Les Phéniciens de la Mer Érythrée

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Arab arch. epix 1993. 4. 176209 Printed iii Denmark . All rights reserved Copvrinht (0 Munksnaard 1993 _____ Arabian archaeology and epigraphy ISSN 0905-7196 Les Phkniciens de la Mer Erythrke JEAN-FRANCOIS SALLES UPR 309 (Chypre et le Levant) 7 rue Raulin, Maison de 1’Orient Mkditerranken, Lyon I1 en est des zonoi historiques comme des chats qui dorment: on ne sait ce qui les rkveille, une agitation soudaine s’ensuit, et puis, tout retourne bientcit au recueillement qui caracthrise le progrks de nos connaissances sur 1’Antiquitk (I). Dans le dkveloppement considkrable qui caractkrise les ktudes phkniciennes depuis quelques annkes, il semblait que la question longuement dkbattue au XIx’ et au dCbut du Xx’ siPcle de l’origine des Phkniciens Ctait passCe de mode, et certains dkbats trPs polemiques de ces derniers mois sur la manikre dont furent traites les Phkniciens dans l’historiographie moderne n’kvoquent mtme pas le nom de la cmer Rouge) comme berceau lkgendaire du peuple phknicien (2). I1 est vrai que Sabatino Moscati avait interdit qu’on traitit du sujet: le problkrne de l’origine des Phkniciens n’existait pas (3), et seuls pouvaient ttre abordCs des thkmes relevant d’une cproblematicu della civiltir fenicia,, les rkfractai- res se faisant vertement tancer (4). Un consensus s’ktait donc ktabli parmi les gens cskrieux et compktents)) (5), et les timides rkfkrences aux Phkniciens de la mer Rouge n’avaient que des visCes ktiologi- ques (6); les sources classiques tombaient dans I’oubli lorsqu’elles n’entraient plus dans l’kpure du modkle propose (7). Dans ce qui constitue une synthPse rkussie et rkcente sur les Phkniciens parce qu’elle met savamment en balance les Phkniciens de 1’Est et leurs cornpatriotes de l’Ouest, les auteurs de 1’Univers Phknicien (8) citent les sources approprikes et posent la question d’une origine krythrkenne des PhCniciens, sans pouvoir y rkpondre: nu1 n’est en mesure aujourd’hui d’apporter une rkponse positive ou nkgative, mais encore faut-il accepter d’affronter le problkrne ccskrieusement)). La voie de cette audace au regard du consensus 170

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Arab arch. epix 1993. 4. 1 7 6 2 0 9 Printed iii Denmark . All rights reserved

Copvrinht (0 Munksnaard 1993 _____

Arabian archaeology and epigraphy

ISSN 0905-7196

Les Phkniciens de la Mer Erythrke

JEAN-FRANCOIS SALLES UPR 309 (Chypre et le Levant) 7 rue Raulin, Maison de 1’Orient Mkditerranken, Lyon

I1 en est des zonoi historiques comme des chats qui dorment: on ne sait ce qui les rkveille, une agitation soudaine s’ensuit, et puis, tout retourne bientcit au recueillement qui caracthrise le progrks de nos connaissances sur 1’Antiquitk (I). Dans le dkveloppement considkrable qui caractkrise les ktudes phkniciennes depuis quelques annkes, il semblait que la question longuement dkbattue au XIx’ et au dCbut du Xx’ siPcle de l’origine des Phkniciens Ctait passCe de mode, et certains dkbats trPs polemiques de ces derniers mois sur la manikre dont furent traites les Phkniciens dans l’historiographie moderne n’kvoquent mtme pas le nom de la cmer Rouge) comme berceau lkgendaire du peuple phknicien (2). I1 est vrai que Sabatino Moscati avait interdit qu’on traitit du sujet: le problkrne de l’origine des Phkniciens n’existait pas (3), et seuls pouvaient ttre abordCs des thkmes relevant d’une cproblematicu della civiltir fenicia,, les rkfractai- res se faisant vertement tancer (4). Un consensus s’ktait donc ktabli parmi les gens cskrieux et compktents)) (5), et les timides rkfkrences aux Phkniciens de la mer Rouge n’avaient que des visCes ktiologi- ques (6); les sources classiques tombaient dans I’oubli lorsqu’elles n’entraient plus dans l’kpure du modkle propose (7).

Dans ce qui constitue une synthPse rkussie et rkcente sur les Phkniciens parce qu’elle met savamment en balance les Phkniciens de 1’Est et leurs cornpatriotes de l’Ouest, les auteurs de 1’Univers Phknicien (8) citent les sources approprikes et posent la question d’une origine krythrkenne des PhCniciens, sans pouvoir y rkpondre: nu1 n’est en mesure aujourd’hui d’apporter une rkponse positive ou nkgative, mais encore faut-il accepter d’affronter le problkrne ccskrieusement)). La voie de cette audace au regard du consensus

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phknicologique avait ktk ouverte en 1983 par Glen W. Bowersock (9): l’historien avait alors donnk une nouvelle jeunesse aux propos dHkrodote et de Strabon sur les Phkniciens de la mer Erythrke et ouvert en mtme temps plusieurs voies de rkflexion sur le sujet (10); ses idees trouvaient un echo favorable dans plusieurs publications rkcentes relatives i l’histoire du Golfe arabo-persique (1 I). Jusqu’ii rkcemment, les conclusions de G. W. Bowersock n’avaient pas ktk remises en cause; dernikrement J. D. Grainger a pens6 pouvoir proposer de nouvelles hypothkses sur ((Les Phkniciens et le Golfe)) (12) qui, on le verra plus loin, tkmoignent A la fois dune dksarmante naivete en ce qui concerne la connaissance gkographique de la rkgion, et dune regrettable manipulation des textes.

Le ZOITO< etant provisoirement rkveillk, la prksente contribution a pour seule ambition de dresser un &tat de la question)), sh-ement incomplet, et douvrir quelques directions de rkflexion qu’il convien- dra peut-etre d’explorer plus i fond; elle aurait atteint son but si elle persuadait que la recherche sur l’origine krythrkenne des PhCni- ciens n’est pas un leurre rkserve aux incompetents, mais un sujet aussi recevable que celui de la lkgende de Kadmos ou dautres recits fondateurs de 1’Antiquitk. Dans un dkbat o i ~ interviennent les mythes les plus essentiels, c’est-&dire ceux qui sont constitutifs d’une identitk nationale mkme s’ils peuvent paraitre peu comprkhen- sibles a un esprit acadkmique du Xx’ sikcle, mais aussi les jugements parfois catkgoriques d’un peuple sur un autre, l’un le faisant savoir et l’autre non, et enfin les plus grandes incertitudes gkographiques puisqu’aucun des auteurs anciens cites ne s’est jamais aventurk dans la mer Erythrke, une extreme prudence est de rigueur. Une premikre dhmarche consiste ii revenir aux textes et, sans entrer dans une vaine Quellenforschung, A dkterminer leurs tenants et aboutissants si c’est possible; une deuxihme ktape fera l’inventaire - sans pretendre A l’exhaustivitk - des interprktations qui ont k tk proposkes de ces textes et qui constituent l’armature du debat. Le troisikme pas, attendu, ne sera pas franchi, volontairement: une argumentation archeologique n’est pas possible dans l’ktat actuel de la documenta- tion. Comme les textes dont elles sont inskparables, les donnees archkologiques posent des questions difficiles qui sont loin d t t r e rksolues, et si des prksomptions peuvent apparaitre, une dkmonstra- tion ((serieuse)) demeure inaccessible.

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Le temoignage le plus clair, et aussi le plus ancien, se trouve chez Herodote au IF siPcle av. J.-C. Un premier passage citant les Phkni- ciens se trouve au dkbut de l’ouvrage de l’historien, lorsque celui-ci s’apprste A exposer les causes du conflit entre les Perses et les Grecs, tandis qu’une seconde et brkve remarque est faite dans une

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description de la puissance navale perse. Les informations recueillies par Herodote h Tyr lui permettent de confirmer, par preterition, ses affirmations precedentes (troisikme extrait).

nChez les Perses, les doctes pretendent que les Pheniciens furent cause du differend. 11s disent qu’apr6s Ctre Venus de la mer qu‘on appelle ErythrCe sur les bords de celle-ci et avoir Ctabli leur demeure dans le territoire qu’ils habitent encore aujourdhui, les Phhiciens entreprirent aussitbt de longues navigations et, transportant des marchandises dEgypte, et d’Assyrie, se rendirent dans differentes contrbes, entre autres Argos [. . .] (doh 10, fille du roi Inachos, fut enlevee, etc.)w (I, 1, trad. Legrand, Coll. Bude) (13).

A propos de la flotte perse KLes trieres Ctaient au nombre de dome cent sept; et voici ceux qui les fournis- saient. Les Phhiciens avec les Syriens de Palestine en foumissaient trois cents, Cquipees comme il suit [. . .]. Ces Phkniciens habitaient jadis, i ce qu’ils disent eux-mCmes, sur les bords de la mer ErythrCe; de la, ils passerent en Syrie, ou ils habitent le littoral; ce canton de la Syrie et tout le pays qui s’Ctend jusqu’a I’Egypte s’appellent Palestinex (VII, 89, ibid.).

Confirmation par les Phiniciens eux-mimes .He] me suis rendu a Tyr en PhCnicie, parce qu’il s’y trouvait, me disait-on, un sanctuaire d’HPrac1.h particulierement ven6rC . . . J’ai pu m‘entretenir avec les prCtres du dieu et leur ai demande depuis combien de temps leur temple existait: j’ai constate alors qu‘ils n’ktaient pas non plus daccord avec les Grecs: leur temple, me dirent-ils, remontait a la fondation de la ville, et leur ville Ctait habitbe depuis deux mille trois cents ansr (11, 44, ibid.) (14).

Le recit est simple: les Phkniciens habitaient sur les bords de la mer Erythree, qu’ils ont quittee pour venir s’installer sur la cBte orientale de la Mediterranee, quelques 2300 ans avant la redaction dHerodo- te, soit vers 2750 av. J.-C. La mer Erythrke h laquelle il est fait allusion est sans nu1 doute le golfe arabo-persique, que l’historien grec connait comme l’une des regions Cloignkes de l’empire perse, celle oh l’on envoyait les cCRe1kgut.s)) (15); de son temps, le terme designait dkji A la fois la mer Rouge, le golfe arabo-persique et ce que les les Grecs connaissaient de I’ockan Indien (16). Dans la mesure oh Herodote designe le plus souvent la mer Rouge comme 1”Aphp~o~ K O , ~ E O < dans la mer Erythree - mais aussi grice au texte de Strabon citk plus bas, - on peut affirmer que le berceau des Pheniciens etait bien dans le golfe arabo-persique de la mer Erythree. Les arguments proposks en faveur de la mer Rouge par Ph. Legrand n’emportent pas l’adhesion : selon l’editeur de la traduction franqaise dHkrodote, les lkgendes racontkes par les textes dOugarit ayant rpour theitre des rkgions bien plus mkridionales que la Phenicie du \p s: le pays des Philistins et le Negeb., il faudrait prkferer la mer Rouge (1 7). B. Couroyer suggPre une localisation dans la mer Rouge egalement, sans parvenir h demontrer pourquoi le Golfe doit 6tre exclu, le choix Ctant en quelque sorte dibertaire)). Une synthkse

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des deux possibilitks, mer Rouge et golfe arabo-persique, avait kt6 prksentke il y a longtemps par Sir F. Petrie, qui supposait une kmigration depuis le Golfe vers la Mkditerranke via la mer Rouge et I’Egypte - kmigration maritime? terrestre? (18) L’idke a connu un ephkmere regain de popularitk en 1983 lorsque M. Rice a proposk de localiser dans le golfe arabo-persique le berceau des Egyptiens de l’ancien Royaume. En fait, comme on le verra plus loin, ces tentatives de situer le pays dorigine des Phhiciens dans la mer Rouge ou en Arabie du nord-ouest sont likes aux hypothilses sur l’origine arabe des peuples Semites et sur les cvagues)) successives de populations qui seraient ((sorties)) de la pkninsule arabique, thko- ries dont S. Moscati fut jadis l’un des fervents dkfenseurs (19).

Hkrodote ne connait que I’appellation mer Erythrke, sans l’expli- quer, et ne s’attarde pas sur l’origine du mot phknicien. Pour les lexicographes grecs de l’Antiquitk, la mer Erythrke devrait son nom A la couleur rouge de ses falaises, et serait ainsi A I’origine du nom de la Phknicie et des Phkniciens, puisque phoinix signifie rouge; l’idke est frequemment reprise dans la littkrature moderne (20). A vrai dire, I’argumentation parait spkcieuse dans la mesure OG les deux termes ne sont pas interchangeables: la mer Rouge ou le Golfe arabo-persique n’ont jamais ktk dksignks comme ((phkniciens)), ni les Phkniciens comme ((krythrkens)); seul un scholiaste de l’lliade prktend que les Phkniciens auraient tirk leur nom du fait qu’ils vivaient sur les bords d’une mer Rouge que Denys de Milet, A la fin du VI‘ s. av. J.-C., dksignait comme la cmer de Phoenix, (21), mais cette ktymologie explicite demeure une citation unique. Agatharchide de Cnide conteste rksolument que la mer Rouge ait ktk dksignke ainsi A cause de ses falaises brillantes au soleil ou des rayons de celui-ci qui auraient eu la couleur du sang; il raconte, lui, I’histoire vraie du roi Erythras qui inventa la navigation pour rattraper ses juments kchappees dans un ilot au large des cdtes de Carmanie, dans la mer qui porte dksormais son nom (22). La lkgende a ktk rapportke A Agatharchide par un Perse Boxos: il s’agit donc bien dune tradition orientale, sans antkckdent grec, et Erythras devrait Ctre la transcrip- tion d’un nom skmitique ou iranien (23). Pourtant, l’histoire est connue des Grecs avant Agatharchide, d6s la fin du IVe s., lorsque les ouvrages de Nkarque deviennent accessibles: I’amiral dAlexan- dre l’avait recueillie au cours de ses voyages dans la mer Erythrke elle-mCme, confirmant l’origine orientale de la lkgende (24). Sans faire expressement mention de Dilmoun dans ce passage prkcis (il l’a fait ailleurs), P. Goukowsky conclut: des lkgendes recueillies par les Grecs [. . . I perpktuaient sans doute le souvenir dune trks ancien- ne thalassocratie qui avait jouk dans le golfe Persique le m&me r61e que celle de Minos dans la mer Egke. (25): sans qu’elles soient apparemment likes entre elles, les Grecs ont donc rapport6 deux traditions propres aux habitants du Golfe arabo-persique, l’une sur

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l’origine krythrkenne des Phkniciens, I’autre sur l’antiquitk dune vocation maritime de cette rkgion. Mais est-ce vraiment un hasard si l’inventeur mythique de la navigation est plack dans le mtme contexte que les ancttres des Phkniciens, qui ont toujours ktk asso- ciks i I’exploration maritime et A la construction navale (26)?

C’est dans les premiers siilcles du 111‘ millhaire qu’aurait eu lieu la ((migration phknicienne, vers l’Ouest. 11 parait en effet logique dassocier la fondation de Tyr et la traverske du golfe h la Mkditerra- nee malgrk le rkcit de Justin (infra), et l’information sur une durCe de 2300 ans avant le temps dHkrodote parait solidement ktablie puisque I’historien I’a recueillie lui-mtme auprils des prCtres du tem- ple de Melqart-Hkraklils A Tyr. On ne peut s’emptcher dkvoquer, A ce sujet, une remarque de Flavius Josilphe:

I1 y a chez les Tyriens, depuis de tres longues annkes, des chroniques publiques, rbdigbes et conservkes par I‘Etat avec le plus grand soin, sur des faits dignes de mbmoire qui se pass6rent chez eux, et sur leurs rapports avec l‘btranger. I1 y est dit que le temple de Jbrusalem f i t bdti par le roi Salomon environ cent quarante-trois ans et huit mois avant la fondation de Carthage (Contre Appion, I, 17, 107-108, trad. L. Blum).

