Livres et bibliothèques des hauts magistrats péruviens du xixe siècle

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LIVRES ET BIBLIOTHÈQUES DES HAUTS MAGISTRATS PÉRUVIENS DU XIXE SIÈCLE Lissell Quiroz-Pérez P.U.F. | Revue historique 2011/2 - n° 658 pages 265 à 288 ISSN 0035-3264 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-historique-2011-2-page-265.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Quiroz-Pérez Lissell, « Livres et bibliothèques des hauts magistrats péruviens du xixe siècle », Revue historique, 2011/2 n° 658, p. 265-288. DOI : 10.3917/rhis.112.0265 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.192.64.240 - 01/02/2014 19h42. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.192.64.240 - 01/02/2014 19h42. © P.U.F.

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LIVRES ET BIBLIOTHÈQUES DES HAUTS MAGISTRATS PÉRUVIENSDU XIXE SIÈCLE Lissell Quiroz-Pérez P.U.F. | Revue historique 2011/2 - n° 658pages 265 à 288

ISSN 0035-3264

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Revue historique, 2011/2 n° 658, p. 265-288. DOI : 10.3917/rhis.112.0265

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Revue historique, 2011, t. CCCXIII/2, nº 658, p. 265-288

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Livres et bibliothèques des hauts magistrats péruviens du xixe siècle

Lissell quiroz-pérez

Le terme de bibliophilie est admis dans le dictionnaire de l’Académie en 17981. À partir de cette époque en effet, on commence à définir un bibliophile comme la personne qui manifeste un goût mais aussi un amour des livres, notamment rares, précieux et anciens. Bien que les bibliothèques ne soient pas une invention du Siècle des lumières, les principales bibliothèques des siècles précédents restent étrangères à la pure bibliophilie. Car le livre – plutôt rare et très coûteux – était surtout recherché en tant qu’objet de valeur, d’où une attention par-ticulière à la forme du livre, c’est-à-dire ses pages, sa reliure, ses gra-vures et illustrations entre autres éléments. D’une certaine façon, c’est l’apparence du livre qui sublimait et légitimait le contenu de l’œuvre. À partir de l’époque des Lumières, le livre est apprécié parce qu’il est le support et le vecteur d’idées nouvelles indépendamment de sa qua-lité esthétique. Parallèlement, l’imprimé se diffuse et la lecture s’ouvre à un plus vaste public.

Au Pérou, ce goût pour le livre ne cesse de se développer à partir de la seconde moitié du xviiie siècle et le monde de la magistrature est particulièrement sensible à cet état d’esprit. Comme dans d’autres contrées, le livre s’affirme comme un signe visible de réussite sociale dans un monde où les ouvrages imprimés sont encore peu nombreux. Le mouvement des Lumières, qui s’appuie largement sur la promotion

1. Jean-Daniel Candaux, Bibliophilie, dans Dictionnaire européen des Lumières, Michel Delon (dir.), Paris, puf, 1997, p. 159.

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de la culture écrite, contribue à la multiplication des imprimés. Goût du savoir, érudition et bibliographie s’affirment dans le milieu des juristes. Les hauts magistrats péruviens se trouvent au cœur de cette révolution silencieuse, car ils ne sont pas de simples juges, ils exercent aussi d’autres fonctions, politiques, sociales ou culturelles2. Ils sont aussi des hommes politiques qui, à la tête de ministères, assemblées ou parlements, produisent des textes législatifs et administratifs. En tant qu’avocats, juristes et jurisconsultes, ils bâtissent un nouveau droit péruvien : ils rédigent notamment les premiers codes et les premières constitutions péruviennes. Ils transmettent leur savoir aux étudiants dans les cours qu’ils donnent dans les facultés de droit ou bien aux jeu-nes collègues de leur cabinet d’avocat. En somme, leur rapport avec l’écrit est essentiel dans leur vie. Certains s’aventurent même dans des domaines a priori plus éloignés de leurs charges et fonctions : d’aucuns font une incursion dans la littérature, la grammaire ou la traduc-tion. Ces hommes se nourrissent d’ouvrages de droit mais également d’autres matières telles que la littérature, l’histoire ou la géographie. Ils ne se limitent pas à collectionner des livres, ils sont de fervents lecteurs et certains développent, en outre, un goût particulier pour la conser-vation d’archives. Acteurs majeurs de la naissance de l’État et de la nation péruviens, les hauts magistrats apparaissent par conséquent comme de grands producteurs d’écrits dont une grande partie a pu être conservée. Leur originalité provient précisément de ce regard en quelque sorte panoramique de la société péruvienne du xixe siècle. Or, la période considérée ici est précisément celle qui voit l’émer-gence d’une nouvelle nation et qui correspond aux années 1810-1870. Durant ces soixante années, le Pérou se sépare de l’Espagne, adopte le système républicain et s’engage dans un processus de modernisa-tion de ses institutions. Dans ce contexte, l’étude des bibliothèques des magistrats permet d’appréhender à la fois le rapport de ces hommes avec l’imprimé et les usages qu’ils peuvent en faire.

Or, l’étude des librairies et bibliothèques des juristes et magistrats du xixe siècle n’a que très peu intéressé les historiens du Pérou. Les quelques travaux existants pour l’Amérique latine traitent plutôt de la fin de la période coloniale et ne s’aventurent jamais dans le xixe siècle3. Dans le cas plus précis du Pérou, il n’existe toujours pas

2. Il s’agit en l’occurrence de 164 hauts magistrats péruviens ayant exercé des fonctions dans les cours de justice péruviennes de la fin de l’Ancien Régime et des premières décennies républi-caines (1810-1870). Pour plus d’informations sur la trajectoire de ces personnages et leur parti-cipation dans l’érection d’un nouvel État au xixe siècle voir : Lissell Quiroz-Pérez, Du service du roi au service de la République. Haute magistrature et construction de l’État au Pérou (1810-1870), Thèse de doctorat, Université de Paris I, 2009.

3. Sur ce sujet, on peut se référer notamment aux ouvrages de : Atilio Cornejo, Bibliotecas privadas de Salta en la época colonial dans Boletín del Instituto de San Felipe y Santiago de estudios

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d’études portant sur les bibliothèques des magistrats de la transition, ni à la fin de la période coloniale ni au début de la République. Seul Teodoro Hampe Martínez a tenté de combler ce vide, mais sa recher-che couvre le xvie et le xviie siècle4. Face à ce manque criant, il ne s’agit pas de présenter ici une étude exhaustive de la question mais d’ébaucher quelques remarques et pistes de réflexion pour tenter de saisir la place et les usages du livre dans le monde de la magistrature.

La première saisie des bibliothèques des magistrats du xixe siècle est rendue possible par l’étude des inventaires après décès disponibles aux Archives nationales péruviennes (agn). La source, toutefois, exige des précautions : nullement obligatoire, l’inventaire après décès n’est dressé que pour une minorité. Dans le cas du Pérou, la conservation de ces documents n’a pas toujours été une priorité des archivistes tandis que les aléas de l’histoire péruvienne ont souvent eu pour conséquence la disparition de nombre d’inventaires. Lorsque ces derniers sont dis-ponibles, la description des livres possédés s’avère souvent fort incom-plète. D’une manière générale, elle s’attache davantage aux ouvrages de prix et néglige ceux de moindre valeur. D’autre part, la signification du livre possédé est incertaine. Dans le cas des magistrats et des élites péruviennes, on peut se demander s’il s’agit véritablement d’une lec-ture personnelle ou d’un héritage conservé. Le livre est-il vraiment un instrument de travail maintes fois feuilleté ou un objet de décoration ? Est-il un compagnon d’intimité ou un attribut du paraître social ? La sécheresse de l’écriture notariale ne permet guère de précision en la matière. Un dernier point n’est pas à négliger : tous les livres lus ne sont pas pour autant des livres possédés et, inversement, tous les livres figurant dans les inventaires n’ont pas forcément été lus. En dépit de l’imperfection de la source, les inventaires nous fournissent un moyen privilégié d’appréhender l’univers culturel des personnages étudiés.

