Les concours de beauté, enjeux de l’israélianité

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Ethnologie française, XLV, 2015, 2, p. 353-362 Les concours de beauté, enjeux de l’israélianité Keren Mazuz Université Ben Gourion du Néguev RéSUMé La comparaison des deux concours de beauté « Reine de Beauté d’Israël » et « Miss Asie-Israël », qui ont eu lieu en 2006 per- met de décrire Israël dans sa quotidienneté. A travers eux, des transformations sociales et culturelles plus larges se font visibles. Chaque spectacle génère des images et des récits essentiels de ce que les femmes « israéliennes » sont et devraient être et, partant, exprime ce que devrait être la nation elle-même. Cette comparaison révèle que les deux concours sont inscrits dans l’ordre social de la nation et proposent différents modèles d’israélianité incarnés dans l’affichage du corps féminin. Mots-clés : Concours de beauté. Corps féminin, Nationalisme. Evénement public. Israël Keren Mazuz Medical School for International Health Ben-Gurion University of the Negev P.O.B. 653 Beer-Sheva 84105 Israel [email protected] Deux concours de beauté se sont tenus en Israël la même semaine en mars 2006 : le 21 mars, le concours « Reine de Beauté d’Israël » [RBIsraël], et le 25 du même mois « Miss Asie-Israël » [MAsieIsraël]. Mis à part l’âge, la taille et le statut de célibataire requis pour concourir, seule la citoyenneté israélienne était exigée pour participer au RBIsraël. Depuis son lancement dans les années 1950s où il ne comptait alors que vingt candidates, le concours, qui se tient chaque année, est retransmis en direct à la télévision. Quant aux quinze migrantes étrangères, - des aides à la personne - ayant participé au concours MAsieIsraël, elles représentaient trois pays différents : le Népal, l’Inde et les Philippines. Toutefois, les candidates indiennes qui étaient des citoyennes juives-israéliennes ne travaillaient pas dans ce secteur. Le concours s’est tenu pour la première fois dans un théâtre public près de Tel Aviv. En comparant les deux concours, cet article cherche à décrire la vie quotidienne en Israël. Les concours de beauté sont des sites privilégiés où observer les mécanismes de fabrication de sens et où les différentes conceptions culturelles et sociales de l’israélianité rela- tives au corps féminin sont exposées de façon tangible. La comparaison des deux concours de beauté reflète les transformations sociales et culturelles plus vastes aux- quelles Israël fait face. S’y négocient en effet différents modèles d’israélianité incarnés par l’affichage du corps féminin, qui lient les deux concours à l’ordre social de la nation. Les concours de beauté ne sont qu’une institu- tion parmi d’autres d’appropriation des femmes et de leur corps à des fins nationales. En s’offrant comme des espaces de pureté, de tradition et de moralité, les femmes et leurs corps sont devenus des symboles nationaux qui contribuent à la sauvegarde de l’Etat [Yuval-Davis and Floya-Anthias, 1989]. Toutefois, dans les concours de beauté sont également engagées « les cultures locales et globales, ethniques et natio- nales, nationales et internationales ainsi que les struc- tures de pouvoir dans leurs aspects les plus triviaux mais aussi les plus vitaux » [Cohen, Wilk and Stoeltje 1996 : 8]. Parce qu’il structure les différences en un ordre national homogénéisant, le concours RBIsraël contri- bue à réaffirmer les frontières nationales. Au moyen d’images très nettes, dépouillées de toute référence aux

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Les concours de beauté, enjeux de l’israélianité

Keren MazuzUniversité Ben Gourion du Néguev

RéSUMé 

La comparaison des deux concours de beauté « Reine de Beauté d’Israël » et « Miss Asie-Israël », qui ont eu lieu en 2006 per-met de décrire Israël dans sa quotidienneté. A travers eux, des transformations sociales et culturelles plus larges se font visibles. Chaque spectacle génère des images et des récits essentiels de ce que les femmes « israéliennes » sont et devraient être et, partant, exprime ce que devrait être la nation elle-même. Cette comparaison révèle que les deux concours sont inscrits dans l’ordre social de la nation et proposent différents modèles d’israélianité incarnés dans l’affichage du corps féminin. Mots-clés : Concours de beauté. Corps féminin, Nationalisme. Evénement public. Israël

Keren Mazuz Medical School for International Health Ben-Gurion University of the NegevP.O.B. 653 Beer-Sheva84105 Israel [email protected]

Deux concours de beauté se sont tenus en Israël la même semaine en mars 2006 : le 21 mars, le concours « Reine de Beauté d’Israël » [RBIsraël], et le 25 du même mois « Miss Asie-Israël » [MAsieIsraël]. Mis à part l’âge, la taille et le statut de célibataire requis pour concourir, seule la citoyenneté israélienne était exigée pour participer au RBIsraël. Depuis son lancement dans les années 1950s où il ne comptait alors que vingt candidates, le concours, qui se tient chaque année, est retransmis en direct à la télévision. Quant aux quinze migrantes étrangères, - des aides à la personne - ayant participé au concours MAsieIsraël, elles représentaient trois pays différents : le Népal, l’Inde et les Philippines. Toutefois, les candidates indiennes qui étaient des citoyennes juives-israéliennes ne travaillaient pas dans ce secteur. Le concours s’est tenu pour la première fois dans un théâtre public près de Tel Aviv.

