CALCUL D'UN ASSEMBLAGE D'UNE POUTRE À TREILLIS SUR UN POTEAU
Paganisme et christianisme à Argos au IVe et au Ve s. apr. J.-C. Résultats des fouilles sur...
Transcript of Paganisme et christianisme à Argos au IVe et au Ve s. apr. J.-C. Résultats des fouilles sur...
Actes du colloque international
organisé par la IVe EPKA et l’École française d’Athènes, 25-28 septembre 2003
Édités par Dominique MULLIEZ, avec la collaboration d’Anna BANAKA-DIMAKI
Wilhelm VOLLGRAFF
Sur les pas de Wilhelm VOLLGRAFF
Cent ans d’activités archéologiques à Argos
Directeur des publications : Dominique MULLIEZ, puis Alexandre FARNOUX
Responsable des publications : Catherine AUBERT, puis Géraldine HUE
Révision : EFA, Béatrice DETOURNAY, puis Sophie DUTHION
Numérisations : EFA, Panagiota PATIRI
Réalisation en PAO : EFA, Guillaume FUCHS
Photogravure, impression et reliure : n.v. PEETERS s.a.
© École française d’Athènes, 2013
6, rue Didotou 106 80 Athènes – www.efa.gr
Dépositaire :
De Boccard Édition-Diffusion 11, rue de Médicis F – 75006 Paris – www.deboccard.com
ISBN 978-2-86958-250-7
Reproduction et traduction, même partielles, interdites sans l’autorisation de l’éditeur pour tous pays, y compris les États-Unis.
ÉC O L E F R A N Ç A I S E D’AT H È N E S
Sommaire
Prologue
11-12
Note des éditeurs
Dominique MULLIEZ, 13-15
Rétrospective
17-30
Marcel PIÉRART
« Arrivé au train d’une heure. » Les fouilles de Wilhelm Vollgraff à Argos 31-39
Wilhelm Vollgraff 41-57
Francis CROISSANT
Cinquante ans de recherches de l’École française d’Athènes à Argos (1952-2002) 59-74
Préhistoire
Anna PHILIPPA-TOUCHAIS
Les tombes intra-muros de l’Helladique Moyen à la lumière des fouilles de l’Aspis d’Argos 75-100
Gilles TouchaisLa colline de l’Aspis à l’époque mycénienne 101-139
Céramique
141-156
157-174
Nécropoles
175-199
Philippe CHARLIER
Réexamen des squelettes d’Argos (nécropole Sud). Apport de la paléopathologie à l’évaluation de l’état de santé
des populations 201-217
Architecture
Marie-Françoise BILLOT
Quelques apports des recherches sur les toits antiques d’Argos 219-245
Jean-François BOMMELAER
Monuments argiens d’époque classique à Delphes 247-260
Épigraphie
261-274
275-301
303-314
Topographie
Patrick MARCHETTI
Argos : la ville en ses remparts 315-334
335-352
Olga PSYCHOYOS
Où il est de nouveau question du stade antique et de l’Aspis à Argos 353-372
373-392
393-403
Argos paléochrétienne et byzantine
Askold IVANTCHIK
Paganisme et christianisme à Argos au IVe et au Ve s. apr. J.-C. Résultats des fouilles sur l’agora 405-415
Jean-Michel SAULNIER
Quelques éléments sur les monnaies médiévales d’Argos 417-421
Gisèle HADJI-MINAGLOU
La Dormition de la Vierge au cimetière Sud 423-431
Poster
Laurent COSTA, Anne PARIENTE, Sandrine ROBERT
De W. Vollgraff au SIG ou l’espace argien revisité
Note des éditeurs
À trois reprises au cours des trente dernières années, les recherches archéologiques entreprises à Argos par le Service
archéologique grec et l’École française d’Athènes ont donné lieu à des bilans : en 1980, parurent les Études argiennes 1 ;
elles furent suivies en 1992 par le volume intitulé Polydipsion Argos. Argos de la fin des palais mycéniens à la constitution de
l’État classique, réunissant les communications prononcées lors d’une table ronde organisée conjointement par l’École
française d’Athènes et l’université de Fribourg en 1987 2 ; en 1998, enfin, sous le titre Argos et l’Argolide : topographie
et urbanisme, furent publiés dans la même collection que le présent volume, les actes d’une table ronde organisée à
Athènes et Argos en 1990 3.
