"L'Université de Perpignan au Moyen Âge", L’Université de Perpignan. L’une des plus anciennes...

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– 11 – par AYMAT CATAFAU Maître de conférences d’histoire médiévale histoire de l’ancienne université de Perpignan reste à écrire » constatait Jean-Gabriel Gigot en 1970. Une belle publication des Presses Universitaires de Perpignan en 1996 a permis de combler partiellement cette lacune pour les XVII e et XVIII e siècles 1 . Mais l’université de Perpignan au Moyen Âge reste presque inconnue. Dans cet ouvrage, quelques pages forts pertinentes 2 venaient rappeler le contexte politique de sa création : détour par les origines, rapide mais indispensable, pour tracer la toile de fond d’études qui concernaient l’époque moderne. L’université du Moyen Âge n’a jusqu’ici intéressé les historiens que de manière connexe 3 . Déjà, à la fin du siècle der- nier, l’abbé Torreilles, dans deux études qui firent date pour la connaissance des institutions perpignanaises d’enseignement sous l’Ancien Régime et la Révolution 4 , se bornait à une présen- tation concise des circonstances de sa fondation. Plus récemment, Jean-Gabriel Gigot, ancien directeur des Archives Départemen- 1. L’Université de Perpignan au XVIII e siècle, Jean Sagnes dir., Perpignan, 1996, 311 p. 2. Gilbert Larguier, L’Université..., p.14-20 et Alice Marcet, ibid., p. 23. 3. La meilleure approche jusqu’à ce jour restant celle de Pierre Vidal, Histoire de la ville de Perpignan, 1897, reprint 1975, p. 277-284. 4. Abbé Philippe Torreilles, « L’Université de Perpignan avant et pendant la Révolu- tion Française », Bulletin de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des PO, t. 33, p. 273-386, et « Le collège de Perpignan depuis ses origines jusqu’à nos jours », BSASL des PO, t. 34, p. 345-438. « LES DÉBUTS DE L’UNIVERSITÉ SOUS LES ROIS D’ARAGON

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par

AymAt CAtAFAUMaître de conférences d’histoire médiévale

histoire de l’ancienne université de Perpignan reste à écrire » constatait Jean-Gabriel Gigot en 1970. Une belle publication des Presses Universitaires de Perpignan

en 1996 a permis de combler partiellement cette lacune pour les XVIIe et XVIIIe siècles1. Mais l’université de Perpignan au Moyen Âge reste presque inconnue. Dans cet ouvrage, quelques pages forts pertinentes2 venaient rappeler le contexte politique de sa création : détour par les origines, rapide mais indispensable, pour tracer la toile de fond d’études qui concernaient l’époque moderne. L’université du Moyen Âge n’a jusqu’ici intéressé les historiens que de manière connexe3. Déjà, à la fin du siècle der-nier, l’abbé Torreilles, dans deux études qui firent date pour la connaissance des institutions perpignanaises d’enseignement sous l’Ancien Régime et la Révolution4, se bornait à une présen-tation concise des circonstances de sa fondation. Plus récemment, Jean-Gabriel Gigot, ancien directeur des Archives Départemen-

1. L’Université de Perpignan au XVIIIe siècle, Jean Sagnes dir., Perpignan, 1996, 311 p.2. Gilbert Larguier, L’Université..., p.14-20 et Alice Marcet, ibid., p. 23.3. La meilleure approche jusqu’à ce jour restant celle de Pierre Vidal, Histoire de la ville de Perpignan, 1897, reprint 1975, p. 277-284.4. Abbé Philippe Torreilles, « L’Université de Perpignan avant et pendant la Révolu-tion Française », Bulletin de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des PO, t. 33, p. 273-386, et « Le collège de Perpignan depuis ses origines jusqu’à nos jours », BSASL des PO, t. 34, p. 345-438.

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Les débuts de L’universitésous Les rois d’ArAgon

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tales des P.-O., dans quelques articles5, puis dans son intro-duction à l’inventaire des archives de l’université6, apportait quelques compléments indispensables à la datation de la fonda-tion royale et fournissait le premier instrument presque exhaus-tif de connaissance des sources. Mais son appel aux historiens ne fut guère entendu, tout au moins des médiévistes. La seule étude d’une certaine ampleur reste celle de Cándido María Ajo, qui, dans un ouvrage monumental et déjà ancien7, s’attachait à une exégèse des institutions universitaires perpignanaises au travers d’un commentaire des premiers statuts. Depuis, la très complète Història... dels Països Catalans8, a apporté quelques éléments de comparaison entre l’université perpignanaise et ses consœurs catalanes et montpelliéraine.

Pourtant les sources existent, et le lamento, trop souvent justi-fié, des médiévistes roussillonnais déplorant la mauvaise conser-vation et la rareté de leurs documents en comparaison à l’état des archives du reste de la Catalogne n’est guère de mise ici. Peu d’universités catalanes peuvent se prévaloir d’un fonds d’ar-chives aussi fourni et, sinon complet, du moins aussi représen-tatif des différents aspects de l’activité de l’institution : statuts, locaux, enseignement, diplômes, listes de maîtres et étudiants, relations avec les autres acteurs de la vie publique (municipalité, Église, pouvoir souverain). La conservation du manuscrit 87 de la Médiathèque de Perpignan, dit Llibre dels quatre clous, véritable cartulaire-mémoire de l’institution, est une chance dont n’ont pas bénéficié de nombreux autres établissements du Moyen Âge. Toute une première partie – environ 140 pages – y concerne le premier siècle et demi d’histoire de l’université, jusqu’en 1500 environ, riche d’informations (les statuts et leurs modifications, le calendrier de la vie universitaire) et de notations fréquentes

5. « Un problème de diplomatique : la datation de l’acte de création, par Pierre IV, de l’Université de Perpignan », Congrès d’Elne, 1969, « La création de l’Université médié-vale de Perpignan », Cahiers ligures de préhistoire et d’archéologie, n° 18, 1969, p. 66-70 et “Notes sur l’ancienne Université de Perpignan”, Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, n° 1, p. 75-79.6. Inventaire analytique de la série D. Université de Perpignan (1350-1793), Perpignan, 1970, p. V-XVI.7. Et méconnu de ses contemporains, puisque J.-G. Gigot ne le cite pas : C. Ma Ajo y Sáinz de Zuñiga, Historia de las Universidades Hispánicas. Orígenes y desarrollo hasta nuestros dias, Madrid, 1957, vol. I, p. 241-248, essentiellement une rapide présentation des circonstances de la fondation et une analyse succincte des statuts du studium de Perpignan.8. Salvador Claramunt, « Els estudis generals i les universitats », Història. Política, Socie-tat i Cultura dels Països Catalans, vol. 3, Barcelona, 1996, p. 355-358 pour Perpignan.

Llibre dels quatre clous, manuscrit 87, Média-thèque de Perpignan, fin XIVe - fin XVIIIe siècle. Véri-table cartulaire de l’Univer-sité de Perpignan, le Livre des quatre clous conserve les statuts universitaires dans leur première rédac-tion, les copies des privi-lèges attribués au studium, les mentions des élections de recteurs et les décisions les plus importantes sur l’organisation de l’univer-sité. Reliure de cuir sur ais (planchettes) de bois, fers dorés dans les angles, fermoirs de cuivre, armes de l’université repoussées et dorées au fer au centre du premier plat datant du XVIIIe siècle. Des quatre clous qui ornaient chaque plat et donnaient son nom au livre, il ne reste plus que la trace. Cliché Média-thèque de Perpignan.

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sur la vie interne de l’université (élection des recteurs, notes et privilèges divers). Mais nous possédons aussi, retrouvés par les érudits du siècle dernier aux archives vaticanes, des rotuli, rou-leaux de requêtes adressés au pape par les maîtres et étudiants de Perpignan en vue d’obtenir la collation de bénéfices ecclésias-tiques leur assurant un revenu régulier pendant leurs études : noms, grades, origines des « usagers de l’université » – comme on dirait aujourd’hui – permettent de tracer les contours de son rayonnement. Une petite liasse de vingt-cinq documents9 ne représente guère, il est vrai, que l’épave d’un chartrier, ou tout au moins d’un dossier d’archives qui dut être bien plus volu-mineux. Enfin les séries d’archives publiques, ecclésiastiques ou notariales, recèlent, à Perpignan, comme à Barcelone, des docu-ments, souvent encore inconnus, mais dont de rapides sondages nous ont montré qu’ils pouvaient être plus nombreux et plus enrichissants qu’on ne croirait.

Disons-le cependant d’emblée, notre étude n’aura pour seule prétention que de combler partiellement les lacunes de l’histo-riographie roussillonnaise, et loin de tenter de faire l’histoire de l’université de Perpignan au Moyen Âge, nous nous contente-rons d’en souligner quelques traits particuliers, illustrés par les sources conservées.

En 1350, le roi fonde une université… qui n’existe qu’après 1379

L’acte politique par lequel est fondée l’université de Per-pignan est bien connu, bien daté et a été déjà largement com-menté10 : les lettres du roi d’Aragon Pierre le Cérémonieux11 (1336-1387), datées du 20 mars 1350, portent création d’un stu-dium generale, c’est-à-dire d’une véritable université, calquée sur le modèle de celle de Lleida, la seule existante à cette date dans le domaine catalano-aragonais depuis la perte de Montpellier, effective depuis 1344 et la fin du royaume de Majorque, défini-tive depuis 1349 par la vente de la seigneurie de Montpellier au roi de France par Jacques III de Majorque.

La volonté politique est claire et les lettres royales sont sans ambiguïté : le roi Pierre, sur l’initiative des consuls de Perpignan

9. ADPO, D1, 1395-1468.10. Pierre Vidal, J.-G. Gigot, puis G. Larguier l’ont tour à tour cité, daté, présenté dans son contexte historique.11. Pierre III pour les Catalans, Pierre IV pour les Aragonais.

Premier folio des statuts de 1388-1389 (copie contemporaine ou de peu postérieure). Préambule : De summa trinitate et fide catholica rubrica. L’Univer-sité est une institution ec-clésiastique : les premiers articles fixent les lectures obligatoires du calendrier liturgique, à faire par un maître en théologie ou un docteur désigné par le rec-teur. Par le soin apporté à la calligraphie et au décor des lettrines, ce livre des statuts témoigne du pres-tige de l’institution universi-taire médiévale. Llibre dels quatre clous, Médiathèque de Perpignan, ms 87, fol. 28, parchemin.

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et de l’évêque d’Elne, veut doter sa ville d’un instrument apte à former les compétences nécessaires à son épanouissement. Il brode pour l’occasion des compliments – doux climat, situation géographique privilégiée, richesse des sciences et du commerce – qui flattent la ville nouvellement rentrée dans le giron de son royaume. Un enseignement complet (lecture et leçons) devra y être donné en théologie, droits canon et civil, arts. De quoi pla-cer Perpignan en position de force, ou tout au moins de résis-tance, face à Montpellier, devenue concurrente universitaire en terre étrangère, brillante par sa réputation, son ancienneté et ses maîtres, et qui a toutes chances de continuer à attirer les élèves et les docteurs catalans et aragonais, comme elle attire ceux de tout le sud de la France et d’ailleurs… En une époque où la mobilité estudiantine et professorale reste la règle, la volonté de création de l’université de Perpignan est une première tentative d’endi-guer l’hémorragie redoutée des élites. En ce sens, comme on a pu le noter déjà, cette création constitue un élément de la mise en place d’une frontière, d’une territorialisation du contrôle poli-tique, mais plus symboliquement le pouvoir royal prouve ainsi qu’il considère la promotion d’une culture de haut niveau comme un élément indispensable de la manifestation de son prestige et un outil de son rayonnement.

On peut donc précisément dater la volonté royale de créa-tion de l’université de Perpignan et comprendre les motivations politiques qui l’entourent à la lecture de ces lettres royales du 20 mars 1350. On doit cependant avouer que rien, aucun nom, aucune mention directe ou indirecte ne vient attester de l’exis-tence réelle de cette université durant les décennies qui suivent. Aucun des documents de la série D des Archives départemen-tales, des Archives de la Couronne d’Aragon, du Livre des quatre clous ou du recueil de Marcel Fournier sur les universi-tés françaises12 ne contient quoi que ce soit (noms de maîtres ou d’étudiants, programmes, statuts, etc.) pour les décennies qui suivent 1350.

C’est seulement à partir de la bulle du pape Clément VII confirmant en 1379 l’érection du studium generale que vont se multiplier les documents rendant compte des actes concrets qui accompagnent la mise en place et l’organisation interne de l’uni-versité de Perpignan : recherche de locaux, rédaction de statuts, requêtes au pape pour l’établissement ecclésiastique des maîtres

12. Marcel Fournier, Les statuts et privilèges des Universités françaises, t. 2, 1894, p. 651-716.

Le roi Pierre IV d’Ara-gon (en Catalogne on le nomme Pierre III ou Pierre le Cérémonieux) qui « créa » l’Université de Per-pignan en 1350, d’après une miniature contenue dans l’Aureum Opus, recueil des privilèges concédés au royaume de Valence depuis Jacques Ier le Conquérant jusqu’à Pierre IV. Ce superbe ma-nuscrit enluminé fut réalisé dans le derniers tiers du XIVe siècle ; il est donc à peu près contemporain du souverain. Arxiu Municipal d’Alzira.

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et étudiants. En même temps apparaissent les premières men-tions de recteurs et les premiers documents concernant la vie quotidienne des usagers de l’institution, révélant du même coup que sans autorisation pontificale la création d’une université res-tait lettre morte.

La conclusion à tirer de ces éléments est claire : l’université de Perpignan, créée sur le parchemin en 1350 n’existe pas avant 1379. Cette période d’inexistence de presque trente ans a été quelque peu occultée par les historiens de l’université de Per-pignan. Peut-être par une sorte de gêne à admettre des débuts moins anciens ou moins glorieux pour notre studium generale, on n’a voulu voir dans ces trois décennies qu’un entre-deux, une sorte d’attente, de période de gestation, suspendue entre la conception et la naissance.

