Littérature des auteurs d’origine judéo-maghrébine. Les couvertures, masques à visage...

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Ewa Tartakowsky, « Littérature des auteurs d’origine judéo-maghrébine. Les

couvertures, masques à visage découvert », Expressions maghrébines, vol. 13, nº 2, hiver

2014, p. 105-121.

C’est par le paratexte qu’on entre dans un texte littéraire. L’auteur y inscrit son

identité, l’éditeur y laisse sa marque, qualifie l’objet, le calibre. Souvent considéré comme

« l’élément le plus important de la plupart des textes » (Furet 1995 :10), il constitue un accès

direct au référent. Parce qu’elle peut être saisie par l’œil du passant dans une vitrine ou

aperçue dans un encart publicitaire, la couverture constitue le premier niveau de lecture. C’est

elle qui retient l’attention. Les choix dont elle procède permettent donc de déchiffrer et de

mettre en exergue les stratégies éditoriales propres à un ensemble d’écrivains et à l’espace

social qui les entoure, analyse qui ne saurait être négligée dans le cadre d’une étude

sociologique de la littérature.

Dans le cas des écrivains d’origine judéo-maghrébine en France1 que nous apprend

donc ce paratexte ? Les titres de leurs ouvrages, qu’ils résultent de leur propre choix ou d’un

jeu de négociation avec l’éditeur, constituent-ils un ensemble « parlant » de « leur »

littérature ? Quels champs thématiques dominants dégager de l’analyse de l’iconographie

employée et des argumentaires en quatrièmes de couvertures ?

Pour répondre à ces question, nous allons analyser trois types de paratextes : tout

d’abord les titres qui affichent la communication souhaitée du sens de l’ouvrage au lecteur2,

ensuite les premières pages de couverture3, enfin les quatrièmes de couverture4.

Titre : un condensé de signifiants

Le titre est souvent une création collective que l’écrivain n’est pas le seul à assumer. Il

possède, selon Claude Duchet, une triple fonction : « fonction référentielle (centrée sur

l’objet), fonction conative (centrée sur le destinataire), fonction poétique (centrée sur le

message) » (Duchet 1973 :49). Il sert d’étiquette, désigne une grille de lecture, doit favoriser

1 La cohorte comporte 109 auteurs, né au Maghreb et vivant ou ayant vécu en France jusqu’à la période contemporaine. Le corpus inclut 441 ouvrages significatifs, sélectionnés au prisme de la thématique de l’exil, allant de la seconde moitié du XXe siècle jusqu’en 2010. 2 Pour cette analyse sémantique que 300 titres ont été retenus ayant un sens significatif par rapport aux champs sémantiques étudiés, à savoir ceux liés à l’exil. 3 91 couvertures significatives dont trois rééditions sur l’ensemble du corpus (441 titres). 4 238 ouvrages significatifs sur l’ensemble du corpus (441 titres).

3

la vente du produit à travers des signes publicitaires censés séduire le lecteur qui est d’abord

un acheteur. « Interroger un roman à partir de son titre résulte de la rencontre de deux

langages, de la conjonction d’un énoncé romanesque et d’un énoncé publicitaire » (Duchet

1976 :143). Il résulte donc d’une négociation serrée entre auteur, éditeur, éventuellement

services marketing.

Notre première démarche sera donc d’analyser le fonctionnement sémantique des titres

à l’intérieur d’un ensemble d’ouvrages et d’en saisir les traits pertinents qui contribuent, entre

autres, à sa construction cohérente et objective dans le jeu littéraire. Afin de déterminer les

catégories pertinentes des champs sémantiques, nous avons procédé à un découpage à

posteriori, en privilégiant la thématique de l’exil5 dans la mesure que la problématique

existentielle de la migration et des ajustement sociaux qui en résultent structurent largement

les trajectoires de ces auteurs et partant, leur production littéraire.

Une première étude fournit des éléments probants pour valider cette hypothèse. Même

si elle reste relativement approximative puisque les mots ont et procèdent souvent d’une

pluralité de sens, elle permet de confirmer l’investissement de cette littérature par des

thématiques liées au déracinement, à la mémoire, à l’histoire et en lien avec l’identité juive et

/ ou maghrébine.

Espace Temps Exil Maghreb

Histoire /

Mémoire Judéité Personne Langue

Pourcentage

et nombre

d'ouvrages

32%

97

12%

37

43%

128

42%

126

26%

79

26%

78

33%

100

4%

12

Tableau n°1 : Catégories des champs sémantiques des titres du corpus étudié

Essayons à présent d’affiner l’analyse et de décortiquer les spécificités de chacune de

catégories.

Dans le champ sémantique lié à l’exil, les termes employés se rattachent à la rupture et

au désordre, à la souffrance, la nostalgie et l’enfance, enfin au destin et au déplacement. On

constate deux uniques usages du terme « exil » dans les titres. Il s’agit de Feuilles d’exil. De

Carthage à Sarcelles et de Trois exils dans l’ego-histoire de Benjamin Stora. Les titres se 5 Au risque de paraître schématique, nous définissons un ouvrage portant sur l’exil, comme celui qui s’alimente de l’expérience de la rupture, du sentiment d’exil et de la mémoire. Y ont été également inventoriés des ouvrages interpellant leur rapport à la judéité car dans le contexte d’un déracinement des Juifs sépharades d’Afrique du Nord, celui-ci prend un sens particulier. Il interpelle, de manière plus générale, la question de l’altérité – ici sépharade-ashkénaze – propre à toute personne expérimentant un changement de vie.