I1 est peu probable que ces archives nationales aient pu remonter jusqu’a la fondation mtme de Tyr, et on peut supposer qu’elles couvraient l’histoire de la ville depuis sa ((refondation)) A la fin du 11“ millknaire, peut-ttre par des fugitifs de Sidon, peu de temps avant la construction du temple de Jkrusalem (27); mais leur existence laisse entrevoir que les kvaluations des prttres de Tyr n’ktaient pas nkcessairement fantaisistes. Les auteurs de L‘Univers Phknicien (supra, n. 8) rappellent que les dkcouvertes archkologiques ii Tyr rkvdent un niveau ancien date vers 2900 av. J.-C., ajoutant que cccette coinci- dence ne peut ttre fortuite, (p. 46): I’une des conditions pour que l’histoire rapportke par Hkrodote entre dans le domaine du possible est que la rkgion Phknicie ait kt6 habitke au dkbut du 111‘ millhaire (Bronze Ancien), ce que beaucoup de sites libanais confirment (28). L‘autre condition est que la rkgion du Golfe arabo-persique n’ait pas et6 un dksert A la mtme kpoque et que des communautks y aient ktk installkes depuis un certain temps; c’est dans cette seule mesure que quelques-uns de ces groupes auraient pu quitter leur habitat, pour des raisons qui ne sont pas donnkes par Hkrodote (Justin parle d u n tremblement de terre, infra). L’archkologie rkcente a dkmontrk que l’occupation de 1’Arabie orientale et de la pkninsule dOman avait atteint un niveau de trils haut developpement dks I’kpoque Djemdet Nasr (fin du IT millknaire): agriculture shdentarisee g r k e i l’irrigation (ckrkales, lkgumes), culture du palmier-dattier, domesti- cation achevke des bovins et ovins, domestication du chameau, mktallurgie du cuivre, etc (29). Les kchanges maritimes ktaient nom- breux, puisque le cuivre d’Oman ktait expkdik vers la Mksopotamie

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dPs la fin du IV‘ millenaire, et on voit affluer des objets dorigine mCsopotamienne en Arabie orientale pendant le Dynastique Archai- que (premiers siPcles du 111‘ millknaire). En terme d’aracheologie, les populations du ((Bronze Ancien)) dans la rkgion du Golfe (l’appella- tion BA n’est pas utiliske dans le Golfe) n’ont rien A envier a celles qui peuplaient les c8tes canaankennes a la m&me kpoque, mais elle ne partagent aucun klhment des diffbrentes cultures matkrielles reconnues dans les fouilles des nombreux sites de la PhCnicie et du Golfe: il serait vain de rechercher chez les autres les ceramiques des unes ou vice-versa. L‘archCologie du Golfe ne valide pas le rkcit dHCrodote, parce que ces cultures matkrielles Cloignees de plusieurs milliers de kilomktres ne prksentent pas dklkments comparables, qui restent encore parmi les arguments dkcisifs de la methode archkolo- gique; mais elle ne l’infirme pas non plus: elle le fait simplement entrer dans le champ du matkriellement possible.

G. Bunnens presente une objection au rkcit d’Hkrodote et est conduit ii lui attribuer une fioriture littkraire. Juste aprhs leur migra- tion, donc dans les premiers siPcles du 111’ millenaire, les Pheniciens se seraient lancCs dans de grandes navigations et auraient transport6 les marchandises de 1’Egypte et de l’Assyrie, alors que rien n’est connu dune navigation ((phknicienne, ou plut8t canaankenne dans la Mediterranke du 111‘ millknaire (30): ((Cornme ce dCtail ne prhsente que peu d’utilite pour la comprehension gCnCrale du recit, on peut se demander s’il n’a pas etC introduit par HCrodote lui-mkme pour Ctoffer la narration dune remarque erudite. I1 caracterisait ainsi d’un trait l’expansion phenicienne: c’Ctait un mouvement de marchands et de navigateurs [...I)). Mais Herodote aurait pu aussi recueillir 1A une information sur une vieille vocation maritime des Pheniciens (31). Si on accepte, en effet, l’idee que les Phhiciens ont CmigrC du golfe arabo-persique ves 2800, il faut bien leur attribuer une ((paren- t& (laquelle?) avec ceux qui sont restes dans cette rCgion, que l’on connaEt sous le nom de Dilmounites A partir du milieu du 111’ millk- naire: or toutes les sources mesopotamiennes parlent des Dilmouni- tes comme de marchands et de navigateurs accomplis et font de l’alik- Tilmoun l’excellence du commerce (32). Serait-ce A cause de leur origine commune que Pheniciens et Dilmounites partagent dans les sources anciennes, orientales et classiques mais 2 des pCriodes differentes, la mkme reputation dhabiletk en tant que marins et commerqan ts?

Enfin, le probkme des sources dHQodote dans ces passages ne parait pas insurmontable. 11 y a probablement son prkdecesseur Hlcatke de Milet, mais la reconnaissance de cette dette ne fait que vieillir l’interrogation d u n demi-si&cle, surtout en ce qui concerne les traditions orientales. En general, Herodote raconte ce qu’il a vu au cours de ses voyages, et celles qui lui paraissent les plus plausibles parmi les innombrables histoires, anecdotes et informations qu’il a

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recueillies partout; on est peut-Ctre loin de la vkritk historique telle qu’on l’entend au XX‘ siPcle, mais trPs proche des Nmentalitks collec- tives, de son temps, rkvklatrices d’une certaine historicitk. Dans les passages relatifs aux Phkniciens, la source est soit phknicienne ((4 ce qu’ils disent eux-mCmes,, VII, 89; ((j’ai pu m’entretenir avec les prCtres)), 11, 44), soit perse - enlPvement d Io - avec un correctif phknicien: dans tous les cas, Hkrodote a ecoutk ce que lui ont racontk ses interlocuteurs en Orient (Phenicie, Egypte, etc.), puis il a sklectionnk son propos (33). Des analogies avec des exemples ethnographiques africains montrent combien la tradition orale doit 6tre maniee avec dinfinies prkcautions lorsqu’elle est h la base d’une histoire nationale (34, mais il est impossible de rejeter h priori et sans argument l’existence de logioi orientaux du temps dHCcatke et dHkrodote.

La tradition que rapporte Hkrodote sur l’origine des Phkniciens est donc issue d’un fonds exclusivement oriental, sans interfkrence grecque (35) ; il se pourrait qu’elle ait ktk recueillie au cceur mCme du domaine phknicien, lors de la visite qu’effectua I’enquCteur auprPs des prCtres du temple de Tyr. Elle parait spkcifique aux Phkniciens, puisqu’elle corrige la tradition perse (10 enlevke us 10 consentante), et elle a ktk adoptke par Hkrodote sans commentaires excessifs; l’auteur ne cherche pas, par exemple, h percer le sens du mot ’phkni- cien’ en grec: il s’agit, en quelque sorte, dune information brute et non pas d’une thkorie explicative. Cette tradition ktait suffisamment bien ktablie dans 1’Orient ancien pour faire partie aussi des chroni- ques perses, peut-6tre h c8tk de la lkgende sur le roi Erythras? Elle n’est donc pas une anecdote secondaire, mais bien une composante des conceptions q+o-politiques> orientales du V‘ s. av. J.-C.: les Phkniciens sont Venus de la mer Erythrke.

A l’kpoque d’Auguste, Strabon confirme les renseignements d’Hkrodo te:

(<En continuant la navigation, on trouve dautres iles, Tyr et Arad, oh se dressent des sanctuaires semblables a ceux des PhCniciens. Et les habitants de ces iles affirment que les iles et villes du m6me nom en PhCnicie sont des colonies qu’ils ont fondhes. (XVI, 3, 4, trad. Y. Calvet).

Ces homonymies ont ktk les arguments le plus souvent avancks pour dkmontrer la prksence des Phkniciens dans le Golfe, et elles constituent le fil directeur des explorateurs modernes de la rkgion du Golfe: (<The word Soor means rock, and is identical with the name of the Phoenician city on the coast of Palestine, better known by the Graecian name of Tyre. It was probably so called from the cliff on which the town of Eijah [ville d’Oman] stands, and may be more ancient that the Mediterranean port, as the Phoenicians must have passed by Oman on their way up to the Persian Gulf,, (36). Les kquivalences ne se limitent

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pas a Tyr et Arad: aprPs G. Bowersock, D. T. Potts rappelle les villes de Jubayl (Gebeil) en Arabie orientale et Sour [Tyr] en Oman, et H. I. MacAdam a rkcemment attire l’attention sur le afleuve du chien, citk par Pline dans sa description de la c8te arabe du Golfe (VI, 149), c’est-&dire un Nahr el-Kelb qui pourrait faire pendant celui du Liban (37): mais le probkme est de savoir doG Strabon a rapport6 ces homonymies.

I1 est trks difficile d’accepter que la source de Strabon ait etk Hkrodote (38): le nom dArad n’est jamais mentionnnk chez l’histo- rien grec, et Strabon aurait totalement ((invent& l’existence des sanctuaires. I1 faut rksister A la tentation dattribuer l’information de Strabon 2 sa lecture d’HomPre; quelques pages plus loin, en effet, le geographe s’interroge sur un vers dHomPre, Odysske, IY 84: mous sous sommes rendus chez les Ethiopiens, les Sidoniens et les Erem- bes, (39):

K... et on reste dans [’incertitude, en ce qui concerne ces Sidoniens, de savoir s‘il faut parler de ceux qui habitaient dam le golfe Persique et dont les Sidoniens de chez nous seraient des colons tout comme on raconte I’existence la-bas de Tyriens et dAradiens habitant dans des iles et dont on dit qu’ils auraient fond6 des colonies chez nous, ou s’il s‘agit des Sidoniens eux-m&mes* (XVI, 4, 27, Cd. Loeb).

La discussion des voyages de Mknklas occupe une grande partie du premier livre de Strabon, et B la suite dautres commentateurs de 1’An- tiquite, I’auteur identifie les Erembes avec les Arabes (Gko. I, 2,31-35). S’il peut paraitre ktonnant, dans une vision gkographique du XX‘ siP- cle, d’envisager que Mknklas, au retour de la guerre de Troie, ait rendu visite aux Arabes sur les bords de la mer Rouge, il n’en est pas de mtme dans la conception des Anciens, et certains, que Strabon ne suit pas, ont envoy6 Mknklas jusqu’en Inde; il est vrai que la discussion porte sur le difficile argument de l’Ockan qui ceint le monde habitk, et c’est dans ce premier livre que Strabon prksente sa conception rela- tivement nouvelle de la representation de l’oikoumenk. Le gkographe se rkfkre dans quelques passages de sa dkmonstration aux deux peu- ples Sidoniens, parfois dksignks comme cles nbtres)) [sur le rivage de la Mkditerranke] et ceux de 1’Ockan [la mer Erythrke ccse jetant, dans I‘Ocean extkrieur]; en I, 2, 35, on apprend on outre que Sidonien et Phhicien sont synonymes, et que ces derniers doivent leur nom B la couleur rouge du golfe Persique-mer Erythrke (40): mais dans le m&me passage, Strabon s’inquihte de savoir si ce sont les Phkniciens de la mer Erythrke qui ont fond6 les villes de la Phknicie, ou si ce sont les Pheniciens de la Mkditerranke qui ont colonisk la rkgion du Golfe. Ainsi au livre XVI citk plus haut, comme dans dautres occasions, Stra- bon fait-il preuve de son savoir et de sa volontk critique)), d’autant plus facilement qu’il a dkcrit les iles krythrkennes dArad et de Tyr quelques paragraphes plus haut: mais, comme dans le livre premier, la

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source de l’nformation sur la mer Erythrke n’est pas HomPre, qui ne connait que les Phkniciens du Levant (41). Si on klimine ainsi la tradi- tion homkrique, il devient clair que Hkrodote et Strabon rapportent deux traditions diffkrentes, indkpendantes I’une de I’autre.

Le gkographe grec a puisk ses informations chez les auteurs hellknistiques, Agatharchide, Aristobule ou Eratosthhe, et c’est sou- vent grdce A h i qu’on peut restituer les fragments de ces Oeuvres perdues. I1 a kgalement exploit6 les ouvrages des explorateurs d’A- lexandre, Nkarque et Androsthilne de Thasos, A travers les nom- breux passages qu’en avaient prkservks les auteurs hellknistiques. C’est donc probablement dans un rapport de Nkarque, donksicrite ou dAndrosthhe (42) que Strabon a trouvk cette information, peut- ttre grdce A Aristobule, souvent citk, qui aurait pu avoir eu entre les mains les rkcits de voyage remis A Alexandre avant sa mort et qui ne sont pas devenus des ouvrages publics comme celui de Nkarque (43). Quel crkdit accorder B ces rapports? Onksicrite avait la reputation dCtre peu sGr, plus proche de l’imaginaire de Ctksias que du skrieux dHkrodote, mais Nkarque est (omsonably trustworthy and reliable [a] writer)) (44). Androsthilne ne peut Ctre jug6 que sur quelques fragments prkserves, principalement recueillis chez Thkophraste et Strabon (45). Seul ce dernier donne l’information sur un culte d’Apollon a IkarodFailaka, dont on a pu dkmontrer qu’il etait atteste par les donnkes archkologiques B dkfaut d’informations kpigraphiques (46). Strabon prksente ensuite la plus complhte des- cription de la ville de Gerrha qui nous ait ktk prkservke, et de la participation de ses habitants au commerce de l’encens, confirmke par dautres sources (47); c’est dans le mCme contexte d u n ((rkcit de voyage, continu (Failaka, Arabie orientale, Bahrain) qu’intervient la mention des iles krythrkennes et de leurs temples phkniciens, et nier qu’Androsthhe se soit arrttk quelque temps B Bahrain releverait dune hypercritique injustifike. L’acuitk de son tkmoignage est en effet confirmke par la prkcision de ses remarques sur la vkgktation de Bahrain telles que les rapporte Thkophraste (prksence de la man- grove dans les lagunes orientales de l’le, prks de I’actuel Sitrah o i elle subsiste de nos jours, salinite des sources, etc.) (48), et il est evident que le ((carnet de route)) d’Androsthene de Thasos est aussi recevable que celui de Nkarque, aucune raison objective ne permet- tant de rkfuter son tkmoignage. En rapportant une anecdote recueil- lie par Androsthhe, Strabon fait &tat dune tradition solidement implantke dans la rkgion du Golfe.

Un dernier point parait devoir Ctre soulignk. Strabon est indkpen- dant dHkrodote, on l’a vu plus haut. Herodote rapporte une tradi- tion qu’il a recueillie au milieu du V s. av. J.-C. chez les Phkniciens eux-mCmes, a Tyr, sur les bords de la Mediterranke. AndrosthPne a visite les iles du golfe arabo-persique a la fin du IV s., alors qu’elles etaient terra incognita pour les Grecs: il y a recueilli la mCme tradition

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de la bouche des Erythrkens, et il insiste sur le fait qu’il s’agit d’une histoire racontke par les habitants du Golfe eux-mCmes. A moins qu’il n’y ait eu quelque part, a un niveau qui ne pourrait pas Ctre nkgligeable, une entreprise de propagande toujours possible dans l’Antiquit6, cette colncidence parait difficilement vide de sens: com- ment les deux acteurs supposks du mCme mythe, skparks par plus dun millier de kilomiltres de dksert, auraient-ils pu conserver la mCme tradition aprils deux millknaires s’il n’y avait pas une forme de vkritk dans ce mythe?

