Les monnaies d’or d’Auguste : l’apport des analyses élémentaires et le problème de...

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* Cet article procède d’un projet plus large intitulé ‘L’analyse élémentaire du monnayage d’or augustéen: nouvelles données pour la numismatique et l’histoire’ et soutenu par l’INSHS du CNRS au titre du dispositif PEPS 2009. Nous remercions T. Volk pour ses précieuses remarques lors du Congrès. 1 Maître de Conférences à l’Université d’Orléans, IRAMAT, Centre Ernest-Babelon, UMR 5060 CNRS-Université d’Orléans, 3D rue de la Férollerie, F-45071 Orléans cedex 2; [email protected] 2 Ingénieur de Recherche CNRS, IRAMAT, Centre Ernest-Babelon, UMR 5060 CNRS-Université d’Orléans, 3D rue de la Férollerie, F-45071 Orléans cedex 2; [email protected] 3 Directeur du département des Monnaies, Médailles et Antiques de la BnF, 58 rue de Richelieu, F-75002 Paris; [email protected] 4 Morrisson 1985. 5 Duyrat / Olivier 2010. 6 Il y a une continuité stylistique entre les monnaies de la dixième salutation impériale et les monnaies ultérieures jusqu’au principat de Tibère, où l’on sait (Strab. 4.3.2) que Lyon frappait l’or et l’argent (Sutherland 1976, pp. 45-49). LES MONNAIES D’OR D’AUGUSTE: L’APPORT DES ANALYSES ÉLÉMENTAIRES ET LE PROBLÈME DE L’ATELIER DE NÎMES * ARNAUD SUSPÈNE 1 , MARYSE BLET-LEMARQUAND 2 , MICHEL AMANDRY 3 Pour compléter l’enquête sur l’or monnayé romain des troisième et quatrième siècles publiée en 1985, 4 une sélection représentative de monnaies d’or romaines frappées entre Sylla et Néron provenant majoritairement de la Bibliothèque nationale de France ont été analysées à l’Institut de Recherches sur les Archéomatériaux (IRAMAT, Centre Ernest-Babelon, CNRS-Université d’Orléans) au moyen de deux méthodes non destructives: l’activation protonique (AP) et la spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec ablation laser (LA-ICP-MS). L’examen des teneurs en platine et palladium, éléments traceurs de l’or du minerai jusqu’à la monnaie, permet de distinguer l’or romain de l’or hellénistique (Fig. 1). 5 Cela prouve que la refonte des ors orientaux n’est pas la source de l’or monnayé d’Auguste. Ce résultat spectaculaire nous a incités à réexaminer l’épineux dossier des ateliers occidentaux d’Auguste pour l’or et l’argent à la lumière des analyses. Fig. 1. Graphique des teneurs en palladium en fonction de celles en platine pour les ors hellénis- tique, républicain et augustéen (teneurs normalisées à la concentration en or).

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* Cet article procède d’un projet plus large intitulé ‘L’analyse élémentaire du monnayage d’or augustéen: nouvelles données pour la numismatique et l’histoire’ et soutenu par l’INSHS du CNRS au titre du dispositif PEPS 2009. Nous remercions T. Volk pour ses précieuses remarques lors du Congrès.

1 Maître de Conférences à l’Université d’Orléans, IRAMAT, Centre Ernest-Babelon, UMR 5060 CNRS-Université d’Orléans, 3D rue de la Férollerie, F-45071 Orléans cedex 2; [email protected]

2 Ingénieur de Recherche CNRS, IRAMAT, Centre Ernest-Babelon, UMR 5060 CNRS-Université d’Orléans, 3D rue de la Férollerie, F-45071

Orléans cedex 2; [email protected] Directeur du département des Monnaies, Médailles et Antiques de la

BnF, 58 rue de Richelieu, F-75002 Paris; [email protected] Morrisson 1985.5 Duyrat / Olivier 2010.6 Il y a une continuité stylistique entre les monnaies de la dixième

salutation impériale et les monnaies ultérieures jusqu’au principat de Tibère, où l’on sait (Strab. 4.3.2) que Lyon frappait l’or et l’argent (Sutherland 1976, pp. 45-49).

