où le

contrôle démocratique s’exprime prèsque totalement.Prèsque, car PE

jusqu’à juin 1979 n’est pas encore elu directement par les citoyens.

Et c’est sur ce tournant politique que le PE se divise tout au long des

années soixante-dix. La fraction la plus avangardiste de l’Assemblée

parlementaire comprend tout de suite que l’exercice de cette prérogative

conduit aux élections directes du PE, contrairement à la fraction la plus

conservatrice de l’Assemblée, gaullistes en tête, qui s’oppose avec

véhémence à toute ouverture en limitant le contrôle parlementaire aux

dépenses administratives, soit à 3.5% environ des dépenses totales des

Communautés.39

Ces débats s’enlisent devant l’attitude très hostile de Georges Pompidou

qui préfère renvoyer sine die la question des élections directes du PE. C’est

à ce moment que la commission budgétaire du PE entre en jeu endossant

un rôle très important dans la réappropriation de la fonction du contrôle

externe par le PE au niveau communautaire. Après avoir sondé les

différentes chancelleries européennes et après avoir constaté la prudence

des gouvernements sur l’élargissement des pouvoirs de contrôle du PE, une

poignée restreinte de députes réunis dans cette commission budgétaire

autour d’Aigner, reprennent un modèle déjà enterré pendant les années

soixante, celui d’une Cour des comptes européenne. Le traité instituant la

Cour des comptes est signé en 1975 et la Cour entre en fonction deux

années plus tard. Par cet organisme, la commission budgétaire parvient à

obtenir la décharge au PE, mais à condition de consulter la Cour des

comptes européenne , dont les membres sont élus par les Etats. 40

                                                                                                                         

 

40Valentina VARDABASSO, -« La Cendrillon del’Histoire.La Cour des comptes européenne er la démocratisation desinstitutions en Europe », in Journal of european integration history/Revue d’histoire de la construction européenne,décembre 2011,n°34.

 

  17  

Une fois assuré un certain regard des gouvernements sur l’activité de

contrôle, l’attribution de la décharge au PE ne rencontre pas des

véritables difficultés auprès des gouvernements et il obtient cette

prérogative.41 Ainsi l’élaboration des décisions de décharge s’est déroulée

au sein des commissions budgétaires du PE.

Devant l’ampleur et l’importance de cette tâche, la commission budgétaire

a constitué d’abord un groupe de travail permanent, puis à partir de 1976,

une sous-commission. Elle a enfin réclamé la création d’une commission à

part entière. Ce fut chose faite lors de la constitution du premier Parlement

élu au suffrage universel direct en 1979. Cette coïncidence entre le

renforcement de la représentativité du PE et l’institutionnalisation du

contrôle budgétaire parlementaire correspond à une orientation politique

évidente: garantir le contrôle de l’utilisation des ressources communautaire

par les représentants des citoyens-contribuable.42

IV-L’INTERACTION ENTRE LE BUDGET ET L’ESPACE

EUROPEEN.

Le budget peut être le levier de la démocratie ou au contraire sa négation

s’il n’est pas soumis à l’approbation du Parlement. Du point de vue

politique, le budget peut caractériser un système confédéral ou fédéral ,

selon s’il est alimenté par des contributions étatiques ou relève d’une

autorité supranationale. Il peut être par ailleurs un facteur de cohésion du

                                                                                                                         

 41   CARDOC,   Débats   parlementaires,   séance   7   juillet   1977,   p.295.Aigner     revient  encore  sur  le  contenu  du  contrôle  parlementaire,  mettant  en  garde  le  Conseil  :  «  Tout  contrôle  parlementaire  ne  peut  porter   ses   fruits  que     si   ses   résultats   se   répercutent  d’une   part   au   niveau   des   délibérations   budgétaires   et,   d’autre   part   au   niveau   de  l’execution  du  budget.(.....)Il  faut  que  l’exécution  du  budget  traduise  la  volonté  du  PE  et  de  Conseil  et  non  plus  seulement  la  volonté  du  Conseil  ».  

 42  CARDOC,  DG    Etudes  et   recherche  du  PE,  Le  contrôle  parlementaire  des     finances  communautaires,  3ème  édition,  1988.  