À l’occasion du centenaire des fouilles françaises à Argos, la IVe éphorie des antiquités préhistoriques et classiques et
l’École française d’Athènes ont organisé du 25 au 28 septembre 2003 un colloque soutenu par la municipalité d’Argos
et placé sous l’ombre tutélaire de W. Vollgraff 4. Tandis que les deux derniers bilans affichaient une unité chronologique
ou thématique, le présent volume correspond davantage à l’esprit des Études argiennes par la diversité des approches, des
thèmes et des périodes concernés, ainsi que par le souci de publier des fouilles ou du matériel inédits 5. Il complète ainsi
différents aspects de l’histoire de la cité d’Argos et de son territoire et, en même temps, reflète la richesse des recherches
qui y sont poursuivies.
Dominique MULLIEZ, Anna BANAKA-DIMAKI
Je me dois d’exonérer le service des publications de l’EFA de toute responsabilité dans le trop long délai avec lequel paraît ce volume
et je lui adresse mes chaleureux remerciements pour le travail accompli dans des conditions parfois difficiles. Mais je reprendrais
également volontiers à mon compte la remarque par laquelle M. Piérart ponctuait l’introduction de Polydipsion Argos : « tous ceux
qui se sont efforcés de rassembler des études et de chercher les moyens d’en assurer la publication savent que l’éditeur [scientifique]
n’est pas nécessairement responsable des longs délais qui séparent la tenue d’un colloque de la parution de ses actes ». Sandrine
Huber, d’abord désignée pour assurer l’édition de la partie française du volume, en a réuni les contributions, mais, accaparée par
ses fonctions d’adjointe aux publications au sein de l’EFA, puis appelée à d’autres fonctions au sein de l’université française, n’a pas
pu mener le projet entamé à son terme. Lorsque j’ai par la suite fait le choix d’assurer personnellement l’édition de ce volume avec
le concours d’Anna Banaka-Dimaki, chaque auteur qui le souhaitait a eu la possibilité de mettre à jour sa contribution pour lui
conserver toute son actualité.
D. MULLIEZ
1. Études argiennes, BCH Suppl. 6 (1980). 2. M. Piérart (éd.), Polydipsion Argos. Argos de la fin des palais mycéniens à la constitution de l’État classique, BCH Suppl. 22 (1992). 3. A. Pariente, G. Touchais (éds), Argos et l’Argolide : topographie et urbanisme, Recherches franco-helléniques 3 /
3 (1998). 4. Le journal de fouilles de W. Vollgraff est accessible à l’adresse http://intranet.efa.gr/Vollgraff/index.html.
5. Aux communications ici réunies, on ajoutera pour la partie épigraphique l’article de Cl. Prêtre, « Une nouvelle mention des synèdres dans un décret de proxénie argien inédit », Tekmeria 8 (2004), p. 71-83.
Paganisme et christianisme à Argos au IVe et au Ve s. apr. J.-C. Résultats des fouilles sur l’agora
Askold IVANTCHIK
RÉSUMÉ
Des monuments fouillés sur l’agora livrent des informations importantes sur la vie religieuse à Argos au IVe et au début
du Ve s. apr. J.-C. Le paganisme conserva ses positions dans la ville au moins jusqu’à la fin du IVe s. et les sanctuaires
païens de l’agora n’ont été détruits que dans les dernières années de ce siècle. Les Argiens non seulement utilisèrent les
anciens sanctuaires païens, mais en construisirent même de nouveaux vers le milieu du IVe s. Les objets à symboles chré-
tiens ne furent pas très demandés par la population jusqu’au milieu du Ve s. : ces symboles n’apparaissent sur les disques
des lampes qu’à cette époque. Au début du Ve s., les pratiques magiques trouvaient encore nombre d’adeptes, malgré
leur condamnation directe et sans équivoque par l’Église. La forme dominante des rites magiques à Argos, aussi bien
qu’à Corinthe voisine, comprenait l’utilisation de lampes et du feu ; des tablettes d’envoûtement (defixiones) étaient
également utilisées.