LES MONNAIES D’OR D’AUGUSTE: L’APPORT DES ANALYSES ÉLÉMENTAIRES ET LE PROBLÈME DE

L’ATELIER DE NÎMES*

ARNAUD SUSPÈNE1, MARYSE BLET-LEMARQUAND2, MICHEL AMANDRY3

Pour compléter l’enquête sur l’or monnayé romain des troisième et quatrième siècles publiée en 1985,4 une sélection représentative de monnaies d’or romaines frappées entre Sylla et Néron provenant majoritairement de la Bibliothèque nationale de France ont été analysées à l’Institut de Recherches sur les Archéomatériaux (IRAMAT, Centre Ernest-Babelon, CNRS-Université d’Orléans) au moyen de deux méthodes non destructives: l’activation protonique (AP) et la spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec ablation laser (LA-ICP-MS). L’examen des teneurs en platine et palladium, éléments traceurs de l’or du minerai jusqu’à la monnaie, permet de distinguer l’or romain de l’or hellénistique (Fig. 1).5 Cela prouve que la refonte des ors orientaux n’est pas la source de l’or monnayé d’Auguste. Ce résultat spectaculaire nous a incités à réexaminer l’épineux dossier des ateliers occidentaux d’Auguste pour l’or et l’argent à la lumière des analyses.

Fig. 1. Graphique des teneurs en palladium en fonction de celles en platine pour les ors hellénis-tique, républicain et augustéen (teneurs normalisées à la concentration en or).

ARNAUD SUSPÈNE, MARYSE BLET-LEMARQUAND, MICHEL AMANDRY1074

En Occident, le monnayage précieux augustéen se distribue en trois groupes: des monnaies frap-pées à Rome par les tresviri monetales; des monnaies stylistiquement liées et attribuées traditionnel-lement à l’atelier de Lyon, dont on sait qu’il fonctionne sous Tibère ;6 des monnaies stylistiquement distinctes des deux premiers ensembles, et traditionnellement attribuées à l’Espagne.7 A l’intérieur de ce groupe ‘espagnol’, on distingue ordinairement deux ateliers, parfois appelés ‘Patricia’ et ‘Cae-saraugusta’, toujours pour des raisons stylistiques. Ce tableau cohérent, quoique très hypothétique pour sa partie espagnole, cadre mal cependant avec d’autres informations de nature archéologique.

En 1739 en effet deux coins augustéens furent découverts dans la fontaine de Nîmes.8

L’identifi cation relativement récente de ces coins dans les collections du Cabinet des Mé-dailles a donné lieu à de nouvelles propositions de localisation des ateliers occidentaux d’Auguste.

La première étape est franchie en 1946 lorsque P. Le Gentilhomme démontre l’authenticité d’un des coins en y rengrénant deux aurei du Cabinet des Médailles9 (Planche I). Ce coin est un coin de droit anépigraphe portant le buste d’Auguste; les monnaies qu’il a servi à fabriquer représentent au revers l’autel de Fortuna Redux. Elles datent très probablement de 19 avant J.-C. et sont traditionnellement attribuées à ‘Patricia’. P. Le Gentilhomme proposait de revenir sur l’attribution de ces monnaies à l’Espagne et de les placer, elles et les émissions apparentées, c’est-à-dire toute l’abondante production de ‘Patricia’, à Nîmes, où le coin avait été retrouvé.

Le Gentilhomme suggérait aussi de fi xer à Nîmes les premières monnaies habituellement clas-sées dans le monnayage lyonnais. Il se fondait pour cela sur des dessins du deuxième coin retrouvé à Nîmes, considéré comme défi nitivement perdu en 1946. L’épigraphie de ce coin de droit portant le buste d’Auguste renvoyait en effet aux séries d’or et d’argent de la dixième salutation impériale, attribuées à Lyon.

Le Gentilhomme établissait donc un lien étroit entre les deux coins, impliquant qu’ils ne pou-vaient provenir d’ateliers différents. Et à partir de ce lien, il plaçait à Nîmes d’importantes frap-pes d’or et d’argent. En fait, il voyait en Nîmes ‘le siège du premier atelier monétaire impérial régulièrement institué en Gaule, au temps d’Auguste, pour les émissions d’or et d’argent comme pour celles de bronze’.10

A la fi n des années 70, le dossier connut plusieurs développements. J.-B. Giard accep-ta l’existence d’un atelier nîmois.11 Pour le constituer, il poncti onnait l’atelier de ‘Patricia’ de quelques émissions attribuées d’ordinaire à ‘Patricia’ (BNCMRE 1330-1360); mais à la différence de Le Gentilhomme, il n’allait pas jusqu’à supprimer complètement ‘Patricia’; surtout, il se refu-sait à donner à cet atelier nîmois les émissions de la Xème salutation impériale, selon lui solide-ment fi xées à Lyon par la séquence stylistique.