En comparant les deux concours, cet article cherche à décrire la vie quotidienne en Israël. Les concours de beauté sont des sites privilégiés où observer les mécanismes de fabrication de sens et où les différentes conceptions culturelles et sociales de l’israélianité rela-tives au corps féminin sont exposées de façon tangible.

La comparaison des deux concours de beauté reflète les transformations sociales et culturelles plus vastes aux-quelles Israël fait face. S’y négocient en effet différents modèles d’israélianité incarnés par l’affichage du corps féminin, qui lient les deux concours à l’ordre social de la nation.

Les concours de beauté ne sont qu’une institu-tion parmi d’autres d’appropriation des femmes et de leur corps à des fins nationales. En s’offrant comme des espaces de pureté, de tradition et de moralité, les femmes et leurs corps sont devenus des symboles nationaux qui contribuent à la sauvegarde de l’Etat [Yuval-Davis and Floya-Anthias, 1989]. Toutefois, dans les concours de beauté sont également engagées « les cultures locales et globales, ethniques et natio-nales, nationales et internationales ainsi que les struc-tures de pouvoir dans leurs aspects les plus triviaux mais aussi les plus vitaux » [Cohen, Wilk and Stoeltje 1996 : 8].

Parce qu’il structure les différences en un ordre national homogénéisant, le concours RBIsraël contri-bue à réaffirmer les frontières nationales. Au moyen d’images très nettes, dépouillées de toute référence aux

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tensions sociales et aux conflits dont elles sont por-teuses, le concours propose un modèle d’israélianité clos sur lui-même. Par contraste, en affichant une diversité ethnique, raciale et civique et en présentant des candidates de différents pays d’Asie devenues partie prenante du paysage israélien, le concours MAsieIs-raël étend les frontières nationales. Cette extension fait du concours une expérience globale, et met en scène la multiculturalité de l’israélianité. En faisant office de miroir grossissant, MAsieIsraël offre une alternative à RBIsraël et à l’homogénéité de l’ordre national qu’il véhicule. Il ressort de cette comparaison qu’à travers le corps féminin, l’extension de l’horizon et de l’ima-ginaire culturels israéliens représente une option pos-sible. Théoriquement parlant, l’extranéité devient en effet un besoin et une ressource pour le développe-ment interne de tout groupe homogène.

Les deux concours peuvent être appréhendés comme des événements publics [Handelman, 1988 : 9], c’est-à-dire comme des supports de communication capables de transmettre aux participants des versions de l’ordre social en termes de symboles relativement cohérents. Ainsi, les concours de beauté ne sont pas simplement l’expression d’une culture de masse mar-chande où se cumulent des pratiques disciplinaires de la féminité et de la nationalité [Banet-Weiser, 1999], ce sont aussi des événements qui visent intention-nellement l’horizon sociétal. Le déroulement d’un concours de beauté permet d’analyser les possibilités qui s’offrent de négocier ou d’écarter tel ou tel hori-zon. Le concours est une forme culturellement conçue selon un canevas programmatique connecté à la vie quotidienne, et l’on verra ici que chaque concours propose une facette différente de l’israélianité – réelle versus potentielle.

Après une brève description du système de soins aux personnes âgées qui est à l’origine du recrutement d’aides familiales asiatiques qui constitue le contexte du concours MAsieIsraël, je décrirai et comparerai les deux événements. Méthodologiquement, la recherche, est fondée pour l’essentiel sur l’examen de l’ordre interne des concours et sa concrétisation sur scène. Les concours sont un spectacle, une performance publique, où toutes sortes de communications verbales et non verbales sont répétitivement formulées, consti-tuées et partagées. Ces significations étant incorporées dans l’action-même, le recours au niveau verbal est moins nécessaire. L’observation des concours permet de mettre en évidence le rôle du genre tel qu’incarné dans la configuration de l’appartenance et de l’altérité

en Israël. Ironiquement, les règlementations corpo-relles relatives aux femmes travailleuses étrangères n’ont pas empêché la publicité du concours ni l’affi-chage du corps1.

�■ Le flux migratoire des aidants familiaux

Depuis le milieu des années 1990s, Israël est devenu le pays hôte de vastes quantités de travailleurs étrangers non juifs, venus essentiellement d’Asie et d’Europe de l’est [Bartram, 1998], qui ne sont pas éligibles à la citoyenneté. A l’origine, ces travailleurs devaient rem-placer les travailleurs palestiniens des territoires occu-pés à qui, après l’éclatement de la première Intifada en 1987, l’accès à Israël était systématiquement refusé. En raison du manque de main d’œuvre, particulière-ment dans l’agriculture et la construction, il est devenu nécessaire de recourir à des agences de placement de travailleurs migrants.

Le secteur de soins aux personnes âgées a donc commencé à se développer comme une conséquence non voulue de la domination des agences dans le domaine des migrations de travail. En vertu de la Loi sur le Nursing Care de 1988, les citoyens israéliens qui ne peuvent se débrouiller seuls dans au moins une des cinq pratiques corporelles de base [manger, s’ha-biller, marcher, se laver et faire sa toilette] sont sup-posés bénéficier d’une aide permanente journalière ; ils peuvent donc être éligibles soit à l’aide gouverne-mentale, soit à un placement en maison de retraite, soit encore à une assistance à domicile fournie par des travailleurs migrants.