 

  18  

système politique comme une cause importante de l’explosion de ce

dernier.

A titre d’exemple, le Zollverein allemand du milieu du XIX siècle, avec

un budget commun et des droits de douane prélevés à l’extérieur des

frontières, préfigure l’unification politique des Etats allemands .De la

même façon beaucoup voient dans la prérogative du Parlement européen

en matière budgétaire un premier pas vers l’unification politique de

l’Europe.43

Elément d’unification, le budget peut aussi être une cause importante de la

dissolution du système politique. Il suffit de rappeler à ce propos la

Fédération yougoslave, dont l’éclatement a pour origine les tensions au

plan budgétaire. Ainsi, qu’il soit un tremplin d’une fédération ou une

cause de sa désintégration, le budget joue de ce fait un rôle essentiel dans

le développement d’une Communauté.

Instrument d’accompagnement de l’intégration des marchés, de

financement des politiques communes et de solidarité financière entre les

États membres de l’Union européenne (UE), le budget est à la fois un

enjeu politique, diplomatique et économique dans le processus

d’intégration européenne. La fonction budgétaire alimente et définit en

effet un espace commun de décision tout en restreignant le pouvoir de

décision aux Etats membres.

Reflet incontournable de la sensibilité des partis politiques par rapport à

l’intégration européenne, l’approbation du budget laisse apparaître un

contraste à l’intérieur de l’Assemblée entre les positions les plus avant-

gardistes - favorables à l’élargissement des compétences de la

Communauté et donc à de nouvelles ressources financières- et celles plus

réservées des conservateurs, qui, sans forcément s’opposer aux                                                                                                                          

 43   Yves BERTONCINI « La révision du budget de l'Union européenne : pour une analyse politique globale », Horizons stratégiques 3/2007 (n° 5), pp. 94-119. En ligne :www.cairn.info/revue-horizons-strategiques-2007-3 page-94.htm.

 

 

  19  

prérogatives de la CEE, refusent l’augmentation de ses ressources et

contribuent à l’amputation des prérogatives de la Communauté au bénéfice

des Etats.44

Il va sans dire que tout en étant en puissance un important élément

fédérateur, le budget européen garde un aspect diplomatique non

négligeable. Au niveau communautaire, il opère comme un instrument de

redistribution entre les Etats membres en vue d’une meilleure justice

sociale. Toutefois, malgré les avancées des prérogatives communautaires,

les principaux arbitrages européens incombent encore aux représentants

des Etats.

L’adoption du budget procédant de considérations économiques et

diplomatiques, il a été parfois utilisé pour compenser les effets des

inégalités.

Ce faisant, les compromis budgétaires ont donné un élan important à la

cause de l’Europe. A cette fin ont été institués le « Fond social de

développement », pour amortir les chocs liés à la mise en place du

Marché Commun, ou encore la politique régionale européenne qui a pris

son essor au lendemain de l’adhésion du Royaume Uni, en retard de

développement par rapport à la moyenne commune.45

Dans l’analyse de l’interaction du budget et de l’espace européen on doit

tenir compte aussi des acteurs bénéficiant du budget et ne pas négliger les

opinions publiques. Comme la PAC est la principale bénéficiaire du budget

européen, les agriculteurs exercent une certaine influence à Bruxelles ainsi

qu’auprès des gouvernements nationaux dans les négociations budgétaires.

Au fur et à mesure qu’augmentent les ressources en faveur de la cohésion

territoriale, les organisations locales et régionales affirment leur légitimité

pour peser sur les décideurs. De ce fait, des stratégies d’influence et des

                                                                                                                         

44   AHUE,   fond   AS,   dossier   345,Intervention   de   Altiero     Spinelli   sur   les   ressources  propres  de  la  Communauté,  Strasbourg,  le  26  mars  1980.  

45  Yves BERTONCINI « La révision du budget de l'Union européenne , cit.p.100.  

 

  20  

rationalités différentes s’affirment dans l’espace public, et le budget

communautaire, longtemps adopté sur une base de compromis entre

gouvernements, est confrontée à des nouveaux acteurs.