Giard considérait en effet qu’il fallait dissocier les deux coins: le second coin, dont Giard met-tait même en doute l’authenticité, aurait été simplement ‘volé à Lyon’ puis conservé avec un coin réellement nîmois.12 L’atelier de Nîmes aurait été un atelier de transition, limité à quelques émis-sions et utilisé avant la mise en service de l’atelier de Lyon.

Dès l’année suivante, un nouveau rebondissement se produisit. M. Dhénin identifi a dans les collections du Cabinet des Médailles le second coin nîmois, dont on pensait n’avoir plus que des dessins.13 Il put prouver son authenticité en y rengrénant un denier de la collection de Paris14 (Planche I) et considéra que la solution proposée par Le Gentilhomme devait peut-être être retenue, au moins partiellement.

7 Garcia-Bellido 2008.8 Fiches 1996, pp. 246-47.9 Le Gentilhomme 1945-6.10 Le Gentilhomme 1945-6, p. VII.11 Giard 20013, p. 12.12 Giard 20013, p. 13.

13 Dhénin 1977a.14 BNCMER 1387 (RIC 167b), taureau cornupète au revers et mention de

la dixième salutation impériale. Ce coin servit aussi à la fabrication d’aurei (Giard 1983, p. 30)

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Dans un second article, Dhénin insista sur les similitudes entre les deux coins révélées par des analyses chimiques et radiographiques.15 Au nom de ces ressemblances et de la découverte des coins en un même lieu, Dhénin, là encore fi dèle à Le Gentilhomme, se refusa fermement à consi-dérer les coins séparément comme faisait Giard.

En 1978, A. Burnett, avec une extrême prudence, proposa une solution nouvelle.16 Selon lui, il était préférable de ne pas faire éclater un groupe de monnaies liées stylistiquement entre elles, qu’il s’agisse des émissions de ‘Patricia’ ou des émissions lyonnaises. Aussi avançait-il que les coins pouvaient avoir été utilisés ensemble à Lyon, puis déplacés et jetés dans la fontaine de Nîmes. C’est donc à Lyon qu’auraient été frappées aussi bien les monnaies mentionnant la dix-ième salutation impériale que toutes les monnaies ‘Patricia’. Puis, pour une raison indéterminée, deux des coins de droit ayant servi à réaliser ces émissions auraient été amenés à Nîmes, où l’on n’aurait jamais frappé ni l’or ni l’argent.

Le spectre des hypothèses est donc large: il va d’un atelier nîmois considérable, au détriment d’un monnayage espagnol amputé des monnaies ‘Patricia’ et d’un atelier lyonnais privé de ses premières séries, selon l’hypothèse Le Gentilhomme, la plus favorable à Nîmes, jusqu’à un atelier nîmois sans frappe d’or et d’argent, face à un atelier de Lyon enrichi de toutes les monnaies ‘Patricia’, selon l’hypothèse Burnett. A l’intérieur de cette fourchette se distribuent toutes les autres hypothèses.

Or, les analyses menées à Orléans amènent des informations nouvelles (Figs. 2 et 3). Tout d’abord, il n’y a pas de différence de composition élémentaire entre les monnaies de

‘Patricia’ et les monnaies de ‘Nîmes’. De plus, les monnaies ‘Patricia’ et ‘Caesaraugusta’ ont également des compositions élémentaires très proches, que l’on se fonde sur les teneurs en pla-tine ou palladium, qui caractérisent une source d’or, ou sur les teneurs en argent ou en cuivre, qui traduisent aussi l’affi nage du minerai. Il semble bien que ces monnaies ‘nîmoises’ et ‘espagnoles’ forment un ‘massif’ monétaire unique.

Fig. 2. Graphique des teneurs en cuivre en fonction de celles en argent pour les aurei d’Auguste analysés (méthodes LA-ICP-MS et activation protonique).

15 Dhénin 1977b.16 Burnett 1978.

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17 Crawford 1985; Volk 1997.

Fig. 3. Graphique des teneurs en palladium en fonction de celles en platine pour les aurei d’Auguste analysés (méthodes LA-ICP-MS et activation protonique) ; teneurs normalisées à la concentration en or.

D’autre part, les monnaies d’or ‘lyonnaises’ constituent aussi un ensemble dont la composi-tion élémentaire est homogène et différente des monnaies ‘espagnoles’: elles contiennent moins de platinoïdes platine et palladium et sont plus pauvres en argent et en cuivre.