Il faut pourtant revenir sur ces dates et admettre qu’un si long délai manifeste à n’en pas douter un problème ou une série de problèmes qu’on ne peut, tout au moins, éviter de poser. Il en est deux au moins qui, à l’évidence, peuvent expliquer en partie ce long hiatus.

C’est d’abord la situation de crise de la ville de Perpignan et, plus généralement, des comtés nord-catalans en 1350. Les raisons en sont multiples, et on ne peut que les évoquer ici : les campagnes militaires de 1343 et 1344 quand Pierre IV le Céré-monieux roi d’Aragon s’empare du royaume majorquin, puis les tentatives de reconquête par Jacques III de Majorque jusqu’à sa mort, en 1349, épisodes militaires entrecoupés par l’irruption de la Peste Noire au printemps de 1348 (entre un tiers et deux tiers de la population disparaît par mortalité puis par fuite vers des centres urbains13). Le Livre Vert de Perpignan, porte sur ses premières pages quelques notations d’événements qui mar-quèrent la vie de la ville. Pour 1348, le notaire a inscrit : « Aux mois de mars, avril, mai et juin, et peu avant et peu après, il y eut dans cette contrée une grande mortalité de personnes, telle que envi-ron de dix personnes une resta et qu’en un jour il mourut à plusieurs reprises dans cette ville mille personnes et plus »14. Au delà de l’exa-gération qui s’explique par le traumatisme profond ressenti par toute une société, on peut rappeler qu’à Lleida en 1350 on n’ar-rive guère à trouver en nombre suffisant les personnes capables

13. Pour la Catalogne en général, le Roussillon et le Conflent en particulier, on se fera une idée de l’ampleur de la crise démographique au travers de l’Història de Catalunya, volum III, Carme Batlle, L’expansió baixmedieval (segles XIII-XV), p. 251-254. 14. Traduction d’après ADPO, AA3, 2 Mi42, fol. 8.

Statuts de l’université mé-diévale. Après la lettrine U : Universitatis statuta custodiantur ab omnibus in hoc studio studere vo-lentibus, « Que les statuts de la communauté soient gardés par tous ceux qui veulent étudier dans cette université ». Ce premier article fait de la défense des statuts le devoir impé-rieux de tous ceux qui veulent étudier dans l’uni-versité. La défense des prérogatives universitaires est avant tout l’affaire des «usagers» eux-mêmes. Un index dessiné en marge désigne au lecteur du Llibre dels quatre clous le début du texte des sta-tuts de l’Université. Llibre dels quatre clous, Média-thèque de Perpignan, ms 87, fol. 29, parchemin.

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d’occuper les charges municipales, et il en va de même dans les calls des juifs15 : les hommes compétents viennent à manquer. On a montré, dans le cas précis de Perpignan, que la mortalité affecte particulièrement certaines professions, certains groupes sociaux, exposés à la contagion par leurs fonctions publiques16. Crise démographique donc, redoublée d’une crise écono-mique durable dont les racines sont un peu plus anciennes : on la ressent dans toute la Catalogne à partir de l’année 1333 – c’est « la première mauvaise année » disent les chroniques contemporaines17 – et elle s’installe durablement. Les essais de périodisation de la crise des XIVe et XVe siècles dans le domaine catalano-aragonais sont aussi nombreux que délicats à inter-préter, ils convergent toutefois pour caractériser une crise de longue durée aux effets désastreux dans de nombreux secteurs (banque, commerce maritime, production industrielle). À Per-pignan et en Roussillon, les effets des campagnes militaires et du marasme économique précèdent la crise démographique et aggravent ses conséquences, sans doute la ville n’a-t-elle pas eu la chance, comme d’autres cités catalanes, d’échapper temporai-rement au plus gros des difficultés.

Cette situation peu favorable s’illustre sur le front des constructions publiques, ailleurs encore nombreuses jusqu’aux années 1380 : le chantier de la nouvelle église Saint-Jean, officiel-lement ouvert par la pose de deux premières pierres en avril 1324, est interrompu à partir de 1344 et ne reprend semble-t-il qu’après 137818. La concordance chronologique avec le délai d’« attente » de la fondation de l’université est plus qu’une coïncidence : pendant ces trente années les autorités de la ville mobilisent les ressources fiscales pour des travaux de recons-truction et de réparation après les destructions des guerres pas-sées, elles se heurtent en outre aux évêques, qui se succèdent rapidement (huit occupent la charge de 1342 à 1377). Bref, l’heure n’est sans doute pas plus à la création d’une université qu’au projet ambitieux de construction d’une nouvelle église.

On peut, à ces considérations d’ordre démographique, économique et social en adjoindre d’autres, de politique inté-

15. Carme Batlle, L’expansió baixmedieval..., p. 256.16. Charles Dupâquier rappelle les calculs de Richard W. Emery qui fait état d’une mortalité de 58% parmi les juristes, scribes et notaires perpignanais pour l’année 1348, Histoire de la population française, réed 1995, t. 1, p. 318 et plus généralement p. 321-322.17. C. Batlle, Història..., p. 251.18. Pierre Ponsich, « La cathédrale Saint-Jean de Perpignan », Études Roussillonnaises, t. III, 1953, p. 140-144.

Llibre dels quatre clous, Médiathèque de Perpi-gnan, ms 87, fol. 128, parchemin.Privilège de création du studium generale de Per-pignan, attribué par le roi Pierre d’Aragon en 1350. Copie, sans doute de la fin du XVe ou du XVIe siècle, effectuée d’après la transcription contenue dans le Livre vert majeur de la ville de Perpignan, aujourd’hui conservé aux Archives Municipales. On remarquera la lettrine, plus légèrement traitée, ainsi que la mise en page moins soignée que pour la pre-mière partie du cartulaire, qui contient les statuts de l’université.

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entre la papauté et les monarchies. Le schisme de 1378 place en effet les deux papes élus en position affaiblie, dès lors l’obten-tion du soutien des autorités séculières peut devenir objet de tractations et de compromis. Non pas que Pierre d’Aragon se soit impliqué ouvertement dans le conflit qui oppose les deux prétendants au trône de saint Pierre, il semble même qu’il ait manifesté en cette affaire une prudente circonspection. Dis-poser librement des bénéfices ecclésiastiques - ce dont il ne se prive pas - l’intéresse davantage que chercher une solution aux désordres de la chrétienté.

En revanche, son fils Juan, premier né, sous l’influence du prédicateur Vicent Ferrer, et surtout du prélat Pedro de Luna (le futur Benoît XIII) s’engage davantage en faveur de l’Avigno-nais : ambassades et légations se multiplient, et c’est expressé-ment « à la demande affectueuse du primogenit, duc de Girona » que Clément VII accorde la bulle qui institue officiellement l’université de Perpignan. Venant récompenser le soutien plus nettement affirmé des Aragonais, la fondation de l’université de

rieure : depuis la création de l’Université de Lleida en 1300, qui connut elle aussi des débuts difficiles jusqu’à la confirmation royale de 1327, l’enseignement du droit, de la philosophie et de la médecine étaient interdits en tout autre lieu de Catalogne. Ce monopole d’exclusivité fut très tôt mis en cause par les Barce-lonais : ensemble, l’évêque, le chapitre cathédral et les autorités municipales de la capitale fondèrent un studium en 1309, prin-cipalement consacré à l’enseignement des arts libéraux, mais dès l’année suivante les conseillers de cette université, fondée en marge du roi et du pape, y adjoignaient l’enseignement du droit. Dans ce contexte, il est probable que la volonté du sou-verain dut se heurter à un certain nombre de pressions ou de résistances, tant de la part de la plus ancienne université cata-lane à Lleida, que de la capitale barcelonaise, première concen-tration urbaine, comptant en 1350 environ 35 000 habitants, soit le double à peu près de la population de Perpignan à la même époque, deuxième ville de Catalogne.

Enfin ce délai d’attente entre l’acte de création et la nais-sance effective peut être imputé à des relations difficiles entre la papauté et le souverain aragonais19. D’éventuelles réticences pontificales auraient pu être justifiées, soit que le pape ait été directement en désaccord sur la question de la création d’une université de fait concurrente de Montpellier, mais aussi de Toulouse et de Bologne – et le refus en 1379 d’entériner l’ensei-gnement de la théologie à Perpignan pourrait en être un signe –, soit qu’il soit devenu méfiant envers la politique d’expansion méditerranéenne de Pierre le Cérémonieux – après avoir sans succès tenté d’apaiser le conflit avec le royaume de Majorque20 – dont la création de l’université de Perpignan pouvait appa-raître comme une conséquence ou, pire, une étape de plus.

La réelle création ou mise en place de l’université de Per-pignan n’intervient alors qu’en 1379, par une bulle du pape Clément VII. Imaginer à ce moment un léger mieux dans la conjoncture économique perpignanaise, au moment où tous les paramètres économiques se détériorent dans le reste de la Catalogne serait déraisonner ; c’est bien plutôt du côté des conditions politiques, ou diplomatiques, qu’un changement de premier ordre vient renverser la tendance dans les relations

19. C’est l’opinion de Salvador Claramunt, Història..., p. 357.20. Bernard Guillemain, « L’Église et les pouvoirs », dans Histoire du Christianisme des origines à nos jours, J.-M. Mayeur et alii dir., Paris, 1990, t. 6, Un temps d’épreuves, p. 601.

Détail du folio 29 du ms 87, Médiathèque de Per-pignan : lettrine L du para-graphe Licet hoc studium privilegiis ac libertatibus gaudeat… « Il convient que cette université jouisse des pri-vilèges et libertés… dit l’ar-ticle… identiques à celles accordées aux universités de Toulouse et de Lleida » .

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Perpignan peut apparaître aussi comme une réponse aux tergi-versations du monde universitaire – entre autres, mais pas seu-lement, parisien – qui refuse de prendre position en faveur de Clément en 1378 : le pape réaffirme la prééminence de la tiare de qui seule procèdent les écoles. Élu le 20 septembre 1378, Clé-ment octroie sa bulle le 28 novembre de l’année suivante : la relation entre les deux événements est trop directe pour être for-tuite, elle témoigne d’une volonté réciproque de rapprochement et atteste d’un changement d’attitude de la part de la papauté en faveur du studium perpignanais, changement principalement motivé par des considérations de diplomatie. Ceci renforce l’im-pression que la période d’attente antérieure avait pour explica-tion (au moins partielle) une opposition de la part de Rome, dont témoigne peut-être encore l’interdiction en 1379 d’enseigner la théologie à Perpignan, contrairement aux souhaits du roi expri-més en 1350.

La question historique de la fondation de l’université de Perpignan n’est en aucune manière close par ces considéra-tions, toutefois ces éléments de réponse permettent de la repla-cer dans une perspective plus ample : la part du politique, déjà largement soulignée dans les lettres royales de création en 1350, explique aussi les trente années d’atermoiements qui suivent comme elle explique l’autorisation pontificale de création de 1379. Quelle meilleure illustration des enjeux de la fondation du studium generale ?

L’établissement d’une université à part entière

Les locaux : le cadre de vie universitaire

Pour nous, héritiers du sens littéral du terme, l’« univer-sité » a gardé dans son nom l’idée d’une association d’individus, maîtres et étudiants, réunis par un même intérêt, l’étude, jouis-sant des mêmes privilèges, dérivés de l’immunité ecclésiastique, et se conformant à un certain nombre de règles librement accep-tées, les statuts. Mais tout groupe de personnes ayant un intérêt commun au Moyen Âge est susceptible de s’appeler universitas, et c’est d’ailleurs sous ce nom que se désignent les communautés villageoises ou urbaines en Roussillon aux XIVe et XVe siècles. L’université médiévale est d’abord un studium. Le terme de stu-dium tranche volontairement avec celui d’« école ». Les écoles monastiques, cathédrales ou municipales ont existé, et sans

Robert de Genève, pape d’Avignon sous le nom de Clément VII (1378-1394), est le premier pape du schisme avignonnais. Il obtient le soutien de Pierre d’Aragon et accorde en contrepartie à l’université de Perpignan la bulle de confirmation de 1379, date réelle de la nais-sance de l’université. Frag-ment de gisant, sculpture attribuée à Pierre Morel (1393-1402). Dépôt Cal-vet N 56 Avignon, Musée du Petit Palais.

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de ces maisons pour le plus grand intérêt et illustration de la ville.

Il semble que la recherche soit orientée d’abord en direction du quartier Saint-Mathieu, ce qui peut être une indication de la préexistence d’un premier établissement (installé dans les mois précédents) dans cette paroisse qui borde au nord la colline où s’élève le château royal, et sur laquelle se trouvent encore, extra-muros, de nombreux espaces non bâtis. C’est d’ailleurs à Saint-Mathieu, tout au bord du rempart de la ville et au pied des glacis du palais des rois que s’installe l’université. Nous en trou-vons trace dans les siècles qui suivent : elle se trouve sur la rue qui va de l’église Saint-Mathieu au château royal, elle est toute proche du couvent de Sainte-Claire23. La rue qui passe devant l’université va prendre le nom de carrer del studi, qu’elle garde jusqu’au XVIIIe siècle. Au début du XVIIIe siècle, la construc-tion de la nouvelle université (près de la place de la Font Nova, bordant la rue du Ruisseau) entraîne la désaffection de ces pre-miers bâtiments du studium médiéval qui sont alors affectés

23. En l’an 1475, l’hôpital de Perpignan établit en faveur de Pierre Fahéna, apothicaire de Perpignan, une maison, un pati et un jardin sis dans la paroisse de Saint-Mathieu, touchant “en lo Estudi Major de dita vila, y en lo carrer o coronell, vulgarment dit de la casa del Bascompta de Evol” (notaire Jean Canta, Liasse 18, n° 11, archives de l’Hôpital de Per-pignan), Abbé Bénoni Colomer, Annales de l’Hôpital Saint-Jean de Perpignan : 1116-1900, Perpignan, 1928, p. 118. Puis en 1596, on retrouve une localisation plus précise quand Bartholomé Balle vend à Jaume Traver « une maison et jardin contigu dans la paroisse de Saint-Mathieu, voisin du studium generale de cette ville, touchant à trois rues, l’une qui va de la maison de l’apothicaire Honophre Guerra au château principal, l’autre qui va de cette rue au studium generale, l’autre qui va du monastère Sainte-Claire à l’église Saint-Mathieu ».

doute aussi à Perpignan21, elles ont parfois, dans les centres les plus importants, pu donner naissance aux premières universités des XIIe et XIIIe siècles22, mais au XIVe siècle la distinction est bel et bien acquise : le studium est une institution publique de forma-tion intellectuelle de haut niveau où l’adjonction de l’épithète, generale, définit l’ampleur du projet éducatif, du baccalauréat au doctorat.

