LES DÉPLACÉS INTERNES ET LA CONSOLIDATION DE LA PAIX : LE CAS DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU...
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LES DÉPLACÉS INTERNES ET LA CONSOLIDATION DE LA PAIX : LE CAS DELA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
Mbusa Kizito, BA travaille actuellement pour un organisme à but non-lucratif à Butembo.Mambo Masinda, PhD se spécialise dans la consolidation de la paix,la santé en situation de conflit et les politiques scientifiqueset technologiques.AbstractObjective: This research was conducted in Butembo City (EasternDemocratic Republic of Congo - DRC) in 2002 with the objective tounderstand the perceptions of internally displaced persons (IDPs)on their reintegration in their communities. Method: Semi-structured interviews were used to collect data on a sample of 10local officials and 50 IDPs. Results: 54% of IDPs interviewedindicated that they saw soldiers killing people; 78% witnessedtorture; 46% saw soldiers raping women and 78% indicated thatthey saw soldiers burning houses. Results also indicated thatIDPs’ needs varied according to their origin. For example, 100%of IDPs from North wanted financial help to get their child backto school against 60% for IDPs from South; IDPs from Northconsidered important getting access to land as a strategy ofcommunity integration in opposition to only 37% for those fromSouth. Only 52% of IDPs from South of Lubero declared that theywanted to run small business against 76% and 70% for those fromthe Centre and North. The involvement of traditional leaders inthe reinsertion process was considered critical for communityreintegration. 90% of local authorities wanted local experts tobe involved in displacement and peace building activities andhighlighted the importance of traditional chiefs. Conclusion:Bearing in mind the incidence of rape, we recommend that womenshould get additional support to treat their trauma. We alsorecommend further research on IDPs in the DRC to fully understandtheir perceptions about the conditions of their successfulcommunity integration.
Résumé
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 1
Objet : Cette recherche a été effectuée dans la ville de Butembo(Est de la République démocratique du Congo – RDC) en 2002 avecpour objectif de comprendre les perceptions des déplacés internes(PDI) par rapport à leur réintégration dans leurs communautés.Méthode : Des entrevues semi-dirigées ont été utilisées pourcollecter des données sur les perceptions de 10 autorités localeset 50 PDI. Résultats : Une grande partie des PDI ont déclaré avoirété victimes de torture, perte de propriété et témoins d’abussexuel. Les résultats indiquent que les besoins des PDI varientselon leur provenance. Par exemple, celles du Sud de Lubero ontdéclaré avoir besoin de terres alors que celles du Nord et ducentre voulaient avoir accès à une aide financière pour les aiderà partir une petite entreprise ou pour acheter du bétail. Leschefs traditionnels sont considérés comme devant jouer un rôlecritique dans leur réinsertion dans leurs communautés. Lesautorités locales ont mis l’accent sur le développement descapacités locales en matière de gestion des migrations forcées etde consolidation de la paix. Conclusion : Les résultats de larecherche indiquent que les femmes devraient recevoir uneattention particulière à cause de la magnitude des cas de viol etles interventions socio-économiques devraient aussi éviterd’exacerber les déséquilibres socio-économiques déjà existantspour éviter des tensions ethniques futures.
LES DÉPLACÉS INTERNES ET LA CONSOLIDATION DE LA PAIX : LE CAS DELA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
I Introduction
Cette recherche a été effectuée dans la ville de Butembo situé à
l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) en 2002 avec
pour objectif d’identifier les perceptions des déplacées internes
(PDI) en RDC en rapport avec leur réinsertion dans leurs
communautés et avec la consolidation de la paix, pour identifier
certains traumatismes qu’elles ont subi, pour avoir une meilleureUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 2
connaissance de leurs besoins réels et pour offrir aux agences
internationales et au gouvernement congolais un outil de travail
indispensable pour une meilleure intervention auprès des PDI.
Il convient de constater que les PDI sont encore peu associées à
la recherche des solutions à leurs problèmes. Pour contribuer à
combler cette lacune, nous avons choisi de traiter des
perceptions des PDI en essayant de répondre à la question
suivante : quelles sont les perceptions que les personnes
déplacées ont des conditions de succès de leur réintégration dans
leurs communautés et de la reconstruction de la paix en RDC?
