Recueil des nouvelles du concours

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2018 Recueil des nouvelles du concours [Par les médiathèques de Chauvé et Saint Père en Retz

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2018

Recueil des nouvelles du concours

[Par les médiathèques de Chauvé et Saint Père en Retz

Sommaire

Catégorie adultes : 1er prix ex-æquo Benoît Bouard Le taille crayon de Jean Hélène Chambaud Caquetages et commérages Michel Betting Aurore Gérard Riffault Boulevard des mots perdus Anne-Claude Gillet Crescendo Michel Duffour Dernière chance Elisabeth Lebeau Deux souris s’affichent Mathieu Artifoni En toute certitude Grégory Lahmy Façon Cyrano Laura Boudali Fiançailles Michelle Marcoux Florilège d’un bavard Marie Pommier Gourmandise Rik Arkan La maison des expressions Isabelle Denaules La révolte Anne-Claire Saulnier La tirade Frédérique Piccioli L’annonce Isabelle Serafini L’atelier Janine Fermont Grégoire La voleuse de voix Xavier Rieupeyroux le chant des oiseaux Daniel Toucanne Le conférencier Pascale Mauduy Le griot sans mots Thomas Laurain Le marchand de rêves Yves Maurice Le petit père de la rue du port Luana Malletroit Medeiros de Cerqueira L’écorcheur et la fille du cerisier Jacques Dupin Malentendu François Capet Maudit Niaiseux Amandine Lebreton Maux fléchés Samantha da Cunha Moi président… Bérengère Vallat Mot compte triple Nelly Avrillon Musique au cœur des mots Nadine Guichard Nécessité Jean-François Schwaiger Première école buissonnière Pierre Pirotton Pull ! Marie-Chantal Briand Que tous puissent voir le soleil… Patrick Ducimetière Raconte –moi une histoire… Marie-Paule Henri Si… Elise Gas Soirée genreuse Cindy Chêne Tout ce que l’on fait par amitié… Didier Deguis Transhumance Claudine Roura un aller sans retour Christian Bergzoll Un futur accidenté Arnaud Wuilleumier Un mal, des mots Jean-Claude Bouyer Un si long voyage Joëlle Viallatte Une disparition inquiétante Jacqueline Mosson Une étrange maladie Fabien Bernard Votre plus grand fan

Catégorie 12 à 16 ans Lou Cantereau Meurtre au cimetière 1er prix Célestine Mauger Bagou ou vérité

Catégorie jusqu’à 11 ans inclus Hermine Saulnier Le nouveau voisin Célia Le Montagner Un ami par intérêt

Catégorie adultes

Caquetages et commérages

Le soleil se lève sur la colline.

Aux alentours, la brume nappe comme une crème anglaise épaisse les vallons aux teintes bleutés. Le lieu-dit

du four va s'éveiller.

J'observe les premiers rayons qui illuminent la vallée et se reflètent dans l'épaisseur de la brume, comme

avalés par les nuages ouatés. Je m'étire tranquillement.

Bientôt mes voisines vont sortir sur leur palier et commencer leur journée. Le spectacle va démarrer. En

observateur muet, je vais me délecter de leurs bavardages incessants. Ohé braves gens, la scénette de la vie

va s'offrir à vos yeux. Soyez toute ouïe et régalez vous de ces délectables morceaux de vie!

Elles ne vont cesser de se voler dans les plumes, caqueter, cancaner, jacter, placoter et s'époumoner en

déblatérant toute la journée sur les faits et gestes de leurs consœurs…

Le personnage que je préfère dans ces moments est sans conteste celui de la grande Lulu. Elle est un mythe à

elle toute seule. Son verbiage est inégalé. Elle se tient droite et fière et pérore sans cesse, toujours à l'affut

d'un quelconque spectateur à éblouir de sa verve.

Les phrases fusent, les anecdotes fleurissent. D'un détail elle fait un poème. D'un poème une tirade de

l'Iliade. Elle représente pour moi le personnage le plus truculent de cette basse-cour que j'observe avec

délectation. Imbue d'elle même, gonflée d'importance, elle passe son temps à se gargariser de ses propos

insipides. Les autres membres de cette improbable cour de justice improvisée l'admirent tant pour sa

prestance que pour son bagou inégalables.

Elle est le centre de toutes les attentions, donnant à qui veut l'entendre des conseils qu'elle imagine avisés du

haut de ses discours plein de jactance.

Plus en retrait, presque intimidée par la présence charismatique de la grande Lulu, on découvre ensuite

Margot. Réservée, moins expressive dans ses verbiages, elle semble susurrer ses messages sibyllins. Ils n'en

portent pas moins les stigmates d'une médisance sans borne. Elle est de ces personnes qui peuvent voler dans

les plumes de quiconque sans en avoir l'air, portant sur elle l'innocence du monde. Sa singularité, outre cette

propension à médire en toute simplicité souriante et facétieuse, réside dans cette faculté à se fondre dans la

masse des biens pensant(e)s. J'aime à entendre leurs commérages. J'aime à découvrir les arcanes de leurs

pensées et jusqu'où leurs réflexions les emmènent... Elles se laissent surprendre par les détours de leurs

propres suggestions. Elles écoutent leurs propres voix les étourdir et s'enivrent de leurs accents chantants. Il

est vrai que rien n'est plus volubile qu'une commère, à part peut être une volière de commères...

Je me repais de leurs échanges et les regarde évoluer. Tel un griot d'Afrique, Lulu se démène pour rallier à

ses contes et ses chimères le reste du groupe. Elle devient artisan du verbe et chacune se laisse conter avec

plaisir... La journée va passer ainsi. Elles en oublieraient presque de casser la graine!...

Le soir les cueillera encore éblouies des affabulations grandissantes qu'elles s'amusent à embellir toujours

plus. Demain se lèvera de la même manière. J'observerai à nouveau les mêmes acteurs.

Demain encore, je surveillerai de ma tour d'ivoire la scénette renouvelée. Le lieu-dit du four s'emplira de

leurs chants ininterrompus.

La seule inconnue pour moi est de savoir quand l'une d'elle passera à la casserole... Triste fin pour

mes commères. Pourtant à force de voler dans les plumes de tout le monde, on finira par leur

arracher à elles aussi leurs plumes duveteuses. Adieu Lulu et les autres... Le ragout nous attend! Je

m'en pourlèche les babines et vous observe sur mon céans. Pourtant, foi de matou, je m'y attacherai

presque à cette tribu emplissant chaque jour le poulailler de ces caquetages bruyants!...

Aurore

Dès ma première année scolaire, au CP, je fus considéré comme un cancre, et

par conséquent relégué au fond de la classe, comme il se devait en ce temps-là. Il

faut dire que la jactance de notre volubile maîtresse était pour moi un galimatias

tout à fait incompréhensible, n’ayant pas l’habitude d’un tel déluge verbal. En effet, à

la maison, les échanges entre mes parents se limitaient à l’indispensable, épuisés

qu’ils étaient par leur journée de travail à l’usine. Pendant les cours, je passais donc le

temps à regarder les pies qui jacassaient dans le marronnier de la cour, ou les bigotes

qui placotaient sur le parvis de l’église, après leur corvée de nettoyage du bâtiment

religieux, corvée qui, espéraient-elles, réduirait la durée de leur séjour au purgatoire.

« Ohé, l’ami ! », m’interpellait alors la maîtresse pour me faire revenir sur Terre,

comme elle disait. Toutefois, lorsqu’elle nous racontait une histoire truculente, –

chose rarissime ! - j’arrivais à me laisser happer par le récit. C’est ainsi que,

péniblement, se passa ma scolarité, jusqu’au lycée, où je me rendais tous les matins

en bus scolaire dans le quel, un jour, rêvassant comme à l’ordinaire, Aurore, une fille

splendide, qui fréquentait le même lycée que moi et que je n’avais jamais osé

aborder, vint, à ma grande surprise, s’asseoir à côté de moi. Au bout d’un bref

instant, qui me fut à la fois un supplice et un délice, elle se pencha vers moi et de sa

voix suave et sensuelle, avec un léger accent qui me sembla être anglais, pour le

peu que je pusse en juger en ce temps-là, me susurra à l’oreille : « Raconte-moi une

histoire. » La panique une fois évacuée, à grand peine, je réfléchis à toute allure.

C’est alors que je me souvins de l’histoire de Wang Fo, qui fut condamné à mort par

l’empereur parce que celui-ci avait imaginé le monde d’après les peintures de Wang

Fo et fut fort déçu lorsqu’il s’aperçut, une fois adulte, que le monde était bien moins

beau que ses peintures qu’il avait admiré toute son enfance, passée cloîtré dans le

palais. Wang Fo, pour s’échapper, peignit la mer puis, sur celle-ci, une barque dans

laquelle il monta puis rama jusqu’à ce qu’on ne le vit plus. Contant ce récit à Aurore,

nous ne vîmes pas passer la demi-heure que durait le trajet, elle, fasciné par

l’histoire, voyant sans doute en moi un griot au bagou légendaire, moi, fasciné par

sa fascination et par le miracle qu’était sa présence à mes côtes. Je compris deux

choses ce jour là : la première, c’est que j’étais amoureux d’Aurore, et ce depuis le

premier jour où je l’avais vu, sans avoir osé me l’avouer. La seconde, c’est que je

savais enfin ce que je pourrais faire de ma vie : raconter et écrire des histoires.

Boulevard des mots perdus...

Ohé, ohé. ... !

J'ai distinctement entendu ohé,

mais cet appel ne m'était sans doute pas adressé.

Pourtant, je me suis retourné en tout sens, cherchant à savoir qui appelait.

Le puissant organe qui l'a prononcé n'y est pas allé de main morte.

Cette voix de baryton portait loin.

Il m'était donc difficile d 'évaluer où se trouvait celui qui avait ainsi explosé...

Il n'avait pas susurré, soupiré, murmuré, mais plutôt crié, comme une douleur.

Il a de la jactance le bougre... !

C'est peut-être le voisin, que je croise souvent au même endroit... ?

Est lié à sa culture, à ses habitudes...?

Toujours est-il qu'il a un bagou peu commun.

Lui et ses amis ont pris l'habitude de placoter près de la gare.

La conversation va bon train, chacun coupant la parole à l'autre,

le tout ponctué par d 'énormes éclats de rire...

J'ai poursuivi ma promenade.

Soudain, parmi les passants je l'ai reconnu, c'est bien lui.

Il est arrivé derrière moi d'un pas décidé, toujours très volubile .

Il s'exprimait sans accent, mais avec des mots truculents .

Son phrasé ressemble à celui du griot .

Malgré tous ses efforts, il n'aura pas obtenu de réponse.

Crescendo Au Café de la Place de Sannat, la septième mouche de la journée venait de griller sur les

résistances bleutées de « l’attrape-crève », comme le nommait Solange, la tenancière du lieu. Les

habitués du jeudi, cartes en main, regards furtifs au partenaire, tapaient le carton. A peine

prenaient-ils le temps de picorer une griotte à l’eau-de-vie dans le bocal en verre que Marcel avait

apporté. Ils dégustaient le fruit imbibé et faisaient ensuite tourner le noyau en bouche

interminablement. Pas un mot plus haut que l’autre chez ces quatre compères, l’ambiance

tranquille du café en ce début d’après-midi n’incitait pas aux éclats de voix. .

Solange essuyait d’un air distrait les quelques verres qu’elle avait servis au moment du « coup de

feu de l’apéro » plaisantait-elle, accompagné d’un clin d’œil à Gilou, son plus fidèle client.

Ah, Gilou et son bagout légendaire, qui au fil du temps était devenu galimatias susurré dans le

fond du verre. Ses acolytes étaient repartis déjeuner ou travailler mais lui restait accoudé au bar,

désœuvré, grignotant les quelques cacahuètes laissées sur une soucoupe. Solange songeait avec

mélancolie au Gilou d’avant, sa jactance arrogante, son verbiage haut en couleurs du temps

d’avant, d’avant le chômage, le divorce, l’alcool… Elle maudissait ce déclin sans pouvoir se

résoudre à lui refuser le verre qu’il demandait encore et encore.

C’est dans cette atmosphère feutrée, rythmée par le bruit mat des cartes abattues et le

grésillement des mouches imprudentes qu’entra Isidore Lafontaine. « Ohé, les cheums ! » tonna-t-

il d’une voix tonitruante. Un silence ébahi lui répondit, quatre paires d’yeux à gauche, deux paires

à droite le scrutaient avec étonnement.

« Oh désolé, soyez pas en criss, je voulais juste jaser un peu en buvant une pinte ! » dit-il dans un

grand sourire. Cet accent, ces expressions ?.... une lueur venait de s’allumer dans les yeux vitreux

de Gilou. « Un Québécois ! Madame Solange, je reconnais, j’y suis allé au Canada ! » Isidore

Lafontaine se dirigea, main tendue, vers Gilou et lui asséna une bonne tape amicale dans le dos.

« Tu connais ma province, cheum ? Allez, j’te paie une broue et à ces messieurs aussi ! » Marcel

faillit en avaler son noyau ! C’est bien la première fois qu’un inconnu, étranger de surcroît, offrait

sa tournée ! « C’est pas ici qu’on verrait ça ! » dit-il en aparté à ses amis.

Isidore, volubile, enjoué, tel un griot revenu au pays, raconta son voyage, son envie de tour de

France « en escargot » en commençant par la Creuse. Les autres l’écoutaient ravis, tant par son

discours truculent que par les expressions qu’il employait et qu’il était sommé de traduire pour

l’assistance conquise. La journée, puis la soirée, s’étira dans une chaleureuse convivialité, chacun

savourant ces instants comme un mets rare et précieux. Solange apporta sans façon une bonne

soupe à l’oignon et du pâté creusois, accueillis avec l’enthousiasme des grands événements.

Le café reprit son calme initial dès le lendemain, mais d’Isidore Lafontaine, subsiste encore un

mot, sésame des initiés de cette soirée privée. Depuis lors, Solange, Gilou et les joueurs de

belote ne bavardent plus entre eux : Ils « placotent » !

Dernière chance

« - Madame Rizzotto, vous m’entendez ? Madame Rizzotto ?! … »

Qui m’appelle ? … Où suis-je ? C’est bizarre, je ne sens plus mon corps … Je voudrais

ouvrir les yeux … je n’y arrive pas … Quelle étrange sensation d’apesanteur … Je suis

comme un esprit qui flotterait dans les airs … un esprit sans corps …

Et ces deux femmes qui clapotent gaiement en ma présence, qui sont-elles ? La première a

un accent très marqué ; peut-être est-elle africaine, ou encore antillaise ... Elle raconte son

dernier livre de chevet, une fabuleuse histoire de griot ; elle a beaucoup aimé … Je parierais

que l’autre est d’origine slave. Elle, c’est plutôt le cinéma qui l’intéresse. Elle adore Gérard

Depardieu … Il faut reconnaître que le gaillard a du bagou, et qu’on lui confie des rôles

souvent truculents … Moi, je préfère quand il incarne des personnages moins volubiles,

plus en retenue, comme dans « 36 Quai des orfèvres », un chef d’œuvre …

Eh, les filles ! Vous êtes bien sympas, mais je ne sais toujours pas ce qui m’arrive !

« - Ohé, Madame Rizzotto, réveillez-vous ! Votre opération s’est bien passée. Vous êtes en

salle de réveil ! Vous m’entendez ? Madame, si vous m’entendez, serrez-moi la main !»

Ah oui, maintenant je me souviens ! (bip !) Je dois être encore branchée de tous les côtés.

(bip !) Le chirurgien m’avait dit que vu mon grand âge (bip !) c’était l’opération de la

dernière chance. (bip !) J’avais longuement tergiversé (bip !) L’anesthésiste m’avait fait

signer une décharge (bip !) mais il faut bien, tôt ou tard (bip !) mourir de quelque chose,

n’est-ce-pas ? (bip !) Tout s’est donc bien passé, ouf ! (bip !) Je voudrais pouvoir ouvrir les

yeux (bip !) … lui serrer la main (bip !) … pour lui dire que je l’entends (bip !) … je n’y

arrive pas (bip !) … Les deux filles (bip !) … ont repris (bip !) … leur jactance (bip !) …

comme si (bip !) … je n’étais pas (biiiiiiiiiiiiiiiiiiip

« - Tatiana, vite ! Appelle vite la réa, Madame Rizzotto est en train de partir !!! »

Un irrésistible tourbillon m’aspire dans un tunnel interminable. On m’y susurre avec

tendresse « Viens Maria, ne résiste pas ; viens, n’aies pas peur, nous sommes tous là » : je

reconnais immédiatement les voix des miens et de tous ceux que j’ai aimés !!!

Soudain, jaillit une lumière aveuglante … et je vois la blonde Tatiana débrancher les

appareils qui me reliaient à la vie, puis déplier un drap blanc qui vient recouvrir ce qui fut

mon corps ... C’était effectivement l’opération de la dernière chance !

DEUX SOURIS S’AFFICHENT…

Elle m’avait dit, tu entendras deux voix insolites, et avec son bagou habituel, je m’étais laissée tentée.

J’avais fait ce qu’il fallait pour cela. Une fois revenue chez moi, j’avais ouvert mon ordinateur et j’avais

tapé l’adresse du site pour retenir une place pour ce concert, dans ce bled à 50 km de mon lieu

d’habitation.

Ce n’était pas facile car je détestais avoir recours à ce moyen pour réserver une place quelque part.

J’aimais trop le contact qui me permettait toujours d’obtenir l’emplacement que je voulais même et

surtout si je devais placoter de rien et de tout auprès de la caissière du cinéma ou du théâtre. Mais là,

il n’y avait pas la possibilité d’avoir ce contact en direct et je me pliais à la marche à suivre sans plus de

jactance.

Et tout cela pourquoi ? Pour entendre deux souris très truculentes déjà dans leur apparence

physique car sur l’affiche, la voix, ça n était pas visible. Mais c’est vrai, rien qu’à contempler ces deux

là, je sentais monter en moi, ohé, un fou rire ou disons, une envolée de lâcher prise à mes

zygomatiques.

Leurs frimousses invitaient à l’hilarité et c’était déjà une manière de susurrer au spectateur qu’il allait

passer un véritable bon moment.

Le jour J, j’étais là à la bonne heure, au bon endroit ce qui représentait pour moi un exploit compte

tenu de mes sempiternels problèmes d’orientations dans le temps et dans l’espace.