SUMMARY Paganism and Christianity at Argos in the 4th and 5th c. AD. Results from the excavations in the agora
The excavated monuments of the agora provide important information on religious life at Argos in 4th and beginning
of the 5th c. AD. Paganism retained its position in the city at least until the end of the 4th c. and the pagan sanctua-
ries were not destroyed until the final years of the century. The Argives not only used the ancient pagan sanctuaries,
but even constructed new ones towards the middle of the 4th c. Objects with Christian symbolism were not in great
demand among the population until the middle of the 5th c.: these symbols do not appear on the discs of lamps until
this time. At the beginning of the 5th c., magical practices still found numerous takers, despite their explicit and une-
quivocal condemnation by the Church. The dominant form of magic rites at Argos, as well as at neighbouring Corinth,
involved the use of lamps and fire; spell tablets (defixiones) were also used.
Askold IVANTCHIK — PAGANISME ET CHRISTIANISME À ARGOS AU IVe ET AU Ve S. APR. J.-C. RÉSULTATS DES FOUILLES SUR L’AGORA
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L es fouilles sur l’agora d’Argos ont fourni des données très variées, qui touchent à des aspects fort divers de la
vie de cette cité à travers toute l’Antiquité. L’observation vaut non seulement pour les périodes anciennes, mais
également pour l’Antiquité tardive, soit la période qui correspond aux ultimes années d’existence de l’agora. L’une des
dernières constructions bâties sur l’agora est un puits creusé près du bâtiment C au milieu ou dans la seconde moitié
du IVe s. apr. J.-C. (fig. 1). Le puits fut abandonné au moment où l’agora cessa de fonctionner et où la plus grande partie
de ses constructions fut détruite, soit dans les dernières années du IVe s. Il fut ensuite très rapidement comblé par un
matériel très varié 1, qui jette une lumière nouvelle sur divers problèmes, notamment sur la situation religieuse à Argos
à la fin du IVe et au début du Ve s. apr. J.-C.
Le comblement de ce puits permet ainsi de confirmer la thèse selon laquelle le paganisme se maintint à Argos au
moins jusqu’à la fin du IVe s. et qu’à cette date encore, les sanctuaires païens, au moins autour de l’agora, continuaient à
fonctionner. Ces sanctuaires concentrés dans la région de l’agora constituaient sans doute un centre religieux important.
Malgré le soutien de l’État, les chrétiens ne réussirent à le détruire — et donc à porter au paganisme un coup décisif —
que dans les dernières années du IVe s.