4

réfèrent souvent au champ lexical de perte ou de mort (37 références)6, comme en

témoignent : Le beau temps perdu, Retour sur un monde perdu, Rapatriés d’Outre-tombe.

Les références proprement nostalgiques sont nombreuses (24) et renvoient souvent aux

objets de la vie quotidienne afin de « faire mémoire » à l’instar de la madeleine de Proust. Les

noms de lieux apparaissent de manière récurrente – nous y reviendrons –, de même que les

références gustatives et olfactives : Pour une poignée de dattes, Le goût des pistaches,

Parfums des étés perdus… D’autres titres invoquent explicitement l’enfance (11 références).

Cela se traduit par des occurrences liées à la naissance, la jeunesse ou encore aux figures

paternelles, comme en attestent : Né à Oran, autobiographie en troisième personne, Ma, Les

cadeaux de Pourim. Mon enfance.

D’autres occurrences, très nombreuses (45 références) se situent davantage sur le

terrain du voyage ou du déplacement : Le Voyage de Mémé, Le Déménagement, L’homme

nomade, Voyage en recouvrance, Partir en Kappara, On ne part pas, on ne revient pas,

Cantiques du retour, Adieu Béchar…

Souvent le trajet est ponctué par la présence de deux lieux géographiques entre

lesquels s’effectue le voyage ainsi que d’une appellation du lieu où vivaient les communautés

juives au Maghreb, comme Le Passage. De la Hara au Belvédère […], De l’Ariana à Galata.

Itinéraire d’un juif de Tunisie…

Ces termes fonctionnent comme une formule désignant « un ensemble de formulations

qui, du fait de leur emploi à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent

des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à

construire » (Krieg-Planque 2009 :7). Ils mobilisent un ensemble de références propres et

reconnaissables pour les groupes de personnes données et renvoient à la mémoire collective.

Ainsi, « Sarcelles », banlieue parisienne où nombre de Juifs maghrébins trouvent un

logement après l’exil, résonne comme le synonyme d’une douloureuse expérience collective

de déplacés et dépasse largement le lieu géographique. D’autres références renvoient aux

quartiers juifs en Tunisie (hara), au Maroc (mellah), en Algérie (casbah), qui ne peuvent

aucunement tromper le lecteur sur l’univers auquel se rattache le titre et partant, l’ouvrage.

Certaines appellations (Oran, Marrakech, Carthage) se rapportent aux lieux immédiatement

associés au Maghreb, sans toutefois évoquer les réalités des communautés juives. Seul le nom

« Bizerte » rappelle à la fois un espace géographique et un événement historique, la crise de

6 Afin de mettre en évidence la pertinence de la démonstration, nous citons ici qu’une partie des titres ou des sous-titres pertinentes se référant à la catégorie donnée. Pour plus de clarté, nous avons opté à ne pas citer systématiquement les auteurs de ces ouvrages.

5

Bizerte qui fut pour de nombreuses familles juives, mais non exclusivement, le signal du

départ définitif de la Tunisie dans la mesure où les Juifs, proches des Européens, ont été

considérés comme responsables du conflit.

Toujours dans le registre du déplacement, les objets emblématiques du voyage peuvent

également être mobilisés, comme c’est le cas de La malle de Sidi Maâchou. Deux ouvrages

évoquent un déplacement figé (Parcours immobile, Le nomade immobile), renvoyant ainsi à

la persistance du souvenir. Ces évocations suggèrent aussi la difficile condition de l’exilé :

suspendu entre deux réalités, donc immobile, malgré son déplacement géographique.

Le champ sémantique du « Maghreb » représente 42% du corpus et se place presque au

même niveau en termes quantitatifs que celui de l’exil. La plupart des termes se réfèrent à une

« réalité maghrébine » entendue au sens large et à « l’univers oriental » (68 références).

Type de

références

Lexique renvoyant à une

« réalité maghrébine » /

« univers oriental »

« Afrique

du Nord »

« Algérie »,

« Tunisie »,

« Maroc » et

de leurs

dérivés

Appellations

géographiques

précises

Références

spécifiquement

coloniales

Nombre

de

références

68

54%

2

1.5%

20

15.5%

52

41%

4

3%

Tableau n°2 : Répartition des références du champ sémantique du Maghreb

sur la base de 126 ouvrages appartenant à la catégorie « Maghreb ».

Ces vocables renvoient à des entités très diverses et recoupent un éventail très large des

références, qui incluent des noms propres à la consonance méditerranéenne. Il s’agit autant de

prénoms que de noms de famille (Souad, Fatma, Abou El Haki, Abner Abounour, Elissa

Rhaïs).