La première marque de la différence du studium d’avec les « petites écoles » est son établissement indépendant dans des locaux propres, distincts des vieux centres de la culture ecclé-siastique et du pouvoir. Il est significatif que le premier acte par lequel se concrétise la réelle création de l’université de Perpi-gnan, après la bulle d’autorisation de 1379, soit la recherche de bâtiments convenant à son installation.

En effet, dès le 1er mars 1380, l’infant Jean, gouverneur géné-ral, donne mission aux cinq consuls de Perpignan de procéder à l’estimation des immeubles, maisons ou terrains à bâtir, néces-saires à l’établissement du studium generale afin que les docteurs, licenciés et autres étudiants se trouvant dans cette ville ou amenés à y résider soient mieux et plus spacieusement logés. Il précise que cette enquête se déroulera dans la paroisse de Saint-Mathieu, mais aussi dans les autres paroisses de la ville. Ces bâtiments seront affectés aux écoles et maisons nécessaires aux docteurs et étudiants : il est en effet d’usage de concevoir l’université comme une entité homogène, qui englobe dans un même quartier, par-fois dans un même pâté de maisons, les « salles de classe », pou-vant consister en préaux ou portiques ouverts tout autant que les logements des maîtres et des étudiants : l’universitas y est maté-rialisée en un groupe cohérent. Ce travail d’estimation – nous dirions plutôt d’expertise – est délégué par le gouverneur royal aux consuls et à ceux que ceux-ci désigneront pour parcourir les rues de la paroisse Saint-Mathieu et des autres : ce seront des doc-teurs, des licenciés et experts en droit, des étudiants de la ville et du studium. Tous doivent prêter serment au bayle de Perpignan, le fondé de pouvoir de la gestion du domaine du roi. Une fois ces estimations faites, les consuls ayant pris avis des docteurs et des autres membres du studium, l’infant Jean ordonne que le bayle et le viguier du Roussillon versent une caution pour l’acquisition

21. Un grammaticus est témoin d’un acte en 1137 à Perpignan, original conservé, ADPO, 2hdtp19. Il existait aussi à Perpignan une rue des « écoles vieilles » à la paroisse La Réal.22. Jacques Verger, Les universités au Moyen Âge, Paris, 1973, p. 9-46.

Détail du folio 29 du ms 87, Médiathèque de Perpignan : lettrine U de « Universitatis », mot qui veut dire « communauté » et non « université » au sens d’institution scolaire : c’est le mot studium qui figure juste au-dessous sous la forme studio qui désigne l’université, lieu d’enseignement : le stu-dium generale.

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LES DÉBUTS DE L’UNIVERSITÉ SOUS LES ROIS D’ARAGON

à l’atelier monétaire de la ville et sa rue deviendra « Petite la Monnaie ». Une publication de l’Association numismatique de Perpignan24 reproduit le plan de cet atelier monétaire, qui a subi quelques aménagements nécessaires aux déroulement des acti-vités de fonte et de frappe, mais dont on peut supposer que le gros œuvre n’a pas été fondamentalement bouleversé25. La dis-position est celle d’un grand ensemble bâti, composé de deux corps de bâtiments ouvrant sur deux cours intérieures dispo-sées en enfilade. Les pièces que l’on peut voir sur le plan du XVIIIe siècle sont petites, mais elles peuvent avoir été recou-pées et de plus grandes salles ont pu exister ; par ailleurs rien n’indique que les cours doivent se dérouler dans des locaux de taille imposante, ni même fermés : parfois un patio couvert a pu faire office de salle, parfois certaines leçons pouvaient être don-nées dans des pièces assez modestes. Les statuts précisent qu’à l’occasion de l’élection du recteur, les conseillers doivent être réunis dans les « grandes écoles » (autre nom du studium) : étant au nombre de douze, même en adjoignant le recteur et le chan-celier on n’atteint pas à une assemblée si importante qu’elle ne puisse être réunie en une pièce de dimensions normales. Enfin, les statuts évoquent la cloche de l’université, ce qui peut laisser entendre qu’une chapelle s’y trouvait, destinée aux dévotions des maîtres et étudiants, qui sont tous clercs. La grande porte de pierre encore visible vers 1970 aurait pu être celle du studium, avant celle de l’atelier monétaire.

Cependant l’université use aussi d’autres locaux que les siens propres, et tout particulièrement lors de séances publiques et solennelles, comme l’entrée en fonctions du recteur ou la réception aux grades. C’est en effet à l’église Saint-Jean de Perpi-gnan, plus précisément au cimetière Saint-Jean, dans la chapelle de Saint-Jean l’Évangéliste (dite aussi la Funeraria), ou dans le palais de l’évêque situé contre cette chapelle, que les futurs licen-ciés subissent leur dernier examen26.

24. Ce bâtiment a ensuite été rasé en 1972. 25. L’Atelier monétaire de Perpignan de 1710 à l’époque révolutionnaire, Perpignan, 1989, ill. p. 6-7 et 17.26. ACA, Cancilleria, Processos en quart, n° 420, 1413H, Estudi de Perpinyà, fol. 12r° et 29r°. Le fait avait déjà été signalé par Pierre Ponsich, Études Roussillonnaises, t. III, n° 2-3-4, 1954, p. 319.

L’atelier monétaire de Per-pignan, vers 1720, rez-de-chaussée. Le plan pourrait avoir conservé l’essentiel de la disposition des salles du « studium generale », dont la Monnaie a occupé les bâtiments. Sans doute l’université du Moyen Âge était elle d’abord réunie dans le bâtiment de plan presque carré du bas, autour d’une cour centrale. La partie du haut peut cor-respondre à une extension postérieure. Document Monnaie de Paris.

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Les statuts : élections et charges universitaires

Après l’attribution de locaux, le second élément nécessaire à la véritable fondation d’une université consiste à lui donner une personnalité juridique, un corpus de lois particulières et de règles de fonctionnement. Ces règles forment des statuts, que tous les membres de la commuauté universitaire s’engagent par serment à respecter. Ceux de Perpignan, conservés dans le Llibre dels quatre clous, formaient à l’origine la première et principale partie de ce recueil des privilèges universitaires27.

Au nombre de 57, ces statuts veulent régler l’ensemble de la vie universitaire : constitution, élections, durée des études, grades, examens, offices des différents dignitaires, salaires, jus-tice, vie quotidienne28. Ils incluent cinq modèles de serments, dont deux, ceux que doivent prêter les bacheliers en arts et en droit canon qui sont des copies littérales de véritables ser-ments, devant servir de modèles. Ils sont respectivement datés des années 1388 et 1389 : ceci offre un terminus ad quem pour la

27. Dans l’attente d’une étude codicologique minutieuse, qui devrait être menée sur le volume original, j’ai tenté dans la première version de retrouver les grandes étapes de constitution du Llibre dels quatre clous à partir de la lecture du microfilm réalisé par la Médiathèque de Perpignan et des remarques de Jean-Gabriel Gigot, Inventaire analytique..., p. 116-138. Les 131 premiers folios en parchemin constituent le noyau ini-tial de ce volume (noyau initial lui-même complexe, nous le verrons). C’est au XVIIIe siècle seulement que l’on y a ajouté 97 folios, presque tous de papier, consistant pour l’essentiel en un gros dossier à propos des titres exigés des professeurs étrangers et de questions de protocole et de préséance : dans cet ajout du XVIIIe siècle, seuls les folios d’une transcription d’acte et ceux du catalogue des recteurs sont en parchemin. Le « car-tulaire » originel renfermait donc d’abord un calendrier de l’année liturgique et universi-taire (nous en reparlerons) puis la copie des statuts, ces deux parties n’occupaient que 48 folios de parchemin et ont été indubitablement copiés de la même main, à la fin du XIVe siècle sans doute : à la suite de quoi viennent 77 folios, toujours de parchemin, intégrés au codex soit dès la constitution du cartulaire, soit lors d’une reliure postérieure : ces 77 folios comportent des additions et modifications apportées aux statuts, des mentions d’élections. Ces additions et mentions s’étendent sur les années qui vont de 1404 à 1764. Manquent à notre décompte 6 folios de parchemin, qui se trouvent en tête du volume actuel, et qui sans doute pour une partie formaient au départ un ensemble de « pages de garde » laissées vierges au moment de la constitution du livre des statuts, et pour une autre partie ont été ajoutés par la suite (peut-être en deux temps) : ceci explique que le livre commence par trois folios comportant des ajouts (mentions d’élection surtout) des années 1690-1706, puis de 1600-1689, viennent ensuite trois folios avec des ajouts de 1466 à 1507. L’histoire du Llibre lui-même est donc complexe, et la répétition aux pages 168-205 de tout le corpus des privilèges anciens (actes de 1350 à 1447) indique qu’un deu-xième « cartulaire » ou une deuxième entreprise de recollection des titres de « prestige » de l’université dut être menée à la fin du XVIe siècle.28. L’étude comparée de ces statuts avec ceux de Toulouse, de Bologne et de Lleida, dont ils sont inspirés, reste à faire. Elle serait sans doute d’un intérêt non négligeable quant à l’évolution des institutions universitaires d’une large aire méridionale.

Le Castillet de Perpignan fut bâti à partir de 1368, entre la proclamation de la création de l’université, en 1350, et son entrée en fonction effective, en 1379.

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prétexte d’un rescrit pour échapper à ses obligations, qu’il émane d’un prince ou d’un prélat, car toute demande d’exemption doit être présentée devant le recteur et approuvée par son conseil. De même celui qui subit une sanction de la part de l’université ne peut tenter de s’y soustraire en recourant aux juridictions prin-cières, séculières ou ecclésiastiques. Sur le même registre, le chapitre IV vient assurer qu’aucune coutume ne peut venir en contradiction avec les privilèges de l’université ni venir les modi-fier, sauf si cela a été fait légalement et en toute connaissance de cause, ainsi, concernant les coutumes de Perpignan, le recteur peut accepter celles qui sont à l’avantage des étudiants et rejeter les autres. Les statuts sont donc protégés de toute interprétation restrictive et, parmi les règles qui s’appliquent à tous les habitants de Perpignan, seules celles qui sont plus favorables à l’université sont retenues.

Les chapitres suivants (V à XV) traitent des élections aux différents offices, ainsi que des charges qui incombent aux offi-ciers choisis. L’indépendance par rapport au pouvoir royal, mais aussi épiscopal et municipal est affirmée sous deux formes : nul ne peut être nommé ou proposé comme recteur par un prince, ce qui serait en contradiction avec les statuts et privilèges de l’université, nul maître ou étudiant de quelque grade, noblesse, dignité ou condition que ce soit ne peut exercer auprès du roi, de

constitution du noyau initial du Llibre dels quatre clous, mais la rédaction des statuts peut être antérieure de quelques années.

Les statuts sont précédés du calendrier, puis viennent quatre courtes citations des Évangélistes, enfin l’index, ou table récapi-tulative des titres des chapitres des statuts. Le premier article est encore de contenu religieux : il fixe la date à laquelle doivent être lues les Décrétales, par un maître en théologie ou par un docteur, ou bien par le recteur du studium, à la veille de la fête de saint Thomas, à la veille des Rameaux et le mardi qui suit Pentecôte. Ce premier chapitre n’est pas sans poser problème. On sait que l’enseignement de la théologie à Perpignan, voulu par le roi en 1350, lui a été refusé en 1379 par la bulle de Clément VII29 : il ne devrait donc pas être question ici d’un « maître en théologie » ; peut-être cet article a-t-il été repris tel quel des statuts de l’uni-versité de Lleida, la solution de remplacement par un docteur ou par le recteur lui-même pouvant résoudre le problème parti-culier de Perpignan.

Le chapitre II stipule que tous ceux qui veulent étudier dans cette université doivent être régis par ces statuts et qu’ils ne doivent pas venir les contester devant les tribunaux. Seule l’uni-versité ou la majorité de celle-ci peut y apporter des modifica-tions. L’université de Perpignan jouit des mêmes privilèges et libertés que celles de Toulouse et Lleida. Tout docteur, maître, licencié, bachelier ou simple étudiant, nouvel arrivant au stu-dium, doit prêter le serment d’observer ces statuts en présence du recteur et s’inscrire de sa propre main (ou, disent les statuts, « de la main d’un autre s’ils ne savent pas écrire » !) sur le « livre matricule » du studium30, faute de quoi il ne pourra jouir des privilèges de l’université, ni être admis à la lecture (c’est-à-dire aux cours) ni à aucun grade. Ce chapitre de préambule fonde les avantages et les conditions de l’adhésion au groupe : jouir de droits particuliers, de privilèges et de libertés, bénéficier des cours et des grades, suppose de se conformer exclusivement et totalement à l’ensemble de règles de la petite collectivité univer-sitaire et de s’y engager publiquement, par serment et par écrit, donc sous les deux formes, sacrée et juridique, du contrat.