La destruction de l’agora et de ses bâtiments est d’ordinaire liée, au demeurant à juste titre, à l’invasion des Goths
en 396. La prise d’Argos par Alaric est, en effet, attestée par des sources écrites, entre autres par Zosime (5.6.4). Les
Goths d’Alaric étaient chrétiens (ariens), ce qui retient rarement l’attention des chercheurs, et il est fort probable que
les sanctuaires païens, qui étaient encore assez nombreux en Grèce, notamment à Argos, furent pour eux une cible
privilégiée. Cette sanction religieuse ne contredisait évidemment pas le motif principal des invasions qu’était le pillage,
bien au contraire. La destruction des sanctuaires païens par les Goths à la fin du IVe s. eut cependant des conséquences
beaucoup plus graves que les destructions analogues de l’époque précédente. En effet, les habitants des cités grecques
n’avaient plus le droit de reconstruire les sanctuaires détruits. Bien qu’ils n’ordonnassent pas la destruction ou la fermeture
des sanctuaires païens qui fonctionnaient encore, les édits impériaux, notamment l’édit de Théodose de l’an 392,
interdisaient explicitement la reconstruction des sanctuaires déjà détruits. Les Argiens ne pouvaient donc restaurer les
sanctuaires de l’agora détruits par les Goths d’Alaric en 396 sans violer directement l’édit impérial. En revanche, en
s’appuyant sur cet édit, les chrétiens locaux purent achever leur œuvre de destruction et démontèrent définitivement
ce qui restait encore des sanctuaires de l’agora après l’incursion d’Alaric. L’action des envahisseurs barbares et celle du
pouvoir central de l’Empire coïncidaient donc dans ce cas de façon curieuse, en se renforçant l’une l’autre, ce qui permit
aux chrétiens d’Argos de donner le coup de grâce au paganisme local. Le matériel de comblement du puits fouillé sur
l’agora illustre l’acharnement particulier avec lequel cette destruction fut accomplie, ce qui témoigne indirectement de
la force des positions du paganisme dans la ville.
L’un de ces témoignages est représenté par une plaque de marbre de grande qualité, qui a conservé une partie de
l’inscription portant une dédicace du temple d’Héra, reconstruit par Hadrien après un incendie. L’inscription a été
initialement gravée sur quatre plaques semblables, qui se trouvaient probablement sur la façade de ce même temple
et qui y demeurèrent jusqu’au moment de sa destruction. Une des plaques, qui faisait partie de la même inscription,
a été trouvée par W. Vollgraff dans ses fouilles du théâtre en 1930 2 (SEG 11.340) ; deux autres ont disparu. La
quatrième plaque a été brisée en 17 petits fragments, tous trouvés dans le puits (fig. 2). Le fait que tous les fragments
furent rassemblés et jetés ensemble dans le puits prouve que la plaque fut brisée intentionnellement. Il est intéressant
de noter à ce propos que c’est la plaque jetée dans le puits qui porte le nom d’Héra et qu’un des premiers coups de
1. Voir A. IVANTCHIK, « Un puits de l’époque paléochrétienne sur l’agora d’Argos », BCH 126 (2002), p. 331-413 (avec une annexe de M.-D. Nenna
sur la vaisselle en verre [p. 405-409] et une annexe de M.-Fr. Billot sur les terres cuites architecturales [p. 410-413]).
2. Pour la publication des deux plaques ensemble, voir M. PIÉRART, « Une dédicace partiellement inédite d’un temple d’Héra (SEG 11.340 +) »,
BCH 119 (1995), p. 473-477.
408
Sur les pas de Wilhelm Vollgraff. Cent ans d’activités archéologiques à Argos
l’outil qui la brisa a justement frappé ce nom. On peut supposer que les responsables de la destruction du temple,
après avoir enlevé de sa façade les plaques portant l’inscription impériale, décidèrent de réutiliser comme matériau de
construction une partie d’entre elles, notamment la plaque trouvée par W. Vollgraff, ce qui correspond parfaitement
à la pratique habituelle. Ils ont cependant fait une exception pour la plaque qui portait le nom de la déesse païenne
haïe : ils ne l’ont pas réutilisée comme les autres, mais ont préféré la briser en petits morceaux qu’ils ont jetés dans un
puits abandonné.
Le comblement du puits contenait également les têtes mutilées de deux statues de marbre (fig. 3-4), ainsi qu’un
buste de Sarapis (fig. 5). Les statues païennes ont été selon toute vraisemblance intentionnellement décapitées lors de la
destruction des sanctuaires de l’agora et leurs têtes jetées dans le puits. D’autres éléments des bâtiments détruits furent
également jetés dans le puits au même moment, dont les plaques de revêtement de marbre, des fragments de vitres et
de terre cuite architecturale. C’est en fait le grand nombre de ces fragments architectoniques jetés dans le puits presque
simultanément qui explique son remplissage très rapide.