Alors que les informations rapportkes par Strabon sont relative- ment claires pour la plupart des commentateurs, J. D. Grainger propose de son c8tk une interprktation ktrange de ces donnkes, tout a fait a I’opposk de celle de G. Bowersock dont il rejette les conclu- sions sans reelle discussion (49). Confiant dans la valeur historique d’Eratosthilne comme source de Strabon (Androsthilne de Thason n’est pas citt.), I’auteur affirme: .(. . .I we can accept that these islands [Tyre and Arados of the Persian Gulf] were (to reverse Sfrabo’s comment), colonized by the Phoenicians, and that this was a result of the activities and plans of Alexander in the Gulf, either as a direct results of A.’s preparations for the voyage, or due to a private Phoenician initiative 1.. .I. (p. 193); la seule vhritk historique recevable est que les Phkniciens ont colonisk le Golfe pour s’assurer la maitrise du commerce avec I’Inde, avec ou sans l’accord dAlexandre. Toutefois, I’auteur doute qu’ils se soient rhellement installks dans le sous-continent, et devant l’impossibilitk de vraiment localiser la ville, il prgfilre rejeter I’infor- mation d’Etienne de Byzance selon lequel une Tyros aurait exist6 en Inde (50): ce sont les colonies pheniciennes du golfe arabo-persique qui constituaient l’armature de I’expansion phknicienne vers l’Est. Grainger ne donne aucune raison du choix qu’il fait de renverser les dires de Strabon et d’Hhrodote (51), ni aucune dkmonstration de ses conclusions: c’est pourtant cette inversion des propositions clas- siques qui lui permettra, quelques pages plus loin, de tirer des conclusions sur ce qui se passait dans les ciths-mkres de Phknicie en interprktant ce qui se passait dans les colonies du Golfe. Puis I’auteur rejette l’identification de Tyros comme Bahrain sous prktexte que Strabon localise I’ile TyroslTylos A 10 jours de navigation de Tkrk- don au nord, mais a une journke seulement du ras Musandam, A l’est: il faut donc, selon lui, chercher les iles Tyr et Arad krythrkennes parmi ((the islands in fhe eastern half of the Gulf [. . .I scattered over the whole area. This, of course, would be an ideal situation for Phoenician voyagers, moving from island to island, able to land every night )) (n. 19: 193). Sur ce point, la dkmonstration contraire est aiske: les innombrables iles connues (Dalma, Sir Bani Yas prils d’Abou Dhabi, Bu Musa, Tanb/Tomb au large de Ras a1 Khaimah en sont quelques exemples seulement) ou a peine nommkes sont des rochers totale- ment dksertiques, sans eau douce ou mCme saumitre, impropres a

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une quelconque installation, et genkralement kvites par les marins locaux; y envoyer les Phkniciens en escales nocturnes lors de leurs navigations dans le Golfe relPve du non-sens. En ce qui concerne Bahrain, D. T. Potts a montrk que la distance reconnue par Strabon de dix jours de navigation A partir de Tkrkdon correspondait aux donnkes de la navigation traditionnelle: il faut environ 10 jours pour joindre Basrah A Bahrain dans un bateau A voile de type arabo- indien, le bourn (52). Mais il faut encore 10 jours, au moins, pour rejoindre le ras Musandam par vents favorables: aucun point du Golfe ne peut itre en meme temps A 10 jours de Tkredon et I jour du detroit dOrmuz puisque la distance entre les deux points dkpas- se 20 jours de navigation (53). Enfin, Grainger ((oublie)) qu’Arados/ Awal est le nom traditionnel de la deuxi6me grande ile de l’archipel de Bahrain, conserve dans le nom du village actuel dArad (54). Contrairement A ce que pretend Grainger, il est evident que Strabon et Pline parlent de la meme chose, pour la bonne raison qu’ils utilisent les memes sources constamment rkpktkes, c’est-A-dire les rapports des explorateurs d’Alexandre: Strabon decrit Bahrain com- me les iles erythreennes de Tyr et d’Arad, et si Pline ne connait pas la tradition phenicienne, c’est parce qu’il n‘a lu qu’un resume d’onksicrite et de Nkarque redigk par Juba (voir ci-dessous n. 56). I1 n‘y a 12 aucune manifestation d u n oubli quelconque de leurs origines par les habitants du Golfe, et toutes les reconstructions de J. D. Grainger A partir de cette fausse base de depart ne sont que pures fantaisies qui, malheureusement, lui servent A restituer une histoire sans fondement de la Phknicie-mPre (55); mais il est vrai qu’on entre la dans le domaine nouveau et ma1 connu de l’histoire- fiction.

La connaissance hellknistique du Golfe ne s’est guPre enrichie aprPs l’kpoque dAlexandre et aprPs que les Skleucides aient contrhlk la region jusque dans les premikres dkcennies du 11‘ s. av. J.-C: j’ai essay6 de montrer ailleurs (56) que la masse des donnkes rapportees par Pline Ctait sensiblement la meme que celle qu’on trouvait chez les explorateurs d’Alexandre, la c<mise a journ des donnkes par Juba ou Pline lui-meme &ant minime et son utilisation dIsidore de Cha- rax trPs incertaine. O n a vu aussi que l’auteur latin n’ktablissait pas de relation entre Tyr de la mer Erythrke et son homonyme en Phknicie: mais, au passage, il est capable de faire &tat de la tradition dune origine erythrkenne du peuple phknicien, qui lui est peut- ttre parvenue par le resume de Juba si celui-ci a utilisk les rkcits d’AndrosthPne, ce qui n’est pas du tout assure:

(CErythea [ile voisine de Gad&] est appelee ainsi parce que les Tyriens, ses premiers habitants, sont originaires, dit-on, de la mer Erythreeu (IV 22, 120, trad. G. Bunnens, L‘expansion phknicienne: 209). L‘information est reprise par Solin, ibid. p. 236.

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Au milieu du 11‘ s. ap. J.-C., le bref rkcit de Justin dans son rksumk des Philippiques de Trogue Pompke est intkressant par plusieurs aspects. Dans son expos6 sur la guerre de Pyrrhus, en 274 av J.-C., l’auteur juge utile, au detour dune mention des Carthaginois, de presenter en quelques mots l’origine des Tyriens, ((a qui il est arrivk beaucoup de malheursx

.La lignke des Tyriens a et6 fondhe par les Pheniciens, qui, ayant dQ quitter leur patrie dorigine A la suite d’un tremblement de terre, se sont d’abord install& prhs du lac Syrien [Syrium stagnum: un manuscrit porte Assyrium sfa- gnum], puis sont Venus habiter le littoral en bordure (de la Mediterranee), oh ils ont fond6 une cite qu’ils ont appelCe Sidon en raison de I’extrbme richesse de la mer en poissons [...ID (XVIII, 3, 2-4) (57).

Le texte ne parait pas Ctre une improvisation de Justin sur I’original de Trogue PompCe, puisque le prologue du livre XVIII conservk par Pline fait ktat d’un excursus sur les Sidoniens et sur I’origine des Phkniciens (58). Sans kvoquer le difficile probkme - sans rkponse possible? - de la, ou des source(s) de l’historien narbonnais de la fin du I“ s. av. J.-C., un point doit Ctre soulignk: si, comme on le dit parfois, Trogue Pompke a utilise I’ceuvre de Polybe, qui ne paraft s’6tre penchk nulle part sur le probkme de l’origine des Phkniciens, l’information sur la mer Erythrke aurait pu provenir du livre XI11 de l’historien, en grande partie perdu, le seul qui ait prkservk quelques notes sur le golfe arabo-persique (episode de Gerrha, XIII, 9, 4-5): on peut supposer que le texte original aurait contenu dautres infor- mations sur la mer Erythrke . . . Mais il ne s’agit que d’une hypoth6se largement gratuite, sans parler du probkme des sources des frag- ments polybiens perdus!

Des trernblements de terre ne sont pas impossibles dans la rkgion du Golfe, et ils sont kgalernent connus dans la mer Rouge, comme le souligne B. Couroyer (p. 268). Faut-il rappeler, a cette occasion, I’kpiclPse nsphalnois qui apparait sur une dCdicace B Poskidon recueil- lie B FailakaAkaros (59)? L‘interprktation la plus plausible est celle d’un dieu cprotecteur habitue1 des soldats de marine et des rnatelots)), mais il ne faut pas negliger le Poskidon &branleur de la terre, lib aux tremblements de terre.

Le ((lac syrienr qui a constituk la premiPre ktape des Phkniciens dans leur rnarche vers l’Ouest, a ktP diversement interpretk, le plus souvent en relation avec la mer Rouge, mer Morte, lac de Tibkriade, lac Houleh, etc. Personne n‘a, semble-t-il, jamais propose qu‘il pour- rait s’agir des marais du bas-Iraq, l’immense Hor a1 Hammar, qui aurait vraiment pu constituer ce que les latins appelaient un sfagnum; on insistera B ce propos, A la fois sur la confusion qui s’ktablissait souvent, dks 1’Cpoque de Strabon (et donc de Trogue Pompke), entre syrium et assyrium, et, plus tard, sur l’emploi du terme Assyria (au temps de Trajan, donc peu avant Justin) pour dksigner toute la

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region mksopotamienne, Babylonie (et marais) comprise (60): dans la langue de leur temps, Trogue PompCe et Justin auraient dG dksi- gner le Hor a1 Hammar comme un stagnurn assyriurn. Si cette inter- pretation devait ttre confirmee un jour, il s’ensuivrait que le r6cit de Justin (Trogue Pompee) serait l’information la plus coherente dune ((marche,) des Pheniciens depuis le Golfe vers la Mkditerranke via les marais de 1’Euphrate (61); il resterait a klucider si cette migration aurait eu lieu en ligne directe, par l’Euphrate et le desert syrien, ou via un detour par la mer Rogue et 1’Egypte - supra, hypothkses de Petrie et de Rice.

C’est l’inventeur de Byblos, M. Dunand, qui a le plus souvent cite Justin dam le debat sur l’origine des PhCniciens. I1 constate d’abord que la migration n’aurait pas pu se produire au debut du 111‘ millhaire, comme Herodote nous invite a le penser: cUne tradition rapportee par Justin, sous l’inspiration d’H6rodote [Note: une relation directe entre Justin et Herodote est plus que douteuse, Justin relatant deux elements du rkcit inconnus de l’historien grec; voir plus haut l’kvocation des sources de Trogue Pomphe], fait venir les Phhiciens de la c8te d’Erythrke, c’est-&dire de la mer Rouge ou du golfe Persique, dou les aurait chassks un tremblement de terre. Pour les temps knkolithiques, l’anthropologie s’oppose A cette origine. Dans les installations qui ont suivi, a Byblos tout au moins, rien ne rkvkle une rupture d’evolution avant la fin du 111‘ millknaire,; puis, A propos de la pknktration des Amorites en PhCnicie, l’auteur ajoute: ((On peut se demander si la tradition rapportee par Justin faisant venir les Phhiciens du golfe Persique ne se rapporte pas a cette migration orientale, (62).

I1 faudrait repliquer que les arguments anthropologiques man- quent de serieux: au moment de la redaction de la contribution de M. Dunand, il y avait deja un certain temps que les archkologues et les historiens refusaient d’appuyer leurs chypoth6ses migratoires)) sur des donnkes aussi fragiles - et partiales - que la criniomktrie et l’appartenance a des ((groupes raciauxr (63). D’autre part, on sait maintenant que les mouvements de populations ne sont pas seulement des migrations brutales et uniques, accompagnkes de changements ou dinnovations dans la culture materielle de la com- munautk ((rkceptrices, mais que de lents et progressifs dkplacements de petits groupes peuvent passer compl6tement inapercus dans la stratigraphie d’un site ou dans les artefacts rt.vi.1i.s par l’archkologie, tout en renouvelant une population donnee (voir les conclusions de cet article). Quant au probkme des Amorites, il relkve d u n autre debat qu’il n’est pas possible daborder ici: la relation entre les Amorites du 111‘ millhaire - jusqu’au debut du 11‘ - et les popula- tions contemporaines du Golfe est desormais bien attestke par des trouvailles en provenance de Bahrain et de Koweit et par les tablet- tes dEbla (64), mais aucun lien skrieux ne peut Gtre ktabli entre les

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Amorites et les Phkniciens et il est prkfkrable de dissocier les deux sujets.

Un demier point merite quelque attention. O n discute toujours sur l’ktymologie et le sens premier du mot grec +o!vtt qui a servi aux Grecs h dksigner les Phkniciens, euxm6mes ne se connaissant que comme Canaankens (65). La connexion avec la pourpre a sou- vent etk faite, sans qu’on sache si c’est le rouge du murex qui est A l’origine du mot +o!vtt, ce que sembleraient montrer quelques textes myckniens (66), ou si ce +o!vt5 (et ses dkrivks) exprimant d’abord une activitk artisanale, en est venu A dksigner par mktony- mie le pays et ses habitants ou elle se pratiquait (67). Cette immuable dialectique de l’ceuf et de la poule est parfois perturbke par le sens de ((pourpre)) qu’on veut assigner A la racine canaankenne kny, le pays de Chna citk par Hkcatke de Milet au VI’ s. av. J.-C. (Canaan) ktant alors le ((pays de la pourpre, (68),et Chna cite par Philon de Byblos dans son Histoire des Phkniciens devenant le pPre des Phkniciens (69). A dkfaut de rksoudre ces difficiles questions, il faut rappeler les sens de ((palmier-dattiern et de ccdatte, souvent attribuks A +oivtt; un sens voisin parait attest6 dans le Lin6aire de Pylos, mais il existe aussi une &pice pheniciennen (?) dans les tablettes de Cnossos (70). L’explication est parfois avancke que l’arbre aurait recu ce nom grec parce que ceux-ci l’auraient trouvk dans le pays de la pourpre, l’arbre de Phknicielpourpre devenant I’arbre et le fruit +oivtEy J. Muhly cite une ktymologie ancienne dans ce sens (71). L‘objection majeure est que, si quelques palmiers pousssent bien au Liban, ils ne sont pas dattiers, et le Liban n’a jamais ktk rkputk pour sa production de dattes (72). I1 faudrait alors chercher les sites du Levant oh le palmier ktait bien ktabli et supposer que les Phkniciens aient ktk les distribu- teurs de ces dattes qu’ils allaient chercher ailleurs; on a souvent propose que les dattes phkniciennes etaient celles de Jkricho, la plus proche et la plus grande palmeraie du Levant, mais aucun texte ancien (Bible, sources orientales ou classiques) ne fait ktat de rela- tions particuliilres entre Jkricho et les Phkniciens, bien qu’elles soient plausibles. La Phhnicie est restke like avec les dattes jusqu’h une epoque avancke de l’Antiquite, puisque Athknke cite un auteur co- mique du ve s. av. J.-C. (Hermippos) qui, au terme d’une enumeration des importations athkniennes, rappelle que ((la Phknicie envoyait le fruit du dattier et la semoulex on peut s’interroger, avec J. P. Brown, sur la valeur poktique (((amusing or charming))) d’un tel catalogue et y voir, par exemple, un inventaire de lieux communs plutbt qu’un vrai tableau du commerce athenien, mais le binbme dattes-I‘hknicie reste A expliquer (73). Indhpendamment de ces donnkes, il est de notoriktk ancienne que le bas-Iraq et 1’Arabie orientale sont le do- maine de la datte par excellence, disposant des plus grandes palme- raies du monde (74); d& le III’ millknaire, I’hpithPte Dilmoun servait a dksigner une varietk renommke de dattes, et une divinite du

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panthkon de Dilmoun parait avoir ktk directement associke au pal- mier, qui est un thkme frkquent dans l’iconographie des sceaux du Golfe (75). Plusieurs textes attestent que les dattes du Hasa ont etk rkputkes jusqu’a 1’Cpoque moderne: une grande partie en ktait exportke vers 1’Inde (oh elles constituaient l’essentiel des importa- tions en provenance du Golfe, avec les chevaux) ou vers les marchks mksopotamiens et plus occidentaux. Se pourrait-il que l’association entre la Phknicie et les dattes, qui parait Ctre un thkme rkcurrent dans les sources grkco-romaines, remonte a un antique skjour des Phkniciens dans les palmeraies du Hasa (mer Erythrke) et du bas- Iraq (Assyriurn stagnum) (76)?