En raison de l’excellence de leur réputation dans les services domestique et gériatrique, les agences de placement ont spécifiquement choisi de promouvoir le recrutement d’aides familiales en provenance des Philippines2. La domination des femmes philippines sur le marché israélien de l’aide familiale est telle que leur identité a été construite et codée comme une catégorie d’emploi. Une « Philippine » est devenue le terme générique pour désigner une aide familiale non citoyenne et non juive désireuse de signer un contrat temporaire à bas prix. Qui plus est, le permis de travail de l’aide familiale est enregistré sous le nom du patient israélien. Ce qui signifie que lorsque le patient décède, le visa devient invalide et le travailleur un travailleur illégal, exposé à l’expulsion immédiate

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s’il n’est pas réassigné à un autre patient par l’agence, et vice versa.

La présence d’aides familiales philippines en Israël délivre deux messages opposés. D’un côté, ces femmes non juives et non citoyennes sont réputées pour leur dévouement, et de l’autre, elles constituent une menace pour la vision gouvernementale d’une société juive endogame [Mazuz, 2013] - une menace régulée et gérée par des mesures interdisant le regroupement familial, les mariages mixtes et par des restrictions sur les grossesses. Toutes mesures qui témoignent de l’an-xiété des Israéliens quant à la fécondité des femmes étrangères non juives.

Ces dernières années, les agences de travail tem-poraire ont commencé à recruter comme aides fami-liales des travailleuses migrantes venues du Népal, du Sri-Lanka et de l’Inde. En dépit de ce changement, subsiste l’idée que les travailleuses asiatiques sont les meilleures des aides familiales. L’aide à la personne est considéré en Israël comme un travail temporaire, et repose sur l’inépuisable ressource de femmes asiatiques en perpétuel renouvellement.

�■ Le concours « Miss Asie‑Israël »

Le concours a été lancé par un magazine local inti-tulé « Focal », publication hebdomadaire qui s’adresse aux travailleurs migrants. Il a été financé par des com-pagnies de services aux travailleurs étrangers, compa-gnies internationales de transport et agences de voyage, dont les représentants ont été dépêchés comme juges. Dans le public, on trouvait des travailleurs étrangers, des couples mixtes d’hommes israéliens et de femmes philippines, quelques-unes des personnes soignées par les candidates et des amis.

A huit heures du soir, je suis entrée dans le hall en même temps que le public. Après une longue attente, les lumières se sont éteintes et deux maîtres de céré-monie philippins ont fait leur entrée sur scène sous les applaudissements. En anglais et en tagalog, avec quelques mots d’hébreu, ils ont dit leur émotion et exprimé leur gratitude à toutes les personnes et à toutes les compagnies ayant organisé l’événement. Puis l’am-bassadeur des Philippines a été invité à parler. Celui-ci a salué l’initiative et a souligné combien il était impor-tant de valoriser les travailleuses philippines. Il décrivit ces femmes comme des « bayanis noon », des héroïnes qui se dévouaient aussi bien à la famille qu’à l’Etat.

La présence de l’ambassadeur rendait visible l’impor-tance de la communauté philippine en Israël. Qualifier les travailleuses d’héroïnes les faisait changer de posi-tion et leur permettait de s’identifier au récit israélien de construction de la nation fondé sur le corps des pionniers et leurs qualités de dévouement.

Ensuite, les maîtres de cérémonie ont annoncé la première session : « Miss Ile Tropicale ». Une par une, quinze candidates sont alors entrées en scène sous les applaudissements du public. Chacune portait un mail-lot de bain de couleur et de style différents. Comme elles se tenaient les unes à côté des autres, le caractère coloré des maillots de bain accentuait leur peau fon-cée, leur chevelure ainsi que les différences de formes corporelles et de poids. Une fois sur scène, elles se mirent l’une derrière l’autre en cercle, tout en saluant le public. Les maîtres de cérémonie les remercièrent et lorsqu’elles commencèrent à quitter la scène, ils invitèrent un artiste venu des Philippines à chanter des chansons d’amour en anglais et en tagalog. à la fin du spectacle, les maîtres de cérémonie prièrent les candidates de revenir sur scène pour annoncer que la lauréate du prix « Miss Ile Tropicale » était la candi-date philippine numéro quinze. Celle-ci vint alors au centre de la scène, souriante et excitée, tandis qu’on lui faisait présent de cadeaux et d’une écharpe. Après quoi, les candidates quittèrent la scène et un groupe de danseurs de style indien fut invité à se produire.