Se trouve ainsi confi rmée par les analyses élémentaires la distinction déjà établie entre les groupes ‘lyonnais’ et ‘espagnols’ sur des critères de style. Ce constat incite à ne pas faire éclater la production de ‘Patricia’ pour en placer une partie à Nîmes ou à Lyon, l’autre en Espagne. C’est également un argument très fort contre l’idée que les monnaies d’or ‘Patricia’ et les monnaies d’or de la dixième salutation impériale, attribuées à Lyon, aient pu être frappées dans la continuité les unes des autres: ou bien elles n’ont pas été frappées au même endroit ou bien elles ont été frap-pées au même endroit, mais pas avec le même métal ni en même temps. Il paraît enfi n diffi cile de distraire des frappes ‘lyonnaises’ les émissions datées de la dixième salutation impériale.

Au total, il semble peu judicieux de constituer un atelier nîmois pour la frappe de l’or et de l’argent par ponction sur les numéraires ‘lyonnais’ ou ‘espagnols’. Mieux vaut peut-être rendre à l’Espagne, au moins temporairement, les frappes traditionnellement attribuées à Patricia et à Caesaraugusta, en gardant en mémoire que la distinction entre les deux ateliers n’est pas corroborée par les analyses, ou bien placer toute la production ‘espagnole’ à Nîmes ou en Narbonnaise.17 Reste dans les deux cas le problème des deux coins conservés au Cabinet des Médailles, qui se ressemblent, qui ont été retrouvés au même endroit, mais qui relèvent de deux émissions distinctes par le style comme par la composition élémentaire. Leur présence dans la fontaine de Nîmes

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18 Ménard 1758.

demeure un mystère qui ne peut être résolu par la localisation des ateliers. Dès lors, il semble que l’on aurait avantage à renverser le raisonnement, et à ne pas se préoccuper d’abord de l’endroit où les coins nîmois ont pu être mis en œuvre, mais plutôt de l’endroit où on les a retrouvés.

Jusqu’ici, à notre connaissance, on n’a pas fait le lien entre ces coins et la Fontaine de Nîmes elle-même, qui n’est appelée Fontaine de Diane que par une tradition sans fondements, dont L. Ménard a fait justice dès 1758.18 Il faut dire que c’est en 1984, soit après les plus importantes contributions

Fig. 4. Plan de l’Augusteum, extrait de Varène 1987.

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au débat sur les coins nîmois, que nos connaissances sur la Fontaine ont été bouleversées. En effet, P. Gros a reconnu dans les vestiges liés à la fontaine un vaste ensemble architectural, allant du théâtre jusqu’au pseudo ‘Temple de Diane’.19 Le centre en était un autel savamment décoré reposant sur une plateforme entourée d’un bassin d’eau courante, à l’intérieur d’un vaste espace délimité par des quadriportiques, qu’interrompaient à l’ouest une salle pouvant servir de lieu de réunion, de ‘salle cultuelle’ ou de bibliothèque, et au sud des propylées. Ce complexe constituerait en fait un Augusteum, sur le modèle défi ni par Philon d’Alexandrie (Fig. 4).20 La seule révision proposée aux solutions de Gros postule que l’autel central du dispositif serait plutôt le socle d’un monument à la victoire qu’un autel à Rome et Auguste ou à Auguste seul, mais son auteur ne remet pas en cause l’esprit général de l’aménagement urbain.21

La source correspondant à la fontaine de Nîmes faisait partie de ce complexe augustéen. Elle comprenait certainement un autel à Nemausus,22 la divinité topique, qui y était encore vénéré sous l’Empire. Mais en 25 avant notre ère, cette source-fontaine avait été dotée d’un important bassin à double exèdre, et dans ces exèdres fi guraient des dédicaces à Auguste.23 Ces inscriptions montrent une évidente volonté d’associer la présence impériale à l’existence même de la source, c’est-à-dire de rapprocher sinon de confondre le culte impérial et le culte de Nemausus.24 C’est en un tel endroit que les coins nîmois ont été retrouvés. Il est diffi cile de croire à un hasard.