La méthode adoptée est essentiellement basée sur des entrevues
semi-dirigées. Quoique l’échantillon ne soit pas représentatif de
l’ensemble des PDI en RDC à en raison du nombre limité
d’entrevues réalisées, vue les moyens limités des chercheurs et
les risques liés à leur sécurité et celle des personnes
interrogées, nous estimons que cette étude exploratoire prépare
tout de même le terrain pour une étude plus poussée.
Les termes consolidation/reconstruction de la paix – que nous
utilisons de façon interchangeable – désignent de manière
générale un processus continu d’actions allant de la diplomatie
préventive aux missions de paix, aux actions entreprises pour
favoriser la stabilisation d’un État suite à un conflit (Boutros-
Boutros Ghali, 1992). University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 3
De plus, il ne faut pas confondre les réfugiés et les personnes
déplacées internes. Les articles premiers de la Convention de
Genève de 1951 et du protocole de 1967 relatif au statut des
réfugiés définissent clairement ce qu’est un refugié1. Le terme
« personnes déplacées » n’apparaît dans le langage des Nations
unies que dans les années 902. Cependant, malgré le traitement
différencié réservé aux réfugiés et aux déplacés internes, il est
à noter que l’évolution récente des mentalités a mené à traiter
de plus en plus ces derniers comme des réfugiés (Paris, 2001 ;
1 Selon les articles premiers de la Convention de Genève de 1951et du protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, unréfugié est une personne qui, "craignant avec raison d'êtrepersécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité,de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinionspolitiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité etqui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer dela protection du pays dans lequel elle avait sa résidencehabituelle; ou qui si elle n'avait pas de nationalité se trouvehors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, nepeut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner."2 Selon les Principes directeurs relatifs au déplacement depersonnes à l'intérieur de leur propre pays,E/CN.4/1998/53/Add.2, 11 février 1998, les personnes déplacéessont définies ainsi : « les personnes déplacées à l’intérieur deleur propre pays sont des personnes ou des groupes de personnesqui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyerou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’unconflit armé, de situations de violence généralisée, deviolations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ouprovoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ontpas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État» University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 4
Dubernet, 2001; Oberleitner, 2005 ; CICR, 2005). Par ailleurs,
malgré la pluralité des facteurs poussant aux déplacements forcés
des populations, nous pouvons dire sans aucun risque de nous
tromper que les conflits armés constituent la cause principale
des déplacements massifs des populations (Masinda, 2004).
En effet, suite à la guerre, la RDC est un des pays les plus
touchés par le phénomène des PDI. Au moment de notre étude, le
Nord Kivu était la province la plus touchée par le déplacement
forcé des populations en RDC. En effet, sur près de 2,000,000 de
PDI que comptait la RDC en 2000, la province du Nord Kivu à elle
seule comptait 640,000 personnes déplacées soit près de 30% du
nombre total au pays (Norwegian Refugee Council, 2001).
L’étude commence par un aperçu général de la situation de la RDC,
avant de se pencher sur la méthodologie employée dans le cadre de
la présente recherche et se termine par la présentation des
résultats et des conclusions qui en découlent.
III Méthodologie
Problème et question de recherche
Notre méthodologie découle du fait qu’il est assez troublant de
constater que malgré les indications claires de différents guides
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 5
de travail avec les PDI3 qui stipulent que ces derniers doivent
être associés à la recherche de solutions à leurs problèmes, peu
d’études portent effectivement sur leurs perceptions. Ce problème
est d’ailleurs soulevé par d’autres chercheurs, comme Chimmi
(2002) et Solheim (2005).
La question qui guide notre réflexion est donc la suivante:
quelles sont les perceptions que les personnes déplacées ont des
conditions de succès de leur réintégration dans leurs communautés
et de la reconstruction de la paix en RDC? Nous partons d’une
hypothèse simple selon laquelle la reconstruction de la paix ne
peut prendre racine dans la population et être durable que si les
perceptions des personnes concernées sont prises en compte.