à la fin du spectacle, les maîtres de cérémonie annoncèrent la deuxième session : le « Meilleur Cos-tume National ». Les candidates, disposées en fonc-tion de leur pays d’origine, étaient escortées par des hommes vêtus en habits traditionnels qui tenaient chacun le drapeau de leur Etat. En arrière-plan, une voix diffusait des informations sur le pays, ses sites touristiques et les traits de la communauté natio-nale. Le premier groupe de trois candidates invité sur scène venait d’Inde. En fait, aucune n’était tra-vailleuse migrante, il semble qu’elles avaient toutes la citoyenneté israélienne. Le public répétait et criait avec ardeur : « elles ne sont pas vraiment indiennes », ce qui alimentait la rumeur et le soupçon sur l’identité ethnique et nationale des trois candidates. Les uns pré-tendaient qu’elles étaient nées en Inde de parents juifs et avaient immigré toutes jeunes en Israël, les autres affirmaient qu’elles étaient nées en Israël de parents juifs d’ascendance indienne. Puis, un groupe de can-didates en provenance des Philippines habillées en robes traditionnelles arriva sur scène, suivi d’un autre groupe de candidates du Népal.

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Pour cette session, chaque candidate était appe-lée par son numéro, son nom et son pays d’origine, puis invitée à s’approcher du centre de la scène pour répondre aux questions qui lui étaient posées. Toutes les candidates, revêtues de leur robe nationale, se dépla-çaient lentement pour mettre en valeur la singularité de leur costume. Les maîtres de cérémonie leur posèrent alors une brève question personnelle. Les questions variaient : « Quelle est l’essence de la femme philip-pine ? », « Que pouvez-vous faire pour votre com-munauté ? », « Quelles sont vos grandes peurs et vos grandes passions ? » Seules les trois candidates indiennes furent interrogées en hébreu, ce qui ne fit qu’exacer-ber les propos moqueurs du public selon lesquels elles « n’étaient pas vraiment indiennes ». Une fois les ques-tions terminées, la place fut laissée à un spectacle de danse d’enfants. Les maîtres de cérémonie invitèrent ensuite les candidates pour la troisième session : « La plus belle tenue de soirée ». Les candidates ainsi vêtues de robes de style occidental glissèrent élégamment à travers la scène selon l’ordre de leur numéro, avec leur nom et leur pays d’origine. Lorsqu’elles eurent toutes pris place, les maîtres de cérémonie firent venir un chanteur et des danseurs népalais.

Après cet épisode, les maîtres de cérémonies annoncèrent les noms des cinq finalistes. Ce fut au tour des juges de leur poser à nouveau des questions personnelles puis celles-ci quittèrent la scène pour laisser place à un chanteur invité en provenance des Philippines. Une fois le tour de chant terminé, les

maîtres de cérémonies invitèrent les cinq candidates finalistes et les autres à se tenir à leurs côtés. Ils pro-clamèrent les gagnantes des sous-catégories puis la reine de beauté « Miss Asie-Israël » 2006 qui se trou-vait être la femme juive israélienne représentant l’Etat de l’Inde. Toutes les trois furent couronnées et grati-fiées d’un certificat encadré. On offrit à la reine une tenue de soirée, un bijou et des billets d’avion pour son pays d’origine.

La déclaration de la gagnante fut accueillie par des applaudissements, mais aussi par des protestations du public déçu que la reine choisie n’ait pas été « vraiment indienne », chaque groupe espérant la victoire de sa représentante. Le public commençait à se demander si les maîtres de cérémonie n’avaient pas fait une erreur. Toutefois, la compétition était terminée, et malgré cer-taines expressions de dépit manifestées dans le public, Miss Asie-Israël fut couronnée.

�■ L’événement « Reine de Beauté d’Israël »

Quatre jours plus tôt, le concours « Reine de Beauté d’Israël » prenait place pour la cinquante-sixième fois. J’ai observé la compétition à la télévision où elle était diffusée en direct, uniquement en hébreu, à une heure de grande écoute sur une chaîne locale. Cette com-pétition était lancée par le magazine hebdomadaire « To-Woman », et financée par des entreprises israé-liennes très connues de produits de beauté, de mode, de joaillerie et de cosmétiques qui ont également dépê-ché leurs représentants comme juges. Les conditions de participation à cette compétition sont au nombre de quatre : avoir la citoyenneté israélienne, être âgée de dix-sept à vingt-quatre ans, mesurer plus d’un mètre cinquante-trois et être célibataire. Les vingt candidates devaient participer à des séances de photos dans diffé-rents sites touristiques du pays avant d’être envoyées en tour organisé en Thaïlande.

L’événement RBIsraël s’est ouvert avec l’entrée en scène des vingt candidates accompagnées du maître de cérémonies. Toutes avaient la peau claire, des che-veux blonds et portaient une tenue d’été courte, fabri-quée par une entreprise israélienne de vêtements de mode, avec leur numéro accroché sur la hanche. Les vingt candidates ont été divisées en quatre groupes de taille égale. Puis, une vidéo pré-enregistrée fut proje-tée qui présentait quatre symboles israéliens aisément

Photo 1 - Les gagnantes du concours Miss Asie-Israël (photo du Jerusalem-Post, mars 2012).

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reconnaissables : le kibboutz, le Mur Occidental, le falafel3 et des danses folkloriques. Chaque film com-portait des archives.