Le chapitre III met les statuts à l’abri de toute restriction pos-térieure : toute limitation de leur portée par un rescrit est déclarée par avance nulle. Nul membre de l’université ne peut prendre

29. Rappelons que l’enseignement de la théologie à Perpignan ne sera accordé qu’en 1447 par Nicolas V, Fournier, op. cit., p. 705.30. Ce livre matricule ne nous est malheureusement pas parvenu.

La chapelle Saint-Jean l’Évangéliste, dite de la Funeraria, à l’angle nord-est du cloître-cimetière Saint-Jean, au cœur du quartier canonial de Per-pignan, à deux pas de la demeure de l’évêque. C’est là qu’étaient souvent soutenues les thèses, de-vant l’assemblée des pro-fesseurs et des docteurs, mais aussi des étudiants. Cette chapelle fut sans doute construite à partir de 1389, et encore appelée « chapelle neuve, construite dans le cimetière » en 1396. S’y tenaient aussi des messes solennelles auxquelles assistait la tota-lité du corps universitaire. Certains cours publics pou-vaient s’y dérouler aussi. (Pierre Ponsich, « Le cloître Saint-Jean », Études roussil-lonnaises, t. III, n° 2-3-4, 1953, p. 319).

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La tâche principale du recteur est de veiller à l’ordre et à la discipline dans le studium, il lui incombe de trouver une solution rapide et juste, hors des tribunaux, aux conflits pouvant naître entre docteurs, maîtres et étudiants en recourant de préférence aux accords amiables (chap. XXII). Il est aussi le défenseur des privilèges et des libertés de l’université, face au roi, au gouver-neur, à l’évêque et aux consuls. Il est le recours de ceux qui, à l’université, sont victimes d’une atteinte à leurs droits. Tous lui doivent obéissance, mais il ne peut appliquer de sanctions sans l’accord de l’université ou de sa majorité.

Les docteurs et maîtres en droits civil et canon, en médecine et arts (la théologie n’est pas enseignée, conformément à la volonté du pape Clément VII) doivent être choisis en nombre suffisant et payés par les consuls de la ville, suivant l’avis du recteur et des conseillers, ils sont toujours nommés dans les quinze jours qui suivent la Pentecôte (c. VIII). Les conseillers sont élus en même temps que le recteur (c. IX), sans eux « la res publica du studium ne peut être gouvernée », ils sont au nombre de douze. Deux doivent être des bacheliers, un en droit canon, un en droit civil, qui sont choisis par les deux bacheliers sortants. Pour les autres, chaque conseiller sortant propose un nom pour un remplaçant,

l’évêque ou des consuls de la ville une charge de viguier ou de bayle sans autorisation du recteur. Le non-respect de cet enga-gement entraîne, et c’est la sanction générale pour toute contra-vention aux règles communes de la collectivité, la privation des droits propres à l’université. Le seul office à être pourvu directe-ment par le roi est celui de chancelier, nommé à vie, tout comme à Lleida. Le chapitre XXI définit ses attributions : de lui dépend la nomination des docteurs et maîtres chargés d’enseigner, et, au titre d’un des principaux officiers du studium, il jouit des privi-lèges universitaires. Son rôle est d’éviter que la nomination d’un maître puisse se faire en petit comité par pression ou concussion, mais il ne peut toutefois s’opposer à un candidat qui aurait cor-rectement répondu, en séance publique, aux questions des doc-teurs et maîtres.

Le personnage principal de l’université est son recteur. Dans un souci d’indépendance envers les autorités municipales, il est interdit que le recteur soit un habitant de la ville de Perpignan (chap. VII). L’élection du recteur se déroule après l’Épiphanie, elle se fait à la majorité simple des conseillers. Le résultat est pro-clamé la veille de la Purification de la Vierge : l’annonce ayant été faite d’abord aux écoles, au son de la cloche de l’université, les maîtres et étudiants se rendent en cortège à l’église Saint-Jean où le recteur sortant célèbre la messe de l’Esprit Saint, présente publiquement le recteur et les conseillers nouvellement élus et les exhorte à observer les obligations de leurs charges et à res-pecter les statuts. Enfin l’ancien recteur et les conseillers, anciens et nouveaux, vont présenter le nouveau recteur au chancelier qui le met en possession de sa charge. Alors le recteur peut recevoir le serment de ses nouveaux conseillers. Celui qui est élu rec-teur ou conseiller ne peut se soustraire à cette obligation, sous peine de privation des honneurs et privilèges universitaires. Plus loin le chap. XIV précise que ni le recteur, ni les conseillers, ni les docteurs et maîtres et, de manière plus générale, aucun de ceux qui occupent un office dans le studium n’ont la possibilité de se démettre de leur charge avant le terme, sauf si un évé-nement nouveau les y contraint à l’évidence. De même nul ne peut renoncer aux privilèges du studium. C’est réellement une « respublica » que cette université : le devoir envers la commu-nauté y prévaut toujours et pour tous sur les intérêts particu-liers et il n’est pas question de se soustraire à ses obligations. Un conseiller qui n’assiste pas au conseil peut, après trois semonces du recteur, être remplacé, mais il s’expose en outre à des sanc-tions (chap. XV).

Le Palais des rois de Majorque, bâti à partir des années 1260-1270 sur la colline dominant la ville, devint après la chute du royaume de Majorque la résidence du roi Pierre le Cérémonieux lors de ses séjours perpignanais. C’est lui qui, en 1350, souhaita établir une univer-sité dans la ville qu’il ve-nait de conquérir, comme pour s’en attirer les faveurs et en favoriser l’essor.

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puis le recteur et la majorité des conseillers doivent approuver ces propositions, et peuvent remplacer un nom par celui d’un autre jugé plus adéquat. On doit veiller aussi à ce que deux de ces conseillers soient issus de la faculté des arts et un autre de la faculté de médecine. Les conseillers doivent être très régulière-ment présents : ainsi si l’un d’eux est dans l’obligation de s’ab-senter pendant un mois, il doit, avec l’accord du recteur et des autres conseillers, se trouver un remplaçant qui prêtera serment au recteur.

Un trésorier doit recueillir les recettes (biens et salaires) et pourvoir aux dépenses : il rend des comptes annuels de son admi-nistration au nouveau recteur et aux conseillers, comptes inscrits de sa propre main31. Sa charge est conçue comme durable, et il ne sera remplacé par le recteur et le conseil que pour des raisons justifiées.

L’université choisit un bedeau général. Son rôle (c. XXVI) est celui d’un « censeur » des études. Armé d’une baguette verte longue d’au moins quatre-vingts centimètres qui lui est remise officiellement par le recteur à son entrée en fonctions, il visite les écoles quotidiennement, tient le calendrier des vacances, ser-mons et fêtes, veille à l’avancement des « lectures » selon le pro-gramme défini, se charge aussi de l’attribution des maisons où sont logés les universitaires. L’université nomme aussi un sta-tionnaire chargé du contrôle des livres : il vérifie que les ouvrages sont complets et correctement copiés, il organise aussi leur prêt ou leur vente d’occasion ; il semble qu’à Perpignan cette fonc-tion ait pu être tenue par le bedeau. En outre chaque école peut nommer ses propres bedeaux et « banquers » (ce sont les « appa-riteurs » qui préparent les salles, les « bancs », veillent au bon ordre des écoles, s’occupent des aspects matériels de l’enseigne-ment universitaire). Le bedeau général est seul chargé de faire l’annonce publique des livres à vendre recueillis et à lui trans-mis par les banquers (c. XI-XII). En revanche le bedeau ne peut pas enseigner, et on lui interdit aussi de spéculer sur les livres à vendre. Il est rétribué par chaque bachelier lecteur et chaque étudiant auditeur. Les juristes lui versent chacun annuellement trois sous, les bacheliers et étudiants en médecine, arts et gram-maire six sous. En échange de quoi il fournit aux étudiants dans les salles de cours de quoi s’asseoir : de la paille ou des nattes. Sa tâche consiste aussi à sonner la cloche à l’entrée et la sortie des classes, au début des cours, pour annoncer les répétitions et les

31. On peut là encore supposer l’existence d’un livre comptable, qui a lui aussi disparu.

disputationes (les « travaux pratiques » de logique) et les messes et sermons auxquels l’université est appelée, il sonne aussi chaque fois que le recteur le lui demande (c. XXVI). Il perçoit de chaque étudiant inscrit pour les questiones et les répétitions une somme de quatre deniers et à la fin de l’année deux deniers. Il fait faire à ses frais pour les docteurs ou maîtres en médecine, pour leur intronisation, une toge (gramasia) et une coiffe fourrée ainsi qu’une mante (supertunicale), et pour les nouveaux maîtres en arts une toge, une coiffe et une mante, sans fourrure. Il perçoit un florin d’Aragon, ou bien un vêtement, de chaque bachelier reçu à son examen de droit canon ou civil et l’étudiant qui veut accéder au baccalauréat doit lui verser trois sous et donner douze deniers à chaque banquer. Le bedeau et ses assesseurs doivent veiller à la propreté et au chauffage des écoles, répandre sur le sol de la paille ou des joncs (c. XXVIII). Il existe en outre un bedeau de la chancellerie qui est nommé par le chancelier seul.

Acte de fondation de l’Université de Perpignan (extrait du Livre vert ma-jeur (Llibre verd, Archives municipales de Perpignan) Ce folio porte la copie la plus ancienne de l’acte de fondation de l’université par le roi Pierre. Il débute par la ligne en caractères rouges : Privilegi del studi de la vila de Perpinya ator-gat per lo senyor rey.

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logie, à l’instar de celle de Toulouse, et bénéficiant des mêmes privilèges que celle-ci. En 1459, des statuts particuliers lui sont attribués33, dont la particularité est d’établir à la tête des études théologiques un doyen (decanus) qui a pour tâche de veiller à la catholicité des conclusions et questions à disputer, avant que le recteur du studium generale, auquel la faculté de théologie est aussi soumise, ne les approuve. Mais ces statuts disent aussi comment confectionner l’encens, avec le fruit du gingembre et de la coriandre...

Les statuts : organisation des enseignements

Le codex initial commençait, on l’a vu, par un calendrier. Celui-ci est présenté sous la forme habituelle, de janvier à décembre, et ne suit donc pas le rythme de l’année scolaire. Il comporte cepen-dant la mention de toutes les fêtes célébrées par l’université et est destiné à offrir un repère officiel du « temps universitaire» tel qu’il est précisément régi par les statuts. L’année universitaire commence le 1er octobre par la convocation d’un conseil géné-ral auquel le recteur communique le programme (les « lectures ») que tous les docteurs s’engagent à suivre et à accomplir « point

33. Ms 87, pp. 124-138, édités par M. Fournier, op. cit., p. 706-710.

Pour la vente de livres ou de peciae (cahiers des livres, ven-dus ou loués séparément pour faciliter leur copie32) le stationnaire ne peut exiger plus, pour ceux valant une livre, que deux deniers de l’acheteur et quatre du vendeur (c. XXVII). Si les livres valent moins d’une livre, comme c’est parfois le cas pour les petits livres de grammaire (ou d’une autre matière), il percevra un salaire modéré. S’il prête, pour les livres de droit canon ou civil, que ce soient textes, gloses ou sommes, des peciae à recopier, il percevra quatre deniers par pecia, et s’il fournit une pecia à celui qui veut corriger un texte, il percevra un denier, à condition qu’elle lui soit rendue le jour même. Il rend des comptes annuellement sur les livres qu’il a à vendre et sur les peciae qu’il prête, et il est le seul habilité à vendre des livres et à louer des peciae dans le stu-dium. Afin de pourvoir aux besoins des étudiants de Perpignan, le bedeau ou stationnaire de ce studium doit posséder en perma-nence les œuvres étudiées (suit une liste de neuf ouvrages) et se procurer les ouvrages les plus récents des docteurs afin de pou-voir les communiquer aux étudiants.

Sans l’accord du recteur et des conseillers, les maîtres et docteurs ne peuvent déplacer leurs classes, ils ne peuvent, étant rétribués pour un cours (« lecture ») donné, en changer pour un autre, même s’ils se sont entendus avec leurs élèves. Tant qu’ils n’auront pas achevé la lecture des livres qui leur ont été assignés, les maîtres ne pourront quitter la ville plus de deux jours, au-delà de ce délai ils auront à obtenir l’autori-sation du recteur, mais encore n’est-elle suffisante que pour une absence de moins de quinze jours, car passé ce délai, c’est la majorité de l’université qui doit donner son accord. Dans ce cas, les maîtres seront remplacés par un lecteur adéquat (c. XIII).

Les statuts prévoient les modalités du remplacement d’un recteur « inutile, stupide ou tout à fait ignorant ». Un conseil par-ticulier, ou un conseil général, doit être convoqué par le recteur s’il en est fait la demande. Le « conseil général » dont il est ques-tion ici réunit le recteur, les conseillers et les docteurs en charge d’un cours (« doctorum actu legentium »).

C’est seulement en 1447 que le pape Nicolas V accorde au studium generale de Perpignan la création d’une faculté de théo-

32. Sur ce système mis en place dans les universités occidentales pour faciliter la copie multiple des livres, voir Hugues V. Shooner, « La production du livre par la pecia », La production du livre universitaire au Moyen Âge. Exemplar et pecia, L.-J. Bataillon dir., CNRS, 1988.

La cathédrale Saint-Jean de Perpignan et son cloître-cimetière. C’est au tout début du XIVe siècle que la décision fut prise de remplacer la vieille église Saint-Jean par un nouvel édifice de plan très ambitieux, mais, en raison des crises économiques et démographiques du milieu du XIVe siècle, les travaux ne furent achevés qu’au XVe siècle, au mo-ment où les chanoines de Saint-Jean commencent à être formés à la nouvelle faculté de théologie, créée dans l’Université de Perpi-gnan, en 1447.