La vivacité des cultes païens à Argos au IVe s. est également attestée par un autre ensemble découvert sur l’agora.
Il s’agit d’un foyer monumental découvert par A. Pariente sur le terrain Karmoyannis, dans le secteur Nord-Ouest
de la zone fouillée de l’agora 3. Le foyer est constitué d’une fosse d’environ 6,50 m × 2,60 m, entourée d’un enclos
qui remployait une partie des bornes de l’Hérôon des « Sept contre Thèbes », datant de l’époque archaïque (fig. 6).
L’utilisation de ce foyer fut intensive, comme l’atteste la croûte de terre très cuite qui en composait le fond et les
bords. Le foyer fut construit sans doute au milieu du IVe s., ou un peu avant, et fut utilisé jusqu’à la destruction des
autres établissements de l’agora à la fin de ce même siècle ; il était rempli de cendres et de bûches calcinées du dernier
feu allumé. Le caractère cultuel de ce foyer installé sur la place publique ne fait aucun doute ; il s’agit donc d’un des
derniers établissements de culte païen construits à Argos et peut-être dans toute la Grèce. M. Piérart, A. Pariente et
J.-P. Thalmann 4 supposent qu’il s’agit du dernier avatar du foyer sacré dédié au culte de Phoroneus, une institution
religieuse argienne mentionnée par Pausanias dans sa description du sanctuaire d’Apollon Lycien. Cette hypothèse est
très convaincante. Quoi qu’il en soit, il est clair que les Argiens non seulement utilisèrent les anciens sanctuaires païens
durant tout le IVe s., mais aussi en construisirent de nouveaux vers le milieu de ce même siècle, ce qui témoigne de
l’importance et de la persistance des traditions païennes dans la ville.
Le comblement du puits, qui date du premier quart ou plus probablement de la première décennie du Ve s.,
permet de tirer également des conclusions sur la situation religieuse à Argos à cette époque, c’est-à-dire dans la
période qui suit immédiatement la destruction de l’agora et de ses sanctuaires ainsi que sur la victoire définitive
du christianisme dans la ville. Il contient une centaine de lampes, qui constituent probablement un échantillon
suffisamment représentatif des lampes utilisées par la population argienne à cette époque. Notons qu’une seule de ces
lampes porte sur son disque un symbole indubitablement chrétien : une croix 5 (fig. 7) ; l’ornementation des disques
et des bords des autres lampes suit les traditions plus anciennes : ce sont différents motifs végétaux et géométriques,
le plus souvent des rosettes, plus rarement des représentations figurées, y compris de coït. Cette distribution des
motifs ornementaux témoigne sans aucun doute des préférences des consommateurs argiens. La majorité des lampes
argiennes ne porte aucune signature sur le fond, mais certains ateliers ornaient le fond de leurs lampes de signatures
mentionnant le plus souvent le nom du propriétaire, complet ou abrégé. Ainsi, parmi les lampes argiennes des
IVe-Ve s., notamment dans le remplissage du puits, le groupe le plus répandu comprend les lampes signées sur le
fond par Ilaros et Khionès 6. Un des ateliers locaux produisait cependant des lampes sur lesquelles la signature était
remplacée par un monogramme chrétien — une croix couronnée par un rho, et entourée par un alpha et un omèga
(fig. 8) —, connu comme staurogramme, fréquent à l’époque paléochrétienne 7 : il ne fait aucun doute que cet
atelier appartenait à un chrétien, particulièrement pieux, voire militant, puisqu’il a remplacé sa signature personnelle
3. A. PARIENTE, « Le monument argien des “Sept contre Thèbes” », dans M. PIÉRART (éd.), Polydipsion Argos. Argos de la fin des palais mycéniens à la constitution de l’État classique, BCH Suppl. 22 (1992), p. 195-196.