Cependant, dans la mesure où il s’agit ici d’une étude
exploratoire ne cherchant qu’à dresser un portrait des
perceptions des PDI, il ne s’agit pas ici d’essayer de confirmer
ou d’infirmer cette hypothèse. Ceci pourrait être fait dans une
étude subséquente.
3 Pour plus détails veuillez lire, par exemple, Bureau de lacoordination des affaires humanitaires des Nations unies. Principesdirecteurs relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays. Onpeut accéder au document sur internet au :http://www.reliefweb.int/ocha_ol/pub/idp_gp/idp_fr2.htm et WalterKälin (2000). Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes dans leurpropre pays. Annotations. Studies in Transnational Legal Policy, N° 32. AmericanSociety of International Law and the Brookings InstitutionProject on Internal Displacement.University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 6
Méthode adoptée
Cette recherche s’est faite dans la ville de Butembo qui compte
près de 400.000 habitants. Elle est située à l’Est du pays. Il
nous a fallu trouver une méthode de collecte rapide de
l’information sans alerter les soupçons des groupes armés en
place qui auraient pu mettre en danger la vie des PDI et des
chercheurs. Nous avons opté pour une méthode qualitative
s’appuyant sur des entrevues individuelles en profondeur,
également appelées « face-à-face ». Ce type d’entrevues est très
efficace dans les enquêtes sur les perceptions des gens (Denzin
et Lincoln, 1998 ; Deslauriers, Groulx, Laperrière, Mayer, Pirès
et Poupart, 1997).
Dans la mesure où nous avions en tête une vision à long terme,
nous avons choisi la recherche qualitative parce qu’elle nous
permet de jeter les bases de recherches futures qui pourront
déterminer si les points de vue des PDI ont été pris en
compte dans la formulation, l’implantation et l’évaluation des
résultats et pour, par exemple, répondre à la question : quelles
sont les raisons pour lesquelles la réinsertion des PDI n’a pas
réussi ou a réussi ?
Echantillonnage
Le nombre des PDI qui vivent dans la ville de Butembo n’est pas
bien documenté parce qu’une grande partie des PDI vivent avec les
membres de leurs familles d’une part et que, d’autre part,University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 7
certains ont peur de s’identifier pour des raisons de sécurité.
Par ailleurs, les moyens dont nous disposions étaient très
limités et l’insécurité omniprésente nous empêchait de faire une
étude de grande envergure. Nous avons travaillé avec un
échantillon de 50 PDI (21 femmes et 27 hommes dont l’âge variait
entre 20 et 50 ans) sur un total de 6.096 PDI vivant dans la
ville de Butembo. Pour diversifier la répartition géographique
des participants, nous les avons recrutés en fonction de trois
lieux de provenance : le Nord, comprenant le territoire de Beni,
le Sud, comprenant le territoire de Lubero, et le centre qui est
la zone à cheval entre les deux territoires. Une dizaine de
personnes influentes de la ville ont, par ailleurs, été
consultées pour connaître leurs perceptions de la réinsertion des
PDI et la reconstruction de la paix, parce que connaître les
perceptions de ces dernières nous semblaient importantes dans la
mesure où ces personnes influentes jouent un rôle déterminant
dans l’opinion publique en général. Le choix des participants a
été très délicat à cause de l’insécurité. Nous avons choisi de
passer par l’organisme d’aide aux PDI, la Mission d’aide aux
déplacés (MAD), pour identifier les personnes qui voulaient
participer à l’enquête.
Lieux de concentration des PDI
Cette carte montre les deux territoires – Lubero et Beni – et lesrégions où sont concentrées les PDI.
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 8
Source : Mission des Nations unies au CongoTechnique de collecte des données
Les données statistiques nous ont été fournies par la MAD.
D’autres chiffres ont été obtenus auprès de Bureau de la
coordination des affaires humanitaires des Nations unies, ainsiUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 9
qu’auprès d’un organisme suédois appelé Global IDP qui s’occupe
de la compilation des statistiques sur les PDI au niveau mondial.
