“Maria Parda: le vin des étoiles”, Quadrant, n° 13, Université Paul Valéry – Montpellier3,...

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Transcript of “Maria Parda: le vin des étoiles”, Quadrant, n° 13, Université Paul Valéry – Montpellier3,...

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QUADRANTN° 13-1996

Centre de Recherche en Littérature de Langue Portugaise

IHIHIIMHimimiHmllUimtfUliriMIHIIlmillimiMtlUlHItlIIIIItlIUHI

Université Paul-Valéry-Montpellier I

QUADRANTN° 13 -1996Centre de Recherche enLittérature de Langue PortugaiseUniversité Paul-Valéry - Montpellier III

MARIA PARDA : LE VIN DES ÉTOILES

i Hi, hi ! Veis, mené el vino in quo est luxuria1.

Quedaos adios, que voyme solo parque me hazés déniera con vuestrobesar é retoçar. Que aun el sabor en las enzfas me quedô : no lo perdîcon las muelas2.

Parmi les mystères que recèle la Copilaçam, le Pranto de Maria Pardan'est certainement pas des moindres. Cette œuvre, qui a visiblement reçu l'ad-hésion du public - ne figure-t-elle pas au nombre de celles qui ont connu leplus de rééditions3 ? -, a tout aussi visiblement inspiré la critique vicentine.Intrigués par ce personnage haut en couleur, à l'identité énigmatique, les exé-gètes ont épuisé leur plume à se demander qui peut bien être cette femme pit-toresque et, en corollaire, quelle peut bien être la signification profonde de saPlainte. S'agissant de la première de ces questions, il est probable que le der-nier mot n'a pas été dit, tant il vrai que l'on n'a pas encore réussi à s'entendresur le sens exact de l'adjectif Pardo, qui lui sert de patronyme4. Pour ce qui estde la seconde, en revanche, un premier pas semblait avoir été franchi avecl'étude de Luciana Stegagno Picchio en 19635. Dans le sillage d'Oscar dePratt6, celle-ci eut en effet l'idée de faire le rapprochement entre la date derédaction de ce testament - 1522, si l'on en croit le texte7 - et la funeste année1522 marquée par le deuil, la famine et la peste. C'est, selon elle, dans ce cli-mat dramatique que naît la Plainte. Et Luciana Stegagno Picchio d'en déduire :De l'angoisse générale, le poète ne veut retenir que le côté bouffon. Libre

momentanément de ses devoirs de directeur de troupe royale, il entrevoit dansla famine qui afflige le pays et dans le renchérissement du vin à Lisbonne uneidée pour une composition burlesque*. Ainsi donc, Maria Parda ne serait pasune simple ivrognesse dont le désespoir prête à rire, mais la figure symboliquequi prétend représenter la précarité de toute une population : Derrière MariaParda on entend le chœur des autres ivrognes, le mal de toute une ville assié-gée par la faim et la soif9.

Son hypothèse était déjà séduisante. Dans son ouvrage intitulé GilVicente : o autor e a obra, Paul Teyssier franchit un pas supplémentaire enfaisant de notre ivrognesse un personnage du monde à l'envers : le Pranto deMaria Parda devient alors une parodie de la faim10 ; tel est le titre de l'un deschapitres de cette étude. J'ai été moi-même parfaitement convaincue par cetteanalyse de l'œuvre11. Je ne vais d'ailleurs pas la remettre fondamentalement encause aujourd'hui. Toutefois, l'orientation prise par mes recherches ces der-nières années m'ayant sans doute permis de recueillir des éléments nouveaux,tout à fait susceptibles de compléter cette approche, je proposerai de réexami-ner la Plainte à la lumière, en effet, du inonde à l'envers et des codes qui lerégissent.

Le pacte de connivence

Selon cette hypothèse, le Pranto de Maria Parda repose tout entier surun jeu dont la pratique était courante à cette époque et dont on retrouve desmanifestations dans toutes les grandes littératures européennes. Celui-ci pour-rait bien se fonder sur ce que j'appellerai un "pacte de connivence"12 entredeux partenaires. Les règles du jeu, connues des deux parties, sont les sui-vantes : un meneur de jeu mystificateur, virtuose du langage, possédant lesecret des mots, avec lesquels il sait jongler, doit s'évertuer à brouiller lescartes autant que faire se peut ; face à lui, un adversaire, spectateur, ou lecteur,conscient de jouer le rôle de dupe, mais qui sait aussi dans quelle direction ilfaut chercher, se tient perpétuellement en éveil pour éviter les embûches etpercer le maximum d'énigmes : à la clef, le rire, dont l'intensité dépendra de saclairvoyance. S'il m'est permis de prendre un exemple moderne pour clarifiermon propos, ce jeu de devinettes m'a fait penser à cette rubrique du Canardenchaîné intitulée L'album de la Comtesse. Pour les profanes, les quelquesphrases qui constituent L'album de la Comtesse ont un sens, tout en étant tota-

âto oc maria pardapozqùe Dto»nw0*>c XÀrboa cotntam podco0r«mc0 nas

Çbotïnbotamcito,

CEu foo quero pîantearcfamalqucamutoe tocaqucftoufa comoque pofcramfa fecarSrifte odauenturaoaque rain aka cfla acanaosp n rg n u conio a 0 dïrdlaa

oqrcae babas PC faon£*rpi) vos bciço* copaocrfque/a la varn meus focapos

on ton bdx fc* mannlfriqmccoftou pouscrujaooflb

rfojramcirc'i.rra rite

«iïv ffhi 9 oc foae mcfm*

Première page du Pranto de Maria Parda,

publication contemporaine de l'auteur

lement dénuées d'intérêt. En revanche, pour les initiés qui possèdent le coded'accès à la contrepèterie, elles présentent un intérêt ludique évident. Le jeu,toutefois, s'exerce à des degrés divers et le résultat sera plus ou moins satisfai-sant, selon que le joueur sera plus ou moins perspicace. Le rire n'est donc pastoujours au rendez-vous, mais il y a de fortes chances pour que les lecteurs lesplus entraînés soient aussi les mieux récompensés. Eh bien, il en va de mêmedans le cas qui nous occupe, à cette différence près qu'il s'agit ici de décrypternon pas des contrepèteries mais des sous-entendus gaillards. Qu'il soit écrit ouporté à la scène, le texte régi par l'accord tacite que je viens d'évoquer doitainsi faire l'objet d'une interprétation à deux étages, voire plus.

Comme nous allons le voir, le Pranto de Maria Parda répond à cesexigences et le public d'alors, rompu qu'il était à ces exercices qu'il affection-nait, était à même de dépasser le premier stade de compréhension, à savoirl'histoire bien anodine d'une soularde forte en gueule13, poussant sa plainte àtravers les rues populaires de Lisbonne parce qu'elle souffre du manque de vin.D pouvait donc rire d'autre chose que des simples effets cocasses résultant dudécalage entre le désespoir clamé et les causes peu sérieuses qui le motivent.Peut-être établissait-il également le lien entre la misère ambiante et la calami-teuse situation de Maria Parda, et peut-être le rire lui permettait-il de conjureret d'exorciser le drame1* de sa propre faim et de sa propre souffrance. Mais cequi pour moi ne fait pas l'ombre d'un doute, c'est que Gil Vicente a envisagépour ce texte une autre dimension qui transportait son auditoire au comble del'hilarité. S'il en va différemment aujourd'hui, la raison n'en est pas, loin s'enfaut, que nous ne rions pas des mêmes plaisanteries piquantes, mais bien plutôtque leur sens nous échappe. Aussi, la compréhension de la Plainte, telle quecelle-ci était appréhendée par le public de l'auteur-acteur Gil Vicente, exige-t-elle au préalable tout un réapprentissage.