Incontestablement, tous ces textes sont concis, peu nombreux et vagues; ils fournissent les bases sommaires d u n rCcit mythique relatant la venue des Phkniciens de la mer Erythrke, mais le recit lui-mCme manque: quand, pourquoi, comment, etc.? Reconstituer la genkse des Phkniciens A partir de ces seules bribes serait sGrement une erreur. Mais parce qu’ils existent, en provenance de sources diverses et indkpendantes, ces textes demontrent que le crkcit de fondation)) existait dans I’Antiquitk, aussi bien chez les Phkniciens de l’Ouest, ceux de la c6te du Levant, que chez les Phkniciens de l’Est, ceux de la mer Erythrke, ce r6cit ktant le mCme des deux c6tPs du desert. Chez les Phkniciens de I’Ouest, il parait caractkriser une population qui ne serait pas les Canaankens-Hkbreux, les Canaaneens-Syriens, etc, mais bien les Canaankens-Phkniciens, ceux de la partie centrale de la c6te. Sans doute n’est-il pas souhaitable daccepter ces contes comme la vkritable histoire, mais encore faut- il les prendre en considkration avec skrieux et ne pas les rejeter (Moscati), les oublier (Bondi) our les maltraiter (Grainger): au nom de quelle mkthode historique est-on en droit de refuser les recits de fondation des Phkniciens mais de disserter sur ceux dAthPnes, de Thkbes, de Carthage et dautres prestigieuses citks antiques, surtout - et c’est sans doute le point le plus decisif - lorsque le mythe est accept6 et rapport6 par les intkressks eux-mCmes (77)? Ce premier pas franchi, qui releve de l’klkmentaire m6thode scientifique, l’inter- prktation des textes demeure difficile, et l’apport de l’archkologie reste pratiquement nul; la voie de la recherche est dks lors ouverte sans anathkme et peut conduire, un jour, A une meilleure comprkhen- sion de ces mythes. Mais avant d’evoquer en conclusion quelques- unes des theories rkcentes qui pourraient contribuer a mieux com- prendre le problkme, il n’est pas inutile de rappeler le dkbat ancien qu’ont suscitk ces textes.

D. T. Potts a citk ailleurs des extraits de plusieurs intervenants dans le debat, et il ne parait pas utile de reprendre systkmatiquement

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tous les textes (78). On evoquera les discussions qui ont surgi au moment de la ccdecouvertez de Dilmoun, a la fin du XIX’ siecle, ou dominent les partisans convaincus d’Herodote dont les affirmations sont retenues prima facie, mais il faut rappeler que l’hypothkse d’une origine krythreenne des Phhiciens ktait banale dans le dkbat scienti- fique du dkbut du mkme sikcle. Lorsque, sous la double influence du romantisme et des dkcouvertes de Champollion, les savants ont commence a s’intkresser rkellement au Proche Orient, plusieurs d‘entre eux ont propose de vastes reconstructions ccracialesz (et parfois racistes) du Moyen Orient, fondbes sur les textes classiques mais surtout sur le livre des nations de la Bible (descendances de Sem, Cham et Japhet): je n’en citerai qu’un exemple, proposk en 1840 par le voyageur Euskbe de Salle (79), qui dhveloppe ailleurs I’hypothPse dune origine indienne de la race egyptienne, preuves linguistiques a l’appui (philisfin=palesfan en sankrit, etc.!):

.Les Pheniciens, les plus anciens navigateurs connus de la Mediterranee, avaient fait apprentissage sur la mer Erythree bien avant darriver a Sidon; Chanaan, leur premier shjour, est place sur la carte de M. Lenormant dans l’imamat actuel de Mascate. Le voisinage du golfe Persique a 6th choisi par lui de preference a celui de Babelmandeb, d’aprhs l’assertion de Pline; Volney, au contraire, fait partir les Pheniciens des iles qui sont au milieu mOme du detroit de Babelmandeb et de la cbte arabique voisine. Tous ces lieux portent des traces evidentes de bouleversements volcaniques [. . .]; Trogue Pomphe attribue expressement aux feux des volcans I‘kmigration des Pheniciens. Une navigation quelconque peut se supposer chez les riverains de la mer: elle peut s’affirmer chez des insulaires qui emigrentr (vol. 11, p. 43C-1).

Le Capitaine Dunand, inventeur du pass6 prC-islamique de Bahrain en 1879-1880, affirme sans retenue le caractere phhicien de l’fle. Dans l’article publii. dans le JRAS XI1 (1880), l’explorateur cite les passages connus dH6rodote et conclut:

U[ ...I possibly, these islands may have been the cemetery of Gerrha, which was the great Phoenician mart in these parts, and which is believed to have been at the bottom of the long bay behind Bahrain; while other causes, such as their fertility, and their abundance of watel; may have caused them to have been regarded as a paradise. The correct site of Gerrha has been somewhat disputed. D’Anville places it a t Katif; Niebuhr at Koweit or Grain; and Foster I think, probably correctly, at the bottom of the bay behind Bahrein>, ajoutant une rhference aux travaux de Vincent: *.Vincent makes Gerrha to have been on the the site of the present k f i f i and as to deducing Tyrians and Aradians from the name of fhese Gulf islands, says simply, and rather unfairly, that it is consonant with the perpefual vanity of the Greeks, who reduce everything unknown to the standard of their own fabulous histoya (p. 22-23). Mais l‘explorateur parait plus convaincu dans son journal: ult will however scurcely be called in question that the islands of Bahrein were in old days inhabited by a Phoenician race, and that they had here temples to their gods actually seen by Androsthenes, when he led the naval expedition under orders from the Macedonian boy-conqueror* (p. 31).

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Sir H. C. Rawlinson, l’assyriologue qui, le premier, a reconnu Bahrain comme Dilmoun, se montre plus prudent en commentant les dCcou- vertes du Capitaine Dunand; il place demblCe le dCbat dans le cadre des Ctudes sur xthe commerce and navigation of the ancients, (p. 3 9 , rappelle la lCgende dOannks, le dieu-Poisson de la mer ErythrCe qui aurait enseignk la civilisation aux Babyloniens (p. 40), et envisage la possibilitk que le golfe Persique ait ktk l’hsyrium Stagnurn de Justin (p. 43). Ses appreciations sur l’origine CrythrCennes des PhCniciens sont nuanckes:

UI shall not here critically discuss the question whether there really ever was any ethnic connexion between the islanders of the Persian Gulf and the founders of the Mediterranean sea-ports of Tyre and Sidon, because there is no direct evidence either for or against such as supposition to be derived from the inscriptions. The supposed similarity of name between Tylus and Aradus in the Persian Gulf, and Tsur and Arvad on the Phoenician coast, will not bear a moment’s seriow examinations; but at the same time I see nothing improbable in the Turanian immigrants who first colonized Babylonia from the Guy, having subsequently pushed on to the westward till they reached the shores of the Mediterranean 1.. .] lf any dependance is to be placed on the information given by the priests of Tyre to Herodotus, that the Temple of Hercules has been founded 2300 years before his visit - and viewed by the light of recent discovery as to the extreme antiquity of the historic monuments of Egypt and Babylonia, I can see no improbability in the statement -, this great Turanian immi- gration must have set in at least 5000 years ago> (56-57). Dans un autre passage cite par Potts, le savant parait moins hesitant: n l see no reasons for doubting the testimony of Androsthenes, that the temples on the island were similar to those of the Phoenicians - a fact which he, an inhabitant of Thasos, which was a Graeco- Phoenician colony, must have been a fully competent judge, - nor that the inhabitants preserved a tradition up to that time of their ancestors in remote antiquity having sent forth a colony in the Mediterranean* (Potts: 139, n. 221; Rice: 61).

Le rksident britannique en Oman dans les annkes quatre-vingts, S. B. Miles, a CtC citC plus haut, et on kvoquera brikvement sa reconsti- tution audacieuse des premieres populations dans la pkninsule do- man:

.The earliest race known to have spread over and occupied the peninsula are the Cushites [. . .]. For to these bold, adventurous Cushites, possible, are due, not only the beginnings of inland trade by carauan, but also the navigation of the Arabian Sea and the infantile efforts of maritime trade. 1.. .] they were perhaps not the only race who dwelt in that region at that remote period. There were, for instance, the Phoeni- cians, who, according to Herodotus, came to Palestine from the Persian Gulf and appear to have sojourned in Oman during their former migrations. The port of Soor, near Ras el-Had, has a name identical with that of Tyre or Soor in the Mediterranean, and was, beyond doubt, the prototype of it. (supra, n. 36: 2).

La thCorie a connu un grand succks pendant les premikres dkcennies du Xx’ sikcle (Potts fait Ctat des Cpoux Bent et de St. J. B. Philby), en dCpit des premieres oppositions, qui sont le mieux exprimkes par Sir A. T. Wilson en 1928, lorsqu’il discute les monts funhraires de Bahrain:

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<<The plan on which the tombs are built agrees in striking fashion with those known of the Phoenicians 1.. . I . The use of the double chamber or sepulchre has a Phoenician parallel, for there are examples of two-storied tombs in the cemetey of Amri t in Phoenicia, in Sardinia, and at Carthage. The similarity of the place-names, Tylus- Tyrus and Aradus [. . .] is also noteworthy, but in Rawlinson’s opinion inconclusive regarding their common origin. Theodore Bent, relying on these facts alone, calls the tombs ’Phoenician’ without further consideration, but on this matter; Dr. D. J Hogarth remarks: “The evidence for calling them Phoenician is worth practically nothing in the light of more recent research. The evidence on which the conclusion was arrived at was certain ivories in the British Museum originally found by Layard at Nimrud, which were put down as Phoenician because it was not then known that anybody else was capable of producing that kind of art. We now know that it is not in any w a y impossible that they should have been produced by peoples of North Syria, or by the Assyrians themselves, and the great bulk of authority now declares that they are not Phoenician” (ref, Geographical Journal, 1920, h i , Dec.). It results from the foregoing remarks, that the extent to which the Phoenicians were, if at all, engaged in trade, or resident in the Persian Gulf, is unknown or doubtful: it is, however; certain that important trade centres existed at several points on the Arabian shores from the remotest ages, and there is no reason to think that sea-borne traffic was otherwise than continuous during the first four millennia before our era> (80).

Le d6bat est cependant restk purement historique ou philologique (81) et ne parait pas avoir concern6 les arch6ologues, en particulier ceux du Golfe. Le Colonel F. B. Prideaux publie en 1908-1909 le rapport des fouilles qu’il a men6es Bahrain en 1906-1908 pour le compte de l’Archaeologica1 Department of the Government of India: l’hypothilse phenicienne est seulement citke propos du texte de Strabon (Rice: 106); E. Mackay, patronnk par la Brifish School of Archaeology in Egypt (1925), cite les opinions des 6poux Bent mais ne se prononce pas sur le problkme (Rice: 149); P. C. Cornwall n’est preoccupk que par I’identification de Dilmoun et ne mentionne pas les Ph6niciens (Rice: 192). M. Rice lui-mCme considilre que le Capi- taine Dunand s’est laiss6 emporter dans le commentaire d’un canard. rapport6 par H6rodote (p. 27). L‘explication de G. Bibby est plus klaboree et cherche justifier ses prkdkcesseurs: selon hi, Dunand aurait rapport6 de Bahrain des fragments de statuettes en ivoire que les experts du British Museum auraient comparkes a des piilces dorigine phenicienne (voir plus haut le commentaire de Hogarth, cit6 par Wilson); ale ma1 6tait d6ja fait,, selon I’expression de G. Bibby Iui-mCme, lorsque furent d6couverts Ies ivoires de Nimrud quelques annkes plus tard, et la confusion est restke dans l’esprit de nombreux savants (82). Du c6tk phknicien, on a citk plus haut les hypothkses mesurhes mais fausses de M. Dunand; D. Har- den, historien des Phkniciens dans les annkes soixante, ne rkfute pas I’hypothilse dune origine 6rythr6enne qu’il tient pour plausible (83), et on pourrait citer d’autres exemples dinterrogations relativement favorables a cette hypothkse. Pour terminer ce bref survol, on se refkrera une nouvelle fois a 1’Univers Phknicien: ((Or, mCme si les

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renseignements que nous apporte aujourdhui l’archkologie sont plus prkcis que ceux dont put se servir Hkrodote, l’existence possible dune migration de peuples Venus de la mer Erythrke en Syro- Palestine pendant le 111‘ millknaire n’aide pas A mieux comprendre la protohistoire phknicienne)) (84).

I1 est vrai que, dans les milieux scientifiques francais en particulier mais ailleurs aussi, le problhme avait ktk kclipsk, et en fait assimilk, par celui de I’origine des Skmites; la principale raison en ktait la dkcouverte des textes de Ras Shamra et, peut-Gtre, une certaine ((ambiance du temps)) (85): personne ne niera que le dkveloppement des recherches archeologiques sur les Canaankens, qui a abouti A ktablir le caracthre autochtone ou immigrk, selon le bord oh l’on se place, des populations de Syrie (Phknicie) et de Palestine, est ktroitement lie A la diffusion des idkes sionistes au Proche Orient et aux rkactions qu’elles ont provoquhes (86). L’indkcision est sans doute la mieux exprimke par Georges Contenau, La Civilisation Phtnicienne, Paris 1949. Son point de dkpart, fonde sur le plus grand nombre de traditions antiques (pas toutes, il est vrai), est que les Phkniciens ne sont pas une population autochtone du Levant mais qu’ils y sont arrivks A la suite dune migration tr&s ancienne; l’auteur cite alors la ((Table des Nations. de la Gen&se (Sidon est fils de Canaan, descendant de Cham fils de Nok), rappelle aussi l’ktroitesse des relations entre Canaan (donc la Phknicie) et I’Egypte comme le dkmontre Byblos depuis sa plus haute antiquite, puis cite Hkrodote, Strabon, Pline et Justin: la conclusion est sans kquivoque:

KLopinion gknerale qui faisait venir les Pheniciens du Golfe Persique les rangeait implicitement parmi les Semites et depuis les travaux de Movers cette opinion generalement suivie, mais parfois discutke, est devenue pr6pondCrante. Dail- leurs, les Pheniciens eux-memes y souscrivaient; ils se connaissaient sous le nom de Canaankensn (p. 287).

Mais le savant connait les limites de sa thkorie:

.On admet gknkralement aujourdhui que la civilisation de l’Asie Occidentale a pour origine celle des SumCriens, peuple non semitique qui 6tait d6ji etabli dans la partie sud des deux fleuves, bien avant le troisihme rnilknaire avant notre ere. 11s y avaient fond6 sur les rivages du golfe une serie de villes formant un arc de cercle qui repond B la limite des terres h cette epoque: aujourdhui ces villes, autrefois maritimes pour la plupart, sont ensevelies sous les sables du desert. Les fouilles effectuees sur ces fouilles tres antiques ont amen6 a cette conviction que, pour la plus haute Cpoque, la civilisation est uniquement sumerienne; au-dessus de cette couche primitive, on voit que %mites et %mi.- riens sont intimement mblangi.s, et nous touchons alors au d6but de l’histoire. Comment pouvons-nous admettre que les Semites, dont nous retrouvons mille temoignages de presence pour cette periode, aient pu traverser la Mksopotamie, du sud au nord, sans laisser de trace de leur passage et sans imprimer a la civilisation sumkrienne les modifications qu’ils lui ont fait subir plus tard?u (p. 285-286) (87).

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Pour repondre h ses propres interrogations, le savant kvoque la thkorie amorite, avant que le Jebel Bisri ne devienne le mystkrieux pays dAmurru et bien avant que les dkcouvertes dEbla ne viennent singulikrement modifier l’historie de la Syrie du Nord au 111‘ millk- naire. Mais cette hypothkse ne satisfait pas G. Contenau, et l’idke dune origine arabe des Skmites - et, par prktkrition, Crythreenne des Phkniciens - reste son fil directeur:

KLe debut de I’epoque historique (2800 environ) est une date relativement basse; de ce que les Semites sont a cette Cpoque en Amurru, s’ensuit-il qu’ils y aient toujours kte? N y a-t-il point place pour un habitat bien anterieur en Arabie? A m u m au lieu dCtre le berceau des Semites n’est-il qu’une &tape dans leur migration?* (p. 286).