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par point » : l’expression est concrète, elle renvoie aux « points » qui divisent chaque ouvrage à enseigner (c’est-à-dire à lire, com-menter et discuter) en parties qui doivent avoir été obligatoire-ment vues à une date fixée : le premier point doit être étudié de la Saint-Luc (mi-octobre) à Pâques, le second de Pâques à la Saint-Jean, le troisième de cette date jusqu’à la fin de l’année (fin sep-tembre-début octobre, la date n’est pas précisée, mais le diplôme de bachelier donné en modèle dans les statuts a été attribué le 16 octobre 1389, c. L). Ce découpage du programme voulait évi-ter le travers trop courant des docteurs, qui, développant à l’ex-cès l’étude des premiers chapitres des ouvrages à enseigner, en venaient à la fin des cours à bâcler (ou à omettre) les derniers... éternel souci des enseignants ! Ceux qui ont en charge le décou-page doivent veiller à faire lire les parties les plus difficiles dès le début de l’année, réservant les plus faciles pour l’été.

Les jours sans cours, sans lectures ordinaires ni extraordi-naires, sont limités précisément par le chap. XXXII, qui dit que « l’oisiveté et la volupté sont les armes de l’ennemi ancien et que la multiplication des fêtes est dommageable aux étudiants et à leur succès ». Ces vacances sont rythmées par les fêtes reli-gieuses : soixante-deux jours, plus tous les dimanches, plus Car-naval, du dimanche aux Cendres, ainsi que la Semaine Sainte et celle qui suit Pâques (du samedi des Rameaux à Quasimodo), plus les quatre derniers jours de décembre.

La journée de cours est elle-même divisée en quatre périodes, matines, tierce, nones et vêpres, dont la durée varie avec les sai-sons. Les matines durent trois heures d’horloge de la Toussaint à Pâques, puis deux et demie jusqu’à la Saint-Jean, et deux durant l’été ; tierce dure deux heures, puis une et demie, puis une heure ; les nones une et quart, une et une ; les vêpres, deux et demie, deux et une et demie. Les étudiants avaient donc 8h 45 de cours en automne-hiver, 7h au printemps, et 5h 30 en été-automne, pour environ 230 jours ouvrables.

Les programmes sont aussi très précisément fixés, au moins pour leur partie essentielle. Les statuts précisent à cet effet quels livres doivent être étudiés dans les diverses facultés. Pour chaque année l’enseignement est divisé en lectures ordinaires (faites par les maîtres) et extraordinaires (par les bacheliers)34. En droit canon, le Décret et les Décrétales constituent le programme (très

34. Sur l’organisation des enseignements et les programmes, on se reportera pour com-paraison au petit ouvrage classique de Jacques Verger, Les universités..., p. 56-66.

Le développement d’un appareil administratif dans les monarchies centrali-sées d’Europe à partir du XIIIe siècle crée le besoin de professionnels du droit et de l’écrit, des fonction-naires. L’université répond à ce besoin. En 1344, Pierre IV le Cérémonieux promulguait des Ordina-cions réglant le travail des officiers de sa cour ; en 1350, il souhaitait la création de l’université de Perpignan dans ses terres reconquises du nord de la Catalogne. Le titre du ma-nuscrit l’appelle Pere terç (Pierre III) qui est son rang dans l’ordre des comtes barcelonais, mais il était Pierre IV comme roi d’Ara-gon. On évite les confu-sions en utilisant le surnom des rois, Pierre est nommé le Cérémonieux, car il ai-mait danses et fêtes, mais parfois aussi « El Punyalet » (le poignard) pour des rai-sons moins courtoises. En-luminure du premier folio des Ordinacions, BnF ms. esp. 99.

classique35) des trois premières années, suivant un découpage méticuleux, année par année, et cours par cours. La quatrième année est consacrée au cinquième livre des Décrétales et aux iné-vitables Clémentines du pape Clément V. En droit civil, on lit, la

35. De même en 1459, le programme établi pour la faculté de théologie consiste essentiellement en l’étude des Sentences de Pierre Lombard, G. Fournier, op. cit., p. 707, ouvrage déjà fondamental dans l’université parisienne du XIIIe siècle, J. Verger, Les universités..., p. 58.

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LES DÉBUTS DE L’UNIVERSITÉ SOUS LES ROIS D’ARAGON

L’université dans la ville aux XIVe et XVe siècles

Maîtres et étudiants dans la ville médiévale

Les rapports entre maîtres et étudiants sont régis par les statuts. Ceux-ci établissent que ce sont les élèves qui paient les enseignants : chaque écolier en droit verse à « son docteur » pour la lecture, un florin d’or annuel, de même les étudiants en médecine, et pour ceux qui étudient logique, physique et arts on stipule qu’ils versent un demi-florin avant la Noël et un autre demi-florin lors d’une collecte postérieure. Bien sûr les plus pauvres en sont dispensés, à condition d’en avertir le doc-teur et de le jurer sous serment (c. XXIV). On a vu aussi que dans les grades les plus élevés, comme en médecine, ce sont aussi les impétrants qui, non contents de fournir leur toge, « habillent » aussi leur maître. Ceux-ci ont le monopole de l’enseignement universitaire à Perpignan et sur son territoire, les contrevenants étant passibles d’excommunication.

Cependant, au sein de la communauté, certains groupe-ments d’intérêts se constituent pour résister à la concurrence

première année, à matines les Codes, à tierce les quatre premiers livres du Digeste neuf, et les suivants à nones. Dans cette faculté les études durent huit années, durant lesquelles on continue la lecture des mêmes ouvrages en y adjoignant le Digeste vieux.

En arts, les études durent quatre ans, pendant lesquels les maîtres en philosophie et logique doivent enseigner les livres de la Logique, vieille et neuve, la Métaphysique, et la Physique, ainsi que d’autres ouvrages de physique aristotélicienne. Les maîtres en grammaire lisent le Doctrinal, l’Ebreardum (Evrard de Beau-vais36), l’Alexandrum et le Pricianum. Les bacheliers qui expliquent aux petites classes (in lectorio minori) lisent Caton (Dionysus Caton) et Tobie. Tous les étudiants en logique et en grammaire doivent assister à une disputatio en présence du maître, deux ou trois fois par semaine. Le corps enseignant est complété par des « chambriers », sorte de répétiteurs, qui doivent avoir entendu la leçon du maître et en répéter les leçons dans leurs chambres, le jour ou la nuit. Une partie de ce que leur versent les étudiants revient aux maîtres dont ils font réviser les lectures.

Les études de médecine durent six années : trois jusqu’au baccalauréat et trois autres pour obtenir la licence, à quoi doit s’ajouter un « stage » pratique de huit mois, cependant si l’étu-diant est déjà maître en arts, il n’a à accomplir que cinq années. Le licencié peut devenir maître, grade qui équivalait au titre de docteur des juristes. Il doit alors être conduit par l’université, les maîtres et les docteurs, en l’église Saint-Jean de Perpignan, se soumettre là à un autre examen, et soutenir une questio. Mais il doit en sus fournir, pour lui et pour le maître qui le présente à ses pairs, deux toges et manteaux en drap de France, dont même le prix est indiqué, doublés de vair l’hiver, de mousseline ou de taffetas l’été. La liste des livres à lire en médecine est sans sur-prise, conforme à ceux qui étaient étudiés à Montpellier37 : Hip-pocrate et Galien pour les bacheliers, Avicenne et Averroès pour les maîtres. Leurs heures de cours sont différentes de celles des juristes.

Les statuts des années 1380-1390, en guise de conclusion, sti-pulent que l’enseignement ne doit pas être dispensé, publique-ment ou en secret, aux juifs et aux musulmans.

36. Pierre Vidal apporte de précieux renseignements sur les livres lus à Perpignan aux XIVe et XVe siècles, Histoire de la ville de Perpignan, p. 283-290.37. Salvador Claramunt, Història..., p. 357.

L’aqueduc des Arcades, dans le voisinage de l’université d’aujourd’hui, est le témoin de l’intérêt porté par les rois d’Aragon au ravitaillement en eau de la ville de Perpignan. Après sa destruction par de grandes inondations, il fut reconstruit en 1425 et conserve encore vingt-cinq arcs de brique en plein cintre.

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que se font entre eux les enseignants ou favoriser l’attraction des étudiants (payants) vers tel ou tel maître. P. Vidal relève qu’en 1402 un bachelier en arts et un étudiant de la même faculté s’associent pour établir une camera scolarum38 et en partager les frais et les bénéfices durant six ans. Il s’agit bien là d’une de ces « chambres » où les « chambriers » répètent, jour et nuit, les leçons des maîtres, et que nous avons vues ci-dessus, évoquées par les statuts. Ces deux écoliers plus avancés que leurs condis-ciples sont les protégés d’un maître ès-arts cité dans le texte, sans doute le pilier de cet accord. Ce sont en effet ses leçons qui doivent être répétées et pour cet accord il perçoit une part des recettes des répétiteurs : petits négoces autour de la chaire du maître, dont il ne refuse sûrement pas de tirer profit, même s’il ne signe pas l’acte passé devant notaire.

À la Sainte-Catherine de 1458, le 25 novembre, deux maîtres ès-arts et un maître en médecine forment une « société » qui durera jusqu’à la Saint-Luc suivante, soit à la fin de l’année uni-versitaire. Ils s’engagent à mettre en commun et à partager à parts égales les salaires et revenus qui leur viendront des étu-diants à venir ; ils promettent ainsi, de ne pas se concurrencer pour les leçons, de ne pas attirer à eux les étudiants d’un des autres associés, mais garantissent à tout étudiant de l’un d’entre eux de pouvoir librement assister à leurs cours. Est-ce l’afflux ou la rareté des nouveaux étudiants qui pousse les maîtres à s’entendre ? Difficile de trancher, mais l’accord semble plutôt défensif et témoigne de la crainte de voir les étudiants s’égail-ler entre divers cours : un nombre trop important de maîtres ou un nombre d’étudiants qui n’augmente pas en même proportion peuvent expliquer ces ententes contre le risque de « concurrence sauvage ».

Ceci pose le problème des effectifs du studium, question dif-ficile si l’on ne disposait de documents particuliers : les rotuli, ou rouleaux de parchemin qui portaient les requêtes des maîtres et étudiants de l’université adressées au pape. Quatre rotuli ont sub-sisté pour l’université de Perpignan, conservés aux archives vati-canes, dont trois furent publiés par M. Fournier : ils fournissent de précieux renseignements sur la population estudiantine et le corps professoral pour les années 1393 et 139439.

38. P. Vidal, Histoire..., p. 281.39. M. Fournier, op. cit., p. 680-689. Un autre rotulus, concernant les premiers temps de l’université, car daté de 1378, fut édité par Henri Denifle, Les universités françaises au Moyen Âge, Paris, 1896. Il n’a pu être joint à cette étude.

Une leçon de droit à l’uni-versité. Lecture commen-tée par le maître, suivie par les étudiants sur leur exemplaire de facture plus modeste, souvent complété de prise de notes. Contrai-rement à ce qui est repré-senté sur cette enluminure, à Perpignan, seul le profes-seur avait un siège et un lu-trin, les élèves étaient assis par terre, sur un lit de paille. Les statuts de l’université de Perpignan précisaient que c’était au bedeau de four-nir la paille et les joncs qui « jonchaient » le sol des salles de cours. Enlumi-nure XVe siècle. Bologne, Museo cívico medievale (RMN, Cliché, Cliché 01-015123).

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Du 6 et du 15 décembre 1393 sont datées deux requêtes : les deux démarches sont parallèles et ne s’excluent ni ne s’ignorent. Vingt-cinq dignitaires de l’université perpignanaise adressent la première à Clément VII et annoncent dans leur lettre qu’une seconde requête est envoyée par « d’autres fils de l’université », ils demandent au pape de la prendre en considération, sans pré-judice de celle des vingt-cinq « choisis » (« élus ») qui signent. Ils réclament, comme d’usage, de « vivre de l’autel » grâce à la munificence pontificale, et de recevoir le fiat, c’est-à-dire l’accord du pape, pour obtenir des bénéfices ecclésiastiques. Ces vingt-cinq apparaissent comme le groupe dirigeant du stu-dium. En tête vient Joan de Pontons, clerc de Gérone, issu d’un lignage chevaleresque, étudiant en droit canon de cinquième année, et qui pour la troisième fois assume la charge de recteur. Conformément aux statuts, il s’agit d’un étranger à la ville, mais, originaire du diocèse de Gérone comme quatre des autres signataires, sa présence trois années durant à la tête de l’uni-versité atteste de la vigueur des liens qui unissent celle-ci au reste de la Catalogne et de sa capacité d’attraction sur le Prin-cipat. Le second de la liste, Blasi Campells, clerc du diocèse de Valence (comme un autre de la liste), a été étudiant à Toulouse, Paris et Orléans, licencié dans les deux droits, et lecteur en droit civil, puis doyen, il précise qu’il n’est doté d’aucun bénéfice. Un autre pétitionnaire vient du diocèse de Vich, les dix-sept restant sont des « locaux » du diocèse d’Elne. Parmi eux, sept sont ou ont été conseillers, dont deux trésoriers. Deux sont prêtres et l’un reconnaît avoir déjà obtenu des bénéfices à la collégiale Saint-Jean et à l’église Sainte-Marie du Pont de Perpignan. La liste com-prend un seul maître, de la faculté des arts, les autres étant pour partie bacheliers, pour partie étudiants plus ou moins avancés (entre huit et deux années d’études en droit canon ou droit civil) et cinq étudiants sans doute débutants (sans mention d’année). Les cursus doubles (alliant les deux droits, mais aussi les arts et le droit civil) sont attestés, de même que le cas de Blasi Campells témoigne de la réalité d’une mobilité estudiantine, par ailleurs bien connue, mais qui relève d’une destinée personnelle encore exceptionnelle dans le studium perpignanais.