Ce qui est certain, c’est que tous les magistrats péruviens du xixe siècle partagent l’amour des livres, comme le laissent entrevoir leurs écrits qui doivent servir de support pour compléter l’analyse des inventaires. Ils disposent de bibliothèques, certaines somptueu-ses et d’autres beaucoup plus modestes. Francisco Xavier Mariátegui (1793-1884) a ainsi l’habitude de dire que « les livres sont [ses]

históricos de Salta, t. IV, no 16, Salta, 1945, p. 67-109 ; Guillermo Furlong, Bibliotecas argentinas durante la dominación hispánica, Buenos Aires, Ed. Huarpes, 1944 ; Daisy Rípodas Ardanaz, La biblioteca de Mariano Izquierdo, Revista de Historia del Derecho, no 12, Buenos Aires : Instituto de Investigaciones de Historia del derecho, 1984, p. 303-336 ; José Torre Revello, Bibliotecas en el Buenos Aires antiguo desde 1729 hasta la inauguración de la Biblioteca Pública en 1812, Revista de Historia de América, no 59, México, 1965, p. 1-148.

4. Teodoro Hampe Martínez, Bibliotecas privadas en el mundo colonial: la difusión de libros e ideas en el virreinato del Perú (siglos xvi-xvii), Frankfurt am Main, Vervuert; Madrid, Iberoamericana, 1996.

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meilleurs amis puisqu’ils sont [ses] plus fidèles compagnons ». Le magistrat dispose d’ailleurs de la bibliothèque la plus impor-tante de toutes, rassemblant près de 5 800 volumes5. Le choix s’est porté sur trois bibliothèques de juges du xixe siècle, celles de Manuel Lorenzo Vidaurre, de Toribio Pacheco et de Mariano Felipe Paz Soldán. Ces hommes sont tout d’abord des acteurs majeurs de la vie politique péruvienne. Le premier – Manuel Lorenzo Vidaurre – appartient à la « génération de la Révolution » (Annick Lempérière), il figure dans le Panthéon des grands hommes de l’indépendance péruvienne6. Les deux autres – Toribio Pacheco et Mariano Felipe Paz Soldán – font partie de la génération suivante qui juge la révolu-tion achevée et souhaite élever son pays au rang des nations modernes et civilisées. Ces trois personnages ont en commun d’avoir mis leurs savoirs au service de l’État. Étudier leurs bibliothèques est une façon d’appréhender la genèse de la nouvelle nation péruvienne. Leurs librairies sont pour finir remarquables par la quantité des ouvrages concernés. L’historienne Daisy Rípodas Ardanaz considère qu’à la fin du xviiie siècle – mais on peut étendre cette remarque à la pre-mière moitié du xixe – les librairies des clercs et des juristes hispano- américains les plus fournies comptent en moyenne entre 200 et 700 volumes. Elle situe les plus notables parmi celles qui s’approchent ou dépassent le millier d’exemplaires7. Or, celles des trois magistrats étudiés ici franchissent largement ce seuil d’où l’intérêt de les étudier plus en détail, à commencer par celle de Manuel Lorenzo Vidaurre.

Manuel lorenzo viDaurre (1773-1841) : une bibliothèque Des luMières

Manuel Lorenzo Vidaurre est ministre de l’Audience de Cuzco entre 1810 et 1820 puis juge de la Cour suprême de justice entre 1825 et 1840. À la fin de l’Ancien Régime, même s’il se montre un défenseur des droits de la Couronne espagnole sur les terres améri-caines, il souhaite une réforme de l’administration des vice-royautés.

5. Guillermo Swayne y Mendoza, Mis antepasados, genealogía de las familias Swayne, Mariátegui, Mendoza y Barreda, Lima, 1951.

6. Annick Lempérière, Los hombres de letras y el proceso de secularización, 1800-1850, dans Jorge Myers éd., Historia de los intelectuales en América Latina, I. La ciudad letrada, de la conquista al modernismo, Buenos Aires, Katz, 2008.

7. Daisy Rípodas Ardanaz, Libros y lecturas en la Ilustración, dans Historia general de España y América, t. XI-2 : América en el siglo xviii, Madrid, Rialp, 1992, p. 475.

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Ses écrits lui valent la reconnaissance des révolutionnaires comme Simon Bolivar. Ceci explique qu’après l’indépendance, il siège au sommet de la pyramide judiciaire.

L’inventaire après décès établi en 1841 fait état de près de 1 657 volumes8. La lecture et l’écriture représentent une bonne par-tie de son activité intellectuelle. De son propre aveu, il leur consacre presque huit heures par jour en plus de son travail comme magistrat. Il passe des heures enfermé dans les bibliothèques, même lorsqu’il est en exil, loin de chez lui. Comme il l’avoue dans l’un de ses discours, il « s’oublie lui-même, sans laisser de temps au repos et encore moins aux plaisirs mondains9 ». Sur le plan matériel, la « librairie » de Vidaurre s’avère impressionnante par le nombre d’ouvrages comme par la taille des volumes. L’ensemble des livres combine à la fois l’an-cien et le moderne. À une époque en effet où les formats tendent à rétrécir et les reliures en parchemin à être remplacées par les reliures cartonnées, la bibliothèque de Vidaurre apparaît démodée quant à la première caractéristique et moderne quant à la seconde. Comme on peut le voir dans la figure no 1, 70 % des ouvrages de la bibliothè-que de Vidaurre sont des œuvres in-folio et in-quarto mayor. Dans le monde hispanique, ces formats correspondent à des livres assez grands, d’une longueur de 34 centimètres pour les in-folio et entre 27 et 30 centimètres pour les in-quarto mayor10. Ce sont ces ouvrages d’assez grande taille qui apparaissent comme emblèmes du savoir et de la connaissance classiques – et possèdent à ce titre une valeur sym-bolique supérieure – tandis que les plus petits formats correspondent souvent aux œuvres d’édifi cation et de loisir.

En ce qui concerne la reliure des livres (cf. figure no 2), on remar-que une nette prépondérance des ouvrages reliés (70 %). Parmi ces derniers, quelques-uns d’entre eux sont particulièrement luxueux et en portent la mention dans l’inventaire. Il s’agit en l’occurrence de l’Histoire ecclésiastique de l’abbé Fleury (37 volumes), les 26 tomes de l’Encyclopédie britannique et les 17 volumes de l’Histoire naturelle de Buffon. De leur côté, les parchemins ne représentent plus que 9 % du total des livres. Il s’agit essentiellement d’œuvres anciennes, très sou-vent en latin comme le Fuero Viejo, les ouvrages scolastiques de Luis de Molina, la Somme théologique de Thomas d’Aquin ou l’Histoire générale de l’Espagne de Juan de Mariana.

8. Archivo General de la Nación, Archives notariales, José de Celaya.9. Cité par Luis Antonio Eguiguren, La Universidad Mayor de San Marcos, 4a centuria de su fun-

dación, Lima, 1951, p. 125.10. D’après le site : www.bibliophilia.com (dernière consultation : mars 2009).

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Quant au sujet des livres, on note que seule une quinzaine d’ouvrages sont consacrés au droit civil et une dizaine au droit canon. Vidaurre possède par ailleurs une bibliothèque qui privilégie les œuvres juridiques classiques en latin. Celles-ci ont encore valeur d’autorité à la fin de l’Ancien Régime. Le magistrat dispose aussi d’œuvres juridiques plus récentes comme le Droit de la guerre et de la

Figure no 1. Les formats des livres de la bibliothèque de Manuel Lorenzo Vidaurre

In-folio 11 %

In-4° mayor 59 %

In-4° 12 %

In-4° menor 10 %

In-8 8 %

Source : agn, Archives notariales, notaire José de Celaya, 1841.

Figure no 2. Les livres de la bibliothèque de Vidaurre selon le type de reliure

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Source : agn, Archives notariales, notaire José de Celaya, 1841.