Sous le signe du burlesque

Qui connaît un tant soit peu les codes langagiers mis en œuvre par lesécrivains burlesques ne peut pas ne pas être frappé d'emblée par l'importanteconcentration de mots équivoquables présents dans le Pranto de Maria Parda.On y passe ainsi des registres de l'appétit, du boire et du manger, du vin et desvignes, de la soif, de l'eau et des récipients, aux registres du sacré, du feu, dufilage...; s'y expriment encore les traditionnelles oppositions sécheresse/ hu-

O B R A S DO Q. V I N T O L I V R O -

midité, lumière/ obscurité, tristesse/joie, suspectes, elles aussi, ainsi qu'unetoponymie sur laquelle il convient certainement de s'interroger ; enfin, il n'estjusqu'aux différents nombres cités et aux noms des tenanciers qui ne soientconnotés. Ce phénomène d'accumulation, qu'il m'a déjà été donné de constater,à des degrés divers, dans les autres passages que j'ai étudiés sous cet angle, àsavoir les saynettes où interviennent le Justiça Mayor et la Jeune Fille, dansFloresta d'Enganos^, le Forgeron et la Boulangère, dans Triunfo do Invernol6,et les deux Gentilshommes, dans la Farsa dos Almocreves11, devrait nousmettre en garde, car c'est un indice qui ne trompe pas et qui signale d'emblée leregistre ludique du texte : à mon sens, le Pranto de Maria Parda ne peut êtrepris au sérieux mais doit être considéré comme un jeu destiné à provoquer cerire gratuit des chansons de carnaval ou d'après banquet, tant au goût del'époque. Il semblerait, à cet égard, qu'une attention suffisante n'ait pas étéaccordée au fait que cette Plainte n'est pas comparable aux autres textes de laCopilaçam. Il ne s'agit pas d'une pièce de théâtre, jouée devant un public offi-ciel. La cour était alors en deuil et Gil Vicente se voyait, pour un temps, libéréde ses obligations de dramaturge au service du monarque. Tout porte donc àcroire que cette déploration se destinait à un divertissement d'ordre privé et,comme le fait judicieusement observer Luciana Stegagno Picchio, on imagineassez bien Gil Vicente représentant lui-même ces trovas devant un joyeuxcercle d'amis18. C'est bien dans cet esprit qu'il convient, à mon avis, d'interpré-ter cette composition.

Une singulière remarque, parmi bien d'autres distillées dans l'ensembledu Pranto, constituera le point de départ de la démonstration que les pages quisuivent se proposent de faire. Alors qu'elle déambule dans les rues deLisbonne, réclamant du vin à cor et à cri, Maria Parda formule soudain cetterequête :

[...] Emprestai-me do azeite,que se me seca a manda !Até que haja dinheiro,fiai que pouco requeiro ;duas canadas bem puras,par nâoficar as escuras,que se m'arde o candieiro™.

quando vimleeba coitePtocuvoeoeroefmayobffoboocmoçapaio.

^"Eomardo fcefleevafculboBqueplntampollaaparedeabue aa vclla oucroe la vedeei tapay efTee angulboealfiqueopoufadefzo

Suevoepoôemtaloermayoloquereievedarçapayo.

CDe G il Vicente em nome de Mariaparda Fazendopranto porquc vio as ruas de Lixboa comtam poucos ramosnas taucrnas & o vinho tam caro fitella nam podia viuer fcm elle.

HEufooquero pîanttareftemalqueamuytoetocaq ueftou (a como minbocaquepoferamafecar.Êrtftcoefauencuradaquetamaltaeflaaa canadapara ml como aa eftrdlaaoocoytadaa oeguellaaoo guellae oa cor tada.

• Ertfte oefdentada efcuraquemmetrourcaraeg

t>ey cai babas oe fecura .Carptf voe beyçoacoytadoaque |'a la vam meuetoucadoaîbacmcaTbafraldilbaontf m bebi ba mantilbaquemecuftou oouacn^ados.

aflïeflaa oafbztemefmacomoaltarea oecoiefinaÏHQ maluae novtnm.(Huem leuouteue crinta ramosi bomfumaiw bebamos

iflobacadabocadinbobo vmbo inano ineu vtnboque maa o:a ce goflamoo.

^"/0 trauetTa }tngui5arraoc mata po:cos efcuracomo eftaas oe maa vmturafem ramoa De barraa barra.T^ozquctéebatantos oiaaaatuaepipaa vajiaeos confia fecosempeeoutetoznafleguineeou bo barco oaaenguiaa .

f Eriftequemnamcegaemvernascarnecertae vclbaemuftaafardinbas nasgrxlbaomasooemo baoebeberT agow que efUm erçuidaaaecoycadaeoollozidaeDaapipaelimpaaoaboiraa cbegou ba pÔ3 com pozraoecreçeroti ae medida0.

ondeaa poztaeerammafecomo eftaae cbca ce guaias*com tanta lonça vajia .5ameamtaconKçeonamenbâque ©toe naçeoaabonrratwnaçimcnrobeber alibum oeçentoquenunca mate parce, eo.

quefareyrrquefaraequando vos vitalecborefîtomey me po: oetraequefoy oevofTobomvinboïcantoramooepinbolaranja,papel,î canaoadebebemoe Joanat eu^ento i bum cinquinbo.

tauernao oa ribeyianam vos vera a voe ninguemmofquitoeboveram qiKvcmpozquefereisareeyja.

Début du Pranîo de Maria Parda, Copilaçam de todalas obrasde Gil Vicente, Lixboa, loam Aluarez, 1562, fol. CCLIX v°.

Il est pour le moins curieux que ces quelques vers n'aient pas éveillé lemoindre soupçon. Que viennent donc faire l'huile, la mèche, la lampe et \obs-curité dans ce qui se veut une histoire de dipsomanie ? Le fait que la questionn'ait jamais été soulevée est d'autant plus étrange que, à en croire une enquêteque j'ai commencé à réaliser, Vazeiteiro demeure, aujourd'hui encore, un de cespersonnages consacrés par la tradition en tant que séducteurs de passage20.Pour être clair, il est aux histoires portugaises ce que le plombier et le facteursont aux histoires françaises. C'est une réputation qui se comprend assez bien,dans le cas présent, puisque, par définition, il vend son huile. L'emploi de ceterme, au sens de sperme, est bien connu de tous les ouvrages portant surl'érotisme21, que j'ai pu consulter, et ce dans diverses langues. Aussi l'illustre-rai-je par un exemple de Cholières (XVIe siècle) qui permettra d'établir sansambiguïté le rapport direct entre l'huile et la lampe qui lui sert de récipient :

Son huile n'est pas bastante pour entretenir la lampe amoureuse22.

Pierre Guiraud, à qui j'emprunte cette citation, définit cette lampe quipeut être amoureuse, vitale ou merveilleuse, comme un substitut du sexe fémi -nin. Et là encore, les exemples sont nombreux qui attestent cette valeur méta-phorique. Inutile, donc, de s'y attarder davantage.