Pour la collecte des données sur les perceptions des PDI, nous
avons utilisé des entrevues semi-structurées auprès des PDI et
des autorités locales telles que les chefs coutumiers, les
commerçants et les chefs des organisations non gouvernementales.
Le questionnaire était composé de 11 questions fermées et 3
questions ouvertes dans le but d’identifier leurs perceptions sur
les traumatismes vécus, la paix et les conditions propices à leur
réinsertion dans leurs communautés (voir annexe).
Les chercheurs et participants
Les entrevues ont été conduites par un étudiant de deuxième année
de licence en science politique. La revue de la littérature et
l’analyse des données ont été faites conjointement par l’étudiant
et le superviseur de l’étude. Les participants étaient assez
ouverts même si les femmes étaient moins bavardes que les hommes.
Nous étions conscients du fait que les femmes pouvaient ne pas
s’exprimer aisément devant un homme. Toutefois, nos moyens
limités ne nous ont pas permis d’engager une femme pour répondre
à cette sensibilité.
L’analyse des données
L’analyse des données a été faite en deux phases. La première
consistait à dresser un tableau statistique des participants
selon les secteurs et les réponses aux questions. Dans laUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 10
deuxième phase, il s’agissait d’analyser les réponses pour en
dégager des thèmes importants sur ce qui comptait pour les PDI
dans le cadre de leur réinsertion dans leur communauté et la
reconstruction de la paix (Weston, 2001).
IV Résultats de la recherche
Nous présentons dans cette section les résultats quantitatifs et
qualitatifs portant sur l’échantillon et les perceptions des
participants à l’enquête, suite à une brève introduction des
mécanismes d’aide aux PDI en place dans la région.
Au moment de notre étude, il y avait près de 140.904 PDI dans les
territoires de Beni et de Lubero, dont 6.096 vivaient dans la
ville de Butembo. Les résultats de la recherche indiquent que les
PDI vivant dans la partie Sud du territoire de Lubero étaient
concentrées principalement dans les villages de Kanyabayonga
(46.764), Kayna (36.072) et Kirumba (33.600). La majorité de ces
PDI venaient de Mutanda, Bambu, Bukona, Ikobo et Musindi. Au
centre, c’est-à-dire à cheval entre les deux territoires, les PDI
étaient concentrées dans les villes de Butembo (6.096), Muhangi
(5.466) et Biambwe (4.548). Les PDI de Butembo venaient
principalement de Mwenye, Beni, Mbau et Mutanda. Celles qui
vivaient à Muhangi provenaient de Musindi et Manzia, alors que
celles qui vivaient à Biambwe venaient de Mwenye, Beni et Mbau.
Dans le territoire de Beni, plus au Nord, les PDI étaient
concentrées à Watalinga (13.140), Nzenga II (6.090) et OichaUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 11
(5.790). Les PDI qui vivaient dans ces villages provenaient
essentiellement du Butalinga, Mbau, Malio et Madio. Nos
statistiques étaient limitées quant à la description du genre, de
l’âge et du niveau socioéconomique des PDI. Les moyens limités
avec lesquelles travaillent les volontaires pourraient expliquer
cette situation.
Services offerts aux PDI
Au moment où nous réalisions cette enquête sur le terrain, les
services offerts aux PDI par des organismes locaux comme la MAD
étaient encore rudimentaires. Depuis l’avènement d’un
gouvernement de transition, en 2003, des actions plus importantes
en leur faveur ont été mises en place. En effet, le Ministère de
la solidarité et celui des affaires humanitaires supervisent les
actions en faveur des PDI en collaboration avec plusieurs autres
ministères. Une commission nationale sur la coordination
humanitaire et la solidarité comprenant des représentants du
secteur public et des donateurs a aussi été instaurée.
Malheureusement, les PDI sont souvent inaccessibles à cause des
infrastructures inadéquates et de la présence des groupes armés
sur les lieux de concentration des PDI.