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paix de Grotius. Un de ses auteurs préférés semble être Machiavel dont les œuvres figurent dans sa bibliothèque. Cette préférence est confirmée par l’étude des écrits du magistrat : les références à ce penseur italien sont parmi les plus nombreuses (70 citations)11. D’autres auteurs sont en revanche absents de sa bibliothèque alors que largement cités dans ses écrits. C’est le cas notamment de Montesquieu (cité 71 fois), Gaetano Filangieri (cité 36 fois) ou de Cesare Beccaria (cité 8 fois). Autrement dit, le magistrat péruvien connaît parfaitement les œuvres politiques et juridiques très populaires dans les milieux juridiques européens sans pour autant avoir pu en conserver des exemplaires. Cela laisse supposer que la circulation des imprimés devait être très importante à une époque où les ouvrages disponibles ne répondaient pas forcément à la demande. La consulta-tion de passages entiers se faisait également à travers les journaux qui les reproduisaient traduits en espagnol. Vidaurre a dû bénéficier de ces modes de circulation des savoirs pour s’abreuver d’idées éclairées.

Et de fait, la très grande majorité des œuvres de la bibliothèque de Vidaurre appartiennent aux philosophes des Lumières. Tous les livres de Voltaire (70 volumes), de Diderot et de Rousseau figurent bien entendu sur ses étagères, mais aussi ceux de Claude Adrien Helvétius, d’Edmund Burke, de David Hume ou d’Étienne Bonnot de Condillac. Plus largement, la bibliothèque de Vidaurre témoigne de l’esprit encyclopédique du personnage. En effet, tous les domaines de la connais-sance y sont représentés. Ainsi, il possède les 45 volumes de la Revue encyclopédique, parue de 1819 à 1835. Mais toutes les époques y figurent aussi. Le magistrat dispose ainsi des œuvres classiques en latin d’Héro-dote, Démosthène, Virgile, Horace, Salluste, Cornelius Nepos mais aussi celles de saint Augustin, saint Cyprien, saint Bernard ou saint Anselme. Et Vidaurre ne néglige visiblement aucun domaine des savoirs. Ainsi, on trouve dans sa bibliothèque des œuvres de Jean-Baptiste Say, d’Adam Smith, de Charles Ganilh en matière d’économie politique et celles du Père Mariana, de Dominique Pradt, d’Edmund Burke ou de René Aubert de Vertot en matière d’histoire. En ce qui concerne l’éloquence oratoire, Vidaurre collectionne les discours de person-nalités anglo-saxonnes comme ceux du médecin Nathaniel Chapman, ceux du parlementaire irlandais Richard Brinsley Sheridan, ceux de l’Anglais George Canning ou même des recueils de discours américains. Par ailleurs, il fait montre d’un grand intérêt pour les scien-ces naturelles comme l’atteste la présence dans sa bibliothèque des

11. Nous nous appuyons sur les œuvres de Vidaurre publiées dans deux volumes de la Colección documental de la Independencia del Perú, à savoir Plan del Perú y otros escritos (1971) et Cartas americanas (1973).

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œuvres de Buffon ou de Humboldt. Dans le domaine de la littérature, la bibliothèque de Vidaurre est particulièrement riche. Les œuvres de Montaigne, Molière, Mme de Staël, Bernardin de Saint-Pierre, Leandro Fernandez de Moratín figurent également sur ses étagères.

Un point curieux est à relever dans le catalogue de Vidaurre. La sexualité occupe une place importante dans sa bibliothèque, contrai-rement à celles de ses collègues beaucoup plus pudibonds et puritains. Ainsi s’est-il procuré des œuvres qui connurent un grand succès préci-sément par les thèmes qu’elles ont su aborder. Parmi celles-ci figurent les livres du « prince des médecins », Samuel Auguste Tissot, auteur de travaux consacrés notamment à l’onanisme et celui de Morel de Rubempré sur le même sujet. On trouve également dans les rayons de sa bibliothèque le livre de Nicolas Venette sur l’amour conjugal, véritable best-seller du xviie siècle. Dans la même veine, Vidaurre possède les œuvres de Pigault-Lebrun, auteur de comédies et de romans dont la gaieté licencieuse leur valut une importante diffu-sion. La possession de ces livres, peu répandus au Pérou et censu-rés sinon officiellement du moins officieusement par une société très conservatrice, laisse apparaître une personnalité exubérante et liber-tine qui provoqua l’hostilité d’un certain nombre de ses collègues de l’Audience de Cuzco et de la Cour suprême.

Les livres d’histoire ont une place de premier ordre dans les bibliothèques éclairées. Les ouvrages de Fleury, Mariana, Raynal ou Robertson sont présents dans la librairie du magistrat. À côté de l’Antiquité, la Révolution et l’Empire sont les moments historiques privilégiés par Vidaurre. Les quelques récits de voyages (ceux de Humboldt, Malte Brun, Laharpe, Anacharsis en Grèce entre autres) qui figurent dans la bibliothèque sont en revanche les seules œuvres se rapportant à la géographie.

Cependant, que peut-on dire de l’« âge » de la bibliothèque ? Du point de vue du contenu « intellectuel », les époques sont variables, elles vont du xvie au xixe siècle, avec une forte proportion d’ouvrages du xviiie siècle. Quant à l’âge « physique » de la bibliothèque, il est plutôt récent : presque toutes les œuvres qui la constituent sont des éditions des xviiie et xixe siècles. L’autre originalité de la librairie de Vidaurre est la répartition linguistique des ouvrages (cf. figure no 3). On note tout d’abord un recul du latin, la langue académique par excellence, par rapport aux proportions des librairies du xviiie siècle. Les ouvrages en latin représentent néanmoins encore 11,6 % du total. Vidaurre a en effet une excellente connaissance classique comme le confirment les multiples citations des œuvres et auteurs de l’Antiquité dans son œuvre. Parmi les langues vivantes et alors qu’on s’attendrait à voir une majo-rité d’œuvres en espagnol dans la librairie du juge, on note en revanche

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que celles-ci ne représentent que 16 % du total, à peine supérieures en pourcentage aux livres en anglais ou en latin. Ce sont en fait les ouvrages en français qui représentent le plus fort contingent (près de 60 %) comme le montre le graphique suivant. Ceci contraste fortement avec les bibliothèques de juristes de la fin de l’Ancien Régime12. À cette époque, plus de la moitié des ouvrages sont des livres en espagnol et la proportion d’œuvres en français ne dépasse jamais les 20 %.

Figure no 3. Les langues des œuvres de la bibliothèque de Manuel Lorenzo Vidaurre (1841)

Français 59 %Espagnol 16 %

Anglais 12 %

Autres 13 %

Source : agn, Archives notariales, notaire José de Celaya, 1841.

La place que Manuel Lorenzo Vidaurre accorde aux ouvrages en français témoigne de l’attachement du magistrat à la culture des Lumières. Cela s’explique probablement aussi par le fait que les livres en espagnol étaient alors plus accessibles dans le cadre des bibliothè-ques universitaires ou des tribunaux, contrairement aux ouvrages en langues étrangères. Le lien qu’entretient Vidaurre avec la France est tout à fait intéressant et semble être une caractéristique des hauts magistrats péruviens qui connaissent et admirent toute la produc-tion intellectuelle française. Ce qui le distingue d’autres juristes, c’est que même s’il n’a que très peu séjourné en France, Vidaurre connaît parfaitement la langue de Molière et préfère lire les textes dans leur version originale plutôt que dans leur traduction en espagnol qui lui

12. Voir en particulier les travaux de Daisy Rípodas Ardanaz, La biblioteca de Mariano Izquierdo. Un repositorio jurídico atípico en el Buenos Aires finicolonial, dans Revista de Historia del derecho, no 12, Buenos Aires, Instituto de Investigaciones de Historia del Derecho, 1984, p. 303-325 et La biblioteca porteña del Obispo Azamor y Ramírez, 1788-1796, Buenos Aires, PRHISCO-CONICET, 1994.