En ce qui concerne la mèche, en revanche, les choses sont loin dêtreaussi simples, car, si le terme est indubitablement connoté, il semble toujoursprendre le sens de membre viril, en raison de la forme, qui conditionne le sens.Peut-être faut-il voir dans le portugais une contamination à partir du latinmatula, qui signifie vase ? Ce n'est qu'une hypothèse, mais, en tout état decause, les propos de Maria Parda, prêtez-moi un peu d'huile/car j'ai la michequi se dessèche, paraissent suffisamment clairs. Ils le sont d'autant plus si onles considère à la lumière, ... si j'ose dire, du vers 225 : j'ai la lampe qui mebrûle. Ainsi la preuve semble-t-elle être faite d'une utilisation de l'équivoqueerotique dans ce passage, qui se veut donc polysémique. A un premier nheaude lecture, et encore que l'image pour le dire soit assez curieuse, on peut eneffet comprendre qu'il s'agit là d'une soif intense qu'il faut à tout prix éteindre,si l'on me pardonne ce terme peu adéquat mais qui me permet de filer la msta-phore. A cet égard, la tentation est grande d'établir le lien avec l'expressionargotique s'en mettre plein la lampe, qui renvoie bien à l'idée d'alimentation etde tube digestif, ou d'estomac. Je ne sache pas que le portugais candeeiro, ou

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tout autre vocable de la même sphère lexico-sémantique, puisse prendre cesens. Mais, sous le voile de l'amphibologie, se profile en tout cas l'idée fortexploitée dans la littérature burlesque que la femme est, pour reprendre lestermes de Claude Allaigre, un être à deux bouches23. Un autre niveau de signi-fication m'est suggéré par Adrien Roig : Maria Parda, qui ne cesse de clamersa mort prochaine, en raison de son manque de vin, semble assimiler sa vie àla flamme qui commence à vaciller lorsque le manque d'huile se fait sentir.L'on pense alors à l'expression nâo ter azeite na lâmpada, connue des diction-naires au sens de n'avoir plus de forces, être à son trépas24. Or, la formeimpersonnelle se m'arde peut tout à fait être interprétée au sens de ma lampebrûle, et non plus me brûle, ce qui revient à dire qu'elle arrive à sa fin, ou, end'autres termes, qu'elle se meurt. Et, tout comme la flamme se ranime lorsquela lampe est alimentée en huile, de même Maria Parda fonde-t-elle l'espoir deretrouver ses forces vitales grâce au vin vivifiant.

Soif de vin, soif d'amour

Envisagé dans son entier, le Pranto se fonde sur une métaphore, lamétaphore de la soif, qui, comme tout ce qui touche à l'appétit, est propre àfigurer le désir amoureux. Cette signification particulière s'explique sans peinepar un glissement de sens à partir de l'une des acceptions du vocable soif- désir ardent - connue de tous les dictionnaires. C'est d'ailleurs ce qui ressortde l'une des clauses du testament de Maria Parda :

Diante irâo, mui sem pejo,trinta e seis odres vaziosque despejei nestesfrios,sem nunca matar desejo 2S.

Or chacun sait que, dès l'instant qu'il est employé seul et déterminé parl'article défini, le terme désir est un euphémisme couramment employé pourdire l'envie de rapports charnels. Par ailleurs, le sens scabreux de soif n'est pastotalement ignoré des dictionnaires. Il est attesté notamment dans le Dicionâ-rio do Palavrâo e Termes Afins, de Mario Souto Maior, qui le dit encore enusage dans le Nordeste brésilien et le définit comme suit : Gana de copular26.

Par ailleurs, et en particulier comme élément de l'expression matar asede - étancher sa soif - sede est à rapprocher du verbe beber et du substantif

il

bebedor, prononcés onze fois pour le premier, une fois pour le second. Paicequ'il signifie tout à la fois absorber de l'eau21 et étancher sa soif, le vetbeboire a doublement vocation à désigner l'acte d'amour. Jean Toscan28 le consi-dère comme un euphémisme très populaire dans ce sens et illustre cette accep-tion par des exemples tout à fait éclairants. Dans l'un d'entre eux, extrait d'unechanson de carnaval, des jardiniers bien intentionnés offrent leurs services auxdames : Donne, per mangiare o bere/ zapperén tutt'i vostr'orti29. Autrementdit : Mesdames, pour manger ou boire, nous piocherons tous vos jardins*0.Les poètes italiens ne sont pas les seuls à faire un usage équivoque du terme ;ce sens obscène est connu aussi bien de Guiraud - donner à boire : coïter :Elles en meurent bien souvent si on ne leur donne à boire souvent(Brantôme) - que de Mario Souto Maior qui cite plusieurs expressions inté-grant ce verbe, toujours en usage : beber âgua na fonte, beber o mel- déflorer -, éventuellement sous la forme du participe bebida — moça que nâoé mais virgem : aquelajdfoi bebida hâ muito tempo ! -.

L'un des éléments essentiels sur lesquels repose cette métaphore de lasoif, dans le Pranto, est le vin. Aussi me faut-il à présent essayer de faire lapreuve que ce terme est équivoquable et peut donc faire l'objet d'une interpré-tation au second degré, selon un code régi par les connotations gaillardes.

Dans son Dictionnaire de la langue française du 16e, à l'article vin,Edmond Huguet définit l'expression avoir son vin comme signifiant être bientraité, sens qu'il illustre au moyen d'une citation tirée à'Amadis, m, 6 : Si ellesont eu si bien leur vin qu'elles nous regretteront, quand il leur en souvien-dra31. Le sens n'est pas davantage explicité, mais on voit bien que le vin a icides résonnances agréables, de plaisir. Dans son Enciclopedia del erotismo32,Camilo José Cela consigne également ce terme. Il le rattache par conséquent,d'une façon ou d'une autre, à l'érotisme. Curieusement, pourtant, il n'a pas jugébon de compléter cette rubrique par une définition. Tout juste fait-il mentiondes vertus non pas tant aphrodisiaques que libératrices du vin, et le rattache-t-il à Dionysos à qui l'on doit la première vigne. Sans doute en effet convient-ilde voir dans le culte de ce dieu et dans les bacchanales, qui en étaient l'une desmanifestations, l'une des raisons de ce transfert de sens vers le domaine de laluxure, comme l'atteste à merveille la réplique de l'Auctor de La Lozana, pla-cée en épigraphe à cet article.

Jean Toscan33, pour sa part, a consacré quelques-unes des pages de sonCarnaval du langage à élucider l'emploi de ce vocable chez les poètes italiens

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de l'équivoque, du XVe au XVIIe siècles. Il en définit les acceptions suivantes :1) prestations amoureuses ou sexuelles, plaisir sexuel, coït ; 2) Sexe, organesexuel féminin, organe sexuel masculin, ainsi que d'autres, par détermination,mais nous aurons l'occasion d'y revenir en d'autres lieux.

1 * Vin = plaisir sexuel

Voici comment il explique le glissement de sens :

Dans le langage populaire, le mot "vino" peut servir à évoquer l'en-semble des impressions et des sentiments que suscite le comportementd'une personne à l'égard d'une autre. Le "vin" qu'une femme donne àboire à ses soupirants est fait des joies et des chagrins qui naissent desa bonne grâce ou de ses rebuffades, de sa compréhension ou de sacoquetterie.