Le titre Elissa Rhaïs reprend le nom et prénom d’un auteur de romans orientalistes

dont l’identité a prêté à contestations. Née en 1876 dans une famille algérienne, cette femme

écrivain a construit sa notoriété littéraire en tant que juive. Avec le temps, son nom résonne

comme synonyme d’un pilier de la littérature produite par des Juifs en Afrique du Nord

(Dugas 1991 : 41-45). Dans le même registre, la référence à la Kahéna, princesse mythique

judéo-berbère, inscrit, à travers le titre, l’ouvrage dans le champ de références tant

6

maghrébines que juives. Notons que quatre romans portent sur l’histoire de la Kahéna et de

nombreux autres y font référence.

D’autres occurrences renvoient à l’univers judéo-arabe ou berbère, comme […]

Chroniques d’un Français judéo-berbère, Humour et sagesse judéo-arabes. Histoires de

Ch’hâ, proverbes et contes, …

Certains titres se situent davantage dans un espace imaginaire de références communes

évoquant un orientalisme plus ou moins explicite. Ainsi quelques-uns se rapportent au récit de

Mille et une nuit, comme Mille et un bocaux pour mille et une nuits. Dans le même registre,

nous remarquons également la présence explicite du terme « orient » dans trois titres comme

dans L’Orientale ou Un très proche Orient.

D’autres titres usent de références non nécessairement liées au Maghreb, mais

profondément ancrées dans l’imaginaire oriental. Il s’agit ici de personnages, de noms de

villes « lointaines » ou de l’espace méditerranéen, de références gastronomiques ou

sensorielles. Certaines de ces références figurent également dans le champ sémantique de

l’exil, particulièrement celui lié à la nostalgie. Citons : Midi à Babylone, Le couscous du Roi

Soleil, Le Lait de l’oranger ou encore Villa Jasmin.

On note également une faible présence de l’ensemble lexical « Afrique du Nord » (2

références) ce qui peut laisser supposer un plus fort marquage local que régional. En effet,

dans la mesure où un titre est un marqueur d’identification du contenu, une référence explicite

à un lieu plus précis peut immédiatement attirer l’attention d’un public « ciblé ». Cela se

vérifie lorsqu’on étudie le nombre de références géographiques spécifiques (72 références). Il

s’agit soit des termes « Algérie », « Tunisie », « Maroc » et de leurs dérivés (20) soit des

appellations géographiques urbaines (52) qui concernent pour la plupart des villes à forte

présence des communautés juives au Maghreb.

On remarque en revanche une très faible présence des références liées à la réalité

spécifiquement coloniale, références qui se situent davantage sur le terrain culturel que

politique. En ce sens, la production littéraire des auteurs d’origine juive du Maghreb se

distingue sensiblement de celle des auteurs dits « pied-noir » (Cabridens 1984), même s’il faut

faire preuve de prudence car les deux corpus sont hétérogènes. En effet, leur taille et la nature

de publication sont nettement différentes. Toutefois, à défaut de disposer de corpus

comparables, on peut risquer quelques analyses générales. En effet, un seul titre dans notre

corpus comporte le terme « pieds-noirs », alors que celui des auteurs « pied-noir » en

dénombre quatre. Ces derniers mentionnent également des termes en lien avec la guerre

d’Algérie, comme « combattant », « OAS », « officier », ce qui n’apparait jamais chez les

7

auteurs d’origine judéo-maghrébine. Ce qui renvoie sans doute à la faible implication de la

communauté juive dans les luttes armées et les conflits politiques traversant le Maghreb

colonial et à la non identification des Juifs du Maghreb, singulièrement d’Algérie, à la

population « pied-noir ». Si l’identification à la France est entière ou très forte, elle n’englobe

pas nécessairement la population des Français en Afrique du Nord, compte tenu du

cloisonnement des communautés socio-ethniques dans les sociétés coloniales.

Le champ sémantique d’histoire et de mémoire constitue une autre catégorie de

référence fortement présente dans notre corpus. La plupart des titres entendent « l’histoire »

comme « conte » ou une partie du passé individuel : Roman historique et familial, La

Goulette. Quelle histoire cette histoire, Raconte-nous des histoires, mamy…

Tableau n°3 : Répartition des références du champ sémantique d’histoire / mémoire

sur la base de 79 ouvrages appartenant à la catégorie « Histoire / mémoire ».

Il convient toutefois de noter que deux appellations identiques « histoire d’une

émancipation » témoignent de la volonté de capter à travers une trajectoire individuelle et

falimiale celle de la communauté juive dans l’optique d’une émancipation apportée par la

France colonisatrice (Les filles de Mardochée. Histoire d’une émancipation, […] De la Hara

au Belvédère : histoire d’une émancipation). Cette faible présence de référence historique au

sens savant du terme se traduit aussi par une présence mineure de dates. On en compte cinq

auxquelles s’ajoute une évocation de la période de présidence de Bourguiba que nous avons

admis dans cette catégorie. Qu’il s’agisse de témoignages individuels ou de récits historiques,

toutes ces références situent leurs contenus dans le contexte plus vaste de l’histoire

universelle.