Au moment de notre enquête, la MAD et CARITAS se démenaient pour
apporter aux PDI de l’aide urgente en matière de logement, de
nourriture et de vêtements. Par exemple, au mois d’août 2001, la
MAD a distribué des semences de haricot et de maïs reçues du FondUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 12
mondial de l’alimentation et 4.500 tonnes de farine. La stratégie
communautaire était au centre de l’organisation de l’aide. Les
responsables des églises mobilisaient les paroissiens pour leur
demander de venir en aide aux PDI. Les opérateurs économiques
locaux ont aussi fourni en 2001 plus de 4.000 dollars US qui ont
permis d’apporter de l’aide aux PDI. Malheureusement, cette
stratégie a vite rencontré ses limites parce que des membres des
communautés d’accueil avaient eux-mêmes des ressources limitées.
Par ailleurs, ces stratégies d’aide finissent par avoir des
effets pervers lorsqu’elles durent longtemps. Les PDI finissent
par développer une dépendance à l’aide si elles ne reçoivent pas
de l’aide qui leur permet d’être autonomes (Dubernet, 2001). Plus
significatif est le fait que les personnes interrogées nous ont
indiqué que la présence prolongée des PDI dans les communautés
d’accueil provoquait des conflits à la suite des pressions que
leur présence provoquait sur les prix des produits de première
nécessité. Ces résultats corroborent ceux d’études précédentes
(Burn, 2003 ; Duncan, 2005).
Perceptions des autorités locales
Interrogées sur l’efficacité des organisations internationales à
pouvoir instaurer la paix en RD du Congo, les autorités locales
ont répondu à 60% que les agences internationales ne comprennent
pas les réalités des PDI. Elles ont aussi répondu à 80% que c’est
la communauté internationale qui est responsable des malheurs deUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 13
la population congolaise. Nous pouvons en déduire que les
autorités locales ont une perception négative des ONG
internationales. Même si notre questionnaire ne permettait pas
aux personnes interrogées d’élaborer davantage sur la question,
nous pouvons affirmer que les autorités locales perçoivent
négativement la réaction de la communauté internationale qui,
d’après l’opinion publique en général, n’a pas condamné
énergiquement et sanctionner le Rwanda et l’Ouganda qui
soutenaient des groupes armés au Congo comme le souligne Human
Rights Watch (2001 et 2005).
Interrogées sur ce qu’elles pensaient de la capacité des agences
internationales à aider les Congolais à instaurer la paix, les
autorités locales ont répondu que le fait qu’elles aient beaucoup
de ressources n’est pas suffisant pour garantir l’efficacité en
matière de reconstruction de la paix. Par contre, elles ont
affirmé que les agences internationales sont déterminantes dans
le processus de reconstruction de la paix à cause de la grande
expérience dans la résolution des conflits et l’influence
qu’elles ont sur les groupes armés (70%).
Lorsque nous avons demandé aux autorités locales ce que devraient
faire les organismes internationaux pour insérer correctement
les PDI dans leurs communautés, elles ont répondu à 90% que les
agences internationales devraient identifier le nombre de PDI et
connaître leurs besoins. Dans cet ordre d’idées, 90% desUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 14
répondants ont indiqué que les agences devraient travailler avec
les chefs coutumiers. Elles ont recommandé aussi à 90% que soient
d’abord sécurisés les villages avant de demander aux gens d’y
revenir. Il n’est pas surprenant de constater que plus de 80% de
personnes interrogées ont mis l’accent sur la mise en place d’un
système judiciaire juste et sur la nécessité de l’apprentissage
d’un métier comme étant des conditions de retour dans la
communauté.
Traitant de l’importance des infrastructures qui favoriseraient
la reconstruction de la paix, les autorités locales interrogées
ont répondu à 90% que les ressources humaines dévolues à la
reconstruction de la paix sont fondamentales. Un commentaire
d’OCHA traduit cette réalité:
One of the major unmet humanitarian needs in the
Democratic Republic of Congo remains the lack of
operational capacity to assist an enormous vulnerable
population living throughout a vast and difficult to
access terrain. There are currently only 95
international NGOs and representatives from the Red
Cross Movement implementing programs in a country with
millions of affected populations spread throughout 2.3
million km² (a region 213 times the size of Kosovo, 86
times the size of Burundi, and 24 times the size of
Liberia). Due to this shortage of operational partners,University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 15
when humanitarian assistance does arrive in favour of
vulnerable groups, like newly displaced persons or
returnees, it rarely meets international standards.