Une Canzone de' bottai de Jacopo da Bientina illustre un emploi moins inno-cent. Selon les termes de Jean Toscan, des tonneliers rappellent que, dansleur jeunesse, ils ont 'travaillé bien des tonneaux' tout neufs : c'est-à-dire, audeuxième niveau, qu'ils ont initié aux ébats de Vénus de nombreuses pucelles,pour le plus grand plaisir de leurs successeurs, qui n'ont jamais eu à s'enplaindre :

Noi n'abbiân fatte a'giorni nostri tante [boni]c'hanno sempre tenutoun vin ch'al gusto è poi sempre piaciuto^4.

* Vin = prestations sexuelles :

Cette acception apparaît dans ce passage d'une nouvelle de Sermini où lehéros, s'apprêtant à profiter des faveurs de la jeune fille dont il partage lacouche, se fait berner par cette dernière :

Silvestrino [...], verso la Sandra voltatosi per assaggiar che vino fosseil suo, la Sandra [ . . . ] benchè in prima piacevolissima accoltafatto gliavesse, per meglio nella sete accenderlo, allora [...] si discosta35.

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2 * Vin = sexe

C'est par métonymie que s'opère le passage du sens de plaisir sexuel à celuià organe sexuel qui procure ce plaisir. Le mot vin peut alors désigner aussibien l'organe sexuel féminin que l'organe sexuel masculin, comme l'attestentces deux exemples :

* Vin = organe sexuel masculin :

[...] L'acqua bramosa di soverchiare il vino e d'inghiottirlosi, si reca inforteza, mettesi il corsaletto adamantino, vengono in campo, e 'l vinopare un becco (volsi dire sangue di becco) addosso al diamante ;l'acqua agghiaciata tenta di congelar lui, (s'è possibile) d'indiaman-tarlo, ma il vino, o spezza o almeno inrubina lei, segno del suo maggiorvalore*6.

* Vin = organe sexuel féminin :

Ma bisogna dargli [al bambino] aiutomolto spesso col mutarlo ;quand'è molle rasciugarloe bagnarlo un po' col vino37.

Analysons à présent les différentes récurrences du mot dans le Pranto.Il apparaît treize fois - une fois dans le titre, douze fois dans le texte - et esttoujours équivoque. Il est par conséquent utilisé non seulement dans son sensusuel mais aussi avec des sous-entendus grivois. Pour en faire la démonstra-tion, j'ai retenu plus particulièrement quatre exemples, c'est-à-dire, dans l'ordreoù je me propose de les examiner, les vers 26, 176,79 et 365.

S'agissant de la première de ces occurrences - Oh, vinho mono, meuvinho,/ que ma hora te gostàmos3* -, on constatera que le mot vinho s'y trouvequalifié de mono, autrement dit de frère, au sens premier. Ce vocable prenantsouvent l'acception familière et affectueuse d'onw39, on peut aussi attribuer àces termes le sens de mon vin chéri. Qui plus est, frère ou petit frère désigne lephallus, non seulement selon Guiraud40 et Colin41, mais aussi selon Toscan42.L'enquête évoquée supra démontre en outre que les termes irmào-mano et

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innâ -mana sont encore connus de nos jours au sens d'organe sexuel, masculinpour le premier, féminin pour le second, tout au moins en milieu rural. Ainsi,Maria Parda ne serait pas simplement une pocharde en manque de vin maisaussi et probablement surtout, puisque c'est essentiellement le niveau ludique,connotatif, qui est sensé déclencher l'hilarité, une pauvre femme à qui il a étédonné de goûter à certains plaisirs que la vie lui refuse à présent et dont elle nepeut pourtant pas se passer. D'où sa nostalgie du temps où elle a connu cesdélices. Que l'on songe alors aux regrets exprimés par la Célestine, grandebuveuse de vin, elle aussi. Que cette simple remarque suffise, pour l'heure : lemoment viendra où il faudra tirer les conclusions. Complétons encore ce por-trait, qui sera parachevé plus avant : pour ce faire, je propose d'examiner cetteprière que Maria Parda adresse à Joâo do Lumiar, une prière particulièrementsavoureuse pour qui sait lire entre les lignes :

Fiai-me um gentar de vinho,e pagar-vos-ei em linho,quejâ minha là nâo presta43,

lui dit-elle.

Le verbe fiar est ici suspect à deux titres. D'une part, étant donné lecontexte, il renvoie au registre du prêt à crédit et est, de ce fait, connoté44. Letexte lui-même attire l'attention sur la présence d'une gaillardise. Le terme, eneffet, côtoie le verbe folgar, aux implications scabreuses fort connues45, dansune réplique qui est, par-dessus le marché, placée dans la bouche de MartimAlho, un personnage au nom douteux :

Vos quereis, dona, folgar,e mandais-me a mi fiar ?46

D'autre part, par homonymie, le mot ressortit à la sphère tout aussicontaminée du filage47, que l'on retrouve par ailleurs dans les mots linho eti548. Au sens premier, Maria Parda dit avoir envoyé une mule chercher unchargement de lin dans la région d'Entre-Douro et Minho, où celui-ci est effec-tivement cultivé, encore que l'on puisse s'attendre à ce que les effets de la géo-graphie burlesque se fassent ici sentir. Mais c'est là un secret que je n'ai tou-jours pas percé à jour. Maria Parda se propose donc de payer en lin, car, dit-

elle, sa laine ne vaut plus grand-chose. Or, le vocable laine est l'un des pluscommunément utilisés pour désigner la toison pubienne49, acception tout à faitévidente dans le cas qui nous occupe. Il me paraît bien peu probable, pour nepas dire impossible, que ce terme figure ici par le simple fait du hasard. GilVicente connaît la charge des mots et joue volontiers avec leurs valeurs méta-phoriques. D'ailleurs, la présence de l'adverbe jâ introduit l'idée de vieillesse eilève toute ambiguïté : l'équivoque erotique se veut, à n'en pas douter, le subs-trat de ces vers. Si bien que, à première vue, Maria Parda constate que l'âge aaccompli ses méfaits sur son pubis, désormais bien dégarni. En réalité, commeil n'est pas rare que laine s'applique, par contiguïté, au sexe lui-même, on voitbien que le bilan d'une vie est plus cruel encore. Et nous avons donc affaire àune femme vieillissante, qui cherche désespérément à retrouver des plaisirspassés, qu'elle se remémore avec nostalgie :

Bem ail o Santo Esprito('eu sempre dar nofitonum vinho claro rosete.Oh, meu bem, doce palhete,quem podera dar um grito /50.

Etant donné que Maria Parda clame sa soif à travers les quartiers deLisbonne, Santo Esprito désigne, au premier degré, l'Ermida do Santo Espirito,chapelle votive des pêcheurs, dans l'Alfama51. Mais, par un comble de l'anti-phrase, comme dirait Pierre Guiraud52, et par un procédé courant de subver-sion du langage religieux, puisque c'est aussi le cas de Saint Esprit de laCulotte^, esprit désigne également le phallus. C'est un terme répandu dans larhétorique classique, selon Pierre Guiraud qui illustre cet emploi par trois cita-tions, dont celle-ci, empruntée à La Fontaine :

// suit sa pointe et d'encor en encorToujours l'esprit s'insinue et s'avanceTant et si bien qu 'il arrive à bon port.