Parallèlement avec la mutation de la décharge devenue un instrument

politique, la commission budgétaire du PE a joué un rôle dans le transfert

des prérogatives budgétaires du niveau national à celui européen, mais

également dans l’affirmation au niveau communautaire de certains

principes tel que le contrôle parlementaire et la responsabilité de l’exécutif

européen (la Commission) vis à vis du PE à propos de la gestion

financière.

L’ambition de donner à la Communauté une structure financière

indépendante des Etats, a encouragé un dialogue interinstitutionnel,46

élargi à la société civile, dans la mesure où celle ci se retrouve impliquée

dans les instruments des politiques communautaires tel que le FEOGA, et

les politiques régionales. On a assisté de cette façon aux avancées du droit

communautaire.

L’indépendance financière de la Communauté annonce un autre grand

principe dont il est question à maintes reprises dans les débats, celui de la

transparence budgétaire selon lequel toutes les opérations

communautaires doivent être retracées dans le budget général de la

Communauté. Dans ce but, alors que seulement les comptes d’Euratom

étaient budgétisé à l’époque , les parlementaires européens réussirent à

imposer à la totalité des institutions et organes de la Communauté, la

budgétisation des emprunts et crédits.47

                                                                                                                         

46   CARDOC,   Documents   de   séance   ,     30   mai     1978,   Rapport   fait   au   nom   de   la  commission  des  budgets    sur  le  dialogue  interinstitutionnel  relatif  à  certaines  questions  budgétaires.    Rapporteur  Michel  Cointat.  

47  CARDOC,  Documents  de  séance  14  juin  1976,  Rapport  fait  au  nom  de  la  commission  des  budgets  sur  le  rôle  et   la  fonction  du  contrôle  parlementaire  des  ressources  et  des  dépenses  communautaires,  Rapporteur  Michel  Cointat.    

 

  21  

Le fait d’avoir le dernier mot sur l’activité de la Commission a valu au

PE la possibilité de participer à la préparation du budget, comme à

l’approfondissement du contrôle, ainsi que celle d’établir dans le domaine

budgétaire des relations avec la Commission du type législatif-exécutif. Il

est clair que par cette voie, sous impulsion de la commission budgétaire du

PE un espace public de discussion et de délibération émerge autour du

budget avec la multiplication des centres de délibération qui ne relèvent

plus seulement des gouvernements, mais impliquent aussi de nouveaux

acteurs.

Ainsi la fonction du contrôle budgétaire appelle un débat transnational,

par l’implication de sujets non étatiques, dépassant les intérêts nationaux ,

ce qui établit un espace de décision et de délibération commun.

De fait il a été tenté dans cette étude de montrer qu’ une entité politique

plus transnationale que supranationale, se construit autour du contrôle

parlementaire et si l’Union européenne ne possède pas encore un espace

public européen central, large et populaire, il existe des espaces publics

européens, sectoriels, sur une durée de temps déterminée, liés à des débats

sur des questions européennes.

Il va sans dire que le contrôle parlementaire du budget renforce les

prérogatives du PE , sans garantir pour autant sa légitimité, cette assemblée

n’étant pas encore élue au suffrage universel direct. Si au cours de la

période 1970 -1975 , l’objectif de la commission budgétaire est

l’élargissement des pouvoirs du PE au moyen du budget, une fois obtenue

la prérogative du contrôle des finances communautaires par le traité du 22

avril 1975, la priorité change. Il s’agit désormais d’assurer une légitimité

au PE par les élections directes de ses membres.

V-QUAND LA REINE FRAPPE A LA PORTE DE

WESTMINSTER……….

 

  22  

L’espace public européen ne repose pas seulement sur des normes et des

règles qui mobilisent la rationalité des sujets expliquant leurs choix, mais il

y a aussi une dimension immatérielle, qui fait recours à des imaginaires,

des représentations, des mythes, des fantasmes, bref un socle commun de

valeurs partagés.48 Si les rationalistes refusent l’imagination comme

source de la connaissance, réduisant la réalité à l’expérience, des nouvelles

études et sensibilités admettent que le domaine du politique, est traversé

par des émotions, des discours, des récits jouant un rôle déterminant. De ce

fait l’imaginaire se matérialise dans des actions informées par des

symboles , et des rituels, qui par la pratique deviennent une médiation

entre l’imaginaire et le réel, le monde externe et le monde interne, jusque à

devenir actuels pour comprendre les processus sociaux.49 C’est pour cette

raison que des cérémonies riches en symboles, bien traditionnelles, sont

encore des repères d’identification dans les cultures politiques

occidentales. Parmi ces rituels, le plus important est le discours annuel de

la Couronne en Grande-Brétagne.