Il est évident qu’avec l’accent mis pour que j’assiste à cette unique représentation de ces deux

malignes souris, je m’étais complètement appliqué à ce que tout se passe pour le mieux. J’avais anticipé

mes difficultés d’orientations, étudié le parcours avant de prendre le volant et m’étais équipée de deux

GPS pour être sûre d’arriver dans la bonne localité.

Et c’était le cas, occupant la place 17 au rang C de cette salle de fête que je découvrais par la même

occasion.

Je ne pourrais rien vous dévoiler de ce que j’ai pu entendre et regarder pendant cette une heure trente

de spectacle haut en couleurs et en chants. Pardonnez-moi si je ne suis pas volubile à vous le décrire,

mais sachez seulement qu’il est si hilarant que j’en ai presque « pissé » dans ma culotte et que par

correction, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour me retenir.

Du reste, comme dans les contes africains, le griot s’écoute, et se savoure à la veillée, spectacle vivant

et éphémère mais si revigorant pour les chanceux présents.

Les deux souris ? Fameuses, belles à croquer, rigolotes et chanteuses avec des registres très variées.

Bon, si vous voulez y aller, elles vont se produire dans un autre bled à 100 km. Je vous donne l’info,

mais surtout ne tardez pas à réserver votre place car le bouche à oreille c’est de la poudre qui

s’enflamme à une telle allure qu’en moins de deux, la salle se remplit.

Personnellement, je dis merci à cette amie qui m’a convaincue de me déplacer et vous laisse mes

coordonnées pour que vous puissiez me remercier si vous vous laisser tenter… Mais ai-je le même

bagout que mon amie ? C’est ce que je découvrirais si vous me faites signe, par la suite…

En toute certitude.

- Ohé, mesdames et messieurs, commence-t-il avec son fort accent du sud, même si je crois qu’il ne s’est jamais aventuré hors du village qu’il dirige depuis plus de vingt ans ou peut-être plus

finalement. Je l’ai toujours connu maire. Et aujourd’hui c’est lui qui hèle les gens afin qu’ils entrent calmement mais rapidement dans la petite salle de la mairie, la salle de réception où je

me marie avec Isabelle. Nous avons vingt-trois ans et c’est notre grand jour.

- Vous pouvez entrer. La salle n’est pas bien grande mais il devrait y avoir de la place pour tout le monde, quitte à se serrer un peu, continue-t-il de sa voix truculente.

La foule de nos invités entre dans une douce gaieté, une légère et agréable jactance. Je parviens à

reconnaitre certaines intonations familières parmi ces paisibles murmures. La famille, bien discrète,

avance en rang ordonné. Les amis, derrière, plus dissipés, s’agitent, placotent, rient, profitent de la fête

qui ne fait que commencer.

- Nous sommes aujourd’hui tous réunis pour unir ces deux jeunes êtres, ces chers enfants de la

région, ces deux adultes maintenant que j’ai eu la chance de voir grandir, de voir s’épanouir l’un à côté de l’autre, tout au long de ces vingt dernières années, enchaine-t-il, tel un griot volubile,

tel un sage ancien, tel un conteur d’histoires.

C’est vrai qu’Isabelle et moi nous nous connaissons depuis notre tendre et paisible enfance. Il a raison

lorsqu’il narre notre rencontre, finalement sans poésie, dans le bac à sable de l’école maternelle. Nous

avons grandi ensemble, collés l’un à l’autre. Il n’a pas de mal à convaincre, dans son bagou coloré, dans

sa fluence poétique, la foule venue nous accompagner, de la tendresse que nous avons ensemble l’un pour l’autre, qui ne nous a jamais quittée.

Je crois que je l’ai toujours trouvée belle, attendrissante avec ses yeux amandes, son teint blanc, sa peau

si fragile. Je n’ai jamais vu qu’elle. Elle était toujours avec moi. Nous étions dans la même classe à l’école primaire, au collège et même au lycée. Nous avions choisi les mêmes options, celles dont

personne ne veut, pour être sûrs de ne jamais se quitter. Nous ne souhaitions pas nous éloigner l’un de l’autre, nous n’aurions pas supporté le changement. Nous ne voulions découvrir rien d’autre. Nous étions

si bien tous les deux, pourquoi aller voir ailleurs ? Pour se faire peur ? Pour risquer de ne jamais nous

retrouver ? Nous avions nos habitudes. Nous ne les avons jamais perdues. Nous sommes restés dans le

même village, nous nous sommes fabriqués autour de notre union et aujourd’hui c’est le jour qui scelle ce lien. Nous sommes entourés de toutes les personnes que nous aimons, qui nous ont aidés à nous

façonner. Elles sont là pour nous, rien que pour nous. Il n’y a pas de surprise. Il n’y en aura pas. Isabelle

est à mes côtés, comme lorsque nous étions punis au fond de la salle de Machadeau, le professeur de

mathématiques de la classe de sixième. Elle n’a pas changé, elle a toujours son chignon doré, ses cils longs qui clignotent, emportés par l’émotion. Je devine ses sentiments, son angoisse. Je la connais par

cœur. Je suis un peu elle finalement, nous ne faisons plus qu’un depuis si longtemps.

- Mademoiselle Isabelle Rondois, voulez-vous prendre monsieur Mathias Baudry, ici présent pour

époux ?

- Oui je le veux, répondit-elle sans la moindre hésitation, sans même de trémulation dans la voix.

- Monsieur Mathias Baudry, acceptez-vous de prendre mademoiselle Isabelle Rondois, ici

présente, pour épouse ?

Je m’entendis susurrer un « oui » inaudible.

La terrasse d’une brasserie. Les rayons du soleil filtrent entre les feuilles des arbres, les ombres dansent sur une table autour d’un paquet de cigarettes et d’une tasse de café vide. Un homme d’un certain âge, dans un bonheur serein et paisible, relit pour une énième fois “Cyrano de Bergerac”, vivant l’histoire par procuration et rêvant d’avoir son truculent phrasé.- Ohé! Excuse-moi, M’sieur, t’aurais pas une clope?La voix semi-agressive, au fort accent banlieusard le tire de sa lecture. Un couple lui fait face.- Pourquoi vous adressez-vous à moi en ces termes? Ne vous a-t-on jamais appris qu’à la forme négative, “ne” se place avant le verbe? Et qu’à l’interrogative, le verbe se place avant le sujet! Que le vouvoiement est de rigueur quand on ne connait pas les gens!? Et diantre, pourquoi tant d’agressivité?- Ca va. Tu m’as compris, c’est le principal. Dis-moi juste si t’as une clope...- Non, ça ne va pas. Les mots ont du sens. Certes, vous n’avez pas d’inclination pour notre langue, mais changer un mot, oublier un accent, déplacer une virgule, et c’est l’acception de la phrase qui s’en trouve modifiée. Pour placoter, avec du vocabulaire, vous seriez plus à l’aise.- Arrête ton bagou, fais pas ta grosse tête, je te pose juste une question. T’as une clope ou pas?- Grosse ma tête? C’est un peu court jeune homme. On aurait pu dire, Dieu, bien des choses, si de Cyrano j’en avais eu la prose. Tenez, métaphorique: si les mots avaient du poids, pour servir votre plume, un athlète vous devriez être pour porter cette enclume! Pratique: pour éviter les embouteillages, et voyager par les airs, quelle chance d’avoir sur les épaules une montgolfière! Acoustique: avec une tête si grande, qui avec votre corps détonne, susurrez-vous les mots, de peur qu’ils ne résonnent? Rêveur: du haut de votre front, peut-on apercevoir Pluton? Pour s’y rendre à pied, combien de jours doit-on compter? Mystique: j’ai connu en Afrique, un griot qui narrait une histoire atypique, celle d’un homme dont la caboche avait tant gonflée, qu’au milieu son visage fut avalé! Ironique: chantez-vous Monsieur? Assurément vous devez avoir une voix de tête! Cavalier: un couvre-chef pour recouvrir cette tubérosité? Il faudrait tant de textile pour le confectionner! Astronome: quelle est cette immense sphère sans gravité, une planète non répertoriée? Va-t-on y voir poindre le jour? Pourquoi vos pieds n’y tournent-ils pas autour? Ne me tenez point rigueur d’être aussi volubile, mais on ne peut jeter ainsi les mots en l’air et espérer qu’en bon ordre ils retombent par terre. Avez-vous jeune homme, une parole? Et me jurez-vous sur ce que vous avez de plus cher que si je réponds à votre question, vous ne m’en poserez-pas une seconde? Le jeune homme homme lève la main droite et dit: “Je le jure!”- Soit. Eh bien oui, j’ai des cigarettes! J’espère que cette information vous sera utile et qu’elle vous fera réfléchir sur le sens des mots. Si mieux choisis ils avaient été, enrichi d’une cigarette vous seriez. Maintenant permettez moi de me retirer. Je vais finir “Cyrano” à l’abri des jocrisses. Mon héros est sur le point de rencontrer Christian. J’ai l’impression que pour une fois, j’ai un peu d’avance sur lui. Car moi aussi, j’ai rencontré le mien, et pu l’espace d’un instant me sentir Rostanien... Cependant... L’homme marque un arrêt et se retourne. Il tire une cigarette de son paquet et la dépose sur la table.- Grace à vous j’ai pu me glisser dans sa peau. Cette cigarette ne me fera pas défaut. J’aurai aimé disserter en Alexandrin, mais c’est ainsi que le texte me vint. Si par chance vous aviez pu me donner la réplique, quelques vers nous aurions échangés. Soyez certain que c’est tout le paquet que je vous aurais laissé! Imaginez un peu si le langage était contagieux!?Il tourne les talons et s’en va d’un pas léger. Le jeune homme allume sa cigarette et s’adresse à sa compagne:- Quelle verve a ce vieil homme ingambe. Il manie les mots comme Cyrano, et bon sang..?Mais je rime? Quelle sorcellerie est-ce là? Ma douce Roxanne, reprendrez-vous un verre pour fêter cela?- Non merci Christian, ce dont j’ai été témoin me donne bien du chagrin. J’y vois clair, un homme sans esprit, la belle affaire! Vous m’excuserez de vous planter ainsi, mais avec vous j’en ai fini... Roxanne se lève: - Attendez Monsieur, ne me laissez point ici. Je vous en prie, parlez-moi encore de poésie…

Façon Cyrano.

Fiançailles

Jamais je ne l’avais vu sans son sourire, pas un sourire de bienvenue que nous autres arborons à la rencontre de quiconque, ni un sourire charmeur bien connu aux hommes d’ici, pacôme a le sourire chaleureux, presque comme si il voulais encourager chacun à sourire avec lui. Ce sourire, toujours le même, se dessine et semble dire, la vie est belle. Un sourire qui ne le quitte jamais d’ordinaire.Rebecca, tu le vois comment toi l’homme que tu épousera ? Pacôme est notre voisin depuis ma plus tendre enfance et mon ami d’aussi loin que je me souvienne. Nous étions inséparables, puis l’age du travail est arrivé et il passe maintenant le plus clair de son temps à aider ses parents à la ferme. Nous n’avons guère plus beaucoup de temps libre pour nos amusements d’autrefois mais notre amitié est resté intact et dès que l’occasion se présente nous parlons pendant des heures d’un tas de choses. Nous rions beaucoup, de toutes sortes de sottises mais jamais nous n’avons abordé le sujet du mariage de l’un de nous, comme si cela ne pouvait avoir lieu.Pourquoi me demande tu ça ? Tu sais bien que je n’ai aucunement l’intention de me marier, et avec qui d’ailleurs ? Plutôt mourir que d’épouser l’un de nos voisins !Aller becca je te connais par cœur, tu l’a imaginé des centaines de fois cet homme à qui tute donnera, dit le moi s’il te plaît, à quoi ressemble t-il ? Il me faut le savoir.Très bien fermier, mais si je te le dit j’aurais droit à ton plus beau sourire alors !C’est promis, mais dit moi...Bon tout d’abord il viendra de loin tu peux en être sûr, un peu comme ses héros de soldatsaméricains venu nous sortir de cette maudite guerre. Il sera beau et très intelligent pas comme tous ses abrutis du village. Quand il parlera tout le monde s’arrêtera de placoter, parce qu’il sauront que tous ce qui sort de la bouche de cet homme n’est qu’instruction, savoir, histoire du monde et de la vie.Il sera passionnant, un peu comme les griots malienstiens, sans leurs folies et leurs sorcelleries bien-sur, quoi qu’un peu de folie m’amuserais beaucoup j’en suis sur ! Voilà, il sera un peu comme ça celui que j’épouserais, qu’en penses tu ?Sortie de ma rêverie je m’ aperçois que loin du sourire attendu c’est le dégoût et la colère qui a envahis sont visage. Tout va bien Pacôme ?Oui, tout va très bien. Merci d’avoir répondu rebecca, il faut que j’y aille maintenant.Mais comment ça y aller ? Tu ne va pas partir comme ça, et puis tu m’as promis un sourireje te rappel !Comment pourrais-je te sourire becca, je t’aime et je t’aime depuis que nous sommes enfant et à cause de ça je n’ai jamais pu me résoudre à épouser une autre fille. Je pensaisque l’idée te viendrais à toi aussi un jour mais ça n ‘est jamais arrivé et aujourd’hui commeje m’en doutais tu rêves à l’anthologie de ce que je suis. Pourtant je me suis mis à lire des livres savant pour que tu remarques comme mon langage s’améliore, pour que tu vois en moi autre chose que ton fermier de voisin, mais non, tu le dit, tu aimeras cet homme à l’accent truculent, qui viendra te surprendre par son bagou et te prendre. Cet homme volubile comme tu le souhaite tant, à la jactance americaine ou peut importe la nation d’oùil viendra, je le déteste, parce qu’il t’épousera et que moi je serais sans toi. Alors non je ne peux pas te sourire, je suis désolé.Tu lis des livres tu dis ? Et bien il te faudra continuer un peu car on ne dit pas anthologie pour son contraire fermier, ton contraire est ton antonyme ou ton antagoniste et que tu soit fermier n’est pas aux antipodes de ce que j’attends d’un homme. Je t’ai toujours admiré Pacôme et écouté. Nos conversations n’ont donc pas de sens ni d’intérêt à t’entendre et je me joue alors de toi quand je rigole à n’en plus pouvoir de tes folies ? Quelimbécile tu fait de te sous estimer ainsi, et quel temps avons nous perdu à cause de tes idioties. Souris moi fermier tu l’a promis, j’aime tant quand tu me souris et viens, susurre moi à l’oreille que tu m’aime et alors je t’épouserai.

Flo il ge d’u ava d

Jamais muet et surtout pas taciturne, toujours loquace, j’a use la gale ie sans même le vouloir.

Suis-je éloquent ?

Mes p o hes p te de t ue j’ai u bagou à rendre jaloux les avocats, les hommes politiques et les

animateurs de téléréalité. Je ne placote ja ais, e ’est pas o ge e, a je espe te t op la vie de tous

et de chacun. J’ig o e tout e ui a, de près ou de loin, l’aspe t de o age ou alo nie. Je ne veux

blesser personne, jamais.

Disert et exubérant, qu’ai-je donc à dire de si important ?

Sa s doute ie d’e t ao di ai e, ais je d veloppe, je d veloppe… ave toujou s l’accent de sincérité qui

caractérise chacune de mes harangues.

J’ai toujours beaucoup à jargonner, mais, attention, ne me prenez pas pour un griot. D’a o d, je e suis pas

africain, et, ensuite, je serais bien incapable de répandre tous les mythes et légendes des pays noirs. Je ne

les connais pas et ne suis pas au fait de ces traditions ancestrales. Et puis, je tiens trop à ma popularité

« sympathique » ; pas question de susciter la crainte attachée au rôle quelque peu mystérieux du barde,

chantre de son continent.

Ohé ! Vous qui vous détournez, écoutez-moi.

Je ne me vante pas, il ’ a pas d’a oga e da s es ause ies. Ne e o pa ez pas à es o gueilleu ui

érigent la jactance e faço d’ t e, ui o upe t le deva t de la s e seulement pour mettre en valeur

leur propre personne ! Non ! Vous ne pouvez pas me reconnaître dans ces fanfarons, ces fiers-à-bras

p oli es d’allo utio s au ele ts de la gue de ois, qui écrasent tout sur leur passage.

J’ai e les pa oles qui sont susurrées simplement da s la dou eu du soi à la faço d’u Pie ot ui

s’ad esse à Colo i e ou de Roméo qui veut charmer Juliette. Y a-t-il plus eau se e t ue elui d’un

amoureux ? Ah ! Cyrano sous le balcon de Roxane, ton point sur le i du verbe aimer me ravit !

Lo s ue je ’ave tu e su le egist e du te d e, e ui ’a ive uotidie e e t ou p esque, je prépare

pour ma belle une déclaration aussi truculente que mes pensées et je développe ma passion dans un laïus

volubile et débridé.

Suis-je perçu, entendu, compris, déchiffré ?

Malheu euse e t, pas toujou s…

Pas toujours, car, de ma gorge, aucune voix e so t ja ais…

Ma gorge est endormie, silencieuse, totalement coite, paralysée…

La atu e ’a ai si fait : je e peu ’e p i e ue pa le la gage des sig es !

Gourmandise

Je sortai quand une voix m'interpella.

— Ohé ! cria-t'elle.

Je balayai les environs du regard. J'enlevai mon oreillette pour m'assurer d'avoir bien

entendu. Je la plaçais toujours dans mon orifice droit afin d'avoir le gauche disponible pour le

monde. Mon médecin m'avait conseillé de mettre les deux, sur le long terme je risquais la surdité. Pour

l'heure, je me retrouvais en proie à des hallucinations auditives.

Autour de moi, la rue était déserte. J'avais dû rêver.

Je mis l'accent sur ma promenade.

J'avais peu l'occasion de rencontrer des gens ces derniers temps. Je révisais, enfermé chez

moi, pour le concours de médecine.

Voilà que j'avançai de quelques mètres quand un air doux me sussura à l'oreille :

— Attention ! Une crotte de chien.

Je m'arrêtai, à nouveau intrigué par cette voix imaginaire qui troublait ma balade. Puisque

j'étais perturbé, je ne fus pas attentif au conseil prodigué.

Zut ! Flûte ! Ma semelle écrasa l'excrément mou et collant.