Paradoxalement, le problkme s’est rapidement divisk en deux volets qui se prktendent indkpendants, mais n’en demeurent pas moins liks, celui des Canaankens du Levant et celui, plus gknkral, des Skmites du Proche Orient, personne ne prktendant, bien sGr, que les Canaa- nkens ne sont pas des Semites. Un premier temps a vu la dissociation entre la question de l’origine des Skmites et des Canaankens et l’histoire des Hkbreux, et les rapports entre la Bible et les textes de Ras Shamra ont ktk gknkralement ramenks h l’hypothkse d’une sour- ce commune, celle des ccmentalitks collectives)) du Levant protohisto- rique; dks 1937, le Pkre De Vaux avait montrk combien il Ctait dangereux de vouloir ktablir des kquations prkcises entre les textes bibliques et les mythes d’Ougarit (88), et la thkorie d’une origine des Canaankens et proto-Hkbreux dans le dksert du Nkgev ou sur les bords de la Mer morte, dans le pays de Midian (((the Negebife Hypothesis))), ktait h peu prks abandonnke (89). Cela ne signifie pas que les recherches sur le milieu culture1 et religieux oh est nke la Bible ont cessk, bien au contraire, et on continue dkcrire des dizaines darticles sur les textes de Ras Shamra comparks h 1’Ancien Testa- ment puisque ce sont les seuls textes disponibles sur le pays de Canaan; on rkalise ainsi que dautres influences se sont exerckes sur les rkdacteurs successifs de la Bible, par exemple en provenance d’Arabie (90), et surtout que la ((stratigraphic, des mythes, lkgendes, histoires, etc. qui servent de trame de fond au recit biblique doit beaucoup au monde babylonien (91). Faut-il voir 1h une invitation h poursuivre les recherches et chercher des fils hypothktiques qui pourraient lier des traditions bibliques, d’autres qui seraient propre- ment babyloniennes, et des traditions babyloniennes relatives au Golfe arabo-persique?

Une deuxikme dkmarche a consist6 h ktablir une filiation irrkfuta- ble entre les Phkniciens et les Canaankens leurs ancktres. Bien qu’il n’ait pas etk l’unique inventeur de cette thkorie, c’est h William F. Albright qu’on doit l’article ((fondateur, en 1942 (92): l’argumenta-

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tion, philologique mais surtout archkologique, ktablit une continuitk que personne ne prktend contester entre les habitants de l'espace phknicien des IVe, 111' et 11' millhaires et les Phkniciens du I" millknaire, et souligne le caractkre charnikre de la fin du 11' millknaire - ((invasions des Peuples de la Men - dans le processus formatif de la Phknicie proprement dite, dkbat longuement repris par la suite et qui n'a dkbouchk sur aucun consensus assurk. Etrangement, cette continuitk historique et archkologique est l'unique raison qui conduit Albright ii kcarter toute kvocation du problkme de l'origine des Phkniciens, sans qu'on puisse vraiment comprendre la portke de ses arguments. I1 convient de citer le propos en entier:

.There is no object in dealing in this paper with the origin of the Phoenicians. The time is past when we need discuss the Erythraean theory of Herodotus, or the derived speculations of Leiblein and other Egyptologists [. . .], or the most recent hypotheses of Virolleaud, Dussaud, and others, who brought both Canaanites and Israelites from the dry Negeb, south of Palestine. Nor need we stop to consider the prehistoric state of Phoenicia and Palestine and the question of the home of the Semites. The Canaanites may well have been settled in Palestine and southern Syria as early as the fourth millennium, and we know that their predecessors in the land were not appreciably dissimilar in race, judging from skeletal remains. The oldest towns in this region, whose foundations is dated by clear archaeological evidence before 3000 BC at the latest, already bear such excellent Canaanites names as 'yericho", "Beth-shean", "Beth- yerah", "Megiddo". The Phoenician cities, such as Accho, Tyre, Sidon, Sarepta, Byblos, Arce, Simyra, virtually all have good Semitic names, often names which may be called specifically Canaanite>, op. cit: 331-332 (93).

I1 n'est plus de mise, aujourdhui, de fonder une continuitk culturelle sur des restes humains (entre ((avant)) et le Iv" millknaire canaaden), et la pkriode prk-urbaine est certainement l'un des problkmes les plus difficiles de la proto-histoire de la rkgion. Si le phknomkne urbain apparait bien vers 3000 av. J.-C., aucun des prestigieux noms de villes citks par Albright n'est connu dans aucune inscription ni texte en langue canaankenne du III' millknaire, les premieres traces kcrites de la langue n'apparaissant que vers le milieu du 11' millknaire. Quelle langue parlaient les fondateurs de Jkricho, de Tyr ou de Byblos? (94). Nous l'ignorons, mais la seule continuitk archkologique (pour ne pas parler des restes humains) ne permet sh-ement pas daffirmer qu'il s'agissait du Canaanken. Ces deux objections mini- mes, et seulement relatives au texte citk, ne font qu'effleurer un dkbat infiniment plus complexe, en particulier sur le plan archkologi- que, dans lequel la filiation Canaanken-Phknicien n'est plus recue comme une donnke canonique, et voudraient montrer combien il faut se garder de simplifications excessives.

Les affirmations dAlbright, toutes attrayantes qu'elles aient ktk en dkpit de leurs faiblesses, posaient un problkme pour les ((thkori- ciens)) de l'origine des Skmites, au premier rang desquels il faut placer S. Moscati (95). L'historien et philologue italien dbfendait

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alors, avec dautres, I’hypothkse de vagues successives venues du coeur de la phinsule arabique, des &mites)) qui devenaient les ((populations semitiquesc( du Proche Orient:

u[. . .] the Semites are that people which, at the beginning of the historical era, is to be found dwelling in the Arabien desert, in homogeneous linguistic, social, and racial conditions. They were pastoral nomads, sheep-rearers, whose natural trend was to occupy the more fertile neighbouring lands, which offered the possibility of agriculture and of a settled mode of life. The course of h i s toy shows us in fact the working-out of this trend, the constant passage, sometimes peaceful and sometimes warlike, of the beduin into the agricultural regions, wi th the result that they were taken up into different ethnical g r o u p (p. 42).

La relation entre les Canaanbens, les Phhiciens et les Sbmites n’est pas toujours facile a prkciser, tant dans les textes bibliques que dans les autres donnbes philologiques rhgionales:

df then, Canaan is synonymous with Phoenicia, and Canaanite with Phoenician, there is no reason to regard the Canaanites as an independant population, still less one going back to the third millennium B.C.

I f remained to be explained how the word came into the current use. Here we must go to the Old Testament, where the names Canaan and Canaanites are used in two different senses: either to denote the coastal region and its inhabitants, approximately meaning Phoenicia and Phoenician, or to denote in general the region and fhe pre- Israelite population to the west of the Jordan. It is this second sense which has traditionally prevailed [...I. It is therefore in e v e y sense a reliable conclusion that the meaning “Phoenicia, Phoenicians” [denoting the coastal region] is in the Biblical text the more ancient one for “Canaan, Canaanites“, and that its extension [to denote in general the region] is a secondary phenomenon [...In (p. 83-84).

Enfin, l’histoire des diffbrents cycles de ((pousske)) arabo-sbmite vers le Proche-Orient rbvkle quelques conclusions parfois inattendues:

<<The invasion about 3000 B.C disappears from the historical picture, and with it the Canaanites; nevertheless the Semites are already in Syria from the third millennium B.C., and may have been there before it, as a result of a penetration which nothing proves to have been sudden or violent. A s for the invasion or penetration about 2000 B.C., the fact seems to us well enough established; but the name Amorites given to the invaders, as we have already seen with regard to Mesopotamia, is not justified. Finally, 1200 B.C. is merely an approximate date for the establishment in Palestine of the confederation of Israelite tribes, whereas their penetration was spread over centuries, and was at least in part a peaceful one, as also was that of the Arameans in the northr (p. 101-102).

On comprendra aisbment, A la lecture de ces citations un peu lon- gues mais qui sont loin d6tre uniques - l’ensemble de I’ouvrage ne manque pas de vues non-conformistes -, qu’il devenait de plus en plus difficile d’aborder le problkme de l’origine des Phkniciens, et il s’avkrait plus simple de le supprimer, en recourant B des artifices idkologiques qui permettent de faire fi des rba1iti.s archbologiques, philologiques ou historiques et d’inventer un d e w ex machina, op- portun, I’apparition impromptue de la Phhicie et des Phhiciens

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vers 1200 av. J.-C., ou un peu plus tard, gramrnatici cerfant. DPs lors, dans l’ouvrage qui fonde la nouvelle histoire phknicienne, S. Moscati rappelle que, depuis Albright, il est vain de vouloir discuter de l’origine des Phkniciens, regrettant en mCme temps que des savants confirmks comme 0. Eissfelt. G. Contenau ou D. Harden continuent i le faire; puis il cite les sources classiques favorables A une origine autochtone des Phkniciens - Philon de Byblos (96) -, et conclut:

uCet ensemble de traditions et de travaux tendant 1 cemer la provenance de la nation phenicienne repose sur l’hypothese de I’existence comme telle de cette nation avant son apparition historique sur la cBte mediterraneenne. Nous avons vu, au contraire, qu’une autonomie quelconque et une union des cites phenicien- nes en un complexe historique et culture1 ne peuvent remonter aux debuts de l’histoire, mais beaucoup plus tard. Cest la raison pour laquelle le probleme des origines devient sans fondement. La formation de la nation phenicienne, dans ses limites assez vagues, parait Ctre le resultat dune evolution historique b l’interieur de la region syro-palestinienne, et non le resultat d‘une migration en provenance d’ailleurs [...I. De ces premices il decode que c’est un non-sens de postuler I’arrivee massive de nouveaux peuples qui seraient B l’origine de la nation phenicienne, et de leur chercher des traits raciaux spkcifiques. Dans la complexite anthropologique de la region syro-palestinienne i cette kpoque, qui temoigne de la rencontre entre les types Arabes et Armkniens, les Phkniciens n’offrent aucune caractkristique speciale. Leur langue, comme celle de leurs voisins, est semitique [. . .] Nous pouvons donc conclure que l’autonomie des Phkniciens en tant que peuple se dktermine a la suite de conditions geographi- ques et historico-politiques particulihres, mais qu’elle ne saurait se situer en aucune facon sur le plan des origines ou de la race, (97).

Ce refus des traditions anciennes phkniciennes - parce que mkme si elles nous sont donnkes par des kcrits grecs ou latins, elles ont dabord 6th exprimkes par les Phkniciens eux-mCmes - et des kvkne- ments historiques qu’elles pourraient avoir recouverts n’est fondk, chez Moscati, ni sur une critique des sources classiques (elles ne sont mCme pas citkes), ni sur une analyse philologique ou linguistique, ni sur des donnkes archkologiques (il revient aux spkcialistes de la ((culture canaankenne, de dkmontrer le thPme de la continuitk canaanko-phhicienne), ni mCme sur une thkorie gknkrale du peuple- ment ancien du Proche Orient (cf , la difficile adkquation entre l’his- toire des Skmites et celle des Phkniciens, supra); tout repose sur une dkfinition maderne de la notion de peuple, certainement pas acceptke par l’ensemble des historiens, anthropologues et politicologues (98), qui klimine aiskment les problPmes historiques au profit dune vague idke d ((identiti! nationale phknicienne,, qu’aucun texte phknicien ou classique ne vient dkfinir ou mkme laisser soupconner: en fait, le problkme de l’origine des Phkniciens es t devenu une affaire didkolo- gues (et de politiques), et peut-Ctre serait-il temps qu’il revienne enfin dans le champ des gens compktents - historiens et archkolo- gues -, celui que G. Bowersock a heureusement ouvert et oh dau- tres seraient prCts A le suivre.

*

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A leur corps dkfendant, les Phkniciens et leur histoire ont subi tant6t les effets dune hypercritique radicale, tant6t ceux de choix idkologiques qui les ont repousshs dans le camp des opprobres (99), tant6t ceux de gknkralisations ma1 fondkes sur des prkmices insuffisantes (100); toutes ces attitudes ont rkduit les Phkniciens au silence, eux-mGmes n’ayant laissk que trop peu de textes et d’inscriptions, et ceux qui parlaient deux ou leur donnaient la parole ktant rejetks comme tkmoignages non-valables. Sous cette chape de silence imposke, le problilme de l’origine des Phkniciens ne pouvait que devenir une sorte de nebuleuse incertaine qu’il fallait 2 tout prix kviter daborder. Le zoxO< n’est pourtant pas une invention des historiens modemes; de leur temps, les Grecs dissertaient sur la vkritable origine des Etrusques (Denys dHalicarnasse et Hkrodote), sur l’origine indienne des Ethiopiens (Hkrodote), sur le berceau des Iberes dEspagne et des Ibilres du Caucase, etc. Contrairement 2 ce que prktendent Moscati et Garbini, tous ces problilmes ne relkvent pas dune fantaisie antique ou moderne, mais constituent bien les bases d’un dkbat antique qu’il nous est interdit d’ignorer (101).

La tradition herodotkenne dune venue des Phkniciens depuis les bords du golfe arabo-persique au dkbut du 111‘ milknaire av. J.-C. a trouvk dautres partisans, de source indkpendante, parmi les auteurs de l’Antiquitk, mais elle se heurte a un apparent vide archkologique, au moins dans la ligne dune archeologie fondke sur la thkorie des ((pots and peoples((. I1 y a une Claire continuite des cultures matkriel- les canaankennes dans le milieu urbain qui se dkveloppe a partir du dkbut du Bronze Ancien (ca 3000-2800 av. J.-C.), et on ne trouve aucun pot des peuples de la mer Erythrke dans l’espace phknicien - mais plusieurs rkgions de la rive arabe du golfe connaissent a la mGme epoque une civilisation florissante fondhe sur l’agriculture irriguke. Plus tard, les donnkes archkologiques ne sont guilre plus explicites. On a souvent soulignk les rapports qui existent entre la glyptique du Golfe - sceaux de Dilmoun - et les representations de la glyptique syro-anatolienne a la fin du III’ et au II’ milhaires av. J.-C (102); bien que ces parallilles Cvidents nous rapprochent de l’espace phknicien, il vaut mieux ne pas y voir quelques mouvements de populations (103), mais seulement des jalons le long dune route commerciale active dont les plus anciennes traces kcrites se trouvent dans les tablettes dEbla, vers 2500 av. J.-C. (104). Cet axe Golfe- Euphrate-Nord-Est de la Mkditerranke orientale (Syrie du Nord et Anatolie) est encore bien vivant au I“ millknaire av. J.-C., et plusieurs donnees des cultures matkrielles dilmounites de l’ige du Fer s’appa- rentent a des modilles du Levant (105); des monnaies phkniciennes du IT s. av. J.-C. ont 6th retrouvkes en Arabie orientale, et un fils de Phenicien, capitaine de navire, a ktk enterre a Bahrain vers le 11‘1 I“ (?) s. av. J.-C. (106). Mais il ne faudrait pas attacher trop dimpor- tance A ces donnhes limitkes en nombre et relativement fragiles -

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et kvoquer par exemple un retour des Phkniciens dans leur patrie dorigine, ou une cccolonisation)) du Golfe par ces mOmes Phkniciens. O n sait que le mouvement commercial le long de l’axe Golfe- Euphrate-Syrie du Nord est devenu a nouveau intensif dks les pre- miers sikcles du I“ millknaire av. J.-C. (107); il n’y a rien dktonnant i ce que des Phkniciens soient prksents sur cet itinkraire de commer- ce, mais rien dans l’archkologie ne dit si la rkgion du Golfe qu’ils atteignent leur est ktrangkre (Golfe colonisk par les Phkniciens, cf. Grainger) ou familikre (ancienne mkre-patrie, homonymie des villes, traditions de migrations anciennes).