En cette seule occasion c’est la Reine qui frappe à la porte de

Westminster, et entre dans ce bâtiment. La voiture arrive à peu de distance

et un héraut de la suite entre dans la salle pour informer que la Reine vient

prononcer son discours. La grande porte du Parlement est alors fermée

sur ordre du speaker.Puis, une fois accompli cet ordre, le chef de garde de

la Reine, annonce que la Souveraine demande à rencontrer les « fidèles

communes d’Angleterre ». C’est à ce moment que le speaker donne l’ordre                                                                                                                          

48  Robert  FRANK  ,  «  Espace  de  référence  culturelle  ,  mémorielle  et  symbolique,  espace  

public,   et   démocratie   européenne  »,   in   Gerard   BOSSUAT,Eric   BOUSSIERE,   Robert  

FRANK,  Wilfried   LOTH  ,   Antonio  VARSORI,   L’expérience   européenne   .Des   historiens   en  

dialogue,  Bruylant,  Bruxelles,  L.G.D.J/Paris,  Nomos/Verlang/Baden-­‐Baden,  pp.211-­‐233.  

49  Robert FRANK (dir), Images et imaginaire dans les relations internationales depuis

1938, ed.IHTP, juin 1994, 168 p.

 

 

  23  

d’ouvrir la porte et la Reine fait son entrée accompagnée par la garde de

Westminster. Cet ancien rituel qui montre la soumission de l’exécutif au

législatif, remonte au XVIII ème siècle, au moment où, précisément,

Montesquieu écrivait l’Esprit des lois, texte fondateur de l’Etat de droit et

de la séparation des pouvoirs.

Cette séparation, ainsi que la responsabilité du pouvoir exécutif devant le

Parlement, précède la démocratie, et il se réalise également au sein de

monarchies dotées d’amples prérogatives.

Son introduction constitue le fondement indispensable, bien qu’insuffisant

des régimes démocratiques, dont les constitutions sont le couronnement.

S’il est vrai que l’identité européenne se nourrit aussi de représentations,

d’images, de rituels, le discours cérémonial de l’entrée de la reine au

Palais de Westminster exerce encore aujourd’hui une certaine emprise sur

les esprits réunis dans l’hémicycle de Strasbourg.

Les députés anglais, qu’ils soient conservateurs ou travaillistes⎯en dépit

des réserves du gouvernement britannique sur le système électoral

proportionnel⎯ rappellent souvent par ce rituel que si l’Etat de droit

passe par la responsabilité de l’exécutif devant le Parlement, sa

légitimation ne peut pas se fonder que sur le suffrage universel direct. 50

Et c’est sur ce principe, conforté par des images et des cultures politiques

communes, qui s’alignent les différentes forces du PE.

VI- LA COMMISSION BUDGETAIRE SUR LE TERRAIN

Alors que la commission budgétaire engage un véritable bras de fer avec le

Conseil en vue d’une réévaluation du PE par la politisation du budget, la

cause de l’Europe, sur plusieurs plans , y compris celui diplomatique,

gagne des points à son faveur. La décision du Conseil européen de Paris                                                                                                                          

50  CARDOC,  Séance  12  décembre  1978,  p.91.Intervention  de  Lord  Bruce  of  Doningon  au  nom  du  groupe  socialiste.  

 

  24  

en 1976, sur les élections européennes est l’épilogue d’une longue

démarche, compliquée surtout par l’opposition du gouvernement

français.51 Il ne faut pas oublier que le Parlement européen élu au suffrage

universel direct , est déjà la préoccupation du Traité de Paris instituant la

CECA en 1951 , qui à l’article 20 prévoit une Assemblée composée par

les représentants des peuples de la Communauté. En 1957, l’article 138 du

Traité de Rome reprend cette disposition. Les années soixante, les années

du Général, enterrent dans le sommeil le Rapport Dehousse et il faut

atteindre le Sommet de La Haye de 1969, pour que ce point soit réinscrit à

l’ordre du jour du Conseil. En décembre 1974, à Paris, les chefs d’Etat et

de gouvernement, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing ,

prennent la décision de principe de procéder à des élections au suffrage

universel direct le plus tôt possible à partir de 1978. De ce fait,

l’élargissement de 1973, impose une révision du Rapport Dehousse , et

c’est un jeune député socialiste, Schelto Patijn qui est chargé de cet affaire.