Les occurrences de la « mémoire » sont moins nombreuses que celles se réclamant du

souvenir. Huit titres comportent le terme « mémoire » et se rattachent davantage au récit de

vie, au souvenir individuel et au témoignage sur un passé collectif. La dimension du souvenir

et de l’oubli est présente dans dix-sept autres titres, comme dans le cas de : Tunis, Goulette,

Type de

références

Terme

« histoire »

Terme

« mémoire »

Dates /

dates clés

Le souvenir et

l’oubli / références

au passé

Origine Histoire de

vie

Nombre de

références

11

14%

8

10%

6

7.5%

17

21.5%

8

10%

20

25%

8

Marsa. Aux yeux du souvenir, Non, je n’ai rien oublié, Qui se souvient du café Rubens. Dans

la même perspective un certain nombre de titres se réfèrent à l’origine ou aux racines.

La référence à l’histoire de vie occupe une position importante dans cette catégorie

sémantique (25%) ce que manifestent les titres suivants : […] autobiographie en troisième

personne, […] Roman historique et familial. On voit clairement se dégager un pôle

sémantique de références à l’histoire et à la mémoire, dans une double dimension nostalgique

et historiographique.

Dans la mesure où les recompositions identitaires se trouvent mobilisées lors du

déplacement géographique que constitue l’exil, il semble logique d’inclure dans notre analyse

un champ sémantique de l’identité juive. En effet, la vie communautaire en Afrique du Nord

était l’une des importantes composantes de la vie des personnes, déterminant leur

appartenance culturelle et symbolique, voire juridique (statut de dhimmi avant la conquête

française, statut d’indigène avant la naturalisation collective des Juifs d’Algérie, citoyens

français...). Il n’est donc pas surprenant que les auteurs, une fois arrivés en France et

confrontés à un judaïsme majoritairement sécularisé, témoignent de cette dimension et des

différences qu’elle implique, en intégrant les particularités des rites et des cultures, sépharade

et ashkénaze. Ces considérations identitaires trouvent un écho dans les titres. Ceux-là sont

relativement nombreux, car concernent 26% des titres « significatifs » (69). Vingt-quatre

incluent le terme « juif » ou ses dérivés alors que quarante-sept renvoient à un lexique plus

général, mais attaché à une identité juive. Cela passe par l’usage : les prénoms et noms de

familles spontanément associés au judaïsme ; les fêtes juives ou de leurs composants (Les

herbes amères) ; des appellations des quartiers juifs déjà évoqués ; les références

bibliques (Bible, Berechit, Cantique) ; les lieux géographiques ancrés dans la culture

juive (Jérusalem, Palestine) ; les expressions évoquant le génocide nazi (Du cristal à la fumée,

La passagère sans étoile) ; les termes associés à l’histoire et la culture juive (marrane ou

schnorrer) ou encore les noms de personnes faisant partie de l’histoire des Juifs d’Afrique du

Nord.

La langue joue évidemment un rôle central dans ce travail de présentation. On pourrait

donc s’attendre à ce que, dans le contexte d’une migration, le métissage linguistique se reflète

dans les titres du corpus, compte tenu du déracinement d’un monde où l’arabe était

prépondérant. Ce n’est pourtant pas le cas. Onze titres seulement sont concernés par le jeu

sémantique de la langue, soit 4%. Seuls cinq auteurs sont concernés dont deux qui cumulent

trois et cinq titres respectivement. Nous sommes donc face à une démarche très individuelle

plus que collective. En particulier, on remarque un ancrage « pied-noir » chez Roland Bacri

9

qui célèbre la langue pataouète et des jeux linguistiques aux tonalités arabisantes chez Albert

Bensoussan. Cependant, la prégnance de préoccupations linguistiques, à travers des stratégies

stylistiques et le topos de la langue comme marqueur identitaire, est sensible dans les récits

de nombreux écrivains de cette cohorte. En traversant les frontières physiques et

métaphoriques, ces écrivains d’exil bousculent barrières et conventions et les effets

linguistiques, tout comme le thème de la langue, évoluent entre la tentation du renouveau et

l’attachement aux codes traditionnels de la pratique littéraire occidentale ; ils donnent ainsi à

voir, quoi qu’ils en aient, l’expérience de l’exil de ces auteurs.

Cette analyse de titres permet, quant à elle, de confirmer l’investissement de cette

littérature par des thématiques liées à l’exil, à la mémoire, l’histoire, tous thèmes liés avec

l’identité juive et / ou maghrébine telle que définie préalablement.

Couverture : quand l’image fait cliché

Une analyse des premières pages de couvertures permet également de voir s’esquisser les

préoccupations de l’ensemble de cette production, car on « entre » dans le livre par la porte

qu’est sa couverture. Celle-ci est en effet le premier seuil d’accès au contenu du texte. Il

convient de rappeler que les choix éditoriaux en termes de maquette ou de présentation des

ouvrages sont rarement du ressort de l’écrivain ; l’éditeur et les équipes commerciales des

maisons d’édition participent à travers cette mise en forme au succès du livre.

Dans le cadre des premières pages des couvertures, nous avons retenu celles qui se

référent explicitement à un univers orientaliste, au déplacement, à la nostalgie des lieux

perdus, enfin aux questions identitaires.