Le second rotulus se définit comme un complément du pre-mier et comprend la requête de 72 étudiants perpignanais. Les huit premiers de la liste sont les plus titrés ou les plus impor-tants : trois bacheliers (deux en droit, un en médecine) et quatre prêtres, plus un étudiant en droit canon de sixième année. Le neuvième de liste est placé là sans doute en raison du caractère

L’église du couvent des Dominicains de Perpignan sert aujourd’hui de salle d’exposition lors du festi-val Visa pour l‘image. Elle était aux XIIIe-XVe siècles fréquentée par la noblesse et la bourgeoisie de Per-pignan qui venaient y en-tendre le prêche des frères blancs. Certains domini-cains, docteurs ou maîtres en doctrine théologique, étaient chargés d’ensei-gner la théologie dans leur couvent avant la création de la faculté de théologie. Dans la deuxième moi-tié du XVe siècle, un frère dominicain est toujours présent lors de l’attribution des titres de théologie par l’Université de Perpignan.

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exceptionnel de sa précocité : âgé de 17 ans seulement, il est déjà en quatrième année de droit canon ! La fin de liste est, comme le début, réservée à quelques individus remarquables : les trois derniers inscrits sont le bedeau principal de l’université, clerc tonsuré, et deux prêtres.

L’origine géographique est comparable avec celle des « élus » de la première liste : douze sont originaires du diocèse de Gérone, un du diocèse d’Urgell, un du diocèse de Tortose, un de celui de Comminges, un de Valence, tous les autres sont du diocèse d’Elne. Rayonnement encore limité en nombre, mais plus fort chez ces étudiants de base que chez les « notables » (plus de 20 % d’« extérieurs » ici contre à peine plus de 10% dans la première liste), et certes réduit d’un point de vue géographique, mais qui s’étend à presque toute la Catalogne (à l’exclusion de Lleida et Barcelone où existent, on l’a vu, des studia, même « officieux ») et même exceptionnellement à la France (Comminges). Le clerc de Valence, chanoine régulier de l’ordre de Saint-Ruff, et de l’ordre des Augustins, est aussi prêtre.

Mis à part une dizaine d’étudiants en troisième ou quatrième année (placés pour l’essentiel en deuxième position sur la liste, après les prêtres), tous les autres sont étudiants de seconde année et plus encore sont débutants. En ce qui concerne leur cursus, 21 sont inscrits en droit canon, 7 en droit civil (ou « lois »), 34 en arts, parmi lesquels deux débutent en dialectique et l’un est inscrit en grammaire, enfin un seul étudiant de cette liste est inscrit en médecine. Pour quelques étudiants la faculté n’est pas précisée. Parmi ceux dont les cursus sont identifiés, on peut donner la sta-tistique suivante : 32 % en droit canon, 12% en droit civil, 55 % en arts, et 1% en médecine. Bien entendu cette liste n’est en aucune façon présentée comme celle de tous les étudiants du studium, elle ne concerne sans doute que ceux qui, à l’université, n’ont pas encore de bénéfice, les autres ayant sans doute été pourvus dans les années précédentes, ou au titre de leurs fonctions ecclé-siastiques. Par conséquent la sous-représentation des prêtres (et donc peut-être aussi du droit canon) est probable, cependant on peut remarquer l’importance (et peut-être la prépondérance) de l’enseignement des arts. L’université de Perpignan répond ainsi sans doute à un des objectifs de sa création : la formation d’une élite civile de marchands et administrateurs nécessaires à la prospérité économique de la ville. La très faible représen-tation des carabins n’est pas surprenante, le pari de concurren-cer sur son terrain la faculté de médecine de Montpellier était sans doute extrêmement difficile, sinon voué à l’échec comme

Une leçon de médecine à l’université. Au Moyen Âge, l’université de Perpi-gnan dispensait un ensei-gnement de médecine fon-dé sur l’apport des grands maîtres de l’Antiquité, Hip-pocrate et Galien, complé-tés par les ouvrages des grands médecins arabes Avicenne et Averroès. On retrouve ces ouvrages dans les inventaires des bibliothèques d’étudiants et de praticiens perpigna-nais aux XIVe et XVe siècles. Enluminure d’un recueil des œuvres de Gui de Chauliac et Bernard de Gordon, 1461, BnF.

le montrent les siècles suivants40. L’une et l’autre de ces requêtes furent approuvées par le pape dans les termes habituels, « Fiat in omnino », suivis de son initiale : G. (Robert de Genève).

Malgré cette faveur pontificale, ou à cause d’elle, dès l’année suivante c’est toute l’université qui présente une autre requête par l’intermédiaire d’un licencié en droit reçu en audience auprès du nouveau pape Benoît XIII, Pedro de Luna. Ce rotulus du 6 décembre 1394 est supposé mentionner tous les bacheliers et étu-diants de Perpignan : si par exception un nom était omis, ou si un des membres de l’université avait changé de grade, on prie d’ex-cuser ces modifications. La portée de la pétition est beaucoup plus ample, elle exprime le souhait que l’université de Perpignan se voie accorder les mêmes privilèges, prérogatives et dispenses que celles obtenues par les studia de Lleida et d’Avignon, et plus

40. Jean Lafont relève au XVIIe siècle les premiers signes d’un essor de l’enseignement de la médecine à Perpignan, annonçant son relatif succès au siècle suivant, « Les méde-cins de l’Université de Perpignan au XVIIIe siècle », L’Université de Perpignan au XVIIIe siècle, op. cit.

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La vie des étudiants et des maîtres

Les topoi de la vie des écoliers du Moyen Âge sont bien connus : rixes et beuveries, indiscipline envers l’institution et défi aux règles de vie bourgeoise des citadins. Le peu que nous savons de la vie des étudiants du studium perpignanais ne déroge pas à ce schéma (trop ?) connu ; cependant, comme toujours, la part de l’anecdotique et de l’exception reste difficile à faire en matière de comportements avant tout individuels ou occasionnels. C’est tout l’intérêt de la prosopographie que de permettre de dépasser les aléas des destinées particulières pour tracer le profil commun des carrières et des honneurs. Le point de départ d’une prosopographie des universitaires perpigna-nais nous est fourni par les listes si précises des rotuli et le maté-riau de la recherche gît en partie dans les très riches archives notariales, seul le temps, le courage et la volonté ont manqué jusqu’ici pour mener l’enquête. Il reste à espérer que ce chantier soit un jour ouvert.

La vie scolaire des étudiants et des maîtres au studium a pu être retracée au travers de la lecture des statuts, mais leur cadre de vie privée se révèle davantage au hasard de quelques actes privés. Le mobilier, les effets et les livres qui composent l’essen-tiel de la fortune des étudiants et une partie de celle des maîtres se

généralement par tous ceux des royaumes d’Aragon et de France. La liste des universitaires inscrits au rotulus commence,

comme de coutume, par onze noms de personnages remar-quables pour leur fonction ou leur statut : le recteur (Joan de Proxons) y côtoie son prédécesseur déjà connu de nous (Joan de Pontons), des clercs de Gérone, de Valence, d’Auch, de Vienne, le chanoine sacristain de la collégiale Saint-Jean de Perpignan, un clerc d’Elne, Francesc Sasena (ou Faena), issu d’une famille noble, est dit « ami et défenseur de la dite université ». Puis suivent trois listes bien distinguées : celle de 28 bacheliers, dont un en arts, un en médecine et un de ces deux facultés, le reste en droits canon ou civil41 ; puis vient la liste des étudiants en droit, comportant 135 noms et celle des artiste au nombre de 207 (les noms de ces deux dernières listes étant numérotés). Parmi les bacheliers on note un clerc de Gérone, un de Valence, un de Tortosa, un de Vich. Parmi les simples écoliers en droit les ori-gines sont encore plus diverses, outre ces provenances on note plusieurs clercs du diocèse d’Urgell, un de Barcelone, de Carcas-sonne, de Majorque et un clerc d’Elne est par ailleurs bénéficié dans le diocèse de Tours. Parmi les étudiants en arts on remarque un originaire de Cordoue, un autre de Clermont, un enfin de Rodez. Dans l’ensemble, tous les maîtres, bacheliers et étudiants sont dits clercs, parfois prêtres, et un bachelier est même l’archi-diacre du Conflent. Un seul, nommé Thomas Germau, prévôt de Baixas pour l’église d’Elne, est défini comme « bourgeois du diocèse d’Elne ». Cependant quelques réguliers viennent renfor-cer la troupe des universitaires de tout grade : bénédictins de l’ordre de Cluny, au monastère d’Arles-sur-Tech et à Sant-Pere de Rodes, chanoines augustins de Perpignan, de Serrabone, de Sainte-Marie de La Réal à Perpignan ou de Sant-Joan de les Aba-desses (dioc. de Vich), mais ni dominicains ni franciscains.

Le total, près de trois cents quatre-vingts noms, est impres-sionnant, il reflète une vitalité indubitable du studium, qui a trouvé sa place dans la ville et dans la Catalogne, même si le rayonnement vers la France reste limité à quelques exceptions. La situation de la médecine est en revanche critique, à tel point que l’on peut se poser la question de son existence réelle en cette fin de XIVe siècle à l’université de Perpignan.

41. Les noms de deux personnages du début de la liste sont ici répétés, avec une diffé-rence d’orthographe pour Sasena-Faena.

Du grand couvent des Franciscains, en grande partie détruit par l’instal-lation de l’hôpital militaire au XIXe siècle, ne sub-sistent plus que l’église N-D des Anges (à droite sur l’image) et quelques enfeus des galeries sud et ouest du grand cloître. Un moine franciscain de Per-pignan siégeait aux jurys d’examens des diplômes de théologie de l’Univer-sité de Perpignan.

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de grammaire, de philosophie et de logique, des livres religieux (la Bible bien sûr, une Genèse), des traités de dévotion privée (la Concepcio de la Nostra Dona, un Compostella), et surtout quelques lectures d’un homme qui prise les auteurs classiques : les Méta-morphoses d’Ovide (il en possède trois exemplaires) et ses Lettres, un Salluste, un Boèce, ou des écrivains plus modernes, comme Dante. Ces cinquante-quatre volumes sont le reflet de la culture étendue et de la fortune sans doute exceptionnelle de ce Thomas Apoliquino (ou Poliquino), venu de Raguse en Sicile à Perpi-gnan, étudiant en droit civil pétri de la vieille culture juridique médiévale et en même temps fils de la première Renaissance italienne.

En septembre 1412, Antoni Riera, bachelier en droit, malade, confie ses livres à la garde d’un maître en théologie de l’ordre des

laissent deviner au travers de plusieurs inventaires après décès, mises en gage ou restitutions conservés dans la première liasse de la série D des Archives Départementales. Vers 1395-140042, l’étu-diant Jaume Vilossa vit dans une maison (propriété peut-être du pareur qui demande l’inventaire) où il occupe deux chambres et une cuisine. Dans la première pièce, seuls se trouvent une couche garnie de paille et un écritoire (meuble de bois muni d’un banc) ; à la cuisine, une table ordinaire et une planche qui sert d’étagère pour deux pots d’étain ; dans la chambre principale, outre un lit avec une couverture simple, une table d’étude neuve et son banc, une chaise en fort mauvais état et deux coffres. L’un renferme les effets personnels : quelques vêtements (une tunique, un gilet, une veste, quatre chemises, un pantalon), quatre draps et du linge (serviettes, nappe), un coupon de deux mètres de tissu de lin de l’Empordà. L’autre coffre, blanc, contient des serviettes, des mouchoirs, une petite bourse de tissu, un coffret peint avec un flacon de parfum de violette et quelques bibelots de peu de valeur, enfin ses livres : le Doctrinal et sa Lectura, les canons, quelques cahiers de papier où sont copiées des notes de leçons d’arts. Des ouvrages plus littéraires viennent compléter la biblio-thèque minimale d’un étudiant en droit qui a appris auparavant un peu des arts du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) : un Alexandre, des Fables, puis, parmi quelques menus objets, les outils du preneur de notes : un écritoire, des ciseaux, deux cou-teaux à tailler les plumes, et de petits flacons ayant pu contenir de l’encre.

À la même époque, vers 140043, un étudiant laisse en dépôt à un marchand de Perpignan quelques vêtements et ustensiles de cuisine ainsi que ses livres de droit canon (Décretal, Digeste et Clémentines), plusieurs Sommes, Lectures, Traités, des ouvrages

42. Acte non daté, ADPO, D1, 1, publié par M. Fournier, op. cit., p. 689-690.43. ADPO, D1, 8, édité par M. Fournier, op. cit., p. 690-691. J.-G. Gigot date ce document de 1419. Émilie Goujaud a depuis la publication de la première version de ce texte réali-sé une importante étude en Master 1 et 2 sur les livres des bibliothèques privées roussil-lonnaises au Moyen Âge, elle y a retrouvé plusieurs lots importants de livres d’études et en a fait l’analyse, voir Émilie Goujaud, Les livres et leurs possesseurs à Perpignan à la fin du Moyen Age, 1270-1511, mémoire de Master 1, dir. A. Catafau, Université de Perpignan, 2008, 231 p. et Les livres et leurs possesseurs à Perpignan (fin 1270-1511) : études sur l’aspect technique du livre et sur la composition des bibliothèques privées d’après les sources notariales, mémoire de Master 2, dir. M.-C. Marandet, Université de Perpignan, 2009, 278 p. On en trouvera une synthèse partielle dans son article disponible en ligne : Émilie Goujaud, “Les Livres en usage à Perpignan aux XIVe-XVe d’après les sources notariales. Entre pluralité littéraire et linguistique”, Domitia, revue du Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés méditerranéennes (CRHiSM), 2010, n°11, p. 5-24.