Cette valeur métaphorique est également exploitée par les auteurs delangue italienne54 et même anglaise, par le grand des grands, comme leconfirmera cette réplique de Mercutio, se moquant de Roméo qu'il croit tou-jours amoureux de la belle Rosaline :

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"Twould anger himTo raise a spirlt in his mistress' circleOfsome strange nature, letting it there standTill she had laid it and conjured it down55.

Voilà qui est plutôt limpide ! Souvenons-nous de la scène finale de\Auto da India, où, lors de leurs retrouvailles, la Maîtresse rend compte à sonMari de ces trois années de séparation, trois longues années passées dans latristesse et la dévotion :

E eufui-me de madrugadaa nossa Senhora d'Olive ira.

E corn a memôria da cruzfiz-lhe dizer iia missa,e prometi-vos em camisaa sauta Maria da Luz.E logo à quinta-feirafui ao Spirito Sanctocoin outra missa também.Chorei tanto, que ninguémnunca cuidou ver tal pranto56.

Outre que l'amour est un culte, champ que l'équivoque exploite à loisir,chacun sait bien quelles ont été les occupations du personnage. Sous le voiledu mensonge proféré, l'auditeur est à même de comprendre ces vers - et enparticulier le vers 452 qui nous concerne plus directement - au second degréd'énonciation, qui est en fait leur véritable sens.

On ne manquera probablement pas de s'étonner que Gil Vicente ait puglisser des allusions aussi sacrilèges, sans que, de surcroît, la Censure Inquisi-toriale s'en soit émue. C'est en effet fort surprenant, et la critique n'a jamaiscessé de s'interroger57 sur les libertés que le dramaturge a pu prendre, à biendes égards, et notamment à rencontre des ecclésiastiques. Le Pranto est trufféde ces pointes que le Tribunal du Saint Office réprouvait, comme du reste l'en-semble de l'œuvre, et il n'est pas rare que le langage religieux soit traité d'unefaçon extrêmement irrévérencieuse58. Dans le cas présent, le fait que le nom

Santo Espirito renvoie à un lieu réel était peut-être le masque qui permettait dedéguiser un tant soit peu l'allusion. Quoi qu'il en soit, une telle pratique est toutà fait conforme à la tradition carnavalesque, qui se plaisait à tout tourner endérision. On sait que le contexte particulier du monde à l'envers autorisait biendes écarts et, comme Paul Teyssier le souligne ajuste titre, on pouvait mêmese moquer des choses les plus saintes59. C'est en tout cas une tolérance qui nedurera pas et la censure opérera bientôt des coupes sombres dans cette œuvrecomme dans bien d'autres, pour finalement l'interdire dans son entier. Et c'estpeut-être une telle sévérité qui devrait paraître curieuse à nos yeux, s'il est vraique l'œuvre est aussi innocente qu'on pourrait le croire.

Mais poursuivons notre démonstration et examinons le vers suivant t'eusempre dar nofito qui signifie j'allais toujours droit au but. De quoi peut-ilbien s'agir, sinon de l'orgasme, souvent défini dans cette littérature en termesde but ultime ? Des mots et expressions tels que achèvement, arriver à sesfins, arriver au but, finir, terme du plaisir... en témoignent abondamment.Ainsi s'explique, ipso facto, le cri dont il est question au vers 81, et dont on nevoit pas très bien la raison d'être si l'on se contente d'une lecture au premierdegré. Or, fito et grito sont directement mis en rapport avec des vins - clarorosete pour le premier, palhete pour le second - qui figurent ici métaphori -quement les rapports sexuels. La sagesse populaire, qui s'exprime rarement defa£on gratuite, établit elle-même ce lien, sans ambiguïté possible : i Quién lehizo puta ? -El vino y la fruta60. Et peut-être n'est-il pas inintéressant desavoir que ce proverbe est justement cité par Lozana, qui sait fort bien de quoielle parle. La conclusion est donc claire : Maria Parda rêve, n'en doutons pas,de pouvoir tout comme avant soupirer et connaître le plaisir. Autrement dit,elle aspire à être transportée au septième ciel, c'est-à-dire, pour reprendre sespropres termes, qui viennent clore la déploration en apothéose, à déguster levin des étoiles61.

Cette idée encadre en quelque sorte le Pranto. Maria Parda la formuled'emblée, dès les premiers vers, où, au premier niveau, elle se réfère à la raretédu vin, devenu un produit inaccessible :

Triste, desaventurada,que tâo alla esta a canadapara mi, como as estrelas62.

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La référence finale :

Nào leva o vinho que digo,que eu chamava das estrelas63

est par conséquent un rappel de ce début. Mais elle représente aussi le bilan,effectué à l'heure de la mort :

Agora me irei par'elascoin grande sede comigo64,

un bilan où s'exprime, sur fond d'ironie du sort - le rire est souvent cruel !-, lanostalgie de moments hautement goûtés, mais à tout jamais perdus. Or, lesétoiles sont, par définition, les astres de la nuit, générateurs de lumière65 etdonc de plaisirs intenses. Et ici encore notre point de référence sera La LozanaAndaluza, ou du moins ce passage où Lozana adresse à son amant Rampîn, quiexcelle dans l'art de compter les étoiles, une invite dont les implications appa-raîtront d'une absolue clarté quand on saura que garrocha -pique (du pica-dor) - est une métaphore phallique et que dormir en dura figure l'érection :

Andâ, entra, y empleâ vuestra garrocha. Entra en coso, que yo's veoque venis como estudiante, que durmiô en dura, que contaba las es-trellas66.

Des mules que le bât blesse

Bien que cela me conduise à m'éloigner quelque peu du sujet que montitre prétend "cibler", je ne voudrais pas terminer cette étude sans tirer lesconclusions qui, à mon sens, s'imposent pour une tentative de définition dupersonnage de Maria Parda. Pour ce faire, je proposerai de revenir un instant àcette requête que celle-ci adresse à Joâo do Lumiar, celui-là même qui possèdele feu et la lumière qui lui font défaut à elle :

Fiai-me um gentar de vinho,e pagar-vos-ei em linho,que jâ minha là nào presta.Tenho mandada iia besta

por ele Antre Douro e Minho61.

Et Joâo do Lumiar de rétorquer :

matai com âgua a secura,ou ide outrem enganar,que eu nào m'hei-defiarde mula com matadura /68

Cette réponse est fort intéressante. Si l'on se fie aux apparences, la muledont il est question icit'est ni plus ni moins que la bête évoquée par MariaParda au vers 179. Remarquons toutefois que Joâo do Lumiar reprend aussi leverbe fiar, employé par son interlocutrice. Bien que le sens en soit différent, iln'en apparaît pas moins comme un écho au fiai de la requête et semble parconséquent lui répondre directement. Si, par ailleurs, il peut s'appliquer à unanimal, il convient davantage à un être humain. Enfin, toutes les formes ver-bales de cette intervention renvoient à Maria Parda, et si nous considérons laréponse sans tenir compte de la référence à la bête précédemment citée, c'estbien Maria Parda qui est la mule blessée . Tout, dans cette réplique, concourtpar conséquent à ce que s'opère cette confusion. Un peu plus avant dans letexte, lorsqu'elle fait son testament, Maria Parda dit avoir un apostème à lalèvre du bas69. Or, il est clair que cette lèvre du bas est tout à fait susceptiblede faire l'objet d'une double lecture. Faut-il croire alors que Gil Vicente a puajouter une précision aussi ambiguë qu'inutile, sans une intention seconde ?C'est donc, à n'en pas douter, le sexe qui est ainsi désigné et l'apostème enquestion n'est rien d'autre qu'un chancre vénérien. Yvonne David-Peyre70, dontles connaissances médicales sont plus solides que les miennes, était déjà par-venue à cette conclusion à laquelle me conduit la seule analyse du texte. Desurcroît, le mot matadura désigne un type de plaie particulière, celle que pro-voque le frottement du bât sur le dos de l'animal. Je dirai, pour clarifier le pro-pos, et même si les termes ne sont pas adéquats, qu'il s'agit d'une blessurecontractée dans l'exercice du métier. Peut-être n'est-il pas inintéressant desavoir que le terme est employé, avec une intention obscène évidente, par laCélestine parlant d'une de ses filles supposée attendre un lourd fardeau, enl'occurrence un moine bien en chair :