4. Ibid., p. 196 ; A. PARIENTE, M. PIÉRART, J.-P. THALMANN, « Les recherches sur l’agora d’Argos : résultats et perspectives », dans A. PARIENTE,
G. TOUCHAIS (éds), Argos et l'Argolide : topographie et urbanisme, Recherches franco-helléniques 3 (1998), p. 221.
5. A. IVANTCHIK (n. 1), p. 368, no 50, fig. 10.
6. Ibid., p. 341-342, 358-363.
7. Voir F. J. DÖLGER, « Beiträge zur Geschichte des Kreuzzeichens. III », Jahrbuch für Antike und Christentum 3 (1960), p. 5-14.
Askold IVANTCHIK — PAGANISME ET CHRISTIANISME À ARGOS AU IVe ET AU Ve S. APR. J.-C. RÉSULTATS DES FOUILLES SUR L’AGORA
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par un symbole chrétien. Le remplissage du puits contenait des fragments de quatre lampes de ce groupe 8. Relevons
que l’ornementation des disques des lampes de cet atelier ne se distingue en rien de celle des autres : elle porte les
mêmes rosettes et est dépourvue de symboles chrétiens. On peut penser que l’atelier prenait en compte, en premier
lieu, les goûts des consommateurs et que les lampes à symboles chrétiens n’étaient pas très demandées ; le propriétaire
de l’atelier se limitait pour cette raison à n’apposer ce symbole que sur le fond, non visible lors de l’usage habituel de
la lampe et souvent orné d’une signature. Les intérêts économiques ont sans doute prévalu dans ce cas sur le désir de
servir à la propagation de la religion chrétienne. Dans le même matériel de comblement du puits, le fond d’une autre
lampe est orné d’une croix faite de points en relief, mais son disque n’est décoré d’aucun symbole chrétien 9 (fig. 9).
Relevons que la seule lampe du comblement ornée d’une croix sur le disque en porte une autre sur le fond, cette
fois composée de quatre branches. La situation ne change qu’au cours de la seconde moitié du Ve s., où les lampes à
disque décoré d’une croix deviennent alors très courantes à Argos.
Le matériel de comblement du puits révèle d’autres aspects de la vie religieuse à Argos au début du Ve s., après la
destruction de l’agora et de ses sanctuaires. Il témoigne, en effet, que la foi en la force de la magie était très répandue
à cette époque et que les rites magiques qui y étaient liés furent largement pratiqués. Il est bien connu que l’Église
chrétienne condamna dès l’origine les pratiques magiques. On ne peut cependant assurer que la magie n’a été pratiquée
que par les seuls païens : la position officielle de l’Église et la pratique quotidienne des paroissiens ne sont jamais
en parfaite adéquation. La magie, on le sait, n’a pas disparu et existait également dans l’Europe médiévale, où le
christianisme régnait pourtant sans partage. Il est donc bien possible qu’un certain nombre de chrétiens aient pratiqué
des rites magiques aux côtés des païens.
Tout comme les tombes, les puits abandonnés comptaient parmi les lieux favoris des pratiques magiques. On
pensait vraisemblablement que, comme les tombes, les puits abandonnés assuraient un accès direct au monde de
l’au-delà. Ainsi, des papyrus magiques du IVe s. (Pap. Lond. 46 : 345) prescrivent explicitement de placer la tablette
portant un texte d’envoûtement dans une tombe ou dans un puits abandonné (eij" frevar ajcrhmavtiston) pour la rendre
efficace 10. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle on trouve le plus souvent les tablettes de plomb portant des
textes d’envoûtement (defixiones) dans des puits : à peu près un tiers des tablettes de ce type dont le lieu de trouvaille
est connu provient d’un tel contexte 11. Des tablettes d’envoûtement ont été trouvées dans plusieurs puits de l’agora
d’Athènes, dont l’un renfermait quarante-cinq tablettes et plusieurs fragments 12. Le puits d’Argos contenait également
sept fragments de tablettes de plomb, dont trois portaient des restes d’inscriptions. Malheureusement, les tablettes
sont tellement mal conservées que leurs inscriptions n’ont pu être lues ; compte tenu du contexte de trouvaille et des
nombreux parallèles, il ne fait cependant aucun doute qu’il s’agit de tablettes d’envoûtement.