Scènes

« orientales »

Représentations

urbaines

Représentatio

ns figuratives Exil

Scènes

« typiques » Judéité

Pourcentage

et nombre de

couvertures

36%

33

34%

31

20%

18

4%

4

3%

3

2%

2

Tableau n°4 : Typologie et classement des couvertures du corpus étudié

Les couvertures qui font référence aux scènes orientales se structurent autour de

deux types de représentations : d’un côté des décors et des références méditerranéennes (17

références) qui comportent à la fois des détails d’ornementation ou architecturaux, des

représentations de personnages, des évocations picturales de la Méditerranée (mer, littoral,

10

île), des plats traditionnels ; de l’autre, des reproductions de tableaux orientalistes (16

références) comme ceux d’Eugène Delacroix, John Frederick Lewis ou Jean-Baptiste-Ange

Tissier.

Des représentations urbaines sont, elles aussi, de deux ordres : des vieilles

photographies, souvent en noir et blanc, des villes auxquelles se rattachent explicitement le

titre ou le texte des livres (18 références) et des représentations graphiques de grands

ensembles urbains (13 références) avec des éléments représentatifs d’Afrique du Nord (dômes

de mosquées, minarets, murs chaulés) ou des cadres plus intimistes comme des ruelles

étroites. La troisième catégorie regroupe les représentations figuratives photographiées (18

références) et plus précisément des photographies de personnages « typiques » et de membres

de la famille, sachant qu’il est parfois difficile de distinguer les uns des autres. On y trouve

également des représentations de scènes « typiques » et celles mettant en scène des évocations

de l’exil (valises et mosaïque mauresque brisée) sont minoritaires.

A partir de cet aperçu, nous pouvons constater une forte référentialité au Maghreb

et de manière plus générale à « l’univers oriental ». Avec les trois références à l’exil, cet

ensemble constitue au total 95.5% des références. Seuls trois couvertures ne se réfèrent pas au

Maghreb, dont deux faisant appel à la judéité. Ainsi, la quasi-totalité des couvertures relevées

en appellent à un imaginaire qui se rattache explicitement à la terre natale des écrivains exilés.

Si nous comparons cette donnée avec l’analyse sémantique des titres que nous

avons menée préalablement, nous pouvons constater une différence majeure : le champ

lexical, outre les références au Maghreb – moins nombreuses – est davantage imprégné par les

références à l’exil (qui constituent pour rappel 43% contre 4%) et à la judéité (26% contre 2%

seulement) ce qui s’explique probablement par une facilité de représentation visuelle des

scènes de vie réelle, l’exil étant une notion conceptuelle. De même, des lieux abandonnés

peuvent plus facilement s’incarner dans des représentations visuelles en opérant de manière

symbolique un retour au pays d’origine, alors que l’exil paraît plus facile à représenter par des

évocations textuelles. Quant aux références à la judéité, elles semblent trouver peu d’espace

dans l’iconographie employée. C’est probablement le fait d’une forte ressemblance des modes

de vie des Juifs nord-africains avec leurs voisins, qu’ils soient musulmans ou français. En

effet, sauf à reproduire une synagogue portant des signes religieux, il est difficile d’isoler le

caractère judaïque d’une grande ville comme Oran ou Alger. De surcroît, les photographies

utilisées proviennent pour la plupart de sources familiales s’inscrivant souvent dans la vie

quotidienne et pas forcément religieuse. De là, on discerne une stratégie éditoriale visant à

capter le regard des lecteurs intéressés par cette thématique. Cette stratégie, combinée à une

11

forte référentialité à la judéité dans les autres paratexes, inscrit de fait cette production

littéraire dans la sphère judéo-maghrébine.

Quatrièmes de couvertures : marketing des origines

Si la première page de couverture est « ce par quoi un texte se fait lire » (Genette 1987 : 7), la

quatrième de couverture procède d’une opération textuelle qui doit parvenir à promouvoir le

livre sans le dénaturer, dans une démarche non exhaustive qui rendrait le texte illisible, sans

tomber dans un discours trop marketing. Les résultats de cette opération se différencient d’un

éditeur à l’autre. Ce « haut lieu stratégique » (Genette 1987 : 28) répond à une nécessité

commerciale : le thème et le résumé sont des critères déterminants d’une vente en librairie,

car ils permettent au lecteur de savoir s’il est ou pas intéressé par un ouvrage donné et en

conséquence, de l’acheter. Si les quatrièmes de couverture s’adressent à un lecteur virtuel,

elles ne visent pas à captiver l’ensemble de lecteurs.

Que nous enseignent alors les « quatrièmes » de la production littéraire des auteurs

d’origine judéo-maghrébine et se dégage-t-il un pôle spécifique de lecteurs visés ?