Les cinq candidates du premier groupe avaient été envoyées au kibboutz, symbole manifeste de fondation de la nation. Elles avaient été filmées en train de suivre un vêlage, de ramasser des œufs de poule et de sillonner les routes du kibboutz ; le deuxième groupe avait été filmé en prière devant le Mur Occidental, en train de glisser des papiers dans les fentes du mur ; on voyait le troisième groupe apprendre à faire des falafels à Jéru-salem et l’on avait envoyé le quatrième groupe étudier les danses folkloriques et les chansons israéliennes tradi-tionnelles. Dans chaque film, les candidates se présen-taient individuellement en indiquant : nom, âge, ville de résidence, hobbies et ambitions. Les candidates n’ont eu à répondre à aucune question lors du concours. En dépit des controverses et des tensions sociales soulevées récemment par les symboles choisis4, tout était fait pour qu’à travers les corps féminins, le concours présente une performance homogénéisée, le silence des candidates ne faisant que renforcer cette stratégie d’évitement de toute subjectivité. Le sens premier de ces symboles est un symbole d’unification : quelle que soit leur origine ethnique, les femmes se doivent de soutenir le récit de l’homogénéité nationale.

Entre les clips vidéo, se déroulaient des spectacles de chants et de danses jouées par des artistes israéliens ; les candidates furent présentées avec trois autres cos-tumes : maillots de bain fabriqués par une entreprise locale de vêtements de mode, et deux styles de robes dessinées par des créateurs de mode israéliens. Mal-gré les changements de style des robes du soir, l’uni-formité dominait parmi les candidates, par exemple les maillots de bain étaient tous blancs. La session des maillots de bain laissait voir la blancheur et la finesse de la peau des candidates ainsi que la minceur et la fermeté de leurs corps.

Puis dix finalistes furent choisies. La sélection avait été réalisée par le jury avec le public qui était soit dans la salle, soit chez lui et que l’on avait prié d’en-voyer des messages en faveur de sa candidate favorite, ce qui influençait donc la sélection des finalistes par les juges. L’un d’entre eux fut alors invité à mon-ter sur scène pour annoncer les dix semi-finalistes. Après une pause avec chanson, un autre annonça les six finalistes, qui se présentèrent en robes blanches très sophistiquées, semblables à celles de mariées. Des six candidates, on en sélectionna alors quatre qui correspondaient aux sous-catégories suivantes :

« la Jeune fille israélienne », la « Reine de la Grâce », « La Jeune Beauté » et « la Préférée du Public ». Invi-tés à proclamer les deux premières lauréates, les juges les récompensèrent d’une couronne, d’une écharpe et d’un bouquet de fleurs. Les six gagnantes devaient toutes représenter Israël dans différents concours de beauté internationaux.

Après une publicité et un tour de chant effectué par un chanteur israélien, le rédacteur en chef du maga-zine qui organisait le concours fut invité à couron-ner la gagnante. Sous les applaudissements de la salle, la reine de beauté de l’année précédente passa alors la couronne de sa tête à celle de la lauréate.

�■ Trois axes de comparaison

La comparaison et l’analyse des schémas des concours met en évidence trois thèmes : la structure de l’événement et sa logique, la façon dont l’événe-ment se distingue de la vie quotidienne, et la partici-pation du public. Chacun permet de voir la manière dont ces événements sont construits en relation avec l’expérience et l’imaginaire de l’israélianité.

La structure de l’événement et sa logique

Pendant le déroulement du concours RBIsraël, les candidates étaient organisées en groupes de cinq. Puis, dix semi-finalistes ont été choisies, qui se sont réduites

Photo 2 – La Reine de beauté d’Israël en 2011 (tirée de : http://www.ynet.co.il/articles/0,7340, L-3230633,00.html#n Accessed 17 February 2011).

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ensuite à six candidates. La structure de l’événement est conçue de manière à fondre les individus en un groupe collectif cohérent, soit la manifestation d’un symbole clé de la société israélienne [Katriel, 1991 : 13]. Ce symbole offre une image d’ordre et de modes socialement valorisés d’action. La cristallisation de l’unité des candidates au sein du concours a même commencé avant que la compétition ne démarre. Elles ont voyagé ensemble en Thaïlande, un paysage étran-ger qui les constituait en groupe unifié à la fois doté d’un haut degré de cohésion, aux frontières clairement marquées, fortement intégré et indifférencié en termes de valeurs sociales.

Qui plus est, chacun des quatre symboles nationaux cristallise la capacité à faire surgir un sens de la collec-tivité et de la solidarité : le Mur Occidental incarne un groupe assemblé pour la prière, la vie en kibboutz est fondée sur le partage et la communauté, et les danses folkloriques sont des rondes où l’on se tient les mains. L’usage unique de l’hébreu, les spectacles israéliens et les présentateurs, comme les costumes fabriqués en Israël, tout ceci procure le partage d’une expérience, qu’il s’agisse des candidates ou du public. Le concours RBIsraël inclut ainsi des éléments bien établis de la nationalité israélienne à travers des interactions sociales spécifiques et la manipulation symbolique des corps des candidates.