(OCHA, 2004)
Ceci indique qu’il y a un besoin urgent d’un nombre important de
spécialistes sur les questions des réfugiés, des personnes
déplacées et de la reconstruction de la paix. Cette attitude
nous porte à croire que les autorités locales sont conscientes de
l’importance du dossier de la résolution des conflits d’une part
et, d’autre part, devant le manque de ressources, de la prise en
charge du processus de paix par des experts locaux.
Interrogées sur le poids de différents types d’acteurs dans le
processus de reconstruction de la paix, les autorités locales
ont, en effet, déclaré à 90% que la population elle-même, les
jeunes et les chefs religieux étaient les acteurs les plus
importants. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que la population
est consciente qu’elle est le principal responsable dans la
reconstruction de la paix. Ceci porte à croire que les PDI sont
prêts à assumer leur responsabilité dans des initiatives de paix.
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 16
Perceptions des PDI
Les PDI dans leurs pays sont souvent victimes d’abus de toute
sorte. Nous avons tenté d’identifier les traumatismes qu’elles
ont subis. Interrogées sur les traumatismes qu’elles ont subis,
soit directement ou indirectement, les résultats indiquent que
sur les 50 personnes interrogées, 54% ont attesté avoir déjà vu
des militaires tuer des personnes et 78% affirmaient avoir vu des
militaires torturer des gens. Par ailleurs, les personnes
interrogées ont affirmé à 46 % avoir vu des militaires violer des
femmes comme le confirme Human Rights Watch (2002). Les groupes
armés ont aussi adopté des méthodes brutales pour chasser la
population de leurs communautés. En effet, 78% des participants à
notre enquête disaient avoir vu des groupes armés brûler des
maisons et 78% déclaraient les avoir vu piller des magasins. Ce
mépris envers la vie humaine doit probablement avoir un impact
sur la santé mentale des survivants.
Devant leur situation précaire, nous avons voulu savoir des PDI
quel genre d’aide elles souhaiteraient recevoir. Les réponses
sont variées selon que les PDI provenaient du Nord, du centre ou
du Sud. Par exemple, pour les PDI qui arrivaient du Nord, 100% de
participants considéraient qu’une aide financière pour scolariser
leurs enfants était importante pour leur réinsertion dans leur
communauté comparé à seulement à 60% des participants du Sud qui
considéraient importante l’aide financière pour scolariser leurs
enfants. Nous pensons que le désir d’éduquer les jeunes malgré laUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 17
guerre est fondé sur le fait que les personnes instruites
continuent à jouir d’un certain prestige social. Pour les PDI du
Nord, avoir accès à un lopin de terre était aussi considéré à 84%
comme étant un élément central dans le processus de réinsertion
dans la communauté d’origine. Par contre, les PDI du centre ont
déclaré à 80% et ceux du Sud à seulement 37% qu’un lopin de terre
constituait un facteur important de réinsertion dans la
communauté.
Nous avons demandé de manière plus précise si les PDI avaient
accès à la terre parce que nous savons que la crise foncière est
une des préoccupations majeures de la région et d’autres études
montrent que l’accès à la terre peut servir de moyen pour
résoudre les conflits (Fitzpatrick, 2002). Il parait très évident
que plus l’on se dirige vers le Sud, moins l’on peut avoir accès
à la terre. En effet, les PDI du Nord ont indiqué à 53% ne pas
avoir de terre, 60% au centre et 81% au Sud.
Par contre, l’aide financière pour acheter du bétail était la
priorité pour 80% de répondants en provenance du centre alors
qu’au Nord et au Sud 30% seulement des PDI accordaient une
certaine importance au bétail. Les PDI du centre et du Nord
accordaient une plus grande importance à une aide financière pour
le commerce au détail comme instrument de réintégration dans
leurs communautés (76% et 80%) contre 52% de ceux du Sud. Cette
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 18
différence pourrait s’expliquer par le fait que le commerce est
plus développé dans les régions du centre et du Nord qu’au Sud.