Le comblement du puits offrait encore une autre particularité : le grand nombre de lampes entières ou en fragments,
qui dépasse de loin leur concentration moyenne dans les niveaux de l’agora. Au reste, on jeta dans le puits le plus
souvent des lampes complètes et non des fragments : nombre de ces lampes ont été retrouvées intactes, d’autres ont pu
être recollées ; cela exclut l’hypothèse que les lampes cassées ont été jetées avec des déchets dans le puits abandonné : les
lampes entières et parfaitement utilisables y ont été mises intentionnellement. Compte tenu de la présence dans le puits
des tablettes d’envoûtement, qui témoignent sans aucun doute possible de son utilisation pour des activités magiques,
on peut expliquer de la même façon la présence des nombreuses lampes. En effet, l’utilisation des lampes dans les
pratiques magiques est bien attestée, notamment dans les papyrus magiques, qui décrivent une dizaine de rites dans
lesquels les lampes jouent un rôle essentiel 13. Un parallèle archéologique très proche est fourni dans la région voisine,
8. A. IVANTCHIK (n. 1), p. 366, nos 31-34, fig. 8.
9. A. IVANTCHIK (n. 1), p. 368, no 51, fig. 10.
10. K. PREISENDANZ, Papyri graecae magicae. Die griechischen Zauberpapyri 1 (1928), p. 192 ; 2 (1931), p. 20 (VII : 450-451).
11. K. PREISENDANZ, « Fluchtafel (Defixion) », Reallexikon für Antike und Christentum. Sachwörterbuch zur Auseinandersetzung des Christentums mit der Antiken Welt 8 (1972), p. 6 ; D. R. JORDAN, « Defixiones from a Well near the Southwest Corner of the Athenian Agora », Hesperia 54
(1985), p. 207-211 ; id., « A Survey of Greek Defixiones not Included in the Special Corpora », GRBS 26 (1985), p. 152 ; J. G. GAGER, Curse Tablets and Binding Spells from the Ancient World (1992), p. 18. Voir, avec des parallèles de cet usage, W. Sh. FOX, « Submerged Tabellae
Defixionum », AJPh 33 (1912), p. 301-310.
12. G. W. ELDEKIN, « An Athenian Maledictory Inscription on Lead », Hesperia 5 (1936), p. 43 ; D. R. JORDAN, n. 11 (1985), p. 205-255.
13. Pour le rôle des lampes dans les rites magiques, voir S. EITREM, « Dreams and Divination in Magical Ritual », dans Ch. A. FARAONE, D. OBBINK
(éds), Magika Hiera. Ancient Greek Magic and Religion (1991), p. 176-187 ; J. J. WINKLER, « The Constraints of Eros », ibid., p. 224-226.