Cette présentation sur un mode ouvertement unifié éclipse les différences individuelles et les conflits enfouis dans les quatre symboles choisis. RBIsraël amalgame de façon non critique l’accomplissement individuel avec la constitution d’une communauté. Qui plus est, le concours RBIsraël facilite la connexion entre le passé (à travers l’incorporation des archives filmées) et le présent, ainsi qu’entre la salle du concours et le chez soi du spectateur de la télévision. Il offre aux partici-pants un reflet de l’ordre social et créé un lien entre récits, symboles, bonnes actions, émotions et citoyen-neté. Cet événement ne laisse aucune place au luxe de la diversité et de l’inconnu.

Par contraste, dans le concours MAsieIsraël, les quinze candidates étaient jugées selon trois catégories en fonction de leur style de vêtement qui permettait l’expression d’une subjectivité. Pendant la session de « Miss Iles Tropicales », toutes les candidates arbo-raient des maillots de bain colorés exposant leurs dif-férences de poids, de taille et de couleur de peau. Le titre choisi « îles tropicales » conférait aux corps expo-sés une idée d’exotisme, étrangère au paysage israélien. Les deux sessions suivantes introduisaient une tension

entre le national et l’individuel. Pendant la session « meilleur costume national », les candidates portaient un costume différent de celui de leurs compatriotes, bien qu’elles fussent invitées comme membres d’un même groupe national. à chaque femme, individuel-lement, furent posées des questions sur ses ambitions, ses passions, ses peurs, ses amours et ses hobbies, par contraste avec les voix enregistrées des candidates de RBIsraël qui n’ont pas parlé sur scène. Invitées à por-ter des robes de soirée, les candidates ont pu jouer de leur apparence individuelle. à travers l’usage du multi-linguisme et des audio-expériences culturelles, la transition d’une catégorie à l’autre devait produire un sens de l’inattendu. Et chaque fois, le spectacle contextualisait les différences de subjectivité féminine des candidates. à travers les trois sessions, les com-pétitrices sont devenues des actrices modernes, puis traditionnelles, puis inscrites dans l’économie globale. Même la reine choisie fut une surprise, tant pour les candidates que pour le public. Ainsi, le concours MAsieIsraël offre-t-il une célébration de l’altérité et de la différence, dans lequel rien n’est familier ni connu d’avance. Ce faisant, il dévoile aussi les inégali-tés à l’intérieur du groupe des étrangers.

La distinction de l’événement d’avec la vie quotidienne

Dans le concours RBIsraël, on ne fait pas de dis-tinction entre la vie quotidienne et l’événement. Le monde extérieur est intégré dans la structure interne de l’événement, en sorte que les corps des candidates constituent une extension directe de l’ordre social qui prévaut au-delà de l’espace-temps du concours. L’intégration de l’ordre social a été accomplie en fusionnant les quatre symboles bien connus d’Israël, sans explications sur les raisons de leur choix ni sur les tensions sociales dont ils sont l’objet. Les enre-gistrements vidéo ont utilisé les corps des candidates pour forger des liens visuels entre les symboles et la vie quotidienne, entre le passé et le présent. La femme israélienne célibataire, en uniforme, devient l’écran ultime sur lequel se présente et se reflète le récit national de l’israélianité.

Par contraste, MAsieIsraël affiche une distinction d’avec la vie de tous les jours. Pendant l’événement, les travailleuses étrangères sont devenues candidates d’un concours de beauté, plutôt que des aides familiales. Sur scène, elles ont délaissé leur apparence quoti-dienne pour revêtir des maillots de bains, des costumes nationaux et des robes de soirée. Le flot imaginaire qui

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circule dans le concours MAsieIsraël génère un ordre de représentations liant différentes images féminines entre elles. On commence avec une femme-en-tant-que corps, puis on l’immerge dans sa communauté eth-nique, et l’on termine avec une femme transformée par la modernité en une figure transcendante prête à faire irruption sur la scène globale. Ces femmes ont pu aussi s’exprimer dans leur langue natale, absente de leur vie quotidienne. Ce concours permet ainsi à ces femmes d’aller au-delà de leur rôle d’aides familiales et des frontières de la quotidienneté israélienne, vers des horizons culturels autres.

La participation du public

A travers soupirs et applaudissements, le public du concours MAsieIsraël a exprimé à la fois sa décep-tion et ses doutes quant à l’événement. Les candidates indiennes ont suscité des contestations, de l’embar-ras et de l’incertitude parmi l’audience qui faisait savoir haut et fort qu’« elles ne sont pas vraiment indiennes ». Un paradoxe surgit : qui est la femme juive-israélienne qui représente l’Inde ? Sont-elles réellement indiennes ou font-elles ‘comme si’ juste pour le concours ?

Le concours devient une métaphore et le « elles ne sont pas vraiment indiennes » est utilisé comme méta-message pour dire que « c’est un jeu » [Handel-man, 1988 : 69], soulignant les conditions   de l’in-certitude, dès lors qu’un phénomène est une chose [indienne] et simultanément une autre [israélienne]. Dans le même temps, le concours peut être tout à la fois indien et israélien, ou bien ni l’un ni l’autre. Le cadre du jeu autorise l’émergence de la contradiction et de la négation. Même lorsque la candidate indienne a été déclarée « Miss Asie-Israël », ce paradoxe n’a pas été résolu.