Nous avons pensé qu’il était important de connaître les
perceptions des PDI sur le retour de la paix au pays. Les
répondants en provenance du Nord ont certifié à 53% qu’ils
croyaient au retour de la paix pour seulement 30 % chez ceux du
centre et 37% chez ceux du Sud. Ces résultats sont étroitement
liés au niveau du déplacement massif des populations selon les
régions.
Par la suite, il fallait savoir ce que les PDI considéraient
comme étant les conditions favorables à leur retour dans leurs
communautés. Les PDI ont indiqué que leur retour dans leurs
communautés était conditionné par l’appel de leurs chefs
coutumiers, de loin devant l’appel des chefs militaires et le
retour des militaires étrangers. Il y a ici une indication claire
que les chefs coutumiers continuent à avoir une grande influence
sur la vie des populations locales. Il faut aussi garder à
l’esprit que nous sommes dans un contexte où toute forme
d’allégeance à l’Etat a été disloquée et transférée vers les
obédiences communautaires (Lederach, 1997).
IV Conclusion et implications des résultats
Les résultats ci-haut sur les perceptions des autorités locales
et des PDI elles-mêmes témoignent de la complexité de la tâcheUniversity of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,
2005 19
relative à la reconstruction de la paix et à la réintégration des
personnes déplacées dans leur communauté.
Quelles sont alors les implications de ces résultats? Tout
d’abord, les organismes d’aide devraient donc se pencher sur les
particularités régionales dans l’offre des services aux PDI. Par
exemple, dans les secteurs où il est plus difficile d’avoir accès
à la terre, il faudra solliciter le concours des chefs coutumiers
pour que ceux-ci aident les personnes qui reviennent dans leurs
communautés à accéder à la propriété foncière. Dans le secteur du
centre où le bétail et le commerce au détail semblent être d’une
grande importance, l’aide financière devrait aller dans ce sens.
L’aide devrait se préoccuper d’assurer un équilibre économique
entre les secteurs affectés en tant que stratégie de gestion des
conflits à long terme.
Certaines précautions sont de mises pour que la reconstruction de
la paix soit efficace. L’impunité constitue un obstacle majeur à
la reconstitution de la paix (Lira, 2001). En effet, les PDI ont
insisté sur le fait que la justice est une des conditions de
retour de la paix. À ce sujet, nous pensons que les chefs
coutumiers devraient être sollicités pour trouver des mécanismes
traditionnels de justice qui pourraient être mis de l’avant dans
la mesure où le système judiciaire moderne ne pourra pas
poursuivre tous les criminels d’une part et que, d’autre part,
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 20
l’Etat n’a pas les moyens financiers de soutenir les coûts qui y
sont associés.
Nous concluons a partir des résultats de cette recherche que les
PDI auront besoin des services d’aide psychologiques pour leur
permettre de surmonter les effets des traumatismes qu’elles ont
vécus (Silove, Ekblad et Mollica, 2000; Cardozo, Bilukha et al.
2004). Dans l’aide octroyée aux personnes en détresse, le soutien
psychologique est souvent négligé priorisant l’offre de la
nourriture, des vêtements et d’un endroit pour vivre. Pourtant,
de nombreuses recherches démontrent le fait que l’aide
psychologique doit être apportée tant au niveau individuel que
communautaire pour que les sinistrés se reconstruisent une vie
normale (Bolton et Betancourt, 2003).
Nous suggérons à partir des opinions recueillies auprès
d’autorités locales que la communauté internationale devrait
aider les institutions locales d’enseignement pour qu’elles
développent des cours sur les questions des migrations forcées et
la reconstruction de la paix. La méfiance qui s’est installée
dans l’opinion publique montre à quel point la communication
risque de ne pas être efficace parce que le messager et le
récepteur du message n’ont pas la même perception de la paix et
des moyens pour l’atteindre.
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 21
Une recherche plus globale devrait être entreprise pour évaluer
si les programmes de réinsertion des PDI ont tenu compte de leurs
perceptions et des observations des autorités locales.
University of British Columbia – Liu Institute for Global Issues,2005 22
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