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- Sempronio : / O desaventurada é que cargo espéra !- Celestina : Todo lo levamos. Pocas mataduras as tu visto en la bar-riga.- Sempronio : Mataduras no ; mas petreras s/".

Aucun doute : Maria Parda est bel et bien une mule, c'est-à-dire unemonture, dans le jargon erotique, qui porte les stigmates de sa profession. Elleest ni plus ni moins qu'une prostituée que la syphilis n'a pas épargnée. Et làencore, je rejoins Yvonne David-Peyre72.

C'est, comme on le voit, une lecture peu orthodoxe que je propose, d'untexte que l'on a peut-être trop sacralisé, en voulant y voir la représentationsymbolique des misères du peuple. Misère du peuple, oui, sans aucun doute,car il est difficilement imaginable que Maria Parda puisse appartenir auxhautes sphères de la société. Pour autant, est-elle représentative des classes lesplus défavorisées ? Ses manques se veulent-ils symboliques ? Pour ma part, jesuis désormais très sceptique. A mes yeux, le Pranto est animé de cet espritburlesque et grivois qui caractérise la culture carnavalesque. Les plaintes decette femme n'avaient probablement rien de triste ou de poignant pour lescontemporains : bien au contraire, elles provoquaient certainement l'hilarité,tant par les carences qu'elles expriment que par la grossièreté des propos. Pros-tituée sur le déclirt, vieillie avant l'âge par le commerce trop assidu deshommes, vivant mal sa déchéance physique autant que l'indifférence de ceuxqui ont cherché en elle leur plaisir, elle souffre, et c'est bien naturel, des frus-trations qui lui sont imposées. Et c'est pourquoi elle réclame à cor et à cri ceplaisir auquel son corps a été habitué. Mais, à l'heure des bilans, il ne lui resteguère d'autre choix que regarder la réalité en face.

Le cas de Maria Parda n'est pas unique : elle appartient à vrai dire à lafamille des Lozana et surtout des Célestine, qui, au soir de leur vie, rêvent deplaisirs qu'elles doivent se contenter de voir assouvir chez leurs cadettes :

Que ya, / mal pecado !, caducado he, nadie me quiere. / Que sabe Diosmi buen desseo ! Besaos e abraçaos, que a mi no me queda otra cosasino gozarme de vello. Mientra a la mesa estays, de la cinta arriba todose perdona. Quando seays aparté, no quiero poner tassa, pues que el

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rey no la pone. Que yo se par las mochachas que nunca de importunasos acusen e la vieja Celestina mascara de déniera con sus botas enziaslas migajas de los manteles13,

dit la Célestine à Elicia et à Sempronio. Et lorsqu'il lui arrive de clamer

Mas no muera yo muerte, hasta que me vea con un cuero 6 tinagica demis puertas adentro 74,

les accents de l'alcahueta ne sont pas très différents de ceux de Maria Parda.Pour n'être pas entremetteuse, celte dernière n'en est pas moins la digns filled'une Trotaconventos parcourant elle aussi les rues de la ville, armée de sonpichet, qu'elle fait remplir six fois par jour à la taverne75. Le modèle étaitconnu et il y a tout lieu de penser que la parenté célestinesque était évidentepour l'auditoire de Gil Vicente, tout comme était évident le substrat erotiquequi convenait d'ailleurs fort bien au personnage. L'une comme l'autre nous fontdéfaut aujourd'hui et c'est pourquoi le gros rire rabelaisien n'est pas exacte-ment au rendez-vous. Vue à travers le prisme de la modernité, Maria Pardan'est pas seulement comique mais pathétique dans sa misérable quête. El cetterichesse d'interprétation, cette faculté d'adaptation du texte au monde, à traversles âges, ne sont-elles pas précisément le gage du véritable génie littéraire ?

Olinda KLEMANUniversité de Lille III

NOTAS

1) Francisco Delicado, La Lozana Andaluza, édition de Claude Allaigre, Madrid, Cîtedra,Letras Hispânicas, 1985, p. 380.

2) Je m'en vais toute seule vous me faites venir l'eau à la bouche avec vos baisers et vcsjeux.J'en ai gardé la saveur dans les gencives et ne l'ai point perdue avec les dents. Fernando de Rojas,La Celestina, o tragicomedia de Calisto y Melibea, 2 tomes, Madrid, Espasa-Calpe, ClâsicosCastellanos, Ediciôn y notas de Julio Cejador y Frauca, 1962 acte VII, tome I, p. 260. Traduction

22

de Pierre Heugas, in Théâtre espagnol du XVIe siècle, édition publiée sous la direction de RobertMarrast, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1983, p. 96.

3 Sur la fortune du Pranlo de Maria Parda, cf. Luciana Stegagno Picchio, // Pranlo de MariaParda di Gil Vicenle, introduzione, testo critico e commente, Napoli, Istituto Orientale, 1963,p. 107-116'et Paul Teyssier, La plainte de Maria la Noiraude, édition critique, traduction et notes,Paris, Chandeigne, 1995.

4) Paul Teyssier interprète parda au sens de brune de peau. Cf. "Les pauvres dans le théâtrede Gil Vicente", in Misère et gueuserie au temps de la Renaissance, sous la direction de M. T.Jones-Davies, Centre de Recherches sur la Renaissance, Paris, Sorbonne, 1976, p. 16, note 7 et Laplainte de Maria la Noiraude, p. 15, note. D'autres critiques voient dans le personnage unemulâtresse (cf. Yvonne David-Peyre, "Maria Parda, témoin de son temps", in Arquivos do CentraCultural Português, vol. 28, Lisbonne-Paris, Fondation Calouste Gulbenkian, 1990, p. 437). Lorsdu débat qui a suivi la représentation de cette pièce au théâtre de la Commune, à Aubervilliers, ennovembre 1995, il m'a été dit que pardo pouvait prendre, dans certaines régions du Portugal,l'acception de pochard, ce qui rejoindrait le sens du français gris ou noir. Cette suggestion m'aégalement été faite aussi bien par Adrien Roig que par Claude Allaigre, qui n'avaient pas euconnaissance de ce fait. L'hypothèse reste à vérifier, ce que je ne suis pas parvenue à faire pour lemoment. Si elle venait à se confirmer, Maria Parda s'en trouverait, du même coup, bien noircie etcomme, selon un adage bien connu, el nombre sigue al hombre, ce ne serait pas autrementsurprenant !