Cette fois-ci, je me sentis en colère et humilié.

— Merci pour le conseil mais vous m'auriez prévenu plus tôt, je l'aurais évité, scandai-je.

Je pensais ainsi que la personne, vexée à son tour, sortirait de sa cachette.

Il n'en fut rien. Je reçus un coup sur le crâne puis deux. Au sol, je distinguai des sphères

semblables à des cailloux. Des cerises ! Voilà qu'on m'arrosait à la griotte !

Je levai la tête vers le ciel, mon sac en guise de bouclier. Je remarquai l'ombre d'une

frimousse dont les joues rondes trahissaient la gourmandise.

— Je t'ai vue ! Où est passé ton bagou ?

Elle continuait de boulotter ses fruits. Elle me donna l'eau à la bouche et je pouvais sentir

la chaire délicieuse sous mes dents. La silhouette disparut.

Par la fenêtre, j'aperçus ma tante.

Elle descendit, ravie de pouvoir placoter sur les voisins.

Elle noua sa robe de chambre, me fit la bise. Elle se montra volubile comme à l'accoutumée.

J'en profitai pour réciter dans ma tête, le vocabulaire dédié à l'organe de phonation.

J'étais décidé si je réussissais l'examen, je deviendrai Oto-rhino-laryngologiste.

Je bayai aux corneilles ce qui n'interrompit pas sa jactance. Tout à coup, elle fut assommée par

une pluie de noyaux. Je levai la tête vers l'immeuble.

Une petite fille truculente me souriait avec malice.

LA MAISON DES EXPRESSIONS

NEUVIÈME DEGRÉ : Les citoyens de Grande Cité, située dans l’Afrique Sombre, la nommaient constamment La Maison des Expressions, même si le clan Descordes, une famille de griots, n’y habitait plus.

Les habitants s’accordaient pour affirmer, avec leur accent particulier de la région, que la demeure faisait vraiment peur. Plus tôt, une conjoncture bizarre était arrivée, une chose que les plus vieux de la commune se plaisaient toujours à susurrer quand il n’y avait rien de plus actuel afin d’alimenter les voix. Le récit avait été truculent en tellement d’occasions qu’aucun n’aurait su affirmer où se trouvait l’authenticité; ça ressemblait à du bagou. Chose certaine, toutes les versions de l’histoire débutaient de la même façon : Plus tôt, à l’aurore d’une matinée estivale, alors que la demeure du clan Descordes était encore une demeure minutieusement entretenue, un serviteur avait pénétré au cœur de la grande salle et y avait découvert les corps morts de quatre Descordes.

Le serviteur s’était lancé dans la communauté et avait averti tous les gens qu’il croisait dans sa course.

- Ils sont étendus au sol le regard fixé au plafond! Gelés comme de la glace!

Toute la communauté de Grande Cité avait frissonné d’indignité. Mais aucun, toutefois, n’avait dépensé sa salive à regretter la disparition des Descordes qui n’avaient en aucun temps fait naître une grande sympathie dans les environs car la famille faisait toujours preuve de jactance. Madame et Monsieur Descordes, un couple dans la cinquantaine, étaient immensément libertins, hautains, impolis, et leur fille Tamy s’affichait encore pire que ses proches. Tout ce qui nécessitait aux citoyens, c’était de savoir le nom du tueur ou de la tueuse, le meurtre ne faisant aucun doute, puisque quatre individus apparemment en santé n’auraient pu crever drastiquement d’un trépas naturel la même soirée.

Au Locus, le bistro de la communauté, les échanges avaient bien fonctionné, en cette soirée-là; tous s’y étaient réunis afin de placoter au sujet du quadruple crime. Et aucun n’avait regretté d’avoir délaissée sa chaise au coin du foyer quand, en plein centre de la discussion, le rôtisseur volubile des Descordes avait concocté une entrée hors de l’ordinaire en lançant un ohé afin d’attirer l’attention de tous… Il s’écria :

- Soyez attentifs au DIXIÈME DEGRÉ qui s’en vient!!!

Le rôtisseur obèse enleva son épaisse couche de déguisement et tous s’aperçurent qu’il s’agissait de… la petite Tamy!

La révolte

Il s’avança vers le fond de la cour, là où il pouvait s’exprimer à son aise. A demi caché sous

l’ombre d’un grand marronnier, de loin il était difficile de voir ce qu’il fabriquait.

Il avait fait sienne de cette place où toutes se serraient autour de lui. Une vieille caisse de bois

avait été poussée en son milieu, sur laquelle il montait, ainsi il surplombait, dominait, brillait de son

aura particulière qui fascinait. C’était un saltimbanque dans l’âme, un artisan de la parole, un

jongleur des mots qu’il faisait siens. Tel un truculent griot, il accompagnait ses paroles de chants

et de complaintes lancinantes, battant la cadence en tambourinant du talon sur la caisse de bois

qui faisait résonance.

Ça bougeait dans les rangs alors qu’il s’apprêtait, alors qu’il s’échauffait, tournant une fois, deux

fois, trois fois pour trouver le meilleur angle d’attaque, ça remuait, ça placotait de ci, de là, ça

susurrait des demi-mots qui s’élevaient dans une jactance diffuse.

Puis le moment arrivait et il se redressait. Alors toutes se taisaient brusquement, devenaient

graves, faisaient silence.

Il prenait son temps, toisait l’assistance de son regard fervent, faisait durer le suspense.

Quel thème allait-il aborder cette fois ? Quel sujet allait-il traiter ? Volubile à l’excès, ses discours mélodieux étaient hautement appréciés. C’est qu’il en avait du bagou pour aborder les réalités de

la vie, celles de tous les jours, enfin les leurs, celles qui importaient plus que tout, ces choses

essentielles sur lesquelles elles pourraient ensuite disserter pendant des heures. Jusqu’à ce que cela prenne suffisamment d’ampleur. La révolution était en marche.

Avant son arrivée, la situation s’était déjà considérablement dégradée et elles subissaient sans

rien dire. Mais depuis sa venue, avec son accent d’ailleurs, elles avaient senti que ça allait

bouger. Il ne leur fallait finalement qu’un meneur, et ce meneur c’était lui.

Et tant pis pour les conséquences. Après tout, elles, elles n’avaient rien demandé. On les avait mises là, fallait que ça bosse, jour après jour, un rythme de plus en plus frénétique. Les cadences

étaient devenues intolérables. Certes on les alimentait, encore que la nourriture laissât à désirer,

et elles avaient un toit pour s’abriter quand la pluie tombait sans relâche, inondant la cour qui se

transformait en pataugeoire boueuse. Mais ce qui était autrefois encore une chance était

aujourd’hui inacceptable. Une vie maudite.

Le moment était arrivé ou trop, c’était trop. Les mots avaient fait leur œuvre, avaient cheminé dans

les têtes, elles avaient convenu avec passion, raison et déraison que c’était le grand soir.

Comprenant qu’elles étaient prêtes, il sauta de la caisse et, sans un regard derrière lui, bondit au-

dessus du grillage qui n’était finalement pas si haut, certain d’être suivi, tel un messie libérateur.

Quand la fermière entra dans l’enclos désert, elle en resta un instant sans voix. Puis, « Ohé ! »

cria-t-elle, comme si on allait lui répondre. Après un chapelet de jurons, elle se tourna alors

indignée vers la maison située en amont du poulailler.

- Albert ! gueula-t-elle, y’a les poules qu’ont déserté ! Je t’avais bien dit que ton foutu coq allait

semer la zizanie !

La tirade.

Cette année-là, j’avais une classe de sixième très difficile. Quelques jours avant les vacances de

Noël j’ai voulu leur faire cadeau d’une lecture, j’avoue que je ne sais plus, aujourd’hui, laquelle. Il

ne fallut que quelques minutes pour que leur tapage recouvre ma voix. Excédée, j’ai tenté de les faire taire en hurlant un « taisez-vous » beaucoup trop aigu, à la limite de l’hystérie. C’est alors qu’au fond de la classe, une élève habituellement discrète, effacée même, s’est levée. Lentement. Elle me fixait avec intensité. Je me suis tue. Tout le monde s’est tu. Et elle s’est lancée dans une

truculente tirade qu’un griot n’aurait pas reniée :

– Ah ! C’est un peu court, madame ! Vous auriez pu dire bien des choses en somme… En variant le ton, par exemple, tenez :

Agressif : « Moi, mes enfants, si j’avais un tel bagou, il faudrait sur le champ que je me tusse ! »

Descriptif : « Ils bavardent, ils papotent, ils baragouinent, que dis-je, ils baragouinent ? Ils

jacassent ! »

Solennel : « Jaspineur, jaspineuse… »

Volubile : « S’il plait à ces jeunes gens, il convient sans nul doute que cesse sans tarder cet ignominieux tintamarre, afin, convenez-en, que nous puissions poursuivre notre, oh combien,

passionnante lecture. »

Concis : « Ohé ! Stop ! Chut ! »

Susurrant : « Il suffit ! Cessez séance tenante cette haïssable jactance. »

Deux point zéro : « Hashtag silence. »

En variant le ton ou en prenant un accent, par exemple, tenez :

Québécois : « Je suis tannée. Décrochez de placoter, on n’va tout de même pas passer la journée à

épivarder ! »

Campagnard : « hé, ardé ! C’est-y pas le bordel là ! C’est queuqu’pagaille, ou queuqu’boxon !

Provençal : « Peuchère ! Quel varaï ! Les pitchouns qui barjaquent ça me fait rouviller… »

Voilà ce qu’à peu près, ma chère, vous auriez dit si vous aviez utilisé un peu de lettres et d’esprit.

Elle s’est rassise. Les autres enfants sont restés bouche bée. Jamais de mémoire de professeur un tel

silence n’a régné dans une classe. Par la suite, j’ai souvent eu des doutes sur la véracité de ces faits.

N’ais-je point rêvé ?

Il fronça les sourcils, le front barré par l’appréhension. Hier soir encore si volubile, elle parlait ce main d’une voix atone, le regard absent. « Ohé ? Ohé ? Le capitaine à l’air de naviguer à travers le brouillard ce matin !». Elle sourit faiblement. Il savait ces instants extrêmement délicats : cette mélancolie pouvait facilement sombrer dans les larmes. Il prit son sourire pour un encouragement ; il décida de balayer par un éclat de rire le voile sombre quimasquait ses yeux rieurs. « Allez viens ma blonde » déclama-t-il avec un truculent accent québecois. «On va placoter un peu, j’te sens toute croche ce matin ? ». Sa tentative de briser la glace avec d’irrésistibles expressions franco-québecoises n’eut pas l’effet escompté : elle sourit mais détourna le regard. C’était un de ces matins où son cœur était si lourd que rien ne pouvait alléger le poids de son chagrin. Il fallait alors user de toute la force de son amour pour être simplement présent pour elle. Le coup de foudre qui l’avait frappé à leur rencontre n’avait pas faibli à la découverte de cette face plus sombre de sa personnalité : elle formait un tout complexe qu’il avait embrassé dans sa globalité. D’un côté un optimisme rayonnant et un bagou qui faisait d’elle un personnage solaire, dont le discours passionné et passionnant d’écrivain à succès était aux antipodes de la jactance pleine de suffisance de son ex-femme. Il avait découvert de manière progressive que ce côté cachait une face plus tourmentée et l’avait accepté comme on accepte que la personne qu’on aime soit amputée d’une jambe. Sauf qu’elle n’avait pas perdu un membre mais ses deux enfants. Un 25 décembre sur la route qui les ramenait chez elle, son ex-mari avait perdu le contrôle de son véhicule et percuté de plein fouet le poids lourd qui arrivait en face. Elle dégageait des émotions pleines de contradiction : tantôt légères comme une brise d’été, tantôt glacées comme le vent d’hiver qui vous mord le visage. Il vivait chaque jour où elle se levait avec le sourire aux lèvres comme une récompense au fardeau qu’il portait quand elle était déprimée. Déprimée : ce n’était pas le mot. Tapieau sol comme un animal blessé, laissée ko par ce combat injuste livré contre la souffrance de la mort de ceux qu’on aime et l’insolence coupable de la vie qui continue. «Combien de temps » se demanda-t-il en son for intérieur. « Un an, dix an, une vie ? ».Comme si elle avait entendu sa question elle tourna le visage vers lui ; pas delarme, pas de crispation de douleur mais un sourire timide et même une expression nouvelle qui illuminait son regard : une étincelle de joie mêlée d’espoir. Elle prit une profonde inspiration : « je suis prête je crois » susurra-t-elle dans un souffle, comme si elle avait peur de prononcer ces mots. Elle reprit d’une voix plus assurée : « tu sais tout de moi : le sourire de façade que j’affiche pour cacher la peine qui me ronge ; les larmes et les mots que je ravale en gardant les dents serrées et les paupières closes ; et cette charge qui pèse sur mes épaules si près de mon visage que je sens son haleine fétide de bête malfaisante. J’ai attendu sans y croire quelqu’un qui m’accepterait avec cette douleur et qui, peut-être, réussirait à me sortir la tête de l’eau. Et tu es arrivé : fort, patient, attentif. Pas un super-héro mais un homme sur l’épaule de qui je pouvais enfin me laisser aller ». Il tendit la main vers la sienne. Leurs doigts s’entrelacèrent et ils sentaient dans ce geste simple et pudique tout l’amour qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre. « Depuis… qu’ils sont partis, je dois vivre avec cette angoisse d’être envahie par ce désespoir qui m’ôte parfois le goût de la vie, avec ce monstre de douleur prêt à me bondir dessus mais quej’apprivoise peu à peu» ses yeux brillaient. « Mais aujourd’hui je suis prête » répéta-t-elle comme pour se convaincre elle-même. « Oui aujourd’hui je suis prête à accepter que ce vide fera toujours partie de moi, je suis prête à vivre avec la culpabilité d’être vivante mais pour mieux entretenir leur souvenir, je suis prête à mener une vie normale tournée vers l’avenir et résolument optimiste : je veux vivre. Avec toi, pour toi, pour que ta vie soit enfin celle d’un homme amoureux et pas celle d’un infirmier au chevet d’une malade. ». « Tu exagères : je ne t’ai jamais considérée comme malade, je… » « tu m’as appris à danser avec les fantômes du passé » l’interrompit-elle. « Maintenant je veux vivre cette vie et ne plus la subir, je veux écrire et raconter notre histoire au monde entier comme un griot, un troubadour ; je veux nous inventer une vie merveilleuse pleine de rires et de joie de vivre que je transmettrai à nos enfants. Enfin, à notre premier enfant pour commencer ». Elle posa doucement sa mainsur son ventre avec un sourire malicieux. Il n’osa pas sombrer dans un excès d’effusions. Il la prit délicatement dans ses bras, respira le parfum de ses cheveux pour graver à jamais le souvenir de cet instant. Ils échangèrent de longs regards, puis se à mirent à parler, à rire, à faire des projets pour cette nouvelle vie qu’ils conjugueraient à 3 désormais. Il fit un rapide calcul : le destin pouvait-il leur adresser un incroyable clin d’oeil en faisant naître leur enfant un 25 décembre ? Fallait-il y voir un signe ? Ils avaient toute la vie pour y penser à présent. Le fardeau sur ses épaules semblait plus léger, jusqu’à en devenir imperceptible. C’était une belle journée qui commençait finalement.

L'atelierJe pénètre, circonspect, dans ce cours de chant auquel maman a tant insisté pour m’inscrire. Même si

je ne suis pas doté d’un organe exceptionnel, elle s’est persuadée que cela me rendra moins timide et a réussià m’entraîner dans son délire. J’ai plein d’amis, n’hésite jamais à discuter avec tout un chacun, je suis mêmeplutôt volubile, d’où ma mère peut-elle bien tirer l’idée saugrenue qu’il me faut vaincre un défaut qui me faitdéfaut. La salle est sombre et froide, des murs blancs, nus, on se croirait dans une chambre d’hôpital. Commeje viens pour me faire soigner, cela tombe à pic.

Un groupe d’une dizaine de personnes entoure un pianiste qui joue de son bel instrument avecvirtuosité. Les notes claquent, virevoltent, vibrent, laissant derrière elles un parfum de mélancolie. Dieu quece type est doué. Il met soudain l’accent sur quelques notes graves et l’air semble manquer au groupe entierqui retient son souffle dans l’attente d’une voix envoûtante qui jaillit du fameux pianiste comme un diablesorti de sa boîte. Il a tous les talents ce musicien. Que la vie est injuste, si je jouis d’un bagou évident qui mepermet de prendre part à n’importe quelle conversation à laquelle je ne pipe mot, je possède néanmoins unevoix fluette, totalement dénuée d’intérêt si ce n’est celui de faire rire les autres. Il ne me reste plus qu’à fairequelques pitreries, sortir quelque jeu de mot truculent pour obtenir à chaque fois un public conquis maisbien moindre que celui que j’ai devant les yeux. La voix et les notes s’éteignent. Des bravos et des hourrasfusent. Moi, je me targue d’un faible « Ohé ! », susurré du bout des lèvres pour attirer l’attention. Tous lesregards, comme un seul homme, se tournent dans ma direction.

Je me présente, Eugène Glandouille, profession aventurier solitaire, célibataire en quête de l’âmesœur, et je me perds dans moult détails plus incongrus les uns que les autres. Mais quelqu’un va-t-il enfinarrêter cette jactance dans laquelle je m’égare ! Le pianiste prend soudain la parole, mettant fin à monsupplice. — Jacob Edward, pour vous servir, je suis le chef de choeur de ce modeste ensemble prêt à vous accueillir.