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sert cependant de guide ou d’introduction. Ceci explique le pour-centage très élevé d’œuvres en français. Les ouvrages en anglais sont en revanche moins nombreux alors même que Vidaurre a effectué un séjour à Philadelphie. En somme, la bibliothèque de Manuel Lorenzo Vidaurre est à l’image de son propriétaire : elle semble plutôt riche du point de vue culturel et fortement marquée par la littérature des Lumières, principalement françaises. La forte présence d’ouvra-ges étrangers contraste avec la relative faiblesse numérique des textes sur le Pérou et sur le droit. Sur ce dernier point, il s’oppose fortement au juge républicain Toribio Pacheco.

toribio pacheco (1828-1868) : une bibliothèque juriDique De la MoDernité

Toribio Pacheco appartient à la génération suivante, celle qui n’a pas connu l’Ancien Régime et qui souhaite extirper le passé colo-nial et bâtir une nouvelle nation moderne. Il est issu d’une famille de l’aristocratie d’Arequipa, ville du Sud péruvien. Tout jeune, Pacheco commence ses études dans sa ville natale puis sa famille décide de l’envoyer à Lima pour étudier dans le prestigieux collège de San Carlos. Étudiant très prometteur, sa famille prend la décision de l’en-voyer compléter sa formation en Europe et il séjourne en Allemagne, en Angleterre, à Paris puis à Bruxelles. Dans cette ville, il rejoint son oncle maternel, un célèbre scientifique et homme politique péru-vien13. En 1851, ce dernier avait été nommé consul général du Pérou en Belgique et c’est tout logiquement que son neveu Toribio Pacheco le suit à Bruxelles où il complète sa formation universitaire14. Le jeune homme obtient ainsi son diplôme de docteur en jurisprudence à l’université de Bruxelles et, en 1853, il décide de rentrer au Pérou. Dans son pays natal, il exerce tour à tour des fonctions de professeur, journaliste, avocat et finalement de magistrat à la Cour suprême15. Il succombe cependant encore jeune à l’épidémie de fièvre jaune qui ravage Lima en 1866. La liste de ses livres nous révèle que sa biblio-thèque est en cours de constitution, étant donné la relative jeunesse du magistrat. Elle est par ailleurs incomplète puisque des informations

13. Mariano E. de Rivero (1798-1857) est notamment considéré comme le principal scientifi-que péruvien du xixe siècle, plus connu dans le pays comme « Rivero le Savant » (Alberto Tauro, Enciclopedia ilustrada del Perú, Lima, Peisa, 1988, t. V).

14. Id., Enciclopedia… op. cit. (13).15. agn, Fojas de servicio de jueces.

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importantes comme le format et l’état des livres possédés ne figu-rent pas16. Elle nous permet néanmoins de nous faire une idée des œuvres qui ont compté pour lui dans sa jeunesse et dans sa forma-tion d’avocat et de magistrat. Or en 1866, alors qu’il n’a que 38 ans, Pacheco possède déjà 1484 volumes. Contrairement à la bibliothèque de Vidaurre, celle de Toribio Pacheco se distingue par la proportion importante des ouvrages de droit qui représentent près du tiers de l’ensemble des volumes (cf. figure no 5).

La librairie de Toribio Pacheco se présente comme une biblio-thèque moderne pour plusieurs raisons. Contrairement à la biblio-thèque de Vidaurre, on n’y trouve plus de parchemins ni d’éditions anciennes. La plupart des livres ont des éditions du xixe siècle (plus de 90 %), le reste étant constitué par des éditions du siècle précédent. De la même manière, les auteurs des livres possédés par Pacheco appartiennent principalement aux années 1750-1850, même si des auteurs plus anciens ou classiques ne sont pas absents. Cela s’expli-que par un usage du livre bien différent de celui des juristes du xviiie siècle. En étudiant les bibliothèques et les écrits des magistrats du xixe siècle, un très grand appétit de savoir est clairement percepti-ble : le livre n’est plus alors recherché pour sa beauté et sa rareté mais essentiellement pour son contenu.

Les langues des livres sont également un indice du changement d’époque. Ainsi, les œuvres en latin représentent dans la bibliothèque de Pacheco la portion congrue (cf. figure no 4). Ceci contraste forte-ment avec les bibliothèques des juristes péruviens du xviie siècle, où les œuvres en latin représentaient plus de la moitié de l’ensemble17. Dans le cas de la bibliothèque de Pacheco, seule une dizaine de livres sont écrits en langue latine, ce qui représente 0,7 % du total. Parmi ces œuvres, on trouve la Bible, les Leges Tauri, les deux Corpus juris, civilis et canonici, mais aussi deux dictionnaires bilingues. L’espagnol a quant à lui une place prépondérante puisque plus de 51 % des ouvrages sont écrits dans la langue de Cervantés. À côté de l’espagnol, deux autres langues – le français et l’anglais – connaissent un vif déve-loppement dans l’éducation péruvienne comme on a pu le constater précédemment. En regardant de près les livres de la bibliothèque de Toribio Pacheco, on remarque encore une fois l’écrasante prépondé-rance des ouvrages en français. Les livres en anglais ne représentent en effet que 7 % du total des livres alors que ceux en français sont plus de cinq fois plus nombreux (près de 40 %). Cette francophilie, déjà présente dans le cas de Vidaurre, peut dans le cas de Toribio Pacheco

16. Catálogo de los libros del Dr. D. Toribio Pacheco, Lima, Imp. El Comercio, 1800?17. Teodoro Hampe Martínez, Bibliotecas privadas … op. cit. (4).

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s’expliquer en partie par son séjour à Bruxelles. Le jeune juriste a dû y découvrir, lire et se procurer des livres en français difficiles d’accès au Pérou. Mais ceci n’explique pas tout. On note également une atti-rance particulière des élites péruviennes du xixe siècle pour la langue et la culture françaises, qu’elles aient ou non séjourné en France.

Figure no 4. Les langues des livres de la bibliothèque de Toribio Pacheco

Français 39 %

Autres 3 %Anglais 7 %

Espagnol 51 %

Source : Catálogo de la librería de Toribio Pacheco, Lima, ?.

D’un point de vue matériel, la bibliothèque est constituée de plu-sieurs meubles répartis par matières (cf. figure no 5). La primauté du droit est manifeste même si elle n’est pas écrasante. En effet, 181 ouvrages (soit 31 % du total référencé) sont des livres de droit. Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’importance des compilations de lois. Toribio Pacheco est, sans aucun doute, un des acteurs de la vague légicentriste péruvienne. Comme l’atteste la lecture de ses manuels destinés aux étudiants de droit, il considère que seule une loi parfaite et adaptée au Pérou pourra faire entrer son pays dans la modernité. Pour établir cette loi, il faut connaître celles d’époques et d’autres contrées, c’est pourquoi il possède un grand nombre de codes, allant des plus anciens – les Corpus juris antiques – aux plus récents, en passant par les lois de Toro, de Castille et des Indes. Pacheco col-lectionne ainsi les codes d’autres pays hispaniques – Espagne, Chili, Bolivie, Nouvelle-Grenade, Panama, entre autres. Il a en sa posses-sion également les Cinq Codes établis par Napoléon entre 1804 et 1810 ainsi que la Constitution des États-Unis dans sa traduction en espa-gnol. On trouve finalement dans sa bibliothèque les Tables analytiques de ces mêmes codes établies par La Barthe. Mais plus qu’un simple

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compilateur de législation, Pacheco se présente comme un admira-teur de la raison et de l’analyse. À côté des textes de législation pure comme sont les compilations de lois de divers pays, il accompagne ces ouvrages d’autres plus analytiques ou de commentaires. C’est ainsi qu’il abrite dans sa bibliothèque les indispensables dictionnaires de Joaquín Escriche (1831)18, de Dalloz et Villargues (1850) et celui du Péruvien Francisco García Calderón (1861-1863)19. En dehors des textes portant sur la législation, les manuels juridiques sont assez nombreux et tous les droits sont représentés : droit civil20, romain21, ecclésiastique, naturel22, royal23, diplomatique et international24.

Figure no 5. Les sujets des livres de la bibliothèque de Toribio Pacheco (1866 ?)

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Économie LangueLittérature

Philosophiereligieuse

Sciencesmédicales

Politique Autres

Sujets de livres

Source : Catálogo de la librería de Toribio Pacheco, Lima, n.d.

18. Joaquín Escriche publie en effet un ouvrage juridique qui fait référence dans tout le monde hispanique, à savoir : Diccionario razonado de legislación civil, penal, comercial y forense, Paris, M. Alcober, 1831.

19. Francisco García Calderón, Diccionario de legislación peruana, 2e éd., Paris, De Laroque, 1878-1879, 2 vol.

20. Johann Gottlieb Heineckem, Recitaciones del derecho civil, Madrid, Imp. P. Sanz, 1830 et Victor-Napoléon Marcadé, Cours élémentaire de droit civil, Paris, Cotillon, 1850.