5) Ibid.6) Oscar de Pratt, Gil Vicente, notas e comentârios, Lisboa, Clâssica éditera, 1931, p. 199.7) Vv. 240-243.8) Ibid. ,p . 19.9) Ibid., p. 28.10) Paul Teyssier, G/7 Vicente, o autor e a obra, Lisbonne, Biblioteca brève, 1982, p. 169.11) Cf. L'expression de la richesse et de la pauvreté dans l'œuvre de Gil Vicenle, thèse de

doctorat préparée sous la direction de Paul Teyssier, Paris IV-Sorbonne, 1988, p. 164-176.12) Je n'ai malheureusement pas trouvé de texte théorique ou descriptif qui pourrait confirmer

l'hypothèse que je formule ici. Pour le moment, celle-ci ne repose que sur la simple intuitionsuscitée par les nombreuses lectures d'oeuvres littéraires, anglaises, françaises, espagnoles,italiennes, datant sensiblement de la même période et qui, visiblement, soumettent le récepteur àune semblable gymnastique.

13 Paul Teyssier, "Les pauvres dans le théâtre de Gil Vicente", p 7.14) Paul Teyssier, La plainte de Maria la Noiraude, p. 6. Cf. aussi Gil Vicente, o autor e a

obra, p. 169-170.15) "La réélaboration de la 17c des Cent Nouvelles Nouvelles dans Floresta de Enganos de Gil

Vicente", Les langues néo-latines, Paris, 1996.16) "De la boulangère et du forgeron : un exemple de langage erotique dans l'œuvre de Gil

Vicente", Quadrant, Université de Montpellier, n° 12, décembre 1995, p. 31-53.17) "Do lobo e da ovelha : historia de uma pancada". Communication prononcée lors du

congrès de l'AIL, organisé par T. Earle, Oxford, septembre 1996, à paraître dans les actes ducongrès, et la farce des muletiers, Paris, Chandeigne, à paraître, janvier 1997.

18) Ibid., p. 19.

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19) Vv. 219-225. Je cite d'après Paul Teyssier, La plainte...20) Ce n'est pas tout à fait la définition que l'on trouve chez Mario Souto Maior qui indique le

sens de gigolo, exploradorde mulheres, au Portugal comme au Brésil. In Dicionârio do palavrâoe termes afins. Récif, Guararapes, 1980.

21) Cf. notamment Dictionnaire erotique moderne par deux professeurs de langue vtrte(anonyme), 3e éd., Londres, Freetown, 1875, et Robert Giraud, L'argot d'Eros, Mayenne, Marval,1992, qui illustre sa définition du mot huile par une citation qui a le mérite d'être claire : Pour lemoment, je suis sûre que vous allez perdre votre temps et votre huile, car il n'y a pas moyen ici delui faire mettre le corps dans une position favorable aux plaisirs de l'amour. (Nicolas Chorier,Des secrets de l'amour). Ce dictionnaire atteste également huiler au sens d'éjaculer.

22) Cité par Pierre Guiraud, Dictionnaire erotique, Paris, Grande Bibliothèque Payot, 1993

(le éd. 1978), art. lampe.23) La Lozana Andaluza, p. 95. Claude Allaigre cite ces deux exemples : Lozana : Soy

contenta, si queréis jugar dos a dos. Valerio : Sea ansi ; mas vuestro criado se pose alla j yoaqui, y coda uno ponga. Lozana : Yo porné mi papa. Valerio : <; Cuâl sennora ? Lozana : Todosdos, que hambre tengo. (p. 322) et [...] guardaréis la cuarentena [de cuaresma] pero no tonambas bocas, (Cancionero de Obras de Burlas). Cf. d'ailleurs cette réplique de Maria Parda auxvers 122-124 : Acodi-me, dolorida,/que trago a madré caida,/e çarra-se-m'o gorgomilo.

24) Dicionârio Enciclopédico Lello Universal, Porto, Lello e Irmâo, 2 vol.25) Vv. 271-274.26) Mario Souto Maior, Ibid.27) Nous verrons en d'autres lieux que le sème eau a lui aussi la faveur des poètes de

l'équivoque.28) Jean Toscan, Le carnaval du langage, le lexique erotique des poètes de l'équivoque de

Burchiello à Marine (XVe-XVIIe siècles), thèse présentée devant l'Université de Paris III (1978),4 tomes, Lille, Atelier de Reproduction des Thèses, Université de Lille III, 1981.

29) Cité par Toscan, Ibid. ,.p. 585.30) Jean Toscan cite en outre l'expression menare il cieco a bere alla fonte, présente chez

l'Arétin, tout en explicitant le terme cieco, comme étant l'un des noms populaires du pénis, dont leméat est appelé occhio et qui, par conséquent, est cieco di un occhio. Ibid., p. 585.

31) Edmond Huguet, Dictionnaire de la langue française du 16e, Paris, Librairie AncienneEdouard Champion, 1925.

32) Camilo José Cela, Enciclopedia del erotismo, 4 vol., Barcelona, Destine, 1984.33) Jean Toscan, Ibid., p. 1486-1490.34) Nous avions, en notre temps, travaillé bien des tonneaux qui ont toujours contenu un vin

qui depuis lors a toujours plu. Ibid., p. 1488.35) Silvestrino [...] s'étant tourné vers Sandra pour goûter son vin, Sandra, bien qu'elle lui

eût tout d'abord réservé un fort bon accueil, s'éloigne ensuite pour mieux aviver sa soif. Cité parJean Toscan, Ibid., p. 1399.

36) Le passage évoque une scène de défloration, l'eau et le diamant sont des symbolesféminins. L'eau, désireuse de surpasser le vin et de l'avaler, se rend dans la forteresse, se pare ducorset adamantin [l'hymen], ils arrivent sur le champ de bataille, et le vin ressemble à un bouc(c'est-à-dire au sang d'un bouc) tout contre le diamant ; l'eau glacée tente de le congeler (autant

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que possible), de le transformer en diamant, mais le vin la brise ou du moins la rougit, signe de sasuprématie. Toscan, Ibid., p. 1488.

37) Mais il faut fréquemment l'aider en le changeant d'endroit : quand il est mouillé, il faut lesécher avant de l'humidifier un peu, avec du vin. Jean Toscan clarifie ainsi ce passage : Le 'bébé'(il bambinb) figure le membre viril. Pour rendre sa vigueur à un organe débile, les 'nourrices'pratiquent la transmigration orificielle (col mutarlo) : quand le phallus a séjourné dans les lieuxhumides (quand'è molle), on le fait passer dans les lieux secs (rasciugarlo), puis on l'humecteencore un peu ... col vino : c'est-à-dire 'par un nouveau séjour dans les lieux humides', Ibid.,p. 1489.

38) Vv. 26-27.39) «Mono», du latin «germanus», est devenu une expression familière étendue à des

individus qui ne sont pas frères, équivalente à «meu amigo», plus affectueuse même. [...] Dans OCioso, Faustina s'écrie : «Oh meu Octâvio, oh meu amor, oh meu mono». Adrien Roig, LaComéda de Bristo ou l'Entremetteur (Comédia do Fanchono ou de Bristo, d'Antonio Ferreira),Paris, P.U.F/F.C.G., 1973, note 111.