L’Augusteum de Nîmes et tout particulièrement sa fontaine constituent un lieu de destination idéal pour deux coins de droit qu’on ne pouvait aisément mettre au rebut: ils portaient le portrait du Prince qui était précisément honoré à l’autel central et dont les statues devaient se trouver en nombre sur le site. Ces coins représentaient d’importantes émissions, l’une en or, de petite taille mais des plus précoces dans les monnayages ‘espagnols’; l’autre en or et en argent, et datant des débuts de l’atelier de Lyon; toutes deux relevaient des monnayages de campagne du Prince. Ces monnayages prestigieux ne détonent pas dans l’ambiance sacralisée de la Fontaine. Les coins apportent même un surcroît de symbolisme augustéen en transposant au domaine de l’offrande monétaire les suggestions spectaculaires de la scénographie monumentale.

On peut donc très bien concevoir que les coins auraient été non pas jetés dans la fontaine, mais confi és délibérément à ses divinités tutélaires, Nemausus et le Prince. Certes, un tel geste serait exceptionnel car on n’a jamais découvert de coins dans un contexte semblable.25 Mais la consécra-tion de coins ne serait pas sans présenter des analogies avec des pratiques bien attestées dans les sanctuaires de source où des monnaies se trouvent fréquemment, soit à la suite de rites de fonda-tion, soit parce qu’elles y ont été jetées en manière d’offrande. Il y a certes un écart mesurable, un changement d’échelle entre une offrande de monnaies et une offrande de coins. Mais l’Augusteum de Nîmes est lui aussi un lieu exceptionnel.

Il faut probablement penser que ces coins ont été placés ensemble dans le bassin autour de 15 avant notre ère, lorsque l’émission la plus récente eut été achevée. Cette date correspond à un tour-nant dans l’histoire de la cité: c’est en 15 que l’autel central de la Fontaine reçut une nouvelle déco-ration symbolique26 et que Nîmes obtint du Prince ses portes et son enceinte.27 C’est peut-être aussi à partir de 15 que Nîmes bénéfi cia d’un rôle accrû dans la perception du tribut, de l’attributio de 24 communautés arécomiques et du statut fédéré.28 Enfi n, c’est encore en 15 que le célèbre monnay-age au crocodile devint un monnayage de grande ampleur réalisé selon une métrologie romaine.29

19 Gros 1984.20 Voir aussi Varène 1987; Janon 1991.21 Gans 1990, pp. 120 et ss.22 Gros 1984, p. 129.23 CIL XII, 3148-3149.24 En dernier lieu Christol 2009, p. 180.

25 Amandry 1991; Malkmus 2007.26 Sauron 2009, pp. 169-71.27 CIL XII, 3151.28 Christol / Goudineau 1987-1988. Repentir de M. Christol dans Fiches

1996, p. 59 (voir Sauron 2009, p. 170).29 RPC I pp. 152-56.

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30 Dion 54.25.1

Le séjour d’Auguste en Gaule entre 16 et 13 joua un rôle important dans les faveurs qui s’accumulèrent sur la cité. Cette présence du Prince pourrait aussi fournir la solution au problème qui nous occupe. On sait par Dion que lors de son voyage en Gaule et en Espagne en 16-13, Auguste a procédé à de nombreuses réorganisations.30 Un aspect de ces réorganisations était incontestablement monétaire: après son séjour, les ateliers ‘espagnols’ interrompent leurs frappes et l’atelier ‘lyonnais’ commence les siennes. Là se trouve peut-être l’explication de la présence des coins dans la Fontaine de Nîmes. Ils pourraient avoir été amenés par Auguste ou par un membre de sa suite, qui les avait récupérés dans les ateliers impériaux où ils avaient été respectivement utilisés, puis placés dans une fontaine sacralisée, peut-être de manière tout à fait offi cielle, dans le cadre de cérémonies célébrant la bonne entente entre le Prince et Nîmes. Cette proposition reste hypothétique naturellement, mais elle permet enfi n de concilier l’inconciliable: la présence d’un coin ‘espagnol’ et d’un coin ‘lyonnais’ dans la Fontaine de la Colonia Augusta Nemausus. Le seul point commun aux trois éléments est le Prince lui-même.

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Planche I

1. Coin Le Gentilhomme.2. Aureus BNCMER 1343.3. Coin M. Dhénin, d’après Giard 2001, Pl. A n° 2.4. Denier BNCMER 1387, d’après Giard 2001, Pl. LVI.

PLANCHE I

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PROCEEDINGS OF THE

XIVth INTERNATIONAL NUMISMATIC CONGRESS

GLASGOW 2009

I

PROCEEDINGS OF THE

XIVth INTERNATIONAL NUMISMATIC CONGRESS

GLASGOW 2009

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GLASGOW 2011

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