21. Johann Gottlieb Heineckem, Elementos de derecho romano, Madrid, Imp. de E. Aguado, 1829, et Ferdinand Mackeldey, Elementos de derecho romano, Madrid, 1844.

22. Heinrich Ahrens, Cours de droit naturel, Bruxelles, Méline, Cans et Cie, 1853.23. José María Alvarez, Instituciones de derecho real de España, Madrid, Imp. de Repullés, 1829.24. Andrés Bello, Derecho internacional, 1866, et Luis E. Albertini, Derecho diplomático en sus apli-

caciones especiales a las repúblicas Sud-Americanas, Paris, Rosa y Bouret, 1866.

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On note par conséquent que tout en étant variée, la bibliothèque de Toribio Pacheco est plus moderne que celle de Vidaurre en termes de culture juridique. Au savoir encyclopédique de Vidaurre succède une relative spécialisation juridique de Pacheco. On constate égale-ment un changement de centres d’intérêt de nature politique. Ainsi, les ouvrages de droit canon ont pratiquement disparu de la biblio-thèque de Pacheco alors que la question du droit des gens et de son évolution vers un droit dit international semble beaucoup l’intéres-ser. Pacheco dispose des classiques ouvrages de Johann G. Heinecius et d’un manuel de droit naturel (l’ouvrage capital de H. Ahrens). Fait plus rare, il est en possession des œuvres du juriste et diplomate états-unien Henry Wheaton (1785-1848) et de celui de Jean-Jacques Gaspard Foelix sur le droit international25. Il est probable que ces ouvrages lui aient servi pour défendre la cause du Gouvernement péruvien lors du conflit avec l’Espagne (1866). En tant que minis-tre des Affaires étrangères, il expose le point de vue péruvien dans deux manifestes, un en espagnol et l’autre en français, adressés à la commu nauté internationale26.

Pacheco appartient par ailleurs à la génération de juristes passion-nés par le droit pénal et tout particulièrement par la question de la réforme du système pénitentiaire. Il dispose ainsi de livres sur l’histoire du droit criminel et d’autres sur la législation criminelle27. Il possède aussi l’essai de Tocqueville sur le système pénitentiaire des États-Unis et les articles de Victor-Adrien Foucher sur la réforme des prisons28. La bibliothèque juridique de Pacheco recèle d’autre part des manuels destinés aux avocats comme le Manual del Abogado americano, les Leçons et modèles de l’éloquence judiciaire de Pierre-Antoine Berryer ou les Lettres sur la profession d’avocat d’Armand-Gaston Camus. Il est possible qu’il s’en soit inspiré pour rédiger son manuel de droit civil29. Pour finir, Toribio Pacheco semble particulièrement intéressé par le droit péru-vien naissant qu’il contribue à enrichir. En plus de toute la législation péruvienne républicaine (les compilations de Mariano S. Quirós et de Juan Oviedo) et le dictionnaire de García Calderón, le magistrat possède des ouvrages de droit péruvien, des projets de codes (notam-ment pénaux), des journaux péruviens ainsi que plusieurs volumes de correspondance diplomatique.

25. Il s’agit de la quatrième édition du Traité du droit international privé ou du conflit de lois de diffé-rentes nations, publié en 1866.

26. Conflit hispano-péruvien, Paris, s.n., 1866 et Manifiesto de los motivos que han inducido al Perú a declarar la guerra al gobierno de España, Lima, s.n., 1866.

27. Cesare Beccaria, Tratado de los delitos y de las penas et Charles Cottu, De l’administration de la justice criminelle en Angleterre et de l’esprit du Gouvernement anglais, Paris, H. Nicolle, 1820.

28. Victor Foucher, Sur la réforme des prisons, Rennes, Blin, 1838.29. Son Traité de droit civil, en trois volumes, est édité trois fois entre 1859 et 1872.

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L’histoire et la géographie occupent ensuite une place non négli-geable dans la librairie de Toribio Pacheco (18 % du total des livres recensés). Mais la préférence du magistrat va vers l’histoire (99 volu-mes). Et ses centres d’intérêt s’avèrent plutôt variés : Pacheco s’inté-resse tant à l’histoire ancienne qu’à la plus contemporaine, à la fois européenne et américaine. Le magistrat compte ainsi dans ses éta-gères des livres d’Hérodote, Thucydide, Polybe, Plutarque, Diodore de Sicile en langue espagnole. Quelques ouvrages modernes figu-rent dans le catalogue : l’Histoire des variations des Églises protestantes et l’Histoire universelle de Bossuet ou les ouvrages de William Robertson (1721-1793)30. Mais la plupart des livres appartiennent à des histo-riens contemporains. Pacheco possède en effet les douze volumes de l’Histoire des ducs de Bourgogne de Prosper Brugière de Barante, publiée pour la première fois entre 1824 et 1826, qui jouit à cette époque d’un grand succès et connaît plusieurs rééditions. Guizot31, Thiers32, Ségur, Sismondi et Louis Blanc33 figurent également parmi les autres histo-riens français présents dans la bibliothèque. Les travaux historiques de deux auteurs anglo-saxons méritent également qu’on s’y attarde. Il s’agit d’abord de William H. Prescott (1796-1859), historien états-unien connu notamment pour ses ouvrages sur l’histoire du règne de Ferdinand et Isabelle la Catholique ainsi que pour son Histoire de la conquête du Mexique. Le second est l’historien anglais Henry Hallam dont les ouvrages, fruit de recherches approfondies et écrits avec méthode et élégance, eurent un important succès à cette époque34. Quant aux auteurs latino-américains, il faut souligner la présence, dans la bibliothèque de Pacheco, des 23 volumes de la Historia física y política de Chile, écrite par le Franco-Chilien Claude Gay (1800-1873) et publiée entre 1844 et 1854. L’histoire du Pérou l’intéresse mais sans constituer une véritable passion. En revanche, il est intéressant de noter que la curiosité du magistrat va vers l’histoire précolombienne et celle de la conquête du Pérou. Cette attention pour le passé inca et pour les premiers conquistadors est à rattacher à l’émergence d’un sentiment national et à la volonté des élites de dégager une histoire unique et particulière du nouvel État qu’est le Pérou.

30. Il s’agit de : History of Scotland and an Historical Disquisition Concerning Ancient India, The History of America et The History of the Reign of the Emperor Charles V.

31. Cinq ouvrages de François Guizot sont cités dans le catalogue, à savoir Histoire de la civi-lisation en France (1830, 4 vol. en espagnol), Essais sur l’histoire de France (1836, en espagnol), De l’état des beaux-arts en France (1810, en espagnol), Monk, étude historique (1837, en français), Histoire de la révolution d’Angleterre depuis l’avènement de Charles Ier jusqu’à sa mort (1846, en français) et Histoire générale de la civilisation en Europe (1828, en français).

32. On y trouve également deux œuvres d’Adolphe Thiers : l’Histoire de la Révolution française en 10 vol. (1823-1827, en espagnol) et son Histoire du Consulat et de l’Empire en 20 vol. (1843-69, en espagnol).

33. Dans l’ordre l’Histoire universelle en 12 vol. de Ségur (en français), l’Histoire des Français en 8 vol. de Sismondi (en français) et l’Histoire des dix ans de Louis Blanc (5 vol., en espagnol).