On constate une représentativité particulièrement forte des références à l’Afrique

du Nord. 75% (178 titres) comportent des appellations géographiques propres ou leurs dérivés

(adjectifs pour la plupart). Il s’agit : des noms de la région (Afrique du Nord, Afrique,

Maghreb, pays maghrébin, Méditerranée, Orient), de nom de pays et de villes. Aussi, en ce

qui concerne cet ancrage géographique, le lecteur apprend, dans 58 cas d’ouvrages (24%), le

lieu d’origine de l’auteur/

La référence à la judéité apparaît également relativement souvent, puisqu’elle

concerne 97 titres, soit 40%. Ces références se déclinent en catégories suivantes : l’usage du

terme « juif » ou de ses dérivés (Juifs, juif, judaïsme, minorité juive, judéo-arabe, judéo-

tunisien, la Juive, communauté juive, judaïté, juifs tunisiens, famille juive, l’Algérie juive,

origines juives, etc.) ; l’utilisation d’autres termes d’appellation (Sépharade, séphardisme,

Israélite, Hébraïque) ; les figures ou les objets symboliques liées au judaïsme (rabbin,

cabbalistes, calendrier mosaïque) ; les quartiers réservés aux Juifs ; d’autres références (décret

Crémieux). Ce premier aperçu atteste de stratégies d’utilisation de termes significatifs

instantanément identifiables liés d’abord à un univers nord-africain, ensuite à la judéité des

auteurs. Il n’existe pas d’études précises des publics de cette littérature, comme c’est

d’ailleurs le cas pour la plupart des productions littéraires. Mais nous pouvons proposer

l’hypothèse que cet ancrage iconographique et lexical fort parle à tout lecteur originaire

d’Afrique du Nord et cible d’abord un public de la même origine que celle des auteurs.

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Dans cette écriture paratextuelle, quatre topos se dégagent nettement et occupent

une place particulièrement importante : l’exil (cité implicitement ou explicitement), la

nostalgie, la mémoire en ce qu’elle concerne également l’oubli et la transmission, enfin

l’histoire. Il convient de souligner que ces catégories s’entremêlent parfois et qu’il est difficile

de distinguer, par exemple, la nostalgie de la mémoire, la première se nourrissant de la

seconde.

Le terme d’exil apparaît de façon récurrente. On peut ainsi lire sur la quatrième de

couverture de Soleil assassiné que Myriam Ben « comme tant d’autres Algériens, a dû

prendre un jour le chemin de l’exil ». La couverture du Voyage en recouvrance d’Albert

Bensoussan mentionne « les cahots de l’histoire de France en Algérie, le naufrage d’un exil et

l’espoir d’une délivrance ».

La couverture Des gens infréquentables de Marlène Amar évoque aussi la

reconstitution du souvenir face à l’exil : « Un monde aujourd’hui englouti, laminé par l’exil,

le froid, le silence et la tiédeur ambiante des sentiments ». Cette reconstruction mémorielle de

l’exilé est également mentionné au dos du livre de Daniel Sibony, Marrakech, le départ :

« Sur les lieux de ses origines, l’exilé voit remonter toutes les images qui font revivre son

enfance et sa jeunesse […] ».

La quatrième de couverture du livre Le Sud profond de Maurice Partouche lie

l’exil à d’autres aspects, comme la perte, le déracinement, le nomadisme ou la mémoire :

« Les nomades de toute sorte, lorsqu’ils ne fuient pas leur vie mais une terre, ont une fierté

admirable. […] Le Sud existe quelque part entre le souvenir des pierres civilisées et la

mémoire des fleuves enfuis. Il trace les grandes routes des imaginaires nomades. L’exil est un

parcours dangereux. »

Cet exil revêt parfois le manteau de l’exode, comme en témoigne la couverture des

Chroniques des quatre horizons de Victor Cohen-Hadria : « Epopée éclatée aux quatre vents

de l’exode, de la mort, de la survie et de la renaissance […] ». Mais cette perte du pays se

confond avec celle de l’enfance, période à jamais révolue, comme l’atteste la quatrième de

couverture de La Désaffection de Gilles Zenou : « Un livre, enclos en nous comme la lave,

que l’on n’écrirait pas pour accroître son exil mais pour trouver ce lien inachevé, cette éternité

possible : l’enfance non plus rêvée mais retrouvée, conquise comme la soif de connaître et

l’ivresse du départ ».

Un autre thème, que l’on retrouve dans les préoccupations littéraires d’auteurs de la

cohorte, traite des difficultés liées au vécu concret de l’exil, particulièrement lors de

l’installation en métropole, ainsi qu’au décalage entre le mythe et la réalité métropolitaine.

13

Ainsi la narration du roman Le couscous du Roi-Soleil de Brigitte-Odile Marouani se déroule

dans un décor de « banlieue déprimante ».

Les évocations du souvenir, de l’oubli ou de la transmission sont évidemment

nombreuses, comme dans Fantôme de Constantine de Jannick Alimi : « Ruth Lamy […] veut

briser le pacte de silence et de mort sur lequel s’est reconstruite sa famille après l’exil ». Chez

Max Guedj, c’est le non-oubli qui s’oppose à l’exode : « Le Voyage en Barbarie est l’histoire

d’un homme, héros ou anti-héros, qui est tout l’homme à lui seul, un exilé des terres lointaines

qui a choisi de ne pas oublier ».