C’est incroyable, il parle avec un accent québécois à couper au couteau, que je reconnais sans peinepuisqu’il est identique à celui de mon ami Robert, originaire de Montréal, avec lequel j’ai placoté des soiréesentières autour d’un bon feu de bois dans son chalet des grandes plaines. Mais ce qui me surprend le plus estl’origine de cet homme. L’Afrique, j’en mettrais ma main au feu. Sa peau noire comme l’ébène ne peuttromper mon flair infaillible. Allez, je me lance :— Sénégal ! Non... Gabon ! Non… Ouganda !— Perdu M. Glandouille, Saint-Laurent. Je suis né au Canada, mes parents y ont immigré dans les années50. Mais ils étaient originaires du Congo. Vous n’êtes pas passé loin.— Si vous saviez, c’est toute l’histoire de ma vie. Je frôle, je caresse, je touche du doigt, mais jamais ne faismouche. Un éternel Poulidor. Mais d’où vous vient cette voix de stentor ?— Du pays de mes origines, mon père était Griot, comme l’était son père avant lui. Le chant que je viensd’interpréter est un chant traditionnel racontant l’histoire d’un homme qui vit loin de chez lui, de sa famille,de ses amis et se languit d’eux. Il est parfait pour s’échauffer la voix. Et vous quel est votre répertoire ?— Aucun, je ne sais pas chanter et ne croit pas être doué pour apprendre, je suis venu pour faire plaisir àma mère.— Vous êtes un drôle de numéro, dites-donc, avec une voix originale qui plus est. Nous n’en avons pas de cegenre même si je dois dire que cela ne nous a jamais manqué. Mais puisque vous êtes là pourquoi ne pasfaire un essai, il pourrait être marquant ?— Pourquoi pas. Attendez je compte, en effet nous sommes 15 et même si ne suis pas fan du ballon ovale,essayons !

Il me tend une feuille sur laquelle sont notées les paroles d’une chanson populaire. Le groupe dechoristes ne semble en rien perturbé par mon intrusion et mes élucubrations. Dans un même mouvement, ilsse saisissent de leur lutin et tournent les vues avec une coordination qui rendrait jalouse l'équipe de France denatation synchronisée. Je n'ose m'aventurer parmi eux, et reste droit comme un I, planté près du chef dechoeur tel un soliste qui attend son heure.— Tout le monde est prêt ? claironne le Griot.

Il nous donne le LA, commence à jouer et la troupe se met en branle dans une cacophonieépouvantable. Nul n’est besoin d’être mélomane pour se rendre compte du ridicule de la prestation. Etpourtant, Jacob Edward paraît ravi. Ses mains glissent sur le piano, derrière ses paupières closes on peutimaginer toute la passion du maestro. Tout à coup, une voix mélodieuse s’élève dans les airs, le murmured'un ange. J’ai l’impression que tous s’écartent pour que je puisse la voir. Ses yeux se vrillent dans les mienstels deux aimants qui se sont retrouvés. Voulant être digne d’elle, je m’élance à mon tour dans des notes queje m’étonne d’atteindre. La magie de l’amour s’empare de moi et je ressens, à cet instant précis, une infiniegratitude pour celle qui m'a incité à pousser la porte de cet atelier.

La voleuse de voix

Réveil en fanfare. Impitoyable, j’étouffe l’alarme de mon téléphone portable. Immédiatement,

j’oriente mon pied droit pour les excellentes dispositions de la journée. Collé au mur, le miroir me

renvoie le reflet de ma truculente apparence. Pas étonnant. Cette nuit, une stupéfiante pluie d’étoiles

a précipité la séduisante Aglaé dans mon paddock.

Guilleret, je m’en vais susurrer des mots doux à l’oreille de mon élue. La veille, elle m’a tout de suite mis en garde. Dès l’aube, il convient de la faire carburer au petit noir. « Sous peine de mettre

tes cordes vocales en grève », a-t-elle menacé, les jambes par dessus mes épaules dénudées. Mes

sonorités escamotées, défigurées, non merci ! Brin de toilette en accéléré. Préparation d’un petit

déjeuner déluré.

« Ohé ! ». Au portique, le cri me glace. Oups ! V’là Sybille, la Jactance. Paf ! J’ perds mon

latin. L’ sobriquet, ‘y a pas d’ doute, y colle à ses lèvres. J’ crois bien qu’elle a d’ l’appétence pour

l’homme. Moi, j’fais un chouïa d’ résistance. J’veux pas d’ son goulot de ch’val. J’ veux just’ qu’elle mett’ d’ la distance.

Ma blonde canadienne débarque de la chambre. Si elle continue d’être un si beau pétard, sûr, je vais tomber en amour. En tout cas, je veux vivre accoté avec elle au plus sacrant. Mais déjà, l’autre a forcé l’entrée. Ma libertine ironise : « Alors la germaine, tu crois que t’as l’ droit de placoter avec

mon chum ? »

Roulement de tambour. J’accours faire ma cour. « Laissez-moi, ma Dame, avant de vous

adresser la parole, reconquérir mon latin, mon langage et mon accent ». J’éructe un raclement de gorge confus, trop ému par tant de beauté matinale. « Veuillez, très chère, excuser cette légère

discordance et résolument ignorer l’existence de la Chevaline ici présente ! Dans l’instant, permettez-

moi je vous prie, de vous offrir ce petit noir de mon cru ? »

Habituellement aussi volubile qu’habile, Sybille se ratatine. Ses yeux vicieux visent ma

dulcinée. Sa lippe s’agite. D’un geste sec, Aglaé décapite le son. Mutique, la nuisible s’enfuit vers les

gris-gris de son mari. Son Roméo de Guinée-Bissau a de la compétence et du bagou dans son

boulot. Des maléfices et de la poésie, il sait tout. Hélas ! Pour sa voix, il ne peut rien. Rien du tout !

Le lendemain, je murmure l’étrange nouvelle dans le cou de ma tourterelle : « Lundi soir, le

corps sans vie d’une femme a été retrouvé, coincé dans un hautbois. Selon le mari, griot aguerri de

son état, la victime, désespérément à la recherche de sa voix, aurait été précipitée dans l’instrument par une nuée d’étourneaux étourdis. Sourds à ses cris silencieux, ils auraient pris la fuite. »

Ma chère et tendre me dévisage avec une mimique satisfaite. « Elle a eu son compte.

Terminé, les placotages avec mon chum. ».

Aussitôt, je porte une main inquiète à mes cordes vocales. Ma colombe est-elle vraiment

impliquée dans cet horrible fait divers ?

- Ma petite Alix, écoute le Chant des Oiseaux. Ils te parlent.

Au milieu de la forêt familiale, Papi s’arrêta de marcher, la tête tournée vers les hauteurs.

- Observe celui-là entre les lianes, fit-il, écoute le susurrer.

Alix, cherchant du regard, trouva un petit oiseau noir perdu dans les branchages. Comme s’il les avait

entendus, l’oiseau se mit à gazouiller mais si faiblement qu’elle dût tendre l’oreille.

- Il ne chante pas très fort, fit-elle.

- Oui, c’est vrai, répondit Papi en riant. Mon frère était pareil, un grand timide.

- Tu avais un frère ? Mais je ne l’ai jamais vu !

- C’est normal, ma chérie. Il est mort pendant la Grande Guerre, bien avant ta naissance.

Papi se remit en marche, à petits pas tremblants. Peu après, un autre gazouillis résonna.

- Ah, fit-il en souriant, ce bagou…elle ne doit pas être très loin !

Un oiseau bleu apparut finalement, qui piaillait avec joie, remplissant le silence triste de la forêt.

- Lui, il aime chanter par contre ! dit-elle, fière de sa réplique.

- Oui, tu as raison, il est volubile comme l’était ta maman.

- Ça veut dire quoi ?

- Qu’elle aimait beaucoup placoter, enfin, bavarder, rectifia Papi quand elle fronça les sourcils.

Alix trouva l’oiseau très beau, même si son chant la rendit drôlement triste.

- Il appartenait à Maman ?

- Oui, d’une certaine manière. Elle te manque, n’est-ce pas ?

Elle hocha la tête et vit que les yeux de Papi brillaient. Lui aussi pensait à Maman. L’oiseau rouge

disparut alors et, pendant qu’ils continuaient d’avancer, un autre passa au-dessus d’eux.

- Oh, regarde celui-ci, fit-il, c’est le plus truculent de la forêt !

Un immense oiseau au bec rouge se posa près d’eux. Avec ses longues pattes, il dépassait Alix. Elle

eut soudain peur et se cacha derrière Papi.

- Ne t’inquiète pas, il est très calme, fil-il en posant la main sur sa tête. C’est un jabiru, il vient

d’Afrique. Ton oncle, qui était un griot, une sorte de musicien, adorait ce genre d’oiseau.

Alix, toujours pas rassurée, ne bougea pas. Le cri grave et étrange du jabiru la fit frissonner.

- Il a une belle jactance, n’est-ce pas ?

- Oui, répondit-elle comprenant plus le sens de la phrase que le mot bizarre.

Avec soulagement, ils laissèrent le grand oiseau derrière eux. Elle aida Papi à enjamber une grosse

racine. Papa l’avait averti, juste avant leur départ, de bien faire attention à lui parce qu’il était fragile ;

elle le comprenait maintenant. Après lui avoir dit ça, il avait longuement enlacé Papi.

- Merci, Alix. Nous sommes arrivés.

En face d’eux, une colline se dévoila. A son sommet, plusieurs hautes pierres se dressaient qui lui

firent penser à des doigts pointés vers le ciel. Alix n’était jamais allé aussi loin dans la forêt.

- C’est quoi ces pierres ? demanda-t-elle, intriguée.

- C’est ton héritage, Alix. Je t’ai fait venir ici pour que tu comprennes l’importance de cette

forêt et de ces oiseaux.

Elle ne dit rien et aida Papi à monter la pente douce. Les pierres approchaient, presque menaçantes.

- Est-ce que tu as écouté le Chant des Oiseaux ?

Alix ne dit toujours rien, sentant que cette question ne voulait pas dire ce qu’elle croyait.

- Je ne sais pas, répondit-elle enfin, la gorge serrée.

- Ne t’inquiète pas, fit-il en lui caressant les cheveux.

Ils arrivèrent au sommet. Papi se tourna vers elle et mit un genou à terre pour être à sa hauteur. Son

visage plein de rides souriait.

- Alix, ma chérie, je vais maintenant partir.

- Où ça ? fit-elle d’une voix tremblante mais connaissant déjà la réponse.

- Je vais rejoindre ta maman et le reste de la famille.

Alix se mit à pleurer et enlaça Papi qui lui tapota le dos.

- Je ne veux pas que tu partes…

- Je sais, ma chérie, mais je serai toujours-là, ne l’oublie pas. Je te surveillerai d’en haut.

Papi essuya ses larmes, l’embrassa sur le front et Alix l’aida à se relever difficilement. Il s’avança alors

entre les pierres puis, aussitôt, Alix le perdit de vue. Elle s’y précipita. Il n’y avait plus personne.

- Papi, cria-t-elle, paniquée, le cœur battant. Papi, ohé !

Soudain, un oiseau se posa sur son épaule et se mit à chanter avec un accent qu’elle reconnut

immédiatement. Alix sourit et de nouvelles larmes coulèrent sur ses joues. Elle se laissa tomber entre

les pierres et comprit, enfin, le Chant des Oiseaux…

Le griot sans mot

Il l’observait… entourée d’un halo de soleil trouant la brume du petit matin. Assise contre une grille rouillée.

Elle était incroyablement belle, d’une grâce mystérieuse réhaussée par la mélancolie qui l’enveloppait. Il aurait pu croire à une apparition, s’il n’avait capté les regards égrillards des hommes sur cette jeune femme et leurs remarques salaces, susurrés du bout des dents, mais que Simon devinait sur leurs lèvres.

C’était un grand gaillard, mi-asiatique, mi-africain. Majestueux de puissance. De charisme. Il semblait venir tout droit du pays des géants. Il aurait pu faire peur, s’il n’avait eu ce regard doux et chaud, surmontant un sourire étincelant de blancheur, étonnamment brillant pour un homme un peu clochard. Il avait cette noblesse dans sa posture et sa démarche, fréquente chez les griots, ses ancêtres du Soudan. Son aura de mystères, ses emphases poétiques régulièrement déclamées aux commerçants du coin, pour obtenir quelques légumes ou denrées en prime, en faisaient un personnage truculent aux dires des habitants du quartier.

Elle le fixait, sans vraiment le voir, de son regard éteint, empli de tristesse, empreint de

douleur… de cette douleur qu’il aurait décelée entre mille sensations, pour l’avoir trop souvent approchée. La souffrance d’avoir côtoyé les pires choses, les pires horreurs, les pires malheurs… la douleur d’avoir été exposée à l’âge de l’innocence.

Elle paraissait tellement frêle dans ses leggings flottants et son pull multicolore. Faussement juvénile et si fière pour masquer sa faiblesse. A ses pieds, une pitance peu ragoûtante et un quignon de pain rassis, à coté de quelques pièces jaunes…

Il s’approcha d’elle. Lui tendit la main, dans un élan d’une douceur infinie, qui contrastait

terriblement avec sa carrure et ses paluches imposantes. Elle eut, l’espace d’un instant, la vue brouillée devant tant de respect inhabituel envers elle. Elle le dévisageait de ses grands yeux noirs, voilés par les larmes.

Lui, d’habitude si volubile, était figé sur place. Il ne savait comment l’aborder. “Ohé jolie blonde” n’était pas vraiment approprié. C’est ce qu’il aurait dit au Québec où il avait passé une partie de sa vie comme chansonnier. C’est là-bas qu’il avait pris l’habitude d’accoster n’importe qui, pour placoter le temps d’une bière. Lui, dont personne n’était indifférent au bagou légendaire; soit pour le lui reprocher, insensible aux mots des poètes; soit pour complimenter sa drôle de jactance haute en couleurs et sonorités. Lui, Simon, devenu muet…

Il réussit avec peine à articuler quelques mots, d’une voix bégayante : — Voilà un café bien chaud et sucré. Ca va te requinquer. — … C’était tout ce qu’il pouvait partager, ce breuvage qu’il venait de récupérer dans un café

adepte des cafés suspendus. Il ne pouvait rien lui donner, aucune pièce, aucune nourriture, lui qui manquait de tout, conservant le moindre centime pour les médicaments et le lait de sa fille.

— C’est la seule chose… je n’ai rien d’autre. J’aurais voulu t’offrir quelqu… — Non, ne crois pas cela… tu m’as donné bien plus… la considération, l’estime. Tu m’as

redonné ma dignité de femme. Sur ses mots à l’accent slave appuyé, renforçant encore son charme, Simon s’éloigna… mal

à l’aise… soudain pressé de retrouver sa fille. Il n’entendit pas quelqu’un hurler “Coupez” suivi de “Bravo, bravo Lola pour l’impro, cette scène impromptue était formidable !”

Le marchand de rêves

David se tenait à côté de Dany tandis que celui-ci réajustait nerveusement ses cheveux en regardant son

reflet dans la plaque. Enfin, après un examen capillaire aussi méticuleux qu’interminable, Dany frappa à la

porte. A peine celle-ci s’ouvrit sur une femme d’une trentaine d’années que le « Dany Show » débuta :

- Bon matin ma p’tite dame ! Je suis Dany Flowers, et lui, c’est David Tremblay ! Tu veux-tu savoir c’que

l’on vend ?

David se retint de lever les yeux au ciel. Comment Dany espérait-il vendre quoi que ce soit avec un cinéma

pareil ? Pourtant, contre toute attente, la femme sembla marcher car elle s’écarta pour laisser entrer le

blondinet truculent et son costume dépareillé. Qui sur cette planète, à part Dany Flowers, pouvait porter

une veste vert pomme avec un pantalon rouge griotte ?

David emboîta le pas de Dany juste avant que la femme ne referme la porte. Ils étaient dans un couloir assez

sommaire, et elle les conduisit dans un large bureau pourvu de fenêtres dépeignant le paysage parisien

morne et triste, sur fond de ciel gris. Avant même qu’elle ait eu le temps de s’assoir, Dany déballa sa gamme

de produits avec le bagou d’un vendeur de tapis :

- Tu veux-tu sortir de ta maudite vie ? Cavaler à dos d’caribou ? On a c’qu’il te faut ! Des rêves,

tabarnak ! Tu veux-tu devenir une rock star ? Tu veux-tu t’marier avec Justin Trudeau ? On vend tous

les rêves possibles que t’as même jamais imaginé !

La femme s’assit derrière son large bureau en chêne, puis se massa les tempes avant de demander d’une

voix calme et détachée :

- Monsieur… Flowers, c’est bien cela ?

Les yeux de Dany pétillèrent tandis qu’on lui demandait de se présenter une seconde fois, et Dieu et David

savaient à quel point il aimait scander son nom… Non sans une pointe de jactance, le vendeur haut en

couleurs prit une pose théâtrale et clama avec entrain :

- Dany Flowers, vendeur de rêves, marchand de songes, pourvoyeur de bonheur ! Et lui, c’est David

Tremblay, mais fais pas attention à lui, il est pas bien volubile. Il est plutôt vieux sapin que houblon !

Alors, tu veux-tu acheter un rêve ? Dis-moi c’que t’aimes, c’qui est l’fun pour toi, et on te fournira !

La cliente acquiesça lentement, ouvrit le carnet posé sur son bureau, saisit un stylo et commença à écrire.

- Ouais, t’as bien raison, t’peux aussi l’écrire, eh ! Désolé, j’m’en vais placoter avec mon partenaire

pendant c’temps-là !

Dany se dirigea vers un coin de la pièce et fit signe à David de le rejoindre :

- Ohé, David, approche donc !

Le grand David de noir vêtu traîna des pieds jusqu’au vendeur, qui lui exposa sa stratégie commerciale en

susurrant :

- Voilà c’qu’on va faire, David. On va mettre l’accent sur l’évasion, et les beaux mâles, tu vois, les

hommes poilus, peut-être même qu’elle s’laisserait tenter par un grizzli, celle-là, on verra… On sent

bien qu’elle veut s’évader, elle a pas l’air bien heureuse présentement… Tu sais quoi, David ? J’pense

qu’on tombe vraiment à pic et…

Il fut coupé par la femme qui se raclait la gorge de l’autre côté de la pièce pour attirer l’attention.

- Bien, installez-vous sur le divan, Daniel, nous allons pouvoir commencer. Vous pensez donc être en

présence d’un certain… David, c’est exact ? Combien d’autres personnes voyez-vous dans la pièce ?

Le petit père de la rue du port Le bateau est sur le rebord de la fenêtre. C’est le signal. Seul avec sa solitude et la voix du téléviseur qui s’égosille dans son dos, le petit père de la rue du port est à son poste d’observation. La fenêtre grande ouverte, il contemple son quotidien qui s’offre si généreusement au soleil d’été. Non loin de là, les parkings déversent peu à peu leur flot de touristes. Le chalutier a jeté ses filets. Un peu de patience. La pêche sera bonne cet après-midi. Un homme s’approche, un bambin de cinq ou six ans accroché à ses sandales.