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Sur les pas de Wilhelm Vollgraff. Cent ans d’activités archéologiques à Argos
à Corinthe, par la fontaine du secteur du gymnase dite « fontaine des lampes », datée de la même époque et fouillée
à la fin des années 1960 14. Elle alimentait les thermes d’époque hellénistique et romaine en eau et fut abandonnée
après sa destruction par le tremblement de terre de 375 ou par les Goths en 396. À partir de cette époque et jusqu’à
son abandon définitif, au milieu ou au troisième quart du VIe s., la fontaine mise hors d’usage servit à des pratiques
magiques. Les trouvailles remontant à cette époque consistent principalement en lampes : on en a trouvé 4 000, ce qui
a valu à la fontaine de prendre le nom de « fontaine des lampes ». L’utilisation magique des lampes est confirmée dans
ce cas par la présence, sur quatre d’entre elles, d’inscriptions contenant des incantations. Une des lampes trouvées dans
le puits d’Argos portait également une inscription à l’encre noire ; malheureusement, son état de conservation est très
médiocre, seules quelques lettres sont conservées et l’inscription n’a pas pu être lue 15. Il s’agit sans doute également d’une
incantation. Quatre tablettes de plomb portant des textes d’envoûtement (defixiones) ont également été trouvées dans la
fontaine corinthienne. Un autre parallèle est fourni par un puits fouillé dans le sanctuaire de Déméter à l’Acrocorinthe ;
il contenait également de nombreuses lampes, mais aucune tablette d’envoûtement n’y a été découverte 16. Le faible
nombre de tablettes d’envoûtement par rapport à l’abondance des lampes aussi bien dans la fontaine de Corinthe que
dans les puits d’Argos et de l’Acrocorinthe suggère que la forme dominante des rites magiques dans les deux villes, au
Ve s., comprenait l’utilisation de lampes et du feu.
Concluons en disant que plusieurs types de matériel provenant de l’agora témoignent de l’activité des sanctuaires
païens à Argos jusqu’à la fin du IVe s. Non seulement à cette époque les Argiens utilisaient encore les vieux sanctuaires,
mais ils construisirent de nouveaux lieux de culte, cela même à l’époque post-constantinienne. Ce ne fut que l’invasion
des Goths, précédée de peu par l’interdiction impériale de reconstruire les sanctuaires détruits, qui donna le coup de
grâce au paganisme argien. La rareté des symboles chrétiens sur les lampes indique que les goûts de la majorité de
la population argienne restèrent les mêmes jusqu’au milieu du Ve s. ou ne changèrent que très peu sous l’influence
du christianisme. Enfin, on peut assurer que les pratiques magiques, au moins au début du Ve s., trouvaient nombre
d’adeptes à Argos, malgré leur condamnation directe et sans équivoque par l’Église.
14. J. WISEMAN, « Excavations in Corinth, the Gymnasium Area, 1967-1968 », Hesperia 38 (1969), p. 75-78 ; ead., « The Fountain of the Lamps »,
Archaeology 23 (1970), p. 130-137 ; ead., « The Gymnasium Area at Corinth, 1969-1970 », Hesperia 41 (1972), p. 9-33 ; K. S. GARNETT, « Late
Roman Corinthian Lamps from the Fountain of the Lamps », Hesperia 44 (1975), p. 173-206.
15. A. IVANTCHIK (n. 1), p. 370, no 54, fig. 11.
16. N. BOOKIDIS, R. STROUD, The Sanctuary of Demeter and Kore. Topography and Architecture, Corinth 18.3 (1997), p. 332-336.
Askold IVANTCHIK — PAGANISME ET CHRISTIANISME À ARGOS AU IVe ET AU Ve S. APR. J.-C. RÉSULTATS DES FOUILLES SUR L’AGORA
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Fig. 1. — Secteur à l’Est du monument C et puits de l’agora d’Argos, à l'intersection des carrés AX 81-82.
Fig. 2. — Plaque de marbre avec une dédicace du temple d’Héra.
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Sur les pas de Wilhelm Vollgraff. Cent ans d’activités archéologiques à Argos
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Fig. 3. — Tête de statue.
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Fig. 4. — Tête de statue.
Fig. 5. — Buste de Sarapis.
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Sur les pas de Wilhelm Vollgraff. Cent ans d’activités archéologiques à Argos
Fig. 6. — Plan du foyer monumental fouillé sur le terrain Karmoyannis.
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Fig. 7. — Lampe ornée d’une croix sur le disque.
Fig. 8. — Lampe avec un staurogramme sur le fond.
Fig. 9. — Lampe ornée d’une croix sur le fond.
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