Mais souvent, la mémoire est évoquée simplement, comme un retour

autobiographique, une plongée dans les souvenirs. Avec L’heure liguée de Georges-Elia

Sarfati, l’acte d’écriture est associé à la recherche mémorielle qui « tente de faire retour sur

les strates de la mémoire à l’instant même de la marche ». Celle-ci s’enracine aussi dans la

recherche d’un passé linguistique judéo-arabe, comme chez Albert Bensoussan, dans

l’ouvrage Au Nadir qui s’offre comme « l’occasion d’une fête verbale, le moyen de rendre

fécond le champ de la mémoire pour en faire sortir un véritable roman de la langue ». La

mémoire est aussi présentée comme une construction par « petites touches » ou par bribes

chez Colette Fellous dans Plein été : « Des gens, des lieux, des images, des odeurs surgissent,

comme des indices, elle fait le voyage, elle marche sur le petit territoire de sa mémoire, mais

la scène reste inatteignable. Apparaissent alors des paysages de tous les points du monde,

mais surtout de la Tunisie natale ».

La mémoire s’enracine évidemment dans ce territoire imaginaire qu’est l’enfance.

Un retour mémoriel s’opère alors doublement vers le pays abandonné et la prime jeunesse.

Ainsi, chez Serge Moati dans Du côté des vivants « Tout le renvoie à la “Villa Jasmin” de

son enfance, de l’autre côté de la Méditerranée ».

Cette mémoire personnelle prétend également s’enraciner dans la mémoire

collective d’une communauté et la nourrir. Ainsi, « Avec tendresse, Annie Fitoussi recoud

[dans La mémoire folle de Mouchi Rabbinou…] les fragments de cette mémoire folle – celle

de son peuple ». La mémoire de la communauté est assez souvent citée dans des présentations

de ces ouvrages. Elle se réfère aussi bien aux souvenirs qu’au folklore comme en témoigne la

quatrième de couverture de Tunis-la-juive raconte d’André Nahum qui propose une lecture

de l’univers judéo-tunisien à travers « les proverbes et locutions typiques, quelques chansons

traditionnelles ».

Cette mémoire collective, qui se réfère à différents aspects de la vie des auteurs, a

besoin de transmission pour vivre. Celle-ci constitue donc aussi l’un des thèmes présents dans

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les paratextes. Ainsi, chez Roland Bacri, dans l’ouvrage Et alors ? et oila !, on trouve

l’évocation de la transmission mémorielle de père en fils : « Ce livre, je l’écris parce que

l’Algérie de papa elle est morte, que moi je suis son fils et que les fils y z’ont le devoir, au

nom du père, d’évoquer la carrière où nos aînés y seront plus ».

La mémoire qu’elle soit individuelle ou collective est souvent associée à la

nostalgie, qui serait à la fois un retour et le regret d’un passé, de l’âge de la jeunesse ou de la

terre natale. La terre d’origine constituerait alors d’une certaine manière un autre lien originel

que le lien maternel. Ce retour nostalgique se traduit concrètement dans ces présentations par

des évocations de sons, de saveurs, de lieux précis. Ainsi, peut-on lire sur la couverture du

Miracle de Noël de Nina Boukobza que « C’est la Nature nord-africaine […] qui l’a marquée

à jamais ». Les couleurs et les odeurs sont des attributs souvent évoqués par ces

remémorations marquées de nostalgie.

Mais cette retour symbolique vers un passé regretté peut aussi se traduire par un

état d’âme douloureux et amer. La couverture de Soleil perdu sous le pont de Constantine cite

l’auteur, Guy Bensimon, à ce propos : « Je pensais que je pouvais impunément retourner le

terreau fertile de ma mémoire […]. Rien n’est gratuit, tout souvenir masque une blessure ».

On lit sur d’autres quatrièmes de couverture une valorisation du passé par rapport aux

vicissitudes de l’existence présente.

Le passé qu’évoquent ces paratextes peut se référer tout autant à la mémoire

familiale qu’à l’histoire dans un souci qui vise une (re)construction de l’histoire d’une

communauté. Ainsi chez Pol-Serge Kakon, « A travers ce récit [La Porte du Lion] et ses

personnages se dessine la saga des juifs du Maghreb au seuil de notre siècle ». La plupart des

livres de Nine Moati s’enracinent dans l’histoire ce que les paratextes mentionnent fortement

(Rose d’Alger raconte « les vingt dernières années de l’Algérie française » alors que Les

Belles de Tunis narre « le siècle brûlant de la domination française en Tunisie »).

L’histoire permet non seulement de construire un décor pour la narration, mais elle

est souvent présentée comme l’objet à part entière de certains de ces ouvrages. Dans ces

reconstructions, les descriptions de la vie de la communauté juive aux côtés de leurs voisins

musulmans et français occupent une place importante. Il s’agit dans la plupart de cas de

visions idéalisées d’existence pacifique de ces groupes, comme avec Parfum des étés perdus

de Claude Brami (« trois cultures vivaient sans le savoir les derniers temps d’une harmonie

condamnée » ou avec La Danse de Rachel de Monique Zerdoun (« l’Algérie pluricultuelle et

pluri-culturelle »).