Le pape Nicolas V (1447-1455), ici recevant Al-phonse V d’Aragon, dit le Magnanime, est dès son accession au trône pontifical soutenu par le roi d’Aragon, qui est aussi roi de Naples (« des Deux-Siciles »). C’est pourquoi il accorde à l’Université de Perpignan l’enseignement de la théologie, l’année même qui inaugure son pontificat. Deux ans plus tard il met fin au schisme et reste seul pape de la chrétienté. Llibre Vermell. Abbaye de Montserrat.

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Arnaud de Villeneuve, en parchemin. Il paie pour faire sonner les cloches de Saint-Jean, mais aussi celle du studium, d’ailleurs le recteur des études, André Vila, donne quittance de ce verse-ment tant pour la cloche que pour le droit du bedeau. Parmi les quittances, le frère Antoni Fontanes, maître en théologie, récu-père le Mestre de Sentencies qu’il avait prêté au défunt.

Reflet de leurs études, les livres des étudiants ne sont pas toute leur vie. Comme partout en Occident à la même époque, nous retrouvons certains d’entre eux au cœur de situations de violence verbale ou physique. Arguer, pour expliquer ce comportement estudiantin, d’un sentiment d’impunité procuré par les privilèges d’exemption juridique, qui confèrent aux écoliers une certaine immunité, ou encore d’une situation de favorisés oisifs et turbu-lents serait en partie faire fi d’une réalité plus profonde de la société urbaine médiévale, et particulièrement catalane, où la violence est une composante permanente des rapports entre groupes fami-liaux, politiques, professionnels, surtout aux XIVe et XVe siècles47.

47. À ce sujet on pourra se reporter, et plus spécialement sur les violences en groupe, bandols et bandositats, à l’étude érudite de Flocel Sabaté, « Les factions dans la vie ur-baine de la Catalogne au XIVe s. », Histoire et archéologie des terres catalanes au Moyen Age, Philippe Sénac dir., Perpignan, 1995, p. 339-365.

prêcheurs qui devra les rendre à son père après avoir réglé ses funérailles44. Le dominicain de Perpignan chargé de l’exécution de ses dernières volontés, Bernard Pagès, n’enseigne sans doute pas au studium qui n’a pas encore obtenu la reconnaissance de la théologie à cette date, mais plutôt dans le cadre de son couvent ou à Saint-Jean de Perpignan, comme nous le verrons plus loin. Dans cet acte passé devant notaire, des livres déjà rencontrés côtoient d’autres classiques du droit canon comme l’Infortiat, le Nouveau Digeste, les Novelles, les Décrétales de Sexte, et quelques cahiers de notes. Tous ces ouvrages sont reliés d’ais de bois, souvent habillés de cuir noir, vert, jaune (« safran ») ou rouge, parfois pâle ou blanc (de vélin ?). Une semaine après, le bache-lier étant décédé, on fait l’inventaire de ses biens à la demande de son logeur ; on est surpris du contraste entre la modestie de sa garde-robe et de son linge (une vingtaine de pièces au total, dont la plus belle est sa toge neuve), et la richesse relative de sa bibliothèque qui comprend 27 ouvrages, dont au moins neuf sur parchemin. Pour un bachelier, cette bibliothèque représente déjà le produit d’une accumulation et aussi d’un choix (aucun ouvrage de ses premières années de grammaire ou réthorique ne s’y trouve) ainsi qu’un patrimoine intellectuel et matériel précieux dont la transmission est confiée à un maître et dont le bénéficiaire est le père du défunt. Plus élevé dans les grades, Francesc Genès, maître en arts et médecine, se prépare à mourir en 1433. Il était le seul bachelier en médecine sur le rotulus de 139345. Au bout de quarante années, nous retrouvons ce carabin établi à Perpignan et choisissant comme exécuteurs testamen-taires des hommes avec qui il a entretenu des relations profes-sionnelles et personnelles : deux apothicaires (specierii46), car s’il enseigne la médecine il est aussi praticien. Ses legs reflètent sa culture et son insertion sociale. Il lègue à Arnal Parès, barbier (pratiquant de petites interventions) et dont la fille est sa fil-leule, un livre appelé l’Alemfranch, à un chirurgien, Pierre Vilar, sa Lecture de Pierre de Padoue sur la Palmela d’Aristote, au fils d’en Pereta, un autre apothicaire, son livre appelé Lo Rasis e l’art de specias (Razès et l’art des préparations), à un autre barbier un livre appelé Guido et à un autre encore la Pratique de maître

44. ADPO, D1, 3, édité par M. Fournier, op. cit., p. 695-696.45. Cf supra. Testament retrouvé dans la notule de Gabriel Resplant, qui illustre la ri-chesse potentielle d’une enquête prosopographique, ADPO, 1B241, fol. 4r°-6r°.46. Sur cette profession, aux marges de la médecine et de « l’épicerie », on se reportera à la très intéressante contribution de François Jonquères, « À propos des relations des apothicaires de Perpignan...», L’Université de Perpignan..., 1996, p. 223-226.

La Loge de mer de Perpi-gnan au cœur de la ville médiévale, abritait l’insti-tution du Consulat de mer, qui représentait les intérêts des marchands. Le Consu-lat de mer, créé en 1388, est de peu postérieur à la fondation de l’univer-sité. Le premier bâtiment, construit après 1397, était formé seulement des deux travées est, formant avec la façade sur la rue des Marchands une construc-tion carrée (un peu plus claire sur la photo). L’archi-tecte en fut probablement Guillem Sagrera, qui bâtit aussi la Loge de mer de Palma de Mallorca.

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lement innocent tout comme au jour où il sortit du ventre de sa mère ». Rivalités professionnelles, conflit personnel ou fami-lial, lutte de pouvoirs, fausse accusation, le document ne permet pas de trancher : il ne livre pas les conclusions des juges. Rete-nons-en seulement que la vie d’un licencié en droit a fini dans un guet-apens nocturne, en pleine ville, et qu’à tort ou à raison, le tribunal royal n’a pas hésité à faire porter ses soupçons sur le représentant du roi dans l’université.

Dans la première édition de cette étude, en 200150, j’introdui-sais par deux phrases naïves, qui témoignaient d’une incompré-hension totale du sens réel du texte, un document que l’archiviste Émile Desplanque avait déjà publié, expliqué et mis en pers-

50. Parue dans L’Université de Perpignan (1350-2000). Tradition humaniste et modernité scientifique, Paul Carmignani dir., Presses Universitaires de Perpignan, Perpignan, 2001, p. 24-56.

Des situations de conflit apparaissent au cœur même de l’univer-sité, en 1460 une enquête menée auprès de Joan Andreu, maître ès-arts montre que maîtres et étudiants discutent sur la conduite des études dans le studium48. Un jeudi, en sortant de cours, dans la maison (casa) où il venait de traiter sa leçon, Joan Andreu propose aux étudiants de continuer son cours de « lecture des médecins » (c’est-à-dire lecture et commentaire des ouvrages des médecins au programme), s’ils y trouvaient plaisir, ce que plusieurs, parmi lesquels un certain Alexandre, approuvèrent. Mais un nommé Folcra voulait qu’on repousse cette lecture au lendemain. Il s’en suit quelques paroles vives et gestes de colère, mais pas de coups, l’enquête en revanche veut éclaircir la suite de cet accrochage ver-bal, et évoque une rixe qui aurait eu lieu le dimanche suivant entre les deux protagonistes : aucun des étudiants appelés à témoigner ne nie cette rixe, ni n’avoue en avoir été témoin. L’affaire s’achève par un serment en présence du recteur où Folcra s’engage avec d’autres étudiants (ses amis?) à rester en paix dans le studium et pour plus de sûreté ils prêtent hommage au recteur. Peu de chose en fait.

Plus grave est l’affaire où semble impliqué Pierre Berenguer, chancelier de l’université, docteur en droit et juge du patrimoine royal, donc le représentant direct de l’autorité du Roi au sein de l’institution universitaire, en 141749. Le dossier conservé aux Archives de la Couronne d’Aragon à Barcelone n’apporte pas de conclusion, tout ce que l’on peut dire est que le chancelier est entendu sur l’affaire d’un assassinat, celui d’un licencié en droit, Guillem de La Vite. Ce licencié en droit est cité comme originaire du diocèse d’Auch dans le rotulus de 1394 à Benoît XIII : placé en troisième position sur la première partie de la liste, celle des « notables » du studium, il est un personnage sans doute impor-tant. Vingt-trois ans plus tard, n’ayant pas passé de grade supé-rieur, il est toujours à Perpignan et meurt de plusieurs coups de couteau portés à la tête et à la face, une nuit, devant sa porte. Un certain Joan Berenguer d’Argelès a été dénoncé comme cou-pable, arrêté et torturé. A-t-il parlé ? Est-il parent du chancelier ? Ou bien a-t-on connaissance d’une hostilité de Pierre Berenguer envers Guillem de La Vite ? Le fait est que le chancelier est inter-rogé et on lui demande directement s’il a approuvé ou conseillé cet assassinat commis par Joan Berenguer ou qui que ce soit. À quoi le chancelier répond que non, qu’il est « propre » et « tota-

48. M. Fournier, op. cit., p. 710-711.49. ACA, Cancilleria, Processos en quart, n° 470, 1417G.

Parmi les livres dont la lec-ture est obligatoire figurent Les Décrétales, texte fon-damental du droit canon, commandé en 1230 par le pape Grégoire IX, achevé par le dominicain catalan Ramon de Penya-fort en 1234. Cet exem-plaire manuscrit comporte la « glose ordinaire » de Bernardus Bottonius entou-rant le texte principal, se-lon l’usage des ouvrages érudits du Moyen Âge. Manuscrit italien, vers 1250-1275, sans doute copié à Bologne, un des plus importants centres uni-versitaires du temps.

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avec Pierre Nomdedeu reste un peu ambiguë, elle ne l’est plus du tout sur le plan commercial et « juridique ». Même si cet acte ne peut représenter qu’un engagement personnel, sans valeur devant un tribunal, le fait qu’il soit passé chez un notaire lui confère une certaine force de contrainte sur la jeune femme. Le « brave fiancé », souteneur et proxénète, veille à ce que son « gagne pain » ne lui échappe pas. C’est sans doute une façon « originale » (pour reprendre mon mot de conclusion de 2001) de « financer ses études ».

Cet acte confirme en tout cas que le monde des étudiants des XIVe et XVe siècles décrit dans la littérature des escholiers, d’Eus-tache Deschamps à Villon et Rabelais, débauchés, coureurs de filles et de cabarets, parfois même truands et ruffians (au sens premier de proxénètes) n’est pas limité au quartier des écoles de la rive gauche de la Seine...Mea culpa donc, et honneur à nos grands historiens du XIXe siècle, qu’on devrait toujours relire, et avec plus d’attention !

Les relations avec le roi, l’évêque et les consuls

Institution autonome, dotée de son propre pouvoir et de com-pétences jalousement défendues, l’université est aussi une nou-

pective, plus d’un siècle auparavant, dans un long article du Bulletin de la Société Agricole. Plus encore, les publications Mare Nostrum avaient récemment réédité cette étude en 1998, avec une excellente préface de mon professeur Alice Marcet51 ! « L’amour, l’amitié ou l’affection – écrivais-je – tiennent aussi leur place dans la vie des étudiants. Bien difficiles à inscrire sur les actes notariés, ces sentiments y transparaissent parfois ». Et je donnais une interprétation linéaire d’un document notarié, sentant que la chose était curieuse et restant malgré tout un rien perplexe : « En 1395, un curieux acte est passé par devant le notaire Gabriel Resplant et inscrit sur son manuel52, il concerne Guil-lema, fille d’Antoni Dauriban de Toulouse, et Pierre Nomde-deu, étudiant de la ville de Perpignan. La jeune fille promet de ne pas avoir, sa vie durant, d’autre ami que Pierre et de ne pas quitter la ville de Perpignan sans son autorisation, sous peine d’une amende de 25 livres, en garantie desquelles elle engage ses biens. Pierre quant à lui promet, si elle respecte son serment, de la défendre et de protéger ses biens contre tous ceux qui lui voudraient du mal. Les deux jeunes gens ayant moins de 25 ans, elle plus de 20 ans et lui 24, renoncent aux restrictions de droit concernant les mineurs. Ni contrat de mariage, ni même de fiançailles, cette promesse mutuelle d’amitié et de protec-tion laisse rêveur, ou perplexe... Elle montre en tout cas que le notariat catalan peut avoir parfois à prendre en compte des situations bien originales. »

Il s’agit bien en effet de « protection » et de « soutien » de la part de cet étudiant affectueux et aimant ! Émile Desplanque a mis en relation le vocabulaire de ce texte avec celui d’autres documents et a analysé la situation avec clarté : la « fiancée » est en réalité prostituée par son « ami » (un terme équivalent souvent dans ce type d’actes à « alcabot », mot d’origine arabe, qui désigne celui qui fait métier de séducteur de filles et profite ensuite de leur attachement pour les pousser à l’entretenir par le commerce de leur corps). Guillema, fraîchement arrivée de Toulouse, sans famille à Perpignan, et ayant pour seul appui son « ami » Pierre, exerce sans doute en chambre dans le quartier dit du Partit (près de la porte d’Elne), et si sa relation affective

51. Émile Desplanque, « Les Infames dans l’ancien droit roussillonnais », Bulletin de la Societé Agricole Scientifique et littéraire des Pyrénées-Orientales, 84, 1893, p. 437-521. Réédité sous le titre Les infâmes dans le Perpignan du Moyen Âge, préface d’Alice Marcet, Mare nostrum éd., 1998, 134 p. Dans la réédition, le texte de l’acte se trouve en annexe, aux pages 131-132, identifié par É. Desplanque comme « Contrat d’alcaboteria »…52. ADPO, 1B156, fol. 2.