Est-ce a dire que le problkme de l’origine krythrkenne des Phkni- ciens est hors de notre portke? (108) Peut-Otre, mais moins qu’il ne pourrait le sembler si nous savons faire confiance aux textes et aux futures dkcouvertes archkologiques, et, parfois, renouveler nos modes de penske. L‘analogie pourrait Otre ktablie - mais ce n’est qu’une hypothkse de travail - avec les nouveaux modkles proposes pour expliquer la diffusion des langues indo-europkennes et des multiples mouvements de populations qui l’ont accompagnke; on sait maintenant qu’il n’existe pas plus dkquation entre une langue et un peuple qu’entre des ((pots and peoples,, et C. Renfrew vient de reposer le problkme indo-europken en terme darchkologie pro- cessuelle (109). L‘auteur propose plusieurs modkles archkologiques de changement linguistique qui sont tous liks i une kvolution dk- mographique et a une organisation sociale; il retient le modkle de la vague davancke, c’est-a-dire une percolation mathkmatique de proche en proche qui aboutit B un renouvellement complet (ici linguistique) de la population d’une rkgion donnke, sans qu’aucun pot n’ait ktk vu! Mais Renfrew kvoque aussi le pastoralisme nomade comme facteur de mobilite linguistique. I1 n’est pas question, dans l’ktat des connaissances actuelles, d’appliquer stricto sensu les modk- les proposks par Renfrew a un Moyen Orient dont l’histoire linguis- tique est encore trks incertaine (110), et d y puiser des elkments de reponses aux problkmes des Skmites ou des Phkniciens: il faut construire des modkles propres au Moyen Orient et la tiche sera longue (111). Mais peut-ttre ce dkbat peut-il contribuer h ouvrir de nouvelles voies de recherches, sur les Phkniciens en particulier, fondkes sur la bonne foi et d o i seraient absents les anathkmes, les exclusions dincompktence et les diktats idkologiques.

References 1. D’autres ont trouvk des mktaphores d’un ton diffkrent: <Academic historians, like frufflehounds, only go where there are traditional rewards to be had)) Grainger JD. Hellenistic Phoenicia. Oxford: Clarendon

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Press, 1991: 2. O n verra plus loin que la quete n’a pas ktk tr6s heureuse pour Grainger. 2. Bernal M. Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civiliza- tion, vol. I: The Fabrication of Ancient Greece 1785-1985. London: Free Association Books, 1987, et vol11: The Archaeological and Docu- mentary Evidence. New Bmnswick: Rutgers University Press, 1991. Les comptes rendus critiques du volume I de Bemal sont trks nom- breux (le vol. 2 recontrera shement moins de succks), et on ne les citera pas ici: pour les Phkniciens, on se reportera aux remarques de Bikai PM. Black Athena and the Phoenicians. lournal of Mediterranean Archaeology 3: 1990: 67-75. 3. Moscati S. Studi Fenici 3. Origini dei Fenici. Rivista de Studi Fenici 3: 1975: 11-13: a n popolo si definisce per un nome, un’area geografica, una coerenza storica e culfurale: in tal senso, non appare legittimo proietar- re la cultura fenicia prima dell’eta del Ferro,. Lors du premier Congrks d’Etudes Phkniciennes et Puniques en 1979, la question est poske par Garbini G. Chi erani I Fenici? Atti del I Congress0 internazionale di Studi Fenici e Punici. Roma: Consiglio Nazionale delle Ricerche, 1983: 27-33; le terme mer Rouge n’apparait pas dans l’article et, dans les pas de W. F. Albright, l’idke s’impose que seuls les Canaa- neens sont dignes d’etre considkrks comme les ccancCtres)) des Phkni- ciens. 4. Les notes avolontairement brkves, de Moscati (p. 12) rkpondent h l’article de Couroyer B. 0.p. Origine des Phkniciens. Revue Biblique 80: 1973: 264-276. Aux remarques citCes dans la note prkckdente, Moscati ajoute deux arguments: Ules auteurs anciens ne sont gukre crkdibles dans la mesure OG ils n’ont pas la meme vision que les savants modemes sur le problkme de l’origine des peuples (point 5, p. 12) - ce qui revient h kliminer tout ((rkcit de fondation, antique; Ul’auteur de l’article a nkgligk de prendre en considkration la littkra- ture la plus rkcente sur le sujet, en particulier les travaux de S. Moscati hi-mtme (point 6 et note 26, ibid.): MacAdam HH. Dilmun revisited AAE 1/2-3: 1990: 85, note 174: dkfinit l’article de Moscati comme une ((unconvincing reply.. Pour rendre justice au pkre Cou- royer, je voudrais rappeler qu’il ktait l’un des principaux et des plus consciencieux responsables du catalogage de la bibliothkque de I’Ecole Biblique francaise de Jkrusalem, en mCme temps qu’un savant trks versk dans I’archkologie et la philologie palestiniennes et Cgyp- tiennes; sa cnkgligence, ktait sGrement consciente, et son refus de discuter les thkories de Moscati sans doute une manikre daffirmer qu’aucune interprktation historique ne peut etre aussi directive que celles proposkes par le savant italien. 5. ((The connection betwen the Phoenicians and the Persian Gulf comes from a beliei recorded by Herodotus, that the Phoenicians originated in the region of the Persian Gulf and later migrated to the Syrian coast. This idea played an important role in the so-called “Negebite Hypothesis”,

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which dominated Ugaritic studies in fhe 1930's but has since been repudi- afed by every competent scholar working in the field)), Muhly JD. Homer and the Phoenicians. The Relations between Greece and the Near East in the Late Bronze and Early Iron Ages. Berytus XIX 1970: 19-64 (citation p. 25). Garbini G. Paisa. La Parola del Passato 39: 1984: 39-41, rappelle aussi qu'il faut Ctre uskrieux)) sur cette question et traite l'article de B. Couroyer de cervellotiche illazionb; l'auteur n'apporte pourtant aucun argument [je souligne] dans sa rkfutation dune origine krythrkenne des Phkniciens qu'il considere comme une cccosa chiaramenfe inventafa,, par les Phkniciens eux-mCmes: on aime- rait savoir pourquoi. 6. (The ancient tradition in Herodotus (1 I; V1189), Sfrabo (1, 2, 35: X V l , 4, 271, Pliny (H. N. IV 36 [corriger: 221) and finally Justin (XVlII, 3, 2-4) is fairly unanimous in the idea that the Phoenicians were immigrants, supposedly from the Red Sea, I f is rather easy to see in this an aefiological explanation of the name of the Phoenicians, and we may consequently ignore the historical-geographical aspect. The tradition of a non-autochtonous settlement of Phoenicia, however, seems to be clearly indisputable)). Rollig W. On the Origin of the Phoenicians. Beryfus 31: 1983: 79-93 (ci- tation: note 12, p. 80). Voir aussi Rollig W. Die Phonizier des Mutter- landes zur Zeit der Kolonisierung. dans: Phiinizier im Wesfen, ed. H. G. Niemeyer=Madrider Beitrage 8: 1982: 15-30. 7. Dans un article rkcent sur les Phkniciens chez Hkrodote, notre principale source sur une possible origine krythrkenne de ce peuple, Bondi SF. I Fenici in Erodoto. Htrodote et les peuples non grecs. Gene- ve: Entretiens sur l'Antiquitk Classique XXXY 1990: 255-299, traite de la question en moins de huit lignes (p. 257). Bondi, entretiens Hardt 1988 publiks en 1990, ne cite pas Bowersock, colloque de Bahrain 1983 publik en 1986 (infra). Voir aussi Bondi SF. Li origini in Oriente dans: 1 Fenici, ed. S Moscati, Bompiani, 1988: 28-37. 8. Gras M, Rouillard P & Teixidor J. L'univers phtnicien. Paris: Art- haud: 1989: 27-28. 9. Bowersock GW. Tylos and Tyre: Bahrain in the Graeco-Roman World. BTA: 399-406. Les donnkes prksentkes dans cet article, parce qu'elles reposent en majoritk sur les mCmes textes que ceux qui ont ktk citks par G. Bowersock, pourraient sembler parfois dupli- quer sa contribution; tel n'ktait sQrement pas mon but en tentant dapporter quelques klkments nouveaux de rkflexion. Voir aussi les pertinentes remarques de MacAdam, Dilmun revisited: 67-69, qui kvoque A cette occasion le probkme de l'artisanat de la pourpre, peut-Ctre dorigine minoenne (infra, note 67). 10. Le commentaire suivant, qui kvoque la manikre dont G. Bower- sock a trait6 ailleurs de la chute de l'empire romain, me parait tout fait adkquat pour caractkriser son approche du probleme par opposition A celle des contempteurs de l'origine locale des Phkni- ciens: u l am always impressed by authors who can make hamburger of

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sacred cows, and if the old and popular conception of the “Decline of the Roman Empire” [Gibbon] were ever such a beast, it is now served up to the reader as a chopped sirloinz (Lincoln CE. review of The Collapse of Ancient States and Civilizations, ed. by N. Yoffee and G. L. Cowgill. A]A 16: 1989: 461-476, citation p. 461). 11. Potts DT. The Arabian Gulf in Antiquity, vol. II., From Alexander to the Coming of Islam, Oxford: Clarendon Press, 1990: 139-141 (ci- dessous TAGA). Salles JF. L’Arabie sans Alexandre (compte rendu de Potts, supra), Topoi 2: 1992: 201-235. 12. Grainger, Hellenistic Phoenicia: 192-198. 13. Pour respecter l’objectivite du debat, il faut rappeler que les Pheniciens contestent cette version: ccAu sujet d’Io, les Pheniciens ne sont pas daccord avec ce recit des Perses: ils pretendent qu’ils n’utiliskrent pas de rapt pour l’emmener en Egypte, mais qu’elle avait A Argos des relations avec le patron du navire et que, quand elle s’apercut qu’elle etait grosse, craignant ses parents, elle s’embar- qua alors de son plein gre avec les Pheniciens pour ne pas 6tre decouverte, (I, 5, ibid.). 14. Voir les commentaires de Lloyd AB. Herodotus Book 11, Commen- tary 1-98, Leiden EPRO 43 [vol 21, 1976: 205-207, qui se rake a la thkse d’une fondation ancienne de Tyr (3“ mill.) et dune re-fonda- tion a la fin du 2‘ millhaire, voir plus loin. 15. Salles J-F. Les Achemenides dans le Golfe arabo-persique. dans: Achaemenid History. IV Centre and periphery, ed. H. Sancisi-Weerden- burg & A. Kuhrt. Leiden: Nederlands Instituut voor het Nabije Oosten: 1990: 111-130. I1 faut ce propos refuter un argument de V Berard rapport6 par B. Couroyer (Origine des Pheniciens: 268), selon lequel Herodote ne pouvait pas avoir connaissance de la region du Golfe pour la bonne raison que celle-ci n’aurait et6 decou- verte par les Grecs qu’au moment des explorations d’alexandre. 16. La premikre mention du golfe arabo-persique semble remonter A Hecatee de Milet, une ou deux generations auparavant, FGrHisf: I, Hecatee, F. 281 (l’ile Kurk, dans le golfe persique). Pour les diffbrents emplois du terme ccmer Erythree, chez Herodote, voir Lloyd, Com- mentary 1-98: 49-50; dans les exemples qu’il cite, l’auteur ne fait pas mention des textes relatifs aux Phkniciens. Voir aussi les remarques similaires de Ph. Legrand, traducteur d’HProdote dans la coll. Bud6 (Les Belles Lettres), s. v. I, 5, note 2. 17. Ph. Legrand, coll. Bud6 (Les Belles Lettres), S.V. VII, 89, note 1. 18. Sur ce point et le suivant, commentaires de MacAdam, Dilmun revisited: 53, avec references A l’ouvrage de Petrie (The M k i n g of Egypt) et a l’article de Rice dans BTA: I’idee reste sans aucun support litteraire et/ou archeologique. 19. Moscati S. The Semites in Ancient History, Cardiff: University of Wales Press, 1959. 20. Muhly, Homer and the Phoenicians: 24-25. L’explication pour-

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rait remonter a Ctksias, I'un des premiers a avoir kcrit sur l'Orient, si on en croit Strabon, XVI, 4, 20: le geographe avait trouvk l'infor- mation dans les kcrits dArt6midore. Voir aussi Burstein SM. Agat- harchides of Cnidus On the Erythraean Sea. London: The Hakluyt Society: 1989: 45, n. 2. 21. L'auteur n'est connu que par quelques gloses: Drews R. The Greek accounts of Eastern History. Cambridge: The Center for Helle- nistic Studies, 1973: 21 et 29; voir aussi MacAdam, Dilmun revisited 84, note 161. 22. Burstein Agatharchides: 42-45 (apud Photius). Voir aussi Strabon XVI, 4, 20, pour cette version de l'histoire. Commentaires sur le mythe dErythras par Goukowsh P. Les juments du roi Erythras.

23. Goukowski, Les Juments: 118 n. 39, souligne que le nom Eryth- ras n'ktant parvenu en Grkce qu'au dkbut de l'kpoque hellknistique, il ne peut en aucun cas expliquer le terme ((Erythrke,. 'EpuOpoS ((rouge) (du verbe kpS680) est attestk dks Homkre, et se retrouve en mycknien e-ru-to-ro: Chantraine P. Dicfionnaire Etymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris: Klincksieck, 1988. 24. Arrien, Ind., 37, 3; Strabon, XVI, 3, 5; Pline, VI, 107. 25. Goukowsky, Les Juments: 126. 26. Sur ce point, Casson L. The Ancient Mriners . Princeton: Univer- sity Press, 1991, 2nd edition. 27. C'est cette double fondation qu'kvoque A. B. Lloyd dans son commentaire, supra. Bunnens G. L'expansion phe'nicienne en Miditerra- ne'e. Institut Historique Belge de Rome, 1979: 292-298, ktudie atten- tivement les traditions relatives aux origines de la Tyr phknicienne - sans s'attarder cependant sur les visions poktiques et mythologi- ques de Nonnos de Panopolis, livre 40, 298-579. 28. I1 faut cependant rester vague sur la notion de sites du Bronze Ancien au Liban: a l'exception de Byblos, OG le passage du IV millk- naire 2 l'installation urbaine du III' n'est pas trks clair (et ce n'est pas le lieu ici de prksenter l'immense bibliographie du probkme archkolo- gique qu'on peut rksumer sous le terme ((Proto-Urbain))!), la plupart des trouvailles datables des premiers sikcles du 111' millknaire provien- nent de nkcropoles et non de sites dhabitat: la proto-histoire canaa- nkenne reste encore trks ma1 connue dans le territoire central de la Phknicie. 29. Sur les donnkes archkologiques relatives a la fin du IVldkbut du 111' millknaire dans le Golfe: Cleuziou S. Dilmoun-Arabie [en marge de C. M. Piesinger, The Legacy of Dilmoun]. A M B i : 27-58; TAGAI: ch. 3. The Late Fourth and Early Third Millenniums BC: 62-92. L'archkologie des bords de la mer Rouge au 111' millknaire demeure inexplorke. 30. L'article de Sasson JM. Canaanite Maritime Involvement in the Second Millennium B.C., JAOS 86: 1966: 126-138, effleure a peine

REG 87: 1974: 111-137.