34. History of England, History of Europa et State of Europa.

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Par ailleurs, comme beaucoup de juristes de sa génération, Pacheco se montre très intéressé par l’économie politique. Lors de son séjour en France, il assiste ainsi aux cours de sciences politiques de la Sorbonne. À Bruxelles, il complète ses études de droit par celles de sciences politiques. Il consacre d’ailleurs sa thèse à l’analyse des différentes écoles de philosophie économique. Il se prononce finale-ment contre le communisme et en faveur de l’harmonie entre capital et travail. Pacheco est également l’auteur d’une Dissertation sur les instruments qui concourent à la formation de la richesse, publiée en français en 1852. Sa bibliothèque est à l’image de ses idées politiques. De l’École physiocratique, en vogue à l’époque des Lumières, seul figure l’Ami des hommes de Mirabeau. Le magistrat possède en revanche les œuvres de l’avocat Charles Ganilh (1758-1836), membre de l’école mercantile. Il compte également dans ses rayonnages deux œuvres de Frédéric Bastiat (1801-1850), partisan du libéralisme économique et du libre-échange, opposé au socialisme et connu en particulier pour ses Harmonies économiques (ouvrage publié en espagnol en 1858). On trouve également pratiquement toutes les œuvres d’Adolphe Blanqui (1798-1854), frère du socialiste Auguste Blanqui, disciple de Jean-Baptiste Say et directeur de l’École de commerce de Paris, auteur notamment d’une Histoire du commerce et de l’industrie (1826), d’un Précis d’économie politique (1826), œuvres traduites en espagnol à la fin des années 1830. Pacheco possède également – en français – le rapport Blanqui sur les Classes ouvrières en France pendant l’année 1848 où l’auteur fait part de son inquiétude à propos de l’émergence d’idées socialistes et révolutionnaires au sein du prolétariat. Pacheco détient aussi huit volumes en français de l’œuvre de Michel Chevalier (1806-1879) sur l’économie politique. Figurent aussi deux œuvres traduites en espa-gnol de l’économiste genevois Jean de Sismondi (1773-1842), défen-seur d’un socialisme utopique et favorable à l’idée de la redistribution des richesses. On trouve enfin dans la bibliothèque de Pacheco, les œuvres d’Alexandre Moreau de Jonnès (1776-1870), militaire et haut fonctionnaire français qui laissa cependant de nombreux documents statistiques rassemblés dans ses nombreux voyages35. Pacheco est d’ailleurs l’auteur d’un précis de statistique publié au Pérou dès son retour d’Europe36.

35. À savoir, Statistique de l’Espagne : territoire, population, agriculture, industrie, commerce, naviga-tion, colonies, finances (1834), Statistique de la Grande-Bretagne et de l’Irlande (1837), Recherches statistiques sur l’esclavage colonial et sur les moyens de le supprimer (1842) et La Prusse, son progrès politique et social, par A. Moreau de Jonnès, suivi d’un Exposé économique et statistique des réformes opérées depuis 1806 jusqu’à l’époque actuelle (1848).

36. Toribio Pacheco, Elementos de estadística o principios fundamentales de esta ciencia, Arequipa, Imp. De F. Ibañez y Hno, 1853.

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La littérature occupe dans la bibliothèque de Pacheco une place plus réduite que celle des autres matières évoquées précédemment. Les auteurs classiques semblent assez bien représentés comme l’atteste la présence d’Homère, Eschyle, Aristophane, Euripide, Sophocle, Virgile et Xénophon dans les étagères de la librairie du magistrat. On décèle néanmoins un goût prononcé pour le romantisme. Pacheco s’est procuré des romans contemporains, publiés intégralement, ce qui témoigne de son appétit pour la lecture. Il dispose ainsi des œuvres de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand et de Mme de Staël. Le magistrat semble en revanche affectionner encore plus d’autres genres littéraires comme la poésie ou le théâtre. C’est ainsi qu’à la tragédie antique s’ajoutent les œuvres de Corneille, Racine, Molière, Fernández de Moratín et José Zorilla, mais aussi Beaumarchais, Gil y Zárate, Bretón de los Herreros, Alain-René Lesage, Shakespeare ou Vittorio Alfieri. Pour ce qui est des poètes, Pacheco semble appré-cier des auteurs comme Lamartine (huit volumes dans la biblio-thèque), John Milton, Pope, Schiller, mais aussi la poésie castillane et italienne. Ce sont néanmoins les auteurs romantiques comme Eugenio Ochoa, Mariano José de Larra, Mme de Staël et Walter Scott qui semblent avoir sa préférence.

L’originalité de Pacheco réside finalement dans son intérêt pour les langues étrangères, mortes ou vivantes. Pas moins de 23 volumes leur sont consacrés, ouvrages concernant cinq langues à savoir le latin, l’espagnol, le français, l’italien et l’allemand. Et aux tradition-nels dictionnaires bilingues s’ajoutent des grammaires de langues et un dictionnaire des difficultés de la langue anglaise. Tout ceci traduit la volonté du propriétaire de perfectionner sa maîtrise de ces langues et de lire dans la mesure du possible les auteurs dans leur version originale. Comme il a été signalé à plusieurs reprises, ce goût pour les langues étrangères, principalement le français et l’anglais, est large-ment partagé par un grand nombre de magistrats. Très peu en revan-che s’intéressent aux langues vernaculaires comme le fait Mariano Felipe Paz Soldán.

Mariano felipe paz solDán (1821-1886) ou le goût De l’archive

Mariano Felipe Paz Soldán apparaît comme une personnalité tout à fait exceptionnelle dans l’histoire politique péruvienne. Origi-naire d’Arequipa, il est le dernier garçon d’une famille de magistrats

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péruviens. Son frère aîné, Pedro Paz Soldán est un diplomate qui émigre et s’installe définitivement en Bolivie tandis que le cadet, José Gregorio, s’engage dans la carrière judiciaire et devient un homme politique de grande influence au milieu du xixe siècle. Mariano Felipe fait ses études de droit d’abord dans sa ville natale puis à Lima au Convictorio Carolino. Il obtient son titre d’avocat en 1843 et devient ensuite juge de première instance. Quelques années plus tard, il est missionné par le président Castilla pour étudier les systèmes pénitenciers états-uniens. Figurant désormais comme le spécialiste des questions pénitentiaires, il est chargé, à son retour, de diriger les travaux d’érection de la première prison du Pérou républicain, très largement inspirée du modèle auburnien. Par la suite, il exerce tour à tour les fonctions de juge de la Cour supérieure de Lima, de ministre des Affaires étrangères (1857), de la Justice (1869-1870) puis celle de magistrat du Tribunal de responsabilité (1870). En 1873, Mariano Felipe Paz Soldán devient inspecteur des Archives nationales avant d’être à nouveau nommé ministre de la Justice (1878-79). Il est par ailleurs lui-même l’auteur d’importantes œuvres d’histoire et de géogra-phie. Il s’agit par conséquent d’un esprit curieux qui, très bien intégré aux milieux dirigeants, tente de donner au Pérou un visage moderne.

La bibliothèque du magistrat est imposante puisqu’elle compte plus de 5 400 documents différents, parmi lesquels figurent des livres, des textes imprimés mais aussi des brochures et des manuscrits. La liste des œuvres en sa possession à la fin de sa vie est accessible grâce à une publication établie par son fils, Carlos Paz Soldán, deux ans après la mort de son père37. Or, cet inventaire, même s’il est précieux en raison de son existence même, s’avère lacunaire. Il recense par ordre alphabétique les auteurs et les œuvres présentes dans la biblio-thèque du magistrat mais sans détailler ni le nombre de volumes ni le format et encore moins la langue et l’état des livres.

Le premier élément frappant est le nombre considérable d’archi-ves en sa possession, caractère qui répond à la volonté expresse du magistrat d’acquérir un maximum de textes rédigés par ses contem-porains et qui doivent être conservés pour pouvoir rédiger enfin l’his-toire du Pérou républicain. Paz Soldán recueille ainsi les documents que d’autres jettent, brûlent ou oublient dans un véritable souci archivistique. Comme il le note dans le prologue de son Histoire du Pérou indépendant, il s’est procuré 36 volumes de documents manuscrits appartenant aux acteurs des premières décennies républicaines, tels

37. Carlos Paz Soldán, Catálogo de la librería del Dr. D. Mariano Felipe Paz Soldán, Lima, n.d., 1888.

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que San Martín, Bolívar, Monteagudo, Riva-Agüero, Gamarra ou Salaverry auxquels s’ajoutent des textes imprimés :

« Quant aux documents imprimés, cela fait plus de vingt ans que je n’ai de cesse de les rassembler et j’ai pu réunir jusqu’à ce jour plus de 500 volumes sans compter les œuvres se rapportant au Pérou imprimées à l’étranger. Je n’ai ménagé ni volonté ni argent pour augmenter ma col-lection et je présume qu’elle est la plus complète qu’il existe.38 »