- C’est vous qui avez fait cette maquette ? - Oui.

Le poisson et son petit sont pris dans le chalut. - Il a dû vous en falloir du temps ?

Et en un quart de tour, le bonhomme d’apparence peu loquace se métamorphose en grillot breton. Il lui raconte en long et en large la fabrication du navire, ses rêves d’Océan à l’adolescence, son travail à bord de paquebots prestigieux.

- Le France ! annonce-t-il fièrement. De plus en plus volubile, je sens que le petit père veut en rajouter mais l’appât se détache soudain de son emprise. L’enfant, imperméable à la jactance des adultes, tire sur le tee-shirt du père en réclamant le tour de manège promis. Sitôt partis, le père et l’enfant sont remplacés par quatre jeunes en quête de pittoresque. Les nombrils au-dessus d’un short moulant et les portables sont de sortie. Le petit père ne se fait pas prier pour prendre la pose derrière sa maquette. On s’échange quelques bonnes blagues. On rit de bon cœur. On se salue en entamant un tonitruant « Ohé, Ohé, Matelots ! » Et un couple de retraités prend aussitôt leur place. Là, c’est une bonne prise. Un gros poisson à l’accent méridional. Il a certainement du bagou à revendre. Une aubaine pour l’ex-maquettiste. Tout y passe. La pluie et le beau temps, les souvenirs plus ou moins truculents de jeunesse, le service militaire, le travail aux chantiers de Saint-Nazaire. Mais la femme susurre quelques mots à l’oreille de son mari. Il est grand temps d’y aller. On promet de repasser. Et les retraités s’éloignent tout en placotant sur les mœurs des autochtones. C’est à mon tour. Je m’approche. Et le petit père reprend pour la énième fois de l’après-midi sa leçon qu’il semble connaître par cœur. J’ai droit moi aussi à l’aventure de la maquette, du France et des autres paquebots au nom anglo-saxon. Je remarque alors des miettes de pain qui jonchent le sol en aplomb de la fenêtre.

- C’est pour les pigeons ! Je souris. Perclus de rhumatismes et de solitude, mon bonhomme est passé maître dans l’art d’appâter les pigeons. À poils et à plumes. Mais cela suffit-il à combler une vie ? Non, il y a aussi la télévision. J’en suis la triste victime. Tout va très vite. La voix de Samuel Etienne s’invite dans la pièce. Le petit père se lève et se penche au-dessus du rebord de la fenêtre pour saisir à pleines mains sa maquette.

- Au revoir ! me dit-il. Le chalutier rentre au port. Les pigeons lancent leurs vocalises perchés sur le toit de l’école d’à côté. La boutique aux palabres est fermée. Question pour un champion vient de commencer.

L'écorcheur et la fille du cerisier

"Cher Josh,

Je ne sais pas trop par où commencer. Ce que j'ai à te dire n'est pas très facile. Le plus simple serait peut-être

de commencer par le début... La rencontre.

Tu te souviens? C'était à une soirée chez David, mon meilleur pote. Vous vous étiez croisés à un festival et

vous aviez tout de suite accroché. D'où ta présence à la fête. Je t'ai tout de suite repéré. Il faut dire que tu ne

passais pas inaperçu avec ta grande taille, tes épaules colossales, tes cheveux tirés en chignon et ta barbe

imposante. Je ne pouvais entendre ta voix d'où j'étais mais je percevais ton ton animé, volubile, quand tu

parlais aux gens. A l'aise, alors que tu ne connaissais quasiment personne. Tu m'es apparu comme quelqu'un

de truculent, haut en couleur. Tu m'as tout de suite plu. Puis une fille t'a abordé et j'ai senti ton charme

opérer sur elle. Tu semblais lui parler avec bagou. J'ai immédiatement été étonnée par cette pointe de

jalousie que j'ai ressentie et qui m'a glacée le coeur. Mais nous nous lancions régulièrement des regards en

coin et ça m'a rassurée.

Ce petit jeu s'est intensifié au fur et à mesure de la soirée. Tu as réussi à te débarrasser de cette fille. Nous

avons fait le chat et la souris pendant un bon bout de temps. Ça a fini par nous mener petit à petit dans le

jardin. Je me suis finalement cachée derrière le cerisier en attendant que tu me rejoignes. Le coeur battant.

C'était étrangement stimulant ce mélange d'attente et de peur que tu ne viennes pas. Surtout que nous

n'avions pas échangé un seul mot. Puis, je t'ai entendu susurrer un petit "ohé" alors que tu arrivais à ma

hauteur. Je t'ai saisi brusquement par le bras pour te mettre face à moi tout en te mettant un doigt devant la

bouche, pour t'intimer le silence. Tu as étouffé un petit cri de surprise. Puis la tension entre nous est montée

d'un cran quand j'ai glissé entre tes lèvres la griotte bien juteuse que je venais de cueillir. Tu l'as savourée

lentement. Je voyais tes yeux briller à la pâle lueur de la lune. Puis l'espace s'est restreint entre nos corps et tu

m'as embrassée. D'abord doucement, puis avec de plus en plus de passion, presque sauvagement. Nos peaux

se sont embrasées. C'était bon. C'était comme d'être dans un rêve. Nous avons finis par nous quitter sans un

mot pour ne pas briser la magie du moment. Nous sommes retournés dans la soirée pleine de cris, de rires, de

musiques assourdissantes avec la sensation d'avoir mené une existence parallèle. Nous avons fait comme s'il

ne s'était rien passé. C'était notre secret à nous. Mais nos regards en disaient long. C'était excitant. J'ai pris

ton numéro discrètement auprès de David. Heureusement, car l'amie qui m'a emmenée a voulu partir et je ne

t'ai pas trouvé pour te dire au revoir. Je t'envoie un message pour te souhaiter une bonne nuit en signant "la

fille du cerisier".

Tu me contactes par écrit dès le lendemain pour me proposer d'aller se boire un coup. Jusque-là, rien

d'anormal. Je suis toute excitée. Quand je te rejoins, je te trouve encore plus beau que dans mon souvenir. Je

suis sur un nuage. Tout est parfait.

Puis, tu as ouvert la bouche pour me parler. Un flot de sons discordants, disharmonieux et inintelligibles est

venu heurter mes oreilles de plein fouet. Le choc. J'ai cru qu'elles se rétracter sur elles-mêmes pour échapper

à cette torture. L'accent québéquois. Mon Dieu. Tout mais pas ça. Le charme est rompu. L'horreur a dû se

voir sur mon visage car tu m'as dit que j'avais l'air poqué, tout en m'entraînant m'asseoir à une table. Je n'ai

pas compris. Comment une personne aussi belle peut-elle parler de façon aussi peu sexy? J'étais abasourdie.

Je ne savais plus quoi faire. Puis j'ai repris le dessus. Je me suis mise en mode "moulin à paroles". J'ai

entamé un monologue sur moi-même rien que pour ne plus t'entendre. Tu as eu l'air séduit. Tu étais tellement

mignon. A l'intérieur, tout en moi criait: pourquoi tant de haine? Pourquoi fallait-il que ça tombe sur moi?

J'ai décidé de te laisser une chance. Tu n'en étais pas responsable. Tu pouvais encore changer.

Nous sommes sortis ensemble. Tout était parfait tant que tu ne parlais pas. Mais tu adores placoter, comme

tu dis. T'entendre me dire pantoute me hérisse. Mes oreilles saignent quand tu énonces que tu vas chauffer le

char ou que tu pars acheter de la pâte à dent. J'envisage la pendaison à chaque fois que tu me présentes

comme étant ta blonde alors que je suis brune. Je commence à te haïr. Ça bouillonne, ça monte au fond de

moi. Je n'aime pas la personne que je deviens. Cette espèce de jactance qui me colle systématiquement à la

peau en ta présence. Ce n'est pas moi. Je suis censée t'aimer, pas avoir honte de toi.

Alors voilà, Josh, je te quitte. C'est plus fort que moi. Si seulement tu avais pu naître muet. Pardon pour mes

mots durs. Il fallait que je t'explique. Tu es quelqu'un de très bien, j'aurai aimé passer outre ce désagrément.

Mais je ne peux pas. Ça me bouffe au quotidien. Je ne veux pas que ça déteigne sur moi. Il faut que je me

protège. J'espère que tu réussiras à trouver quelqu'un qui s'en accommodera.

Amicalement,

Jessica

Malentendu

— Alors chérie, tes exploits du jour ?

— J’étais déchaînée cet après-midi. J’ai réussi à placer placotez.

— Connais pas.

— C'est québécois, d’où : « papotez à Montréal ».

— Ah…

— J’ai mis aussi griot, « ménestrel africain ».

— Tu as dû penser à moi !

— Euh… Ah oui ! Notre lune de miel au Sénégal, bien sûr.

— susurre, « murmure ».

— Rime riche !

— Et encore jactance, « bavardage truculent ».

— Bien.

— bagou, petit mot pour « grand débit ».

— Cinq lettres, bof !

— On continue avec volubile, « comme un liseron bavard ».

— Eh ! Huit lettres ! Encore un scrabble !

— Ohé !

— Quoi donc ?

— On se réveille, s'il vous plaît… Tu ne m'écoutes donc jamais !

— Si, je t'écoute…

— Non ! Tu ne m’écoutes pas quand je te parle ! J’ai dû te le dire trois fois ce mois-

ci : « Je ne vais plus au club de Scrabble ! ».

— Mais alors ?

— Eh bien, à la place, je compose des grilles de mots croisés avec mes copines. Nous

sommes plusieurs à ne plus aller au club de Scrabble… Ah !… Rien que de penser à ce

club… à elle… à cette…

— Ah oui ! Natalia, la présidente… Vous avez eu des mots, je crois.

— C’est ça ! Madame la Présidente ! Je ne peux plus la voir. Je ne supporte même plus le

son de sa voix !

— Pareil pour son charmant accent ? Son si charmant accent…

— Oh ! Ça va bien ! C'est son sale caractère qui me déplaît… Et toi, tu m’agaces aussi !

— Mais enfin, doucement, parle-moi sur un autre ton !

Maudit Niaiseux

« Au Québec, tout commence par un cul et finit par un bec ! »

J’avais débarqué dans la belle province en plein mois de juillet. C’est la première phrase que

j’ai entendue, au bar de l’aéroport. L’homme qui parlait était le patron, en maillot de corps

parce qu’il faisait sacrément chaud. Il parlait fort. Son langage, c’était quelque chose…

Tellement imagé que j’avais du mal à comprendre. Il ne s’adressait à personne à particulier. Il

déclamait son drôle de parler québécois à la cantonade. J’avais envie d’une bière. J’avais aussi

une idée en tête.

« Ohé, toué ! Qu’est-ce que tu bois ? m’a-t-il apostrophé.

— Vous avez de la Kriek ? » J’ai dû crier un peu pour faire émerger ma voix des conversations

volubiles qui se tenaient le long du comptoir. De la bière belge. Ils ne devaient pas connaître.

« De la bière de griotte ? » J’ai acquiescé. C’était exactement ça. Je me suis approché. J’avais

quelques questions à lui poser. C’est avec le bagou truculent des gens de Montréal qu’il m’a

répondu. Non, il ne connaissait pas d’hôtel bon marché. Oui, il savait où je pouvais me procurer

un visa de travail. Non, il n’y avait pas d’entreprises qui embauchaient dans le quartier. J’ai

repris une bière. On a placoté un peu comme ils disent ici. Il avait bientôt fini son service. Ce

n’était pas le patron. Il était employé. Garçon de salle. Il travaillait là depuis trois mois.

« Bon. Je swingue la bacaisse dans l’fond de la boîte à bois et j’t’emmène, si tu veux.

— ???

— Va falloir que tu t’y mettes mon gars si tu veux travailler ici. Vous, vous diriez ‘j’arrête le

travail’, ou quequ’chose comme ça, tu voué ? »

Il habitait un petit studio crasseux pas très loin de l’aéroport. Chez lui, on a repris quelques

bières avant d’aller se coucher. Il a fini par cracher le morceau :

« Tu peux travailler à ma place, si tu veux.

— Tu veux dire au bar ? Garçon de café ? Et toi ?

— Moi j’en ai ma claque de toute façon. Tout ce charabia. Cette jactance. »

Jactance ? Je n’ai pas tout à fait compris ce qu’il voulait dire mais c’est ainsi que je suis devenu

serveur au bar de l’aéroport de Montréal-Trudeau. J’ai récupéré le job, le petit studio crasseux

et obtenu un permis de travail de trois mois. Il ne m’a pas fallu longtemps pour maîtriser le

parler des autochtones. Lorsque j’ai demandé à mon nouveau boss ce qu’était devenu mon

prédécesseur, il m’a susurré : « Sylvain ? Il est rentré à Bruxelles, ce maudit niaiseux ! »

J’ai dû faire une drôle de tête. « Ben oui, il est Belge, t’avais pas remarqué ? Son accent ??? »

J’ai jeté le torchon sur mon épaule, ai redressé la tête et corné à la salle, sans m’adresser à

personne en particulier : « Au Québec, tout commence par un cul et finit par un bec ! »

Maux fléchés

Attablés dans un restaurant gastronomique, l’homme que je venais de rencontrer un peu plus tôt dans l’après-midi me dévisageait avec amour. Il avait cette petite étincelle capable

d’allumer un feu d’un simple regard. Quant à moi, je flottais au-dessus d’un nuage blanc et

moelleux. J’étais dans une bulle, des papillons dans le ventre, prémisses d’un amour naissant. Pas de doute : Cupidon nous avait bel et bien décochés une flèche en plein cœur. Une belle soirée s’annonçait.

Tandis que le serveur nous apporta nos plats respectifs, une voix rauque s’éleva non loin de nous et me fit sursauter. Je tournai la tête vers la table voisine où un homme ventripotent et

dont le crâne était dégarni fit jaillir sa jactance aussi violemment qu’une arme dans son

téléphone portable. Il avait du bagou et un fort accent – portugais peut-être - ; il déblatérait

et placotait a l’envi, exposant à la cantonade des détails truculents de sa vie personnelle,

voire intime. J’eus une moue de mécontentement.

Je voulus en faire part à mon cavalier, mais lorsque je tournai à nouveau la tête, celui-ci

avait disparu.

-Allons-nous-en d’ici !, susurra-t-il à mon oreille – et je ressentis une onde de chaleur

parcourir mon corps tout entier jusqu’à mon intimité.

Sans hésiter, je me levai, abandonnant à regret mon filet mignon qui semblait appétissant, et

prit la main que me tendait le beau ténébreux.

-Suis-moi, m’invita-t-il de sa voix suave mais non moins virile, en m’entraînant à sa suite.

Le sourire aux lèvres, je me laissai guider par cet homme dont je ne savais rien – ou si peu.

Arrivés dans un couloir, l’homme inséra une carte magnétique dans une fente métallique

avant d’actionner la poignée. Puis, en vrai gentleman qu’il était, il m’invita à pénétrer à

l’intérieur de la chambre dont le luxe me fit frissonner de plaisir.

Tandis que je m’émerveillais devant tant d’opulence, je sentis son regard peser derrière moi.

Bien qu’affamée, j’avais à présent un tout autre appétit et devait nourrir une autre partie de moi-même…

« Ohé ? », appela mon subconscient, ma raison tentant vainement de l’emporter sur mon cœur.

Je me tournai, légère et insouciante, vers mon partenaire dont le regard me consumait. Le

renflement dans son pantalon ne laissait aucun doute sur son désir et cela me plut. Je me

mordillai la lèvre inférieure tandis qu’il déposa une myriade de baiser dans les vallées de mon cou offert.

Le moment était magique quand soudain, la voix d’une griotte volubile traversa les murs et

parvins à mes oreilles en alerte. Mes sens en éveil, j’échangeai un regard de déception avec mon assaillant érotique. A l’évidence, Cupidon avait manqué sa cible et je devrai brandir une toute autre arme : la patience !

Mot compte triple

Ped o est p t. Aujou d’hui, ’est le g a d jou , cela fait des ois u’il le p pa e. Nuit la he après nuit blanche, des litres et des litres de café, des seaux de corn flakes, des kilos de pâtes à la sauce

tomate préparées en secret, à deux heures du matin sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller ses

pa e ts. Des sa s e tie s d’a a des et de noisettes avalées par poignées, mâchouillées sans réfléchir, un

vrai régime de sportif : féculents et fruits secs. Il est désormais au maximum de ses capacités, au summum

de son art. Des se ai es e ti es u’il e vit ue da s l’o je tif de ette journée, il a cru devenir fou, il a

parfois pensé à abandonner, mais il a tenu le coup, entrainement après entrainement, répétition après

répétition. U e tal d’a ier et une endurance à toute épreuve. Le moment est venu du combat final.

« E, A, I, N, O, R, S, T, U, L, un point » se récite-il i t ieu e e t. Il est o e t , il s’est lev e matin avec un seul objectif en tête : remporter la victoire. Ses parents, assis en face de lui à la table du petit

déjeuner, sirotent tranquillement une tasse de thé, il se demande bien comment ils font pour garder leur

calme, se rendent-il seule e t o pte de l’i po ta e de ette jou e ? Surtout ne pas se laisser envahir

par le stress, il doit être maitre de ses pensées et souverain de son esprit, garder toutes ses capacités pour

le moment fatidique. « D, M et G, 2 points », il les connait par œu , il les a it e o e et e o e et e o e, jus u’à l’ puise e t. Il termine son petit déjeuner d’athl te et file sous la douche, un esprit sain

da s u o ps sai . Aujou d’hui, il doit t e i p o ha le, sa te ue est ie sû p vue de lo gue date et so ostu e, lav et epass , l’atte d su le dossie de la haise. « E, A, I, N, O, R, S, T, U, L, un point »,

e o e u e fois, il le essasse ta t dis u’il o te à l’a i e de la e li e de ses pa e ts. Ca est ils so t e he i , il e fe a plus a he a i e d so ais, il doit alle jus u’au out. Le lieu de l’aff o te e t ’est

u’à u e vi gtai e de i ute de la aiso ais le t ajet lui pa ait i te i a le, ha ue feu ouge se le s’ te ise , les i utes s’ g e t et la voitu e ’ava e pas, la petite da e ui t ave se la oute deva t eux a même l’ai de ale ti le pas e p s, et avec un sourire en coin qui plus est. « B, C et P, trois points »,

ette e gai e le al e, il p e d u e g a de i spi atio o e il s’est e e à le fai e « B, C et P, trois

points », il est plus serein maintenant que le véhicule se gare devant le g ase. Il saute à l’e t ieu et hâte le pas, il embrasse ses parents, « bonne chance, champion » lui susurre sa e à l’o eille, ils empruntent la porte principale et lui se di ige ve s l’e t e des a tistes. Il est seul à p sent, face à lui-

e, l’heure se rapproche, inéluctablement, e ’est pas le o e t de fla he , « F, H et V, quatre

points ». Il traverse les loges la tête haute, on lui remet un badge et on lui souhaite bonne chance en lui

tapota t l’ paule, il ’ a plus u’à atte d e le sig al. Depuis le derrière de la scène il entend le public

s’i stalle da s les g adi s et le al e se fait p og essive e t. De out, ie d oit il asse le es esp its, repense à ces semaines endurées, à toute cette préparation pour ce moment précis, « J et Q, huit points »,

du coin de l’œil il ape çoit so o u e t, u’il a l’ai g a d et sû de lui … « J et Q, huit points », ne pas se

laisser déconcentrer, il est fin prêt à lui rabaisser la jactance. Le ideau s’ouv e.