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le 111‘ millhaire. Le fait que les [nkol-Assyriens n’aient commenci. a s’interesser a l’occident qu’au Ix’ s. est un argument de peu de poids de la part de G. Bunnens (115-116; citation p. 116): dune part, il y avait des [palkol-Assyriens au III’ millhaire, et dautre part, ce ne sont pas les raids vers 1’Ouest qui apportaient les marchandises dAssyrie en Phhicie, mais bien les PhCniciens eux-mkmes qui al- laient les chercher sur place, L‘Univers Phknicien: 81: Voir aussi Zadok R. Phoenicians, Philistines and Moabites in Mesopotamia. BASOR

31. Elle est peut-ktre prksente dans le mythe d’Erythras, qui ne mentionne pas les Pheniciens; on a vu que la tradition ktait plutbt perse. 32. TAGA’: 181-190, 219-226. Les details du commerce de Dil- moun sont traites par Heimpel W. Das Untere Meer. ZA 77: 1987: 22-91. Sur le marchand de Dilmoun - alik-Tilmun - Leemans WF. Foreign Fade in Old Babylonian Period. Leiden: Studia et Docurnenta ad Iura Orientis Antiqui Pertinentia, 6: 1960: dernikrement, Edens C. Dynamics of Trade in the Ancient Mesopotamian ”World System”. American Anthropologist 94: 1992: 118-129. Pour une reprise du commerce dilmounite au 1“ millhaire: Salles J-F. Les kchanges com- merciaux et culturels dans le Golfe arabo-persique au I“ millhaire av. J.-C. Reflexions sur Makkan et Meluhha. API: 67-96. 33. L’historien grec ne se fait pas dillusion excessive: en rejetant les theories ou lkgendes perses et phkniciennes sur les origines des guerres entre les Grecs et 1’Asie (logioi: I, 1-5), Herodote affirme sa rkelle independance aprks avoir sacrifii. aux rkgles litteraires en usage de son temps, c’est-&dire le recours aux traditions: Drews, Eastern History: 89. Voir aussi Latteiner D. The Historical Method of Herodofus. Toronto: University of Toronto Press (Phoenix Supp. xxiii), 1989: 35 sq. 34. Evans JAS. Herodotus Explorer of the Past. Princeton: Princeton University Press, 1991 (Essay Three: Oral Tradition in Herodotus: 89-146). 35. Pour Homkre, voir plus loin. 36. Miles SB. The Countries and Tribes of the Persian Gulf. London: Frank Cass & Co Ltd: 2nd edition 1966 (1st edition 1919): 476 (Miles a rCdigC ses notes dans les annCes 1880). 3 7. Communication personnelle, citke dans Salles J-F. L’Arabie sans Alexandre. Topoi 2: 210. 38. Contra Rey-Coquais J-P. Arados et sa PLrke aux kpoques grecque, romaine et byzantine, Paris: BAH 1974: 93. L’auteur cite les iles du golfe Persique et rappelle l’antiquiti. d’Arad, attestke dks le 111‘ millenaire dans les textes Cgyptiens; il rappelle les genealogies bibli- ques et l’hypothkse de Dussaud sur une origine krythrkenne des PhCniciens (ibid.: 9 4 , mais derive ensuite vers des discussions anth- ropologiques contestables (voir plus loin les dhkoriesn de M. Du-

230: 1978: 57-65.

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nand). Rey-Coquais rappelle justement que le nom AradIArwad est trks commun en Mkditerranke orientale, toujours pour des iles, et que son sens en phknicien est: cle refuge,. 39. Bunnens, L‘expansion phinicienne: 299, pense que la confusion qui fait de ((Sidonien, un synonyme Be ((Phknicien)) rksulte d’une mauvaise interprktation d’HomPre par ses lecteurs classiques. 40. Le texte grec est thalassa eryfhra: il ne peut pas y avoir de relation linguistique entre erythua, rouge, et phoinix, rouge: l ’dymo- logies avancke par les auteurs anciens, dont Strabon, est fondke sur le sens, et ne constitue qu’une explication a posteriori, qui ne donne pas la rkelle origine du mot ’phknicien’, toujours dkbattue - infra. 41. Pour la vision des Phkniciens chez HomPre, commercants rouks et voleurs de femmes, voir Bunnens, L‘expansion phinicienne: 92-99. Sur Homere et l’Orient lointain, Goukowski, Les Juments d’Erythras. 42. Mais Orthagoras, citk en XVI, 3, 5 avec Nkarque, est inconnu. 43. Pkdech P. Historiens compagnons d’Alexandre. Paris: Les Belles- Lettres, 1984: 343 et 403. 44. Murray 0. Herodotus and Hellenistic Culture. CQ n.s. XXII: 1972: 200-213 (citation p. 206). Voir aussi Bosworth AB. From Arrian to Alexander Oxford: Clarendon Press 1988 (Ch. 3). 45. FGrHist, I11 C, 711 (p. 592-596). Voir aussi les remarques de G. Bowersock sur Androsthkne Tylos and Tyre: 405. 46. Gachet J. & Salles J-F. Iconographie et cultes A Failaka, Koweit. 1. Sur une statue de dauphin. Mesopotamia XXV: 1990: 193-215. 47. Androsthkne est-il all6 h Gerrha? I1 aurait alors visit6 ce qui consti- tue aujourdhui les ruines de Thaj, en Arabie orientale. Sur Thaj et Gerrha, voir Lombard P. The Salt Mine Site and the ’Hasaean’ Period in Northeastern Arabia. dans: Araby the Blest. Studies in Arabian Ar- chaeology, ed. DT Potts. Copenhagen: CNIP, 7: 1988: 117-135; kgale- ment, Potts, TAGA’: 85-97, et mes reserves sur son interprktation du commerce de l’encens gerrhken, Epoi 2 (1992): 221. 48. Potts, TAGA’: 129-138, h complkter avec Amigues S. Le tkmoi- gnage de 1’Antiquitk classique sur des espPces en rkgression. Revue Forestitre Francaise XLIII: 1991: 47-58. 49. Grainger, Hellenistic Phoenicia: 192-195. Voir mon compte rendu dans le prochain JHS, 50. &rtt ~ a i n o h t ~ 1 ~ 6 t ~ f - l KC^ Au6iaq ~ a i IIiot6iaq), kd. G. Dindorf, 1825: 428. La mention d’une ville Tyr en Inde n’est sans doute pas une confusion de la part dEtienne de Byzance, mais une indication sur les liens ktroits qui unissaient le golfe arabo-persique au monde indien - voir mon intervention ((Fines Indiae - Ardh el- Hinds au colloque Roman and Byzantine History in the East. History, Prosopography and Archaeology, Cracovie, sept. 1992. Sur les Phkni- ciens en Inde, Tam WW. The Greeks in Bactria and India. Cambridge: University Press, 195 I, Munshiram Manoharlal reprint 1980: 329. 51. Note 22 p. 194. Herodote n’est pas citk par Grainger. Celui-ci se

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range du c8tk ades autres, (ceux qui ont renversk les donnkes d’Hkro- dote et de Strabon XVI): parmi eux, il pourrait y avoir Strabon lui- mCme, qui a exprimk des incertitudes dans son livre premier, et la Real Encyclopiidie (PW), cf. Bowersock, Tyre and Tylos 405, n. 12. 52. Potts, TAGA’: 127. 53. C’est comme si l’on recherchait une ile sur le trajet, h peu prPs kquivalent en distance totale, d’Alexandrie h Byzance: 17 h 20 jours de traverske (Casson L. Speed under Sail of Ancient Ships. TAPA 82: 1951: 136-148 - voir p. 145; la longueur du voyage est confirmke par une navigation de Gaza h Byzance en 20 jours, citke par Rougk J. Recherche5 sur l’organisafion du commerce maritime en Mkditerranke sous I’Empire romain. Paris: SEVPEN: 1966: 99): file devrait Ctre situke h un jour de navigation au sortir d’Alexandrie et dix jours sous voile depuis Byzance . . . 54. Potts, TAGA’: 126127, avec toute la bibliographie. Bowersock faisait ktat de la meme information dans l’article que Grainger re- jette. 55. Le thPme est rkpkte en plusieurs circonstances, mais il est rksu- mk dans le paragraphe suivant: <The evidence, therefore, for Phoenician activity in the lands to the east fades away as the Hellenistic period passes. 1.. .I The Phoenician presence in the east had begun back in the Persian period, and continues in the third century as a result principally of Alexander‘s sponsorship. But the Ptolernaic control of most of the Phoenician home-cities cut the Phoenicians of the east from their roofs, and their expansion was thus thwarted. By the time the Seleukid victory in the Fifth Syrian W a r had transferred the Phoenician homeland to Seleukid control, the impetus to expand to the east had faded, and such Phoenicians as had settled there had been assimilated by the indigeneous populations. There is no clear evidence of any Phoenicians in the east in the second or first centuries BC. 1.. .I Instead, the Phoenicians of Phoenicia largely concentrated on expansion, in both trade and settlement, to the west)) (p. 197-198). 56. Dans un article sous presse: Dkcouvertes du golfe arabo-persi- que aux kpoques grecque et romaine, Colloque de la Sophau (Nantes 1991); voir aussi L’Arabie sans Alexandre (compte rendu de D. T. Potts, The Arabian Gulf in Antiquity, vol. 11), Topoi 2: (1992):

5 7. Edition: M. Iuniani Iustini Epitoma Historiarum Philippicarum Pompei Trogi, ed. 0. Seel, Teubner 1972. Une traduction anglaise est proposke par Watson Rev JS. justin, Cornelius Nepos and Eutropius. London: G. Bell, 1897. 58. Pompei Trogi Fragmenta, ed. 0. Seel, Teubner, 1956: 128. 59. Marcillet-Jaubert J. Une nouvelle inscription grecque h Failaka. Failaka, Fouilles FranCaises 1986-1988, Lyon: TMO, 18: 1990:

60. Voir les remarques dkfinitives de Maricq A. La province d’c(As-

201-235.

193-1 95.

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syrie)) crkee par Trajan. A propos de la guerre parthique de Trajan. Syria: 36 (=Classics et Orientaha 6): 1959: 254-263 (sp. 258-259). 6 1. Bunnens, L‘expansion phknicienne: 174-186, souligne I’importance du tkmoignage de Trogue Pompke sur la fondation de Carthage et l’expansion phknicienne en Mkditerranke occidentale. 62. Dunand M. Phenicie. Supplkment au Dictionnaire de la Bible VII: 1966: col. 1141-1204 (citations col. 1162 et 1171). 63. O n evitera de s’attarder sur les cdolicockphales de petite taille)), (<brachyckphales Venus du Nord,, etc citks h l’appui de ses propos (en citant Dunand lui-meme) par Rey-Coquais, Arados: 94 (1974). 64. Zarins J. MAR-TU and the land of Dilmun. BTA: 233-250. Pettinato G. Dilmun nella documentazione epigrafica di Ebla. dans: Dilmun, New Studies in the Archaeology and Early History of Bahrain ed. D. T. Potts. Berlin: BBVO, 2: 1983: 75-82. 65. Ap-Thomas DR. The Phoenicians. dans: Peoples of the Old Esta- ment Times, ed. DJ. Wiseman. Oxford: Clarendon Press: 1973: 259-286 (voir p. 262, des gens de la region de Carthage qui se dksignent encore comme Canaankens au temps de St Augustin). ((The people of Tyre, Sidon, etc, consistently called themselves “kninu” and their land “kknaan”. W h y the Greeks called them “Phoenicians”, we do not know. The explanation that “Phoenicia” was the source of the purple murex-dye is modern, not an ancient etymology)), Drews R, Eastern History: 151, n. 56. Une explication kgyptienne a ktk parfois propo- ske: ccfenkhun = bGcheron= Phknicien, eu egard aux relations ancien- nes (111‘ millenaire) et ktroites (Byblos ktait un ((district, du royaume egyptien, infra note 94) qui unissaient la vallhe du Nil et les monta- gnes du Liban pourvoyeuses d’arbres - rhfkrences dans Ap-Thomas, supra. 66. Watelet P. Les Phkniciens et la tradition homkrique. Studia Phoe- nicia 1-11. Histoire Phknicienne. Leuven: OLA, 15: 1983: 233-243. 67. Vandersleyen C. L’ktymologie de Phoinix, ((Phknicien)). Studia Phoenicia K Phoenicia and the East Mediterranean in the first millennium B.C. Leuven: OLA, 22: 1987: 19-22. L’auteur remarque (n. 16: 22) que pourpre n’est pas synonyme de rouge, puisque le terme peut dksigner une substance de couleur bleue ou brun-noir. Watelet, citk dans la note prechdente, rappelle que le travail de la pourpre n’est pas l’apanage des Phkniciens, puisque Homkre cite une femme de Carie teintant avec de la pourpre (p. 241). Voir aussi le mot en chypriote syllabique qui dksigne le fabricant de pourpre, Masson 0. Elhments de la vie quotidienne dans I’kpigraphie chypriote. dans: Chypre. La vie quotidienne de I’Antiquitk iz nos j o w s (Actes du Collo- que, Muske de l’Homme), kd. Y. de Sikk. Paris, 1985: 87-90. Je n’ai pas eu acch A la t h b e de Christopher Edens (Harvard Univer- sity, Peabody Museum) sur ses trouvailles archhologiques au Qatar (IIIe-IIe millknaires) et le travail de la pourpre dans le golfe arabo- persique h l’kpoque de Dilmoun. Le murex est abondant dans les

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eaux du Golfe, mais pas en quantite suffisante, de nos jours, pour une exploitation de la pourpre; il est courant dans les fouilles de Bahrain et de Koweit, sans atteindre les proportions (industrielles)) nkcessaires a la fabrication de la teinture de pourpre. La presence de cette poudre de teinture est attestee dam quelques fonds de vases recueillis i Failaka dans les ruines de la fin du 111‘ millhaire. ((Further evidence of a marine-dye industry of Late Bronze date in the Gulf could only strengthen the conviction of those who would not dismiss out of hand the ancient tradition of an “Eryfhraean” element in Phoenician culture)> souligne MacAdam, Dilmun Revisited: 69; voir aussi les rkferences citees par MacAdam A propos du travail de la pourpre a Palaikastro en Crete dPs le MMII (travaux de D. S. Reese), c’est-A- dire au debut du 11‘ millhaire, bien avant les Phhiciens. 68. Bonnet-Tzavellas C. La ICgende de Phoinix A Tyr. Studia Phoeni- cia K Phoenicia and the East Mediterranean in the first millennium B.C. Leuven: OLA, 22: 1987: 113-123 (sp. p, 122); Astour MC. The origin of the Terms ”Canaan”, ”Phoenician” and ”Purple”. ]N€S XXIX 1965: 346-350, rappelle l’origine de cette assimiliation Chna= pourpre mais prkf6re un sens de aCanaan)) apparente A une racine signifiant ccvers l’Ouest,, ce qui, en termes de geographie klkmentai- re, ne peut provenir que de populations ayant reside A un moment de leur existence A l’est de la Syrie. 69. C. Bonnet-Tzavellas, ibid. Pourtant, Baumgarten AI. The Phoen- ician History of Philo of Byblos, Leiden: Brill, 1981, fait de Chna (((whose name was changed to Phoenix)), p. 216 et n. 8), c-A-d Canaan et Phoenix, le frPre de Syrios, le Syrien (p. 232). 70. Wathelet, Phhiciens et tradition homkrique; 236. Muhly, Ho- mer and the Phoenicians: 32-33. 71. Voir les articles de C. Bonnet-Tzavellas, J. Muhly, D. Ap-Tho- mas et P. Wathelet cites plus haut. Les amateurs que cite C. Vanders- leyen pourraient aussi proposer que la confusion vienne dune assi- milation phonhtique abusive entre les racines semitiques qui ont donne naissance i tamar, la datte, et hamar, rouge. 72. Une etude sur le palmier-dattier au Liban ktait annonche pour le deuxiPme volume de Brown JP. The Lebanon and Phoenicia, Ancient Texts illustrating their Physical Geography and Native Industries, vol. I, The physical setting and the forest. Beirut AUB Press, 1969: 42-43, qui n‘a jamais 6t6 publie. 73. Pour la semoule (sernidalis), voir recemment Salles J-F. Du bk, de l’huile et du vin ... Notes sur les &changes commerciaux en Mkditerranee orientale vers le milieu du I“ millhaire av. J.-C. (IPre partie). Dans: Achaemenid History. VI. Old cultures in a new empire, ed. H. Sancisi-Weerdenburg & A. Kuhrt. Leiden: Nederlands Insti- tuut voor Het Nabije Oosten, 1991: 207-236. 74. Une etude de cette richesse (CdattiPrer avait tit6 abordke par Paul Sanlaville lors d’un expose qu’il a present6 en 1990 dans le

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cadre du skminaire LArabie et ses Mers borditres. Pour l’exploitation de la datte dans I’Antiquitk, Landsberger B. The Date-Palm and its By-Products According to the Cuneiform Sources. Graz: A f o Beiheft, 17: 1967. 75. A1 Nashef Kh. The Deities of Dilmun. BTA: 341-366 (sp. p. 346, et notes). 76. Dans la mCme veine de relations anciennes entre la Phknicie et la rkgion du Golfe, faut-il Cvoquer le fait que I’akkadien e d A dksigne le cuivre, richesse par excellence de Dilmoun A la fin du III‘/dkbut du 11‘ millknaire? (The Assyrian Dictionary [CAD] of the Oriental Institute of the University of Chicago, S.V. - vol. 111). ErGA pourrait-il Ctre l’une des racines constitutives de ((krythrke)), mycknien d’origine orientale (?) e-ru-to-ro, associant le golfe arabo-persique, la Mkditer- ranee orientale et le cuivre? Si l’hypothkse s’avkrait dkfendable, elle n’offrirait cependant aucune explication plausible de ((Phknicie/ Phkniciens)). 77. G. W. Bowersock n’hksite pas A parler de manipulation: ((Another good example of the politics of history can be seen in the modern treatment of traditional accounts on the Phoenicians. From the time of Herodotus until the Roman emperors it was believed in both the Phoenicians cities of the Mediterranean coast and the cities of the Arabian Gulf that the original Phoenicians had actually come from the Gulf. This tradition has seemed so surprising to Western historians that they have preferred either to forget i f or to reverse it and send the Phoenicians to the Gulf. Yet the Phoenicians themselves accepted the tradition. In this persistent refusal to fake seriously the ancient story of Phoenician origins, we are confronted once again with a manipulation of the past)), Bowersock GW. Palestine: Ancient History and Modern Politics. Dans: Blaming the Victims, ed. E. W. Said & C. Hitchens. London-New York: Verso, 1988: 186. 78. Potts, TAGA’: 139-141. Sauf emprunts a Potts signalks comme tels, toutes les citations sont extraites de Rice M. Dilmun Discovered. Bahrain: Department of Antiquities and Museums, and London: Longman, 1983, qui reproduit les articles suivants (citks ici): Captain Durand, Extracts from Report on the Islands and Antiquities of Bahrein. journal of the Royal Asiatic Sociefy XI1 Part I1 (New Series): 1880: 189-227, Sir H. Rawlinson. Notes on Capt.’s Durand report upon the Islands of Bahrain. Journal of the Royal Asiatic Society, ibid.; E. Burrow. Tilmun, Bahrain, Paradise. Scriptura Sacra et Monuments Orientis Antiqui, Heft 2. Romae: Sumptibus Pontificii Instituti Biblici, 1928: 3-25. Toutes les renvois de page sont A Rice. 79. Euskbe de Salle (Ancien premier interprkte de I’armPe d’Afrique, Professeur de I’kcole royale et spkciale des langues orientales vivan- tes, membre de la Sociktk Asiatique, etc.), Pirigrinations en Orient (ou voyage pittoresque, historique et politique en Egypte, Nubie, Syrie, Turquie, Grkce pendant les annkes 1837-38-39), Paris, Pa- gnerre Editeur, 1840, 2 vol.