La mairie de Perpignan ou « Loge des consuls » abri-tait une institution créée en 1197 par le roi Pierre II. On bâtit les arcades de pierre de la Loge des consuls vers 1300, puis une salle en hauteur en 1318. La Loge des consuls, devenue aujourd’hui hôtel de ville, était le lieu où s’assemblaient les repré-sentants de « l’université de Perpignan », c’est-à-dire de la « communauté des habitants », le mot « univer-sité » désignant alors tout groupe d’individus réunis par un statut commun.

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vient auprès du bayle de Perpignan qui détenait dans sa prison l’étudiant Joan Dorca. Il le somme de libérer cet étudiant dans l’heure et, s’il venait à s’opposer à cet élargissement, le prévient qu’il demandera mille livres d’or prises sur ses biens personnels en réparation de l’« atroce injure faite à l’université ». Le billet porte au verso l’attestation signée du notaire Jaume Montaner et d’un étudiant, certifiant que le même jour la protestation du recteur a été lue au bayle et rendue publique. Là encore on ignore la suite donnée à cette affaire, mais le ton comminatoire du recteur, rappelons qu’il n’est pas habitant de Perpignan, et l’amende dont il menace personnellement le bayle, indiquent assez quelle est sa détermination et sans doute ses chances de succès.

La question du monopole des enseignements supérieurs est aussi occasion de conflits, ou de manœuvres de contournement, en particulier de la part des ecclésiastiques. Le chanoine d’Elne

velle venue dans le paysage politique de la ville. Son contrôle échappe aux pouvoirs anciens, ecclésiastique et municipal, qui au cours des siècles avaient fini par délimiter leur autorité sur la cité. Ces pouvoirs ont tendance à vouloir récupérer une par-tie de l’autorité qui leur échappe, d’autant plus que le studium, chargé de la formation des élites, apparaît dès la fin du XIVe siècle comme un lieu essentiel de la vie publique perpignanaise.

On l’a vu, la position du chancelier, au sein du studium, est particulière : jouissant de tous les privilèges des universitaires, il est le seul à être désigné par le roi et dispose du pouvoir, non négligeable, d’accréditer les enseignants choisis par l’université. Cette position prééminente est l’enjeu d’un conflit d’autorité entre l’évêque d’Elne et le studium de Perpignan, connu par l’en-quête diligentée sous l’autorité du chancelier royal, représentant d’Alfons, primogenit du roi et gouverneur général du royaume, document conservé aux Archives de la Couronne à Barcelone53. L’évêque d’Elne prétend en effet que la nomination du chancelier relève de son autorité, et le studium produit alors un ensemble de pièces pour sa défense, la bulle pontificale de Clément por-tant création du studium generale, et surtout l’acte de nomination par le roi Pierre, en date du 28 mars 1381, de son conseiller Pere Comte, docteur en droit, au poste de chancelier du studium nou-vellement créé dans la ville de Perpignan. L’ensemble du dossier, sur 43 folios, n’est pas suivi de la décision des juges, mais ne laisse pas de doutes quant au peu d’espoir de succès de l’évêque. Notons au passage que le roi Pierre lui-même évoque en termes limpides la « création » toute récente de l’université, ce qui fini-rait par lever nos doutes, s’il en subsistait, sur l’inexistence du studium entre 1350 et 1379. La nomination du premier chancelier n’intervient qu’après la bulle pontificale, et après l’acquisition de locaux au quartier Saint-Mathieu.

Les privilèges juridiques des universités comptent parmi leurs avantages les plus remarquables et mal acceptés des déten-teurs de la justice civile, ils sont l’objet de conflits fréquents. C’est pourquoi la défense de l’immunité universitaire est une des mis-sions essentielles du recteur. Il doit garantir tous les membres de l’université contre les tentatives d’empiètement de la part des autres pouvoirs juridictionnels. Un exemple en est offert par un court billet conservé dans la série D des Archives Départemen-tales54. En 1424, Arnal de Montlaur, recteur du studium, inter-

53. ACA, Cancilleria, Processos en quart, n° 420, 1413H, Estudi de Perpinyà.54. ADPO, D1, 11, édité par M. Fournier, op. cit., p. 701.

Un bel exemplaire des Constitutions ou Clémen-tines du pape Clément V, avec les gloses péri-phériques de Iohannes Andreae. Exemplaire pro-venant de l’université de Paris, copié à Bologne, vers 1350. Cet ouvrage fi-gurait au programme obli-gatoire de la quatrième année d’études universi-taires à Perpignan.

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Coma55, grand compilateur des œuvres passées des chanoines de la collégiale Saint-Jean et des évêques, écrivait au XVIIIe siècle que l’université perpignanaise était en crise dans les années 1430, à telle enseigne que les chanoines de Saint-Jean, constatant l’état d’aban-don de l’enseignement des sciences à Perpignan, furent amenés à créer un enseignement de philosophie en recrutant un docteur ès-arts et en lui attribuant une salle dans le palais épiscopal, à côté de l’église Saint-Jean. Il est vrai qu’un document non daté, mais attribué à la même époque par M. Fournier, fait état de l’existence d’un office de lecteur en grammaire, logique et philosophie, qui doit enseigner aux chanoines et bénéficiés de l’église Saint-Jean56. Comme il est chargé aussi de prêcher en public et de faire par deux fois quinze sermons à Noël et à la Saint-Jean-Baptiste on peut sup-poser que l’office est confié à un dominicain, qui se voit interdire tout sermon ou toute leçon à l’extérieur de l’église Saint-Jean.

La question de l’enseignement de la théologie en particulier gêne sans doute les autorités ecclésiastiques, qui voient mal cette spécialité leur échapper. On a vu ci-dessus que Bernard Pagès, dominicain, était déjà maître en théologie à Perpignan en 1412, preuve que tout l’enseignement supérieur n’était pas enfermé dans les murs du studium, malgré le monopole théorique des universitaires affirmé dans leurs statuts. En 1433, le testament de Francesc Genès cite deux moines, Antoni Fontanes, domini-cain, et Matheu Alanyà, son confesseur franciscain, tous deux maîtres en théologie. Ainsi donc, avant l’attribution officielle de l’enseignement de la théologie au studium perpignanais en 1447 par Urbain, les dominicains et les fransciscains en ont la charge à Perpignan, et peut-être les réticences pontificales à doter le studium de cette nouvelle faculté ne sont-elles pas étrangères à ce qui pouvait paraître comme une dépossession à l’égard des moines mendiants.

55. « Noticies de la iglesia insigna collegiada de Sant Joan de Perpinya per lo Dr en theologia Josep Coma canonge de Elna », Médiathèque de Perpignan, ms n° 86. Andrés Barcala Muñoz re-prend à son compte l’idée qu’au XVe siècle, mais selon lui plutôt à la fin de celui-ci, l’uni-versité de Perpignan « se trouvait en un état lamentable de décadence », sans apporter d’éléments concrets à la défense de son opinion, « Las universidades españolas durante la Edad Media », Anuario de estudios medievales, Barcelona, 1985, n° 15, p. 97. Sans doute se fonde-t-il sur la lettre dans laquelle Louis XI, en 1468, constate qu’« à l’occasion des grans guerres et divisions qui ont été et longuement duré en nos pays et contez de Rous-sillon... ledit estude et Université a esté par longtemps comme du tout discontinué », et confirme ses privilèges, M. Fournier, op. cit., p. 713-714. 56. M. Fournier, op. cit., p. 703.

Les grands Carmes de Perpignan, portail ouest, fin du XIIIe ou début XIVe

siècle. Au XVe siècle, un frère des Carmes fait par-tie des jurys d’examens en théologie de l’Université de Perpignan.

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Une leçon ou une soutenance de questio se déroule à l’inté-rieur du chœur d’une église gothique. On peut facilement imaginer une scène de même genre, au décor semblable, dans la Funeraria de Per-pignan où se tenaient les séances publiques de l’uni-versité. Illustration tirée des commentaires de Nicolas de Lyre, moine franciscain, sur le Pentateuque, manuscrit enluminé au XVe siècle, Mé-diathèque du Grand Troyes ms 129, folio 32.

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Conclusions

Le lecteur me pardonnera, j’ose l’espérer, d’avoir un peu « rajeuni » l’existence réelle de notre alma mater roussillonnaise. On aura compris que la volonté politique de création est une chose, certes indispensable, mais que la réalisation en est une autre, parfois plus difficile. Ce sera ma première conclusion, et qui pourrait douter qu’elle ne dépasse le cadre du Moyen Âge ?

L’autre conclusion qu’il me plairait de tirer de cette étude réside dans un constat, celui de la permanence d’une grande par-tie de nos institutions, sinon à la lettre, du moins dans l’esprit. Le beau mot médiéval d’« université », et que notre école seule a gardé vivant, mérite d’être compris en son sens originel. Il désigne une communauté de professeurs et d’élèves liée par un même dessein d’instruction, partageant des règles librement acceptées, définie par ses libertés, ses « privilèges » – ses lois propres – , mais sachant aussi se donner des obligations, collectives et indivi-duelles. C’est, dira-t-on, le propre de tout groupe, association, fra-ternité, corporation. Les statuts du XIVe siècle donnent une force particulière à cette idée de communauté : par le serment, par l’en-gagement personnel, par l’obligation faite à chacun de ne pas se dérober à sa tâche, ils affirment que l’appartenance à l’université doit être acte de volonté et ne se conserve que par le mérite.

Même en tentant de faire la part des changements sociaux, institutionnels et politiques (et on pense d’abord aux acquis essentiels de la laïcité et de l’admission des filles aux écoles), que de différences pourtant entre notre université et le vieux studium de la rue qui montait au château royal : liberté des programmes, des rythmes, horaires ô combien plus légers, relations plus saines avec les étudiants, qui ne nous paient fort heureusement plus nos salaires ni même nos toges (d’ailleurs presque révolues), liberté aussi de déplacement57. Étudiants incomparablement plus nom-breux, plus libres aussi, sans doute plus responsables et moins turbulents, à l’avenir moins assuré aussi, mais lesquels (ou les-quelles) choisiraient aujourd’hui la sécurité de la cléricature ?

Ce en quoi l’université du début du XXIe siècle est bien l’héri-tière de l’esprit et de la réalité universitaire du Moyen Âge me

57. L’obligation de résidence des professeurs, stipulée dans les statuts, n’est pas une clause de style. En 1440 Guillem, maître des écoles, prête serment et hommage, se com-mandant par le baiser et les mains à l’inquisiteur de Perpignan (il est peut-être maître en théologie auprès des dominicains). Il s’engage à ne pas s’éloigner de plus d’une lieue de la ville sans autorisation. En cas de contravention il serait passible de saisie sur ses biens et d’emprisonnement, ADPO, D1, 17, et M. Fournier, op. cit., p. 704-705.

Depuis le XIIe siècle, le canal de Thuir, ou sequià, amenait à Perpignan l’eau de la Têt prise en amont de Rodès. Ce canal, d’abord canal comtal puis royal, arrivait dès l’origine dans la ville par le sud, il traverse aujourd’hui le campus de l’université, où a été prise cette vue.

semble pour l’essentiel résider en deux traits fondamentaux et complémentaires. C’est d’abord l’insertion dans une ville, dans une réalité sociale, économique aussi. C’est cette insertion qui a donné naissance au studium de Perpignan. En 1350, la création de l’université perpignanaise est demandée par les consuls de la ville, par les représentants de la communauté des habitants, au premier rang desquels le roi cite Pere Blan, un bourgeois per-pignanais, homme d’affaires, personnage influent de la cité, qui juge indispensable que sa ville possède de quoi former ses élites58.

58. Sur la famille de Pere Blan, pareurs de drap ayant réussi une ascension sociale hors du commun, au point de devenir fondés de pouvoir du roi, on lira avec intérêt la note de Pierre Ponsich sur le gisant de son père, qui donne de précieuses indications sur sa vie et sa descendance, mais ne dit mot du rôle de Pere Blan dans la fondation du studium perpignanais, pourtant cité par le roi Pierre dans sa lettre de 1350, “Le gisant de Perpe-nya Blan +1344 », 106e Congrès national des sociétés savantes, Perpignan, 1981, p. 185-195.

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Le roi Pierre IV Le Cérémo-nieux. Malgré les difficul-tés rencontrées par la ville de Perpignan au milieu du XIVe siècle, qui expliquent les trente années d’attente avant l’ouverture réelle de l’Université, rien n’eût été possible sans l’autorisation accordée par le roi Pierre. Ce portrait du souverain sur panneau de bois, attribué aux peintres Jaume Mateu et Gonçal Peris, est daté de 1427. Il est très postérieur à la mort du roi, en 1387 et témoigne d’une idéalisa-tion de la personne du roi. MNAC - Museu Nacional d’Art de Catalunya.

La fonction sociale de l’université justifie que la collectivité lui assure aujourd’hui ses moyens d’existence, comme elle lui a fourni ses locaux en 1380, et détermine ses objectifs qui restent d’offrir à ses étudiants une formation leur permettant d’assumer leur place dans une société en évolution, d’assurer leur partici-pation à ce qui peut continuer à être appelé le progrès. L’autre caractère fondamental de l’université directement hérité du Moyen Âge est une exigence constante de qualité et de rigueur, mais aussi de renouvellement, de « recherche » dirions-nous aujourd’hui : la capacité à apprendre les leçons des maîtres et la tentative constante de les approfondir, de les dépasser. Dès 1390, le stationnaire, en même temps qu’il se devait de tenir à la dispo-sition des étudiants la collection complète des livres de référence inscrits au programme des différentes facultés, était convié par les statuts à s’informer des écrits les plus récents des docteurs, afin que nul parmi les écoliers n’ignore que la matière universi-taire était par nature objet de création59.

59. Cet article est une version revue et enrichie de l’article paru dans L’Université de Perpignan (1350-2000) sous la direction de Paul Carmignani, Presses Universitaires de Perpignan, 2001.