Soudain, tout va très vite, les lumiè es des p oje teu s et l’asse l e ui le ega de. Sa tête tourne

l g e e t ais il e laisse ie pa ait e, il s’ava e, s’assoit fa e à so adve sai e, le ega de ie d oit dans les yeux, lui sert la main, impassible. Di g, ’est le d ut de la o p tition. « K, W, X, Y, Z, 10 points »,

il ’a ie ou li . Il plo ge la ai da s le petit sa ve t, a ge thodi ue e t ses jeto s et atta ue :

« bagou », e ’est pas si al pou u d ut, « lapin » renchérit son rival, « griotte » pose-t-il à son tour,

« ciment », « toiture », « haine », « lire », « encre », « ohé », « chaton », « accent », « peluche », « voix »,

les i utes passe t et les ots su gisse t, s’ ha ge t, s’e vole t, volubiles et variés, une véritable

farandole, non, mieux, une explosion ! Le tou oi o ti ue, le pu li ’e iste plus, Ped o e voit plus ue devant lui et même son concurrent lui apparait avec des contours flous. « Truculent », « hypothèque », le

iveau s’e vole et la tension est à son comble, « rythmez », « placoter », « jukebox », le plateau se remplit

et le sac de pion se vide, le combat arrive bientôt à son terme, il faut conclure. Ped o s’app te à do e le coup de grâce et pose un « chatoyez », son adversaire rétorque avec « hybride » mais il lui reste un dernier

« voyagez » à joue u’il appli ue ave u ai t io phal. Les so s evie e t peu à peu autou d’eu et le public applaudit longuement, il aperçoit ses parents, debout au milieu de la foule, un immense sourire de

fierté scotché sur le visage. Pedro vient de remporter la finale régionale de scrabble.

Musique au cœur des mots.

8, Voi i la ouvelle a ée ui o e e ave l’i o tou a le t aditio des vœux !

« Désuet à notre époque », direz-vous !

Le croyez-vous vraiment ?

N’est-il pas haleu eux d’appo te ou de e evoi de dou es pa oles de ie veilla e, d’a itié, de tendresse ou d’a ou et ai si de e oue é ha ge et pa tage, ie t op souve t ou liés…

Petit ou grand, chacun trouvera les mots ou prendra la parole.

De tous les horizons, les voix se feront entendre et, par elles, tous les accents des régions ou des pays,

seront portés.

Certains raconteront avec force et détails les récents épisodes de leur vie, et placoteront les derniers

cancans.

D’aut es a o de o t ave sensibilité leurs préoccupations, partageant ainsi un dialogue et un

échange animé.

Il y aura ceux plus volubiles qui animeront par leur bagou, leur auditoire, et aussi ceux qui sauront

susurrer à nos oreilles, tels les griots, de truculents récits, remplis de poésies rythmées comme une

mélodie.

« Ohé ! » Gens du monde !, Quelle est donc cette jactance ? Un Bla- Bla su l’ave i ?

Que nenni, ce sont des mots, des mots doux,

Dix mots sur tous les tons,

Dix mots pour vous clamer, OUI !

2018, elle sera belle votre symphonie de la vie !

Nécessité

Elle avait grandi dans le giron de sa mère, femme enthousiaste et volubile qui lui contait des

histoires dont elle devait imaginer seule la fin, quand sa blanche griotte s’était endormie. Elle

aimait lire dans le silence de la nuit et faire résonner dans l’alcôve qui lui tenait lieu de lit la

détermination farouche d’Andromaque ou les atermoiements d’Hamlet, leur prêtant sa voix qu’elle

modulait à loisir. Elle se retournait avec indulgence sur ces heures passées à placoter en bonne

compagnie, debout sous la pluie ou courant dans les bois.

A dire vrai, sa dilection pour les mots était aussi ancienne que ses souvenirs. Les mots… ceux

qu’elle lisait avidement, ceux qu’elle recopiait sur des feuilles éparses – précieuse collection de

verbes rares, de noms farfelus, d’adjectifs d’un autre temps, d’adverbes mélodieux, ceux qu’elle

prononçait – pour faire rire, usurpant un accent ou un autre, pour convaincre – « Quel bagou, cette

petite ! » répétait sa grand-mère, pour jouer.

Plus que Roxane et sa beauté enchanteresse, elle aurait voulu être Cyrano à la langue alerte,

tour à tour truculent, tendre, terrible, terrassant d’un trait la jactance des cuistres.

Lorsque sa fille était née – avant même sa naissance, elle lui avait susurré des histoires, des

comptines lues ou inventées ; en digne héritière, elle était devenue griotte, aède, trouvère, conteuse.

Pour l’endormir, elle la nourrissait de lait tiède et de doux mots.

Elle la regardait grandir, fière de ses rondeurs poupines, de l’éclat vif de ses yeux pers et de

ses balbutiements qui, très vite, se muèrent en syllabes, en mots, en phrases : « T’entends, maman,

le bruit ? » Un an et demi. Elle parle. Elles parlent – et les discussions s’animèrent. « Maman,

j’adore quand on parlote ! »

Avec lui aussi, elle avait connu ces heures passées à deviser – et la source s’était tarie. A qui

la faute ? Aurait-elle dû continuer de s’évertuer à faire parler le taciturne qu’il était, d’arracher des

réponses à cette bouche obstinément close, d’espérer qu’il la questionne enfin ? Ses silences

pouvaient durer des jours, des semaines parfois. Lorsqu’ils étaient seuls, il n’était pas rare qu’un

voile muet ne les recouvre, qui pesait sur elle comme une gangue, l’étouffait ; il lui semblait même

penser en sourdine.

Ainsi leur amour s’étiola-t-il sous les coups invisibles de ce silence quotidien – peut-on

partager sans échanger ? Leurs étreintes, muettes, tristes, mécaniques, se raréfièrent.

Un matin, elle lui annonça qu’elle partait, le répéta – « Ohé ! Tu m’entends ? » Lorsqu’il

comprit qu’elle le quittait, il la regarda, perplexe d’abord puis hébété et hagard, avant de s’écrier :

« Mais pourquoi ? Mais réponds-moi ! Tu pourrais au moins m’expliquer ! »

Ce matin-là, elle se tut ; son salut l’attendait.

Première école buissonnière

- C'est décidé, je n'irai pas au cours d'anglais ! affirma Corentin.

- Tu vas sécher ? demanda Olivier.

- Y en marre de ce prof. Il est trop nul ce Monsieur Frès avec son accent à la con.

- Si le dirlo l'apprend, tu vas passer un mauvais quart d'heure. Et je te raconte pas le

savon que vont te passer tes parents.

- J’ai du bagou. Je trouverai comment les embobiner si besoin. Je n'irai pas !

- Ohé, si tu veux louper l’English, à ta guise. Mais c'est un peu crétin de revenir pour

le cours de français à seize heures. Tu ferais mieux de ne pas venir du tout.

- La prof de français, c’est la prof principale, notre griot. Je ne suis quand même pas

fou.

- Je vois. Téméraire mais pas trop !

- Qui parle de témérité ? demanda Stéphanie qui passait par là avec son groupe.

Corentin ferma son poing. Stéphanie était une des plus jolies filles du collège mais

avec sa copine, la volubile Nathalie, c'étaient les deux plus grandes pipelettes de tout

l'établissement.

- Corentin sera absent du cours d'anglais, dit Olivier.

- Non ?

- Si !

- Attends que je raconte ça aux autres.

- T'es pas obligée, lui annonça Corentin.

- Je parie que tu vas te dégonfler, lui dit Nathalie.

- Et moi, je parie qu'il va aller jusqu'au bout ! affirma Stéphanie.

Nathalie fit signe à des copines de venir.

- Vous savez pas la nouvelle ? Corentin ne viendra pas en anglais cette après-midi.

- T'as un mot d'excuse ? lui demanda Eveline.

- T'as pas compris ? Il va sécher le cours de Frès ! répondit Olivier.

- Tu déconnes ? Pas lui !

- Et pourquoi pas moi ? demanda Corentin.

- C'est vrai ça, pourquoi pas lui, souligna un peu admirative la belle Stéphanie.

On entendit la cloche sonner la fin de la récréation. L'information avait circulé comme

une traînée de poudre.

- Alors comme ça, petit quatrième, on fait son rebelle, lui lança un troisième d’une insupportable jactance dans les escaliers.

- J’irai me baigner à la gravière pendant que vous serez en cours à moins que

quelqu’un veuille venir avec moi. On est jeunes. En avant !!!

- On se voit tout à l'heure à quatorze heures, susurra perfidement Nathalie.

- Même pas en rêve. Je viens à seize heures pour le cours de français.

Et ils se dirigèrent en cours de maths. La pression montait de minute en minute.

Corentin ne pouvait pas abandonner. Tout le collège était au courant de ce qu'il allait faire.

C'était presque à souhaiter que quelqu'un le dénonce au proviseur.

***

Quinze heures quarante-cinq, Corentin entre dans l'enceinte de l'établissement. Tout le

monde le regarde et placote. Il a tenu parole, il a fait sa première école buissonnière. En fait,

ce n'était pas si difficile. Premier cours séché qu'il n'oubliera jamais.

- Merci Corentin de m’avoir aidé à remonter le pneu de ma voiture, dit M. Frès d’une voix chaleureuse. Je serai encore là-bas sans vous. Quelle chance de vous avoir croisé en sens

inverse sur votre vélo… C’est d’un truculent, me direz-vous !

Pull !

Le corps de la blonde oxygénée explosa littéralement sous la brassée de plombs

du tir croisé et ses membres, déchiquetés, s'éparpillèrent en tous sens.

- Ohé, ma puce, tu es prête ? On essaye avec un mec ?

- Avec plaisir. Juste le temps de recharger.

Dans un même geste, elles éjectèrent les cartouches encore fumantes et regarnirent

le double canon. Comme dans un exercice de gymnastique synchronisée, les

claquements secs de la fermeture des armes retentirent quasi simultanément. La

brune sifflotait la vie en rose et la plus jeune chantonnait une contine fleurie et

quelque peu coquine qu’un vieux griot truculent lui avait apprise lors d’un récent

séjour au Burkina Faso.

- Pull !

- Adieu, sale type!

Directement au fait, pas question de tergiverser. Elles n’étaient pas douées pour la

jactance ni du genre à placoter pendant des lustres même si, d’une certain façon,

les armes à la main, elles ne manquaient pas d’un certain bagou. Ce n’est pas pour

rien que l’on parle de la voix des armes ou de la bouche des canons. Les leurs

étaient des plus volubiles.

Une fois encore, elles firent donc feu de concert. Les bras et les jambes se

séparèrent du tronc, encore revêtu d'une élégante veste cintrée, et se dispersèrent

dans le ciel bleu.

- On ne sera jamais de jeunes et jolies princesses!

- A mort les princes charmants!

Elles se vengeaient des années d'adolescence passées à surveiller leur ligne et leur

acné, à enfiler des robes rose bonbon et à attendre languissantes ce fameux prince

sur son cheval blanc qui leur susurrerait de doux mots d’amour avec l’accent

d’Oxford.

Elles rechargèrent leurs armes pour un nouveau tir.

La caisse de Barbies les occuperait bien tout l'après-midi.

Que tous puissent voir le soleil …

« … Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore.

Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore

Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,

Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a

L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine »

Sur la scène, la fillette salue et les applaudissements fusent.

Elle cherche un visage dans le public, mais déjà le rideau se ferme.

Retour en coulisses, puis dans la salle atte a te où l’effe ves e e g e. Tout u petit o de agité et

volubile. Dans un coin, un groupe de filles placote ; parmi elles, celle qui semble avoir le plus de bagou, une

blondinette dont le visage est constellé de taches de rousseur et le regard pétillant, guette et interpelle

joyeusement l’a iva te. « Ohé, Aminata ! ». Ta dis u’Aminata s’app o he elle lui adresse un sourire

bienveillant avant de se retourner vers ses camarades : « Ho, vous, arrêtez vos jactances ! » leur intime-t-

elle.

Devant une telle autorité, le silence se fait dans le cercle. Alors prenant de grands airs elle annonce avec

emphase « Je vous de a de d’a ueilli Aminata, la plus grande poétesse africaine … » et elle s’i li e, esquissant une courbette obséquieuse. Les autres pouffent de rire, ais elle ’e a u e. Elle se redresse et

poursuit : « A i ata est l’illust e des e da te d’u griot réputé … ». Des regards à la fois interrogatifs et

admiratifs se tournent vers Aminata. « …Au fait, je parie que vous ne savez même pas ce qu’est u g iot ! »,

les nargue-t-elle avec un petit accent railleur.

La voici à peine lancée dans une truculente imitation d’u de ces conteurs africains haut en couleurs et

gesticulant, u’u ouhaha s’ l ve ve s l’e t e de la salle. Des voix autoritaires, entrecoupées de cris

aigus, couvrent les bavardages. D’aut es voix s’i te pose t ave fe et . Les enfants font silence, se figent.

Tous. Sauf Aminata, qui se précipite en hurlant …

Da s l’e ad e e t de la po te, elle vie t d’ape evoir sa mère, en pleurs, entre deux uniformes.

- :- :- :- :- :- :- :-

L’i te ve tio de la poli e à l’ ole L opold Sédar Senghor pe da t le spe ta le de fi d’a e impressionna fortement les enfants, les parents, les enseignants.

Heureusement pour Aminata et sa famille, après quelques explications houleuses il s’av a apide e t u’il s’agissait d’u e regrettable erreur résultant de plusieurs malheureux dysfonctionnements dans le

traitement du dossier d’u e fa ille de réfugiés homonymes, et les autorités présentèrent leurs excuses.

Le lendemain, Aminata était de retour en classe. Assise à côté d’elle, la blondinette aux taches de rousseur

lui susurra : « je suis si contente que tu sois là ! J’ai eu telle e t peu pou toi hie ! Ton « rêve familier » a

bien failli se terminer en véritable cauchemar ! ».

Aminata acquiesça d’u sig e de t te et sou it à sa camarade.

Mais elle soupira aussi : elle savait que de nombreux autres enfants ’avaient pas, comme elle, la chance

d’alle à l’ ole. Qui leur ferait goûter la poésie qui la fait rêver et ensoleille sa vie ? Et ses lèvres

murmurèrent ce vers du grand Senghor : « … Soleil su os te eu s, soleil su ot e espoi … ».

Raconte-moi une histoire...

Il régnait dans la pièce un indescriptible brouhaha. L'Être suprêmepénétra dans la salle d'audience et s'installa à son bureau. Il se racla la gorge pourattirer l'attention de l'assemblée mais sans succès. D'une voix calme et assurée, iltenta de faire cesser la cacophonie avant de lancer un « Ohé ! » tonnant et enflé. Unsilence de cathédrale s'abattit aussitôt sur l'assemblée.

– « C'est beaucoup mieux ainsi ! Maintenant, racontez-moi votre histoire. »L'Américain fut le premier à se lancer. Il tint un discours plein de jactance, d'unevoix d'airain, sur un ton infatué et avec un accent outrecuidant. ( Méthodeintimidante.)L'Européen, qui ne voulait pas être en reste, se précipita à sa suite. Il expliqua sonpoint de vue, d'une voix volubile et grinçante, sur un ton docte et avec un accentsoporifique. ( Méthode Hypnotiseur.)Le Russe, beaucoup plus roublard que les deux personnages précédents, susurratoute l'histoire à l'oreille de l'Être suprême, d'une voix plaintive, sur un ton mielleuxet avec un accent fourbe. ( Méthode Flatteuse.) L'Africain s'avança avec nonchalance et tel un grand griot il conta l'histoire, d'unevoix pleine de componction, sur un ton placide et avec un accent envoûtant.(Méthode Charmeuse.)L'Australien, personnage pittoresque, narra toute l'histoire avec un bagouextraordinaire, d'une voix fluide, sur un ton assuré et avec un accent grave.( Méthode authentique.)Le Canadien, truculent et exubérant, décida de placoter avec le juge, à grand renfortde gestes, pour donner sa version des faits, d'une voix ferme, sur un ton décontractéet avec un accent décisif. (Méthode Hardiesse.)...Après des heures d'audience, l'Être suprême en avait assez entendu pour rendre sonjugement en toute sénérité. Les « Indignes » avaient raconté l'histoire de l'humanité,chacun à sa façon, chacun défendant ses propres intérêts mais chacun avec unegrande conviction. Il n'y avait pas que du bon chez l'Homme mais l'Être suprêmepréféra voir le bon côté des choses. La diversité était une richesse incommensurableet essentielle pour l'évolution de l'humanité. Il ne manquait plus que l'harmonisationde l'ensemble, en faisant sauter le verrou de l'incompréhension, sans tomber dansl'homogénéisation. La tâche était titanesque mais l'Être suprême était persuadé quel'Homme était sur la bonne voie grâce au dialogue.Le jugement fut rendu : il accorda un délai supplémentaire aux Hommes pourparvenir au but ultime.

Si...