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80. Wilson Sir AT. The Persian Gulf, A n Historical Sketch from the Earliest Times to the Beginning of the Twentieth Century. Oxford: Clar- endon Press, 1928: 31-32. 81. L’assyriologue E. Burrows s’est penchk sur le problkme de Dil- moun et du Paradis, et relkve propos de la tradition phknicienne: ((This may be a genuine tradition of a Semitic migration, but it could also be a misunderstanding of a Phoenician tradition that in Bahrain was fhe first home of man, or (more probably) a genuine tradition of the Phoenici- ans assimilating their own particular origins to those of humanity. A national legend that the Tyrians had come to Tyre from Tilmun, the earthly paradise, wodd account for the idealistic assimilation of Tyre to the earthly Paradise in Ezechiel 28, 11-16, (Rice: 182). 82. Bibby G. Looking for Dilmun. Harmondsworth: Penguin Travel Library, 1984 (lere kd., 1969): 35. 83. Harden D. The Phoenicians. London: Thames and Hudson, 1962: 21 (2nd ed. 1974). 84. Gras, Rouillard & Teixidor, L‘Univers Phknicien: 28. 85. Ce que Bernal definit comme la suprematie de 1’cExfreme Aryan Model)), en regrettant, par exemple, que les idkes de R. Dussaud n’aient pas ktk mieux repes: Black Athena I: 432. Cest assurkment cette assimilation que J. Muhly frappe d’anathkme lorsqu’il se rkfkre a la ((Negebite Hypothesis, rejetke par tous les scientifiques compk- tents (Homer and the Phoenicians: 25), mais le savant de Philadel- phie ktablit lui-mCme une confusion volontaire entre le problkme limit6 de I’origine des Phkniciens qu’il rkduit i une ((affaire grecque)) et celui, plus large et secondaire, de celle des Semites: c’est bien ce qu’exprime G. Bunnens lorsque, aprks avoir expos6 I’histoire de la pphknicophobie)) (de C. Autran i R. Weill) et les changements de perspective imposes par les dkcouvertes de Byblos ou de Ras Sham- ra, il regrette que ales idkes anciennes ne soient reprises de temps en temps)) en citant l’article de J. Muhly (L‘expansion phtnicienne: 10, n. 33) . 86. Recemment, Silberman NA. Between Past and Present. Archaeol- ogy, Ideology and Nationalism in the Modern Middle East. New York, Anchor Books Doublebay, 1990 (first published Henry Holt and Company, 1989). 87. Faut-il souligner combien, en dkpit dun langage nouveau au- jourd’hui, les conclusions de G. Contenau reflktent - dans leurs lignes gknkrales - les recherches les plus rkcentes sur la basse- Mesopotamie et le Golfe? 88. De Vaux R.; 0.p. Les textes de Ras Shamra et 1’Ancient Testament, Bible et Orient. Paris: Les Editions du Cerf 1967: 425-256 (=RB XLVI, 193 7: 526-555). Voir aussi Albright WF. Archaeology and the Religion of Israel. Baltimore Johns Hopkins Press, 1968 (5‘ ed.: 59-61). 89. Sauf dans le cas extrCme de Saliby K. The Bible came from Arabia, London: J. Cape, 1985.

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90. Ryckmans G. L’Arabie antique et la Bible. LAncienf Estamenf et 1’Orient. Louvain Orientalia et Biblica Lovaniensia: I, 195 7: 89-109. I1 vaut mieux eviter dutiliser Montgomery JA, Arabia and the Bible. Philadelphia University of Pennsylvania Press, 1934. 91. Par ex., Cazelles H. La Bible et son Dieu. Paris: Desclke: 1989: 11: cc[h propos de la naissance du royaume d‘lsruel 2 la fin du 1F milltnaire] Son administration utilise ”la langue de Canaan”, l’kcriture alphabkti- que qu’ont inventee les commercants phkniciens, les rkcits dorigine qui sont Venus sur la cbte en suivant l’expansion de la culture babylonienne [. . . I D (voir aussi le chapitre premier: Hommes, tribus et dieux avant Israel et sa Bible). 92. Albright WF. The Role of the Canaanites in the History of Civilization. dans: The Bible and the Ancient Near East, (Essays in Honor of William Foxwell Albright), ed. G. E. Wright, New York: Doublebay, 1961: 328-362; kdition r6visi.e d u n article paru dans Studies in the History of Culture (The Waldo H. Leland Volume), Menasha, Wisc., the George Banta Publishing Company, 1942: 11-50. C’est G. Garbini qui considere cet article comme la pierre angulaire de l’histoire des Phkniciens, par ex. 1 Fenici. Storia e Religio- ne. Napoli: Istituto Universitario Orientale XI, 1980 (Ch. I, Chi furono I Fenici, voir p. 3-5, entre autres); ou, Chi erano I Fenici? Atti del 1 Congress0 lnternazionale di Sfudi Fenici (supra, note 3). La question dkbattue entre Garbini et Moscati sur la date dapparition des Phkniciens, debut ou fin du 11‘ millhaire, n’entre pas dans le cadre d’une rkflexion sur les Phkniciens de la mer Erythree: aucun des deux n’y fait la moindre allusion, voir Moscati S. La questione fenicia. L‘enigma dei Fenici. Milano: Arnaldo Mondadori Editore:

93. W. Albright n’est pas toujours aussi sevPre avec la tradition dHkrodote, qui lui sert ailleurs A combattre les theories extrkmistes de J. Beloch: <<Once more, we find that the radical criticism of the past half century musf be corrected drastically. With all the recognized weaknesses of Herodotus he still knew more ubouf the Phoenicians than Beloch and his followers, and the authority of Thycidides remains unim- paired>, Albright WF. New Light on the Early History of Phoenician Colonization BASOR 83, 1941: 14-22 (cit. p. 22). 94. Le probleme fut Cvoquk jadis par Dunand M. Byblia grammata. Documents et recherches sur le diveloppemen f de l’tcriture en Phknicie. Beyrouth, 1945: Les inscriptions pseudohikroglyphiques de Byblos: 71-138 (tablettes de bronze, spatules de bronze, sthles, etc.). DerniP- rement, M. Sznycer a propose de revoir l’ensemble de la question de ces inscriptions “syllabiques“, Colloque CNR, uBiblo. Una cifta‘ et la sua culturar, Rome 5-7 XI1 1990, sous presse dans Rivista di Studi Fenici. 95. Moscati S . The Semites in Ancient History (supra, note 18). L’unitk culturelle des Semites est ainsi dCfinie par Moscati: ((A true and

1982: 11-26.

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complete unity of the Semites is hence to be found only within the Arabian desert, and in nomadic conditions of life. Thus we may solve our problem by saying that by “Semites”, in the sense in which the term denotes a strict unity, we must understand the nomad beduin of Arabia. Here the community of geographical habitat, of language, and of historico-cultural process is complete, and here therefore are verified the conditions which are required for ethnic unity. When, howevel; the nomads infiltrate into the surroundings regions, and graft themselves upon the various cultural stocks to be found there, they thereby cease to be simply ‘Semites“, and become “Semitic peoples”. This distinction is one of no little importance, because in this latter case we hav.? no longer a single people, but several different ones, in each of which the originally Semific element becomes crossed with, and fuses into, those already existing in that region)) (p. 32). ((The thesis we have expounded is not in any way a pre-historical reconstruction. On the contrary, it is a recognition of historical facts, namely of the periodic movement of nomads towards the desert, which our sources document for us with an abundance of data, (p.33). 96. Le problPme de la valeur historique de l’ceuvre de Philon de Byblos, qui se fonderait sur un historien phknicien du VII‘ s. av. J.- C., Sanchuniathon, est trop complexe pour etre abordk ici, meme sous forme d’une bibliographie abondante: Philon ne fait jamais 6tat de la mer Erythrke, mais que rapporte-t-il vraiment (supra, note 69)? L’affirmation du caractkre autochtone des Phkniciens n’est pas totalement Claire chez Philon; elle est poktique et mythologique dans le long pokme de Nonnos de Panopolis, au V s. ap. J.-C. (Dionysiaques, livre 40: 429-521, double mythe de la fondation de Tyr et de l’invention de la navigation), et il est extremement difficile de dkterminer ce qu’il peut y avoir comme ((fonds historiquer dans ces rkcits: l’kditeur de la coll. Loeb commente: *Where, if anywhere, Nonnos found this extraordinary tale of the founding of Tyre is unknown,, vol. iii: 197. Une chose parait Claire: aprks le 11‘ s. ap. J.-C., la tradition d’une origine erythrkenne semble avoir disparu au profit dune tradition dautochtonie; mais il est vrai aussi que les pretres de Tyr avaient vu disparaitre leurs ((archives, depuis bien longtemps (supra). 97. Moscati S . L’kpopke des Phkniciens. Paris: Fayard, 1971 (kd. fran- Cake; 1966 kd. italienne): 21-22. 98. En kcho A la note 3, supra, on peut citer cette autre affirmation sans rkplique de S. Moscati: {Lhiarita la questione del nome, occore osservare che essa certa non esaurisce quella del popolo: e richiamarsi a ci? che la scienza moderna [je souligne] intende per popolo, ciie un aggregato di persono possono essere diverse per razza e provenienza, ma che assumono caraterre omogeneo per avere in comune un’area geografica [brutalement nouvelle dans l’espace phknicien vers 1200 av. J.-C.], una lingua e un process0 storico-culturale. Partendo da questa definizione, a agevole osservare che, nel lung0 period0 della storia che antecede l‘eti del

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Ferro, le cittir che poi si chiameranno fenicie non presentato un’aprrezzabile configurazione in autonomia rispetto all‘entroterra~, L‘enigma dei Fenici:

99. Voir, sur ce point, le Ch I de Gras, Rouillard Teixidor, L‘Univers Phtnicien: 11-24, ainsi que Bikai PM. Rich and Glorious Traders of the Levant. Archaeology 43l2: 1990: 22-30. 100. L’expression de L. T. Geraty revient B plusieurs reprises dans la discussion de l’exposk de Mulhy JD. Phoenicia and the Phoenicians. Biblical Archaeology Today (Proceedings of the International Con- gress on Biblical Archaeology, Jerusalem, April 1984): Jkrusalem: IESlASOR 1985: 177-191; respondents p. 215-229 (voir aussi p. 228 les critiques de D. Stronach sur une assimilation excessive entre ((pots and peoples,). 101. Dans le cas des PhknicienslLibanais - l’association n’est pas mon invention -, il faudrait aussi kvoquer les problilmes de 1’Pmigrationlimmigration modernes. Depuis les travaux de Sklim Abou, le Liban est devenu une sorte d’archktype pour l’ktude des migrations dans une petite nation vivante sur les plans kconomique, social et culturel: il n’est pas question de projeter les propositions de S. Abou dans l’antiquitk, mais comment ignorer leur pertinence dans le cadre d u n processus interprktatif de longue durke? 102. Potts DT. Dilmun’s further relations: the Syro-Anatolian evi- dence from the third and second millennia B.C. BTA: 389-398. 103. Des ((seals and peoples, qui dkriveraient trPs vite vers le pro- blilme des Amorites! 104. Outre Potts, Dilmun’s further relations et TAGA’: 181 sq., 229 sq., voir les rkfkrences citkes dans la note 64, supra. 105. Le sujet est trait6 dans sa thPse inkdite par Lombard P. LArabie orientale ir 1’Age du Feu, Thkse de Doctorat, Universite de Paris I, 1985. Un exemple peut en Stre trouvk dans Lombard P. Une coupe B boire en argent et ses accessoires h Tell Khazneh. FFF 11: 292-290. 106. Potts DT. Pre-Alexandrine Phoenician Staters. AAE 2/1: 1991: 24-30. Marcillet-Jaubert J. Stille funkraire du Muske de Bahrain. Syria XLVIIl3-4: 1990: 665-673. 107. Salles, Les kchanges commerciaux: 67-96. 108. I1 ne faut pas dksespkrer des recherches rkcentes: parce qu’ils ne sont pas I’objet des mSmes anathPmes que les Phkniciens, les Nabatkens (et le problkme de leurs origines) ont fait l’objet de nombreuses ktudes, la derniilre en date, et sans doute l’une des plus riches en problkmes a venir, Ptant celle de Graf DF. The Origin of the Nabataeans. ARAM 2 / 1 4 1990: 45-75. 109. Renfrew C. l‘tnigme indo-europtenne. Archtologie e f langage. Pa- ris: Histoires Flammarion 1990 (kdition originale anglaise: 1987): ch. 6: 147-174 (Langue, population et organisation sociale: une appro- che processuelle), mais aussi les ch. 7 (Les premiilres dispersions linguistiques en Europe) et 8 (Les premihres langues indo-iraniennes

13-14.

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et leurs origines). I1 faut complkter la lecture de Renfrew par l'impor- tant dossier de critique pluri-disciplinaire (C. Renfrew et les Indo- Europeensu dans Topoi 2: 1992: 69-130. 110. ((La langue d'Ebla, prksente dans le nord de la Syrie au 111' millhaire avant J.-C. est parente des langues skmitiques. Les dkpla- cements des langues skmitiques ultkrieures, comme l'arabe, indi- quent une origine plus mkridionale situke en Arabie, ou l'on peut envisager de cons truire une thkorie du "foyer" semitique)), Renfrew, L'knigrne: 208. Mais, comme l'admet l'auteur, ((l'kpaisseur temporelle)) empkhe que de telles affirmations ne soient plus que des postulats. 111. Pour 1'Arabie prk-historique, voir les travaux de J. Zarins citks par S. Cleuziou (supra, note 28), ainsi que Cleuziou S & Tosi M. The Southern Frontier of the Ancient Near East. dans: Soufh Asian Archaeology VU, Aarhus 1985, ed. K. Frifelt & P. Sorensen, Copen- hagen: Scandinavian Institute of Asian Studies Occasional Papers, 4: 1989: 15-47.

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