Régler un concours de beauté comme un jeu implique un élément d’incertitude, l’éventuelle remise en cause de sa validité et de son statut. Cet élément dénote la fluidité du concours MAsieIsraël dont les réalités peuvent être objet d’altération ou de doute. Le jeu ménage un espace pour la différence et la multi-plicité, au sein duquel des jeunes femmes juives israé-liennes peuvent devenir des reines de beauté.

En comparaison, le concours RBIsraël forme un événement qui est supposé identifier des symboles bien connus, à travers lesquels la nation se représente à elle-même. L’événement a une portée nationale ; il est rediffusé à la télévision au même titre que la

diffusion officielle du Jour du Souvenir et les céré-monies du Jour de l’Indépendance. Le concours se transforme ainsi en une performance scénique élaborée pour une audience nationale. Télévisé, le concours de beauté fait participer les foyers israé-liens à une expérience collective. En envoyant des messages comme dans un reality-show, le public filtre les candidates et, ce faisant, dessine les frontières du groupe national sur le corps féminin. Dans des vête-ments identiques, à la même cadence et en groupe, les candidates se répliquent ; toutes sont bonnes pour devenir des « Reines israéliennes de beauté » desti-nées à représenter l’Etat dans les concours interna-tionaux de beauté.

En associant la salle de spectacle et le foyer, l’évè-nement et la réalité quotidienne, le concours crée une logique bureaucratique de filtrage et de tri assu-mée par les spectateurs et les juges. A travers un corps féminin unifié, le concours de beauté plaque sur l’anxiété de la nation israélienne quant à sa stabi-lité l’image d’une nation cohérente et aux frontières sûres. En 2001, Miss Israël a annoncé qu’au concours de Miss Univers, elle allait porter une « tenue avec gilet pare-balles incrustée de diamants » [Wilkinson, 2001]. A travers cette déclaration, elle faisait écho à la question de la sécurité à laquelle Israël est confronté et affichait sa bravoure comme une vertu nationale et sociale à laquelle tous les Israéliens sont censés adhé-rer. Dans une société hautement stratifiée et divisée ethniquement, le concours RBIsraël rend tous les juifs israéliens égaux, il en fait des consommateurs, des observateurs, des spectateurs dotés de valeurs communes, à même de juger le corps féminin et, à travers lui, d’unifier la nation.

�■ Incarner l’israélianité à travers l’esthétique

Chaque concours est une forme culturellement déterminée. Le concours RBIsraël qui agit comme le reflet de l’ordre social, conduit à un modèle blo-qué d’israélianité qui, pour autoriser des performances sociales, repose sur un ordre bureaucratique. Du fait que les candidates avaient toutes la citoyenneté israé-lienne, les critères de participation étaient suffisam-ment nets pour prévenir toutes les frictions que la différence et la diversité sont susceptibles de susciter.

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A travers ce concours, Israël se trouve construit comme une enclave déconnectée non seulement de son espace géographique, mais aussi de phénomènes qui se déve-loppent dans le pays, comme le fait qu’il y ait un nombre croissant de femmes travailleuses migrantes qui sont exclues de ce concours. Dans cette enclave, il n’y a de place que pour l’auto-référence de symboles nationaux et de catégories bureaucratiques. La précédente reine de beauté peut passer la couronne de sa tête à celle de la nouvelle lauréate chaque année, et le discours nationa-liste peut diffuser ses images sélectionnées et son esthé-tique. Témoin le fait que sur les soixante-cinq concours, on dénombre seulement six reines de beauté d’origine orientale [Séfarade-Mizrahi], une israélienne arabe [en 1999], une autre d’origine éthiopienne [en 2013] et six autres qui sont ethniquement mixtes. Toutes les autres, soit presque cinquante reines, sont d’origine Ashkenaze [Europe, Europe de l’est et Amérique]. Les tropes Ashke-naze, citoyen, peau claire et juif ont été compactés pour représenter la nation. Les femmes Ashkenaze incarnent les images nationales de ce que sont et devraient être les femmes ‘israéliennes’ ; simultanément elles racontent ce que la nation elle-même devrait être. C’est le produit de la politique israélienne de l’assimilation [melting pot] qui, pour construire un état-nation homogène, confond les migrants juifs Séfarade-Mizrahi avec l’archétype Ashke-naze européen [Shohat, 1999].

Par contraste, le concours MAsieIsraël offre l’alter-native d’un évènement multi-culturel orienté vers le

continent asiatique. Le regard d’Israël est tourné vers l’extérieur, la structure du concours n’est pas fondée sur un critère de citoyenneté, mais plutôt sur des ren-contres corporelles créatrices de contradictions et de tensions. Le concours étend les frontières de ce qui constitue l’israélianité, il permet de valoriser la multi-plicité et la diversité. Il offre un modèle ouvert et flexible d’israélianité où la découverte de soi prend place face à l’autre et où les interactions ludiques peuvent émerger.