40) Ibid., p. 351. Le vocabulaire de la parenté est fréquemment objet de contaminationserotiques. Et c'est bien le cas, à plusieurs reprises, dans le Pranlo, notamment aux vers 306-310.Ce n'est pas mon propos de les examiner ici. Le cas échéant, on pourra utilement se reporter àClaude Allaigre, Le Retrato de la Lozana Andaluza de Francisco Delicado, Sémantique etlittérature, Echirolles, Imprimerie du Néron, 1980, p. 86.

41) Jean-Paul Colin et Jean-Pierre Mével, Dictionnaire de l'argot, Paris, Larousse, 1990,p. 280.

42) Codera, personnage du Bruscello de Falotico, reconnaissant qu'il s'est peut-être trop hâtéde se marier, en impute la responsabilité à son frère : Oh, fui 7 grand'asin quando la pigliai !/ Man'ebbe colpa solo'l mio fratello, che con lui sempre me ne conseillai, c'est-à-dire : Oh quel âne j'aiété quand je l'ai prise ! Mais le seul coupable c'est mon frère, car c'est toujours auprès de lui quej'ai pris conseil. Cité par Toscan, Ibid., p. 1195.

43) Vv. 176-177.44) Cf. Toscan, Ibid., chapitre XXIX et plus particulièrement p. 1027 sq.45) Cf. Adrien Roig, Ibid,, note 78. Cf. aussi Eugenio Asensio, "Romance «perdido» de Inès

de Castro", in Cancionero musical luso-espanol, Salamanca, Sociedad espanola de la Historia delLibro, 1989, p. 39 : «Estando a bel folgar» tiene en los romances carolingios una clarasignification sexual. Adrien Roig me signale également un emploi erotique de ce mot dans unromance du Romancero General, d'Agustfn Durân. Chimène demande justice au roi, contre le Cidqui a tué son père : Rei que no hace justicia/ No debia de reinare,/ Ni cabalgar en caballo,/ Niespuela de oro calzare,/ Ni corner pan en manteles,/ Ni con la Reina folgare. Madrid, Bibliotecade Autores Espafioles, 1945, tome I, p. 483, b.

46) Vv. 212-213.47) Cf. Claude Allaigre, Le Retrato..., pp. 88-89.48) Laine, lin et vin sont également étroitement associés dans ce vieil adage qui signifie en

substance que à boire trop de vin, on perd toute pudeur et toute retenue : El vino no trae bragas, nide pano [drap de laine], ni de lino. In Sébastian de Covarrubias, Tesoro de la lengua castel/ana oespanola, segiîn la impresiôn de 1611, con las adiciones de Benito Remigio Noydens publicada enla de 1674, ediciôn preparada por Martin de Riquer, Barcelone, Horta, 1943, p. 1010, a.

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49) Cf. arcarle la lana a una tnujer, carder la laine à une femme. Voir, entre autres, la trèséclairante réplique de Lozana à Rampîn : Mira, dolorido, que de aqui adelanle que se cômo sebaten las calderas, no quiero de noche que ninguno duerma comigo sino vos, y de di'a corner detodo, y d'esla manera, engordaré, y vos procura de arcarme la lana si queréis que teja tintas decuero. Andâ, en'.râ, y empleâ vuestra garrocha. Entra en coso, que yo's veo que vent's comaestudiante, que dunniô en dura, que contaba las eslrellas. La Lozana..., pp. 279-280.

50) Vv. 77-81.51) Cf. Paul Teyssier, La plainte..., p. 26, note aux vers 77.52) Pierre Guiraud, Ibid., art. esprit.53) Ibid. Saint-Esprit de la Culotte.54) Cf. Jean Toscan, Ibid55) Si dans l'anneau mystique/ De sa chère maltresse je faisais se dresser/ Un esprit de

nature étrangère, bien raide,/ Qu'elle dût par son art apaiser et rabattre,/ 11 aurait lieu de sefâcher. William Shakespeare, Roméo et Juliette ,11, I, vv. 23-26, In Œuvres complètes. Tragédies,tome I, Paris, Robert Laffont, 1995, p. 566-567, traduction de Victor Bourgy. Cf. aussi note 6.

56) Vv. 445-45557) C'est notamment le cas de L. S. Picchio qui constate en effet les ravages opérés par

l'Inquisition sur 7 pièces de Gil Vicente, dans l'Index de 1551, alors même que le Pranlo de MariaParda, avec son testament sacrilège, restait miraculeusement indemne. Ibid., p. 107.

58) C'est le cas dans bon nombre d'autres pièces. Cf. Olinda Kleirnan, "De la boulangère...","Do lobo e da ovelha..." et La farce des muletiers.

59) La Plainte..., y. 53.60) La Lozana, p. 214. Cf. aussi Luis Martinez Kleiser, Refranero général ideolôgico espanol,

Madrid, 1963, n° 53756, p. 615.61) Ce même vin que Lemos envoie chercher au marché, pour le savourer ensuite avec la

Maîtresse, en l'absence du Mari de cette dernière : et on sait bien de quoi il s'agit ! Auto da fndia,v. 279.

62) Vv. 5-7.63) Vv. 365-366.64) Vv. 367-368.65) Cf. Jean Toscan, Ibid, 768-770.66) La Lozana..., p. 280.67) Vv. 176-180.68) Vv. 186-189.69) Quando eu tive a postemaJ no beiço de baixo, aqui. Vv. 326-327.70) Ibid., p. 440.71) Ibid., pp. 62-63. La traduction de Pierre Heugas, bien qu'elle diffère un peu de l'original,

éclaire bien ce passage : Semp. : La malheureuse, quelle charge l'attend ! Cél. : A chacune sonfardeau. Tu as vu peu de femmes que le bât blesse. Semp. : Sur le dos, non. Sur le ventre,beaucoup. Ibid., p. 25. La métaphore de la mule bâtée est reprise un peu plus loin par la Célestine :Después que una vez consienten la silla en el envés del lorno, nunca querrian folgar (p. 138).C'est un topique fort ancien, qui figure déjà dans le Libro de Buen Amor : Ella diz : "Pues fuecasada, creed que se no arrepienta,/que non ay mtila de alvarda que la siella non consienla".(Elle a été mariée, de repentir elle n'aura cure/dit-elle. Il n'est mule de bât qui la selle n'endure).

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Juan Ruiz, El Libro de Buen Arnor , traduction de Claude Allaigre, in Anthologie bilingue de lapoésie espagnole, sous la direction de Nadine Ly, Paris, La Pléiade, 1995, pp. 100-101.

72) lbid,p.44\.73) Maintenant, pour mes péchés, je suis devenue bien vieille et personne ne m'aime. Et

pourtant, Dieu sait si je veux encore bien faire ! Embrassez-vous, serrez-vous fort, il ne me resteplus que le plaisir de vous voir. Tant que vous serez à table, tout est permis jusqu'à la ceinture,mais dans le privé je n'y mettrai point de limites puisque le roi n'en met pas. Et je sais par lesfilles qu'elles ne vous accusent jamais d'être importuns. La vieille Célesline mâchera en grinçant,avec ses vieilles gencives émoussées, les miellés de la nappe. Fernando de Rojas, Ibid., IX,tome II, p. 40. Traduction française p. 112.

74) Que je ne meure pas de ma belle mort sans avoir une outre ou une bonne cruche derrièrema porte. Ibid., IV, tome I, p. 174. Traduction française, p. 59.

75) Ibid, p. 174.