Ce brillant avocat néerlandais, est chargé par le PE de rédiger un rapport

approuvé en séance plénière le 14 décembre 1975 avec 106 votes

favorables, 2 négatifs , et 17 abstentions, venant des communistes et des

gaullistes.52 Pour ne pas achopper sur la question des différents systèmes

électoraux nationaux, le rapport Patijn renvoie la décision d’adopter une

procédure électorale uniforme aux élections suivantes,et propose pour la

première élection un Parlement élu au suffrage universel pour 5 ans selon

les modalités de scrutins nationaux. Donc pour les élections de juin 1979,

il appartient à chaque Etat membre d’établir la méthode ou le système

pour exercer le droit de vote.

                                                                                                                         

51  Marie  Thérèse  BITSCH, La construction européenne :enjeux et choix institutionnelles, Peter Lang, 2007, pp.235-239.  

52  CARDOC  Rapport  Patjin   fait  au  nom  de   la  commission  politique  sur   le  droit  de  vote  dans  les  élections  directes,  19  avril  1977,  doc.43/77  

 

  25  

Le réalisme, dont ce projet est porteur, lui vaut l’approbation soit des

parlementaires ainsi que des Etats membres qui le retiennent comme base

de négociations au sein du Conseil, pourparlers qui aboutissent à l’Acte

du 20 septembre 1976.

Si cette recherche porte sur la commission budgétaire, il ne faut pas

négliger l’apport des autres commissions parlementaires, avec lesquelles la

commission budgétaire a interagi, en vue de la démocratisation des

institutions européennes. La commission des affaires politiques et des

questions institutionnelles par exemple a fortement interagi avec la

commission budgétaire pour promouvoir l’élection directe des députés

européens au suffrage universel direct. Née en 1958,elle est fréquentée par

Michel Debré, Pierre-Henri Teitghen, Antoine Pinay ou Fernand

Dehousse. De 1958, date de sa création jusqu’à 1969, année du Sommet

de La Haye qui met dans l’agenda du sommet européen le suffrage

universel direct du PE, la commission politique propose l’investiture

directe comme le moyen pour donner au Parlement une « légitimité et une

force desquelles il tirera un pouvoir politique ».53 Les deux rapports

principaux concernant les élections directes du PE, c’est à dire le rapport

Dehousse (1960) et le rapport Patijn (1975), relèvent de la commission

politique.

Son interaction avec la commission budgétaire est évidente le 10 juillet

1975 quand sur initiative conjointe de ce deux commissions, le PE adopte

le rapport Bertrand (B/DC) sur l’Union européenne. La résolution

demande que le futur PE ,ayant désormais les pouvoirs de contrôle,

devienne au moins à titre paritaire le véritable organe législatif de la

Communauté et que un centre de décision européen, avec les fonctions de

                                                                                                                         

53   Selma Nendjaballah « Politisation du PE et commissions parlementaires.Représentativité partisane et normative », in ROZIENBERG, « Les  élections  européennes  et  le  PE  entre  influence  et  indifférence  »,  cit.p.103-107.  

 