D’une manière beaucoup plus surprenante, la place du droit n’est pas démesurée dans la bibliothèque de Paz Soldán. Moins d’une centaine d’ouvrages de droit forment son corpus juridique. Contrairement aux bibliothèques de juristes de la fin de l’Ancien Régime, il y figure très peu de littérature juridique espagnole, en dehors des lois de Toro, la Politica Indiana de Castillo Bobadilla et le Derecho natural de España de Juan Sala. Cela ne veut pas dire que les connaissances juridiques du magistrat aient été sommaires, bien au contraire. Mariano Felipe est un juge et un juriste reconnu. C’est certainement dans la maison familiale et auprès de ses frères juris-tes qu’il a dû consulter les œuvres juridiques importantes. Disposant de ce riche bagage intellectuel, Mariano Felipe se penche davan-tage sur tout ce qui concerne le Pérou. C’est pourquoi la législation péruvienne occupe une place de premier ordre dans sa bibliothèque. En plus des documents des acteurs et des auteurs de ces lois, il ras-semble dans sa bibliothèque les principaux auteurs juridiques péru-viens que sont Manuel Atanasio Fuentes, Miguel Antonio Lama, Francisco García Calderón, Antonio Ribeyro et Juan Oviedo. Le magistrat compte également dans ses rayonnages presque tous les livres des sessions parlementaires des années 1822-1851. À l’inverse, la législation étrangère est moins présente que dans la bibliothèque de Pacheco. Paz Soldán possède en effet deux livres sur les codes français commentés, un autre sur les lois de Philadelphie ainsi que la constitution bolivienne39. Quelques sujets plus spécifiques attirent l’attention du magistrat. C’est le cas de la législation militaire et plus particulièrement maritime, tout comme des questions concer-nant les chemins de fer. La construction ferroviaire a été en l’occur-rence une autre des préoccupations de toute la famille Paz Soldán40.

38. Mariano Felipe Paz Soldán, Historia del Perú independiente, Lima, n.d., 1868, p. VII.39. Napoléon Bacqua de Labarthe, Codes de la législation française, Paris, Auguste Durand, 1847

(1re édition) ; Pierre Gilbert, Les Codes annotés de Sirey, Paris, Cosse et Marchal, 1860 ; William Duane, Digeste des lois de Philadelphie, Philadelphie, n.d.

40. Ils sont à l’origine de la construction de la voie de chemin de fer reliant Arequipa, leur ville natale, aux deux autres villes du Sud andin, Cuzco et Puno. Pour plus d’informations sur la famille Paz Soldán, voir Lissell Quiroz-Pérez, Du service…, op. cit., chap. III (2).

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Mais son sujet de prédilection s’avère être le système pénitentiaire, ce qui s’explique par les missions dont il a été chargé durant sa carrière notamment celle effectuée aux États-Unis. Le magistrat possède en effet les œuvres de Tocqueville, de Jérémie Bentham mais aussi un Code des prisons rédigé par l’inspecteur général français des prisons et une œuvre du directeur du bureau de la Statistique à Berne, Louis Guillaume, sur le Congrès pénitentiaire de 187341.

L’histoire et la géographie sont souvent bien représentées dans les bibliothèques des magistrats. Mais l’intérêt que Mariano Felipe Paz Soldán porte à ces deux disciplines est tout à fait original. Il ne s’agit pas seulement pour lui de matières servant à son édification d’« honnête homme », car il semble beaucoup plus passionné par l’histoire et la géographie de son pays que par le droit, ce qui témoi-gne d’une véritable problématique de construction nationale. Son tra-vail archivistique a ainsi pour but de contribuer à faire l’histoire du Pérou, « qui n’existe pas tandis que les faits les plus significatifs sont oubliés et défigurés42 ». C’est pourquoi Paz Soldán n’hésite pas, en prenant pour guides d’importants historiens comme Tacite, Thiers, Michelet, Sismondi ou le Chilien Vicuña Mackena, à écrire l’histoire du Pérou indépendant de façon à « sauver » les milliers d’archives dont il dispose. Sa bibliothèque nous montre que son intérêt ne se rapporte pas seulement au temps présent. On trouve également des récits datant du xvie siècle, comme l’histoire de la découverte du Pérou du Flamand Levinus Apollonius (1545-1595) ou celle de la conquête du Pérou de Cristobal de Molina. Ce goût du passé ne s’ar-rête cependant pas aux temps coloniaux mais s’aventure avec curiosité – fait rarissime chez les magistrats – du côté de la période incaïque. On ne peut qu’être surpris par la présence dans les rayonnages de sa bibliothèque des œuvres du premier grand écrivain péruvien, l’Inca Garcilaso de la Vega (1539-1616), à savoir les Comentarios reales de los Incas et la Florida del Inca43. À côté de ces ouvrages, Paz Soldán se procure tout ce qui à l’époque a trait au Pérou comme la traduction des Comentarios reales de Jean Baudoin (1633) ou bien des romans his-toriques tels que Les Incas de Jean-François Marmontel (1778) et La Conquista del Perú de Pablo Alonso de la Avecilla (1852). Autrement dit,

41. Gustave de Beaumont et Alexis de Tocqueville, Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en France, Paris, H. Fournier, 1833 ; Alexis de Tocqueville, Note sur le système pénitentiaire, Paris, H. Fournier, 1831 ; Jeremy Bentham, « Panopticon » or, the Inspection-House, 1791 et Codification Proposal, Addressed by Jeremy Bentham to Al Nations Professing Liberal Opinions, 1822 ; Louis Guillaume, Le Congrès pénitentiaire de Londres, Berne, Imp. de J. A. Weingart, 1873.

42. Mariano Felipe Paz Soldán, Historia… op. cit. p. I (37).43. Les éditions des Comentarios sont essentiellement madrilènes. La plus ancienne disponi-

ble au Pérou est celle datant de 1723. Mais on note que c’est surtout dans les premières années du xixe siècle que les éditions se font plus nombreuses. Celle de Paz Soldán doit dater de 1800.

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le magistrat apparaît comme l’un des précurseurs de la « re-décou-verte » du monde précolombien par les élites républicaines.

Le xixe siècle se caractérise dans toute l’aire hispanique par le développement de la littérature de mœurs (costumbrismo) qui cherche à dépeindre les coutumes et les usages locaux. Mais à la différence des écrivains de ce courant littéraire, Paz Soldán ne semble pas vouloir saisir le pittoresque de l’étude de mœurs mais plonger dans les raci-nes de ce qu’il pense être son pays et participer ainsi à la construction de la nouvelle nation péruvienne. Ceci explique la présence dans son catalogue d’une vingtaine de textes consacrés à l’histoire de sainte Rose de Lima, patronne du Pérou. Il est par ailleurs l’un des seuls intellectuels à maîtriser les grandes langues indiennes, le quechua et l’aymara, comme l’attestent les dictionnaires et grammaires dans ces deux langues présents dans sa bibliothèque. Ce souci permanent de connaître ce qu’est le Pérou se traduit dans sa collection de cartes et d’atlas. Il est certainement le seul Péruvien à posséder autant de docu-ments géographiques à une époque où on méconnaît presque totale-ment l’étendue exacte du territoire péruvien et le tracé des frontières avec les États limitrophes. Paz Soldán est d’ailleurs en relation avec d’autres géographes contemporains, comme Victor Adolphe Malte-Brun en France et la société géographique londonienne. Cet intérêt pour la géographie est confirmé par sa collection de récits, jour-naux et descriptions de voyages. Paz Soldán tient ainsi en sa pos-session près de 200 titres se rapportant à la littérature de voyage et incluant des récits datant de l’époque de la découverte (comme ceux de Vespucci et de Magellan) mais allant aussi au plus contemporain avec Humboldt, Eugène Radiguet ou la Bibliothèque universelle des voya-ges en six volumes de Boucher de la Richardière (1808). Tout à fait au courant des expéditions menées en Amérique du Sud, le magistrat semble accorder une large part aux récits de découverte concernant le bassin de l’Amazone. Toute cette documentation est utilisée pour la rédaction de sa Géographie du Pérou, publiée à Paris en 1862 et son Atlas del Perú publié trois ans plus tard à Lima.