Si tu vois un griot, vêtu d'un boubou de soie blanche brochée, assis en tailleur, réclamer

le silence et l'intérêt de tous par des :" Ohé ! Ohé ! ", afin de réciter mythes et légendes

d'un lointain passé dont il serait le seul survivant, héritier et dépositaire ;

Si tu comprends la jactance de la bohémienne, volubile et débridée, que rien ni personne

ne saurait contenir ni endiguer le flot de ses paroles sauf à aboutir au résultat inverse,

c'est-à-dire la voir s'agiter davantage et accélérer le débit de ses paroles ;

Si tu aperçois la conteuse susurrer à l'oreille attentive des nouveaux-nés des histoires

presque vraies où un petit cochon cause bien du tracas à un loup très bête, où une reine

dialogue avec son miroir, où un petit Nils survole la Suède sur le dos d'un jars ;

Si tu écoutes la voix céleste et poétique d'un pierrot vêtu de blanc et le visage enfariné,

qui n'a quitté sa chère lune que le temps de narrer maintes fables envoûtantes et tirer

quelques notes délicates de sa lyre argentée ;

Si tu assistes au bagou insensé d'un truculent marin, manchot et affublé d'un cache œil,

inventer ou romancer expéditions périlleuses et aventures maritimes à base de trésors

disparus, d'îles introuvables et de bateaux fantômes ;

Si tu surprends un homme placoter avec un accent venu du froid pour décrire les ours

blancs, les arbres immenses, les cabanes à sucre recouvertes de neige et les traineaux

qui se perdent dans le brouillard ;

Alors tu es bien, et même très bien au festival sis en Loire-Atlantique : "Dis-moi dix mots

sur tous les tons" !

Bienvenue à Saint-Père-en-Retz !

Bienvenue à Chauvé !

Soirée Genreuse

C’était un soir, un samedi, dans les néons criards de Pigalle. Un groupe de

vieilles provinciales caquetantes s’était engouffré dans la porte doublée d’un rideau.

Les donzelles apprêtées entrèrent, volubiles et ricanantes. Un peu gênées, elles

dirent bonjour, en voulant cacher leur accent à l’homme en bleu, autant maquillé

qu’elles, mythique et vieillissant qui accueillait ses hôtes comme chaque soir. Il était

surement lifté, mais, assis à sa table, un peu dur d’oreille, peinant à se lever et à

répondre aux sollicitations, il ne pouvait tromper personne sur son âge. Ah, ça, il avait

perdu de son bagou le Michou !

Les dames âgées du village, enchantées de quitter une fois l’an leur salon et sa télé,

s’installèrent en attendant un spectacle truculent d’hommes qu’on ne sait plus très ce

qu’ils ont dans le pantalon.

La voilà, la Dalida qui leur susurre les chansons de leur jeunesse, les griots de ce

passé révolu sont des chimères, drag Queens et travestis aux voix rauques et

trainantes. Ah les voilà, les vieilles commères qui placotent, excitées et dégoutées,

comme elles font toute la journée sur la fille du boucher mais cette fois c’est sur les

mœurs perdus de la ville.

Il est habitué le jeune homme, à voir ces dames émoustillées et à entendre leurs

jactances. Ohé, les vieilles biques, si vous venez, ce n’est pas pour vous moquer ! et

voila le moment qu’il préfère, il doit danser, avec l’une d’elles ; la créature, ni-homme

ni-femme, en choisit une bien vieille.

Et là, en se frottant contre elle, tout le monde la voit. Ils forment un duo assorti : voyez !

elle qui se moquait. Elle non plus, n’est plus ni homme ni femme, elle n’est pas travestie

non plus. Le temps lui a ôté tout le charme de son genre, et la voilà devenue, non pas

laide, mais asexuée.

Tout ce que l’on fait par amitié…

Je soupire intérieurement lorsque j’entends son accent sudiste, épais et presque incompréhensible.

Il est grand et plutôt fort, son visage est celui de quelqu’un qui passe son temps au soleil et ne se soucie pas assez de son apparence.

On s’assoit chacun de son côté, il ne me sort pas la chaise comme l’aurait fait un homme galant.

Très vite, il décide de prendre un steak avec des frites. Je prendrais des tagliatelles au saumon.

Il me raconte comment il est devenu policier, à défaut d’opportunités d’emplois, et comment il a été envoyé dans la région. J’essaie de le convaincre que ce n’est pas si mal, de vivre ici, mais il dénigre

d’abord les habitants, toujours renfrognés et mal lunés, puis la ville même, trop bruyante et stressée selon lui. Son bagou me perd, et je n’arrive pas à en placer une seule. Je sirote un verre de muscadet et je songe à la journée de travail qui m’attend demain. Pour mes petits sixièmes, j’avais préparé une présentation d’un conte africain par un vrai griot. Le tout sur vidéo, malheureusement,

malheur à nous si nous sortions du sanctuaire de la salle de classe.

Sa voix s’arrête. Il m’a demandé quelque chose.

Je ris, gênée et lui demande de se répéter.

On placote au sujet de mon métier d’enseignante. Ça l’impressionne. Je pourrai faire redescendre son enthousiasme en lui racontant deux ou trois anecdotes vécues pendant mes six ans d’ancienneté mais je ne le fais pas. Sa jactance revient de plein fouet quand il se met à rêver de son sud natal. A

l’entendre, il s’agit de deux pays différents. Il interpelle le serveur d’un « Ohé ! » retentissant. Il me

commande un dessert que je n’ai pas choisi, mais je souris, pour Christelle. Elle m’avait presque supplié de venir à ce dîner, pour aider une de ses connaissances à récupérer après une relation qui

s’était mal terminée. A l’entendre susurrer que toutes les femmes aiment le chocolat, je n’ai aucun mal à comprendre pourquoi une femme le quitterait par texto.

Il me dit qu’il revient fréquemment chez lui, il n’a pas à travailler tous les jours. Il va chez ses parents. Je retiens un sourire, je trouve drôle qu’un homme de son âge vive chez ses parents, même si c’est par commodité et pour quelques jours dans le mois. Il me parle des criminels qu’il côtoie lorsque le fondant au chocolat arrive. Je retiens une grimace. Lui n’a pas pris de dessert, seulement

un café, ça ne ferait pas assez viril à son goût. Il devient encore plus volubile qu’auparavant pour me raconter les horreurs que fait subir l’immigration à notre société.

Je mange le gâteau le plus rapidement possible, buvant de l’eau pour faire passer le goût et sortir

d’ici. Après deux heures trente, je suis fatiguée de lui et je veux rentrer dormir. Il n’est même pas habillé convenablement pour un rendez – vous, juste un tee shirt et un jean, façon décontractée. Il

décide que nous paierons chacun ce que nous avons consommé et rit de moi lorsque je sors mon

portable pour compter.

Une enseignante de français qui sait pas compter, quelle originalité.

Je lui réponds calmement en déposant mon argent sur la table, avec un pourboire pour le serveur.

Au moins je ne suis pas un sudiste truculent.

Il a une expression perplexe, il n’a pas compris. Je lui dis de sortir son portable pour regarder la définition. Je me lève lorsqu’il l’a trouvé et je n’attends pas sa réponse. Je sors du restaurant et je

me dirige vers le métro d’un pas ferme.

Il ne me suit pas.

Un aller sans retour

Dimanche 14 janvier 2018- A opo t d’O l – 4 h50

Jeanine, petite femme fluette, la soixantaine, fi ait d’u ega d apeu le ta leau d’affi hage a o ça t l’heu e d’e a ue e t du prochain vol pou Ca e e. U œil ave ti au ait suffi pou o p e d e l’ tat de d sœuv e e t da s le uel elle se t ouvait ; elle avait eau essa e de ett e de l’ordre dans ses idées,

la tête lui tournait, la voix de l’hôtesse annonçant les embarquements pou d’aut es vols au desti atio s exotiques e faisait u’agg ave so a i t mais également son excitation. Que faisait-elle là, elle,

Jeanine ? Durant 60 ans, elle avait toujours résidé dans le même petit appartement de banlieue ; elle ne

sortait pratiquement jamais outre le fait de se rendre sur son lieu de travail, au supermarché du coin où elle

exerçait la profession de comptable. Les dimanches après-midi elle accompagnait sa maman au petit

s ua e d’e fa e. Les vo ages ’ tait pour les autres, « trop chers » disait sa mère ! Sa vie était terne, elle

écoutait aimablement les conversations de ses collègues sans y prendre part. La volubile Ginette avait

toujours des souvenirs truculents de vacances à raconter devant un auditoire conquis. Jeanine était

i visi le et ’ tait ieu ai si e si de i e so dos elle savait u’ils placotaient et se moquaient de sa

personne.

Voilà p s d’u a ue sa e tait d d e et ie e laissait p sage le ouleve se e t ui allait suiv e. Lors du règlement de la succession de sa mère, Jeanine, seule héritière, reçu de la main du notaire un pli

cacheté portant la mention manuscrite et énigmatique: « il est temps que tu connaisses la vérité ». Elle

tait e t e hez elle, s’ tait assise da s le fauteuil li , u e voix lui susurrant de ne pas ouvrir le

courrier, une autre de le faire.

« Jea i e a fille h ie, je ’ai ja ais souhait te pa le de to p e ais le te ps est ve u pou toi de connaitre son identité ; Il se nomme Robert Durand et réside encore peut être dans la ville de Roura en

Gu a e. J’ai fait sa o aissa e à Pa is alo s u’il tait ilitai e. Je te joi s la seule photo de lui ue je possède. Le jour où tu ouvriras cette enveloppe peut-être que lui aussi ne sera plus de ce monde, à toi de

savoir si tu d si es pousse plus ava t tes e he hes… »

Le choc fut brutal pour Jeanine qui, une fois remise de ses émotions se mit avec une ardeur jusque-là

insoupçonnée à entreprendre des recherches sur son géniteur qui potentiellement pouvait avoir rendu

l’â e ; cette supposition lui fit froid dans le dos ; après avoir échafaudé moult hypothèses, elle se décida à

appele di e te e t la ai ie de Rou a. L’age t o u al ave u fo t accent a tillais ’ tait pas ava e de confidences ce qui de prime abord aurait pu pa ait e ho ua t et peu p ofessio el ais u’i po te, Jeanine profitant du bagou de son interlocutrice apprit que le monsieur veuf désormais comptait 80

printemps et vivait avec son fils âgé de 52 ans. Nouveau choc pour celle qui venait de découvrir l’e iste e de son père, elle avait également un frère !

Pendant quelques jours, elle en voulut te i le e t à sa e d’avoi ga d e se et. Sa vie au ait pu être

tellement différente ! T op ta d pou juge et pou s’apito e su so so t, elle devait agir maintenant ; ’est e t e la t de tout so t e, u’elle se saisit du t l pho e. Elle ut d failli e e te da t la voi de so p e à l’aut e out du o i , paralysée par la peur elle laissa un long sile e s’i stalle , prête à

raccrocher. C’est un « ohé » au bout du fil qui interrompit son geste ; essayant de dissimuler son émotion,

elle lui révéla de manière abrupte son identité et les raisons de sa démarche. Le silence avait changé de

côté…. Jus u’à es uel ues ots agi ues : « il ’est jamais trop tard pour faire connaissance, je suis un

vieux monsieur et je suis également certain que mon fils malheureusement hémiplégique mais très bavard

se a avi d’app e d e u’il a u e sœu pour lui tenir la jactance ; Vous serez la bienvenue dans notre

modeste foyer. Venez en Guyane, Roura est une ville magnifique et nous avons des tas de choses à nous

raconter, nous ne rattraperons pas le temps perdu mais nous avons encore un petit bout de chemin à faire

ensemble, ce sera une merveilleuse histoire comme aiment à les conter ici nos griots ».

« Je vais venir, monsieur »

« Ne ’appelez pas, o sieu , ais ve ez vite »

« Je se ai là le 15 ja vie ……papa »

Jeanine pressait tout o t e elle so illet d’avio pou Ca e e, elle ’avait pas p is de etou et pour la

première fois de sa vie elle se sentait libre ; malgré la peur que lui inspirait ce sentiment tout nouveau, elle

sourit en pensant que le bagne ’ tait Paris et u’elle s’e vadait.

Un futur accidenté.

A-t-il eu comme une prémonition ? Non, rituel d'insomniaque, ai-je pensé, à tort, sans doute.

Au téléphone, hier soir, à une heure trop tardive pour que ce ne soit pas un appel au secours ou une

envie d'éteindre la nuit blanche, depuis sa résidence médicalisée, mon grand-père répétait qu’il n’y aurait pas

plus d’avenir pour lui que pour nous, quand abeilles, ours blancs et naissances à domicile auront disparu

définitivement : pour moi, pour nous, il susurrait, pour ne déranger personne, ni dans le lit-parapluie, ni sur

nos oreillers.

Il tenait, pour la énième fois, à nous dire son essentiel quand même : j'ai acquiescé, à chacun de ses

silences, pour la forme, pour ne pas ouvrir de débat, pour l'apaiser sans m'énerver, pour qu'il s'endorme vite

et nous aussi.

Ça clapote dans ma mémoire, comme un vague fond de culpabilité, et les commentaires québécois de

ma compagne de lit, de ma cofondatrice de famille nouvelle, eux, placotent, en surimpression, surpiqûre

d'agacement et d'irrespect, qui coud ensemble le souvenir de mon trouble et mon inattention. Elle qui a

migrée, par amour, ne supporte pas ce vieux, feuille presque morte de mon arbre généalogique, auquel elle se

greffe sans vouloir s’y fondre : « Du bagou, de la jactance, trop, trop, c'est trop, il se prend pour le griot de

la décadence occidentale, juste parce qu'il était un baba-cool, un militant de la première heure, un utopiste

invétéré, juste parce qu'il a encore une voix truculente, parce qu'il ne sait être que volubile... Tabernacle,

faudra qu'un jour, tu lui rappelles qu'ils auraient pu changer le monde, lui et sa génération ! Faudra qu'il

cesse de monopoliser la parole ; à son âge, ce qu'il dit, ça n'est branché sur plus rien !... Faudra surtout lui

rappeler qu'à minuit, on ne téléphone à personne, on ne parle à personne, on n'embête pas ceux qui

travaillent pour le maintenir dans sa zone de confort, lui. A minuit, après l'incontinence, on s'amuse ou l'on

dort... »

Entre cet hier finissant et le demain qu'il n'envisage plus, lui ? Je ne suis pas assez attentif au présent.

« Ohé ! », c'est l'interjection qu'il m'aurait lancée, pour me mettre en garde. Avec cet accent qui chante le

soleil et dont je n'ai pas hérité, parce que la mégapole a rogné tout ce qui trahit les origines dont je pourrais

être fier.

Sorti de la bâtisse rénovée qu’il m’a donné, jeune père de la veille ou presque, citadin, salarié du

secteur tertiaire d’une civilisation de sédentaires, lambda, je marche avec des bouchons d’oreilles qui

diffusent de la musique. Risque de surdité ? Oui, il me l’a répété, sur tous les tons, mon vieux préventeur...

Je file acheter fruits, légumes, pain d’épeautre, miel et fromage en faisselle, dans un préau d’école où

s’installent, chaque semaine, des barbus, déjà dégarnis par la précarité et l’amertume des illusions perdues,

ou des matrones opulentes, qui vendent des produits bio, récoltés en ruralité de banlieue. Ma tête est saturée

de décibels et du doux souvenir de ma descendance qui couine, tète, dort, vit.

Je trébuche sur une plaque d’égout que des gamins, qui jouent aux billes, ont légèrement désencastrée,

pour qu’il y ait une pente.

Ai-je perdu connaissance ? Je suis soudain dans un bus à sustentation magnétique, qui file en feulant

au-dessus des prairies sans goudron ni béton. Jusqu’à ma tente de nomade. Je n’aurai qu’un enfant, qui,

comme moi, sera au service du clan. Après l'avoir tant vu, tant écouté, après avoir tant appris de sa sagesse et

de ses souvenirs critiques, je laisserai mon aïeul en lisière de forêt, pour que son corps retourne à la nature

dans la gueule des félins, nos frères.

J’ouvre les yeux. Un pare-choc au ras du visage m’informe que ma chute m’a entraîné au-delà du

trottoir. J’ai donc eu un flash d’une autre vie possible, si notre espèce trop dominante, pour sa préservation et

celle de son biotope, avait fait d’autres choix : il faut que j’arrête les jeux d’arcade et l’herbe qui me coûte si

cher. Il faut que je sois plus dans la réalité, j'ai des responsabilités, maintenant, ça me pèse ou ça m'étouffe ?

Un visage différent du mien enfle dans la surface bombée, chromée : une femme se penche au-dessus

de ma tête pour savoir si elle aura l’opportunité de me faire un bouche-à-bouche. Au parfum, à la voix, au

contact de son épiderme, au crissement de ses boucles d’oreilles sur les verres de mes lunettes fendues, je

devrais pouvoir préciser l’âge et la possibilité d’une inscription dans mon répertoire téléphonique, avec un

zeste de concupiscence et de culpabilité. Mais ses larmes tièdes me confirment simplement que je suis un

accidenté de la circulation urbaine, mort.

Un mal, des mots

La nuit tombe lentement et voilà que la lourde chaleur du jour fait place à une agréable torpeur. Sur la

terrasse d’en face, la femme du griot finit de préparer le repas de sa maisonnée. Bientôt, les enfants surgiront

comme par miracle des quatre coins de la demeure en banco et j’entends déjà leurs piaillements criards

résonner à mes oreilles. D’une forfanterie inavouable et d’une jactance improbable, ils iront sur le toit

bousculant pierres et mots sans égard pour le voisinage. Et je sais qu’il faudra comme chaque soir que tonne

la voix chaude et profonde de leur mère pour que l’ordre revienne !

« Ohé ! Ohé ! »

Tournant la tête de côté, j’aperçois Adama qui s’approche du pied de ma maison en me faisant de grands

signes. Adama, c’est mon voisin, le griot. Mais c’est avant tout et surtout mon ami. Avec son inimitable

bagou et son accent à couper au couteau, avec sa bonhommie et sa ferveur truculente, j’aime quand il

s’enflamme et que les mots s’échappent de ses lèvres en un flot incessant, avec cette mélopée envoûtante que

seuls ceux de sa caste savent faire émerger des insondables profondeurs de la brousse pour les offrir en

cadeau au monde des vivants.