  26  

gouvernement, indépendant des gouvernements nationaux, soit

responsable devant le Parlement .54

VII- 1976 ALTIERO SPINELLI MEMBRE DE LA COMMISSION BUDGETAIRE. LE FEDERALISME FISCAL EUROPEEN

La nécessité d’une investiture populaire du PE devient encore plus

évidente lorsque le PE obtient le contrôle de la décharge en 1978 sur

l’exécution du Fond européen de développement. Cela a encore constitué

un pas en avant dans la démarche communautaire européenne et une

occasion pour la commission budgétaire d’agir. Les députés européens ne

manquent pas de souligner que le PE, selon le traité 1975, doit donner son

appréciation au contenu de la nouvelle Convention de Lomé. 55Ce dernier

doit également participer à la budgétisation du FED, c’est à dire décider

des critères de fixation du montant global des crédits pour la coopération

financière et technique, du volume de la dotation, du régime administratif,

et financier des services de gestion. Or il s’agit d’un domaine de

compétence propre à la Commission , au Conseil , au comité du FED et au

Conseil ACP-CEE : le PE en est encore partiellement exclu. Pourtant,

devant une éventuelle renégociation de la Convention de Lomé et une

redistribution des crédits, une nouvelle légitimation des députés européens

devient de plus en plus nécessaire pour assurer une implication plus forte

du PE, puisque il est appelé à se prononcer sur la budgétisation du FED.56

                                                                                                                         

54  50  ans  d’Histoire  du    groupe  du  PPE  au  service  de  l’Europe  unie  1953-­‐2003,cit.pp.92-­‐95.  

55  CARDOC,  Rapport  fait  au  nom  de  la  commission  budgétaire  du  PE  relatif  au  contrôle  parlementaire   sur   les   opérations   financières   du   fond   européen  de   dévoloppement,   3  juillet  1978,  rapporteur  Martin  Bangemann.  

56  ibid.    

 

  27  

Tel est le climat général au lendemain du traité de 1975 : la commission

budgétaire a été à l’origine de remarquables résultats pour le PE, qui

manque encore de députés reconnus et élus par tous.

Spinelli arrive à la commission budgétaire en 1976, après une parenthèse

de cinq ans à la Commission européenne57. L’atmosphère change, il donne

du brio et de l’enthousiasme à une commission qui, après avoir obtenu le

pouvoir absolu de décharge pour le Parlement ne sait plus quelle nouvelle

stratégie d’action adopter.

L’opportunité de ce moment historique n’échappe pas au député italien, en

même temps membre de la commission budgétaire et de la commission

politique du PE depuis 1976. Il joue sur les deux tableaux, son objectif

étant d’accélérer la mise en pratique des élections directes pour le PE par

l’accroissement des compétences et des ressources de la Communauté.

Cette démarche se situe déjà à un stade avancé, Aigner ayant bien creusé le

sillon les années précédentes.

Sa perspicacité joue en sa faveur ; dans les débats, Spinelli fait preuve d’un

grand optimisme. Il apparaît alors bien éloignés de l’esprit de Santiago, le

pêcheur protagoniste du roman d’Heminguay, auquel il ne manque pas de

se comparer dans ses mémoires après l’échec de son projet pour une

Constitution européenne. Au fur et à mesure que les débats avancent , la

direction que prend l’évolution institutionnelle souhaitée depuis longtemps

par Spinelli et vers laquelle convergent désormais aussi bien les

démocrates chrétiens que les socialistes, se précise dans l’hémicycle

strasbourgeois. L’élection des députés européens devrait permettre une                                                                                                                          

 

57  Piero  GRAGLIA,  Altiero  Spinelli,  ed.Il  Mulino,  2008,  p.634.  

 

 

 

  28  

plus grande européanisation du PE par la formation de grandes forces

politiques de dimension non plus nationale mais européenne. De ce fait,

par la légitimation électorale, le PE doit devenir une institution bénéficiant

de plus de pouvoir et de poids dans le processus décisionnel.

Pour le député italien, la méthode communautaire doit être préservée. Il ne

s’oppose pas aux réunions de chefs d’Etat et de gouvernements en marge

des institutions communautaires : il semble nécessaire de chercher une

solution à l’intérieur même des institutions et de la Communauté et non

auprès des gouvernements. 58

Dans les discours de Spinelli il n’y a pas encore les limites de cette

stratégie qui par le suffrage directe du PE n’a pas colmé le deficit

démocratique, tout laissant aux débats politiques une coloration nationale.