Ce concours indique que l’expansion de l’horizon d’israélianité à travers le corps féminin est possible. Ce n’est que dans un contexte multiculturel qu’une femme indienne, juive, orientale peut passer devant les autres et devenir reine de beauté. Ainsi, l’extra-néité est plutôt une ressource pour les travailleuses étrangères qui offrent à la famille juive et aux patients âgés une possibilité : dépendre de femmes étrangères pour survivre dans la dignité. On peut même faire le lien avec le livre de Ruth, la jeune Moabite, dans lequel la jeune bru étrangère et non juive de Naomi qui épousa Booz devint l’arrière-grand-mère du roi David. Son mariage avec Booz a étendu les frontières du groupe endogame d’Israël qui a prospéré depuis en tant que royaume. ■

Traduit de l’anglais par Anne GotmanAnne [email protected]

�❙ Notes

1. La pratique du concours de beauté est bien connue au sein de la communauté phi-lippine en Israël et dans le monde (voir par exemple Miss Philippine Bahrein in Nagy, 2008). En 2003, le concours de beauté « Miss Philippine-Israël » était réservé exclusive-ment aux candidates philippines. En 2009, le concours « Miss Etoile Scintillante » com-portait douze jeunes filles philippines nées en

Israël. Cette pratique illustre l’importance du corps parmi les aides familiales.

2. Pour de plus amples détails sur les soins fournis par les femmes philippines dans le monde, voir : en Malaisie, Chin 1998 ; à Los Angeles et à Rome, Parreñas 2001 ; à Hong-Kong, Constable 1997 ; à Taïwan, Cheng 2003 ; à Bahrein, Louer 2008. Par contraste avec les autres localisations dans le monde, en Israël les Philippines ont pour seule tâche quotidienne de prendre en charge des patients âgés. Travailler avec des non-patients est considéré comme un travail illégal qui légitime l’expulsion.

3. Le falafel est une spécialité culi-naire très répandue au Proche Orient et en Israël en particulier. Cf. Grosglik, ce numéro [NdT].

4. Des mouvements comme Women of the Wall (Les Femmes du Mur) qui militent pour que les femmes soient autorisées à prier devant le Mur des Lamentations, défient les autorités orthodoxes ; on débat aussi du rôle social des kibboutz dès lors que ceux-ci sont privatisés ; on s’interroge enfin sur la pro-venance – israélienne ou arabe –du falafel [NdT].

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Les concours de beauté, enjeux de l’israélianité

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�❙ ABSTRACT

Beauty contests, Challenging IsraelinessIn this article, I compare the “Israeli Beauty Queen” 2006 contest and “Miss Asia-Israel” 2006 contest as public events describing

everyday Israel. Comparing both contests reflects the wider social and cultural transformations Israel is facing. Each pageant produces dominant images and narratives about whom and what ‘Israeli’ women are and should be while simultaneously narrating who and what the nation itself should be. The comparison suggests that both contexts relate to the national-social order and negotiate different models of Israeliness embodied through the display of the female body.

Keywords: Beauty pageants. Female body. Nationalism. Public events. Israël

�❙ ZUSAMMENFASSUNG

Schönheitswettbewerbe, Herausforderungen der Israelisch-Seins Der Vergleich zweier Schönheitswettbewerbe „Schönheitskönigin Israel“ und „Miss Asien-Israel“, die beide im Jahr 2006 stattfan-

den, ermöglichen ein Beschreibung Israels in seiner Alltäglichkeit. Sie machen die größeren sozialen und kulturellen Wandlungspro-zesse sichtbar. Jeder Wettbewerb generiert dominierende Bilder und Eindrücke davon, was die „israelischen“ Frauen sind und was sie sein sollten und was demnach die Nation selbst sein sollte. Dieser Vergleich zeigt auf, dass die beiden Schönheitswettbewerbe sich in die soziale Ordnung der Nation einschreiben und verschiedene Modelle des Israelisch-Seins vorschlagen, die durch die Zurschaustel-lung des weiblichen Körpers verkörpert werden.

Stichwörter : Schönheitswettbewerb. Weiblicher Körper, Nationalismus. Öffentliches Ereignis. Israel

�❙ RéSUMEN

Los concursos de belleza, desafío para IsraelLa comparación entre los dos concursos de belleza « reina de Belleza de Israel » y « Miss Asia-Israel », que sucedieron en el 2006

permite describir Israel en su vida cotidiana. Expresan cambios sociales y culturales más amplios. Cada espectáculo genera imágenes dominantes y relatos de lo que las mujeres « israelíes » son y deberían ser y, en conclusión, expresa lo que debería ser la nación misma. Esta comparación revela que los dos concursos están arraigados en el orden social de la nación y proponen modelos diferentes de « israelianidad » encarnados en la exposición del cuerpo femenino.

Palabras-clave : Concursos de belleza. Cuerpo femenino. Nacionalismo. Acontecimiento público. Israel.

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ישראליות ועיצוב יופי תחרויות על

של היופי "מלכת : תחרות6002בשנת שנערכו יופי תחרויות ישת בין להשוות ברצוני זה במאמר-חברתיים שינויים על התבוננות מספקת ישראל". ההשוואה-אסיה מיס תחרות"ישראל" ו נרטיבים מוצגים המלכה של היבחרה עם גלובלי. בעידן עימם מתמודדת שישראל תרבותיים

הישראלי הלאומי הנרטיב מוצג בזמן בוו הזר, והגוף הנבחר הישראלי-הנשי הגוף אודות ודימויים של שונים מודלים ומציעות לחברתי הלאומי בין קשר משרטטות היופי תחרויות. המדומיין

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