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Cette reconstruction imaginée d’une coexistence pacifique peut s’ériger en miroir

des relations de l’Etat d’Israël avec ses voisins musulmans, comme chez Charles Haddad de

Paz dans Juifs et Arabes au pays de Bourguiba : « la coexistence entre Juifs et Arabes, qui fut

une réalité d’hier, peut devenir une réalité demain quand Israël sera en paix ». Toutefois, peu

de quatrièmes de couvertures mettent l’accent sur le cloisonnement des communautés. L’une

des rares exceptions à cette règle nous est fournit par Si seulement Abraham avait eu deux

filles de Michèle Madar.

L’identification à la judéité est un autre thème présent sur les quatrièmes de

couverture, comme dans Dans tes ruines Néopolis de Had Hannah, ouvrage qui « contribuera

à une meilleure compréhension du judaïsme et, singulièrement, du sépharadisme ». Dans le

roman Sroulik d’Albert Bensoussan, « l’univers ashkénaze et le monde séfarade se partagent

les pages de ce récit ».

Ce survol des éléments d’escorte du texte littéraire confirme le rôle et l’importance

du paratexte, dont l’analyse reste souvent négligée au profit de l’analyse interne. Pourtant, un

paratexte est « ce par quoi un texte se fait livre » (Genette 1987 : 7). Dans ce cas de

production littéraire des auteurs d’origine judéo-maghrébine, le paratexte confirme

l’hypothèse de son fort ancrage dans les thématiques liées à l’exil, à la mémoire et à l’histoire.

Il nous renseigne plus généralement sur les stratégies éditoriales développées. Sans qu’il soit

besoin de recourir à la sociologie de la réception, on peut voir se dessiner le ciblage d’un

public susceptible d’être intéressé par l’univers judéo-arabe, celui des populations juives

issues des ex-territoires coloniaux. Mais le fait que ces ouvrages soient publiés, entre autres,

par des grandes maisons d’édition à diffusion nationale et parfois à forte légitimité littéraire,

plaide également pour l’intérêt pour cette « littérature des autres » comme composante de la

collectivité d’accueil.

En effet, la production littéraire des auteurs d’origine judéo-maghrébine en France,

y compris dans l’espace paratextuel, conserve une singularité, sans pour autant devenir

totalement communautaire, ce qui la « distingue » dans le contexte littéraire dominant et

l’inscrit comme élément inséparable d’un processus historique. Alimentés par les expériences

socialisatrices, ces choix paratextuels permettent d’observer, de manière concentrée, les

transfigurations du jeu d’ajustements sociaux qui caractérisent les trajectoires de ces écrivains

et qui se lisent également dans l’espace textuel de leurs récits. Ainsi, les couvertures – comme

les contenus – mettent en lumière les adaptations des appartenances identitaires qui procèdent

par un ancrage originel pour mieux s’enraciner dans la nouvelle réalité.

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Car dans le contexte d’un exil, où les liens familiaux et familiers changent et se

recomposent, la narration constitue une médiation incontournable pour reconstituer la

pluralité des visions du passé dans la nouvelle réalité. Elle travaille le passé en fonction du

présent et envisage le présent en fonction du passé, d’où l’importance des reconstructions

mémorielles et historiques.

Ainsi, la production littéraire des écrivains d’exil met en évidence le poids de l’apport,

tant social que culturel, de la migration dont ils sont issus. C’est donc grâce à la sensibilité

particulière et à la double perspective, que les écrivains d’exil non seulement développent des

formes narratives nouvelles ainsi que des innovations linguistiques, mais permettent de

donner à lire et à voir d’autres schèmes de compréhension du monde et ce, y compris, à

travers les couvertures de leurs ouvrages.

Bibliographie

Cabridens, Valérie (1984) « “Algérie perdue” : Analyse de titres. Écrits de Français sur

l’Algérie publiés après 1962 », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée,

n°37, pp. 175-189.

Duchet, Claude (1973) « La fille abandonnée et La bête humaine. Eléments de titrologie

romanesque », Littérature, n°12, pp. 49-73.

Duchet, Claude (1976) « Discours social et texte italique dans Madame Bovary » in Langages

de Flaubert, Actes du Colloque de London (Canada), Paris : Lettres modernes / Minard,

pp.143-169.

Dugas, Guy (1991) La Littérature judéo-maghrébine d'expression française. Entre Djéha et

Cagayous, Paris : L’Harmattan.

Furet, Claude (1995) Le titre, pour donner envie de lire, Paris : Centre de formation et de

perfectionnement.

Genette, Jean (1987) Seuils, Paris : Seuil.

Krieg-Planque, Alice (2009) La notion de formule en analyse du discours. Cadre théorique et

méthodologique, Besançon : Presse universitaire de Franche-Comté.

Maczka-Tartakowsky, Ewa (2013) « Ecrivains d’Afrique du Nord », in Jean Leselbaum et

Antoine Spire (dir.), Dictionnaire du Judaïsme français depuis 1944, Lormont :

Armand Collin/Le Bord de l’eau, pp. 275-278.