Ces réflexions ont un certain intérêt aussi sous le profil fiscal; dans les

débats ressort que, parallèlement aux réflexions sur le suffrage universel

sont reprises des idées déjà avancées par la Commission européenne

quelques années avant, sur le fédéralisme fiscal au niveau européen.Mais

cette fois, à la fin des années soixante-dix, le contexte politique où ces

discussions avancent est bien différent, ce dernier étant marqué à la fois

par les trois événements les plus importants dans l'agenda européenne:

l'élargissement, l' approfondissement, élections directes du PE.L'ouverture

de la Communuaté à trois nouveaux membres(Grèce, Espagne,

Portugal),donc la nécessité de nouvelles ressources,59 la création du

Sistème monétaire européen,dans la perspective d'une monnaie unique,

                                                                                                                         

58  AHUE,  fond  AS,  dossier    345,Strasbourg,  26  mars  1980,  Document  de  travail  de  Spinelli  sur  les  ressources  propres  de  la  Communauté.  

59  AHUE,  fond  AS  345,  Note  de  Spinelli  ,  sans  date,  adressée  au  Conseil  et  au  PE  sur  le  parcours  à  suivre  dans  les  années  à  venir  en  matière  budgétaire.Il  faut  prendre  en  considération  des  elémets  :l’elargissement  de  la  Communauté  qui  comporte  un  augmentaion  du  budget  et  la  budgétisation  du  Fond    social  européen.    

 

  29  

rendent nécessaire et évident le lien entre politique monétaire et politique

budgétaire, car une politique monétaire efficace, élément clé de toute

intégration, demande un transfert de ressources massif des pays riches aux

pays pauvres.A cette date c'est claire désormais que à cause du caractère

évolutif de la CEE, la nature et la fonction du budget doivent faire l'objet

d'un processus continu d'adaptation aux nouvelles réalités politiques de la

Communuté. De ce fait, à la veille des élections de juin 1979, fort de ses

nouvelles prérogatives, les réflexions du PE en matière budgétaire se

dédoublent dans la compatibilité entre fédéralisme supranational et

espace régional, et dans la possibilité de concilier l'Europe des autonomies

et la pluralité des Etats avec une leadership européenne. Si l'idée de fond

qui anime les débats de la commission budgétaire dans la période 1976-

1979 remonte à Musgrave (1959) et à sa théorie sur le fédéralisme

budgétaire , selon laquelle le maximum du bien être résulte de la

centralisation de la fonction allocative et de la décentralisation de la

fonction distributive des finances publiques, il faut atteindre le rapport Mac

Dougall en 1977 pour que cette théorie franchisse le périmètre

communautaire.

C'est envers la fin de l'année 1976, que la Commission européenne confie

à un groupe d'experts une étude sur le rôle des finances publiques dans

l'intégration européenne. Ce rapport, qui est resté longtemps un document

guide dans la matière , voit fortement engagé un économiste écossais,

Mac Dougall,60 qui depuis longtemps réfléchissait autour la comparaison

des budgets des entités fédérales de l'époque, tel que les Etats Unis, la

Suisse , le Canada. Ses conclusions, attirent l'attention sur le fait que une

monnaie fonctionnant de façon harmonieuse suppose un budget

communautaire de 5 à 7% pour avoir des effets de compensation et

redistributions comparables à ceux dont bénéficient certains pays fédéraux

                                                                                                                         

60  Chief  economic  adviser  of  confederation  of  british  industry  London.  

 

  30  

comme les Etats Unis.61 Spinelli dans ses interventions au PE montre de

partager pleinement l’analyse de Mac Dougall.62

Un document qui fait surface à la suite des élections de juin 1979, dévoile

le plan et les limites du fédéraliste italien alors à la commission

budgétaire du PE. 63

Il sait bien que, la Communauté européenne peut avoir un poids politique

plus fort, à condition d'un budget commun plus important.Le fédéralisme

budgétaire est la seule voie pour couper la dynamique des egoïsmes

nationaux, qui ont bloqué le budget communautaire à 1%du PIB.

Soustraire la gestion budgétaire aux Etats, au profit d'une autorité

supranationale, implique la fin d'un certain individualisme qui conduit le

Royaume Uni à tout conditionner en fonction d'une diminution de sa

contribution nette, pas différemment des pays de l'Europe du Sud

sensibles seulement à la défense des fonds structurels et de la France, qui,

inquiète pour le juste retour, défend la politique agricole commun en

dépit des autres politiques communes.