Adama, mon frère, mon ami, je te revois encore détacher une à une les syllabes de ce mot que nous avions

appris ensemble de la bouche pincée d’une ambassadrice affligée de chaleurs africaines : placoter. Comme

nous avions ri alors, et combien de fois n’avions-nous pas placoté depuis ce jour ? Adama, mon ami, quel

cruel destin m’amène à devoir briser ton cœur ce soir !

Je lève la main et te fais signe de monter. Et malheur, voilà que tu montes déjà les marches de l’escalier, ces

marches qui te conduiront immanquablement jusqu’à moi. Comment te l’annoncer ? Le temps suspend son

vol et je me sens flotter dans les airs, tandis qu’aucune formule, aucun mot ne semble vouloir convenir pour

porter à tes oreilles la cruelle nouvelle.

Il le faut bien pourtant. Car ce soir se tourne une page ouverte il y a de cela dix ans, alors que je n’étais que

ce jeune idiot venu porter assistance et bonnes paroles en des terres inconnues. Avec quelle suffisance

j’assénais mes vaines et puériles vérités ! Et malgré tout, tu m’accueillis avec patience et même entrain,

attendant que j’eus fini de pérorer pour éclairer de tes conseils avisés le jeune chien fou que j’étais. Qu’il

fallut du temps avant que raison susurre enfin ses sages paroles à mon cerveau trop étriqué !

Demain, je m’en vais. Les mots sont là, désormais. Enfin ! Mais voilà qu’ils se jouent encore de moi et ne

veulent franchir le seuil de mes lèvres. Ils sont là pourtant, je les tiens presque mais chaque fois que je

m’approche, voilà qu’ils se faufilent entre mes doigts et m’échappent, comme autant d’insaisissables

chenapans hilares de me tenir coi.

« Alors, mon frère ! Tu comptais t’échapper sans passer une dernière soirée avec ton vieil ami ? »

Coi, je le reste, tandis qu’Adama, volubile comme à l’accoutumée, console déjà mon cœur éploré. Il savait.

Bien sûr.

« Hum, il y a là sans doute un puissant marabout qui t’a jeté un sort ! Viens, il faut exorciser tout cela. Allons

placoter une dernière fois ensemble ! Et surtout demander la route aux anciens ! »

Tandis qu’il me prend par la main, je songe, toujours muet, comme la vie fut simple à ses côtés. Les larmes

coulent sur mes joues et je sais désormais que je reviendrai. Mais comment pourrais-je un jour te remercier,

Adama, toi mon frère ? Et comment te remercier, Afrique, toi qui m’as si bien éveillé au monde des vivants ?

Un si long voyage

Le vieil homme, truculent et râleur, voulait voyager, se dépayser. Mais quel fichu caractère.

Jamais content, toujours cette façon de parler comme un camelot ou un de ces bonimenteurs comme

on pouvait en rencontrer autrefois. Cette façon de parler rapidement, dont les mots passaient au

dessus de la tête des chalands et des curieux, cette façon de construire des phrases volubiles.

Il était un tantinet pénible avec cette jactance auprès de quiconque voulait bien l'écouter.

Mais on ne peut pas en dire autant de certaines plantes bien que volubiles à vouloir s'attacher à

n'importe quel tuteur comme si elles étaient en manque d'amour.

Mais les plantes même bien enlacées ne parlent pas, elles ne placotent pas entre elles

pour voyager, juste peut-être au moment où lorsque les graines sont mûres, celles-ci se dispersent

avec le vent. Faut il prêter l'oreille pour entendre les voix de la Nature ? Je ne sais pas ,mais

surtout point de cancan, point de bavardage inutile, juste l'essentiel, les graines vont accomplir

leur mission en donnant la vie.

Et notre vieil homme avec son bagou, essayait d'attirer l'attention. C'est vrai qu'avec son

accent bien marqué, avec des R qui "rrrroulaient" comme ça, une voix forte avec des intonations

qui tenaient du théâtre. Tout le monde l'écoutait et chacun en lui-même était un peu hypnotisé par

le personnage et ses propos.

Ohé! s'écria-t-il. Y a-t-il quelqu'un qui m'écoute, qui veuille partager quelques instants

avec moi ? On se serait soudainement cru transporté à Hyde Park Corner à Londres, où chacun

peut avec son bagout et sa gouaille, aborder n'importe qui et surtout mettre l'accent sur

n'importe quel sujet. D'ailleurs tout le monde écoutait mais seules quelques personnes osaient

susurrer quelques mots à son voisin. On aurait dit un murmure d'oreille à oreille, un

bourdonnement d'abeilles dans une ruche.

Et puis comme dans un souffle de lassitude, le vieil homme semble être seul, épuisé par

cette jactance volubile. Où en est-il ? Il ouvre grands ses yeux. Que fait-il dans cet endroit?

Il écoute comme dans un rêve, ce silence qui ressemble au silence de l'Afrique.

Bizarrement mais très rapidement, il se rend compte qu'il n'est pas seul. Il se trouve parmi

une foule colorée qui écoute. Tout ce monde rassemblé à l'ombre d'un baobab , écoute un de ces

hommes , ces mémoires vivantes, respectés de tous mais craints par certain. Ces hommes, les

griots , qui parlent ou qui chantent ou qui dansent , ceux par qui la voix transmet la tradition

orale. Ils peuvent, par l'accent d'un simple mot ou l'intonation d'une phrase sous l'arbre à

palabres, paraître curieux et surprendre tout étranger. Aujourd'hui dans certaines circonstances,

les griot(t)es sont influentes dans les affaires familiales.

Il y a quelques années , les amateurs de généalogie pouvaient utiliser un petit logiciel

dénommé "Griot" pour essayer de retrouver leurs racines . . . puisque les anciens n'étaient plus là

pour transmettre par la voix leurs connaissances et leur savoir.

Mais au fait, le vieil homme avec ses excès, sortait-il d'un rêve ou faisait-il du théâtre?

Une disparition inquiétante

Le commissaire Brunet vient d’arriver à la résidence "Émeraude". Il répond à l’appel de Caroline Wolf, la directrice de la maison de retraite signalant la disparition d’Emmeline Bertin, une de ses pensionnaires. Loin d’être une écervelée, cette femme distinguée, veuve d’un officier de marine, n’a jamais causé de soucis. Pourtant, sans prévenir personne, elle s’est éclipsée, au petit matin, en emportant toutes ses affaires. À la demande du commissaire, un inspecteur a déjà commencé à recueillir les témoignages des résidents.

Quand avez-vous vu madame Bertin pour la dernière fois, Monsieur Bertier ?

Pourtant bien connu pour son bagou, cet homme habituellement truculent reste bizarrement silencieux. Je vous répète la question monsieur Bertier, quand avez-vous vu Madame Bertin pour la dernière fois ? À son grand soulagement, Agathe Fortier vient à son secours.

Moi je l’ai vu, vers 5 h, elle mettait son manteau et ses gants. Agathe, volubile, un peu frivole, commença à détailler la couleur de ses vêtements, de son sac. L’inspecteur l’arrêta.

Savez-vous où elle se rendait ?

Voir son amoureux, bien sûr, susurra Agathe à son oreille. Interloquée, la directrice intervint.

Un amoureux, voyons Agathe, vous dites n’importe quoi, Emmeline a 80 ans, elle n’a pas d’amoureux.

Mais oui ! elle a un amoureux, vexée, Agathe tourna les talons et s’éloigna en boudant.

Vous le saviez ? reprit l’inspecteur en se tournant vers Bertier.

Je l’ai appris hier, les femmes placotaient entre elles quand je suis arrivé, l’une d’elles m’a interpellée.

Ohé, Bertier, tu connais la nouvelle ? Emmeline va nous quitter pour aller vivre avec son amoureux.

J’aime bien Emmeline et la nouvelle m’a surpris alors je leur ai répondu un peu vivement de cesser leur jactance.

Et cet homme, vous l’avez déjà vu, vous le connaissez ?

Oui un peu, il est plus vieux que moi, il est plus grand et plus fort, avec une grande cicatrice sur la joue, dit Bertier, en gesticulant pour estimer une hauteur et une largeur. Emmeline a certainement vu en lui le baroudeur, il a un grand chapeau et surtout un fort accent polynésien. « J’aime sa voix grave avec laquelle il raconte les histoires de son pays, une île lointaine, le Vanuatu, à la manière d’un griot, m’a-t-elle confié en rougissant ».

Savez-vous où ils sont partis ?

À la gare, Emmeline a décidé de le suivre, là où il ira.

Toutes sirènes hurlantes, la voiture de police fonce vers la gare. Arrivé sur le quai, le commissaire découvre un charmant tableau.

Un homme chapeauté est assis au centre d’un groupe de personnes qui semble subjugué par son récit. Emmeline, vêtue de blanc, appuie amoureusement sa tête dans le creux de la main du conteur.

UNE ÉTRANGE MALADIE

Je n’avais que trois ans, à l’époque, mais j’étais déjà un grand garçon : je ne portais

plus les objets à la bouche, je faisais rarement des colères, et je mangeais proprement, tout ce que

mon petit frère d’un an n’était pas en mesure d’accomplir. Certes, il avait marché de bonne heure,

mais prononçait peu de mots. Contrairement à lui, je parlais de façon volubile, étant toujours avide

de connaissances, au point d’assaillir continuellement mes parents de questions répétées en boucle.

Malgré nos différences, une réelle complicité existait entre mon frère et moi. Le langage corporel

remplaçait la communication verbale, et se traduisait par des regards malicieux, des grimaces, des

rires et des gestes de tendresse. Je vécus d’autant plus douloureusement l’annonce de sa maladie.

Le médecin se montra dubitatif face à son état. Hormis une fièvre élevée, aucun

symptôme notable ne pouvait confirmer le diagnostic, et il considéra sa maladie d’origine virale, sans grande conviction. Moi, j’avais ma petite idée sur la question en voyant mon frère se tortiller

dans tous les sens. La palpation de son ventre avait permis d’entendre un bruit bizarre, une sorte de

sifflement semblable à celui de ma flûte quand j’étais essoufflé. Le médecin, perplexe, avait

susurré à l’oreille de mes parents des mots voulus secrets, mais qui n’ont pas échappé à mon

indiscrétion. J’avais retenu « à l’hôpital, si cela ne s’arrange pas ». Mes parents surveillaient

constamment Axel, et lui prodiguaient de multiples attentions. Les commères du village, au bagou

intarissable, n’arrêtaient pas de placoter, et se plaisaient à faire courir des rumeurs. L’une d’elles,

madame Py interpella mes parents dans la rue, d’une voix tonitruante :

—Ohé ! Venez, je vais vous dire… Méfiez-vous ! Il y a des cas de méningite en ce

moment. Souvenez-vous, le petit Eric Blanc en est mort ! Si ses parents m’avaient écoutée, ils

auraient consulté monsieur Boubou, le guérisseur. C’est grâce à moi que la fille des époux Lessage

a pu être sauvée, tout comme le petit Maxime Brun... Madame Py cherchait à imposer ses certitudes

en s’appuyant sur des faits dont elle tentait de démontrer la véracité. D’ordinaire, mes parents

n’étaient pas dupes de la jactance de celle qu’ils surnommaient «La pie jacasse», mais ils finirent

par se laisser convaincre par ses arguments persuasifs, et demandèrent conseil à monsieur Boubou.

Je crus voir Merlin l’enchanteur en découvrant un monsieur drapé d’une robe-tunique

bleue et blanche étincelante, aux manches évasées, et coiffé d’un chapeau pointu curieusement orné

d’une plume. L’accent de monsieur Boubou signait son origine malienne, un accent fort agréable et

dépaysant : une incitation au voyage ! Ses yeux rieurs et sa mine joviale attiraient la sympathie. Mes

parents furent subjugués par sa prestance et le ton emphatique de ce truculent personnage. Tout d’abord, il plaça Axel dans différentes positions, et lui fit écouter une musique entraînante

censée le libérer des perturbations de son corps dont les sons émis par son ventre. Mon petit frère se

trémoussa, prit vite le tournis, grogna, et attrapa un hoquet. Ensuite, le guérisseur donna à Axel un

bain chaud pour calmer son agitation, mais sans résultat. Enfin, il sollicita l’intervention d’un griot renommé qui fit une fascinante représentation africaine traditionnelle rythmé de chants, de danses et

de contes poétiques. Axel, épuisé, se mit à bailler, puis à éternuer. Il semblait relaxé.

Quand nous sommes rentrés à la maison, Axel n’avait plus de fièvre et présentait tous

les signes d’une guérison. Mes parents conclurent à la disparition du virus. Je dus alors intervenir :

—Moi, je sais pourquoi Axel a été malade.

—Que veux-tu dire ? me demanda maman.

—Il a avalé…

––Quoi ? Il a avalé quoi ?

—Il a avalé une mouche.

—Une mouche ? Qu’est-ce que tu racontes ?

—Ben oui, comme le roi Maxime ! Tu sais, maman, Le Carnaval des animaux, le livre

offert par tata Odette... Le lion avait une grosse mouche qui volait dans son ventre, et elle

est partie seulement quand il a éternué.

Catégorie 12 à 16 ans

Meurtre au cimetière

Fiers, dans nos costumes flambants neufs, nous marchons la tête sur lesépaules, le buste bien droit vers les lieux du crime.- Ohé, vous là ! Nous interpelle une forte femme truculente dans sonuniforme . Alban, mon collègue brandit un laisser-passer et soupire :- LDRDPP ( Ligue De Rationalisation Des Phénomènes Paranormaux) , laissezpasser !Nous avançons parmi les journalistes, la famille du défunt et les trop curieux,jusqu'au cadavre. Il est là , gisant au milieu des cercueils éventrés, à son coudeux marques sanguinolentes. Penché au dessus de lui, un médecin l'ausculte.- Alors ?- Alors, si il pouvait y avoir moins de jactance quand je bosse.Un homme se dirige vers nous et dit avec un accent à couper au couteau :- J'ai tout vu ! Hier soir, je rendais visite à ma femme morte et enterrée depuisun bail quand un hurlement a déchiré le silence du cimetière, je me suisprécipité vers la source du bruit, et c'est là que j'ai vu une silhouette pâlepenchée sur ce corps, elle lui buvait le sang.- Baliverne, cet homme tente de vous enfumer avec son bagou, intervient lemédecin hors de lui.- Ce brave docteur a raison, nous le gênons dans son travail. Suivez-moi,Monsieur, allons discuter au calme. Alban, arranges toi pour que l'on ne soitpas dérangé, dis-je , en lui adressant un clin d’œil discret.Une fois au calme, à l'abri des regards, je me tourne vers le témoin et luisusurre :- Alors vous croyez aux vampires ?- Bien sûr, je les ai vus, si j'avais eu un pieu, j'en aurais fait mon affaire ,fanfaronne t-il- Ne pensez-vous pas qu'un témoin tel que vous, pourrait les gêner ?Il resta sans voix et me regarda hébété. Je lui souris et mes dents de devants'allongèrent pour former deux canines pointues.

" Bagou ou Vérité"

J'entendis une voix placoter volubilement. Elle disait que les griottes d'Amérique étaient plus chères que

l'année précédente, mais d'une qualité qui le justifiait amplement. Les oranges avaient également

augmenté mais leur qualité avait elle baissée.

- Ohé ! la hélais-je.

- Qu'y a-t-il ? me répondit-elle.

- Je t'admoneste de cesser de jacter ! Susurres donc, cela serait plus approprié dans une bibliothèque.

- Tu as raison, dit-elle à contrecœur. Que dirais-tu de jouer à un jeu que je viens d'inventer? Je l'ai nommé...

" Bagou ou Vérité". Je vais te raconter une histoire et tu devra définir si c'est un bagou ou une vérité.

- Pfff...Suis-je obligé d'y jouer ? demandais-je légèrement las par sa proposition.

- Non bien sûr, répondit-elle , peinée par ma réponse.

- Bon d'accord! Je joue.

- Yes !

Elle me raconta donc une histoire. Jadis vivait un DJ qui adorait les choses truculentes mais Il se sentait

seul. Dans un rêve lui apparut soudain l'idée, l'idée du siècle qui allait lui rapporter gros et le faire

connaitre. Il la nomma: le rap. Ce serait une danse rythmée qui , il le voulait, ferait ressentir la joie de vivre.

C'est ainsi qu'il devint connu, ce qui ne l'empêcha pas de mourir seul et triste.

- Facile ! C'est un bagou, tu n'as pas de chance! J'adore le rap, d'ailleurs, j'ai tout appris par cœur. Ecoute

donc : le rap a été inventé en 1930 par un MC ( maitre de cérémonie ).

- A ton tour.

Je lui raconta alors mon histoire. L'homme le plus grand du monde est né en 1910 et est mort a 22 ans car

sa colonne vertébrale était trop longue et mal tenue par ses muscles. Elle, sitôt mon histoire finie,

s'exclama "Bagou"! Je lui répondis immédiatement avec énergie "Faux, c'est vrai !" Mon histoire était bien

vraie. Désolé."

- Continuons de jouer, nous avons là toute la matière nécessaire pour trouver ou inventer de nouvelles

histoires . On est dans une bibliothèque , non ?

Catégorie jusqu’à 11 ans inclus

Le nouveau voisin

Lisa s’est fait g o de u e t e te-cinquième fois. Elle s’e fuit da s le ja di . Elle se cache dans un

buisson, près de la haie. Oh ! Il y a un petit garçon chez les voisins.

– Ohé ! Tu ’e te ds ? Oh non, il ne me répond pas.

Maman appelle :

– Lisa c’est l’heu e du goute !

– Non je ne veux plus rentrer dans cette maison ! Tu es trop sévère !

– Reste dans le jardin alors.

Elle entend le garçon lui parler :

– Tu sais tu as une jolie voix.

– Ah bon ?

– Tu sais susurrer toi ?

– Ben oui et toi tu sais fai e l’accent du sud ?

– No pa ce ue oi j’ai l’acce t du o d.

Lisa rentre à sa maison

– Maman ?

– Oui ?

– J’ai fai .

– Et bien, tu ’as pas voulu ve i pou le goute , atte ds le dî e . Je vais le p épa e .

– Maman ?

– Oui ?

– Tu sais que j’ai e co t é u ga ço .

– Ah bon ?

– Oui, il s’appelle Jea , il a du bagou et l’acce t du o d.

– Il te l’a app is l’acce t du o d ?

– Non mais, il ’a app is l’acce t de ie .