En somme, l’étude de ces trois bibliothèques permet de mieux cerner des évolutions majeures de l’histoire culturelle péruvienne du xixe siècle. Les hauts magistrats, qui ont eu des carrières impor-tantes et prestigieuses, ne se cantonnent pas au seul exercice de la justice. Ils sont aussi des personnages particulièrement cultivés et ils font preuve d’un goût du savoir qui dépasse la simple bibliophilie. Les trois personnages étudiés disposent ainsi d’une culture largement européenne comme le montrent les références qu’ils privilégient dans leurs écrits ainsi que les langues des ouvrages possédés. Leur culture est encore marquée par les références classiques aussi bien

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en latin qu’en espagnol, ce qui semble une spécificité péruvienne à une époque où l’on constate un recul ailleurs. Alors que la magis-trature d’autres pays hispano-américains semble moins attachée à la tradition, les élites péruviennes se distinguent par leur conservatisme en termes d’idées politiques et philosophiques. C’est ainsi par exem-ple qu’un seul des magistrats du corpus se proclame athée. Même à la fin du xixe siècle, les jurisconsultes péruviens défendent toujours la doctrine du droit naturel, car elle permet de concilier ses thèses avec l’existence de Dieu44.

D’autre part, l’attirance qu’exerce la France sur les élites péruviennes est également une donnée non négligeable. La présence d’œuvres en langue originale dans les rayonnages des magistrats péruviens témoigne bien du rayonnement français à l’étranger mais aussi de la connais-sance réelle qu’ont les juges de la production intellectuelle étran-gère. L’étude des bibliothèques et des écrits des magistrats péruviens montre que la littérature française est une référence pour les élites. Et même si beaucoup de livres figurent à l’index et sont censurés, ils circulent malgré tout dans le milieu de la magistrature comme le montre l’exemple de Vidaurre. Celui-ci dispose d’ouvrages interdits et il s’en inspire pour écrire les siens. À la manière de Rousseau, il présente ainsi ses confessions intimes où il dévoile en particulier ses amours adultères45. Or, les lectures dont il est question ici ne sont pas simplement un emprunt, voire un calque des textes étrangers. Les magistrats ne se contentent pas de lire beaucoup, ils font des choix et donnent des interprétations personnelles des textes lus et étudiés. Les ouvrages juridiques étrangers par exemple, principalement français et états-uniens, servent ainsi de base pour rédiger des codes et une législation réellement nationale, adaptée, comme le soulignent leurs auteurs, à la réalité péruvienne.

L’étude de leurs bibliothèques peut donc servir à une histoire, qui reste largement à faire, des transferts culturels entre l’Europe et le Pérou et entre le Pérou et les autres pays d’Amérique latine. Car ces hommes, qui connaissent souvent mieux l’Espagne ou la France que les provinces péruviennes, voyagent, échangent et produisent des écrits qui circulent dans d’autres pays de l’aire hispanique. Le Plan du Pérou de Vidaurre, ouvrage critique sur la gestion espagnole en Amérique est reproduit en Espagne et dans d’autres pays hispano-américains au moment des indépendances. Célèbre dans son temps, Vidaurre est nommé par le propre Simon Bolivar comme député au

44. Sur ce point particulier, voir Lissell Quiroz-Pérez, Du service du roi… op. cit. (2), chap. IX.45. Manuel Lorenzo Vidaurre, Cartas americanas, Colección Documental de la Independencia

del Perú, Lima, 1973.

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congrès de Panama qui devait aboutir à la création d’une confédé-ration des nations hispano-américaines. Sa bibliothèque révèle ainsi la richesse intellectuelle du personnage dont beaucoup de livres lus et consultés ne figurent guère dans l’inventaire.

La librairie de Toribio Pacheco est, quant à elle, révélatrice d’un changement d’époque. Le temps de la révolution étant bel et bien terminé, il s’agit pour les juristes de la génération de Pacheco de créer un nouveau droit et d’orienter le pays vers une voie politique nouvelle. Ainsi, l’étude du contenu de sa bibliothèque confirme la conclusion trouvée dans d’autres sources à savoir la fascination des élites péruviennes pour l’économie politique et le libéralisme écono-mie. Cette influence n’a pas été purement abstraite et intellectuelle, elle a pris forme et elle a orienté la politique économique péruvienne de la fin du xixe siècle. Par ailleurs, si l’Europe est toujours la réfé-rence incontestée, le regard des magistrats se porte de plus en plus sur les nouvelles nations américaines, du Nord et du Sud. C’est notam-ment le cas en matière de législation et de réforme des systèmes pénal et pénitentiaire. Ces savoirs servent de base aux réformes entrepri-ses dans le courant du xixe siècle. Le dernier point à relever est la nécessité croissante de découvrir et faire connaître le Pérou, sa géo-graphie et son histoire, comme en témoigne le souci archivistique de Mariano Felipe Paz Soldán. Sa bibliothèque est tout à fait originale par la quantité des documents disponibles sur le Pérou. Elle montre bien le désir de son propriétaire de disposer d’une connaissance plus concrète et documentée sur son pays pour pouvoir notamment affir-mer les droits péruviens à l’échelle internationale. Il s’agit aussi de lui donner une identité à un pays en pleine construction.

Les trois magistrats ont ainsi en commun d’avoir non seulement absorbé les connaissances venant d’ailleurs, mais surtout de les avoir employées pour donner à leur pays un visage moderne, en leur qua-lité de législateurs et de hauts fonctionnaires de l’État, tout en écri-vant et en faisant connaître le Pérou à l’étranger.

Lissell Quiroz-Pérez est agrégée, docteur en histoire, professeur d’histoire-géographie au lycée international Honoré de Balzac (Paris). Sa thèse, soutenue à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne sous la direction d’Annick Lempérière en 2009 a pour titre : Du service du roi au service de la République. Haute magistrature et construction de l’État au Pérou (1810-1870). Ses recherches portent actuellement sur l’histoire du système pénitentiaire péruvien au xixe siècle.

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Résumé

Les hauts magistrats péruviens du xixe siècle ne sont pas seulement des spé-cialistes du droit, ils sont plus largement des hommes de savoir qui accordent une haute valeur à l’écrit et notamment au livre. Leurs bibliothèques constituent donc une source précieuse pour tenter de saisir leur culture. À travers l’étude des « librai-ries » des magistrats, c’est tout un pan de l’histoire culturelle et sociale du Pérou républicain qui nous est dévoilé.

Mots-clés : xixe siècle, Pérou, hauts magistrats, bibliothèques, livre, histoire.

AbstRAct

In the 19th century, printed books largely spread throughout Hispanic America and in Peru in particular. Books reached a wider scale just when a genuine national litera-ture was emerging. Because they were not only judges but fulfilled political, social or cultural duties too, Peruvian high magistrates were at the center of this silent revolu-tion. As politicians at the head of ministries, assemblies and parliaments, they wrote legislative and administrative texts. As lawyers, jurists and jurisconsults, they set up new Peruvian law, writing the first codes and constitutions among others. They used books or notes taken by their students to pass on their knowledge to the young-est in their law firms or at university. In short, written work was central to their life. Some even ventured in fields that were, at first sight, not their duty or office, such as literature, linguistics or translation. Being major actors in the budding Peruvian state and nation, high magistrates thus appear as great producers of written works, a large part of which has been kept. Studying their book collections enables us to grasp the link they established with printed work. Three of these – corresponding to different generations of magistrates – reveal especially rich and noteworthy. They shall be ana-lyzed in detail in the present work. The first one, belonging to the Peruvian Supreme Court first president, Manuel Lorenzo Vidaurre (1773-1841), looks like a book collec-tion of the Enlightment in many ways: it gathers together books dealing with various subjects and contents, suggesting real desire for encyclopedic knowledge. The two others belong to the next generation magistrates – Toribio Pacheco (1828-1868) and Mariano Felipe Paz Soldan (1821-1886) –, republicans born after the independence of Peru who tried to lead their country up the rank of great nations. Many more law books can be found there, as well as lots of Peruvian history and geography ones. These three collections hint at their owners’ intellectual richness, their connections with European culture and the discovery of national identity. Far from being mere decorative objects, the owning of books sheds light on a period of time in Peruvian history – the first republican decade – that has been scarcely studied.

Keywords: 19th century, Peru, high magistrates, libraries, books, history.

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