Plusieurs fois à Strasbourg comme à Bruxelles, dans sa querelle avec les

représentants du Conseil des Etats, Spinelli a l'occasion d'affirmer sa

position par rapport à la PAC. Il souhaite à maintes reprises réduire le

budget européen de celle-ci qui fait la partie du lion, à faveur d'autres

politiques de la Communauté, considérées de deuxième rang,telle que la

                                                                                                                         

61  Rapport  Mac  Dougall  ou  «  Report  of  the  study  group  on  the  role  of  public  finance  in  european  integration  »  ,  Bruxelles,    avril  1977,  sur  le  site    ec.europa.eu/economy  –finance    

62  AHUE  fond  AS    dossier  345,PE,    procès  verbal  de  la  réunion  23  et  24  janvier  1980.  Spinelli    à  propos  du  rapport  entre    masses  financières  communautaires  et  nationales  invite  à  suivre      le  rapport  Mac  Dougall.  

63  AHUE  fond  Spinelli  dossier  AS  345,  ,Strasbourg,  26  mars  1980,  Document  de  travail  de  Spinelli  sur  les  ressources  propres  de  la  Communauté,  cit.  en  note  58.  

 

  31  

recherche ou les politiques régionales. Son attention pour la politique

régionale s'explique pour son rôle clé dans une éventuelle redistribution

budgétaire. Suivant un point de vue keynésien, le marché ne rejoint pas uns

situation optimale:le budget , utilisé de façon contra cyclique, peut

détourner les inégalités à faveur de la croissance.La redistribution des

revenus est un souci d'équité et de justice, car cette fonction sert à réduire

les desequilibres.

En tant que membre de la commission budgétaire, Spinelli se pose donc

sur la ligne de continuité du rapport Mac Dougall: le fédéralisme

budgétaire lui semble d'abord la solution la plus efficace contre le

repliement des Etats sur des politiques budgétaires nationales. Un

Parlement légitimé par le suffrage universel,est habilité à intervenir dans la

phase de contrôle comme dans l'idéation du budget et par là dans les

politiques redistributives.De ce fait, son action est une tentative de mise

en pratique de certaines idées du fédéralisme fiscal qui avant lui avaient

déjà retenu l'attention de l'hémicycle bruxellois.

Conclusions LA POLITISATION DU BUDGET,

L’EUROPEISATION, LA DEMOCRATISATION

Revenons en conclusion à notre question: est -ce que la politisation du

budget a été suivie par l'européanisation et la démocratisation du

politique?

Autrement dit, le contrôle du PE sur le budget a -t-il favorisé un processus

d'européanisation de la société civile par la synchronisation des objectifs

et des politiques financières comme par la création d'une classe politique

supranationale? Il va sans dire que, cette catégorie de contrôle, a favorisé

la création d'un espace politique de délibération et de circulation des

idées, un phénomène d'identification dans des cultures politiques

communes, et donc par l’ accroissement des competences de l’Union

 

  32  

européenne il a été evidemment un outil d’intégration et parfois de

solidarisation .64

La commission budgétaire65 de sa part, tout au long des années

soixante-dix jusqu'aux élections de juin 1979, a été fondamentale dans

l'ouverture des débats sur le budget à une compétition partisane entre

droit et gauche, qui toutefois n’a pas rempli le clivage entre les élites et

les citoyens.

Cette politisation a esquissé donc un espace politique dans un sens plus

transnational que supranational. Et l’intégration sollicitée par le contrôle

budgétaire n’a pas impliquée l’européisation du politique, étant le

domaine financier fortement marqué par l’individualisme des Etats.

Par rapport aux crises financières, les attaques de Spinelli contre le

caractère trop individualiste des Etats auraient été les mêmes dans la

crise des années soixante dix comme dans la crise d’aujourd'hui.

                                                                                                                         

64  CARDOC,  documents  de  séance  12  mars  1979,  Rapport  fait  au  nom  de  la  commission  des  budgets  sur  les  orientations  du  PE  concernant  la  politique  budgétaire  pour  l’exercice  1980.Rapporteur  M.Bangemann.  

65   Pour la reconnaissance complète du PE comme coautorité budgétaire

voir :Pascal FONTAINE, Voyage au coeur de l’Europe,1953-2009,

ed.Racine, 2009,pp. 191-199.